ISSN 0762-0969 Tome 3, n° 1, Janvier-Février 1986
LA VIE DES SCIENCES
La Série générale des Comptes rendus intitulée La Vie des Sciences assure la diffusion des travaux et des études de l'Académie d'intérêt général. Elle constitue de fait une publication de haute culture scientifique, résolument pluridisciplinaire dans son objet comme dans son style. Elle fait l'objet d'un fascicule imprimé avec les mêmes exigences de qualité que les trois séries scientifiques des Comptes rendus et offre un ensemble de textes et de documents présentés sous les trois rubriques principales :
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L'orbite de la comète de Halley
Bruno MORANDO
Bureau des Longitudes
Au moment du passage au périhélie en 1682 de la comète qui allait porter plus tard le nom de Halley, les savants se faisaient déjà une idée assez exacte des mouvements des corps du Système solaire. Le système héliocentrique était bien admis, rinvention des lunettes et les travaux de Galilée et de Kepler permettaient d'avoir une idée juste du mouvement des planètes et de leurs satellites. Cependant les comètes, visibles pendant un certain temps, puis disparaissant pour toujours, n'étaient pas encore reconnues par tous comme étant des corps du Système solaire comme les autres. Certains y voyaient des objets du monde sublunaire ou, comme on l'aurait dit aujourd'hui, des phénomènes de la haute atmosphère. Ce fut le mérite de Halley de montrer que la comète qui porte maintenant son nom a une orbite elliptique dont un des foyers est le Soleil et qu'elle apparaît donc périodiquement. L'allongement considérable de l'orbite la distingue de celles des planètes et fait que la comète disparaît pendant un temps très long.
Il est intéressant, à l'occasion du retour de cette comète célèbre, d'examiner les particularités de son orbite et de celles des autres comètes et les conditions de son passage au périhélie en 1986, passage qui suscite la curiosité du public et l'intérêt des astronomes.
Le problème des deux corps
La mécanique céleste a pour but d'étudier le mouvement d'un certain nombre de corps sous l'effet de leurs attractions gravitationnelles mutuelles. Le problème est très complexe mais devient simple si l'on ne considère que deux corps. Il s'agit là d'une simplification justifiée très souvent dans le Système solaire, tout au moins en première approximation. On a dans ce cas les lois suivantes, que Kepler a énoncées pour la première fois à propos des planètes après avoir étudié l'orbite de Mars reconstituée à partir des observations de Tycho Brahé.
— Première loi de Kepler : les planètes décrivent des ellipses ayant le Soleil pour foyer.
La Vie des Sciences, Comptes rendus, série générale, tome 3, n° 1, p. 1-14
B. Morando
Edmond Halley (1656-1742) (Document observatoire de Paris)
— Deuxième loi de Kepler : le mouvement sur l'ellipse se fait de telle sorte que le rayon vecteur qui joint le Soleil à la planète balaie des aires égales en des temps égaux.
— Troisième loi de Kepler : le rapport du carré de la période (temps mis par la planète pour faire le tour complet de son orbite) au cube du demi-grand axe de cette orbite est le même pour toutes les planètes.
La loi de la gravitation universelle énoncée par Newton permet d'établir l'équation différentielle du mouvement d'un corps autour d'un autre. Cette équation différentielle est aisément intégrable et la solution obtenue justifie les lois trouvées empiriquement par Kepler tout en les complétant. En effet, on trouve que l'orbite de l'un des corps peut
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L'orbite de la comète de Halley
Fig. 1. — Éléments de l'orbite d'une comète. Le plan de l'orbite coupe l'écliptique en deux points N et N'. N est le noeud ascendant car en ce point la comète passe du côté sud au côté nord de l'écliptique. Q. est la longitude du noeud ascendant, (û l'argument de la latitude du périhélie, q la distance au périhélie. (Le point vernal y correspond à l'équinoxe de printemps.)
être une ellipse, une parabole ou une hyperbole ayant l'autre corps pour foyer, suivant la valeur de la vitesse à un instant donné, dit instant initial. Si V est la grandeur de la vitesse de l'un des corps par rapport à l'autre à cet instant, r la distance des deux corps et K le produit de la constante de la gravitation universelle par la somme des deux masses, on trouve que, si V< /2 K/r, la trajectoire est une ellipse; si V= /2K/r, la trajectoire est une parabole; et, si V> /2 K/r, la trajectoire est une hyperbole. Cette propriété peut s'exprimer autrement en faisant intervenir l'énergie totale du système, somme de la force vive et du potentiel.
Cette énergie E est donnée par la formule :
(1)
où K a la même valeur que ci-dessus, e est l'excentricité et p le paramètre (demi-longueur de la corde de la conique perpendiculaire à l'axe et passant par un fo)'er). On voit que, si cette énergie est négative, e doit être plus petit que 1 et la trajectoire est une ellipse; si l'énergie est nulle, la trajectoire est une parabole; si l'énergie est positive, la trajectoire est une parabole.
On trouve aussi que, dans le cas elliptique, la troisième loi de Kepler doit être en toute rigueur modifiée. En effet, le rapport du carré de la période au cube du demi-grand axe est proportionnel à la somme des deux masses. Si l'une des masses est celle du Soleil, l'autre peut souvent être négligée et c'est seulement alors que la troisième loi de Kepler devient vraie.
Pour étudier les orbites des comètes et leur modification au cours du temps (due à des perturbations dont il sera question plus loin), il est bon de définir certaines quantités qui
B. Morando
les caractérisent. Ce sont tout d'abord le demi-grand axe, exprimé en général en « unités astronomiques » (l'unité astronomique [UA] correspond au demi-grand axe de l'orbite terrestre, soit environ 150 millions de km), et l'excentricité, plus petite que 1 pour une ellipse, égale à 1 pour une parabole et plus grande que 1 pour une hyperbole. Au lieu du demi-grand axe, on donne souvent la «distance périhélie», distance minimale de la comète au Soleil. Pour une orbite elliptique, si- q est cette distance périhélie, a le demi-grand axe et e l'excentricité on a :
Il faut aussi connaître trois angles qui permettent de situer la position du plan de l'orbite dans l'espace et la position de l'ellipse dans ce plan. Ces angles, i, Q et co, sont montrés sur la figure 1. On choisit un plan de référence qui est en général le plan de l'écliptique (plan de la trajectoire de la Terre autour du Soleil), et une direction origine dans ce plan qui est la direction du « point vernal » ou point y. Comme ce point est mobile le long de l'écliptique sous l'effet du phénomène de la précession, on choisit comme origine le point vernal d'une certaine époque (1950 par exemple). Il est bon de noter que, par convention, l'angle i du plan de l'orbite de la comète avec le plan de l'écliptique est compté entre 0 et 90° si la comète tourne dans le sens direct autour du Soleil (c'est-à-dire dans le même sens que toutes les planètes) et entre 90 et 180° si la comète tourne dans le sens rétrograde (cf. fig. 2).
Fig. 2. — L'orbite de la comète de Halley dans l'espace. Avec une excentricité voisine de 1, la loi des aires fait que la vitesse de la comète par rapport au Soleil passe de 0,9 km/s à l'aphélie à 55 km/s au périhélie.
Enfin, on complète la liste des paramètres ci-dessus par la donnée de la date du dernier passage au périhélie. Si l'orbite de la comète est elliptique et si l'on peut supposer qu'elle
L'orbite de la comète de Halley
correspond à l'orbite du problème des deux corps, la période est constante; elle est donnée par la troisième loi de Kepler et l'on peut trouver les dates de tous les autres passages au périhélie. Nous verrons que cela n'est pas tout à fait vrai pour les comètes.
Caractéristique des orbites des comètes
On distingue d'une part les comètes paraboliques ou hyperboliques que l'on ne voit qu'une fois et qui disparaissent définitivement et, d'autre part, les comètes périodiques qui décrivent des ellipses.
Les comètes paraboliques sont les plus nombreuses; sur un total de 643 comètes apparues dans le passé qui figurent dans le catalogue de Marsden (1982), 287 ont des orbites paraboliques. Cela veut dire que les observations de ces comètes ne permettent pas de trouver une excentricité significativement différente de 1; cependant, pour 89 comètes du catalogue de Marsden l'excentricité est plus grande que 1 mais n'atteint pas 1,006. Si l'on trouvait une orbite nettement hyperbolique, d'excentricité de l'ordre de 1,5 par exemple ou plus, cela signifierait, compte tenu de la formule (1) ci-dessus, que la comète a une grande énergie et, par conséquent, qu'elle vient de très loin en dehors du Système solaire. Ce n'est pas le cas : les comètes dont les orbites sont trouvées hyperboliques ont des excentricités tellement peu différentes de 1 qu'il s'agit soit d'erreurs d'observation, soit d'une légère modification d'une orbite parabolique par les perturbations planétaires. Nous y reviendrons.
Les comètes périodiques sont classées un peu arbitrairement en deux catégories : les comètes à longue période, dont la période est supérieure à 200 ans, et les comètes à courte période, qui sont toutes les autres. Les comètes à longue période (environ 160 dans le catalogue de Marsden) sont presque deux fois plus nombreuses que les comètes à courte période.
Parmi les comètes à courte période, la plupart ont des périodes inférieures à 10 ans, par exemple la comète Encke (période 3,3 ans), la comète Pons-Winnecke (période 6,36 ans), etc. La comète de Halley, dont la période est d'environ 76 ans, fait partie d'un ensemble d'une trentaine de comètes seulement dont les périodes sont comprises entre 10 et 100 ans.
Quand une comète est découverte, on calcule l'orbite à partir d'un certain nombre de positions (3 au minimum) relevées à quelques jours d'intervalle. Une méthode simple pour faire ce calcul est la « méthode d'Olbers » que l'on .peut maintenant programmer facilement sur un micro-ordinateur ou même une calculette programmable (Danjon, 1959; Bouiges, 1981). Les éléments de l'orbite et une éphéméride sont diffusés par le Central Bureau for Astronomical Telegrams de l'Union astronomique internationale (UAI). La nouvelle comète reçoit un nom provisoire comportant les noms du ou des découvreurs et le millésime de l'année, accompagné d'une lettre minuscule à partir de a et en suivant l'ordre chronologique des découvertes. Quand l'orbite est bien connue, la Commission 20 de TUAI (Position et mouvements des petites planètes, comètes et satellites) donne un nom définitif qui comporte l'année du passage au périhélie et un nombre en chiffres romains correspondant à l'ordre de passage dans l'année (A.-C. Levasseur-Regourd, 1983). Le nom des comètes périodiques est précédé de P/. Par exemple, la comète P/Longmore a d'abord été désignée par 1981 a, puis par 1981 XVI. 5
B. Morando —
On trouve les éléments des orbites des comètes dans le Catalogue of Cometary Orbits (Marsden, 1982) ou dans Y Encyclopédie scientifique de l'Univers (Bureau des Longitudes, 1979).
Les perturbations planétaires
Les ellipses ou les paraboles de foyer le Soleil que décrivent les comètes ne correspondent aux orbites réelles que d'une façon approchée. En effet, comme tous les corps du Système solaire, les comètes sont soumises non seulement à l'attraction en général prépondérante du Soleil, mais aussi à l'attraction des planètes. Comme les effets qui en résultent sont faibles, on suppose que le mouvement est un mouvement des deux corps mais dont les éléments de l'orbite (demi-grand axe, excentricité, etc.) ou bien varient assez peu autour d'une valeur moyenne, ou bien s'en écartent notablement mais au bout d'un temps très long. On est amené à définir ce qu'on appelle l'orbite osculatrice du mouvement à un instant donné : c'est l'orbite du problème des deux corps que suivrait la comète si à partir de cet instant toutes les perturbations dues aux planètes s'annihilaient. Les éléments de cette orbite osculatrice sont des fonctions du temps qu'il faut déterminer pour connaître le mouvement de la comète; elles sont solutions d'un système d'équations différentielles du second ordre facile à écrire mais très difficile à résoudre.
On peut mieux comprendre comment une planète peut perturber l'orbite d'une comète en faisant appel à la notion de « sphère d'influence ». Loin d'une planète, on considère que l'orbite est une conique de foyer le Soleil mais, dès que la comète pénètre à l'intérieur d'une certaine sphère centrée sur une planète, on suppose que l'orbite est une conique de foyer de cette planète. La sphère d'influence est définie de telle sorte qu'à sa surface le rapport de la force perturbatrice à la force principale soit le même, que l'on considère la force principale comme étant l'attraction du Soleil, ou celle de la planète. En fait, la surface qui répond à la question n'est qu'approximativement une sphère, dont le rayon est donné par :
où r est la distance au Soleil de la planète perturbatrice considérée, m sa masse et M la masse du Soleil. Ainsi trouve-t-on que les sphères d'influence de Jupiter, de Saturne et d'Uranus ont des rayons de 50 millions de kilomètres environ, celle de Neptune a un rayon de 90 millions de kilomètres; en revanche, les sphères d'influence de Mercure, Vénus, la Terre et Mars ont des rayons d'environ 500000 km. Le passage des comètes au voisinage d'une grosse planète peut donc avoir une influence importante sur l'évolution de l'orbite. Il faut remarquer cependant que les inclinaisons des plans des orbites des comètes sur le plan de l'écliptique, au voisinage duquel se trouvent les orbites planétaires, sont souvent grandes, si bien que la comète passe très en-dessus ou très en-dessous de ce plan quand elle est loin du Soleil et que, par conséquent, elle est souvent loin des grosses planètes susceptibles de la perturber. En outre, de nombreuses comètes ont des orbites rétrogrades : elles ont donc des vitesses relatives très grandes par rapport aux planètes quand elles passent près d'elles, si bien que les perturbations importantes se font sentir pendant un temps court.
L'orbite de la comète de Halley
Cependant, les perturbations que subissent les orbites cométaires sont suffisamment importantes pour que l'on se soit posé le problème suivant : une comète que l'on vient de découvrir a une orbite dont les éléments sont différents mais assez voisins des éléments de l'orbite d'une comète vue précédemment. S'agit-il de la même comète? (Voir par exemple l'article de Ph. Véron, 1986. La Vie des Sciences, 3, n° 1, p. 34.)
Tisserand a répondu à cette question en donnant un critère qui porte son nom. Si l'on désigne par a le demi-grand axe de l'orbite de la comète, par a' celui de l'orbite de Jupiter (ou d'une autre planète), par i l'inclinaison du plan de l'orbite de la comète sur le plan de l'orbite de Jupiter, et par e l'excentricité de l'orbite de la comète, on a :
Ce résultat n'est qu'approximatif; il suppose que l'orbite de Jupiter est circulaire.
La notion de sphère d'influence ou le critère de Tisserand constituent des méthodes d'étude des orbites cométaires qui présentent un grand intérêt historique mais qui ne sont guère utilisées à l'ère des ordinateurs. Aujourd'hui, en effet, on utilise des méthodes d'intégration numérique des équations différentielles du mouvement de la comète, qui donnent à chaque instant soit les éléments osculateurs, soit, tout simplement, la position et la vitesse de la comète. Cela exige que l'on dispose, à chaque instant, des positions et des vitesses des planètes perturbatrices, autrement dit que l'on ait un modèle du Système solaire. Celui que l'on utilise le plus souvent est le modèle dit DE102, calculé par le Jet Propulsion Laboratory de Pasadena (Californie). Par ailleurs, il faut des constantes d'intégration et donc des observations aussi nombreuses et aussi précises que possible de la comète. C'est grâce à ces méthodes que l'éphéméride de la comète de Halley calculée par Yeomans (1983) a permis le 16 octobre 1982 de retrouver cette comète à 9 secondes de degré seulement de la position prévue, l'erreur commise sur l'heure du passage au périhélie en février 1986 n'étant que d'une dizaine d'heures.
Les perturbations d'origine non gravitationnelle
Le noyau des comètes étant composé d'un mélange de glace et de poussières, au fur et à mesure que la comète s'approche du Soleil, la glace a tendance à se sublimer en entraînant des poussières, ce qui forme un halo autour du noyau appelé la chevelure (voir l'article de Th. Encrenaz, 1986, La Vie des Sciences, 3, n° 1, p. 15). Cela, associé à la rotation du noyau, a pour effet de créer des forces perturbatrices sur le mouvement de la comète, forces qui augmentent quand la comète approche du périhélie. Un tel effet est difficile à modéliser : l'étude de la vaporisation de la glace sous l'effet de la chaleur fournit une base théorique, mais il faut faire un ajustement empirique pour relier le flux de vapeur sublimée à la distance de la comète au Soleil. La force perturbatrice qui en résulte est décomposée en deux forces : l'une, portée par le rayon vecteur Soleil-comète, est une fonction de la distance Soleil-comète dans laquelle intervient un paramètre constant A 1; l'autre, perpendiculaire au rayon vecteur, est une fonction de la distance Soleil-planète dans laquelle intervient un paramètre constant A 2. L'observation fournit les valeurs de A 1 et de A 2, mais, si l'erreur commise sur A 2 est acceptable, l'erreur commise sur A 1 reste importante. De plus, il semble que d'un passage au périhélie à l'autre les valeurs de A 1 et A 2 changent, ce qui rend très difficile de relier entre eux
B. Morando
avec précision de nombreux passages successifs de la comète. Cela est vrai en particulier pour la comète de Halley, pour laquelle la bonne précision signalée plus haut au moment de la redécouverte n'a été possible qu'en utilisant uniquement les passages de 1835 et 1910. Les positions calculées pour le passage de 1682, qui a cependant donné lieu à des observations précises, s'écartent de 10 à 15 minutes de degré des prévisions que donnerait l'orbite de Yeomans.
Bien entendu, quand on dispose d'un modèle de forces gravitationnelles, on traite le problème du calcul de son effet sur l'orbite au moyen de l'intégration numérique comme pour les perturbations planétaires.
L'orbite de la comète de Halley
Le tableau I donne des valeurs arrondies des éléments osculateurs de l'orbite de la comète de Halley pour le passage au périhélie du 9 février 1986 et pour les deux passages précédents. On se rend compte des variations de ces éléments sous l'effet des perturbations planétaires et des forces non gravitationnelles; en particulier, la période a subi des
TABLEAU I. — Éléments osculateurs de Vorbite de la comète de Halley.
1835 1910 1986
q 0,5865 0,5872 0,5871
e 0,9674 0,9673 0,9673
i 162°,26 162°,21 162°,24
CÙ 110°,69 111°,72 111°,85
a 56°,80 57°,85 58°,15
(*) 16 novembre 1835 20 avril 1910 9 février 1986
(*) Date du retour au périhélie.
Fig. 3 (ci-contre). — (a) Visibilité de la comète de Halley par rapport au système Terre-Soleil. La courbe (I) est la trajectoire héliocentrique de la comète au voisinage du périhélie; c'est un arc d'ellipse gradué de 40 jours en 40 jours avant et après le passage au périhélie.
La courbe (II), plus compliquée, est la trajectoire de la comète dans un système d'axes qui suppose que la Terre et le Soleil sont jixes pendant la durée d'un passage. Les trois positions de la Terre indiquées T 1910, T 1986 et T 2061 correspondent aux passages au périhélie de 1910, 1986 et 2061.
