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Titre : Bulletin de la Société de géographie de Lyon

Auteur : Société de géographie (Lyon). Auteur du texte

Éditeur : Société de géographie de Lyon (Lyon)

Date d'édition : 1913-01-01

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34447912m

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb34447912m/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

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Description : 01 janvier 1913

Description : 1913/01/01 (SER2)-1913/06/30.

Description : Collection numérique : Fonds régional : Rhône-Alpes

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k5477800t

Source : Bibliothèque nationale de France

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 27/12/2010

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Société

de Géographie

de LYON et de la Région LYONNAISE

• Fondée en 1873 ■ /ï$£>.:*..i, ,.'\

BULLETIN

■Six semaines en Océanie, C. RIBOUD /

Là Dombes (suite), Etienne LAOER 24

L'Indo-Chine française, d'après la conférence de Ai. Robert CAIX, 6 mars 1913 : 47

(Voir la suite du Sommaire au verso)

I^YON

SECRÉTARIAT DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE

24, Rue Confort, 24

DÉPÔT chez H. GEORG, libraire-éditeur, Passage de l'Hôtel-Dleu


SO:M::M[.A.T,:R.E;

(SUITE)

CHRONIQUE GEOGRAPHIQUE

par I. ASSADA

GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE. — Le coton dans les colonies françaises ; la culture du blé dans le monde ; le Dry-Farming ; l'évaporatlon du sol et des végétaux comme facteur de la persistance des temps pluvieux et froids; les méthodes de calcul en climatologie ; les animaux des grands fonds marins ; le problème de l'Atlantide ; le réseau intercolonlal français de télégraphie sans fil ; la population de nos colonies ; la carte du monde au 1 : 1.000.000' ; les congrès 56

EUROPE. — L'aménagement du Rhône ; la preuve définitive de la capture de la Moselle par la Meurthe ; un nouveau canal maritime en Angleterre ; le développement économique de la Galicie ; émigration autrichienne ; la percée du Lcetschberg et ses conséquences ; les villes du Sandzak de Novi-Pazar ; Scutari et ses voies d'accès ; la répartition de la population en Bulgarie avant la guerre ; projet d'irrigation dans le bassin du Haut-Aragon 70

ASIE. — Les forêts du Japon ; les ressources minières de la Chine ; l'indépendance du Tibet ; le projet de Transiranien ; le réseau télégraphique des Indes orientales hollandaises 85

AFRIQUE. — L'Etat tangerois ; le chemin de fer de Tanger à Fez ; les régions naturelles de la Chaouïa ; le développement économique de la Chaouïa ; Alger second port français ; la population de la Tunisie ; les résultats de la mission d'études du Transafricain ; la production de la laine et l'introduction du Mérinos en Afrique occidentale ; la navigabilité des rivières de l'Afrique occidentale française ; les campagnes d'hiver des pêcheurs bretons sur les côtes de Mauritanie et du Sénégal ; les palmiers à huile en Afrique équatoriale française ; inauguration d'une ligne ferrée au Dahomey ; mission de délimitation du CongoCameroun ; la valeur de l'Oubanghi et de la Sangha comme voies de communication ; le bassin du Kouango ; l'avancement de la construction du chemin de fer de Katanga ; la profondeur du lac Tanganlka ; un nouveau volcan dans l'Afrique orientale allemande ; la région des sources du Nil ; le développement économique de l'Erythrée ; l'avenir du Nyassaland et de l'Ouganda ; le Soudan égyptien 90

AMÉRIQUE. — La lutte entre le canal de l'Erié et les chemins de fer ; les forces hydrauliques du Mississrpi moyen ; éruption du Colima ; le domaine du « Chaparral » en Californie du Sud ; explorations dans les Andes centrales 124

AUSTRALIE. — Le chemin de fer transcontinental australien .- 129

RÉGIONS POLAIRES. — Résultats de l'exploration de Knud Rasmussen sur la côte nord du Groenland ; le désastre de l'expédition SchroederStranz au Spitzberg ; résultats géographiques de l'expédition Nordenskjoèld dans l'Antarctide ; résultats géographiques définitifs de l'expédition Shackleton ; les résultats géographiques de l'expédition Amundsen ; l'expédition antarctique australienne ; découvertes de l'expédition antarctique allemande dans la mer de Weddel ; les projets d'expéditions polaires 130

BIBLIOGRAPHIE

par M. ZIMMERMANN et I. ASSADA

Etienne TARIS. — La Russie et ses richesses 141

Jules LECLERCQ. — Aux sources du Nil par le chemin de fer de l'Ouganda. 142

Louis GENTIL. — Le Maroc physique 145

Augustin BERNARD. — Le Maroc 148

Comte René LE MORE. — D'Alger à Tombouctou ; des rives de la Loire

aux rives du Niger ...'.........:'; 151


Six Semaines en Océanie

ILES HAWAI - ILES FIDJI

MONSIEUR LE PRÉSIDENT,

MESDAMES,

MESSIEURS,

Ce n'est pas sans une certaine appréhension que j'entreprends de vous raconter une croisière en Océanie. Ce nom a un parfum si fort d'exotisme, il est chargé de tant de littérature, il évoque des aventures si dramatiques de marins et de missionnaires ! J'ai lieu de craindre que ces souvenirs et ces visions ne fassent tort à mon simple récit. Je n'ai, en «ffet, à vous relater que la facile promenade d'un touriste.

Il reste encore, sans doute, dans le Pacifique occidental, du côté de l'Insulinde, des îles inhospitalières et sauvages, peu fréquentées ; mais à l'heure actuelle la Polynésie tout entière et les principaux groupes de la Mélanésie sont très facilement accessibles. Le grand Océan est sillonné par des services réguliers de paquebots, des postes de T.S.F. ont été aménagés dans les îles, — bref, on voyage là-bas aussi confortablement et sûrement que dans nos mers d'Europe.

Mais je trahirais le souvenir délicieux que j'ai gardé de ce voyage si je vous laissais entendre par là que les îles océaniennes, banalisées, ont perdu tout le charme dont votre imagination les pare. Le contact de notre civilisation a profondément altéré, il est vrai, la vie polynésienne ; mais les Mélanésiens, moins hospitaliers, se sont gardés plus primitifs. Celte évolution inévitable de l'indigène en présence des Lianes, beaucoup moins rapide au reste que ne l'ont prétendu certains voyageurs à l'esprit chagrin, si elle est déplorable au point de vue du pittoresque, nous présente par ailleurs des problèmes du plus passionnant intérêt. Et enfin il reste •quelque chose qui ne change pas : c'est l'enchantement de


2 ILES HAVAI — ILES FIDJI

la nature océanienne, sa fécondité inépuisable et variée, la douceur enveloppante de son climat. Je ne veux pas m'essayer à faire de la littérature, ni prétendre traduire par des mots les spectacles dont je garde le souvenir. Je ne veux qu'appuyer de mon témoignage les enthousiastes descriptions de tant de voyageurs.

Je vous dirai d'abord quel a été mon itinéraire.

C'est au cours d'un voyage autour du monde, que j'avais entrepris avec un de mes amis, que je fus amené, il y a deux ans, à traverser l'Océanie. Cette étape ne figurait pas à notre programme définitif. Elle y fut ajoutée par une brusque décision.

Nous étions en route pour le Japon, après sept mois passés en Amérique, lorsqu'à la veille d'arriver à Honolulu, et peut-être sous l'influence des premières haleines chaudes d'une nuit tropicale, se leva dans notre imagination l'image des îles des mers du Sud. Pris du désir de vagabonder et, après l'activité trépidante des Etats-Unis, de pénétrer dans un monde de vie passive et primitive, nous ne résistâmes pas à cette suggestion. Nous fûmes en un instant résolus à bouleverser tous nos projets. La brusquerie et l'imprévu de cette décision, l'ébullition joyeuse qu'elle provoqua marque de traits particuliers le souvenir qui me reste de mon séjour en Océanie. Un des plus grands plaisirs du voyage n'est-il pas dans le sentiment qu'a le voyageur de son absolue liberté ?

Les noms autour desquels cristallise l'imagination quand elle se porte sur l'Océanie sont ceux dé Tahiti et de Samoa. Nous voyons Tahiti à travers les récits de Cook et de Loti ou les tableaux de Ganguin. Samoa doit son prestige au grand écrivain anglais Robert-Louis Stevenson.

Stevenson a vécu les six dernières années de sa vie en Océanie et il est mort à Samoa en 189/i. Par la force évocatrice de ses lettres et de son livre, Dans les Mers du Sud, par l'intelligence et l'amour avec lesquels il observe et décrit la vie polynésienne, il fait naître au coeur de tous ceux qui le lisent un rêve... C'est ce rêve que nous avons saisi l'occasion de réaliser. Vous voyez qu'il y a dans mon cas un peu de littérature !...


SIX SEMAINES EN OCEANIE 3

Au point où nous en étions, à Honolulu, nous ne pouvions malheureusement plus songer à gagner Tahiti ; il n'y a pas de relations entre Honolulu et Papeiti ; il eut fallu retourner à San Francisco, c'est-à-dire perdre trois semaines. C'est donc vers Samoa que s'orientèrent nos projets.

Mais comment atteindre ces îles ? comment en repartir ? comment ensuite revenir à notre itinéraire primitif, c'està-dire à l'Extrême-Orient ? A Honolulu il ne nous fut pas possible de rien savoir de précis : tout ce que l'on put nous dire c'est qu'il y avait un service mensuel reliant le Canada à l'Australie et touchant à Honolulu et aux Fidji. Des Fidji, nous pensions trouver moyen de passer à Samoa qui n'est pas très éloigné. C'est ainsi que nous sommes partis un peu au hasard.

Une fois aux Fidji, nous nous sommes aperçus qu'il n'y avait pas moyen d'en sortir à moins d'attendre plusieurs semaines. Entre les divers groupes de l'Océanie les communications sont rares. Ils sont tous rattachés à Sydney. Sydney joue dans le Pacifique, au point de vue des communications, le même rôle que Paris en France : c'est le centre, où l'on est toujours obligé de revenir. Je conseille à ceux qui projetteraient un voyage en Océanie d'aborder ces régions par le sud plutôt que par le nord : ils auront un beaucoup plus grand choix d'itinéraires. Nous avons donc dû passer un mois dans les Fidji ; je vous dirai à quelle heureuse circonstance nous avons dû de mettre à profit ce séjour d'une façon particulièrement agréable et intéressante.

Des Fidji nous avons fait route vers Sydney. Jusqu'au moment où nous y avons débarqué nous ne savions pas s'il serait possible de gagner l'Extrême-Orient sans faire un énorme détour, sans passer par Ceylan. Heureusement, il existe un service hollandais reliant directement Sydney à Java et contournant l'Australie par l'est. C'est par là que nous sommes remontés vers le nord : cela nous a donné l'occasion de faire une courte mais très pittoresque escale en Nouvelle-Guinée.

L'Océanie peut être divisée en deux zones : les îles du Pacifique oriental qui, des Hawaï à la Nouvelle-Zélande et à l'île de Pâques, constituent le monde polynésien, et les îles du Pacifique occidental, à l'ouest du i8o° de longitude, qui sont rangées sous le nom, assez peu précis, de Mélanésie.


4 ILES HAVAI — ILES FIDJI

Les îles Hawaï, quoique très excentriques par rapport au reste de l'Océanie, font partie de la Polynésie. Le monde polynésien qui s'étend sur une prodigieuse étendue présente une remarquable unité. HaAvaïens, Tahitiens, Samoans, Maoris de Nouvelle-Zélande appartiennent à une même race, ainsi qu'en témoigne l'identité de langage, de caractères physiques et de caractères moraux.

Il n'y a entre toutes ces îles que des différences dialectales et un indigène de l'une se fait comprendre très facilement des indigènes d'une autre.

Au point de vue physique, le Polynésien est un des types les plus séduisants de l'humanité : grand, bien découplé, extrêmement agile dans les exercices du corps, les traits accentués mais non empâtés comme ceux du nègre, les yeux bruns très brillants, la chevelure noire, la peau bronzée mais claire, comme pourrait l'être celle d'un blanc cuit par le soleil ; il évoque inévitablement un modèle de la statuaire grecque. Quant aux femmes, leur beauté et leur charme ont été suffisamment célébrés par Loti. Cependant, au risque de dépoétiser Rarahu, il faut bien dire qu'elles se gâtent vite et qu'elles ont une fâcheuse tendance à l'embonpoint. Mais c'est justement ce qu'apprécient le plus les Polynésiens.

Au moral, les Polynésiens sont des êtres doux et paresseux. Leur vie est faite de voluptueuse insouciance : vivant au milieu d'une généreuse nature, ils n'ont que faire de travailler. Mais ils sont remarquablement aptes à s'assimiler les côtés brillants de notre culture. De jeunes Hawaïennes élevées en Amérique ou en Europe deviennent des femmes du monde accomplies et charmantes. Un des traits du caractère des Polynésiens est leur goût des fleurs, des chants et de la danse. Même à Honolulu, et sous le costume européen qu'ils ont adopté, ils ont conservé cet amour des fleurs. Ils portent constamment, autour du cou, sur leurs chapeaux, et les hommes comme les femmes, des « leïs », c'est-à-dire des colliers de fleurs enfilées bout à bout. Vous rencontrez ainsi ornés le paysan dans son champ, le terrassier à son travail. Et ils ont donné cette habitude aux Américains et aux Anglais, et eux aussi on les voit souvent se promener avec une parure de fleurs fraîches au chapeau. Le départ d'un bateau pour San Francisco est une. grande fête de fleurs. Des bandes d'amis accompagnent les partants que l'on cou-


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vre de leïs. Sur la jetée sont venues se ranger des chorales et des fanfares. Et tandis que le paquebot s'ébranle lentement au son de la musique, du pont à la jetée on se jette des fleurs avec les derniers adieux.

Un assez grand nombre d'Américains et d'Anglais ont épousé des Hawaïennes. Le député du territoire des Hawaï au Congrès de Washington est un membre de l'ancienne famille royale indigène. Il porte un nom symbolique de sa race : il s'appelle le prince Cupidon. J'étais à Honolulu au moment d'une période électorale. Sur tous les murs s'étalait en grosses lettres : « Votez pour Cupidon )>. Il fut réélu à une grosse majorité. De même en Nouvelle-Zélande il y a eu des mariages entre Anglais et Maoris et le Parlement compte des députés indigènes. Pour qui connaît l'intensité de l'orgueil de race chez les Anglo-Saxons et leur mépris pour tous les gens de couleurs, il y a là un ensemble de faits qui porte un témoignage extrêmement remarquable en faveur des Polynésiens.

L'origine de cette race et la question du peuplement de l'aire immense qu'elle occupe aujourd'hui est un des problèmes les plus obscurs de l'ethnographie. Il y a, en effet, de quoi confondre l'imagination : une race venue on ne sait d'où, sans lien de parenté avec les races voisines, qui peuple des îles disséminées sur l'océan par le moyen de l'embarcation la plus frêle et la plus instable : la pirogue à balancier !

On a imaginé pour elle les origines les plus variées : on a proposé l'Amérique du Nord et l'Amérique du Sud, une souche aryenne prévédique, une souche sémite, que sais-je encore ? N'a-t-on pas été jusqu'à croire que les Polynésiens pouvaient bien descendre des dix tribus perdues d'Israël ?

La vérité c'est qu'on ne sait rien ou à peu près. Les spécialistes ne s'accordent guère que sur la direction générale du mouvement de migration et sur l'époque approximative à laquelle il a eu lieu.

Le peuplement a dû se faire de l'ouest à l'est — via Malaisie-Indonésie — là où les îles sont les plus rapprochées. Et c'est, en effet, plus vraisemblable que d'imaginer qu'il s'est fait à travers les étendues marines de l'est. Cette direction ouest-est, a-t-on fait remarquer, n'est pas celle des vents régnants, puisque l'alizé souffle du sud-est au nord-ouest.


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Cela est vrai, mais n'est-il pas, au contraire, naturel qu'une poignée de partisans qui se lancent dans l'inconnu (car je me représente que c'est ainsi que la migration a dû procéder et non par grandes masses) mettra justement à profit les vents exceptionnels en se réservant d'utiliser pour le retour les vents régnants ?

Quant à l'époque, les savants croient qu'elle est très peu éloignée de nous et la fixent aux environs du x" siècle de notre ère. Les Polynésiens seraient donc une race récemment acclimatée et peut-être mal acclimatée, ce qui expliquerait fort bien le manque de résistance qui les caractérise.

Car, vous le savez, les Polynésiens sont en voie de disparaître. La diminution de la population est générale : on l'observe en Nouvelle-Zélande, à Tahiti, aux Hawaï. Elle est rapide ; voici les chiffres, en ce qui concerne les Hawaï : Cook a estimé la population de ces îles à 4oo.ooo âmes, mais le chiffre était sans doute exagéré. En i832, et ce chiffre est exact, il y avait i3o.ooo Hawaïens ; en 1890, il n'y en avait plus que 3/i-ooo ; en 1910, 26.000.

Quelles sont les causes de cette décadence ? Les ravages des maladies que nous leur avons apportées : la tuberculose, la syphilis et même la rougeole qui est meurtrière pour eux. Puis l'alcool, encore un cadeau que nous leur avons fait, et contre lequel aucune lutte efficace n'est possible aux Hawaï, car les Hawaïens sont électeurs. Enfin, leur indolence, qui les rend à peu près inutilisables comme main-d'oeuvre, de sorte qu'ils sont supplantés et ruinés par la concurrence des Chinois et des Japonais.

On a fait, en présence de ces tristesses, le procès général de la civilisation : le contact des Européens, a-t-on dit, est fatal aux races primitives ; et l'on a cité à l'appui d'autres cas celui des Peaux-Rouges, par exemple. Il est bien évident que c'est là une généralisation absurde : à considérer l'ensemble des faits, comment peut-on prétendre que l'expansion des blancs dans le monde a pour conséquence la disparition des races de couleur ? Voyez la multiplication des Nègres, des Hindous, des Chinois, des Javanais — des Javanais qui ont passé de 3 millions, en 1800, à 3o millions, en 1900. ■— Prenez même le cas des Peaux-Rouges : ils ont diminué rapidement, c'est vrai, mais parce que les Américains ont


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poursuivi contre eux une politique d'extermination voulue, par le fer et par l'alcool. Aujourd'hui qu'on les protège, que l'on sait comment les manier, que l'alcool leur est sévèrement interdit, la décadence est enrayée et il semble même, que depuis quelques années leur nombre soit en léger accroissement.

En sera-t-il de même des Polynésiens ? Une politique indigène plus avertie, des mesures de protection économique, l'éducation de leur indolence, les progrès de l'hygiène, l'interdiction de l'alcool (mesure que les Anglais ont déjà prise dans leurs colonies et qu'ils font assez effectivement respecter), tout cela suffira-t-il à enrayer la dépopulation ? La civilisation est-elle capable de réparer le mal qu'elle a fait ?

J'ai bien peur que non, dans le cas actuel. 11 est à craindre que nous ne soyons en présence d'une évolution plus ancienne que l'établissement des blancs dans le Pacifique, et que le contact avec la civilisation n'ait fait que précipiter un mouvement déjà commencé. Les causes en seraient : l'isolement insulaire ; une alimentation défectueuse : les Polynésiens ne connaissaient ni le bétail, — donc pas de viandes (sauf les fêtes exceptionnelles des repas cannibales) et pas de lait — ni les céréales ; enfin et surtout l'acclimatation imparfaite de la race.

Tandis que les Polynésiens meurent, leur place est prise, du moins aux Hawaï, par la multitude la plus bigarrée. Il y a sur ce petit coin de terre des échantillons de toute l'humanité.

L'insuffisance de la population indigène, son indolence, sa versatilité, ont obligé les Américains à faire appel à une main-d'oeuvre importée pour la mise en valeur de leur colonie.

Il vint d'abord des Chinois. Mais, comme vous le savez, les Américains ont interdit leurs territoires aux Chinois, et les Hawaï ont été naturellement comprises dans cette mesure. Les Célestes y sont encore une vingtaine de mille, mais ce nombre décroît peu à peu.

Ils ont été remplacés par les Japonais. Ceux-ci sont arrivés en masse : ils sont 80.000 sur une population totale de 190.000 habitants. Les Américains ont vu dans cette invasion pacifique un danger sérieux, non seulement économi-


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que, mais politique : les Hawaï devenaient lentement par la population une colonie japonaise. L'immigration japonaise aux Hawaï et en Californie a été la cause, il y a quatre ou cinq ans, d'un conflit assez sérieux entre les Etats-Unis et le Japon : il s'est terminé à l'amiable. Le Japon a promis de décourager l'immigration japonaise chez les Américains.

A côté des Chinois et des Japonais, il y a encore d'autres jaunes : des Philippins, que les Américains font venir de leur colonie.

D'autre part, il y a une importante colonie de Portugais, des Açores, et d'Espagnols de Porto-Rico. On a même fait un essai avec des Russes amenés de Sibérie. Voilà pour la race blanche, sans parler des Américains et des Anglais, naturellement.

Enfin, pour achever, il y a des Nègres qui poussent jusque-là, des Antilles ou de la Louisiane. Toutes ces races se mêlent et se métissent. Vous voyez, dans ces conditions, quel musée vivant d'ethnologie peuvent être les rues d'Honolulu.

Nous nous sommes peu attardés aux Hawaï : cette première vision de l'Océanie n'avait fait qu'exciter notre désir de voir des populations plus primitives et dans un milieu moins mélangé.

D'Honolulu aux Fidji nous avons emprunté la ligne qui réunit le Canada à l'Australie. Ces deux extrémités de l'empire britannique sont reliées par un service de paquebots et par un câble. C'est ce que les Anglais appellent la Route Rouge, le rouge étant la couleur des possessions britanniques sur les cartes anglaises. Ce câble qui traverse en biais le Pacifique — il date de cinq ou six ans — a complété la ligne télégraphique que l'orgueil britannique a voulu lancer tout autour du monde en ne la laissant toucher qu'à des terres anglaises. De Vancouver à Sydney il franchit cette étendue en trois enjambées : Vancouver-Farming Island ; Farming-Fidji ; Fidji-Australie.

Farming est un atoll situé à 4° latitude nord. Nous y faisons escale pour apporter au poste du télégraphe le courrier, des vivres frais, de la glace. C'est l'atoll classique : une bande de corail d'un kilomètre de large sur trente kilomètres de long qui enserre une lagune dont nous voyons scintiller


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de notre mouillage les eaux opalines — d'un bleu tout autre que celui de la haute mer — à travers les minces tiges des cocotiers. On ne nous laisse pas descendre à terre, car notre halte n'est que de deux heures, mais les agents du câble viennent à bord se faire offrir une coupe de Champagne. L'existence sur cet îlot perdu semble au premier abord tragique : à tout prendre elle l'est moins qu'on ne pourrait le croire. Ils sont là-bas une dizaine, quelques-uns mariés, et leur travail n'est pas écrasant. L'alizé qui balaie constamment l'océan entretient une température uniforme qui ne dépasse pas 26° et le climat est d'une salubrité sans égale. Ils ont du bétail, des poules, une bibliothèque (que j'ai enrichie de quelques numéros de l'Illustration) et un tennis. Tous les deux mois la visite du paquebot. Bref, les deux années d'exil s'écoulent sans trop de plaintes.

Après huit jours de mer on entre dans le groupe des Fidji. C'est pendant cette traversée que l'on croise le 1800 latitude et allant de l'est à l'ouest on saute un jour. Dans l'autre direction on en redouble un, et vous vous rappelez que c'est cette particularité qui permit à Philéas Fogg de gagner son pari. Nous, c'est un dimanche que nous avons sauté, en raison de la gaieté qui caractérise ce jour-là sur les bateaux anglais.

Le groupe des Fidji est coupé par le 1800 de longitude et le 180 latitude sud- Il se trouve à peu près au même parallèle que Tamatave. C'est le groupe le plus important de l'Océanie, et son gouverneur porte le titre de haut commissaire britannique pour le Pacifique austral.

Le groupe se compose des deux grandes îles, Vauna Levu et Viti Levu, environ de l'importance de la Corse, et d'un grand nombre de petites îles et d'îlots. La chaîne d'îles appelées Iles au Vent, qui se trouve à l'est du groupe, a une population où prédomine le sang polynésien. Touga, qui fait partie de la Polynésie, ne se trouve qu'à 3oo milles, et l'alizé souffle en permanence du sud-est au nord-ouest, poussant très fréquemment des canots touziens vers les Fidji. Fidji se trouve ainsi au point de contact do. la Polynésie et de la Mélanésie. On observe très nettement l'influence polynésienne à l'est et on la voit décroître à mesure que l'on avance vers l'ouest où prédomine le type mélanésien.

Il semble même que dans le reste de la Mélanésie, à me-


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sure que l'on pousse vers l'ouest, l'on s'enfonce dans la barbarie. D'île en île on descend quelque degré pour atteindre au plus bas de l'échelle de l'humanité avec les Australiens et les Dayaks de Bornéo.

Le terme mélanésien n'est pas précis : il comprend une grande variété de sous-races. Mais dans l'ensemble il s'applique à des populations qui se définissent très nettement par opposition aux Polynésiens, par leurs caractères moraux et par leurs caractères physiques.

Ce sont des races beaucoup plus sauvages, moins hospitalières que les Polynésiens. Elles s'adaptent mal à notre civilisation. Au physique, elles sont très différentes des élégants Polynésiens. Ce sont bien les plus admirables sauvages que l'on puisse imaginer.

Vous connaissez le style des athlètes de Michel-Ange ou ceux de Puget : ces squelettes excessifs, ces muscles saillants, ces mollets surtout, carrés, démesurés. Vous avez cru peut-être que c'étaient là des formules d'école et vous n'avez jamais vu, sans doute, chez des êtres vivants, même des lutteurs, pareille musculature. Eh bien ! allez voir les Fidjiens : ils donnent raison à Puget et aux artistes du xvii 6 siècle.

Les Mélanésiens, malgré l'étymologie, n'ont pas la peau noire, mais plutôt d'un brun foncé et brillant. Ils ont le nez épaté, sans que leur aspect soit tout à fait négroïde. Avec leurs yeux marrons, luisants, dont le blanc est injecté de sang, je vous assure qu'il n'y a qu'à les regarder pour se rappeler que ces Fidjicns étaient encore, il y a trente ans, à peu près anthropophages. Enfin, ils ont la coiffure qu'il faut pour achever ce portrait : cheveux noirs et crépus, dressés droit sur la tête, qu'ils entourent d'une auréole de quinze centimètres.

Suva, la capitale du groupe, se trouve sur Viti Levu. Je n'ai pas grand chose à vous en dire : c'est la petite ville coloniale, où fleurit la tôle ondulée. C'est le centre d'une région de cannes à sucre et cette culture industrielle l'a fort abîmée. Comme aux Hawaï, on a dû chercher une autre main-d'oeuvre que lés indigènes. Ici, ce sont des Hindous de Madras que l'on importe. Ils sont liés par un contrat de trois ans qui les tient dans un véritable esclavage. S'ils s'enfuient de la plantation la police les recherche et les y ramène de


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force. J'ai vu peu de spectacles aussi pénibles que ces usines ■où l'on manipule les cannes. Ce sont des enfers de chaleur et de saleté. Les Hindous y sont payés, au maximum, o fr. 80 par jour. Et que dire des huttes sordides dans lesquelles on les parque. On a beau savoir que la famine règne aux Indes et qu'ici au moins ils ne meurent pas de faim, le contraste entre ce spectacle et la vie heureuse et indolente que mènent les indigènes dans une nature prodigue est singulièrement frappant. Je vous assure que ce sont des moments où l'on n'est pas sûr que le capitalisme et la civilisation soient des ■choses dont on ait lieu d'être très fier.

Je n'ai vu cela que vers la fin de mon séjour aux Fidji. A l'arrivée je n'ai passé que quelques heures à Suva. Débarqué à 5 heures du soir, j'apprends que le même soir, à minuit, part un petit vapeur qui va distribuer le courrier dans les îles. C'était la seule occasion de parcourir le groupe : je la saisis, me confiant à la grâce de Dieu et à l'étoile des "voyageurs. Je n'avais pas même le temps de me procurer un boy, le matériel de couchage et les boîtes de conserves indispensables pour profiler pendant une huitaine de jours de l'hospitalité d'un chef de village. Aussi me demandai-je avec un peu d'anxiété si je n'allais pas être obligé de faire tout le circuit sur celte coquille de noix, c'est-à-dire y passer quinze jours. A la vérité, j'y avais bien trouvé, en m'installant, un compagnon intéressant le cuisinier du bord, un étudiant écossais, qui avait abandonné l'Université pour faire le tour du monde en gagnant sa vie en cours de route. Sa conversation était des plus brillantes, mais sa cuisine l'était moins.

La chance me favorisa de la plus élégante façon : le lendemain matin je fis connaissance — on fait vite connaissance à bord d'un paquebot de 5oo tonnes (n'oubliez pas que le Titanic en avait 5o.ooo) — je fis connaissance donc avec une religieuse française du Tiers-Ordre régulier de Marie, regagnant, après une tournée d'inspection, son poste de missionnaire. Laissez-moi tout de suite rendre hommage à cette femme de grand coeur et de haute intelligence. Soeur Marie Agnès nous invita aussitôt à nous arrêter au poste qu'elle regagnait et à demander l'hospitalité aux deux Pères de la mission. Je vous laisse à penser avec quel plaisir cette invitation fut acceptée.


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Trois ou quatre jours plus tard, après quelques escales à des îlots rencontrés, après avoir échoué une ou deux fois sur des bancs de coraux, — mais cela ne tire pas à conséquence : on attend que la marée A'OUS soulève et cela vous laisse le temps d'admirer la merveilleuse architecture des madrépores — nous arrivâmes en vue de la mission, sur la plage de l'île Tavinni, la troisième en importance du groupe.

Toute l'école de la mission, filles et garçons, deux files de moricauds en jupons et en robes blanches, étaient venus au devant de soeur Marie, sous la conduite des Pères et d'une soeur. Nous descendons à terre et nous nous présentons au Père.

Son étonnement lui en fit perdre son français : « Ail right, very well, very good ! » C'est tout ce qu'il put trouver à dire pendant quelques instants. Nous n'étions pas cependant les premiers visiteurs français : quelques années auparavant les Pères avaient recueilli et soigné un échappé de Nouméa qui s'était enfui en canot et avait échoué sur l'île, mourant de faim.

Pour décrire ce que fut l'hospitalité des Pères et apprécier la saveur et l'émotion de ces rencontres au cours d'un voyage lointain, il faut en avoir fait soi-même l'expérience. Grâce à ces missionnaires nous pûmes connaître la vie de l'indigène comme rarement des touristes ont la chance de pouvoir le faire.

La mission de Tavinni se compose d'une belle église, que je vous montrerai tout à l'heure, d'un vaste bungalow où logent les Pères et où ils nous offrirent l'hospitalité, et des bâtiments d'écoles pour les garçons et pour les filles.

Plus loin, le village indigène. Les huttes fidjiennes ressemblent à des meules de foin rectangulaires. Elles sont faites de palmes de cocotiers tressées et primitivement ne comportaient qu'une seule ouverture, la porte, et comme mobilier que des nattes. Mais la civilisation a pénétré ici, a ouvert des fenêtres et a apporté des lampes à pétrole et des machines à coudre.

Les enfants de l'école, garçons et filles, consacrent la plus grande partie de leur temps à des travaux manuels : ils cultivent les plantations de manioc, d'ignames dont ils tirent leur subsistance- Le travail intellectuel ne dure que deux heures par jour, l'enseignement est fait en fidjien ; les Pères


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ont composé et imprimé des livres dans cette langue. On leur apprend aussi des rudiments d'anglais. L'enseignement religieux et les exercices pieux tiennent une assez grande place dans leur vie : rien n'est plus frappant qu'une messe dite devant cette assistance de torses bruns. Mais le but de l'éducation n'est pas de leur apprendre quelques notions, même élémentaires, il est plutôt de leur inculquer des habitudes, et surtout celle du travail régulier.

L'insouciance, la versatilité, l'inaptitude à prévoir sont les traits fondamentaux de la mentalité du primitif. Il n'a pas la notion du temps : le Fidjien n'a que trois mots s'y rapportant : année, mois et jour. Pourquoi s'inquiéterait-il du -lendemain quand la forêt et la mer suffisent à lui fournir sa subsistance et dans un pays où les semences à toutes les époques de l'année ne mettent pas plus de quelques semaines à germer et à mûrir? Mais aujourd'hui que le blanc est arrivé et que la lutte pour la vie, au lieu de se manifester par des guerres de tribus, a pris la forme de la concurrence économique, l'indigène ne pourra se défendre et vivre que si l'on peut lui donner de nouvelles habitudes. Aussi les Pères tiennent-ils la main avec un soin particulier à ce que les enfants entretiennent avec régularité les cultures dont ils ont la charge.

Les Pères gardent ces enfants jusqu'à l'époque du mariage, c'est-à-dire 17 ou 18 ans. Ils s'efforcent de marier entre eux les garçons et les filles dont ils s'occupent de façon à constituer ainsi des familles sur lesquelles ils aient une certaine influence et que tout le travail ne soit pas perdu.

Nous avons plusieurs fois accompagné les garçons à leurs travaux agricoles. Ils se préparent eux-mêmes leurs repas sur place à la mode traditionnelle : ils creusent un trou dans lequel ils allument un grand feu ; ils l'allument souvent avec des allumettes, mais parfois encore comme le faisaient leurs ancêtres et comme Robinson dut s'y prendre : en frottant deux morceaux de bois l'un sur l'autre. Ils recouvrent ce feu de grosses pierres et lorsqu'elles sont bien chauffées ils dispersent la cendre, placent dans le trou leurs provisions qui consistent principalement en racines de manioc, d'ignames, etc., les recouvrent avec les pierres brûlantes, puis avec des feuilles et de la terre. Ce n'était pas autrement


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qu'on faisait cuire autrefois les prisonniers que l'on mangeait solennellement à la fin d'une expédition heureuse.

J'ai goûté de la cuisine fidjienne, mais je veux vous dire un mot de celle que nous offraient les Pères. Elle était faite par les filles de l'école sous la direction des soeurs. On avait mis sans doute en notre honneur les petits plats dans les grands, mais il n'y avait cependant à faire fonds que sur les ressources ordinaires : poissons, liqueurs et fruits tropicaux, pas d'autre légume de chez nous que des choux, pas de viande. Le résultat obtenu avec ces éléments fut si ingénieux, si varié, si agréable, que, surlout si je le compare avec la cuisine que font les Anglais, dans les mêmes conditions, je ne peux m'empêcher de rendre hommage aux qualités remarquables et bien françaises de ménagères et de maîtresses de maison avec lesquelles ces religieuses surent nous accueillir.

Jugez plutôt d'un de nos menus :

MBALOLOS

SOUPE AU PAIN

CHOUX FARCIS AU IIACUIS I)'ÉCREV1SSES

SAL\DE DE COEUR DE COCOTIER

FLAN DE TAPIOCA MANGUES, GRENADINESi, ANANAS

Deux articles de ce menu demandent des explications : la salade de coeur de cocotier et le hors-d'oeuvre, les Mbalolos.

Le coeur du cocotier ne s'offre qu'aux grandes occasions, car pour l'avoir il faut abattre l'arbre : c'est un beau cylindre d'ivoire, engagé dans le tronc à la naissance des palmes et formé par les jeunes feuilles non encore déroulées.

Quant aux Mbalolos, ce sont des vers de mer qui apparaissent à époques régulières et dont les indigènes sont très friands : cela fait un hors-d'oeuvre assez original.

Ce sont de bien curieux animalcules que ces Mbalolos, et qui font preuve d'une étonnante science astronomique. Permettez-moi de vous lire la note suivante : ce n'est pas le récit de quelques marins plus ou moins hâbleurs, je la traduis de VEncyclopedia Britannica, un dictionnaire encyclopédique très sérieux et très estimé ; mais je ne donnerais pas ma lêle à couper de la véracité de ce qu'il raconte :


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« Une des plus extraordinaires créatures de la faune marine de la Polynésie est le Mbalolo (Palola viridis), un annélide qui apparaît à la surface de l'océan près du bord de la barrière de corail à certaines époques de l'année. Les Mbalolos vivent dans les interstices du corail. A 3 heures du matin, au jour qui suit le troisième quartier de la lune d'octobre, ils apparaissent invariablement à la surface de l'eau et généralement en telle quantité qu'on les ramasse à pleines poignées. Peu après le lever du soleil ces vers se cassent et vers 9 heures ils se sont tous brisés en morceaux et ont disparu. Au malin qui suit le troisième quartier de la lune de novembre ils réapparaissent, de la même façon, mais en moindre quantité. Puis on ne les revoit plus avant octobre de l'année suivante. Ils apparaissent ainsi au moment où ils déposent leurs oeufs, ce qu'ils font en se brisant ; les mâles se brisent aussi bien que les femelles et les oeufs sont fécondés tandis qu'ils flottent dans l'^eu. La fécondation n'est possible que par la mort des parents. Les oeufs descendent jusqu'à ce qu'ils aient atteint le corail où ils se développent jusqu'à l'année suivante, où le même phénomène recommence. Année après année il se produit, selon les mouvements de la lune. Et cependant, à la longue, ils concordent avec l'année solaire. Voici comment : les phénomènes se produisent suivant deux cycles, l'un de 3 ans, l'autre de 29 ans. Dans le cycle de trois ans, deux années se composent de douze lunaisons chacune et la troisième de treize lunaisons. Au bout de trois ans il y a encore une petite différence avec l'année solaire. Au bout du cycle de vingtneuf ans, cette différence est compensée en intercalant une lunaison supplémentaire. De sorte que pendant tout le cours d'un siècle les Mbalolos apparaissent exactement à la même saison ; c'est au printemps, et les indigènes appellent le printemps la « saison des Mbalolos ».

Nos trop rapides journées chez les Pères de Tavinni se passèrent à parcourir l'île, guidés par des Fidjiens, ou à pêcher avec eux- Le soir nous réunissait avec les Pères sous la vérandah. Les garçons de l'école arrivaient et se groupaient accroupis à nos pieds, car nul indigène ne doit se tenir debout devant leur chef et tous les blancs sont des chefs. Même, s'il rencontre un chef, l'indigène doit, en le croisant, se plier en deux et se frapper le postérieur en même


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temps qu'il module une plainte suppliante. Ce protocole un peu compliqué tombe en désuétude. Ainsi groupés devant nous, les Fidjiens chantaient d'une voix chaude et pleine : c'étaient des hymnes traduits en fidjien ou, comme chants profanes, le God save the king et Malborough s'en va-t-en guerre. Comment vous dire la cocasserie de cette vieille chanson de France sorlant de ces grands corps bruns, dans un pareil paysage.

Pendant ce temps-là un ou deux boys préparaient le kawa : le kawa est la boisson de Polynésie. Traditionnellement sa confection élait entourée de rites compliqués. Cette boisson est faite avec une racine nommée yangoua qu'on laisse infuser quelques instants dans l'eau. Chez les Pères la racine était râpée, mais les indigènes, à défaut de râpe, la mâchent avant de la mélanger à l'eau.

Une fois prêt le kawa nous était offert dans des gobelets faits d'une noix de coco, et à chaque gorgée avalée toute la bande des enfants frappaient des mains en cadence selon le rite.

Vous voyez là les formules de respect traditionnelles. C'est avec ces mêmes formules qu'hommage était rendu aux chefs indigènes. Ceux-ci avaient dans leur village une grande autorité. Les Anglais ont su en profiter : ils ont fait de ces chefs, les Rokos, des gouverneurs de district ; mais ces fonctions ne sont pas nécessairement héréditaires et quelques destitutions ont prouvé aux chefs indigènes qu'ils ne conserveraient leur situation qu'à condition de marcher droit. Grâce à cette politique indigène la colonie n'a besoin que d'un nombre très minime de fonctionnaires blancs. D'ailleurs, les missionnaires, qu'ils soient protestants ou catholiques, sont dans les meilleurs termes avec l'administration et forment, en quelque sorte, un cadre d'inspecteurs tout trouvé.

Cette race d'indigènes qui nous ont paru si maniables et qui causent si peu de souci à l'autorité anglaise comptait, il n'y a pas encore très longtemps, d'affreux anthropophages.

On m'a montré à Suva un vieux bonhomme qui avait été condamné à mort par les Anglais, vers 1890, pour avoir pris part à un festin cannibale. Il fut gracié parce que, appartenant à une famille de sorciers, les gens de sa tribu l'avaient obligé, à cause de son caractère, à célébrer les rites pour


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lesquels son intervention était nécessaire. Vous voyez que les derniers faits de cannibalisme ne sont pas très anciens.

Au moment où les missionnaires anglais ont commencé à s'attaquer aux Fidjiens, ces goûts anthropophages ont valu à ceux-ci une réputation déplorable. Les missionnaires avaient besoin d'apitoyer les bonnes âmes de la métropole, et, avec la faculté de se scandaliser qui est propre à tout Anglais, ils nous ont transmis dans le jargon pathétique du style Victoria des récits horrifîques : « C'est la noirceur de leur âme, dit l'un d'eux, qui, transparaissant à travers leur corps, leur a fait la peau si foncée ». Et il termine ces récits en disant : « Il y aurait des choses si épouvantables à raconter que ma plume s'y refuse » ; — ce qui est vraiment regrettable au point de vue de l'information scientifique.

