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Titre : Bulletin de la Société scientifique historique et archéologique de la Corrèze

Auteur : Société scientifique, historique et archéologique de la Corrèze. Auteur du texte

Éditeur : Société scientifique, historique et archéologique de la Corrèze (Brive)

Date d'édition : 1916-01-01

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb344265167

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb344265167/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Format : Nombre total de vues : 33810

Description : 01 janvier 1916

Description : 1916/01/01 (T38)-1916/06/30.

Description : Collection numérique : Fonds régional : Limousin

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k5461356b

Source : Bibliothèque nationale de France, département Collections numérisées, 2008-89252

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 06/01/2009

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BULLETIN

DE LA

SOCIÉTÉ SCIENTIFIQUE, HISTORIQUE

ET

ARCHÉOLOGIQUE

DE

LA GORRÈZE



BULLETIN

DE LA

SOCIÉTÉ SCIENTIFIQUE, HISTORIQUE

ET

ARCHÉOLOGIQUE

DE

LA CORRÈZE

SIEGE A BRIVE

Reconnue d'utilité publique (Décret du 30 novembre 1888)

TOME TRENTE-HUITIÈME

AVEC PLANCHES ET FIGURES DANS LE TEXTB

i" et 2»' LIVRAISONS

BRIVE ROCHE, IMPRIMEUR DE LA SOCIÉTÉ

Janvier-Juin 1916



ÉTUDES

SUR LES

DIVERS ATELIERS MONÉTAIRES CONNUS

DU BAS-LIMOUSIN depuis les Gaulois jusqu'à l'avènement des Carolingiens en 752

Description des ateliers monétaires du Bas-Limousin

RITUM LEMOVICUM

A NOTICE HISTORIQUE

Ritum, mot celtique, qui signifie : passage d'un fleuve, gué de rivière, endroit d'un cours d'eau où l'on peut passer sans nager, ni s'embourber, paraît être l'appellation primitive d'un lieu situé dans la province Lemovicensis, de l'Aquitania prima, aujourd'hui le Limousin, sur la rive droite de laVegenna; Vienne (rivière), aux abords d'un ritum, où s'est élevée une domuncula, maisonnette d'abord, et avec le temps, deux, trois, etc. grandes maisons, enfin une agglomération de nombreuses habitations. Sous Octave, 27 ans avant J.-C.-14 ans après, cette agglomération formait une cité devenue importante. Les habitants de cette cité, les Lemovici. mus par un sentiment de reconnaissance envers Octave, pour lui avoir donné un régime exceptionnellement libéral et aussi pour se consacrer à son patronage, remplaça l'appellation primitive : Ritum, de leur principale cité, par un nom composé dont le préfixe : Augusto, vient du titre : Auguste d'Octave, accordé par le sénat romain, accompagné du terme celtique : Ritum, qui, antérieurement à la domination romaine, avait servi à la formation du premier nom géographique. Cette cité s'appelait dès lors : Augusto-ritum. Cette nouvelle appellation : Augustoritum, ne proviendraitelle pas aussi de ce que Octave, dans ses nombreuses pérégrinations, a dû traverser ce ritum ; toujours est-il que cette cité a conservé cette appellation jusqu'à la fin du ive siècle. A cette époque, elle abandonna ce nom, d'origine romaine,


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y substitua celui de son peuple : Lemovici, dont elle était la capitale, et s'appela . Lemovicum vel Lemovicus. Quelques siècles plus tard, elle prit définitivement le nom moderne : Limoges, qui est aujourd'hui le chef-lieu du département de la Haute-Vienne, située sur la Vienne, affluent de gauche de la Loire.

L'origine de Ritum semble remonter à une époque assez reculée, néanmoins, il est difficile de donner des notions exactes sur ce que cette cité était du temps des Gauloisr ni même à l'époque de Jules-César, 50 ans avant J.-C; les documents officiels manquant Jules-César ne parle jamais que des Lemovici, et nulle part de la cité de Ritum.

En l'an 401, Augusto-Ritum, du nom d'Octave, suivant l'exemple d'un certain nombre de villes, prit le nom de : civitas Lemovicum, (cité des Lemovikes) ou Lemovicus, du peuple : Lemovici. dont elle était la capitale.

Après la chute de l'empire d'Occident, en 476, elle fit partie de l'Aquitania, dont elle courut la fortune. Elle passa ensuite, successivement, sous la domination des Wisigoths, des rois franks, des ducs d'Aquitaine et fut définitivement réunie à la couronne, par Pépin-le-Bref, 752-768.

Sous les rois de la seconde race, et sous ceux de la troisième, Lemovicum fut possédée tour-à-tour par les ducs d'Aquitaine et par les rois d'Angleterre; par mariages, elle passa dans la maison de Bretagne et dans celle d'Albert, et enfin elle rentra par Henri IV, 1572-1610, dans le domaine des rois de France, pour n'en plus sortir.

Pendant ces passages d'un sceptre à un autre, elle conserva ses gouverneurs particuliers, décorés d'abord du titre de comte et plus tard de celui de vicomte seulement, et pendant lesquels elle éprouva de grandes calamités. Prise par les Goths, assiégée par les Vandales, saccagée par Théodebert II, 596-612, fils de Childebert II; détruite par Pépin, 752-768. rétablie bientôt après, pillée de nouveau par les Normands, désolée à diverses reprises par les Anglais, livrée aux discussions civiles. En 837, un diplôme du roi Pépin II, rappelle que Lemovicum portait le titre de capitale


de l'Aquitaine. Elle fut réduite plusieurs fois en ruines; tombée] en 1370, au pouvoir du prince de Galles, elle fut réduite à la dernière extrémité.

Armes de Limoges — De gueules, à l'image de saint Mar^ tial barbé, tête nimbée, accostée des lettres : S-M., du même ; au chef de France.

LISTE DES GOUVERNEURS DU LIMOUSIN

Comme Comtes

Sous les rois des Wisigoths, au ve siècle, le Limousin commença à être gouverné par des comtes particuliers; et le premier que l'histoire mentionne est .Tocundius, père de saint Yrieix. En 630, Dagobert I" céda la province d'Aquitaine à son frère, Caribert, avec le titre de roi, il mourut en 631.

Boggis, fils aîné de Caribert lui succéda en 631; mourut en 688.

Eudes, duc d'Aquitaine, fils et successeur, en 688, de Boggis, dans le Limousin; se ligua contre Charles-Martel, qui le défit, en 718-719, battit complètement, en 721, les Sarrazins qui firent, en 732, une invasion plus considérable, prirent Bordeaux, exterminèrent l'armée d'Eudes, et ne furent arrêtés que par Charles-Martel ; Eudes mourut en 735.

Hunald ou Hunold, duc d'Aquitaine, fils et successeur, en 735, d'Eudes; attaqué par Charles-Martel, il fut vaincu et abdiqua en faveur de son fils Waifre, en 745.

Waifre, duc d'Aquitaine, fils et successeur, en 745, d'Hunald dans le Limousin ; eût une longue guerre contre Pépinle-Bref, qui finit par s'emparer du duché d'Aquitaine. De ce moment le comté de Limoges et le duché d'Aquitaine furent soumis à la domination des rois de France: Waifre mourut assassiné, en 768.

Charlemagne, 768-814, rétablit le royaume d'Aquitaine, en faveur de son fils, Louis Ier le Débonnaire, et étabit en différentes provinces des comtés pour être gouvernés sous les ordres du roi. L'un de ces gouverneurs résidait à Limo-


ges. La couronne d'Aquitaine passa successivement aux descendants de Louis le Débonnaire jusqu'à Louis Il-leBègue, sous lequel le royaume confondu avec le reste de la monarchie française. Les ducs et les comtes acquirent une telle autorité et la portèrent si loin, qu'ils se rendirent presque indépendants et usurpèrent les droits régaliens.

Comme Vicomtes

Eudes, comte de Paris, fils de Robert-le-Fort, étant monté sur le trône de France, supprima le titre de comté de Limoges pour y substituer seulement celui de vicomte, en 887. Vers le milieu du xne siècle, Aliermor, femme répudiée par Louis VII le jeune, porta la vicomte de Limoges avec le reste de l'Aquitaine, en dot, à Henri II, roi d'Angleterre, où elle demeura plus d'un siècle.

En 1275, cette province passa par mariage dans la maison des ducs de Bretagne, où elle demeura plus de deux siècles. Elle appartint ensuite à celle d'Albret, et, enfin elle fut définitivement réunie aux domaines de la couronne de France par Henri IV, 1589-1610, vers le commencement du xvn' siècle.

B ATELIER MONÉTAIRE DE LEMOVICUM

N.B. L'atelier monétaire, qui a été surnommé ainsi, parcequ'il est un atelier, un établissement où l'on frappe des monnaies. Celui de Limoges, qui est permanent, est responsable des monnaies qu'il produit; c'est pourquoi ses monnaies doivent porter la marque et le différent de l'atelier monétaire qui les a frappées. Dans la suite des temps et dans les moments de presse, on a adjoint, momentanément, à un certain nombre d'ateliers monétaires d'autres établissements ou ateliers auxiliaires, succursales, où l'on frappa aussi des monnaies, principalement celles de moindre valeur minéralogique. Ces ateliers auxiliaires qui se trouvent directement sous la direction, sous la surveillance et sous la responsabilité des ateliers monétaires qui leur sont les plus voisins ne sont responsables qu'envers l'atelier monétaire


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de leurs produits, qui ne doivent porter que le différent de l'atelier monétaire dont ils dépendent.

On ne peut donner avec certitude aucun détail du monnayage. Lemovicum pendant la période gauloise, on ne possède aucun document à cet égard. Si on rencontre dans les collections un certain nombre de pièces de monnaie de cette région, on ne peut pas cependant prétendre que ces monnaies ne soient pas le produit d'ateliers monétaires Lemovicencis, mais pas un argument ne peut établir l'existence de ces ateliers monétaires. On n'est pas plus instruit du monnayage de cette contrée pendant le temps de la période gallo-romaine. Lemovicum ne figure pas sur la liste générale des ateliers monétaires gaulois.

L'histoire et les monnaies de l'époque nous apprennent que le monnayage de cette région commence sérieusement à entrer en activité sous les Franks-Mérovingiens, et les noms géographiques : L. LE. LEM. LEMS. LEMOVECAS FIT, LEMOVICA, LEMOVICVM FIT, LEMOVIX, LIMOVICAS, qui sont gravés et qui se lisent SUT des monnaies mérovingiennes, accusent formellement que la cité de ce nom avait des monnaies portant son nom, frappées dans son atelier monétaire par ses monnayers de l'époque : ANSOINDUS, ASCARICO, BOSO, DAVLFO, DOMVLFVS, MARINIACO, RVMORPVS, SATVRNVS, THEODOLENUS, THIBAIO, VINOALD, attachés à l'atelier monétaire, et dont les noms sont aussi gravés et se lisent sur les mêmes monnaies, attestent, ainsi que l'expression -. FIT des légendes, que cette cité possédait un atelier monétaire où ses monnayers de l'époque frappaient des monnaies. Lemovicum figure sur la liste des ateliers monétaires des mérovingiens et sur les suivantes jusqu'en 1837.

Cet atelier monétaire ne frappait pas seulement des monnaies pour la province : Lemovicensis, mais il en frappait aussi pour d'autres localités : témoins les pièces de Biaenate et de Turenna.

D'après l'histoire, Lemovicum aurait été un ancien et important centre de monnayage. Dans peu de cités de l'an-


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cienne France la fabrication des espèces monétaires s'est faite avec autant d'abondance (1) et surtout de suite à travers les siècles. Les témoignages de son activité monétaire sont nombreux : documents d'archives et échantillons d'espèces monétaires frappées. Particularité à citer : ces espèces, si grossières qu'elles fussent, ont, à plusieurs époques, présenté un ensemble de caractères assez saillants pour qu'un oeil exercé distingue aisément à première vue, les monnaies d'origine limousine de celles frappées dans les pays voisins. Mais la véritable origine de la fabrication des espèces monétaires, sous les Gaulois, paraît n'être point connue sous les Gallo-Romains, les espèces monétaires de l'époque, que l'on peut rencontrer dans les collections, paraissent accuser qu'un atelier monétaire aurait existé et fonctionné à Lemovicum. Les rois Wisigoths, Alaric II, 382-412 et successeurs auraient frappé des monnaies à Lemovicum. On rencontie dans des collections, une pièce sur laquelle le sigle : LE, du nom de Lemovicum se lit avec le nom du roi Alaric II. Mais l'histoire précise du monnayage limousin ne commence qu'au cours de la période mérovingienne. La fabrication des espèces monétaires fut très active à cette époque à Limoges. Ses ateliers, qui succédèrent, comme centre de production monétaire, à ceux de Châlons-sur-Saône, paraissent avoir recueilli une partie des ouvriers de cette officine. Le maître de la monnaie de Châlons, Abbon, vint s'établir à Limoges. A des monnayers burgondes est peut-être dû l'honneur d'avoir allumé le foyer artistique qui brillera d'un si vif éclat pendant près de dix siècles.

Sous les rois de la première race, Anastase Ier, 494 518, empereur de Byzance, y frappa des monnaies d'or, portant le sigle : LI. Les rois : Clotaire II, 585-628, et Dagobert Ier, 628-638, et successeurs y frappèrent en quantités variables des monnaies d'or. Pendant toute la première moitié du viie siècle, le centre et l'ouest de la Gaule resteront tributaires du monnayage de Levovicum, pour la donnée géné(i)

géné(i) Guibert, Monnaies de Lùnoges.


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raie du type (1). La plus remarquable des pièces sorties de l'officine limousine que l'on connaisse, est une belle monnaie à l'effigie de Dagobert I", encadrée d'un triple grénetis et du poids de grammes. Elle a été trouvée en Angleterre. Son origine n'est pas douteuse ; elle porte les deux noms de Limoges, celui que cette ville avait adopté sous Octave, 27 ans avant J.-C. 14 ans après, et celui qu'elle prit du nom de son peuple dont elle était la capitale et qu'elle conserva à travers les siècles :

LEMMOA^IX AVGVSTOREDO IN CIVI (tate) FIT.

Un des traits les plus caractéristiques des effigies sorties à cette époque de l'atelier monétaire de Lemovicum, est, d'après notre savant compatriote, feu Max. Deloche, membre de l'Institut, la touffe de cheveux dont le haut du front est surmonté. Les figures sont assez bien dessinées ; leur diadème s'allonge souvent en avant et en arrière; l'oeil est en olive, un peu incliné. Ajoutons que des pièces présentent souvent des perles et des grénetis comme ornementation.

Certains de ces caractères se retrouvent dans de curieux triens d'Anastase 1er, 491-518, empereur de Byzance, qui paraissent une contrefaçon d'espèces msnétaires byzantines. Quelques savants attribuent à l'atelier monétaire de Lemovicum ceux des triens qui portent dans le champ le sigle : LI. Bien que cette attribution soit fort douteuse, car le sigle : LI peut aussi appartenir à LIMONVM, qui est Poitiers, elle n'a rien d'invraisemblable : les imitations de ce genre ayant été très fréquentes durant tout le cours du moyen-âge.

L'église de Limoges a fait, dès le temps de la première race, frapper des espèces monétaires. Il parait qu'on ne possède que trois solidi d'or provenant du monnayage de cette période ecclésiastique. Un de ces solidi, sorti de SaintMartial, porte la légende : LEMOVIX ECCLESL<E. D'autres portent une indication qu'elles ont été frappées pour le compte de cette église, en vertu de ses droits. M. Allou

(1) Engel et Serrure. — Traité de la numismatique générale du moyen-âge.


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signale une monnaie d'argent de l'évêque Gerlo, 866, portant avec le nom de ce prélat, celui de saint Etienne, patron de la cathédrale, avec l'image de cette église. Mais à partir du x" siècle, on ne rencontre plus aucune monnaie épiscopale d'origine limousine.

Au moment de la féodalité, on compte trois seigneurs monnayers dans l'étendue du territoire Lemovicensis : l'abbé de Saint-Martial, le comte de la Marche limousine et le vicomte de Turenne.

Il parait qu'on n'a jamais vu de monnaies permettant d'être attribuées avec certitude à l'abbé de Saint-Martial ; mais on possède des deniers sur lesquels on lit : S. E. S. MARCIALIS LEMOVICENSIS, mis pour : signum ecclesiae santi-Martialis Lemovicensis, qui proviennent vraisemblablement du monnayage abbatial; à celui-ci, sur l'origine duquel on ne sait rien, mais qui commença au xe ou au xie siècle, est due, sans aucun doute, la création d'un type nombreux de divers modules : celui du barbarin. Ces derniers représentaient à l'avers la tête de saint Martial, avec la chevelure bouclée et la barbe traditionnelle.

Sous les Capétiens, de 987 jusqu'au règne de Philippe VI le Valois, 1317-1350, l'atelier monétaire de Limoges semble rester fermé, puisqu'on ne rencontre plus dans les collections des monnaies frappées au nom des rois; mais les ducs d'Aquitaine, principalement les Plantagenet, y firent frapper des espèces monétaires en tous les métaux. On a des pièces de monnaie de Richard-Coeur-de-Lion, 1189-1199, sorties de cet atelier. Ce qui permet de constater que, dès l'an 1153, la Monnaie (1) de Limoges relève des ducs d'Aquitaine, puisque Geoffroy de Vigeois nous montre Henri d'Anjou, devenu l'époux de l'héritière des comtes de Poitiers, percevant à son entrée à Limoges, sur la fabriéation des espèces une redevance consistant en une certaine quan(1)

quan(1) fois que le mot : monnaie, ne désignera pas une espèce monétaire, mais bien un établissement monétaire, il s'écrira par un M majuscule, afin d'éviter tout quiproquo, et s'écrira •' Monnaie,


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tité de pièces nouvellement frappées, autant que pouvait en contenir la main ouverte du duc : plenam manum ex. denariis. Plus tard les rois d'Angleterre, à qui le château de Limoges avait été rendu, firent frapper dans l'atelier de la ville des espèces monétaires comme ducs d'Aquitaine. On en trouve, parait-il, portant le nom d'Edouard Ier, et la monnaie, frappée dans l'atelier monétaire de Limoges, est marquée du diffèrent : L, initiale du nom de Limoges.

En l'an 1200, la Monnaie du château est encore appelée : Monnaie de VAbbé. Peu après, on croit qu'un différent survenu entre le vicomte et un bourgeois à l'occasion du rachat d'une redevance sur la fabrication des espèces, est porté en la chambre de l'abbé. Ce dernier parait, toutefois jouir seulement d'une seigneurie nominale, et c'est peut-être parce qu'il ne se trouve plus assez fort pour la faire respecter, que Hugues de Brosses, placé de 1198 à 1214 à la tête du grand monastère, cède ses droits à Gui, son frère. Celuici les vend à la commune à la suite des difficultés auxquelles fait allusion un titre de 1250. On voit cependant le vicomte de Limoges prêter encore à l'abbé, en 1387, l'hommage pour la monnaie en même temps que pour la justice du château. Au siècle précédent Gui VI, sa veuve Marguerite et Arthur de Bretagne, leur gendre, qui s'étaient soumis au même devoir, avaient au contraire accepté la Monnaie de leur hommage, éliminant ainsi des rapports féodaux, le possesseur primitif de cette prérogative. On ne dit pas que l'abbé ait protesté (1).

En fait, l'hôtel des Monnaies de Limoges, relevait directement du duc d'Aquitaine, Henri Plantagenet, 1154-1189, à son entrée à Limoges, perçut une redevance sur les espèces fabriquées. En 1202 ou 3, le vicomte Gui V, captif à Chinon, se défendait, dans ses entretiens avec ses compagnons, de rien tenir, du comte de Poitiers, sauf la Monnaie, pour laquelle il reconnaissait devoir l'hommage à Jean sans terre, 1199-1216. Cet hommage fut transféré à Alphonse, fils de

(1) Louis Guibert. La Monnaie de Limoges.


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Louis VIII, 1223-1226, quand la reine Blanche et Louis IX lui remirent, en 1242, conformément aux volontés de son père, le comté de Poitiers, à titre d'apanage. Une enquête, dont le texte est conservé aux archives nationales, établit les droits du comte, et ces droits revinrent en 1270, après la mort d'Alphonse, à la couronne de France.

En retour de cet hommage, la monnaie de Limoges avait cours dans toutes les terres du comté. Son titre était du reste fixé, et elle devait avoir la même valeur que celle du suzerain, à la différence toutefois d'une picte en moins. Ces espèces jouissaient de la meilleure réputation. Divers témoignages, en particulier celui d'Elie Coral, chanoine et officiai, qu'elles étaient les plus connues et les plus volontiers reçues — Magis famosoe — des monnaies fabriquées dans la province (1).

Si au commencement du xm 6 siècle et même dès le siècle précédent, la possession, pour les comtes, du droit de monnayage dans le château de Limoges est incontestable, les documents s'accordent à représenter ces droits comme grevés, non seulement de la seigneurie de l'abbé, mais de servitudes assez notables au profit de plusieurs familles bourgeoises. Celles-ci n'avaient pas seulement le droit de percevoir une redevance proportionnelle sur les espèces frappées ; elle surveillai*la fabrication : taille et frappe, comptaient avec le proposé ou garde du vicomte et détenaient une des deux clefs de l'arche où étaient déposés les deniers. Ces droits provenaient-ils de privilèges accordés aux monnayeurs primitifs, d'aliénations successives consenties par les abbés ou les vicomtes, d'engagements partiels des produits du monnayage à l'occasion d'emprunts qui n'avaient pas été remboursés? Rien ne le précise; maison constate les efforts faits par le vicomte et la commune, chacun de son côté, le premier pour les racheter, la seconde pour en obtenir la cession. Deux familles surtout, les Dupeyrat et les Excideuil, paraissent avoir été en possession de cette participation au

(1) Louis Guibert. La Monnaie de Limoges.


