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Notice complète:

Titre : Bulletin de la Société historique et archéologique de l'Orne

Auteur : Société historique et archéologique de l'Orne. Auteur du texte

Éditeur : Typographie Renaut-De Broise (Alençon)

Éditeur : Typographie et lithographie Alb. ManierTypographie et lithographie Alb. Manier (Alençon)

Éditeur : Typographie et lithographie Lecoq & MathorelTypographie et lithographie Lecoq & Mathorel (Alençon)

Éditeur : Imprimerie alençonnaiseImprimerie alençonnaise (Alençon)

Date d'édition : 1928-01-01

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb327246199

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb327246199/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Format : Nombre total de vues : 11750

Description : 01 janvier 1928

Description : 1928/01/01 (T47,N1)-1928/01/31.

Description : Collection numérique : Arts de la marionnette

Description : Collection numérique : Fonds régional : Basse-Normandie

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k5470064t

Source : Bibliothèque nationale de France, département Collections numérisées, 2008-138547

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 17/01/2011

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SOCIETE

HISTORIQUE ET ARCHÉOLOGIQUE

DE L'ORNE

Fondée eu 3882

Reconnue comme Etablissement d'utilité publique par Décret du 2 Décembre 1914

Siège de la Société H0T1L L1BERT 18-20, lue du Cvgne A.LENÇ0N

TOME XLVII

PREMIER BULLETIN

ALENÇON IMPRIMERIE ALENÇONNAISE, 11, Rue des Marchenes

Janvier 1928


IN TJ1 CATIOK

des villes dans lesquelles se sont tenues les Séances solennelles de la Société ou qui furent centres d'excursions

26 Octobre 1882. ALENÇON.

8 Novembre 1883. ARGENTAN.

23 Octobre 1884. DOMPBONT.

27 Octobre 1885. MOHTAGNE. 21 Octobre 1886. SÉES.

7 Octobre 1887. ALENÇON.

5 Octobre 1888. ARGENTAN.

24 Octobre 1889. DOMKRONT.

9 Octobre 1890. MORTAGNE.

5 Octobre 1891. SÉES.

17 Août 1892. BAGNOLES.

24 Octobre 1893. ALENÇON.

21 Octobre 1894. ARGENTAN.

10 Octobre 1895. FLERS.

19 Octobre 1896. VIMOUTIERS.

28 Octobre 1897. SÉES.

29 Octobre 1898. ARGENTAN. 19 Octobre 1899. ALENÇON.

6 Septembre 1900. HEGMALARD. 13 Septembre 1901. ta KcrW-Harf.

11 Septembre 1902. GAGÉ.

26 Août 1903. BRIOUZK.

30 Août 1904. LONGNY. 20 Août 1905. .BAGNOLES.

31 Août 1906. BELLÈME. 28 Août 1907. ALENÇON. 26 Août 1908. PUTANGES. 28 Août 1909. Iloulins-la-IUrche 19 Août • 1910. VIMOUTIERS

31 Août 1911. TlNCHEBRAY.

28 Août 1912. Cliàteau du Mesnîl.

10 Septembre 1913. SÉES.

23 Octobre 1919. ARGENTAN.

28 Septembre J920. ALENÇON.

24 août 1921. FLKRS.

5 Septembre 1922. BAYEUX.

29 Août 1923. DOMFRONT.

28 Août 1924. Pont-Audemcr.

25 Août 1925. SAINT-LÔ. 2 Septembre 1926. Sainte-Suzanne.

29 Août 1927. VALOGNES.

AVIS IMPORTANT

Par suite de l'augmentation continue des frais d'impression, il est désormais impossible à la Société de prendre à son compte les corrections d'auteur. Celles-ci seront facturées aux signataires des articles à raison de 7 francs l'heure. (La correction d'auteur est celle qui nécessite un changement dans la composition.)

Les Membres de la Société sont instamment priés de nous faire connaître leurs changements d'adresse et d'indiquer très exactement l'endroit où le Bulletin doit leur être envoyé, afin d'éviter toute erreur ou tout retard.

Formule de legs destinés à la Société

La Société historique et archéologique de l'Orne, ayant été reconnue d'utilité publique par décret en date du 2 décembre 1914, a qualité pour recevoir les dons et legs qui lui sont faits en argent ou en nature.

La formule ci-dessous, insérée dans les dispositions testamentaires, suffit pour assurer l'exécution des dernières volontés du donateur.

Je donne et lègue à la Société historique et archéologique de l'Orne, dont le siège est à Alençon, Hôtel Libert, 18-20, rue du Cygne, la somme de nette de tous droits et frais.

SOMMAIRE

Bureau et Commissions.

Membres nouveaux ou démissionnaires

Excursion dans le Colentin 3

Situation financière au 31 décembre 1927 118


LISTE DES MEMBRES

DE LA

SOCIÉTÉ HISTORIQUE & ARCHÉOLOGIQUE DE L'ORNE

- 1928 -



LISTE DES MEMBRES

DE LA

SOCIÉTÉ HISTORIQUE & ARCHÉOLOGIQUE

DE L'ORNE

Membres du Bureau 1

Président: M. Henri TOURNOÛER (1929)

MM.

/ le Vicomte DU MOTEY (1930)

Vice Président* ) Paul RoMET <1929>

Vwe-1 résidents. ... < le chanoine GUESDON (1929)

' le baron Jules DES ROTOURS (1930)

Secrétaire général: M. Gérard DE BANVILLE (1930) Secrétaire : M. l'Abbé GERMAIN-BEAUPRÉ (1929) Secrétaire-adjoint: M. Henri BESNARD (1930)

Trésorier: M. Emile BROUARD (1930)

Trésorier-adjoint: M. Jean COLLIÈRE (1930)

Bibliothécaire : M. F.-P. JOUBERT (1930)

Bibliothécaire-adjoint : M 11" Marguerite JOUBERT (1930)

Archiviste : M. René JOUANNE (1929)

Comité de Publication

M'"e la baronne DE Ste-PREUVE (1929) MM. Paul ROMET (1929)

J. LEBOUCHER (1929)

René GOBILLOT (1928)

L'abbé TABOURIER (1928)

Pierre DE CÉNIVAL (1928)

Commission du Musée

MM. Paul ROMET, président (1928)

Félix BESNARD-BERNADAC (1928) Ch. GATECLOU-MAREST (1928) Henri BESNARD (1929) Auguste FONTAINE (1929) Albert MEZEN (19'30) Louis BARILLET (1930)

Commission des Conférences

■ ■'.).■ Paul ROMET, président (1929) Jean COLLIÈRE, trésorier (1929) Jean LEBOUCHER (1929) Henri BESNARD (1929) René JOUANNE (1929) Raymond GUILLEMAIN D'ECHON (1929)

(1) La date qui suit chague nom indique l'année d'expiration du mandat des Membres du Bureau et du Comité de publication.


NOUVEAUX MEMBRES

AILLIÈHUS (Mmc D'), château d'Aillières, par Mamers (Sarlhe), et à Paris,

105, avenue Henri-Martin (XVIe). — 1928. BARTHÉLÉMY' (André), avocat à la Cour d'Appel de Paris, 72, avenue des

Ternes. — 1928. BOUILLE (MllG Henriette de), château de Coulonges, par Le Meslc-surSarlhe

Meslc-surSarlhe — 1927. UOUTIER, directeur de la Société générale, à Nogent-le-Rolrou (Eure-etLoir). — 1928. BRUNEAU (Mmo), route d'Alençon. à Bcaumont-sur-Sarlhe (Sarlhe). —

1927. CAILLET (Mmc), château de la Normanderie, par Essai (Orne). — 1927. CAUVIN, Président de la Société d'Archéologie de Valognes, à Valognes

(Manche). — 1928. CIIAMBRAY (le marquis DE), château de Chambray, par Damville (Eure).—

1927. CHAMBRAY (la marquise de), même adresse. — 1927. CUANCEREL (l'abbé), économe de l'école Saint-François de Sales, Alençon.

— 1927.

CHARPENTIER, conseiller général de l'Orne, à Longny (Orne). — 1927. CORDONNIER-DÉTIUE (Paul), Bufl'ard-Guécélard (Sarthe). — 1927. COUSIN (Mme et Mlle), 15, Grande-Rue, Alençon. — 1927. DAVID (le Révérend Père), de la Congrégation du Saint-Esprit, château de

la Lande, par Les Yveteaux (Orne). — 1927. DELISLE (Gaston), juge suppléant au Tribunal d'Alençon, 1, rue de la

Demi-Lune, Alençon. — 1928. DURAND (Mlle Marthe), à Magny-le-Désert (Orne). — 1927. ESCAILLE (la baronne de L'), château de La Chapelle-près-Sées (Orne).

— 1927.

ESTÈVE (Edmond), professeur à la Faculté des Lettres de l'Université de

Paris, 5, rue Marie-Davy, Paris (xixe) et à Trun (Orne). — 1927. FOULD (Jacques); château de Vcrvaine, par Alençon (Orne). — 1927. FOULD (Mmo Jacques), château de Vcrvaine, par Alençon (Orne). — 1927. GOURDIN-SERVENIÈUE (le docteur), à Aunay-sur-Odon (Calvados). — 1927. CHANGER, conservateur des Eaux et Forêts, rue du Cours, à Alençon (Orne).

• — 1927. GRANGER (Mrac), rue du Cours, à Alençon (Orne). — 1928. GUERNET, 30, rue Sainte-Croix, à Mortagne-au-Perche (Orne). ■— 1927. GUERNET (Mmc), 30, rue Sainte-Croix, à Mortagne-au-Perche (Orne). —

1927. GUILMIN, adjoint au maire de Damigny, entrepreneur de charpentes,

Damigny (Orne). — 1927. HETTÉ, économe au Lycée d'Alençon. — 1928. HEURTAUMONT (Bernard DE), château de la Gohvère, par Saint-Mard-deRéno.

Saint-Mard-deRéno. 1928. JOUBERT (Mlle Marguerite), 19, rue du Puits-au-Verrier, Alençon. — 1928. JOUSSELIN DE SAINT-HILAIRE (Pierre), 1, rue Delambre, Paris (xive). —

1927. JOUSSELIN DE SAINT-HILAIRE (GUV), 1, rue Delambre. Paris (xiv°). —

1927. LECHEVALIER, avocat à la Cour d'Appel de Paris, 12, avenue de Villars,

Paris (vue). — 1928. LEMARIGNIER, 0, rue de Milan, Paris (ixe). — 1928. LESAULNIER (Mme), LÉVIS-MIREPOIX (la comtesse DE), château de Chèreperrine (Orne), par

Mamers (Sarthe), et à Paris, 121, rue de Lille (VII*). — 1927. LÉVIS-MIREPOIX (le comte Jean DE), 5 bis, rue du Cirque, Paris (VIIIC)

et à Boisard-Bellou, par Rémalard (Orne). — 1927. LÉVIS-MIREPOIX (la comtesse Jean DE), 5 bis, rue du Cirque, Paris (vnie)

et à Boisard-Bellou, par Rémalard (Orne). — 1927.


LOISEAU (Pierre), à Saint-Julien-sur-Sarthe, par Le Mcslc-sur-Sarthe (Orne).

— 1927.

LOISEAU (Mme Pierre), à Saint-Julien-sur-Sarthe, par Le Mesle-sur-Sarthe (Orne). — 1927.

L'OMBRE (le commandant et Mme DE), 13, rue Marguerite-de-Navarre, Alençon. — 1927.

LOUVEAU (le docteur), au Mesle-sur-Sarthe (Orne). — 1927.

MAZENOD (Mlle Jeanne-Marie DE), 52, rue de Verneuil, Paris (vu0). — 1927.

MESNIL DU BUISSON (le comte Georges DU), domaine de Tournai-sur-Dives, par Chambois (Orne), — 1927.

MESNIL DU BUISSON (le comte Hubert DU), 16, avenue Debasseux, à Versailles (Seine-et-Oise). — 1927.

MILLERAND (Alexandre), ancien président de la République, membre de l'Institut, sénateur de l'Orne, 10, rue Mansard, Versailles (Seine-etOise). — 1927.

MIOLLAIS (Charles), journaliste, 21, place à l'Avoine, Alençon. — 1927.

MIOLLAIS (René), journaliste, 21, place à l'Avoine, Alençon. — 1927.

MOLORÉ DE SAINT-PAUL (Mme DE), 3, rue du Parc, Alençon. — 1928.

MONHOUDOU (lecommandant DE), château de Monhoudou, par Marolles-lesBraults (Sarthe), et au Mans, rue de Flore. — 1928.

MOUCHERON (le comte Jacques DE), château de Maison-Maugis, par BoissyMaugis (Orne). — 1927.

MOUCHERON (la comtesse Jacques DE), château de Maison-Maugis, par Boissy-Maugis (Orne). — 1927.

OBERTHÛR (André), manoir de Garenne, par La Fresnave-sous-Chédouet (Sarthe). — 1927.

ORGLANDES (le comte Robert D'), château de Louye (Eure), par Dreux (Eureet-Loir). — 1927.

ORGLANDES (la comtesse Robert DE), château de Louye (Eure), par Dreux (Eure-et-Loir). — 1928.

ORGLANDES (Vicomtesse D'), château de Lonné, par Igé (Orne).— 1928.

PARDIEU, à Lessart, par Juvigny-sous-Andaines (Orne).

PRAT (Alain DE), La Louverie, aux Acrans, par Le Mesle-sur-Sarthe (Orne).

— 1927.

PRAT (Mme Alain DE), La Louverie, aux Acrans, par Le Mesle-sur-Sarlhe

(Orne). — 1927. QUATREBARBES (le capitaine DE), 13, rue Marguerite-de-Navarre, Alençon.

— 1928.

REVERSEAUX (le comte de), inspecteur général des Finances, château de Semur-en-Vallon(Sarthe) et à Paris, 94, rue del'Université (VI°).—1927.

RIVIÈRE (M»« Albert), château de la Gâtine, par Villiers-sous-Mortagne (Orne), et à Paris, 52, rue d'Amsterdam (IX»). — 1928.

ROBERT (J.), professeur de dessin, rue du Docteur-Becquembois, Alençon.

— 1928.

ROMANET (le comte DE), château d'Aunay, par Essai (Orne). — 1927. ROMET (Mme Pierre), 54, rue du Mans, Alençon. — 1927. SAINTE-PREUVE (Henry DE), directeur d'assurances, rue Porte-de-la-Barre,

Alençon. — 1927. SAUVAGET (l'abbé), curé de Bellavilliers, par Pervenchères (Orne).— 1928. TARALON (Jean), Le Mesle-sur-Sarthe (Orne). — 1928. TAUTAIN-FOUCHER (Mme), rue du Général-Fromentin, Alençon.— 1928. TELLIER (le docteur), maire de La Ferrière-sur-Rille (Eure). — 1927. THILLAYE DU BOULLAY, 24, avenue d'Eylau, Paris. — 1925. VALBRAY (Mme Emmanuel DE), 17, avenue de Breteuil, Paris (vne). —

1928. VANSSAY (le lieutenant-colonel, vicomte Jean DE), château de Saint-Denissur-Huisne,

Saint-Denissur-Huisne, Le Pin-la-Garenne (Orne). — 1927. VAUCELLES (comtesse DE), château de' Lignou, par Briouze (Orne), et à

Paris, 18, rue de Marignan (VIIIe). — 1928. »

VAUCELLES (Pierre DE), château de Lignou, par Briouze (Orne).-— 1928. VILADE (Jacques DE), homme de lettres, 126, boulevard Péreire, Paris,

et au Mesle-sur-Sarthe (Orne). — 1927. VERDIER (Alexis), pharmacien de première classe, Le Mesle-sur-Sarthe

(Orne). — 1927.


CHANGEMENTS D'ADRESSE

ABOVILLE (le lieutenant-colonel baron Louis D'), 33, rue de la Cloche,

Fontainebleau, et château de Saint-Hilaire-des-Noyers, par Colonard,

(Orne). — 1909. ADIGARD DES GAUTRIES (Jean), licencié es lettres, lecteur de langue française à l'Université de Copenhague, à Hellerup (Danemark). — 1918. BANVILLE (Gérard DE), le Rosel, par Montsecret (Orne). — 1925. BESNARD-BERNADAC (Félix), architecte du département de l'Orne, diplômé

par le Gouvernement, 50, rue de Bretagne, Alençon. — 1907. BILLY (Mmo de), 40, rue des Poissonniers, à Neuilly-sur-Seine (Seine). —

1926. CRÉTIN (Mme André), 14, rue du 33e-Mobiles, Le Mans. — 1923. EON (Francis), 11, rue de l'Est, Poitiers. — 1921. GUÉRIN (l'abbé R.), chanoine prébende, 56, rue du Cours, Alençon. —

1886. HEURTAUMONT (le vicomte DE), membre du Conseil général de l'Orne,

château de la Gallardière, par Villiers-sous-Mortagne (Orne). — 1907. LA BROUSSE (le président DE), 25, rue de Sébastopol, Mont-Saint-Aignanlès-Rouen

Mont-Saint-Aignanlès-Rouen — 1915. LA SERRE (Mgr Barbier DE), pro-recteur de l'Institut catholique, 74, rue

de Vaugirard, Paris (VIe). — 1904. LAVERERIE (Mme Antoinette DE), 3, rue de Bretagne, Alençon. — 1914. LELEU (M»°), 93, rue du Bac, Paris (VIIe). — 1925. MARÉCHAL (Emile), 54, rue Cazault, Alençon. — 1921. PATRIE (Léon), chef de gare honoraire, au Prieure d'Azé, Châtcau-Gontier

(Mayenne). — 1908. PORCIIET (Georges), méd. milit. of.. d'acad., professeur au Lycée de Caen,

30, rue Saint-Martin, et à La Corneille (Orne). — 1925. REVERT (Eugène), professeur au Lycée Schoelcher, à Fort-de-France

(Martinique). — 1919. ROMET (Pierre), 54, rue du Mans, Alençon. — 1918. SALLANTIN (Mme), Forges-de-Châtenois, territoire de Belfort. — 1922. SERCEY (la comtesse Laurent DE), château de Vaugeois, par Neuilly-leVendin

Neuilly-leVendin et 86, rue de Grenelle, Paris (VIe). — 1923.


VII

MEMBRES DÉCÉDÉS OU DÉMISSIONNAIRES

4- ADIGARD (Mme Pierre), 52, rue de Messei, à Fiers, et à La Ferrière-aux' Etangs (Orne). — 1913.

AILLIÈRES (Louis Caillard D'), conseiller général de" la Sarthe, château d'Aillières, par Mamers (Sarthe). 4- ANGÉLY-SÉRILLAC (la comtesse D'), château de Sérillac, par Beaumont-sur1 Sarthe (Sarthe). — 1907.

-j- AVELINE (César-Prosper), avoué, à Alençon, rue du Jeudi, 33. — 1884.; 4- BARBÉ (l'abbé Alfred), Le Fay, par La Ferté-Macé (Orne). — 1914. i. BROC (la marquise DE), château des Fcugerets, par Bellême (Orne) et à 1 Paris, 15, rue Las-Cases (vne). — 1882.

4- COCHIN (Henri), industriel, boulevard Jules-Janin, Evreux. — 1908.

COORNAÈRT, professeur agrégé au Lycée de Nancy.— 1923. 4. DURAND (Auguste), maire de Magny-lc-Désert, par La Ferté-Macé (Orne). 1 — 1890.

4- FLERS (le marquis Robert DE), de l'Académie Française, 70, boulevard de 1 Courcelles, Paris (xvne). — 1925.

FOUCAULT (M.), 15, rue Michel-Ange, Paris (xvie), et à Agon (Manche). —

1925. FOUCAULT (Mrae), 15, rue Michel-Ange, Paris (xvie), et à Agon (Manche).

— 1925.

HAUSSARD, proviseur du Lycée d'Alençon, 9, rue Charles-Aveline.— 1926. 4- LAPORTE (T.), ancien sous-préfet, à Alençon, rue de Bretagne, 20, et château 1 de La Touche, Saint-Denis-sur-Sarthon (Orne). — 1883.

4- LÉVIS-MIREPOIX (le comte.de), château de Chèreperrine (Orne). — 1889.

MONNIER (l'abbé), maître de chapelle à l'église Notre-Dame, 17, rue du Bercail, Alençon. — 1920. •j- NANTEUIL (la baronne Amaury DE LA BARRE DE), château de la Chevallerie, Hautéclair, Arçonnay, par Champfleur (Sarthe). — 1897.

PICHON (Louis), rue Haute, Trôo (Loir-et-Cher). — 1908.

RICHARD (Louis), directeur d'Ecole honoraire, 36, rue de la Fuie, Le Mans.

— 1925.

4- RIVIÈRE (Albert), ancien magistrat, château de la Gâtine, par Villierssous-Mortagne (Orne). — 1900. THOMAS LACOURIÈRE, Banque de France, Dôle (Jura). — 1922..

+ TIERCELIN (Mme Charles, née D'INFREVILLE), à Argentan, 29, rue de la Poterie. — 1910.

-j- TOUCHARD (le chanoine), aumônier de l'Adoration à Alençon.

4. UBALD D'ALENÇON (le R. P.), 46, rue de la République, Bry-sur-Marno (Seine). — 1903.

4- VAUCELLES (le comte Jules DE),.membre du Conseil général de l'Orne, château de Lignou, par Briouze (Orne), et à Paris, 18, rue de Marignan (VIIIe). — 1892.

■f VIMARD (Achille), château des Tourailles, par La Carncille (Orne), et 12, place Rougemare, Rouen (Seine-Inférieure). — 1904.



SOCIETE

HISTORIQUE ET ARCHÉOLOGIQUE

DE L'ORNE

Fondée en 13 8 2

Reconnue comme Établissement d'utilité publique. par Décret du 2 Décembre 1914

Siège de la Société: HOTEL LIBERT, 18-20,rue du Cygne, ALENÇON

TOME XLVII

PREMIER BULLETIN

ALENÇON IMPRIMERIE ALENÇONNAISE, 11, Rue des Marcheries

Janvier 1928



COMPTE RENDU DE L'EXCURSION

laite par la Société Historique et Archéologique de ÏOIM

DANS LE COTENTIN

29 Août — 2 Septembre 1927

c Le temps a laissié son manteau

« De vent, de froidure et de pluye

« Et s'est vestu de broderye

« De soleil raiant, cler et beau . »

(CHARLES D'ORLÉANS, XVe siècle.)

Le beau temps va-t-il se maintenir ? La question est tout particulièrement d'actualité. Que seraient les paysages de la Hague et les promenades au bord de la mer sous là pluie torrentielle et persistante de ces dernières semaines ? Le ciel semble s'être vidé et un soleil convalescent paraît nous promettre une excursion doublement réussie. Dès le premier repas, notre Président n'a pas manqué de remercier la Providence de cette acGalmie sur laquelle nous n'osions plus compter.

Les premiers d'entre nous, arrivés dans la matinée, s'installent dans les logements parfois éloignés de l'hôtel. Le Lion d'Or n'est pas très vaste et Mme Collot, notre hôtesse,, a souvent dû nous procurer un gîte, fort convenable d'ailleurs, chez maint Valognais hospitalier. Les arrivés de la dernière minute s'organisent rapidement et se joignent à. notre groupe qui part directement pour l'église Saint-Malo, sous la conduite de M. Cauvin, président de la Société archéologique, artistique, littéraire et scientifique de^l'arrondissement de Valognes.


PREMIÈRE JOURNÉE : Lundi 29 Août

VALOGNES

L'Eglise Saint-Malo. — Les origines de cette église sont •obscures : un monument primitif a laissé des traces qu'on retrouva au xixe siècle, lors du pavage du choeur. La reconstruction du monument actuel a commencé au xrve siècle et s'est poursuivie jusqu'au xvir 8. Au xive on bâtit la partie carrée de la tour et ce n'est que vers la fin du xvie que fut élevée la flèche octogonale dont la hauteur est de 47 mètres. La lanterne fut commencée en 1604 et terminée vers 1615. Elle est d'une forme étrange ressemblant assez à une poire. Ce genre est très rare dans l'architecture religieuse et, peutêtre même, unique en France. La coupole n'est pas en harmonie avec le style de l'église, et les deux tours voisines produisent un effet curieux.

Le porche, situé à l'ouest, est remarquable avec ses colonnes annelées, son accolade, ses figures d'animaux, ses ciselures, ses festons et ses beaux feuillages ; séparé en deux ouvertures par un chandelier de pierre, il précède le portail même, décoré de vantaux sculptés de. la Renaissance représentant. la Transfiguration et l'Ascension.

A l'extérieur de l'église, les contreforts sont parfois surmontés de clochetons. Quelques gargouilles sont intéressantes. Au-dessus de la nef et des bas côtés régnent des balustrades formées de lignes ondulées et ornées à la partie inférieure d'une guirlande de feuillage ; balustrades que terminent en général des figures d'animaux plus ou moins grotesques. Nous pénétrons dans l'église.

La nef, d'une grande légèreté, semble très courte, pour l'importance du reste de l'édifice ; elle est de la fin du xve siècle ainsi qu'en témoignent ses colonnes sans chapiteaux. Elle ne comprend que trois travées. Au transept, les arcades et les piliers sont en désaccord avec le plan et l'alignement général. Le choeur est la partie la plus ancienne. On a la preuve, qu'avec les collatéraux, il existait dès avant 1425. Mais il a été tellement remanié qu'on le croirait tout entier du xve. Des archéologues ont cru voir dans certains détails une analogie avec des morceaux du xnr 3 siècle, de la cathédrale de Coutances. Les fenêtres qui l'éclairent sont du xve, décorées de choux frisés et de crosses végé-


EXCURSION DANS LE COTENTIN û '

taies. Lès vitraux sont modernes ; l'un d'eux représente un miracle arrivé sur la place du château lorsque saint Jean Eudes prêchait la mission de 1643 pendant un orage d'une violence inouïe. Les retombées des voûtes de la chapelle de l'Annonciation reposent sur les symboles des quatre Evangélistes (ange, lion, boeuf, aigle). C'est dans le choeur que se trouve le plus bel ornement de l'église : les célèbres boiseries.

Il faut distinguer celles du choeur et celles du sanctuaire, très différentes d'époque et de style. La grille en bois sculpté, ornée de panneaux à sujets d'ornement et qui sépare le choeur des collatéraux est probablement de 1506, Ses sculptures n'ont aucun caractère religieux : elles représentent des motifs floraux ou mythologiques. On ignore quel artiste les fit. Bien qu'abîmées par le temps et la Révolution, elles n'en restent pas moins un joyau de l'art Renaissance. Celles du sanctuaire sont signées du nom des Legendre, artistes de Valognes; qui les terminèrent en 1720 ; elles représentent des symboles religieux : les instruments de la Passion, les emblèmes de la Sainte-Trinité, etc. Le triangle, chose à noter, a la tête en bas.

La sacristie que nous visitons ensuite a été reconstruite au xvie siècle. Elle renferme une belle armoire du xvnr 3 siècle. Un escalier mène à la crypte, sacristie primitive, que soutient un pilier palmier central et dont le sol est un peu au-dessous du niveau de la rue. L'église Saint-Malo n'a jamais été achevée faute de place ; le château l'empêchait de se développer.

Nous sortons et, toujours sous la direction de M. Cauvin, nous commençons la visite de la ville même, justement par la. place du château.

Le château de Valognes. ^— Comme celles de l'église, les origines du château sont assez obscures. Adèle, fille de Robert le Pieux, l'apporta en dot à Richard III, duc de Normandie, avec une grande partie du Cotentin et les châteaux de Cherbourg et de Brix. Il est mêlé de très près à l'histoire de Normandie. Guillaume le Bâtard, neveu de Richard, en butte aux persécutions de ses ennemis, fuit de château en 'château et finit par se réfugier dans celui de Valognes. Il y fixa pendant plusieurs années sa résidence, défendu par de puissants seigneurs, tels que son cousin Guy de Bourgogne et Néel II de Saint-Sauveur. Mais à cette époque quasi-barbare, où l'assassinat politique était monnaie courante, les amitiés entre hauts seigneurs ne duraient guère. L'ambition de Guy de Bourgogne, l'amour-


EXCURSION DANS LE COTENTIN

propre froissé de Néel suscitèrent un complot auquel participèrent Renaud de Bayeux, Hamon de Thorigny et Grimould du Plessis. La capture et sans doute l'assassinat du jeune duc étaient décidés lorsque le complot échoua. Un bouffon avait eu connaissance à Bayeux des desseins des conjurés. Il partit à franc-étrier pour Valognes et avertit Guillaume, qui, immédiatement, se rendit d'une traite à Ryes, puis, en passant par Falaise, à Paris. Avec l'appui du Roi de France, il leva une armée en haute Normandie, rencontra ses ennemis près de Caen, et leur infligea au Val-ès-Dunes une défaite sanglante.

Il ne paraît pas qu'après sa victoire, Guillaume soit revenu à Valognes, du moins pour y résider. Nous savons que Caen devint sa ville de prédilection, surtout après son mariage avec Mathilde. Le château de Valognes, au cours de )a guerre de Cent Ans, passa successivement, suivantlesort des armes, des mains des Français en celles des Anglais. On connaît le siège fameux par du Guesclin après la célèbre journée de Cocherel (1364). Pendant les guerres de Religion, il fut occupé tantôt par les troupes protestantes, tantôt par celles de Matignon. Montgommery l'assiégea sans succès du 24 mars au 8 avril 1574 ; Guillaume d'Anneville, seigneur de Chiffrevast, était alors gouverneur de la place. Pendant la Fronde il fut attaqué par le comte de Matignon, descendant de celui qui l'avait autrefois conservé. Bernard Gigault, marquis de Bellefond, qui en était gouverneur poulie roi, le défendit du 20 mars jusqu'au 5 avril 1649 et obtint une capitulation honorable. Au lendemain de la Fronde, Louis XIV ordonna sa destruction. Elle s'effectua lentement,

Au début du xvme siècle, il était en partie démoli ; ses fortifications étaient rasées, ses fossés comblés. Seuls subsistaient quelques bâtiments en forme d'équerre, qui occupaient la partie droite de la place actuelle, en regardant vers le nord. Eux-mêmes disparurent sous Louis XTV pour faciliter l'établissement de la route de Cherbourg. On possède des plans du château, mais on n'en connaît aucun dessin, et il n'est pas possible de se faire une idée de l'aspect qu'il pouvait avoir. Il n'en reste en effet presque plus rien : quelques vestiges encastrés dans les maisons voisines de l'église Saint-Malo et visibles surtout dans la cour de l'hôtel ;Saint-Michel : une petite tour, deux portes surmontées d'écussons, mais le tout, sans grand intérêt architectural. Après que M. Cauvin eut évoqué pour nous ces souvenirs historiques, notre groupe compact se dirige vers :

La Bibliothèque.— Elle fut fondée en 1719 par Julien


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de Lallier, docteur en Sorbonne^ curé de Valognes. Installée d'abord au collège, elle a été transportée en 1753 dans le bâtiment actuel qui servait jusqu'alors de salle des fêtes. Elle comprend environ 20.000 volumes, 250 incunables et 200 manuscrits ; mais le temps nous manque pour admirer ces richesses, entre autres un missel de Coutances, dont les enluminures, nous dit M. Cauvin, sont particulièrement riches. Dans la salle de la Bibliothèque est installé le musée de la ville et celui de la Société Archéologique, ainsi que la bibliothèque de celle-ci. La merveille du musée, la relique pour mieux dire, est l'ancien autel de l'abbaye du Ham.

La table de cet autel forme un parallélogramme de 1 m. 05 sur 0 m. 98, et environ 0 m. 14 d'épaisseur. Elle est creusée en forme de plateau. A chacune des encoignures, une petite croix est inscrite dans un cercle ; au centre une croix plus grande est formée d'un double trait. Les bords sont couverts d'inscriptions. On a souvent tenté d'en reconstituer le texte complet. Le début permet de fixer l'âge de ce monument vénérable.

Huius urbis rector Domnus

Frodomundus Pontifex In honore Alrmc Mariae

Genetricis Domini Hoc templum, hocquoe altare

Construxit fldiliter Adque digne dedicavit

Mense Augusto medio Et hic i'estus celebratus

Sic per an nu singolus Anno sexto iam régnante

Theodorico Rége

C'est donc en 680 ou 681 que cette pierre fut consacrée par saint Fromond. Le monastère primitif fut brûlé par les Normands, mais l'autel, conservé, fut remis en place dans l'église rebâtie au xie siècle par les envahisseurs devenus chrétiens

D'autres objets du musée nous retiennent encore un instant. D'abord des porcelaines de Valognes, porcelaine dont les exemplaires sont rares. La manufacture qui exista à Valognes de 1793 à 1812 fut ensuite transportée à Bayeux. On y utilisait le kaolin provenant d'un gisement situé aux Pieux (arrondissement de Cherbourg), encore actuellement exploité pour la fabrique bayeusaine. Nous voyons un plat blanc et or sur lequel les clefs de la ville furent, en 1818, pré-


6 EXCURSION DANS LE 'COTENTIN

sentées à l'Impératrice Marie-Louise se rendant à Cherbourg ; puis des sarcophages gallo-romains venant de Saint-Floxel ; la dalle du tombeau de Richard de Reviers, fondateur de l'abbaye de Bricquebec ; la maquette en bois du château de Bricquebec, faite d'après des dessins anciens ; des boulets trouvés à la Hague en 1738 et provenant de la flotte de Tourville (1692) ; et beaucoup d'autres objets d'intérêt très divers, sans doute, mais qui mériteraient une inspection plus approfondie. Nous ressortons et nous passons dans la rue Thiers.

Au n° 24 est une maison citée par Barbey d'Aurevilly dans Les Diaboliques ; il y plaça une scène appelée par lui « Dîner d'athées ». Nous sommes quelques pas plus loin en face du collège, ancien séminaire. A ce dernier titre, il fut fondé en 1654 par l'abbé François de La Luthumière, sur l'ordre de l'évêque de Coûtantes, Mgr Claude Auvry — le héros du Lutrin — dans un enclos qui avait été donné par Guillaume le Conquérant à Geoffroy de Montbray, évêque de Coutances. M. de La Luthumière dirigea le séminaire pendant 44 ans, mais accusé de jansénisme, il vit fermer son établissement. Lui-même mourut à 82 ans le 15 septembre 1699. Réouvert trois ans plus tard avec M. de Lallier comme supérieur, le séminaire, en 1741, se doubla d'un collège. Les élèves, qui étaient 300 en 1731, étaient au nombre de 600 en 1774. Après la Révolution le collège devint communal. En 1853, la direction en fut confiée à l'évêque de Coutances. La ville en reprit la gouverne en 1907. Il a compté parmi ses élèves Mgr Le Nordez, évêque de Dijon et Léopold Delisle.