Notons, en passant, la force de ce sentiment qui nous fait considérer avec horreur le cannibalisme. Sentiment irraisonné, car à y bien réfléchir qu'y a-t-il là de répugnant ? Sans doute le cannibalisme implique mort d'homme, mais ce n'est pas le fait de la mort qui nous rend ces pratiques odieuses. Il faut croire qu'il y a là une répugnance bien instinctive puisqu'il n'y a pas un code dans tous les pays européens qui juge nécessaire de prévoir et de punir l'anthropophagie. Au point de vue du droit l'anthropophagie n'est pas un crime, pas même un délit.

L'attitude morale des indigènes vis-à-vis du cannibalisme est à l'antipode de la nôtre. L'anthropophagie n'implique pas nécessairement que le milieu qui la pratique est tout en bas de l'échelle humaine. On peut même prétendre sans paradoxe que le cannibalisme est l'indice d'une certaine civilisation quand c'est une pratique d'origine religieuse comme cela semble être le cas chez les Fidjiens.

L'anthropophagie peut être la conséquence d'une famine, — comme dans le cas du radeau de la Méduse. Mais alors c'est un fait exceptionnel et qui disparaît avec la cause occasionnelle. — Il y a des primitifs qui mangent leurs semblables parce qu'ils croient s'assimiler la force de l'individu dont ils se nourrissent. C'est là une croyance magique fort répandue, mais dont on ne trouve pas trace aux Fidji. Il est à cet égard caractéristique qu'un Fidjien éprouve un dégoût insurmontable à l'idée de manger un quelconque de sa propre tribu.


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A Fidji le cannibalisme était entouré d'un système compliqué de rites et de tabous qui dénotent clairement l'origine religieuse. D'abord on ne peut pas manger n'importe qui, mais seulement un ennemi tué ou pris à la guerre ou un naufragé « ayant de l'eau salée dans les yeux ». La cuisson est accompagnée d'une danse sacrée, le mort est présenté au dieu de la guerre, le repas est rituel ; il est interdit de se servir des doigts et des instruments spéciaux et consacrés doivent être employés.

Il est certain cependant que le repas de chair humaine, d'origine religieuse, est devenu avec le temps un goût et un luxe. Des expéditions étaient organisées pour ravitailler la table des grands chefs. Il semble que la cannibalisation ait eu une période de recrudescence à la fin du xvme siècle, juste au moment où les Européens commencèrent à arriver, et qu'il y eut de ce fait une saignée importante dans la population des îlesLorsqu'un

îlesLorsqu'un donnait un festin cannibal il envoyait des portions à ses principaux mandataires et c'étaient des cadeaux hautement appréciés. En 1860 un missionnaire anglais fut tué et cuit. On raconte qu'un chef reçut en hommage une jambe dont on n'avait pas retiré la botte. Le Fidjien croyant que le cuir n'était autre chose que la peau acquit, dit-on, une haute idée de la force de résistance de la race blanche.

C'est de ce même Fidjien que l'on tient que la chair des blancs est moins appréciée que celle des indigènes parce qu'elle a un goût salé. Il paraît que les morceaux de choix sont le bras, la cuisse et le coeur.

Les Fidjiens n'ont pas perdu souvenir du cannibalisme : encore aujourd'hui une de leurs pires injures est de traiter un homme de « viande à cuire » et il est probable que s'ils étaient rendus à eux-mêmes brusquement ils ne tarderaient pas à retourner à leurs anciennes habitudes.

Comment s'en étonnerait-on ? La civilisation n'a mordu que sur l'épiderme, la loi des conquérants a bien pu modifier l'extérieur de la vie dans une certaine mesure, mais avec quelle force persisteront pendant de longues générations dans le fond des consciences les croyances primitives ?

Ces croyances se rattachent à deux notions centrales qui


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constituent le fondement même de la mentalité de l'indigène. Ce sont les croyances magiques et le système du tabou. Je voudrais en dire quelques mots tant elles sont essentielles pour comprendre la vie profonde de l'indigène que trouve en face d'elle la colonisation blanche.

Magie et religion sont deux termes presque synonymes, lorsque l'on parle des indigènes océaniens. Ce que l'on peut appeler les prêtres ne sont pas autre chose que des sorciers qui se recrutent dans un certain nombre de familles formant pour ainsi dire une caste. Ces prêtres sorciers régnent par la crainte qu'inspirent leurs pratiques. Celles-ci affectent une infinité de formes dans le détail desquelles je ne peux pas entrer, mais il en est une très caractéristique de l'Océanie qui mérite que je vous la signale. Elle persiste aujourd'hui encore, même dans un milieu aussi évolué que celui des îles Hawaï, et malgré la police américaine. Elle consiste, si je puis ainsi dire, à « prier quelqu'un à mort ».

Un sorcier qui veut se venger ou à qui un indigène a eu recours pour obtenir la mort d'un de ses ennemis, se fait remettre quelque chose provenant du corps de l'individu condamné : cheveu, rognure d'ongle, crachat ou autre excrément. Le sorcier place l'objet dans un grand vase rempli d'eau et s'étant dépouillé de tout vêtement se met à genoux devant le récipient. Il se penche au-dessus en murmurant de longues prières et en faisant de grands gestes comme pour se saisir du double de la victime et l'étrangler. Au bout de peu de jours, la victime ainsi envoûtée perd ses forces, languit, se laisse aller à son sort fatal et meurt bientôt.

Aux Hawaï, les blancs ne mettent pas en doute cette puissance des sorciers. La victime, disent-ils, par la rumeur publique ne tarde pas à apprendre sa condamnation et convaincue qu'il est inutile de résister s'abandonne et meurt, tuée par sa propre conviction. L'Hawaïen est un être doux, sensible, sans réaction et chez qui l'idée fixe peut parfaitement briser le ressort vital.

La loi américaine punit ces pratiques ; aussi sont-elles soigneusement tenues secrètes et la crainte du sorcier est telle qu'il est bien rare, non seulement que les indigènes portent plainte, mais même qu'ils déposent comme témoins. Cependant il arrive que ces actes de sorcellerie apparaissent malgré eux.


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Voici un cas auquel fut mêlé, bien malgré lui, le docteur B..., conservateur du Musée d'ethnographie polynésienne d'Honolulu, et que je tiens de lui-même.

Il circulait dans les îles en quête d'idoles pour son musée, accompagné de son « boy » hawaïen Joe, qu'il avait depuis longtemps à son service. Un jour, après s'être arrêté pour une nuit dans un village, le jeune homme parut fatigué. Il se traînait sans courage et sans gaieté. Le docteur lui demanda ce qu'il avait, mais l'autre répondit évasivement qu'il n'y avait rien et qu'il allait bien. Cependant le malaise augmentait. Le docteur insista sans pouvoir obtenir une explication. Enfin, le pauvre Hawaïen semblant près de défaillir le docteur put lui arracher l'explication de son état :

« C'est le kahouna du village (c'est-à-dire le prêtre-sorcier) qui m'a prié à mort parce que je t'aide à chercher les pierres qui appartiennent aux anciens dieux. »

Le docteur est un de ces grands Américains, puissamment bâtis, à la voix profonde. Pour agir sur l'imagination et sur les nerfs du garçon il prit un air terrible, fronçant les sourcils, et criant :

« C'est ce kahouna qui a prié pour que tu meures ? Mais il ne peut rien contre toi. Tu es avec moi et ne sais-tu pas comme je suis fort ? Est-ce que je ne suis pas plus fort que lui ? »

Le boy, terrifié, répondait :

— « Oui, je sais..., je vois..., tu es très fort !... Mais le kahouna a prié contre moi !... »

— « Est-ce que je ne suis par un blanc, bien plus puissant que tous les kahounas de ces îles ? »

— « Oui, tu es un homme blanc..., et les blancs sont très puissants... Mais le kahouna a prié contre moi !...

Toutes les objurgations du docteur restèrent vaines, se heurtant à ce refrain lamentable. Enfin, à bout de ressources :

ce Comment ce kahouna a-t-il osé toucher à toi qui m'appartiens ! Je suis bien plus fort que lui et je te défendrai contre lui. Je vais le punir. Je vais prier contre lui. Ainsi tu seras à l'abri et tu n'auras plus rien à craindre. Je suis fort ! »

En effet, cela suffit pour que Joe reprit ses forces et bien-


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tôt il ne resta plus aucune trace de son malaise. Le docteur B... continua ses recherches sans plus songer à l'incident.

En rentrant à Honolulu il apprit par hasard qu'un sorcier célèbre, celui-là même que son boy lui avait désigné, était mort subitement. Sans doute, disaient les indigènes, un kahouna plus puissant que lui avait prié pour qu'il mourût...

Et le docteur B... me demandait : « Ai-je commis un meurtre ? »

Il est amusant de signaler une curieuse conséquence de ces croyances magiques. Elles obligeaient les indigènes à faire disparaître avec le plus grand soin tous les déchets humains, puisqu'il en faut au sorcier pour ces pratiques d'envoûtement. Aussi régnait-il sous l'empire de ces croyances une propreté méticuleuse dans les villages et dans les cases et qu'il n'est point aussi aisé d'obtenir, aujourd'hui que leur pouvoir déchoit, malgré les enseignements des missionnaires et les amendes des fonctionnaires.

L'autre élément essentiel de la mentalité et de l'organisation sociale indigène est le système du tabou.

Ce mot, qui est entré dans notre langue courante, est d'origine polynésienne- Le tabou est à la base de toutes les sociétés primitives, mais en Océanie les conditions de la vie insulaire lui ont laissé prendre un développement excessif.

Tabou signifie, à proprement parler, ce qui est soustrait à l'usage courant : un arbre qu'on ne peut abattre est un arbre tabou ; et l'on parlera du tabou d'un arbre pour exprimer le scrupule qui arrête l'homme tenté de toucher à cet arbre et de l'abattre. Le caractère distinctif d'un tabou, c'est que l'interdiction n'est pas motivée. La sanction en cas de violation du tabou est une calamité telle que la mort ou la cécité qui frappera l'individu coupable (i). Pour les primitifs la maladie et la mort ne sont jamais des phénomènes naturels, mais sont toujours la conséquence d'incantations tragiques ou de la violation d'un tabou.

Reinach nous donne comme exemple de tabou l'Arbre du Paradis terrestre interdit à Adam. Dans la Genèse l'interdiction n'est pas motivée. C'est un arbre tabou. Et Reinach ajoute : « Notre civilisation à nous est sortie lentement d'un monde primitif où régnait le tabou ; le passage du tabou à

(1) S. Reinach : Orpheus.


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l'interdiction raisonnée, motivée, c'est presque l'histoire du progrès de l'esprit humain. »

En Océanie la vie tout entière est ligottée dans le système du tabou : il y a des choses, des plantes, des animaux, des personnes tabous ; il y a des choses qui sont taboues à certaines époques et non à d'autres, pour certaines personnes et non pour d'autres. Mais cette armature gênante, étouffante, dans laquelle la vie se déroule suivant un rituel invariable, est en même temps un précieux soutien pour une société primitive. C'est par le tabou, pratiqué par les chefs les plus puissants et à leur profit, qu'il règne un minimum d'ordre et d'organisation. C'est le tabou qui protège contre l'insouciance de l'indigène les cultures et les récoltes ; c'est le tabou qui protège les femmes pendant la période de la maternité et de l'allaitement.

L'indigène est ainsi guidé dans tous ses actes par une barrière de tabous qui s'imposent à lui avec une force de nature tout à fait analogue à celle de l'instinct chez les animaux. Par suite de l'isolement de sa vrie insulaire ce système s'est cristallisé sur l'Océanien de génération en génération sans que le moindre stimulant venu de l'extérieur l'ait modifié ou fait évoluer.

Nous avons une preuve remarquable de cette immutabilité. En i568 une expédition menée par l'Espagnol Alvaro de Mcndana découvrit les îles Salomon. Un des compagnons de Mendana a laissé une relation de ce voyage où il a noté avec précision un certain nombre de détails sur la façon de vivre des indigènes, leurs cases, leurs villages, leurs costumes et quelques mots de leur vocabulaire. Puis ces îles furent perdues : pendant deux siècles les navigateurs les cherchèrent en vain et les géographes, après les avoir promenées sur leurs cartes dans toute l'étendue du Pacifique, allaient conclure que Mendana avait rêvé, lorsque Bougain^ ville les redécouvrit à la fin du xvin* siècle. Or, à deux siècles de distance, il retrouva chez ces indigènes l'état social, les habitudes, le langage, le costume décrits par le chroniqueur de Mendana avec une identité poussée jusqu'au plus infime détail- C'était comme si tout ce petit monde insulaire était resté figé. Et cette expression n'est pas moins exacte pour les autres groupes océaniens.

Vous pouvez, je pense, vous représenter quel formidable


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bouleversement l'arrivée des blancs provoque dans de pareilles sociétés. Il n'est ni bruyant, ni immédiat, mais par notre seule présence nous faisons éclater ces lois héréditaires, cette vie instinctive. Notre civilisation ne peut pas s'en accomoder. N'eussions-nous pas la moindre pensée généreuse d'éducation et de développement qu'un minimum de transformation est indispensable simplement pour que ces '?aces deviennent utilisables. Mais alors, à l'ancienne armature qui s'effrite, quelle nouvelle armature allons-nous substituer ?

C'est là tout le problème, le formidable problème de la colonisation. Il est le même dans toutes les régions où le blanc aborde une société primitive. J'ai seulement voulu, en terminant, le poser et vous montrer à quelle distance de notre mentalité se trouvent ces êtres dont nous avons pris la charge.

C. RIBOUD.


LA DOMBES

DEUXIEME PARTIE

LES ETA1TG-S

Si l'on jette un regard sur une carte de Dombes, ce qui frappe tout d'abord c'est la multitude des étangs, c'est ensuite leur disposition singulière. Ces étangs qui couvrent à l'heure actuelle plus de 9.000 hectares et qui, il y a cinquante ans, en couvraient le double, sont disposés en lignes divergentes à partir d'un point situé aux environs de Meximieux. Nous avons vu que c'est dans cette direction qu'étaient venus aboutir aussi les alignements de drumlins. Cette concordance de direction montre d'une manière évidente la relation qu'il y a entre les deux phénomènes. Le vallonnement imprimé par les drumlins au plateau a permis la création d'étangs. D'ailleurs leur existence est intimement liée à la présence de la moraine de fond. L'extension du domaine des étangs est limitée au bord interne de la moraine terminale, mais le nombre en diminue à mesure que l'on s'approche de cette moraine. Le domaine de prédilection des étangs se trouve précisément au centre du pays tout autour de Villars. A l'ouest comme à l'est, au nord comme au sud, c'est la même abondance. Ainsi, Birieux a 4o % de sa surface totale en étangs ; La Peyrouze, 34 % ; Marlieux, Villars, Bouligneux, Saint-Germain, Saint-Paul-de-Varax, 27 %.

Il y a là, en effet, comme une sorte de cuvette à fond plat,


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bien que légèrement vallonnée de drumlins, de 4 à 5 mètres d'altitude ; de chaque côté les hauteurs vont en augmentant légèrement.

§ I. ORIGINE DES ÉTANGS, LEUR HISTOIRE

Les étangs de la Dombes ont donc un rapport très intime avec les dépôts morainiques qui couvrent le pays. C'est .grâce à leur disposition topographique et à leur imperméabilité qu'ils ont pu exister. Et cependant il est un fait à peu près certain, c'est que tous les étangs de la Dombes doivent leur origine à l'homme. La seule cuvette sans issue naturelle que nous ayons trouvée est celle du marais des Echets, et cette dépression que les eaux de tête du ruisseau des Echets n'avait pas encore atteinte a été drainée artificiellement et déversée dans la Saône. Avant le creusement du déversoir artificiel c'était un véritable lac de plus de 1.000 hectares de superficie, renommé par la quantité et la qualité de son poisson. Les travaux de dessèchement commencés par Philippe de Savoie en 1/181 furent souvent repris et abandonnés. Ce n'est qu'au commencement du xixe siècle que l'entreprise fut achevée. Elle n'a d'ailleurs pas donné les résultats attendus. Une bonne partie du sol de l'ancien étang, sol très plat, n'a pu être drainé d'une façon suffisante malgré la profondeur de la tranchée ; il s'y est établi un marais presque •continuellement sous les eaux, en automne et en hiver, et qu'a envahi une végétation tourbeuse.

En dehors du marais des Echets, le nombre des marais qui existe en Dombes est très restreint. Au milieu du siècle dernier, chaque rivière dombiste était accompagnée le long de son cours de marécages insalubres, dont l'existence était due à de nombreux moulins. Les eaux très vaseuses avaient comblé le lit de la rivière qui débordait à la moindre pluie •et couvrait les prairies voisines. Des curages répétés, l'abaissement du niveau des vannes ont fait disparaître ces marais. 11 ne reste plus d'incomplètement desséchés à l'heure actuelle -que les marais de Sainte-Croix sur la Sereine, et s'ils ne le


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sont pas c'est uniquement pour des questions financières.. Il existe d'autres marais sans profondeur qui ne sont plus en: rapport avec les rivières. Il y en a aux environs de SaintAndré-le-Panoux, de Servas, de Saint-André-le-Bouchoux, de Polliat, de Montcey et de Certines.

Ces marais sont d'ailleurs sans importance par leur nombre comme par leur étendue. Partout le sol — malgré sa pente faible, son relief indécis -— est draîné d'une façon suffisante pour assurer l'écoulement des eaux dans un temps plus ou moins long. Mais de leur non-existence à l'heure actuelle il ne faudrait pas en inférer leur absence dans des temps plus reculés. Les marais ne sont que l'avant-dernière phase du comblement d'une dépression. Or, la topographie glaciaire à son origine est caractérisée par de nombreuses dépressions sans issue, au point qu'un réseau hydrographique bien défini met longtemps à s'établir. En Dombes, le réseau hydrographique est d'une insuffisance frappante. On dirait en parcourant le pays que son rôle est absolument insignifiant dans la sculpture du relief. Les pentes se sont adoucies sur place et les dépressions se sont comblées avec les produits de cet adoucissement, beaucoup plus qu'elles n'ont été drainées par les rivières. Aussi les fonds plats abondent et ce sont eux qui sont le domaine de prédilection des marais. On le voit bien après chaque pluie ; souvent de grandes surfaces restent noyées pendant plusieurs jours, faute d'un écoulement suffisamment rapide. Que la culture abandonne ces endroits et le marais reparaîtra avec son cortège de plantes aquatiquesAinsi

aquatiquesAinsi est logique de conclure que la Dombes, avant l'arrivée de l'homme et après le retrait des glaciers, devait être une région essentiellement marécageuse. Les forêts devaient couvrir les pentes et les marais occuper les basfonds. On ne peut en donner de preuves directes, car il est impossible, faute de documents, de suivre les étapes du défrichement du pays. Mais l'existence de ces marais, facilitée d'ailleurs par l'accumulation des débris végétaux, paraît indiscutable. Il exista au moyen âge un terme spécial pour


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désigner ces endroits marécageux : on les appelait des lescheria, mot qui a persisté sans altération sous la forme de leschères ou léchère. De nombreux étangs, fermes ou villages ont conservé ce nom. Ainsi, sur la commune de Birieux, deux fermes s'appellent, l'une la grande, l'autre la petite Léchère ; de même à Bressolles un hameau de 80 habitants porte ce nom ; près de Certines, un ruisseau s'appelle la Leschère. Dans le dictionnaire topographique de l'Ain, il existe seize noms de lieux du nom de Leschères en Dombes. C'est là un indice de l'état marécageux du pays.

-L'étang dombistc tel qu'il existe est essentiellement distinct du marais. Mais il importait d'élucider la question de l'état de la Dombes avant l'apparition des étangs pour mieux comprendre leur origine.

C'est là, en effet, une question très discutée. Si tous s'accordent à reconnaître le caractère artificiel des étangs dombistes, les auteurs qui ont traité la question leur assignent deux origines bien différentes. Les uns, dont le principal représentant est Guigue, dans son Essai sur la dépopulation de la Dombes, attribuent la présence des étangs à la dépopulation du pays, à la suite de nombreuses guerres au moyen âge. D'autres, au contraire, sans contester d'ailleurs complètement les assertions de cet historien, voient dans les étangs les différentes étapes de conquête du sol par l'homme sur les forêts et les marais. Déjà Berthollet, dans son rapport général sur les étangs en 1795, s'écriait emphatiquement : « Tels furent les immenses travaux des antiques Bressans dont le génie et l'industrie méritent d'occuper une place glorieuse dans l'histoire des peuples agricoles, car ils ont fait, avec plus de difficultés peut-être, ce que les Bataves n'ont fait qu'après eux, dans les marais de la Hollande et de la Zélande. » (Décret du i3 messidor, an III, réimprimé en 1826, imprimerie du Cultivateur.)

Le docteur Servas (Les Etangs de la Dombes et le Paludisme, Bourg, imprimerie du Courrier de l'Ain, 1907) dit à son tour : « Les seigneurs établissent leur demeure d'abord sur la limite du plateau à peu près désert et inculte ; ils


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cherchent à y pénétrer, à le mettre en valeur et créent les premiers étangs. Leurs successeurs voient dans ces étangs un moyen d'assainissement, de rapport et de défense pour leurs châteaux qu'ils transportent au milieu d'eux. Le pays se peuplant peu à peu, on arrive à augmenter le nombre et l'étendue des étangs, seul mode de culture rémunérateur dans certaines parties. »

Pour les premiers, il faut supposer une Dombes florissante au moyen âge, pays de petite culture, de nombreuse population, sans étangs ou à peu près et aussi sans fièvre. Car cette opinion est une opinion de combat : « En résumé, dit Guigue dans l'ouvrage cité, les guerres féodales ont amené la dépopulation, la dépopulation a produit les étangs et les étangs, à leur tour, sont une nouvelle cause de dépopulation ...Pour régénérer la Dombes il faut supprimer les étangs 1 »

L'opinion des seconds est aussi une opinion de combat, mais radicalement opposée, elle vise au maintien des étangs.

Il reste peut-être place pour une troisième opinion, qui n'est d'ailleurs pas incompatible avec les deux autres, et que me suggère le mode d'exploitation même de l'étang dombiste. L'étang dombiste est avant tout un étang non permanent, où le sol est tour à tour sous les eaux pour la production du poisson ou asséché pour être mis en culture. Que l'on assimile la période pendant laquelle l'étang est en eau à la période de jachère, pendant laquelle il était d'usage de laisser reposer le sol après une récolte à une époque où les amendements étaient ignorés, et l'on pourra facilement s'imaginer comment il a pu venir à l'esprit des cultivateurs d'utiliser cette année de repos pour la terre au mieux de leurs intérêts. La nature elle-même se chargeait de le leur montrer. Actuellement encore, comme je l'ai dit plus haut, l'indécision de la pente dans maints endroits et l'imperméabilité presque absolue du sous-sol font qu'après une pluie un peu prolongée des mares se forment qui mettent plusieurs jours, quelquefois plusieurs semaines, à s'écouler. De là à les utiliser pour les besoins du bétail d'abord, en les ren-


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dant permanents par une légère levée, surtout dans un pays sans rivière, puis à en tirer un produit encore plus rémunérateur en y mettant du poisson, il n'y avait qu'un pas qui fut vite franchi.

Le cultivateur, d'une part, s'aperçut rapidement combien le sol, l'année suivante, était plus productif, grâce à la couche de limon déposé par les eaux ; en même temps la nécessité de laisser grossir le poisson lui imposait l'obligation de renverser les rôles et de laisser sa terre deux années en eau au moins pour une année d'assec. Il est arrivé souvent, dans la suite, que la supériorité des revenus qu'on retirait de la vente du poisson fit de ces étangs d'abord temporaires des étangs permanents ; il en existait encore de ceux-ci au début du xrxe siècle, et c'est probablement des plus profonds d'entre eux, de ceux qu'il était le plus difficile de vider dont parle Bossi dans la Statistique du Département de l'Ain (Paris, 1808), lorsqu'il nous dit que plusieurs sont d'anciens lacs.

On comprend que dans ces conditions il soit impossible de fixer une date exacte à la création des premiers étangs. Aussi leur origine est-elle obscure. Dès le xme siècle une charte de 1247, citée par Guigue (op. cit., p. 12), parle d'une coutume du pays d'étangs : « De stagna, autem promisimus stare arbitrio djmini Branciduni, secundum usus et consultudines in palria Barionice et stagnorum ». Donc à cette époque les étangs étaient suffisamment nombreux pour légitimer le nom de patrie des étangs donné à la Dombes. Il est impossible d'ailleurs de remonter à leur origine faute de documents.

A partir du milieu du xme siècle les mentions d'étangs sont nombreuses. Guigue qui s'est livré à de patientes recherches en ce sens en cite à Poleteins, à Saint-Barnard près de Trévoux, à Chaîamont, à Servas, à Ronzuel, à Pouilleu, à Versailleux, Birieux, Villeneuve, Liliat, Valeins, La Peyrouze, Monthieux, Saint-Marcel, c'est-à-dire dans la plupart des communes où il en existe actuellement, dans certaines même comme liliat où ils ont complètement disparu.

Au xve siècle les étangs se sont multipliés. Guigue, tou-


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jours dans le même ouvrage, donne une longue liste de 125 étangs, avec la date de la fondation et le nom des créateurs. Ces documents sont tirés de ce qui reste des titres de la maison de Beaujeu, de Villars et de Bourbon. Et, dit-il, ce tableau est incomplet car il ne comprend de la Dombes que les étangs situés dans les limites qu'elle avait lors de sa réunion à la France. Il laisse de côté par conséquent toute une partie à l'est et au sud-ouest qui appartenait aux ducs de Savoie qui l'avaient acquise en i4o2 d'Humbert Vil, dernier sire de la famille de Thoire-Villars.

Dans les siècles suivants les étangs continuèrent à se multiplier. « Un grand nombre, dit Lamairesse (Exposé de la question des étangs et de l'assainissement de la Dombes, p. 8) ont été créés dans les xvie, xvn 8 siècles et dans la première moitié du xvnr 9 siècle. M. Greppo (qui vivait sous la Révolution et l'Empire) a établi que dans les communes de son voisinage ils étaient considérablement accrus vers la fin du dernier siècle. M. Monfin, dans un mémoire qu'il a publié en leur faveur, énonce qu'ils ont augmenté d'un tiers sur la fin du xvme siècle et au commencement du xix" siècle. M. Geoffray, curé de Saint-Nizier-le-Désert, rapporte que leur nombre y aurait doublé depuis la fin du XVIII 0 siècle. Ainsi il ressort nettement de ces preuves historiques que la création de la plupart des étangs de Dombes ne remonte pas à une époque très ancienne.

La cause principale de leur grande extension semble être avant tout une question économique. Au moment où les prescriptions de l'Eglise concernant le jeûne étaient encore universellement suivies les étangs étaient d'un bien meilleur rapport que les terres cultivées. Il y avait alors plus du tiers de l'année en jours maigres. Les couvents se multipliaient partout et recherchaient un aliment que leur permettait leur règle. Aussi voyons-nous les abbayes créer des étangs en Dombes. Une charte de l'abbaye de Cluny relative à un domaine de Saint-André-de-Corcy recommande de faire des étangs partout où on pourra les conserver. La première mention certaine d'un étang apparaît dans l'acte de


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fondation d'un monastère, celui de la Chartreuse de Poleteins, hameau de Mionnay, fondé en 1229 par Marguerite de Beaujeu, épouse d'Humbert V de Beaujeu.

Les autres propriétaires trouvaient néanmoins un écoulement facile à leurs produits, et le jurisconsulte Collet (1698), se faisant l'interprète du sentiment commun des habitants de la Dombes de son époque, s'écriait, plein d'enthousiasme : « Il n'y a aucune sorte de biens et de revenus plus considérables que les étangs et il n'y en a point de plus sûrs ! » En effet, en i46i, les étangs de Chalamont étaient affermés ^.700 florins ; les étangs du Châtelard, 325 florins ; le grand «tang des Brovonnes et les autres étangs d'Ambéricux, 2.S00 florins ; tandis que la pêche de la Saône n'était affermée que 80 livres et que les i3 greffes réunis des châtellenies de Dombes n'étaient affermés que pour i33 livres. {Aubret, cité par Guigue, p. 65.)

Dès lors les étangs envahissent tout, les seigneurs les plus puissants employèrent même la violence pour inonder les terres de leurs vassaux. C'est ainsi qu'une charte nous apprend que l'étang de la Rippe avait été bâti par les seigneurs de Villars sur les terres et du vivant d'Henriette Charmantzino, malgré elle par la force et la violence (Domina de Villariis, vivente Henriete Charmantzina, ac ipsa invitta, vi et potentia, quoddam stagnum nuncupatum de la Rippa... cum calceata ejusdem stagni fundaverat et construxerat in et super dictis prata et tena ejudem Henriete). (Archives de l'Empire, p. 1389, cote 178.)

A cette époque beaucoup de chemins disparurent de la Dombes. On ne craignait pas de les inonder, ce qui équivalait à les supprimer, ou de les transporter sur les chaussées. C'est de la sorte que disparurent, en i4o3, les deux chemins des Feuillées à Marlieux et de Chalamont à Montfavrey, remplacés par l'étang de Ceyvires. (Arch. de l'Empire, p. i3()i, cote 553.)

Les intérêts immédiats des propriétaires passaient ainsi avant les intérêts de la population et du pays. Les étangs, iout en apportant la richesse à la Dombes, contribuaient


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dans une large mesure à la priver des communications nécessaires à son développement, et partant, ils n'étaient pas étrangers à la diminution ou tout au moins à la stagnation de la population et au mauvais état sanitaire d'une région séparée des autres et couverte d'eau.

Cependant l'intérêt immédiat marqua longtemps ces conséquences. L'étang était d'un bon rapport ; il était d'un revenu supérieur à celui de toute autre terre cultivée ; on estimait par conséquent leur existence inséparable du bien public et de l'intérêt général. Il en vint même à s'établir cette coutume, qui semble tout d'abord en violation du droit de propriété, permettant à quiconque possédait un emplacement favorable à la construction d'un étang d'inonder les terres voisines moyennant une juste indemnité. Ce fut un usage constant en Dombes et c'est cet usage que le jurisconsulte Collet a traduit ainsi : « Mettant donc pour principe, dit-il, que les étangs sont avantageux au public, il sera juste de contraindre les particuliers à souffrir la construction des étangs et que les eaux couvrent et inondent leurs héritages particuliers » ; et Revel ajoute : « Les étangs ont quelque chose de public ».

Cette faveur cependant ne dura pas toujours. Déjà, dès le xvne siècle, quelques voix s'étaient fait entendre pour protester contre les étangs au nom de la salubrité publique.

En Ï683, M. Brossard de Montanay demandait, au nom du tiers-état, la suppression des étangs. Au xvm" siècle les récriminations se font plus fortes. Il est juste d'ajouter que les auteurs de ces protestations ne sont pas dombistes. Ainsi, c'est un habitant de la Sologne, Frolerville, en 1788 ; c'est l'abbé Rozier, de Paris, qui font le procès des étangs. En 1777, l'Académie de Lyon mit au concours le sujet suivant : « Les étangs considérés du côté de la population et de l'agriculture sont-ils plus nuisibles qu'utiles ? » Sept mémoires furent présentés ; tous, sauf un, étaient défavorables aux étangs. Le premier prix fut accordé à deux oratoriens, le second à un avocat de Nancy.

Cependant les étangs voyaient peu à peu, devant ces atta-


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ques, leur faveur disparaître et leur utilité contestée- Ce qui leur avait valu jusqu'alors la faveur des agriculteurs c'était le revenu élevé qu'ils en tiraient. Or, dès le xvme siècle, ce revenu va en baissant. Les prescriptions sur le jeûne cessent peu à peu d'être observées, dans les villes surtout, et ce sont les villes qui sont les clientes des étangs ; la campagne est encore trop pauvre pour acheter la quantité suffisante de poissons pour payer les frais de transport. Les monastères diminuent aussi. En sorte que la clientèle habituelle des étangs disparaît. C'est aussi l'époque où les théories économistes de Quesnay et d'Adam Smith se répandaient en France et entraient dans la pratique. On en vint à considérer les étangs comme autant de territoire dérobé à la culture des céréales et qui devait, en conséquence, disparaître devant celle-ci. L'assec reprit l'importance qu'il avait perdu, surtout lorsque, en 1774, l'édit de Turgot sur la libre circulation des grains dans tout le royaume vint donner une valeur nouvelle aux cultures vivrières.

Il ne faut pas oublier, non plus, que les propriétaires de l'évolage de l'étang, c'est-à-dire de l'eau, étaient en majeure partie des membres du clergé et de la noblesse. A cette époque où les privilèges étaient attaqués les étangs privilégiés eux-mêmes ne pouvaient manquer d'attirer l'attention.

Cependant les habitants de la Dombes ne se plaignent pas encore. Les cahiers des Etats ne contiennent aucune plainte, aucune critique, pas plus du tiers-état que des ordres privilégiés, contre le mode de culture du pays. Ce n'est qu'en 1790 que la première protestation s'éleva. Elle partit cette fois-ci du centre même du pays inondé, des communes de Joyeux, de Birieux et de Cordieux. La municipalité de Joyeux, assemblée pour voter les impôts, proposa à l'égard des étangs différentes mesures ; la première avait pour but de protester contre la catégorie des objets imposables dans laquelle ils étaient versés et qui, en fait, leur donnait un privilège sur les autres biens immeubles.

Puis, allant plus loin, elle réclamait l'interdiction de la construction de nouveaux étangs, la mise en culture de ceux


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qui pouvaient être d'un bon rapport ou l'obligation de les tenir en assec tous les deux ans ; enfin la suppression pure et simple de tous les étangs du ci-devant domaine du roi ou des ci-devant nobles et ecclésiastiques et devenus biens nationaux.

La Constituante prit en considération ces doléances qui d'ailleurs concordaient avec d'autres parties des régions inondées de la France, mais elle n'eut pas le temps de faire une loi à ce sujet. Ce fut la Législative qui, en 1792, le 11 septembre, vota une loi conférant au conseil général de chaque département le pouvoir de supprimer les étangs insalubres dont la commune demandait elle-même la suppression.

La Convention aggrava cette mesure- Le 4 décembre 1793, par une mesure radicale, elle vota la suppression de tous les étangs. Cette loi de colère, ainsi qu'on l'a nommée, ne reçut qu'un commencement d'exécution. Çà et là quelques étangs furent bien asséchés, quelques chaussées détruites, mais devant les réclamations des intéressés on n'alla pas plus loin. La Convention envoya le chimiste Berthollet faire une enquête sur place. A la suite de cette enquête nettement favorable aux étangs là loi fut retirée. Et même, dans les premières années du xix" siècle, de nouveaux étangs furent créés, en particulier à Coudeissiat.

L'empire laissa les choses en l'état où elles se trouvaient. Cependant l'idée de l'insalubrité des étangs prenait corps de plus en plus. Dans sa remarquable statistique du département de l'Ain, le préfet Bossi, en 1806, qualifiait les étangs de mal nécessaire, mais en même temps il faisait une peinture chargée des plus noires couleurs de leur influence sur les habitants. C'est à partir de cette époque que la question des étangs, du terrain politique passe sur le terrain hygiénique et économique.

En 1829 une société d'agriculture se fonda à Trévoux. Elle contribua puissamment par ses études agronomiques à faire entrer la Dombes dans une nouvelle voie. Mais la plupart de ses membres étaient partisans du dessèchement. Par leurs


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«ssais agricoles, par leur inlassable activité, ils donnèrent une vie nouvelle à la Dombes. Ils desséchèrent eux-mêmes un certain nombre d'étangs, notamment à Sainte-Croix, à Montribloud, à Civrieux, au Montellier, à Villars.

Le gouvernement de juillet, en 1839, envoya une commission étudier la question, Elle interrogea les habitants. Tandis que quatre-vingt-six se prononçaient contre les «tangs, cent demandaient leur maintien, mais les quatrevingt-six premiers avaient des possessions trois fois plus ■étendues que les seconds. Les grands propriétaires étaient partisans du dessèchement tandis que les petits tenaient au maintien des étangs.

La question resta pendante jusqu'en i856 où une loi du 21 juillet permit la licitation. Un seul des multiples propriétaires d'un étang pouvait en poursuivre le dessèchement dans certaines conditions. Plus de 2.000 hectares furent ainsi rendus à la culture. Mais les propriétaires s'aperçurent bien vite que leurs intérêts étaient lésés et ils s'arrêtèrent.

L'Empire n'écouta pas tout d'abord les réclamations des partisans du dessèchement. Pour faire cependant quelque chose il décréta en 1862 la création d'un réseau de chemins agricoles et y consacra un crédit de 187.000 francs. Puis il aida puissamment en i863 à la fondation de la Trappe du Plantay. Les religieux desséchèrent une partie des étangs du voisinage.

La même année une convention fut passée entre MM. Arles, Dufour, Germain et Seillier, pour la construction du chemin de fer de la Dombes avec l'obligation de dessécher 6.000 hectares d'étangs. A cet effet, le gouvernement octroyait à la Compagnie une somme de i.5oo.ooo francs destinée à indemniser les propriétaires des étangs desséchés. Ainsi furent détruits 548 étangs répartis sur 61 communes, 5o dans l'arrondissement de Trévoux et 11 dans l'arrondissement de Bourg. La surface occupée par les étangs, de 19.215 hectares au début du siècle tomba à environ 8.753. Aux 6.000 hectares desséchés en vertu de la convention


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passée avec la Compagnie des Dombes, il faut donc ajouter 4.462 autres desséchés par la seule initiative privée.

La situation des étangs resta la même jusqu'à la fin du siècle- Mais les espérances qu'on avait fondées sur la mise en valeur des étangs ne se trouvèrent pas réalisées. Au bout de quelques années les récoltes, d'abord abondantes, diminuèrent considérablement et le propriétaire dombiste n'avait pas assez d'engrais pour fumer tant de terres rendues à la culture. Puis l'Etat avait maintenu l'impôt qui frappait l'étang en eau, de sorte que le même sol supportait deux impôts. On pensa alors à remettre les étangs en eau, une agitation fut faite en ce sens et elle aboutit à la loi de 1897. Cette loi permettait la remise en eau des étangs desséchés moyennant certaines conditions destinées à sauvegarder l'hygiène. Le préfet peut par un arrêté autoriser la remise en eau, après avis du Conseil d'hygiène du département, après une enquête, un avis favorable des conseils municipaux des communes intéressées et une délibération du Conseil général de l'Ain. A la suite de cette loi, en 1907, 84o hectares avaient été remis en eau.

A l'heure actuelle la surface inondée dans la Dombes atteint donc 9.583 hectares.

Telles sont résumées en quelques mots les différentes vicissitudes qu'ont subi les étangs. Créés incontestablement par l'homme sur un sol qui, il est vrai, s'y prêtait merveilleusement, ils ont tour à tour été considérés comme le meilleur mode d'utilisation d'un sol ingrat, peu peuplé, où l'absence de bras s'est toujours fait sentir, ou bien comme la cause effective de la dépopulation et de la ruine du pays.

Actuellement les deux opinions persistent, mais devant l'amélioration évidente de la condition des habitants dans le pays, les étangs sont attaqués avec moins de vivacité, sinon par les médecins hygiénistes du dehors. Les Dombistes, eux, défendent leurs étangs.

La question de l'influence des étangs sur la population de la Dombes est complexe ; elle sera traitée dans la géographie humaine.


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S II. — L'ÉTANG DOMBISTE

11 est arrivé souvent, au cours de longues querelles sur la question des étangs au cours du dernier siècle, qu'on a confondu les marais et les étangs. Or il importe essentiellement de définir l'un et l'autre.

Les marais s'établissent dans des bas-fonds sans écoulement sur un sol peu perméable. Les matériaux meubles arrachés par le ruissellement aux versants de la dépression la comblent en partie, une végétation de plantes spéciales, hygrophile à ses débuts, s'en empare ; les plantes pourrissent sur place et comme il n'y a nul écoulement l'eau devient de plus en plus noirâtre, fétide, chargée de matières animales et végétales en putréfaction. C'est un excellent bouillon de culture pour les microbes comme aussi pour les larves de moustiques, d'autant plus que le marais ne contient pas de poissons ; les seuls habitants en sont les grenouilles.

L'étang dombiste est avant tout un réservoir artificiel créé dans un but d'utilisation agricole bien définie. Les eaux n'en sont jamais noirâtres ni corrompues ; le poisson, d'ailleurs, n'y vivrait pas. <c Si elles n'ont pas de courant, dit Bossi,' elles éprouvent au moins une oscillation presque continuelle; les vents légers rident leur surface et les vents un peu forts les agitent à une grande profondeur. »

Beaucoup d'étangs sont à peu près dépourvus de végétation aquatique, à l'exception d'une graminée spéciale, la brouille, festuca fluitans de Linné, et très appréciée du bétail. Les étangs dans lesquels pousse cette graminée sont appelés étangs brouilleux.