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monnayage dans les premières années du xnr 5 siècle. Vers l'an 1212, les membres de ces deux familles, ainsi que les Clément et Pierre Brun, leurs alliés consentirent à abandonner, moyennant une somme d'argent qui leur fut payée dans la suite par les consuls, tous leurs droits à la communauté des bourgeois. Un seul, semble-t-il, Jaufres Dupeyrat, revendit ses droits au vicomte. Ses anciens co-possesseurs protestèrent; son neveu, Hugues Brun, alla trouver Gui V, réclama la préférence en vertu du privilège du retrait lignager, inscrit au coutume de Limoges, et fit offre au seigneur de la somme payée par lui à Jaufres. Le vicomte refusa d'accepter ce remboursement. L'affaire fut portée en 1213 en la chambre de l'abbé de Saint-Martial. Mais on ignore l'issue de ce différent.

Au xme siècle, les affaires de fausses monnaies n'étaient pas rares à cette époque. Maints épisodes de cet ordre sont signalés dans les documents déposés aux archives de la Haute-Vienne. A cette époque des entrepreneurs de jeux faisaient écouler de la fausse monnaie aux foires de SaintLéonard et cherchaient à faire passer des pièces en plomb pour des espèces d'argent.

En 1273, Philippe III, roi de France, 1270-1285, somma Edouard II, 1272-1300, roi d'Angleterre, d'avoir à remettre aux habitants du château de Limoges, le serment qu'il avait reçu d'eux; ce serment ayant été prêté au préjudice des droits du vicomte, et il est difficile d'admettre que la fabrication des espèces monétaires, que nous venons de mentionner, ait continuée après le séjour d'Edouard à Limoges, en mai 1274. Le prince Noir, après la bataille de Brétigny, reprit le monnayage des ducs d'Aquitaine, interrompu depuis près d'un siècle et fit frapper à Limoges des pièces guiennoises d'argent et de billon.

Du XIII 6 au xive siècle, les espèces frappées dans l'atelier monétaire de Limoges, qu'on rencontre dans les collections, par les rois d'Angleterre étaient marquées de la lettre initiale : L, de Limoges.

Au milieu du xiv 6 siècle, deux ateliers fonctionnaient con-


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'curremment à Limoges : l'un de ces ateliers, établi dans le château, appartenait au vicomte, qui y frappa des monnaies de 1330 à 1360; l'autre, établi dans la cité par édit de Philippe VI le Valois, du 20 novembre 1346; on le trouve, en 1352, travaillant pour le compte du roi.

On ne possède sur la Monnaie royale de Limoges, aucun détail. Il parait qu'on y frappa d'abord des espèces d'argent et de billon : des gros blancs à la fleur de lys, des gros blancs à la couronne, des gros deniers blancs à l'étoile, des testons, des demi-testons; puis plus tard, toujours en argent, on frappa des écus au soleil, des demi-écus au soleil, des douzains, des sixains, des doubles, des deniers tournois, des oboles tournois, des gros blancs appelés franciscus, des petits blancs à deux fleurs de lys, des blancs à deux couronnes. A la fin du xve siècle, il sort de cet atelier une grande quantité de liards.

Il ne parait pas qu'on ait fabriqué à Limoges des monnaies d'or, d'une manière très suivie; toutefois, les documents conservés aux archives nationales établissent qu'on en frappa à plusieurs reprises (1). En 1360, le 25 janvier, l'atelier monétaire royal de Limoges reçut des coins pour la fabrication des francs d'or ; il frappa aussi quelque temps après des deniers d'or aux fleurs de lys, dont la fabrication est arrêtée en 1384.

En 1380, l'atelier est signalé fonctionnant.

En 1384, la fabrication est arrêtée.

En 1389, Charles VI, dans le but de connaître à l'avenir les auteurs des abus qui se commettaient alors en grand nombre par les fermiers des ateliers monétaires, inventa les points secrets ; c'est-à-dire pour chaque atelier monétaire l'apposition d'un petit signe sous une lettre des légendes, selon l'ordre réglé par une ordonnance spéciale. A cet effet, il ne conserva que vingt ateliers et tous les autres furent supprimés ou fermés. L'atelier monétaire de Limoges reçut, conformément à l'ordonnance, l'ordre de mettre un point

(1) Louis Guibert. Monnaie de Limoges.


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secret sous la 10e lettre de la légende du droit. Malheureusement cet ordre ne fut point exécuté à la lettre. On rencontre dans les collections peu de monnaies de cette époque avec le point secret.

Depuis cette date on ne possède sur la Monnaie royale aucun détail; on paraît y avoir frappé d'abord des pièces d'argent et de billon; des gros blancs à la fleur de lys, des gros blancs à la couronne, des gros deniers blancs à l'étoile, des testons et demi-lestons. Plus tard on frappa : des écus au soleil, des demi-écus, des douzains, des deniers et des oboles tournois, des grands blancs appelés franciscus, des petits blancs à deux fleurs de lys et à deux couronnes en forme de croix.

En 1420, par ordonnance de Charles VI, tout un nombre d'ateliers monétaires existant à cette époque, ainsi que ceux fixés par des ordonnances postérieures à cette date, prirent pour différent, les uns la lettre initiale de leur nom précédée ou suivie d'un autre signe, lorsque le nom de deux ateliers monétaires commençait par la même lettre. Cette lettre était placée dans le champ de la pièce, mais généralement à la fin des légendes. Les documents relatifs à ces nouveaux différents manquant entièrement, la liste qu'on pourrait donner serait fort incertaine et incomplète. De ceci, on pense que le nouveau différent de Limoges serait l'initiale L, mais on ignore si elle était précédée ou suivie ou non d'un autre signe,

En 1422 l'atelier monétaire de Limoges fonctionnait.

En 1456, l'atelier monétaire, qui fonctionnait, reçut de nouveau l'ordre de mettre un point secret sous la 10e lettre de la légende du droit.

Louis Guibert, dans sa « monnaie de Limoges », signale que dans les pièces portant la légende : SIT NOME DOMINI BENEDICTVM on trouve le point secret sous l'I de Benedictum (19e lettre) et dans le second : C. de Franciscus, en 1543, de la légende : FRANCISCUS (8° lettre) DEI GRA. FRANC. REX. ou la 19e et la 8" lettre sont respectivement le différent des ateliers monétaires de Saint-Lô et de PoiT.

PoiT. 1-2 - 2


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tiers. Nous ne discuterons nullement cette question, nous nous contentons de la signaler seulement.

En 1461, l'atelier monétaire fonctionnait.

En 1469, l'atelier de Limoges reçut des coins pour les écus au soleil qu'il frappa. A la fin du xve siècle, il en sort une grande quantité de liards.

En 1511, il frappa, en janvier, de nouveaux écus d'or.

En 1515, l'atelier fonctionnait, il en sort en argent des doubles tournois, des testons, des demi-testons et des quarts de testons. Plus tard il fabrique en or des écus à la salamandre et des demi-écus à la salamandre.

En 1539, François Ier, par ordonnance royale du 28 janvier, toutes les pièces monétaires d'or, d'argent et de cuivre durent porter le signe indicatif de l'atelier monétaire où les pièces ont été frappées- Ce signe appelé différent de l'atelier monétaire, est une lettre de l'alphabet que la loi du dit jour a affectée seulement aux 27 ateliers que François a conservés; tous les autres furent définitivement supprimés. Cette lettre remplace tous les anciens points secrets. L'atelier monétaire de Limoges, ayant été conservé, reçut la lettre I, qui a toujours été appliquée sur tous les produits sortant de son atelier, jusqu'en 1837, jour de sa suppression.

Après plusieurs repos et plusieurs reprises d'activité, l'existence de l'atelier monétaire de Limoges fut menacée. En 1541 et 42, le travail, par ordre supérieur, fut arrêté. En 1544, il a été question de supprimer l'atelier monétaire de Limoges avec plusieurs autres, mais un rapport favorable des généraux des monnaies le sauva.

Durant le xvie siècle, il en est sorti des doubles tournois, des testons, des demi-testons et des liards.

En 1672, l'atelier monétaire fut fermé et rétabli en 1679. En 1681, il fut de nouveau fermé et rétabli peu de temps après, mais il ne reprit de l'activité qu'en 1709 (1). Il en est

(1) En 1709, il paraît que l'atelier frappa en peu de temps pour 60 marcs, soit 1-5,685 kilog. de pièces de 10 sols. Dans les premières années de la Révolution, il en sortit une quantité énorme de sous en métal de cloche.


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sorti des liards encore, mais aussi des louis d'or, des doubles louis et des demi-louis ; en argent des écus de toute espèce, des louis de 60 sols, des demi-louis de 30 sols, et des quarts de louis de 15 sols.

Pendant le xvir 2 et le xvm 6 siècles, non seulement des liards toujours en quantité, mais aussi des louis, des doubles louis des demi-louis d'or fin, des écus de toutes espèces, des louis de 60 sols, des demi-louis de 30 sols et des quarts de louis de 15 sols d'argent fin, sortent de l'atelier monétaire de Limoges.

En 1757, Louis XV, par un arrêté du 30 septembre, ferma l'atelier monétaire de Limoges pour le rétablir en 1759.

Dans les premières années de la Révolution, il émit des sols en métal de cloches en quantité considérable.

En 1794, par l'article 1" du décret du 14 février (24 pluviôse an II), tous les hôtels monétaires de France, à l'exception de celui de Paris, furent supprimés. Ils étaient devenus inutiles à cette époque où le numéraire était remplacé par les papiers-monnaies, appelés assignats. Les autorités et la population de Limoges protestèrent avec énergie et persévérance contre la mesure qui les privait d'une institution non sans utilité pour le commerce.

Après avoir fondé le système monétaire décimal, la Convention Nationale, par un décret rendu le 14 octobre 1795 (22 vendémiaire an IV), établit sur un plan général et uniforme, l'administration des hôtels des monnaies et la fabrication des monnaies. Ce décret réglait tout ce qui était relatif à cette partie d'administration publique. Il ajoutait aux règlements anciens des améliorations nouvelles. La réorganisation était nécessaire au moment où la fabrication des monnaies, qui avait été nulle depuis deux ans, allait reprendre son cours, par l'effet de la chute prochaine des assignats et par l'établissement du nouveau système monétaire décimal. Le premier article de ce décret rétablit à huit les hôtels des Monnaies, pour la fabrication des espèces d'or, d'argent et de bronze. L'hôtel des Monnaies de Limoges, qui ne fût pas de ce nombre, restait toujours supprimé. Dès


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le 16 brumaire an IV (7 novembre 1795) la municipalité de Limoges s'adressa, aux députés de la Haute-Vienne pour obtenir son rétablissement.

Par l'article 2 du décret du 14 octobre 1795. précité, il devait aussi être fabriqué de la petite monnaie de bronze dans ses hôtels. Le Directoire exécutif était autorisé à établir, en outre des ateliers monétaires, des ateliers auxiliaires pour la fabrication de la petite monnaie. Ces ateliers auxiliaires qui n'avaient aucune autorité ni pouvoir, devaient dépendre des ateliers monétaires les plus voisins et portaient par là son différent. La démarche des députés de Limoges aboutit à un demi-résultat, un atelier auxiliaire, en 1796, fut maintenu à Limoges pour la fabrication des espèces de cuivre, mais fut retiré en 1801.

En 1803, le 30 mai (10 prairial an XI}, par un arrêté du 1er Consul, seize ateliers monétaires furent rétablis pour trois ans, ce qui donna satisfaction au voeu répété des habitants de Limoges. La circonscription de cet hôtel, qui avait eu au xvme siècle l'arrondissement tout entier de la généralité, comprit sous le premier empire les départements de la Haute-Vienne, de la Corrèse, de la Creuse, de l'Indre, de la Vienne et du Cher. Le personnel de cet hôtel, qui se composait, sous l'ancien régime, de deux juges-gardes, un contrôleur contre-garde, un greffier en chef, un directeur ou maître particulier, un essayeur, un graveur, deux changeurs, deux ou trois prévôts, ne comportait qu'un commissaire impérial, un directeur, un caissier et un contrôleur. L'atelier monétaire de Limoges reçut alors pour différent la lettre : J. Sous l'Empire on y frappa jusqu'à 60 mille francs de pièces d'argent par jour.

Du mois d'avril 1811 au 31 décembre 1812, c'est-à-dire pendant 21 mois, l'atelier monétaire de Limoges ne refondit pas moins de 22 millions de pièces d'argent; elle frappa aussi des pièces de 10 centimes à l'N couronnée.

En 1815, la fabrication s'éleva à 12 millions. A partir de cette date la fabrication ne cessa de diminuer.

A partir de l'arrêté du 30 mai 1805, le nombre des ateliers


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monétaires ne fut jamais plus augmenté depuis; mais, par contre, il fut successivement réduit par suite de l'extension du crédit public, qui permit d'employer dans les transactions les billeis de la Banque de France et les effets de commerce concurremment avec les espèces, en raison aussi de la grande facilité des transports et de la rapidité de la fabrication des espèces. L'établissement des chemins de fer d'une part et de l'autre l'extension de la Banque de France qui établit des succursales dans toutes les localités un peu importantes, finirent par amener la fermeture successive d'un grand nombre d'hôtels. Une ordonnance du 16 novembre 1837 supprima définitivement tous les ateliers, sauf sept qui restèrent ouverts. L'atelier monétaire de Limoges fut du nombre des supprimés. En 1857, des sept ateliers restés ouverts, quatre furent supprimés à leur tour.

En 1879, en vertu de la loi du 31 juillet, toute la fabrication, pour la France entière et ses colonies, des monnaies et des médailles, se trouva concentrée à Paris seul, grâce à l'activité, à l'organisation et surtout à l'emploi de machines d'un grand perfectionnement, les ateliers, sur le quai et sur la rue Guénégaud, peuvent largement faire face à tous les besoins du service.

L'organisation actuelle des monnaies de France, offre des garanties sérieuses et certaines de l'exactitude de la fabrication. Toutes les monnaies ont entre elles le même rapport métallique.

J.-B. FINCK. (A suivre.)


BIOGRAPHIES BRIVISTES

il

Le Docteur Georges ROUFFY

Le dégagement de l'église Saint-Martin de Brive va bientôt faire disparaître la dernière maison accolée à l'antique sanctuaire; cette maison, située n° 1, rue de la Petite-Place (place Krùger), porte sur sa façade, de haut en bas, une enseigne d'épicerie dont les grandes lettres, encore visibles bien qu'en partie dégradées, indiquent la précédente destination des magasins au rez-de-chaussée : Ancienne Maison Rouffy.

Cette indication qui n'évoque maintenant à peine qu'un souvenir aux seuls vieux Brivistes, est le dernier vestige qui reste dans la ville d'un nom ayant acquis au loin une durable notoriété. C'est en effet à Draveil (Seine-et-Oise) qu'il se perpétue par le bronze et un monument.

En un charmant coin de la vallée de la Seine., Draveil — devenu tristement célèbre par de sanglantes bagarres, il y a une dizaine d'années., ■— est un bourg coquet dont les villas et les pavillons de petits rentiers, blottis dans la verdure, descendent de la. colline aux bords du fleuve, et avoisinent quelques opulents parcs entourant des résidences châtelaines.

Sur la place de l'église, plantée de tilleuls en quinconce., est édifiée une fontaine monumentale, ornée


MAISON ROUFFY A BRIVE

DOCTEUR GEORGES ROUFFY (i8i6-i883)

MONUMENT ROUFFY A DRAVEIL (S.-et-O.)



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d'un médaillon de bronze : une bonne figure franche., épanouie et sereine, cerclée d'un collier barbu, vous regarde en souriant, et on lit ces- simples mots gravés au-dessous, dans la pierre : A Georges Rouffy, hommage des habitants; — puis sur les côtés, les noms des localités : Draveil, Mainville, Champrosay, Vigneux; —Soisy-sous-Etioles, Crosne, Montgeron, Villeneuve-Saint-Georges (1).

Qu'a-t-il fait pour mériter cet hommage? Interrogez les gens du canton, ils vous diront que Georges Rouffy fut par excellence le type du bienfaisant médecin de campagne, et qu'il a eu Alphonse Daudet pour historiographe. Gela suffit à perpétuer sa gloire locale, comme à éterniser sa mémoire dans les lettres françaises.

I

ROUFFY GEORGES, docteur-médecin et philanthrope, né à Brive, le 14 mars 1816 (2), mort à Draveil (Seine-et-Oise), le 23 avril 1883.

(1) Nous reproduisons la vue de ce monument d'après les cartes postales illustrées éditées à Draveil, — en lui donnant comme pendant — le portrait du Docteur entre les deux, — la maison Rouffy à Brive, d'après une photographie prise par iin jeune amateur, notre obligeant cousin, M. Paul Simon : ainsi l'apothéose contraste avec le berceau.

(2) « Du quinze mars 1816, heure de onze heures du matin, acte de naissance de Rouffy Georges, né le quatorze du dit à huit heures du soir, de Henri Ronffy et de Louise Bathier. Le sexe de l'enfant a reconnu être masculin. Premier témoin Georges Bathier, grand-père; second témoin Léonard Malherbaud, propriétaire. Sur la réquisition à nous faite par Henry Rouffy, père, et ont signé constat suivant la loi, après lecture faite par moi Philippe Mage, adjoint au maire de Brive f. fonction d'officier public 'd'état civil. — (Signé) : H. RODFFY, père, MALHERBAUD, BATHIER, MAGE, adjt. » (Etat-civil de Brive).


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Fils d'Henri Rouffy, négociant — un ancien soldat, médaillé de Sainte-Hélène, qui fut longtemps conseiller municipal, — et de Louise Battier, Georges fut élevé dans l'épicerie de son père, et se destina à la carrière médicale, en commençant ses études classiques au Collège communal de Brive.

De ses classes, il garda longtemps la plus vive impression ; à son cousin M. Henri Battier, il écrivait ainsi — en 1857, — pour le féliciter de succès scolaires :

... « Le plaisir que j'ai éprouvé [de les apprendre] m'a rajeuni de vingt-cinq ans. Mes souvenirs m'ont reconduit au Collège, au milieu des luttes et des rivalités ardentes des classes. Ces impressions sont, pendant quelques jours, restées vivaces dans mon coeur. Je parlais grec et latin, et devant moi repassaient tous les grands hommes de l'antiquité avec lesquels j'avais vécu dans mon enfance, et dont les crimes et les vertus m'avaient causé tant d'émotions : émotions que l'on ne retrouve plus dans la vie » (1).

Georges Rouffv sortit du collège en 1834. Reçu ensuite docteur en médecine, les hasards de l'existence le firent d'abord établir en 1845 à Soisy-sousEtioles où il se maria; puis en 1854, il se fixa à Draveil, centre d'un rayon fort étendu qui se trouvait sans praticien. C'est là que, pendant trente ans, il a exercé son art avec un dévoùment si scrupuleux que jamais il ne consentit à coucher hors sa localité; passant la soirée quelques fois à Paris, il était toujours rentré dans la nuit à son poste : une fois seulement par exception il dérogea à sa rigoureuse habitude, ce

(1) Lettre communiquée par M. Martial Bosredon, gendre de feu M. Henri Battier, ancien notaire à Brive,


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fut pour aller enterrer sa mère, l'unique occasion qui le ramena à sa ville natale.

Mais, par contre, en tous temps, à tout instant du jour et de la nuit, on le rencontrait par voies et par chemins; Alphonse Daudet l'a saisi sur le vif en termes inimitables : « On le guettait, dit-il, au passage, à tous les coins de route, sa clientèle, très étendue, espacée sur plus de dix lieues du pays, l'accaparant à toute heure. Il entrait chez ses malades avec sa bonne figure couperosée et joyeuse, la toison de soie blanche qui lui servait de chevelure, les poches de sa longue redingote toutes bourrées de bouquins qu'il lisait toujours en route, en voiture ou à pied...» (Jack, édition Fayard, p. 151).

On sait que pendant de longues années, le grand écrivain habita son Ermitage de Ghamprosay, proche de Draveil, et qu'il a situé aux environs l'action de trois de ses romans : Jack, Robert Helmont et La Petite Paroisse. Décrivant le pays, êtres et choses, Alphonse Daudet avait été séduit par le caractère si attirant et si original de Georges Rouffy. Après de simples rapports de client à médecin, ils se trouvèrent d'ailleurs, l'un ,et l'autre, maintes affinités d'esprit et de coeur, qui les lièrent intimement. Daudet utilisait dans ses oeuvres l'expérience et les connaissances de son ami, bien que celui-ci ne fût guère un observateur, disait-il, non sans malice ! — et l'écrivain portait au docteur ses livres avec de flatteuses et affectueuses dédicaces : la plus reconnaissante, la plus émue a été certes celle de JACK. Chez le praticien de Draveil, il avait pris en effet le personnage principal de ce récit navrant, et c'est au bon


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Docteur lui-même qu'il a donné un rôle si beau et si exact, sous les traits de Rivais.