En face du collège est l'ancien hôtel de Calmesnil, jadis à la famille de Beausse. Nous passons ensuite devant l'hôtel de Twpbriand. Tous ces hôtels de Valognes, vieilles demeures seigneuriales, n'appartiennent plus aux familles qui les ont possédés si longtemps et qui par leur renom de distinction et de raffinement avaient fait de Valognes un petit Versailles normand. Plusieurs scènes du Turcaret, de Lesage, se passent à Valognes. « Savez-vous bien qu'il faut trois mois de Valognes pour achever un homme de cour ? » « Valognes, écrivait Toustain de Billy vers, 1788, est la ville la plus polie, la plus spirituelle de Normandie, c'est la cour du Cotentin. » Les dames en prenaient d'ailleurs un orgueil sérieux. Il y avait même, dans cette bonne ville, un groupe de jeunes filles qui composaient une Académie d'un genre tout nouveau. Ces « Précieuses Ridicules » s'arrogeaient le droit de décider des mérites des prédicateurs, de les critiquer et de prononcer en dernier ressort sur la valeur de


EXCURSION DANS LE COTENTIN 7

leur éloquence. Les choses étaient arrivées au point que les prêtres refusaient de paraître dans la chaire de Saint-Malo. Un orateur spirituel et plus courageux que ses confrères, proposa comme chef de cette académie l'ânesse de Balaam. Le groupe comprit et se dispersa. Le ridicule tuait encore à cette époque.

(Dessin de M. Léon Patrie.)

Mais reprenons notre promenade. Nous entrons dans le quartier de Gisors. L'ancien Hôtel-Dieu, situé dans la rue du même nom, est aujourd'hui haras. Il fut fondé en 1499 par Jeanne de France, fille de Louis XI, veuve de l'amiral de Bourbon. Elle donna dans ce but un acre de terre dans le clos de Gisors et les bâtiments furent construits sur une propriété offerte par Jean Le Nepveu, prêtre et bourgeois de Valognes. L'Hôtel-Dieu fut dirigé jusqu'en 1692 par des prêtres séculiers, puis, à partir de cette date par les chevaliers du Mont-Carmel et de Saint-Lazare. Nous retournons sur nos pas pour gagner la rue Wéléat. Là encore, sont de vieux hôtels. Ce sont ceux de la Grimonnière, de Chivré, de Touffreville, et de Gouberville. Ce dernier possède de vastes jardins en terrasse,^ L'hôtel de la Grimonnière appartenait avant eux aux Rochette de Lempdes. L'hôtel de Chivré


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est orné d'une jolie tour octogonale et de cheminées en encorbellement. Ces hôtels, comme du reste le plus grand nombre de maisons de la ville et de la région, sont couverts en schiste très épais, ce qui donne, selon l'expression heureuse et pittoresque d'un des excursionnistes, une impression de farine. Cette teinte grisâtre s'harmonise avec le ciel du .pays : « les toits prennent la couleur des nuages qui traînent dans le ciel (1). » Ces couvertures, d'un poids énorme, nécessitent des charpentes formidables.

La place du tribunal, que nous traversons ne présente pas un grand intérêt. L'hôtel de ville est de 1810 et le tribunal de 1834. Il est édifié sur l'emplacement qu'occupait au xvme siècle l'Hôpital général.

L'hôtel de Beaumont à Valognes.

(Cliché de M. Kené Vezard.)

La rue Barbey d'Aurevilly, dite aussi le Grand-Quartier, possède le plus bel édifice civil de la ville : l'hôtel de Beaumont. Il doit son nom à la famille Jallot de Beaumont qui le fit construire avant 1753, sans qu'on sache la date exacte. Le bâtiment principal n'a pas moins de 50 mètres de long. Le perron central, semi-circulaire, est surmonté d'un balcon supporté par quatre colonnes ioniques. Le tympan du fronton triangulaire porte deux écussons accolés, mais si soigneusement grattés, sans doute au moment de la Révolution, qu'il est impossible d'en rien deviner. Le corps central, large de trois fenêtres est en rotonde. L'hôtel, élevé sur

(1) Cf. La forêt normande, de E. Herriot.


EXCURSION DANS LE COTENTIN 9

un sous-sol, a deux étages ; la longueur totale est de quinze fenêtres. Les Jallot de Beaumont le possédèrent jusqu'à la mort de Marie-Bonaventure de Beaumont, décédé à Nancy à 91' ans et inhumé à Beaumont-Hague en 1843. Son neveu, Louis du Mesnildot, fils de Messire du Mesnildot et de Jeanne Jallot de Beaumont, en hérita. Du mariage de Louis avec Mlle de Vaugaubert naquirent plusieurs enfants. L'un d'eux, Paul-Hervé, épousa MHe de Foucaucourt, dont il eut une fille Marie du Mesnildot, mariée d'abord au comte d'Aigneaux puis au vicomte de Martel de Janville. C'est Mme de Janville qui vendit l'hôtel à un ingénieur : M. Debains ; celui-ci le céda bientôt au comte de Froidefond de Florian, ministre plénipotentiaire, qui nous accueille aujourd'hui de si aimable façon.

Après avoir admiré l'ensemble à la fois sobre et gracieux de cette longue façade, devant laquelle des plates-bandes de fleurs vives apportent une note de gaieté, nous pénétrons dans un vaste vestibule, duquel part un superbe escalier à double rampe. Il rappelle celui de Blois et ne semble tenir en équilibre que par un prodige d'architecture. Le billard contient de belles gravures anciennes. Puis, vient le grand salon, encore décoré de délicates boiseries Louis XV. Derrière l'hôtel s'étend un parc où des palmiers ont grandi avec une rapidité étonnante. Nous passons près d'un cèdre magnifique pour aller, dans le jardin, jeter un coup d'oeil d'ensemble sur les vieux toits de la ville et sur l'église dont on saisit parfaitement le plan. De là, aussi, on voit en entier le singulier dôme du transept. Après avoir adressé à M. de Florian les remerciements de la Société pour nous avoir ouvert toutes grandes les grilles de sa belle propriété, M. Tournoûer donne le signal du départ, et notre excursion se poursuit par les rues Pelouze et des Religieuses. Là se trouve Vhôtel du Mesnildot de la Grille. Lors de son voyage, l'Impératrice Marie-Louise y déjeuna le 1er septembre 1813, et partant pour l'exil, le Roi Charles X y résida les 14,15 et 16 août 1830. Dans Vhôtel de Grandval-Caligny, Barbey d'Aurevilly occupait plusieurs pièces, vers ses dernières années, lorsqu'il venait en villégiature à Valognes. Cet hôtel avait appartenu d'abord aux Morel de Courcy, puis aux Huë de Caligny. Une galerie, qui existe toujours, en réunissait les deux parties. En face est la maison où Léopold Delisle naquit le 24 décembre 1826. Il est mort à Chantilly le 22 juillet 1910. Tous les amateurs d'histoire normande connaissent sa biographie. Je n'ai donc rien à leur découvrir. Le 7 novembre 1926 eut lieu une cérémonie à l'occasion de ce centenaire : une plaque


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commémorative fut apposée en présence de M. Henri Omontr délégué de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, et de M. Alexandre Vidier, représentant le ministre de l'Instruction Publique et des Beaux Arts.

A peu de distance de cette maison, est Vhôtel de SaintRémy, aujourd'hui couvent des religieuses de Saint-Vincent de Paul. Nous arrivons devant Vhospice, ancien couvent Notre-Dame de Protection aux religieuses Bénédictines.

11 fut fondé en 1635 par Jean III de Ravalet-Tourlaville et Madeleine de la Vigne, sa femme, en expiation du crime d'inceste commis par leurs enfants Julien et Marguerite.. Léonor de Matignon, évêque de Coutances, consacra la chapelle. N.-D. de Protection, passa abbaye royale en 1646. Charlotte I et Charlotte II de la Vigne, l'une, soeur, l'autre, nièce de Madeleine, en furent les deux premières abbesses.

Après la visite de la chapelle où se voient un autel du xvnr 8 et un retable richement sculpté, nous parcourons le cloître du xvne, nous jetons un rapide coup d'oeil sur la cuisine monumentale et nous regagnons la sortie. Sur deux portes sont sculptés deux écussons armoriés. Le premier, surmonté d'une couronne de marquis, représente un chevron, accompagné de 3 roses, 2 et 1 ; l'autre, un soleil (?) accompagné de 8 étoiles mises en orle.

Par la rue du Vieux-Château, puis par un chemin creux, bordé de haies très élevées, taillées avec ce soin que nous avons remarqué au long de nos randonnées, nous emboîtons le pas rapide des deux présidents pour arriver bientôt devant l'emplacement de l'antique cité d'

ALLE AU ME

Elle fut une des quatre stations romaines situées dansla presqu'île du Cotentin et connues sous les noms d'Alauna (Alleaume), Crociatonum (Saint-Côme), Grannonum (Portbail et Coriallum (Cherbourg). Des voies romaines, dont les traces se retrouvent encore facilement, unissaient Alleaume à ces trois villes et à quelques autres plus importantes comme Coutances et Bayeux.

Alleaume est le seul lieu du département qui offre encore des ruines bien apparentes de ces temps reculés. Quelques champs voisins s'appellent les Tournelles. Ce nom, que l'on remarque sur l'emplacement d'autres villes romaines et notamment au vieux Lisieux, porte à croire que la ville avait été flanquée de tours. Le territoire de cette commune a été annexé à Valognes en 1867. Par une malchance regrettable, la barrière du pré où se trouve le Balnéaire était fermée,


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■et c'est du chemin que nous en avons entrevu les vestiges, énorme pan de mur que M. l'abbé Adam (1) appelle avec humour « un modèle ébréché de dessin linéaire ». Le bâtijnent des bains mesurait 90 mètres de long ; il comprenait 7 chambres et 7 fourneaux principaux. L'eau était amenée par un aqueduc dont on a retrouvé les traces en 1840. En 1773 le propriétaire employa la mine pour tout détruire. Il n'y put réussir. Les murs ont encore 12 à 13 mètres de haut et 1 à 2 mètres d'épaisseur. La description très approfondie qui nous a été faite de bains romains, à Jublains en 1926, me dispense de parler plus longuement de la construction de ceux-ci

Le théâtre était situé à environ un kilomètre de là ; c'était, dit-on, l'un des plus vastes après ceux de Rome. Il pouvait ■contenir de 6 à 10.000 personnes. Les arènes formaient fer à cheval, et non hémicycle. Son plus grand diamètre était de 67 mètres. On y a retrouvé d'énormes tas de cendres •qui ont servi de mine d'engrais pendant près de vingt-cinq ans.

La ville romaine était étendue et importante. On ne sait qui la détruisit, mais on est porté à croire qu'elle le fut a la suite d'un violent et vaste incendie vers la fin du IIIe siècle de notre ère. C'était le centre gallo-r.omain le plus important de la Manche. La source qui lui fournissait l'eau potable alimente encore Valognes de nos jours. On a trouvé de nombreuses monnaies ou médailles dont certaines rarissimes.

Nous nous dirigeons maintenant vers Véglise d'Alleaume.

Un temple de la Victoire, dont on ne sait rien, sinon qu'il •exista, fit place au moyen âge à une chapelle, consacrée de nouveau à la Vierge Marie par saint Jean Eudes en 1643, lorsqu'il vint à Valognes, prêcher sa célèbre mission. Elle devint un centre de pèlerinage et une inscription moderne dit même que c'était un des sanctuaires de prédilection de ce saint. On y vénérait avant la Révolution une statue de la Vierge en pierre de Valognes, du xive siècle. Cette statue enthousiasmait Siméon Luce qui voyait en elle le chef-d'oeuvre de la sculpture normande. Elle est, aujourd'hui, abominablement polychromée.

L'église actuelle d'Alleaume présente quelques restes de l'architecture du xie siècle. Deux portes romanes offrent un cintre couvert de zigs zags. On remarque, aux murs,

(l) Je dois beaucoup aux ouvrages de MM. l'abbé Adam,' Sevestre et du Moncel ; mais, j'ai cru pouvoir me dispenser de citer à chaque instant mes sources, dont rénumération au bas de chaque page serait vite devenue fastidieuse. Ceci dit une fois pour toutes.


12 EXCURSION DANS LE COTENTIN

des modillons romans à figure. Les voûtes du choeur, de la nef et des deux chapelles sont probablement du XVe mais le reste est du xvme. Quatre statues monumentales sont assez remarquables ; elles sont en kaolin des Pieux,, lavé et moulé aux cordeliers de Valognes par Moreau en 1806. Les originaux en terre cuite figurent au musée.

Il reste à signaler, et ce n'est pas là le moins important,, le maître-autel et le bas-relief.

Le maître-autel mérite tout spécialement de fixer l'attention du visiteur : il est de forme ovale ; un gracieux bas-relief en bois, placé sur la cuve, représente l'Enfant Jésus sur la croix. L'autel lui-même est décoré d'un ordre de six colonnes corinthiennes, accompagnant un tableau ovale et les quatre statues dont je viens de parler. La corniche porte des pots à feu et quatre anges. A l'extérieur de l'église, au-dessus d'une porte murée, contre la croisée du sud-est, a été placé un curieux bas-relief. M. du Moncel le fait remonter au xie siècle. « Cette pierre, dit M. l'abbé Adam, offre en relief deux hommes drapés, assis dans des fauteuils : l'un d'eux est saint Pierre tenant deux clefs ; l'autre saint Jean l'Evangéliste avec une colombe perchée sur son siège ;. un agneau portant une croix est aussi, grossièrement, figuré en relief et représente l'Agneau de Dieu. »

La clef de voûte de cette partie de la croisée est décorée d'un agneau à peu près semblable.

Nous passons dans le cimetière près de la tombe de la fille du baron Villoteau, l'égyptologue connu, né à Bellême, dont M. Beaugé nous a parlé, il y a quelques mois, à Alençon.

Nous regagnons Valognes par la rue des Capucins. Ces moines occupèrent leur couvent de 1630 à la Révolution. La chapelle en fut consacrée le 27 août 1684 par Mgr de Loménie de Brienne. Les Bénédictines y sont installées de nos jours.

Dans cette même rue, sont l'ancien hôtel d'Harcourt, devenu école privée, etV hôtel Ernault de Chantore où se passent plusieurs scènes du _ Chevalier -Destouches. Dans la rue Carnot, autrefois rue des Halles, il faut noter Vhôtel de Bourbon, ainsi nommé du nom de Louis, bâtard de Bourbon, amiral de France, gouverneur de Valognes : François Ier y fut reçu vers 1535 et y passa des heures que l'histoire dit joyeuses. Il reste des fenêtres à meneaux, une tourelle, et surtout deux jolies portes avec frontons sculp*tés, ouvrant sur un escalier à vis.

En face est l'ancien hôtel Lefebvre. C'est celui dans lequel Marguerite de Ravalet vécut les deux plus pénibles années de sa vie. Il se composait d'un pavillon avec ailes sur la


EXCURSION DANS LE COTENTIN 13

cour. Son parc a été morcelé. Vers le milieu du xviir 8 siècle, il changea de nom par suite du mariage d'une arrière-petite fille de Jean Lefebvre avec le marquis de Thieuville. Remanié et diminué de ses deux ailes à ce moment, il passa en 1786 à Jeanne de Thieuville qui avait épousé le marquis de Thiboutot, descendant des Montgommery par sa mère, née Marie-Rose de Montgommery, dernière représentante de la branche française de cette illustre famille. La marquise de Thiboutot-Thieuville vendit cet hôtel en 1829 pour l'établissement de la sous-préfecture qui l'occupa jusqu'en 1840. Il appartint plus tard à M. de la Moissonnière et a encore changé de propriétaire en 1902.

Avant de nous engager dans là rue de Poterie, nous traversons la place Vicq d'Azur. Félix Vicq d'Azur est une des gloires de Valognes, où il naquit en 1748 ; anatomiste rapidement célèbre, il fut élu membre de l'Académie des sciences à 26 ans. Il fonda avec Lessonne la Société Royale de Médecine, depuis Académie de Médecine. En 1788 il remplaça Buffon à l'Académie Française. Il fut aussi médecin de la reine Marie-Antoinette et mourut à Paris en 1794. Ses travaux les plus connus traitent de Panatomie. — La rue de Poterie, par laquelle nous allons terminer notre promenade, est celle qui, de tout Valognes, contient peutêtre le plus grand nombre d'anciens hôtels. Barbey d'Aurevilly en a donné la description dans une lettre à Trébutien, du 21 septembre 1866. C'est d'abord Vhôtel Le Tellier de Réville, ancien couvent des Augustins, et, aujourd'hui, école supérieure de filles ; puis Vhôtel Ernault d'Orval, orné d'un balcon Louis XV ; Vhôtel de Prémont, agrémenté de motifs sculptés au-dessus des fenêtres ; Vhôtel du Mesnildot d'Anneville, très vaste, avec ses ailes en retour d'équerre ; les hôtels de Tanhouard, de Foucault, du Plessis de Grénédan ; Vhôtel Pellée de Varennes à M. Couraye du Parc : il est loué à la recette des finances et contient encore, paraît-il, de belles tapisseries. Puis ce sont les hôtels de Parfouru et du Poërier de Portbail. Et enfin Vhôtel d'Octeville, ce dernier est très important par l'étendue de ses constructions qui forment -les trois côtés d'une cour intérieure. Le quatrième côté est formé par un mur qui soutient une terrasse. Le duc de Berry, retour de Jersey, y dîna le 14 avril 1814. Dans le salon, où nous sommes admis à pénétrer, les boiseries Louis XV sont seules à remarquer. Au xvie siècle cette demeure appartenait à la famille Lefebvre à laquelle s'allia Marguerite de Ravalet. Reconstruit et agrandi au xvne siècle il passa aux de Crosville, puis à André de Hennot, comte d'Octeville. Sa fille Charlotte d'Octeville, morte en


14 EXCURSION DANS LE COTENTIN

1854, avait épousé M. Augustin de Blangy, père du vicomte Maximilien, qui y est mort il y a une dizaine d'années. — Avant de clore le récit de cette journée, il me semble intéressant de citer une page de Barbey d'Aurevilly. Valognes (il ne donne pas le nom de la ville) « était dit-il dans le Dessous de cartes, la ville la plus férocement aristocratique de France. Je n'ai depuis rien vu de pareil. Ni notre faubourg SaintGermain, ni la place Bellecour à Lyon, ni les trois ou quatre grandes villes qu'on cite pour leur aristocratie exclusive et hautaine, ne pourraient donner une idée de cette petite ville de six mille âmes qui, avant 1789, avait cinquante voitures armoriées roulant fièrement sur son pavé...

« Il semblait qu'en se retirant de toute la surface du pays, envahi chaque jour par une bourgeoisie insolente, l'aristocratie se fût concentrée là, comme dans le fond d'un creuset, et y jetât comme un rubis brûlé, le tenace éclat qui tient à la substance même de la pierre et qui ne disparaîtra qu'avec elle. »

Barbey écrit encore quelque part : « Valognes, jadis si animée est maintenant vide et triste comme un sarcophage abandonné. »

Notre retour vers le Lion d'Or s'effectue lentement dans la brume qui tombe. Avant le dîner le Président distribue aux automobilistes les fanions héraldiques, césames qui nous ouvriront les grilles de nombreux châteaux

La vaste salle dans laquelle nous tiendrons nos assises gastronomiques est ornée pour la première fois du drapeau nouveau-né de la société : mi parti d'azur et de gueules (couleurs d'Alençon), sur le tout, les deux léopards d'or de Normandie. Au dessert MM. Tournoûer et Cauvin échangent remerciements et voeux de prospérité. Et c'est sur ces bonnes paroles que chacun regagne sa demeure temporaire, fort satisfait de ce premier contact avec le HautCotentin.


DEUXIÈME JOURNÉE : Mardi 30 Août

A l'heure dite, tout le monde est prêt, et c'est en bon ordre que notre colonne s'ébranle. M. Le Cacheux, archiviste de la Seine-Inférieure et précédemment de la Manche, d'une érudition si sûre, doit être aujourd'hui notre principal guide. L'église de Lieusaint est notre première étape.

LIEUSAIIMT

Cette église, située en plein Cotentin, appartint jadis au diocèse de Bayeux. Elle était non loin de l'ancienne voie romaine d'Alleaume à Portbail. Son nom évoque celui d'un cimetière et, de fait, on a retrouvé dans toute la région de nombreux sarcophages.

L'église actuelle, remplaça, vers la fin du xnr 3 siècle, un autre édifice beaucoup plus' ancien dédié à saint Éloi. Dans le mur méridional a été encastrée une inscription funéraire parfaitement conservée, que M. ;de Gerville dit être mérovingienne, peut-être du vme siècle. Au tympan de la porte latérale un bas-relief du xme siècle représente saint Éloi dans son atelier, assis devant son établi pendant que son fils Oculi manoeuvre le soufflet en faisant chauffer le fer. Dans le fond un jeune garçon tient par la longe le cheval destiné à être ferré (1).| L'église se compose d'une nef sans bas côté, se terminant au chevet par un mur droit. Le clocher est coiffé d'un toit en bâtière. La tour est de la fin du xme siècle. Au sud, s'ouvre une fenêtre du xvie. A la voûte du choeur, la clef porte une inscription qui fait connaître la date de 1312.

Sans nous attarder davantage, nous franchissons rapidement la distance très courte qui sépare Lieusaint de Colomby.

ÉGLISE DE COLOMBY

Elle est sous le vocable de Saint-Georges. Elle comprenait au xme siècle deux portions et deux cures. L'abbaye de Montebourg avait le patronage d'une des portions et percevait deux gerbes de la dîme. La deuxième portion

(1) Description donnée par M. A. Montier, dans La Normandie monumentale.

2


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EXCURSION DANS LE COTENTIN

avait pour patron le seigneur de la paroisse et le curé eu était le seul décimateur. Au xive siècle, le patronage de la grande portion était passé à l'évêque de Coutances.

D'après M. de Gerville cette église est un modèle de l'architecture à lancette du temps de Philippe-Auguste. Elle n'a subi aucune réparation qui ait altéré le style de son origine. Elle est de plan rectangulaire, sans transept ni. bas-côtés. Le choeur a quatre travées, la nef, cinq. Les voûtes sont sur croisées d'ogives. La retombée des ogives se fait sur des colonnes à chapiteaux, ornés de pommes de pin et de fleurs du pays. Les fenêtres à lancette, très élevées, sont garnies de colonnettes ; celles du chevet sont divisées en deux par un meneau que surmonte une rosace polylobée. Une porte du xme siècle est percée dans le mur occidental.

Eglise de Colomby.

(Cliché de IL F. Mouchel.)

Elle est précédée d'un porche voûté en pierre.^ Ce muroccidental est encore percé de trois fenêtres en tiers-point, garnies de colonnettes ; celle du milieu plus élevée. Des contreforts amortis en glacis, marquent à l'extérieur la séparation des travées. La tour est surmontée d'une flèche avec


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EXCURSION DANS LE COTENTIN

galerie et clochetons aux angles. La flèche très élégante repose sur une voûte, artifice très hardi de construction. Le corps est carré, percé sur chaque face de deux baies en tiers-point dont la double archivolte retombe sur de minces colonnettes surmontées de chapiteaux. La galerie d'un dessin original se compose de deux rangs d'ouvertures superposées. Les clochetons d'angles reproduisent le dessin de la flèche : celle-ci est octogonale. Aux arêtes soulignées par un boudin, les pans sont pleins, non ajourés. Ce clocher est à rapprocher de ceux du Calvados décrits par Lefèvre-Pontalis.

Nous attendons dehors quelques minutes, que la messe soit finie.

La hauteur des fenêtres et la finesse des colonnes produisent une étonnante impression de légèreté. Il est même impossible de deviner l'existence de la tour, tant les piliers qui la supportent sont légers. Plusieurs pièces du mobilier sont intéressantes : le lutrin : aigle, enserrant le globe entourédu serpent ; puis une statue du xive représentant la Vierge assise, ce qui est assez rare dans la région. Les boiseries; du choeur sont de style Louis XV; un christ à la colonneest de la fin du xve siècle. Cette belle église méritait une description un peu longue. Je la dois à peu près tout entière à l'obligeante collaboration de M. Le Cacheux.

Nous repartons vers Urville où nous devons voir un manoir et une église.

URVILLE '

Le manoir de la fin duxve est converti en ferme. C'est le

sort commun de beaucoup de ces vieilles et pittoresques habitations, dont il existe un assez grand nombre dans le Nord de la Manche. On remarque ici une tour octogonale, des lucarnes à crochets et le riche entourage d'une porte et d'une -fenêtre. Urville

Manoir d'Urville.

(Cliché de 3L. I\. Mouchel.)


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EXCURSION DANS LE COTENTIN

fut jadis un centre de luttes entre protestants et catholiques : un champ voisin porte encore le nom de champ des Huguenots.

Jourdain d'Orglandes, qui vivait en 1125, était seigneur

d'Urville et de SaintRémi - de - Denneville. Il fit don à l'abbaye de Montebourg des dîmes de SaintRémi, conformément aux intentions d'Asceline d'Urville, sa tante, qui avait embrassé la vie religieuse. Cette branche des d'Orglandes, seigneurs d'Urville, s'est éteinte vers 1350 avec Raoul d'Orglandes, chevalier, seigneur et patron d'Urville. Vinrent ensuite les Josel. Robert Josel fut lieutenant général du bailli du Cotentin. En 1463, Montfaut trouva noble Raoul de Bouttemont ; Chamillart y maintint dans leur noblesse Adrien du Hamel et Hervé du Moncel. Le fief noble de la Motte en Urville appartenait au moment de la Révolution à la famille de Marguerie.

L'église a voisine le

manoir de très près ; un escalier fait communiquer la cour et le cimetière. Elle est sous le vocable de saint Julien ; le patronage en appartenait au xive siècle à Raoul d'Orglandes et à Raoul de Troismonts. Elle est rectangulaire avec une chapelle au Nord. Un portail roman en plein cintre avec frettes crénelées, un peu grand pour la façade, est tout ce qui reste d'un édifice primitif. Les très belles boiseries du choeur sont de 1720 environ : oeuvre d'un menuisier de Cherbourg et d'un ébéniste de Saint-Lô. Elles ont été resManoir

resManoir

(Cliché de M. Dulong de Kosnay.)


EXCURSION DANS LE COTENTIN

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taurées dernièrement par un artiste local. Au chevet de la sacristie, une curieuse statue représente un pèlerin tenant une bourse.

Le fameux helléniste Louis Burnouf est né à Urville le 14 septembre 1775.

Eglise d'Urville.

(Cliché de M. Dulong de Rosnay.)

Par un joli chemin surélevé, bordé d'arbres, qui rappellent ceux de la Bérardière, nous rejoignons les autos qui vont, nous emmener à Montebourg.


20 EXCURSION DANS LE COTENTIN

MONTEBOURG

Dès la première moitié du xne siècle, une église fut dédiée à saint Jacques le Majeur. Elle était sur le chemin des pèlerinages, la première étape des pèlerins anglais qui débarquaient à Barfleur. Il n'en reste aucune trace. Au début du xive siècle, l'abbé Pierre Ozenne en fit construire une autre aux frais de son abbaye. Elle fut consacrée le 2 septembre 1329 par l'évêque Guillaume de Thieuville. La flèche de la tour centrale n'a pas dû être achevée avant le xve siècle. On remarque quelques traces de remaniements dans les deux bras du transept. Au xvine siècle des travaux d'entretien et de couverture mirent aux prises l'abbé et les paroissiens.

Le remplage de la grande fenêtre du choeur est moderne. Le christ qui ornait l'arc triomphal a été enlevé récemment.

L'église est de plan cruciforme ; la nef se termine à l'est par un mur droit percé d'une grande fenêtre, dans l'axe du choeur et d'une plus petite dans chacun des bascôtés. L'éclairage est latéral. Il n'existe aucune ouverture au-dessus des grandes arcades. Elle rentre dans la catégorie des églises à nef obscure. Elle est tout entière voûtée sur croisées d'ogives. Les piliers cylindriques sont flanqués de quatre colonnettes, celle de l'intérieur montant d'un seul jet jusqu'à la hauteur des grandes arcades pour recevoir les ogives. Les chapiteaux sont très simples : coquilles Saint-Jacques, feuillages, etc... Le dessin du chapiteau se continue tout autour du pilier et forme une guirlande. Notons enfin quelques vitraux modernes et une magnifique statue en albâtre de saint Jacques.

A l'extérieur le portail occidental est formé d'une baie centrale encadrée d'un arc en tiers-point, dont les archivoltes viennent reposer sur les colonnettes à chapiteaux, et flanquée de deux arcatures aveugles plus petites. Audessus, les fenêtres en tiers-point, sont encadrées de deux contreforts à glacis qui correspondent à la nef centrale et en indiquent la largeur. Une fenêtre s'ouvre dans l'axe de chaque bas côté. Le bas côté méridional est soutenu par de puissants contreforts de style assez lourd. Au-dessus du portail est une statue classée de saint Jacques.

La tour centrale entre le choeur et la nef est très élégante et rappelle celles de Carentan, Périers, etc, qui s'inspirent toutes de celles de Saint-Pierre de Caen. Le corps est carré : chaque face est percée de deux baies en tiers-point entre deux


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.arcatures aveugles. La galerie est formée de trèfles ajourés avec un petit clocheton à chaque angle. Quatre autres •clochetons ajourés et amortis en pyramide flanquent la base de la flèche. Celle-ci est octogonale et ajourée sur chacun de ses pans de rosaces polylobées et de quatrefeuilles.

De style très pur, cette église est l'un des plus parfaits spécimens de l'architecture ogivale du xive siècle que possède le diocèse de Coutances.

Devant, et autour de l'église à laquelle on accède par -des escaliers de pierre, plus élevés du côté du midi, s'étendait autrefois un cimetière entouré de grands arbres. La place actuelle qui lui a succédé, à toujours porté, de temps immémorial le nom de rue Saint-Jacques.

A l'entrée de Montebourg, sur la route de Quinéville, une ancienne abbaye bénédictine (1) abrite aujourd'hui un Institut Agricole. L'église moderne a été rebâtie sur les plans de l'ancienne. Sa visite n'étant pas au programme et la jjlace m'étant limitée, je n'en dirai rien d'autre.

Montebourg a vu naître en 1648 Louis Levavasseur, sieur de Masseville, qui devint curé de Joganville et est l'auteur d'une histoire de Normandie.

Nous reprenons la direction de Valognes, nous traversons la ville, et quelques kilomètres plus loin, nous franchissons les grilles du château de Chiffrevast.

CHIFFREVAST

L'allée que nous suivons, serpente au travers d'une futaie touffue, dont les' arbres, même les ifs, atteignent une très grande hauteur. Nous arrivons dans une sorte d'avantcour où des allées coupent à angle droit des massifs énormes d'hortensias magnifiquement fleuris.

Le château se dresse sur l'emplacement d'un édifice du xve siècle et sur les ruines plus anciennes d'un autre du xie, détruit en 1354 par Geoffroy d'Harcourt. Le bâtiment actuel date des premières années du xvne siècle. Il était entouré de larges fossés qui existent encore sur trois côtés. Aux quatre angles, des pavillons très saillants sont construits en forme de bastion. Les fenêtres sont placées de telle manière qu'elles flanquent toutes les murailles. Celles-ci sont d'une épaisseur telle, qu'on a pu y ménager des escaliers et des cabinets de toilette.

Les premiers seigneurs de Chiffrevast sont peu connus.

(1) Une notice intéressante sur l'abbaye de Montebourg a été publiée par M. Renault dans l'Annuaire du département de la Manche, 42e année, 1870.


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EXCURSION DANS LE COTENTIN

Ils figurent au xne siècle parmi les bienfaiteurs du prieuré de Saint-Martin-à-1'If dans la forêt de Brix. Au xive siècle Nicolas de Chiffrevast était capitaine de Cherbourg. Godefroy d'Harcourt étant en désaccord avec lui, vint piller et ruiner le château. Léopold Delisle a raconté cette véritable scène de Révolution (1) :

Les de Percy, puis les d'Anneville héritèrent du domaineJean d'Anneville fut gouverneur de Valognes. Il fonda avec sa femme Guillotte de la Houssaye des chapelles dans la cathédrale de Coutances et mourut en 1430. Son petitfils, François, aurait reconstruit le château vers 1450. Gilles de Gouberville, dont il sera bientôt question, raconte dans son Journal qu'il y dînait souvent. Guillaume d'Anneville défendit Valognes contre les Huguenots en '1577. Henri, son successeur, fit reconstruire le château pour la troisième

fois vers 1610. Hervé d'Anneville fut après lui, seigneur de Chiffrevast. Il épousa Renée de Crosville dont il eut plusieurs enfants, entre autres Charlotte, mariée à Robert de Gourmont, et Guillaume, qui de Françoise de Mathan laissa une nombreuse descendance. Les d'Anneville conservèrent Chiffrevast jusqu'à la Révolution. Le marquis de Chiffrevast fut guillotiné à Paris en 1793. Le jour même de son exécution la foudre tomba sur le château et l'incendia en partie. Il fut séquestré et pillé. Les avenues furent abattues et les armoiries partout grattées. La propriété ne fut toutefois pas vendue. Elle fut restituée aux d'Anneville après la tourmente, mais ils la cédèrent presque aussitôt à Lebrun, duc de Plaisance, architrésorier de l'Empire. Après lui, son troisième fils, puis sa petite fille mariée au Comte Napoléon Daru, ministre de Napoléon III possédèrent Chiffre(1)

Chiffre(1) du Château et des Sires de St-Sauveur-le-Vicomte, p. 73 et s.

Château de Chiffrevast.

(Cliché de M. Dulong de Rosnay.)


EXCURSION DANS LE COTENTIN

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vast. La comtesse Daru eut deux filles. Mmes Beugnot et Benoist d'Azy. La fille de cette dernière, mariée au comte Doynel de Quincey, l'a vendu un demi million à M.'Eugène Bretel, industriel en beurre à Valognes.