Pour connaître les conditions de visibilité de la comète au cours de l'un de ces passages, il suffit de joindre le point figuratif de la Terre T correspondant au point C de la courbe (II) qui correspond à la position de la comète à la date choisie. L'angle de TC avec la direction Terre-Soleil TS est « l'élongation » de la comète; si cet angle est petit la comète, trop proche angulairement du Soleil, ne sera pas visible.
On peut toujours faire coïncider TS avec TC en tournant TS vers TC d'un angle plus petit que 180°. Si pour cela on doit tourner dans le sens des aiguilles d'une montre, la comète est visible le soir, sinon elle est visible le matin.
L'orbite de la comète de Halley
Par exemple, le point C tracé sur la figure correspond à la position de la comète 20 jours après le passage au périhélie. La comète était donc visible le 10 mai 1910 le matin; elle sera visible le matin du 1" mars 1986 et le soir du 18 août 2061. (Le point diamétralement opposé par rapport au Soleil au « point y » correspond au 21 mars.)
(b) Visibilité de la comète de Halley par rapport au plan de l'orbite terrestre. La figure donne la latitude par rapport à l'écliptique de la comète, de 50 jours en 50 jours, de part et d'autre du passage au périhélie. Cette courbe combinée avec les informations tirées de la figure (3 a) (voir aussi la figure 2), permet de calculer la visibilité de la comète à chaque instant en un point donné de la Terre (fig. 5), notamment sa hauteur au-dessus de l'horizon.
k
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se s c
o
Fig. 4. — Trajectoire apparente de la comète de Halley pour l'année 1986. Les repères «H» marquent le premier jour de chaque mois (d'après l'Annuaire du Bureau des Longitudes).
L'orbite de la comète de Halley
Fig. 5. — Visibilité de la comète de Halley à partir du sol, à la latitude de 40°N (Naples), avant et après son passage au périhélie. Les magnitudes apparentes sont indiquées entre parenthèses. A la latitude de Paris, la comète sera environ 10° plus basse sur l'horizon.
variations importantes puisqu'elle a été de 27183 jours entre 1835 et 1910 et de 27 689 jours entre 1910 et 1986. On remarque aussi que, ;" étant plus grand que 90°, l'orbite est rétrograde (cf. fig. 2). A partir de la distance périhélie q et de l'excentricité e, on peut calculer la distance aphélie que l'on trouve égale à 35 unités astronomiques : la comète de Halley s'approche du Soleil plus que Vénus et s'en éloigne plus que Neptune.
Il s'agit-là de l'orbite héliocentrique. Or les conditions d'observation de la comète au voisinage de son passage au périhélie dépendent des positions relatives de la Terre, du Soleil et de la comète. Ces positions sont montrées pour le passage de 1986 sur la figure 2 et sur la figure 3 qui est un diagramme en coordonnées bipolaires. Il faut bien reconnaître que ce passage se fait dans des conditions particulièrement fâcheuses pour les observateurs, surtout ceux de l'hémisphère nord.
En effet, au moment du plus grand rapprochement avec la Terre à la fin de novembre 1985, la comète était haute dans le ciel de France mais faible (magnitude 6); au moment de sa plus grande proximité de la Terre, au mois d'avril 1986, la comète sera plus brillante (magnitude 4), mais elle ne sera bien visible que dans l'hémisphère sud (fig. 4 et 5). On peut dire que le passage de 1986 est, du point de vue de l'observation, le pire depuis plus de mille ans, et que, si le passage de 1682 s'était déroulé dans les mêmes conditions, on ne parlerait pas de la comète de Halley! Il est vrai que, si les amateurs et les simples curieux risquent d'être déçus, les astronomes disposeront, grâce aux sondes spatiales, d'observations inégalées (Encrenaz, 1986, La Vie des Sciences, 3, n° 1, p. 15).
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B. Morando
Tapisserie de Bayeux, dite « de la Reine Mathilde », fin du XIe siècle (détail). Cette oeuvre — en réalité une broderie — reproduit le passage de 1066, contemporain de l'invasion de l'Angleterre par Guillaume le Conquérant : Isti mirant Stella. Avec l'autorisation spéciale de la ville de Bayeux. Ph. (c) Giraudon. Photeb.
L'origine des comètes et révolution de leurs orbites
La théorie la plus universellement acceptée aujourd'hui pour expliquer l'existence des comètes est la théorie dite du « nuage de Oort ». Résidu de la nébuleuse primitive d'où sont sortis le Soleil et les planètes, ce nuage serait un immense réservoir de quelque cent milliards de noyaux de comètes, répartis grosso modo entre deux sphères centrées sur le Soleil et de rayons 40000 et 150000 unités astronomiques, soit de l'ordre d'une annéelumière. La masse de l'ensemble pourrait atteindre le dixième de la masse du Soleil, ou environ cent fois la masse de Jupiter. La distance moyenne au nuage de Oort est donc de l'ordre des distances interstellaires; elle représente un peu moins de la moitié de la distance à l'étoile la plus proche, otCen (fig. 6). A cette distance, l'énergie potentielle est quasiment nulle, la vitesse l'est aussi, si bien que l'énergie totale est elle aussi quasiment nulle. Une légère perturbation extérieure peut alors de temps en temps communiquer à l'un des noyaux une faible vitesse dirigée vers le Soleil; le noyau tombe en accélérant sur une orbite parabolique, contourne le Soleil, puis repart avec une vitesse de plus en plus faible regagner la nuage de Oort.
U se peut cependant que l'attraction d'une grosse planète, en particulier Jupiter, ou bien diminue la vitesse de la comète par rapport au Soleil et donc transforme l'orbite en une orbite elliptique (on dit qu'il y a capture), ou bien au contraire augmente cette vitesse
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L'orbite de la comète de Halley
Fig. 6. — Le nuage de Oort est un résidu de la formation du Système solaire, et constitue un réservoir de quelque cent milliards de comètes (une orbite possible est montrée en trait interrompu). Ses dimensions sont de l'ordre des distances entre étoiles dans le voisinage du Soleil (quelques années-lumière). On a représenté ici l'étoile oc du Centaure, notre plus proche voisine, dont la distance est de 260 000 UA. C'est un système triple, dont un membre, a Cen A, est identique au Soleil; on l'a ici entouré d'un hypothétique nuage de Oort qui pourrait lui être associé. On a également représenté, à une échelle mille fois plus grande, l'orbite de la comète de Halley, dont la distance au Soleil varie de 0,5 à 30 UA environ.
et transforme l'orbite en une orbite hyperbolique, si bien que la comète est définitivement rejetée hors du Système solaire. Comme nous l'avons dit, ce dernier cas est rare et les excentricités correspondantes n'excèdent 1 que de peu. On peut associer à Jupiter une famille d'une trentaine de comètes de périodes comprises entre 3 et 8 ans dont la mécanique céleste a montré qu'elles avaient dû être capturées par cette planète. Ainsi la comète P/Brook (1889 V) avait une période de 29,2 ans, mais après un passage proche de Jupiter en juillet 1886 sa période est devenue 7,10 ans.
Toutes ces études d'évolution d'orbites sont difficiles pour plusieurs raisons : la mécanique céleste théorique donne peu de résultats concernant ces problèmes, l'intégration numérique pour donner des résultats sûrs doit être effectuée sur des temps très longs, elle est donc coûteuse et peu fiable; enfin, les comètes ne sont observables que sur des arcs très courts au voisinage du Soleil, si bien que les directions et les distances des aphélies peuvent être entachées d'erreurs importantes.
Une comète cesse de l'être quand, ayant perdu toute la matière susceptible de se volatiliser, le noyau est réduit à un simple caillou. Ce noyau continue cependant à circuler dans le Système solaire, et peut-être certains des astéroïdes du type Apollo dont les orbites sont très excentriques sont-ils d'anciennes comètes.
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En ce qui concerne la comète de Halley, il est vraisemblable qu'on la verra encore souvent sous forme de comète. Son prochain passage au périhélie est prévu pour le 29 juillet 2061 à 3 h . . .
REFERENCES
Bouiges S., 1981, Calcul astronomiques pour amateurs, Masson, Paris.
Danjon A., 1959, Astronomie générale, rééditée en 1980 par A. Blanchard.
Encrenaz Th., 1986, La Vie des Sciences, 3, n° 1, 15.
Encyclopédie scientifique de l'Univers, 1979, Les Étoiles, le Système solaire, Bureau des Longitudes, GauthierVillars, Paris.
Levasseur-Regourd A.-Ch., 1983, L'Astronomie, septembre 1983, p. 404.
Marsden B., 1982, Catalogue ofCometary Orbits, Central Bureau for Astronomical Telegrams, Minor Planet Center.
Yeomans D. K., 1983, The Cornet Halley Handbook, Jet Propulsion Laboratory, California Institute of Technology, Pasadena, California (États-Unis).
Véron Ph., 1986, La Vie des Sciences, 3, n° 1, 39.
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LA VIE DES SCIENCES
La comète de Halley : observation au sol et dans l'espace
Thérèse ENCRENAZ
Observatoire de Paris-Meudon
A bien des égards, l'apparition de 1986 de la comète de Halley constitue pour les astronomes un événement exceptionnel. D'abord à cause de Fenjeu scientifique : nous savons maintenant que dans les noyaux cométaires se trouve une information essentielle sur les premiers âges du Système solaire. Ensuite à cause de F ampleur des moyens techniques mis en jeu : cinq sondes spatiales vont, en mars 1986, survoler la comète pour étudier la physico-chimie et l'environnement de son noyau. Enfin à cause de l'ampleur du programme coordonné mis en place sur le plan international pour observer la comète à partir du sol. Depuis plusieurs années, on a préparé des observations dans tous les domaines de longueur d'onde, et depuis la « redécouverte » de la comète en 1982, l'information s'échange au niveau mondial. Que saurons-nous au terme de cette campagne? Sans doute aurons-nous de nouvelles informations sur la composition des poussières, des glaces et des molécules gazeuses éjectées du noyau de la comète et, à partir de ces résultats, peut-être une nouvelle conception des mécanismes physiques qui sont intervenus dans les premières étapes de la formation du Système solaire.
Qu'est-ce qu'une comète ?
Une nouvelle fois la comète de Halley fait parler d'elle. Comme lors de chaque apparition — c'est-à-dire tous les soixante-seize ans —, elle occupe, pendant plusieurs mois, l'avant-scène de l'actualité. Que cache cette étonnante popularité? S'agit-il d'une réminiscence des terreurs anciennes liées au passage de ces objets imprévisibles qu'étaient les comètes (voir l'article de Ph. Véron, 1986, La Vie des Sciences, 3, n° 1, p. 39), ou y a-t-il un réel enjeu scientifique à l'étude de cet astre? Et, si tel est le cas, que va nous apprendre l'étude de la comète de Halley ?
Pour tenter de répondre à ces questions, il nous faut d'abord préciser ce qu'est une comète. Grâce à de multiples observations portant sur un grand nombre d'objets, nous
La Vie des Sciences, Comptes rendus, série générale, tome 3, n° 1, p. 15-37
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savons maintenant que les comètes sont des corps extrêmement petits, d'un diamètre d'une dizaine de kilomètres ou même moins, qui sont composés de glaces et de roches réfractaires. En orbite autour du Soleil, elles se déplacent sur des trajectoires très excentriques, qui les emmènent à de grandes distances héliocentriques (plusieurs dizaines d'unités astronomiques), dans un milieu froid et dilué. Vu leur petite taille, et le milieu dans lequel elles évoluent, les comètes ont été préservées de tout mécanisme de différenciation (chauffage par radioactivité, collisions, vent solaire intense...); elles doivent donc être aujourd'hui semblables à ce qu'elles étaient au moment de leur formation, à l'origine du Système solaire. C'est ce qui explique l'intérêt que portent les astronomes à ces objets : ils apparaissent comme des témoins — les meilleurs peut-être que l'on puisse trouver — des premiers âges du Système solaire.
Malgré les nombreuses observations dont elles ont fait l'objet, les comètes sont encore très mal connues. En particulier, on ne connaît pas la nature des glaces et des grains qui composent le noyau cométaire. La raison en est simple : aussi longtemps qu'une comète est loin du Soleil [c'est-à-dire à plus de quelques unités astronomiques (UA) (*)], elle est pratiquement inobservable, du fait de la petite dimension de son noyau et de sa basse température. A mesure qu'elle se rapproche du Soleil, la glace présente à la surface du noyau se sublime sous l'action du rayonnement solaire, entraînant l'éjection de poussières et de gaz. Le noyau cométaire s'entoure alors d'une « chevelure » ou « coma ». Le mécanisme s'accélère à mesure que la distance héliocentrique continue à décroître, entraînant la formation d'une queue de poussière et d'une queue ionisée (fig. 1). En effet, les molécules éjectées du noyau — dites « molécules-mères » — sont rapidement dissociées, sous l'action du rayonnement solaire, en molécules-filles, en radicaux et en ions ( fig. 2).
Le phénomène bien connu appelé « comète » n'est autre que le rayonnement solaire diffusé par les grains, les gaz et le noyau, Mais c'est ici qu'apparaît le problème : lorsque la comète est proche, et donc bien observable, son noyau (qui contient l'information clé sur sa nature) est caché par la coma. Et lorsque la comète est loin, son noyau est quasiment inobservable... Voilà pourquoi les comètes sont si mal connues. Et voilà pourquoi, il y a une dizaine d'années, astronomes et planétologues ont conclu à la 'nécessité d'une mission spatiale pour pouvoir étudier une comète de près.
Une fois le principe d'une mission spatiale accepté, il a fallu choisir la cible. Deux conditions étaient à remplir impérativement : la comète devait être active, et sa trajectoire devait être parfaitement connue. Or ces deux condititions ont tendance à s'exclure mutuellement. En effet, une comète est un objet très ancien — dont la formation remonte à l'origine du Système solaire — dont la nature reste inaltérée aussi longtemps qu'elle est loin du Soleil.
Par le jeu des perturbations dues aux étoiles voisines, la trajectoire d'un très petit nombre des comètes appartenant au « nuage de Oort » (voir article de B. Morando, 1986, La Vie des Sciences, 3, n° 1, p. 1) se trouve modifiée et passe près du Soleil : c'est la première apparition des comètes nouvelles, dites « non périodiques ». Il peut arriver ensuite que le jeu des perturbations dues aux planètes (celle due à Jupiter est la plus importante) modifie à nouveau la trajectoire cométaire pour en faire une « comète périodique », dont la période peut varier de quelques années à quelques dizaines d'années. La comète périodique connaît alors de multiples passages près du Soleil et, à chaque passage, elle évapore et elle éjecte une petite fraction de ses glaces et de sa poussière. Elle devient donc de moins en moins active, mais sa trajectoire est désormais connue.
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La comète de Halley
Fig. 1. — La comète de Halley en 1910 : queue dépoussière et queue de plasma. La configuration très favorable de l'apparition de 1910 a permis la réalisation d'excellents clichés de la comète de Halley. Ce document, obtenu le 6 mai 1910 au Lowell Observatory (Flagstaff, Arizona), montre clairement la queue de poussière, diffuse, et la queue ionisée, plus rectiligne. La comète était alors à 0,7 UA du Soleil, et 0,6 UA de la Terre (cliché Lowell Observatory).
Fort heureusement, il existe une exception célèbre qui possède le double avantage d'avoir une orbite bien connue et d'être encore active. C'est la comète de Halley, dont la période est d'environ soixante-seize ans et qui est observée depuis plus de deux mille ans. C'est la raison pour laquelle la comète de Halley a été choisie, vers la fin des années 1970, pour servir de cible à une campagne d'observation, au sol et dans l'espace, d'une ampleur sans précédent.
La physique des comètes
Pour étudier la physique des comètes, les astronomes disposent de nombreux outils, théoriques et observationnels. Les outils théoriques consistent en des modèles de thermodynamique pour décrire la sublimation des glaces; des modèles de thermochimie et de photodissociation pour décrire la transformation des molécules-mères en molécules-filles, radicaux et ions; des modèles de fluorescence pour rendre compte des raies d'émission observées. Les observations sont essentiellement de deux natures : l'imagerie et la spectroscopie.
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Fig. 2. — Schémas d'une comète. Les schémas ci-dessus illustrent la répartition spatiale des différents constituants cométaires (gaz et grains) dans le cas d'une comète typique. On voit que les molécules-mères ne survivent pas au-delà de la coma interne, c'est-à-dire au-delà d'une distance au noyau de l'ordre de 10000 km. On remarque également que les poussières, repoussées par la pression de radiation, ont des enveloppes paraboliques. Pour les deux schémas, la direction du Soleil est à gauche sur la figure (d'après IHW, Report ofthe Working Group).
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La comète de Halley
Vimagerie, réalisée autrefois au moyen de plaques photographiques, utilise actuellement les détecteurs bidimensionnels les plus sensibles (caméras électronographiques, caméras CCD, caméras à comptage de pilotons). Elle permet deux types de mesures : d'une part l'astrométrie (par comparaison des coordonnées de la comète avec celles des étoiles voisines du champ), d'autre part la photométrie bidimensionnelle. Dans le cas des comètes lointaines (qui ne sont constituées que de leur noyau), la photométrie donne accès à la quantité aR 2, a étant l'albédo du noyau (c'est-à-dire sa réflectivité) et R son rayon ( fig. 3). En faisant une hypothèse sur a (pris généralement entre 5 et 20 % par analogie
avec les autres petits corps du Système solaire et avec les échantillons étudiés en laboratoire), on en déduit une estimation du rayon cométaire; c'est ainsi que l'on trouve des valeurs" de l'ordre de quelques kilomètres. Dans le cas des comètes proches, l'imagerie a d'autres applications : l'étude des jets de poussière. Elle permet aussi, avec l'utilisation des filtres étroits correspondant à l'émission d'un radical donné, de déterminer la répartition spatiale des différents radicaux observés dans la coma (fig. 4).
En complément de ces observations, la spectroscopie pratiquée à toutes les longueurs d'onde permet l'identification et la mesure de l'abondance de toutes les espèces gazeuses présentes dans la coma. Dans l'UV et le visible, ce sont surtout les signatures des radicaux 19
Fig. 3. — Redécouverte de P/Halley. C'est à l'aide d'une caméra CCD, montée au télescope de 5 m du mont Palomar, que des astronomes du California Institute of Technology ont les premiers « redécouvert » la comète de Halley en octobre 1982. Elle était alors à 9 secondes d'arc seulement de sa position théorique (Jewitt et al., 1983).
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Fig. 4. — Les techniques modernes de traitement d'image à l'ordinateur permettent de faire ressortir des détails de structure qui sont indiscernables sur une plaque photographique. Le cliché ci-dessus montre une image de la comète de Halley prise en 1910 mais retraitée à l'aide d'un ordinateur (cliché Observatoire de Paris).
et des ions qui sont observées ( fig. 5 et 6) : le mécanisme d'émission est la fluorescence excitée par le rayonnement solaire. Le domaine infrarouge est celui où l'on aurait le plus de chances de détecter les molécules-mères : c'est en effet dans l'infrarouge et le domaine submillimétrique qu'apparaissent les transitions les plus intenses (bandes de vibrationrotation ou bandes de rotation pure). Malheureusement, ces émissions sont intrinsèquement très faibles, et sont de plus masquées par le rayonnement continu thermique émis par les poussières. Enfin, le domaine radio apporte une contribution importante avec l'observation, à 18 cm de longueur d'onde, du radical OH; la haute résolution spectrale fournie par la détection hétérodyne permet en outre d'obtenir le champ de vitesse du radical. On peut aussi, dans le domaine radio, rechercher certaines molécules mères.