Jack a vécu son infortunée existence d'enfant naturel, issu de la bohème des lettres et des arts, avec son vrai nom de Raoul Dubief, comme le prouvent des lettres de lui qui nous sont communiquées. Tel que Daudet le raconte, il a été recueilli et instruit par le Docteur qui, en toute générosité, le considéra comme un enfant de sa maison. Mais, hâtons-nous d'ajouter : c'est uniquement pour l'intérêt dramatique de la fiction que le romancier invente de toutes pièces : « Le malheur des Rivais ». •— Aucune vie familiale n'eut de cours plus simple, plus uni et moins accidenté, heureusement, que celle des Rouffy.

Nous ne pouvons rapporter les détails charmants et touchants que comportent la trame du livre, et où se révèle le caractère si curieux et sympathique, si bien observé, de notre héros : notamment la scène typique où il reproche aux parents ou tuteurs de Jack de le sacrifier en faisant de lui un ouvrier; puis ses disputes avec son confrère Hirsch... Mais ce qu'il y a lieu de citer, c'est, son portrait anecdotique qui revient en des pages mémorables :

« Le Docteur était tellement aimé, si bon, si peu soigneux de ses intérêts, s'écrie Daudet. Les paysans l'adoraient et le dupaient également.

— C'est un homme bon, charitable, disaient-ils en parlant de lui... Ah ! s'il avait voulu, en voilà un qui serait riche !

Mais tout de même ils s'arrangeaient pour ne pas payer de note, et ce n'était pas difficile avec un caractère comme le sien. Quand il sortait d'une maison, sa consultation finie, il était entouré d'une nuée tenace et bruvante. Jamais sou-


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verain en tournée ne vit son carrosse assailli, comme l'humble cabriolet du docteur au moment du départ.

— Monsieur Rivais, qu'est-ce qu'il faut que je donne à ma petite!...

— Et mon pauvre homme, Monsieur Rivais, n'y a donc rien à faire pour lui"?

— C'est-y pour manger ou pour se frotter, cette poudre que vous m'avez donnée. Est-ce qu'y vous en reste encore une pincée. Vlà que je sommes sur la fin.

Le Docteur répondait à tout le monde, faisait tirer la langue à l'un, tâtait le pouls à l'autre, distribuait des petits paquets de poudre, donnait du vin de quinquina, tout ce qu'il avait, et s'en allait enfin, vidé, tondu, exprimé, au milieu des bénédictions de tout ce brave peuple de la terre, qui s'essuyait un oeil attendri en s'écriant : « Quel digne homme ! » et clignait de l'oeil malicieusement pour dire : « Quel innocent ! » Bien heureux encore si, au dernier moment, quelque petit courrier en sabots ne venait le quérir a ben vite » pour un malade à quatre lieues de là! » (Jack, édit. Fayard, p. 167).

« Mme Rivais menait la pharmacie, d'abord — (il n'y

en avait alors pas dans toute la contrée); puis elle tenait les livres de son mari, inscrivait les ordonnances, s'occupait des rentrées, notait les visites faites dans la journée :

«Voyons! où es-tu allé aujourd'hui? demandait-elle au docteur, à l'arrivée.

« Le bonhomme oubliait en route la moitié de sa tournée, et volontairement ou involontairement, en supprimait toujours une partie, car il était aussi généreux que distrait. Des notes traînaient dans les maisons depuis vingt ans. Ah! s'il n'avait pas eu sa femme, quel gâchis ! Elle le grondait doucement, lui mesurait son grog, s'occupait des moindres détails de sa toilette... » (Jack, édit. Fayard, p. 165).

A la mort de Georges Rouffy, des dettes aux divers fournisseurs du pays surgirent : A tous les pauvres qui n'avaient pu se payer les aliments ou les effets


qu'il prescrivait, il avait le plus souvent distribué des bons pour se les procurer. Et son décès le surprit avant d'avoir réglé tous les comptes de ses générosités. Alphonse Daudet avait mille fois raison d'écrire :

« La bonté de cet homme avait quelque chose de divin.

Elle se lisait dans son regard d'enfant, innocent et clair, mais sans la malice toujours éveillée de l'enfant... La science l'avait gardé naïf. Il ne croyait pas au mal et appliquait la même illusion indulgente à tout ce qui vivait, aux bêtes comme aux personnes. C'est que pour ne pas fatiguer son cheval, un vieux compagnon qui le servait depuis vingt ans, dès qu'il rencontrait une côte à monter, un chemin un peu raide, ou seulement que l'animal trainât la patte, il descendait du cabriolet et s'en allait tête nue, au soleil, au vent, à la pluie, tenant la bride de la bête qui le suivait paisiblement.

Le cheval s'était fait à son maitre, comme le maître au cheval ; il savait que le Docteur s'attardait souvent dans ses visites, ne se décidait jamais à s'en aller, et il avait des façons à lui de secouer ses rênes à la porte des malades. D'autrefois, quand c'était l'heure de rentrer pour déjeuner ou pour dîner, il s'arrêtait au milieu de la route, se tournait obstinément du côté de la maison.

— Tiens, c'est vrai, tu as raison, disait Rivais.

Alors, ils revenaient bien v ite ou se disputaient tous les deux.

— Ah! tu m'ennuies à la fin, grondait la voix du docteur. A t-on jamais vu un animal pareil? Puisque je te dis que j'ai encore une visite à faire, rentre tout seul, si tu veux.

Sur quoi, il courait furieux à sa visite, pendant que le cheval aussi entêté que lui, prenait tranquillement le chemin du village, traînant la voiture allégée, remplie seulement de livres et de journaux, ce qui faisait dire aux paysans qui le rencontraient sur la route :

— Allons, M. Rivais aura eu encore quelque bisbille avec sa bête. » (Jack, édit. Fayard, p. 165).


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II

Un jour, "Alphonse Daudet, lui-même, dut peutêtre la vie à son ami Georges Rouffy. Se dédoublant et se mettant en scène sous le nom de Robert Helmont, l'écrivain a rédigé le Journal d'un Solitaire, durant la guerre de 1870, à son Ermitage de Champrosay. Il raconte comment, avec un compagnon, en suivant la Seine en bateau pour entrer dans Paris assiégé, il eut de la peine à échapper aux Prussiens et à leurs feux. Son compagnon fut tué par un obus à côté de lui. Heureusement passa le secourable cabriolet du Docteur, reconnaissable à son chapeau alourdi « par toutes les pluies de Seine-et-Oise. » Il le sauva et le cacha dans sa propre chambre, durant un certain temps. C'était d'autant plus périlleux que Rouffy avait transformé sa maison en ambulance; qu'il partageait son toit et sa table avec un confrère allemand qui lui était imposé, et qu'il était naturellement espionné sans cesse...

Elle n'a guère changé, cette demeure vénérée des souffrants et des malheureux accourant de douze lieues à la ronde ; malgré le grattage de sa façade, elle est restée telle que Daudet l'a décrite dans Robert Helmont, Journal d'un Solitaire : « La maison du docteur regarde la rue par dessus les plates-bandes du jardin étroit qui la précède. Elle est connue de tout le monde dans le pays, et la sonnette, à bouton de cuivre, qui se détache sur le mur blanc repeint à neuf, les meubles du petit salon, entrevus au rez-dechaussée, lui donnent un aspect à part de bourgeoisie. » Ce n'est pas sans émotion que, en 1909, nous


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avons parcouru les pièces que hante encore l'ombre attirante du philanthrope, et que tenaient religieusement en état tels qu'ils les ont reçus, M. et Mme Spaletta, le gendre et la fille du bon Docteur. C'est auprès d'eux que nous avons recueili du reste la plupart des souvenirs que nous relatons (1).

Alphonse Daudet et plusieurs amis de Georges Rouffy avaient voulu le faire décorer; il refusa la croix de la Légion d'honneur par pure modestie. Il n'accepta que la médaille d'argent qui lui fut décernée lors de l'épidémie de choléra en 1861, et la croix de bronze que lui envoya, avec une lettre des plus flatteuses, le président de la Croix Rouge, pour les prodiges de dévoûment qu'il accomplit en 1870-71. Resté à peu près seul comme médecin dans toute la contrée, il s'était multiplié à l'infini auprès des malheureux habitants traqués, comme aux ambulances non seulement de sa maison, mais des nombreux locaux de l'endroit, notamment un château voisin transformé par lui en hôpital, qu'encombraient les blessés et les soldats malades. Ils l'adoraient et ils l'appelaient « le bon père ».

Ses soins d'ailleurs furent aussi éclairés qu'incessants. Grand liseur, esprit toujours actif, le docteur

(1) N'oublions pas notre ami, un Briviste dévoué, M. Edouard Béthout, propriétaire près de Draveil, qui nous avait signalé le monument du Docteur Rouffy et l'intérêt qu'il présentait.

De nos excursions et enquêtes sur place, nous avions tiré matière de Chroniques dans Le Limousin de Paris (n" des 26 septembre et 3 octobre 1909) et La République de la Corrèze (26 'septembre 1909), articles qui nous servent pour la présente notice biographique. Depuis lors, la mort de son regretté mari, en 1914, n'a pas empêché M"' Spaletta de contribuer très louablement à nous documenter.


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se tenait au courant de tout le mouvement scientifique. En dehors de ses devoirs professionnels, il était même un naturaliste pratiquant : il cultivait un jardin de plantes médicinales derrière son habitation. Avec des amis, pharmaciens à Paris, il formait des herbiers. Fortement nourri d'études classiques, — ainsi que nous l'avons vu — c'était en latin qu'il conversait en 1870 avec son confrère allemand aux ambulances.

Et le scientifique, confiant en la bonté native des hommes; le littéraire épris de belles phrases, était encore un musicien se plaisant aux ariettes d'une flûte, et un poète, taquinant surtout la Muse familière, laissant chanter ses souvenirs d'enfance, et ne perdant point une occasion de fête dans son intérieur pour tourner des compliments en vers. — Tout un volume de poésies soignées, limées, prêtes à l'impression, a même disparu aux mains d'un ami oublieux (1). L'homme d'action que tenait en haleine l'amour de sa profession absorbante, trouvait cependant le moyen d'exercer des fonctions publiques. Eminemment populaire, il était toujours élu en tête du Conseil municipal de Draveil : républicain sous l'Empire, libéral toute sa vie, ses opinions dérivaient de son optimisme sentimental, ainsi que de son idéal social et démocratique, comme on dit maintenant.

(1) Comme exemple de l'inspiration et de la manière des vers de Georges Rouffy, nous reproduisons en Appendice une pièce qu'a sauvée une lettre particulière; pour sa couleur locale et l'évocation des souvenirs, comme pour sa bonne facture poétique, ce morceau fera sans doute regretter encore plus la perte du recueil


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III

Il fallait à Georges Rouffy une santé à toute épreuve pour suffire aux occupations auxquelles il s'adonnait sans relâche. La maladie épargna sa bonne humeur jusqu'à ses plus vieux jours. Un mal passager l'avait cependant une fois abattu. Sous l'empire de la mélancolie, il avait saisi un chiffon de papier qu'il avait distraitement illustré de croquis enfantins, et il avait griffonné des vers; se croyant sur sa fin, il se demandait :

Mon Dieu! faut-il donc que je meure. Sans revoir, à ma dernière heure, La simple et modeste demeure Où je poussai mon premier cri? Dois-je sur la rive étrangère, Fermer pour toujours la paupière, Sans embrasser encor ma mère?...

Et, dans des strophes inachevées, il évoquait Brive, la Corrèze aux flots transparents et le ciel limousin, vain mirage!... Bien longtemps après seulement, une insolation devait provoquer une congestion fatale. A moitié paralysé déjà, il s'auscultait encore lui-même le coeur d'un mouvement suprême, étant tout résigné enfin à mourir. C'était en avril 1883; il avait 67 ans.

Sa mort fut un deuil public. Sur sa tombe un confrère, puis le maire de Draveil exprimèrent les regrets unanimes de la population désolée. Les innombrables amis et obligés du docteur se cotisèrent pour lui porter une magnifique couronne mortuaire, en témoignage collectif. Mais la souscription faisant boule de


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neige ne s'en tint pas à l'achat d'immortelles... Les fonds s'amassèrent si rapidement qu'on songea en outre à élever au philanthrope un monument pour perpétuer sa mémoire...

Un journal de l'époque disait : « Riches et pauvres se comprennent pour lui donner une preuve impérissable de leur reconnaissance ». Un an après, le sculpteur Sollier avait fait le médaillon de bronze, M. Ricard, l'architecte de la Chambre de Commerce de Paris, avait dessiné le plan et surveillé les travaux jusqu'à leur achèvement : ni l'un ni l'autre, d'ailleurs « ne voulurent accepter d'autre prix de leur peine que la satisfaction de l'hommage rendu à l'homme de bien, si regretté des malheureux ».

Alphonse Daudet avait écrit ces mots pour servir d'inscription : « Sur son chemin, il prodiguait tout ce qu'il savait, et donnait tout ce qu'il possédait ». Sans laisser complètement finir la fontaine monumentale, qui devait être couronnée d'attributs de médecine, comme motifs décoratifs, une manifestation se produisit enfin le 11 octobre 1885 pour l'inauguration.

Les journaux de Paris jusque-là avaient ignoré l'humble praticien de campagne : alors plusieurs le célébrèrent à l'envi, en publiant des illustrations, portraits et vue de la cérémonie pour l'inauguration du monument (1). En son honneur, le chroniqueur Jean

(1) Cf. notamment : Le Petit Médecin des Familles, numéro du 6 avril 1886, avec portrait, que nous reproduisons pour illustrer cette notice; La Petite Presse, journal quotidien illustré, 16 octobre 1885, portrait et Inauguration d'un monument élevé au docteur Rouffy à Draveil (gravure bois), illustrant un article de La Valterie, etc.

T. XXXVIII. 1-2 — 3


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Frollo, du Petit Parisien, mit sur le même plan les docteurs Bènassi, de Balzac, et Rivais, de Daudet, ses portraits littéraires (1).

La biographie de cet homme de bien servirait-elle seulement à commenter Jack et Robert Helmont, en montrant quelles ont été les sources de ces romans, qu'il rejaillirait sur la mémoire de Georges Rouffy une part durable de l'éclat que ces oeuvres conservent à jamais dans la littérature française.

LOUIS DE NUSSAG.

(1) Il nous a été permis de recueillir ces témoignages d'estime et de notoriété, avec divers autres documents graphiques : une lettre de l'auteur de Jack à son médecin ; un début de journal tenu par Georges Rouffy en l'Année Terrible; ses vers de mélancolie lors de la maladie, cités plus haut; ses médailles de 1861 et de 1870; des vues du monument sur des cartes postales illustrées popularisant sa mémoire; une maquette plâtre, importante, du médaillon par le sculpteur Sollier; jusqu'à sa légendaire tabatière qu'avec un sourire engageant il tendait à tout le monde Son père avait, paraît-il, le même geste.

Cet ensemble de souvenirs donnés par la famille et remis aux soins pieux du regretté M. Ernest Rupin, le conservateur du Musée de Brive, devait prendre place à côté de ceux des notabilités, comme Latreille, Michon, Brune, etc., qui honorent le bas pays de Limousin, et auxquels M. Rupin préparait des vitrines spéciales, quand la mort est venue hélas! arrêter les projets [en cours d'exécution; seule la pièce principale, le médaillon, a pu être exposée dans la galerie iconographique des Illustrations bas-limousines; nous y avons joint un cadre de portraits et gravures.


PUYFAURE, * « DOUX NID DE MON ENFANCE... »

A HENRI BATTIER **

Doux nid de mon enfance, où je sentis éclore Mes premiers sentiments, te reverrai-je encore ? 0 paisible Puyfaure ! 0 séjour enchanteur ! Où va, dans le passé, se raviver mon coeur, Où les illusions, adorables berceuses, M'endormirent souvent, à leurs chansons joyeuses, Sur le doux oreiller qu'avait tissé l'Espoir. Heureux temps ! où nos yeux apercevaient, le soir, Voltigeant dans tes bois la^Sylfide légère Et l'Ondine jouant aux flots de la Vézère; Où loin de l'horizon, vers une étoile d'or, Esprit aventureux je prenais mon essor.

Dans cet astre brillant, atome dans l'espace, Monde pour les mortels, s'installait mon audace. L'éclat éblouissant, les tableaux merveilleux Qui frappaient, fascinaient mon esprit et mes yeux, Aucun langage humain ne saurait les décrire ; Mais, sous mon front, toujours chaque tableau respire Comme un pressentiment de mon futur séjour ; Car dans mon astre d'or je dois revivre un jour.

* Puyfaure, encore propriété de la famille Battier, maison de cam» pagne sise dans la commune de Saint-Pantaléon-de-Larche, à 7 kilomètres de Brive.

** Une précédente lettre à ce cousin, contenant la première strophe, la présentait ainsi : « Es-tu heureux, mon cher Henri, d'habiter Brive, et surtout de voir souvent ce bien aimé Puyfaure auquel je pense tant!» — A la demande de son correspondant, Rouffy lui adressa la poésie entière dont nous détachons le principal... comme exemple. ■


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D'un cousin mal-appris la piqûre sauvage Me rappelait parfois de mon lointain voyage, Et je me retrouvais, un Virgile à la main, Assis sous le grand chêne, ornement du chemin, Alors une autre pente entraînait mes pensées Qui, folles, de mon coeur, en tumulte, élancées, Venaient se formuler, en strophes, sous mes doigts. C'était l'homme géant, épouvante des Rois, Qui, messager de Dieu, dans l'arène sanglante Poussant la France libre, impétueuse, ardente, Aux peuples opprimés portait la liberté ; C'était le ciel splendide et son immensité; C'était l'astre des nuits éclairant des mystères ; C'étaient des farfadets dansant dans les bruyères ; C'était l'hymne d'amour qui, parti de l'autel, Montait avec l'encens aux pieds de l'éternel. La sève débordait, mon coeur novice encore, Chantait sur tous les tons comme un clavier sonore. La fraîcheur du jeune âge embellissait mes chants. Que le monde était beau ! Comment croire aux méchants! De Grecs et de R.omains ma tête était remplie, C'est-à-dire, grandeur, amour de la patrie, Courage, dévouement et toutes les vertus : Fabius, Marc-Aurèle, Aristide, Brutus !

Rêves charmants ! pétris de plaisir et de grâce, Oh! vous avez passé, mes rêves! comme passe Une heure de bonheur, ou, comme sur l'étang Le cercle que produit la pierre d'un enfant. Mais ton ressouvenir tient mon âme charmée, Frais et riant Puyfaure ! oasis parfumée ! Car dans chaque sentier, partout, autour de toi, Au printemps, j'ai laissé quelque chose de moi : Telle au buisson revêche, à la ronce qui traîne, L'innocente brebis laisse un brin de sa laine.

Compagnons de mes jeux, dans ces lieux pleins de nous, Amis éparpillés, venez, accourez tous!


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C'est vendanges, mes chers ! en septembre on est libre.

Foin des héros fameux du Scamandre ou du Tibre.

Gloire au Dieu de la vigne ! entonnons Evohé !

Evohé ! que ce soit ou Bacchus ou Noë,

Que nous importe! allons! aux brunes vendangeuses

Apportons le secours de nos mains courageuses ;

Emplissons les paniers de ce raisin vermeil,

De ce raisin béni, plein des feux du soleil.

Laissons le fermenter dans la cuve fumante

D'où sortira bientôt cette liqueur brillante,

Baume réparateur, nectar délicieux,

Qui, dans tous les festins, fait l'homme égal aux dieux.

Mais le grain est poisseux, mais la terre est bien basse, Et de mes compagnons la main déjà se lasse. Il faut faire autre chose! a dit le grand Merlin Dont le panier est vide et dont le ventre est plein. Amis ! joignons pourtant l'utile à l'agréable. Occupons nos loisirs à charger notre table De gibier, de poisson, puis encor... croyez-moi, Vous aurez, pour ce soir, un vrai festin de Roi. Festin à faire honte, aux bords de l'onde noire, Au fameux Balthazar de gourmande mémoire. Tout près est la Vézère, armés de l'hameçon, Au choix, en nous jouant, nous aurons du poisson. Sous nos habiles coups, dans les bois, dans la plaine. Lièvres, lapins, perdreaux tomberont par douzaine. Sur la foi du gascon nous partions pleins d'espoir. L'air morne, l'oeil baissé, nous revenions le soir, Ne rapportant, hélas! pour toute bonne chère, Qu'une faim à manger comme un héros d'Homère.

Elles sont loin de moi ces gaîtés d'un autre âge ! Et ma barque essuya, depuis, plus d'un orage,


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Dans tes murs, quelquefois, en esprit transporté, Puyfaure! et te voyant tel que je t'ai quitté, Des larmes de bonheur m'inondent... je m'écrie :

Ici les beaux jours de ma vie, Souvenirs frais et gracieux, Chantent dans mon âme ravie Comme un essaim d'oiseaux joyeux. Et dans mon coeur et sur la terre Tout semble aujourd'hui refleurir. Ici, je suis près de ma mère... Dieu ! que l'exilé doit souffrir !

Pures émotions où mon âme se plonge ! Plaisirs qui m'enivrez! ah ! vous n'êtes qu'un songe! Avec tous ceux que j'aime, ô doux nid! cher trésor ! Puyfaure bien-aimè! Te reverrai-je encor ?