Le château est meublé avec un luxe extrême. M. Bretel augmente sans cesse ses collections qui sont également variées et importantes. Toutes les portes avaient été ouvertes

pour que nous puissions librement nous promener. Nous avons pu ainsi constater quelle énorme quantité d'objets d'art de toute sorte a été accumulée dans cette demeure vaste à souhait. M. Bretel, âgé, et le jour de notre visite, victime d'un accident, n'a pu nous guider et nous donner d'explications. Il tint cependant à venir un instant très aimablement nous souhaiter la bienvenue. Je ne puis analyser comme je le voudrais, tout ce que nous avons vu. Une simple liste énumérative manquerait totalement d'intérêt. Les portraits, très nombreux, semblent appartenir dans leur ensemble, à l'école Française du xvnr 8 siècle ;

Château de Chiffrevast.

(Cliché de M. Dulong de Rosnay.)


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certains, sont d'une fraîcheur de coloris remarquable. Nul doute que plusieurs ne soient signés de noms connus. Les émaux et les ivoires sculptés sont représentés par quelques pièces dignes de grands musées. Les tapisseries sont intéressantes. L'une d'elles, entre autres, au second étage, est admirable ; c'est un Beauvais, sur fond rouge, aux tons fanés, d'une rare somptuosité. Elle représente des personnages, et il n'en existerait qu'une seconde semblable, au château de Compiègne. Les boiseries du grand salon étaient connues comme de beaux spécimens du xvir 8 siècle. Elles ont été dorées, comme beaucoup de sièges de st3'le divers répartis dans les autres appartements de réception.

Mais l'heure avance, il faut redescendre. M. Tournoùer remercie M. Bretel de nous avoir permis de parcourir en tous sens sa riche demeure. Il nous lit ensuite quelques notes sur l'histoire du château, que complète M. Cauvin.

Nous apprenons qu'à Chiffrevast un prieuré avait été fondé en 1150. Le soir, une cloche sonnait pendant plus d'une heure pour indiquer leur route aux voyageurs égarés, dans les bois entre Cherbourg et Valognes.

Nous faisons le tour du château et une courte promenade dans le parc. Il est vaste et très pittoresque : valonnements, pièces d'eau, futaies magnifiques plantées avec art, en font à juste titre l'un des plus réputés de la région (1) Un ruisseau le traverse, qui porte un nom dont je ne sais pas la raison d'être. C'est : la Gloire. Ce nom semble divertir pas mal d'excursionnistes.

Nous retournons à Valognes, où nous _ attend un très bon déjeuner.

Sur les deux heures, en voiture. Pendant quelques kilomètres nous suivons la grande route de Carentan ; nous retraversons Montebourg, puis ayant tourné à gauche, nous gagnons Saint-Mareouf par de petits chemins tortueux. Le temps reste beau mais un.peu voilé.

SAINT-MARCOUF

Saint-Marcouf est la seule église à crypte du département de la Manche, et elle est d'autant plus intéressante que l'histoire du saint qui en est le patron s'y rattache directement.

Né à Bayeux, de parents nobles et riches, il vint avec ses compagnons, dans la première moitié du vie siècle,

(1) Ce parc est peuplé de statues, qu'il aurait fallu voir de près pour en p.irler.


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prêcher l'Évangile dans le Côtentin. Il fonda un monastère sur un terrain que Childebert, fils de Clovis, lui concéda avec deux petites îles. Vers 905, ses restes furent transportés à Corbeny près de Laon, à cause des incursions violentes et répétées des Normands.

En fait, sous la conduite de Bier et Hasting, ils ravagèrent et brûlèrent le. monastère. Convertis au christianisme ils ne le rétablirent pas. L'emplacement a conservé le nom de •Saint-Marcouf.

Quand on arrive et qu'on examine l'église extérieurement, elle se présente avec une apparence du xie siècle. Mais quand on entre à l'intérieur le coup d'oeil change entièrement, et on y reconnaît le xine et le xive dans la presque totalité. La crypte rappelle l'architecture romane, le clocher et le portail ont éAé retouchés au xine siècle. De sorte que l'église porte les caractères des. deux premières périodes de l'architecture romane, et des deux premières de l'architecture ogivale. L'ensemble est très pittoresque.

Dans le mur occidental, on remarque deux figures sculptées : probablement d'anciennes pierres tombales, qui ont été encastrées à une certaine hauteur.

L'abside, semi-circulaire, est appuyée sur un large soubassement d'environ deux mètres de haut, dans lequel s'ouvrent les soupiraux de la crypte. On remarque encore, intérieurement, au fond de cette abside, une portion de l'ancien trône de l'abbé, dont l'emplacement est accusé dans la muraille par deux groupes de colonnettes du xve siècle réunies par un arc surbaissé.

L'église' est cruciforme : et se compose du choeur, de la nef et du transept. L'architecture intérieure est très simple. Le choeur a deux travées, la nef : cinq. Leurs voûtes ont été refaites dans le style flamboyant après les guerres anglaises. Sur un des chapiteaux une sculpture assez" originale représente un personnage qui paraît succomber sous le poids d'une bourse suspendue à son cou, et qu'un serpent, dressé devant lui, cherche à dévorer. Cette figure passe pour être l'emblème de l'avarice.

Le transept se trouve formé par la base du clocher, du côté droit et par une chapelle plus récente du côté gauche. Sur les murs, plusieurs inscriptions sont consacrées à la mémoire de seigneurs de Fontenay. Une pierre tombale de couleur bleue recouvre les restes d'Henri Le Berseur, chevalier, patron de Saint-Marcouf, commandant pour .Sa Majesté la ville et le château de Cherbourg, et qui mourut le 11 janvier 1644.

Les fonts baptismaux sont très anciens. Ils sont soute-


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nus par un fût de colonne pédiculée, composée de feuillesde laurier imbriquées, et dont la décoration est analogue à celle de certains monuments gallo-romains, notamment,, ceux découverts à Vieux (Calvados).

Deux bancs seigneuriaux du xvine siècle portent lesarmes des Le Berseur.

L'église renferme des reliques de saint Marcouf, saint Urbain, et saint Prosper. Les reliquaires ont été donnés par le marquis de Blangy.

La porte inférieure du clocher est romane, probablement du xie siècle ; la partie supérieure, qui comprend les grandes fenêtres géminées, a été comme nous l'avons déjà vu, retouchée au xxnr 3 et xive siècles. Mais, tout en conservant dans leur baie, la forme cintrée de leur première construction, les fenêtres se trouvent encadrées dans un eneolonnement du xnr 3 dont les chapiteaux sont à crochets et les voussures en ogive. Cette tour a trois voûtes superposées, qui semblent appartenir à des périodes différentes. Les trois cloches du carillon sont en dehors du clocher, dans l'ouverture d'une fenêtre.

L'église de Saint-Marcouf possède des modillons curieux du xie ou xne siècle.

La crypte est la partie la plus intéressante. On y pénètre par deux petits escaliers qui s'ouvrent dans le choeur de chaque côté de l'autel, et, de l'extérieur, par une porte très étroite percée au Nord. Les murs sont fort épais. Cette chapelle qui a près de mille ans d'existence est bien conservée. Elle était éclairée par six ouvertures : trois ont été bouchées. Celles qui restent n'ont pas plus de 0 m. 60 à leur orifice et s'ouvrent comme des soupiraux étroits placés sous terre.

La fenêtre qui l'éclairé à l'Orient est, garnie de cinq colonnettes de chaque côté. Comme Poculus se trouve au-dessus de l'autel, cette ouverture permettait d'apercevoir au large la lampe qui brûlait devant le tabernacle. Aujourd'hui, la brume nous empêche même de soupçonner la proximité de la mer. La crypte a 5 m. 40 de large, 9 m. de longet 3 m. 10 d'élévation. Les voûtes, de forme circulaire, se divisent en quatre grands compartiments, dont les intersections viennent s'appuyer sur quatre piliers qui occupent Je centre de l'enceinte, et sur leurs correspondants latéraux qui se trouvent à moitié engagés dans les murs. Les piliers eux-mêmes ont 1 m. 90 de haut. Ils sont uniformes et ont une rudesse qui les rapproche de l'architecture romane.

Une belle statue en pierre de Saint-Marcouf, assis, en costume d'abbé, portant la crosse et la mître a été donnée:


EXCURSION DANS LE COTENTIN 27

en 1874 par la famille de Pontgibaud. Derrière cette statue, des plaques de marbre noir portent des inscriptions à la mémoire des marquis de Blangy. Dans le cimetière sont les tombes des anciens châtelains de Fontenay. Non loin de là est la fontaine de Saint-Marcouf.

Elle offre l'aspect d'une maison avec un toît en pierre. Carrée à l'intérieur, elle a dû être abritée dans la fin du xme ou au commencement du xive. Au-dessus de l'ouverture de la fontaine, on remarque dans une niche la statue du saint que l'on invoque encore pour les maladies de la peau.

Du fief de Saint-Marcouf, peu de chose à dire. La famille Le Sauvage qui en avait la propriété au xvne siècle le transmit aux Costentin de Tourville, par le mariage de Jeanne Le Sauvage, fille de Julien, avec François-César de Tourville. Elle le vendit le 18 avril 1686, à Hervé Le Berseur, marquis de Fontenay et gouverneur de Cherbourg.

Je ne voudrais pas quitter Saint-Marcouf, sans dire quelques mots sur les îles de ce nom qui ont joué un certain rôle dans notre histoire normande.

Elles se trouvent à une dizaine de kilomètres au large. La profondeur du canal qui les sépare est d'environ 23 mètres. Peu avant 1789 le marquis de Blangy, qui en était seigneur, les offrit au Roi. En 1795, les Anglais s'y établirent pour en faire un poste militaire contre la France. Pendant dix années ils rendirent les communications par mer presque impossible, entre Cherbourg et le Havre. Ils lés gardèrent jusqu'à la paix d'Amiens. Une tentative faite en 1798 pour les en déloger, avait échoué. En 1871, un certain nombre d'insurgés de la Commune y furent enfermés. Dans la première, existent maintenant un phare et un sémaphore ; dans l'autre, les lapins pullulent.

H y a déjà un moment que nous sommes ici et nous nous étonnons de ne pas voir le car. Après un instant d'attente, un automobiliste des nôtres retourne vers Valognes en exploration, tandis que les autres se mettent en route vers Fontenay.

FONTENAY

Peu après avoir quitté l'église de Saint-Marcouf les autos tournent dans l'avenue de la Mer et arrivent quelques minutes plus tard devant le château lui-même.

Au moyen âge, une forteresse nommée le château de Courcy se trouvait à trois kilomètres de là. Il est possible


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EXCURSION DANS LE COTENTIN

que cette forteresse ait été rasée et remplacée par la joliepetite demeure Louis XIV encore subsistante.

«Le château actuel de Fontenay, édifié par Henry LeBerseur, deuxième marquis de Fontenay, grand baillif d'épée du Cotentin, fait suite à une demeure d'époque Louis XIII dont il ne subsiste plus que les doubles pavillons baignés par les douves. La constructipn de Fontenay a demandé vingt-huit années ; commencée en 1711, elle fut achevée en 1739. On débuta par l'aile des cuisines ; les corps intermédiaires furent édifiés entre 1727 et 1732, et l'on termina par la chapelle. On avance que Mansard aurait tracé le plan primitif dont l'exécution fut retardée ; les' bassins et le parc furent terrassés par les soldats en leurs quartiers d'hiver, d'après un dessin de Le Nôtre. La façade du château est de pur style Louis XIV ; la façade sud imprégnée du style de la Régence (1). » Le château est tout entier construit sur un sous-sol. Le corps central, long de neuf fenêtres,, surmonté d'un étage, est symétriquement flanqué de deux galeries couronnées de colonnettes, et prolongées elles-mêmes"de deux pavillons sans étage. Sur la droite se développent les communs enveloppés de lierre ; des plans

que nous verrons, confirment que seuls des tilleuls taillés: relièrent jamais le pavillon des remises au bâtiment principal. Derrière le château une terrasse, bordée de mosaïques fleuries-, est séparée du parc par de larges douves que franchit un pont-levis maintenu en bon état de fonctionnement. Au milieu des pelouses rectangulaires, deux bassins aux formes géométriques sont creusés dans l'axe du perron. Les. cygnes sont nombreux.

Château de Fontenay.

(Cliché du vicomte Dauger.)

(1) Communication du Comte O. de Vergennes à ses groupes.


EXCURSION DANS LE COTENTIN

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Avant de commencer le récit, j'exposerai aussi brièvement que possible l'histoire des propriétaires successifs de Fontenay.

Le 1er mai 1522 un Le Berseur acquit la fieffermè de Fontenay et dépendances. C'est à cette famille que Fontenay. doit sa gloire. Il est donc intéressant de savoir d'où elle venait et qui elle était.

« La maison des Le Berseur tire son origine de la ville de Bressuire ou Bercuire qui leur appartenait. On cite Ebles Le Berseur au début du xe siècle. En 1040, l'un d'eux rend hommage de sa ville de Bersuire au comte de Thouars. Sitôt le xme siècle, remonte pour se fixer définitivement en Cotentin, un Le Berseur, capitaine dans les

armées victorieuses de Philippe-Auguste, arrachant cette province à Jean-sans-Terre. Hervé Le Berseur (1579-1644) quitte le vieux Courcy pour s'établir à Fontenay, où il fit ajouter en 1610 les deux pavillons et creuser leurs fossés franchis par un pont-levis accédant à la grande porte armoriée disparue. Son petit-fils, également appelé Hervé (1641-1696), fut créé marquis de Fontenay par Louis XIV en 1673. Il épousa Mlle de la Luzerne dont naquit Henri en 1677, deuxième marquis et constructeur du château actuel avec l'aide de ses frères. Il fut pourvu le 26 octobre 1726 de la charge de Grand Bailli.du Cotentin. Du fait de cette charge, il avait la juridiction militaire sur toutes les troupes de terre et de mer de la région ; complètement indépendant du gouverneur de la Normandie, il ne relevait que du Grand Maître de l'Artillerie; (le comte de Toulouse), et du Roi ; cette dignité fut désormais héréditaire dans sa famille (1). »

Château de Fontenay.

(Cliché de M. Dulong de Rosnay.)

(1) Suite delà communication du'comte O.de Vergennes à ses groupes.


30 EXCURSION DANS LE COTENTIN

C'est lui qui composa les deux in-folio monumentaux, connus sous le nom de « Chartrier de Fontenay», publiés, en extrait, par l'un de ses descendants, l'actuel comte de Pontgibaud. Il mourut sans postérité, et dès 1753 s'était démis de sa charge en faveur de son neveu, le marquis de Blangy, héritier du marquisat de Fontenay et qui en reçut le nom.

René-Bernard Le Berseur (1689-1753), frère du marquis Hervé, épousa Marie de Malherbe qui lui donne trois filles ; l'une s'allia au marquis de Mathan, l'autre devint marquise de Blangy et n'émigra point, ce qui sauva Fontenay d'une vente nationale. Avec elle s'éteignait en 1818 la vieille famille des Le Berseur.

Son fils aîné avait épousé la fille du marquis d'Estampes, celle que l'on appelait la « Belle Africaine » et qui fut dame d'honneur de Madame Elisabeth. Ils eurent deux fils : Xavier et Maximilien. Le marquis Xavier de Blangy laissa trois filles, dont la comtesse de Pontgibaud. Et c'est ainsi que le château de Fontenay devint la propriété de Mademoiselle Renée de Pontgibaud, par son mariage, comtesse Edouard de Germiny.

Les autos se rangent dans la cour d'honneur. Le Président pénètre dans le château avec quelques-uns de nos confrères portant le drapeau, qui, pour la première fois, nous accompagne et restera placé dans le vestibule pendant les quatre heures que nous passerons ici.

M. de Germiny, désirant que chacun voie et entende commodément, groupe autour de lui une quinzaine de personnes et la visite commence.

J'ai reproduit déjà les notes historiques lues par M. le comte Octon de Vergennes aux autres groupes, avant que Mme la comtesse de Plinval-Salgues et lui-même ne pilotent chacun, avec la plus extrême bonne grâce. Nous devons beaucoup à ces deux parfaits cicérone.

Pendant que ce premier départ s'effectue, nous montons à l'étage où Mme de Germiny a fait disposer dans le vaste corridor une immense table sur laquelle sont placés les rafraîchissements. Tous les excursionnistes, sans distinction d'âge, y font honneur.

On jette, de cet observatoire, un coup d'oeil d'ensemble sur les perspectives que détaille un plan accroché au mur.

Nous arpentons ensuite le parc et le vaste potager. C'est pour nous l'occasion d'admirer l'ordonnance des grandes avenues formant voûte, conduisant aux routes, ou bordant les « Miroirs ». Le Jardin des Cygnes avec ses parterres de lierre, ou encore les ifs du « Petit Jardin de Monsieur »


EXCURSION DANS LE COTENTIN

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retiennent un instant les congressistes avant la traversée des communs'pour revenir devant le château. Dans l'attente -de notre tour, on stationne ^un moment sur le perron, ce dont profitent les photographes. Enfin la porte s'ouvre et la visite commence.

M. de Germiny, qui dirige le groupe dont je fais partie, â bien voulu m'autoriser à noter ses explications. Nos confrères lui seront reconnaissants d'avoir ainsi permis de

conserver avec encore plus de précision le souvenir délicieux de ces heures passées dans le cadre charmant d'un siècle luxueux et artiste.

D'abord, le vestibule. Il renferme des médaillons de marbre et surtout, une statue d'Amour du xvme siècle, captant un papillon en lui faisant sentir une rose.

A sa droite, ouvre la salle à manger : pièce en boiseries Louis XIII, et comme la chapelle, demeurée absolument intacte. Les quatre dessus de porte sont attribués à l'école de Boucher. A gauche de la cheminée, toile représentant un marchand de volailles faisant l'article à un reître et à une jeune femme. Les animaux sont de Sneyders. Ici, un pastel d'Oudry est accroché au-dessus de la console, où sont exposées des porcelaines variées : du Rouen, du Sèvresjà la Reine, du Japon et des soupières des Indes. Les châtelains ont eu l'heureuse inspiration de les présenter sur les meubles ou consoles. C'était un usage courant au XVIII 6 siècle. En face, est une argenterie aux armes du marquis de Bandeville, style Louis XV, presque Louis XVI pour les si légers flambeaux (1754-1766), exécutée, croit-on, d'après un dessin de Messonier.

Sur le perron du château de Fontenay.

(Cliché du comte Henri d'Orglandes.)


32 EXCURSION DANS LE COTENTIN

Avant de voir l'aile des salons, nous nous arrêtons un instant dans la chambre qui forme pendant à la salle à manger ; outre le meuble au ton de soie cerise et l'aiguière de la marquise de Blangy (1764), l'original trumeau figurant une opulente vestale flamande fait saillir d'amusants commentaires.

Puis nous parcourons l'enfilade qu'éclairent dix-neuf fenêtres donnant sur le parc. D'une manière générale les visiteurs s'accordent pour relever la gaîté de la lumière qui s'allie avec les boiseries, ou vient jouer sur les dorures différentes et tourmentées du style Régence. Je n'énumérerai pas toutes les pièces regardées tour à tour. C'est presque un inventaire de l'intérieur de Fontenay qu'il me faudrait établir, cette liste tournerait au catalogue d'une vente à l'hôtel Drouot et je suis forcé de synthétiser nos impressions..

Dans le salon d'hiver, signalons des sièges recouverts de Beauvais rose, aux fables de La Fontaine et aussi, une tasse donnée en 1788 au marquis de Blangy par son parrain, le futur Louis XVIII ; un imposant tableau de Carrache :: la Pêche ; un dessus de porte, sans doute d'Oudry et le portrait de Louis XIV par Van der Meulen. Le joyau de cet appartement est le tapis de la Savonnerie de haute lisse, remarquable par les palmes, de pure époque Louis XIV, qui en forment la bordure et le collier du Saint-Esprit, encerclant le bleu velouté du motif central. Parmi les porcelaines, un Luné ville ayant appartenu à Stanislas Leckszinki.

Dans le petit salon chinois, on remarque surtout lespeintures au-dessus des portes : Mlle de Malherbe, dame de Fontenay ; Jupiter enlevant Europe ; enfin le trumeau de cheminée Régence, reproduisant les traits affinés du marquis de Fontenay, père du constructeur.

La Galerie nous accueille ensuite. Dans cette vaste pièce,, une nombreuse argenterie s'efforce d'éclairer le fond terne d'une décoration trop récente. Les scènes mythologiques pendues aux murs guident l'esprit vers la Grèce, tandis que deux compositions historiques se regardent : le festin de Balthasar, d'un peintre flamand, auquel donne la réplique de la toile d'Andréa Vicentino : l'entrée d'Henri III à Venise. Le Roi est reçu par le Doge Foscari, le cardinal et un grand nombre d'autres dignitaires et de dames en hennin. Plus de deux cents personnages sont portraicturés. dans le costume si riche, en usage dans la ville des Doges. On ne sait comment cette peinture a quitté Venise ; c'est assurément l'une des plus curieuses pièces de la collection.

La chapelle termine cette aile. Construite sur le modèle-


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de celle de Versailles, en réduction, elle est demeurée telle qu'en 1739, ayant conservé ses lustres de l'époque et un christ janséniste. Les burettes en argent sont de style Louis XIV. Les argenteries de cette époque sont rares, car lorsque la fortune de la guerre obligea le Roi d'envoyer à la fonte une partie de sa vaisselle plate et le célèbre mobilier de la Galerie des Glaces, les seigneurs l'imitèrent, contribution volontaire de l'époque, qui exclut toutefois l'orfèvrerie religieuse. Des ornements de tenture en damas sont exposés à notre intention. Enfin, dernier souvenir, un pal fait avec l'étoffe d'une robe de madame Elisabeth.

Nous regagnons le salon central qu'un autre groupe vient de quitter. Au plafond sont fixées plusieurs toiles : séries de portraits de grands hommes du siècle de Louis XIV. Les dessus de porte représentent Mme de Fontenay née de Malherbe aux différents stades de son existence. Notons; que dans ce « Salon de compagnie d'été » les sculptures murales, pas plus que les encadrements ornementaux des. glaces, ne furent dorés. Deux tableaux sont les portraits; du Grand Condé par Rigaud, et d'Anne d'Autriche par •Mignard. Penchons-nous également sur le tric-trac de Marie-Antoinette à Fontainebleau, attribué à Riesener.

Une chaise longue Louis XV présente la curieuse forme dite « bateau ». Un délicieux et fragile bibelot retient longtemps notre attention : c'est un Amour au chat, traînépar des papillons, cadeau offert le l'r janvier 1785 par Mme Elisabeth à « sa petite Blangy ».

Rentrant dans le domaine des ors chatoyants, la chambre d'apparat offre son trumeau qui ne semble pas s'étonner du mobilier parisien et Louis XVI de la marquise d'Estampes de la Ferté-Imbault, fille de madame Geoffrin ; un bureau Régence complète ce mobilier.

Le marquis de Fontenay, constructeur du château, et peint par Rigaud, figure à côté du lit somptueux.

Le home de nos hôtes occupe les cinq pièces de cette seconde aile, terminée par la bibliothèque. Voici le boudoir de la châtelaine : dentelles et miniatures y attendent le palper de mains féminines. Vénus traque un Vulcain en tapisserie d'écran ; une vestale de traits réguliers n'est autre que MUe de Malherbe, dont les yeux étincellent en un coin d'ombre. Un large divan repris dans la cloison inciterait au repos ; il est surmonté de rinceaux en bosse dorée de la plus brillante fantaisie, tandis que la toile de fond, brossée par Boucher, rappelle en son ciel, celui qui se découpe par la fenêtre ouverte ; des sources en cascade jaillissent du milieu de rochers peints, sur verre


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pour éclairer d'arrière-cabinets : curieuse adaptation de l'époque. »

Nous retrouvons dans la chambre de Mme de Germiny des toiles attachantes à différents titres : le Régent, en novice des chevaliers du Saint-Esprit, par Lebrun ; le chevalier de Feron, élevé à la cour de Louis XIV, et mari d'une Fontenay ; un pastel dû à un artiste du Cotentin, représentant le marquis de Blangy.

Nous allons désormais fixer nos yeux sur les décorations presque Louis XIV de Desportes, de qui les animaux fantastiques mais si chatoyants vont se succéder. Gardons une minute toutefois pour la bergère rose et verte de la dernière Fontenay, comme pour la bourse de bal de la « Belle Africaine (1) ».

Le jour tamisé du Boudoir à coiffer caresse doucement les porcelaines au pied de tableaux qui ne sont guère appropriés à cette intimité : le sac de Rome du Bassan ; plus dans la note toutefois, apparaissent les rutilances et le fourmillement des Fiançailles marseillaises du fils de François Ier (2).

Court arrêt chez notre hôte pour contempler le jeune comte de Toulouse en Grand Amiral de France, toile remisepar lui au comte de Fontenay. Nous retrouvons des fauteuils transitions aux boiseries lourdes, mais dont les arabesques légères sont tapissées d'agréable camaïeu.

Dans la Bibliothèque, des Régences grêles portent l'estampille de J.-B. Lelarge, mais les regards convergent vers le Semainier et les pièces offertes à Colbert par la corporation des ébénistes parisiens : nous en faisons jouer les secrets ingénieux, tandis que les marqueteries reproduisent armes et monogrammes parlants de 1664. Faisant symétriquement face à un bureau Régence, dont le coin porte un flambeau d'argent d'époque transition Louis XIII sont pendues deux toiles de facture très opposée : la tête expressive d'un vieillard découpée dans un panneau qui s'apparente à l'école de Rembrandt, et une vue champêtre où joue la lumineuse clarté italienne du maître d'Hubert-Robert.

Notre visite est terminée. Sous le charme de l'accueil délicat de M. de Germiny, de l'érudition très complète du Comte Odon de Vergennes, qui répond infatigablement

(1) Fontenay possède d'elle sa miniature, son portrait attribué à l'école -de David, sa robe de présentation à la Cour, en broderies, des souvenirs de la famille royale, qui lui furent remis. Cf. l'ouvrage de Constantin Photiadès sur la Reine de Lanturelus. Paris, 1928.

(2) Cette toile a reçu au cours des âges des attributions très variées : nous citerons le Titien, le Teintoret, école de François Clouet, Martin de Vos (1531-1613).


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aux interrogations de ceux qu'il guide, de la grâce souriante déployée par la Comtesse de Plinval-Salgues, les groupes rejoignent leurs confrères sur le perron.

Nous y apprenons que plusieurs malheureux, restés une heure et demi en panne sur la route, dès la sortie de Valognes, ont du venir ici directement, sans voir l'église de SaintMarcouf.

M. Tournouër, en notre nom à tous, adresse à M. de Germiny ses remercîments les plus réellement sincères pour cet accueil inoubliable. Il lui exprime ensuite ses regrets que Madame de Germiny ait été empêchée de se trouver au milieu de nous et chacun regagne sa voiture après un dernier coup d'oeil sur cet ensemble de bâtiments si simple de lignes mais si majestueux.

Il est déjà tard, le reste du programme est supprimé, nous ne verrons ni Sottevast, ni Brix. Sur cette dernière localité je donnerai cependant une courte notice,

Cette seconde journée se clôtura joyeusement par un dîner très animé ; d'aucuns ont dit bruyant. Puis on se retira, en souhaitant aux abonnés de l'auto-car de-n'avoir plus à s'exercer à la marche à pied, voeux stériles, hélas ! comme le prouvera la suite de cette histoire.

APPENDICE

BRIX

Antérieurement au règne de Henri IVj une verrerie existait sur la lisière de la forêt de Brix. Elle appartenait en 1598 à MM. de Belleville. En 1616, ils étaient les seuls en Basse-Normandie à fabriquer du verre en plat. En 1646 la verrerie de Brix produisait du cristal. Au xvme siècle, on y faisait des bouteilles et des verres à boire.

Son maintien était désirable ; elle assurait du travail autour d'elle ; elle produisait à bon compte aux habitants des bouteilles en verre, et elle occasionnait aux intéressés de la manufacture de glaces établie à Tourlaville la vente du « picadil », matière de rebut provenant de celle dont on faisait les glaces. La cendre


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de varech, le picadil, et la soude d'Alicante, venant d'Espagne, étaient les matières dont se servait le sieur de Belleville pour fabriquer les bouteilles et verres à boire. La verrerie de Brix employait quatre gentilshommes qui ouvraient, et. coupaient le verre ; quatorze ou quinze travailleurs roturiers qui faisaient les bouteilles, débitaient les bois et faisaient les charrois, quand le verre était bon, chaque gentilhomme pouvait faire par jour 150 verres fins et un roturier, 150 bouteilles, on usait par an 3 à 400 cordes de bois.

La verrerie cessa à la Révolution. On tenta sans succès vers 1800, de lui donner une nouvelle vie. Il n'en reste rien.

(D'après O. Le Vailant delà Fiefîe : Les Verreries de Normandie.)

Vers l'extrémité est du sommet où se trouve l'église, quelques «débris de maçonnerie indiquent l'emplacement du '« château d'Adam» élevé au xir 3 siècle et confisqué au xme par PhilippeAuguste qui le fit démolir. Il fut le berceau des Bruce, famille illustre, alliée au conquérant et d'où est sorti le plus grand roi •d'Ecosse. Walter Stuart ayant épousé Marie Bruce, fille de Robert Ier, et soeur de David II, dernier roi de sa race, transmit ;) sa descendance le trône d'Ecosse.

La branche restée normande porta le nom de son domaine ; les barons de Brix avaient droit de séance à l'échiquier de Normandie.


TROISIÈME JOURNÉE : Mercredi 31 Août

Lorsque nous nous réveillons, une brume épaisse enveloppe Valognes. En. route, nous distinguons à peine les voitures qui nous précédent, nous repassons devant Colomby dont la flèche aérienne s'estompe dans un nuage opaque, et, après un trajet de 14 km; environ, nous faisons halte à Rauville-la-Piace.

Il paraît que du cimetière la vue est intéressante. On domine Saint-Sauveur-le-Vicomte qui, au fond du vallon, semble se serrer autour des ruines de son vieux château. Malheureusement ce brouillard londonien rétrécit notre horizon, nous ne voyons rien que ce qui nous entoure.

L'unique cloche sonne notre arrivée dans la vieille chapelle que nous remplissons sans peine. Nous avons la chance d'avoir pour nous guider, un poète, un écrivain fort connu, M. l'abbé Roblot, en littérature Jacques Debout.

Il nous parle en historien de ce sanctuaire de Notre-Dame de Délivrance. La tradition rapporte qu'en cet endroit, une première chapelle aurait été construite au xme siècle, en l'honneur de saint Jacques-des-Lépreux, mais ce n'est qu'une tradition car on n'a, retrouvé nulle trace de ce monument, non plus que de la léproserie.

L'édifice actuel est de la fin du xve ou du début du xvie. Bien qu'aucun texte ne le prouve, il est très probable qu'on le dédia à Notre-Dame de Délivrance en souvenir de l'expulsion des Anglais après la guerre de Cent ans.

Pendant deux ou trois siècles, il y eut un chapelain attitré. Les pèlerinages étaient nombreux et les miracles assez fréquents. Depuis une vingtaine d'années le culte n'y est pas célébré régulièrement. Des prêtres du voisinage y disent l'office de temps à autre. La chapelle a été restaurée au xixe siècle. Parmi les quelques pièces du mobilier, on voit une bannière offerte par les fidèles du duc d'Aumale, et une autre donnée par le duc de Nemours.

La statue de Notre-Dame de Délivrance de 1599, est surtout remarquable par l'attitude inaccoutumée de l'Enfant-Jésus qui semble jouer avec sa mère. On a beaucoup discuté sur cette statue qui serait l'oeuvre d'un Italien. Dans le geste de l'Enfant, certains ont voulu voir l'image du Rédempteur, cherchant à s'échapper des bras de sa mère pour aller à la conquête du monde. Il semble beaucoup


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plus naturel et vraisemblable de ne pas chercher des allusions si compliquées et de voir ce que l'artiste a représenté.

Nous repartons sous un ciel moins obscur, et quelques minutes plus tard,nous arrêtons nos voitures à Saint-Sauveurle-Vicomte, non loin du Barbey d'Aurevilly, de Rodin.

SAINT-SAUVEUR-LE VICOMTE

Saint-Sauveur paraît pour la première fois dans l'histoire à la fin du Xe siècle. C'était là qu'habitait le vicomte chargé de l'administration du Cotentin, d'où ce nom.

Le plus ancien vicomte connu est Roger mort vers 996 ; il fonda l'église qui est devenue plus tard l'abbaye bénédictine. A Roger succéda Néel, gouverneur de Normandie pendant la minorité de Guillaume le Bâtard. Son fils Néel II prit part à la conjuration de Guy de Bourgogne et fut battu au Val-ès-Dunes.

De la seigneurie de Saint-Sauveur dépendait la moitié de l'île de Guernesey. Le duc de Normandie confisqua l'île au profit des moines de Noirmoutier. Néel ne paraît pas avoir pris part à la conquête de l'Angleterre. Il assista en 1077 à la dédicace de Saint-Etienne de Caen. Le titre de vicomte passa à son fils Eudes, auquel succéda Roger. Celui-ci laissa son héritage à sa nièce Léticie, femme de Jourdain Tesson. Ce Jourdain défendit le château de Cherbourg assiégé par Geoffroy Plantagenet et fit de grandes libéralités à plusieurs abbayes. Il laissa cinq enfants, dont Raoul qui suit, et Cécile mariée à Foulques Paisnel. Raoul Tesson siégea à l'échiquier de Normandie en 1190, et fut, par Jean sans Terre, nommé Sénéchal de la même province en 1201. Il mourut vers 1213 laissant trois filles qui contractèrent de brillantes alliances. Pernelle épousa Guillaume Paisnel ; Jeanne épousa le sire de Bricquebec, et Mathilde, Richard d'Harcourt ; c'est ce dernier qui succéda à son beaupère dans la baronnie de Saint-Sauveur. Il fut l'un des onze barons normands invités à assister au sacre de Saint-Louis à Reims le 29 novembre 1226. Il mourut vers 1237. A la fin du xme siècle Robert d'Harcourt, baron de Saint-Sauveur, devint évêque de Coutances. Son neveu, Jean III, lui succéda, puis son petit-neveu Godefroy. Godefroy voulut épouser Jeannette Bacon ; mais le maréchal Robert Bertrand l'avait déjà demandée pour son second fils. D'où inimitié féroce et préparatifs de guerre entre les deux familles. Le Roi leur défendit de guerroyer sous peine de voir leurs


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biens confisqués. Il est probable qu'elles s'inclinèrent, mais l'année suivante Godefroy fit assiéger le château de Neuilly, résidence de Guillaume Bertrand, évêque de Bayeux. Il mit aussitôt Saint-Sauveur en état de défense et quitta le pays pour échapper à la punition. Trois de ses complices furent décapités à Paris.