Qu'avons-nous appris au moyen de toutes ces techniques? La liste des constituants gazeux qui ont été détectés dans une ou plusieurs comètes est longue (cf. tableau I). Elle comporte des atomes, des ions, des radicaux, mais très peu de molécules-mères. En effet, aucune molécule-mère n'a été identifiée de manière certaine, à l'exception de H20 et HCN récemment détectés dans la comète de Halley (décembre 1985); la détection marginale d'autres molécules (NH3, CH3CN), observées sur certaines comètes, demande confirmation. On soupçonne fortement H20 d'être un constituant majoritaire, cela pour deux raisons : 1° l'ion H20+ est trouvé en abondance, et 2° les abondances de OH et
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La comète de Halley
Fig. 5. — Spectre ultraviolet d'une comète. Le spectre d'une comète dans l'UV est dominé par la raie de Lya à 1216 Â, d'une part, et par la bande de OH à 3080 Â d'autre part. Entre ces deux émissions, on trouve généralement les raies de l'oxygène, du carbone et du soufre. Les spectres ci-dessus ont été obtenus sur la comète P/Encke, au moyen du satellite ultraviolet IUE, alors qu'elle se trouvait à environ 120 millions de kilomètres de la Terre (d'après Feldman, 1982).
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Fig. 6. — Le spectre visible d'une comète est riche en émissions, mais celles-ci sont toutes dues à des produits de dissociations (radicaux ou ions). Le spectre est dominé par les signatures spectrales de C2, C3, CN et NH2. Le spectre ci-dessus a été enregistré sur la comète Kohoutek en 1973 lorsque la comète était à 1 UA du Soleil après passage au périhélie (d'après A'Hearn, 1982).
TABLEAU I. — Liste des constituants gazeux identifiés dans les comètes.
IR IR
Composés UV Visible Radio Composés UV Visible Radio
H neutre x x CN x
O neutre x x CO x x?
C neutre x CS x
C+ x HCN x ?
S neutre x NH x
Na neutre x NH, x
K neutre x OH x x x
Ca+ x S2 x
Cr neutre x H,0 x ?
Mn neutre x NH3 x ?
Fe neutre x CH+ x
Ni neutre x CN+ x ?
Cu neutre x CO+ x x
C, x x C02+ x x
12C13C x H,0+. ... x
C3 x NJ x
CH x x? OH+ x
CH3CN x 1
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H, tous deux majoritaires, sont conformes à ce que l'on attend de la dissociation de H20. Mais, en dehors de cette présomption, le problème reste entier. En particulier, il est actuellement impossible de trouver une composition de départ qui conduise, par le jeu des réactions de photodissociation, à l'ensemble des produits secondaires observés avec leurs abondances relatives.
Quant à l'étude de la poussière cométaire, elle est bien incomplète elle aussi. L'analyse du spectre infrarouge peut permettre la mise en évidence des grains de silicate, par leur signature spectrale à 10 et 18 um ( fig. 7); la glace H20 a elle aussi une signature à 3 um, mais difficile à observer car celle-ci est proche de la bande de la vapeur d'eau, à 2,9 um, présente dans l'atmosphère terrestre. Par ailleurs, la photométrie infrarouge et la polarimétrie donnent des renseignements sur la taille des particules. Cependant, les déterminations ne sont pas toujours dépourvues d'ambiguïté. De fait, on ignore encore tout, ou presque, de la composition du noyau cométaire : quelles sont les molécules piégées dans les glaces, quelle est la nature des grains réfractaires, comment sont constitués les agrégats? Toutes ces questions ne peuvent être résolues par l'observation depuis la Terre. Les objectifs des missions spatiales sont donc les suivants : 1° étudier la composition et l'abondance relative des molécules-mères; 2° étudie» la nature et la distribution entaille des grains. A ces objectifs s'en ajoute un troisième : l'étude de l'interaction de la comète avec le vent solaire.
Fig. 7. — Spectre IR cométaire. Le spectre infrarouge d'une comète présente deux composantes : la composante due au flux solaire réfléchi et diffusée par les poussières cométaires, et la composante thermique correspondant à l'émission intrinsèque des poussières. Les observations cométaires dans l'infrarouge sont difficiles, et c'est surtout la photométrie à large bande qui a été utilisée jusqu'à présent. On voit ici le spectre de la comète Kohoutek. La signature des silicates est visible à 10 um, et, plus marginalement, à 18 um.
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C'est en 1705 que l'astronome anglais Edmond Halley mit en évidence le caractère périodique de la comète qui, depuis, porte son nom. Celle-ci s'était déjà rendue célèbre bien auparavant à l'occasion de nombreux passages spectaculaires, le plus ancien connu remontant à 240 av. J.-C. Les informations accumulées à l'occasion des quelque trente passages observés au cours des siècles ont permis de définir sa trajectoire avec une très grande précision. Lors de la « redécouverte » de la comète, en octobre 1982, elle n'était qu'à 9 secondes d'arc de sa position théorique ( fig. 3) !
En ce qui concerne l'activité de la comète, l'information nous provient surtout du dernier passage, celui de 1910, qui présenta une configuration géométrique très favorable, la distance géocentrique minimum étant de 0,1 UA. Nous possédons une collection de clichés photographiques remarquables ( fig. 8) et d'autant plus précieux que l'apparition de 1986 présentera quant à elle, une configuration géométrique tout à fait défavorable. En effet, lorsque la comète sera au périhélie, le 9 février 1986, elle sera derrière le Soleil et donc inobservable; de plus, la distance géocentrique ne diminuera pas en dessous de 0,42 UA ( fig. 9). Fort heureusement, les progrès de la technologie permettront de compenser cet inconvénient et les instruments qui observeront la comète de Halley seront
Fig. 8. — La comète de Halley en 1910. Cette remarquable photo de la comète de Halley a été prise à l'observatoire du mont Wilson le 8 mai 1910. On y voit la coma et la queue de poussières divisée en deux jets. La direction du Soleil est à gauche de la photo (cliché Mount Wilson Observatory).
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Fig. 9. — Trajectoire de la comète. Les deux schémas ci-dessus montrent la trajectoire de la comète de Halley, projetée sur le plan de l'écliptique (schéma du haut), et pour l'apparition de 1986 (schéma du bas). On voit que, lorsque la comète est au périhélie, la Terre est de l'autre côté du Soleil; cette configuration défavorable explique les mauvaises conditions d'observation de l'apparition de 1986 (P : périhélie de la comète; Ej : position de la Terre au moment du minimum de la distance à la comète avant le passage au périhélie le 27 novembre 1985; E, : après le passage, le 11 avril 1986; O : au moment de ce passage, le 9 février) (document IHW, Report of tlte Working Group).
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La sonde européenne tire son nom d'une Adoration des mages peinte vers 1301 par Giotto di Bardone, sur les murs de la Chapelle Scrovagni à Padoue, et sur laquelle figure une comète. Cette comète est vraisemblablement celle de Halley, car la fresque est contemporaine de l'un de ses passages. (Document ESA).
infiniment plus sensibles et plus variés qu'en 1910; enfin et surtout, la comète sera observée par cinq sondes spatiales, en mars 1986, lorsqu'elle traversera pour la deuxième fois le plan de l'écliptique ( fig. 10).
Les missions spatiales
Cinq sondes spatiales seront au rendez-vous de la comète de Halley. Chronologiquement, les deux premières seront les sondes soviétiques Véga-\ et 2, qui survoleront la comète les 6 et 9 mars respectivement, à une distance d'environ 10000 km. Le 9 mars aussi, la sonde japonaise Planet A observera la comète à une distance de l'ordre de
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100000 km. Une autre sonde japonaise, MS-T5, observera également la comète quelques jours plus tard, mais à une distance encore dix fois plus grande. Enfin, le 13 mars, la sonde européenne Giotto réalisera la mission la plus ambitieuse : le survol du- noyau cométaire, à une distance d'environ 500 km.
Remarquons que toutes les observations spatiales se feront dans un temps très court. En effet, dans chaque cas, la sonde avancera à la rencontre de la comète, avec une vitesse relative de 80 km/s environ (la vitesse de la comète étant, comme celle de la sonde, de l'ordre de 40 km/s). Il était impossible de contourner cette difficulté, due au sens de déplacement rétrograde de la comète sur son orbite. C'est pourquoi les séances d'observation ne dureront que quelques heures. Dans le cas de la sonde Giotto, les observations commenceront quatre heures avant l'instant de survol (c'est-à-dire celui où la distance sonde-noyau est minimale); les données seront transmises à la Terre en temps réel. Dans le cas des sondes Véga, plusieurs séquences sont prévues : deux séquences de deux heures auront lieu respectivement quarante-huit heures et vingt-quatre heures avant le survol; la principale séquence d'observation débutera deux heures avant l'instant de survol et se terminera une heure après. Si les sondes survivent au passage, deux autres séquences de deux heures auront lieu respectivement vingt-quatre heures et quarante-huit heures après le survol.
Les objectifs scientifiques de toutes ces missions spatiales sont remarquablement complémentaires. La mission Giotto de l'Agence spatiale européenne (ESA), destinée à observer de très près le noyau cométaire, a mis l'accent sur les expériences in situ, c'est-à-dire l'analyse directe des gaz et des grains au moyen de spectromètres de masse et d'analyseurs d'impacts ( fig. 11). Le projet est d'ailleurs à haut risque, et il n'est pas exclu, malgré les boucliers protecteurs mis en place, qu'un impact particulièrement violent n'endommage la sonde avant qu'elle n'arrive à son point de survol !
La mission Véga, réalisée dans le cadre d'une collaboration franco-soviétique, a tiré parti de la configuration de la sonde stabilisée selon trois axes (la sonde Giotto étant, quant à elle, stabilisée par rotation), pour mettre à bord des expériences d'imagerie et de spectroscopie assez complexes (fig. 12). Deux spectromètres, « TKS » et « IKS », enregistreront le spectre de la comète depuis l'ultraviolet jusqu'à l'infrarouge moyen, à 12 um; l'instrument IKS, en particulier, a été conçu pour rechercher la signature spectrale des molécules-mères entre 2,5 et 12 um. Les sondes Véga embarquent également des spectromètres de masse, mais les résultats que l'on peut en attendre sont évidemment moins importants que dans le cas de Giotto, la distance minimale au noyau étant plus de dix fois plus grande.
Enfin, les sondes japonaises Planet A et MS-T5, plus petites que les sondes européenne et soviétiques, ont un objectif différent : il s'agit d'étudier l'interaction de la comète avec le vent solaire à de grandes distances du noyau. La sonde Planet A est équipée de magnétomètres, de détecteurs d'ions et d'électrons du vent solaire, et d'une caméra UV travaillant à la longueur d'onde de la raie Ly a pour cartographier le halo d'hydrogène entourant la comète. Des magnétomètres et des expériences de plasma placés à bord des sondes Giotto et Véga permettront d'analyser l'interaction comète-vent solaire à proximité du noyau (tableau II).
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Fig. 10. — La trajectoire de la comète de Halley n'est pas contenue dans le plan de l'écliptique, mais fait avec celui-ci un angle de 19°. C'est au moment où la comète retraversera le plan de l'écliptique qu'aura lieu la rencontre avec les sondes spatiales (Encrenaz et Festou, 1982) (Document ESA).
Fig. 11. — Représentation schématique de la rencontre de la sonde Giotto et de la comète. Lancée depuis la base de Kourou, en Guyane, le 2 juillet 1985, la sonde Giotto emporte à son bord une instrumentation destinée à un projet très ambitieux. La sonde doit en effet s'approcher très près du noyau, jusqu'à une distance de 500 km, le 13 mars prochain. Contrairement aux sondes Véga qui sont stabilisées selon trois axes, la sonde Giotto est, quant à elle, stabilisée par rotation (Document ESA).
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Fig. 12. — Schéma de la sonde Véga. Lancées en décembre 1984, les sondes soviétiques Véga-l et Véga-2 se sont d'abord dirigées vers Vénus pour lâcher un ballon dans l'atmosphère de la planète, en juillet 1985. Les sondes ont été ensuite réorientées vers la comète de Halley, qu'elles survoleront respectivement les 6 et 9 mars 1986. Nous voyons ci-dessus la sonde avant l'arrivée sur Vénus, c'est-à-dire avant l'éjection de la sonde d'atterrissage (document CNES)
TABLEAU IL — Instrumentation des différentes sondes spatiales.
Véga Giotto Planet-A
Observations à distance :
Caméra (grand angulaire) x
Caméra (téléobjectif) x x
Caméra UV x
Détecteur IR x
Photopolarimètre x
Spectromètre à trois canaux x
Mesures in situ :
Spectromètres de masse :
— particules neutres x x
— particules chargées x x
— poussières x x
Détecteur d'impact de poussières x x
Expériences de plasma :
Ions du vent solaire x x x
Électrons x x x
Ondes de plasma x
Particules non thermiques x x
Magnétomètre x x
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La campagne d'observations au sol
L'énorme effort de la recherche spatiale pour étudier la comète de Halley s'est doublé d'une campagne internationale d'une ampleur sans précédent pour susciter, coordonner, regrouper et archiver toutes les observations qui ont été ou seront faites dans tous les domaines de longueur d'onde, de l'ultraviolet aux ondes radio. Un organisme international s'est mis sur pied, IHW (International Halley Watch); sur le plan français, le CNRS a monté une RCP (recherche coopérative sur programme) avec le même objectif, pour permettre une première coordination au niveau national et une bonne insertion dans l'IHW.
C'est en octobre 1982 qu'après plusieurs mois de recherche la comète de Halley a été redécouverte par des astronomes du California Institute of Technology, au télescope de 5 m du mont Palomar. Dans les jours et les semaines qui suivirent, elle fut également détectée par les astronomes français au télescope Canada-France-Hawaï (CFHT) ( fig. 13), ainsi que par d'autres équipes au télescope de 4 m de Kitt Peak, puis à
Fig. 13. - Observation de PIHalley au CFHT. Obtenu le 16 novembre 1982, soit peu de temps après la redécouverte de la comète au mont Palomar, ce cliché montre la comète entre deux étoiles. La pose a été d'une heure, guidée sur le mouvement de la comète, ce qui explique la forme allongée des étoiles. L'image a été obtenue au télescope du CFH à Hawaï, par une équipe de l'Observatoire de Meudon, au moyen d'une caméra électronographique à vanne (Sicardy et al., 1983).
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l'European Southern Observatory (ESO). C'était alors un objet extrêmement faible, de magnitude 24 environ, proche de la limite de détection des détecteurs bidimensionnels les plus sensibles (caméras CCD et caméras électronographiques). Depuis la date de sa redécouverte, la comète a été observée régulièrement par une demi-douzaine d'équipes. En France, elle a été détectée en décembre 1984 au télescope de 2 m de l'Observatoire du pic du Midi, ainsi qu'au télescope de 1,93 m de l'Observatoire de Haute-Provence (fig. 14). Toutes ces observations, couplées avec celles de nos collègues étrangers, ont permis de déterminer le moment du début de l'activité de la comète. En effet, en octobre 1982, la comète était encore à 11 unités astronomiques du Soleil et le dégazage n'avait pas encore commencé. La courbe donnant la magnitude de l'objet en fonction du temps (corrigée des effets de distance héliocentrique, de distance géocentrique et de l'angle de
Fig. 14. — Observation de P/Halley à fOHP. A partir de décembre 1984, la comète de Halley a pu être observée en France. Des clichés ont été obtenus au télescope de 2 m de l'Observatoire du pic du Midi, et au télescope de 1,93 m de l'Observatoire de Haute-Provence (OHP), au moyen de caméras CCD. Le cliché ci-dessus a été obtenu à l'OHP le 29 décembre 1984. La position de la comète est indiquée par la flèche. La magnitude de la comète était alors d'environ +21 (cliché J. Lecacheux).
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phase) indique clairement que l'activité a débuté à la fin de l'année 1984 ( fig. 15). Cependant, des éruptions intermittentes et de courte durée ont eu lieu bien avant cette date. En effet, dès janvier 1984, les astronomes français ont mis en évidence de brusques et intenses variations de flux (jusqu'à un facteur 5), sur une échelle de temps de quelques
heures (fig. 16). De telles variations ont aussi été détectées par d'autres observateurs. On a alors tenté d'attribuer cette variation à un effet de rotation du noyau. Malheureusement, ces recherches n'ont pas abouti : il s'est avéré impossible de trouver une valeur de la période qui puisse rendre compte à la fois des données de 1983, 1984 et 1985. C'est pourquoi on pense plutôt maintenant que ces variations de flux étaient dues à des sursauts précurseurs du démarrage de l'activité. 32 ,
Fig. 15. - Courbe d'activité de P/Halley (1983-1985). Pour étudier le début de l'activité du noyau de la comète, on corrige le flux mesuré de l'effet de distance géocentrique et héliocentrique; on se ramène ainsi à l'unité V (1, 0) qui correspond à la magnitude de la comète pour r=A=l unité astronomique, UA (r et A étant respectivement les distances hêliocentrique et géocentrique). Tant que le noyau est inactif, on a donc une droite horizontale. On voit que l'activité n'a vraiment débuté que dans la deuxième moitié de 1984 (d'après Wyckoff et al, 1985).
La comète de Halley
Fig. 16. — Variations d'intensité de P/Halley en décembre 1984. Dès le début de l'année 1984, les astronomes français ont mis en évidence des variations périodiques d'éclat dans le flux du noyau de la comète; la durée de vie de ces sursauts était de l'ordre de quelques heures. On a d'abord cru que ces variations étaient directement corrélées à la période de rotation du noyau; cependant, les tentatives de détermination de la période à partir de ces données n'ont pas été concluantes. On pense plutôt maintenant que ces fluctuations sont dues à l'éjection de grains de glace, dont la durée de vie serait de l'ordre de quelques heures (Festou et al., 1986).
Le premier spectre visible de la comète a été enregistré en mars 1985, à une époque où la comète était encore à 4 UA du Soleil ( fig. 17). La première signature spectrale observée est celle de CN, à 3 890 Â; celle de l'oxygène à 6 300 Â est peut-être marginalement présente. Ensuite la comète est devenue inobservable car elle est passée derrière le Soleil.
Les observations ont repris depuis août 1985 et se sont poursuivies sans discontinuer jusqu'en janvier 1986; la comète à cette époque était très près du Soleil, le passage au périhélie ayant eu lieu le 9 février. Les données s'accumulent en imagerie — en particulier avec les filtres sélectifs destinés à isoler l'émission des différents radicaux — en photométrie, visible et infrarouge, et en spectroscopie. La première détection de OH a été faite par des astronomes français, dans le domaine radio, au moyen du radiotélescope de 33
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Fig. 17. — Le premier spectre de la comète de Halley a été enregistré en mars 1985 au télescope de 45 m (MMT) du mont Hopkins en Arizona. On voit la signature spectrale de CN à 3 880 À (Wyckoff et al, 1985).