On appelle grenouillards certains étangs peu profonds que les herbes peuvent envahir et qu'animent une multitude de grenouilles. Ce sont ceux qui se rapprochent le plus des marais et par la nature de la végétation et par l'odeur prononcée qui s'en échappe. Ce sont des étangs à bords plats tandis que les autres sont plutôt à bords francs : l'eau n'abandonne les rives que dans les grandes sécheresses.


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Tous les étangs ne retiennent pas l'eau également. A mesure qu'on s'avance vers l'est leur étanchéité diminue. Cela tient à la prédominance des cailloutis dans cette région et à la trop mince épaisseur de la couche d'argile et de limon. Parmi les étangs disparus un grand nombre établis sur des sols non choisis se réduisaient de près de moitié en été. Tel était l'étang du Goulet, desséché en I8I4 par M. Greppo. II n'en reste d'ailleurs que peu de cette sorte.

Les étangs de la Dombes sont de grandeur inégale.

Parmi les étangs de grande superficie, il faut citer l'étang du Grand Bilieux, qui comprend 3i6 hectares ; le Grand Glareins, sur la commune de Peyrouze, 237 hectares ; les Vavres, sur la commune de Marlieux, io5 hectares.

Tout étang, quelle que soit sa grandeur, est composé des mêmes éléments.

La pièce la plus importante est la digue ou chaussée, qui sert à retenir les eaux. Pour l'établir on creuse un fossé dans l'argile forte. On délaye cette argile dans l'eau et, une fois pétrie, elle prend le nom de clave. Le fossé s'appelle alors fossé de clave ; il a de 1 m. 5o à 2 m. de large. Pour en augmenter la profondeur on met sur les côtés toute la terre qu'on en a retirée, puis on garnit le fond d'argile pure délayée et pétrie. On en met plusieurs couches et chaque couche est laissée à l'air pendant plusieurs jours. C'est ce qu'on appelle la terre corroyée.

Pour protéger la chaussée ainsi obtenue contre les vagues qui ne tarderaient pas à la démanteler, on la garnit d'un revêtement de cailloux, soit d'une fagotée ou fascinage. On y plante aussi des joncs afin d'en augmenter l'adhérence. Souvent la chaussée sert de chemin ; elle n'en est que plus solide parce qu'en outre de la plus grande largeur qu'on est obligé de lui donner le passage continuel des chars ne peut que consolider la clave.

La table, ou largeur de la chaussée à la base, est le triple de la hauteur.

Quelques étangs, notamment ceux qui manquent de profondeur, ou dont les bords sont plats, ont sur les côtés une


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ou plusieurs demi-chaussées qui servent à empêcher les eaux de se déverser sur les côtés ou par la queue.

Dans la partie la plus basse de la chaussée une échancrure sert à l'évacuation rapide des eaux. Elle est fermée par le thou. Le thou se compose d'une ou plusieurs bâchasses, canaux intérieurs en bois. En avant du thou, pour retenir le poisson, on place une claie en bois : c'est la daraise dont la hauteur est proportionnée aux eaux affluentes.

Pour empêcher, lors des fortes pluies, l'étang de déborder, on établit sur les côtés un déchargeoir appelé ébie, également fermé par une daraise.

En amont et en aval des daraises est placée parallèlement une pièce de bois appelée banc gravier qui sert à fixer la hauteur du déchargeoir.

Autrefois l'ensemble du thou était construit uniquement en bois, ce qui nécessitait des changements fréquents à cause de la rapidité avec laquelle le bois alternativement dans l'eau ou à l'air se corrompait. La plupart des étangs ont maintenant leur déversoir en cimentPour

cimentPour l'écoulement rapide des eaux et pour en faciliter la pêche, il est nécessaire de préparer le sol de l'étang. A cet effet chaque étang possède un ou plusieurs biefs,ou bys, chargés de recueillir les eaux de chaque parcelle ou pie et de les conduire au déversoir.

A l'embouchure du grand bief et près au déversoir se trouve la pêcherie. C'est un fossé long, un peu plus profond, où s'amassent les poissons quand les eaux s'écoulent. Si quelques pièces parviennent à s'échapper un autre petit bassin, de dimension en rapport avec celle de l'étang, mais situé celui-là en dehors de la chaussée et tout près des bâchasses les retient. C'est le gour de l'étang.

L'étang dombiste est coûteux et compliqué à établir. Il a bien toutes les allures d'un réservoir artificiel, mais aussi d'un réservoir artificiel temporaire que l'on peut à volonté remplir d'eau ou maintenir à sec. C'est donc un mode voulu d'utilisation du sol et un mode particulier.


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Evolage et assec. — On distingue dans l'étang dombiste deux propriétés : l'évolage et l'assec. Cette distinction est due aux origines complexes de ces réservoirs artificiels. Chaque propriétaire, en effet, comme nous l'avons vu, pouvait construire une chaussée sur ses terres même dans le cas où les eaux inonderaient les terres voisines. Mais cet envahissement du sol par les eaux n'enlevait aucun droit au propriétaire antérieur, de sorte que le même sol avait à la fois deux propriétaires, l'un possédant l'eau et l'autre le sol. La propriété de l'eau s'appelait l'évolage et celle du sol l'assec. Ces deux propriétés sont complètement distinctes l'une de l'autre, elles peuvent se vendre, se transmettre par héritage séparément. Le résultat, c'est un enchevêtrement complet dans les droits qui grèvent les étangs. Car, outre le droit que conserve l'ancien propriétaire du sol de le cultiver en assec, il a encore le droit de nairage ou droit de porter du chanvre rouir dans l'étang, de gazonnage, ou de lever des gazons pour charger son chanvre et l'enfoncer dans l'eau, de brouillage ou de faire paître le bétail dans l'étang lorsqu'il est en eau.

Les étangs dont l'évolage et l'assec appartiennent au même propriétaires sont dits francs ou libres. Ils sont rares ; la plupart sont indivis ou asservis à plusieurs propriétaires.

Une autre servitude qui grève les étangs provient de leur situation même. Les étangs sont construits dans l'intervalle que laissent entre eux les drumlins ou dans la partie supérieure des vallées des rivières. Ils s'étagent donc les uns au-dessus des autres. Les étangs ainsi disposés sont appelés dépendants, par opposition aux étangs indépendants ou isolés, parce qu'ils ne peuvent se vider les uns que par les autres. De là le droit pour les étangs supérieurs à la libre vidange de la part des étangs inférieurs, tant pour la pêche que pour l'assec, mais aussi pour l'inférieur le droit aux eaux de l'étang supérieur. Ces obligations pour les étangs supérieurs de se conformer pour la mise en eau ou en assec à un étang inférieur est une charge qui grève lourdement le revenu de l'étang. Aussi les propriétaires, partout où cela est


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possible, ont-ils fait les plus grands sacrifices pour transformer leurs étangs en étangs indépendants au moyen de rivière de décharge ou de circonvallation.

§ III. L'UTILISATION DE L'ÉTANG

L'étang dombiste est alternativement en eau et en assec. De là deux modes de culture : la culture en eau et la culture en assec, l'une qui a pour but la production du poisson et l'autre celle des céréales.

1° La culture en eau

Les étangs de la Dombes produisent trois sortes de poissons les carpes, les tanches et les brochets. Depuis quelques années on a essayé d'introduire la culture de la truite, mais les résultats ne sont pas encore assez probants. Dans de grands étangs où l'eau est suffisamment claire elle paraît devoir réussir. Mais il faut choisir le sol qui lui convient, peu boueux, plutôt sableux. Les trois espèces de poissons citées plus haut sont toujours la principale production des étangs.

L'empoissonnage se fait après la récolte, aussitôt que les pluies d'automne ont amené suffisamment d'eau pour permettre au poisson de vivre. Il a le temps de reconnaître le fond avant l'hiver et il ne perd pas de temps l'année suivante pour son accroissement. Cependant certains étangs dépendants qui reçoivent l'eau des étangs supérieurs ne s'ensemencent guère qu'au printemps, après les gelées d'hiver qui divisent le sol et permettent aux poissons de le travailler plus profondément.

Les alevins destinés à l'empoissonnage sont produits par le pays lui-mêmeOn

lui-mêmeOn pour cela un étang de petite étendue, autant que possible à l'abri des vents, sans herbe et sans communication avec des étangs qui pourraient lui envoyer des bro-


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chefs. On y met de petites carpes appelées carnanciers, longues d'une dizaine de centimètres entre tête et queue, et d& grosses tanches d'une demi-livre.

En automne on pêche leur pose ou feuille et on la distribue dans d'autres étangs pour lui faire prendre l'accroissement nécessaire à l'empoissonnage. Dans un étang qui, empoissonné normalement produisait 1.000 poissons, on en met 10.000, c'est-à-dire que la porportion des alevins avec les poissons destinés à servir à l'empoissonnage est de i à 10.

Dès le printemps on y ajoute une centaine de brochets. Quand en automne on pêche cet empoissonnage on a des carpes de 10 à i3 centimètres et des brochets d'un poids moyen de trois livres, à petite tête mais à gros corps, et très recherchés pour la délicatesse de leur chair.

Les carpes et les tanches se mettent alors dans les étangs où elles doivent engraisser.

La pêche des étangs peut être réglée de trois façons différentes : à un an, à deux ans ou en pêche folle.

Pêche réglée à un an. — Pour la pêche à un an on empoissonne l'étang le plus vite possible. On ajoute en mai, au moment du frai, des brochets en nombre suffisant pour empêcher les carpes et les tanches de s'épuiser et pour prévenir la multiplication des poissons qui se nuiraient mutuellement.

Cette pêche n'offre pas beaucoup d'avantages. Le poisson obtenu est presque aussi gros en apparence que celui de la pêche réglée à deux ans, mais il manque de chair et se vend moins.

Pêche réglée à deux ans. — On met des carpes, puis des tanches d'un poids moyen de 5o grammes. La première année on ne met pas de brochets, mais au mois de décembre suivant on en ajoute un certain nombre de 4oo à 5oo grammes pièce. Dès le printemps le brochet prend un accroissement considérable, jusqu'à une livre par mois ; il arrive ainsi à peser 8 à 9 livres au moment de la pêche.


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Pêche jolie. — Quant aux étangs réglés en pêche folle, ils peuvent fournir un revenu considérable ou bien manquer complètement. Tout dépend de la pose des poissons et du rapport du nombre des brochets avec l'empoissonnage. Si la pose manque les brochets se jettent sur les tanches et les détruisent ; si au contraire la pose est trop abondante les poissons se nuisent mutuellement. Dans le cas où tout réussit l'avantage de la pêche folle est de donner des poissons de toute qualité, les uns arrivés à une grosseur suffisante, sont vendus, les autres servent à l'empoissonnage.

Les différentes sortes de poissons ne réussissent pas partout également. La tanche qui demande un sol boueux: acquiert un bien plus grand développement dans les sols compacts et argileux du centre de la Dombes, à Ambérieux, La Peyrouze, Saint-André-le-Bouchoux, Saint-André-deCorcy, Saint-Marcel, Monthieux, etc. Dans le nord-est, à Lent, à Saint-Paul, à Saint-Nizier, où le sol est sablonneux, la tanche ne réussit pas.

La production du poisson dans la Dombes est énorme, bien qu'elle ait diminué de plus de moitié depuis l'assèchement des étangs. Déjà en 1704, M. de Messimy, intendant de la Souveraineté de Dombes) affirmait qu'« il sort par communes années vingt fois plus de poissons de la Souveraineté qu'il ne s'y en consomme ».

Dès le xvme siècle, malgré les difficultés des communications, le poisson de la Dombes se répandait non seulement dans les villes voisines comme Lyon, Bourg ou Mâcon, mais jusque dans le Dauphiné et la Savoie. Aujourd'hui une bonne partie vient à Lyon, Villefranche, Bourg et Mâcon. De Lyon il descend jusqu'à Vienne et à Valence. Grâce aux procédés de transports actuels, les propriétaires dombistes expédient du poisson jusqu'en Hollande et en Allemagne.

Le poisson est transporté de la région dans les villes voisines d'une façon originale. L'acheteur se rend au jour fixé pour la pêche et prend livraison du poisson. Il le met immédiatement dans des tonnelets largement ouverts et aux trois quarts remplis d'eau fraîche. Autrefois on se servait de voitures à deux roues pour le transport, mais les cahots avaient


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une action néfaste sur le poisson ; on a remplacé avantageusement ces voitures par d'autres à quatre roues plus douces et d'une plus grande contenance.

Le poisson est ainsi conduit le plus rapidement possible soit sur la Saône, aux ports de Beauregard, de Frans, de Trévoux ou de Neuville, ou bien directement à Lyon. Sur la Saône on l'embarque dans des bateaux spéciaux qui permettent un échange continuel d'eau avec la rivière et c'est dans ces bateaux qu'ils descendent jusqu'aux quais de Lyon. Souvent aussi on amène le poisson directement sur les quais du Rhône. Dans les eaux claires de ces rivières le poisson perd le goût de vase qu'il pouvait avoir et il est livré à la consommation dans les meilleures conditions de fraîcheur et de qualité.

2° La culture en assec

La pêche de l'étang se fait soit en automne, soit en marsPour la culture la pêche d'automne est préférable, car le sol a le temps de se diviser pendant l'hiver, les plantes aquatiques pourrissent et engraissent davantage la terre.

Le dernier terme fixé par les coutumes pour la vidange d'un étang est le 3i mars. Mais quelle que soit l'époque de la vidange, il est nécessaire de préparer le sol avant de le mettre en culture- Lorsque le fond de l'étang est suffisamment égoutté on laboure en billons ou planches d'un mètre de large, bombées au milieu, puis on passe la herse pour détruire les mottes et on sème.

La plupart des étangs sont semés en avoine. Ceux même dont le fond est sablonneux ne peuvent guère rapporter autre chose ; ce sont les mêmes étangs où la tanche ne réussit point.

Quelques étangs, cependant, sont semés en blé. Ce sont ceux dont le sol est argileux et contient un peu de calcaire.

Une fois les semences faites, pour prévenir les inondations possibles, on creuse à la bêche des fossés profonds d'un pied dans les parties les plus exposées au séjour des eaux. Ce sont les raies-pallières qui se dirigent toutes dans la routière chargée de conduire les eaux dans le fossé de vidange.


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Le sol de l'étang ne reçoit pas de fumure. Au-dessus de l'argile ou du sable argileux qui en forme le fond s'étend une couche arable épaisse d'une dizaine de centimètres. Cette couche formée principalement de limon amené par les eaux, des déjections de poissons, de débris animaux ou végétaux, est très fertile. La production en blé d'un hectare dépasse 20 hectolitres ; pour l'avoine, dans les années sèches, la production peut atteindre 3o et sur certains fonds privilégiés 4o hectolitres.

On comprend ainsi la faveur dont ont toujours joui les étangs dombisles. Actuellement, il est vrai, leur revenu est moindre à cause de la diminution du prix du poisson, mais il n'en est pas moins supérieur à celui des champs ordinaires (1). Ce qui fait sa supériorité c'est l'économie de main-d'oeuvre et d'engrais. Or, plus que jamais, la maind'oeuvre fait défaut en Dombes et elle est hors de prix. Cette hausse n'ayant atteint que les terres cultivées le rapport du produit des étangs et des champs est en somme resté le même qu'autrefois.

Quelques chiffres donnés par M. Trachelut (Etudes sur les usages ruraux dans la Dombes et la Bresse), rectifiés, d'après les cours actuels, par M. Frangin, expert géomètre à Parcieux, donnent une idée assez nette de ce rapport.

Un domaine de soixante hectares peut produire annuellement un revenu moyen net de 1.900 francs ; un bois taillis de même contenance, 2.o5o francs ; et un étang, 2.900 fr.

L'avantage est très net en faveur de l'étang.

Voici, d'autre part, le produit possible d'un étang durant un cycle de trois années :

170 kilos de carpes à 65 fr. les 100 kilos. no.5o

100 kilos de tanches à 80 fr. les 100 kilos 80 »

3o kilos de brochets à 120 fr. les 100 kil. 36 »

Produit total 226.50

(1) On m'a cité un fermier qui payait une ferme 12.000 francs ; il y avait six étangs sur l'étendue de ce domaine ; or, il lui est arrivé, par le produit d'un seul de ses étangs, de payer sa ferme.


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Si l'on défalque les frais, évalués à ioo francs, il reste par hectare un bénéfice de 126 fr. 5o.

Pour l'assec le produit est un peu inférieur. En calculant le rendement moyen en avoine à 20 hectolitres à l'hectare, au prix de 10 francs l'hectolitre, on obtient 200 francs, auxquels il faut ajouter 5o francs de paille. Les frais de culture, d'ensemencement, de battage, atteignent i5o francs. Reste un bénéfice de 100 francs.

Donc, en trois ans, un hectare d'étang peut rapporter 226 fr. 5o. D'autres admettent une proportion un peu plus forte pour l'évolage ; ils estiment que du produit total l'évolage forme habituellement les trois cinquièmes et l'assec les deux cinquièmes.

(A suivre.) Etienne LAGER.


L'INDOCHINE FRANÇAISE

D'après la Conférence de M. Robert de CAIX, 6 mars 1913

M. Robert de Caix, au cours de deux missions, a visité l'Indo-Chine française, mais il se défend de connaître toute l'Indo-Chine, n'ayant visité de ce pays, partagé entre l'influence de l'Inde et celle de la Chine, que le pays annamite, c'est-à-dire la partie relevant de l'influence chinoise. On sait que le peuple annamite, qui compte au moins 16 millions d'âmes en tout, représenté à lui seul les trois quarts des habitants de l'Indo-Chine, qu'il en constitue incontestablement l'élément le plus actif, le plus laborieux, le plus vivant, et que lors de notre arrivée il menaçait de détruire ou d'absorber peu à peu les Cambodgiens et même les Siamois, comme il avait déjà fait, des Tiams de l'ancien royaume du Tiampa.

M. de Caix a vu tout le pays annamite en détail ; il a parcouru non seulement la Cochinchine et le Tônkin, régions d'accès facile, mais il s'est astreint à parcourir par la route mandarine, en caravane, et en usant des moyens de transport assez rudimentaires dont on y dispose, notamment le portage à dos d'homme, toute la longue bordure côtière qui constitue le pays d'Annam proprement dit. Il emploie donc la première partie de son exposé à entraîner son auditoire à sa suite tout le long des territoires d'expansion de la race annamite, depuis que le grand mouvement de descente de ce peuple, originaire de la Chine méridionale, s'est prononcé de plus en plus vers le sud. Son itinéraire est donc l'inverse de la marche même de migration des Annamites. Son point de départ, la Cochinchine, est le dernier territoire où les Annamites soient parvenus, il y a seulement quelques siècles. Ces vastes espaces alluviaux se trouvent encore fort loin du peuplement, du défrichement et de la colonisation définitifs. Comme le dit M. de Caix, la Cochinchine est aujourd'hui un pays aquatique où les villages sont en bordure de


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l'eau, où les marigots forment les rues, les grands bras fluviaux les boulevards, où l'embarcation courante, le sampan, joue le rôle de nos voitures, où le riz, culture fondamentale du pays, ne pousse convenablement que recouvert pendant la plus grande partie de sa croissance par trente centimètres d'eau. Comme on circule surtout par eau en Cochinchine, le spectacle que donnent les rives est celui d'une population très dense. Mais il ne faut pas en inférer que tout le pays soit colonisé. Cet aspect n'est qu'une façade ; en arrière s'étendent fréquemment de vastes plaines inondées, des solitudes de roseaux, de palétuviers, de jungles, qui atteignent leur maximum d'ampleur dans la presqu'île qui termine en pointe, vers le sud-ouest, les terres d'apport du vaste delta du Mékong- Dans ces immenses réserves d'alluvions encore incultes et imparfaitement desséchées la race annamite a de la place pour faire expansion un jour. Aussi, les habitants de la Cochinchine sont-ils riches ; les terres neuves ne leur manquent pas, la production du riz est très supérieure à la consommation locale ; c'est là le grand grenier d'exportation du riz indochinois ; les ventes sont en passe de se fixer annuellement aux abords d'un millier de tonnes. Il existe aussi, dans la Cochinchine orientale, là où expire la chaîne annamitique, de vastes solitudes, comme l'atteste l'existence de troupeaux d'éléphants sauvages séparés par des zones habitées et cultivées, des régions vierges de la montagne où prospèrent aujourd'hui leurs congénères.

Quittant la Cochinchine, M. de Caix nous mène ensuite dans les provinces du sud de l'Annam (Binh-Thuan, Khan Hoa), où le massif annamite appuie ses promontoires à la côte, où les petites vallées intérieures n'ont de rapports entre elles que par eau ou en franchissant des espaces dangereux de montagne forestière. Dans ce pays, où les anciens Tiams, d'affinités indoues, ont trouvé leur dernier refuge à la suite des luttes qui anéantirent leur domination et presque leur race, les Annamites ne se sont pas établis, ils ont pour ainsi dire glissé sur cette zone accidentée et forestière pour s'en aller chercher, plus au sud, les espaces deltaïques du Mékong et du Donnai", plus conformes aux goûts spéciaux d'habitat de leur race. Mais ils y ont fait le vide. Les Tiams ont été détruits par eux, mais ils ne les ont pas remplacés. De nombreuses ruines de pagodes ou de stoupas en briques, attestant une influence indoue et brahmanique certaine, apparaissent fréquemment en pleine jungle, attestant un peuplement plus dense de la région dans le passé. Ces ruines ne sauraient, pour leur luxe et leur splendeur, se comparer à


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celles d'Angkor, néanmoins elles témoignent éloquemment de la civilisation qui brilla jadis dans ces régions aujourd'hui rendues à la sauvagerie. Le maître de ces vallées et surtout de ces montagnes, c'est aujourd'hui le « seigneur tigre », qui.cause à la population une terreur mêlée de respect et qui, plus que la fièvre des bois elle-même, rend cette partie de l'Annam dangereuse à habiter et à parcourir. Lors de la construction du chemin de fer du Lang Bian, le personnel des coulis travaillant à la voie fut sérieusement ■éprouvé par les ravages de « Monsieur tigre ». De 4 heures du soir jusqu'à l'heure où le soleil est déjà haut sur l'horizon, c'est lui qui règne. Les lieux d'étape ou trams sont pourvus de hautes palissades en bambou contre lui, ce qui n'empêche pas qu'il parvienne parfois à forcer le blocus.

La limite du pays Tiam est le col de Déo Ca, qui donne accès au Phu Yen. Dès lors, peu à peu, le nombre des villages annamites et des rizières va grandissant et l'on s'approche de plus en plus de l'ancien Annam, celui où se trouve aujourd'hui encore la capitale. C'est que le paysage de promontoires, d'arêtes rocheuses, d'îles montagneuses, recule peu à peu vers l'intérieur et que les vallées sont de plus en plus reliées entre elles par une bande de terrain plat, d'abord ■étroite et minuscule, mais de plus en plus large et développée en allant vers le nord. L'expansion annamite a été liée rigoureusement à ces bandes basses de cordons littoraux et aux lagunes qu'elles enferment. Quand on arrive au Binh Dinh, c'est le plein pays annamite, avec sa vie grouillante, son pullulement d'hommes et de villages, mais avec un pittoresque qui manque aux plaines trop plates du nord et un caractère tropical plus franc, qui lui aussi fait défaut pour qui se rapproche de la Chine au rude hiver. On voit encore sur les hauts étinceler à travers le feuillage les tours rouges •en ruines des anciens Tiams. Le cocotier, parure des vallées plus méridionales, atteint dans cette province sa limite dernière ; enfin le sol est encore parsemé d'accidents qui découpent la plaine et ajoutent au plaisir des yeux. Cette province du Binh Dinh est une des plus belles du pays d'Annam.

Dans ces régions du sud de l'Annam, où le plateau cristallin et rocheux affleure à la côte, les indigènes de l'intérieur, les Mois, eux aussi, descendent souvent jusqu'à la mer, où l'on a l'occasion, à Nha Trang, par exemple, de les observer. Race très différente des Annamites et encore fort mal connue, vivant de maigres cultures dans un état absolument primitif, elle est jusqu'à présent inutile au point de vue colonial. Les Moïs, bien que vigoureux, ignorent le tra-


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vail, c'est un peuple très paresseux qui ne rend pas même de bons services dans le portage. Et pourtant la question de l'utilisation des Mois se pose avec force, dans l'impossibilité où l'on se trouve de jamais compter sur une participation des Annamites à la colonisation des hautes régions. Il est, en effet, certain que l'Annamite est lié aux terres basses à demi noyées où l'on peut pratiquer la culture du riz et qu'il évite avec soin les territoires montagneux. En ce sens il se rapproche singulièrement des Chinois et des Thaïs. Il éprouve au sujet des régions montagneuses, couvertes de jungles et de forêts, une terreur superstitieuse d'abord, puis la crainte de la fièvre qu'y causent les eaux mauvaises selon lui. Et pourtant ces hautes régions, aujourd'hui vides, offrent des parties fertiles, utilisables, suivant une méthode qui reste à chercher, mais malaisée à trouver, tant qu'elles resteront désertes comme aujourd'hui ou occupées par un peuple aussi primitif que les tribus Mois. Il ne semble pas que ces tribus craintives soient d'un maniement difficile. Très superstitieuses, elles doivent cependant être abordées avec précaution. Si un lieu a été déclaré tabou, c'est risquer la mort que d'y pénétrer ; ce malheur est arrivé à un Français, M. Odhendal, qui n'avait pas remarqué les signes par lesquels les Mois indiquent qu'un village est interdit. Mais, si l'on a soin de respecter leurs superstitions, les Moïs semblent assez paisibles et accueillants. Seulement, ces moeurs bizarres, il faudrait les connaître et aujourd'hui on en est réduit à des renseignements vagues et assez généraux qui devraient faire place à un travail de détail sur lequel notre action pût s'appuyer.

Suivant la route mandarine, passant par Hué, où il put voir et photographier les monuments impériaux de l'Annam, M. de Caix est enfin arrivé dans le Tonkin, qui s'annonce par une série de larges provinces de plaines surpeuplées, qui sont par tous leurs caractères déjà tonkinoises (Nghé Anr Than Hoa). Le Tonkin diffère de la Cochinchine d'abord par la beaucoup plus grande densité qu'atteint la population annamite dans ce pays, à la fois plus restreint et plus anciennement colonisé que le delta du Mékong. Ensuite, certaines particularités du climat, telles que la saison du crachin, sorte de queue du grand hiver chinois, qui remplit les premiers mois de l'année. Enfin, dans ses paysages, il existe encore des différences. Sur la côte, les rochers fantastiques de calcaires creusés et érodés qui voisinent de très près avec les plaines basses d'alluvions et qui atteignent leur maximum d'expression pittoresque d'un caractère si chinois, dans la


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fameuse baie d'Along. A part ces détails, dont le plus important de beaucoup est la différence de densité dans le peuplement, d'où dérive une moins grande richesse de la population, et un rôle fort secondaire dans le commerce du riz, le Tonkin offre des aspects semblables à la Cochinchine : villages cachés et défendus par de magnifiques haies de bambous, arroyos et marigots, champs de riz à la verdure frémissante si douce à l'oeil qu'on en voudrait caresser le velours, magnifiques paysages d'arbres, d'eau et de lotus parmi lesquels se dissimule d'ordinaire la pagode municipale, et qui, par leur charme tropical, surprennent dans ce pays qu'on se figure un peu monotone. On reste surpris, surtout quand on vient d'Europe, de voir à quel point ce pays purement rural est peuplé de façon dense et jusqu'à quel point le sol est mis en valeur. Il n'y a, à la lettre, pas un pouce de sol de perdu. Sur les banquettes qui séparent les champs de riz, au-dessus du tapis des rizières, on voit, sur les flancs de la levée de terre, des taros, et, sur le faîte, des plantations de mûriers. C'est par ce pullulement d'hommes une région déjà chinoise que ces plaines du Tonkin. Ce pullulement est d'ailleurs nécessaire pour les besoins du riz. On sait, en effet, que, à la différence de nos céréales françaises, le riz se plante d'abord en une petite pépinière et qu'ensuite les femmes procèdent patiemment au repiquage, pied par pied. Que dirait-on chez nous si les vastes champs de blé de la Beauce étaient plantés pied par pied, à la manière des plants de salade ?

Après ce voyage agréable à travers les diverses parties du monde annamite, M. de Caix jette un coup d'oeil sur l'organisation sociale de ce peuple, dans sa commune, son organisation administrative et politique, le rôle de l'empereur, etc. A tous ces égards, la ressemblance avec la Chine est manifeste et montre à quel point l'influence de l'« oncle chinois », comme l'Annamite appelle son voisin, a été grande dans la constitution de l'Annam.

Nous insisterons davantage sur les opinions qu'un juge aussi autorisé que M. de Caix a cru devoir exprimer sur la politique suivie par la France à l'égard des Annamites. Cette politique prête largement le flanc à la critique ; nous nous sommes souvent et gravement trompés et une partie de nos erreurs continue à produire ses effets et ne pourra se réparer que fort lentement. Le plus grave reproche que nous encourions est d'avoir voulu pratiquer une politique trop ambitieuse et d'avoir notamment exagéré, faute de coup d'oeil, la masse des charges que l'Indo-Chine était capable de sup-


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porter. Le programme des travaux publics, la machine administrative, les emprunts, tout cela fut taillé sur de trop grandes proportions pour les capacités modestes de notre colonie. On a voulu faire grand ; ce fut une véritable mégalomanie. Tout alla bien d'abord ; le mouvement commercial déterminé par les dépenses consécutives à l'emprunt de 1898, l'abondance de travail qui en résultait pour les coulis, la coïncidence de très bonnes années agricoles, tout cela fut de nature à entretenir les illusions. Mais vinrent les années de vaches maigres, tout le capital disponible de l'emprunt était dépensé, le mouvement commercial revint aux conditions normales, les coulis furent privés de travail, mais les impôts nouveaux demeuraient et leur charge causa à la population annamite de vraies souffrances. Ce revirement, d'ailleurs, se produisit alors que le gouvernement général avait changé de titulaire ; le nouveau gouverneur eut à faire face à des difficultés dont il n'était pas responsable, mais qui le firent passer pour incapable, dans l'impossibilité où il se trouva d'y remédier, ces difficultés étant essentiellement financières et dérivant d'un manque d'appréciation des capacités exactes de l'Indo-Chine.

Pendant qu'on s'engageait dans ces entreprises ambitieuses, diverses oeuvres, plus modestes et cependant indispensables, étaient, par une aberration et une négligence inconcevables, laissées de côté et restent encore à faire. Depuis trente ans que nous occupons le Tonkin, nous ne nous sommes jamais souciés d'en faire le recensement ; et les idées les plus vagues régnent à ce sujet Si l'on interroge un résident sur le chiffre probable de ses administrés, sa réponse est toujours la même : « Oh ! c'est très simple, je n'ai qu'à prendre le nombre des inscrits au rôle de l'impôt et à le multiplier par tel chiffre. » Mais ce qui est inouï, c'est le degré de variabilité du chiffre multiplicateur ; tel résident multiplie par 17, tel autre par 8. On n'a jamais dressé l'état des terres suivant leur valeur imposable, le cadastre do l'Indo-Chine manque encore. Et alors un résident peut à son gré, pour modifier le rendement de l'impôt et faire du zèle, promouvoir une quantité de rizières au titre de « rizières de première classe ». Cet « avancement arbitraire donné aux rizières » prouve à quel point est encore fantaisiste notre connaissance des terres sujettes à l'impôt.

Enfin, pour suffire aux charges d'un budget si lourd, il a fallu accroître à l'excès, et cela gravement aux dépens de notre popularité, le poids des impôts indirects. L'impôt sur le sel, non seulement a accru prodigieusement le prix du


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sel, dont les Annamites ont si grand besoin, étant, autant que de riz, mangeurs de poisson et de nuoc mam (sorte de saumure au poisson), mais il a amené un monopole vexatoire qui a entraîné la fermeture des salines d'une province pauvre où les indigènes ont peine à vivre, telle que le Binh Thuan. Mais l'impopularité de l'impôt sur l'alcool est pire encore. L'Annamite se sert traditionnellement d'alcool de riz, distillé par lui-même, non seulement dans sa vie sociale, niais dans sa vie religieuse ; il existe des libations rituelles aux dieux, qui doivent être faites avec de l'alcool récolté sur le terrain de la commune ; enfin l'Annamite est habitué à son propre alcool. Qu'a fait notre administration ? Elle a supprimé chez les Annamites ce privilège des bouilleurs de cru, auquel on n'aurait garde, pour des raisons peu honorables, de toucher en France ; elle a monopolisé au profit de deux grandes fabriques européennes, cela va sans dire, toute la production de l'alcool ; enfin, pour sanction et défense du nouveau régime, on a créé un corps de douaniers, flanqués d'indicateurs ou mouchards indigènes, qui se livre aux perquisitions les plus brutales et les plus arbitraires. Il est inutile de faire remarquer que le corps des douaniers ne se recrute pas dans la fleur de la population européenne ; on se fait douanier lorsqu'on n'a pas réussi ailleurs. Les indicateurs indigènes dénoncent surtout les gens à qui ils ont des raisons d'en vouloir et il semble avéré que ce sont ces hommes qui cachent le plus souvent chez le paysan l'alcool qui fait l'objet de leur délation. Tout cela nous a fait dans la population annamite un tort incommen-. surable et hors de proportion avec les bénéfices fiscaux que nous en avons tirés.

Ce n'est pas tout, les travaux publics qui ont motivé l'accroissement d'impôts qui pèse si durement sur le nhaqué annamite ont eux-mêmes causé d'abondants déboires. On a d'abord conçu d'une manière beaucoup trop théorique et trop grandiose l'ensemble du réseau. Au lieu de rechercher avec soin les régions susceptibles de payer d'emblée l'établissement des voies ferrées, grâce au rôle subordonné des voies d'eau, à l'abondance de la production du riz et à la densité du peuplement, on a conçu un magnifique projet réunissant par un grand Transindochinois toutes les parties du pays, pourvoyant la partie la pluu sauvage et la plus déserte du Sud-Annam, d'une voie ferrée longue et coûteuse, destinée à desservir le plateau du Lang Bian ; on a exécuté la grande ligne du Yunnan, qui offre peu de chance, dans les hautes régions pauvres, insalubres et mal peuplées qu'elle


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traverse, de payer ses frais avant longtemps. Or, il est malaisé dans cette Indo-Chine, coupée de marigots qui sont autant de voies de transport faciles et peu coûteuses, de faire des chemins de fer productifs. Ce qui paye dans l'exploitation des voies ferrées, c'est le trafic des marchandises. En Indo-Chine, la plupart des lignes ne transportent guère que des voyageurs ; les trains jouent le rôle de tramways. Il faut ajouter que les devis d'établissement ont été faits d'une façon tellement hâtive et les contrats d'entreprise rédigés d'une manière si imprévoyante que toute ligne a été l'occasion de nombreux procès avec les entrepreneurs et que, d'autre part, les dépenses ont de beaucoup excédé les prévisions. Sur le programme de 1898, les dépassements n'ont pas été moindres de 28 millions qu'il faudra liquider peu à peu aux frais de la colonie. Les résultats de ces voies ferrées si chères, source de tant de chicanes coûteuses, sont encore médiocres ; l'exploitation restait en déficit de 3oo.ooo francs en 1910.

Malgré les critiques que soulève cette politique mégalomane désormais condamnée, il y a beaucoup à faire dans l'Indo-Chine, la plus séduisante des colonies françaises. D'abord on doit s'attacher à en augmenter la production et par suite la richesse en étendant la superficie des rizières, par un système rationnel d'irrigations et de canaux de drainage. L'irrigation aura surtout pour champ d'action le Tonkin ; au contraire, la Cochinchine n'a que trop d'eau et exige des drainages.

11 est indispensable, en outre, d'améliorer la situation . commerciale de l'Indo-Chine, gravement victime jusqu'à présent de notre égoïste protectionnisme colonial ; notre système douanier l'oblige en effet à acheter chez nous la plupart des articles manufacturés qu'elle consomme ; non seulement le matériel de construction des travaux publics (on a calculé que pour un kilomètre de chemin de fer la limitation des achats au marché français renchérit les prix de 16.000 francs), mais encore pour les objets de consommation indigène courante, tel que les cotonnades, que nous faisons payer aux Annamites i5 % en moyenne plus cher que si nous leur laissions le choix de leurs fournisseurs. Mais, d'autre part, l'Indo-Chine pourrait être dédommagée des effets de cette politique fiscale unilatérale si nous représentions pour elle de gros acheteurs de riz, de soie, de thé. Pour la soie la France se procure à Canton seul pour plus de 60 millions de francs que l'Indo-Chine serait à même de nous fournir. Ici il est d'ailleurs juste de reconnaître les efforts du gouvernement qui, par l'établissement de filatu-


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res-modèles et surtout la pratique de la méthode Pasteur pour le grainage des vers, a réussi à quintupler la production de la soie brute en quatre ans. Mais il y a d'autres sources de richesse qui pourraient se développer, le sucre, que l'Annam produit déjà et qui trouverait en Extrême-Orient un énorme marché toujours ouvert ; la pâte à papier, qui commence à manquer dans le monde et qui permettrait la mise en valeur de la chaîne annamitique.

Enfin, une tâche de longue haleine, sans doute, mais non moins nécessaire, est l'éducation économique et l'émancipation des Annamites, aujourd'hui réduits au rôle de producteurs ruraux et exploités, pour tout ce qui est du commerce, par les Chinois- Tout le commerce de détail et de gros est monopolisé en Indo-Chine par les Célestes et l'Annamite ne se doute même pas de ce qu'est notre mentalité commerciale moderne. Un fait frappant est celui d'un directeur de la filature de Nam Dinh proposant à un paysan de lui acheter tout ce qu'il a de coton, mettons 100 piculs. L'Annamite qui proposait de vendre le picul isolé au taux de deux piastres demande trois piastres pour une si grosse livraison, « car, dit-il, c'est que tu en as bien plus grand besoin 1 » Evidemment les conditions de notre commerce de gros lui échappaient encore.

Quelle est en fin de compte l'opinion des Annamites sur nous ? A coup sûr, ils ne nous aiment guère et comme ils nous le reprochent sans ambages nous leur avons coûté trop cher. Mais ils se rendent compte que nous sommes moins dangereux pour leur nation et leur société que ne pourraient l'être tels dominateurs extrême-orientaux, tels que les Japonais et surtout leurs « oncles », les Chinois. Nous ne sommes jamais que quelques milliers accourus de fort loin de par-delà la mer, tandis que ce serait par centaines de milliers qu'afflueraient les Chinois et, comme le disait un Annamite à M. de Caix, nous ne leur prenons pas ce qui est leur raison même de vivre, la rizière, car nous ne mangeons pas de riz !


CHRONIQUE GEOGRAPHIQUE

GEOGRAPHIE GENERALE

Le Coton dans les Colonies françaises

Les efforts persévérants de l'Association cotonnière coloniale sont chaque année récompensés par des résultats en progrès. Malheureusement ces efforts ont l'inconvénient d'être trop dispersés. La production qui avait atteint seulement 46o.8oo kilogrammes en 1911 s'est élevée, en 1912, à 628.600 kilogrammes, se répartissant comme suit :

Sénégal 20.000 kilo.

Haut-Sénégal et Niger ... 120.000 ■—

Dahomey 12.5.000 —

Nouvelle-Calédonie i65.ooo —

Madagascar 3.5oo —

Tahiti i5.ooo —

Algérie 180.000 —

Le Sénégal n'avait produit en 1911 que i5.ooo kilogrammes et le Haut-Sénégal et Niger que 60.000. Il y a donc ici un gain du double. Les essais de cultures irriguées se poursuivent à Richard-Toll, Podor et Kayes- Les conditions climalériques sont favorables. Le gros danger reste toujours l'apparition de l'eau salée ; aussi les nouveaux terrains sont-ils recherchés toujours sur les rives du Sénégal, mais dans une position plus éloignée de la mer. Parallèlement aux essais irrigués on continue à s'occuper de cultures sèches dans la région de Podor.

Au Dahomey un courant commercial a été établi. Néanmoins l'amélioration de la qualité reste l'objet de préoccupations.

Les résultats ont été surtout magnifiques en NouvelleCalédonie, où il y a cinq ans la production cotonnière était nulle. Dans les Iles-sous-le-Vent une société commerciale cotonnière en poursuit l'extension.


CHRONIQUE GÉOGRAPHIQUE 57

En Algérie la culture du coton avait eu un moment de prospérité au moment de la guerre de Sécession (45i.ooo kilogrammes en i864). Elle avait été abandonnée de 1878 à 1903. Depuis lors, la progression est continue. Il est vrai que ce ne sont encore que des essais limités strictement aux régions les plus favorables.

(D'après La Quinzaine coloniale, du 25 mars 1913, p. 198.)

La Culture du Blé dans le Monde

Le ministère de l'agriculture a publié les résultats d'une enquête qu'il a fait faire sur la production et le commerce du blé dans le monde. Cette enquête nous donne quelques renseignements intéressants.

Dans le monde entier l'étendue des terres consacrées à la culture du blé atteint, pour la période de 1901 à 1910, un peu plus de 95 millions d'hectares, alors que pour la période de 1881 à 1890 elle n'était que de 75 millions. Dans le même espace de temps la production est passée de 625 millions de quintaux à 880 millions.