. Réfugié en Flandre, il se lassa vite de cette région et passa en Angleterre. Il fit hommage au Roi Edouard III qui s'engagea à protéger ses intérêts et à lui servir une pension.

En 1346, le Roi, l'armée anglaise et Harcourt débarquèrent à Saint-Vaast-la-Hougue. Cette invasion devait se terminer pour la France par la bataille de Crécy et le siège de Calais.

Pris de remords, après avoir vu son frère Jean, tué dans le camp adverse, celui du Roi de France, Godefroy quitta l'armée anglaise et obtint de Philippe de Valois, sa grâce inespérée. Ses domaines lui furent restitués. Il releva sa forteresse ruinée, mais il restait d'une turbulence redoutable. En 1354, il organisa sa fameuse expédition contre Chiffrevast. Personne n'osait plus lui résister dans tout le Cotentin. Le Roi l'assigna devant le Parlement. Il n'y alla pas. Après de nouvelles aventures, il fut tué en 1356. Il avait tour à tour, prêté ses services aux Rois de France, d'Angleterre et de Navarre.

Depuis sa mort jusqu'au traité de Brétigny (1356-1360) le Cotentin demeura au pouvoir des Anglais et du Roi de Navarre. Peu après Brétigny, Edouard III disposa de Saint-Sauveur en faveur de Jean de Chandos, son lieutenant pour le royaume de France. Jean de Vienne le lui reprit en 1376 après un siège et des discussions mémorables. Charles V fit réparer les fortifications, et le donna successivement à Bureau de la Rivière et à Charles d'Ivry. Les Anglais le reprirent en 1418 sur Robert de Fréville, qui alors, y commandait pour le comte d'Harcourt. Ils y restèrent jusqu'en 1450.

Après Formigny, Saint-Sauveur passa à Jean d'Harcourt, puis à Jean, comte de Dunois, et enfin à André de Villequier, chambellan de Charles VII, mari d'Antoinette de Magnelais. C'est sur elle que Louis XLle confisqua. Montgommery s'en empara en 1574 ; les Ligueurs l'attaquèrent sans suc-- ces en 1589.. Guillaume Lambert, de la famille des futurs barons de Chamerolles, en était alors gouverneur.

La forteresse fut démantelée en 1598.' Son rôle dans l'histoire était terminé. Le domaine changea souvent de propriétaire. Je citerai seulement Christophe de Bassompierre et Marie de Médicis. En décembre 1691, Louis XIV y établit un hôpital, qui existe toujours, puis en 1697, il le donna


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au duc de Toulouse. Ses descendants le conservèrent jusqu'à la Révolution.

Je n'insisterai pas longtemps sur les ruines. L'enceinte était divisée en deux forteresses qui permettaient aux assiégés de supporter deux assauts avant que de se rendre ; nous pénétrons dans une cour où se trouve le donjon que nous visitons.

Il a près de 24 mètres de haut du côté des fossés et environ 16 mètres au-dessus du niveau de la cour. Comme à Bricquebec, on y pénétrait par un escalier volant en bois, communiquant avec une porte qui s'ouvrait à 4 m. 15 du sol et conduisait à une grande salle qui existe encore. Elle est remarquable par ses dimensions 7 m. 45 et 6 m. 60 ; et en hauteur 5 m. 93 : six fenêtres percées dans des murs très épais l'éclairent. Nous voyons aussi une grande cheminée et une jolie piscine. On communiquait aux autres étages par un seul escalier tournant, que nous gravissons aujourd'hui. Une salle, plus petite que la précédente, occupe le second étage et supporte, de nos jours, la plate-forme. De cette hauteur, le regard porte au loin sur un horizon de landes rocheuses, de bois et de prairies. Nous redescendons et pénétrons dans le rez-de-chaussée actuel du donjon, c'est une salle voûtée, qui sert de cuisine à l'hôpital et se trouve à peu près au niveau du sol de la cour. Elle est soutenue par un large pilier octogone qui en occupe la partie centrale et sur lequel viennent s'appuyer les voûtes, de forme ogivale, divisées en quatre grands compartiments. Elle est faiblement éclairée par deux ouvertures garnies de croisillons. La lumière électrique produit un effet singulier dans ce cadre moyenâgeux.

Près de l'entrée du château, dans l'enceinte même, une pièce a été consacrée au souvenir de Barbey d'Aurevilly : c'est à lui que j'en arrive maintenant.

Barbey d'Aurevilly est trop connu pour que j'aie besoin de parler de son oeuvre, au point de vue style ou idées. Je n'en aurais d'ailleurs pas la compétence.

Il est né à Saint-Sauveur-le-Vicomte le 2 novembre 1808, non pas dans la maison paternelle, comme d'aucuns l'ont cru pendant longtemps, mais dans la maison de la place du marché, où Mme d'Aurevilly était venue passer la soirée chez son oncle le chevalier Lefebvre de Montressel.il mourut à Paris le 23 avril 1889, dans son modeste logis de la rue Rousselet.

Nous visitons le musée, ce qui ne demande pas beaucoup de temps ; il occupe en effet une seule pièce. Sa création fut décidée en 1924, grâce aux libéralités de Mademoiselle


EXCURSION DANS LE COTENTIN 41

Head, exécutrice testamentaire de Barbey. M. Louis Yver, grand admirateur de l'écrivain, s'est attaché avec un soin pieux à rassembler tous les objets qui lui ont appartenu ; ils constituent aujourd'hui le Musée de Saint-Sauveur. Ces objets ne possèdent que la valeur du souvenir, mais quel souvenir et quel rappel de pauvreté et de simplicité ! Ce sont les choses les plus usuelles de sa vie courante : son couvert, sa fameuse robe de chambre, sa redingote lustrée \ sa boîte de papier à lettres, ses plumes d'oie, et ses encres de toutes couleurs, les différentes éditions de ses livres, ses portraits et de multiples autographes ; les meubles au milieu desquels il a toujours vécu ; le bureau sur lequel il a écrit tous ses romans ; le lit même dans lequel il est mort.

Ses oeuvres les plus connues sont, dans l'ordre chronologique : Une vieille maîtresse (1851) ; L'Ensorcelée (1854) ; Le Chevalier Destouches (1864) et Les Diaboliques (1874).

On inaugura son buste par Rodin, en 1909. La foule ne le connaissait pas et demeura indifférente. On entendit -ce jour là des discours de Frédéric Masson et de M. Georges Le Comte.

Le 23 avril 1926 ses restes mortels furent rapportés dans sa ville natale. M. Henri Bordeaux représentait l'Académie Française. M. Maurice Souriau, professeur à la Faculté des Lettres, et pour la circonstance, délégué de l'Université de Caen publia dans les Débats du 25 avril 1926 un récit des funérailles.

Nous allons en une longue file, par l'étroit sentier qui serpente sous les pommiers bas, saluer la tombe du « Connétable des Lettres ».

En tête de la dalle sont ses armoiries ; au-dessous, la simple inscription suivante :

JULES-AMÉDÉE

BARBEY D'AUREVILLY

SAINT-SAUVEUR-LE-VICOMTE

2 NOVEMBRE 1808

PARIS, 23 AVRIL 1889

Son frère l'abbé, enterré près de lui, l'avait ramené au •catholicisme pratiquant.

Nous remontons dans la cour du château : quelques tours de roue nous déposent devant l'Abbaye.

L'Abbaye. — Elle fut fondée en 1067 par Néel IL II y appela des bénédictins de Jumièges. Elle s'enrichit rapidement. Les revenus étaient considérables. L'abbé siégeait à


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l'échiquier de Normandie, et avait le patronage d'un grand nombre d'églises. L'abbaye avait un bailliage dont l'appel était porté devant le Parlement de Rouen. En 1277, Jean d'Harcourt lui donna droit de posséder des fourches patibulaires. Les moines de Saint-Sauveur étaient de puisants seigneurs, mais ils ne tardèrent pas à s'écarter de l'observation des règles de Saint-Benoît.

L'abbaye compta quarante-quatre abbés pendant les sept siècles qu'elle dura.

Roger de Salmonville, sixième abbé, permit à Robert, abbé du Mont Saint-Michel, de construire une chapelle pour l'usage de ses moines dans l'île de Jersey. En 1250, sous l'abbatiat de Pierre Ier, 10e abbé, Eudes Rigaud, archevêque de Rouen, passa en tournée d'inspection : 25 moines résidaient ; 14 autres étaient alors répartis dans les six prieurés dépendant du monastère. Il trouva les aumônes insuffisantes et négligées : « le pain est trop grossier et un homme n'en saurait manger ». On avait tenu compte de ses observations quand il revint quelques années plus tard.

Au xive siècle, les guerres mirent l'abbaye en détresse. Les troupes d'Edouard III la pillèrent et dispersèrent les religieux ; quand l'abbé Thomas Bigard mourut en 1390 le trésor était absolument vide et les bâtiments presque anéantis. On célébrait l'office divin dans le réfectoire. Pendant l'occupation l'abbé et les moines avaient émigré à Jersey. L'abbé Thomas IV n'eut même pas de quoi payer au Pape les Annales, ce qui fut cause de sa suspension.

Son successeur obtint de Clément VII remise de tout l'arriéré.

Etienne du Hauquet, 22e abbé en 1440, commença la restauration de l'église, mais ce n'est guère qu'à partir de 1451, sous le gouvernement de Jean Caillot, que les travaux importants furent entrepris. Après lui l'abbaye tomba en commende. Un bien triste personnage, en dépit de son nom et de son titre, Réginald de Bourbon, évêque de Laon, fut le premier de ce régime.

Je note parmi ses successeurs, Jacques III de Grimouvillequi fut enterré au pied du grand autel, le cardinal de Nogaret la Valette, archevêque de Toulouse, Jacques Lefebvre du Qûesnoy, vicaire général, puis évêque de Coutances.

Au xvne siècle, sous le règne de Jean IV d'Orenge des Roches, la décadence était complète. En 1666, il n'y avait plus que deux religieux. En 1743, il n'y avait plus personne. Des prêtres habitués acquittaient les fondations. La conventualité avait cessé d'exister dans le monastère.

La Révolution ne fit que consacrer un fait établi en le


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^supprimant. L'horloge, les cloches et les statues passèrent ji l'église paroissiale. Les bâtiments furent vendus nationalement le 4 juin 1791. Ils changèrent plusieurs fois de mains. Au début du xixe siècle on commença leur démolition partielle. En 1832, ils furent acquis par Mlle Louise-Charlotte Viel, originaire de Quettehou, devenue plus tard soeur Placide. Elle céda les ruines à Mlle Julie Postel, soeur Marie-Madeleine, supérieure des Soeurs de la Miséricorde, qui s'y fixa avec plusieurs de ses religieuses.

Marie-Madeleine Postel était née à Barfleur en 1756 ; elle mourut à Saun>Sauveur en 1846. Le 15 octobre 1832,

. avec six religieuses, elle vint prendre possession de l'abbaye abandonnée. La maison abbatiale encore debout les abrita ;

-elles construisirent une chapelle de fortune.

Cet événement excita la curiosité des gens de Saint-Sauveur, mais il émut un jeune menuisier de seize ans (1), François Halley,qui pressentit une vie nouvelle pour l'abbaye. Artiste et rêveur, il venait souvent s'asseoir dans les ruines abandonnées. « C'est vous, lui dit la mère Postel, qui rebâtirez cette église. » Elle obtint de l'évêché de Coutances les autorisations nécessaires

Mais en face de ces ruines, en présence de cette masse de décombres couverte de broussailles, au-dessus de laquelle se dressent, comme pour implorer pitié, des pans de murs et quelques arcades, -devant ce spectacle de mort, n'est ce pas une folie de vouloir ranimer ce cadavre ? n'est ce pas une entreprise insensée de la part d'un jeune homme de 22 ans et d'une vieille femme de 82 ans (2), l'inexpérience associée à la faiblesse ?

Comptant sur l'assistance divine plutôt que sur lui-même, François Halley se mit à l'oeuvre. La mère Postel aida ellemême à déblayer, à relever les pierres, à les ranger, à les classer. Halley prit des ruines plusieurs dessins qui l'aidèrent pour la reconstruction.

L'église primitive, commencée sous le pontificat de Geoffroy de Montbray, avait été bâtie du xie au xne siècle ; au xive, elle s'effondra en grande partie. Au xve, elle fut relevée dans un double style roman et ogival. C'est cette' église que Halley voulut reconstruire. En 1839, la mère Postel posa la première pierre ; les constructions. commençaient à prendre forme quand, en novembre 1842, une "tempête emporta presque tout. Effroi, stupeur, conster(1)

conster(1) était né à Saint-Sauveur, le 9 février 1816.

(2) Les travaux commencèrent en 1839.


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nation. Seule, la Supérieure garda son calme surnaturels On recommença, mais l'argent manquait. La mère Placide,, nièce de celle qui avait acheté l'abbaye, s'en alla de ville en ville, jusqu'à Paris avec une autre religieuse. Elles recueillirent plus de 700.000 francs.

En 1844, pour la seconde fois, la mère Postel posa la première pierre, et depuis, les travaux se poursuivirent avec un succès constant.

Mais elle mourut à quatre-vingt-dix ans, le 16 juillet 1846,, avant la dédicace de sa chère église. La mère Placide, âgée de trente et un ans, fut désignée pas elle comme supérieuregénérale. Sa cause est introduite en cour de Rome.

La mère Marie-Madeleine Postel fut inscrite au catalogue des Saints en 1925 par le pape Pie XL Les fêtes,de SaintSauveur, qui suivirent la canonisation, resteront longtemps dans la mémoire de ceux qui en furent témoins. Un triduum, célébré du 4 au 6 avril 1925, sous la présidence effective du cardinal Tacci, légat du Pape, et d'un grand nombre de prélats, montra que les Cotentinois avaient conservé dans leur coeur, le culte des saints de leur pays, culte déjà vivace au xme siècle, lorsqu'il s'agissait de prier près du tombeau du Bienheureux Thomas de Biville.

L'église est tout entière l'oeuvre de François Halley. Les sculptures en sont fort habiles ; mais il mourut avant d'avoir terminé la chaire dont les panneaux ne sont pas. travaillés.

Les ossements de sainte Marie-Madeleine Postel sont exposés dans un reliquaire à la vénération des fidèles. Une inscription dans le dallage du choeur, indique l'endroit où elle avait été enterrée. . Le maître-autel du xve siècle, en bois doré, fut rapporté vers 1850 du grenier de l'une des. églises d'Avranches.

Dans le bas de la nef, des stalles en vieux chêne, peut-être du début de xive siècle, sont remarquables. Elles étaient jadis à l'abbaye de Blanchelande, mais en morceaux informes. Leur propriétaire accepta de les donner à François Halley. Celui-ci les répara et en fit ce que nous les voyons. Les petits personnages des accoudoirs sont d'un travail particulièrement curieux et délicat ; les colonnettes ressemblent à celles du cloître du mont Saint-Michel ; les sourires de certaines têtes rappellent ceux des statues de la cathédrale de Reims..

Nous montons, par groupes, à la tribune d'où la sainte entendit la messe pour la dernière fois, la veille de sa mort puis à sa chambre transformée en chapelle. On y a réuni plusieurs objets qui rappellent sa vie quotidienne, et parmi


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eux, l'effroyable corset aux 1164 pointes de fer qu'elle porta, sans le quitter jamais, depuis l'âge de 18 ans jusqu'à sa mort, c'est à dire pendant 72 ans. Avant de quitter l'abbaye, toute notre reconnaissance va à Mme la Supérieure qui a bien voulu nous en ouvrir les portes et à M. l'Aumônier qui a dirigé avec tant d'amabilité notre visite.

Nous nous dirigeons ensuite vers l'église paroissiale ; un pèlerinage arrive comme nous sortons de l'abbaye.

M. le chanoine Normand, curé doyen de Saint-Sauveur, nous attendait dans son église. Il nous la fit visiter en connaisseur averti des richesses artistiques qu'elle renferme. Il a eu la très grande amabilité de m'envoyer le résumé de ses explications.

L'église se compose d'une large nef, avec deux bas côtés en appentis. Le choeur est aussi large que la nef. La tour placée contre le monument se termine en bâtière. L'extérieur n'a rien de particulièrement remarquable ; l'intérieur est intéressant.

Tous les siècles y sont représentés depuis le xme jusqu'au xixe: Les murs des bas côtés sont du xiir 8. Le portail du nord, classé par les Beaux-Arts est du xve ; les ornements ont été mutilés pour placer une statue. Le transept est de 1» même époque. De chaque côté, il se termine par deux belles fenêtres flamboyantes. Deux autres ont été supprimées dans le transept sud. Un autel richement décoré a été édifié dans le transept nord pour remplacer celui sur lequel avait été célébré en 1651, pour la première fois en France, la messe solennelle du Sacré-Coeur ; saint Jean Eudes prêchant alors une mission à Saint-Sauveur.

L'une des chapelles latérales renferme le caveau funéraire des d'Harcourt.

Beaucoup d'autres sépultures sont indiquées par des épitaphes en lettres gothiques sur les murs de l'église et même sur les piliers.

Ces piliers, cylindriques, courts, appuyés sur des bases octogonales n'ont pas de chapiteaux :,les arcs rentrent directement dans le fût des colonnes. Les arceaux de la voûte retombent sur des culs-de-lampe garnis de feuillage, placés entre les travées à la hauteur de la naissance des arcs. Les clefs de voûte sont formées de rosaces en feuillage.

Dans le mobilier de l'église il faut mentionner le lutrin du xve siècle, les curieux fonts baptismaux, et plusieurs belles statues.

Celle de l'Ecce Homo est unique. Le christ est debout, couronné d'épines, vêtu d'un large manteau ; il a les mains liées. L'artiste a merveilleusement rendu l'attitude de dou-


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loureuse résignation. Elle fut exécutée en 1532 dans les ateliers de Rouen et apportée par mer et par rivière, en même temps qu'une statue de sainte Barbe, de l'atelier de Carentan, statue dont les Beaux-Arts ont perdu la trace.

Elles avaient été commandées pour l'église de l'abbaye. Celle de l'Ecce Homo, y resta au moins jusqu'en 1775. Elle fut donnée à l'église paroissiale quand l'abbaye menaça ruine ; elle fut reléguée d'abord dans un angle de la sacristie, placée ensuite dans l'embrasure d'une fenêtre, et enfin, amenée, il y a une cinquantaine d'années là où elle est. Un saint Jean de Compostelle du xive siècle lui fait vis-à-vis ; nous remarquons une statue en bois (de saint Joseph) lamée d'argent.

L'autel principal est surmonté d'un rétable du xvnr 3 à sculptures très fines.

M. Tournoùer remercie M. le Doyen de ses nombreuses et intéressantes explications ; il le félicite du soin qu'il apporte à la conservation du beau mobilier de son église, et donne le signal du départ pour Olonde.

OLONDE

La seigneurie d'Olonde appartint d'abord à la famille de Canville. Un gentilhomme de ce nom prit part à la conquête de 1066. Richard, commanda une partie de la flotte qui porta en Terre Sainte, pour la Troisième croisade, les compagnons de Richard Coeur de Lion. Il fut, avec beaucoup d'autres, garant du traité de paix qui intervint entre ce prince et Tancrède de Hauteville, reconnu roi de Sicile. Ce Richard de Canville et un de ses parents, nommé Guillaume, moururent en Orient.

A la fin du xne siècle leur famille possédait encore de grands biens en Angleterre. Isabelle, fille unique de Richard, le Croisé, épousa vers cette époque, Raoul d'Harcourt, qui venait de voir entrer dans sa famille la baronnie de Saint-Sauveur-le-Vicomte. Son mariage contribua à faire de lui l'un des riches seigneurs de Normandie.

Philippe-Auguste ordonna la démolition du château-fort d'Olonde. En 1257 Thomas Néel était seigneur du lieu. Puis ce furent les Paisnel. Vers le milieu du xive siècle Guillaume Paisnel, baron de Hambye et seigneur d'Olonde, épousa Jeanne Bertrand, baronne de Bricquebec. Un siècle plus- tard, Olonde entra pour la seconde fois dans le patrimoine des d'Harcourt, par suite du mariage, en 1450, d'une dame d'Olonde avec Philippe d'Harcourt. La généalogie


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de cette famille est assez facile à trouver pour que je puisse me dispenser d'en détailler la filiation. Olonde appartient encore aujourd'hui au marquis d'Harcourt. La branche des Harcourt-Olondè est l'aînée de la branche ducale des Harcourt-Beuvron.

Le château actuel date du xvie siècle. Ses fenêtres à meneaux, ou simplement divisées par une traverse en pierre, ses tourelles en encorbellement, avec leurs petits

toits coniques, annoncent évidemment cette époque. Plusieurs fenêtres, ainsi que des ouvertures pratiquées dans les murs des tourelles, sont défendues par des grilles de fer. Les grands toits sont à pente rapide. Les travaux de défense qu'on reconnaît encore sont bien antérieurs au xvie siècle. L'épaisseur des murailles varie entre un mètre et deux mètres cinquante. On remarque dans les fossés des pans de mur démolis. On voit aussi sur le terre-plein de l'enceinte des ruines de murs et de tourelles qui fournissaient aux assiégés des points d'appui et de résistance. Les constructions qui ont survécu sont converties en bâtiments d'exploitation.

Dans la cour du manoir,-nous entendons, avec un vif intérêt, M. Asselin, vice-président de la Société archéologique de Valognes qui vient de nous rejoindre, parler de l'histoire d'Olonde et de ses possesseurs.

L'aspect de toutes ces ruines et de ces bâtiments est

4,

Manoir d'Olonde.

(Cliché de M. J. Pierrey.)


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sévère, et le brouillard qui les enveloppe en accentue encorel'austérité.

Barbey d'Aurevilly a fait du manoir d'Olonde le centre d'une partie de l'action d' Une histoire sans nom.

Nous prenons la direction de Portbail, nous rapprochant ainsi du bord de la mer.

PORTBAIL

Les origines de Portbail ont donné lieu à bien des discussions. L'accord n'est pas encore fait. M. de Gerville a soutenu que ce village avait été construit sur l'emplacement de la cité romaine de Grannonum. De fait, on a retrouvé dans le sol de nombreux débris romains : sarcophages, tuiles, poteries, monnaies. Le docteur Doranlo, président de la Société des Antiquaires de Normandie, estime, lui, que la question reste entière.

En 1925, au congrès de l'Association Normande, tenu à Valognes, M. Asselin, qui nous guide aujourd'hui même, a fait une conférence sur « les raisons qu'avait de Gerville de situer à Port-Bail-Gouey, la cité gallo-romaine de Grannonum ».

Il y eut ici un monastère dont le vicomte de Potiche et Gustave Dupont fixent la fondation à 679. Pégot-Ogier dit que Thierry III donna à l'abbaye de Saint-Wandrille de grands biens situés à Portbail et dans les environs.

Sous les Mérovingiens, l'agglomération était déjà importante. Au ixe siècle, le port était très fréquenté. Si l'on en croit le Roman de Rou, cette première abbaye fut détruite par Hastings et Bier, les mêmes qui avaient anéanti celle de Saint-Marcouf. Elle fut bientôt reconstruite : dès 1026,. d'après une charte de Richard III. L'église, donnée à l'abbaye de Lessay devint un simple prieuré. Dans le Livre Noir de l'Evêché de Coutances, rédigé en 1278, il est question de l'hôpital de Portbail. On a supposé qu'il s'agissait d'une léproserie.

La maison du prieur était située contre l'église, du côté de la mer. Il en reste des vestiges, dont la porte de communication voûtée en plein cintre est maintenant murée.

On croit qu'elle fut détruite par la mer, car jadis le flot venait battre le mur de clôture du cimetière. Elle existait encore en 1455. M. de Gerville a vu de grandes briques, qu'il disait romaines, et des murs fort épais.

On pense qu'au moyen âge, Portbail fut un centre de pèlerinage, où l'on aimait se faire inhumer, car on a


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toujours trouvé dans le sol une quantité de cercueils infiniment plus considérable que le chiffre probable de la population.

L'église Notre-Dame comporte une abside en niche, demi-circulaire, formant le sanctuaire. C'est, sans aucun doute, la partie la plus ancienne de l'édifice. La nef doit être de la même époque. On distingue encore des parties en arête de poisson.

Les colonnes et leurs chapiteaux sont très simples : roman primitif avec entrelacs et animaux grossièrement sculptés.

Plusieurs fenêtres sont romanes, d'autres en tierspoint. La tour possède à ses étages supérieurs des fenêtres rectangulaires à meneaux. La partie inférieure est voûtée sur croisées d'ogives. Les nervures reposent sur des corr

beaux représentant les quatre Evangélistes. Elle fut frappée de la foudre en 1676, ce qui nécessita d'importantes réparations. Elle se termine par un mur crénelé et par une flèche en pierre dont les arêtes ne correspondent pas exactement avec les siennes.

Lors des guerres de Louis XIV, les hommes chargés du guet de la mer, venaient faire la garde dans la tour de Portbail. Ils commirent des dégâts, contre lesquels la population protesta avec véhémence ; ils avaient dépendu les cloches,, emporté les cordes, pris les cierges, volé le livre des Evangiles pour en faire des bourres de fusil, etc.

Eglise de Portbail.

(Cliché de M. René Vezard.)


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Pendant la Révolution, l'église servit de caserne, et la sacristie, de prison. Un phare fut placé dans le clocher en 1856. Et afin de servir d'amers, elle a été blanchie sur trois de ses faces.

La chapelle nord s'ouvre sur le choeur et sur la nef par deux arcs en tiers-points, sans moulures. Deux statues de pierre ; une Vierge à l'Enfant, et un saint Jacques, semblent être du xve siècle, sous leur barbouillage de peinture moderne. Sur le mur nord sont les armes des Hellouin, seigneurs du Dick au xvme siècle, et dans le pavage, plusieurs pierres tombales, dont celle, aux inscriptions presque effacées, de Louis du Castel, seigneur du Dick. L'église est classée monument historique.

Nous sommes en avance sur l'horaire prévu. Aussi pouvonsnous aller, avant le déjeuner de Carteret, visiter l'église de :

BARNEVILLE

Elle est en grande partie du xie ou du xne siècle, et dédiée à saint Germain. Le bas côté sud ne fut construit qu'en

1893. La nef est un bon spécimen de l'art roman : les chapiteaux sont curieux par l'importance de leurs tailloirs et la variété de leurs sculptures ; l'un d'eux doit représenter le jugement dernier ; un autre est à entrelacs, comme à Portbail. Un arc ogival sépare la nef, du choeur qui parait être de l'époque de transition. Le chevet est plat.

Eglise de Barneville.

(Cliché de M. René Vezard.)


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Vers 1900, l'église fut restaurée avec goût ; Les réparations ont même été faites si soigneusement qu'il est difficile de savoir ce qui est ancien ou moderne.

La tour carrée à créneaux et faux mâchicoulis est sans doute du début du xve siècle. « En septembre 1449, dit Léopold Delisle, lors des opérations dirigées par François, duc de Bretagne, et le connétable Artus, comte de Richemont

une compagnie d'Ecossais qui servait dans l'armée de Charles VII, vient occuper la tour de l'église de Barneville, pour tenir en échec les garnisons anglaises de Saint - Sauveur-le-Vicomte et de Cherbourg. »

Les sires de Barneville, connus dès le xie siècle, comptèrent un des leurs à la conquête de l'Angleterre ; un autre était à la Croisade de 1097 avec le duc de Normandie. Il se distingua au siège de Nicée, monta à l'assaut d'Antioche et fut tué dans cette ville. Le Tasse l'a célébré comme l'un des plus fameux guerriers normands. Au siècle suivant

Eglise de Barneville.

(Cliché de M. Dulong de Rosnay.)


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Jourdain de Barneville fut l'un des principaux bienfaiteurs de l'abbaye de Saint-Sauveur-le-Vicomte. Les sires de Barneville ne figurent pas au livre des fiefs de PhilippeAuguste : ils avaient sans doute opté pour le parti de Jean sans Terre et leurs biens avaient dû être confisqués. Aux xve et xvie siècle-;, la seigneurie appartenait aux du Saussay.

Eglise de Barneville.

(Cliché de M. Dulong de Rosnay.)

Julien du Saussay était seigneur au temps de la recherche de Montfaut ; les d'Orglandes, à l'époque de celle de Roissy (1598) ; Antoine d'Orglandes avait épousé, en 1593, Marthe, fille et héritière de Léobin du Saussay seigneur de Barneville, Portbail, etc., et capitaine de Saint-Sauveur-le-Vicomte. Près de l'église, sur un point culminant dit le tertre à Malet, les Malet avaient un château fort dont il ne subsiste


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absolument rien. Le calvaire actuel se dresse sur son emplacement.

Une route de trois kilomètres relie Barneville à Carteret. Dès notre arrivée, nous allons déjeuner à l'hôtel d'Angleterre dont la salle à manger surplombe une partie du port, mais la mer est basse ; la magnifique nappe d'eau que nous aurions pu avoir sous les yeux s'est éloignée. Les barques sont inclinées sur un fond vaseux d'où émergent seulement quelques rochers.

Ici, un changement complet se produit dans la nature de la côte ; les falaises s'abaissent brusquement, pour faire place presque sans transition aux dunes qui se continuent jusqu'à Granville. Le départ étant fixé à 16 heures nous en profitons pour monter en assez grand nombre au sommet du cap, qui domine la mer, de 80 mètres. L'horizon est, en temps ordinaire, très vaste ; il s'étend de la pointe de Granville à celle de Flamanville ; et au large sur les îlots des Ecrehous ; puis Jersey, Serk, qui masque Guernesey ; Herm, et Aurigny ; mais le brouillard nous cache ces îles anglo-normandes ; vers le sud, s'allonge dans la brume, une grève imprécise.

Carteret n'a pas joué un grand rôle dans l'histoire et le passé ne l'a enrichi d'aucun monument intéressant. L'église a été très remaniée. Ses parties les plus anciennes datent du xne siècle. La chaire en bois sculpté est de l'époque Louis XIV.

Si un château a jamais existé ici nulle trace n'en subsiste. Un Carteret fut à la conquête de 1066 : la famille existe toujours à Jersey et en Angleterre.

Le port a une certaine importance du fait de son voisinage avec les îles.

Sous la Terreur, les émigrés réfugiés à Jersey, correspondaient via Carteret avec les royalistes de Basse-Normandie. Le chevalier Destouches y résida longtemps et fut dénoncé par un marin de cette localité. Barbey d'Aurevilly a raconté ses aventures extraordinaires.

Trois quarts d'heure de trajet nous amènent dans la petite ville de Bricquebec.

BRICQUEBEC

Contre l'usage général du moyen âge, on n'a cherché, en construisant le château de Bricquebec, ni les avantages ' de l'escarpement, ni ceux du voisinage des eaux. L'enceinte qui a la forme d'un polygone irrégulier porte le cachet du xme siècle. Elle était défendue par huit tours, y compris


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le donjon et la tourelle commandant la porte d'entrée principale. On voit encore une partie des fossés.

Nous montons au donjon qui est la partie la plus intéressante. Il a une base de onze côtés, figure géométrique très rare dans les anciennes constructions de ce genre. Contrairement encore à l'usage, il est tangent au rempart. Il est placé sur une motte de terre de 17 mètres de haut. Il semble antérieur au xme siècle, mais il fut retouché aux xve et xvie.

Les marches par lesquelles on y accède sont de construction récente. On pénétrait jadis, soit au moyen d'un espèce de panier que des poulies abaissaient ou relevaient tour à tour, soit par une échelle ou un escalier volant.

Il était puissamment défendu par des mâchicoulis, parapets, chemins de ronde, etc. Les murs ont un peu plus de 3 mètres d'épaisseur. Intérieurement, les étages ont disparu. Ce trou circulaire, où le regard se promène librement, a vingt-deux mètres de haut, et donne une forte impression de solidité et de puissance. Il était jadis-divisé en cinq parties : le caveau, le rez-de-chaussée, et trois étages. Il ne possédait pas de plate-forme comme il en a maintenant.

Les autres tours sont démantelées. Sous la grosse tour ronde, on a trouvé, vers 1840, des ossements dans une salle souterraine que l'on croit être des oubliettes. Plusieurs souterrains partaient de la forteresse. On prétend que l'un d'eux correspondait avec le château de Valognes distant de plus de douze kilomètres.

Du sommet du donjon, la vue s'étend fort loin ; mais le temps est couvert et nous n'apercevons ni la mer, ni Jersey ; à peu de distance : les restes de la forêt de Bricquebec et la Trappe fondée en 1824 par l'abbé Onfroy, curé de Digo ville.

Ce fut en 912, après le traité de Saint-Clair-sur-Epte, qu'Ansleck, neveu du duc Rollon, devint premier seigneur de Bricquebec. Un de ses descendants eut nom Bertrand, qui devint le nom patronymique de la famille.

Il serait fastidieux d'étudier la longue et illustre lignée de ces Bertrand. Ils étaient fameux dès le XIe siècle. Guillaume Bertrand était à la conquête de 1066 ; Robert V Bertrand, connétable de Normandie au xme siècle, siégea à l'échiquier de Rouen ; un autre Guillaume, fut évêque de Bayeux en 1437 et, plus tard, de Beauvais ; son frère Robert VII fut maréchal de France. Ses deux fils furent tués aux armées. Avec eux s'éteignait la ligne masculine des Bertrand de Bricquebec. La seconde de leurs soeurs reçut la seigneurie de Bricquebec et l'apporta en mariage à Guillaume Paisnel, de Hambye.


EXCURSION DANS LE COTENTIN Ol>

Les Paisnel qui devaient rester à Bricqtiebec jusqu'en 1418, n'étaient ni moins anciens, ni moins illustres. Il nous en a été parlé à Hambye en 1925 ; je n'y reviens pas. Jeanne Paisnel transmit Bricquebec à son mari, Louis d'Estouteville.

Déjà au xme siècle un d'Estouteville avait épousé une Bertrand, fille de Robert V, connétable de Normandie ; c'étaient les ancêtres de ce Louis d'Estouteville, qui pendant les invasions anglaises, commanda le corps héroïque des 115 défenseurs du Mont-Saint-Michel. L'année même de son mariage, fut livrée la bataille d'Azincourt. Ses domaines furent confisqués par l'ennemi. Henry V d'Angleterre donna Bricquebec et Hambye à l'un de ses lieutenants : Guillaume de la Pôle, comte de Suffolk ; mais fait prisonnier par les troupes de Jeanne d'Arc, celui-ci, pour payer sa rançon fut obligé de vendre Bricquebec à un Anglais : Bertin de Entwistle.