Nançay, en septembre 1985 (fig. 18); peu de temps après, l'émission UV de OH à 3 090 Â a aussi été observée au moyen du satellite IUE. En novembre 1985, la molécule HCN a été détectée pour la première fois par des radioastronomes des observatoires de Paris et Bordeaux. En décembre 1985, la molécule H20 a été détectée par une équipe américaine; ce résultat a été ensuite confirmé par une équipe française. Jusqu'à présent, le comportement de la comète est conforme aux prédictions, et sa magnitude est à peu près celle que l'on attendait...
Après le passage au périhélie, la comète redevient observable à partir de la fin du mois de mars, et jusqu'en juin environ. Alors qu'en octobre-décembre 1985 elle était plus aisément observable dans l'hémisphère nord, l'observation après mars 1986 sera plus favorable depuis l'hémisphère sud (fig. 19). A nos latitudes, la comète ne sera plus observable après le passage au périhélie; par contre, elle culminera très haut dans le ciel en novembre-décembre 1985.
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La comète de Halley
P/HALLEY 22 Aug.-2 Sept. 1985 1GG7 MHz
UITESSE (km/s)
P/HALLEY 22 Aug.-2 Sept. 1985 1667 MHz
UITESSE (km/s)
Fig. 18. — La première détection de OH sur la comète de Halley a été obtenue avec le radiotélescope de Nançay par une équipe de l'Observatoire de Meudon. L'observation a été faite à une longueur d'onde de 18 cm. Les données brutes sont présentées en haut, et les données après filtrage en bas (Gérard et al, 1985).
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Th. Encrenaz
Q)
Fig. 19. — Observabilité de la comète depuis la Terre. L'échelle de flux est la magnitude, dont la valeur décroît quand le flux augmente. On voit trois maxima locaux du flux, qui correspondent au périhélie et aux deux positions de distance géocentrique minimales. En bas, on voit les courbes donnant le nombre d'heures d'observation possible par nuit, par 35° de latitude, pour l'hémisphère nord (trait plein) et pour l'hémisphère sud (tirets).
(*) Nombre d'heures de visibilité de la comète au-dessus de l'horizon (le soleil étant à au moins 18° en-dessous).
Un événement exceptionnel
Avant même de connaître les ultimes retombées scientifiques de la campagne d'observation de P/Halley, on peut déjà affirmer que cette campagne est, à bien des égards, exceptionnelle. D'abord à cause de l'absence des États-Unis dans la campagne d'exploration spatiale (2), donnant ainsi à l'Union soviétique et à l'Europe la possibilité de réaliser une « première mondiale ». Ensuite et surtout, à cause de la mise en place d'un programme international de collaboration d'une ampleur sans précédent. Cela implique l'échange des projets d'observation au sol et leur préparation en commun, l'échange d'informations quant à leur réalisation, et enfin le rassemblement des données. Les archives complètes, stockées sur bandes magnétiques puis sans doute ultérieurement, sur vidéodisques, seront stockées en plusieurs points du globe (États-Unis, Europe, U.R.S.S., Japon).
Quel que soit le degré de succès des expériences spatiales, on peut déjà penser que la campagne d'observation de P/Halley permettra à la physique cométaire. de réaliser un progrès considérable. N'oublions pas en effet que les comètes sont des objets très mal connus à l'heure actuelle. Or, pour la première fois, voici une comète qui aura été observée depuis une distance héliocentrique de 11 UA; qui aura été surveillée par tous
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— La comète de Halley
les moyens possibles, en ultraviolet, visible, infrarouge et en ondes radio; qui aura été observée avec les détecteurs les plus modernes, permettant le maximum en résolution spatiale comme en résolution spectrale; qui enfin sera l'objet de tout un ensemble d'observations in situ. Il est donc à prévoir (ou tout au moins à espérer!) qu'au terme de cette campagne bien des questions seront levées quant à l'identification des moléculesmères et des grains cométaires. Nul doute aussi que ces nouvelles informations ne soulèvent autant de questions qu'elles n'en auront résolues.
L'étape suivante sera alors l'analyse directe d'un échantillon de noyau cométaire. C'est le projet américain CRAF (Cornet Rendez-vous Asteroid Fly-by) qui prévoit, après le survol d'un astéroïde, de se mettre en orbite autour d'un noyau cométaire; il s'agit de la comète Wildt, comète périodique usée et peu active, et se prêtant donc bien à l'analyse de son noyau. La mission est prévue pour la fin du siècle.
En conclusion, on peut prévoit que l'exploration cométaire ne s'arrêtera pas entre le passage de la comète de Halley et sa prochaine apparition en 2061; c'est au contraire un domaine de la planêtologie pour lequel on peut attendre un grand développement au cours des prochaines décennies.
NOTES
(') L'unité astronomique correspond à la distance moyenne de la Terre au Soleil, soit environ 150 millions de kilomètres.
( 2) Cependant, la NASA a modifié en 1985 la trajectoire de la sonde ISEE-3 (devenue ICE : International Cornet Explorer) de façon à ce que celle-ci traverse la queue de la comète Giacobini-Zinner et transmette un certain nombre de données scientifiques.
BIBLIOGRAPHIE
De nombreux ouvrages sont récemment sortis en librairie sur les comètes et la comète de Halley. Parmi ceux publiés en français, on peut citer Les Comètes, Mythes et Réalités, par M. Festou, Ph. Véron et J.-C. Ribes (Flammarion).
RÉFÉRENCES
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LA VIE DES SCIENCES -
Comètes : histoire et histoires
Philippe VERON
Observatoire de Haute-Provence
Les comètes, par leurs apparitions spectaculaires et imprévisibles, ont toujours fasciné les hommes. On ignorait tout de leur nature, on les prenait pour des phénomènes atmosphériques. De tout temps, on leur a attribué une influence, le plus souvent mauvaise, sur notre destinée. Au xvf siècle, on se demandait si elles avaient une signification astrologique ou si elles étaient plutôt des signes de la colère de Dieu. Enfin, les comètes perdirent leur mystère en un peu plus d'un siècle, au cours de la période qui s'étend de 1577, date à laquelle Tycho Brahé montra qu'elles sont situées au-delà de la Lune, à 1705, date de la publication de l'ouvrage de Halley dans lequel il annonçait que les comètes de 1531, 1607 et 1682 n'étaient que trois apparitions du même astre. Lentement, les superstitions disparurent, mais elles furent remplacées par de nouvelles craintes, plus rationnelles semblait-il; n'était-il pas possible qu'un de ces astres heurte la Terre, causant la fin du monde? Il y eut de nombreuses alertes depuis 1773 jusqu'à la dernière en date, lors du passage de la comète de Halley en 1910. En 1986, si on n'a plus peur des comètes, elles continuent à susciter dans le public un intérêt prodigieux.
Observations et superstitions
« Personne n'est si indolent, si obtus, si courbé vers la terre, qu'il ne se redresse et ne s'élève de toute sa pensée vers les choses divines, tout au moins lorsqu'un phénomène nouveau a brillé du haut du ciel. Tant que les choses suivent leur cours ordinaire, l'habitude les dépouille de leur grandeur [...]. Le Soleil n'a de spectateurs que quand il s'éclipse; la Lune n'est observée que s'il lui arrive le même accident. Les villes alors poussent des clameurs et, dans leur folle superstition, les individus font tapage à l'envi.
« C'est ce qui se passe pour les comètes. Si l'un de ces feux rares et insolites de forme apparaît dans le ciel, chacun veut savoir ce que c'est, oublie les autres corps célestes, ne
La Vie des Sciences, Comptes rendus, série générale, tome 3, n° 1, p. 39-60
Ph. Véron
s'intéresse qu'à l'intrus, ignore s'il doit admirer ou craindre. Il ne manque pas en effet de gens qui jettent l'alarme et affirment la signification redoutable du phénomène. »
C'est ainsi que Sénèque, vers l'an 65 de notre ère, dans ses Questions naturelles (1), expliquait la terreur que depuis toujours les comètes ont inspirée aux hommes.
D'une époque plus reculée de nombreux textes astronomiques babyloniens nous sont parvenus; parmi eux, un seul traite des comètes : il s'agit de trois tablettes cunéiformes dont on connaît cinq copies fragmentaires. L'une d'elles a été datée de 687 av. J.-C; les autres sont probablement plus récentes et ne remontent qu'au me siècle av. J.-C; mais le texte lui-même, que l'on a pu reconstituer complètement, est sans doute beaucoup plus ancien. Il est divisé en dix-huit chapitres; les dix-sept premiers traitent du Soleil, de la période des planètes, de la durée du jour et de la nuit; le dernier est consacré aux présages associés aux étoiles fixes et aux comètes. Il nous apprend qu'à Babylone les comètes étaient des signes de bon ou de mauvais augure : l'apparition d'une comète apporte la pluie; si la comète disparaît vers le sud, la récolte de sésame sera bonne; si elle monte vers le nord, le blé ne poussera pas, etc.
Aristote (384-322 av. J.-C.) consacre un chapitre des Météorologiques à l'exposé de sa théorie des comètes. Pour lui, il s'agit d'un phénomène météorologique et non d'un astre. Les comètes sont des exhalaisons sèches et chaudes; « ce qui doit être pris comme une indication de la constitution ignée des comètes, c'est que leur apparition annonce le plus souvent des vents et des sécheresses ». Et par leur nature même, elles peuvent avoir des effets importants : « Quand donc les comètes sont nombreuses, alors les années deviennent sèches et venteuses »(2).
Pour Sénèque, les comètes sont des astres : « elles semblent, en effet, avoir avec les astres certains caractères communs, des levers, des couchers »; et il ajoute : « il serait indispensable d'avoir le catalogue de toutes les comètes qui sont apparues dans le passé. Il n'est pas encore possible, à cause de leur rareté, de connaître leur marche, ni de savoir si leur retour est périodique et si un ordre déterminé les ramène à jour fixe. [...] Pourquoi donc nous étonner que des comètes, dont le monde nous offre si rarement le spectacle, ne soient pas encore soumises à des lois fixes, que nous ne sachions pas où commence et jusqu'où va une course dont le retour ne se fait qu'à d'immenses intervalles?[...] Le temps viendra où une étude attentive et poursuivie pendant des siècles fera le jour sur ces phénomènes de la nature [...] L'homme viendra un jour, qui expliquera dans quelles régions courent les comètes, pourquoi elles s'écartent autant des autres astres, quelles sont leur grandeur et leur nature^). » On reste confondu par une telle intuition. Dix-sept siècles s'écouleront avant que Halley ne démontre que la comète qui porte désormais son nom est périodique.
Mais l'autorité d'Aristote était telle que les idées de Sénèque eurent peu de poids et tombèrent dans l'oubli.
Ptolémée, au ne siècle de notre ère, dans le Quadripartitum, contribua à répandre l'idée que les comètes ont une influence, le plus souvent néfaste. N'écrivait-il pas : « Les comètes engendrent des effets tels que ceux que Mars ou Mercure produisent, comme des guerres, de grandes chaleurs, des mouvements impétueux [...] Du reste, tant les parties du Zodiaque sous lesquelles elles se sont assemblées et enflammées, que les inclinaisons chevelues de leurs perruques, en fonction de leurs formes, montrent quels lieux elles menacent et en quels tendent leurs effets. Mais de la propre couleur ou figure de cet assemblage enflammé se connaîtra l'espèce et le genre de la chose sur laquelle les effets doivent tomber. Sa 40
Comètes : histoire et histoires
Fig. 1. — Gravure illustrant une feuille volante publiée en 1556 à l'occasion de la brillante comète qui apparut de février à mai cette année-là. On peut ainsi résumer le texte l'accompagnant : « que ceux qui aiment Dieu ne craignent pas la comète; mais les méchants seront punis » (Zentral Bibliothek, Zurich).
durée montrera la vigueur et la débilité de ses effets. Son aspect au Soleil, leurs commencements; car alors lorsqu'elles seront matinales et longtemps enflammées, elles feront paraître plus tôt leurs effets; mais elles les montreront plus tard, lorsqu'elles seront vespérales.( 3) » Ces règles seront précisées et utilisées au cours des siècles par les astrologues qui jusqu'au xvne siècle essaieront de prédire de quelles catastrophes l'apparition de telle ou telle comète sera suivie.
En fait, jusqu'au xne siècle, les textes cométaires sont rares; aux xme et xive siècles, quelques traités en latin furent consacrés à ces astres, écrits à l'occasion de l'apparition d'une comète brillante. Ils donnent en général une brève description des circonstances de l'apparition : apparence, trajectoire et durée; mais leurs auteurs n'étaient pas animés d'une véritable curiosité scientifique; ils recherchaient plutôt des bases solides pour prédire l'avenir. Sur la nature même des comètes, ils se réfèrent en général aux Météorologiques d'Aristote et aux Questions naturelles de Sénèque. Pour les théories astrologiques, ils citent essentiellement les astrologues arabes Albumassar, Alkindi et Massahala; ils font souvent usage, pour leurs prédictions, suivant en cela Albumassar, du signe du Zodiaque où apparaît la comète.
Dès la fin du xve siècle, avec l'apparition de l'imprimerie, les feuilles volantes et les brochures consacrées aux comètes se multiplient ( fig. 1). Pingre, dans son excellente Cométographie publiée en 1783, fait une utile distinction entre les divers « spécialistes » des comètes du xvie siècle. Il vaut la peine de le citer : « C'est peut-être aussi vers le
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Ph. Véron
même temps [xvie siècle] que les cométomanciens se divisèrent en trois espèces de sectes : celle des théologiens, des astrologues et des physiciens. [...]
« Les théologiens pensaient que les comètes n'avaient aucune vertu naturelle pour annoncer des malheurs, encore moins pour les produire, mais que Dieu, par sa souveraine puissance, les créait et les faisait paraître lorsque, irrité contre les péchés des hommes, il voulait les châtier ou les rappeler à la pénitence.
« Les astrologues admettaient [dans les comètes] des vertus dont une longue suite d'expériences leur avait donné la connaissance. [...] Les comètes devaient participer aux vertus des astres auxquels elles devaient leur existence.
« Les physiciens rejetaient les folies de l'astrologie et croyaient qu'il ne fallait recourir que bien rarement aux causes surnaturelles. Selon eux, une comète est un effet purement naturel; tout ce qu'elle signifie, tout ce qu'elle produit, doit donc être dans l'ordre de la nature. [...] Mais ces prétendus physiciens étaient péripatéticiens; ils croyaient donc que les comètes sont des exhalaisons atmosphériques et par de savantes théories montraient que l'apparition d'une comète était nécessairement suivie de malheurs. Un exemple : l'air étant infecté par l'apparition d'une comète, tous les hommes respirent également cette corruption; mais le tempérament des grands est ordinairement très délicat; ils sont donc plus sensibles à cette corruption. Un autre : les exhalaisons cométaires sont quelquefois si fétides qu'elles engendrent des pestes ou d'autres maladies épidémiques. »
Jean Calvin est un excellent exemple de théologien. En 1549, il publia un ouvrage intitulé Advertissement contre l'astrologie judiciaire dans lequel on lit ce qui suit : « Je n'accorde pas que les prédictions des comètes sont certaines, comme aussi l'expérience le montre; car si une comète est apparue et que tantôt après un prince meurt, on dira qu'elle l'est venue adjourner; s'il ne s'ensuit nulle mort notable, on la laisse passer sans mot dire. Cependant je ne nie pas, lorsque Dieu veut étendre sa main pour faire quelque jugement digne de mémoire au monde, qu'il ne nous avertisse quelquefois par les comètes(4). »
Bien qu'aucune comète ne soit explicitement mentionnée dans la Bible, les théologiens citent souvent des versets bibliques à l'appui de leurs dires :
— l'homme attire la colère de Dieu par ses péchés : « Fornication, impureté, passion coupable, mauvais désirs et cette cupidité qui est une idolâtrie, voilà ce qui attire la colère divine » (Col. 3, 6-6);
— la punition de Dieu est accompagnée de signes dans le ciel : « Il y aura de grands tremblements de terre et çà et là des pestes et des famines; il y aura aussi des phénomènes effrayants, et dans le ciel de grands signes » (Luc 21, 11);
— les punitions de Dieu sont la guerre, la famine, la peste : « Ainsi parle Yahvé Sabaot : je les poursuivrai par l'épée, la famine et la peste. [...] C'est qu'ils n'ont point écouté mes paroles » (Jér. 29, 17-19);
— mais, par son repentir, l'homme peut éviter la punition : « Dieu vit ce qu'ils faisaient pour se détourner de leur conduite mauvaise. Aussi Dieu se repentit des prédictions de malheur qu'il leur avait faites et il ne les réalisa pas » (Jonas 3, 10).
Les astrologues, eux, pour convaincre leurs lecteurs que les comètes sont prophètes de malheur, utilisent l'autorité des auteurs latins :
— « Jamais la foudre ne tomba plus souvent par temps serein, ni les comètes sinistres ne brillèrent si fréquemment », écrit Virgile dans les Géorgiques( 5) à propos de la bataille
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Comètes : histoire et histoires
de Philippes en Macédoine (42 av. J.-C), durant laquelle Marc Antoine et Octave défirent Brutus et Cassius, et qui fut précédée d'une comète brillante;
— Lucain, dans La Guerre civile(6), mentionne « la comète qui sur terre bouleverse les royaumes ». Il s'agit ici de la comète qui se montra avant la bataille de Pharsale qui vit la victoire de Jules César sur Pompée le 6 juin 48 av. J.-C;
— à propos de la comète de 402 que l'on prit pour le signe de l'invasion de l'Italie par Alaric, roi des Visigoths, Claudien écrit dans De bello Gothico : « Jamais on ne vit une comète qui ne fût accompagnée de désastres »;
— Aviénus, au IVe siècle de notre ère, affirme dans Les Phénomènes d'Aratos ( 7) : « Mais, s'il arrive que brillent plusieurs comètes, la sécheresse grillera les moissons exténuées. »
Mais les auteurs du xvie siècle peuvent commettre d'amusantes erreurs. Ainsi ceux, et ils sont nombreux, qui affirment : « Il n'y a pas de comètes qui n'apportent des malheurs », phrase très voisine de celle de Claudien que nous venons de citer, mais attribuée à Pachymère, Camerarius ou Melanchton. Cette phrase, en grec, se trouve effectivement dans Camerarius (De Ostentis) et dans Melanchton (Epigrammata), qui ne donnent pas leur source. Georges Pachymère (1242-1310) décrit, dans son De Michaele Paleologo Historia, histoire de l'empereur de Byzance Michel Paléologue, l'apparition de la comète de 1264 qui annonça une attaque des Turcs. A ce propos, il écrit qu'il existe un dicton qui affirme, en grec : « les comètes sont toutes... », et qu'il est aisé de compléter ce vers tronqué : « les comètes sont toutes présages de malheur ». Mais pourquoi ce vers incomplet? C'est dans UEloge de la calvitie( 8) que l'on trouve l'explication. Il s'agit d'un ouvrage de Synesius de Cyrène (370-413), évêque de Pto'lémaïs, dont le thème est que le port des cheveux longs est néfaste. L'auteur y cite en effet le début de l'aphorisme et ajoute qu'il ne peut prononcer le mot terrible qui le termine, mais que le lecteur comprendra aisément. Dans une lettre à son frère qui nous est heureusement parvenue, Synesius est moins timide; il écrit : « les porteurs de cheveux longs sont tous des amateurs de petits garçons » (traduction approximative). En effet, en grec, le mot comète, avant de désigner les astres chevelus, signifiait les cheveux ou celui qui portait des cheveux longs. A cause de la bévue de Pachymère, de nombreux auteurs du xvie siècle de bonne foi ont donc fait dire à Synesius tout autre chose que ce qu'il avait dit !