Pour sa part, la France a cultivé en blé 6.568.000 hectares dans la période de 1901 à 1910 contre 6-967.000 dans la période de 1881 à 1890, et elle a récolté dans ces deux périodes 89.128.000 et 83.922.000 quintaux en moyenne annuelle respectivement. Ces chiffres accusent une légère réduction des emblavures entre ces deux périodes, mais un rendement à l'hectare qui est allé croissant. Ce rendement, en effet, est passé de 12 quintaux à i3 quintaux et demi, grâce aux progrès faits par notre agriculture.

Par l'importance de sa production la France vient au troisième rang des pays producteurs de blé. Avec 89 millions de quintaux dans la période 1901-1910, elle n'est dépassée que par les Etats-Unis (181 millions) et la Russie (173 millions). Ces trois pays ont produit à eux seuls, dans cette période décennale, la moitié du blé obtenu dans le monde. Les plus grands producteurs après la France sont : les Indes britanniques (80 millions de quintaux), l'Autriche (58 millions), l'Italie (45 millions), le Canada (38 millions), fa République Argentine (37 millions), l'Allemagne (36 millions), l'Espagne (33 millions), la Roumanie (20 millions).

Les gros exportateurs de blé sont : la République Argen-


08 CHRONIQUE GEOGRAPHIQUE

tine, le Canada, la Russie, les Indes britanniques, les EtatsUnis, la Roumanie et la Bulgarie ; mais, dans un avenir peu éloigné, la plupart de ces pays ne pourront probablement plus être exportateurs par suite de l'augmentation croissante de leur population.

La France fait de temps à autre appel au blé étranger. Dans la période décennale 1901-1910 l'excédent de nos importations sur notre exportation annuelle n'a été que de 2 millions et demi de quintaux en moyenne et on peut espérer que bientôt nous produirons largement le blé nécessaire à notre consommation, si le droit de 7 francs continue à être imposé pour l'importation des blés étrangers.

Le Dry-Farming

On a parlé beaucoup, ces derniers temps, de ce mode de culture, peut-être même en a-t-on abusé. C'est pourquoi les conclusions d'un article de M. Larue sont à retenir, comme constituant une bonne mise au point.

Le « Dry-Farming », conclut l'auteur, est à sa place dans les régions où il tombe de 25 à 5o centimètres d'eau, où les pluies de printemps et d'été sont peu fréquentes, l'évaporalion forte mais les vents peu violents. Il ne peut s'appliquer ni dans les sols pierreux, ni dans les sols graveleux, jnais seulement dans ceux qui renferment au moins 2 m. 5o de terre proprement dite argilo-siliceuse de préférence.

La méthode consiste :

A labourer vers o m. 20 à l'automne en ameublissant de suite la surface ;

20 A rompre la croûte formée après chaque pluie ;

3° A laisser une année de jachère nue mais travaillée pour accumuler l'eau dans le sous-sol ;

4° A semer en ligne des variétés appropriées et biner entre les rangs pour réduire l'évaporation ;

5° A détruire toute végétation adventive dès son apparition.

Pour appliquer ce mode de culture il est nécessaire :

D'avoir de grandes parcelles ;

20 De disposer de i4o hectares au moins ;

3° D'employer les instruments à grand travail et en particulier le disque et le semoir en lignes ;


CHRONIQUE GÉOGRAPHIQUE 59

4° De disposer de chevaux en quantité suffisante.

Toutes ces conditions ne sont remplies en aucun point de la France, mais les territoires neufs ne manquent pas et l'application du Dry-Farming permettra d'assurer la production économique des céréales un instant compromise.

(D'après La Bévue scientifique, février 1913.)

L'Évaporation du sol et des végétaux comme facteur de la persistance des temps pluvieux et froids.

Il semble que lorsqu'une période humide et froide s'est établie elle ait une tendance à persister. Les étés des années 1910 et 1912 nous en donnent des exemples récents. Les courants atmosphériques jouent le principal rôle dans cet état climatérique ; mais l'évaporation du sol et la végétation ont aussi une certaine influenceLorsque,

influenceLorsque, la suite de pluies d'une certaine durée, le sol reste mouillé il évapore constamment de l'eau qui, se condensant dans les couches supérieures de l'atmosphère, produit des nébulosités. Celles-ci maintiennent le ciel couvert et retombent sous forme de pluie, pour continuer ce cycle indéfiniment.

L'évaporation du sol mouillé est considérable ; pendant le mois si pluvieux de juillet 1910 la quantité d'eau évaporée par hectare de terre nue a été, à la station de chimie végétale à Bellevue, de 218 mètres cubes. Pendant le mois d'août 1912, encore plus pluvieux, elle a été de 217,6 mètres cubes.

Mais ce n'est pas seulement le sol nu qui évapore ; celui qui est couvert de végétation évapore beaucoup plus. Or, c'est précisément pendant les années humides que le développement végétal est le plus abondant et se continue le plus longtemps. L'eau évaporée par un hectare de luzerne a été, pendant le mois de juillet 1910, au cours des expériences de M. Mûntz, de 8o3 mètres cubes. Cette quantité était un peu supérieure à celle d'eau tombée pendant le même temps sur la même surface, soit 697 mètres cubes. Pendant le mois d'août 1912 l'évaporation de l'hectare de luzerne a été de 900 mètres cubes ; la pluie tombée ayant été de 8g4 mètres cubes. Il résulte de ces expériences : que l'évaporation produite à la surface du sol est un facteur important, peut-être


60 CHRONIQUE GÉOGRAPHIQUE

prédominant de la nébulosité persistante du ciel et des chutes d'eau fréquentes ; i" que ce régime, une fois établi, a une tendance à se continuer par une sorte de cycle qui ramène alternativement l'eau du sol vers l'atmosphère par l'évaporation et celle de l'atmosphère vers le sol par les pluies.

Quant à l'abaissement de la température pendant ces périodes il est occasionné par les mêmes causes. D'abord par l'absence du soleil, dont les radiations sont empêchées par les nuages ; mais c'est aussi par l'évaporation de l'eau à la surface du sol et des organes végétaux. D'après les observations de 1910 et 1912 le sol mouillé qui évapore abondamment a une température inférieure de 20 à 3° à celle du même sol en état d'humectation normale. D'autre part, l'air qui circule entre les feuilles d'une luzernière a également 3° de moins que celui qui circule au-dessus. Il est à remarquer que ces abaissements correspondent sensiblement à l'abaissement moyen de la température signalé par les observations météorologiques.

Cette chaleur enlevée à la surface de la terre par l'évaporation n'est pas restituée par la pluie car elle est perdue dans les hautes régions de l'atmosphère et les eaux de pluie retombent froides, ayant 3° à 4° de moins que l'air ambiant. L'évaporation est donc bien une cause directe du refroidissement.

(D'après une Note de M. Mûntz à l'Académie des Sciences, du 9 septembre 1912.)

Les Méthodes de Calcul en Climatologie

M. Angot, directeur du Bureau central météorologique, a cherché le meilleur procédé de classification des hivers.

Les moyennes mensuelles de température employées jusqu'à présent ne donnaient que des indications incomplètes, donc inexactes. D'autre part, l'observation des températures les plus basses et leur comparaison n'étaient pas plus fécondes en résultats précis.

Le procédé adopté par M. Angot est aussi simple qu'il est pratique et concluant : il consiste à faire la somme des seules températures au-dessous de zéro.

.'Par là on obtient la «physionomie» propre de chaque


CHRONIQUE GÉOGRAPHIQUE 61

hiver et on voit clairement combien la différence, souvent peu sensible, entre tel hiver et tel autre, peut être grande.

M. Angot a établi ces calculs sur quarante années, de 1873 à 1913, d'après les observations du laboratoire météorologique de Saint-Maur.

Et il a constaté des écarts de froid considérables entre les quarante derniers hivers.

C'est ainsi, pour prendre les deux extrêmes, que l'hiver de 1872-1873 ne subit que 52 degrés de froid, alors que l'hiver 1879-1880 en accusa 588Les

588Les les plus froids après celui-ci ont été ceux de 1890-1891, avec 447 degrés de froid, et de 1894-1895, avec 4i2.

Les hivers les plus doux furent, après celui de 1872-1S73, et ses 52 degrés de froid seulement, ceux de i883-i884, avec 59 degrés de froid ; de 1911-1912, avec 61, et enfin, de 1912-1913 — l'hiver actuel — avec 69 degrés.

Par conséquent, l'hiver qui finit n'a que le quatrième rang parmi les hivers doux des quarante dernières années, où la moyenne de froid a été de 199 degrés.

*

* *

On indique généralement par la hauteur en millimètres la quantité d'eau tombée sur une région en un temps donné. M. G. A. Lindsay, de Saint-Louis (Et.-U.) propose de supputer autrement cette valeur et d'indiquer la quantité de pluie par le volume d'eau tombée sur une surface déterminée, cette nouvelle méthode, d'après lui, parlant beaucoup mieux à l'esprit.

Traitant des chutes de pluie aux Etats-Unis, devant l'Académie des sciences de Saint-Louis, il exposait que, d'après la méthode usuelle, la pluie tombée, par exemple, en 1896 sur le seul Etat de Missouri représentait ioi,5 m/m, ce qui, d'après sa méthode personnelle, devrait être exprimé par un volume de i84 kilomètres cubes d'eau ! La même notation donnée pour la quantité d'eau tombée sur les Etats-Unis en une année moyenne atteint un volume de 6.000.000.000.000 tonnes. On ne doit pas supposer que toute cette eau retourne à la mer par les rivières et les fleuves ; la plus srande partie est enlevée par l'évaporation.

M. Lindsay le démontre par ce fait que le débit du Missis-


62 CHRONIQUE GÉOGRAPHIQUE

sipi à Saint-Louis représente un volume d'eau à peine plus grand que celui de la pluie tombée sur le seul Etat de Missouri ; or, c'est là une très faible partie de l'énorme bassin drainé par le fleuve en amont de ce point.

Les Animaux des grands fonds marins

Dans une séance récente de l'Académie des sciences, S. A. S. le prince de Monaco a résumé un travail de M. le lieutenant de vaisseau Bourée sur la migration verticale d'animaux marins des grandes profondeurs. M. Bourée est l'inventeur d'un appareil qui peut être traîné à une vitesse de 6, 7 et même 8 noeuds, permettant de rapporter d'une profondeur donnée des animaux adultes. Cet appareil a été descendu à des profondeurs atteignant jusqu'à 5.ooo mètres en différents points de l'Atlantique, pendant la nuit et pendant le jour.

Les captures ainsi faites ont montré que des animaux appartenant aux profondeurs dépassant i.ooo mètres et porteurs d'appareils phosphorescents montent la nuit jusqu'à la surface. S'ils se déplacent ainsi c'est parce qu'ils trouvent alors dans les eaux supérieures l'obscurité qui leur est favorable pour pratiquer la chasse qui leur fournit la nourriture. On observe d'ailleurs cette particularité que la capture d'animaux des profondeurs n'a jamais lieu qu'au-dessus de grands fonds, ce qui permet de dire que ces animaux ont le sens de la direction, puisqu'ils ne s'écartent pas des points où une simple descente leur permettra de retrouver des conditions d'habitat favorables.

De plus, ces animaux des profondeurs ont évidemment une facilité d'adaptation considérable, car ils peuvent passer d'une pression de plus de cent atmosphères à une pression de quelques atmosphères ; enfin ils offrent une élasticité thermique importante puisqu'ils passent d'un milieu dont la température est de 2° à 4° dans un milieu dont la température est de i.7° à 200. Il semble d'ailleurs que d'autres animaux, non munis d'organes phosphorescents et qui vivent à de très grandes profondeurs ne suivent pas cette loi de la migration.


CHRONIQUE GÉOGRAPHIQUE 63

Le problème de l'Atlantide

De tous les continents disparus dont la science moderne essaie d'entrevoir les contours, l'Atlantide est celui qui a suscité la curiosité la plus vive. C'est que l'Atlantide est, parmi ces anciens mondes, le seul dont l'homme ait gardé le souvenir.

Nous avons déjà eu l'occasion de signaler ici même, à propos du livre de M. Gentil sur le Maroc, comment la question se posait actuellement. M. Germain, dans un article très documenté paru dans les Annales de Géographie, donne à son tour les résultats auxquels conduisent les découvertes zoologiques récentes.

On sait que l'Atlantide fut signalé pour la première fois par Platon. Il en est question dans deux passages de ses oeuvres. Le premier se trouve dans un dialogue intitulé Timée ou De la nature; le second, qui est comme la suite du précédent, se nomme Critias ou De l'Atlantide. Platon rapporte la légende d'origine égyptienne d'après laquelle un vaste continent aurait existé au-delà du détroit des Colonnes d'Hercule (Gibraltar) et se serait effondré sous les flots.

Après de nombreuses discussions au moyen âge, Becmann, en 1763, lança le premier l'idée que cet ancien continent mystérieux pourrait bien être représenté encore fragmentairement par Madère, les Canaries et les Açores. C'est l'opinion à laquelle s'est rangé Voltaire dans son Dictionnaire. Depuis quelques années, à la faveur de données nouvelles géologiques, botaniques et zoologiques, les différents auteurs qui ont été amenés à s'occuper de la question penchent de plus en plus vers la même solution.

Entre l'axe surélevé et de nature volcanique qui forme une grande dorsale nord-sud dans l'Atlantique et le vieux continent, la fosse océanique est parsemée d'archipels. L'ensemble est généralement désigné sous le nom d'îles atlantiques. Les quatre archipels présentent, quant à leur constitution géologique et à leur aspect physique, de nombreux points communs. Tous sont volcaniques et presque entièrement constitués par des matériaux de projection. Leur activité volcanique a été considérable, même à une époque historique voisine de la nôtre. Tous les archipels sont également montagneux, coupés de vallées profondes et terminées du


64 CHRONIQUE GÉOGRAPHIQUE

côté de la mer par d'immenses falaises abruptes ou par des promontoires se prolongeant dans l'océan et par une chaîne d'écueils. Cependant la différence de latitude crée une légère nuance entre les diverses îles.

Enfin, les Açores, Madère, les Canaries et les îles du Cap Vert présentent une faune analogue mais sans rapport avec celle de l'Afrique tropicale. Par contre, les relations fauniqucs des archipels s'établissent très nettement, d'une part et surtout, avec la faune circaméditerranéenne et, d'autre part, mais à un degré moindre, avec la faune des Antilles cl de l'Amérique Centrale.

De ces faits surprenants à première vue il est légitime de tirer un certain nombre de conséquences.

C'est tout d'abord que les Açores, Madère, les Canaries et les îles du Cap Vert ont été autrefois réunies en une masse continentale unique qui est l'Atlantide. L'aire continentale ainsi définie se reliait à la Mauritanie et au Portugal et devait avoir pour limite sud une ligne de rivage qui, partant des environs du Cap Vert, traversait l'Alantique pour se rattacher à un point indéterminé du continent américain, probablement le Venezuela. Evidemment cette ligne sud n'est qu'hypothétique et tout à fait provisoire ; il faudrait pour la déterminer avec une approximation plus grande faire de nombreux sondages au large des îles du Cap Vert.

Sur une aussi vaste plateforme continentale les différences de climat devaient être relativement considérables. Tancis qu'au nord — qui était la partie la plus montagneuse — régnait un climat analogue à celui des régions méditerranéennes de l'Europe actuelle, au sud le climat était beaucoup plus sec, plus chaud, à peu près désertique.

La faune devait être en relation avec ces nuances de climat, mais nous n'en connaissons que ce que les îlestémoins ont conservé- De là, sans doute, la pauvreté en vertébrés et spécialement en mammifères.

L'Atlantide s'est effondrée beaucoup plus récemment que le continent africano-brésilien qui, aux époques antérieures au crétacé, unissait l'Amérique du Sud à l'Afrique équatoriale. La formation de l'océan Atlantique a dû s'effectuer ainsi en deux temps correspondant respectivement à l'effondrement du continent africano-brésilien et à celui de l'Atlantide.


CHRONIQUE GÉOGRAPHIQUE 65

Le continent de Platon se serait morcelé d'abord du côté des Antilles par un effondrement partiel qui dut créer une large fosse, grossièrement jalonnée par la Floride, les îles Bahama, les grandes et les petites Antilles ; ces terres restant à l'ouest de celte fosse.

A son tour ce continent se morcela, s'abîma sous les eaux en ne laissant subsister qu'une plateforme très vaste reliée seulement au continent par la Mauritanie ; plateforme qui peut-être se divisa d'abord en grands fragments isolant des îles étendues sur lesquelles la flore et la faune évoluèrent dans des directions plus ou moins différentes. Puis, à une époque très récente, — mais qu'il est impossible de préciser avec une absolue certitude — la masse continentale se dissocia complètement pour donner naissance aux Açores, à Madère, aux îles du Cap Vert, enfin aux îles Canaries. La séparation de ce dernier archipel, que M. Gentil considérait comme pliocène supérieur ou quaternaire, est certainement plus récente encore.

Telles sont les conclusions auxquelles la zoologie nous permet d'arriver. Les données géologiques concordent admirablement ; comme l'a montré récemment M. Termier. Sur la dorsale médiane de l'Atlantique dont nous parlions au début, à 900 kilomètres au nord des Açores, on a recueilli en 1898 des échantillons de lave arrachés au fond sousmarin. L'étude pétrographique de ces laves montre qu'elles n'ont pu se former qu'à l'air libre. Ainsi, « la terre qui constitue aujourd'hui le fond de l'Atlantique, à 900 kilomètres au nord des Açores, a été couverte de coulées de laves quand elle était encore émergée. Elle s'est par conséquent effondrée descendant de 3.000 mètres. L'aspect encore rugueux des laves montre que cet effondrement a dû être brusque ».

(D'après Les Annales de géographie, n° du 15 mai 1913.)

Le réseau intercolonial français de télégraphie

sans fil

Tombouctou va devenir le « Central africain » de la T.S.F. Ainsi le qualifie le projet de loi qui tend à créer un réseau intercolonial de T. S. F. Depuis 1910 Rufisque et Port-


66 CHRONIQUE GÉOGRAPHIQUE

Etienne échangent des correspondances avec les navires et l'Afrique occidentale a successivement ouvert à la correspondance Conakry, Monrovia et Tabou.

Le projet du gouvernement crée d'urgence deux lignes, la ligne d'Orient et celle d'Occident. La ligne d'Orient partirait d'un poste à établir dans le sud de la France, et comprendrait des postes : en Tunisie, à Djibouti, d'où un embranchement irait vers Madagascar avec rayonnement vers l'Afrique du Sud ; à Pondichéry et à Saigon, où une station très puissante va être construite par le gouvernement avec rayonnement sur l'Océan Indien et le Pacifique du Japon au nord, à Nouméa au sud.

La ligne du Sud-Amérique et de l'Afrique comprendrait les postes suivants : i poste dans le sud de la France (le même que pour la ligne précédente), i poste sur la côte ouest du Maroc, i à Colomb-Béchar, i au Sénégal, 1 à Tombouctou, i à Bangui, i à la Martinique.

Ces deux réseaux urgents seraient complétés par une ligne à travers le Pacifique reliant entre elles les lignes d'Orient et d'Occident et par une ligne du Nord-Amérique dont la station d'origine serait placée dans l'ouest de la France.

La dépense s'élèverait à environ 20 millions. Le programme serait réalisé en cinq ans, mais les deux lignes principales seraient ouvertes dès 1914.

(D'après L'Afrique française, février 1013 )

La Population de nos Colonies

Le dernier recensement connu (1911) a donné les chiffres suivants :

Asie. — Tonkin, 6.119.620 habitants, dont 5.534 nés en France ; Kouang-Tchéou-Wan, 168.071 habitants, dont 197 Français ; Inde Française, 272.808 habitants.

Afrique. — Gabon, 260.000 habitants, dont 537 Français ; Dahomey, 902.155 habitants, dont 5o4 Européens ; Guinée, 1.927.462 habitants, dont 1.126 Français ; Mauritanie, approximativement 260.000 habitants ; Sénégal, 1.247.301 habitants, dont 5.539 Européens ; Tchad, 2.000.000 d'habitants ramenés environ à i.5oo.ooo par le traité du 4 novembre 1911 ; Oubanghi-Chari, environ 311.000 indigènes.


CHRONIQUE GÉOGRAPHIQUE 67

Le Réunion. — 1-3.822 habitants. La Guadeloupe. — 212.43o habitants.

La Carte du Monde au 1/1.000.000e

Le Xe Congrès international des Sociétés de géographie qui s'est tenu à Rome au début du mois d'avril dernier a longuement parlé de la carte du monde au 1/1.000.000e. Une résolution ferme a été prise pour les teintes à adopter : bleu plus ou moins foncé pour la mer ; bistre pour les montagnes ; vert clair pour les plaines ; vert foncé pour les bois ; jaune pour les terrains incultes. Il a été également décidé que les cotes d'altitude seraient calculées selon le système métrique. La question de l'orthographe des noms géographiques a été examinée, mais malheureusement aucune décision ferme n'a été prise.

Les débats ont permis de constater où en était exactement l'exécution de cet important travail. L'Angleterre tient la tête ; sa tâche est presque achevée. En France, en Italie et au Japon plusieurs feuilles sont prêtes et les travaux sont poussés avec une grande activité. La Russie et les Etats-Unis se sont mis sérieusement à l'oeuvre. Quant à l'Allemagne et à l'Autriche-Hongrie, la carte du monde ne paraît pas les intéresser et les feuilles qui doivent être exécutées dans ces pays ne sont pas encore sur le chantier.

(D'après Le Mouvement géographique de Bruxelles, numéro du 4 mai 1913.)

Les Congrès

Un Congrès de Géographie commerciale et coloniale aura lieu à Barcelone, dans la première quinzaine de novembre 1913. Les travaux pourront être présentés dans la langue de tous les pays latins. A l'occasion du Congrès sera faite une grande exposition de cartes géographiques anciennes pour rendre hommage aux cartographes célèbres qui furent les précurseurs des grandes découvertes géographiques et, en conséquence, du développement commercial.

Dans la circulaire d'invitation la Société de Géographie


68 CHRONIQUE GÉOGRAPHIQUE

commerciale de Barcelone dit que « l'Espagne se trouve à une époque où elle s'oriente ouvertement vers l'expansion économique, et que c'est pour cette raison qu'un Congrès sera convoqué dans le grand port espagnol qui est le premier centre industriel et commercial du pays ».

* *

Le Xe Congrès international de Géographie s'est ouvert à Rome le 20 mars, comme le Bulletin l'avait annoncé. La France était fort bien représentée. Les Ministères de la guerre, de la marine, des travaux publics, de l'instruction publique ; les Sociétés de géographie avaient envoyé de nombreuses délégations. La Société de Géographie de Lyon était représentée par son président.

Dans la séance d'ouverture, le 28 mars, en présence du roi d'Italie, le Congrès décida de se diviser en huit sections pour travailler : Mathématiques, Géographie physique, Biogéographie, Anthropogéographie et Ethnographie, Géographie économique, Géographie régionale, Géographie historique et Histoire de la géographie.

Une série de voeux furent présentés et adoptés en fin de Congrès, entre autres relativement à la prochaine session. Il fut enfin décidé que le XI 9 Congrès international se tiendrait à Saint-Pétersbourg en 1916. La séance de clôture fut tenue le 3 avril, en présence du ministre de la marine.

Un certain nombre de réceptions et d'excursions eurent lieu à ce propos. La ville de Rome offrit aux congressistes une soirée dans les musées du Capitole. A Rome des excursions locales eurent pour but Tivoli, les châteaux romains avec les lacs d'Albano et de Nemi, Ostie, où des fouilles récentes ont mis à jour des constructions qui sont de véritables documents pour l'histoire du commerce. La principale excursion, qui eut lieu du 4 au 12 avril, mena les congressistes à Naples, Palerme et dans la région de l'Etna. Enfin des publications ont été distribuées aux congressistes, résumant les principaux mémoires qui avaient été lus au cours des séances.

Le i3 mai s'ouvrait également à Grenoble le L/e Congrès des Sociétés savantes, qui dura du i3 au 16. Parmi les communications les plus intéressantes qui furent faites à la section de géographie, présidée par MM. Vidal de La Blache,


CHRONIQUE GÉOGRAPHIQUE 69

membre de l'Institut, et L. Gallois, professeur à la Sorbonne, il convient de souligner celles de MM- B. Blanchard, professeur de géographie à la Faculté de Grenoble, et E. Chantre, de Lyon, membre de notre Société de Géographie.

M. R. Blanchard montra d'une façon extrêmement claire comment s'était formée la grande dépression subalpine française. Le drainage d'abord orienté est-ouest, normalement à l'axe de la chaîne, utilisait des vallées mortes actuellement, comme le seuil de Faverges et celui de Chambéry. Le Drac passait seul par la cluse de Voreppe, comme l'a montré récemment M. Marchai. Peu à peu, par une série de captures au profit du Drac, qui travaillait plus vite, le système hydrographique s'est organisé comme il est maintenant. La cluse de Faverges a cessé la première de fonctionner (altitude du seuil, 5oo m. environ). La rivière de Chambéry n'a été captée que très récemment (seuil vers 3oo m.). MM. Blanchard, Allix et Roux ont pu retrouver sur le plateau des Petites Roches des niveaux appartenant à ce stade et descendant en pente douce vers Chignin, soit à contre-pente du Grésivaudan.

M. Ernest Chantre lut les conclusions de ses recherches anthropologiques dans la Berbérie. orientale, c'est-à-dire la Tripolitaine, la Tunisie et l'Algérie. En même temps il présentait aux congressistes deux importants ouvrages, dont un atlas photographique, qu'il vient de publier en collaboration avec M. le docteur Bertholon, de Tunis, sur les races de ces pays que l'on a coutume d'appeler Arabes et qui ne sont autres choses que des Berbères arabisés sur certains points.

Us ont reconnu que quatre éléments avaient concouru à la formation de la population de la Berbérie :

Un élément négroïde, semblable aux Ethiopiens et, sans doute, autochtone ;

2° Un élément petit-brun à tête longue, le même qui a constitué les peuples des îles de la Méditerranée ;

3° Un élément petit, mais à tête ronde, rappelant les types de l'Asie-Mineure ;

4° Un élément très grand, apparenté aux EuropéensCes

EuropéensCes avant l'histoire, ont occupé le pays en nombre suffisant pour absorber les divers conquérants venus plus tard, tels que Phéniciens, Romains, Vandales, Arabes, etc., etc.


70 CHRONIQUE GÉOGRAPHIQUE

EUROPE

L'aménagement du Rhône

La question de l'aménagement du Rhône, au triple point de vue de la navigation, de la force motrice et de l'irrigation, est depuis longtemps à l'ordre du jour.

En ce qui concerne la navigation et la force motrice, l'Office des Transpoi'ts, à Lyon, qui groupe vingt-huit chambres de commerce du Sud-Est, avait organisé un concours. Il s'agissait d'ailleurs d'un concours d'idées plutôt que de projets définitifs.

Sur treize mémoires annoncés quatre ont été primés. Il est à remarquer que celui qui a le plus retenu l'attention du jury, dû à MM. Billet et Givoiset, est aussi le plus économique. Il se contente de proposer dix dérivations de 3o mètres de largeur et d'une longueur totale de 34 kilomètres pour contourner les sections des rapides. Sur chacune de ces sections serait établie une écluse pour racheter la différence de niveau. Ces travaux seraient surtout destinés à faciliter la remontée du fleuve qui serait utilisé tel qu'il est à la descente. Les travaux coûteraient 63 millions en tout.

Le projet Mollard envisage la création de dix barrages sur la section Lyon-Arles, avec dérivations annexées à quelques-uns d'entre eux. La navigation se ferait alternativement sur le fleuve et les dérivations. A l'aval de chacune serait établie une écluse et quand la chute serait suffisante une usine hydro-électrique. On pourrait ainsi produire en eaux moyennes une puissance de 4oo.ooo chevaux. Mais le prix prévu est très élevé : a84 millions.

Quant au projet de la Société des Grands Travaux de Marseille, il s'en tient à l'idée d'un canal latéral long de 269 kilomètres pourvu d'un grand port fluvial à Lyon sur la rive gauche du Rhône, face au confluent de la Saône. Le devis est de 3oo millions, non compris l'installation du port de Lyon.

M. Mouraille s'est contenté d'étudier un barrage à établir à Irigny, à 7 kilomètres en aval de Lyon, et qui, grâce à une dérivation de dix kilomètres dans la plaine de Feyzin et


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à l'établissement d'une usine de 20.000 chevaux, rendrait service à la fois à la navigation et à l'industrie.

Le jury s'est inspiré de ces projets pour rédiger un programme des travaux désirables sur le Rhône. Les principaux seraient un barrage à l'aval du confluent du Rhône, avec dérivation mixte éclusée, destinée à servir à la fois à la navigation et à la production de la force...; l'établissement d'un grand port fluvial bien outillé en eau calme à Lyon, sur la rive gauche du fleuve...; enfin, l'adoption des dérivations non éclusées proposées par MM. Billet et Givoiset pour obvier aux rapides, mais avec cette réserve qu'éventuellement une ou plusieurs d'entre elles pourraient être remplacées par une dérivation mixte de plus grande longueur, ouverte en vue de la création d'une usine hydro-électrique- Ainsi l'on s'efforcerait de satisfaire à la fois aux besoins de l'industrie hydroélectrique et de la navigation, malgré les conditions naturellement contradictoires qu'elles comportent.

(D'après Les Annales de géographie, n° de janvier 1913.)

La preuve définitive de la capture de la Moselle par la Meurthe

Cette question a fait l'objet d'un grand nombre de travaux. Mais jusqu'à présent on n'avait guère que des preuves morphologiques, c'est-à-dire fournies par les apparences du relief topographique, par la décroissance des cotes d'alluvions depuis la région de Toul, par l'aspect de cette vallée à grande allure, aux abords du val de l'Ane, plus visible encore sur le terrain que sur la carte ; mais on n'avait aucune preuve géologique. M. Nicklès vient enfin de les fournir indiscutables.

Une tranchée près du moulin de Longor a mis au jour les alluvions anciennes du fleuve qu'était la Moselle se reliant à la Meuse. Là, on a trouvé successivement, à la partie supérieure des éboulis meubles, calcaires, qui masquaient jusqu'à présent tout le substratum ; au-dessous, des sables argileux sur 1 à 2 mètres, puis une couche de sables blancs très friables, s'éboulant au moindre contact, imprégnés d'eau, micacés, dont l'origine granitique et par conséquent mosellienne, ne peut être mise en doute.


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Enfin, à la base, un conglomérat cohérent constitué par des sables siliceux grossiers et des galets très nombreux de quartzites dévoniennes, de quartz blanc, de galets de granité. Dans ce conglomérat on a trouvé divers ossements (Elephas Primigenius ?).

Ces observations montrent avec évidence que l'hypothèse de la communication ancienne de la Moselle et de la Meuse est parfaitement fondée. Elles permettent de plus de la dater; l'époque où elle touchait à sa fin est contemporaine de l'existence des éléphants et probablement de Y Elephas Primigenius.

De plus, on arrive presque à reconstituer l'histoire de la fin de cette communication. Les conglomérats correspondent à une période de courants rapides, c'est l'époque de la pleine communication. Aux sables fins correspond un ralentissement dans la vitesse de ce courant, la Moselle commençait à être saignée par la Meurthe à l'Est. Aux sables argileux semble correspondre une période marécageuse, période de stagnation pendant laquelle s'achevait la capture.

(D'après P. Lemoine, Revue scientifique, avril 1913.)

Un nouveau Canal maritime en Angleterre

Un comité anglais a mis à l'étude le projet de construction d'un grand canal maritime destiné à établir une communication directe entre Glasgow et la mer du Nord. Il s'agit en réalité de raccorder le Firth de Forth avec l'estuaire de la Clyde par une voie navigable qui traverserait toute l'Ecosse.

L'idée n'est, il est vrai, pas tout à fait nouvelle. Déjà, sous la reine Anne, l'auteur de Robinson, Daniel Defoe, en suggérait l'entreprise et les avantages pour le commerce britannique. On en reparla quand l'Ecosse fut annexée à l'Angleterre- On songea d'abord à creuser le canal entre le Forth et le Loch Lomond, ce qui était relativement facile, la plus grande partie du trajet devant avoir lieu dans la vallée ; mais les ingénieurs désapprouvèrent ce plan parce que la route n'était pas assez directe. On s'arrêta à la construction du Barge-Canal qui suivit un parcours plus rectiligne. Le BargeCanal rendit de grands services au trafic, mais il offrait l'inconvénient, à cause de son peu de profondeur, qui était à peine de trois mètres et demi, de ne pouvoir être utilisé par les bâtiments maritimes.


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Le nouveau projet permettra au contraire l'accessibilité à des navires de tout tonnage. On s'en occupe depuis une vingtaine d'années, mais le public n'a commencé à s'y intéresser qu'en 1891 et le gouvernement y a finalement accordé son appui. La « Route directe » sera à peu près parallèle au Barge-Canal. Elle partira de Grangemouth, au sud du Firth, et aboutira à six kilomètres de Glasgow. Le canal aura douze mètres de profondeur et avantagera considérablement ce port en faisant participer aux projets Liverpool et Belfast et en dispensant les bâtiments en destination des escales situées sur la rive occidentale de l'Angleterre, de faire le tour de l'Ecosse, ce qui est aujourd'hui dangereux à cause de la violence des bourrasques.

Le Développement économique de la Galicie

Pendant longtemps ce fut une idée généralement admise <jue la Galicie autrichienne était l'« antichambre du désert », la «presque Asie». En réalité cette province de la monarchie austro-hongroise est une des plus vivantes au point de vue économique.

Le véritable réveil de l'industrie en Galicie ne date que d'une trentaine d'années, depuis l'élaboration du programme industriel par le maréchal de la province Zyblikiewicz, en 1881, et la fondation de la « Landesbank », banque provinciale. Par la suite l'apparition des capitaux belges et anglais attirés par l'exploitation des mines de pétrole amenèrent le grand essor économique auquel nous assistons maintenant.

La Galicie possède, en effet, les conditions primordiales et essentielles du développement de la vie industrielle : le charbon, la tourbe, le pétrole et la houille blanche, en grande quantité, des minerais, des bois, des mines de sel à "VVieliezka et Bochnia. Aux portes de Cracovie s'étend, jusqu'à la frontière de la Silésie, un immense bassin de charbon de 1.600 kilomètres carrés que l'on estime à près de 5o milliards de tonnes. L'exploitation y commence seulement sur une grande échelle et en 1911 la production des cinq entreprises qui existent actuellement atteignit 160.000 wagons et va toujours en augmentant. A l'est se trouvent de nombreux gisements de lignite qui ne sont pas encore exploités


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d'une façon normale. La tourbe couvre environ 16.000 kilomètres carrés, 25 % de la surface totale de la Galicie. On commence seulement l'exploitation des forces hydrauliques que l'on évalue à 750.000 chevaux-vapeurs.

Actuellement on ne connaît guère, à l'étranger, que l'industrie du naphte qui ne date que de trente ans environ. Jusqu'en i884 l'exploitation s'y fit par des puits creusés à main d'homme jusqu'à 3oo mètres de profondeur et la production totale de toute la Galicie ne dépassait pas 3.000 tonnes. Ce n'est qu'en i8S5 qu'on utilisa pour la première fois des instruments de forage canadien et l'on poussa jusqu'à 5oo mètres de profondeur. Déjà en 1886 la production monta à 43.ooo tonnes. Ce mode d'exploitation se répandit sur toute la Galicie et grâce à la découverte des mines de Schodnica, dans le district de Drohobyce en 1894, la production monta en 1896 déjà à 3oo.ooo tonnes. Le bassin de Boryslaw, qui comprenait jusqu'à 320 puits, est presque épuisé, tandis que celui de Tustanovice tout proche, mis en exploitation en 1901, produisit, de igo3 à 1911, la quantité très imposante de 6.63o.2 20 tonnes. Depuis il y a une certaine diminution à constater puisque la production de 1911 ne fut que de 1.100.000 tonnes. Maintenant on étend les recherches entre Tustanovice et la frontière hongroise, d'un côté, et Boryslaw, de l'autre, en forant jusqu'à i.5oo mètres de profondeur, grâce à un nouvel outillage inventé par des ingénieurs autrichiens.

La capacité totale des réservoirs dépasse à l'heure actuelle 2-5oo.ooo tonnes et tout un immense réseau de conduites d'eau, de gaz, de pétrole, s'étend sur toute la région pétrolifère de Boryslaw, Tustanovice et Drohobyce. L'installation spéciale de la gare de Boryslaw mérite une mention particulière. Une grande partie de cette gare est réservée au chargement des wagons-citernes, qui se fait pour ainsi dire automatiquement grâce au grand nombre de conduites qui relient directement les diverses exploitations à la station d'embarquement. Ces opérations s'effectuent rapidement et sans aucune perte avec un minimum de dépenses.

Une des particularités de l'huile brute du bassin de Boryslaw-Tustanovice est la richesse élevée en parafine qui atteint le plus souvent 5 %, de sorte que presque toutes les raffineries de pétrole avaient dû installer leurs installations en


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vue de la production de la parafine. La capacité totale des raffineries d'Autriche-Hongrie atteint à l'heure actuelle environ 2 millions de tonnes, ce qui dépasse dt,- seaucoup les besoins de la consommation intérieure. Aussi l'exportation prend de plus en plus d'extension et c'est en Allemagne, en France, en Suisse et les pays balkaniques que les produits des raffineries de pétrole d'Autriche trouvent leurs débouchés.

Le développement social du pays marche de pair. En 1869 il n'y avait dans toute la Galicie que 2.460 écoles, pour la plupart à une seule classe. Maintenant il y en a plus de 6.000 avec r4.ooo classes. Le nombre des instituteurs est de 10.000 contre 3.i65, et celui des élèves de 1 million contre 164.000.

Cependant un point mérite qu'on s'y arrête plus longuement ; c'est celui de l'émigration qui prive le pays d'un grand nombre de travailleurs. Grâce à la législation foncière, qui ressemble beaucoup à celle de la France, la propriété du sol est extrêmement morcelée. La Galicie compte plus d'un million d'exploitations agricoles, dont 60.000 à peine de plus de 10 hectares et g5o.ooo de moins de 2 hectares. La « faim du sol » amène une exagération de la valeur de la terre, augmentée encore par ce fait que la population atteint dans toute la Galicie 102 habitants au kilomètre carré et que les trois quarts environ vivent de l'agriculture. Il n'y a que les grands et les moyens propriétaires qui puissent résister à cette spéculation du morcellement, tandis que les petits émigrent. Pour se faire une idée de l'importance de cette saignée il suffit de mentionner que près d'un demimillion d'hommes quitte tous les ans le sol natal : i5o.ooo pour aller outre mer et les autres pour travailler toute une saison dans la plupart des pays de l'Europe, surtout en Allemagne, mais aussi en France, où il existe une organisation spéciale des fabricants de sucre pour importation d'ouvriers agricoles de Galicie. Le nombre des mineurs polonais est extrêmement important en Westphalie et dans la Prusse Rhénane, où ils forment de véritables colonies, gardant leur langue, leurs coutumes nationales et portant même à cause de cela ombrage aux autorités prusiennes. Quoique le nombre d'émigrants qui reviennent au pays augmente d'une façon continue, il y a tout de même un énorme déchet,


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puisque les usines de l'Amérique du Nord seules consomment par an 33.ooo ouvriers autrichiens, pour la plupart Polonais. Au fur et à mesure que la vie industrielle se développe en Galicie cette exportation si nuisible, puisqu'elle atteint les producteurs et non les produits, ira toujours en diminuant.

(D'après Le Bulletin de la Société de Géographie commerciale de Paris, numéro de mars 1913.)

Emigration Autrichienne

L'émigration austro-hongroise fut, au cours de l'année 1912, d'une importance exceptionnelle. D'après les statistiques qui viennent d'être publiées un million de personnes ont passé la frontière. La plupart sont Slaves ; 275.000 quittaient la seule province de Galicie dans les cinq premiers moisLes

moisLes qui ont agité la monarchie ont certainement déterminé des milliers de sujets autrichiens à s'embarquer pour l'Amérique.

La percée du Loetschberg et ses conséquences

Le vendredi 20 juin igi3, les autorités suisses ont officiellement inauguré la nouvelle ligne du Loetschberg, qui relie par un long tunnel Berne à Brigues (Rhône). Ce chemin de fer a une grande importance internationale car il apportera une amélioration notable dans les communications existantes entre le nord de la France et la Belgique, d'une part ; la Suisse et l'Italie, d'autre part.

L'idée de percer le Loetschberg remonte à une trentaine d'années. Ce sont des capitaux et des constructeurs français qui ont assuré le succès de l'oeuvre. La ligne compte, outre un tunnel de 44 kilomètres construit en 1906-1911, 52 tunnels secondaires dont le plus important mesure 1.700 mètres. Elle sera exploitée par la traction électrique. Détail à noter : la ligne complètement achevée a été livrée quelques semaines avant le ier mai, date fixée par les contrats.

Cette nouvelle voie d'accès est surtout considérée en Suisse comme présentant un intérêt régional : en effet, elle va per-


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mettre au canton de Berne de détourner à son profit une partie du trafic qui enrichit Bâle par le Gothard et Lausanne par le Simplon.