Après Formigny, les d'Estouteville furent remis en possession.

Adrienne d'Estouteville, dernier rejeton de sa famille épousa en 1534 François de Bourbon, comte de Vendôme et de Saint-Paul, gouverneur du Dauphin. Leur fille contracta trois alliances ; la dernière avec Léonor d'Orléans, duc de Longue ville.

Bricquebec échut à leur fille Léonore qui épousa Charles de Matignon, fils du maréchal. Ce fut d'elle que ce même maréchal acquit les terres de Bricquebec, Orglandes et Blosville pour 350 000 livres. Il ruina les défenses du château, et fit transporter à Torigny lès canons qui couronnaient les remparts.

Peu avant la Révolution, Anne de Matignon épousa le duc de Montmorency. Puis le château fut dévasté et le domaine en partie aliéné. En 1814, là duchesse de Montmorency vendit la vieille forteresse à un habitant du lieu. En 1820, celui-ci rétrocéda à la ville, le donjon et la tour de l'Horloge pour la somme de 1850 francs.

Nous passons, dans le bourg, près de la statue du comte Lemarois.

Né à Bricquebec en 1776, de simple cultivateur, il devint aide de camp de Bonaparte. Gouverneur de Magdebourg en 1813, il y soutint un siège glorieux. Il sortit de la place, ramenant en France 18.000 hommes et 52 canons. Sa statue en bronze, exécutée d'après un buste de Canova, fut érigée en 1837. Le piédestal est mesquin, l'ensemble n'est pas artistique.


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EXCURSION DANS LE COTENTIN

SAINT-MARTIN-LE-HEBERT

Ayant vu à Bricquebec ce que pouvait être la forteresse de puissants seigneurs féodaux, nous allons visiter à SaintMartin un manoir plus paisible d'allures, mais très intéressant par son importance. •

La seigneurie de Saint-Martin-le-Hébert appartenait en

1350 à Guillaume de la Mare, chevalier, seigneur de la Mare, de Sainte-Mère-Eglise et autres lieux. Il eut deux filles Jeanne et Thomasse. La seconde épousa Jean d'Orglandes (1),

Manoir de Saint-Martin-le-Hébert.

(Cliché de M. Dulong de Rosnay.)

(1) Le vicomte Henri d'Orglandes, notre aimable confrère, m'a envoyé précieuses notes sur ses ancêtres de Saint-Martin-le-Hébert ; et parmi ces notes, la copie de l'acte ci-contre.


EXCURSION DANS LE COTENTIN

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-chevalier, qui, suivant l'histoire d'Harcourt, était en 1381, le premier d'une compagnie de cent lancieTs composée -d'écuyers et de chevaliers, commandée par Jacques

•d'Harcourt, baron de Montgommery, maréchal de France.

C'est en 1372 que la terre et seigneurie de Saint-Martin-leHébert fut attribuée à Jean d'Orglandes. Elle est demeurée à sa postérité pendant 238 années.

Le 6 mai 1429, aveu fut rendu de la terre de Saint-Martin au comte de Suffolk, baron de Bricquebec. Guillaume IV d'Orglandes, petit fils de Thomasse de la Mare épousa une Thieuville. Ils eurent plusieurs enfants, dont une fille mariée à Guillaume Picot, seigneur de Russy et de Gouberville, -et un fils Jacques qui continua la descendance. François

Eglise.de Saint-Martin-le-Hébert.

(Cliché de M. Dulong de Rosnay.)


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son fils eut dix enfants, parmi lesquels une fille mariée à Gilles de Gourmont, seigneur de Courcy et un fils, auteur de la branche des comtes de Briouze.

Antoine d'Orglandes, baron de Briouze, seigneur de Saint-Martin-le-Hébert, mourut en 1619. Une de ses filles, Catherine, épousa Guillaume Plessart seigneur de SaintMartin le-Hébert, qui avait acquis cette terre de Jacques d'Orglandes, baron de Prétot, auquel Antoine d'Orglandes, baron de Briouze, l'avait cédée le 14 mai précédent.

Jacques d'Orglandes avait éehangé la terre de Saint-Martin contre celle de Tanquarville. L'acte est daté du 14 juillet 1610 :

'\ furent présents noble seigneur Jacques d'Orglandes, seigneur et

baron de Prétot, Auvers et Saint-Martin-le-Hébert et Guillaume Plessart, escuyer, sieur de la Riboulerie, lesquels Ont fait échange et contre échange en la manière qui ensuit : à savoir que le dit sieur de Prétot a baillé en échange audit sieur de la Riboulerie le fief et terre et sieurie de Saint-Martin-le-Hébert, le chef duquel s'étend en la dite paroisse de Saint-Martin et aux paroisses deSottevast, Bricquebec et Négreville, avec le droit de patronage, juridiction, hommage, rentes 'et redevances, tant en deniers, grains, oeufs, oyseaux, et toutes autres espèces de rentes et redevances qui sont dues à la dite terre et domaine fieffé et non fieffé ; Liberté dans les forêts de Bricquebec et ailleurs, et y compris les. acquêts faits par noble seigneur Antoine d'Orglandes.

Le manoir de Saint-Martin s'est transmis, par des mariages, à différentes familles, jusqu'à la Révolution. En 1663 Antoine Plessard épousa Mlle de la Motte d'où mie fille devenue Mme de Marcadet. En 1706 Charles Le Trésor, seigneur de Marchésieux. épousa une Osbert, dont la mère était née de Marcadet. Il eut pour gendre le général de Préval qui vendit le domaine aux de Chivré. Mlle de Chivré, mariée à M. de Bascardon, eut une fille, Mme de Tanhouarn qui, il y a 70 ou 80 ans vendit la propriété à M. Noël. Elle appartient actuellement à Mme Lesage née Noël, mère de M. Maurice Lesage, conseiller référendaire à la Cour des Comptes, qui nous a fort aimablement fait les honneurs de l'imposant manoir et nous en a retracé l'historique. Je dois à son obligeance un grand nombre de renseignements.

En quittant nos voitures, nous nous sommes arrêtés quelques instants à l'église. Peu de choses à en dire. Presque entièrement moderne, elle a été refaite le siècle dernier. La seule partie relativement ancienne est la tour, dont la


EXCURSION DANS LE COTENTIN 59

première pierre fut posée le 3 juillet 1770, c'était jadis la chapelle du manoir. Le lutrin et l'autel sont du xvme siècle ;

les fonts sont d une époque antérieure. L'habitation du chapelain s'appelait le « manoir à la capelle.» Une belle allée bordée d'arbres descend vers le château qui paraît avoir é,té construit au début du xvne siècle par un Plessard, conseiller du Roi, à Valognes, anobli à la fin du XVIe siècle. En raison de l'aspect et de la construction, on peut croire qu'il a été élevé sur les ruines ou l'emplacement d'un autre manoir féodal et fortifié qui aurait appartenu aux d'Orglandes. Si d'ailleurs

d'ailleurs lui a conservé une allure de forteresse, et notamment les douves et le pont-levis, cela tient sans doute à

ce que 1 Uabitation en pleine lande et forêt avait à se défendre contre les habitants de cette lande dite « plesse », et de cette forêt. Chaque soir, on devait fermer l'enceinte pour protéger la basse-cour contre les maraudeurs et les animaux

animaux la forêt de Brix toute proche. Le manoir se compose de bâtiments d'aspect divers qui forment les quatre côtés

Manoir de Saint-Martin-le-Hébert.

(Cliché de M. Dulong de Rosnay.)

Manoir de Saint-Martin-le-Hébert.

(Cliché de M. Dulong de Eosnay.)


fiO

EXCURSION DANS LE COTENTIN

d'une vaste cour. Quatre grosses tours rondes flanquent les angles, à l'extérieur. Le tout est entouré de douves pleines d'eau ; certaines parties des constructions sont riche-.

ment ornées de fenêtres à meneaux et de lucarnes sculptées.. Plusieurs épis en terre du pays accentuent l'irrégularité des toits (ces toits, en prenant les deux versants, ont une longueur totale de un kilomètre).

Le porche principal garde encore la trace du pont-levis ; il devait être défendu par deux tourelles en encorbellement ; mais elles ne furent jamais terminées et on voit seulement leur base.

A l'intérieur nous avons traversé la cuisine, vaste pièce qu'éclairent six fenêtres. Douze personnes peuvent tenir debout sous le manteau de la cheminée. Les plafonds sont à poutrelles apparentes.

Dans le manoir même se trouve un lavoir octogonal. Un. escalier donne accès, au premier étage, à une pièce également octogonale. Puis viennent d'autres salles, lambrissées, qui

Manoir de Saint-Martin-le-Hébert.

(Cliché de M. Dulong de Rosnay.)


EXCURSION DANS LE COTENTIN 61

devaient former un bel ensemble lorsqu'elles étaient meublées et entretenues. Nous redescendons jeter un coup d'oeil sur l'entourage.

Il a été créé postérieurement à l'habitation. Le bois de chênes a été planté en 1766 et c'est M. Noël, qui changeant en quelque sorte l'orientation du domaine et le mettant en rapport avec Cherbourg-et les voies ferrées passant au nord, a créé les avenues. L'entrée et les voies d'accès étaient autrefois, uniquement développées vers le sud ; le manoir n'était en relation qu'avec Bricquebec et les hameaux environnants, toute la zone septentrionale étant, comme je l'ai dit, couverte par la forêt de Brix. Cette forêt était à peine traversée par quelques chemins, au bord desquels on trouvait des prieurés ( Saint-Jouvin, notamment) ; elle était assez sauvage pour que les chevaux qu'on mettait au pacage ne. puissent être repris qu'au lazzo, ainsi que le raconte Gilles de Gouberville dans son journal.

Nous regagnons les autos sous la pluie qui commence à tomber serrée ; et nous mettons directement le cap sur Valognes.


QUATRIÈME JOURNEE : Jeudi 1" septembre

Le programme de cette journée était chargé, aussi le départ avait il été fixé à 7 h. %. Tout le monde, ou à peu près fut exact; les retardataires rejoignirent à l'église de Quettehou, le gros de la caravane.

QUETTEHOU

Jadis dépendance de l'abbaye de la Trinité, de Caen, Quettehou devint par la suite siège d'une baronnie, qui donnait, entr'autres profits à l'abbesse,la jouissance des droits de la mer dans la baie de Saint-Vaast. Ces droits occasionnèrent des litiges sans fin avec le fisc et les seigneurs voisins. Certain procès au sujet de la propriété d'une baleine, échouée à Quettehou en 1247, nécessita l'intervention de saint Louis. Une légende se rattache à Pévangélisation de la région. Saint Vaast et saint Vigor prêchaient ensemble dans le pays. Une planche jetée sur un cours d'eau séparant Quettehou d'un village voisin, se rompit à leur passage, laissant les deux apôtres chacun sur la rive. Ils y virent un signe divin et prêchèrent séparément.

L'église fut donnée en 1214 par l'évêque de Coutances, Hughes de Morville, à l'abbé de Fécamp. Elle a toutes les caractéristiques de l'architecture normande du début du xme siècle. Intérieurement, autour du choeur, règne une arcature en tiers point, au dessus de laquelle, court un bandeau d'où s'élancent les faisceaux de colonnettes destinées à recevoir les nervures des voûtes sur croisées d'ogives. Le choeur se termine par un chevet plat percé d'un triplet. Extérieurement, une corniche, très normande, elle aussi, court au sommet des murs latéraux. Vers le xve siècle un bas côté a été percé au sud de la nef ; et on a construit un clocher, en hors-oeuvre, sans flèche. Au xvme on a ajouté, du côté nord, des chapelles en pastiche du style ogival.

A quelque distance du bourg de Quettehou, la route qui s'élève rapidement nous conduit au plateau de la Pernelle.

C'est une lande sauvage, recouverte de bruyère, où, depuis le moyen âge, se tient, le 31 mai, fête de saintePétronille, une foire très importante : une petite chapelle est dédiée à cette sainte. L'horizon est magnifique par son étendue et la variété du paysage. A gauche, le village de Gatteville, le cap et le port de Barfleur ; à droite et plus


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près, l'île de Tatihou, le port de Saint-Vaast et le port de la Hougue ; sur la gauche, et en arrière, la baie de Cherbourg et la Hague ; du côté opposé et en avant les îles Saint-Marcouf, la baie d'Isigny et les côtes du Bessin. Au-dessous de nous s'étend la très riche région agricole appelée le Val de Saire. ' Nous redescendons vers la mer, sur Saint-Vaast la Hougue.

SAINT-VAAST-LA-HOUGUE

C'est un petit port dont la rade est protégée par les deux îles de Tatihou et de l'Islet. Tatihou n'est séparée de la terre ferme que par une chaussée longue de 900 mètres que l'on peut suivre à mer basse. L'ancien fort de Vauban est transformé en laboratoire pour l'étude de la flore et de la faune marines de la région. Les collections ont été, il y a quelques années transportées à Cherbourg et au Muséum, à Paris.

Au sud, à l'extrémité d'une flèche rocheuse, se dresse la belle tour du fort de la Hougue. Les constructions de Vauban sont encore imposantes ; elles sont entourées de larges fossés pleins d'eau. Le fort est déclassé.

Saint-Vaast occupe dans les annales de notre histoire maritime une place douloureusement célèbre. C'est là que le 29 mai 1692, la flotte française commandée par Tourville, subit un désastre dont elle ne se releva jamais. On sait que le but de l'expédition était le rétablissement de Jacques II sur le trôné d'Angleterre.

Groupés à l'extrémité de la longue jetée du phare, qui s avance dans une mer grise et verdâtre déjà profonde, nous écoutons le récit de la bataille que nous fait M. Tournoùer d'après les mémoires de Saint-Hilaire (publiés en 1906 par M. Léon Lecestre pour la Société de l'Histoire de France) :

Le roi dépossédé d'Angleterre, qui.s'était flatté d'avoir des intelligences infaillibles dans le royaume, obtint du roi, des troupes et des vaisseaux pour remonter sur son trône. A cet effet, on arma quantité de vaisseaux de guerre, on prépara des bâtiments de transport, des armes, des outils à remuer la terre, des munitions, et même à ce que j'ai ouï dire, des pierres toutes taillées pour construire un petit fort dans l'endroit où on devait descendre. On fit passer vingt mille hommes de troupes réglées, en Normandie, dont la moitié était des Irlandais réfugiés. Le roi Jacques partit pour commander cette armée, ayant sous lui M. le maréchal de Bellefont et plusieurs officiers généraux.

Il publia, avant son départ au château de Saint-Germain où il résidait, une déclaration qui contenait plusieurs articles où il

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expliquait ses intentions et son désir de paix à son retour en Angleterre.

Arrivé en Normandie à la fin d'avril, il fit embarquer sur quantité de bâtiments de transport, les équipages et chevaux de la cavalerie. Puis sur les nouvelles reçues, que l'armée navale commandée par M. de Tourville avait été contrainte par une rude tempête de relâcher dans les ports de Bretagne, en attendant qu'elle put reprendre la mer, les troupes débarquèrent et se tinrent à Cherbourg, la Hougue et le Havre où elles devaient s'embarquer.

Enfin, M. de Tourville se mit en mer, seulement avec 44 vaisseaux de ligne, et comme il avait eu avis que les ennemis y étaient déjà, et que son ordre était de les aller chercher fort ou faible, il marcha droit à eux, sans attendre le comte d'Estrées qui venait de la Méditerranée avec plusieurs autres vaisseaux pour le joindre. On espérait qu'une partie au moins des Anglais prendrait le parti du roi Jacques, car on savait qu'eux et les Hollandais avaient le double de vaisseaux, mais aucun ne se joignit lorsque Tourville arriva sur eux dans la Manche le 30 juin. Le combat commença sur les onze heures du matin et dura jusques à une brume qui survint vers les huit heures du soir, sans aucun désavantage pour les Français, nonobstant l'inégalité du nombre.

La brume se dissipa et le combat recommença au clair de lune. Plusieurs des gros vaisseaux se trouvaient fort en peine, surtout celui de Tourville, dont toute l'armée se trouva séparée et doublée en arrière par le tiers de celle des ennemis.

Vers les onze heures, ceux des vaisseaux ennemis qui avaient doublé arrière firent une faute considérable pour regagner leur ligne ; ils passèrent de proue le long du flanc des vaisseaux français et essuyèrent toutes leurs bordées. Le combat cessa après cette manoeuvre et tous les vaisseaux français qui le purent vinrent se ranger sans ordre, autour du premier pavillon qu'ils rencontrèrent. Le jusant étant venu une heure après, Tourville qui en voulut profiter fit tirer le canon pour le signal d'appareiller et mit à la voile avec huit vaisseaux ralliés autour de lui. MM. d'Ara-, freville et de Villette, lieutenants généraux, en firent autant, l'un avec 15 vaisseaux, l'autre avec 13. Mais ils ne purent joindre Tourville que sur les sept heures du matin à cause de la brume. Ainsi, il se trouva avec 35 vaisseaux, et il ne lui en manquait plus que 9, dont six avec M. de Nesmond, lieutenant général, avaient pris la route de la Hougue et les trois autres, celle des côtes d'Angleterre pour se rendre à Brest.

A huit heures du matin, on se trouva à une lieue du vent des ennemis. Cette avance aurait pu suffire pour se tirer d'affaire, si le « Soleil Royal » monté par Tourville n'eût mal navigué parce qu'il avait été très mal traité pendant le combat. Ainsi, il retardait toute l'armée. Vers les six heures du soir, on fut obligé pour


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étaler le flot de mouiller par le travers de Cherbourg à demi lieue des ennemis qui suivaient l'armée.

Cela fit prendre deux partis à Tourville : le premier, de changer de vaisseau ; le second, de prendre la route du Raz de Blanchard qu'il espérait passer par le jusant et par le moyen des courants devancer celle des ennemis qui prenaient celle des Casquets.

On leva l'ancre de devant Cherbourg à onze heures du soir et on entra dans le Raz. Cette route avait presque réussi, et à cinq heures du matin, on se voyait à quatre lieues des ennemis ; et des 35 vaisfeaux, 20 avaient déjà passé le Raz, et les 15 autres, dont était Tourville n'en étaient éloignés que d'une portée de canon, lorsque le jusant venant à leur manquer, ils furent obligés d'y mouiller, mais comme le fond y est très mauvais, les ancres chassèrent, et les courants firent dériver, en sorte qu'on se trouva sous le vent des ennemis, séparé des autres vaisseaux.

De 15 vaisseaux, il y en eut trois qui gagnèrent Cherbourg : le Soleil, l'Admirable et le Triomphant. Tourville vint se réfugier à la Hougue. Il y arriva le soir et fut rejoint par deux des six vaisseaux de M. de Nesmond qui prit avec les quatre autres la. route.du Nord de l'Ecosse d'où il arriva heureusement à Brest,, ainsi que les trois vaisseaux de MM. de Gabaret, de Langeron et. de Combes. Tourville se trouva à la Hougue avec douze vaisseaux..

L'armée des ennemis se partagea en trois pour poursuivre les trois débris de celle de France, une partie s'attacha aux vingt vaisseaux qui avaient passé le Raz, mais ce fut inutilement car ils purent se retirer à Saint-Malo.

Une autre partie des ennemis se tint devant Cherbourg pour enlever les trois vaisseaux qui y étaient entrés. Ils les attaquèrent et les consumèrent entièrement. Les officiers et les équipages, furent sauvés.

L'autre corps, de plus de 50 vaisseaux et beaucoup de brûlots, se présenta devant la Hougue et renferma en cette rade les douze vaisseaux de Tourville. Il vint à terre avec une chaloupe pour conférer avec le roi d'Angleterre et le maréchal de Bellefont qui étaient sur le rivage avec l'armée de terre. Dans un conseil, on arrêta que pour sauver les vaisseaux du Roi, on les ferait incessamment échpuer, et que, par le moyen de chaloupes qu'on arme- , rait, on tâcherait d'empêcher les ennemis de les brûler. On fit donc échouer six de ces vaisseaux à côté du petit port de l'Islet,. et les six autres derrière celui de la Hougue. On en retira le plus d'agrès possible et on prépara les chaloupes. On ne put les armer que d'équipages abattus et effrayés. Si bien qu'on ne put empêcher que les ennemis arrivés avec un détachement de 200 chaloupes bien armées, ne brûlassent le soir du 2 juillet les six vaisseaux échoués à l'Islet et dont on avait retiré tous les équipages.

Le lendemain 3, au flot du matin, sur les dix heures, les ennemis,


66 EXCURSION DANS LE COTENTIN.

étant entrés dans la petite rade de la Hougue avec un plus grand nombre de chaloupes et de canots, soutenus d'une frégate à rames, de 30 canons et d'une demi-galère, on ne put les empêcher non plus de brûler les vaisseaux qui y étaient échoués. Ils mirent aussi le feu à quelques bâtiments de transport, les plus éloignés du rivage où l'infanterie de l'armée était en bataille. Elle eut ce spectacle ainsi que le Roi d'Angleterre et le maréchal de Bellefont, sans qu'il fût possible d'y remédier. Et tout ce grand dessein s'en alla en fumée.

A partir de là, l'armée ennemie alla croiser vers ^Buessant pour s'opposer à la jonction du comte d'Estrées avec les débris de la flotte, et tint quelque temps les vaisseaux retirés à Saint-Malo, bloqués dans le port, où on les désarma.

Le roi d'Angleterre revint à Saint-Germain et le maréchal de Rellefont demeura toute la campagne pour garder les côtes.

Le roi était devant Namur lorsqu'il apprit la mauvaise aventure de son armée de mer, et les courtisans, peu charitables blâmaient impitoyablement Tourville d'avoir été chercher les ennemis avec 44 vaisseaux, sachant qu'il en avaient le double, mais S. M. ferma toutes les bouches en déclarant que c'était par son ordre, et qu'il lui avait commandé de les aller chercher fort ou faible : d'où on se confirma que le roi Jacques avait été trompé et que le nôtre avait bien voulu l'être ou avait été trop crédule.

Les vingt-trois navires qui se dispersèrent sur Saint-Malo ne durent leur salut qu'à un pilote breton, Hervé Rill, qui guida l'escadre. Son nom oublié, fut remis à l'honneur en 1871 par le poète anglais Robert Browning qui lui consacra une belle pièce de vers. Quand en 1925, on mit en chantier le croiseur Tourville, on parla de rendre le même hommage à ce héros en donnant aussi son nom à un navire français.

Le 7 mars 1833, la mer ayant baissé considérablement, des débris se trouvèrent à sec près de Tatihou, et on put retirer de ces vieilles carcasses un grand nombre de boulets, et un canon tout incrusté de coquillages. II est exposé dans la salle d'armes du port militaire de Cherbourg.

Il est temps de passer maintenant au récit de la visite de Réville.

REVILLE

Au commencement du xine siècle, le château appartenait à la famille de Pirou, et au xvie, à l'abbaye de FontaineDaniel. Il fut pillé et en partie brûlé pendant les guerres civiles, notamment en 1594 et 1649. Son possesseur actuel


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EXCURSION DANS LE COTENTIN

est M. Postel, du Havre. En 1594, Christophe des Iles, seigneur de Réville, qui commandait pour le Roi le fort de Tatihoury fut assiégé et tué par les ligueurs.

On remarque sur le territoire de la commune le bâton en granit d'une croix très ancienne, appelée Croix de Saire,

qui se trouve dans la mer, lorsqu'elle est haute. La rivière de Saire qui prend sa source au Mesnil-au-Val et donne son nom au pays, a son embouchure à Réville.

L'église en granit est importante pour une petite paroisse, mais son ensemble n'est pas harmonieux.

C'est un édifice roman agrandi au xve siècle. La nef romane est peu élevée, les arcs sont en plein cintre ; les chapiteaux ont été restaurés. Il existe encore quelques fenêtres de la.

Eglise de Réville

(Cliché de M. Dulong de Bosnay.)


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même époque ; elles étaient peut-être, jadis, seules à éclairer la nef primitive.

Le transept sert de transition. Le choeur est du xve siècle, flamboyant. L'entrée en est marquée par un arc ogival avec chapiteaux. Les fenêtres à lancette, sont d'une grande légèreté. Le choeur lui même, est de plusieurs époques. Deux travées avec arcs rentrants indiquent le xve ; cependant, trois chapiteaux sont plutôt du xive, et les autels du xvne. L'arc triomphal, fréquent dans les églises de ce pays, est, ici, de l'époque Louis XV.

Dans une chapelle, nous voyons, sans l'admirer beaucoup une statue de la Vierge, contournée, exagérée, difficile à dater, mais curieuse par son originalité ; dans une autre, accolés aux piliers du choeur, un boeuf et un animal fantastique, peut-être attributs des Evangélistes. La tour est du xive siècle, le clocher en pierre imité de ceux de Caen est très beau.

Il est assez exceptionnel dans la région de trouver des flèches. Peut-être faut-il y voir un point de repère ? Les églises de Montebourg, de Sainte-Marie-du-Mont, également situées sur des hauteurs sont surmontées de flèches. Dans le cimetière de Réville se trouvent les tombeaux de la famille Fouace. On connaît surtout le peintre de ce nom, auteur de fresques qui décorent plusieurs églises, en particulier celle de Monfarville. Il n'étudia la sculpture que vers l'âge de cinquante ans. Le gisant de marbre blanc qui 'recouvre les restes de sa fille morte en 1895 est une oeuvre délicate dans laquelle il a mis tout son coeur d'artiste et >de père. .

Court arrêt ensuite au manoir de :

LA CRASVILLER1E

Ce manoir a toutes les apparences du xvie siècle, bien que notre programme l'ait indiqué comme étant du xive. Il appartient à M. Fouace, de la Pernelle. Les bâtiments sont recouverts de toitures très élevées et très raides. Elles sont de schiste comme celles de Valognes, et cette teinte est d'autant plus intéressante à noter que déjà une grande partie a été remplacée par de l'ardoise. Ceux qui viendront ici dans quelques années ne verront plus le manoir dans son véritable aspect d'autrefois. Les toitures seront xxe siècle.

Des grilles du xvie siècle subsistent toujours devant les fenêtres d'une tourelle octogonale. La base d'une autre tourelle en encorbellement est décorée d'une rangée de coeurs sculptés sur granit.


EXCURSION DANS LE COTENTIN

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L'intérieur ne présente rien de remarquable. Je n'ai absolument rien trouvé sur son histoire, cela n'a pas, je suppose,

une grande importance, car c'est surtout son pittoresque qui nous attirait.

Nous regagnons la route à travers champs ; les autos nous amènent alors vers :

Manoir de la Crasvillerie.

(Cliché de M. J'anime.)

BARFLEUR

Le déjeuner que nous avait préparé l'Hôtel Moderne fut certainement le plus succulent de tous ceux pris au cours de l'excursion, Ce fut le « clou gastronomique » de la randonnée. Nous n'avions ici aucun monument à visiter ; seuls nous y appelaient les souvenirs au passé et aussi, faut-il l'avouer, la réputation de l'hôtel.

L'église du xvne siècle, ne présente pas d'intérêt. Nous avons fait sur la jetée, une assez longue promenade : toujours l'attirance de la mer. La flottille de Barfieur se livre à des pêches fructueuses de homard et de bouquet, que l'on prend dans des paniers de même genre, mais de taille évidemment très différente.

Un groupe des nôtres, fait en barque à voile, un petit tour à la sortie du port, sans doute pour s'assurer avant d'aller en Norvège, qu'il a bien le pied marin.

On est surpris, en voyant la situation de Barfieur, au milieu des rochers et près d'un courant dangereux, qu'ait été placé


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ici pendant plusieurs siècles l'un des ports les plus importants de toute la Normandie. Sous les ducs, et particulièrement à l'époque de ceux qui furent rois d'Angleterre le port de Barfieur fut plus fréquenté que celui de Cherbourg. Le naufrage de la Blanche-Nef, arrivé ici en 1120, est l'un des événements les plus épouvantables de l'histoire de îiotre province au moyen âge. Tous les historiens du xne siècle en ont parlé ; Orderic Vital tout spécialement. Devenu maître de la Normandie, Henri Ier retournait en Angleterre. Il avait fait préparer à Barfieur une flotte considérable. Quand il aborda dans ses Etats, un seul vaisseau manquait ; il contenait la fleur de sa cour : dix-huit dames de haut rang, parmi lesquelles ses nièces et ses filles ; et aussi son fils Guillaume qui venait d'épouser Mahaud, fille du comte d'Anjou. Ce vaisseau, la Blanche-Nef, s'était brisé contre un rocher dès la sortie du port; tous avaient péri, sauf un passager, boucher de Rouen : en tout 193 personnes.

Depuis lors, les rois d'Angleterre s'embarquèrent quand même à Barfieur pendant le xne siècle. En 1194, Richard y vint avec cent gros vaisseaux et une armée, c'est dire l'importance du port à cette époque.

Les Anglais pillèrent et brûlèrent la ville en 1405. Il semble que ce soit le dernier coup porté à son commerce. La ville du moyen âge qui comptait 1.800 maisons n'est plus qu'un gros bourg. Les fortifications furent rasées au xvie siècle par le maréchal de Matignon sur l'ordre de Henri IV.

Plus récemment, pendant la dernière guerre, dans la nuit du 4 ou 5 avril 1917 un steamer brésilien, le Parana, fut torpillé sans avertissement au large de Barfieur. Le Brésil entra dans la lutte en raison de cette agression.

GATTEVILLE

Dès la sortie du village, la route file au milieu d'un paysage désolé. Le sol, d'apparence très pauvre, est quadrillé de petits murs en pierres sèches, semblables à ceux que nous verrons dans la Hague.

A l'extrémité de cette étendue plate et triste, se dresse, étonnant de blancheur et impressionnant par sa masse, l'admirable phare haut de 71 mètres et large encore de 18 en son sommet. Une digue de 130 mètres, que nous suivons à pied, relie la terre à l'îlot sur lequel il est construit. Bien que la visite en soit autorisée, nous n'avions pas le temps de gravir les 349 marches de son escalier éclairé de 48 fenêtres, mais il nous fut loisible d'en faire le tour sur les rochers


EXCURSION DANS LE COTENTIN 71

que, déjà, le flot encerclait. Commencé en 1827, il fut allumé pour la première fois en 1835. Il fonctionne maintenant à l'électricité. Il est formé de 11.000 blocs de granit, pesant, disent les statistiques, 7.400.000 kilogs.

Le sommet est animé d'un mouvement très sensible d'oscillation les jours de tempêtes. L'ancien phare, haut de 27 mètres, construit en 1774 sert aujourd'hui de sémaphore.

Le phare de Gatteville est l'un des vingt-cinq radio-phares français. Je ne puis développer cette question qui m'entraînerait trop loin. Il est intéressant de lire à ce sujet l'étude de M..P. Hemardinquer : « les phares hertziens et leurs récents perfectionnements», publiée dans la Nature du 15 octobre 1927.

Revenons un peu à l'histoire.

D'après une charte de mars 1268, émanant d'Henri III, roi d'Angleterre, concession était faite à l'abbaye de Montebourg, du côté droit de tous les poissons à lard qui seraient pris, ou qui échoueraient sur les côtes comprises entre les confins de l'évêché de Coutances et l'église de Gatteville.

En 1372. Robert Bazan acheta le fief. L'année suivante, son fils Colin épousa Jeanne de Gatteville, ■ fille du vendeur-. La seigneurie en resta aux Bazan jusqu'au milieu duxvie siècle, époque à laquelle elle passa dans la famille Le Tellier de la Luthumière. Henri de Matignon, ayant épousé une fille de cette maison, devint propriétaire de Gatteville dont il rendit aveu à Louis XIV en 1685. Le duc de ValentinoisMatignon vendit le domaine en 1747.

De l'église du xne siècle, il ne reste que le mur roman du chevet et la tour du Nord. Ce clocher vide, avec son toït en bâtière, construit en cailloux roulés par les flots produit un effet très pittoresque. Autour de l'église on a trouvé beaucoup de cercueils creusés dans le roc granitique, qui devaient remonter aux xme et xive siècles.

SAINT-PIERRE-EGLISE

Une route droite permet d'arriver rapidement à l'église de Saint-Pierre-Eglise, sans risques de se perdre.

Le style n'existe pas. H y a ici deux églises côte à côte sous une même toiture. La première à été construite à la fin du xne ou au début du xme. Le portail en plein cintre à moulures romanes est couvert de zigs-zags et de losanges, tandis que l'ogive à lancette du premier étage de la tour est de la première période du style ogival.

Au XVIIe siècle, on jugea cette église insuffisante. On en fit construire une nouvelle englobant l'ancienne, dont on


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conserva la tour, la côtière nord et le chevet. Elle a environ 32 mètres de long sur 19 de large. La vieille nef a été convertie en bas côté, et le sanctuaire en sacristie. La tour qui a 26 mètres de haut fut exhaussée et la plate-forme du sommet flanquée de quatre guérites, reliées entre elles par une balustrade en granit. Elle a un petit air de donjon du moyen

âseLa

âseLa de l'église est originale par sa forme de barque renversée. L'arête figure la quille de laquelle partent huit grandes lignes de pierre représentant les membrures ; celles-ci s'appuient sur les piliers des arcades et sur la côtière méridionale. La décoration de cette voûte n'est pas banale du tout : les commandements et des pensées pieuses sont inscrits en grands caractères dans des cartouches. A défaut de valeur artistique très grande, elle a au moins le mérite d'être très enseignante. Le grand arc monumental pour porter la croix est le seul autre objet digne d'attention.

La disposition du toit sur les deux églises est regrettable. Elle leur a fait perdre tout aspect monumental, tout caractère religieux. Sans la tour, on dirait une halle aux grains, ou encore, avec le comte de Caix de Saint-Aymour, une grange ecclésiastique.

Non loin de là se dresse le beau château xvine siècle, du marquis de Blangy, nous n'avons pas pu le visiter, les propriétaires étant absents. Il fut construit par la famille Castel. A cette maison, appartenait Charles-Irénée Castel de Saint-Pierre, né en 1658, resté célèbre sous le nom d'abbé de Saint-Pierre, premier aumônier de Madame ; il était membre de l'Académie Française dès 1695, mais il en fut exclu pour avoir préféré dans sa Polisynodie l'établissement des conseils faits par le Régent, à la manière de gouverner de Louis XIV. Son fauteuil, cependant, demeura vacant jusqu'à sa mort. Il passa sa vie à imaginer des combinaisons pour améliorer l'organisation politique et l'éducation morale de la société. Le cardinal de Polignac l'emmena en 1712 au congrès d'Utrecht, c'est là qu'il conçut le Projet de Paix universelle, ouvrage dans lequel il demanda la création d'un tribunal européen qui réglerait toutes les difficultés sans effusion de sang.