Chaque fois qu'une comète brillante faisait une apparition dans le ciel, au cours des xvie et xvne siècles, elle suscitait la parution d'un très grand nombre d'imprimés par lesquels astrologues, physiciens et théologiens répandaient leurs idées dans le peuple. Ce qu'on en retenait essentiellement, c'est que les comètes sont des objets terribles. On peut s'en faire une idée en lisant la description d'une aurore boréale que l'on vit en Allemagne en octobre 1527, et que l'on prit pour une comète; cette description, publiée dans un tracta tus contemporain (fig. 2), a été reprise en 1573 par Ambroise Paré dans Des monstres et prodiges(9). « L'Antiquité n'a rien expérimenté de plus prodigieux en l'air que la comète horrible de couleur de sang qui apparut en Westrie, le neuvième jour d'octobre 1528 [?]. Cette comète était si horrible et si épouvantable, elle engendrait si grande terreur au vulgaire qu'il en mourut aucuns de peur; les autres tombèrent malades. Cette étrange comète dura une heure et un quart et commença à se produire du côté du soleil levant, puis tira vers le midi; elle apparaissait être de longueur excessive et était de couleur de sang. A la sommité d'icelle on voyait la figure d'un bras courbé tenant une grande épée en la main, comme s'il eût voulu frapper. Au bout de la pointe, il y avait trois étoiles; mais celle qui était droitement sur la pointe était plus claire et luisante que 43
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Fig. 2. — Page de titre de la traduction française d'un tractatus, publié en allemand en 1527 à Nuremberg et décrivant une aurore boréale qui eut lieu le 11 octobre mais que l'auteur, Peter Creutzer, prit pour une comète. Ambroise Paré a purement et simplement copié ce texte dans Des monstres et prodiges et s'est inspiré de cette illustration (Bibliothèque de l'École nationale des Beaux-Arts, Paris.)
les autres. Aux deux côtés des rayons de cette comète, il se voyait grand nombre de haches, couteaux, épées colorées de sang, parmi lesquelles il y avait grand nombre de faces humaines hideuses, avec les barbes et cheveux hérissés. »
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Comètes : histoire et histoires
Comme nous allons le voir maintenant, lorsque l'on eut compris que les comètes sont des astres dont on peut calculer les orbites et éventuellement prévoir le retour, les terreurs absurdes qu'elles suscitaient s'apaisèrent peu à peu; pas complètement toutefois, comme en fait foi Le Folklore de France(10), une étude due à Paul Sébillot et publiée en 1904. On y apprend en effet qu'à cette époque récente, en Haute-Bretagne, en Poitou et en Wallonie, les comètes présagent la guerre, la famine ou la fin du monde; en Ille-et-Vilaine, un changement de gouvernement : si la queue est tournée vers le couchant, il se produira à bref délai; si elle s'incline vers le levant, il n'aura pas lieu de sitôt.
Edmond Halley et les premiers calculs d'orbites cométaires
Donc, pour tout ce qui touchait aux comètes, au xvie siècle, c'était encore les idées d'Aristote qui prévalaient. Aristote distinguait dans l'univers deux régions : le monde supralunaire immuable et incorruptible, et le monde sublunaire, lieu des phénomènes atmosphériques. Les comètes, nous l'avons vu plus haut, appartenaient pour lui par nécessité au monde sublunaire. Il revint à Tycho Brahé de porter le premier coup à ce dogme par ses observations de la nouvelle étoile de 1572. En novembre cette année-là, une étoile était apparue soudainement dans la constellation de Cassiopée, atteignant l'éclat de Jupiter, pour s'affaiblir lentement et disparaître au bout de seize mois. Il s'agissait, nous le savons maintenant, d'une supernova, phénomène extrêmement rare et qui n'a pu être observé que six fois dans notre galaxie au cours du dernier millénaire. Tycho Brahé observa cette étoile nouvelle et démontra par la méthode des parallaxes que sa distance à la Terre était plus grande que celle de la Lune, qu'elle ne se déplaçait pas comme les planètes par rapport aux étoiles et qu'en conséquence elle appartenait à la région des étoiles fixes. Cinq ans plus tard, le 13 novembre 1577, alors qu'il était dans l'île de Hven où il avait érigé son observatoire, Tycho Brahé découvrit une comète; lui appliquant à nouveau la méthode des parallaxes, il montra qu'elle était située bien au-delà de la Lune; il s'agissait donc bien d'un astre et non d'un phénomène atmosphérique. Une brèche était ouverte dans le système d'Aristote, bien que tout le monde n'acceptât pas immédiatement les conclusions de Tycho Brahé. Il fallut attendre qu'Hévélius montrât que la comète de 1652 était elle aussi beaucoup plus éloignée que la Lune pour que fussent réduits au silence ceux qui niaient encore le caractère de corps célestes des comètes.
Tycho Brahé mourut à Prague le 24 octobre 1600 à l'âge de cinquante-quatre ans. Il léguait à Kepler qui avait été son élève ses observations planétaires, d'une précision jamais encore égalée et qui allaient permettre à celui-ci d'énoncer, en 1609 pour les deux premières, en 1619 pour la troisième, les lois qui portent son nom :
1. Les orbites des planètes sont des ellipses dont le Soleil est l'un des foyers.
2. Les aires balayées par le rayon vecteur joignant le Soleil à la planète sont proportionnelles au temps.
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3. Les carrés des temps de révolution sont proportionnels aux cubes des distances moyennes des planètes au Soleil.
Mais Kepler n'appliqua pas ses lois au mouvement des comètes; il estimait que ce serait une perte de temps de calculer avec précision l'orbite d'un astre qui ne doit plus revenir.
Newton fit la synthèse des lois de la mécanique céleste de Kepler et de celles de la mécanique terrestre de Galilée; il établit ainsi le principe de la gravitation universelle : deux corps s'attirent en raison directe de leur masse et en raison inverse du carré de leur distance; il montra que le mouvement elliptique des planètes était la conséquence directe de l'effet de l'attraction du Soleil. Il pensa tout naturellement que les comètes étaient soumises à la même force et, en 1685, il en déduisit que leurs orbites sont elles aussi des ellipses, mais très allongées et ne différant que fort peu d'une parabole (voir B. Morando, 1986, La Vie des Sciences, 3, n° 1, p. 1).
Edmond Halley entreprit alors de calculer, grâce à la méthode mise au point par Newton, les orbites des vingt-quatre comètes pour lesquelles on possédait un nombre suffisant d'observations. Le catalogue de leurs éléments fut publié en 1705 dans un mémoire en latin, Astronomia Cometicae Synopsis. Il remarqua que les orbites des comètes de 1531, 1607 et 1682 étaient très semblables. « Tous les éléments sont en accord, écrivait-il, sauf qu'il y a une inégalité dans les périodes de révolution (les intervalles entre les passages de 1531, 1607 et 1682 diffèrent de 459 jours); mais elle n'est pas si grande qu'elle ne puisse être attribuée à des causes physiques. Par exemple, le mouvement de Saturne est si perturbé par les autres planètes, en particulier Jupiter, que sa période est incertaine de plusieurs jours. Combien plus sujette à de telles perturbations peut être une comète qui s'éloigne à une distance près de quatre fois plus grande que Saturne et dont une légère augmentation de la vitesse changerait l'orbite d'une ellipse à une parabole? » Halley prédit le retour de sa comète pour la fin de 1758 ou le début de 1759.
En 1757, la prédiction de Halley était toujours présente à l'esprit des astronomes. Leur curiosité était surexcitée : on avait une occasion de démontrer définitivement la théorie de l'attraction universelle. Sous la direction de Clairaut, Lalande et Mme Lepaute entreprirent de calculer la date exacte du retour de la comète de Halley en tenant compte des perturbations dues à Jupiter et Saturne. Ils annoncèrent que la comète passerait au périhélie le 13 avril 1759. Retrouvée le 25 décembre 1758, elle passa au périhélie le 12 mars, juste un mois avant la date annoncée. Une meilleure précision eût été possible si les masses de Jupiter et de Saturne avaient été mieux connues. Ce fut un triomphe. Les femmes portaient la coiffe en comète; tout Paris jouait au jeu de la comète.
A mesure que l'on se convainquait que les comètes étaient des astres soumis à des lois, les terreurs superstitieuses qu'elles avaient si longtemps causées s'apaisèrent. Comme l'écrivait dans sa Lettre sur la comète qui paraissait en 1742 l'astronome et mathématicien français Maupertuis : « Ces astres, après avoir été si longtemps la terreur du monde, sont tombés tout à coup dans un tel discrédit qu'on ne les croit plus capables de causer que des rhumes. » On comprit cependant que la rencontre d'une comète avec la Terre était possible; ne connaissant ni la masse du noyau, que l'on croyait grande, ni la nature de sa queue, on se prit à craindre les effets d'une telle collision. Plusieurs auteurs envisagèrent l'éventualité d'une telle catastrophe tout en en soulignant la faible probabilité. Ainsi Maupertuis, dans l'ouvrage déjà cité : « Si la queue de quelque comète atteignait notre atmosphère, les exhalaisons de la comète, mêlées avec l'air que nous respirons, y causeraient des changements fort sensibles [...]; il est fort vraisemblable que des vapeurs 46
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Fig. 3. — Jean-Louis Pons (1761-1831), qui découvrit 36 comètes au cours de sa vie.
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apportées de régions si éloignées et si étrangères seraient funestes à tout ce qui se trouve sur la Terre. » Et Laplace, dans L'Exposition du système du monde publié en 1796 : « L'apparition des comètes suivies de ces longues traînées de lumière a, pendant longtemps, effrayé les hommes, toujours frappés des événements extraordinaires dont les causes leurs sont inconnues. La lumière des sciences a dissipé ces vaines terreurs que les comètes, les éclipses et beaucoup d'autres phénomènes inspiraient dans les siècles d'ignorance [...] Aux frayeurs qu'inspirait alors l'apparition des comètes a succédé la crainte que dans le grand nombre de celles qui traversent dans tous les sens le système planétaire l'une d'elles bouleverse la Terre [...] Il est facile de se représenter les effets de ce choc sur la Terre : l'axe et le mouvement de rotation changés; les mers abandonnant leur ancienne position pour se précipiter vers le nouvel équateur; une grande partie des hommes et des animaux noyée dans ce déluge universel, ou détruite par la violente secousse imprimée au globe terrestre; des espèces entières anéanties; tous les monuments de l'industrie humaine renversés. Mais ce choc, quoique possible, est si peu vraisemblable dans le cours d'un siècle [...] que l'on ne peut concevoir à cet égard aucune crainte raisonnable. » Citons encore les Lettres cosmologiques sur l'organisation de Funivers écrites en 1761 par J.-H. Lambert^ 1) : « Les comètes, qui ne sont plus maintenant redoutables par leur présage, ne le sont-elles pas au moins par leurs effets? [...] Que deviendrons-nous si quelque grosse comète s'approchait assez près de la Terre pour élever la masse des eaux au point de l'inonder, ou pour l'entraîner avec elle et en faire son satellite? [...] Les philosophes ne nous garantiraient pas que nous ne fussions dans le cas de craindre qu'aujourd'hui même, une comète malfaisante ne vînt nous dérober notre paisible Lune, peut-être heurter notre Terre de manière à la réduire en poudre, ou du moins de laisser une partie de sa queue dans notre atmosphère. »
C'est dans ce contexte que Lalande examina comment les perturbations planétaires pouvaient amener des orbites cométaires à couper celle de la Terre; il conclut que la chose n'était pas absolument impossible, bien qu'extrêmement peu probable, et prépara un mémoire pour la rentrée publique de l'Académie des Sciences, le 21 avril 1773. Faute de temps, ce mémoire ne fut pas lu publiquement, mais son texte, Réflexion sur les comètes qui peuvent approcher de la Terre, excitait la curiosité; ce que Lalande avait dit à quelques amis du résultat de ses calculs passa de bouche à oreille, se déforma et s'amplifia hors de toute proportion. Le bruit se répandit qu'une comète allait arriver, qu'elle était prédite par Lalande, qu'elle rencontrerait la Terre le 20 mai 1773 et qu'il en serait fini de notre monde. Dès le 7 mai, Lalande publia dans la Gazette de France l'annonce suivante : « Le sieur de Lalande n'eut pas le temps de lire un mémoire sur les comètes qui peuvent, en s'approchant de la Terre, y causer des révolutions, mais il observe qu'on ne saurait fixer l'époque de ces événements. La comète la plus prochaine dont on attend le retour est celle qui doit paraître dans dix-huit ans; mais elle n'est pas du nombre de celles qui peuvent nuire à la Terre. » Cette note ne calma pas les esprits; le 9 mai, on croyait encore largement à un énorme déluge menaçant et on demanda à l'archevêque de Paris d'ordonner des prières pour arrêter la comète. Un groupe d'académiciens parvint à le dissuader en lui montrant l'absurdité de toute l'histoire. Il y eut des malins pour profiter de cette panique et qui vendirent, très cher, des places pour le paradis. La comète, bien sûr, n'arriva pas, et bientôt l'on n'y songea plus.
C'est à cette occasion que Voltaire écrivit le 17 mai 1773 une Lettre sur la prétendue comète qui commence ainsi : « Quelques Parisiens, qui ne sont pas philosophes, et qui,
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Comètes : histoire et histoires
Fig. 4. — Fac-similé d'une caricature sur la comète de 1819, à propos de laquelle on avait prédit la fin du monde (d'après La Nature du 22 mars 1890).
si on les croit, n'auront pas le temps de le devenir, m'ont mandé que la fin du monde approchait, et que ce serait infailliblement pour le 20 du mois de mai où nous sommes.
« Ils attendent ce jour-là une comète qui doit prendre notre petit globe à revers et le réduire en poudre impalpable, selon une certaine prédiction de l'Académie des Sciences qui n'a point été faite. »
Il y eut d'autres alertes. On avait annoncé la fin du monde par le choc d'une comète avec la Terre pour le 18 juillet 1816. Le journaliste français François-Benoît Hoffman (1760-1828) y consacra un article satirique dans le Journal des débats du 29 juillet. La comète Encke, découverte à Marseille par Pons (fig. 3) le 28novembre 1818, causa quelques craintes en janvier 1819, ce qui nous valut quelques chansons et caricatures (/fe-4).
Découverte en 1826 par Biela, la comète qui porte son nom a une période de 6,75 ans. Damoiseau en avait calculé le retour pour l'automne de 1832. Le 29 octobre, elle devait couper le plan de l'orbite terrestre à une distance de 30000 km; l'orbite de la Terre devait donc rencontrer la coma. Le bruit courut alors d'une prochaine rencontre d'une comète et de la Terre; notre globe serait brisé en éclats; ce serait la fin du monde. Mais, comme le souligna Arago dans Y Annuaire du bureau des longitudes pour 1832, la Terre ne passa en ce point de son orbite que le 30 novembre, soit un mois plus tard; il n'y avait donc
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Ph. Véron —
aucun danger de collision. C'est à cette occasion que le célèbre chansonnier Béranger (1780-1857) écrivit sa chanson La Comète de 1832 dont le refrain était : « Finissons-en, le monde est assez vieux. »
La « comète de Charles Quint » et la comète de Halley
En 975, on vit une comète pendant trois mois; en 1264, une comète brillante fit son apparition, elle resta visible quatre mois; sa queue s'étendit sur 100°. En 1556, une comète, qualifiée de terrible, fut observée de février à mai; son éclat atteignit celui de Jupiter; on prétendit qu'elle motiva l'abdication de l'empereur Charles Quint et c'est pour cette raison qu'on l'appelle parfois la comète de Charles Quint. Le chanoine Pingre, dont nous avons déjà mentionné la Cométographie, calcula l'orbite de la comète de 1264 et nota sa similitude avec celle de la comète de 1556 calculée par Halley, qui avait utilisé
Fig. 5. — Caricature illustrant les effets du choc de la comète de Charles Quint avec la Terre le 13 juin 1857.
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Comètes : histoire et histoires
pour ce faire des observations de Paul Fabricius, mathématicien et astronome de Charles Quint à Vienne. Pingre conclut qu'il s'agissait d'une seule et même comète dont la période serait de 292 ans. La comète de 975, dans cette hypothèse, serait une apparition du même objet. Pingre prédit son retour pour l'année 1848. Un astronome anglais, Richard Dunthorne, atteignit indépendamment les mêmes conclusions. Alors que le retour attendu approchait, l'astronome anglais Hind refit le calcul de l'orbite de la comète de 1556 et se convainquit à son tour de son identité avec la comète de 1264; il remarqua cependant que les perturbations dues à Saturne et Neptune retarderaient son retour d'une année ou deux. La comète n'ayant pas fait sa réapparition en 1849, l'astronome hollandais B. Bomme refit les calculs mais trouva que les observations manquaient de précision pour affirmer l'identité des comètes de 1264 et 1556; faisant cependant l'hypothèse qu'il s'agissait bien du même objet, il conclut qu'il reviendrait entre 1858 et 1861. C'est alors qu'un Almanach Mathieu Laensberg pour l'année 1857 annonça que, le 13 juin 1857, la comète heurterait la Terre, causant la fin du monde (fig. 5). Le 28janvier 1857, dans L'Union, quotidien de Paris, le journaliste E. Gallois fit bien imprudemment état de cette prédiction : « Un astrologue allemand, très en réputation, annonce un cataclysme épouvantable pour le milieu de l'année même dans laquelle nous entrons. Il prédit rien moins que la fin du monde. [...] Le 13 juin! [...] Si la prophétie se réalise, nous le verrons bien. » Dans les quinze jours qui suivirent, la nouvelle fut reprise par l'ensemble de la presse parisienne et provinciale et ce fut à nouveau la panique, comme le montre, par exemple, la lettre d'un lecteur publiée dans L'Echo Bayeusain du 10 février : « Vous avez semé la terreur dans l'esprit du plus grand nombre de vos lecteurs », ou celle du curé du village de Goersdorf (Bas-Rhin), dans L'Alsace de Strasbourg du 26 février : « Grand émoi en ce moment d'un bout à l'autre de nos campagnes alsaciennes ! Que dis-je ! C'est une terreur sans pareille, une panique universelle. »
L'académicien Babinet, MM. Petit et Valz, respectivement directeurs des observatoires de Toulouse et de Marseille, publièrent des articles rassurants qui eurent un effet positif si l'on en croit La Presse du 7 mars 1857 : « Toutes les personnes, bien plus nombreuses qu'on ne l'imagine, qui avaient conçu de secrètes et de très réelles alarmes sur le terrible conflit dont la comète du 13 juin nous menaçait de par Mathieu Laensberg sont aussi les plus empressées à accabler de leurs sarcasmes et de leur mépris l'astre vagabond. » Il y eut cependant quelques suicides; certains préféraient mourir immédiatement que d'attendre passivement la fin du monde. Mais comme le soulignait Babinet : « Les gens tués par la comète meurent purement et simplement de frayeur, de stupidité et d'ignorance. »
La peur ayant disparu, tout au moins dans les villes, la comète devint la proie des humoristes. Les journaux se couvrirent de dessins humoristiques dus aux meilleurs caricaturistes de l'époque, Daumier, Nadar, Cham... et, comme nous en informe le Journal amusant du 11 avril : « Maintenant, ce n'est plus la queue de la comète qui nous fait peur, c'est la menaçante kyrielle des vaudevillistes qui s'avancent armés de leurs pièces de circonstance sur la comète de 1857 : Beaumarchais a joué la sienne, les Folies nouvelles ont donné une pantomime concernant la fin du monde, les Funambules ont la leur, les Délassements préparent une colossale féerie-revue; il en est de même pour les Variétés et le Palais-Royal. »
Bien sûr, le 13 juin il ne se passa rien (fig. 6); mieux, la comète attendue ne parut pas. Pourquoi? La réponse fut apportée par Martin Hoek, astronome à l'observatoire d'Utrecht, qui put prouver que les comètes de 1264 et 1556 n'étaient pas identiques. Hoek
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CES BOSS PÀRISIEXS.