II n'est pas douteux que la ligne de l'Est français ne s'efforce de diriger les transports via Lille-Nancy-Delle, ce qui mettra cette dernière localité à 750 kilomètres de Bologne, à 706 kilomètres de Calais. Ce parcours sera sensiblement diminué si l'on réalise le raccourci projeté de MoutierGrange. Le réseau de l'Est sera dès lors relié à Milan par une voie sensiblement plus courte que le Gothard et se trouvera dans de meilleures conditions pour garder le trafic de voyageurs anglais qu'Ostende ne réussit pas à détourner. Le trajet Nancy-Milan se fera désormais avec un gain de temps d'environ trois heures.

Pour la Belgique, par contre, c'est une menace. Le Loetschberg détournera fort probablement au profit de la France une partie assez sérieuse du trafic d'Ostende et d'Anvers. La question se pose donc pour nos voisins ou bien de s'entendre avec l'Est français ou bien d'obtenir du réseau alsacien l'amélioration de la section Luxembourg-Bâle.

(D'après Le Mouvement géographique, de Bruxelles, n° du 22 juin 1913.)

Les villes du Sandzak de Novi-Pazar

La disposition générale de ces villes porte une marque très ancienne et tend à évoquer les débuts de maintes villes de notre moyen âge. La plupart, en effet (Sjenica, Novi-Pazar, Berana, Bjelopolje), se composent essentiellement :

D'une forteresse plus ou moins vieille, presque toujours très délabrée, placée sur une légère éminence au coeur même ou sur un côté de la ville actuelle ;

20 D'un faubourg commercial : rue pavée, en général étroite (Sjenica, Bjelopolje), ou très large (Berana, Plevlje), longue parfois d'un kilomètre (Novi-Pazar), que borde de part et d'autre une enfilade de minuscules boutiques souvent précédées d'un auvent formant galerie et se serrant étroitement l'une contre l'autre. L'irrégularité de leurs formes et de leurs dimensions produit souvent un effet des plus pittoresques- Parfois la série se trouve interrompue par un « han » ouvrant largement sa double porte sur la cour carrée et la


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vaste écurie qui lui fait suite. C'est là le « carsija », l'artère vitale, l'élément caractéristique de la ville à la fois par son type de construction antique et surtout par le mode de vie qu'il concentre.

Tandis qu'au cours de la journée le marché présente une grande animation (particulièrement à Novi-Pazar, Sjenica, Bjelopolje), le soir venu toute la vie se retire. Chacun avec les grands volets de bois clôt sa boutique, son café, son auberge, pour aller passer la nuit dans le quartier où demeure sa famille. Autour de ce noyau initial qu'est la forteresse et le marché gravitent les différents quartiers ou <( mahala » au nombre parfois de huit ou neuf (Plevje) que sépare tantôt une simple, rue, tantôt une distance de cent ou deux cents mètres et même plus, avec des champs, des prés et aussi les emplacements réservés aux marchés aux grains, au bétail et au bois. Les mahala les plus éloignées sont généralement ceux qui sont occupés par les derniers arrivants (Plevlje, Sjenica). Les plus rapprochés du centre sont ceux habités par les meilleures et les plus anciennes familles musulmanes. Les quartiers chrétiens sont le plus souvent à distance et parfois comme relégués de l'autre côté de la vallée (Bjelopolje, Plevlje, Prjepolje, Novi-Pazar). Chacun de ces mahala a comme sa vie propre dont témoignent fréquemment en même temps que son nom, son église ou sa mosquée, ainsi que son cimetière (Sjenica).

A l'intérieur des mahala des rues sinueuses circulent entre deux rangées de palissades dépassant toujours la taille de l'homme, hautes parfois de deux à trois mètres, de sorte que le cavalier lui-même ne peut voir que le toit aux lattes de bois de la maison qui se dissimule derrière. Isolées dans leur enclos, généralement dépourvues d'annexés, avec derrière elles leur « cajri » (champ et pré), ces maisons reproduisent essentiellement le type musulman de Bosnie. Chez les Musulmans aisés elles se dédoublent en « selamluk » et « haremluk », toujours séparés l'un de l'autre par une haute clôture. A la différence du marché où la vie s'agite, bourdonne, ici au contraire elle est comme retirée : quelque groupe d'enfants, une silhouette voilée apparaissent seuls de temps à autre au détour d'une rue ; le contraste est saisissant.

Ces villes sont dépourvues de toute force de rayonnement sur le pays environnant. Elles semblent vivre de la même


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vie, accomplir toujours la même fonction depuis des siècles. Bien qu'elles soient toutes le siège de pouvoirs administratifs (mutessarif, kaïmakan, mudir), leur développement ne semble nullement en avoir été influencé. Leur rôle se réduit à être des centres d'échange plus ou moins actifs selon leur position et les ressources de la région. Bétail, fromage, laine, peaux, miel, toile et bois s'y échangent avec les grains, le sel, le tabac, le café, le sucre, apportés du dehors. C'est essentiellement le commerce qui les fait vivre ; aussi le commerçant y est-il l'homme influent...

(D'après Les Annales de Géographie, 1913, p. 57-58.)

Scutari et ses voies d'accès

Scutari est la plus grande ville des Balkans aux abords de l'Adriatique. Elle n'a jamais eu une importance comparable à celle de Salonique sur la mer Egée cl depuis un quart de siècle elle est bien déchue de son ancienne prospérité ; mais sa renaissance économique n'est nullement impossible.

Naguère Scutari était un lieu de transit commercial. Ses bazars recevaient les marchandises d'Occident qui y attendaient leur expédition vers l'intérieur, dans la direction d'Uskub, de Sofia et de Belgrade. Les produits méditerranéens étaient acheminés par la Boyana, alors navigable, vers son port, et de là dispersés dans tout l'empire turc. Mais d'année en année, depuis 1870, le recul devint plus marqué. L'ouverture des bouches du Danube, la construction des chemins de fer de Roumélie, l'indépendance des Etats chrétiens, l'absence d'entretien de la route du Drin, la politique d'isolement de l'Albanie, l'apathie du gouvernement turc, la naissance et le développement d'Antivari, l'enlisement de la Boyana ; tout contribua à cette décadence. Scutari est devenue une ville du passé.

La ville et le lac sont séparés par un kilomètre de marécages. La côte de Scutari à Vir Bazar, à l'autre extrémité du lac, est abrupte et dénudée ; les montagnes présentent des éboulements descendant jusqu'à la rive et des à-pics fréquents. Aussi, d'un bout à l'autre, n'aperçoit-on que deux ou trois villages non loin de Scutari, dont le principal, Skja, semble disparaître sur la masse du Mali-Krajs, dont les pentes entièrement dénudées projettent leur cailloutis jusqu'au bord


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du lac. La rive orientale offre un contraste frappant ; elle est si plate et si marécageuse que l'on distingue mal du large où finit l'eau et où commence la terre. A vrai dire, le basfond, dont une partie est remplie d'eau, s'étend sans rides jusqu'aux montagnes de la Malissia, hautes de 2.000 mètres, et qui ont toujours constitué le refuge des Albanais contre les Turcs.

Presque toute la côte orientale était turque, la frontière traversant le lac suivant une ligne nord-sud, et il faut parvenir jusqu'au petit port de Plavnitsa pour se trouver en territoire monténégrin.

Pour parvenir de Scutari et de l'Albanie du Nord on a le choix entre trois routes. Deux d'entre elles, les plus fréquentées et les plus commodes, empruntent dans toute sa longueur le lac ; la troisième, celle de la Boyana, est difficile d'accès ; son amélioration est à l'étude. On sait que le lac a une quarantaine de kilomètres sur douze de large. Les petits bateaux de la Compagnie d'Antivari effectuent la traversée en quatre heures environ. Le service assez médiocre est rendu difficile par l'absence complète de port. Les eaux sont si peu profondes que le bateau doit rester au large ; de grandes barques à fond plat, les « tondras », amènent de Scutari les passagers et les marchandises qu'il faut ainsi transborder. A Vir Bazar il en est de même ; le bateau stoppe à deux kilomètres de la rive. Certains services de bateaux, au lieu d'être directs de Scutari à Vir Bazar, font escale à Plavnitsa. Ce petit village, construit à l'embouchure de la rivière du même nom, n'a d'autre importance que d'être sur le lac la tête de la route qui conduit à PogdoritsaA

PogdoritsaA Bazar on peut choisir la route d'Antivari ou celle de Cettigné el de Cattaro. La première est sans aucun doute la roule commerciale ; mais la seconde est très fréquentée par les voyageurs. Ceux-ci, qui vont souvent à Trieste ou à Fiume, ou en viennent, empruntent les paquebots du Lloyd autrichien. Ils s'arrêtent alors au dernier port de commerce autrichien, Cattaro, au lieu de pousser jusqu'à Antivari. Au contraire, les personnes venant d'Italie utilisent les bateaux de la Puglia qui vont directement de Bari à Antivari et la voie ferrée italienne Antivari-Vir Bazar. Cette ligne, longue d'une trentaine de kilomètres, a été ouverte il y a deux ans par la même Société qui possédait la navigation sur le lac.


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La dislance à vol d'oiseau de Vir Bazar à '1 Adriatique est d'une dizaine de kilomètres et on peut la franchir assez facilement en escaladant des hauteurs de 700 mètres environ. Mais le Monténégro a voulu s'affranchir économiquement de l'Autriche et a confié ses intérêts aux Italiens. Il a voulu que sa ligne aboutit sur l'Adriatique en territoire monténégrin et dès lors celle-ci a dû s'infléchir vers le sud, suivre la frontière austro-monténégrine, franchir un seuil de 1.160 mètres d'altitude et gagner la côte à Pristan, sur le golfe d'Antivari, le premier port après la frontière. Le voyage gagne en pittoresque autant qu'en longueur.

Antivari est déjà et deviendra de plus en plus un centre italien placé à la frontière autrichienne, comme pour barrer une extension future. C'est une baie naturelle protégée contre les vents du sud, mais dont la côte, un peu marécageuse, était inhabitée. La ville d'Antivari est à 7 ou 8 kilomètres de là au flanc de la montagne. Les Italiens ont obtenu la concession du port ; la Compagnie d'Antivari y a construit des môles, des bassins et des quais. Depuis 1909 les navires accostent à quai au grand môle extérieur. La Compagnie a construit de toutes pièces la ville de Pristan au port même. L'affaire est d'ailleurs d'ordre politique plutôt qu'économique- La Compagnie d'Antivari est soutenue par la Banque commerciale italienne et le gouvernement royal. Comme Société elle est peu prospère ; la ligne de 43 kilomètres, large de 75 centimètres, avec des pentes de 4 %, n'est pas une brillante affaire. Pourtant le port a sur Dulcigno l'avantage de n'être ensablé par aucun torrent.

La seconde voie d'accès de Scutari vers l'Occident est depuis la construction de ce port et de ce chemin de fer réservée aux voyageurs. C'est la route par Rieka et Cettigné. A Rieka le bateau accoste au débarcadère et le service automobile conduit à Cettigné. Il faut presque trois heures pour franchir les i5 kilomètres qui séparent les deux villes, Cettigné étant à 65o mètres au-dessus du lac. La route est fort instructive au point de vue de la comparaison de l'activité monténégrine et de l'apathie turque.

(D'après Le Mouvement géographique de Bruxelles, numéro du 20 avril 1913.)


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La répartition de la population en Bulgarie avant la guerre

En 1909 la Bulgarie avait 4-252.000 habitants, soit 45 au kilomètre carré. En 1901 elle ne comptait que 3.744.000 habitants, soit 3g au kilomètre carré. C'est une densité assez faible comparativement à l'Europe occidentale et assez forte comparativement aux Etats balkaniques. Seules la Roumanie et la Serbie dépassent ce chiffre. Mais la population bulgare est composée d'éléments très disparates. Les Thraces, romanisés plus tard, forment le substratum- A ces éléments anciens se sont superposés au vie siècle des Slaves, au vu" des Bulgares, au vme des Turcs. Ces derniers occupèrent seulement les points stratégiques, c'est-à-dire les villes des bassins. Le grand fait nouveau c'est l'émigration des Turcs de ces bassins intérieurs et la lente descente des Bulgares de la montagne vers la plaine. Cela a bouleversé la répartition de la population. A l'heure actuelle — si paradoxal que le fait puisse paraître — ce sont les bassins riches du sud qui sont les moins peuplés. C'est qu'ils étaient habités jusqu'à ces derniers temps par les Turcs seuls, et que les Bulgares n'ont pas encore eu le temps de remplacer les émigrants. Si l'on examine la répartition de la population en altitude on trouve:

De 200 à 5oo mètres 39 % de la population

De 5oo à 900 mètres 45 % —

La raison de l'apparente dépopulation de la zone basse est la même que précédemment.

Les races composant actuellement le peuple bulgare reflètent les mélanges ethniques du passé. Les Bulgares sont 80 % du total ; dans l'ouest ils peuvent aller jusqu'à 90 % ; dans l'est, par contre, ils peuvent tomber à 10 %. Les Grecs, localisés sur les rives de la mer Noire sont 1 1/2 %. Les Turcs restent 12,75 %, groupés autour de toutes les anciennes forteresses. Les Roumains représentent 2,19 %, les Juifs, 9 % du total.

Suivant les régions le mode de groupement et la forme même des habitations varient. Dans les montagnes, la population se groupe en hameaux ; hors des montagnes, on a à faire aux gros villages, surtout dans les bassins. Les maisons


CHRONIQUE GÉOGRAPHIQUE 83

dans la plaine sont basses ; dans la montagne elles sont construites en pierre.

Quant aux villes, celles de la plaine ont l'aspect oriental avec leurs maisons basses, exception faite pour quelques-unes modernes, comme Sofia. Celles de la montagne s'étagent en amphithéâtre, témoin Tirnovo. Les anciennes forteresses turques, avec leur industrie à domicile, décroissent ; tandis que les villes situées sur les voies de communication croissent rapidement- A les considérer au point de vue de leur répartition géographique on pourrait classer ces villes ainsi. Les villes de la côte, grecques, subissent de plus en plus les influences bulgares : exemple Varna. Les villes du Danube sont des forteresses au débouché des vallées. Les villes de la voie longitudinale sont avant tout commerciales, comme Philippoppoli. Les villes du plateau nord-balkanique sont situées sur des coudes de rivière ou à la base des montagnes et en ce cas sont industrielles : témoin Tirnovo. Sofia est à mettre à pa*rt avec ses 102.000 habitants en 1910. De tout temps elle a été une capitale.

Projet d'irrigation dans le bassin du Haut-Aragon

Les bénéfices obtenus par la Real Compania de Canalizacion del Ebro Sindicato agricola depuis 1892 ont amené M. Romana, membre de son Conseil d'administration, à établir un gigantesque projet d'irrigation dans le HautAragon : « Riegos del alto Aragon ». A l'aide de deux réservoirs, l'un de 102 millions, l'autre de 182 millions de mètres cubes, et avec 327 kilomètres de canalisation principale, on arroserait 3oo.ooo hectares. Le devis s'élève à 160.734.437 pesetas, ce qui correspond à une dépense globale de 535 pesetas environ par hectare arrosé. La dépense n'est pas exagérée. Pour le canal d'Urgel, la dépense a été de. 427 pesetas ; pour celui d'Aragon y Cataluna, de 4oo pesetas par hectare.

La région qui doit être irriguée comprend des terrains en pente douce et de vastes plateaux. Elle commence à la cote 44o au-dessus du niveau de la mer pour finir à celle de 4o- Le pluviomètre y accuse des précipitations annuelles variant de 200 à 5oo millimètres, caractéristiques d'un climat aride ; aussi dans les périodes de sécheresse la population doit-elle émigrer faute de moyens de subsistance. On


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estime qu'actuellement il existe sur la zone que couvrira l'irrigation projetée 4.000 hectares de terre recevant un arrosage éventuel et 190.000 ne recevant aucun arrosage, mais consacrés à la culture des céréales surtout et sur une petite échelle à celle des oliviers et de la vigne ; enfin 100.000 hectares sont en friche.

La valeur de ces 3oo.ooo hectares est estimée actuellement io4 millions. Une fois l'irrigation terminée on estime que l'augmentation de valeur sera de 451 millions. En défalquant les frais d'entreprise il restera un gain de i56 millions pour la province, soit une augmentation de valeur de plus de 5o %.

Les terres que veut arroser M. Romana sont réparties entre plus de 22.000 propriétaires et il n'y a que huit domaines d'une étendue supérieure à 2.000 hectares. L'auteur du projet considère cette circonstance comme favorable, parce qu'un plus grand nombre de gens y sont intéressés.

L'entreprise semble devoir être assurée du •succès à en juger par une expérience analogue dont les résultats nous sont révélés par La Informacion Agricola, revue trimestrielle d'agriculture publiée à Madrid (numéro du Ier avril 1912). La propriété qui a servi de champ d'expérience a une superficie de 320 hectares et s'appelle El Carmen. Elle est située à 9 kilomètres, par un chemin vicinal de la station de Tamarite-Alcorricon, ligne de Saragosse à Barcelone. Sur ces 320 hectares, 278 font partie de la zone d'expansion du canal d'Aragon et Catalogne. Les résultats ont élé concluants et peuvent se résumer ainsi :

Deux cents hectares primitivement incultes ont été transformés et leur valeur augmentée de 5oo % sur le rendement moyen des cinq années précédentes ;

20 Plusieurs familles de travailleurs composant un ensemble de vingt-quatre individus ont ainsi trouvé un gagnepain ;

3° L'exemple a été suivi et un an après une autre propriété a été aménagée de même : celle de El PopuloIl

PopuloIl a dans cet ordre d'idées beaucoup à faire en Espagne. Ce serait un meilleur placement assurément que la conquête du Riff.

(D'après Le Bulletin de la Société de Géographie commerciale de Paris, février 1913, pp. 69-86.)


CHRONIQUE GÉOGRAPHIQUE 85

I

ASIE

Les Forêts du Japon

Le Japon est un des pays les plus boisés du monde. La superficie totale des forêts, y compris Formose et la partie sud de Shakhaline, atteint 3o.616.000 hectares, soit 67 % de la superficie totale du pays. Ce chiffre est très élevé ; dans les autres pays européens, en effet, la surface couverte en bois ne dépasse jamais 3o %. Dans l'île de Hokkaido la superficie des forêts atteint même 81 %, à Formose elle est de 80 %. Kiou-Siou, la plus pauvre en forêts, a encore les 36 % de son sol boisé.

Il est curieux de noter combien ces immenses étendues forestières sont peu la propriété des particuliers. Sur 3o.616.000 hectares, en effet, 18.220.000 appartiennent à TEtat ; 2.240.000 à la famille impériale : 3.528-000 à des églises ou des monastères ; 6.628.000 seulement aux particuliers, soit environ i/5.

Au point de vue géographique les forêts se répartissent en quatre zones : chaude, subtropicale, tempérée et froide. Elles contiennent environ 600 espèces botaniques, dont une faible quantité seulement a une valeur économique. Il faut signaler à ce propos le bambou qui réussit à merveille dans la zone tropicale chaude et le camphrier pour la zone subtropicale. C'est, bien entendu, dans la zone tempérée que se rencontrent le plus grand nombre d'espèces utilisables.

Le commerce du bois en planches est en rapide progrès à destination des zones déboisées du continent asiatique. Une importante exportation de traverses de chemin de fer a lieu sur l'Amérique du Nord. Actuellement 400 scieries sont occupées à ce travail. Le charbon de bois donne lieu également à un trafic considérable qui s'élève à près de 44 millions par an. Le camphre atteint à l'exportation 7 millions et demi.

(D'après la Deutsche Rundschau fur Géographie, Vienne, n° 6, 1913.)


CHRONIQUE GÉOGRAPHIQUE

Les ressources minières de la Chine

Les gisements de charbon sont importants en Chine et la production annuelle atteint i5.ooo.ooo de tonnes.

Les grands bassins houi 11ers se trouvent dans le nord-est, en Mandchourie, dans le Petchili — bassin de Kaiping, de 5o kilomètres de longueur sur 10 à i5 de largeur ■— et surtout dans les provinces du Shensi, du Shansi et du Honan.

Ces trois dernières provinces comprennent un bassin carbonifère dont l'extension, masquée en grande partie par la terre jaune ou simplement par les grès, semble considérable.

En Mandchourie le gisement le plus riche est à Fushun, au nord de Moukden, on l'évalue à 80 millions de tonnes et en 1910, par deux puits seulement, on en a extrait 83o.ooo tonnes. Dans la province du Chihlr se trouvent à Tongshan et Linsi-Kaiping les mines les plus riches de la Chine, d'où l'on extrait annuellement i./îoo.ooo tonnes environ. La province du Shantoung fournit annuellement 23o.ooo tonnes de houille grasse et 25o.ooo d'anthracite.

En partant du nord on rencontre un premier bassin dont le charbon est renommé pour sa pureté et son pouvoir calorifique. Les couches y sont multiples et leur faisceau principal a jusqu'à 8 et 10 mètres d'épaisseur. Elles couvrent une superficie de 120 kilomètres de longueur sur 25 de largeur. Leur exploitation a été jusqu'à présent fort restreinte en raison du manque de voies de communication.

Plus au sud le bassin du Shansi couvre 700 kilomètres de longueur sur 4oo de largeur. On estime qu'il y a une épaisseur moyenne de 12 mètres de houille représentant un cube de plus de 600 milliards de tonnes. Les couches étant à peu près horizontales peuvent être exploitées facilement et comme des niveaux de minerai de fer s'intercalent dans le même bassin celui-ci paraît appelé au plus remarquable avenir industriel. On l'a souvent comparé au bassin pensylvanien. Cette formation carbonifère du Shansi déborde au sud-ouest sur lajDrovince du Honan, où l'on trouve plus au sud quelques bassins indépendants.

Dans cette province du Shansi il y a un gisement d'anthracite d'une épaisseur exploitable d'environ G m. 5o pouvant


CHRONIQUE GÉOGRAPHIQUE 87

fournir 100.000 tonnes par hectare et couvrant une superficie considérable.

Bien que le fer soit abondamment répandu en Chine son extraction n'est pas très importante, elle ne dépasse pas 00.000 tonnes provenant du Shansi, par suite de la concurrence que créent aux produits indigènes les articles d'importation.

L'or a atteint une valeur de 8 millions en 1907 et 16 en 1908, provenant presque en totalité de la Mandchourie. L'argent ne dépasse pas une extraction annuelle de 3.000 kilogrammes dans la province du Chihli. Le cuivre, le plomb, l'arsenic existent en assez grande quantité dans le Yunnan, qui semble un des centres miniers d'avenir.

Enfin la Chine est le premier producteur d'antimoine dont l'exploitation, sous forme de régule, a passé de 3-goo tonnes en 1907 à 8.000 en 1908. Il provient de la province du Honan et est expédié principalement à Hankéou.

(D'après Le Mouvement géographique de Bruxelles, n° du 4 mai 1913.)

L'indépendance du Tibet

Après la Mongolie, qui a proclamé son indépendance à la fin de 1911, c'est maintenant le Tibet, à son tour, qui vient de manifester sa volonté de se soustraire à la suzeraineté de la Chine.

Le Dalaï-Lama a lancé une proclamation en cinq articles qui fixe les bases de son autorité et les principales règles de l'administration du pays.

Il y est dit que le Dalaï-Lama sera éternellement le chef de la religion des lamas jaunes et que ses fonctions seront héréditaires. Les Tibétains ne pourront avoir qu'une femme et la polygamie sera sévèrement punie. Tous les hommes, à partir de 16 ans, seront astreints au service militaire. Les étrangers ne pourront pas séjourner au Tibet, hormis les sujets anglais et indiens. Enfin, à partir du cinquième degré, les mandarins tibétains seront admis au Conseil supérieur de l'Etat, qui se réunira au palais du Dalaï-Lama, sous sa présidence.

Un premier cabinet a été constitué par le dieu vivant de


88 CHRONIQUE GÉOGRAPHIQUE

Lhassa. Il comprend quatre ministères, qui sont : les Affaires étrangères, la Guerre, les Finances et l'Intérieur.

Le Dalaï-Lama a manifesté son désir de pouvoir régler pour l'avenir ses relations avec la Chine. Il demande que le gouvernement de la République renonce à considérer le Tibet comme une province chinoise et à l'appui de cette prétention il déclare vouloir en revenir aux rapports qui existaient entre les deux pays il y a trois cents ans, c'està-dire avant le règne des Mandchous qui sont aujourd'hui renversés. Or, à cette époque, le Tibet jouissait d'une indépendance à peu près complète.

Il est probable que la Chine ne pourra pas plus empêcher le Tibet de se détacher d'elle qu'elle ne l'a pu pour la Mongolie. L'Angleterre se montre d'ailleurs favorable à l'autonomie du Tibet ; et c'est sans doute à sa reconnaissance que vont aboutir des négociations qui doivent se tenir à Darjeeling entre les représentants de la Grande-Bretagne, de la Chine et du Tibet.

Une singularité assez remarquable est que les deux pays qui se sont montrés vassaux peu fidèles à l'égard de la Chine sont l'un et l'autre placés sous l'autorité d'un dieu vivant. La Mongolie obéit au Khoutoukta d'Ourga ; le Tibet au Dalaï-Lama de Lhassa. Les deux dieux vivants s'entendent entre eux à merveille et, dès le mois de janvier de cette année, ils ont conclu un traité dans le but de se soutenir mutuellement- Par cet accord, le Dalaï-Lama reconnaît la proclamation du Khoutoukta comme souverain du peuple mongol, et celui-ci, de son côté, reconnaît la formation de l'Etat indépendant du Tibet et l'accession du Dalaï-Lama à sa souveraineté. La Mongolie et le Tibet s'engagent l'un et l'autre à contribuer à la propagation du boudhisme, à accorder mutuellement protection à leurs sujets respectifs, à ouvrir réciproquement leurs territoires au commerce de leurs marchandises et de leurs produits, et enfin de permettre même à leurs sujets de fonder des établissements industriels ou financiers dans l'un et l'autre pays. C'est le Bouriate Djordjief qui paraît avoir été l'intermédiaire dans les négociations de ce traité.

(D'après Le Bulletin de la Société de Géographie commerciale de Paris, 11° de juin 1913.)


CHRONIQUE GÉOGRAPHIQUE 89

Le projet de Transiranien

Une société d'études s'est récemment constituée en vue de préparer la construction d'une voie ferrée qui, traversant la Perse, unirait l'Inde à l'Europe. Sans doute il ne s'agit là que d'un simple projet dont la réalisation apparaît' encore très lointaine. Certains milieux politiques anglais n'en ont pas moins manifesté de vives inquiétudes. L'ancien vice-roi des Indes, lord Curzon, à la Chambre des lords a reproché au gouvernement d'avoir donné une approbation tacite à la Société d'études. Il s'est efforcé de montrer que la voie projetée nuirait aux intérêts économiques de l'empire britannique. Le commerce indo-persan, qui se fait actuellement par mer et se trouve ainsi sous la protection directe de la flotte anglaise, serait détourné partiellement au profit d'une route impossible à surveiller. De plus la voie ferrée pourrait être utilisée un jour par les armées russes ; ainsi se trouverait compromise la défense de l'Inde.

Les idées de lord Curzon représentent, peut-on dire, la thèse traditionnaliste. Mais la situation actuelle de l'Inde atténue la valeur de quelques-uns de ses arguments. Actuellement la Russie a cessé d'être la grande rivale de l'Angleterre (accord anglo-russe de 1907). D'autre part, avec les moyens de communication modernes et les exigences de la concurrence économique, il est bien difficile de maintenir isolé un pays comme l'empire des Indes.

Aussi le vicomte Morley, répondant à lord Curzon, a-t-il justement fait observer que le gouvernement britannique ne pouvait être systématiquement hostile au projet de voie ferrée sans risquer de voir celle-ci construite un jour sans lui et même contre lui. La Société d'études a donc le champ libre, sauf intervention possible du gouvernement anglais pour faire modifier le tracé s'il y a lieu.

Le réseau télégraphique des Indes orientales hollandaises

Le début des communications télégraphiques inter-insulaires aux Indes orientales hollandaises date de i856. A cette date le premier message fut expédié de Batavia à Buitenzorg.


90 CHRONIQUE GÉOGRAPHIQUE

Depuis le réseau terrestre a atteint un grand développement, surtout à Java.

Le premier câble fut posé entre Java et Sumatra en i865. La première liaison avec le reste du monde date de 1870, lorsque la « British Australian Telegraph C° » posa un câble de Singapour à Java et l'année suivante un autre de Java en Australie.

Depuis 1873 la Compagnie, reformée sous le nom de « Eastern Extension Australasia and China and Telegraph C° », a établi de nouvelles liaisons. En même temps les câbles allemands et français venaient fixer leur terminus, le premier à Menado (Gélèbes), le second à Pontianak (Bornéo).

Actuellement les projets du gouvernement hollandais comportent un câble de Padang, sur la côte sud-ouest de Sumatra à Batavia, avec prolongement à Balikpapan dans l'île de Bornéo, et des stations radiotélégraphiques à Java, Timor et Amboina.

(D'après le Geographical Journal, mai 1913.)

AFRIQUE

L'état Tangerois

La France, l'Angleterre et l'Espagne viennent de se mettre d'accord sur les principes suivant lesquels sera organisé Tanger. Ce sera une situation unique au monde. Ce territoire, en effet, sera administré internationalement tout en continuant à faire fictivement partie de l'empire marocain dont les traités continuent à affirmer l'intégrité nominale. On a concilié tout cela de la manière suivante. Le sultan aura dans la ville un Khalifa qui gérera les biens du makhzen et les biens habous. La ville et la banlieue qui lui est adjointe aura un conseil municipal qui gérera son budget et sera élu par les habitants répartis en trois curies : curie musulmane, curie israélite, curie des résidents étrangers. Au-dessus de ce conseil municipal sera constituée une commission de contrôle composée des consuls des puissances qui ont signé 1 acte d'Algésiras et du Khalifa du sultan. Cette commission


CHRONIQUE GÉOGRAPHIQUE 91

de contrôle nommera un administrateur qui remplira le rôle de pouvoir exécutif. Les droits de douane continueront à être perçus par le service de la dette.

Le territoire de cette sorte de république internationale comprendra l'angle nord-ouest du Maroc. Au nord et à l'ouest il sera borné par la mer, au sud par le cours de l'oued M'harhon, à l'est par une ligne se détachant de cette rivière pour monter jusquà Punta Altarès sur le détroit de Gibraltar.

(D'après La Quinzaine coloniale, 25 février 1913, p. 124.)

Le chemin de fer de Tanger à Fez

La Commission franco-espagnole, composée de MM. Rendelues et Villares pour l'Espagne, et de M. Delure pour la France, s'est réunie à Paris pour s'entendre sur le mode de concession du chemin de fer de Tanger à Fez. Le projet qu'elle a arrêté d'un commun accord a été transmis au gouvernement espagnol qui selon toute vraisemblance l'approuvera sans restriction.

Il a été décidé que la société concessionnaire serait constituée sous la loi française, mais que ses statuts seraient soumis à l'approbation du gouvernement espagnol. Le directeur sera français, mais il sera assisté d'un directeur-adjoint espagnol qui sera collaborateur immédiat dans toutes les questions d'administration.

Un système ingénieux a été imaginé pour la répartition des dépenses de construction et d'exploitation. La ligne, qui mesurera plus de 3oo kilomètres, comprendra trois sections, savoir : environ 200 kilomètres en territoire français, près de 100 en territoire espagnol et une quinzaine dans la zone de Tanger. Chaque section aura son autonomie financière ; elle exécutera à ses frais les dépenses qui la concerneront spécialement ; quant aux dépenses d'intérêt général elles seront réparties en trois sections en prenant pour base le parcours kilométrique des trains.

Cette autonomie financière permettra à chacun des deux gouvernements de procéder plus tard, s'il le juge bon, au rachat de sa section, ainsi qu'il a été prévu dans le protocole annexé au traité franco-espagnol du 27 novembre.


92 ■ CHRONIQUE GÉOGRAPHIQUE

Le tracé dans la zone française partira de Fez, passera par Meknès et coupera le Sebou non loin de l'embouchure de l'oued R'dom. Ainsi qu'on l'avait fait prévoir c'est la voie à écartement normal qui a été adoptée.

Il est probable que la Société franco-espagnole concessionnaire pourra désormais être rapidement constituée. (D'après Le Mouvement géographique de Bruxelles, numéro du 4 mai 1913.)

Les régions naturelles de la Chaouïa

La Chaouïa devait autrefois être recouverte dans sa partie sablonneuse septentrionale par des forêts broussailleuses très denses de chênes-lièges et dans ses parties argileuses centrale et méridionale par des steppes à palmiers nains.

Ces deux faciès, le second surtout, ont été profondément modifiés et réduits par l'extension considérable des cultures, surtout des céréales.

Actuellement, en pénétrant dans la Chaouïa, depuis le rivage jusqu'aux champs rocailleux du Tadla, on rencontre trois zones bien distinctes, parallèles à la mer, avec deux marges profondément différentes formées par les deux oueds frontières. On peut étudier la première zone aux environs de Casablanca et de Bou Skoura, la seconde dans la plaine de Ber-Rechid, la troisième sur le plateau de Settat.

La Basse Chaouïa présente une zone littorale de minime largeur, sablonneuse ou rocheuse, et une zone sublittorale ou sahel, de i5 à 20 kilomètres d'étendue, toujours très sablonneuse. La zone littorale, représentée par des sables et de petites dunes ou par des falaises rocheuses peu élevées, a une flore peu variée et sans caractère bien spécial. Le Sahel, au contraire, riche en stations botaniques plus variées, offre un tapis végétal plus intéressant.

La moyenne Chaouïa, avec la plaine de Ber-Rechid, est caractérisée par ses terres fortes argilo-calcaires, l'extrême développement de ses moissons, l'absence d'arbres quelconques.

La haute Chaouïa, avec le plateau calcaire de Settat, s'élève de 4oo à 750 mètres d'altitude. Les vallées toujours fertiles sont remarquables par leurs cultures et leurs moissons ; les


CHRONIQUE GÉOGRAPHIQUE 93

pentes sont plus arides et la partie supérieure du plateau offre une abondance extraordinaire de palmiers nains, associés à des labiées ligneuses et des graminées.

Puis, peu à peu, la végétation se raréfie- Vers le sud-est, dès Dar-Chafaï, les champs deviennent de plus en plus pierreux et la rive gauche de l'oued Oum-er-Rbia, en Tadla, étale, à perte de vue ses rocailles arides et desséchées dès les derniers jours de mai.

Les deux marges de la Chaouïa sont formées au nord par la vallée de l'oued Cherrat, au sud par celle de l'oued Oumer-Rbia. La vallée de l'oued Cherrat, souvent très encaissée par les, montagnes voisines, est couverte d'une vaste forêt de chênes-lièges, parfois de thuyas, malheureusement décimée par les indigènes pour la fabrication du charbon, la récolte des écorces tannantes, enfin pour l'installation de pâturages destinés à assurer l'existence des troupeaux. Bien que l'oued ne soit représenté pendant l'été que par un chapelet de vasques remplies d'eau, la vallée demeure très humide et l'abondance des plantes hygrophiles qui l'habitent est particulièrement frappante pour cette latitude.

Au contraire, la vallée de l'oued Oum-er-Rbia, bien que parfois profondément encaissée, demeure très aride, malgré l'abondance des eaux que le fleuve roule en toute saison. Sur les bords immédiats on rencontre toute une série d'espèces végétales très volontiers désertiques. On sent l'approche de la région saharienne.

La Chaouïa établit donc la transition entre le Maroc septentrional, à flore nettement méditerranéenne, et le Maroc méridional, saharien. Sa situation géographique laissait prévoir cette conclusion. Cependant, très heureusement pour l'avenir des cultures, la Chaouïa se trouve comprise presque en totalité dans la province botanique marocaine à flore septentrionale, nettement méditerranéenne. Ce n'est que dans l'extrême-sud de la Chaouïa, à quelques kilomètres au nord de Mechra-ben-Abou, que le sol devient plus aride. Ainsi, dans aucune partie de l'Afrique du Nord, la flore méditerranéenne n'atteint un aussi puissant développement et une marge aussi méridionale.

(D'après une Note de Pitard dans les C. R. Acad. Sciences, séance du 19 mai 1913.)


9i CHRONIQUE GÉOGRAPHIQUE

Le développement économique de la Chaouïa

Un arrêté du général Lyautey vient de constituer la Chaouïa en région civile. Le numéro du Bulletin Officiel, où est promulgué l'arrêté résidentiel publie en même temps sur études que nos officiers du service des renseignements y études que nous officiers du service des renseignements y ont faites depuis cinq ans.

La Chaouïa a une étendue de 10.000 kilomètres carrés. Elle est peuplée de 198.000 âmes. Dans le nombre il y a 27.000 propriétaires indigènes cultivant 376.000 hectares, soit 38 % de la superficie totale. On compte en outre déjà 200 propriétaires européens, dont 127 Français, lesquels se partagent 24.000 hectares, dont la valeur est estimée à 2 millions de francs. Par suite du manque de routes carrossables, de chemins de fer et de l'achat récent de ces domaines, il en est bien peu encore qui soient exploités à l'européenne ; la plupart continuent à être cultivés par des métayers ou des fermiers indigènes.

Les terres de la Chaouïa se divisent en Tirs et en SahelLes tirs correspondent en général à ce que les colons algériens appellent les « terres fortes » ; ce sont en majeure partie des «terres noires», à cause du pourcentage d'humus qu'elles contiennent. Mais il y a aussi des Tirs rougeâtres dans les régions où se trouve de l'oxyde de fer.

Les Sahel sont des terres légères, sablonneuses, qui occupent de grandes étendues. Elles forment notamment une bande de i5 à 25 kilomètres de largeur tout le long de la mer. Les indigènes attirés par les terres très productives des Tirs ont négligé les Sahels, ne les ont pas défrichés et se bornent à y faire paccager leurs troupeaux. Aussi sont-ils généralement envahis par les palmiers nains. Ils n'en conviennent pas moins très bien à certaines cultures, comme celle des primeurs, par exemple. Mais il n'y a pas lieu d'espérer qu'ils seront défrichés avant que la colonisation européenne ne se soit solidement installée, car l'opération exige une dépense de 80 à 100 francs par hectare.

D'après la notice, le climat sur le littoral atlantique est plus humide que sur le littoral méditerranéen. Les pluies sont beaucoup plus abondantes d'octobre à mai et même


CHRONIQUE GÉOGRAPHIQUE 95

dans les années les plus défavorables on ne voit jamais les récoltes manquer absolument comme dans trop de régions de l'Algérie et de la Tunisie. Les cultures les plus répandues dans la Chaouïa sont, par ordre d'importance, l'orge, qui couvrait à elle seule en rgri 198.000 hectares, c'est-à-dire plus de la moitié des terres cultivées, le blé, le maïs, les pois

chiches

La notice fait remarquer avec raison que dans la plaine de la Mitidja il existe 352.000 indigènes vivant sur i85.ooo hectares cultivés ; les propriétés indigènes de la Chaouïa sont donc beaucoup plus étendues que celles de cette région algérienne. Comment se fait-il cependant que sur des champs beaucoup plus restreints les indigènes algériens puissent non seulement vivre, mais encore prospérer puisqu'on voit un certain nombre d'entre eux racheter des terres aux colons européens à des prix élevés qui vont jusqu'à 1.000 et même 2.000 francs l'hectare ? C'est que sous l'impression de l'exemple donné par les Européens, les indigènes de la Mitidja ont appris à varier beaucoup leurs cultures : outre les produits déjà connus de la Chaouïa ils ont encore des fourrages, des tabacs, des vignes, des vergers et des jardins maraîchers. Tout cela ne manquera pas de pénétrer peu à peu dans la Chaouïa. Déjà les colons y ont introduit le blé tendre qui y était inconnu et qui couvrait en 1911 20.000 hectares. On ne peut donc que s'associer à la conclusion du Bulletin officiel qui termine ainsi sa notice : « En examinant de plus près le parti que les Européens et les indigènes ont tiré de la zone de culture de l'arrondissement d'Alger, zone plus restreinte que celfe de la Chaouïa, moins riche en terres fertiles, dotée d'un régime de pluies moins abondant, on peut déjà entrevoir le magnifique avenir réservé à cette province marocaine et à celles qui l'avoisinent, lorsque l'oeuvre de régénération économique, l'oeuvre de colonisation et le temps auront fait leur oeuvre. »

(D'après La Quinzaine coloniale, du 25 avril 1913.)

Alger second port français

Alger se serait édifiée, en partie du moins, sur l'emplacement de l'antique colonie nomaine d'Icosium. A l'époque de l'invasion arabe elle était occupée par les Berbères et sa


96 CHRONIQUE GÉOGRAPHIQUE

prospérité aurait été notoire. Elle était, en effet, le débouché tout naturel de la plaine de la Mitidja que visitaient les commerçants d'Hippone ou de Carthage ; aussi devint-elle un marché actifLorsque

actifLorsque nous y établîmes, au xixe siècle, ce n'était qu'un abri bien précaire. Il consistait en un simple port constitué par le rocher dit « Ilot de la marine », relié à la terre ferme par cette digue d'environ 200 mètres de longueur désignée aujourd'hui sous le nom de « rampe de l'Amirauté », et une amorce de jetée laissant au sud une passe de près de i5o mètres. C'était comme un embryon de port d'une superficie d'environ 3 hectares, c'est la darse actuelle utilisée par la marine de guerre pour l'atterrissage des torpilleurs.