Son projet aura dormi plus de deux siècles avant d'être réalisé. « Je travaille pour les hommes futurs, disait-il, et sans crainte d'être en but au faux ridicule. » Il mourut en 1743,âgé de 85 ans. Sa devise était :« Donner et pardonner.»

Les de Blangy qui devinrent, par échange de domaines, seigneurs de Saint-Pierre, étaient issus de la marquise de Blangy, née de Malherbe, dont nous avons parlé à Fontenay.


EXCURSION DANS LE COTENTIN

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M. le marquis de Blangy m'avait aimablement documenté pour la notice que j'avais pensé intercaller ici, sur les seigneurs et l'histoire du château. Ne l'ayant pas visité je passe directement à

GONNEVILLE

La baronnie de Gonneville appartenait au xiie siècle -aux de Reviers. Le 12 mars 1194 Jean sans Terre revenant de IValognes, s'y arrêta. En 1331 Richard de Courcy fit ibâtir les deux vieilles tours, dont l'une recouverte de lierre se trouve au bord du chemin ; l'autre à demi ruinée est située *dans le jardin. Par alliance, Gonneville passa aux de Malesmains,

Malesmains, à Robert de Montauban qui devint chef de la branche des Rohan-Montaub#n. En 1415, Robert de Montauban était bailli du Cotentin. Henry V d'Angletere lui •confisqua ses biens. Charles VII les lui restitua après Formigny. Son arrière-petite-fille, Catherine de Montauban, vendit Gonneville à Jean de la Guette en 1527. Sa veuve le légua à Olivier de Pirou, seigneur de Fermanville.

Ce furent les Pirou qui édifièrent le château actuel. On voit leurs armoiries sur le linteau de la porte du donjon : •de sinople à la bande d'argent, accostée de deux cotices de même. Pendant les guerres de religion, Jean de la Guette Testa fidèle au roi. François de la Cour, sieur de Tourps, vint assiéger Gonneville, mais inutilement.

Charlotte de Pirou l'apporta en mariage à. Jean Jallot de Beaumont, en 1584. Leur fils Charles épousa Suzanne •Gigault de Bellefont. Les armoiries de cette maison : d'azur

Château de Gonneville.

(Cliché de M. Dulong de Rosnay.)


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EXCURSION DANS LE COTENTIN

au chevron d'or, accompagné de trois losanges d'argent,, deux et un, se trouvent accolées à celles de la famille Jallot, au-dessus de la porte du château, donnant sur le pont-levis et sur les jardins.

A droite, au-dessus d'une des jolies lucarnes ovales, ornées

d'une grande coquille, on voit encore l'é:usson des Jallot avec le millésime 1641.

Charles du Mesnileury, d'une famille originaire de Picardie, recueillit la suécession de Charles Jallot et de Suzanne de Bellefont. Il fit ériger Gonneville en marquisat.

En 1777, Joseph de Berru3^er et sa femme, Constance de Pardieu, en étaient propriétaires. Leur fils, marié à une de Baudre, émigraen mars 1792. Ses domaines furent confisqués ; les meubles furent vendus ; les quatre grilles de la cour et la rampe de l'escalier servirent à fabriquer des piques»

Château de Gonneville.

(Cliché de M. Dulong de Rosnay.)


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Un entrepreneur de Cherbourg acheta le château mais il fit de mauvaises affaires et fut saisi. Le 14 novembre 1814 Gonneville fut adjugé à la comtesse Jean-François de Berruyer née Anne de Berruyer, et à sa soeur Louise, épouse de Jean-Théodore de la Croix, filles de l'ancien châtelain émigré.

En 1842 une dame Lambert et son fils Jean l'acquirent à leur tour. S'imaginant trouver un trésor dans le vieux castel des Pirou, ils en firent démolir une partie vers 1846. Ainsi disparurent les deux corps de bâtiments reliant le château au donjon et à la grande tourelle qui fut à moitié rasée et mise au niveau de la tour du Nord. La chapelle ;Saint-Jean subit le même sort. La façade du château fut mutilée : des fenêtres à croisillons et meneaux sculptés, des lucarnes et des cheminées anciennes furent détruites. Les recherches demeurèrent infructueuses. En 1849 ces vandales crédules vendirent ce qui subsistait à la marquise de Chivré, née Doynel de la Sausserie. Ses descendants qui habitent encore le château l'ont fait restaurer et nous autorisent à en faire le tour. De jolies lucarnes ornent les deux bâtiments qui bordent l'avant-cour. Une poterne, ancien pont-levis, donne accès dans une seconde cour au fond de laquelle se dresse le château, entouré de douves pleines d'eau.

A droite, dans un des jardins en terrasse, un chêne-liège remarquable,- attire l'attention des botanistes. A gauche, se trouve le donjon. Nous montons sur la plate-forme puis nous parcourons le parc et les terrasses avant de gagner l'église.

Le choeur en est la partie la plus intéressante. Il se compose de cinq travées et d'une abside circulaire éclairée par cinq fenêtres ogivales dont deux ont été bouchées. La clef de voûte de la travée centrale porte les armes de Jean de la -Guette, seigneur de Gonneville.

L'église ne renferme pas d'objets très remarquables : deux statues de saint Gilles et de saint Antoine semblent être du début du xvie siècle ; trois autels sont du xvme.

Un souvenir amusant se rattache à l'histoire ecclésiastique de l'endroit : L'abbé de Castelets, originaire d'Arles, curé au moment de la Révolution, n'avait aucune vocation. Pour passer moins de temps au confessionnal, il entendait à la hâte ses pénitents, puis les faisait mettre tous à genoux dans le choeur et leur donnait une absolution générale. Il prêta le serment constitutionnel et retourna ensuite dans son pays natal.

Nous allons terminer la journée par deux étapes très intéressantes : Tourlaville et Mesnil-au-Val. Le récit de ces


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deux visités paraîtra sans doute un peu long à côté de certains autres, mais à tout seigneur, tout honneur.

TOURLAVILLE

Au fond d'une petite vallée des environs de Cherbourg,, sur les bords du Trottebec, derrière les frondaisons élancées d'un épais massif de hêtres et de chênes, le château de Tourlaville, si pittoresquement situé au milieu de ses étangs, évoque des jours tragiques et des événements douloureux. Jamais autrefois le beffroi du manoir n'a tinté minuit « sans, que le coeur du passant ait éprouvé douze battements à cette heure officielle des visions nocturnes ». Dès le vme siècle, il y avait ici un château fort, mais le plus ancien seigneur connu est Guillaume de Tourlaville vivant en 1195.

Jusqu'au milieu du xvie siècle, Tourlaville dépendit du roi (comme propriétaire de la fiefferme) et des seigneurs du fief Aubert-PHermite (1). En 1495, Jeanne, femme de Louis XII, donna la fiefferme à Robert d'Anneville, pour en jouir ainsi que l'avait fait Guillaume Dufou, capitaine de Cherbourg. François Ier, pour continuer la lutte contre Charles-Quint, dut l'aliéner définitivement. Jean de la Guette, receveur général des Finances, s'en rendit acquéreur en 1544. Son neveu, Gilles Dancel, vendit son héritage, en 1557, à la princesse Adrienne, duchesse d'Estouville, dame de Bricquebec.

Cette famille avait pour secrétaire et conseiller Jean II de Ravalet, abbé de Hambye, grand Chantre de la cathédrale de Coutances. En reconnaissance de ces services, Marie d'Estouteville veuve du duc de Nevers lui donna Tourlaville le 1er mai 1562.

Les Ravalet, de si sombre mémoire, étaient originaires. de Bretagne. L'abbé de Hambye avait eu pour grand-père un modeste archer de la garnison de Cherbourg. Ayant acquis la possession des deux fiefs de Tourlaville il en devint seigneur avec son frère Jacques.

Le manoir était en ruines. Jean II le fit abattre, à l'exception du donjon du vme siècle, et construisit avec son frère le charmant édifice que nous admirons aujourd'hui. Il conserva cependant la salle des gardes, du sous-sol, et les prisons de la vieille forteresse du moyen âge. Elles existent encore. Tout fut terminé en 1563.

(1) Le domaine seigneurial de Tourlaville était divisé en deux fiefs : le fief Aubert-l'Hermite et la Fiefferme.


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On n'avait pas assisté sans un certain sentiment de jalousie, parmi les vassaux du château, à l'accroissement rapide et presque prestigieux de la fortune des deux frères, la veille, inconnus, maintenant marchant de pair avec les premiers seigneurs de la contrée. Tout prétexte fut bon pour commencer les hostilités et, comme on était en Basse-Normandie, on plaida.

De cette atmosphère de haine envieuse, d'hostilité jalouse, naquit la réputation des Ravalet ; « c'étaient, disait-on, des gens qui croyaient le monde créé pour eux, et qui, pour faire seulement cuire l'oeuf de leur déjeuner, auraient incendié toute une ville ».

L'histoire a rétabli qu'il en est des méfaits desRavaletTourlaville, comme de la légende du moine, leur infidèle gérant, qui avait vendu son âme au diable, et dont on voyait il y a cent ans encore, rôder la nuit le blanc fantôme sur les bords de la Saire.

Quelles que soient leurs fautes et l'énormité du crime de Julien et de Marguerite, les Ravalet-Tourlaville avaient sur la conscience beaucoup moins de méfaits que les RavaletSideville. Et ceux-là, chose inexplicable, la légende les a toujours épargnés.

En 1575; lorsque son neveu et filleul, Jean III de Ravalet épousa Madeleine de la Vigne, l'abbé de Hambye lui avait déjà cédé tout le domaine. Des huit enfants qui naquirent de cette union, deux eurent un destin terrible. Le souvenir en est resté vivant dans les récits populaires.

Le premier acte du drame se joua dans la chambre de la Tour Ronde, cette chambre qui, sous les Franquetot devint ce que nous la voyons maintenant, et dont, écrit M. TristanBernard « on devrait faire une chapelle expiatoire ». On envoya Julien au collège de Navarre, où il eut comme camarade le futur cardinal de Richelieu; on maria Marguerite à Jean Lefebvre, sieur de Hautpitois, receveur des tailles en l'élection de Valognes. Les deux nouveaux époux ne devaient pouvoir s'entendre. Tout s'opposait en eux : naissance, distinction, fortune.

Dans les derniers jours de juin 1600 le receveur et sa femme s'installèrent dans leur hôtel de Valognes. Bientôt, Julien revint en Normandie. En septembre 1602, Marguerite s'enfuit à cheval, seule, dans la nuit, rejoindre son frère. C'était* pour le publie, le début de leur tragique odyssée.

Un an après, le 7 septembre 1603, ils entraient dans Paris, d'où ils ne devaient plus sortir. Lefebvre était sur leur piste et dès le lendemain il les faisait arrêter.

Leur procès se déroula devant le Châtelet, puis en appel,


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devant la Tournelle et le Parlement. Cependant, le malheureux père, Jean III de Ravalet, implorait appui et pitié près de hauts personnages. Il n'obtint rien que des consolations stériles. L'entrevue que Nicolas de Villeroy lui procura avec Henri IV fut émouvante, mais n'aboutit pas. Peut-être en faut-il voir la raison dans l'intervention hostile de la reine Marie de Médicis.

Depuis le matin, l'arrêt, était rendu et, seul, le monarque aurait pu annuler le procès « pour de hautes raisons à lui connues ». Il estima ne devoir le faire et le 2 décembre 1603 Julien et Marguerite furent décapités en place de Grève. Il avait vingt et un ans ; elle, dix-sept. Ils furent inhumés en l'église Saint-Jean-en-Grève. Sur leur tombe se lisait l'inscription suivante : | Cy gisent le frère et | la soeur. Passant ne | t'informe point de la | cause de leur mort ] Passe et prie Dieu pour leur âme. | Jean de Ravalet, brisé de douleur et de honte retourna dans ses domaines de Normandie. Il perdit sa femme en 1639 à 83 ans ; il en avait alors 90. Elle fut enterrée dans le couvent de Notre-Dame de Protection à Valognes.

Depuis 1579, les Ravalet avaient changé leur nom en celui de Tourlaville. Après Jean III, la seigneurie passa dans la famille de Franquetot. Charles de Franquetot, par droit de lignage, se la fit adjuger en 1653, c'est lui qui fit orner le château des peintures et emblèmes que je décrirai dans un instant.

Son frère Robert, assassiné dans sa bibliothèque en 1661, avait achevé les constructions. Antoine de Franquetot avait épousé Catherine de Varroc, fille de Guillemette de Ravalet, et par là, petite-fille de Jean III. Catherine de Varroc épousa en secondes noces Jean de Crosville, d'où un autre Jean, auquel échut le domaine.

Jusqu'en 1812, le bâtiment seigneurial fut occupé par des fermiers. Il était passé par alliance dans la famille Clérel de Tocqueville qui le possédait au moment de la Révolution. Tourlaville fut alors pillé et ruiné. Restauré de 1872 à 1885 par le vicomte Edouard de Tocqueville et son fils René, le château est devenu l'une des plus belles résidences des environs de Cherbourg. Il appartient aujourd'hui à M. Paul Gosse.

C'est une construction dans le style de la Renaissance. La façade nord, que l'on aperçoit au travers des arbres, dès avant de franchir la grille, baigne dans l'eau noire d'un étang profond, qui fait paraître plus blanches encore, les ailes gonflées des cygnes inquiets de notre venue. Il se compose de deux étages de fenêtres à croisillons de pierre, surmontés de lucarnes du plus gracieux effet. Trois tours


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font saillie~sur le corps même du bâtiment : La tour ronde du sud-est, la tour triangulaire au nord, et la tour octogone, également au nord. On l'appelle encore la tour des quatre-vents ; c'est la plus remarquable. Devant le perron

un jet d'eau occupe peut-être la même place que celui qui existait déjà au temps des Ravalet.

Nous pénétrons dans un premier salon que décore un tableau de Muraton. A gauche se trouve la chapelle. La bibliothèque lui fait suite et renferme un Largillière. Puis nous montons dans la 'tour des quatre-vents, entièrement occupée jusqu'à la hauteur du second étage, par un vaste et bel escalier, soutenu par des colonnes d'ordre ionique. La magnifique rampe en fer forgé représente des coeurs flamboyants transpercés d'une flèche.

Au premier étage, le grand salon précède le billard, c'est dans cette dernière pièce qu'est le célèbre portrait de Marguerite de Ravalet. Vient ensuite la chambre bleue octogonale.

Château de Tourlaville.

(Cliché du vicomte Dauger.)


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Mignard exécuta au château même vers 1658, d'après des documents contemporains, le portrait et les amours que l'on voit toujours au-dessus de la cheminée. Il n'a pas signé son oeuvre. Un peintre de Valognes restaura plus tard le tableau, mais eut le bon goût de ne pas toucher à la tête.. Quant aux devises, modillons, lacs d'amour et arabesques de la chambre bleue, ils sont très probablement de Coypel.

M. Gosse nous fait ensuite visiter le parc. Nous suivons à flanc de coteau, le sentier de la Chesnaye, puis une longue allée, taillée dans la charmille, qui débouche dans un rondpoint d'où le regard porte sur la rade de Cherbourg. Un kiosque rustique placé au centre d'une étoile donne abri à quelques sociétaires un peu lasses. Les autres s'asseoient sur la mousse ou au pied des arbres. On admire un instant le paysage étendu où s'unissent la couleur sombre des grands bois et le scintillement argenté d'une mer étincelante.

Le Président prend alors la parole pour nous lire une notice sur les verreries de Tourlaville (1)

Dès 1652, une manufacture de verre était établie à Tourlaville. Antoine de Caqueray, sieur des Friches, en était le directeur lorsqu'il mourut en 1652. Il avait pour trisaïeule Jeanne de Bouju, fille de Louise de Belleville. En 1653, Richard Lucas, écuyer, sieur de Néhou forma un établissement de verrerie à Tourlaville, en la forêt de Brix, où lui, et Louis Lucas de Néhou, son neveu, firent fabriquer toutes sortes de cristaux, verres à vitre et à lunettes. Sans nul doute les Lucas succédaient aux Caqueray. Richard Lucas de Néhou fut l'inventeur du verre blanc ; on lui doit aussi celle des glaces à miroir.

En 1665, Colbert, pour empêcher les Vénitiens de continuer à tirer de grosses sommes de France, par le débit qu'ils y faisaient de leurs glaces, accueillit favorablement la proposition qui lui fut faite par Nicolas du Noyer, receveur général des tailles à Orléans,, d'établir une ou plusieurs manufactures de glaces dans un des faubourgs de Paris, ou autres lieux du Royaume.

C'est de cette concession à Nicolas du Noyer que la glacerie de Tourlaville a tiré son origine. L'établissement appelé Manufacture Royale des Glaces fut fondé à Paris, là où est aujourd'hui la caserne de Reuilly. Nicolas du Noyer s'associa Pierre Picquot, conseiller secrétaire du roi, Jean Mignier, receveur général des finances à Alençon, Jean Rauchin et Claude du Noyer, secrétaires du Roi. On avait fait venir des ouvriers Vénitiens ; mais bientôt

(1) Cette notice est inspirée de : Les verreries de la Normandie, les genilshommes et artistes verriers normands, par 0. LE VAILLANT DE LA FIEFFÉ. Rouen, 1873, p. 393.


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Ceux-ci entravèrent la fabrication en ne voulant rie» enseigner aux Français, et Colbert ne trouva mieux pour assurer le succès de l'entreprise que de demander à Richard Lucas de Néhou dese mettre au service de la compagnie. On sait que Richard Lucasde Néhou et son neveu avaient trouvé à Tourlaville le secret du verre blanc et des glaces à miroir, ayant pu utiliser les indications; de jeunes gens du pays partis à Venise pour y étudier l'art de la verrerie. C'est donc à.la Glacerie, que les premières glaces bien réussies furent fabriquées par un Français.

■Richard de Néhou devint en 1666 directeur de cette Glacerie fondée par lui, qu'il céda à la compagnie des Glaces.

Sous sa direction, elle prospéra. Il mourut en 1675 ne laissant que des neveux. Guillaume Lucas, sieur de Bouval lui succéda,, et Louis Lucas de Néhou vint diriger l'établissement de Paris.

La manufacture des glaces eut alors une grande vogue. C'est à Louis Lucas de Néhou qu'est due l'invention. de la méthodede couler les glaces, et non à un Bourgeois de Paris, comme on l'a prétendu. Ce fut sur son conseil que la compagnie acheta en: 1693 le vieux château de Saint-Gobain, près laFère, ancienne: demeure des Coucy et des Luxembourg. Il s'y installa et dirigea 1 la fabrication jusqu'en 1696. Il y mourut en 1728.

La fonte des glaces se faisait à Tourlaville, et le polissage à Paris.

Richard Lucas de Néhou fut remplacé en 1675 (à sa mort) par Guillaume Lucas de Bonval, son neveu, comme directeur de la Glacerie de Tourlaville, il y resta 45 ans. ( Suit la liste de ses successeurs.)

Le travail fut souvent interrompu. Depuis 1806, on cessa le travail des glaces, et on fabriqua des verres à vitre et des bouteilles jusqu'en 1824. A cette époque, les travaux furent arrêtés et les ouvriers dirigés sur Saint-Gobain. La vieille usine de Lucas de Néhou fut vendue le 4 mars 1834 pour 108.350 francs.

Louis Lucas de Néhou fut inhumé dans l'église de Saint-Gobahii le 12 juillet 1728. En 1865, pour célébrer le 200e anniversaire de la fondation de la manufacture des Glaces, le conseil d'administration présidé, en l'absence de M. Ffély d'Oissel, par. lePrince de Broglie, fit poser deux plaques de marbre de chaque côté de la chapelle de Saint-Gobain ; l'une célébrant le 200e anniversaire ; l'autre à la mémoire de Louis Lucas de Néhou, inventeur du coulage des glaces (1).

La séance est levée ; nous repartons. Près du château, r.ous jetons un coup d'oeil rapide sur la basse-cour où les*.

(1) Voir aussi : La manufacture des glaces de Saint-Gobain.de 1.665 à 1865,. par Augustin COCHIN, membre de l'Institut, Paris,. LSfiG.


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plus jeunes d'entre les jeunes s'amusent de voir des cobayes angoras.

Nous remercions M. Gosse de son aimable hospitalité, et maintenant, en voiture pour le Mesnil-au-Val où nous allons souhaiter bonne fête aux mânes de Gilles de Gouberville. C'est aujourd'hui eh effet le 1er septembre.

LE MESNIL-AU-VAL

C'est une bien curieuse figure que celle de ce gentilhomme campagnard, paperassier, méthodique et joyeux vivant.

Gilles Picot de Gouberville appartenait à une famille originaire de Russy près de Bayeux. Son père Guillaume III de Gouberville avait épousé Tassine d'Orglandes, fille de Guillaume,seigneur de Prétot et de Saint-Martin-le-Hébert.

Dans son Journal qui l'a rendu célèbre, il raconte en détail, son existence quotidienne de 1549 à 1562. Ce livre de raison a été publié par MM. l'abbé Tollemer, de Beaurepaire et le marquis de Blangy, au fur et à mesure de la découverte des différents cahiers. L'abbé Tollemer composa un premier travail qui fut réimprimé. Il suivit un plan très spécial et groupa les passages concernant un même sujet : chaque groupe forma un article d'une sorte d'encyclopédie. Les recherches en étaient grandement facilitées. Aujourd'hui on n'évoque pas le travail du sire de Gouberville sans celui de son savant commentateur.

Gilles de Gouberville commença la rédaction de son journal vers l'âge de trente ans. Jour par jour, il nota scrupuleusement les faits les plus divers. Il y joignit des observations personnelles et des remarques générales.

Il découvre à vif les moeurs de la noblesse normande, et donne les plus utiles détails sur l'agriculture et l'administration des terres il y a 300 ans ; sur les usages, la nourriture, le mobilier, les passe-temps, la chasse etc. On y voit le prix des denrées de toutes espèces ; les modes de travaux des ouvriers, les habitudes du clergé et des campagnards ; c'est une source inépuisable de renseignements pour les curieux du passé.

Comme tout bon Normand, le châtelain de Mesnil-au-Val aime sa terre : la culture l'occupe beaucoup. Il avait un nombreux personnel. Souvent il parle de leurs gages. Les mieux traités recevaient par an dix livres et parfois quelques habits. Il nous apprend qu'au xvie siècle le pommier était depuis longtemps connu en Normandie, mais la bière était plus répandue que le cidre.

La vie menée au manoir devait être régulière: «Je ne


EXCURSION «DANS LE COTENTIN

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bouge de céans ». C'est la phrase presque rituelle qui sert de préface au récit de la plupart des journées. Gilles de Gouberville a une famille nombreuse et des voisins proches. L'hospitalité qu'il pratique est large. Il lui arrive fréquemment d'offrir le vivre et le couvert à vingt ou trente

personnes. Il voit souvent les siens : six frères et soeurs légitimes et deux naturels. Il affectionne également ceux-ci et ceux-là. Il a le coeur généreux et la morale facile : célibataire il laissa quand même trois filles naturelles. Il n'abandonne pas cependant ses sentiments religieux et reste en très bons termes avec son curé. La charité domine dans sa vie. Il visite les malades, car il a des connaissances en médecine, Il se prodigue pour soulager les misères qui l'entourent.. Ses journées sont bien remplies.

Manoir du Mesnil-au-Val.

(Cliché de il. Dulong de Rosnaj'.)


81 EXCURSION DANS LE COTENTIN

Il a des devoirs officiels, ayant succédé à son père dans la charge de lieutenant des eaux et forêts du bailliage du Cotentin. Il visite ses terres en chassant ; il dirige ses ouvriers il préside des repas que l'on peut supposer copieux ; il joue aux dés, au tric-trac, ou aux quilles et le soir, sans doute, il rédige son livre avec soin. Il n'est cependant pas casanier : ses voyages ne sont pas rares. Il va à Bayeux, à Russy, à Cherbourg. Il raconte trois expéditions qu'il fit à Rouen de 1549 à 1550. Il y plaidait. En 1555 il se dirige versBlois, en passant par Russy, Bayeux, Caen, Falaise, Argentan. Séez, Mortagne, Condey, Frazé, Brou, etc.

A son retour à Mesniî-au-Val, il eut la tristesse de voir les ravages causés par la Réforme, mais, philosophe, et curieux de toutes les nouveautés, il lui arriva d'assister au prêche. Il mourut à 57 ans le 7 mars 1578 et fut inhumé dans son église. Son testament si curieux montra que dans le fond il était resté bon chrétien. Ce n'était pas un saint, il n'est pas démontré qu'il ait été tout à fait un sage. Il fut du moins honnête homme et même, pour l'époque, un brave homme. Son dernier écrit permet de fixer un peu mieux encore sa physionomie sympathique et si singulièrement originale.

Du manoir de Mesnil-au-Val, aujourd'hui converti en ferme (1), et appartenant à M. Le Crcst, ilne reste pas grand chose : des vestiges de la chapelle ronde ; une fenêtre, une porte avec arc rentrants de la fin du xve siècle et une tour, encore assez imposante.

Ainsi se termine l'avant-dernière journée de notre excursion. A Valognes nous attendait un dîner; où chacun fit montre de la gaîté qui animait, sans doute, jadis, les festins du sire de Gouberville. Ce fut bientôt l'heure des toasts. Le premier, notre secrétaire général, M. des Rotours se lève et prononce le spirituel discours dont j'ai heureusement pu me procurer le texte. '

MESDAMES, MESDEMOISELLES, MES CHERS CONFRÈRES,

Lorsqu'on ne peut plus compter dans l'armée des jeunes, pas même à titre d'aumônier, et que l'on n'a point de haut-parleur, il est audacieux, je le sens de prendre la parole à la fin de l'un de nos joyeux dîners. Ce soir, pourtant j'y tenais beaucoup.

(1) Le fermier actuel, qui nous reçoit et prend grand intérêt à nos explications, porte, chose assez singulière, le nom patronymique du sire de Gouberville, Picot. Il semble un descendant des Vikings, et l'un de nous s'empresse •de saisir un profil très caractéristique.


EXCURSION DANS LE COTENTIN Oi)

En chacune de nos tournées, offrir à notre cher Président l'expression de notre reconnaissance bien sentie et de plus en plus méritée, m'a toujours paru l'une des attributions, les moins négligeables du Secrétaire Général, et l'une des plus agréables à remplir, c'est une partie de ma tâche à laquelle je ne me suis pas souvent dérobé. Pour ne pas y manquer aujourd'hui, j'ai des raisons toutes particulières.

Notre tournée a été exceptionnellement intéressante, et elle a pris une ampleur sans précédents. C'est la première fois que nous faisons flotter notre fanion et que nous promenons sur les routes un tel défilé de chars, permettez-moi cette expression : elle n'étonnerait pas du tout si seulement on la prononçait à la Normande. On prononcerait car, comme on dit couramment carriole.

Et puis, mon toast de ce soir est un toast p.p.c. Je ne dis pas que je veuille prendre congé de notre chère Société. Mais le temps est venu de prendre ma retraite de Secrétaire Général, une charge d'ailleurs que l'activité inlassée de notre Président m'a rendue aussi légère que son amitié me la faisait douce. Il y a bien des années que j'exerce. J'ai débuté dans la tournée de septembre 1900 à Saint-Hilaire-des-Noyers, il vous en souvient, mon cher Président, par un toast porté à votre regrettée mère, qui avait pour notre Société, nous le sentions bien, un coeur de grand'mère. Je lui ai renouvelé le même hommage dans la mêm.2 demeure hospitalière, en août 1906, sans séparer d'elle dans notre respectueuse gratitude, celle que je saluais déjà d'un titre qui n'est pas prévu dans nos statuts, mais qui lui convient de plus en plus : notre très gracieuse Présidente.

Si ce rappel du passé risquait de m'induire en quelque.mélancolie je n'aurais qu'à songer en quelles mains votre bureau proposera de faire passer l'office de Secrétaire Général lors de notre prochaine assemblée. On votera, mais de ces élections le résultat n'est pas inquiétant. '

De mon prochain successeur, que j'ai un bien vif plaisir à saluer et à féliciter dès aujourd'hui, de Gérard de Banville, je ne vous dirai pas tout ce que j'en pense ; sa modestie se rebifferait. Je ne vous dirai pas ce qu'il doit à sa mère, qui nous a fait l'honneur et le plaisir de suivre plusieurs de nos tournées—il y a chez certains hommes, telle qualité d'âme qui doit toujours faire dire : cherchez la mère ; ce qu'il doit à son vaillant père, le commandant Robert de Banville, mort pour la France, à quarante-six ans, en mars 1918 et qui a paré d'un nouveau lustre l'un des noms les plus justement et anciennement honorés de notre Bocage. Je me contenterai de le louer d'une qualité dont il ne saurait se défendre •■ il esttrès jeune.

Oh ! l'enviable privilège. Gardez-le, mon cher ami, bien et long-


80 EXCURSION DANS LE COTENTIN

temps. Ce que je vous dis là n'est pas aussi naïf qu'il semblait de prime abord. Il est des jeunes qu'à certains égards on pourrait qualifier de vieux, et il arrive que des barbons avancés s'obstinent à faire les jeunes hors de propos. Mais il est une sorte de jeunesse qu'il est désirable,et pas impossible, je pense, de conserver en prenant des années. Eh ! à tout âge on peut bien aimer la jeunesse et nous l'aimons bien ici

Permettez à un ancien de terminer à la mode ancienne par quelques rimes familières. Elles m'ont été inspirées par une pièce de Gustave Le Vavasseur qui est datée de 1853 et intitulée : «Chansons de Moissonneurs ». Cela se chantait sur un air connu alors et qui probablement nous paraîtrait viellot.

Mignonne, je vous aime El vous ne m'aimez pas.

C'étaient des distiques, à deux rimes seulement, sur ce thème qui, cette année particulièrement, ne manque pas d'actualité •

C'est Dieu qui fait la pluie, La pluie et le beau temps.

Je reprends à mon tour :

C'est Dieu qui fait la pluie, La pluie et le beau temps.

Il faut que l'on s'y plie Content ou mécontent.

L'eau parfois contrarie Qui tombe longuement.

La terre enfin s'essuie Et revoit ciel clément.

Tel qui grogne et s'ennuie Sera demain riant.

Le beau temps et la pluie C'est notre humeur autant.

Bonne humeur en la vie C'est le prince charmant


EXCURSION DANS LE COTENTIN 87

Hors de sa compagnie Nul voyage plaisant.

Las ! notre humeur varie Comme pluie et beau temps.

Aux heures d'embellie Craignez du changement.

Et sous le parapluie . Espérez joli temps.

Pour finir tout à fait, cette fois par de bons vers, ils sont de Musset (1), je vous demande', mon cher successeur, comme à celles et à ceux qui ne sont pas plus vieux que vous de nous faire éprouver souvent

Combien peuvent sur nous, pour guérir toute peine Ces deux signes jumeaux de paix et de bonheur : Jeunesse de visage, et jeunesse de coeur.

Le Président doit attendre un instant que les applaudissements se soient calmés pour prendre à son tour la parole.

Il rappelle d'abord les titres des nouveaux dignitaires à la charge qu'ils vont assumer. M. des Rotours secrétaire général depuis 27 ans succède à Paul Harel. M. Gérard de Banville appelé bientôt à le remplacer représente la jeunesse si nombreuse dans nos réunions. Ensuite, il remercie nos guides et tout spécialement M. Cauvin. Sans lui, on ne sait ce que seraient devenues ces trois journées. Il a été un incomparable cicérone, nous assurant l'exactitude et la sécurité de l'excursion. Il nous a fait aimer encore davantage ce beau pays du Cotentin.

Il salue en M. de Lmière, vice-président mais faisant fonction de président de la Société Historique du Maine le successeur de M. Triger que nous avions tant de joie à fêter en 1926 à Sainte-Suzanne.

Il se félicite ensuite de voir parmi nous M. le doyen de Trun, et M. l'abbé Tabourier. Ils représentent ici le clergé ornais qui tient une si grande place dans la Société. Il salue aussi M. le chanoine Guérin si fidèle à nos excursions. Nous avons toujours marché avec des aumôniers. 'Ils soutiennent la tradition et nous donnent en plus leur bon exemple et leur bonne parole (ici les applaudissements deviennent trépidants). Enfin M. Tournoûer parle de l'achat, de l'installa(1)

l'installa(1) la poésie intitulée : Lucie.


88 EXCURSION DANS LE COTENTIN

tion, de l'inauguration de l'hôtel Libert et nous convie, encore, tous à la fête de famille du 27 septembre.

Quelques orateurs prennent après lui la parole. M. Gérard de Banville, remercie en termes excellents, de l'honneur qui lui est fait.

M. le vicomte Dauger et M. André Jaulme lisent l'un une poésie de son oncle le comte de Pontgibaud, l'autre quelques vers doucement ironiques, écrits à la manière de J.-M. de Heredia.

Bientôt après, on vient nous annoncer qu'il pleut.

Au moment de nous séparer, nous chargeons nos aumôniers de prier le ciel qu'il nous accorde le temps idéal de soleil et de clarté, sans lequel la journée serait privée de son plus bel attrait.

Et sous le parapluie Espérez joli temps.


'CINQUIEME JOURNÉE : Vendredi 2 septembre.

La fin de notre tournée archéologique approche, et il semble que nous quitterons le Cotentin avec le sourire d'un soleil tardif mais réconfortant. Nos aumôniers ont dû prier le ciel en termes éloquents car le temps s'annonce beau.

Notre caravane s'achemine lentement vers Cherbourg où nous arrivons, secoués par vingt kilomètres de trous successifs, fondrières telles qu'en pouvaient parcourir les chariots mérovingiens, mais qui doivent laisser aux visiteurs étrangers, nombreux au débarcadère de Cherbourg, un peu brillant souvenir des routes nationales de France. Nos voitures se rangent autour de la statue de Napoléon. Avant de parler de l'église Sainte-Trinité, seul monument que nous ayons visité, je résumerai l'histoire de la ville, puis je dirai quelques mots du port. Il n'est pas possible de passer ici sans en parler.