Les vers ci-dessus sont suivis des lignes suivantes :

« Mon cher ami, je me suis exécuté en t'envoyant ces rimes que ta politesse trouvera bonnes, mais que j'estime ce qu'elles valent : rien. Je ne fais pas de fausse modestie, sois en sûr. Je n'ai voulu qu'une seule chose, en rimant mes souvenirs d'un lieu qui m'est toujours cher, une seule chose : te prouver que mon coeur n'est pas oublieux, que s'il se retrace avec tant de plaisir le séjour de son enfance et les jeux de cet âge fortuné, il n'est plus maître de son émotion quand il songe à ceux qui l'entourèrent de leurs soins et de leur affection et à ceux qui lui firent la vie si douce par le charme de leur amitié. Si la mémoire de l'esprit se perd chez moi, la mémoire du coeur ne s'éteindra pas.

« A toi, d'affection vive et sincère.

« G. ROUFFY. « Draveil, 21 mai 1851. »

Obligeamment communiqué par M. Martial Bosredon et Mm» Bosredon, fille de M. Henri Battier.

L. N.


LA

FAMILLE DE VALON

à ROCAMADOUR

(Ses Droits sur les Sportelles)

AVANT PROPOS

Des droits importants sur la vente des sportelles à Rocamadour; une chapelle et un tombeau sur le parvis Saint-Jean ; une maison forte et divers immeubles dans le bourg, — tels étaient les privilèges et la fondalitè des Valon au célèbre Pèlerinage.

Ces droits et prérogatives de la famille de Valon et le rôle qvUelle a ]ouè à Rocamadour feront P objet de cette étude. Elle fera connaître, au moyen âge, les possessions des Valon à Rocamadour, leurs hommages, leurs droits sur les sportelles; taccroissement de leur fondalitè et de leurs droits au XIVe siècle ; la maison forte des Valon, SOJI utilité pendant la guerre des Anglais.

Au XVe siècle, on y verra, en détail, la fondalitè et les droits des Valon; l'historique des sportelles; les transactions survenues entre les Valon et les évêques


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de Tulle ; le déclin et la fin du commerce des sportelles.

Au XVIe siècle : la restauration de la maison forte des Valon, sa nouvelle désignation; les dons et fondations des Valon au sanctuaire de Rocamadour; la fin de leur fondalitè au XVIIe siècle.

Enfin un chapitre sera consacré au commandeur Jean de Valon.


CHAPITRE Ier

K>e> 1XSO à X4.0 0

Possessio?is des Valon à Rocamadour ; Guillaume de Valon est témoin de la donation de Pons de Gourdon. — 2° Les Valon de Lavergne font partie de la confédération réunie à Rocamadour en 1233; Arnaud et Hugues de Valon partent pour la Croisade ; Géraud de Valon réside à Rocamadour. — Les Valon sont protecteurs du Pèlerinage ; ils remplissent les fonctions de chevalier viguier ; leur fondalitè s'accroît à Rocamadour; leurs droits sur les sportelles. — 40 Les évêques de Tulle reçoivent à Rocamadour les hommages de Guillaume de Valon (Thègra), de Pierre Stephani (Martel) et de "Jean Stephani (Martel). — 50 Guerre des Anglais ; Guérin de Valon, chassé de Thégra, se réfugie à Rocamadour et y fortifie son hôtel ; il lutte jusqu'à son décès tantôt à Thégra, Rocamadour ou Gigouzac. Son héritier, Bernard Stephani de Valon, en fait autant jusqu'à l'époque (1408) où il se retire à Gigouzac.

§1. — Les nombreux miracles qui eurent lieu à Rocamadour au xne siècle, notamment entre 1166 et 1172, attirèrent une foule considérable dans cet endroit qui devint bientôt un pèlerinage célèbre. En choisissant ce sanctuaire comme centre de prières et de miséricorde, la Sainte Vierge n'a-t-elle pas voulu donner au Quercy une marque de prédilection en récompense de sa foi et de son dévouement? N'a-t-elle pas voulu aussi rendre hommage à une région qui avait répondu si généreusement à l'appel des


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Croisades, et encourager, par la voix de ses miracles, les preux chevaliers à partir pour la Terre Sainte ?

Rocamadour faisait partie alors de l'archiprètrè de Thégra et dépendait de l'abbaye de Tulle. A cette époque presque toutes les institutions religieuses étaient placées sous la sauvegarde de la chevalerie que l'Eglise avait rendue protectrice des faibles et des opprimés. Pour ce motif les seigneurs possessionnés à Rocamadour, les Valon entre autres, étaient les défenseurs de la chapelle miraculeuse. Nous trouvons le témoignage de la fondalitè des Valon à Rocamadour dans le cartulaire d'Obasine qui mentionne qu'en 1168 Pierre de Valon, coseigneur de Lavergne, fit donation à l'abbaye d'Obasine du domaine de la Feuillade, situé dans le lieu des Alix (1). La famille de Valon était originaire de Lavergne-A^alon et possédait au xne siècle des fiefs à Lavergne, A}Tnac, Saint-Cérè, Gramat, Rocamadour, etc. (2). Dès l'essor du Pèlerinage les Valon. à l'exemple d'autres seigneurs, firent construire dans le bourg un hôtel dont les ruines existent encore et l'on peut y voir, noyé dans la maçonnerie, un arceau à plein cintre, témoin de son antiquité (3). 11 était habité au xme siècle par Gèraud de Valon (4).

Rocamadour prit de l'importance à la fin du xne siècle et dans l'enceinte sacrée le nombre des chapelles augmenta rapidement. Plusieurs familles se firent remarquer

(1) Le village des Alix, paroisse au Moyen âge, était situé à 1 kilomètre 500 de Rocamadour. DEI.Z ALICS — Petrus de Valon dédit Obazinensi monasterio omne quod sui juris fuerat et possiderat in manso de Lafolada. Dédit etiam quidquid juris habebat in omnibus terris quas predictum monasterium possidebat... anno 1168 [Bibl. Nat., Cartul. d'Obasine, latin, n° 1560, p. 256].

(2) Acte d'échange de 140S entre Bernard Stephani de Valon et Jean de Valon, coseigneurs de Gigouzac. (Archives de la famille de Valon).

(3) Rocamadour, par E. Rupin, p. 261 (libr. Baranger, Paris 1904).

(4) Cf. p. 12.


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par leurs largesses; malheureusement les cartulaires disparus ne permettent pas de relater le nombre ni les dons des donateurs. On peut citer néanmoins la donation de Pons de Gourdon, frère de Ratier de Castelnau, en 1208, qui abandonnait à l'oratoire tout ce qu'il possédait a in manso d'Espanhat T.. Parmi les témoins figure Guillaume de Valon (1).

Avant d'aller plus loin nous devons réfuter le récit d'un miracle contenu dans le Guide du Pèlerin (éditions de 1862 à 1897), attribué à "tort à la famille de Valon. En voici les premières lignes : « Au xue siècle une dame de Valon « était venue remercier la Sainte Vierge et ce pèlerinage « de reconnaissance était signalé par un nouveau miracle « que raconte ainsi le chanoine Farsit : Blessée par les en« nemis du pays la dame de Valon, comme Lazare que le « Seigneur éveilla du sommeil de la mort, reposa dit-on, dans « le tombeau. En étant sortie » (2).

Il est facile de voir, en citant le texte authentique, que le document a été mal interprété. L'original porte : « Sancia Eduensis pagi de vico Davaluns, ubi beatus Lazarus

(1) In nomine sanctae individus; Trinitatis ego Pontius de Gordo, frater Raterii de Castelnou, conditionem fragilitatis humanse considerans, notum facio omnibus quod quidquid in manso d'Espanhat

juste vel injuste requirere poteram donavi et concessi devotae

capellaî Béate Maria Rupis-Amatoris et domino Tutellensis abbati, anno 1208 (Il y a grand nombre de témoins difficiles à lire). [Archives de I'évêché de Tulle, d'après un extrait conservé dans les archives de M. Lacoste, avoué à Saint-Yrieix, détenteur des papiers Bonnellye ; — Histoire de Notre-Dame de Rocamadour, par l'abbé Caillau, p. 89]. — Les Valon figuraient souvent comme témoins ou garants dans les actes des Gourdon et des Castelnau. Guillaume de Valon a dû être témoin dans cette donation de 120S car une note des archives de la famille de Valon, dit : « Guillaume de Valon fut garant, en 120S, d'un don fait à des moines du Quercy ». La similitude de date semble bien le justifier.

(2) Guide du Pèlerin, p. 94 de l'ancienne édition et p. 95 de la nouvelle (1897).


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fertur (i) qui se traduit : Une dame du nom de Sanchc, originaire du bourg d'Avallon, au pays d'Autun, où dit-on se trouve le corps du bienheureux Lazare, etc.

Ce miracle ne concerne donc nullement les Valon (2). M. l'abbé Albe, qui a publié les miracles de Notre-Dame de Rocamadour, a relevé d'ailleurs l'erreur et remis les choses au point (3). Il n'y a rien non plus sur eux dans les manuscrits des miracles de Rocamadour conservés à la Bibliothèque Nationale (4).

§ 2. — Le Pèlerinage, si prospère jusqu'alors, devait bientôt connaître des jours moins heureux. Les richesses accumulées dans son sanctuaire excitèrent l'appétit des puissants et des routiers à tel point que le 11 mai n83, Henri au court mantel, qui volait les monastères et les églises pour soudoyer sa troupe d'aventuriers, pilla l'oratoire de Rocamadour, enleva une châsse d'argent et les trésors de la chapelle miraculeuse (5). Le bourg eut aussi beaucoup à souffrir des pillards qui attaquaient les châteaux et couvents ne laissant après eux que des ruines. Pendant la guerre des Albigeois ils devinrent plus nombreux et plus agressifs. Aussi dès le commencement du xme siècle s'étant rendus maîtres de plusieurs forteresses du Quercy, ils jetèrent par leurs déprédations un tel effroi que les principaux seigneurs de la région, les abbés de Tulle et de Marcilhac, les consuls de Cahors et de Fi(1)

Fi(1) Nationale, fonds latin, Miracles de N.-D. de Rocamadour, vol. 12593, ^565 et 17491.

(2) Nous n'avions jamais accepté ce prétendu document ; mais ce n'est qu'en mai 1S99, en consultant les manuscrits de la Bib. Nat., que nous eûmes la certitude qu'il avait été dénaturé involontairement ou peut-être à dessein. Et comme le Guide du Pèlerin venait d'être réédité il fallut attendre une nouvelle impression pour faire disparaître ce récit erroné. Il a été supprimé dans l'édition de 1908.

(3) Les Miracles de Notre-Dame de Rocamadour, par l'abbé Albe, p. 193 et note 2 du tirage à part.

(4) Bibliothèque Nationale, vol. 12593, 16565 et 17491.

(5) Rocamadour, par E. Rupin, p. loi.


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geac, se réunirent à Rocamadour, le 23 février 1233 (a. s.), et formèrent une confédération pour préserver le pays. Ils jurèrent de défendre, pendant huit ans, leurs personnes et leurs biens, de protéger les couvents, de réprimer les pillages et rétablir le paix (1). Le document qui relate ces faits témoigne que les seigneurs de Lavergne entrèrent dans la ligue et prêtèrent serment (domini milites et homines castri de la Vernha et res illorum) (2). Pierre et 'Bernard de Vafo;2étaientalorsco-seigneurs de Lavergne (3).

Cette confédération avait aussi pour but de combattre l'hérésie Albigeoise, de défendre la religion catholique et de protéger les familles religieuses attaquées par cette secte (4). — Pendant ce siècle la famille de Valon prit part au magnifique épanouissement de foi qui caractérisa cette époque, elle répondit à l'appel des Croisades, elle donna à l'Eglise bon nombre de ses fils et multiplia ses dons aux églises et monastères tels que : Obasine, le Vigan, le chapitre de Cahors, etc (5).

Nous arrivons à la grande époque des Croisades, au moment où saint Louis partit pour la Terre Sainte. On sait qu'il était venu à Rocamadour, en 1245, avec sa mère et ses trois frères pour remercier la Sainte Vierge de l'avoir guéri (6) et peut-être aussi pour implorer la protection de la Madone dans la nouvelle Croisade. Il s'embarqua en 1249. Raimond, comte de Toulouse, qui devait l'accompagner, mourut au moment où il allait rejoindre

(1) Inventaire des archives municipales de Cahors, par le chanoine Ed. Albe, Cahors, 1914, pp. 23 et 24; — Bibliothèque Nationale, Justel, Histoire de la maison de Turenne, preuves, pp. 43 à 45.

(2) La tour du château de Valon existe encore à Lavergne.

(3) Archives de la famille de Valon.

(4) Histoire de Notre-Dame de Rocamadour, par l'abbé Caillau, édition 1834, p. 82.

(5) Mémoire sur la famille de Valon, par Jehanne de Valon, 1908, pp. 8 à 12; — Essai historique et généalogique sur la famille de Valon, par Ludovic de Valon, 1014, pp. 31 à 34.

(6) Rocamadour, par E. Rupin, p. 197.


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à Aiguës-Mortes, le comte Alphonse de Poitiers son gendre. Celui-ci, obligé de recevoir les hommages de ses vassaux, retarda son départ, mais pour peu de temps car les chevaliers du Quercy, enrôlés sous sa bannière, s'embarquèrent avec lui en novembre 1249. Parmi eux se trouvaient ^Arnaud de Valon et Bernard Stephani son gendre. La présence d'Arnaud, en Palestine, est attestée par un acte d'emprunt qu'il fit à Saint-Jean-d'Acre en 1250 (1). Hugues de Valon, son frère, commandeur de l'ordre du Temple, s'y trouvait en même temps (2) et aurait pris part à la charge des Templiers à la Mansourah. — Il est à présumer qu'à l'exemple de saint Louis tous les Valon croisés, avant de partir pour la Terre Sainte, vinrent à Rocamadour se prosterner aux pieds de la Madone pour lui demander force et courage.

Vers la même époque (1250) eut lieu à Cahors une enquête ordonnée par le roi pour savoir de quelle façon se faisait la levée de l'impôt public par l'évêque. Cet impôt établi en Quercy en vue d'obtenir la paix par les armes ou par des traités, remontait au temps de Géraud Hector, évêque de Cahors. Il avait été levé plusieurs fois de 1200 à 1250. Dans cette enquête de 1250, qui montre les rapports du Roi de France avec la ville de Cahors et les prétentions de l'évêque, on interrogea plusieurs témoins de Cahors, Gourdon, Figeac, Cardaillac et Rocamadour. Parmi ceux de Rocamadour se trouvait Géraudde Valon (3). Il devait être frère ou proche parent d'Arnaud de Valon, chevalier croisé, et habiter la maison de Valon, située sur

(1) Versailles, salle des Croisades, par Ch. Gavard, 2° partie, p. 38.

(2) Hugues de Valon était commandeur à la Selve en 1256 (Archives de la préfecture de la Haute-Garonne, salle des chevaliers de Malte, carton « la Selve » liasse iv, n° 3).

(3) G. Avalo, juratus, dixit sicut W. Pelegris (de Valon — on sait que cette famille avait maison à Rocamadour et droit sur la vente des sportelles du Pèlerinage) [Inventaire des archives municipales de Cahors, Xllte siècle, par l'abbé Albe, pp. 44 à 51].


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la grand'rue (i). C'est le document le plus ancien qui témoigne de la résidence des Valon au Pèlerinage.

§ 3. — Rocamadour parvenait à son apogée et grâce à la générosité des pèlerins le trésor du sanctuaire augmentait de jour en jour. On comprit alors la nécessité de mettre ses richesses à l'abri d'un coup de main. Dans ce but on entoura le bourg de remparts avec portes crénelées. A l'intérieur des maisons fortes, un château au pied du sanctuaire et une forteresse au sommet complétaient le système défensif. L'abbé de Rocamadour, comme seigneur féodal, était chargé de la protection de la ville et l'on voit dans une transaction de 1303 que les consuls, qui avaient la garde des murs, ne pouvaient en rien modifier les remparts sans l'assentiment de l'abbé (2)

La famille de Valon, qui s'était fusionnée avec les Stephani, seigneurs de Gigouzac, par le mariage de Guillemette de Valon, avec Bernard Stephani (3), eut un accroissement de fortune à la fin du xme siècle à la suite de nouvelles alliances qui firent entrer dans son patrimoine les coseigneuries de Thégra, de Bétaille, et à Martel le fief de la Raymondie (4). Jusqu'à cette époque sa mission consistait à protéger l'oratoire de la Vierge ; mais à partir du xive siècle son rôle va se modifier et prendre plus d'importance à Rocamadour. Les Valon rempliront alors les fonctions de viguier ou de vicaire général laïque des abbés et obtiendront, comme seigneurs dominants de Thégra, des droits sur la vente des sportelles. Ces nouveaux avantages seront le résultat d'un concours de circonstances.

(1) Cf. p. 8 et note 3 de la même page.

(2) Rocamadour, par E. Rupin, p. 126.

(3) Guillemette de Valon était fille d'Arnaud, chevalier croisé, et héritière des Valon de Lavergne (Essai historique et généalogique sur la famille de Valon, par L. de Valon, pp. 22 et 23.

(4) Ibid., pp. 19, 20, 25, 144.


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Par le mariage, vers 1315, de Galaubie de Valon (1), avec N... de Cornil, fille et héritière de Gérald, seigneur dominant de Thégra, les Valon après le décès de Gérald, eurent en partage la supériorité à Thégra (2). Ce titre leur donnait un nouveau droit à la protection du Pèlerinage et des privilèges sur la vente des sportelles. On voit en effet qu'en 1488 Antoine de Valon, par transaction avec l'évêque de Tulle, revendique les droits sur les sportelles à cause de la châtellenie de Thégra (3). Nous verrons plus loin comment ces droits se rattachaient au fief de Thégra. Pour remplir plus efficacement leur mission, les Valon fortifièrent leur « hospilium » situé sur la grand'rue qui s'appela à partir de cette époque : « la maison forte ». Mais

(1) Galaubie de Valon était fils de Raymond, coseigneur de Thégra (Archives de Valon).

(2) Le mariage de Galaubie de Valon est confirmé par les faits suivants : Dans un acte de réquisition signifié en 1463 à Jean de Miers par Adhèmar de Valon, seigneur de Thégra, il est dit que les possessions des Valon à Thégra leur venaient des Cornil. — Géraud de Cornil assiste comme témoin au contrat de mariage de Jean de Valon avec Anthonie de Miers (1398). En 1443 Adhèmard de Valon, comme seigneur dominant de Thégra. renouvelle les coutumes

de Thégra « et omnibus aliis servitutibus et deveriis contentis

in libertatibus loci de Thegrado in instrumento sumpto per magistrum Rigaldum Turenne condam notarium Belliloci, Lemovicensis diocesis, passatum inter condam nobilem Adhemarium de Valon, dominum de Thegrado et habitatores eiusdem loci de Thegrado die vicesima quarta mensis maii anno Domini millesimo quadringentesimo quadragesimo tertio (24 mai 1443) [extrait de la reconnaissance faite, le 16 septembre 1476, par Guillaume Careygas à Antoine de Valon, seigneur de Thégra]. Tous ces documents font partie des archives de la famille de Valon.

(3) ... pro eo quia dictus nobilis Anthonius de Valon, dominus de Thégra, dicebat quod ad causant dicte sue castellanie de Thégra habebat tam per se quam per suos predccessorcs jus levandi in et super signis, sive los senhals, fiendis in diclo sancto oratorio nostre Domine Rupis-Amatoris... » (Archives delà famille de Valon).


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en même temps une autre circonstance vint favoriser leur fortune. Arnaud de Saint-Astier fut nommé abbé de Tulle et de Rocamadour, en 1307, par le pape français, Clément V, et évêque de Tulle, en 1317, par le pape Jean XXII. Sa famille originaire du Périgord, s'allia ou se fondit dans celle de Clermont qui habitait le château de ce nom près Gourdon. Il eut pour successeur à Tulle son neveu, Arnaud de Clermont, dont le frère, Bertrand, était chanoine de Périgueux (1). La famille de Clermont d'autre part était apparentée aux Stephani de Valon très nombreux à la cour du pape Jean XXII (2). Bertrand de Clermont, frère de l'évêque, était l'ami de Bernard Stephani de Valon, familier du pape, qui remplissait à la curie les fonctions importantes de protonotaire ou chef de la chancellerie. Les registres d'Avignon font connaître les services rendus par les Valon aux Saint-Astier et aux Clermont de 1320 à 1360. Et d'abord la plupart des actes concernant les ClermontSaint-Astier se passaient dans la maison de Bernard Stephani, le protonotaire. C'est là où le 30 septembre 1334, l'évêque Arnaud de Clermont « nomme des procureurs pour recouvrer une somme donnée à l'abbaye de Rocamadour, sur le péage de Tarascon, par le feu roi Charles II, roi de Jérusalem et de Sicile, comte de Provence, etc. » (3). Bernard Stephani, le protonotaire, en qualité d'archidiacre d'Aunis, donna à son familier, Bertrand de Clermont, l'archiprêtré de Saint-Jean-d'Angely (1348) (4). Pierre Stephani, seigneur de Gigouzac, demanda en 1360, en faveur de son cher Golfier de Saint-Astier, le canonicat que feu Réginald de Saint-Astier, son oncle, possédait en l'église Saint-Séverin de Bordeaux (5). En échange de ces bienfaits les Clermont Saint-Astier

(1) Histoire de Tulle, par Baluze, p. 193.