On songea donc à améliorer le port aussitôt. Dès 1837 la prolongation du môle fut résolue vers le sud-sud-ouest ; le but étant de chercher à assurer un meilleur refuge aux vaisseaux. Mais on ne le prolongea pas bien loin dans cette direction, l'idée étant venue de chercher à couvrir une plus vaste surface d'eau. Aussi poussa-t-on la jetée vers l'est. Les travaux furent interrompus dans le doute existant alors, si la France conserverait ou non sa nouvelle conquête.

Mais enfin on comprit l'intérêt qu'elle présentait et les travaux furent 1 épris. Toute une série de projets furent étudiés sans résultat. Toujours est-il qu'en 1870 le port présentait une enceinte de jetées avec deux passes, des quais depuis la vieille darse jusqu'à la gare, car l'Algérie avait été dotée d'un réseau ferré avec Alger comme centre ; de plus le port possédait deux cales de radoub. Des voûtes utilisées comme magasins s'élevaient en retrait, servant de socle pour ainsi dire à la ville moderne et à ce magnifique boulevardterrasse de la République. Le port prenait de l'ampleur car quelques années plus tard on complétait les travaux ; si bien qu'en i885 de nouveaux quais s'allongeaient au sud, la passe fut rétrécie et la grande jetée prolongée. Des années se passèrent sans qu'aucun travail sérieux ne fut exécuté et ce jusque vers 1890-1892.

A cette époque le port se présentait de la façon suivante. Deux grandes jetées le limitaient : celle du nord décrivant une courbe mesurait près de 900 mètres de longueur, celle du sud composée de deux branches s'allongeait presque


CHRONIQUE GÉOGRAPHIQUE 97

parallèlement aux quais. Elles enclosaient une surface d'eau d'environ 90 hectares. Si la vieille darse manquait de profondeur, par contre le port avait des fonds pour les plus gros navires. Des quais représentaient une superficie de plus de 20 hectares et mesuraient au moins un kilomètre et demi de développement. Mais le mouvement maritime s'accroissant rapidement le manque d'ampleur apparut bientôt et il fallut songer à gagner du terrain. On ne crut pas pouvoir mieux faire que d'étendre le port au sud.

Aussi, dès 1898, on entreprit la construction de l'arrièreport de l'Agha, du nom de la baie ainsi utilisée en partie. L'exécution du gros-oeuvre dura six ans. Le nouveau bassin offre une superficie d'eau de 35 hectares et de terre-pleins d'une vingtaine d'hectares. Il aura coûté près d'une dizaine de millions. Et malgré tout l'aménagement du port d'Alger ne répond plus aux besoins.

Un projet grandiose a été mis à l'étude il y a quelques années. Ce projet d'extension vers le sud-est a été présenté par le service des Ponts et Chaussées et a été adopté en principe par la Chambre de commerce au mois de juin 1911. Les travaux estimés dans leur ensemble à plus de 100 millions pourraient être exécutés en deux portions d'à peu près égale importance. Ils comportent la création d'un vaste avant-port et d'un non moins vaste bassin parallèle au fond de la baie de l'Agha- L'avant-port, d'une superficie de 110 hectares serait formé d'une part par le prolongement de la jetée nord d'Alger, sur une longueur de 85o mètres, et d'autre part par une jetée nord-est de 870 mètres de longueur ayant son origine à l'extrémité nord du nouveau bassin, avec une passe de 175 mètres. Le nouveau bassin serait limité au nord-est par une jetée-môle de 1.890 mètres de longueur sur 100 de largeur et au sud-est par un long môle de plus de 1.200 sur i4o mètres de largeur.

Dans l'intérieur de ce colossal bassin on édifierait cinq môles obliques. Un emplacement serait réservé pour le creusement de trois formes de radoub. L'ensemble offrirait une nappe d'eau de i5o hectares et une surface de terre-pleins de 175 hectares environ. Le plan des nouveaux bassins a été conçu sur celui des grands ports modernes : Rotterdam, Dunkerque, Buenos-Ayres.

Ces projets ne doivent pas étonner si l'on tient compte de


98 CHRONIQUE GÉOGRAPHIQUE

l'importance toujours grandissante du port d'Alger. A l'époque de la conquête le commerce de l'Algérie ne s'élevait pas à 10 millions ; il en dépassait ioo une dizaine d'années après et passait à 200 vers 1860. En 1870 il était de 3oo millions et de 5oo en 1890, Enfin en 1910 il dépassait le milliard. Le mouvement des ports algériens suivait la progression. D'après les statistiques de la Chambre de commerce on note pour Alger :

1900 plus de 6.000 navires

igo5 10.000

1907 H. 000 —

1911 12.000 —

Le tonnage montait proportionnellement :

1900 5 millions de tonnes

igo5 10 — —

i9°7 l3 — —

1911 16 4 — —

Alger conquérait ainsi la seconde place parmi les ports français. Il laissait loin derrière lui le port d'Oran, cependant très important.

Mais ce qui augmente beaucoup son tonnage ce sont les passages de grands paquebots étrangers provenant des grandes lignes de l'Atlantique et de l'Extrême-Orient, qui viennent charbonner et laissent ou prennent peu de passagers et de marchandises. C'est donc avant tout un port de relâche.

Son commerce propre consiste surtout en produits agricoles et particulièrement en vins qui s'exportent par dizaines de millions de francs, saris oublier les primeurs, dont l'exportation se développe de jour en jour- Les minerais apportent maintenant un appoint sérieux.

(D'après Le Bulletin de la Société de Géographie commerciale de Paris, numéro d'avril 1913.)

La population de la Tunisie

Le recensement de la population européenne effectué dans la régence de Tunis, à la date du i5 décembre 1911, a donné


CHRONIQUE GÉOGRAPHIQUE 99

les résultats suivants, en face desquels nous indiquons ceux de 1906.

En 1905 En 1911

Français 34-6io 46.o44

Italiens 8I.I56 88.082

Anglo-Maltais io.33o n.3oo

Espagnols 600 587

Grecs 683 996

Divers i.5i6 1-767

La population italienne de Tunisie ne s'est donc accrue pendant ces cinq années que de 6.926 unités, tandis que la française a augmenté de 11.434- Voici d'ailleurs les étapes de la population française tunisienne depuis vingt ans : 9.973 en 1891, 16.207 (^96) ; 25.201 (1901) ; 34-6io (1906) ; 43.o44 (ig11)-

Les résultats delà Mission d'études du Transafricain

La Société d'étude des Chemins de fer transafricains avait fait part au ministre de la guerre de son désir d'organiser une mission qui, partant d'Algérie, irait reconnaître le tracé d'une voie ferrée destinée à relier les possessions françaises de l'Afrique du Nord au Soudan français et à l'Afrique équatoriale. Le 20 décembre 1911, le ministre de la guerre, d'accord avec son collègue des colonies, accordait satisfaction à la demande de la Société. Le 17 janvier 1912 la mission Nieger s'embarquait à Marseille.

Le but de la mission était de reconnaître d'une part la portion du tracé d'un chemin de fer transafricain comprise entre In-Salah (oasis sahariennes) et le Tchad, et, d'autre part, le tracé d'un embranchement qui, se détachant de la ligne principale à hauteur de la corne sud-ouest du Ahaggar, aboutirait au Niger entre Gao-Gao et le Tilemsi. Le 20 février la mission était à El-Aoulef, oasis du Tidikelt, point de départ indiqué des travaux.

L'itinéraire, arrêté sur les propositions du chef de la mission, corroborées par les avis particulièrement compétents du général Laperrine, partait d'El-Aoulef, se dirigeait sur la corne sud-ouest du Ahaggar, l'ascension du plateau devant avoir lieu par la brèche ouverte entre le massif du Mouydir


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et celui de l'Ahnet. Il longeait ensuite à l'ouest les contreforts du Ahaggar jusqu'à Silet, puis détachait vers le Niger un groupe d'études qui gagnerait le fleuve par l'ouest des contreforts de l'Adrar nigritien, débouchait sur le tanezroufl des Touareg Ahaggar. La direction ultérieure passait au sud du massif de l'Aïr et gagnait en ligne droite le Tchad.

Le chef de la mission décida de ne pas se borner à la reconnaissance d'un itinéraire unique. Aussi la mission se divisa-t-elle en plusieurs groupes. Chacun de ces groupes se morcela en un nombre variable d'équipes opérant tantôt parallèlement, tantôt sur des directions convergentes, à plus ou moins grande distance les unes des autres. L'emploi de cette méthode permit de couvrir d'un véritable réseau d'itinéraires toute la région intéressante.

Le 2 mai la première partie de la reconnaissance jusqu'à Silet était terminée. Celte région répond exactement, sur les directions reconnues, au désir exprimé par les techniciens de voir le tracé accéder au plateau du Ahaggar en évitant les trop considérables obstacles topographiques. Elle présente par voie de conséquence les plus grandes difficultés pour le ravitaillement en eau.

Pour des besoins matériels, la mission séjourna une quinzaine de jours à Silet. Ce n'est que le 16 mai qu'elle entreprit la seconde partie de sa tâche. Un groupe prit la direction d'Agadès ; un autre gagna par Timissao et le versant occidental de l'Adrar la vallée du Niger. Le premier des deux groupes eut à traverser l'immense plateau du tanezrouft qui sépare l'Ahaggar du Soudan. Durant cette traversée le groupe principal détacha à In-Guezzan un nouveau groupe qui devait piquer droit sur le poste de Menaka et rejoindre de là Ansongo.

La traversée de l'Aïr fut particulièrement pénible. En effet, entre l'Ahaggar et l'Aïr s'élève une barrière à assise granitique : le tassili du Ahaggar qui, assez abondamment pourvu de points d'eau, facilite le passage des caravanes, mais présenterait le plus sérieux obstacle à l'établissement d'une voie ferrée. Le capitaine Niéger décida donc, suivant le programme qui lui avait été tracé, de chercher vers l'ouest la tête de ce mouvement de terrain et renonça par suite aux facilités qu'offre la traversée du massif.

La dernière partie de l'itinéraire, d'Agadès à N'Guigmi,


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offrit plus de difficultés qu'on ne l'avait cru par suite de la région fiévreuse. N'Guigmi fut atteint le i3 septembre. Du r3 au 26 on explora les abords du lac Tchad. Le 26 septembre 1912 la mission Niéger avait entièrement rempli le programme qui lui avait été tracé et prenait le chemin du retour.

La mission a pu rapporter un minimum de i5.ooo kilomètres d'itinéraires nouveaux appuyés sur les coordonnées géographiques de i5o points obtenus selon les circonstances par les méthodes astronomiques ou géodésiques. Ces itinéraires ont, d'autre part, été nivelés en appliquant les méthodes barométriques les plus précises de façon à rendre possible l'établissement des profils en long et des profils en travers des tracés reconnus. Enfin l'exécution d'une série de levés au tachéomètre a permis d'échantillonner les diverses natures de terrains sahariens et soudanais et d'étudier par le détail les points les plus intéressants : obstacles importants, lignes de faîte, vallées...

Il serait prématuré de présenter des conclusions avant que les travaux mis au net n'aient été examinés par les techniciens ; cependant on peut d'ores et déjà signaler l'extrême simplicité du tracé de la voie qui convenablement choisi ne doit se heurter à aucun obstacle sérieux de quelque nature qu'il soit.

(D'après La Géographie, n° de février 1913.)

La production de la laine et l'Introduction du Mérinos en Afrique occidentale française

Le développement de la production mondiale de la laine ne semble pas suivre la progression de la demande industrielle de ce produit. La fourniture tunisienne, par exemple, diminue nettement et le cheptel argentin, ressource importante du marché lainier, tend à décroître.

Cette situation a fait songer à l'utilisation, en vue d'une production lainière, de nos vastes territoires pastoraux de l'Afrique occidentale française. Le mouton, en effet, voit son aire d'extension couvrir la totalité du continent noir. Si, d'une part, aux confins sahariens, les ovidés peuvent subsister dans des conditions climatiques dures que les races les


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plus résistantes des bovidés zébus ne peuvent supporter, d'autre part, ils vivent et prospèrent aussi, sinon à l'état pastoral, du moins sous le régime de stabulation indigène, dit de case, par l'adaptation de types spéciaux, en des régions équatoriales infestées de mouches tsé-lsé et d'où tout autre bétail est exclu.

On rencontre au Soudan français, localisée, principalement entre Djenné et le lac Faguibine, une race de moutons à laine dite «du Macina». La vue, inaccoutumée sous ces climats, de toisons utilisées sur place a fait naître certains espoirs pour la production. Cette laine du Niger permet en effet la fabrication par les indigènes de couvertures de couleur <( écrue », barriolées ou ponctuées de dessins d'un art parfois raffiné, vendues de 3 à 25 francs, suivant la qualité et la finesse. Celle laine elle-même, brute, a été recherchée par le commerce et une esquisse d'exportation a commencé. En 1912 les comptoirs de Mopti ont envoyé en France 200 tonnes et ceux de Djenné 20.

Malheureusement ce troupeau du Macina est loin d'avoir une composition homogène. La transhumance locale en est cause. Alors qu'en saison des pluies on le trouve dans l'intérieur du pays utilisant les maigres pâturages de la zone semidésertique sahélienne ; en saison sèche, alors que la crue du Niger s'est retirée, il revient vers le lit du fleuve où il trouve une réserve abondante de pâturages pour plusieurs mois.

Il semblerait donc que l'on ne puisse que souhaiter l'extension de cette race au Soudan. Non seulement l'élevage est .florissant dans toute la boucle du Niger, mais le Mossi et le Fouta-Djallon, de latitude plus faible, retiennent l'attention. Reste l'objection de la qualité très inférieure de la laine en question. Elle n'a pu être employée qu'en matelas, sans pouvoir être travaillée par les machines. L'idée est donc venue d'améliorer la race du Macina en recourant aux moutons algériens. Ce fut la pensée du gouvernement du HautSénégal et Niger en 1907. Les expériences de M. Mac Gregor ont, en effet, prouvé que l'amélioration de la race se produisait assez rapidement. La Chambre de commerce de Tourcoing a donc été amenée à s'occuper de la question et a voulu connaître l'avis de M. de Gironcourt, ingénieur agronome et d'agriculture coloniale, qui connaissait bien la région.


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A en croire certains périodiques étrangers, pareille expérience aurait été tentée et avec plein succès par les Anglais et les Allemands dans leurs colonies respectives. Le territoire du British East Africa qui jusque récemment n'était pas considéré comme pays favorable au mouton est maintenant utilisé pour le mouton qui s'y comporte bien. Jusqu'ici la plu part des 5.ooo.ooo de moutons de la colonie consistaient en bêtes indigènes à toison pauvre. Des mérinos d'Australie ont été importés et les résultats des croisements seraient merveilleux. Le gouvernement allemand, avec la coopération de beaucoup d'importants marchands de laine et manufacturiers, a commencé d'établir des stations dans l'Afrique du Sud-Ouest allemande.

M. de Gironcourt n'a pu que conseiller la plus grande prudence dans ces essais. Indépendamment des questions toujours fort délicates de l'acclimatation sous les conditions locales du climat et des épizooties, il ne faut pas perdre de vue que la production normale de la laine est toujours corrélative de l'existence du froid climatérique ; celle-là étant toujours fonction de la défense de l'organisme contre celui-ci. Le grand succès de l'élevage en Australie et en Argentine est dû avant tout aux conditions tempérées des climats de ces pays qui ont permis l'existence ou la constitution de véritables prairies, au sens botanique du mot. La saison sèche prolongée du Soudan ne permet nulle part l'existence de prairies vraies, mais seulement de savanes ; c'est-à-dire de tapis de graminées dont la végétation s'interrompt par la dessication complète des tissus foliacés durant un temps plus ou moins long.

(D'après Le Bulletin de la Société de Géographie commerciale de Paris, numéro d'avril 1913.)

La navigabilité des rivières de l'Afrique occidentale française

L'Afrique occidentale française possède 1.920 kilomètres de côtes qui se répartissent ainsi : Sénégal, 1.000 ; Côte d'Ivoire, 5oo ; Guinée française, 3oo ; Dahomey, 120. Malheureusement les côtes sont en général rectilignes et plates, donc peu favorables à la navigation. De la baie du


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Lévrier au Cap Vert la côte est formée par un cordon littoral de dunes de sable, en retrait desquelles les rivières souvent à sec se déversent dans des lagunes que le climat transforme parfois en salines, surtout au nord de Saint-Louis. La presqu'île gréseuse du Cap Blanc et les massifs éruptifs du Cap Vert sont les seuls accidents importants ; les baies du Lévrier et du Cap Blanc les seuls abris sûrs. Au sucl de Dakar jusqu'à la Casamance il n'existe aucun abri. Un banc très dangereux pour la navigation court parallèlement à la côte à 5 ou 6 milles au large. Dans la Guinée française ce ne sont que des estuaires de vase. Dans la Côte-dTvoire et le Dahomey il y a partout des lagunes avec cordon de sable. Seuls Grand Bassam et Cotonou possèdent des wharfs.

Ces côtes sont mal connues au point de vue hydrographique. Il n'en existe pas de carte détaillée d'ensemble. Les meilleures sont souvent de vieilles cartes anglaises. Notre carte marine est bien complétée par de petits cartons de détail. Malheureusement ce ne sont que des baies ou quelques détails de la côte levés par les avisos de la station locale. En 1909-1910, par exemple, le Goéland fut chargé de dresser la carte de la baie du Lévrier, c'était le moment où le gouvernement fondait de grands espoirs sur Port-Etienne. La carte totale de la presqu'île du Cap Vert fut ensuite levée à cause du développement de Dakar. En 1909 la mission Dormier leva le port de Conakry, bruquement développé par suite de l'ouverture du chemin de fer de la côte au Niger.

Les rivières, vraies routes de pénétration, ne sont pas aussi navigables qu'on pourrait le souhaiter. Quatre seulement, débouchant sur cette immense côte, sont navigables sur une longueur de 70 kilomètres au moins :

Le Sénégal, de l'embouchure à Kayes, soit 924 kilomètres;

La Casamance, de l'embouchure à Dianah, soit 200 kilomètres ;

Le Saloun, de l'embouchure à Kaolak, soit 120 kilomètres ;

Le rio Nunez, de l'embouchure à Boké, soit 70 kilomètres.

Huit autres rivières ne sont navigables que sur moins de fio kilomètres- Encore ces chiffres ne sont-ils exacts que pour la période de hautes eaux et des navires de faible tirant d'eau. C'est ainsi que la Casamance, portée comme navigable sur 200 kilomètres, ne l'est pratiquement pour les navires calant 5 mètres que sur 60. D'autres classées navi-


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gables au point de vue hydrologique sont à peine explorées : témoin le rio Nunez.

Il reste deux seules grandes artères : le Sénégal et le Niger. Sur le Sénégal, durant les crues annuelles, les bateaux peuvent remonter jusqu'à Kayes, soit à 92.4 kilomètres ; pendant le reste de l'année la navigation s'arrête à Podor, à 3oo kilomètres de l'embouchure. Ces crues sont produites par les pluies dans le bassin supérieur (plateau du FoutaDjalon). Elles sont très inégales comme les pluies auxquelles elles sont liées. En bonne année les navires calant 5 mètres peuvent remonter jusqu'à Kayes, du ier août au ier octobre ; en mauvaise, du i5 août au 25 septembre seulement. Les bateaux à faible tirant d'eau peuvent y remonter du ior juillet à fin novembre. Les pirogues y ont libre accès en toute saison. Malheureusement il faut compter avec la barre de sable mouvant qui se déplace parfois sur une distance de 12 milles. Il existe de nombreuses cartes du fleuve. Une mission en 1906-1908 en a balisé le cours.

Le Niger est divisé en une série de biefs par des rapides. Chacun d'eux est tourné par le chemin de fer. On compte trois biefs :

Le haut Niger, navigable de Kouroussa à Bamako (270 kilomètres), est relié à la mer par le chemin de fer de Kouroussa à Conakry et au Sénégal par la ligne Kayes Bamako.

Le moyen Niger, navigable au moins pour les canots de Koulicoro à Say (i.3oo kilomètres), relié au haut Niger par le chemin de fer de Bamako à Koulicoro.

Le Niger maritime, entièrement anglais, est navigable de Boussa à la mer sur 700 kilomètres.

Les crues, grâce aux nombreux marigots, mettent un an à descendre le Niger. Les profondeurs d'eau atteignent alors de 10 à 20 mètres.

(D'après La Revue scientifique, 18 janvier et 8 février 1913.)

Les campagnes d'hiver des pécheurs bretons sur les côtes de Mauritanie et du Sénégal

Les eaux de l'Afrique occidentale et surtout celles de la région saharienne sont très riches en poissons, notamment en langoustes. Depuis quelques années le gouvernement.


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français fait de grands efforts pour outiller et développer le petit port de Port-Etienne, au fond de la baie du Lévrier. Le gouvernement local, de son côté, a fait tout ce qu'il a pu pour attirer les pêcheurs bretons. Ce sérail un bon moyen de porter remède à la crise bretonne, résultat du manque de chalutiers à vapeur permettant la pêche au large.

La pêche de la langouste à Port-Etienne était une curiosité il y a sept ans. Maintenant elle est d'un rendement rémunérateur :

En 1910-1911 i5o.ooo individus ont été exportés ;

En 1911-1912 200.000.

Une seule dundee a rapporté en une seule fois à Camaret 19.000 langoustes. On se met maintenant à faire sécher le poisson sur place ; c'est autant à ajouter à la vente. Par ce seul procédé on a réalisé en 1912 pour 170.000 francs.

Douze bateaux s'adonnent à cette pêche, dont 7 de Douarnenez. Leur dernière campagne d'hiver a rapporté net 4oo-ooo francs.

(D'après La Revue générale des Sciences, janvier 1913, pp. 14-17.)

Les palmiers à huile en Afrique équatoriale française

Des tentatives sérieuses d'exploitation du palmier à huile sont commencées actuellement sur différentes parties de la colonie et, en particulier, dans la région de Libreville.

Cette industrie paraît devoir donner d'excellents résultats ; l'amande et l'huile de palme sont, en effet, des produits très rémunérateurs ; leurs cours se maintiennent très régulièrement en Europe à 45o francs la tonne pour la noix et à 85o francs pour les huiles.

A Manfouté (Ibenga-Motaba), une huilerie d'exploitation récente a donné en juin dernier une tonne d'huile ; ce qui •était, vu le cours local de l'huile et de la noix un rendement excellent. Plusieurs sociétés du Gabon se proposent d'établir d'importantes huileries d'un outillage perfectionné. Le succès de cette entreprise ne paraît pas douteux.

(D'après L'Afrique française, février 1913.)


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Inauguration d'une ligne ferrée au Dahomey

Le gouverneur général de l'Afrique occidentale française vient de rendre compte au ministre des colonies des conditions dans lesquelles a eu lieu, le 18 mars dernier, l'inauguration du tronçon nord du chemin de fer du DahomeyCette voie ferrée, d'une quarantaine de kilomètres, relie Saketé à Pobé. Elle traverse une région agricole riche en produits de toute nature, particulièrement en coton.

Les travaux, commencés en octobre 1910 sur les fonds de la caisse de réserve du budget général, ont été conduits par le capitaine du génie Ostermann et par l'officier d'administration Auray avec un zèle et une habileté auxquels on ne doit pas oublier de rendre hommage.

Au point de vue politique l'ouverture de cette ligne ne manquera pas d'avoir un certain retentissement. Déjà plusieurs chefs, que la proximité du rail rallie à notre influence, ont fait parvenir au gouvernement l'assurance de tout leur dévouement.

Mission de délimitation du Congo-Cameroun

Les opérations de délimitation de la nouvelle frontière Congo-Cameroun ont pu être commencées dès le mois de décembre dernier par la mission française dirigée par M. Périquet, administrateur des colonies, de concert avec les deux missions allemandes ayant à leur tête, celle de la frontière du sud, le major Zimmermann, celle de la frontière de l'est, l'ancien capitaine von Ramsay. Les missions des deux pays étaient subdivisées de façon à constituer quatre groupes franco-allemands correspondant à des territoires déterminés.

On vient de recevoir les nouvelles de la section MondahDouah, l'une de celles du Sud-Cameroun, ayant à sa tête, du côté français, le capitaine Crépet, chef de la section totale du Sud-Cameroun, et du côté allemand, le capitaine Abel.

D'après la convention de Berne le point de départ de la ligne de démarcation entre les possessions françaises et allemandes devait être fixé, sur la rive orientale de la baie de


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Mondah, à un parallèle situé à 8 kilomètres au sud de la pointe Akanda.

Cette détermination ne s'est pas faite sans difficulté par suite de la nature même du pays. Toute la région côtière au nord du cap Esterias est, en effet, basse, marécageuse, découpée par de nombreux marigots A'aseux et couverts de palétuviers. D'autre part, le ciel étant resté brumeux, les observa^ tions astronomiques étaient rendues impossibles. Aussi les travaux n'ont-ils pas duré moins d'un mois. Ce n'est qu'au début de janvier que le parallèle en question a pu être déterminé d'une façon précise.

Les commissaires français et allemands ont d'un commun accord choisi l'embouchure de la crique Gambo comme point de départ de la ligne frontière qui, de là, suit la crique Mbafane.

La commission mixte opère actuellement à l'intérieur de la Noya(D'après

Noya(D'après Quinzaine coloniale, 25 février 1913, p. 135.)

La valeur de l'Oubanghi et de la Sangha comme voies de communication

Les conventions franco-allemandes de 1911 à propos du Congo et la récente constitution à Hambourg d'une « Société de navigation du Kameroun », ayant pour objet l'entreprise de transports fluviaux sur le Congo, la Sangha et l'Oubanghi, donnent de l'actualité à la question de la navigabilité de ces rivières.

La Sangha, qui a ses sources au sud-est de Kunde, se déverse dans le Congo par environ de latitude sud. L'Oubanghi, le plus important affluent du Congo, se joint à lui à une latitude de près de 0° 3o'.

Depuis son confluent jusqu'à Ouesso (poste resté français) la Sangha est navigahle pendant toute l'année. Sur toute cette partie de son cours il n'y a pas un seul rapide. A Ouesso la rivière se divise en deux branches : la Sangha proprement dite et le Dja ou Goko qui vient de l'est et constitua jadis la frontière sud du Kameroun. Pendant, à peu près toute l'année il est possible, même à bord de steamers, de le remonter à plusieurs journées de voyage jusqu'à Ngoila, où commencent les rapides de Dongo. Pendant les mois où les eaux sont basses le voyage se fait au moyen du bateau à


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hélices Le Brazza, de sorte que la frontière méridionale du Kameroun est en communication constante avec le Congo.

Sur la Sangha proprement dite les steamers de fort tonnage peuvent naviguer pendant les hautes eaux, c'est-à-dire de septembre à décembre, à partir d'Ouesso jusqu'assez loin dans le nord à Nola.

Entre son confluent et Ouesso la Sangha a une largeur de i à 2 kilomètres- Le trajet entre le Stanley Pool et Ouesso se fait en neuf ou dix jours ; de ce dernier endroit à Molundu en deux ou trois jours, de sorte que de Matadi à Molendu, y compris le temps que prend le trajet en chemin de fer, le voyage se fait en une douzaine de jours.

Il n'existe pas de service de navigation organisé par le gouvernement. Ce sont des compagnies privées, les « Messageries fluviales», la Société allemande « Sud-Kameroun », la « Maison Hollandaise » et une firme portugaise qui organisent les transports par eau. Le plus grand steamer, qui appartient à la Compagnie française des Messageries fluviales, le Commandant Lamy, jauge 120 tonnes.

L'Oubanghi, au point de vue de la navigabilité, se présente dans de meilleures conditions que la Sangha. Il est accessible toute l'année même à de grands steamers depuis son confluent jusqu'aux rapides de Zinga, situés près du poste de Mongumba. A partir de ce poste jusqu'à Bangui, qui est situé à environ 55o kilomètres en amont du confluent, la navigation, pendant la période des eaux basses, doit s'effectuer au moyen de canots, ce qui évidemment est de nature à entraver le commerce. Toutefois, penaani la plus grande partie de l'année, les steamers de fort tonnage peuvent aller jusqu'à Bangui.

Le transport vers l'est est organisé par une compagnie française qui depuis de longues années a conclu à cet effet une convention avec le gouvernement.

Sur le haut Oubanghi, qui est parsemé de rapides, la navigation présente de très grandes difficultés. A partir de Bangui les obstacles se succèdent et se multiplient au fur et à mesure qu'on remonte la rivière. Déjà à un kilomètre et demi au-delà de ce poste toute navigation devient impossible et le voyage doit se faire par voie de terre. Un peu plus loin les marchandises transportées à dos d'hommes sont embarquées dans de petits vapeurs en acier et amenées ainsi


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jusqu'aux rapides Danga, où l'on doit procéder à un nouveau transbordement. On y embarque les marchandises dans des canots en acier ainsi que dans des pirogues indigènes qui sont utilisables jusqu'aux « rapides de l'Eléphant ». Ici encore il faut transborder afin de pouvoir arriver, au moyen d'embarcations légères, jusqu'aux rapides de Bâta, où il est possible de nouveau d'utiliser des steamers, au moins durant la période des crues. On arrive ainsi- à Fort-Possel, au Kouango et à la Mobaye. Fort-Possel, situé au tiers du trajet entre Bangui et la Mobaye, constitue le point initial des Aroies de communication vers le nord et spécialement vers la région du Tchad et du Chari.

Toutefois, pendant la période sèche, les marchandises destinées aux régions du nord partent directement de Bangui vers Fort-Zibut (Krebedje). Entre ce dernier endroit et Dekoa et Nana, dans la direction de Fort-Crampel, a été construite une route d'automobiles par laquelle on amène les marcïïandises au Gribingi, important affluent du Chari, qui lui-même est en communication directe avec le lac Tchad. Pendant la saison des pluies, mais pendant cette saison seulement, deux steamers font le service sur le Chari entre Fort-Archimbaud et le lac Tchad.

Sur l'Oubanghi, entre Fort-Possel et la Mobaye, se trouve Kouango, importante station qui est située à proximité de la région draînée par le Kouango, affluent venant du nord-est.

Non loin de la Mobaye, en face du poste belge de Banzyville, la navigation est à nouveau arrêtée par de puissants rapides qui nécessitent des transbordements. A l'est de la Mobaye d'autres se rencontrent jusqu'à Yakoma, qui est situé à environ i5o kilomètres en amont de Banzyville, au confluent du Bomou et de l'Ouellé. Sur le Bomou la navigation est extrêmement difficile à cause des rapides qui se multiplient au fur et à mesure qu'on remonte vers Ouango.

■En somme, l'Oubanghi, dans la partie de son cours audelà de la Mobaye, ne pourrait, pas plus que le Bomou, devenir une importante voie de communication. Il n'en est pas de même de sa partie située en aval de la Mobaye. Celle-ci comme la Sangha est appelée à rendre de grands services au point de vue de la mise en valeur de la région qu'elle draîne.

(D'après Le Mouvement géographique de Bruxelles, du 18 mai 1913.)


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Le bassin du Kouango

Le Kouango, affluent de droite de l'Oubanghi, a une longueur de 4oo kilomètres. Son bassin couvre une surface de 70.000 kilomètres carrés, compris entre 4°3o' et 7°3o' de latitude nord ; 170 et i9°3o' de longitude est. C'est un vaste plateau de terrains archéens parsemé de roches éruptives avec çà et là quelques lambeaux de couverture sédimentaire. Actuellement la région est une pénéplaine faiblement ondulée où seules les roches dures donnent encore quelques reliefs, tout au plus de 100 mètres de hauteur relative.

Le climat est caractérisé par l'alternance d'une saison sèche et d'une autre humide. Les pluies durent de juin à novembre. Au début les ouragans d'une violence extrême se succèdent à intervalles rapprochés. Ce sont de vraies trombes d'eau. En septembre et octobre il pleut presque chaque jour ; puis les pluies se font plus rares ; en novembre elles cessent complètement. De novembre à mai l'insolation est considérable, mais elle est toujours tempérée par la forte teneur en humidité de l'atmosphère. On voit alors le matin le brouillard s'élever de chaque vallée.

Le Kouango, appelé Ouaca par les indigènes, descend de gradin en gradin par une série de rapides qui empêchent toute navigation et maintiennent le haut pays dans un curieux état d'isolement. Bambari est le point où cesse la navigabilité pour les barques toute l'année et pour les chaloupes à vapeur durant trois mois seulement. Pendant la saison des pluies le Kouango monte à 7 mètres à l'étiage et la nappe d'inondation recouvre alors toute la plaine. Les mêmes accidents se retrouvent dans' le profil longitudinal des affluents.

La région offre un exemple caractéristique de la forêtgalerie dans les vallées fluviales. Entre ces bandes verdoyantes sinueuses s'étendent des savanes herbeuses avec quelques rares arbustes. Les graminées dures et coupantes y atteignent 4 à 5 mètres de hauteur. Les cultures clairsemées des indigènes se blottissent au flanc des collines ou se dispersent au hasard au milieu des grandes herbes. Dès décembre, la savane est sèche et les indigènes y mettent le feu pour empêcher la terre de s'épuiser.


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les indigènes presque tous de race Banda parlent une langue spéciale différente de toutes celles du groupe Bantou. Fétichistes et anthropophages, ils vivent complètement à l'état sauvage, de la chasse et de la pêche. Il n'existe pas, à proprement parler, de villages ; la vie en commun n'étant pas appréciée. Quiconque est marié et a de la famille se construit une case un peu à l'écart.

Le bassin du Kouango a été concédé en 1900 à deux sociétés commerciales, fusionnées plus tard en une seule, la Compagnie française du Kouango, au capital de 800.000 fr. Les résultats d'abord peu favorables se sont améliorés ces dernières années. La production du caoutchouc notamment se développe de jour en jour.

(D'après L'Afrique française, Renseignements coloniaux,

L'avancement de la construction du chemin de 1er du Katanga

On sait que la construction de la première section du chemin de fer du Katanga, comprise entre la frontière de Rhodésie et la mine de l'Etoile du Congo, a été commencée en octobre 1909, aussitôt après l'arrivée du rail rhodésien à la frontière. Les travaux furent rapidement exécutés et un an après le rail atteignait l'Etoile. En novembre 1910 la ligne était mise en exploitation, malgré quelques détails à parachever. Cette première section a une longueur de 275 kilomètres, embranchements compris. Le trafic de la ligne est déjà important ; il est destiné à s'accroître considérablement.

Une seconde section, d'Elisabethville à Kambove, longue de i63 kilomètres, a été commencée en juin 1911 ; elle est en voie d'achèvement. Les terrassements assez importants sont terminés. La voie ne reste à poser que sur 25 kilomètres. Elle atteindra Kambove avant l'été 1913. Cette partie de la ligne comporte deux viaducs importants sur les rivières Lufira et Sofumwango. Cette section desservira les nombreuses mines de cuivre, notamment celles de Luiswichi, Kambove, etc..

Les travaux d'une troisième section, longue de 102 kilomètres, de Kambove à Djilongo, ont été attaqués en décembre 1912. La pose de la voie sera commencée vers l'été 1913


CHRONIQUE GÉOGRAPHIQUE 113

et elle atteindra la fin de la section vers les dernières semaines de igi3. Les travaux seront ensuite poursuivis sans interruption vers le nord. Ce tronçon desservira des centres miniers moins importants.

D'autre part, les travaux de terrassement ont été commencés à Bukama, point d'aboutissement du chemin de fer du Katanga sur le haut Lualaba en août 1912, et ils sont activement menés. Tout le gros matériel sera transporté à pied d'oeuvre par la voie fluviale du Congo et du Lualaba avant la fin de l'année 1913. Il est prévu qu'une section d'une soixantaine de kilomètres à partir de Bukama pourra être complètement terminée à la fin de 1914. Cette section traversera la zone des gisements d'étain. A ce moment il ne restera entre le rail venant du nord et celui venant du sud que 80 à 100 kilomètres de ligne à construire, ce qui sera réalisable au cours de l'année 1915.

La distance entre la frontière de Rhodésie et le Lualaba par la ligne sera d'environ 755 kilomètres ; la longueur totale du chemin de fer du Katanga, embranchements compris, sera voisine de 780 kilomètres.

(D'après Le Mouvement géographique de Bruxelles, du 6 avril 1913.)

La profondeur du lac Tanganika

La profondeur maxima du lac Tanganika observée jusqu'ici était celle de 647 mètres, signalée par le capitaine français Giraud. Le docleur Stappers a jeté la sonde jusqu'à 1.435 mètres. Cette grande profondeur a été observée non loin de la rive occidentale, à peu près à la hauteur du mont Rumbî. De ce côté aussi sont les plus hautes altitudes : celle de 2.400 mètres. La rive est donc constituée par une pente raide plongeant de 3.835 mètres au total.

(D'après Le Mouvement géographique de Bruxelles, du 18 mai 1913.)

Un nouveau volcan dans l'Afrique orientale allemande

Les cônes de débris sont la forme la plus connue des appareils volcaniques. On en a vu s'édifier avec une rapi8

rapi8


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dite étonnante, tel le Monte Nuovo, né en une nuit, en i538, près de Naples. Pareil phénomène vient de se produire dans l'Afrique orientale allemande.

A environ 20 kilomètres de la station de Kissenji, mais sur territoire belge, entre les cratères Adolphe-Frédéric et Niragongo, a apparu, au début de igi3, un nouveau volcan. Il n'est ainsi qu'à 5 ou 6 kilomètres du lac Kivou. Trois semaines après son apparition le cratère était déjà haut de 100 mètres et avait un diamètre de 60 à 70 mètres. La lave était descendue d'abord vers un petit port sur la rive septentrionale du lac et l'avait rapidement comblé. Au contact de l'eau d'énormes nuages de vapeur se formèrent et au voisinage de la coulée l'eau se mit à bouillir. Même à une certaine distance la température de l'eau fut notablement augmentée : à Kissenji, par exemple, l'eau atteignit 34° C. En même temps une pluie de cendres poussée par vents du sud s'abattit sur un vaste territoire, atteignant o,5o centimètres de hauteur et détruisant toute végétation. La colonie allemande n'eut pas à souffrir.

(D'après le Zeitschrift der Gesellschaft fur Erdkunde zu Berlin, 1913, n° 3.)

La région des Sources du Nil

La région volcanique des Virunga est une région remarquable à des titres divers. Elle intéresse au point de vue politique, géographique, historique et même romantique.

Politiquement, elle est semblable au plateau de Pamir ; c'est un pays « où trois empires se rencontrent », soit l'Angleterre, l'Allemagne et la Belgique. Les trois frontières se coupent au sommet du mont Sabinio.

Géographiquement, on y trouve en premier lieu la grande chaîne volcanique du Mufumbiro, ensuite la région des sources les plus lointaines du Nil.

Enfin, cette contrée présente un intérêt historique et romantique en ce sens que cette suite de volcans se trouve probablement à l'origine des vieilles légendes tissées autour des sources du Nil.

L'Angleterre n'avait jamais effectivement occupé le pays avant 1909. Une mission fut envoyée cette année-là dans


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l'Ouganda et s'établit à Kisegi. Cet établissement provoqua des négociations au cours desquelles les frontières des trois puissances furent définitivement fixées. Ce fut l'occasion d'études géographiques de la part du capitaine Jack, chef de la mission anglaise.

La contrée se divise naturellement en zones. Il y a d'abord la chaîne volcanique et ses abords recouverts d'une couche de lave. La chaîne du Mufumbiro comprend huit montagnes et un certain nombre de cônes. Les huit principaux massifs possèdent des noms bien connus des indigènes peuplant les districts environnants. Elles forment des groupes naturels. A l'est se trouve un groupe de trois sommets : le Muhavura, le Mgahinga et le Sabinio. Bien que le Muhavura ne soit pas le pic le plus élevé, il est à certains points de vue le plus important et le plus connu- C'est une grande montagne nue dont les flancs sont maigrement parsemés de buissons hérissés ressemblant à des bruyères géantes. Exactement sous le point culminant il y a une dépression remplie d'eau et qui est sans aucun doute ce qui reste de l'ancien cratère. Le Sabinio est un pic rugueux et inaccessible recouvert d'une épaisse forêt jusqu'à environ 3.5oo mètres. Entre ces deux sommets se dresse le Mgahinga, cône trapu, muni d'un large cratère bien formé, recouvert comme le Sabinio d'une luxuriante forêt. Au sud-ouest on distingue un autre groupe de trois sommets : le Visoke, le Karisimbi et le Mikeno. Le Visoke est un cône tronqué parfait. Le Karisimbi est le pic le plus élevé de la chaîne ;, il s'élève à une altitude de 4-5oo mètres. C'est un cône superbement modelé et presque toujours couvert de neige. D'épaisses forêts entourent la base de ces montagnes. A l'ouest de ce groupe se dressent enfin les deux masses du « Niga Gongo ». C'est un triple cône couronné de forêts. Le Namlagira est une masse énorme de formation très récente- En 1907, le Namlagira était encore en activité et à la même époque se produisait nne décharge par une large fente à la base du Niga Gongo.