CHERBOURG

On a beaucoup discuté sur l'origine de ce nom. Les uns y ont vu les restes de deux mots celtes, qui signifient : château à l'embouchure d'une rivière ; les autres la corruption ' du nom romain : Csesaris Burgus. En tout cas, la ville a une origine très ancienne. On a retrouvé un grand nombre de monnaies romaines. Son histoire est inconnue jusqu'au xie siècle, mais on apprend qu'elle était alors une place importante du duché de Normandie. A partir de 1213, elle tomba, comme le reste de notre province, dans le domaine du roi de France. Les Anglais la brûlèrent deux fois au •cours du xnie siècle. En 1346, après son débarquement à Barfieur, le roi d'Angleterre chercha, sans succès, à s'en emparer. Mais en 1378, son allié, Charles le Mauvais, roi de Navarre, qui l'avait reçue en apanage du roi Jean lui en ouvrit les portes. Du Guesclin en fit le siège pendant six mois, mais inutilement. En 1395, Richard II remit Cherbourg au roi de France à l'occasion de son mariage avec la fille de ce prince. Mais en 1418, le commandant du château livra la ville à Henri V. Les Anglais s'en allèrent enfin en 1450. Ils ne devaient plus revenir qu'en 1758.

A partir de cette époque, Cherbourg retomba dans l'oubli ■et les chroniques s'occupent surtout du monument de


90 EXCURSION DANS LE COTENTIN

l'Assomption dont je parlerai bientôt. La ville resta calme lors de la Réforme et pendant tout le xvne siècle. En 1686 Vauban y vint. Il fit démolir le donjon, et commencer les fortifications. Peu après, s'ouvrit la guerre de la Ligue d'Augsbourg. Louvois fit détruire ces travaux de peur que les Anglais, venant à s'en emparer, occupent dans le pays une position inexpugnable. Ils arrivèrent en effet par surprise dans l'anse d'Urville en 1758, prirent la place sans coup férir, brûlèrent les vaisseaux marchands, démolirent une jetée et une écluse puis s'en furent aussi rapidement qu'ils étaient venus. La suite de l'histoire de Cherbourg se résume dans celle du port.

Depuis la bataille de la Hougue, où la flotte de Tourville avait été détruite faute d'un lieu où s'abriter, on sentait la nécessité de créer sur ces côtes un port de guerre. On hésita longtemps entre la Hougue et Cherbourg, Vaut an ne semble pas s'être prononcé. Louis XVI choisit Cheibourg, sur le rapport de M. de la Bretonnière, chargé par le ministre de la marine d'étudier les côtes de la Manche. On commença le creusement des bassins et la construction de la digue. En 1784, le roi vint lui-même visiter les travaux qui furent abandonnés à la Révolution. Napoléon les fit reprendre, le plan prévu était fini d'exécuter en 1858. Il en avait coûté 200 millions.

Le port de commerce, établi dès l'époque de PhilippeAuguste à l'embouchure de la Divette et du Trôttebec fut, au cours du xixe siècle, plusieurs fois agrandi. A l'abri de~ la digue, longue de 3.750 mètres, la rade se développe sur une superficie de près de 1.500hectares. La digue porte à ses extrémités deux forts, dits de l'Est et de l'Ouest ; un troisième est construit au milieu. La base a 200 mètres de large, et le sommet se termine par une plate forme nivelée dont la largeur atteint jusqu'à 60 mètres. Elle est séparée à l'est de l'île Pelée par une passe large de 500 mètres ; la passe de l'ouest a 1.000 mètres. Cherbourg est devenu ungrandport d'escales transatlantiques. En 1913, 557 paquebots embarquèrent ou débarquèrent près de 70.000 passagers. Il y en eut en 1927 plus de 210.000. Nous n'avons aperçu dans le: port aucun navire intéressant.

Le seul monument cherbourgeois qui nous ait retenu est l'église Sainte-Trinité. En y arrivant nous trouvons pour nous recevoir M. le Grin, président de la Société nationale académique de Cherbourg et M. Corbière, secrétaire de la Société des sciences naturelles et mathématique avec quelques confrères venus très aimablement nous faire les honneurs de leur cité. Malheureusement le temps presse et nous ne


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pouvons voir que l'église et le parc Liais où nous entraînent nos hôtes. M. André Rostand, conseiller général de la Manche, qui va devenir notre guide jusqu'à Flamanville nous y rejoint. Construite au xve siècle sur l'emplacement d'un édifice plus ancien, elle fut consacrée le 24 mai 1466. La tour de l'ouest, commencée en 1531, restée inachevée pendant trois siècles, fut démolie et remplacée en 1823 par la tour actuelle. L'église fut à plusieurs reprises l'objet d'additions sans caractère et sans style. Le 19 janvier 1794, elle fut pillée et dévastée. Le syndic du district monta en chaire, lut des journaux de la Convention et du Père Duchesne, puis donna le signal de la destruction en arrachant la colombe du Saint-Esprit : «Que fait ici ce pigeon ? » On démolit ensuite systématiquement, pendant plusieurs jours, cloches, boiseries, vitraux, sculptures. La Danse Macabre et la Passion furent anéanties. De la Danse Macabre, il ne restait que le tambour du squelette conviant à la mort ; et, de la Passion, la ville de Jérusalem.

L'église fut restaurée pendant une partie du xixe siècle. Elle a 46 mètres de long sur 28 de large. Le style flamboyant domine. La nef a cinq travées séparées par des colonnes cylindriques que termine un tailloir. Des balustrades courent sur toute sa longueur. On a refait en 1862, d'après des documents anciens conservés, les motifs en bas-reliefs, démolis à la Révolution.

Du côté de l'Evangile, c'est une danse macabre des plus complètes, représentant avec le symbole de la destruction et du sommeil de la tombe, la mort traînant à sa suite toutes les conditions humaines depuis la tiare jusqu'à l'humble mendiant. Sur divers point de ce cortège, des phylactères portent des inscriptions « statum est hominibus semel mori ; mors omnibus aeqUa», etc.— Cette danse macabre est analogue à celle de Berne.

Du côté de l'Epître c'est la représentation de la voie douloureuse, commençant au jardin des Oliviers, suivant, pas à pas le Sauveur dans les insultes et les tourments de sa Passion, pour se terminer au crucifîment du Christ et à la pendaison de Judas. Des canons défendent les murailles de Jérusalem. Les pendentifs de la haute nef sont à remarquer. Ils sont reliés entre eux par une nervure longitudinale composée d'ornements tirés du règne végétal et se terminant, dans le choeur par des personnages empruntés aux divers ordres monastiques. Parmi ces pendentifs, les principaux représentent l'un les trois personnages de la Sainte-Trinité avec des anges entrelacés de phylactères et supportent un écu aux armes de France ; trois autres, des groupes d'anges


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aux ailes déployées ; un cinquième enfin a la forme d'un sceau fleurdelysé terminé par un dauphin en relief.

Le maître-autel est en bois, sculpté vers 1817. Le baptême de Notre-Seigneur y figure. La chaire épargnée en 1794, en même temps qu'une cloche et les fonts baptismaux, est l'oeuvre de Pierre Fréret (1763). L'église conserve un tableau attribué à Philippe de Champagne. Au moment de la "Révolution un habitant l'emporta roulé sous son bras et le cacha jusqu'à des temps meilleurs. Il le rendit alors.

Pendant plusieurs siècles, la Trinifé de Cherbourg a dû sa célébrité au monument de l'Assomption, dont il ne reste rien, pas même un dessin. En 1418, les Anglais s'étaient emparés de la ville après un siège de trois mois. Charles VII ayant reconquis la Normandie, Cherbourg fut la dernière place dans laquelle ils demeurèrent jusqu'au 12 août 1450.. C'est pendant que le comte de Clermont en faisait le siège que les habitants s'assemblèrent dans leur église et qu'ils promirent à Dieu et à la Reine du ciel d'élever à leur gloire ce pieux et ingénieux monument. En 1466, en exécution de ce voeu, un riche bourgeois de la ville, Jean Aubert, faisait placer derrière l'autel de l'église, alors tout récemment reconstruite, une machine représentant « en personnages mus par ressort » l'Assomption et le Couronnement de la Sainte Vierge dans le Ciel. Au-dessous de cet ensemble figurait le Paradis Terrestre, où l'on remarquait Adam et Eve parmi des arbres. Marie était environnée d'une infinité de petits anges tenant des flambeaux, qui, lorsqu'ils étaient allumés, devaient produire un effet curieux. On l'appelait la Grippée, le Paradis, ou Notre-Dame montée. La mise en mouvement avait lieu tous les ans le 15 août, en mémoire de la sortie des Anglais le 14 août 1450. Le spectacle attirait une foule considérable venue même des pays étrangers. On finit par se battre pour avoir des places. La cérémonie fut supprimée en 1702 à la suite de sang répandu dans l'église. Les démolisseurs eurent beaucoup de peine à détruire cette machine construite avec une extrême solidité ; une toile représentant l'Assomption remplace ce chef-d'oeuvre d'ingéniosité. Dans l'église, le jour de la Pentecôte, il était d'usage de donner la liberté à un pigeon et de jeter du haut des voûtes, pendant l'office, des étoupes enflammées : la colombe du Saint-Esprit et les langues de feu.

En 1921, la Trinité reçut du Souverain Pontife le titre de Basilique Mineure ; le double insigne en figure dans le sanctuaire.

La visite de la basilique achevée, nous varions nos occupations en allant faire de la botanique au parc Liais. M. Liais,


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ancien directeur de l'Observatoire Impérial du Brésil,, s'étaitretiré à Cherbourg dont il devint maire au siècle dernier.

En'mourant, il légua à la ville le jardin dans lequel il avaitsu faire prospérer les plantes les plus variées. Nous parcourons d'abord une serre où des bananiers de quinze mois nous paraissent grands pour leur âge.- Il est vrai que bien peu d'entre nous peuvent juger en connaisseurs de ces arbres exotiques. Puis , ce sont des fougères géantes, d'une taille désordonnée ; des cycad^es, toutes petites plantes celles-là, et qui poussent très lentement. Celles que nous voyons sont plus que centenaires ; on leur donnerait tout juste quelques mois ; ce sont, dit notre guide, les deux plus beaux ( ? ) spécimens qui existent en France, même à Paris. Dans le parc même, nous passons devant la statue de M. Liais. Puis notre étonnement se renouvelle sans cesse. Voici des eucalyptus, hauts comme les chênes de nos régions ; un cyprès grand comme un cèdre ; un dattier planté depuis sept ans et qui semble n'avoir jamais poussé qu'en Afrique. Et je ne saurais tout énuméref. Le climat du Cotentin est dans certaines parties exceptionnellement doux ; il n'y gèle presque jamais.

L'arrêt n'a pas pris deux heures, mais il est temps de partir pour le manoir de Dur-Ecu, étape de 10 kilomètres.

Une partie de la journée seraconsacrée à la contemplation des beautés de la nature, plutôt qu'à l'étude de monuments, à la visite d'églises ou de châteaux. Le soleil est maintenant magnifique, la mer est d'un bleu superbe. Nous passons bientôt à Querqueville, mais sans arrêter. Deux mots quand même.

QUERQUEVILLE

Ce n'est pas le domaine du chêne, quercuum villa, comme certains l'ont prétendu, en se fondant sur l'etymologie apparente. Ce nom serait plutôt d'origine nordique. Kirk en Scandinave ; kerk, en breton veulent dire église. Ce serait donc ici le domaine de l'église. De fait, il y en a deux ; l'une est moderne. L'autre, la plus petite, est consacrée à saint Germain, le même que la légende fait arriver par mer, sur une roue de charrette. Elle comprend une chapelle en forme • de trèfle sur Porigine'de laquelle on n'est pas fixé. On a jadis prétendu y voir un temple gaulois. L'idée ne se soutient même pas. Ce serait plutôt une chapelle du ixe siècle agrandie, dénaturée par l'adjonction d'une nef : mais sur toute la ligne, on est réduit a des conjectures. A Querqueville se


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trouvent deux des forts qui défendent la rade de Cherbourg : ceux dits de Querqueville et de Chavagnac.

Nous passons non loin d'Urville-Hague qui possède une vaste plage où les Anglais débarquèrent en 1758. Pendant la dernière guerre, un dirigeable, canonné par un sousmarin teuton, descendit en mer, mais put être remorqué jusqu'au port. Le premier arrêt est au :

MANOIR DE DUR-ECU

c Nous devons d'y pénétrer à sa propriétaire, Mme Lechevalier,

Lechevalier, nous remercions. Il est construit au bord de la

route. On ne sait absolument rien de son histoire. Toute

cette partie du département a été fort peu étudiée. Ce que

M. de Gerville écrivait il y a plus de cent ans est encore vrai, en partie : « Notre département est pour ainsi dire un pays vierge pour les faiseurs de recherches. Aucun des curieux qui sont venus visiter la Normandie n'y a pénétré ». A l'heure actuelle, nous sommes peut-être la première Société historique étrangère au Cotentin qui vienne parcourir cette pointe extrême de la Normandie. Ici, au Dur Ecu, une tour ronde et un colombier indiquent le xvie siècle. La cheminée monumentale de la cuisine porte des armoiries grattées. Je n'ai rien pu trouver sur ce lieu. Nous n'y restons pas longtemps. Les retardataires habituels arrivent avec leur

Manoir de Dur-Ecu.

(Cliché du vicomte Dauger.)


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carnet de notes, ou leur kodak, que déjà le reste de la caravane est parti et s'est évanoui dans un nuage de poussière. Quinze » kilomètres de foute en lacet vont nous conduire.

au Moulin-à-Vent. Nous abordons bientôt la côte de Landemer. La vue, très étendue, offre un contraste surprenant entre la côte plate à l'est et les falaises rougeoyantes d'Omonville vers l'ouest. Au large, un torpilleur trace un sillon d'écume. Les jumelles se braquent, avec ensemble dans sa direction. Bientôt nous traversons à allure réduite le village de

Manoir de Dur-Ecu.

(Cliché âe M. Dulong de Rosnay.)

GRE VILLE

Près de l'église que nous ne visitons pas, se trouve la célèbre statue de Millet. Le monument d'une simplicité, d'une rusticité dignes de remarque est placé sur un piédestal en granit, solide et rude. Le peintre est assis , chaussé de sabots normands. Jean-François Millet naquit en 1814, d'une famille de cultivateurs, au hameau de Gruchy, entre Gréville et la mer. Il vécut surtout à Barbizon où il mourut le 20 janvier 1875.11 repose à Chailly. L'un de ses tableaux

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représente l'église de Gréville. Il est au Louvre. On lui doit des scènes champêtres d'une sincérité et d'une émotion inexprimables. Les plus connus sont le Repas de Moissonneurs, les Glaneurs et surtout, peut-être, l'Angélus. Il vendit ce dernier tableau 1.800 francs. Les quatre acquéreurs suivants le payèrent respectivement 38.000, 160.000, 553.000 et 800.000 francs. La statue semble surveiller l'église et le petit cimetière qui l'entoure.

■ Soudain, l'auto tête-de-file s'arrête. Nous la croyons en panne. Elle nous donne, en réalité, le signal d'un nouvel arrêt. Ici, la route traverse des ruines qui ont donné lieu à de longues discussions. Nous avons sous les yeux les vestiges du :

HAGUE-DICK

M. Tournoùer donne lecture de la notice suivante :

Le Hague-Dick est une levée de terre qui, en 1821, avait encore 15 à 20 mètres de large sur 10 mètres de haut. Il allait à cette époque et va encore (1905) du parc du château de Beaumont au Val-Ferrand en Eculleville. Il se continuait entre le parc et la mer par l'escarpement naturel du Mont de Crèvecoeur, et entre le Val-Ferrand et la mer par l'escarpement de la hauteur d'Eculleville.

Il reliait ainsi la vallée de la Sabine à la vallée du Houguet et protégeait les hauts plateaux : ce retranchement avait 5.700 m. de long, et couvrait 3.500 hectares renfermant aujourd'hui huit paroisses. Dans cette enceinte, se trouvent trois ports naturels : Goury, Gmonville et l'Anse Saint-Martin, seule baie profonde; et sûre de Dunkerque à Granville.

Le Hague-Dick avait une grande importance militaire. Il est encore visible entre Cherbourg et Omonville. Il s'est effondré en bien des endroits. Il faisait face à, l'ennemi venant de terre. Pour s'acculer dans cette impasse, il fallait que les maîtres du HagueDick fussent aussi les maîtres de la mer avoisinante.

On a pensé qu'il était destiné à protéger les razzias que les pirates Normands opéraient dans nos régions, dont les produits auraient été embarqués à Goury ou à Omonville. Rien ne justifie cette hypothèse. L'opinion qui veut qu'il ait été construit pour mettre à l'abri des invasions romaines les populations effrayées, serait plus plausible, quand on voit César, dans ses Commentaires, parler des camps retranchés des Vénètes. Il aurait donc pu être élevé contre les Romains après la bataille du Chastellier, vers l'an 54 avant J.-C.

M. Lucas (La Hague, jusqu'au temps de Guillaume le Conquérant, Paris, 1903) penche pour cette solution. M. de Gerville, au


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contraire (Mém. de la Soc. des Ant. de Normandie, 1832) adopte la première. La lumière n'est pas encore faite.

On se remet en route. Nous serpentons comme en montagne, au milieu de coteaux teintés de plantes aux couleurs fondues. A partir d'Omonville-la-Rogue nous descendons vers l'anse de Saint-Martin. C'est une vieille tradition confirmée par les études géologiques que, jadis, une vaste forêt s'étendait dans l'anse de Saint-Martin : la légende a même singulièrement défiguré l'invasion, sans doute progressive, des flots qui s'acheva au xive siècle. Les gens de Saint-Germain, raconte-t-on, désireux de se débarrasser des vipères et des loups qui infestaient la forêt de Saint-Germain à la Hague, allèrent consulter un vieil alchimiste. Celui-ci leur indiqua un remède radical : faire venir la mer dans; l'anse pour noyer les reptiles et les fauves. Le remède réussit, à merveille, mais la mer, une fois introduite ne s'en retourna, plus.

Nous voici arrivés à l'étape du déjeuner, ce qui plaît à t;out le monde. Il est probable que la petite auberge du Moulin-à-Vent a rarement donné abri à de si nombreux, convives. Un déjeuner succulent nous est servi. La chaleur est devenue très forte et c'est avec satisfaction que nousnpus emparons d'une table dressée sous une tente devant la maison. Un excursionniste arrivé en retard, et auquel,, malgré toute notre bonne volonté et nos efforts, nous, n'arrivons pas à ménager sur nos bancs étroits une place suffisante, sort les coussins de sa confortable conduite intérieure et met son couvert sur le marche-pied de sa voiture ; un invité partage son installation. Ceux des; nôtres, casés dans la salle, ont dû regretter quelque peu la fraîcheur des semaines précédentes. Après le déjeuner, nous descendons à la plage par. un sentier rocailleux et assez raide, mais, hélas, les bons momentssont toujours les plus courts et dès 1 h. 30 la trompette présidentielle nous rappelle,nous ne sommes pas longs à atteindre le :

CAP DE LA HAGUE

Situé sur la commune d'Auderville-la-Roche, il forme l'extrême pointe ouest du Cotentin. Au nord-ouest, à 4 km. en mer, se trouve la fosse de la Hague profonde de 120. mètres aux basses marées. Les tempêtes ici sont fréquentesUne des plus violentes dont on ait conservé le souvenir est celle du 31 octobre 1823 qui, en mie nuit, jeta sur le littoral


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vingt-trois navires et fit périr quarante hommes. Le bateau de sauvetage sort souvent. Les frais entraînés par son établissement se sont élevés à environ 600.000 francs, mais il a déjà sauvé la vie de bien des naufragés. Le phare d'Auderville, ou de la Hague, éclaire cette côte revêche, hantée de courants violents, semée .d'écueils innombrables. Achevé en 1837, il a une hauteur de 47 mètres et une portée de

18 milles. Il est remarquable par sa position sur un simple îlot nommé le Gros-du-Raz, à 1.800 mètres de la côte dont il est séparé par un courant rapide. Une croix commémorative placée non loin du sémaphore rappelle qu'ici le sous-marin Vendémiaire fut, en 1912, coulé, au cours de manoeuvres, par le cuirassé Saint-Louis. Pendant toute la durée de la guerre, ces côtes ont été infestées de sous-marins allemands qui ont torpillé de nombreux navires de commerce.

La route très raide, descend maintenant sur la baie d'Ecalgrain. A notre droite, la mer d'ordinaire si violente ne porte pas la moindre ride, à gauche, la route en crochet semble s'écrouler vers le fond du vallon. En face, de hautes falaises, estompées dans une brume violacée, offrent une crête éclatante de lumière et une base perdue dans une ombre cendrée. Pas de maisons, pas d'oiseaux ni de bateaux. Rien que la nature sauvage et majestueuse. Tel est l'incomparable tableau qui se déploie devant nos yeux, et que seuls, peuvent se représenter ceux qui l'ont vu par cette radieuse journée de septembre.

Au fur et à mesure que nous avançons, le paysage s'étend

; ur la gauche, vers l'intérieur des terres. De hautes collines

ont recouvertes de bruyères roses et de fougères roussies.

Des murs très bas, en pierres sèches, qui rappellent ceux

Le Cap de la Hague. Baie d'Escalgrain.

(Cliché de II. Dulong de Rosnay.)


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d'Auvergne, les partagent en enclos échiquetés; au milieu de chaque enclos, une grande pierre, dans le genre des menhirs, est fichée dans le sol, pour que les animaux puissent venir s'y frotter.

Le flot commence à se retirer. Çà et là, pointent menaçants quelques-uns des terribles écueils qui ont causé tant de naufrages et tant de morts. L'air est d'une âpre puretév Il accentue l'étrange contraste d'une mer par hasard silencieuse et d'un vallon verdoyant, mêlé sans transition aux landes désolées que hantent les légendes. De ce spectacle merveilleux, de cette sensation de silence absolu, se dégagent une impression étrange de nature primitive, une évocation d'âges qui ne sont plus.

Plusieurs des nôtres s'égarent dans les carrefours que la route escarpée rencontre à chaque instant. Il est parfois difficile de se reconnaître dans ces chemins tortueux et encore plus d'obtenir des paysans l'indication du trajet suivi par ceux qui nous devancent. Leur dialecte ne nous est pas familier, mais on arrive à faire le point et après avoir traversé Dannery, nous nous retrouvons dans la lande de :

JOBOURG

Quelques centaines de mètres à pied dans un sentier tracé au milieu des ajoncs et nous voici à la pointe du sémaphore.

Le nom de Jobourg évoque nos origines nordiques. Les anciens ëtymologistes dérivaient Jobourg de Jovis Burgus, bourg de Jupiter. Cette étymologie ne semble pas très scientifique. La forme [Jovis burgus que l'on voit dans les chartes du xvie siècle n'est pas la forme primitive. Les chartes antérieures au xiie siècle portent Jorboch, nom de formation Scandinave, Mais si Jobourg ne veut pas dire Jovisburgus, il n'en reste pas moins que certains éléments de la corniche extérieure de l'église, corbeaux de soutènement, se terminant en pied de boeuf, pourraient bien être des matériaux empruntés à un ancien temple païen. Jobourg est situé à peu près au centre de la Hague. Quand à l'invasion des Romains, succéda l'invasion dévastatrice des hommes du Nord, la Hague fut un des premiers points du sol gaulois où s'abattirent les pirates nor hmen. Mettant leur butin et leurs chevaux à l'abri du Hague-Dick, certainement nommé par les Wikings, les Normands firent de la Hague leur premier établissement en Neustrie, et nulle part ils n'ont laissé de vestiges plus nets de leur type ethnologique et de leur dialecte.


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La pointe du sémaphore de Jobourg ferme au sud la baie d'Ecaîgrain. La vue d'ici est splendide, et longtemps, nous restons à flâner devant cet horizon immense et grandiose.

Un t5rpe de Viking au Manoir du Mesnil-au-Val.

(Croquis du comte Henri d'Orglandes.)

"Nous dominons la mer de 128 mètres. A droite, nous avons le phare d'Auderville et le cap de la Hague ; à gauche l'anse de Vauville, que ferme dans le lointain, à une quinzaine de kilomètres, le cap de Flamanville. Une légère brume en haute mer nous cache les îles anglo-normandes. Tout près, au sud, s'allonge le Nez de Jobourg, moins haut mais plus déchiqueté que la pointe sur laquelle nous sommes. Là, finit le passage de la déroute et commence le Raz-Blanchard. Dans les hautes falaises de Jobourg existent des grottes d'un accès difficile : on y descend en suivant un sentier périlleux établi par le T. C. F. Si dangereux que soient ces parages pour la navigation il n'en ont pas moins été fréquentés par les fraudeurs. Il y avait autrefois dans la région


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des sociétés organisées pour la fraude du tabac. La configuration de la côte, riche en cachettes, facilitait ce trafic

Le Nez de Jobourg.

(Cliché de M. Dulong de Rosnay.)

Xes fraudeurs, les « hagards », selon l'expression locale, sont devenus plus rares. Les lourdes amendes et la prison qui les menacent aujourd'hui ont presque entièrement arrêté leur fructueux commerce.

Bien rares sont les narrateurs qui se sont occupés de ces régions. La seule description vraiment exacte que j'en aie pu trouver est celle de M. Darnault. Je lui emprunte les lignes qui vont suivre :

Partout où le vent du large, a laissé intacte la légère couche d'humus, bruyères et genêts marient leurs teintes harmonieuses en une délicate féerie rose et or. Arbustes nains, buissons rabougris, rien d'autre ne saurait croître sur ces crêtes éventées ; parfois, un arbre squelettique, tamaris ou bouleau, épargné par l'aquilon, •étend ses bras lamentables vers l'intérieur, par-dessus les corolles épanouies, comme pour les inviter à fuir vers des cieux plus cléments. Le plus souvent, le roc seul, émerge, plissé, tailladé fissuré par l'action carrosive des éléments, dont rien, ici, n'arrête l'inlassable fureur. Toute trace de vie disparaît alors, et au milieu de ce cahos infernal, la voix lugubre de l'Océan, reprise et amplifiée par l'écho se fait entendre impérieuse et terrible, cependant que ses flots dans un dernier frémissement de rage, s'abattent au pied des brisants, dans un tourbillon d'écume.

Avant de repartir, M. Rostand nous met en garde contre la descente de Beaumont, d'une raideur inquiétante. I recommande la prudence et l'observation exacte de ses directives. La petite route que nous suivons, passe d'abord entre


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des collines arrondies comme les dômes d'Auvergne. Le soleil s'est caché, les teintes sont moins vives. Nous arrivons en haut de la fameuse côte, que beaucoup redoutaient en secret. Tout se passa fort bien. Les automobilistes mirent pied à terre, ne laissant dans la voiture que le conducteur indispensable. Je crois bien que, même si M. Rostand n'avait rien dit, tout le monde serait descendu instinctivement ; la pente que l'on découvre tout à coup, donne envie de faire demi-tour, nous descendons lentement sans nous lasser d'admirer ce spectacle toujours identique mais toujours attirant d'une mer qui ourle les rivages souvent tourmentés. Peu à peu, le paysage s'humanise ; les fermes isolées au creux des vallons, toutes blanches et gaies sous leur crépi de chaux, indiquent l'activité, le bien-être réel, malgré a pauvreté apparente des chaumes. Nous arrivons dans un pays moins perdu.

VAUVILLE

Le château, d'abord forteresse féodale, fut rebâti vers la fin du XVIIe siècle par le comte de Tourville, à l'exception du donjon et d'une partie de l'aile occidentale qui sont de la construction primitive. Un Richard de Vauville accompagna Guillaume en 1066. Il aurait fondé en 1060 le prieuré de Saint-Ermel, dédié à saint Michel, et dépendant de Cerisy. Les bâtiments en subsistent encore.

Au xiie siècle Vauville relevait de la baronnie de Lithaire puis de celle de Bricquebec ; depuis le xve siècle, de la haute justice de Saint-Sauveur-le-Vicomte. Sous le règne de saint Louis, le seigneur du lieu était Gauvain, l'ami du bienheureux Thomas Hélye. C'est dans une chambre du château que celui-ci mourut le 19 octobre 1257.

Vauville vint ensuite aux de la Haye. Jacques de la Haye, seigneur de Vauville en 1543 n'eut qu'une fille, mariée à François d'Harcourt, baron de Beuvron et bientôt séparée de lui. Après elle, vint Louis Le Poupet, qui épousa Jeanne de Pirou, soeur du seigneur de Gonneville, et mourut sans enfants. Les Le Sauvage leur succédèrent. Julien Le Sauvage épousa en premières noces Françoise de Grimouville, morte sans postérité le 2 novembre 1634 ; puis Anne de Costentin de Tourville, dont une fille, mariée en 1663 à .son cousin César de Tourville, frère aîné de l'illustre maréchal. C'est lui qui rebâtit le château. Il mourut en 1697 laissant Vauville à son plus jeune fils.

En 1713, ce dernier tua, dans un accès de jalousie conjugale, Pierre-Alexandre Hellouin, bailli de Périers. Condamné


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à mort, il obtint sa grâce, en levant à Rouen la Fierté de Saint-Romain. Après les Tourville, M. Saffray, de Caen, devint propriétaire du château. Sa veuve, Thérèse du Mesnildot le vendit vers 1810 au lieutenant-général comte Le Marois, dans la famille duquel il est resté jusqu'en 1890.

La châtelaine actuelle est madame Gayard, belle-soeur de M. Fleury, sénateur de l'Orne, qui veut bien nous accueillir.

Elle nous' fait voir l'extérieur de l'habitation qui présente des parties intéressantes.

Celle-ci se compose de deux corps de logis, se coupant à angle droit, reliés ensemble par une sorte de donjon ; qui renferme un vaste escalier en spirale s'enroulant autour d'un pilier carré. En haut, se trouve une chambre à voûte ogivale que surmonte une terrasse, de laquelle la vue s'étend fort loin ; les lucarnes de fenêtres à meneaux sont historiées. On retrouve encore à l'entour des vestiges des anciennes défenses. En arrière, se dressent des collines abruptes (l'une d'elles a 134 mètres d'altitude) sur lesquelles se voient, dit-on, les restes de monuments celtiques.

C'est sur l'autre versant de ces coteaux qu'eut lieu en août 1923 le congrès de vol à voile. On se rappelle les records de Maneyrol et du lieutenant Thoret, et aussi la mort tragique de l'aviateur Hemmerdinger.

Nous prenons congé de Mme Gayard, et nous gagnons rapidement Biville.

Bl VILLE

Thomas Hélie qui a rendu célèbre ce petit village y naquit vers 1187. Il s'adonna à l'étude des lettres, puis à l'éducation des enfants, spécialement à Cherbourg. Atteint d'une maladie grave, il revint à Biville, où, retiré du monde, il mena une vie très austère et n'appliqua son esprit qu'aux choses célestes. Sa réputation s'étendit au loin. L'évêque de Coutances le fit venir, l'exhorta à modérer son ascétisme, -et à recevoir les saints ordres. Il se montra docile à ces conseils, alla en pèlerinage à Rome et à Compostelle, puis à Paris où il se livra pendant quatre ans à l'étude de la théologie. Il reçut la prêtrise à quarante ans et se voua au ministère apostolique. Il parcourut alors le diocèse, donnant un grand exemple de pénitence, faisant pieds nus ses voyages. Saint Louis l'aurait nommé son aumônier. Il mourut à près de 70 ans au château de Vauville en 1257, devenu célèbre par la dévotion de ses fidèles et la réputation de ses miracles. Son culte est resté très populaire dans le diocèse de Coutances.


104 EXCURSION DANS LE COTENTIN

Il existait à Biville une très ancienne église. Dom Martin, prieur de Héauville. promit à la suite d'une guérison obtenue d'élever une chapelle au bienheureux. Cette chapelle était contiguë à l'église. On y transporta les restes de Thomas Hélye. Au xvie siècle, on construisit une église à laquelle servit de choeur l'ancien édifice du xme. On refit une tour à-bâtière. En 1745, on prolongea la nef de deux travées.

Ces additions successives ont disparu pour faire place à une vaste construction en ciment armé, oeuvre de M. René Lévesque. On a conservé le choeur du xme (l'ancienne chapelle), la tour et le porche construits en 1630. Cette nouvelle église dans le style du xve fut inaugurée le 19 octobre 1924, jour anniversaire de la mort du bienheureux. Pour nous, le choeur seul présente de l'intérêt. Il se compose de quatre travées. Les fenêtres à lancette, très allongées et très étroites se terminent par une pointe ogivale, encadrée de deux colonnes très longues, terminées par deux arcs en ogive. Entre ces fenêtres, se remarquent des groupes de cinq colonnettes, également fort longues, surmontées d'un bourlet de cinq arcades. Le chevet se compose d'un mur droit-percé de deux lancettes géminées, dont l'encadrement est très riche.

Deux pièces du mobilier liturgique de l'église sont célèbres : la chasuble et le calice.

La chasuble est du xme siècle et la tradition rapporte que saint Louis la donna à Thomas Hélye avec le calice. Léopold Delisle refuse de suivre cette opinion, tout en reconnaissant d'ailleurs, qu'elle est bien du xme siècle. Je ne crois pouvoir mieux faire que citer une partie de la description qu'en a donné M. de Caumont :

Cette chasuble dont le tissu se compose de soie et de fil d'or, offre sur toute sa surface des compartiments en losange formant une sorte de damier. Quatre figures sont brodées dans les losanges : une fleur de lys, une façade de château à trois tours crénelées, un

aigle, et un lion efflanqué, allongé— —. Les armes de

France et de Castille (lys et châteaux) sont disposés sur la même ligne et alternent ; les lions et les aigles sont disposés en lignes horizontales, sans alternat ; de sorte que chaque ligne composée de fleurs de lys et de châteaux de Castille se trouve encadrée entre une ligne de lions et une ligne d'aigles. Les couleurs sont, comme on le pense, très ternies. Les armes de France et de Castille paraissent avoir été sur fond rouge, les autres sur fond sinople ou verdâtre. Le galon qui pare la chasuble au centre est d'un travail particulier. Le bas de la chasuble a été raccommodé, cet


EXCURSION DANS LE COTENTIN 105

orhement a la forme antique du moyen âge, comme on doit le penser......

D'autres archéologues ne voient dans ces dessins héraldiques qu'un motif d'ornementation fort usité au xme siècle.

Le calice du Bienheureux est en vermeil. Il est aussi du xnie siècle, mais porte des inscriptions du xve, ce qui laisse supposer des réparations. On y lit six fois répétés les mots « sui donné par amour ».