(2) Autour de Jean XII, par l'abbé Albe, 3e partie, pp. 166 à 174.

(3) Ibid., p. 215.

(4) Ibid., p. 217.

(5) Arch. du Vat., Innocent VI, Suppl. 31, f. 250.

T. XXXV1H. 1-2 — 4


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firent obtenir aux Stephani des bénéfices en Périgord et les abbés de Rocamadour, Arnaud de Saint-Astier et Arnaud de Clermont, de 1317 à 1337, confièrent aux Valon de Thégra les fonctions de chevalier viguier (1) et leur donnèrent en récompense de leurs services, de nouvelles rentes et de nouveaux immeubles à Rocamadour. Enfin dés que les Valon devinrent les seigneurs dominants de Thégra, ils transigèrent avec eux, vers 1335, au sujet des droits sur la vente des sportelles.

§ 4. — Cette situation particulière explique pourquoi Rocamadour fut choisi par Gérald de Cornil, Raymond de Valon et Rigal de Cavagnac, tous parents et coseigneurs de Thégra, pour passer, en 1331, transaction au sujet de leur différend sur les fourches patibulaires du lieu de Thégra (2). Pareillement pour la transaction passée au même lieu entre Guêrin de Valon et Rigal de Cavagnac, coseigneurs de Thégra, et Bertrand de Miers, coseigneur de Miers, au sujet de la justice de certains domaines

(I343) (3)- Les abbés recevaient à Rocamadour les hommages des

vassaux dont le nombre augmentait au fur et à mesure des donations. Une des plus importantes fut celle de Pons de Gourdon, en 1234, qui se dépouilla en faveur du sanctuaire de tous ses droits sur le château de Belcastel, Loupiac, Meyraguet et leurs dépendances et obligea ses féaux

(1) Les viguiers, nantis d'une part de l'autorité des abbés, avaient la haute police du marché, la vérification des poids et mesures et tenaient une part de la seigneurie utile [Carfulaire de l'abbaye de Tulle, par J.-B. Champeval (Bulletin arch. de Brive, t. 22, 1900, pp. 43S-439)].

(2) Archives de la famille de Valon. — En 1266 Rigal de Cavagnac avait pour oncle Raymond de Cornil (Coutumes de Thégra' par E. Rosières); et en 1343 Guillaume de Cavagnac, chanoine du Puy, était cousin (consanguineus) à'Albria de Valon, religieuse au couvent de la Daurade, à Cahors (Arch. du Vat. Clément VI, Suppl. 5, p. 117).

(3) Archives de la famille de Valon.


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à reconnaître désormais les abbés de Tulle pour leur seigneur suzerain (i). Ceux-ci possédaient aussi depuis longtemps la terre de Brassac et d'autres dépendances dans la vallée de la Dordogne (2).

Les vassaux étaient tenus de jurer fidélité à chaque mutation d'abbé. A la mort de Guy, évêque de Tulle (1344), quelques hommages furent reçus à Rocamadour par son successeur, Bertrand, entr'autres celui de Guillaume de Valon, coseigneur de Thégra, le 20 juin 1345. Il habitait Montvalent et c'est à cause des biens dotaux de sa femme Helis delà Noalha, que l'hommage était dû (3). Guillaume de Valon fut aussi témoin, à la même date, de l'aveu de Bertrand de Roffilhac pour la terre de Pinsac (4). Pierre Stephani (Martel) fit aussi, en juin 1345, l'aveu de ses possessions de Belcastel à l'évêque de Tulle, Bertrand de Lastours, et en juin 1347 à son successeur, Pierre d'Aigrefeuille. Ces deux hommages furent rendus à Rocamadour par l'entremise d'Hélie de Guillaume, procureur et parent de Pierre Stephani (5).

Plus tard, à la mort d'Archambaud (1361), évêque de Tulle, d'autres hommages furent prêtés à son successeur, Laurent des Biars, qui résidait à Avignon. Jean Stephani

(1) Histoire de Rocamadour, par l'abbé Caillau, p. 93.

(2) Histoire du Quercy, par G. Lacoste, t. 2, pp. 114 à 116.

(3) Archives de l'évêché de Tulle. — Sequntur hommagia olim

facta dominis episcopis Tutellensis : nobiles viri domini Guillelmus

Guillelmus Valon de Monte-Valente, Bertrandus de Roffilhaco de Pinsac et primo dictus dominus Guillelmus de Valonf miles, nobilis,

nobilis, Helis uxoris sue ad quam, ut asseruit, occasione dotis cum dicta uxore sua, habita subscripta facere et recognoscere dignoscuntur pertinere (Archives de la famille de Chaunac, château de Mombet, Dordogne).

(4) Pierre de Valon, frère de Guillaume, habitait aussi Montvalent et avait épousé N... de Roffilhac (Essai historique sur la famille de Valon, par Ludovic de Valon, p. 52).

(5) Essai historique sur la famille de Valon, par Ludovic de Valon, p. 147 et note 3, p. 147.


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(Martel), fils et héritier de Pierre décédé en 1361 (1), devait à double titre par mutations de vassal et de suzerain, l'hommage pour les possessions de Belcastel. Il aurait pu dans la circonstance avoir recours à son parent, Jean Stephani, le protonotaire; mais comme il y avait des difficultés, il préféra se rendre à Avignon et, le 23 avril 1362, il offrit de faire à l'évêque de Tulle l'aveu de ses biens de la même façon que ses prédécesseurs et non autrement (2). Ces possessions de Belcastel étaient entrées dans la maison de Valon par le mariage de Bernard Stephani avec N... de Belcastel vers 1290, et par celui de Jean Stephani, son petit-fils, avec N... de Belcastel (3).

§ 5. — Les défaites qui marquèrent les débuts de la guerre de cent ans obligèrent les seigneurs, les villes et les monastères à s'entourer de murailles. Bien que Rocamadour, à cause de la vénération qu'inspirait le sanctuaire, semblât jouir d'une immunité presque complète, l'évêque de Tulle avait eu soin néanmoins de compléter son système défensif dont l'ensemble comprenait trois enceintes : les remparts extérieurs, ceux des portes de Salmon et d'Hugon, enfin les forts au pied du sanctuaire et au sommet du grand rocher. Il y avait en plus dans les principales rues des maisons fortes, notamment le château de la Carreta qui défendait l'accès du grand escalier; la maison de Valon qui servait d'appui aux portes du Figuiei, de

(i) Essai historique , pp. 155 et 156.

(2) Johannes Stepiiani, dominus de Gigozaco, Cat. dioc. obtulit et presentavit se paratum pra;stare et dare prout prsaetitit et dédit reverendo in christo patri domino Laurancio, Dei gratia episcopo Tutellensi, juramentum fidelitatis quod intendebat proestare et dare in forma dari consueta et proestari consueta per predecessores ipsius Johannis dominis episcopis qui fuerunt pro tempore in ecclesia Tutellensi pro terris possessionibus locis et bonis quos et quse obtinet in loco de Bellocastro et pertinentiis ejusdem dicta; dioc...] (Bibl. Nat., Fonds Baluze, vol. 259, p. 16).

(3) Essai historique sur la famille de Valon, par Ludovic de Valon, pp. 145, 157.


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Salmon et de Sarrazin, etc. La rue de Mazès, parallèle à la grand'rue et plus en contre-bas, présentait l'avantage de dominer la vallée et d'établir les communications avec les points protecteurs (i). La maison de Valon, à cheval entre la grand'rue et celle de Mazès, devait barrer le passage dans le cas où la porte du Figuier aurait été prise. Dès que le danger devint imminent, Guérin de Valon. seigneur de Thégra, agrandit ta maison forte des Valon et la rendit plus défensive (2).

Jusqu'en 1360 Rocamadour ne fut pas inquiété parles Anglais. Après le traité de Brétigny, qui mettait le Quercy sous la tutelle étrangère, les consuls prêtèrent serment au roi d'Angleterre sous réserve de la garantie de leurs privilèges et des droits de l'abbé. Mais à la suite d'un impôt excessif, exigé par le Prince Noir, en 1368, le Quercy refusa de payer et se souleva; la révolte fut générale et la répression non moins impito37able. Quelques seigneurs qui avaient opposé une résistance sérieuse à la marche de l'ennemi, se réfugièrent à Rocamadour espérant échapper à la colère des Anglais. Ceux-ci avaient respecté jusqu'à ce jour la ville et le Pèlerinage; mais craignant que ce lieu ne devint un foyer de résistance et d'intrigues ils en firent le siège et s'en emparèrent en 1369. Peu de temps après Guérin de Valon vint s'y retirer (3), — Déjà en 1360 il s'y était mis, une première fois, en sûreté après la capitulation de Thégra. Revenu dans ses foyers, vers 1363, après le traité de de Brétigny, il s'y trouvait au moment de la révolte de 1368 et fut un des premiers à se soulever et à organiser la défense de son château. Grâce à cette précaution les Anglais, qui s'étaient rendus maîtres de Fons et de Gramat, ne pouvant en faire autant de Thégra, se portèrent sur Rocamadour. Puis dès que cette ville fut prise ils retournèrent à Thégra et, avec le concours des

(1) Rocamadour, par Ernest Rupin, p. 24S.

(2) Ibid., p. 261.

(3) Ibid., p. 261.


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compagnies de Saint-Céré, s'en emparèrent en 1369 (1). Guérin de Valon se réfugia alors à Rocamadour pour la seconde fois ; mais pour peu de temps, car le sénéchal de Beaucaire et le comte de Villemur comprenant le danger de la situation, délogèrent les Anglais de Thégra après deux attaques successives (2). Le château fut encore pris en 1371 et derechef en 1373 (3). Son importance expliquait la ténacité de l'adversaire à le conserver. A partir de 1373, Guérin de Valon dut faire à Rocamadour un plus long séjour, trouvant dans cette localité un abri et des ressources. De là il se rendit à Gigouzac, dont il était le coseigneur, et fit capituler cette place occupée par l'ennemi depuis six ans. Mais attaqué à son tour par des forces supérieures, il fut obligé de se rendre en 1376 et de revenir à Rocamadour (4J. Il mourut vraisemblablement vers 1385 (5). Son héritier Bernard Stephani de Valon, qui avait combattu souvent à ses côtés, poursuivit la lutte, résidant tantôt à Thégra, Martel ou Rocamadour. Il dut lui aussi se retirer quelquefois dans la maison de Valon surtout de 1400 à 140S, époque où à la suite d'un échange il vint habiter Gigouzac (6;.

(1, 2) Histoire du Quercy, par G. Lacoste, t. 3, p. 211.

(3) Histoire du Quercy, par G. Lacoste, t. 3, pp. 220, 221, 223, 235.

(4) Essai historique et généalogique sur la famille de Valon, par Ludovic de Valon, pp. 113 et 114.

(5) Ibid., p. 163.

(6) Ibid,, p. 135.


CHAPITRE II

X>o 1400 à xsoo

i" Epreuves des Valon; aliénation d'une maison à Rocamadour par Jean de Valon; celui-ci, chassé de Thégra par les Anglais, se retire à Rocamadour. — 2° Inféodations d'Adhémard de Valon; possessions des Valon à Rocamadour ; leurs droits sur les sportelles ; origine de ces droits, leur importance ; première transaction, vers I33S< qui détermine la part des èvéques et 'la part des Valon. — Deuxième transaction (1423) qui réduit les droits des Valon; motifs qui l'ont provoquée. — 40 Troisième transaction (1488) qui rétablit les accords primitif s ; le déclin des sportelles en fut cause. — 50 Fondation par les Valon de la chapelle Saint-Jean-Baptiste et du tombeau familial dans leur maison du parvis Saint-Jean; motifs qui ont dicté ce vocable.

§ 1. — L'échange de 1408, entre Jean de Valon et Bernard Stephani de Valon, fit cesser l'indivision qui existait depuis longtemps dans les seigneuries de Thégra et de Gigouzac (1) Par cet accord Bernard Stephani de Valon, devenait seigneur de Gigouzac et Jean de Valon, seigneur de Thégra. Celui-ci héritait donc de tous les droits et de toutes les possessions que les Valon avaient à Lavergne, Thégra, Gramat, Rocamadour, etc. La transaction de 1408 fut passée au château de Miers parce que Gigouzac et Thégra se trouvaient au pouvoir de l'ennemi et qu'Adhé(1)

qu'Adhé(1) historique et généalogique sur la famille de Valon, par Ludovic de Valon, Brive, 1915, pp. 134, 135 et 136,


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mar de Miers était beau-père de Jean de Valon. A cette date Jean de Valon avait à peine dix-neuf ans; il resta au château de Miers jusqu'au moment (1417) où les Anglais, chassés à leur tour de la région, abandonnèrent la place de Thégra (1). Les ravages de la guerre, les combats continuels, le déguerpissement des tenanciers l'avaient en partie ruiné. Aussi fut-il obligé d'aliéner quelques rentes pour restaurer son château ; c'est dans ce but qu'il vendit, en 1411, à Géraud Lafage une maison à Rocamadour avec jardin contigu et ses dépendances pour le prix de cent livres tournois. Jean déclara tenir et avoir tenu de tous temps cet immeuble en emphytéose perpétuelle de l'évêque de Tulle. Cette vente fut ratifiée et confirmée par Valérie Bonafos, alias de Saint-Pierre, sa mère, et par Antonie de Miers, son épouse (2).

Jean de Valon resta quelques années à Thégra à partir de 1417 essayant de réparer les ruines accumulées depuis longtemps ; mais les Anglais ne lui en laissèrent pas le temps. Ils envahirent derechef le Haut-Quercy, s'emparèrent des places fortes et mirent tout à feu et à sang. La désolation était telle que tous fuyaient d'épouvante. Le château de Thégra fut pris et entièrement détruit. Jean de Valon revint à Rocamadour avec tous les siens, vers 1427, et) 7 demeura jusqu'à son décès. La maison forte des Valon, qui avait servi de refuge pendant les heures critiques, défi)

défi) historique et généalogique sur la famille de Valon, par Ludovic de Valon, Brive, 1915, p. 133.

(2) In nomine quod anno millesimo quadringentesimo undecimo,

undecimo, vero vicesima mensis julii (20 juillet 1411) apud locum de

Mederio personaliter constitutus, nobilis Johannes de Valon,

domicellus, dominus loci de Thegrado, mine habitator loci de Mederio, qui vendidit pretio centum librarum tur. Geraldo La Faia, habitatori ville Rupis-Amatoris, videlicet quoddam hospitium suum, cum quodam horto situm in dicta villa Rupis-Amatoris... presentibus : nobilibus viris Helia de Mederio et Bernardo eius fratre et me Johanne de Segirando notario publico qui omnia recepi et in hanc forman redegi (Archives de la famille de Valon).


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vint dèslors et jusqu'en 1450 le foyer familial (1). Pendant cet intervalle les Valon fondèrent à Rocamadour, chapelle, tombeau, obits, dont ils n'avaient plus la jouissance à Thégra et cela témoigne qu'ils n'espéraient presque plus rentrer en possession du château paternel. Durant le grand pardon de 1428, qui amena de si grandes foules au Pèlerinage, Jean de Valon donna l'hospitalité à Guischard de Valon, seigneur de Gigouzac, qui connaissait lui aussi l'infortune. Chassé de Gigouzac et dépouillé de ses biens il s'était retiré à Cahors, dès 1414, pour être plus en sûreté. — Que s'est-il passé dans ce cadre de Rocamadour depuis 1430 jusqu'au décès de Jean? on l'ignore. Toujours est-il que Jean ne vivait plus en 1437 puisqu'à cette date Adhémar de Valon, son fils et héritier, nomme des procureurs pour la gestion da ses affaires (2).

§ 2. — Pendant presque toute la durée de la guerre Rocamadour était bien peuplé, mais durant les traités et à la fin de l'invasion les courses violentes et soudaines de l'ennemi rendirent le bourg inhabitable (3) : le monastère, l'église et les chapelles n'échapèrent même pas au vandalisme (4). C'est ce qui explique les inféodations faites

(1) Histoire du Quercy, par G. Lacoste, t. 3, p. 411.

(2) Anno M0 CCCCXXXVII et die XX quarta mensis novembris personaliter constitutus nobilis Aymarius de Valon, dominus loci de Thegrado, Cat. dioc... fecit procuratores suos... in omnibus suis causis ... actum apud Figiacum, presentibus : Jacobo Figerii et me Johanne Cumbas, notario... (Archives de la famille de Valon.

(3) Bibl. de la ville de Cahors, Fonds Fouilhac, Histoire du Quercy (notes) p. 184.

(4) Bulle de Pie II du 29 juin 1463 accordant une indulgence plénière à ceux qui visiteront les sanctuaires de Rocamadour pour la

reconstruction des églises et du monastère — ac monasterii et

capelle hujusmodi profiter guerrarum turbines mortalitatum pestes aliosque varias sinistros eventus quibus partes Me retroactis temporibus prohdolor afficte fuerint adeo diminuti existant quod venerabilis frater noster Ludovicus episcopus Tutell. ex eis circa reparationem structurarum et edificiorum, tam monasterii q%iam capelle hujusmodi


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à partir de 1438. Adhémar de Valon reçut à cette époque les reconnaissances de quelques immeubles, qui donneront quoiqu'incomplet, un aperçu de la fondalitè des Valon à Rocamadour. La plupart de ces immeubles et des rentes leur venaient des évoques de Tulle en récompense de leurs services.

En premier lieu Adhémard inféoda le 14 septembre 1439 la maison (hospitium) de la Stelhia, située dans le bourg de Rocamadour, confrontant avec l'hôtel de la Dolhadoyra, avec la rue publique et avec le jardin de Jean de la Gersa, moyennant 10 sols tournois de rente annuelle payable à la Noël (1).

Un peu plus tard ce fut la reconnaissance de Y hospitium de La Croutz situé à proximité de la rue allant du côté du castrum seu hospitium « del Chapeyro » et près de l'hôtel de l'Estar (?) — Ensuite la reconnaissance d'une autre maison confrontant à l'hospitium de La Croutz, à l'hôtel del Vialar et à la rue allant de la porte dels Bateygats vers la porte neuve alias de la traversa (2). Ces deux immeubles devaient être situés dans la rue de la Mercerie,

En 1447 Adhémard vendit à Guillaume de Bia, marchand de Figeac, pour une durée de dix ans, cinq livres tournois de rente (140 fr. de nos jours) qu'il avait sur la maison de Pierre Lagrange appelée « de Carrela » (3). Il céda aussi à la même époque et au même d'autres rentes

quorum aliqua miserabili ruine subjacent intendere... (reg. Vat. n° 491 ep. 295).

(1) L'acte fut passé à Rocamadour par Mu Jean Michaël, notaire, en présence de Pierre Tissier, Gérald Vayssière, prébendiers de Rocamadour et Pierre Lagrange de la Carreta. (Archives de la famille de Valon).

(2) Extrait des archives de M. Champeval. Celui-ci avait relevé ces renseignements dans les archives de M. de Briance (château de Briance, près Martel) et dans les archives de M. de Laprade (château de Balager, près Condat).

(3) Extrait d'un document sur le prieuré de Cami. (Archives de la famille de Valon),


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dans la paroisse de Lavergne pour liquider les dettes contractées par ses parents et les siennes propres (i).

En 1453, il inféoda l'hôtel de Sereto à N... Lafage pour le cens annuel de n... sols tournois (2).

Le seigneur de Thégra bailla encore à nouveau fief en 1462 à Martin Laborie une pièce de terre dans la vallée de l'Alzou, situé près la fontaine de la Filiola, moyennant le cens d'une quarte avoine payable à la Saint-Michel (3).

Nous avons relaté la .vente faite en 1411, par Jean de Valon à Geraud Lafage d'un hôtel assez important pour le prix de 100 livres tournois. Cet hôtel confrontait avec la rue publique, l'hôtel de la Carréta, l'hôtel del Corn et la rue en contre-bas de Mazès (4).

Adhémard de Valon possédait en plus la maison forte dite « de Valon » située sur la grand'rue, près la porte de Salmon (5) et d'autres immeubles dont nous n'avons pu retrouver les baux à fief.

Enfin le seigneur de Thégra avait sur le parvis SaintJean ou place des sportelles une tour, contigue à la maison abbatiale des évêques de Tulle ('6), que les Valon

(1) Archives de la famille de Valon.

(2) Bibl. de la ville de Cahors, Fonds Fouilhac, Histoire du Quercy (notes) p. 184.

(3) L'acte fut passé à Rocamadour, en présence d'Antoine Lafage, alias Tabast, seigneur du lieu de Lamothe-Massaut, par Jean de Decano, notaire, le S septembre 1462 (Arch. de la famille de Valon).

(4) Cf. p. 22 et note 2 de la page 22. — dictum hospitium

confrontatum cum carreria dicte ville, cum hospitio de la Carreta et cum quodam alio hospitio vocato del Corn et cum carreria de subtus dictam villam et cum orto sive costa hospitii de la Carreta... (Archives de la famille de Valon).

(5) Origines de Rocamadour par l'abbé de Fouilhac (Bulletin arch. de Brive, t. 22, 1900, p. 438).