La contrée qui s'étend immédiatement au nord de ce dernier groupe volcanique est un district isolé et peu attrayant. Il y croît une quantité de buissons comparables aux bruyères rouges de l'Ecosse. Le sol est presque entièrement recouvert de lave. De-ci de-là cette croûte s'est décomposée en un «ol fertile que les indigènes cultivent. Il y a même de beaux


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pâturages où paissent de grands troupeaux. La couche de lave est creusée de trous et de cavernes dans lesquels les eaux doivent s'accumuler. Cela explique l'absence de cours d'eau superficiels. Toute cette région du Mufumbiro est donc extrêmement étrange et comparable à une région lunaire.

La population est principalement Batusi, mais le type est loin d'être pur. Ce sont des agriculteurs et des pasteurs.

Au nord, le pays change quelque peu. On a à faire à un plateau élevé façonné par l'érosion en une série de contreforts massifs qui prennent généralement la direction du sud-est. Conséquence : l'accès en est rendu très difficile quand on vient de l'Ouganda, c'est-à-dire du nord-est. A certains endroits la roche étant plus tendre les vallées se sont considérablement évasées et il s'est formé dans les bas-fonds des marécages parfois interminables. Pendant la saison des pluies la traversée de ces marais, tout débordants de papyrus, est des plus pénibles. D'ailleurs la région s'est ressentie du voisinage volcanique. 11 y a des traces d'aficiens cratères et de la lave dans beaucoup d'anciennes vallées. Les habitants de cette contrée (province de Rukiga) sont de solides montagnards de race Bantou.

Le principal intérêt de cette partie de l'Afrique consiste dans les sources du Nil.

Le Nil, en tant que rivière formée et unique, sort du lac Victoria. De toutes les rivières qui alimentent ce lac, la plus importante comme longueur et comme volume est le KageraCette rivière est issue, elle aussi, d'un lac. Tous les autres affluents de cette région viennent de lacs. En sorte que par ses sources les plus éloignées le Nil prend sa source non loin de la chaîne du Mufumbiro.

Au sud-ouest de cette chaîne s'étend le lac Kivou. Mais celui-ci fait partie d'un tout autre système hydrographique, puisque ses eaux s'écoulent vers le Tanganika. On se trouve donc là en un point très important du continent africain : dans une zone de partage des eaux.

Le lac Kivou est très beau avec son cadre de hautes montagnes et ses eaux bleues. Sur le versant allemand les cultures sont d'une extrême richesse. Un curieux phénomène se produit de temps à autre sur le lac. Par un temps calme, la surface est tout à coup violemment agitée, après quoi l'eau est pleine de sédiments. Il est probable que ces boule-


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versements sont produits par des éruptions volcaniques ravageant le fond du lac.

(D'après le Geographical Journal, n° de juin 1913.)

Le développement économique de l'Erythrée

La colonie italienne d'Erythrée a une superficie totale de irg.ooo kilomètres carrés. La population, exclusivement indigène, est d'environ 280.000 habitants. Or, pour un aussi petit pays, le développement côtier atteint 1.100 kilomètres, de Ras Casar à Ras Dumeira. La région est donc par nature destinée à devenir le débouché d'une partie de l'Ethiopie et du Soudan.

En effet, les ressources naturelles du pays sont minces. La production des grains est incalculable d'une façon précise. D'après Paoli, elle atteindrait par an 3oo.ooo quintaux. La production est d'ailleurs en voie de progression constante. Le bétail, l'autre source de revenus pour le pays, a été estimé dans les mêmes conditions à 29.440.000 francs, soit ico francs par tête d'habitants. Sur le plateau de Barca le coton deviendra sous peu la seule culture. La « Société pour l'extension de la culture cotonnière » a fait beaucoup dans cette région. En 1904 elle se proposait de tenter un essai sur une vaste échelle en trois points : Agordat, Aichico et Sabarguma. Après quelques tâtonnements, la Société a restreint ses champs d'expérience aux deux stations de Carcabat et d'Agordat. Les résultats furent assez satisfaisants pour décider la Société à tenter un nouvel essai dans la région de Noggara. Reste à citer les salines de Massajua. Leur exploitation ne date que de 1905 mais est très prospère. Trois cents indigènes y sont employés journellement. En 1905 les salines ont produit 3o.ooo tonnes, presque tout à destination de Calcutta. Les salines de Massaoua sont, en effet, dans des conditions d'insolation favorables ; les autres salines de la Méditeiranée ont une moyenne de 100 jours d'évaporation tandis qu'elles en ont de 24o à 280.

Par contre, le rôle de débouché côtier auquel la nature semblait avoir prédestiné l'Erythrée est gêné par l'absence de bons ports. Massaoua n'a été l'objet d'aucuns travaux de la part du gouvernement italien. Il en est de même pour Assab, qui pourr«it cependant faire concurrence à Obock.


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Mais le port français est préféré à cause de la sécurité plus grande de ses voies d'accès et le nombre plus considérable de ses agents commerciaux.

En 1907, dernière année dont les statistiques aient été publiées, le mouvement total de la colonie s'est élevé à 27.991.529 francs, dont 2.100.000 pour l'exportation. Ce chiffre peu élevé révèle bien le caractère pauvre, du pays. Les importations venaient pour la plus grande partie d'Italie (5 millions), d'Aden (2 millions) et de l'Inde (2 millions). Les plus forts courants d'exportation se dirigeaient vers l'Arabie.

Ce qu'il faudrait à l'Erythrée pour attirer une partie du commerce du Soudan et de l'Abyssinie en lui permettant de concurrencer les ports français c'est un chemin de fer reliant la côte à l'Hinterland. Les exigences militaires de ;SS7 imposèrent la construction de 27 kilomètres de la ligne Massaoua-Saati. Mais de 1888, époque à laquelle fut inauguré ce lionçon, jusqu'à 1900, on ne fit rien. Le gouvernement civil, installé en 1897, pensa relier Massaoua à l'intérieur. Trois tracés furent mis à l'étude. Finalement on s'arrêta au tracé Ghinda-Asmara. En août 1904 lé tronçon Mai Atal-Ghinda fut ouvert. Le second tronçon Ghinda-Asmara partait de 800 mètres d'altitude à Ghinda et atteignait 2.35o mètres à Asmara- Aussi les ouvrages d'art étaient-ils nombreux : 10 viaducs et 26 tunnels. Le ier mars 1910 le tronçon GhindaNefasit était livré à la circulation et, le 5 novembre 1911, celui Nefasit-Asmara. La ligne complète avait une longueur de 117 kilomètres.

Ceci ne suffisant pas ïe gouvernement italien a fait aménager des routes de caravanes. Il faut citer la route AgordatGondar, longue de 475 kilomètres, pour relier l'Erythrée et le lac Tana. Mais cette route, malgré tout, est peu fréquentée et les caravanes qui viennent de Gondar préfèrent la vieille route d'Adoua.

La mission du capitaine Tancredi au lac Tana en 1908 a mis en lumière la nécessité de prolonger la ligne ferrée par Setit jusqu'à Gondar. Du marché de Delgi, en effet, les marchandises passent par Metemma, Khartoum et Port-Soudan, route longue de 1.600 kilomètres ; alors que les deux autres Delgi-Gondar-Sittona-Agordat-Massaoua et Delgi-GondarAdoua-Massaoua, longues respectivement de 65o et 700 kilo-


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mètres, sont presque complètement désertées. C'est que la route anglaise a pour elle 900 kilomètres de voie ferrée et bientôt même davantage. Là réside tout le problème de l'avenir de l'Erythrée.

(D'après YExplorazione commerciale, numéro de mars 1913.)

L'avenir du Nyassaland et de l'Ouganda

La célébration du centenaire de la naissance de Livingstone a provoqué de divers côtés des notices sur les progrès des colonies anglaises de la côte orientale depuis l'époque de leur exploration par l'illustre missionnaire. M. Goulven résuma les progrès principalement au point de vue chemin de fer dans un fascicule du Bulletin du Comité de l'Afrique française.

Au Nyassaland, la décision d'étendre jusqu'à la côte la voie ferrée Pimbi (sur le Chiré, au sud du lac Nyassa) Blantyre peut être considérée comme le fait le plus important pour le développement économique de la région. On annonce en effet la signature du contrat entre le gouvernement portugais et la British Central Africa C, pour la construction de la ligne Ngundani (au confluent du Chiré et du Zambèze et point à partir duquel le Zambèze est navigable toute l'année) Blantyre. Le tronçon Pimbi-Blantyre (128 kilomètres) restait en effet d'une utilité restreinte du fait de l'isolement du protectorat au coeur de l'Afrique. II est même surprenant qu'en dépit de cette situation et du manque de moyens de communication, le Nyassaland, étroite bande de territoire en bordure du lac Nyassa, ait pu atteindre le prodigieux développement commercial relaté dans le dernier rapport de la British Central Africa C°. Le coton, le café, le caoutchouc, le tabac sont devenus des produits en vogue et sur les hauts plateaux, farmers et colons ont réussi à aménager une florissante industrie agricole, notamment à Blantyre et à Zemba. Le commerce s'est ressenti de ces efforts et, pour 1911-1912, il atteint 11.153.175 francs, dont 6.000.000 pour les importations.

Sur l'une des embouchures du Zambèze est située, en territoire portugais, la ville de Chindé, seul débouché du Nyassaland sur l'Océan Indien et « concession britannique », où les marchandises en transit pour l'Afrique centrale anglaise


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sont libres de droits de douane et peuvent être emmagasinées. Mais le port de Chindé, défectueux à cause de sa barre, sera avantageusement remplacé par celui de Beira, qu'une voie ferrée de 278 kilomètres doit réunir au Zambèze et au Nyassaland. On s'arrangera pour que le terminus de cette ligne et celui de la ligne du Shiré soient en regard sur les rives sud et nord du Zambèze et pour compléter ainsi les communications entre le Zambèze et Beira.

Le réseau total une fois achevé comprendra une longueur de i.3oo kilomètres et sera pour le protectorat d'une utilité incontestable. Il est à prévoir que les régions avoisinant le lac Nyassa ne seront pas les seules à alimenter le trafic du chemin de fer ; mais que la Rhodésie du Nord et le Congo belge méridional utiliseront aussi la nouvelle route de Beira. On annonce même que la ligne du Nyassa sera prolongée par les lacs Tanganika, Kivou et Albert-Edouard jusqu'à l'Est africain anglais. Une entente avec le gouvernement belge serait sur le point de se produire.

Dans l'Ouganda, la situation n'était pas moins bonne en 1909. D'après le rapport annuel du Protectorat pour 1911-1912 les recettes accusent une plus-value de 2.719.875 francs, due aux revenus toujours croissants du chemin de fer. Le commerce extérieur total a augmenté de 7.5 % depuis 1908. On augure bien dans la colonie des plantations de sisal et d'osier. Quant aux exportations de coton, dont la culture devient extrêmement populaire parmi les indigènes, elles se sont accrues d'environ 5o % sur l'exercice précédent.

Depuis 1900 la tête du rail Monbasa-Port Florence atteint les bords du Victoria-Nyanza (940 kilomètres), mais bien que ce chemin de fer de touche en aucun point le territoircde l'Ouganda, on l'appelle cependant l'« Ouganda-Railway ». II franchit un sommet de 2.5oo mètres, la plus haute altitude qui ait été atteinte par le chemin de fer en Afrique. 11 est question de relier cette ligne au lac Magadi par un embranchement de 170 kilomètres de longueur. On signale également la mise en service d'un tramway à vapeur Nairobi-Thika River (48 kilomètres) qui ouvrira à la colonisation une des meilleures parties des hautes terres et est appelé à y faire un trafic considérable.

La politique du railway va-t-elle enfin prévaloir en Ouganda? Depuis deux ans les travaux de construction d'un


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chemin de fer reliant Jinja sur le Victoria-Nyanza au lac Kiodja ont été commencés. La ligne porte même officiellement le nom de « ligne du Bousoga ».

Non seulement le chemin de fer permettra au district cotonnier de Boukedi, dont le sol est fertile et les conditions climatériques favorables, de prendre un rapide développement, mais il sera en outre la clef de la route vers la région du lac Albert. Il unira l'Est africain britannique au Soudan. Une autre ligne sera également construite bientôt pour relier Kampala à Port-Bell sur le Victoria-Nyanza (n3 kilomètres) .

(D'après Le Mouvement géographique de Bruxelles, du 4 mai 1913.)

Le Soudan Égyptien

Cette vaste contrée, rattachée à l'Egypte par Mehémet Ali, agrandie par Ismaïl de la partie orientale et du Kordofan, s'était affranchie de la domination du khédive et s'était ralliée au madhi et à ses derviches en 1881, après la chute de Khartoum.

Le pays fut alors ruiné systématiquement. La famine et les épidémies décimèrent la population qui tomba de huit à trois millions d'habitants. De 1882 à 1898 toute cette région du Haut-Nil resta fermée au commerce européen. Après trois campagnes habilement dirigées par le sirdar Kitchener le Soudan égyptien fut reconquis.

Le pays pacifié, restait à l'organiser. Le gouvernement a établi des tribunaux qui rendent la justice d'après la loi musulmane. L'instruction publique tient une grande place dans le programme des réformes nouvellement introduites au Soudan : des écoles primaires, des écoles techniques et des ateliers modèles ont été établis dans les grands centres urbains, à Khartoum, Omdurman, El-Obéïd. La première de ces villes est en quelque sorte le centre intellectuel du HautNil.

Le gouvernement de lord Kitchener s'est surtout appliqué à améliorer et à développer le réseau des routes et des voies navigables. Quelques-unes des anciennes routes caravanières sont devenues des chaussées praticables aux automobiles. Le gouvernement du Soudan a commencé également la cons-


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truction de quelques voies ferrées qui ont eu les plus heureux résultats au point de vue économique. Elles ont contribué au développement des cultures en assurant des débouchés à la production soudanaise ; elles ont facilité aux musulmans noirs de l'Afrique centrale le pèlerinage de la Mecque et encouragé l'immigration. Elles contribuent surtout à la pacification du pays en permettant le transport rapide des troupes sur tout point menacé. Sur tout ce réseau dont la construction est récente les recettes augmentent rapidement et sur la ligne Atbara-Port Soudan-Souakim, le trafic s'est accru au point qu'il exige la création d'une ligne supplémentaire.

La question des irrigations est d'une importance capitale dans ces contrées semi-tropicales. Un programme de travaux d'irrigation a été étudié qui permettra la mise en valeur d'un vaste territoire d'environ 12 millions de feddans, compris entre le Nil Blanc, la frontière d'Abyssinie et la Mer RougeLe

RougeLe est, en effet, intéressant par ses ressources. Les produits des forêts et de l'élevage constituent le principal élément du commerce d'exportation. Sans doute les forêts ont beaucoup diminué sous la domination du Mahdi et les indigènes ont ainsi porté atteinte à la source de revenus qu'on en retirait ; mais les forêts couvrent encore de vastes étendues. Le gommier est l'arbre le plus répandu ; l'a gomme est un des produits les plus recherchés du Soudan. La chasse à l'autruche est une des grandes occupations des tribus du Darfour et du Kordofan. Du Bahr-el-Ghazal on tire du caoutchouc et de l'ivoire ; dans les steppes de l'ouest paissent de grands troupeaux de boeufs et de moutons dont on exporte surtout les peaux.

En dehors du doura et du doukhn, que les indigènes ensemencent pour leur alimentation, du sésame et du maïs qu'on commence à exporter, la culture qui paraît appelée à se développer est celle du coton. Des essais heureux du coton d'Egypte à longue soie ont été faits grâce à l'initiative de la British Growing Association et de la Zeidab Plantation Syndicat ; mais il faut guider l'indigène dans cette culture en lui fournissant des graines de choix, en l'initiant aux bonnes méthodes, en l'encourageant par des récompenses. Notre attaché commercial estime que dans cinquante ou soixante


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ans, en se basant sur une surface cultivée de 10 millions de feddans, la récolte soudanaise pourrait être évaluée à i.25o millions de francs. Tous ces produits du Soudan sont entreposés à Omdurman et à Khartoum, qui sont de grands marchés.

Port-Soudan et Port-Souakim sont les deux ports soudanais par lesquels se fait la plus grande partie des exportations ; par la voie du Nil il n'arrive en Europe qu'environ 25 % des produits exportés. Rarement le pavillon français apparaît dans ces deux ports desservis par des lignes de navigation anglaises, allemandes, russes, italiennes et hollandaises, qui en profitent pour élever le fret à destination des ports soudanais.

Sur un commerce de près de 36 millions à l'exportation, nous achetons à peine pour 3 millions 1/2. Nous ne participons aussi que pour une part infime aux exportations qui de 4i millions 1/2 en 1907 ont atteint près de 60 millions en 1911.

Deux graves problèmes se posent encore à l'heure actuelle : la main-d'oeuvre et la dépopulation. Les deux questions, d'ailleurs, sont connexes. Le gouvernement anglais, dès la conquête, a aboli l'esclavage. Mais l'esclave libéré s'est refusé à tout travail et la main-d'oeuvre est devenue rareBeaucoup de terres cultivables restent en friche. Le gouvernement s'applique à modifier la mentalité de ces races qui considèrent le travail manuel comme dégradant et indigne d'hommes libres. La question de la dépopulation est un problème dont la solution s'impose pour la mise en valeur d'un pays qui, à cause du climat, ne peut être cultivé que par les indigènes. Il s'agit de rendre sédentaires des populations essentiellement nomades, de les répartir sur les régions les plus fertiles et d'en augmenter le nombre en fixant au sol les caravanes qui traversent le pays, se rendant aux lieux saints. Pour diminuer, d'autre part, la mortalité, le gouvernement anglais a prescrit des mesures hygiéniques qui ont eu pour résultat de supprimer les épidémies. Il a, entre autres lois, promulgué une très sévère pour l'extermination des moustiques. Grâce à ces mesures, lord Kitchener estime que dans cinq ou six ans le Soudan égyptien comptera une population de 6 millions d'habitants.

(D'après Le Bulletin de la Société de Géographie commercialede Paris, avril 1913.)


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AMÉRIQUE

La lutte entre le canal de l'Érié et les chemins de fer

Le canal de l'Erié a atteint son maximum de prospérité en 1862 avec un trafic de 6 millions de tonnes environ et un revenu de /j.800.000 dollars. Cette situation se maintint à peu près jusqu'en 1868. Mais à partir de cette date son activité ne cessa de décroître devant la puissance grandissante des chemins de fer.

Introduits aux Etats-Unis en 1829 les chemins de fer y avaient fait de rapides progrès. Dès i85i une voie ferrée continue doublait le canal de l'Erié entre Buffalo et NewYork. La lutte était dès lors engagée. Les tarifs des chemins de fer d'abord sensiblement supérieurs à ceux du canal furent réduits de 3,5 cents par tonne-mille à 1 cent, prix du transport par voie d'eau. A prix égal la voie ferrée avait évidemment l'avantage de la vitesse et les transports n'y étaient pas interrompus en hiver- Enfin, les lignes de chemin de fer, dans une dépendance beaucoup moins étroite de la topographie, pouvaient desservir également les différents points de la côte et faire profiter Boston, Philadelphie, Baltimore, comme New-York, des exportations de l'ouest.

On dut pour soutenir la concurrence diminuer successivement les taxes sur le canal ; elles furent abaissées de 5o % sur les fers en 1868 ; de 3o % sur les grains en 1875. Malgré cela le revenu tomba à 8l\.8l\o dollars en 1877. En 1880 le trafic fut de 25 % inférieur à celui de 1879. En 1881 on supprima définitivement les taxes ; mais ces sacrifices ne suffirent pas à enrayer la décadence.

Des mesures plus énergiques s'imposaient si l'on voulait sauver l'a vieille voie d'eau. Des propositions faites en 1896 pour l'élargissement du canal aboutirent au « Nine Million A et » prévoyant 9 millions de dollars pour les travaux. On ne tarda pas à reconnaître l'insuffisance de cette somme.

Il fallait choisir : ou abandonner le canal ou se décider à un gros sacrifice d'argent. L'abandon fut rejeté en 1903 par l'assemblée de l'état par 67 voix contre 63. Le suffrage populaire, par une majorité de 245.000 voix, .adopta le projet du « Barge Canal ».

Un crédit de 100 millions de dollars était voté pour la


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construction d'un canal pouvant porter des chalands de 1.000 tonnes. «Barge Canal» est une abréviation de l'expression « Thousand-ton-Barge Canal», employée dans le texte de la loi de 1903 : c'est-à-dire « canal susceptible de porter des chalands (barges) de 1.000 tonnes ». La largeur doit être de 22 m. 86 au plafond ; la profondeur de 3 m- 65 ; les écluses doivent mesurer 9.4 m. 48 sur 8 m. 53. La longueur totale sera de 520 kilomètres et il comptera 35 écluses. Le remorquage s'effectuera par des tracteurs électriques assurant aux chalands une vitesse moyenne de 8 kilomètres à l'heure.

Le tracé du Barge Canal s'écarte sensiblement par endroits de celui du canal de l'Erié. On est revenu aux idées de 1792 : utiliser autant que possible le lit des rivières. La voie nouvelle coïncide avec l'ancienne de Buffalo à Lyons. Elle suit à partir de là la Seneca River, puis l'Oneida Lake et atteint la Mohawk à Rome où elle retrouve le canal de l'Erié, dont le trajet est direct depuis Lyons. De Rome à Troy, sur l'Hudson, le Barge Canal emprunte le lit même de la Mohawk au lieu d'en suivre la vallée.

Les travaux commencés en juin 190.5 sont déjà très avancés. On espère que cette grande voie rendra son ancienne prospérité au trafic par eau entre les Grands Lacs et NewYork et contribuera à maintenir la prééminence du port de l'Hudson sur ses rivaux de la côte atlantique.

(D'après Les Annales de géographie, mars 1913.)

Les forces hydrauliques du Mississipi moyen

Le grand barrage du Mississipi à Keokuk vient d'être terminé. Cet emplacement avait été choisi parce que les rapides de la rivière des Moines offraient des conditions particulièrement favorables d'établissement. Le barrage a i.44g mètres de longueur et l'apparence d'un pont avec 119 arches comportant chacune un déversoir. Les fondations en ont été poussées jusqu'à 1 m. 52 dans la roche en place du fond de la rivière. L'usine génératrice s'allonge le long de la rive Iowa. Chaque turbine a une force de 10.000 chevaux. Une écluse gigantesque avec ascenseur permet le passage rapide des bateaux et remplace avantageusement les anciennesportes.


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L'entreprise doit, d'après les calculs, donner un développement considérable à la vallée inférieure du Mississipi, déjà favorisée par l'ouverture prochaine du canal de Panama. (D'après le Bulletin Ain. Geog. Soc., n° de juin 1913.)

Eruption du Colima

Le Colima, au Mexique, sur la côte Pacifique, après dix ans de repos, est entré brusquement en éruption le 20 janvier igi3, au matin. Le maximum se produisit vers midi le même jour, le soir le volcan était calmé. Le paroxysme fut accompagné de violentes détonations qui s'entendirent jusque dans l'Etat de Zacatecas, à 3oo kilomètres de distance. Comme indices prémonitoires, il convient de signaler depuis le 8 mai 1912 environ deux cents secousses, les unes imperceptibles, d'autres assez notoires.

La chute de cendre dans les environs du volcan fut assez considérable pour produire une obscurité complète à Zapotlan à 3 heures du soir, le 20 janvier. Le 21 il en tomba peu. les vents du sud la transportèrent bien plus loin vers le nord jusqu'à Saltillo et Coahuala, à près de 750 kilomètres. Dans le voisinage immédiat du volcan la cendre était assez chaude pour brûler les feuilles des arbres et incendier des maisons abandonnées. La quantité tombée ne fut pas considérable : i5 à 20 centimètres à Zapotlan ; les dégâts dans les champs assez minces.

C'est un très bel exemple d'activité volcanique du type strombolien, qui se différencie du type vulcanien précisément par l'absence de lave et la présence d'explosions. (D'après le Zeitschrift der Gesellschaft fur Erdkunde zu Berlin, n° 3, 1913.)

Le domaine du « Ghaparral » en Californie du sud

Le terme de « chaparral » est usité pour désigner un type de formation botanique reconnaissable à ses arbres rabougris avec troncs noueux. C'est l'intermédiaire comme aspect et situation entre les formations forestières et désertiques. Elle diffère de la forêt naine de hautes altitudes, où les arbres diminuent de taille et rampent à terre à cause du froid, en ce qu'elle contient des espèces botaniques différentes. Au lieu d'avoir des forêts composées d'essences des forêts avoi-


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sinantes abâtardies on a des essences nouvelles. Le domaine du Chaparral n'est pas étendu aux Etats-Unis ; il n'occupe que le Sud californien où son influence sur l'irrigation et l'hydrologie est considérableLa zone du Chaparral en Californie et au Mexique s'étend en latitude du 270 au 37° nord, et en altitude de o à 2.5oo m. Son plus grand développement est entre 600 et i.5oo m., où poussent 95 des 116 espèces botaniques caractéristiques.

Le développement restreint de ce type de forêt fait de suite penser à l'explication climatique. Schimper et Warming expliquent cette formation botanique par la combinaison assez rare d'un hiver à précipitations appréciables quoique non considérables et d'un été chaud et presque complètement sec. En effet, dans la partie nord du domaine du Chaparral californien 3 % seulement des rares précipitations tombent en été ; dans la partie centrale et sud moins de 1 %. Un deuxième facteur est l'orientation de la Sierra Madré qui s'étend W./E., c'est-à-dire normalement aux vents W. Les vents humides passent aisément par les cols peu élevés sans qu'il se produise condensation et pluie de relief. Il en résulte un climat de montagne, plus sec que dans la Sierra Nevada au nord.

Dans le domaine du Chaparral l'hiver humide et l'été sec changent les habitudes physiologiques des plantes. Elles font leur plus grande croissance en hiver et sont alors vertes, tandis qu'en été elles ont l'air sèches. La répartition des précipitations varie avec l'altitude, augmentant d'environ j6m/m par 00 mètres. Le long de la côte les précipitations annuelles sont de 33om/m, insuffisantes donc même pour la forêt naine. A 600 mètres la forêt naine commence ; à 2.5oo elle est remplacée par la forêt normale.

Dans le Sud californien la question de l'eau est primordiale et sera limitative de la colonisation future. Le Chaparral a donc une grande importance hydrologique. Il conserve l'humidité et régularise le flot des rivières : parce que ses racines aident à l'infiltration et empêchent l'érosion ; 20 parce que sa présence diminue le coefficient d'évaporation en brisant la force des vents désertiques du nord et de l'est, appelés « Santa Ana », et en ombrageant le sol.

La densité et la composition du Chaparral varient suivant l'altitude. Sur le versant de la Pasadena 84 % est foresté


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ainsi sur les pentes nord, entre 600 et 920 mètres, tandis que 57 % seulement l'est sur le flanc sud aux mêmes altitudes. Sur le versant de la Santa Anna les chiffres correspondants sont 64 % et 3g %. Entre 920 et i.5oo mètres les proportions sont les mêmes des deux côtés. On a constaté aussi pour la chaîne des monts San Bernardino que le Chaparral est bien plus dense sur les escarpements déchiquetés des pentes que sur les parties en pente douce. Dans les stations favorables le feu est à peu près le seul agent qui limite la densité du Chaparral. Sur les pentes nord les blessures du feu se cicatrisent aussitôt ; sur les pentes sud, par suite de la sécheresse du sol, les espaces brûlés restent déserts.

Les usages commerciaux du Chaparral sont très limités. Lors des débuts de la colonisation il a servi de combustible. Maintenant c'est fini. Quelques espèces sont utilisées comme bois de clôture ; les Indiens recueillent les noisettes dans certains cas pour leur nourriture ; enfin certaines espèces ont une valeur médicinale. L'apiculture est également très développée dans cette région.

(D'après le Bulletin of the American Geographical Society, numéro de janvier 1913.)

Explorations dans les Andes centrales

Le professeur Isaiah Bowman a déjà, à maintes reprises, dirigé des expéditions anthropologiques dans les Andes du Chili et de la Bolivie

En 1907, comme chef de l'expédition sud-américaine de l'Université de Yale, il explora une partie du désert d'Atacaina et des Andes maritimes, traça les lignes de rivage de l'ancien lac du plateau bolivien et descendit la vallée de la Chaparé jusqu'à la plaine amazonienne.

En 1911, comme géologue attaché à l'expédition péruvienne de la même Université, il descendit le fameux canon de l'Urubamba, entre Rosalina et Pongo de Mai nique. Il rapporta alors des régions parcourues et notamment de la vallée du Rio Pampaconas, jusque-là inexploré, d'importants documents géographiques sur l'évolution géologique de la région et son histoire glaciaire. Les résultats préliminaires de ses travaux peuvent se résumer ainsi :

L'étude des formes glaciaires dans les vallées a révélé


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que les glaciers avaient été de puissants agents d'érosion (powerful agent of eroston). Par ce temps de discussion entre glacialistes et non glacialisles, l'observation est intéressante.

20 De nombreuses preuves attestent l'existence de variations climatiques au-dessus de la limite atteinte par les graviers, soit dans les profondes vallées de la Cordillère, soit, dans le désert côtier.

3° Les grandes terrasses côlières laissent deviner une histoire compliquée avec une grande submersion au tertiaire.

4° Le grand cycle d'érosion tertiaire aboutissant à un relief de maturité a affecté cette région aussi bien que celle plus au sud, étudiée en 1907.

M. Bowman vient de repartir une troisième fois et compte rester d'avril à octobre 1913 dans les Andes centrales, aux confins de l'Argentine, du Chili et de la Bolivie. Ses études porteront spécialement sur l'anthropologie de. la région et les relations du peuplement avec le cadre physique. Ce sera pour l'explorateur l'occasion d'étudier une partie de la célèbre « Puna d'Atacama », vaste, plaine salée avec témoins volcaniques. Cette région, d'un grand intérêt scientifique, n'a jamais encore été étudiée.

AUSTRALIE

Le Chemin de fer transcontinental australien

Le premier ministre de la Confédération australienne a inauguré les premiers travaux de la section occidentale du chemin de fer qui doit traverser d'est en ouest le continent australien, de Kalgoorlie à Port-Auguste. La nouvelle ligne se soudera à celles déjà existantes des Etats de Victoria, Nouvelle-Galles, Queensland. On pourra ainsi se rendre directement de Pcrlh (Australie occidentale) à l'autre extrémité du continent, soit 6.4oo kilomètres. La ligne coûtera plus de 87 millions et demi. Les matériaux, à peu d'exception près et toute la main-d'oeuvre, seront fournis par l'Australie même.

Les 112 premiers kilomètres traversent les roches vertes aurifères où se trouve le fameux camp de Kalgoorlie. Ensuite durant 160 kilomètres c'est le granit recouvert, de sable. Au


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272e kilomètre, à partir de Kalgoorlie, commencent les terrains calcaires qui se prolongent sur 1.024 kilomètres. A eux succèdent les collines de sable de l'Australie méridionale. Le désert de sable traversé par la voie ferrée a une longueur de 160 kilomètres ; mais il est entrecoupé de plateaux herbeux. Ces collines, dont le sommet est résistant et qui ne sont, nullement comparables aux dunes, sont couvertes d'acacias et d'autres arbustes épineux. A partir de Winbring le soussol devient à nouveau granitique et susceptible de conserver les eaux de pluie. Près de là la voie traverse divers affleurements aurifères (Glenloth, Tarcoola). De Tarcoola à PortAuguste le pays est couvert de pâturages avec d'immenses parcs à moutons. On trouve cependant çà et là quelques lacs salés.

(D'après La Bévue française de l'étranger et Exploration, n° 411, 1913.)

RÉGIONS POLAIRES

Résultats de l'exploration de Knud Rasmussen sur la côte nord du Groeland

Un nouvel exploit géographique vient d'être accompli par les Danois au Groenland. En 1912 l'expédition Rasmussen a achevé de déterminer la configuration générale de la côte septentrionale de celle grande île et résolu le dernier problème important resté jusqu'ici sans solution dans cette parlie de l'Arctique.

Au nord du Groenland les cartes représentent une île très étendue, la terre Peary, découverte par le célèbre explorateur américain et séparée de la terre principale par un long goulet ouvert est-ouest.

En 1906, au cours d'un raid audacieux vers l'ouest qui devait entraîner sa mort et celle de ses deux compagnons, Mylius Erichsen avait constaté que ce goulet n'est qu'une baie et que la terre Peary se trouve rattachée au Groenland dont elle forme la saillie la plus septentrionale. Il y a quelques mois seulement cette observation a été connue lors du retour du capitaine Einar Mikkelsen qui, au cours de sa dramatique expédition de la côte nord du Groenland, avait recueilli dans un caim un document relatant cette décou-


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verte de Mylius Erichsen. C'est ce fait très intéressant que Rasmussen a confirmé par des levers. Grâce à cet explorateur, les travaux cartographiques effectués par les Danois, notamment par le capitaine Koch, se trouvent reliés à ceux effectués par l'amiral Peary en 1S92-1893.

A la place du canal Peary s'étend une haute terre dépouillée de glaciers et fort giboyeuse. Dans ces parages situés par S20 de lat. N., Rasmussen signale une très abondante fusion de neige et par suite un très copieux ruissellement. La présence du gibier a même facilité la tâche de la petite caravane danoise. Les boeufs musqués sont nombreuxLes

nombreuxLes faites dans cette région intéressent les ethnographes non moins que les géographes. Sur la terre Peary (820, 83° de lat. N.) les Danois ont, en effet, observé des cercles de pierre ayant servi à assujettir sur le sol des lentes Eskimos. Celte découverte prouvé, comme on le supposait d'ailleurs, que le peuplement de la côte orientale du Groenland s'est fait par une migration venant de l'ouest en passant par l'extrémité septentrionale de cette grande terre.

Le désastre de l'expédition Schroeder-Stranz au Spitzberg

L'expédition allemande du lieutenant Schroeder-Stranz était partie au Spitzberg en 1912 pour s'entraîner avant d'entreprendre la traversée du Passage Nord-Est. Son chef comptait revenir à la fin de l'année mais l'hiver arctique arriva plus tôt que de coutume et l'expédition se trouva bloquée.

En janvier 1913 la station radiotélégraphique norvégienne du Spitzberg avertit Christiania que l'expédition se trouvait en danger. Le capitaine du vapeur Herzog Ernst, qui avait transporté l'expédition à l'aller était arrivé à pied et en triste état à l'Advent-Bay, sur la côte occidentale du Spitzberg, le 27 décembre 1912. Le bateau avait, en effet, été immobilisé dans la banquise à la Treurenburg Bay. Lui-même avait quitté le lieutenant Schroeder-Stranz en août et depuis n'en avait plus aucune nouvelle.

Le 20 janvier, par ordre du gouvernement norvégien, partait une expédition sous les ordres de J. Jensen, composée de 5 hommes, i3 chiens et 3 traîneaux. Mais le lendemain elle devait faire demi-tour par suite d'une rupture dans le


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glacier à la suite d'un violent ouragan. Le 24 du même mois la tentative fut renouvelée mais n'eut pas de meilleurs résultais à cause de la quantité de neige et d'un ouragan. Elle élait parvenue au fjord Dickson et était en détresse à son tour- On dut organiser une expédition de secours pour la tirer du milieu de l'Eisfjord.

Le gouvernement norvégien, d'accord avec l'ambassadeur d'Allemagne, agissant au nom du Comité allemand de secours, décida d'envoyer une véritable expédition polaire. En mars le vapeur Herlha, parti de Tromsoe, tenta de pénétrer dans l'Eisfjord et de se mettre en relation avec la colonie norvégienne de l'Advent Bay. Outre d'abondantes provisions le vapeur portait 4 Lapons, 10 chiens et 20 rennes destinés à tirer les traîneaux et à la nourriture. L'entrée do l'Eisfjord dépend exclusivement de l'état de l'atmosphère. Avec les vents d'ouest et de sud-ouest l'entrée de la baie est totalement obstruée par les glaciers, h'Herlha tenta alors de passer de la côte ouest à la côte septentrionale et de progresser ainsi jusqu'à la Wijde Bay.

Ce n'est pas la première fois que l'on tente de traverse] 1 le Spitzberg durant l'hiver pour porter secours à une expédition en détresse. En automne 1872, 17 pêcheurs de baleines empêchés de rentrer en Norvège par un extraordinaire amoncellement de glaces réussirent à gagner le cap Thordsen dans l'Eisfjord. Le vapeur Albert parti à leur secours entreprit le voyage du 21 novembre au 16 décembre, ne touchant que la pointe méridionale du Spitzberg. Une autre tentative vaine fut faite dans l'hiver -1872-1873. Etant données les connaissances météorologiques actuelles, les chances de réussite étaient beaucoup plus grandes aujourd'hui. La Northern Exploration C° qui, pour des raisons d'exploitation minière, entretient des ouvriers en hiver au Spitzberg, avait promis de donner tout son concours à l'oeuvre de secours.

Le capitaine Slaxrud, chef de l'expédition envoyée par le gouvernement norvégien, vient de télégraphier de l'Advent Oay le rapport suivant au ministère des affaires étrangères.

« Arrivés le 1/1 avril à Wide Bay, dont le littoral fut examiné les jours suivants, passant par Mossel-Bay, nous arrivâmes à Treurenburg-Bay. Dans la cabane appartenant au service géodésique international nous rencontrâmes deux Allemands : le docteur en médecine Rudiger et le peintre


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Rave. Les cadavres de trois aviateurs de l'expédition Ebcrhardt et les docteurs Delmers et Mocser furent retrouvés«

retrouvés« Schroeder-Stranz et des quatre compagnons qui, le i5 août de l'année dernière, parlaient avec lui sur le navire Herzog Emst pour explorer le littoral nord-est du Spitzberg, on n'a trouvé nulle trace.

« Des cinq Norvégiens qui faisaient partie de l'expédition quatre ont été sauvés après d'énormes souffrances. Un autre est mort de tuberculose dans la cabane du service géodésique suédois, près de Trcurcnburg-Bay. »

Résultats géographiques de l'Expédition Nordenskjoeld dans l'Antarctide

Suess, dans un essai de synthèse hardie, avait admis que les Andes se prolongent directement dans l'Antarctide par la guirlande des Antilles du Sud. D'après Olto Nordenskjoeld la liaison est en effet indiscutable, mais la manière donl se fait cette liaison reste à expliquer. Ses observations, au cours de sa croisière polaire, ont porté sur deux points principalement : la constitution géologique de ces Antilles du Sud et les conditions de leur glaciation.

Les Andes antarctiques sont le prolongement des Andes américaines : les mêmes roches éruplives jeunes se retrouvent des deux côtés. Leur hauteur moyenne est de 2.000 mètres et elles présentent des formes de hautes montagnes alpines. L'intérieur n'en est pas connu ;

20 Les Orcades et les Shettlands présentent des bandes longitudinales de structure différente. En parlant des Andes on rencontre successivement des roches éruplives anciennes, un grand graben profond, des roches éruptives récentes, des montagnes de type andin, enfin des couches jurassiques peu plissées ;

3" Le plat pays oriental comprend dans la pensée de Nordenskjoeld une série d'îles à l'est du canal du Kronprinz Gustav. Sur un socle sédimentaire crétacé et tertiaire s'étendent d'immenses nappes de roches éruptives récentes qui enrobent tout. Vers le 65° lat. les îles Robben révèlent la même composition. Au travers des laves et des tufs pointent quelques rares nunataks-


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Quant à la glaciation elle est forle, indiscutablement; mais on ne rencontre pas ici de grands inlandsis. Nordenskjoeld voit à cela deux raisons : le terrain plat est trop élroil et les précipitations sont relativement faibles (25 centimètres de neige par mois) à cause du vent. En hiver même l'ablation de la neige par le vent l'emporterait un peu sur les précipitations. Aussi ce que l'on peut appeler « le façonnement glaciaire » est-il très peu important.

(D'après le Zeilschrifl der Gesellschafl fur Erdkunde Berlin, 1912, pp. 619-626.) .

Résultats géographiques définitifs de l'expédition Shackleton

Les matériaux recueillis par l'expédition Shackleton, au cours de son raid antarctique, viennent seulement d'êlre étudiés définitivement et certains fails du plus haut intérêt ressorlenl de celle élude (Priestley et Edgeworth David-Gcological Notes on the Briiish Aniarctic Expédition 1907-1900).

Au point de vue géologique il semble bien que le continent antarctique, dans la région étudiée par l'expédition du Nimrod, est essentiellement composé d'un vaste ensemble plissé de roches graniloïdes ante-cambriennes, sur lesquelles le cambrien et le Permo-Trias ou Mésozoïquc seraient venus s'étendre en transgression. Seuls les mouvements huroniens se seraient donc fait sentir sur la terre Victoria. Il ne s'agit naturellement que de la haute chaîne plissée qui borde le continent antarctique le long de la mer de Ross et du glacier Beardmore ; l'expédition n'a pu, et pour cause, rapporter des données géologiques sur l'immense plateau glacé où se trouve le pôle Sud.