Un reliquaire en argent repoussé, offert en 1860 par le marquis d'Aigneaux renferme le chef et les principaux 'ossements de Thomas Hélye ; une table de marbre blanc placée à l'entrée du choeur est un reste de son tombeau élevé en 1778 et démoli à la Révolution.

Près de l'église, un couvent de missionnaires diocésains a été fondé par Mgr Germain, évêque de Coutances, vers 1880.

Encore une fois, le car est tombé en panne derrière nous. Aucun de ses occupants n'a pris part à la visite que nous venons de terminer. Nous attendons un moment sur la route, assez longtemps même ; une auto retourne sur Vauville et revient peu après, pleine, bondée. Le reste des nôtres suit péniblement à pied à une courte distance, et, infortunés ■collègues; débouchent sur la place de l'église, essoufflés, couverts de poussière, ayant l'air et à juste titre de trouver fort mauvaise la plaisanterie trop souvent répétée du garagiste de Cherbourg. Pendant que le Président cherche des places pour ceux qu'atteint maintenant la crise du logement, ces derniers traversent l'église, s'arrêtent quelques secondes devant les reliques et la chasuble, et nous rejoignent en hâte. On s'écrase un peu dans les autos. Coup de trompette présidentiel. Départ ! nous avons perdu plus d'une heure et la route est longue d'ici Flamanville.

Notre allure rapide soulève une poussière intense. L'arrivée chez M. Rostand s'effectue sans gloire. Il semble que nous ayons tous revêtu un uniforme gris cendré. Tout à l'heure nous bénirons l'heureuse idée qu'ont eue nos hôtes aimables de nous préparer un goûter rafraîchissant. Nous pénétrons à pied dans l'avant cour, un peu confus de nous présenter à Mme Rostand en semblable toilette. M. Rostand nous réunit devant le château et nous en raconte longuement l'histoire. Il m'a envoyé des notes abondantes, qui m'ont été précieuses. Je suis heureux de pouvoir lui en redire ici toute ma gratitude.


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EXCURSION DANS LE COTENTIN

FLAM AN VILLE

Le château actuel fut bâti de 1657 à 1660 sur l'emplacement d'un manoir plus ancien, par Hervé Bazan, marquis de Flamanville

Le plan est classique : cour d'honneur, au fond de laquelle se trouve le corps de logis principal à deux étages et un étage de mansardes ; au-dessus de la porte centrale, le fronton en demi-cercle, surmonté d'un beffroi et orné des armes de la famille de Sesmaisons.

De part et d'autre de ce bâtiment central, deux autres corps de logis à double ressaut ; au sud, galerie ou orangerie ;.

au nord, aile] occupée par la bibliothèque. Fermant, à moitié la cour d'honneur deux pavillons ' au sud, celui de' la chapelle, au nord, celui dit du Régisseur. Faisant corps avec cet ensemble : la basse-cour au nord (à droite en regardant la façade principale) entourée de communs. Le tout entouré d'eau :• douves sur le devant, avec pont dormant, étang du côté nord. Avant 1830, des fossés, comblés depuis, achevaient d'isoler cet îlot artificiel.

D'abord possession des ducs de Normandie, Flamanville passa en diverses mains et échut à l'abbé de Blanchelande qui le vendit aux Bazan. Le château s'élève sur l'emplacement d'un manoir plus ancien dont quelques pans de mur subsistent, englobés dans les reconstructions du xvne siècle. Un aveu indique qu'à l'époque de la guerre de Cent Ans, le manoir était ruiné et détruit « par la fortune de la guerre ».

Château de Flamanville.

(Cliché de M. Dulong de Rosnay.)


EXCURSION DANS LE COTENTIN 107

La seigneurie était alors aux mains de la famille Bazan qui l'avait acquise dans la seconde moitié du xive siècle.

Colin Bazan et son frère Robert, furent faits prisonniers par les Anglais lors de la reddition de Cherbourg en 1378 : Nicolas, fils de Colin, reçut des lettres d'anoblissement en 1391. L'un des fils de Nicolas, Richard, s'enferma au Mont SaintMichel en 1417. Ses biens furent confisqués par l'envahisseur et rendus seulement en 1450. Richard avait été tué en 1449 au siège de Ganay. Jusqu'au xvne siècle, la famille accrut peu à peu sa fortune et ses possessions territoriales. Plusieurs de ses membres se distinguèrent pendant les guerres de Religion, fidèles au parti du Roi.

Guillaume Bazan, gentilhomme ordinaire de la chambre de Henri IV est fait baron en 1610, chevalier de l'ordre de Saint-Michel en 1613. Son fils Hervé se marie une première fois avec Jeanne d'Argouges, puis avec Agnès Mole, petitefille de Mathieu Mole, garde des Sceaux. Sa terre est érigée en marquisat. Il avait brillamment servi dans les guerres sous Louis XIII et Louis XIV. Un des frères Hervé, Jean, fut tué dans un combat naval près de La Rochelle ; un autre Guillaume, à la bataille de Sedan. Il fit construire le château actuel, acheta la charge de grand Bailli du Cotentin, ' mais mourut peu après en 1660. Grâce a ses libéralités, et à celles de sa veuve, l'église, jusque-là située à Diélette, fut construite sur son emplacement actuel.

Son fils Jean-René lui succéda. Militaire, il devint lieutenant général en 1704. Il épousa Marie-Anne Le Camus fille du premier Président de la Cour des Aides. L'un de ses frères fut évêque d'Elne en Roussillon ; un autre fut tué aux armées, un troisième fut commandeur de Malte.

Jean-Jacques succéda à son frère Jean-René. Il mourut à Paris en 1752 ayant épousé Françoise de Mauconvenant. Sa fille, mariée au comte de Nonant-Raray, mourut en 1761 laissant un fils dit le chevalier de Flamanville. Il fut l'ami de Jean-Jacques Rousseau pour lequel il aurait fait construire la tour, dite tour Jean-Jacques, à l'angle N.-E. du parc du château. Il mourut célibataire en 1779.

Sa soeur, seule héritière, épousa le colonel marquis de Bruc, qui fut incarcéré pendant la Révolution et mourut dans la prison de Nantes en 1794. Restée veuve avec une seule fille, la comtesse de Clermont-Tonnerre, la marquise survécut à cette dernière et ne mourut qu'en 1820. Le domaine de Flamanville échut alors à la famille de Sesmaisons (alliée à Mme de Bruc) qui le posséda jusqu'en 1888. Le comte Donatien de Sesmaisons épousa en 1805 Anne Dambray et mourut en 1842, pair de France. Son fils le marquis de


108 EXCURSION DANS LE COTENTIN

Sesmaisons, né en 1805, épousa en 1832 MUe de ChoiseulBeaupré. En 1888 ce qui restait du domaine, en partie aliéné depuis quelques années, fut acquis par M. Milcent, mort en 1913. Il est aujourd'hui la propriété de son gendre et de sa fille, M. et Mme André Rostand.

M. Rostand connaît à fond l'histoire de Flamanville. Et c'est de mémoire, qu'il évoque pour nous dans la cour principale, l'histoire des anciens seigneurs.

Ceci fait, il nous fait visiter le grand salon décoré de plusieurs tapisseries. Mais du mobilier ancien, rien ne subsiste. Nous voyons la très vaste orangerie qui a pu servir de salle de théâtre, puis la chapelle, où a été placée une statue de la Vierge, du xive siècle. Enfin, nous passons devant la bibliothèque qui contient encore quelques volumes reliés aux armes Bazan-Molé. M. et Mme Rostand nous emmènent alors dans le parc. C'est sous la Restauration qu'il fut dessiné tel qu'on le voit : les pièces d'eau furent remises en état, des plantations d'arbres entreprises, et l'exploitation agricole reconstituée en grand. A cette époque aussi, le château fut restauré, notamment les 10.000 mètres carrés de la toiture.

Un goûter champêtre excellent nous est servi sur une vaste table en pierre, placée à l'entrée d'une haute futaie qui surplombe l'étang, et près d'un parterre d'énormes hortensias. Cet arrêt, si agréable soit-iî, ne peut se prolonger longtemps. Le Président remercie en notre nom à tous M. et Mme Rostand de leur charmante réception, et nous reprenons le chemin de la grille. Les autos nous attendent sur la route. Le départ est donné pour la dernière étape.

Quelques excursionnistes cependant s'attardent à l'église toute proche.

Elle fut primitivement sous le patronage des abbés de Saint-Sauveur. Vers 1483, Henri Bazan, qui était seigneur de Flamanville, s'en prétendit patron : d'où procédure avec l'abbé de Saint-Sauveur. En 1533, les trois fils de Jean Bazan achetèrent à Jacques de Pouilly une part du patronage. Jacques Bazan nomma aussitôt curé, son frère Jean ; l'abbé répliqua sans tarder en nommant, lui aussi, son propre frère. Mais bientôt après, Jean Bazan se désista.

Nous avons vu qu'anciennement l'église était à Diélette. Celle que nous venons de regarder fut d'abord nommée Saint-Jean-de-la-Mer.

Les retardataires se mettent en route et rattrapent sans peine les voitures parties les premières. L'étape est très courte, sept kilomètres. Nous arrivons au Rozel en bon ordre, mais fort en retard sur l'horaire prévu.


EXCURSION DANS LE COTENTIN

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LE ROSEL

M. le comte et Mme la comtesse de Gourcy nous y attendent et nous en font les honneurs.

Situé dans l'ancienne baronnie de Bricquebec, le château est connu d'une manière certaine dès 1066. Il est situé sur une petite éminence à l'angle occidental s'élève une tourelle pittoresque. Un mur à contrefort crénelé, couronné de lierre, ayant supporté jadis un chemin de ronde l'environne, et, du côté de la mer, donne entre deux tours accès à une cour intérieure.

On arrive au château par une chaussée qui longe un petit ruisseau nommé le Bus. De l'ancien château, il reste dans le

jardin deux tours circulaires aujourd'hui restaurées. Elles avaient été en partie détruites sous la Révolution par les ordres du fameux proconsul Lecarpentier et en saprésence. Les arbres du parc, exposés à la violence du vent, se sont rabougris ; ceux qui ont grandi ne portent plus que des branches horizontales. Celles de la «lre ligne » sont dépouilles

de feuilles.

Mme la comtesse de Gourcy veut bien nous montrer dans le salon une collection considérable de miniatures, la plupart sur émail, et du plus haut intérêt pour l'histoire de l'art. La bibliothèque contient des livres précieux, notamment sur l'histoire de Normandie et la botanique. Mme de Gourcy fait passer de main en main plusieurs reliures très riches. Il existe dans les collections du Rozel, deux pièces dignes d'être notées.

Château du Rose!.

(Cliché de M. F. Mouchel.)


110 EXCURSION DANS LE COTENTIN

La première est une lettre de saint François de Sales signée François, év. de Genève, et datée Annecy le XXX oct. 1604.

La seconde est une tabatière donnée par la Reine MarieAntoinette à un Bignon du Rozel. Elle est ovale, en or, nacre et malachite. Sur des émaux fond bleu, se jouent des amours Dessus est un camée reproduisant les traits de la Souveraine, dessous est encadrée une tresse de ses cheveux.

Nous quittons le château. Dans un bâtiment voisin, nous est servi ce que nos hôtes appellent avec trop de modestie : une « légère collation » au cours de laquelle le comte Becci, dont la famille fut alliée au comte Bignon, évoque des souvenirs personnels.

Le château du Rosel fut au moment de la Révolution pillé et presque complètement détruit. On peut encore cependant y voir des vestiges de constructions du XIIe siècle et d'autres du XVe siècle. Il en est ainsi pour certaines des tours qui n'ont pas été reconstruites. Celle qui a été relevée, ainsi que les bâtiments d'habitation, ne datent que du début du xixe siècle.

L'origine du Rosel est fort ancienne.

On croit qu'il fut fondé vers l'an 1000, par les Bertrand, qui furent barons de Bricquebec, et détenaient des fiefs très importants en Normandie. La famille Bertrand descendait de Ansleck de Bastembourg, un des compagnons de Rollon, qui reçut le Rosel en apanage lorsque celui-ci se fit attribuer la Normandie, au traité de Saint-Clair-sur-Epte, en 912. Surnommée Berth Chremme (brillant dans le combat), elle ne fut bientôt plus connue que sous ce surnom, qui devint Bertrand.

Le plus illustre de ses représentants fut Robert Bertrand, chevalier, baron de Bricquebec, grand banneret de Normandie, qui posséda notamment la belle terre de Beaumont. dans le pays d'Auge.

Les renseignements précis sur le Rosel et sur les seigneurs qui l'ont possédé, sont, comme pour la plupart des monuments de la région, en petit nombre.

Mentionnons cependant qu'il est parlé d'un Hugues du Rosel dans une charte de Guillaume le Conquérant, rendue en 1077, en faveur de l'abbaye de Saint-Etienne de Caen (Gallia Christiana, t. XI, Instrumenta, col. 67).

Le Livre Noir, f° 224, signale un Patrice du Rosel qui tient de Roger Bacon un fief dans le Nottingham, à condition de fournir un soldat armé au roi d'Angleterre.

Le Cartulaire de Saint-Sauveur, fol. 13, mentionne un Robert du Rosel.

Par acte passé en Mars 1293, Robert Bertrand, baron de Bricquebec, donne à l'abbaye du Voeu, jouxte Cherbourg, le patronage


EXCURSION DANS LE COTENTIN 111

de l'église de Saint-Pierre du Rosel, avec les droitures et appartenances (Toustain de Billy, Histoire des Evêques de Coutances fol. 324).

Le Rosel dépendit, pendant l'occupation anglaise, du comte de Sufîolk, seigneur de Bricquebec, puis de Bertin de Enswith, un de ses lieutenants, qui le conserva jusqu'en 1450.

En 1570, le Rosel, venu à la famille des Moitiers, fut légué

par Marie des Moitiers à Jean I de Ravalet, abbé de Hambye (1).

A sa mort, l'abbé de Hambye laissa le Rosel à son neveu, Jean II

de Ravalet, fils de Jacques de Ravalet, seigneur de Tourlaville,

qui avait épousé Madeleine de Hennot.

Leur fils, Jean III de Ravalet, seigneur du Rosel, mourut célibataire en juin 1653, et laissa la terre du Rosel à son frère Philippe, qui avait épousé, en 1635, Jacqueline de Hennot. Il n'en eut pas d'enfants, et mourut la même année, laissant le Rosel à son neveu ■ Louis de Hennot.

Celui-ci, de son mariage, en 1655, avec Marie-Louise-Catherine du Chemin (2), eut trois enfants, dont :

Georges-Robert-Louis de Hennot, seigneur du Rosel, qui épousa, en 1704, Germaine Pittebout de Grafïard (3). Il en eut un fils et une fille.

Son fils, René-François de Hennot, seigneur du Rosel, se maria trois fois, et n'eut de son second mariage avec Thérèse d'Anneville, qu'une fille, dernière du nom et unique héritière: Marie-Bernardine de Hennot du Rosel, laquelle épousa le 8 septembre 1764, JérômeFrédéric Bignon.

Les de Hennot, annoblis par arrêt de 1841, étaient seigneurs de Bricqueville, Théville, Danneville, La Chesnée, Boutron-Saussetot, Brillevast, Le Rosel, Barneville, Ecausseville, Octeville Lavenel, Octeville Lestre, La Motte, Briquebec, Grosville (toutes paroisses de i'élection de Valognes).

Ils portaient : de gueules à trois étoiles d'argent 2 et 1, accompagnées d'un croissant de même en abyme (Arm. Gén., 1696).

Une branche de cette famille est passée en Angleterre. Elle est devenue les Russell, ducs de Bedford.

On trouve aux carrés d'Ho/ier les preuves de deux des membres de la famille de Hennot, un Hennot de -Théville et un Hennot d'Octeville, pour être admis parmi les pages du roi, en sa petite écurie.

Par lettres patentes données à Versailles en juin 1738, registrées en la Chambre des Comptes le 4 avril 1739, Louis François de

(1) Ravalet : D'azur à la fasce d'argent chargée de trois croix de gueules, et accompagnée en chef de 2 croissants d'argent et en pointe d'une rose de même (Chamillard).

(2) Du Chemin : De gueules au lion d'hermines.

(3) Pittebout de Graffard : D'argent au chevron, de gueules chargé de 3 flauchis du champ, et accompagné de trois roses du secondémail (Saint-Allais).

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112 EXCURSION DANS LE COTENTIN

Hennot, sieur d'Octeville, obtint union de la seigneurie d'Octeville Lavenel, du fief de Lestre, de la vavassorerie noble de la Motte et de diverses pièces de terre, en Chatellenie, sous le nom d'Octeville Lestre.

M. de Pontaumont, dans ses Noies Historiques et Archéologiques sur les communes de l'Arrondissement de Cherbourg, écrit : « Les états de la Baronnie de Bricquebec pour 1723, et 1787, indiquent que le Rosel était un fief de haubert, tenu de Bricquebec par moitié ».

Dans son contrat de mariage, Marie-Bernardine de Hennot du Rosel est qualifiée : dame de Berneville, Ecausseville, et du Rosel. Devenue veuve en 1782, c'est à ce titre qu'elle comparut eh 1789, aux assemblées de bailliage de Thorigny et de Carentan.Elle épousa en seconde noces Hippolyte Berthelot de la Villeurnoy, et n'en eut pas d'enfants.

La famille Bignon, dans laquelle son premier mariage l'avait fait entrer, était une vieille famille parlementaire parisienne, qui avait eu d'illustres représentants. Le plus connu était Jérôme Bignon, qu'on a appelé le Varron Français, et qui passait pour l'un des hommes les plus savants de son siècle. D'abord avocat général au Parlement de Paris, puis Président au Grand Conseil, l'un des quarante de l'Académie Française, il fut nommé par Louis XIV, grand maître de sa Bibliothèque (2).

Armand-Jérôme Bignon (3), beau père de Marie-Bernardine de Hennot, était seigneur de L'Isle-Belle et de Hardricourt près Meulan. Il avait été avocat général au Parlement de Paris, président au Grand Conseil, en 1708, bibliothécaire du roi en 1743, l'un des quarante de l'Académie Française. Il avait épousé Blanche Hue de Vermanoir (4), d'une famille du Cotentin, et sa soeur avait épousé le marquis de Miromesnil, premier président du Parlement de Normandie.

Les Bignon avaient donc déjà des attaches normandes.

Jérôme-Frédéric Bignon, devenu par son mariage seigneur du Rosel, était né le 11 janvier 1767. Il fut conseiller à la deuxième chambre des Enquêtes du Parlement de Paris, et bibliothécaire du roi, à la mort de son père, survenue en 1772.

Il laissa sa femme veuve en 1782, avec trois enfants :

Armande-Ma'rie Bignon, mon arrière-grand'mère (5),

(1) D'Anneville : D'hermines à la fasce de gueules.

(2) La vie de Jérôme Bignon a été écrite par l'abbé Perau. Paris (1757).

(3) Bignon : D'or à la croix haute ou de calvaire d'argent posée sur une terrasse de sinople d'or soit un cep de vigne gui accolle et entoure la croix, laquelle est couronnée de 4 fleurons d'argent (Arm. gén.).

(4) Hue de Vermanoir et de Miromesnil : D'argent à trois hures de sanglier, arrachées de sable, allumées et défendues de gueules (Arm. gén., 1696).

(5) Armande-Marie Bignon, épousa le 4 juin 1783, à Paris, en l'église Saint-Eustache, Antoine Raoul, comte de Cussy, marquis de Vouilly,


EXCURSION DANS LE COTENTIN 113

. Une fille, chanoinesse,

Armand-Jérôme Bignon, (1769-1847), seigneur du Rosel et de la Meauffe, bibliothécaire du roi, membre de l'Académie Française.

Au moment de la Révolution, Armand-Jérôme Bignon émigra. Ses biens furent confisqués, le Rosel fut pillé et partiellement détruit. Au retour d'émigration, il rentra dans une partie de ses biens, devint maire du Rosel, y* mourut en 1847, et est inhumé dans le cimetière.

Il avait épousé en 1798, Mélanie Terray, et en eut quatre enfants, dont un fils :

Jérôme-Frédéric Bignon, (1799-1877), chevau-léger sous la Restauration, puis capitaine au 1er régiment de Carabiniers, enfin en 1829, maréchal des logis aux Gardes du Corps du roi, compagnie de Noailles.

Il avait épousé Jeanne-Louise-Hortense de Leusse (1).

A l'avènement de Louis-Philippe, il quitta le service, se retira au Rosel, y est mort, et y est inhumé. « Les pauvres du Rosel, a écrit M. de Pontaumont, ont fait une grande perte en la personne de M. Jérôme-Frédéric Bignon, maire de cette commune, décédé au château du Rosel le 9 janvier 1877, dans sa soixante-dix septième année. »

Par son testament, M. Bignon a laissé au musée de Cherbourg quelques-unes des toiles de sa précieuse collection, et à la bibliothèque de la même ville plusieurs ouvrages rares sur l'histoire de la Normandie.

De son mariage avec Jeanne de Leusse, il eut quatre enfants dont notamment :

Un fils : Jérôme-Eugène Bignon, dernier du nom, mort en 1866, sans postérité à Chizy (Nièvre).

Une fille, Marie-Augustine Bignon, qui hérita du Rosel, et épousa en 1866, Philippe, vicomte Le Compasseur Créquy Montfort de Courtivron (2).

Ce dernier eut, lui-même un fils Jérôme qui épousa Françoise Goudon de Lalande de l'Héraudière (3), et est mort en 1895,

lieûtenantrColQnel des Dragons, fils de Pierre François et d'AdélaïdeMarthe-Henriette de Saint-Simqn-Courtomer. La bénédiction nuptiale leur fut donnée par Marie-Louis-Léonor de Cussy, vicaire général de Coutances, qui devait périr sur Téchafaud révolutionnaire en 1793, et est inhumé au cimetière de Picpus.

(1) De Leusse : De gueules à deux brochets adossés d'argent, accompagnés de trois croix de Malle d'or. 1 en chef, 2 en flanc.

(2) Le Compasseur Créquy Montfort de Courtivron : coupé, au I parti au I d'azur à trois compas ouverts d'or, posés 2 et 1, au 2, d'or au créquicr de gueules, au II d'azur à 3 bandes d'or.

(3) Goudon de la Lande de l'Héraudière : De gueules au coeur d'or sommé d'une fleur de lys d'argent cl de cinq étoiles d'or en chef, posées en orle.


114 EXCURSION DANS LE COTENTIN

laissant une fille, Thérèse de Courtivron, qui a épousé le 10 juin • 1920, le comte Jean de Gourcy (1).

Ce sont les propriétaires actuels du Rosel.

COMTE BECCI.

Mme de Gourcy, nous emmène ensuite faire le tour de la propriété. Dans le jardin nous voyons les deux tours dont j'ai déjà parlé, et nous montons sur l'une d'elles.

La vue s'étend sur la baie de Sciotat, jusqu'à la pointe de Flaman ville.

La journée se termine, l'excursion est officiellement achevée. Un soleil énorme, rougeoyant, disparaît devant nous dans une mer scintillante. Nous regagnons la cour du château. La fraîcheur de la brise du soir se fait déjà sentir, c'est l'heure des premières séparations. Plusieurs familles se mettent en route pour une demeure souvent lointaine, M. Tournoùer préside aux adieux, et après ses remerciements à Mme de Gourcy il donne le signal du retour à Valogues. Nous parcourons une trentaine de kilomètres dans une nuit bientôt complète. Nous retraversons Bricquebec, et ce n'est guère avant 9 heures que nous nous trouvons réunis dans une salle à manger devenue trop vaste pour notre groupe réduit.

Il s'agit de terminer joyeusement une tournée où la gaîté, l'entrain et la bonne humeur de tous ont su accompagner la contemplation des merveilles de la nature, l'étude de monuments nombreux, variés et pittoresques, le rappel de grands souvenirs de notre histoire tant Française que Normande.

J'aurais voulu parler de ce dernier dîner. Deux mots seulement, hélas, me sont permis.

MM. de Linière et Tournouër prononcèrent les toasts d'adieux, M. l'abbé Tabourier nous lut une poésie délicate où se retrouvaient sa verve malicieuse, et aussi son coeur de poète et d'aumônier.

Ainsi se termina ce qu'un de mes plus aimables correspondants appelait avec justesse notre Grande Semaine. Le menu artistique, si j'ose m'exprimer ainsi, était fort varié. Admirablement choisi par M. Tournoùer, il nous fut détaillé avec science, par ceux de nos guides auxquels je dois adresser maintenant mes remercîments les plus chaleureux pour l'aide précieuse qu'ils m'ont apporté dans la rédaction

(1) De Gourcy : D'argent à trois fasces de gueules, accompagnées de neuf mouchetures d'hermines, A, vj, 2, au chef de gueules, chargé de trois annelets d'or,misen/asce,


EXCURSION DANS LE COTENTIN 115

de ce compte rendu : MM. Robert Asselin, de Portbail ; Cauvin, président de la Société Archéologique de Valognes, Lesage, conseiller référendaire à la Cour des Comptes, André Rostand, conseiller général de la Manche, Le Cacheux, archiviste de la Seine-inférieure et enfin mon excellent, cousin, le comte Edouard de Germiny, qui m'a tant aidé à, raconter l'inoubliable visite de son admirable demeure.

La promenade de 1927 restera dans nos mémoires commel'une des plus belles, sinon la plus belle que nous ayons faites, en ces dernières années.

Caen, 26 janvier 1928.

CAMILLE DE MONS..


Ont pris part à tout ou partie de l'Excursion:

Membres de la Société

jyjmcs BESNARD-BERNADAC (Félix). BOURDON (Maurice). CAIX (la baronne de), CHABERT.

CHAMBRAY (la marquise DE). CHEVIGNY (DE). COLLIÈRE (Jean). COURTILLOLES (DE). DAUGER (la vicomtesse). DESCOUTURES (Reynold). FELCOURT (la vicomtesse DE). LEBOURDAIS (Frantz). MARESCOT (la marquise DE).

PlERREY.

RÉMON-BEAUVAIS. TOURNOÙER (Henri). TRÉBUCIEN.

Jolies

BOUILLE (Henriette DE). COURS (Marie DE). COURS (Brigitte DE). MAZIS (DES). MOUCHEL (Jeanne). SEMALLÉ (DE).

MM. :

BANVILLE (Gérard DE). BEAUREGARD (DE). BECCI (le comte). BESNARD-BERNADAC (Félix). BOBOT-DESCOUTURES. BOURDON (Maurice). COLLIÈRE (Jean). COURTILLOLES (DE). DAUGER (le vicomte). DOIN (Paul), i DULONG DE ROSNAY.

FÉRON (Jacques). GERMAIN-BEAUPRÉ (l'abbé). GOURDIN-SAVENIÈRE (le docteur). JAULME (André). LA SERRE (Etienne DE). LAVERNE (Jacques). LEBOURDAIS (Frantz). LE GUAY (le baron). LINIÈRE (DE).

MESNIL DU BUISSON (le cte DU). MARESCOT (le marquis de). MONS (Camille DE). NAZELLE (le comte DE). ORGLANDES (le comte Henri D'). ORGLANDES (le comte Robert D') PARFOURU (le commandant DE). PASQUIER (Maurice). PIERREY (Jacques). ROMET (Paul). ROTOURS (le baron DES). TABOURIER (l'abbé). TOURNOÙER (Henri). VANSSAY (le lieut.-^col.-DE). VÉZARD (René).

Etrangers à la Société

M m es

BEAUREGARD (DE). BECCI (la comtesse). BESNARD.

DESTICKER (la générale). GOURDIN-SAVENIÈRE. LA HEUDRIE (DE). LAVERNE (Jacques). MARCUS.

MESNIL DU BUISSON ( la comtesse pu).


EXCURSION DANS LE COTENTIN

117

;NAZELLE (la comtesse DE).

PASQUIER. PIBRREY (Jacques). VANSSAY (la vicomtesse

Jean DE). VANSSAY (la vicomtesse

Roger DE). VÉZARD (René).

Mlles

BEAUREGARD (Alice DE). BEAUREGARD (Marguerite DE). BOURDON (Solange). BOURDON (Odile). CHAMBRAY (DÉ). CHEVIGNY (Marie-Anne DE). COUPIGNY (Marie-Thérèse DE). COURTILLOLES (Elisabeth DE). COURTILLOLES (Anne de), DAUGER (Henriette). DAUGER (Jeanne). DESTICKER (Simone). DESTICKER (Germaine). DOIN (Marie-Thérèse). DONI (Sabine). IDEVILLE (D'). LAMOTTE (DE). LA SERRE (Geneviève DE). LEBOURDAIS (Jeanne). MARESCOT (Régine DE). MARESCOT (Yolande DE). NAZELLE (Anne-Marie DE).

PAIXHANS (Marie-Louise).

PASQUIER.

PIERREY (Françoise).

ROMET (Marie).

. . MM.

ABOVILLE (Henri D').

ABOVILLE (Gérard D').

AGNEAU (D').

ASSELIN.

BEAU (Amédée).

BEAU (Xavier).

BECCI (Emmanuel).

BECCI (Antoine).

CAUVIN.

CHAMBRAY (DE).

CHEVIGNY (DE).

DAUGER (Jacques).

DAUGER (Hubert).

DOIN (Jean).

GUÉRIN (le chanoine).

LA HEUDRIE (DE).

LE CACHEUX (Paul).

LESAGE (Maurice).

MARCUS.

MONS (M.-J. DE).

MOUCHEL (Félix.)

NAZELLE (Bernard DE).

RÉMON-BEAUVAIS (Jean).

RÉMON-BEAUVAIS (Jacques).

ROSTAND (André).

SEMALLÉ (le vicomte Guy DE).

VANSSAY (le command'. L. DE)


Situation Financière au 31 Décembre 1927

RECETTES

Solde au 31 décembre 1926 2 85

Intérêts de Banque 106 25

Cotisations 11.691 00

Vente de bulletins 562 15

Subvention Conseil Général 150 00

12.512 25 <>

Excédent de dépenses 288 25 12.8)0 50

DÉPENSES

Impression de bulletins, clichés 8.793 75

Frais envoi de bulletins et convocations. . 1.498 70

Frais de recouvrement 208 30

Impôts et assurances 200 20

Location des salles 250 50

Abonnement Société normande 34 10

Souscription Fédération normande 50 00

Souscription Revel <; 20 00

Partie restauration prieuré Sainte-Gauburge

Sainte-Gauburge 00

Dixième des cotisations au Tonds de réserve 1.169 10

Divers 275 85 12.800 50

Fonds de réserve

Solde créditeur au 31 décembre 1926 8.132 63

Dixième des cotisations année 1927 1.169 10

Intérêts et arrérages 629 00

Solde créditeur au 31 décembre 1927 9.930 73

Imprimerie Alençonnaise, 9-13, rue des Marcheries, Alehçon (Orne)


Les résumés des Conférences organisées par la Société historique de l'Orne, sont en vente à la Société.

ACTUELLEMENT PARTIS :

Le 3e Centenaire de La Fontaine et les Médecins, par M. le Docteur F. BEAUDOUIN.

Quelques mots encore sur Marguerite de Lorraine (xve-xixe siècle» par M. R. JOUANNE, archiviste départemental.

Godard d'Alençon, graveur sur bols (1768-1838), par M. Louis DIMIER, agrégé de l'Université.

La Sculpture religieuse à travers les âges au pays d'Alençon du XII* au XIXe siècle, par M. l'abbé L. TABOURIER.

Différentes origines et diverses formes du Point et de la Dentelle d'Alençon, par M. Félix BOTJLARD.

Folk-Lore du Bocage normand : Berceuses, rondes et chansons d'amour, par M. Joseph LECHEVREL.

Notre Senatorerie bas-normande : souvenirs d'hier, vues d'avenir, par M. le Baron J. A. des ROTOURS.

Quelques Vaux-de-VIre d'Olivier Basse!In et de Jean Le Houx, choisis par M. Francis ÉON.

Wilfrid Challemel (1846-1916), par le baron J. DES ROTOURS.

Les Poètes et'la Musique, par M. Henri MARTINEAU.

Lacomte8se de Ségur par M. René GOBILLOT.

Chaque brochure : 2 fr.( franco 2 fr. 50.

Sont également en vente à la Société Historique de l'Orne :

Gartulaire de l'Abbaye de Notre-Dame de la Trappe, in-8, vn-665 pages, 20 francs, port en sus.

Pouillé de l'ancien diocèse dé Sées, lome U>' : Evêques et Chapitre. Doyennés de Sées et de Macé, in-8, vm-205 pages ; tome II : doyennés d'Alençon et de la Marche, in-8, 226 pages ; chaque volume : 10 francs, port en sus.

Inventaire des titres, papiers et enseignemens concernants la cure d'Alençon, par Pierre Belard, curé d'Alençon de 1694 à 1729, in-8, xni-272 p., 10 francs, port en sus.

Orderic Vital et l'Abbaye de Saint-Evroul. — Notices et travaux publiés en l'honneur de l'historien normand, .moine de cette abbaye. — Alençon, 1912, grand in-8°, xx-205 pages, 24 pi. hors texte et illustrations dans le texte : 25 francs, port en sus.

Fêtes de Saint-Évroul, 27 Août 1912. — Inauguration d'un monument à Orderic Vital. — Compte Rendu et Discours, grand in-8°, 94 pages avec illustrations : 10 francs, port en sus.

Gruce et aratro. — Un curé normand, MessireL.-J.Coulombet (1726-1804) (ouvrage couronné par l'Académie Française), par l'abbé P. Germain-Beaupré. — 1 vol. in-8", franco : 5 IV. 50, Imprimerie Alençonnaise, II, Rue des Marcheries, Alençon.

CONDITIONS DE VENTE DU BULLETIN

Les Bulletins ordinaires de chaque année pris isolément : cinq, dix ou vingt francs, suivant leur importance.

Pour la collection entière du Bulletin, s'entendre directement avec M. BROUARD, trésorier.

ADHÉSIONS ET PAIEMENT DES COTISATIONS

Toute adhésion nouvelle doit être adressée directement au Président de la Société.

Pour éviter des frais de recouvrement, les nouveaux Sociétaires sont instamment priés d'envoyer aussitôt leur cotisation à M. BROUARD, trésorier, compte de chèques postaux, Paris no 24.3"22.

Pour le même motif, les membres de la Société sont invités à adresser leur cotisation, par la même voie, au début de chaque année.