(6) ... in capella Sancti-Joannis-Baptiste, Béate Marie supradicte ville Rupis-Amatoris, contigua domui abbatiali reverendissimi in Christo patris et domini Tutellensis episcopi et abbatis et administratoris perpetui ecclesie predicte Béate Marie Rupis-Amatoris


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tenaient des abbés depuis longtemps. Il est probable qu'elle leur fut donnée en même temps que la concession des droits sur les sportelles et qu'on devait y mettre en dépôt les médailles du Pèlerinage. Ce local, le seul cédé par les évêques sur le parvis Saint-Jean, servait aussi de refuge pendant les moments critiques et d'abri presque inviolable parce qu'il était placé à côté des chapelles et sous la protection de la Madone. C'est dans cette tour que les seigneurs de Thégra fondèrent, après 1423, la chapelle de Saint-Jean-Baptiste qu'on appelait : la chapelle de la maison de Thégra (1 ). Il y avait encore sur la place des sportelles, des boutiques (operatoria), source de revenus pour les évêques de Tulle et les concessionnaires, où l'on vendait les médailles, cire et autres objets de piété (2). Il est bien probable que les Valon en possédaient quelques unes pour écouler les médailles et enseignes qu'ils avaient droit de vendre et de fabriquer.

La famille de Valon possédait encore d'autres immeubles à Rocamadour, propriété des seigneurs de Gigouzac, qu'ils tenaient de la succession de Gauzide de Vassal. Celle-ci, en vertu d'un codicille de son père, du 24 juin 1367, avait hérité, vers 1410, de ses biens à Rocamadour et notamment de son hôtel (3). Cette maison fut inféodée avec ses dépendances, en 1452, par Guérin de Valon, seimuncupata

seimuncupata la capela de la maysou de Mossieur de Thégra » in qua quidem capella sepeliri voluit casu quo moriatur in diocesis Caturcensis

Caturcensis de la fondation du Commandeur Jean de Valon,

1516, archives de Saint-Priest ; — Cf. le § 5 du chap. III).

(1) Ibidem.

(2) Rocamadour, par Ernest Rupin, p. 237.

(3) Item dominus Guillelmus Vassalis voluit quod casu hères

suus universalis decederet absque herede masculo ex ipso legitimo et de legali matrimonio descendente quod loca de Bellocastro et de Lopiaco et hospitium sv.v.m de Rupe-Amatoria cum omnibus et singulis redditions juribus bonis ipsorum fuit dicte filie ejus (Gauzide) et perpetuo eius successorum [Extrait du codicille de G. de Vassal, archives de la famille de Valon].


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gneur de Gigouzac, qui avait donné à son fils, Agnet, procuration pour en recevoir la reconnaissance (i). Agnet de Valon continua d'avoir fondalitè au Pèlerinage ; mais après lui sa fille et héritière, Françoise, mariée à Louis de Roifat, vendit ces possessions: de telle sorte qu'à la fin du xve siècle les Valon de Gigouzac n'avaient plus rien à Rocamadour.

Enfin on aura un aperçu complet de la fondalitè des Valon à Rocamadour en rappelant qu'ils avaient aussi des droits sur la vente des sportelles. La sportelle était l'enseigne du Pèlerinage. Chaque sanctuaire avait son signe, sa marque ; mais celui de Rocamadour jouissait en plus du privilège de sauvegarde en temps de guerre. Les sportelles étaient des médailles en plomb, en étain ou en cuivre, quelques-unes en petit nombre en argent et en or, munies d'anneaux pour les fixer sur le vêtement (2). Elles représentaient d'un côté l'image de la Vierge et de l'autre celle de saint Amadour (3). Leur usage remontait à l'origine du Pèlerinage. Il y avait aussi des sportelles plus communes qui portaient l'effigie de la Vierge à l'avers et celle de A'eronique au revers (4). Les abbés avaient le monopole de toutes les médailles; mais ils s'étaient dépouil(1)

dépouil(1) des archives de M. Champeval qui l'aurait tiré du château de Briance ou de Balager.

(2) Transaction entre l'évêque de Tulle et Antoine de Valon, seigneur de Thégra, du 2 juin 1488 (archives de la famille de Valon) [... nobilis Anthonius de Valon, dominus de Thégra consensit quod signa auri et argenti.,. et ultra etiàm medietas omnium signorum plumbi, stangni quam de leto...] (Cf. le texte de la transaction au chap. II).

(3) Transaction entre l'évêque de Tulle et Jean de Valon, seigneur de Thégra, du 17 septembre 1423 (Archives de la famille de Valon). — Rocamadour, par E, Rupin, p. 235. — Il y avait aussi des sportelles représentant la sainte Vierge seulement (Rocamadour, par

E. Rupin, pp. 236 à 240).

(4) Rocamadour, pp. 204 à 215 et p. 235; — Cartulaire de Tulle, par J.-B. Champeval (Bullet. arch. de Brive, t. 22, 1900, p. 438).


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lés de bonne heure de ce privilège à l'égard des plus communes. On voit en effet qu'en 1237 l'abbé, Elie de Ventadour, donne aux habitants de Racamadour le droit de vendre aux pèlerins, vulgairement appelés carcanelli, les médailles les moins productives (1). Pour les plus productives (2), les abbés s'en étaient aussi dépouillés presqu'en totalité, vis-à-vis des protecteurs du sanctuaire (tels les Valon), moyennant une rente annuelle fixée au douzième du produit de la vente. Dans la suite, le commerce des sportelles devenant prospère, les abbés rachetèrent peu à peu toutes les concessions sauf celles des Valon. On en trouve la preuve dans ce fait que, vers 1270, Pierre Darnesii céda à l'abbé de Tulle, pour 10 marcs d'argent (1000 fr. de nos jours) ses profits sur la vente des médailles (3). Dès le xive siècle les évêques de Tulle et les Valon se partageaient seuls les produits de cette vente (4). Le xv siècle marque l'apogée des sportelles: les droits des A^alon furent alors contestés, réduits puis rétablis à la suite de transactions. Enfin au xvie siècle le commerce de ces médailles, déjà sur le déclin, périclita tout à fait.

Les Valon tenaient leurs droits sur les sportelles en qualité de protecteurs du Pèlerinage mais surtout à cause

Ces sportelles portaient d'un côté l'image de la Vierge et de l'autre celle de la Véronique, quelques-unes néanmoins ne représentaient que la Véronique (Cartulaire de Tulle déjà cité). Ces médailles ne doivent pas remonter au-delà du Xivc siècle.

(1) Celles destinées aux pèlerinages obligatoires ou expiatoires. (Rocamadour, par E. Rupin, p. 115).

(2) quod cum medietas signorum plumbi Béate Marie RupisAmatoris et Beati Amaioris que fiunt in dicto loco Rupis-Amatoris

pertinent ad ipsum dominum episcopum (Transaction déjà citée

de 1423). — ... Les habitants prendront pour eux les médailles ayant l'image de la Véronique mais non celles qui portaient l'image de la Vierge et de saint Amadour que l'abbé se réservait (Cartulaire de Tulle, par J.-B. Champeval, Bull. arch. de Brive, t. 22, 1900, p. 43S).

(3) Renseignements obligeamment communiqués par M. Rupin.

(4) Cf., p. 16.


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de la châtellenie de Thégra (i). Comment ces droits se ' rattachaient-ils au fief de Thégra ? Voici ce qui paraît très vraisemblable. Les seigneurs de Thégra relevaient, à l'origine, des seigneurs de Castelnau (de Gramat) qui relevaient eux-mêmes des vicomtes de Turenne. Du temps des abbés de Tulle : Bernard de Castelnau, évêque de Cahors (1035-1055) et son neveu Bernard de Castelnau, évêque de Cahors (1055-1070) (2), la seigneurie de Thégra devait être occupée par un membre de cette famille ou un parent (les Gasc ou les prédécesseurs des Gasc). Les Castelnau, abbés de Tulle, ont pu donner au seigneur de Thégra (Castelnau ou Gasc), pour la protection du sanctuaire de Rocamadour, certains droits sur la vente des médailles au moment où le Pèlerinage prenait naissance, droits qui ont dû être confirmés dans la suite par les abbés, Ebles de Turenne (1112-1152), Bertrand et Elie de Ventadour (xme siècle), parents des Castelnau. Ce privilège, apanage du seigneur dominant de Thégra, serait passé des'Castelnau aux Gasc, des Gasc aux Cornil, et des Cornil aux Valon (3). Au moment où ces droits échurent aux Valon, ils remontaient déjà à une date ancienne, ils avaient passé par plusieurs mains et subi des modifications au cours des temps ; il n'est donc pas surprenant qu'ils fussent, a cette époque, mal définis, sujets a contestations. Depuis l'avènement des abbés Arnaud de Saint-Astier et Arnaud de Clermont, les Valon remplissaient a Rocamadour les fonctions de viguier (4). Grâce a leurs relations de parenté et a des services réciproques un accord intervint entre eux, vers 1335, pour fixer la part respective de chacun sur les spor(1)

spor(1) p. 14 et note 3 même page.

(2) Le Prieuré-Doyenné de Carennac, par l'abbé Albe et A. Viré. (Bulletin arch. de Brive, t. 34, 1912, 4e livraison, p. 545).

(3) Cf., p. 14.

(4) Cf., p. 16; — Cartulaire de l'abbaye de Tulle, par J.-B. Champeval (Bul. arch. de Brive. t. 22, 1900, pp. 438 et 439).


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telles (i). Quelles étaient les clauses de cet accord? à défaut de l'original on peut y suppléer au moyen de l'inventaire des biens de l'évêque de Tulle décédé en novembre 1360. Ce document témoigne qu'en 1361 la part de l'évêque comprenait le douzième de la vente des sportelles et en plus jo livres tournois (2). Telles devaient être les clauses de la convention de 1335. Les Valon prélevaient pour leur partie reste des profits, part qui se trouvait grevée des frais de fabrication des médailles, de l'achat des moules (3) et de la matière première, etc. Toutes ces dépenses absorbaient le quart des bénéfices, en sorte que les Valon ne jouissaient en réalité que du quart des profits (4),

(1) Cf. p. 16; une transaction a dû être passée à ce sujet entre Raymond de Valon, seigneur de Thégra et Arnaud de Clermont, abbé de Rocamadour, vers 1335, époque où la fondalitè des Valon à Rocamadour a pris de l'importance.

(2) ... Item recepi anno LXI (1361) die XIII mensis aprilis de curata cache communis signorum Ruppamatoris (tronc où l'on metlait la recette de la vente des sportelles) pro Xlh parte, ipsum dominum episcopum contingente : XLII sol. IV den...

Item pro redditibus quos dictus dominus episcopus habet in dicta cacha, que sunt LXX libre tur., monete currentis tempore quo fit dicta curata, recepi XIII libr. VIII sol. restât de dicta summa ad solvendum XXXIIII lib. XII sol.

Item die X mensis novembris, anno LXI (1361) recepi de tertia curata dicte cache, in deductionem summe supradicte XXXII libr...

(Les comptes de Jean de Cavagnac, collecteur pontifical, faits en 1361, par l'abbé Albe (Bull, de la Société arch. de Brive, t. 28, 1906, pp. 260-261).

(3) Dans la transaction de 1423 Jean de Valon revendique la possession d'une partie des moules. — Antoine de Valon, dans la transaction du 2 juin 148S, réclame la moitié des moules (cf. ces deux transactions reproduites in extenso).

(4) Dans la même transaction de 1423 l'évêque de Tulle déclare que la moitié des profits des sportelles lui appartient et Jean de Valon soutient qu'il jouit du quart de ces profits. Il en résulte clairement que le quart des profits, qui n'était revendiqué par personne,


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mais ce quart en valait la peine puisqu'en 1423 la part de l'évêque s'élevait à 94 livres tournois (2.800 fr. de notre monnaie). En 1361 la vente des sportelles avait rapporté 144 livres environ, dont 82 livres pour l'évêque et 62 livres ponr les Valon (1). Le produit de la vente se mettait dans un tronc commun qu'on vidait tous les trois mois (2). L'évêque prélevait d'abord le douzième puis une somme en proportion des 70 livres de rente qu'il avait sur les médailles (3). Les Valon gardaient le reste.

§ 3. — Pendant le xive siècle les seigneurs de Thégra jouirent sans trouble de ce privilège, compensation des revenus que les ruines, accumulées par les guerres Anglaises, leur enlevaient par ailleurs. Mais au début du xve siècle les évêques de Tulle, privés à leur tour d'une partie de leurs rentes, profitèrent de leur situation et des calamités des temps pour garder devers eux presque tous les profits des sportelles. Ils trouvaient sans doute excessif de partager des bénéfices dont ils avaient eu seuls, au début, la jouissance. La chose était d'autant plus aisée que les Valon affaiblis et continuellement aux prises avec l'ennemi ne pouvaient presque plus remplir leurs obligations vis-à-vis du Pèlerinage. Et de plus la sauvegarde dont jouissait la sportelle, qui mettait le pèlerin à l'abri de tout danger, avait contribué beaucoup, pendant la guerre de

représentait les frais de toutes sortes relatifs à la fabrication des sportelles.

(1) Les comptes de Jean de Cavagnac (note 2 de la page précédente) donnent la part de recette des sportelles qui revenait à l'évêque pendant l'année 1361 (du 30 novembre 1360, date de la mort de l'évêque Archambaud, jusqu'au 30 novembre 1361). En 1361 le tronc fut vidé trois fois; à la seconde fois le douzième avait rapporté 42 sols 4 deniers (ce qui donnait comme profit total 25 livres) et la rente 13 livres. La part de l'évêque s'élevait donc à 15 livrés (les 3/5) et celle des Valon â 10 livres. — La note 2 de la page précédente permet aussi d'évaluer la recette totale des sportelles pendant l'année 1361 qui atteignit 144 livres. Elle s'élèvera à 200 livres en 1423.

(2, 3) Cf. notes 2 p. 30 et 1, p. 31.

T. XXXYIII. 1-2 — 5


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cent ans, à favoriser la vente de ces médailles. En 1361 la recette s'était élevée à 144 livres, tandis qu'en 1423 elle atteignait 200 livres (1). Or d'après l'accord de 1335 l'augmentation de la vente profitait p'ius au Valon qu'aux évêques. La part de l'évêque, en effet, représentait en 1361 les trois cinquièmes des profits (2), la moitié à la fin du xive siècle, et devait être inférieure à la part des Valon en 1423 (3). Ce fut certainement un des motifs invoqués par les évêques pour dénoncer la transaction de 1335. Mais si leurs prétentions semblaient quelque peu justifiées, ce qui l'était moins, c'était de vouloir tout accaparer. Aussi les pourparlers furent longs, laborieux et un nouvel accord ne pouvant s'établir ont eu recours à l'arbitrage. Dans cette occurence Jean de Valon eut le tort d'accepter comme arbitres le juge temporel de l'évêque et un moine de Tulle qui par la force des choses devaient faire pencher la balance en faveur du prélat. Voici les revendications des parties. — L'évêque de Tulle prétendait que la moitié des signes ou figures de plomb de 'j\[olre Dame de Rocamadour et de Sainl-îAmadour, faits à ^Rocamadour, ainsi que les moules, les droits et émoluments qui en provenaient annuellement étaient sa propriété en raison de son évéché et que cela lui rapportait 94 livres 10 sols tournois. — Jean de Valon soutenait que la moitié de l'autre moitié ou de tout le résidu ou reste des droits, profits et émoluments lui appartenaient et que de tous temps il avait été en possession et saisine de lever et percevoir, chaque année, les renies de la moitié de l'autre moitié et de garder quelques moules. Ces rentes,

(1, 2) Cf. note 1, p. 31.

(3) En plus de la rente fixe de 70 livres l'évêque prélevait le douzième du produit de la vente. Sa part n'augmentait qu'en proportion de ce douzième; tandis que la part des Valon croissait en proportion des 11 douzièmes de la vente. Avec une recette de 170 livres les parts de l'évêque et du seigneur de Thégra était pareilles; au-delà de 170 livres la part des Valon dépassait celle de l'évêque.


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d'ailleurs, disait-il, étaient en sus de la part qui incombait à l'évêque (i).

Les arbitres Arnaud Lachèze, juge ordinaire de la juridiction temporelle de l'évêque et religieux Jean d'Arnaud, prévôt de Valette, prononcèrent, le 17 septembre 1423, la sentence qui termina par la transaction ci-après, le différend entre Bertrand de Maumont, évêque de Tulle, et le seigneur de Thégra (2) :

« Il fut décidé et prononcé que ledit noble Jean de Valon « aurait à l'avenir en représentation des droits qu'il récla« mait, chaque année, huit livres tournois (300 fr. de notre

(1, 2) In nomine Domini amen. Noverint universi quod ab

incarnatione Domini millesimo quadringentesimo vicesimo tertio,

die vero décima septima mensis septembris domino Karalo Dei

gratia Francorum rege in quondam magistri Pétri de Borelono Tutelle tune notarii publici nunc vitafuncti et testium infrascriptorum presentia. Personaliter constituti reverendus in Christo pater et dominus Bertrandus (de Maumont), episcopus Tutellensis dominus solus et in solidum ad causam sui episcopatûs in temporalibus castri et ville Rupis-Amatoris Caturc. dioc, et nobilis vir Johannes de Valon dominus et habitator loci de Thegrado, nec non venerabiles et religiosî viri fratres Martinus de Sancto-Salvatore helemosinarius ecclesie predicte vices gerens domini prioris claustralis dicte ecclesie ac prior prioratûs d'Autoyre, Johannes Boscha infirmarius, Stephanus Lacgia camerarius ac prior prioratûs de Spanhaco, Eblo Boscha prior prioratûs Sancti-CIementis prepositusque prepositatûs de Planis, Jacobus de Campis prepositus prepositatûs de Selhaco, Helias de Peyraco de Floyraco, Aymericus Reginaldi Sancti-Michaelis de Banyeras, prioratuum priores a dicta ecclesia cathedrali immédiate dependencium, Petrus de Cardalhaco, Guillermus de Fealetz et Johannes de Fonte monachi et religiosi viri dicte cathedralis ecclesie Tutellensis majorem et saniorem partem religiosorum

dicte ecclesie seu monasterii ut dixerunt facientes Memoratus

autem dominus episcopus ibidem in dicto capitulo dlci et exponi fecit religiosis superius nominatis per honorabilem et scientificum virum dominum Arnaldum Lachieza, licenciatum in legibus, judicem ordinarium totius terre et juridictionis temporalis domini episcopi ad causam sui episcopatûs spectantis. Quod cum medietas


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« monnaie) et cent signes sive senhals et que mo)7ennant a ce il renoncerait à tout droit, devoir, part, portion es« choite (excaensiam) et émoluments que lui et ses hérite tiers avaient ou pouvaient avoir sur lesdits signes ou « senhals et moules, ainsi qu'au droit qu'il prétendait ■-< avoir de tenir et garder lesdits moules dont il n'aurait « plus à se mêler pour l'avenir: il fut également accordé « par ledit évêque que ledit noble Jean de Valon pourrait « prendre lesdits cent signes sive senhals soit en nature « soit en argent comme il l'aimerait mieux... (i).

signorum plumbi Béate Marie Rupis-Amatoris et beati Amatoris que fiunt in dicto loco Rupis-Amatoris sive jurium profiguorum et emolumentorum ex eisdem signis et etiam molliis sive molles in et cum quibus dicta signa fiunt quolibet anno proveniencium ad ipsum dominum episcopum solum et in solidum ratione dicti sui episcopatûs pertineat et spectet aut quidquid sit, dictus dominus episcopus ratione dicti sui episcopatûs habeat quolibet anno in et super dictis signis et rnolliis sive molles sive in et super juribus, deveriis, profiguis et emolumentis ex eisdem provenientibus quater virginti et quatuor decim libras et decem solidos turonenses, inter cetera cumque dictus nobilis Johannes diceret et pretenderet quod medietas alie medietatis sive tocius residui sive reste jurium, profiguorum et emolumentorum ex eisdem signis et molliis sive molles anno quolibet ultra dictas quater vigenti et quatuor decim libras ac decem solidos turonenses quos et quas dominus episcopus Tutellensis habet anno quolibet super eisdem inter cetera proveniencium ad dictum nobilem Johannem tune pertinebat et spectabat et quod dictus nobilis Johannes fuerat in bona pocessione et saisina levandi et exhigendi et percipiendi anno quolibet in et super dictis signis et molliis dictam medietatem jam dicte medietatis sive residui seu reste dictorum profiguorum et emolumentorum et quod dictus nobilis Johannes fuerat etiam in bona pocessione et saisina, seu quasi, certa mollia dictorum molliorum tenendi et custotiendi. Qumque aliqualis altercatio orta fuerat inter dominum episcopum et dictum nobilem Johannem de Valon ratione earum que idem nobilis Johannes pretendebat tune habere super signis et molliis predictis; hinc fuit quod tranctantibus dicto Arnaldo La Chieza et religioso viro (i) Traduction de Lacabane.