En outre de ces plissements anle-cambriens, la chaîne, dans la région côtière étudiée en détail par l'expédition, est accidentée de gigantesques failles alignées à peu près parallèlement aux méridiens ; certaines d'entre elles sont jalonnées par des volcans en activité (Erebus, Mont-Discovery). La mer de Ross, notamment, serait due à un effondrement produit suivant ces failles. Des accidents orientés normalement aux premiers ont aussi été signalés par les géologues


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du Nimrod mais ne paraissent pas avoir eu une importance comparable.

Les résultats glaciologiques de l'expédition sont d'un intérêt capital.

D'abord un résultat négatif extrêmement curieux : absence totale d'argile à blocaux. Cette formation si abondante dans le quaternaire de l'hémisphère nord et dans les terrains anciens de l'hémisphère sud fait complètement défaut sur la terre Victoria. Il y a à ce fait étrange deux explications possibles : le substratum, composé principalement de roches granitoïdes ou détritiques pouvait être impropre à la formation d'argile glaciaire ; ou bien les glaciers ne sont pas encore assez en retrait pour avoir mis à jour leurs moraines de fond. Il faut avouer qu'aucune de ces deux explications ne paraît bien satisfaisanteEn

satisfaisanteEn endroits de gigantesques banquises côtières sont échouées sur un plateau côtier présentant des fonds de 5o à 3oo mètres environ. Peut-être est-ce une plaine d'abrasion marine. On sait par ailleurs que certains auteurs ont soutenu l'opinion que certaines des îles de la Nouvelle-Sibérie étaient produites par l'accumulation des glaces de débâcle des fleuves, échouées sur des hauts fonds. Il s'agirait ici d'un phénomène analogue où les fleuves sibériens nord-sud seraient remplacés par les glaciers.

La Grande Barrière, immense plaine triangulaire de 7f>o kilomètres de long, paraît être formée, sur les bords, de glace de glacier, mais ensuite presque uniquement de glace de neige dont elle serait recouverte d'une couche d'environ 3oo mètres. Le front, coupé d'une falaise de 3o à 60 mètres de haut, est flottant et des icebergs s'en détachent, exclusivement formés de neige comprimée, car leur partie immergée ne dépasse pas en hauteur leur saillie au-dessus des flots. On sait, du reste, qu'Amundsen prétend que, dans la baie des Baleines, la grande barrière est échouée sur le fond. Plusieurs centaines de kilomètres séparant les quartiers d'hiver des expéditions anglaise et norvégienne, les conditions glaciologiques pouvaient être distinctes en ces deux points.

(D'après La Bévue scientifique, 26 avril 1913.)


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Les résultats géographiques de l'expédition Amundsen

La troisième expédition du Fram se divise en deux parties : la marche vers le pôle Sud et l'exploration du bassin antarctique.

L'expédition de la Discovery de Scott avait établi que la barrière était une bonne route et que derrière les glaciers de 3.000 mètres s'étendait un vaste plateau. Ces données qui permirent le raid de Shackleton inspirèrent aussi l'expédition d'Amundsen.

Décidé à pousser aussi loin que possible en baleau vers le sud pour diminuer d'autant le trajet en traîneaux et connaissant d'autre part les quartiers d'hiver des autres expéditions polaires, Amundsen établit son campement sur la Grande-Barrière elle-même, le i4 janvier 1911. Dès l'arrivée Amundsen pouvait s'assurer que la Barrière reposait bien sur le sol : ce que prouvait sa surface bouleversée, comme les énormes monticules et les profonds sillons dont elle était parsemée. De là l'expédition se scinda en deux parties. La première alla explorer la terre du roi Edouard ; l'autre poussa droit au plateau polaire.

Les résultats géographiques de cette seconde escouade peuvent se résumer ainsi :

Aspect de la Barrière. — Après la région tourmentée où l'expédition avait débarqué, la Barrière montrait des ondulations basses et polies sans danger entre le 8o° et le 8i° de latitude. Mais entre le Si° et le 820 de grands blocs arrachés à la Barrière masquaient des abîmes effrayants. Des gouffres et des crevasses s'entr'ouvraient en tous sens. Au-delà du 820 la Barrière était de plus en plus unie. A partir du 83° la terre apparaissait au sud-sud-ouest.

20 Jonction de la Barrière et de la terre Victoria. — Une chaîne de montagnes courant nord-ouest-sud-est rencontre la Barrière. Elle présente des sommets splendides de 3.000 à 5.ooo mètres, en forme de cônes aigus et d'aiguilles. C'est la continuation de la terre Victoria. Cette chaîne, vers le 86°, s'unit à une autre orientée est-nord-est : la chaîne de la Reine Maud. Celle-ci, avec des sommets de 700 à i.4oo mètres, peut être suivie à l'oeil jusqu'au 84° de lati-


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tude. La jonction même de la Barrière avec la terre ne présentait rien d'extraordinaire.

3° Rebord de la terre Victoria. — Le rebord de la terre Victoria se présente ici sous forme de très haute chaîne baptisée « Chaîne du Prince Olaf », à l'ouest du i6o° long, est, et chaîne Don Pedro Christophersen, à l'est du i55° long, est. Entre les deux se dresse un massif isolé : le massif Fridtjof Nansen. De chaque côté du massif Nansen deux grands glaciers descendent du haut plateau à la Barrière : le glacier Livingstone entre le massif Nansen et la chaîne du Prince Olaf et le glacier Axel Heiberg, entre ce même massif et la chaîne Christophersen. C'est par ce dernier que l'expédition Amundsen a gagné le plateau polaire. La route norvégienne était donc bien à l'est de celle de Shackleton, qui avait utilisé dans des conditions analogues le glacier Beardmore entre la chaîne du Prince Olaf et. les monts de la reine Alexandra.

Une fois le plateau polaire atteint toute la chaîne de la reine Maud était visible vers le nord-est et put être baptisée de noms divers. Il convient de noter entre autres les monts Thv- Nielsen, d'au moins 5.ooo mètres.

4° Le plateau polaire. — A 3.260 mètres d'altitude, une fois les escarpements franchis, le plateau polaire s'étendait à une hauteur constante jusqu'à 88°,25 de lat. sud. C'est le plateau baptisé par Amundsen « Plateau du Roi Haakon VII » cl que Shackleton avait déjà reconnu sous le nom de « Plateau du Roi Edouard VII». A partir de 88°,26 le plateau descendait en pente douce, sans ondulation, sans crevasse. Amundsen a été frappé de l'aspect uni de la neige qui tendroit à prouver qu'aucune tempête ne l'a jamais bouleversée. Ce fut ainsi jusqu'au point 89°,59, baptisé « Polheim ».

Pendant ce raid la première escouade (lieutenant Presterud) fit un excellent travail à l'est et dans le voisinage de la baie des Baleines. Elle atteignit la terre du Roi Edouard VII découverte par Scott. Ses observations confirmaient entièrement celles de leur prédécesseur. Les monts de la Reine Alexandra apparurent comme une crête entièrement couverte de neige de 400 mètres de haut, s'étendant au sud-est à perte de vue et limitée au nord par deux pics nus, les nunataks Scott (55o mètres environ).

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Enfin, le capitaine Nielsen, pendant que se déroulait la campagne antarctique, se livrait à un important travail océanographique sur le Fram. Au cours d'une croisière de 8.000 milles de Buenos-Ayres en Afrique et retour, il fit une série de soixante stations océanographiques.

(D'après La Géographie, Paris, février 1913.)

L'expédition antarctique australienne

L'expédition antarctique australienne organisée par le docteur Mawson est partie le 2 décembre 1911 de Hobart-Tovvn sur le navire Aurora. Après avoir établi une station scientifique et de télégraphie sans fil sur l'île Macquarie l'expédition arriva dans la Commonwealth Bay, près de l'extrémité de la terre Amélie. Elle se scinda alors en deux groupes : le premier, sous les ordres du docteur Mawson, prit terre avec la plus grande partie de l'équipage ; le second, commandé par Wild, fut débarqué beaucoup plus à l'ouest, tout près des quartiers d'hiver du « Gauss ». Le navire remontant alors vers le nord entreprit une croisière océanographique.

Les communications radiotélégraphiques restèrent longtemps très précaires par suite de la faiblesse de la station de l'île Macquarie. Tout au plus pût-on apprendre que de violentes tourmentes avaient empêché toute sortie utile en septembre 1912. La neige avait atteint 10 mètres autour de la station.

Le 25 février igi3 arrivait la nouvelle que deux membres de l'expédition, le lieutenant anglais Ninnis et le biologiste suisse Merz, étaient morts, mais que les autres étaient en bonne santé et que le travail se poursuivait dans d'excellentes conditions tout autour de la Commonwealth Bay. D'importantes observations sur le pôle magnétique avaient été faites également.

(D'après le Bollelino délia B. Sociela geografica, Rome, 1913, n° i.)

Découvertes de l'expédition antarctique allemande dans la mer de Weddell

Le 7 janvier 1918, le Deutschland, le navire de l'expédition antarctique allemande commandée par le lieutenant Filchner, est rentré à Buenos-Ayres. Cette expédition projetait de


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débarquer dans les parages de la mer de Coats, découverte par le docteur Bruce à l'est de la mer de Weddell et d'effectuer la traversée du continent antarctique vers la mer de Ross. Si le lieutenant Filchner n'a pu mettre ce projet à exécution, cependant il a obtenu des résultats importants.

A la fin de 19x1, le Deutschland s'engagea dans la mer de Weddell et réussit à dépasser le point extrême atteint par Weddel dans cette mer en février 1823. Par 76°,48 de lat. sud et 3o°,2.5 de long, ouest on découvrit une terre recouverte par un inlandsis, laquelle paraît être la continuation de celle de Coats et qui reçut le nom de « Prince régent de Bavière Luitpold ». En longeant ce nouveau continent vers le sud-ouest le lieutenant rencontra une petite baie : la baie Vahsel entre la terre du Prince régent Luitpold et une Barrière qui s'étend à l'ouest et se termine sur la mer par une falaise haute de 10 à 25 mètres.

Après un séjour d'un mois dans ces parages très dangereux l'expédition se dirigea vers le nord. Le 8 mars 1912 le navire fut pris par les glaces par 73°,43 de lat. S. et 3i°,6 de long. O. et dériva avec elles vers l'ouest-nord-ouest. Ce ne fut que le 26 novembre que le navire réussit à se dégager.

Le lieutenant Filchner compte reprendre la mer à la fin ■de l'année afin de poursuivre ses découvertes à la terre du -« Prince régent Luitpold ».

(D'après le Zeitschrift der Gesellschaft fur Erdkunde zu Berlin, 1913, n° 1.)

Les projets d'expéditions polaires

En juin 1913 devait se mettre en route une expédition, sous les ordres de V- Stefansson, l'explorateur et l'ethnologue qui a déjà passé plusieurs années dans l'extrême-Nord de l'Amérique septentrionale. L'expédition est organisée par l'Office géologique du Canada et subventionnée par le gouvernement. Le point de départ était la Colombie britannique. De là Stefansson avait l'intention de gagner le détroit de Behring et d'établir ses quartiers sur une terre supposée dans ces régions ou à Land's End, dans l'île du prince Patrice. Le navire de l'expédition doit revenir en Europe pour éviter d'être emprisonné dans la banquise durant l'hiver.

Stefansson, lors de son dernier voyage, a découvert dans


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l'île Victoria une tribu Eskimo, de coloration claire, qui connaît le couteau à manche d'os employé par les anciens Normands. Ses nouvelles recherches porteront sur l'origine de cette curieuse tribu. Le baleinier Kamluh a été frété spécialement dans ce but. Stefansson emmène avec lui cinq autres personnes. (D'après le Scottislt Geographical Magazine, Edimbourg, n° 4, 1913.)

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Une expédition française se propose d'explorer la partie nord-est, très peu connue, de l'archipel François-Joseph. M. Jules de Payer, qui la dirigera, est le fils du célèbre explorateur autrichien qui découvrit l'archipel François-Joseph. Le gouvernement français prêtera son concours. L'expédition comptera parmi ses membres un géologue. Pour éviter le désastre du Tegethoff, le navire de l'expédition autrichienne, il est probable que les quartiers d'hiver de l'expédition française seront établis sur terre ferme et que le navire sera renvoyé en France durant la mauvaise saison. On envisage également la collaboration durant l'été de deux aéroplanes.

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L'explorateur Roald Amundsen a fait connaître son intention formelle de conduire une expédition dans les régions arctiques en 1914. Il partirait de San-Francisco ou de Seattle, sur le Fram, à la tête d'un état-major scientifique important et resterait cinq ans. Son but serait tout différent de celui de V. Stefansson. Au lieu de rechercher une île ou un archipel supposé entre l'Alaska et le Pôle, Amundsen entend se consacrer exclusivement à l'étude de la dérive des eaux polaires et aux observations météorologiques et océanographiques. Le Fram entrerait par le détroit de Behring dans le bassin polaire, se laisserait emprisonner dans la banquise et dériverait ainsi jusqu'à l'Atlantique. On ne peut moins faire que de souligner la ressemblance de ce projet avec le programme que s'était tracé autrefois F. Nansen. Le gouvernement norvégien s'est inscrit pour 200.000 francs et la National Geographical Society de New-York pour 100.000. (D'après le Bolletino délia R. Société geografica, Rome, n° 5, 1913.)


BIBLIOGRAPHIE

Etienne TARIS : La Russie et ses richesses (Collection : Les Pays modernes). — Paris, Pierre Roger, s. d. 247 p., 24 pi. phot.

La Russie, à cause de l'abstacle que dresse entre elle et l'Occident sa langue si difficile, est assez mal connue et les bons ouvrages à son sujet sont plutôt rares. Nous ne saurions donc recommander trop chaudement le manuel de M. Taris à qui veut prendre un aperçu rapide, net, parfaitement au courant de toutes les régions et de tous les ordres d'activité, de ce vaste monde qui •s'organise. Bien que l'auteur ne fasse guère d'incursions dans le champ de la géographie physique, on peut considérer son livre comme un manuel géographique qui rendra des services aux divers points de vue suivants : ethnographie, vie économique, développement des villes, description des aspects essentiels. M. TARIS Bst très favorable aux Russes ; il montre les efforts du gouvernement pour résoudre dans ces dernières années le problème agraire dans la petite Russie et en général dans les pays à céréales ; il n'hésite pas à déclarer leur politique vis-à-vis des Polonais meilleure que celle des Autrichiens et des Allemands. Sa qualité d'ingénieur, ancien élève de l'Ecole polytechnique, lui donne une véritable autorité pour traiter les questions industrielles d'abord, celles de finance et de commerce ensuite ; et il fait montre dans tout son ouvrage d'une remarquable lucidité et d'un don d'exposition très agréable, en même temps que d'un patriotique souci d'intéresser nos hommes d'affaires aux choses russes.

L'ordre adopté est le suivant : un avant-propos sur les relations de la Russie et de la France, l'auteur déplore que, malgré les sommes énormes que nous avons portées aux Russes, nous n'allions pas dans leur pays et participions à peine à leur commerce de gros ou de détail. Ensuite, l'étude de la Pologne, vestibule de la Slavie, métamorphosée aujourd'hui par l'industrie, où les


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capitaux français et l'intervention personnelle des Allemands joue un rôle considérable. Puis après un coup d'oeil d'ensemble sur toutes les Russies, où il nous mène de la Finlande à l'Ukraine et au Caucase, et où il analyse la composition ethnographique du peuple russe, son mode de gouvernement et d'administration, les caractères généraux de l'Etat, en un mot, il aborde en une seconde partie l'étude des Grands Russes, c'est-à-dire SaintPétersbourg, puis Moscou, la ville des marchands, qui est en même temps le conservatoire des moeurs grand-russiennes ; enfin, il nous fait descendre la Volga, cet axe du monde russe comme il l'appelle justement, au long duquel s'est opérée et s'opère encore la colonisation des Grands Russes. Une troisième partie lui fournit l'occasion de passer en revue les régions nourricières de la nation russe : la petite Russie, les régions à blé ; enfin, deux très importants chapitres sur la Russie industrielle. Nous recommandons particulièrement la lecture et l'utilisation de cette partie de l'ouvrage. Enfin, une quatrième partie entraîne le lecteur autour de la Russie, c'est-à-dire dans les régions non slaves soumises aujourd'hui à l'empire des tsars : Les provinces baltiques, où Riga s'est élevée au rang du premier port de commerce de la Russie entière, dépassant aujourd'hui Odessa, la Finlande, dont le particularisme est caractérisé en quelques traits, mais saisissants, enfin l'immense Babel du Caucase, qui donne lieu à un chapitre très clair et substantiel. Dans les deux derniers chapitres, « La Russie dans le monde moderne » et « L'avenir de nos relations avec la Russie », M. TARIS revient sur la marche à pas de géant du développement économique russe, sur l'afflux actuel des capitaux et nous donne d'utiles conseils sur la méthode à suivre pour progresser malgré la concurrence des Allemands ; il montre ce qui a déjà été réalisé dans cette voie ; enfin, il termine son remarquable livre par des considérations sur l'avenir du double problème de l'Autriche et des Balkans. M. Z.

Jules LECLERCQ : Aux sources du Nil par le chemin de fer de l'Ouganda. — Paris, Pion, 1913, in 12,300 p.

Nous avons déjà lu bien des récits de voyage de M. Jules Leclercq ; avec une véritable passion, ce magistrat belge à l'âme aventureuse, se dédommage du traintrain des sessions en visitant méthodiquement le monde pendant ses vacances. C'est ainsi que


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nous nous sommes autrefois laissés conduire à sa suite dans l'Afrique australe, au Spitzberg, au Japon, dans l'île Maurice, que sais-je encore ? Il serait malaisé de trouver des régions de notre globe accessible au touriste, où M. Leclercq n'ait pas promené sa sympathique et intelligente curiosité.

Les récits qu'il offre régulièrement au public après ces tournées rapides, sont parmi les plus agréables que nous connaissions dans toute la littérature des voyages. Nous avouons les lire toujours avec le même plaisir et le même profit. Bien que M. Leclercq n'affiche aucune prétention d'homme de science, qu'il voyage pour voir et pour sentir, son coup d'oeil est très précis, très observateur, ses jugement pleins de bon sens et d'esprit, et sa manière d'écrire toute simple, est charmante. C'est tout à fait ce qu'on attend d'un honnête homme de bonne culture.

Ces réflexions, nous les faisions en lisant ce dernier volume, fruit d'un rapide voyage en ces lieux, où il n'y a pas plus d'un demi-siècle, s'exerçait encore l'énergie des explorateurs Speke, Baker, Stanley, et où se donnait carrière, la frénétique cruauté des potentats noirs, tels que Mtésa ou Mwanga, où enfin il n'y a pas plus de quinze ans, on ne parvenait qu'au prix d'un pénible et dangereux voyage de plusieurs mois.

Le trajet de M. Lleclercq a été fort simple. Parvenu à Mombasa, il a pris le chemin de fer de l'Ouganda, en s'arrêtant quelques heures à Nairobi et à Kisoumou (Port-Florence) ; de là il a gagné sur le lac Victoria, Entebbé, résidence officielle du gouverneur de l'Ouganda ; les souvenirs de Mtésa l'ont attiré aussi à Kampala, la capitale indigène, puis s'embarquant sur un petit vapeur, il a effectué, en onze jours, le tour complet du VictoriaNyanza en touchant barre à Mouanza et à Boukoba, stations de la colonie est-allemande ; enfin, son récit se termine sur l'émouvante visite du point où le Nil sort du lac au prix des grandioses chutes Ripon.

Détachons quelques-unes des observations les plus typiques dont M. Leclercq nous fait part chemin faisant. Mombasa l'a frappé par l'aspect encore portugais du vieux quartier arabe et hindou, et par l'envahissement universel des Hindous, invasion qui d'ailleurs obsède le regard jusqu'au coeur de l'Ouganda. Il n'est pas, à Monbasa, jusqu'à la nature elle-même, qui ne rappelle des aspects de l'Inde. Seul le grotesque baobab donne l'empreinte africaine.

Au long de la voie ferrée, intéressant détail au sujet des aspects


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édéniques de la réserve de gibier du plateau d'Athi, puis sur Nairobi, campement de pionniers blancs, au coeur de la région des plateaux, qui a suscité de si vives espérances pour l'avenir de la colonisation blanche. Il y a là aujourd'hui 800 Européens, dont un certain nombre de Boers, un bazar hindou très bien fourni et achalandé ; c'est là que l'on équipe les grandes expéditions de chasse ou « safari », qui sont devenues la mode depuis quelques années dans le monde anglo-saxon et qui, d'ici peu d'années, dépeupleront l'Afrique orientale de ses immenses ressources de gibier. Nairobi est aussi le centre des cultures, voire d'Europe, mais la colonisation blanche paraît languir ; le bétail européen y dépérit, la fièvre maligne n'épargne pas les colons. « Somme toute, il n'est nullement prouvé que les hauts plateaux de l'Afrique orientale puissent devenir le séjour permanent de l'Européen sans amener sa dégénérescence et encore moins que le blanc puisse s'y reproduire pendant plusieurs générations... La fraîcheur ne peut détruire le fait du voisinage de l'équateur. » Aussi n'y a-t-il encore aujourd'hui que 2 à 3.000 blancs dans tout le protectorat britannique de l'Afrique équatoriale.

De Nairobi, on gage en franchissant le double escarpement du gigantesque Rift est-africain, Kisoumou sur les bords du Nyanza où, après les fraîcheurs du plateau de Kikouyou, on retrouve l'étouffante atmosphère de serre tropicale. Kisoumou est aujourd'hui le port le plus important du lac Victoria, malgré son insalubrité ; il y existe une belle cale sèche, deux quais très encombrés, des ateliers de montage et de réparation, un égrenage de coton et diverses fabriques. Là encore, les noirs kavirondos, peuple de statues d'ébène, circulant dans la nudité innocente du paradis terrestre, sont évincés par les ingénieux hindous.

A Entebbé, ce n'est plus la population, mais bien la ville ellemême, vaste parc tropical où se perdent les cottages entourés de haies fleuries, qui rappelle l'Eden, animé du chant et du ravissant plumage de milliers d'oiseaux. Mais deux fois par jour l'orage équatorial y éclate avec sa fureur coutumière, si angoissante que certains résidents ne s'y accoutument jamais, et partout dans le voisinage, veille à l'ombre des frondaisons humides le minuscule vampire qui, depuis une dizaine d'années, fait un tragique cimetière de ces lieux enchantés : la mouche tsétsé, qui a déchaîné la maladie du sommeil sur l'Ouganda. Là où vivent les Européens et sur tous les bords du lac, l'administration anglaise a fait impitoyablement couper arbres et taillis : elle a fait éva-


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cuer les îles Sesse, sorte de paradis jadis surpeuplé, aujourd'hui dévastées et désertes. C'est en effet par centaines de milliers que les Baganda ont payé leur tribut au fléau.

M. Leclercq, qui est fervent catholique, a donné beaucoup d'attention à l'oeuvre des missionnaires, qui, comme on sait, date des premiers temps de l'occupation et qui, sur ce terrain d'élection, parmi ces populations plus raffinées que partout ailleurs, en Afrique, a donné des résultats vraiment remarquables ; c'est .au nombre de 107.000 que l'on compte les indigènes catholiques en Ouganda, contre 70.000 protestants.

Durant les arrêts du bateau, lors de son tour du lac, M. Leclercq a été très péniblement impressionné de voir à Mwansa, à Boukoba, et jusqu'au coeur de la forêt vierge, des équipes de prisonniers indigènes travaillant à la chaîne, le cou enserré dans un carcan de fer. Il faut croire que ce système barbare est général dans les colonies allemandes, quelle que soit la nature des indigènes, puisqu'il est également en vigueur au Togo, où M. de Giron•court a été choqué par la même méthode. En somme, la colonisation est peut-être fort belle chose de loin, mais lorsqu'on voit de près, comme l'a fait M. Leclercq, les violences des civilisés à l'égard du primitif, on se prend à regretter la possibilité de «es abus de la force et l'on en vient à discuter le principe colonial •en soi. M. Z.

Louis GENTIL : Le Maroc physique (Nouvelle collection scientifique), Paris, Félix Alean, in-8<>, 1912, 319 p., 1 carte hors texte, 3 fr. 50.

Le Maroc forme le prolongement naturel de l'Algérie. Ses limites sont imprécises de tous côtés, sauf entre l'oued Kiss et le Teniet es Sassi. Le relief et la géologie en sont très imparfaitement connus. La plupart du temps, il faut s'en tenir à des levés d'itinéraires, surtout pour les régions montagneuses.

M. Gentil trace d'abord l'évolution de nos connaissances sur le pays, depuis le périple de Hanon. Ce n'est qu'au début du xrxe siècle que Ritter put donner une idée d'ensemble de l'orographie du Maroc. L'exploration scientifique date de 1860, après la conférence de Madrid. Dans ces dernières années, il faut citer les noms du capitaine Larras, de MM. Flotte de Roquevaire, Segon-


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zac et Gentil. Actuellement, l'ère de l'exploration du Maghreb est terminée.

Les chapitres 2 et 3 sont consacrés à l'histoire géologique. Nous n'en retiendrons que les problèmes principaux : Où commence exactement le moyen Atlas, dans la région où il se détache du haut Atlas ? Quelle en est la composition géologique et la structure ? car, il faut bien l'avouer, nous ne connaissons presque rien de cette chaîne. Quel lien existe-t-il entre le Rif et les montagnes du sud de l'Espagne ? Et ici la question a une importance capitale car c'est tout le problème de la Méditerranée occidentale qu'elle met en jeu. Bien d'autres questions présenteraient encore un vif intérêt, par exemple celle des relations des chaînes marocaines avec celles du Tell, mais il faut de toute nécessité sérier les problèmes.

Examinant le prolongement de l'Atlas sous l'océan Atlantique, M. Gentil est amené à parler de l'Atlantide. On sait que des textesanciens ont conservé le souvenir de relations qui auraient existé, à une époque reculée, entre l'ancien continent et une contrée située à l'ouest de l'Europe ou de l'Afrique. Cette théorie définitivement ruinée, semble depuis quelques années devoir être reprise par les savants sur des données nouvelles. M. Gentil et, après lui, M. Germain, tendraient à admettre que « les îles Açores, les Canaries, Madère, et l'archipel du Cap Vert, autrefois réunis, constituaient une vaste aire continentale ». Relié à la Mauritanie ce continent devait se rattacher à un point indéterminé de l'Amérique, vraisemblablement au Venezuela. »

Les prolongements de l'Atlas sur le continent sont plus compliqués à suivre qu'on ne pourrait le croire à première vue. En réalité, le Haut Atlas se poursuit dans l'Atlas saharien d'Algérie ; le Moyen Atlas dans le Tell. Quant au Riff, c'est encore un mystère. A signaler une excellente description physique de la région des confins algéro-marocains (p. 137-142).

En attendant que la tectonique soit éclaircie, M. Gentil donne une description des formes des divers terrains qui est fort intéressante au point de vue géographie (croupes arrondies des reliefs granitiques, topographie sénile des argiles dans le R'arb, surtout immenses reliefs calcaires à aspects très variés, etc.). Il n'y a pas jusqu'à la topographie volcanique qui ne soit représentée ici d'une façon saisissante dans le djebel Siroua.

L'étude de l'évolution du réseau hydrographique, en fonction du relief, ne comporte pas moins de 40 pages. Nous signalerons


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spécialement celle du réseau de la Meseta marocaine (p. 224226). La pénéplaine primaire montre partout un rajeunissement de la topographie ancienne. A l'amont, les cours d'eau ont des gorges à pentes raides, c'est le stade de jeunesse. A l'aval, le paysage est tout différent, les vallées sont larges, le relief est à maturité. A la fin du chapitre, l'auteur trace l'histoire très compliquée de la Moulouya (p. 235-240).

Pour le climat, M. Gentil ne peut que résumer les observations météorologiques rares et décousues. Tout au plus peut-il noter la température moyenne de l'année, basse sur toute la côte atlantique, due comme l'a montré Th. Fisher à la présence de cou rants froids le long de la côte. La même raison explique l'humidité relativement grande et les brouillards qui caractérisent cette bande côtière.

Les formations végétales offrent au Maroc un intérêt de premier ordre. On pourra y saisir sur le vif le passage du domaine humide côtier à la zone des steppes. Quand cette flore sera mieux étudiée, on pourra même voir comment « les plantes de l'Atlas forment la transition entre la flore méditerranéenne et la flore tropicale ». Trois essences sont particulièrement intéressantes comme susceptibles d'un avenir commercial : le cèdre, qui constitue par excellence l'arbre des hautes montagnes ; le chêne-liège, rencontré partout où le climat marin se fait sentir, et l'arganier. Cet arbre est le plus curieux de la flore marocaine. Il est exclusivement confiné au Sous. Il y a peu d'espèce végétale qui soit, à un plus haut degré, répandue à profusion et reléguée dans un périmètre aussi restreint. L'arganier sert à la nourriture des ruminants, au chauffage, et à la fabrication d'une huile très estimée.

Un dernier chapitre est consacré à l'étude des sols. Tout le monde connaît ces fameuses terres noires (tirs) extrêmement fertiles signalées pour la première fois par Th. Fisher en 1899. D'après leur étymologie, les tirs sont des terres fortes suffisamment argileuses. Elles s'étendent de Rabat à l'oued Tensift, soit sur 300 kilomètres de côte, et s'enfoncent jusqu'à 60 et même 100 kilomètres à l'intérieur. Leur épaisseur est très variable et elles ne forment pas une croûte uniforme. Leur origine est un problème. Deux théories sont en présence, celle de Fisher, d'après laquelle ces terres auraient une origine éolienne, et celle de Gentil. Celui-ci y voit le produit de la désagrégation et de la décalcification des terrains calcarifères.

Ce petit livre peut donc être considéré comme un premier essai


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de synthèse scientifique de nos connaissances sur le Maroc physique au moment où notre protectorat s'y implante officiellement. On ne pourrait lui reprocher qu'un excès de documentation. Par scrupule scientifique, M. Gentil accumule parfois les détails, ce qui rend la lecture difficile quoique suggestive.

I. A.

Augustin BERNARD : Le Maroc (Bibliothèque d'histoire contemporaine), Paris, Félix Alcan, 1913, in-S", 412 p., 5 cartes hors texte, 5 francs.

Nous devons savoir gré à M. Augustin Bernard d'avoir réuni en un ouvrage d'ensemble les renseignements essentiels sur le Maroc disséminés en de nombreuses revues, parfois difficilement accessibles. Mais l'auteur des Confins algéro-marocains et des Régions naturelles de l'Algérie s'est souvenu qu'il écrivait ici dans une collection historique. Aussi, de la géographie du pays, n'a-t-il voulu retenir que les traits essentiels, pour situer sa mise au point économique, sociale et historique. Les trois premiers chapitres (livre Ier) sont-donc un cadre ; « Les Conditions géographiques », comme les intitule M. Bernard (situation et limites, nature et relief du sol, le climat, les eaux et la végétation), pages 1 à 61.

Dans le livre II, « Les Conditions historiques », l'auteur entre dans le vif de son étude. En trois chapitres, nous voyons d'abord les diverses vagues de peuplement qui ont déferlé sur le Maghreb. Les Berbères forment le fond premier, la population autochtone, pourrait-on dire, sans preuves toutefois pour l'affirmer. Ces Berbères, dont le nom est peut-être tout simplement le résultat de la déformation du mot Barbaroï, des Grecs, sont d'ailleurs une race complexe, composée d'éléments divers et mêlés dès T'origine. Les dialectes sont nombreux, formant une série dïlots répandus de l'Atlantique à l'Egypte. Sur leur origine, les documents sont contradictoires ou vagues ; tout au plus peut-on affirmer leur pluralité d'origine. Sur le fond berbère se sont déposés les apports phéniciens-carthaginois, qui, comme l'a montré M. Gsell, ont été beaucoup plus importants dans l'Est de l'Afrique mineure qu'on n'a coutume de le croire. La contribution de Rome, par contre, ne fut pas proportionnée aux efforts fournis. Tanger devint la tête des deux grandes voies marocaines, celle du littoral longue de 257 kilomètres, et celle de l'intérieur, longue de 219. Mais ce qui a pétri vraiment cette pâte berbère et lui a donné le


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modelé actuel, ce sont les invasions arabes produites en deux fois. Les chevauchées syriennes au vme n'ont fait que passer ; autrement importante est la grande invasion hilalienne du xie siècle.

Ces éléments donnés, M. Bernard retrace longuement — un peu trop longuement peut-être — l'histoire des dynasties qui ont successivement édifié « les empires du Maghreb » : Almoravides, Almohades, Mérinides et dynasties chérifiennes depuis 1550 (pp. 95-133). Cet exposé historique, par la clarté et la solidité de sa documentation, citée en tête des chapitres, dispensera dorénavant de se reporter aux histoires anciennes et souvent peu critiques de& Arabes dans l'Afrique du Nord. Dans cette longue galerie de souverains, nous signalerons deux figures intéressantes et vraiment grandioses : Moulay Ismaïl (1672-1727), appelé le Louis XIV du Maroc (pp. 115-118) et Moulay-el-Hassan (1873-1894), un des sultans les plus énergiques qu'ait eu le Maroc, sans cesse sur lesroutes de son empire pour y rétablir l'ordre (pp. 123-126). M. Bernard termine le chapitre par quelques mots sur les deux fils et successeurs de Hassan, figures plus proches de nous : Moulay Abd-el-Aziz et Moulay Abd-el-Hafid. Mais à partir de ces règnes,. l'histoire intérieure du Maroc le cède de plus en plus en importance à celle de ses relations avec les puissances étrangères et l'auteur y consacre presque tout le livre IV.

Le livre III, consacré à « la Société indigène », est à notre avis le plus intéressant et le plus géographique. La population totale du Maroc est impossible à déterminer d'une façon précise, faute de documents et l'auteur montre les évaluations variant de 3 à 30 millions. M. Bernard « se rallie entièrement à la manière de voir » du capitaine Larras (4 à 5 millions d'ingènes), et examine successivement les diverses zones de densité de population (pp. 135140). La division en sédentaires et nomades ne signifie rien ; les mêmes peuples passant de l'un à l'autre état, selon les nécessités géographiques. Les types d'habitat sont soigneusement étudiés : la maison, le gourbi et la nouala ou hutte, avec leur mobilier. Dans ce cadre vivent des peuplades adonnées pour les quatre cinquièmes au moins à l'agriculture. A ce propos, l'auteur met en lumière une fois de plus cette ressource très intéressante pour l'avenir du Maroc : la culture fruitière. Le chiffre de la surface cultivée dans les chouïa est également à noter (37 %, soit 367.000 hectares. Les trois derniers chapitres sont consacrés à la vie sociale et politique.


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L'unité sociale est la famille, comme l'unité politique est la tribu. Partant de cette idée fondamentale, M. Bernard fait un portrait coloré de la famille marocaine, avec ses moeurs, ses intermédiaires commerciaux méprisés mais nécessaires... les Juifs. (Voir à ce propos l'amusant portrait du Juif marocain d'après de Foucauld, pp. 210-213.) Passant aux tribus, dont il signale l'organisation intérieure, il étudie spécialement les trois grandes tribus berbères : Rifains, Beraber et Chleuh. Le tableau se termine par une revue des hauts fonctionnaires du gouvernement ou makhzen, intéressants en eux-mêmes, mais pratiquement bien faibles, gênés dans l'exercice de leur autorité par l'insoumission de toute une partie du pays, le blad-ès-siba, et par le pouvoir des grands caïds du sud. A noter le tableau vivant et pittoresque d'une séance de makhzen au Dar-el-Makhzen de Fez (pp. 245-248).

Le livre IV traite exclusivement des relations du Maroc avec l'Europe. Une bonne partie des faits sont encore présents à tous les esprits. L'auteur accorde quarante pages aux relations jusqu'en 1900 et pas moins de cinquante à la seule crise marocaine de 1900 à 1912. Nous nous contenterons de signaler le curieux récit de la mission Franciscaine en 1219, à Ceuta (pp. 275-277), et le résumé très clair des négociations longues et confuses qui précédèrent la signature de la convention du 4 novembre 1911 ainsi que l'analyse de la convention (pp. 355-359).

M. Bernard n'a pas voulu terminer sans quelques mots sur l'avenir. Il tient à signaler à ce propos, comme un devoir de reconnaissance patriotique, l'oeuvre admirable de pénétration française poursuivie au Maroc par les dispensaires médicaux et les écoles de l'Alliance israëlite universelle. L'avenir de l'agriculture est en somme satisfaisant : « Sur les 500.000 kilomètres carrés que compte le Maroc, on peut estimer la superficie cultivable à 150.000 kilomètres carrés. » Il semble que le système de l'association agricole entre Européens et indigènes doive faire place au métayage ou à la culture européenne directe. Comme ressources minières, on ne peut guère encore parler que d'espérances (pp. 375377). Enfin, quatre tableaux de statistiques du commerce en 1911 permettent de comparer la valeur respective du commerce de la France et de l'Allemagne avec le Maroc.

IMPORTATIONS EXPORTATIONS

France (y compris l'Algérie).. 45.359.214 31.373.096

Allemagne 7.860.940 17.428.903

Dans les dernières pages, M. Bernard, en se défendant de « tra-


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eer en détail le programme du protectorat, qui vient de s'établir ». — ce qui serait « outrecuidant et prématuré » — donne quelques détails sur son fonctionnement actuel.

I. A.

Comte René LE MORE : D'Alger à Tombouctou ; des rives de la Loire aux rives du Niger. — Paris, PloD-Nourrit, 1913, in-12, 258 p., 1 carte, 3 fr. 50.

Le comte René Le More est un jeune Tourangeau qui a effectué ce hardi et rude exploit de traverser, aller et retour, avec une petite caravane de cinq chameaux et de trois hommes, tout le Sahara de Laghouat à Tombouctou par In Salah. C'est avec beaucoup de bonne humeur et de spontanéité qu'il en fait le récit ; son guide était un Chambi fort débrouillard et fidèle nommé Bachir. Il fallut vivre sur le pays, en recourant aux hasards de la chasse ; mouflons, gazelles, antilopes en firent les frais. L'aller se fit, après In Salah par Tamanrasset, Fort-Motylinski, où M. Le More eut l'occasion de causer avec l'aménokal touareg, bien connu depuis son voyage à Paris, Moussa-ag-Amastane ; enfin, après une dure traversée de tanezrouft absolument aride, en franchissant la région giboyeuse de l'Adrar des Iforass. Au cours de ce trajet d'aller, le jeune voyageur mentionne, comme MM. Chudeau et Gautier, la fréquence, jusqu'en plein tanezrouft, de tombes de différents types, de haches de silex, de pointes de flèches et de rouleaux à écraser le grain. Avec une chance insigne, M. Le More réussit à éviter les rezzous touareg et à atteindre le blockaus de Kidal. Il ressort de son récit que, en 1910-1911, entre Kidal et Tombouctou, c'est-à-dire à la lisière du Soudan, il n'était pas extrêmement'sûr de circuler, malgré la paix française ; Kounta et Touareg se faisaient la guerre à propos des riches pâturages du Tilemsi, éternelle pomme de discorde entre les nomades de la région. A partir de Gao, la petite troupe gagna Tombouctou en pirogue. M. Le More séjourna trois mois à Tombouctou, du 15 mars 1911 au 23 juillet ; il y fut parfaitement reçu par le colonel Gadel et la colonie française, et y prépara son retour par un nouvel itinéraire. Ce ne fut pas facile ; les Kounta et Berabich de Tombouctou sont terrorisés par les dissidents marocains ; un accident survenu avec son méhari et qui atteste la malveillance occulte des Sahariens, l'obligea à rester un grand mois de plus


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à Tombouctou. Il dut renoncer à revenir par Taoudéni et reprit sa première route jusqu'au delà de Kidal. Avant d'atteindre Gao, il réussit à tuer un hippopotame. Divers dangers ou ennuis marquèrent cette partie du voyage ; la mauvaise volonté des indigènes était évidente ; après Kidal, le long du trajet nouveau, par In Ouzel, Timissao, Inzize et Adoukrouz, circulaient des rezzous ; heureusement, une bande de Touareg effrayés vinrent se joindre à la petite troupe et la renforcèrent ; M. Le More organisa la marche en vue de parer à une attaque possible ; il accompagna ainsi un troupeau de 400 moutons et de 50 chameaux jusqu'à In Salah. Les moutons, assure-t-il, restent aisément deux à trois jours sans boire. Peu après Timissao, en plein Tanezrouft, M. Le More fit la découverte tragique des restes de l'adjudant Joly, assassiné en 1910 par ses hommes au milieu de ces solitudes. On passa au point d'eau fameux d'In Zize ; la caravane était restée six jours sans boire. Dès lors, on entra dans le Hoggar où l'on retrouva l'eau, la verdure et le gibier. Néanmoins, le manque de vivres obligea l'endurant voyageur à trois jours et demi de marches forcées pour gagner In Salah ; il fit jusqu'à 100 kilomètres par jour. Enfin, après un désagréable incident avec un nègre méhariste, il regagna, épuisé, mais en bonne santé, le territoire des Chamba et enfin Laghouat, ayant donné un magnifique exemple d'énergie, d'endurance et d'esprit pratique et avisé, et effectué en quatorze mois et sept jours, la double traversée du Grand Désert. M. Z.

Le Secrétaire général, gérant,

Maurice ZIMMEUMAKN.

Imp. WALTENER & C" 3, rue Stella, LYON



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