Fig. 6. - Lithographie de Honoré Daumier (1808-1879) parue dans le Charivari du 15 juin 1857, soit deux jours après la « rencontre » entre la Comète de Charles Quint et la Terre.
avait sur ses,prédécesseurs un avantage décisif; en effet, l'astronome Karl Ludwig von Littrow (1811-1877), directeur de l'observatoire de Vienne, non seulement avait découvert un pamphlet de Joachim Heller contenant des observations originales de la comète de 1556, mais il avait retrouvé la source originale des observations de Fabricius; c'était une feuille volante illustrée d'une carte du ciel montrant la trajectoire de la comète (fig. 7). C'est dans
Fig. 7 (ci-contre). - Feuille volante publiée en 1556 par l'astronome viennois Paul Fabricius
(~1529 1588) et retrouvée en 1856 par l'astronome K. L. von Littrow (Houghton Library,
Cambridge, Massachussetts).
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Ph. Véron
Fig. 8. — Carre postale publiée à Leipzig en 1899, illustrant les effets que devait avoir sur la Terre la collision avec une comète le 13 novembre. Rien ne s'étant passé à cette date et pour que cette carte puisse continuer à se vendre, on a ajouté en surimpression : « Der Weltuntergang ist verschoben ! », c'est-à-dire « La fin du monde a été retardée ! ».
les archives d'État à Vienne que Littrow fit sa découverte dès 1856; mais les conséquences de cette découverte n'apparurent qu'après les nouveaux calculs de Hoek. Pingre et Hind avaient recherché en vain ce document original; on réalisa après l'avoir retrouvé que Halley n'avait eu à sa disposition qu'une copie très altérée de la carte de Fabricius, publiée par Lycosthènes à Bâle en 1557. 54
Comètes : histoire et histoires
1910 : alerte aux gaz
La fin du monde suivante n'eut pas lieu le 13 novembre 1899. L'essaim de météores appelés Léonides a une période de 33 ans 1/4; on en trouve trace dès l'année 902. Schiaparelli l'identifia avec la comète 1866IP/Tempel-Tuttle dont la période vaut 33,5 ans; elle fut retrouvée en 1965 (1965 IV) alors qu'on la cro)'ait perdue. Le 12 novembre 1833, une magnifique et spectaculaire pluie d'étoiles filantes fut observée, qui se manifesta à nouveau dans la nuit du 13 au 14 novembre 1866. Mais, entre 1866 et 1899, l'essaim passa près de Jupiter et de Saturne dont l'action en modifia légèrement l'orbite, de sorte qu'en 1899 (de même qu'en 1933) on ne vit qu'un très petit nombre d'étoiles filantes. De nouvelles perturbations planétaires firent que le 17 novembre 1966 les Léonides furent plus brillantes que jamais.
Cependant, Rudolf Falb (1838-1903), astronome et météorologue, directeur de la revue d'astronomie populaire Sirius, annonça, dès décembre 1893, au cours d'une conférence publique à Leipzig, que la Terre devait rencontrer cet essaim le 13 novembre 1899 et être détruite ( fig. 8). Le Journal du 22 octobre 1899 décrit ainsi les effets que cette annonce eut sur les populations : « Se fiant aux dires d'un certain Rudolf Falb, astronome allemand, dires enregistrés par un certain nombre d'almanachs populaires, genre Mathieu de la Drôme, une foule de paysans des provinces reculées de l'Allemagne, de l'Autriche, de la Hongrie, de la Croatie, de la Serbie et surtout de la Russie sont à l'heure présente fermement convaincus que leur fin est prochaine et se conduisent en conséquence. » La peur s'étendit à d'autres pays : ainsi Le Matin, dans son édition du 9 novembre, écrivait : « Le correspondant de La Dépêche tunisienne à Tripoli informe ce journal que cette ville est bouleversée par la nouvelle de la fin du monde. Les israélites envoient leur femme dans les synagogues pour faire des prières et brûler des cierges. » Dans les rues de Paris, des camelots vendaient un placard à 10 centimes en criant : « Il faut mourir, c'est demain la fin du monde. » Le Matin du 16 novembre nous apprend qu'« il y a de braves gens qui ont eu peur et qui sont malades du choc annoncé par le Viennois Falb. Une bonne, une Bretonne, a voulu à tout prix commander ses obsèques pour le jour fatal. Une dame habitant Passy est devenue comme folle en entendant les coups de mine que font éclater les ouvriers chargés d'élargir les voies de chemin de fer de ceinture. Pour elle, pas de doute, c'était bel et bien la rencontre de la comète avec la Terre. » Le Temps du même jour précisait que s'il ne s'était pas produit, à Paris, un mouvement général d'angoisse, on citait quelques cas isolés de frayeur.
Qu'en reste-t-il? Une collection de cartes postales humoristiques, presque toutes allemandes, nous montrant les effets terrifiants de cette rencontre !
La dernière en date, mais non la moins importante, des fins du monde causées par une comète est celle qui aurait dû se produire le 18 mai 1910 lorsque la Terre est passée dans la queue de la comète de Halley.
Après la découverte de la présence de cyanogène dans la coma de la comète Morehouse (1908 II) par de la Baume Pluvinel et Baldet le 4 octobre 1908 à l'observatoire de Juvisy, le célèbre Camille Flammarion écrivait dans L'Illustration du 24 octobre 1908 : « Cette comète est formée principalement de cyanogène. C'est là un gaz éminemment délétère. Si le cours de notre vagabonde l'avait amenée dans nos parages, et si nous avions reçu — 55
Ph. Véron
quelques bouffées de plusieurs millions de mètres cubes de gaz provenant de sa désagrégation, les affaires politiques de notre planète auraient bien pu chômer pour quelque temps et la discussion de l'impôt sur le revenu être tout à fait suspendue. » La comète de Halley fut retrouvée le 11 septembre 1909 par l'astronome allemand Max Wolf, de Heidelberg. On réalisa alors que la comète passerait entre la Terre et le Soleil le 18 mai 1910 et que la Terre serait balayée par la queue de la comète. Dans un article daté du 31 décembre 1909 et publié dans le Bulletin de la Société astronomique de France de janvier 1910, Flammarion crut devoir expliquer qu'il n'y avait aucun danger, vu la très faible densité de la queue des comètes. Mais il était déjà trop tard; les astronomes français H. Deslandres et A. Bernard, de l'observatoire de Meudon, avaient observé le cyanogène dans la coma de la comète de Halley dès le début du mois de décembre. On savait donc que la Terre allait traverser la queue de la comète et que cette queue contenait ce poison mortel, le cyanogène, et un peu plus d'un an plus tôt Flammarion avait suggéré qu'un tel accident aurait des conséquences désastreuses. A nouveau on eut peur, en France, en Europe, aux États-Unis. On trouve trace de cette peur dans l'autobiographie d'Elias Canetti, prix Nobel de littérature, Histoire d'une jeunesse, la langue sauvée. En 1910, E. Canetti vivait dans une petite ville de Bulgarie, il avait cinq ans : « Tout le monde parlait de la comète [...] et j'entendis dire que la fin du monde était arrivée [...] Partout en ville on y croyait. [...] Une nuit, la rumeur circula que la comète était juste au-dessus de nous maintenant
■K
Fig. 9. - Carte postale allemande montrant les effets catastrophiques de la comète de Halley sur la petite ville de Bautzen en Saxe, le 19 mai 1910.
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Comètes : histoire et histoires
Fig. 10. — Carte postale humoristique illustrant la peur provoquée par le retour de la comète de Halley en 1910.
et qu'elle allait tomber sur la terre. [...] Tandis que j'étais là, en attente, je dus bien ressentir quelque chose de cette peur qui emplissait tout un chacun. »
Une fois de plus, la date fatidique passa et on oublia que l'on avait eu peur. Il nous reste de nombreuses cartes postales humoristiques ( fig. 9 et 10) et une belle médaille
(flg-ny
De nos jours, même si certains journaux d'astrologie parlent de l'« inquiétante » comète de Halle)r, personne ne craint plus sérieusement les comètes; en revanche, elles suscitent toujours autant d'intérêt de la part du public aussi bien que des astronomes. En témoignent les quarante ouvrages consacrés à la comète de Halley depuis trois ans, en anglais,
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Ph. Véron
Fig. 11. — Médaille frappée à l'occasion du passage de la Terre dans la queue de la comète de Halley le 19 mai 1910 et due au graveur munichois Karl Goetz.
en allemand, en italien, en français...; les émissions de télévision, les articles de journaux, les conférences publiques (.fig. 12), les tee-shirts ou les badges illustrés (fig. 13) (aux États-Unis surtout), sans oublier les croisières organisées dans l'hémisphère sud au début de l'année 1986, dans l'espoir de mieux l'observer, malgré les conditions relativement défavorables. Le commerce a su remplacer la superstition...
NOTES
(') Sénèque, Questions naturelles, texte traduit par Paul Oltramare, Paris, Les Belles Lettres, 1930.
( 2) Aristote, Les météorologiques, texte traduit par J. Tricot, Paris, Vrin, 1955.
( 3) Claude Ptolémée, La tétrabilte, traduction de Nicolas Bourdin, Bibliotheca Hermetica, 1974.
(*) Jean Calvin, Avertissement contre Vastrologie judiciaire, édition critique par Olivier Millet, Droz, Genève, 1985.
( 5) Virgile, Géorgiques, texte établi et traduit par E. de Saint-Denis, Paris, Les Belles Lettres, 1982.
( 6) Lucain, La guerre civile, texte établi et traduit par A. Bourgery, Paris, Les Belles Lettres, 1976.
( 7) Avienus, Les phénomènes (TAratos, texte établi et traduit par J. Soubiran, Paris, Les Belles Lettres, 1981. (s) Synesius de Cyrène, OEuvres de Synesius, traduites entièrement, pour la première fois, en français par H.
Druon. Paris, Hachette, 1878.
( 9) Ambroise Paré, Des monstres et prodiges, édition critique et commentée par J. Céard, Genève, Droz, 1971.
( 10) Paul Sêbillot, Le folklore de France. Le ciel, la nuit et les esprits de Pair, Paris, Imago, 1982 (2e édition). (n) J.-H. Lambert, Lettres cosmologiques sur F organisation de Funivers, Paris, A. Brieux, 1977 (réédition).
BIBLIOGRAPHIE
Bôhm F., 1973, Kometen, Phantastereien und Fakten, Merlin Verlag, Hamburg. Cari P., 1864, Repertorium der Cometen-Astronomie, Rieger, Mùnchen.
Chambers G. F., 1910, The Story of the Cornets, Clarendon Press, Oxford. (Ce livre, introuvable, contient un excellent chapitre sur les comètes dans l'histoire.)
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Comètes : histoire et histoires
Fig. 12. — Affiche décollée sur un mur parisien, annonçant une conférence sur les influences psychologiques de la comète de Halley, conférence qui eut lieu le 27 septembre 1985 à l'hôtel Concorde Saint-Lazare à Paris.
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Ph. Véron
Etter R. et Schneider S., 1985, Halle/s Cornet, Memories of 1910. (Collection de 200 objets, cartes postales, caricatures, souvenirs, bijoux, etc. publiés ou fabriqués à l'occasion du passage de la comète de Halley en 1910.)
Freitag R. S., 1979, The Star of Bethlehem, a List of Références, Library of Congress, Washington.
Freitag R. S., 1984, Halle/s Cotnet, a bibliography, Library of Congress, Washington. (Compilation de 3 235 références à des publications concernant la comète de Halley, échelonnées de 1531 à 1983, présentées par ordre alphabétique.)
Hellman D., 1971, 77ie Cornet of 1577: its Place in the History of Astronomy, AMS Press New York. (Analyse détaillée de l'état des théories cométaires à la fin du XVIe siècle.)
Hind J. R., 1848, On the Expected Return of the Great Cotnet of 1264 and 1556, London. (Conclut à une très grande probabilité de l'identité des comètes de 1264 et 1556.)
Jervis J. L., 1985, Cometary Tlteory in Fifteenth-Century Europe, Reidel Publishing Company, Dordrecht.
Metz J., 1985, Halley's Cornet, 1910 : Fire in the Sky, Singing Bone Press, Saint Louis, Missouri, USA. (Document sur les réactions des hommes à l'apparition de la comète de Halley en 1910.)
Morando B., 1986, La Vie des Sciences, 3. n° 1. 1.
Morton B., 1985, Halley's Cotnet, 1755-1984; a Bibliography; Greenwood Press, Londres. (1301 références à des articles publiés dans la presse de langue anglaise et concernant les quatre dernières apparitions de la comète de Halley. Présentées par ordre chronologique.)
Oison R., 1985, Fire and Ice: a History of Cornets in Art, Walker, New York. (Compilation des représentations des comètes dans l'art.)
Pingre M., 1783, Comètographie ou Traité historique et théorique des comètes, Imprimerie royale Paris (2 vol.). (Livre fondamental pour l'étude de l'histoire des comètes.)
Robinson J. H., 1916, 77ie Great Cornet o/1680, a Study in the History ofRationalistn, Northfield, Minnesota, USA.
Stephenson F. R., et Walker C. B. F., 1985, Halley's Cotnet in History, British Muséum publication limited, London. (Expose la récente découverte d'observations de la comète de Halley en 164 et 87 av. J.-C. sur des tablettes cunéiformes.)
Thorndike L., 1950, Latin Treatises on Cornets between 1238 and 1368 A.D., The University of Chicago Press, Chicago. (Douze manuscrits en latin, consacrés aux comètes, et datant des XIII" et XIVe siècles, sont publiés là pour la première fois avec des commentaires de l'auteur. La plupart d'entre eux ont été occasionnés par l'apparition d'une comète et ont pour but de prédire les événements qui suivront ces apparitions.)
Walter D. L., 1893, Medallic Memorials ofthe Great Cotnets, Scott Stamp and Coin Company, New York. (Décrit plus de 50 médailles frappées à l'occasion du passage de comètes brillantes.)
Fig. 13. — Badge distribué aux États-Unis pour célébrer le retour de la Comète de Halley. La photographie reproduit un cliché obtenu à l'Observatoire du mont Wilson en 1910.
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LA VIE DES SCIENCES -
Rapport du Comité Académique des Applications de la Science (CADAS)
Informatique et mécanique :
la création de produits
et de systèmes mécaniques
assistée par ordinateur (CMAO)
La mécanique intervient directement ou indirectement dans presque toutes les activités industrielles. Aussi une industrie mécanique créative et compétitive conditionne-t-elle, pour une large part, la puissance économique d'un pays.
La mécanique offre aujourd'hui, avec l'informatique, de telles synergies que les méthodes de conception et de production industrielles seront profondément transformées dans un avenir proche. Le Comité académique des applications de la science (CADAS) a analysé la réalité des perspectives qui vont ainsi s'ouvrir à l'industrie mécanique. La mise en oeuvre des méthodes et des outils nouveaux qui constituent la CMAO permettra en effet de mieux optimiser les produits et de les mettre sur le marché plus vite et à moindre coût.
Conclusions et recommandations
La CMAO introduit au plan méthodologique une profonde mutation dans la chaîne classique de conception d'un produit puisqu'elle vise à créer directement des objets virtuels simulant le comportement de produits réels soumis aux sollicitations qu'ils auront à subir dans leur utilisation. Il doit en résulter, entre autres, une réduction du nombre des prototypes et une plus grande fécondité de leur rôle expérimental.
Économiser le temps et l'argent, optimiser et mieux adapter les produits aux exigences techniques et à la demande du marché, faire la différence avec la concurrence internationale, tels sont les buts de la CMAO.
Certes, des entreprises grandes et petites, gravitant généralement autour de l'aéronautique, de l'espace, de l'automobile, du nucléaire... ont déjà, avec succès, engagé des actions
La Vie des Sciences, Comptes rendus, série générale, tome 3, n° 1, p. 61-70
Rapport du CADAS
significatives dans ce sens. Il leur reste cependant encore beaucoup à faire et de nombreuses entreprises traditionnelles, surtout des PME, n'ont été que trop peu pénétrées par ces progrès récents, ce qui les rend vulnérables à la concurrence internationale.
Afin de promouvoir la mise en oeuvre de la CMAO dans les entreprises de toutes tailles et d'intensifier la formation des ingénieurs à cette discipline, le CADAS fait sept recommandations dont il souligne l'urgence :
1. Mettre à la disposition des utilisateurs un inventaire critique et évolutif des codes de calcul existants aussi bien en France qu'à l'étranger, et recenser les besoins non satisfaits.
2. Rendre exploitables par l'ensemble de l'industrie mécanique les codes de calcul élaborés à l'occasion des grands programmes financés par l'État. Cela implique que, dès l'origine, ils soient conçus, établis et validés en vue d'une utilisation plus universelle, en relation avec des partenaires capables d'assurer leur adaptation et leur diffusion (organismes et sociétés spécialisés).
3. Accorder, pour l'implantation de la CMAO dans les entreprises, les avantages fiscaux qui s'appliquent à la recherche, pour les frais de personnel, le fonctionnement, ainsi que pour l'investissement en matériel informatique et en logiciels.
4. Aider, par des financements appropriés, la réalisation des « codes de métier », qui représentent le savoir-faire spécifique des entreprises, ainsi que leur assemblage avec les codes généraux, afin de constituer les logiciels de la CMAO. Cette mesure faciliterait l'introduction de la CMAO dans les entreprises, notamment dans les PME, et aurait, en outre, un effet favorable sur le développement et l'efficacité des sociétés de services qui participeraient à l'élaboration de ces logiciels.
5. Doter les universités et écoles d'ingénieurs de moyens informatiques importants permettant l'enseignement, la pratique et le développement de la CMAO, et les relier à une infrastructure nationale (ou européenne) adaptée. Cette infrastructure devra comporter de puissants ordinateurs centraux, des calculateurs et des postes de travail répartis, et un réseau d'interconnexions. De plus, il faudra qu'elle offre toutes les possibilités d'accès aux banques de données et aux logiciels nécessaires à la CMAO. Cet ensemble s'inscrit d'ailleurs dans les besoins généraux en formation informatique et technique des ingénieurs. Les ressources budgétaires des établissements concernés devront permettre une large utilisation de ce système informatique.