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Par cette convention Jean de Valon se trouvait spolliê de tous ses droits (i). Il est vrai qu'on lui accordait cent sportelles, mais ce n'était qu'un semblant de concession. Les arbitres ne voulurent même pas, sans l'assentiment de l'évêque, les lui livrer en nature ou en argent selon son désir. La transaction passée à Rocamadour devait être ratifiée à Tulle par les moines (2). On donna donc rendezvous à Tulle à Jean de Valon pour obtenir satisfaction. Au

fratre Joanne Arnaldi , preposito Valete et nonnullis amicis

talis transactio super premissis, altercatione seu deceptatione, in dicto loco de Rupis-Amatoris intervenerat, videlicet quod fuerat transactum inter dictos dominum episcopum et nobilem Johannem de Valon quod dictus nobilis Johannes haberet et hàbebat et sui successores habebunt anno quolibet et perpétua pro omni jure parte, porcione et exchaencia ac débit0 que idem nobilis Johannes habebat et habere quovismodo et quavis occasionne seu causa poterat in et super dictis signis et molliis Rupis-Amatoris octo libras turonensium et centum signa sive senhals sine debato et contradictione quibuscumqne; item et quod dictus nobilis Johannes de Valon in dicto accordio cesserai quictaverat ex tune in antea penitus et perpétua dicto domino episcopo et successoribus suis totum jus deverium partent exchaenciam et emolumenium que ipse Johannes habebat et levabai super dictis signis et molliis, ultra predictas octo libras et centum signa nec non et totum jus et causam quod et quam idem nobilis ante dictum accordium habebat tenendi et custodiendi mollia predicta ita quod dictus nobilis Johannes neque sui successores a cetero nullatenus se intromicteret nec intromictere debebunt de dictis signis et molliis... prout latius asseruit constare dictus dominus Arnaldus pro domino episcopo perquoddam publicum instrumentum per discretum virum magistrum Petrum de Portu notarium publicum receptum et quod in dicto accordio dictus dominus episcopus promiserat nobili Johanni omnia et singula in dicto instrumento contenta in dicto capitulo ecclesie cathedralis religiosis eius capituli et ecclesie ratificare et confîrmare

confîrmare reçu par Pierre de Tarrade, notaire de Tulle

(Archives de Saint-Priest).

(1) Les Valon ne furent pas les seuls à souffrir des prétentions de l'évêque, Cf. à ce sujet l'ouvrage de Rocamadour, par E. Rupin, p. 235.

(2) Cf. la transaction ci-dessus, pp. 33 à 35, note I. Cet accord avait eu lieu avant le 17 septembre 1423.


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jour convenu on le conduisit dans la chambre du prélat en lui faisant traverser corridors, appartements : gravir escaliers, étages, multipliant à dessein les tours et détours ; enfin on le fit attendre dans l'antichambre jusqu'à ce que l'évêque voulut le recevoir (i). — Sa demande fut bien accueillie. — Mais cette formalité avait eu sans doute pour but d'en imposer au jeune seigneur et de lui faire croire qu'on lui faisait une grande faveur.

Dans cette transaction il n'est question que des sportelles en plomb portant l'image de la Vierge et de saint Amadour: c'étaient les plus productives. On ne parle pas des médailles en laiton ou en cuivre, preuve que la vente en était insignifiante.

Les sportelles en plomb, conservées de nos jours, sont très rares. Dans son ouvrage sur Rocamadour, M. Rupin a donné le dessin et la description de cinq t37pes qui sont datés du xme siècle au début du xve (2). Le Guide du Pèlerin a aussi donné le dessin d'une autre sportelle, en argent, qui doit être du xive siècle (3]. La forme gothique auréolée de ces signes, l'image de la Vierge, l'ensemble, sont des plus gracieux: néanmoins l'imperfection du dessin se manifeste à mesure qu'on s'approche du xve siècle.

Quel était en 1425 le prix d'une sportelle en plomb? Aucun document ne nous renseigne. On connaît le montant de la vente totale des médailles en 1423 : 200 livres tournois environ, et la clause des 100 sportelles qu'on laissait à la disposition du seigneur de Thégra. Cette clause témoignait que ces 100 sportelles devaient avoir une certaine valeur. Le prix d'une médaille, variable suivant les époques, n'a pas dû dépasser un sol; on peut conjecturer que le prix moyen se cantonnait entre 4 et 6 deniers. En prenant pour base 4 deniers, on aurait vendu, en 1423, environ 12.000 médailles et les 100 sportelles,

(1) Ces détails sont racontés dans la transaction ci-dessus du 17 septembre 1423 (Archives dé Saint-Priest).

(2) Rocamadour, par E. Rupin, pp. 237 à 240.

(3) Guide du Pèlerin de Rocamadour, édition 1908, pp. 06 et 97.


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laissées à Jean de Valon, devaient valoir 50 fr. de notre monnaie. La transaction de 1423 lui accordait donc en tout 350 fr. par an,, c'est-à-dire environ le quart ce ce qu'il touchait auparavant (1). L'évêque de Tulle, dans cette circonstance, ne s'était pas montré généreux. Nous verrons bientôt, — les événements sont parfois singuliers, — que cette transaction sera tout à l'avantage des Valon et au détriment des évêques.

Une des conséquences de cet accord de 1423 fut que la tour, située sur le parvis Saint-Jean, servant aux Valon à mettre en dépôt les sportelles, devint sans objet et fut affectée par eux à un autre usage (2). En second lieu l'évêque « pour soulager la misère qui pesait sur le pays, se « dépouilla de son privilège en faveur des habitants et leur « permit de vendre librement les médailles à leur profit « pendant l'espace de deux ans à partir de 1425 » (3).

Enfin cette époque marque l'apogée du commerce des sportelles; à partir de 1425 il commencera à décliner.

§ 4. — La guerre de cent ans touchait à son terme ; il n'est pas téméraire d'avancer que la fin de cette guerre situe la fin de la vogue du pèlerinage de Rocamadour. A partir de ce moment on peut dire que Rocamadour, en tant que grand pèlerinage, est tombé. Est-ce à cause de la lassitude et de la misère engendrées par cette lutte interminable? est-ce à cause de la vogue des pèlerinages qui déclinait de plus en plus? assurément, et sans doute pour d'autres motifs encore. Toujours est-il que désormais les grandes foules ne reviendront à Rocamadour que dans des circonstances exceptionnelles : celles des grands pardons. On essaya de faire renaître les courants au moyen d'indulgences accordées aux pèlerins qui visiteraient Ro(1)

Ro(1) 1423 la part de l'évêque s'élevait à 94 livres tournois (2.800 fr.) et celle des Valon à 1.400 fr. environ, déduction des frais.

(2) Cf. pp. 45 à 47(3)

47(3) du Pèlerin de Rocamadour, édition 1908, p. 96. — Sans l'accord de 1423 il aurait fallu l'assentiment des Valon pour accorder ce privilège aux habitants de Rocamadour,


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camadour, par Martin V en 1427 et par Pie II en 1463 (1) ; mais ces essais restèrent infructueux. — On peut trouver aussi un témoignage de cette décadence dans la mévente des sportelles dès 1440. Le sauf-conduit dont jouissait la sportelle pendant les guerres cessa avec la paix ; les pèlerinages tombaient en désuétude; on imposait de moins en moins les pèlerinages ou les expiations obligatoires. Telles furent les causes de la mévente. Et elle fut si rapide que l'évêque de Tulle ne voulut plus tenir les engagements de la transaction de 1423, sous prétexte qu'elle était contraire aux intérêts du chapitre. Il engagea des pourparlers avec Adhémard de Valon qui, en 1469, donna procuration à son fils, Antoine, afin de négocier avec le chapitre de Tulle (2). L'évêque insistait pour une nouvelle transaction ; Adhémard ne se laissait pas circonvenir car il n'avait rien à gagner, mais tout à perdre. Aussi de son vivant ne voulut-il faire aucune concession. Après son décès, l'évêque revint à la charge ; les négociations furent reprises, mais sans succès. L'affaire fut alors portée devant le parlement de Toulouse (3). Antoine de Valon

(1) Rocamadour, par E. Rupin, pp. 151 et 154.

(2) In nomine Domini. amen. Notum sit quod anno millesimo quadringentesimo sexagesimo octavo et die décima nona mensis januari

januari janvier 1469 (n. s.) régnante Ludovico Constitutus

nobilis vir Adhemarius de Valon, dominus de Thegrado, dioc. Caturc. constituit suum verum procuratorem negociatorem suorum gestorum, generalem videlicet nobilem Anthonium de Valon, ejus filium, quiquidem pater dédit licentiam dicto nobili Anthonio de Valon standi et comparendi in judicio. in curiis et coram judicibus quibuscumque et alia facienda et specialiter ad transigendum quoddam debatuvi quod est inter ipsv.m constitùentem et reverendum in Christo pairem dominum Ludovicum episcopum Tutellensis super signis

plumbi Béate Marie Rupis-Amatoris Acta fuerunt hec in loco de

Thegrado anno, die, mense predictis, testibus : Benedicto Pâlies, presbitero et Arnaldo de Unco et me Stephano Corderii, clerico, notario publico loci de Vergna (Archives de Saint-Priest).

(3) et penderet processus indecisus in curia Parlamenti Tolose

Tolose de la transaction du 2 juin 1488),


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soutenait qu'à cause de la châiellenie de Thégra il avait droit de prélever une rente annuelle sur les bénéfices des sportelles et qu'en vertu de la transaction de 1423 il devait toucher chaque année huit livres tournois et en plus la valeur de cent sportelles. L'évêque déclarait au contraire que cet accord de 1423 lui était préjudiciable. — Le procès durait depuis dix ans quand sur les conseils de personnes amies, devant l'évidence des faits et, peut-être, eu égard à la situation puissante de l'évêque, Antoine de Valon céda et consentit à signer avec le chapitre la convention, du 2 juin 1488, qui rétablissait les accords antérieurs à 1423 (1). L'évêque se réservait le produit des médailles en or et en argent ainsi que leurs moules et partageait

(1) In nomine Domini amen. Noverint universi quod anno ab incarnatione Domini millesimo quadringentesimo ocluagesimo octavo die vero secunda mensis junii (2 juin 1488) domino Karolo rege ... qua die capitulani et capitulum tenentes infra capitulum ecclesie cathedralis

Tutellensis Reverendus in Christo pater et dominus de Barro

Tutellensis episcopus et religiosi fratres Johannes de Peyraco O.S.B. prior claustralis ecclesie cathedralis Tutellensis, Matheus Borgies prepositus maior dicte ecclesie cathedralis Tutellensis, Bernardus Lavaur, infirmarius dicte ecclesie, Johannes de Piscatoribus prior prioratûs de Floyraco, Caturc. dioc., Focaldus de Malareto, prior prioratûs de Listello Xantonensisdiocesis, Anthonius Chaslong, prior prioratûs de Bogueriono, Caturc. dioc, Joannes de Donnarello, prior prioratûs de Ussaco Lemov. dioc, Jacobus de Planis, prior prioratûs de Mensaco, Lemov. dioc, Petrus de Beaufort prepositus prepositatûs de Planis, Tutellensis dioc, Adhemarius de Lacgia prepositus de Capella-Lagenesta, Lemov. dioc, Stephanus Regiis sacrista ecclesie cathedralis Tutellensis, Stephanus Durand prepositus de Selhaco, Tutell. dioc, Johannes de Marcillaco, prior de Angulis, Tutellensis dioc, Johannes de Bonafonte cantor ecclesie cathedralis, Martinus de Campo elemosinarius ecclesie cathedralis, Petrus Sapientis, jacobus de Salhento, Johannes de Vayras et Guido Rigaldi religiosi dicte ecclesie cathedralis Tutellensis... qua die personaliter constituti dominus de Barro Tutellensis episcopus et nobilis vir Anthonius de Valon, dominus de Thégra, Catur. dioc. cum pro ut ibidem narratum extitit per ambas partes coram pre-


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avec Antoine de Valon les bénéfices des sportelles en plomb, cuivre ou élain; les moules restaient en commun.

Plusieurs points sont à considérer dans cette transaction. Et d'abord les Valon déclarent tenir leurs droits sur les sportelles à cause de la châtellenie de Thégra. C'est la première fois qu'ils donnent cette raison. Dans la transaction de 1423, ils affirment leurs droits, mais sans faire connaître pour quel motif, preuve sans doute que les documents, perdus alors, avaient été retrouvés.

On voit aussi d'après cette transaction quels étaient les métaux employés à la fabrication des médailles : l'or, l'argent, le plomb, l'ètain et le cuivre. La sportelle en plomb dominait; celles en or et en argent étaient rares.

On peut encore se rendre compte du bénéfice que rapnominatis

rapnominatis dicti capituli in crastino die festi beati Clari, alias orta extitisset lis, questio inter dictum nobilem Anthonium de Valon et prefatum episcopum abbatem abbatie Rupis-Amatoris, et penderet processus indecisus in curia parlamenti Tolose pro eo quia dictus nobilis Anthonius de Valon asserebat quod ad causam dicte sue castellanie de Thégra habebat jus levandi tam per se quam per suos predecessores anno quolibet et perpetuo in et super signis sive los senhals fiendis in dicto sancto oratorio Nostre Domine Rupis-Amatoris seu in et super fructibus et emolumentis seu proffiguis signorum dictorum los senhals qui fiunt et consueverunt per eumdem episcopum seu eius vicarium in spiritualibus seu alios servitores et officiarios ad utilitatem dicti domini abbatis pro tradendo peregrinis peregrinantibus in dicto sancto oratorio Béate Marie Rupis-Amatoris videlicet octo libras monete currentis renduales et centum signa o senhals plumbi vel stangni rendualia et hoc ex accordio alias de et super premissis facto inter quondam reverendum dominum Bertrandum, Tutellensis episcopum, et quondam nohilem Joannem de Valon, dominum dicti loci de Thégra, et predecessorem etiam dicti nobilis Anthonii de Valon et ex accordio et appunctuamento super hoc facto et passato inter dictas partes ratione dictorum signorum prout in instrumento recepto per quondam magistrum Petrum de Borrelono notarium Tutelle signato signo manuali domini Pétri Terrada, presbiteri, notarii regii publici Tutelle.,.., dictus vçro dominus reverendus


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portait, en 1488, la vente des sportelles. Une. clause de l'accord dit que la moitié du produit de la vente équivalait à huit livres tournois dont bénéficiait le seigneur de Thégra. Il en résulte qu'en 1488 les bénéfices des sportelles s'élevaient en tout (pour l'évêque et les Valon) à vingt livres tournois (environ 600 fr. de notre monnaie). En 1423 ce commerce avait réalisé, déduction des frais, 150 livres tournois. Dans l'espace de 60 ans la diminution, conséquence de la mévente, avait donc atteint 130 livres (4.000 fr. de nos jours), et le déclin ne fera que s'accentuer dans la suite.

La transaction du 2 juin 1488 avait été passée et signée dans la salle capitulaire de la cathédrale de Tulle ; elle fut promulguée le 11 juin 1488 sur la place Saint-Michel, à

abbas dicebat contrarium quod dictum accordium non fuerat factum ad ultitatem dicte ecclesie et non debebat tenere imo erat in prejudicium et dampnum dicte ecclesie. Hinc est et fuit quod dicte partes volentes lites et processus evitare et pacem adquirere inter se, tractantibus etiam nonnullis amicis communibus etiam tractantibus nonnullis religiosis dicte ecclesie... de predictis litibus et questionibus ad talem transactionem de premissis devenerunt in hune qui sequitur modum ita videlicet quod dictus nobilis Anthonius de Valon dominus' de Thégra voluit et consensit quod signa sive los senhals auri et argent! qui fient futuris temporibus et molhia sive los molles eorumdem signorum sive' dels senhals, proffigua aut jura et emolumenta eorumdem signorum erunt et fuerunt per integrum et futuris temporibus et perpetuo dicto domino episcopo et suis succèssoribus et sibi soli et ultra et prêter illa etiam medietas omnium aliorum signorum fiendorum tam plumbi, stangni quam de leto sive jura et emolumenta etiam pertineant et spectent per integrum eidem domino episcopo ; et altéra medietas omnium signorum tam plumbi, stangni quam etiatn de leto sive -jura, proffigua et emolumenta eorumdem signorum sint et pertineant et spectent futuris temporibus solum et in solidum eidem nobili Anthonio de Valon, domino de Thégra et suis heredibus et successoribus quibuscumque et in solutionem et pagam dictarum octo librarum monete predictarum rendualium per ipsum dominum de Thégra petiturum et molhia sive los molles dictorum signorum de plumbo,' stangno et de leto remaneant


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Rocamadour, en présenée d'Antoine de Valon, seigneur de Thégra, par Anthoine de Chaslon, mandataire de l'évêque de Tulle. Voici la teneur de ce nouvel acte (i) :

« Le ii juin 1488, [à Rocamadour, sur la place Saint« Michel, en face la porte de l'oratoire, en présence de « noble Jean de Luquet, seigneur de Réveillon (2), d'An« toine Saget, recteur de Rocamadour, de G. Meynard, « J. Latge, Michel Laley, prêtres et prébendiers de lad. « ville, frère Anthoine de Chalo, prieur du Bougayrou, « agissant en vertu d'une procuration de Mgr Denys de « Bar, évêque de Tulle et de son chapitre en date du 5 « juin 1488 (3) déclare en présence à'Anthoine de Valon

et sint communia inter ipsum dominum episcopum et suos successores et dictum dominum de Valon et suos successores, et iia voluerunt

dicte partes Acta vero fuerunt hec premissa in civitate Tutelle

infra capitulum ecclesie cathedralis Tutellensis anno, die.etmense predictis, presentibus nobili viro Anthonio de Planis, domino de Planis loci de Curamontano Lemov. dioc, domino Stephano de Jorris, presbitero Tutelle et Guillermo de Petraficta, mercatore Tutelle, et me Johanne Costuti, presbitero, notario regio Tutelle (Archives de Saint-Priest).

(1) In nomine Domini amen. Noverint universi et singuli présentes pariter et futuri hoc verum presens publicum instrumentum inspecturi visuri lecturi ac etiam audituri quod anno incarnationis Domini millesimo quadringentesimo octuagesimo octavo et die vero undecima mensis junii illustrissimo Principe et domino nostro domino Karolo Dei gratia Francorum rege régnante, apud villam Rupis-Amatoris diocesis et senescalie caturcensis in platea SantiMichaëlis que est ante fores sive portam capelle Béate Marie Virginis dicte ville in meique notarii regii publici et testium infrascrip(2)

infrascrip(2) de Luguet était parent de l'évêque de Tulle et probablement des Valon, en tout cas il devint beau-père d'Hélène de Valon, mariée vers 1515, à Pierre de Luguet, son fils.

(3) Registre Chevillard (extrait de plusieurs cèdes dont les originaux sont à Tulle) ; relevé en 1752 par A. Edme Delamare, femme de Chevillard [fonds latin, Bib. Nat. n° 17750]. Cette procuration fut passée par Antoine de Brachet, notaire de Tulle,


« seigneur de Thégra, que de tout temps (ab omni oevo) « la famille de Valon a été en droit de vendre la moitié « des signes en plomb ou en ètain sur lesquels est im« primée et figurée l'image de la glorieuse vierge Marie « où du moins de percevoir et d'exiger la moitié du pro« duit de la vente de ces signes faite par ledit seigneur « évêque ou par un mandataire de son choix. Cette dé« claration, suivant le témoignage des parties, était con« forme à la transaction du 2 juin 1488, entre l'évêque « de Tulle et Anthoine de Valon, passée par Jean Costuti, « notaire de Tulle, en présence d'Antoine de Plas, sei« gneur de Curemonte (1). D'accord entr'eux Antoine de

torum ad hec vocatorum presentia; personaliter constituti nobilis et religiosus vir frater Anthonius de Chalo prior prioratûs sancti Pétri de Bogayrone dictarum diocesis et senescallie Caturcensis ordinis sancti Benedicti ac procurator et nomine procuratorio reverendi in christo patris et domini domini Dionysii de Baro miseratione divina et sancte sedis appostolice gratia Tutellensis episcopi abbatis et administratoris perpetui prioratûs et monasterii ac capelle Béate Marie Virginis dicte ville Rupis-Amatoris prout de ejus potestate procuratoria ad plénum dixit constare instrumento super hoc sumpto et recepto per discretum virum dominum Johannem de Segaria notarium regium publicum et habitantem dicte ville RupisAmatoris anno et die in dicta procuratione contentis vice et nomine dicti domini episcopi et ejus ecclesie cathedralis Tutellensis ex una ; et nobilis vir, Anthonius de Valon, scutifer, domirius loci de Tegrado, dictarum diocesis et senescallie Caturcensis pro se suisque heredibus et successoribus universis ex parte alia; ibidem dictus frater Anthonius de Chalo religiosus et procurator antedictus, coram predicto nobili Anthonio de Valon, domino predicto, et coram me notario infrascripto et testibus infrascriptis, dixit quod supradictus reverendus in christo pater et dominus episcopus et abbas in capitulo dictorum dominorum religiosorum Tutellensium ad plénum certificatus et bene instructus quod dicto nobili Anthonio de Valon ab omni evo pertinebat et spectabat medietas signorum plumbi et stagni in quibus ymago et figura gloriose Virginis Marie est impressa et figurata et de dicta medietate dictorum signorum erat in vera poces(i)

poces(i) note 1, p. 39.


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« Chalo et le seigneur de Tégra donnèrent la régie de « cette vente, pour deux ans, à Guillaume Sabatier, prê« tre et habitant de Rocamadour, qui s'engagea à agir « dans l'intérêt des deux parties et à leur rendre un « compte bon et loyal. L'acte fut passé en présence des « témoins sus nommés par Pierre Cartier, notaire de Ro« camadour (i)».