6. Aider les établissements d'enseignement supérieur à dominante mécanique, déjà engagés dans cette voie, à monter entre eux et avec des industriels des actions communes constituant des pôles de démonstration et d'entraînement pour la CMAO.
Il devrait être créé, dans ces établissements, des options et des diplômes (DEA et doctorats) qui consacreraient la CMAO comme discipline à part entière, entraînant un regain d'intérêt des étudiants pour la mécanique.
7. En s'appuyant sur l'exemple de réalisations industrielles, faire une campagne d'information de grande envergure montrant aux professionnels de la mécanique que la CMAO constitue une mutation vitale pour l'avenir de leurs entreprises.
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Informatique et mécanique
L'informatique : une voie de renouveau de la mécanique industrielle française
L'émergence des technologies nouvelles tend à faire oublier que beaucoup de produits utilisés par l'homme et qui lui sont devenus indispensables sont issus de la mécanique. Elle y est tantôt directement présente, comme dans l'automobile, le chemin de fer, l'avion, la machine agricole, les robots, tantôt indirectement comme dans la production d'énergie ou le conditionnement et la distribution de nombreux produits.
Dans la construction des ordinateurs les plus puissants, des robots les plus intelligents, il y a une part de mécanique, non seulement structurelle, mais qui participe à leurs performances.
Cependant, en France, peu après le milieu du xxe siècle, malgré des avancées remarquables dans les domaines aéronautique, nucléaire et spatial, sans oublier l'industrie automobile, alors en plein essor, des signes de déclin de secteurs importants de l'industrie mécanique nationale sont devenus nettement perceptibles.
En septembre 1979, le chef de l'État commanda à l'Académie des Sciences, par une lettre dont les attendus reflétaient les dangers d'une telle situation, un rapport qui devait constituer un véritable bilan global des capacités de la France dans les sciences et les industries mécaniques, et proposer des remèdes propres à tirer le meilleur parti de ses aptitudes pour pallier les difficultés des entreprises.
Ce document, intitulé « Les Sciences mécaniques et l'Avenir industriel de la France «X 1) est considéré comme une des meilleures références disponibles sur l'état de la mécanique française théorique et appliquée.
Dès sa création en janvier 1983, le CADAS se donna pour objectif de sensibiliser les Pouvoirs publics à la permanence des problèmes de l'industrie mécanique nationale où des activités aussi essentielles que celle de la machine-outil étaient menacées de disparition, tandis que les premiers signes inquiétants apparaissaient dans l'industrie automobile.
Ce travail du CADAS fit l'objet d'une note remise au ministre de l'Industrie et de la Recherche par le Bureau de l'Académie le 6 octobre 1983. Ce document insistait sur l'omniprésence de la mécanique dans la plupart des produits et des processus de production industrielle, sans attirer toutefois suffisamment l'attention sur les synergies qui existaient déjà avec des technologies nouvelles.
Le présent rapport met, au contraire, l'accent sur les atouts décisifs que la conjonction mécanique/informatique apporte dans le renouveau de la mécanique.
En effet, la particularité d'une chaîne de création d'un objet ou d'un système mécanique ou comportant une forte part de mécanique est d'être, par nature, longue, complexe, multidisciplinaire. Elle devient de plus en plus lourde dans la situation concurrentielle actuelle, caractérisée non seulement par le niveau innovatif et le rythme de renouvellement des produits, mais aussi par le délai dans lequel la demande doit être satisfaite.
Aux deux extrémités de cette chaîne, les DAO, CAO et FAO ( 2) ont apporté des progrès notables, mais la plupart des maillons intermédiaires qui constituent l'analyse complète du comportement du produit sont dans de nombreux cas restés ce qu'ils étaient il y a quelques décennies.
Les progrès remarquables que l'analyse numérique a apportés à la modélisation des systèmes et phénomènes complexes offrent, grâce à la puissance sans cesse accrue des ordinateurs, des possibilités, encore incomplètement explorées, de simuler et de guider
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Rapport du CADAS
les étapes de la mise au point d'un produit. Il s'agit d'une méthodologie nouvelle qui permet de s'affranchir du recours systématique aux essais réels sur prototypes.
Optimiser par les moyens informatiques tous les maillons de la chaîne, tel est l'objectif de la « création en mécanique assistée par ordinateur » : la CMAO.
L'efficacité de la CMAO dépendra toujours directement de la richesse de l'analyse physique et des résultats de l'expérience acquise introduits dans la modélisation. Jamais elle ne dispensera totalement de vérification en grandeur et en temps réels : elle aura cependant le mérite d'aborder ce stade ultime avec des prototypes optimisés techniquement et économiquement.
Ce rapport est uniquement consacré aux apports de la CMAO à la mécanique. En particulier, il ne traite pas de l'ensemble des facteurs générateurs de progrès dans la mécanique tels que, par exemple, l'introduction de matériaux nouveaux.
Une alliance informatique et mécanique : la CMAO
La mécanique ainsi calculée et optimisée par ordinateur exploite de manière convergente des disciplines aussi variées que la mécanique rationnelle, la mécanique des milieux continus solides et fluides, la thermodynamique, les propriétés des matériaux, l'analyse numérique, l'informatique, la conception et la fabrication assistées par ordinateur, et s'étend vers les systèmes experts et l'intelligence artificielle.
Une démarche créatrice assemblant tant de domaines de la connaissance peut tirer toute sa puissance des progrès spectaculaires réalisés par les ordinateurs, depuis les super-calculateurs vectoriels jusqu'aux mini et micro-ordinateurs qui seront les constituants fondamentaux des futurs postes de travail. En assurant une intégration efficace de l'ensemble de ces outils, la CMAO devient une discipline de plein droit, riche intellectuellement et de grande importance pour le développement scientifique et industriel d'une nation.
Dès les années 70, une approche de cette nature apparaissait dans les secteurs de haute technologie comme l'électronucléaire, l'aéronautique, les systèmes d'armes. Ensuite, cette nouvelle méthode a été introduite progressivement dans les grandes sociétés industrielles, grâce à la diminution des coûts et à une meilleure maîtrise de l'informatique, grâce aussi à la prise de conscience que l'emploi convenable de ces outils pouvait également réduire les coûts et les délais de réalisation des produits.
Malheureusement, il existe encore beaucoup de difficultés à surmonter avant que la CMAO soit appliquée avec succès à tous les domaines de la mécanique et par l'ensemble de nos entreprises, y compris, en particulier, les PME.
Les difficultés à surmonter
Ces difficultés ont pu être cernées lors des différents entretiens que le groupe de travail « Informatique et Mécanique » du CADAS a eus avec un certain nombre de sociétés et d'experts.
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Informatique et mécanique
On évoquera ici trois cas particulièrement significatifs tirés de ces entretiens.
1) Une PME : la société X, est spécialisée dans la fabrication de centrifugeuses pour la chimie et le nucléaire.
Dans un premier temps, l'utilisation de la DAO sur un VAX 730 s'est avérée nécessaire pour réduire les délais d'étude, mais insuffisante pour optimiser les produits dont la conception reposait jusqu'alors sur une tradition empirique.
Il fut indispensable d'aborder très tôt dans les études le stade d'optimisation afin de convaincre le client potentiel du bon fonctionnement futur des appareils, lorsqu'ils ne sont encore qu'à l'état de plans, et aussi pour prévoir leur comportement dans des cas d'emploi de plus en plus sévères.
Cette étape fut franchie en recourant au code de calcul ( 3) CASTOR du CETIM, reproduisant le comportement d'un rotor, et en dégageant un certain potentiel de matière grise de l'entreprise pour exploiter judicieusement ce code dans le cadre particulier des problèmes posés par les centrifugeuses.
L'expérience, menée avec enthousiasme par les jeunes ingénieurs de l'entreprise, s'est révélée très positive. Aussi la société X s'est-elle décidée à étendre cette méthode de travail en complétant la modélisation de ses centrifugeuses par la représentation des phénomènes d'essorage et de filtration.
Pour mettre en oeuvre cette véritable CMAO, la société X a entrepris de rassembler et d'interfacer dans un même code le programme CASTOR pour le comportement vibratoire, le SAP4 de l'Université de Berkeley pour le calcul des contraintes dans les organes par la méthode des éléments finis, et enfin un code spécialisé de mécanique des fluides qui renferme tout le savoir-faire de l'entreprise.
Les difficultés rencontrées furent nombreuses mais pleines d'enseignements :
— lourdeur de l'effort financier;
— manque d'aisance de certains ingénieurs pour identifier les phénomènes et pour passer ensuite du modèle physique à l'algorithme mathématique;
— insuffisance d'informations sur les codes généraux existants et sur les centres capables de les adapter.
Cet exemple est une belle illustration de la façon dont peut se créer, par la CMAO, une spirale croissante de progrès technologique. Dans un premier temps, les investissements scientifiques ont conduit à une meilleure connaissance du produit industriel et à une véritable « cristallisation » du savoir-faire de l'entreprise. Maintenant, la société X est devenue capable de concevoir de nouveaux appareils, avec lesquels elle s'attaque aux marchés étrangers les plus exigeants, et d'élargir ses travaux d'optimisation.
2) Une grande entreprise : la société Y, conçoit et fabrique, entre autres, les turbines à vapeur de très grande puissance ( 1000 à 1 500 MW) qui équipent les centrales nucléaires. Il s'agit d'un produit qui doit être « bon du premier coup », car il n'est pas possible de réaliser un prototype de validation en grandeur réelle.
Pour définir une telle machine, on recourt de plus en plus à des séquences conceptuelles qui utilisent chacune un ensemble de codes de calcul d'une manière itérative. Ces codes sont enrichis en permanence par les résultats d'exploitation des turbines en service qui
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Rapport du CADAS
viennent affiner la modélisation. De tels outils cognitifs sont spécifiques à un métier; ils contiennent là encore l'essentiel du savoir-faire de l'entreprise.
Ainsi la conception optimisée des ailettes de la turbine se fait par un dialogue entre l'homme et l'ordinateur. Elle combine quatre programmes de calcul :
— le premier pour l'analyse aéro-thermodynamique de l'écoulement en nappes a travers la turbine; il s'agit d'un code créé par la société Y;
— le second pour le calcul de l'écoulement compressible dans les grilles d'aubes, y compris les régimes supersoniques. Ce code a été fourni par l'ONERA;
— le troisième pour l'évaluation des contraintes permanentes, selon un code standard de calcul des structures;
— le quatrième enfin pour la prévision du comportement vibratoire, qui a été établi par l'entreprise.
Il est prévu qu'à la sortie de la phase conceptuelle les résultats puissent directement servir à l'usinage des pièces par commande numérique ou même à la création de certains outillages nécessaires à cette fabrication.
L'élaboration d'un tel système de CMAO exige la collaboration de deux types de spécialistes :
— des ingénieurs de haut niveau, connaissant parfaitement le métier de l'entreprise, ayant la faculté de créer les modèles physiques et de développer les logiciels correspondants;
— des informaticiens, responsables de l'architecture du système informatique.
3) Une grande école : il s'agit de l'École centrale des arts et manufactures, où l'on constate un intérêt de plus en plus marqué des élèves pour l'option « Modélisation des structures ».
Cette option entretient des liens avec les industriels et développe à leur demande des codes spécialisés, comme celui traitant de la déviation dirigée des forages, établi pour les besoins d'un grand groupe pétrolier.
De cette expérience, comme de celle rapportée devant le CADAS par l'École nationale supérieure des arts et métiers dans le domaine de la mécanique des fluides, plusieurs points importants se dégagent :
— la constitution d'un grand code général, comme les codes de calcul des structures établis par les Américains, suppose des moyens humains importants qui ne sont pas en général disponibles dans les centres universitaires ou les grandes écoles;
— l'acquisition de ces codes, dont la plupart sont commercialisés et coûteux, dépasse souvent les moyens financiers des établissements d'enseignement;
— les chercheurs appartenant aux centres universitaires et aux grandes écoles ne tirent, pour l'évolution de leur carrière, aucune appréciation valorisante d'un travail consistant à adapter un grand code aux spécificités de tel ou tel métier;
— les moyens informatiques mis à la disposition de l'enseignement supérieur sont en général insuffisants et inférieurs à ceux existants aux États-Unis, au Japon, en Allemagne. Ici apparaît la nécessité de les renforcer par la création d'un réseau puissant de gros ordinateurs centraux avec des périphériques capables de stocker une grande quantité
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Informatique et mécanique
d'informations, ces ordinateurs étant raccordés à de nombreux postes de travail par un réseau de télécommunications à grand débit. Là où cette liaison avec de gros ordinateurs existe, des budgets de recherche trop étriqués ne permettent pas de louer des temps de calcul suffisants. Le CADAS suggère que ces besoins soient pris en compte dans le projet européen CERFACS (Centre européen de recherche et de formation avancées en calcul scientifique);
— enfin, il faut stimuler autour de la- CMAO des liens entre le monde industriel et les établissements de formation, afin d'injecter dans l'industrie de jeunes éléments formés à ces méthodes et pour que les industriels, découvrant les bienfaits de cet apport, deviennent à leur tour demandeurs de ce type de formation.
Les codes de calcul
Ils se classent en deux familles.
Les codes généraux
En matière de mécanique, ils traitent déjà ou devraient traiter :
— les calculs de structure, en mode statique ou dynamique;
— les lois de comportement et de rupture des matériaux (élasticité, plasticité, endommagement, fissuration, etc.);
— la cinématique et la dynamique des systèmes;
— la mécanique des fluides;
— les transferts de chaleur;
— les dégagements d'énergie par réaction chimique, et en particulier par combustion;
— la tribologie;
— la fiabilité des systèmes, etc.
La création de tels programmes fait appel à des équipes pluridisciplinaires de haut niveau et nécessite, en amont, un capital considérable d'expérimentation qui valide les modèles retenus.
Ces grands codes universels ont suscité les réflexions suivantes :
— il serait utile d'en posséder un inventaire complet, précisant leurs domaines d'application et leurs limites de validité, et de recenser les besoins de codes nouveaux;
— de tels codes, lorsqu'ils n'existent pas, pourraient être conçus à l'occasion de grands programmes nationaux et européens, tels que le projet Hermès. Des dispositions devraient être prises, notamment en leur conférant une structure modulaire, pour faciliter leur emploi par le plus grand nombre possible d'utilisateurs. Des sociétés de service spécialisées, dont certaines ont été auditionnées par le CADAS, sont en mesure d'assurer l'industrialisation des codes et leur commercialisation;
— ces grands codes se présentent à l'utilisateur comme des « boîtes noires » où souvent la préparation des données et la présentation des résultats sont effectuées par des
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Rapport du CADAS
programmes spéciaux appelés pré et post-processeurs. Il reste cependant important, pour l'emploi judicieux de ces boîtes noires, que l'utilisateur ait une bonne connaissance des phénomènes en cause et des hypothèses qui ont présidé à leur modélisation, afin d'être à même de bien poser les problèmes et d'interpréter correctement les résultats.
Les codes de métier
Ceux-ci répondent à des besoins spécifiques liés à la conception et à la fabrication d'un produit industriel bien déterminé. Ils renfermeent donc le savoir-faire d'une entreprise ou d'une profession.
Les PME sont malheureusement encore trop peu sensibilisées à l'intérêt de ces codes et se heurtent, lorsqu'elles souhaitent les développer, à un manque inquiétant de moyens.
Pour implanter véritablement la CMAO dans une entreprise, il devient nécessaire de constituer un outil informatisé complexe en assemblant des codes généraux et des codes de métier autour d'un logiciel de dessin et de fabrication assistés par ordinateur. Cet outil s'appuie sur l'expploitation d'une base de données, qu'il faut constituer et gérer, et nécessite un matériel informatique important, généralement intégré dans un réseau de télécommunication fiable et de grand débit.
Pour aider l'industrie — et en particulier les PME — à se pourvoir de moyens aussi onéreux, une incitation fiscale paraît éminemment souhaitable afin de stimuler à la fois l'effort interne des entreprises et la sous-traitance aux sociétés de services spécialisées. En ce qui concerne ces dernières, cela permettrait, de surcroît, aux meilleures d'entre elles de sortir d'une situation actuellement précaire.
Les principales retombées de la CMAO
La CMAO bouleverse complètement la méthodologie de la création industrielle. Il devient possible grâce à elle d'explorer différentes solutions d'une manière quasi instantanée, de faire varier l'ensemble des paramètres de construction sur des objets virtuels visualisés par voie graphique.
Les principaux avantages qu'elle apporte peuvent se résumer ainsi :
— une réponse plus rapide par accélération du processus global allant de la conception à la production;
— une plus grande souplesse de conception et de fabrication, une exploration plus aisée de nouvelles solutions;
— une amélioration des coûts et des performances des produits. Ici, le problème n'est pas tant de réduire le coût des études et de l'industrialisation, qui n'entrent que pour une faible part (quelque 10 %) dans le prix final, que de prendre, grâce à la CMAO, les meilleures options qui détermineront, en définitive, le coût et les performances du produit;
— une réduction du nombre des prototypes et une exploitation plus efficace de l'expérimentation;
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Informatique et mécanique
— des performances dont les limites seront repoussées et qui permettront à la mécanique de notre pays de faire la différence en proposant une nouvelle génération de produits améliorés de plusieurs ordres de grandeur;
— la mise à la disposition de tous les utilisateurs de connaissances spécialisées autrefois réservées aux seuls experts;
— la création d'entreprises nouvelles spécialisées dans des produits dérivés directement des possibilités de la modélisation et de la simulation.
Toutes ces retombées seront amplifiées et accélérées par les évolutions prévisibles en architecture, en puissance et en coût des prochains ordinateurs. L'industrie mécanique française doit être prête à en profiter pleinement.
Annexe 1
Motion de l'Académie des Sciences
(adoptée par l'Académie le 16 décembre 1985)
L'Académie des sciences a pris connaissance avec intérêt du rapport préparé par son Comité des Applications (CADAS) sur « la création de produits et de systèmes mécaniques assistée par ordinateur ». Elle est prête à apporter au CADAS tout son appui pour que les recommandations formulées soient prises en considération et mises en application, notamment en s'associant, si cela paraît souhaitable, aux démarches qui seront faites auprès des Pouvoirs publics. Elle propose que soit suggéré, pour chacune des recommandations — éventuellement par une note succincte —, le ministère, le service ou l'association auquel devra être confiée sa mise en oeuvre.
« L'Académie remercie les membres du CADAS qui ont élaboré ce document qui vient compléter heureusement son propre rapport de 1980, « Les Sciences mécaniques et l'Avenir industriel de la France », par la mise à jour de l'analyse concernant un secteur de l'activité mécanique en pleine évolution. Elle souhaite que soit saisie l'occasion ainsi offerte pour que l'action globale en faveur de la mécanique qu'elle avait chaudement recommandée puisse être conduite, au moins dans un secteur d'activité, avec la vigueur que réclame l'enjeu scientifique et industriel que représente la mécanique des années 2000.
Annexe 2
Liste des personnalités extérieures ayant eu des entretiens avec le groupe de travail CADAS « Informatique et Mécanique » :
— M. Baradat, directeur technique de la division Simulation de Thomson CSF;
— M. Destuynder, professeur à l'École centrale;
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Rapport du CADAS
— M. Lerat, professeur à l'École nationale supérieure des arts et métiers;
— M. Petiau, chef du département Calcul des structures à Bréguet-Marcel Dassault;
— M. Michel Robatel, président-directeur général de ROBATEL SLPI;
— M. Alain de Rouvray, directeur général de « Engineering Systems International » (ESI);
— M. Christian Saguez, directeur général de SIMULOG.
Composition du groupe de travail CADAS :
— Pierre Chaffiotte;
— Pierre Fillet;
— Jean Krautter (animateur);
— Gilbert Riollet;
— Michel Wintenberger.
NOTES
(') Rapport de l'Académie des Sciences au Président de la République, 1980, 570 pages. La Documentation française, Paris.
( 2) DAO, CAO et FAO : dessin, conception et fabrication assistés par ordinateur.
( 3) Code de calcul : logiciel effectuant un calcul scientifique sur ordinateur. Sa conception passe par les quatre stades de la modélisation : physique, mathématique, numérique et informatique.
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LA VIE DES SCIENCES
Centenaire
de la découverte
des phosphates d'Afrique du Nord
par Philippe Thomas
Georges MILLOT
Membre de l'Académie
Philippe MORIN
Ancien géologue en chef au Maroc
Cette découverte eut une importance économique considérable pour trois raisons principales. D'abord parce que les phosphates de chaux devenaient ainsi, à la fin du siècle dernier, un engrais abondant et bon marché. Ensuite, parce que la Tunisie disposait d'une ressource minérale de valeur, très importante pour son économie. Enfin, parce que rapidement se démontra Fextension de ces gisements en Algérie, puis dans les mêmes teirains au Maroc, ce qui fit du Maghreb le premier producteur de phosphates au monde.
Nous sommes parvenus au centième anniversaire de la publication de cette découverte dans nos Comptes rendus. Nous avons entrepris de vous conter Fhistoire de cette invention et de son auteur Philippe Thomas, né à Duerre (Rhône) en 1843 et décédé à Moulins en 1910. C'est une belle histoire.
Philippe Thomas, officier vétérinaire et géologue; indices phosphatés en Algérie, 1873
Ce jeune officier, vétérinaire, naturaliste au sens complet du terme et surtout passionné de géologie, fut affecté en Algérie. Dès 1873, il observa, à l'Aïn-Sba, dans les monts Fatah, sur la rive droite du Chélif, au sud de Boghar (à 110 km au sud d'Alger),
La Vie des Sciences, Comptes rendus, série générale, tome 3, n" 1, p. 71-79
G. Millot et Ph. Morin
Philippe THOMAS en uniforme d'officier vétérinaire.
un étage èocène inférieur (Suessonien) présentant une zone calcaréo-marneuse d'aspect exceptionnel. Certains de ses fossiles, principalement les moules de nucules et de petits gastéropodes, étaient recouverts d'une patine verdâtre ou chocolat qui l'intriguèrent beaucoup. Désireux de connaître la nature de cette roche, il chargea le pharmacien militaire de l'hôpital de Boghar d'analyser quelques moules provenant de ce point. Après plusieurs essais, celui-ci lui apprit qu'ils étaient constitués de phosphate de chaux,fait qu'il nota sans soupçonner à quel point cet indice influerait sur ses recherches futures.
Le pressentiment de l'ingénieur des mines Jules Tissot, 1878
De 1874 à 1880, Philippe Thomas, qui dirigeait l'important pénitencier agricole d'Aïnel-Bey, près de Constantine, se lia d'amitié avec l'ingénieur en chef des mines de cette circonscription, Jules Tissot, qui levait, comme c'était sa fonction à l'époque, la carte géologique de l'est de l'Algérie. Lorsqu'il lui fit part de son observation de 1873, Tissot manifesta une vive curiosité et s'écria « qu'elle ne le surprenait point, qu'il avait toujours
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Centenaire de la découverte des phosphates d'Afrique du Nord
pensé que les marnes ou les calcaires du Suessonien devaient être phosphatifères, puisqu'ils produisent les meilleures terres à blé de la province ». Tissot reproduisit cette phrase dans la notice minéralogique qu'il rédigea à l'occasion de l'Exposition universelle de Paris en 1878. Il avait nettement entrevu la probabilité de l'existence de phosphates sédimentaires en Afrique du Nord : son esprit observateur et son remarquable coup d'oeil l'avaient conduit à deux doigts de leur découverte.
Philippe Thomas a rapporté plusieurs fois, avec modestie, ce pressentiment et son importance pour ses futures recherches.
Le traité du Bar do, 1881. La Mission de l'exploration scientifique de la Tunisie, 1883
En 1881 fut signé au Bardo, dans le palais qui abrite aujourd'hui le célèbre Musée du Bardo, le traité établissant le protectorat français sur la Tunisie. Peu après, sur la proposition de l'académicien Albert Gaudry auprès du ministre Jules Ferry, fut fondée, en 1883, la « Mission de l'exploration scientifique de la Tunisie ». Confiée à l'autorité savante et libérale de notre confrère Ernest Cosson, médecin et botaniste, cette mission comportait trois géologues, dont Philippe Thomas qui choisit l'étude du sud de la Tunisie, au nord des Grands Chotts. Il se mit immédiatement à la tâche dans la chaîne de Gafsa, en décembre 1884.
Découverte des phosphates en Tunisie, 1885
Dès le début de ses campagnes sur le terrain dans les environs de Gafsa, Philippe Thomas reconnut les terrains du Suessonien et fit des rapprochements avec ceux de la zone phosphatifère — beaucoup plus réduits et moins riches — des monts Fatah observés en 1873. En outre, l'aspect de certains nodules à patine verdâtre lui rappela celui des « coquins » et des moules phosphatés des fossiles du Gault de l'Argonne qu'il avait observés au cours de ses déplacements dans des garnisons de l'Est. C'est le 18 avril 1885 qu'il découvrit près de Ras el-Aïoun, dans les célèbres et pittoresques gorges de l'oued Tseldja, un niveau phosphatifère fort développé sur les versants nord et sud de cette chaîne. Dans le souci de confirmer cette découverte, divers échantillons furent analysés par son confrère de la « Mission », l'ingénieur Georges Rolland, au laboratoire d'essais de l'École des mines de Paris, alors dirigée par le chimiste Adolphe Carnot, petit-fils de Lazare Carnot, qui rejoindra notre Académie en 1893. Les analyses confirmèrent les hautes teneurs en phosphates de ces roches qui avaient été suivies sur 80 km. C'est ainsi que le docteur Cosson présenta, lors de la séance de l'Académie du 7 décembre 1885, la note de Philippe Thomas. Cette note parut aux Comptes rendus (1885, tome 101 B, p. 1184-1187) sous le titre historique suivant : « Sur la découverte de gisements de phosphate de chaux dans le sud de la Tunisie ». Philippe Thomas y annonçait leur grande richesse, la possibilité d'une exploitation industrielle et leur prolongement en Algérie, ce qu'il confirma au cours des années suivantes.
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G. Millot et Ph. Morin
r Reproduction
( u84 )
COMPTES RENDUS
DES SÉANCES
DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES
SÉA.NCE DU LUNDI 7 DÉCEMBRE 1885.
PRÉSIDENCE DE M. JURIEN DE LA GRAYIÈRE.
MEMOIRES ET COMMUNICATIONS
DES MEMBRES ET DES CORRESPONDANTS DE L'ACADÉMIE.
GÉOLOGIE. — Sur la découverte de gisements de phosphate de chaux dans le sud de la Tunisie. Note de M. PHILIPPE THOMAS, présentée par M. Cosson.
« Pendant une mission paléontologique dans le sud-ouest de la Tunisie, exécutée, en avril et mai derniers, sous les auspices du Ministère de l'Instruction publique, j'ai découvert, dans les couches les plus inférieures du terrain tertiaire de cette contrée, d'importants gisements de chaux phosphatée.
» Comme le montre le diagramme ci-contre, la longue chaîne qui, entre Gafsa et la frontière algérienne, sépare les Hauts-Plateaux tunisiens de la région des Chotts, a pour axe principal un bombement crétacé, dont les pendages nord et sud supportent directement des lambeaux de la formation éocène. C'est dans ces derniers, et près de leur contact avec les couches crétacées, que j'ai découvert les dépôts de phosphorites que je vais décrire. Ils existent sur les deux versants de la chaîne : au nord, ils se dé74
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( 1186 ) veloppent avec quelques interruptions depuis le Djebel Seldja jusqu'à Midès, d'où ils passent dans le département de Constantine; au sud, je les ai observés depuis la frontière algérienne jusqu'au Djebel Zeref : soit un espace d'environ 8okm, sur lequel ces dépôts ont été positivement reconnus. Mais certains indices paléontologiques me donnent la conviction qu'on les retrouvera sur tout le versant sud-est del'Aurès, aussi bien que dans l'est de Gafsa, entre le massif de l'Orbata et la chaîne du Cherb.
» Le terrain tertiaire inférieur revêt, dans toute cette région, un faciès analogue à celui déjà signalé par Coquand et Tissot, puis par MM. Péron et Le Mesle, dans les Hauts-Plateaux du département de Constantine. Mais les calcaires nummulitiques, si développés dans ceux-ci, ainsi que dans le massif central de la Régence où M. P. Mares les a signalés, manquent complètement dans le sud. Ils sont remplacés par de nombreuses et puissantes alternances de marnes gypsifères et salifères, de calcaires gréseux ou marneux à silex et de calcaires-lumachelles à Oslrea mullicostata. C'est dans une des couches marneuses de cette formation que se rencontrent les innombrables coprolithes d'animaux marins, ainsi que les volumineux nodules phosphatés qui font l'objet de cette Note. La coupe détaillée ci-contre, relevée au Djebel Seldja, fera connaître la place exacte dans l'étage, ainsi que la puissance relative de ces marnes sableuses à phosphorites, où se rencontrent en même temps de grandes quantités d'ossements de Squales et d'énormes Crocodiliens.
» Les phosphorites se présentent toujours en très grand nombre dans cette couche marneuse, soit sous forme de coprolithes cylindriques de toutes dimensions, soit sous celle de gros nodules jaunes du poids de plusieurs kilogrammes, associés à d'autres nodules plus petits, les uns blancs, ovoïdes et à surface striée, les autres plats, lisses et recouverts d'une sorte de vernis noir et luisant. Leur analyse chimique, faite au laboratoire d'essais de l'École des Mines, par les soins de M. l'ingénieur Rolland, a donné les résultats ci-après :
Teneur Représentant
en acide en phosphate tribasique phosphorique de chaux
pour 100. pour 100.
Coprolithes 32,00 70,80
Gros nodules jaunes ; 24,00 52,10
Nodules noirs et blancs. i,52 3,34
» Les coprolithes et les nodules jaunes sont donc de beaucoup les plus riches en phosphate : ce sont aussi les plus abondants dans la plupart des
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Centenaire de la découverte des phosphates d'Afrique du Nord
( »87) gisements reconnus, et je ne doute pas de la possibilité de les exploiter industriellement.
» J'ajouterai à ces premiers renseignements que, il y a quelques années, un géologue français, M. Le Mesle, découvrit, dans les marnes albiennes du Djebel Bon-Thaleb (département de Constantine), des nodules phosphatés. Je puis, dès aujourd'hui, signaler au Kef-el-Hammam, près Feriana, en Tunisie, dans des marnes probablement de la même époque géologique, qui est aussi celle de nos gisements à phosphorites de la Meuse et des Àrdennes, la présence de très nombreux moules de fossiles (Rhynchonelles, Térébratules, Jve(lanqf etc.) riches en phosphates de chaux. Il y aurait donc lieu de rechercher aussi de ce côté l'existence d'autres gisements de cet utile minéral.
» Pour terminer, j'insisterai sur l'intérêt agricole et économique que peut avoir l'existence de gisements d'un minéral considéré à juste titre comme l'engrais par excellence des céréales. »
L'exploitation par la « Compagnie des phosphates et du chemin de fer de Gafsa », 1899
La découverte de Philippe Thomas se heurta, à son début, à l'incrédulité officielle. La direction des Travaux publics de la Régence n'en comprit pas la valeur (E. Vassel, 1902). On assure qu'en 1888 un ingénieur des mines « aurait décidé » que ces gisements n'étaient pas exploitables. Cependant, l'intérêt économique l'emporta; trois adjudications successives eurent lieu. La troisième aboutit; la Compagnie des phosphates et du chemin de fer de Gafsa, adjudicataire, construisit la voie ferrée jusqu'à la Méditerranée, achevée en 1899, et l'exploitation commença. On notera que les deux villes jumelles que les exploitations développèrent s'appellent encore aujourd'hui « Metlaoui » et « PhilippeThomas », à 42 km au sud-sud-ouest de Gafsa.
« Essai d'une description géologique de la Tunisie », 1907,1908 et 19V
En 1889, le décès du docteur Cosson entraîna la disparition de la « Mission de l'exploration scientifique en Tunisie ». Des travaux géologiques avaient été effectués, de nombreuses faunes recueillies par les uns et par les autres, géologues au travail en Tunisie ou envoyés en mission. On peut citer V. Gauthier, A. Locard, A. Péron, G. Rolland, G. de Mesle, P. Fliche, A. Gaudry, H.-E. Sauvage, Ch. Schlumberger...
Des publications partielles étaient parues, mais aucun travail d'ensemble n'avait été rédigé. Le ministère de l'Instruction publique s'en inquiéta en 1902 et proposa à Philippe
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G. Millot et Ph. Morin
Thomas d'entreprendre cette oeuvre synthétique. Ph. Thomas, qui avait quitté la Tunisie depuis longtemps, se mit à l'ouvrage et publia en 1907 et 1908 les deux premières parties de son Essai d'une description géologique de la Tunisie. La mort (1910) l'empêcha d'achever le troisième ouvrage, qui, poursuivi par L. Pervinquière, ne parut qu'en 1913.. Ainsi fut sauvée, par un modeste mais considérable labeur, l'oeuvre de toute une génération de géologues qui, en un quart de siècle, ont établi les grands traits de la géologie de la Tunisie.
Hommage à Philippe Thomas (184' -1910)
La découverte des gisements de phosphate de chaux en Tunisie entraîna, comme on l'a vu, celle des gisements d'Algérie, de l'autre côté de la frontière, puis celle des gisements du Maroc. Auparavant, la reconnaissance des grands gisements de Caroline du Sud, en 1873, avait rapidement mené à leur exploitation en 1878. Cette fin du xixe siècle mettait ainsi sur le marché des produits agrochimiques d'une importance considérable. On connaissait déjà l'intérêt des engrais phosphatés, mais ces derniers n'étaient fournis que par des exploitations artisanales, comme celle des nodules phosphatés ou « coquins » exploités par puits et broyés au « moulin à coquins », en Meuse et dans les Ardennes. Le renouveau économique était considérable; il ne peut que s'amplifier, puisqu'il est lié à l'accroissement démographique.
Si « l'invention » de Philippe Thomas ne fut reconnue que lentement, il bénéficia sur le tard d'un don de 15000 francs-or de la Compagnie de Gafsa. Puis le gouvernement tunisien lui accorda, en 1908, une rente annuelle de 6000 francs, dont il ne profita guère. La Société géologique de France lui attribua en 1904 sa grande médaille d'or. Officier de la Légion d'honneur, grand cordon du Nicham Iftikar, lauréat de divers prix scientifiques, Philippe Thomas est un bienfaiteur par sa découverte des phosphates d'Afrique du Nord. Mais qui se souvient encore de lui, en France, à l'heure actuelle? Et que pensent nos touristes quand ils parcourent la route des palmeraies, entre Gafsa et l'admirable oasis de Nefta, et traversent la ville de « Philippe-Thomas » ?
Telle est la raison pour laquelle nous avons songé à suivre, ici, à l'Académie des Sciences, l'exemple de vos prédécesseurs, A. Gaudry, E. Cosson et A. Carnot, qui apportèrent confiance et aide à ce géologue lointain, en vous demandant, pour le centenaire de la découverte des phosphates d'Afrique du Nord, une pensée pour Philippe Thomas.
Et nous offrons à votre méditation l'unique portrait que nous ayons retrouvé de Philippe Thomas, ainsi que la reproduction de la note présentée ici le 7 décembre 1885. Mesurée et concise, mais d'une admirable pertinence, cette note est accompagnée d'une coupe géologique, dessinée selon les habitudes de l'époque, mais qui reste l'ébauche significative de la structure de la chaîne de Gafsa.
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Centenaire de la découverte des phosphates d'Afrique du Nord
Le Monument Philippe THOMAS, à Sfax
Par le sculpteur André VERMARE
Inauguré le 26 Avril 1913, en présence de M. ALAPETITE, Ministre Plénipotentiaire, Résident Général de France à Tunis
Photogravure Weber, Tunis
De la Tunisie Illustrée et de la Dépêche Sfaa-iennc
BIBLIOGRAPHIE
Tissot J., 1878, Département de Constantine. Notice géologique et minéralogique, Exposition universelle de Paris, 1878. publié à Alger, broché, 44 p.
Vassel E., Thomas Ph., 1910, Revue tunisienne, Tunis, 17e ann., n° 80, mars, 83-85, 1 photo.
THOMAS Pli., 1910, « Historique de la découverte des phosphates sédimentaires dans le nord de l'Afrique », Revue tunisienne, Tunis, 17e ann., n° 80, mars, 181-184. (Cette Note autographe, remise à_ P. Bursaux et conservée dans les archives de la Compagnie de Gafsa, fut publiée peu après son décès.)
***, 1913, « Inauguration des monuments élevés à la mémoire de Philippe Thomas, vétérinaire principal dé l'Armée, à Sfax, le 26 avril, et à Tunis, le 29 mai 1913 », tirage à part extrait de La Dépêche sfaxienne et de la Revue tunisienne, Imprim. région., Moulins, broché, 45 p., 2 photos lu. '
Morin Ph., 1972, « Bibliographie analytique des sciences de la Terre : Tunisie et régions limitrophes (depuis le début des recherches géologiques à 1971) », Publ. Centre recherches zones arides (CNRS), sér. Géol.,. n° 13 et Notes Serv. géol. Tunisie, n° 33, vol., 646 p., 2 cartes.
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COMPTES RENDUS
DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES
■LA VIE DES SCIENCES
Tome 3, Série Générale, n° 1, Janvier-Février 1986 SOMMAIRE
Actualité scientifique
L'orbite de la comète de Halley, Bruno Morando 1
La comète de Halley : observation au sol et dans l'espace, Thérèse Encrenaz 15
Comètes : histoire et histoires, Philippe Véron 39
Politique scientifique
Informatique et mécanique : la création de produits et de systèmes mécaniques assistée par ordinateur (CMAO). Rapport du CADAS 61
Sciences, Culture et Société
Centenaire de la découverte des phosphates d'Afrique du Nord par Philippe Thomas, Georges Millot et Philippe Morin ; . . 71
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