Dès ce moment les droits des Valon n'étant plus contestés, ils purent jouir en paix de ce privilège jusqu'au jour où, par suite de la diminution des pèlerins et du discrédit des sportelles, la vente des médailles périclita tout à fait.

sione vendenti et alienandi salvo saltem medietatem argenti et auri dictorum signorum venditorum et vendencium per dictum dominum episcopum seu ejus procuratorem aut alium ab eodem episcopo deputatum seu deputandum levandi exigendi et percipiendi et in suos usus convertendi pro libitosue voluntatis ethabito super hoc consensu et voluntate dictorum dominorum religiosorum dicti capituli monasterii sive ecclesie cathedralis Tutellensis ad sonum campane in unum congregatorum capitulantium et capitulum tenentium et habito super hoc maturo consilio cum peritis tradidit et deliberavit, cedit et concessit dicto nobili Anthonio de Valon domino predicti loci de Tegrado ibidem presenti et acceptanti dictam medietatem dictorum signorum sive omne jus partem et porcionem ac deverium quod et quam ipse nobilis Anthonius de Valon habet et habuit et habere potest et possit nunc et in futurum in dictis signis vendendis quathenus tangit et tangere potest medietatem dictorum signorum vendencium quam quidem medietatem dictorum signorum dicto nobili Anthonio tradidit et deliberavit ac jus et facultatem plenam et liberam potestatem vendendi quathenus tangit et conseruit dictam medietatem dicto nobili tradidit et deliberavit seu medietatem pretii dictorum signorum venditorum seu vendencium a modo in anthea recipendi et exigendi sine contradicione quacumque et tocies quoties eidem nobili Anthonio de Valon et suis heredibus et succeroribus universis placuerit, et alias ordinatum et appunctatum dixerunt dicte partes et earum quelibet fuisse factum et dictum prout in quodam publico appunctamenti instrumento super hoc sumpto et recepto per discretum virum magistrum Anthonium de (i) Traduction de Lacabane.


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§ 5- — Pendant leur séjour a Rocamadour les Valon de Thégra avaient fondé la chapelle Saint-Jean-Baptiste dans les circonstances suivantes. On se rappelle qu'après l'échange de 1408 entre les seigneurs de Thégra et de Gigouzac, les nouveaux Valon de Thégra, à cause de l'occupation de leur château par l'ennemi, furent obligés de rester à Miers pendant les heures critiques et à partir de 1427 de séjourner constamment à Rocamadour jusqu'à la fin des guerres. De là vint la nécessité pour eux d'y établir une chapelle et un tombeau. Depuis la transaction de 1423, qui avait dépouillé les Valon de leurs droits sur les

Brachio notarium regium publicum et habitatorem dicte civitatis Tutelle continetur et quod ipse frater Anthonius de' Chalo prior predictus erat procurator dicti domini episcopi Tutellensis ac dicti capituli ac mandatum spéciale et générale habens a dictis domino episcopo et capitulo ponendi et inducendi dictum nobilem Anthonium de Valon ibidem presentem et ut supra, stipulantem et recipientem in pocessione et saysina medietatis dictorum signorum et pertinentium suorum. Igitur sciendum est quod anno et die predictis dictus frater Authonius de Chalo prior et procurator predictus actendens in premissis que sunt consona juris adimpleri volendo mandatum et voluntatem dictorum domini episcopi et capituli Tutellensis et bene premeditatus et certioratus de premissis et non errans in aliquo prout dixit sed gratis scienter et provide et ex ejus certa scientia ac spontanea animi voluntate et nomine quo supra dictorum dominorum episcopi et capituli, ac tenore et virtute hujus veri presentis publici instrumenti mandata suo confecti et corroborati predictum nobilem Anthonium de Valon dominum predicti loci ibidem presentem acceptantem stipulantem et recipientem tam pro se ipso quam suis heredibus et successoribus universis in pocessionem realem actualem et corporalem seu quasi pacifficam et quietam dicte medietatis dictorum signorum plumbi et stagni in quo sive in quibus est impressa ymago dicte gloriose Virginis Marie ac jurium et pertinencium suorum dicte medietatis signorum predictorum posuit misit et induxit in quantum potuit et debuit cum traditione note hujus veri presentis publici instrumenti nunc et in perpetuum firmiter valituri etc.. etc. Acta vero fuerunt hec anno die mense loco et régnante quibus supra in presentia nobilis Johannis Luqueti domini


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sportelles (i), la tour qui leur servait d'entrepôt de médailles sur le parvis Saint-Jean, fut affectée à un autre usage (?,). C'est là qu'ils fondèrent leur chapelle et tombeau. Au décès de Jean de Valon (1437), cette fondation n'étant pas encore achevée, Adhémard de Valon, son fils, s'empressa de la terminer. Cette chapelle qu'on appelait : la chapelle de la maison de Thégra (3), renferme les cenlocorum

cenlocorum Mayraco et de Revelhone et honorabilium vivorum dominorum Anthonii Sageti rectoris dicte ville, Geraldi Maynardi, Johannis Latgie, Michaëlis Laley presbiterorum et prebendariorum in dicta cappella Béate Marie Virginis dicte ville et Pétri de Grangia junioris et mercatoris habitatorum dicte ville Rupis-Amatoris testium ad premissa vocatorum; et ibidem dicti frater Anthonius de Chalo prior et procurator ac procuratorio nomine dictorum dominorum episcopi et dominorum religiosorum capituli Tutellensis et ipse nobilis Anthonius de Valon tam pro se ipsis quam vice et nomine quorum supra ambo in simul et pari consensu quathenus quemlibet ipsorum tangit et tangere potest nunc et in futurum et de unanimo consensu tradiderunt discreto viro domino Guilhermo Sabateri presbitero et habitatori dicte ville, ibidem presenti et acceptanti, custodiam regimen et gubernationem et vendicionem dictorum signorum plumbi et stagni in utilitatem et commodum dictorum dominorum episcopi et ejus ecclesie ac dicti nobilis Anthonii de Valon et suorum heredum et successorum per hinc ad festum sancti Michaèlis proxime venturum et de dicto festo in duobus annis tune sequentibus et futuris etc.. Acta vero fuerunt hec anno, die, mense, loco testibus et régnante quibus supra et me Petro Cortesii notario regio publico et habitatore dicte ville Rupis-Amatoris et singulis una cum prenominatis testibus anno et die predictis presens fui eaque sic fieri vidi et audivi et de premissis omnibus universis et singulis requisitus notam sumpsi quam in meis inserui prothocollis a quibus hoc presens publicum instrumentum extraxi, scripsi grossavi et signo meo authentico quo in meis publicis utor instrumentis sequenti signavi in fidem

et verum testimonium premissorum [Extrait tiré de l'original par

Lacabane; — Archives de la famille de Valon; — Rocamadour, par E. Rupin, pp. 377 à 3S1].

(1) Cf. pp. 33 à 35.

(2) Cf. p. 37

(3) Cf. p. 25 note 6 et p. 26.


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dres du commandeur Jean de Valon et des Valon décédés à Rocamadour de 1425 à 1460. Quand la guerre de cent ans fut achevée, les Valon revinrent à Thégra, vers 1450, et un nouveau tombeau familial fut construit dans une autre chapelle Saint-Jean-Baptiste fondée par Adhémard de Valon dans l'église de Thégra (1).

Quel était le motif qui avait dicté pour ces deux chapelles le vocable de Saint-Jean-Baptiste. Les Stephani de Valon honoraient particulièrement saint Jeant-Baptiste dont le nom fut donné à plusieurs des leurs au xive siècle. Cette prédilection s'explique pour plusieurs motifs, et d'abord Jean de Valon, père d'Adhémard, avait eu pour parrain Jean Stephani de Valon, évêque de Toulon, son grand-oncle (2). Celui-ci à son tour, né en 1333, et un des premiers appelés Jean, a dû avoir pour parrain le célèbre pape Quercynois, Jean XXII (3). Ce qui semble le justifier c'est que les Stephani de Valon étaient ses familiers et que Guibert Stephani, le socius d'Arnaud Duèse (neveu de Jean XXII) avait épousé très vraisemblablement N... de Lapérarède, parente des Duèse (4). En tout cas le prénom de Jean donné à la même époque à l'évêque de Toulon et à Jean Stephani (Martel), était une marque de recon(1)

recon(1) eligit sepulturam corpori suo ipse idem testator dum

anima ab eodem corpore fuerit separata in capella sancti Johanni Baptiste dicti loci de Tegrado per predecessores ipsius nobilis testatoris fundata et in tumulo in quo sunt inhumati eius predecessores et parentes videlicet dudum nobilis Anthonius de Valon et

Johanna de Rupemaurello eiusdem testatoris pater et mater

[Extrait du testament de Pierre de Valon, seigneur de Tégra, du 15 février 1516 (vieux style); archives de la famille de Valon].

(2) Cf. Essai historique sur la famille de Valon, par Ludovic de Valon, p. 128 et tableaux généalogiques pp. 16 et 124. — L'évêque de Toulon avait fait héritier Raymond de Valon et c'est probablement en reconnaissance que Raymond le choisit pour être le parrain de son fils aîné.

(3) Ibidem, p. 50.

(4) Ibidem, pp. 42 et note 1 de la page 45.

T. XXXYHI. 1-2 - G


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naissance des Valon envers Jean XII leur bienfaiteur. — Adhémard de Valon lui-même donnera le prénom de Jean à l'un de ses fils et celui-ci s'enrôlera dans la milice des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem. Au xve siècle on trouve le prénom de Jean dans toutes les branches de la famille de Valon. Tout cela témoigne du culte des Valon pour le saint Précurseur.


La Corrèze

Politique, Militaire, Judiciaire et Administrative au commencement de la 2e Restauration

(181 3-18 16)

Vers le milieu de l'année 1816, VAlmanach royal, c'est-à-dire FAnnuaire général de la France, reparaissait, après avoir été présenté par Testu, imprimeur-libraire à Paris, à S. M. le roi Louis XVIII. Le sieur Testu avait, par Lettres royales du 22 juin 1814 contresignées par l'abbé de Montesquiou, alors Ministre Secrétaire d'Etat à l'Intérieur, obtenu le privilège de faire imprimer pendant vingt ans VAlmanach royal, avec autorisation de prendre dans les bureaux des ministères les renseignements nécessaires à la confection de l'ouvrage. VAlmanach de 1816 comprenait les changements nombreux et importants qui s'étaient produits pendant le deuxième semestre 1815 et les premiers mois de 1816 dans toutes les parties de l'Administration générale.

En cette année anniversaire 1915-1916, nous croyons intéressant de donner, principalement d'après VAlmanach, quelques renseignements généraux sur la France d'il y a un siècle et des renseignements particuliers concernant plus spécialement le département de la Corrèze.

Nous reproduirons les noms, tels qu'ils sont libellés dans VAlmanach royal. Il y a certainement des


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erreurs dans l'orthographe et la forme; mais d'un autre côté, beaucoup de familles de noblesse authentique ou qui portaient depuis longtemps la particule n'avaient pas encore repris, à cette époque, les noms et titres auxquels elles avaient parfaitement droit.

Roi et famille royale

Le Roi, rentré en France pour la deuxième fois et remonté sur le trône après les Cent jours, le 8 juillet 1815, est Louis XVIII, né à Versailles le 17 novembre 1755, porté comme Roi de France et de Navarre à la date du 8 juin 1795, c'est-à-dire à la mort du Dauphin Louis XVII. Il avait daté la Charte constitutionnelle octroyée en 1814, à la première Restauration, de la 19e année de son règne.

Sa famille se compose de son frère Charles-Philippe de France, Monsieur, comte d'Artois (depuis Charles X), qui avait été avant la Révolution apanage du Limousin, lequel a deux fils : Louis-Antoine, duc d'Angoulême, marié à Marie-Thérèse-Charlotte, fille de Louis XVI et de Marie-Antoinette, et Charles-Ferdinand, duc de Berry.

La branche d'Orléans comprend : Louis-Philippe, duc d'Orléans (depuis Louis-Philippe Ier), marié à Marie-Amélie, princesse des Deux-Siciles, qui ont alors comme enfants le duc de Chartres, le duc de Nemours, Mademoiselle d'Orléans, Mademoiselle de Valois et Mademoiselle de Montpensier. La duchesse douairière dTJrléans, fille du duc de Bourbon-Penthièvre, existe encore, ainsi que Mademoiselle Adélaïde d'Orléans, soeur de Louis-Philippe.


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La branche de Bourbon-Condé comprend LouisJoseph de Bourbon, prince de Condé (le général des émigrés), son fils, le duc de Bourbon (1), marié à Louise d'Orléans, tante du duc d'Orléans, et une fille, princesse non mariée.

Dignitaires d'origine limousine

Le comte de Noailles, ambassadeur en Russie.

Le duc de Lévis, Pair de France, et le comte Alexis de Noailles, membres du Conseil privé.

M. de Noailles, prince de Poix, Lieutenant-général, Pair de France, Gouverneur des maisons royales de Versailles etTrianon.

Le prince de Poix, capitaine d'une des quatre compagnies des Gardes-du-Corps du Roi.

Le duc d'Escars (2) Premier maître d'hôtel du Roi.

Le comte François d'Escars, Pair de France, Lieutenant-général, Gouverneur delà 4eDivision militaire, capitaine d'une compagnie des Gardes-du-Corps de Monsieur.

Le comte Alexis de Noailles, colonel, aide-de-camp de Monsieur.

Le vicomte d'Escars, maréchal-de-camp, gentilhomme d'honneur et aide-de-camp du duc d'Angoulême.

Le vicomte de Lévis, chef d'escadrons, aide-de-camp du même prince.

Le marquis de Tourdonnet, colonel, Maître de la Garde-Robe de Monsieur.

(1) Père du duc d'Enghien, fusillé au château de Vincennes.

(2) Ou des Gars.


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Le baron d'Espagnac, Maître des requêtes au Conseil d'Etat. L'abbé de Gimel, chapelain du Roi.

Chambres des Pairs

Les Pairs de France sont nommés par le Roi.

La dignité de Pair est héréditaire de mâle en mâle, par ordre de primogéniture, dans la famille de celui qui a obtenu cette dignité.

Les membres de la famille royale et les Princes du sang sont Pairs par droit de naissance.

La Haute Assemblée est présidée par le Chancelier de France, Garde des sceaux.

Les Pairs limousins ou d'origine limousine sont, par ordre de nomination : le duc de Noailles., le duc de Lévis, de Noailles prince de Poix, le marquis de GhabanneSj le comte d'Escars.

Chambre des Députés

La Chambre des députés est composée de députés élus par les collèges électoraux. Les collèges d'arrondissement présentent des candidats, le collège de département désigne les élus. Chaque département a un nombre de députés déterminé d'après sa population.

Les députés sont nommés pour cinq ans et la Chambre est renouvelée chaque année par cinquième.

Nul ne peut être député s'il n'est âgé de 40 ans et s'il ne paie une contribution directe de 1.000 francs.

Une ordonnance convoque les collèges électoraux en août 1815.


Dans la Corrèze, la présidence du collège départemental est donnée par le Roi à M. Favard de Langlade. Les présidents des collèges d'arrondissement à Tulle, Brive et Ussel, sont MM. Sartelon, de Foucauld, Joseph de Valon.

Sont élus Députés de la Corrèze MM. le chevalier Sartelon (Antoine-Léger) (1), chevalier de Saint-Louis, chevalier de Saint-Lazare et de Notre-Dame du Mont Carmel, officier de la Légion d'honneur; M. de Foucaud, chevalier de Saint-Louis, officier de la Légion d'honneur; et le Ministre de la Police, Fouché, duc d'Otrante.

Sur le désir exprimé par le Ministre de l'Intérieur, le régicide Fouché, ancien Ministre de l'Empereur, dont il a d'ailleurs trahi la cause avec Talleyrand, est désigné comme député dans la Corrèze où il était étranger,au lieu du Maréchal-de-camp d'Ambrugeac(2), commandant une Brigade delà Garde Royale, lequel venait, récemment encore de donner des preuves de dévouement aux Bourbons et qui était recommandé par le duc d'Angoulême et le prince de Condé. Fou(1)

Fou(1) Sartelon, né à Tulle, commissaire ordonnateur des guerres, servit dans l'administration des armées de la République et de l'Empire. Nommé député en 1813, il se rallia, en 1814 aux Bourbons auxquels il resta fidèle et fut député sous la Restauration jusqu'en 1818 : il fut alors remplacé par M, Bedoch, avocat, candidat libéral.

(2) Louis de Valon d'Ambrugeac, officier avant la Révolution, émigré et sert à l'armée de Condé; il prend du service en 1810 dans l'armée impériale avec le grade de chef de bataillon. Colonel en 1813, il commande en 1814 le 10e de ligne, resté fidèle aux Bourbons, avec lequel il bat à Pont-Saint-Esprit, sous les ordres du duc d'Angoulême, des troupes impériales; maréchal-de-camp en 1815, il est nommé lieutenant-général après la campagne de 1823 en Espagne. Il fut député de la Corrèze, puis Pair de France, Grand-Officier de la Légion d'honneur et Commandeur de Saint-Louis.


ché ayant opté pour Paris, la Corrèze n'est plus représentée à la Chambre que par deux députés, au lieu de trois auxquels elle avait droit.

Décorations

Les décorations françaises sont :

L'Ordre du Saint-Esprit (commandeurs et chevaliers) ;

L'Ordre de Saint-Michel (chevaliers) ;

L'Ordre royal et militaire de Saint-Louis (grands' croix, commandeurs et chevaliers) ;

L'Ordre de Saint-Lazare et de Notre-Dame du Mont Carmel (grands-officiers, commandeurs, chevaliers) ;

L'Ordre du Mérite militaire, pour les officiers protestants (grands'eroix, commandeurs, chevaliers) ;

L'Ordre royal de la Légion d'honneur (grands'eroix, grands'offîciers, commandeurs, officiers, chevaliers);

L'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem ou de Malte (commandeurs, chevaliers) ;

Enfin et provisoirement la décoration du Lys, instituée pour récompenser le dévouement aux Bourbons.

Ordre royal et militaire de Saint-Louis

L'Ordre de Saint-Louis fut créé en 1693 par Louis XIV, pour récompenser les services militaires. La décoration consiste en une croix d'or à huit pointes, avec au centre l'effigie de Saint-Louis et la devise : Bellicoe virtutis proemium; le ruban est couleur de feu.


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Sont Grand'croix de cet ordre : Le comte Beaupoll de Saint-Aulaire, Lieutenantgénéral (1).

Commandeurs :

Le comte de Saint-Marsault, Lieutenant-général ;

Le comte d'Escars de Pérusse (F.), Lieutenant- général ;

Le marquis de Gain de Montaignac. Lieutenantgénéral ;

Le marquis de Lubersac, Lieutenant-général;

M. Joussineau, baron de Tourdonnet, Lieutenantgénéral ;

Le comte Bordesoulle, Lieutenant-général;

Le marquis de Jumilhac, Lieutenant-général;

Le vicomte de Fontanges, Lieutenant-général (service de mer).

Est chevalier des ordres militaires et hospitaliers de Saint-Lazare et de Notre-Dame du Mont Garmel réunis : le marquis de Noailles.

Ordre royal de la Légion d'honneur L'Ordre de la Légion d'honneur, institué par Napoléon pour récompenser les services civils et militaires, est réorganisé (1816) sous l'autorité du Roi qui en est le Grand-Maître. La croix consiste dans une étoile à cinq rayons doubles; l'effigie d'Henri IV a remplacé d'un côté celle de l'Empereur; l'autre face porte trois fleurs de lys, avec cette exergue : Honneur et Patrie. Le ruban est moiré rouge.

(1) La dénomination ancienne de Lieutenant-général a remplacé celle de général de division, le général de brigade est devenu maréchalde-camp.


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Sont, par ordre d'ancienneté, Grands'eroix de la Légion d'honneur : Le Maréchal comte Jourdan (2 février 1805) ; Le comte de Bordesoulle, Lieutenant-général.

Grand-officier : Le comte Souham, Lieutenant général.

Commandeurs :

Le chevalier Cavaignac, Lieutenant-général; Le baron de Maucune, Lieutenant général ; Le comte de Saint-Chanians, Colonel de cavalerie; Le comte de Noailles, Ambassadeur en Russie ; Le comte Dalton, Maréchal-de-camp.

Le Grand-Chancelier de la Légion d'honneur était le Maréchal Macdonald, duc de Tarente, Pair de France, ministre d'Etat, etc., qui avait accompagné le Roi jusqu'à la frontière belge en 1814 et qui était resté fidèle à Louis XVIII pendant les Cent jours.

Département de la Guerre

Le duc de Feltre (général Clarke), ancien Ministre de Napoléon Ier, est Secrétaire d'Etat à la Guerre; il a remplacé, dans le Ministère Richelieu, le Maréchal comte de Gouvion-Saint-Cyr, le réorganisateur de l'armée;

Dans le cadre des Maréchaux de France figure le comte Jourdan, chevalier de Saint-Louis, Grand'croix de la Légion d'honneur, Gouverneur de la 7e Division militaire.

Le Maréchal comte Brune, décoré des mêmes or-


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dres, Gouverneur de la 8e Division militaire, a été assassiné à Avignon le 2 août 1815.

Dans l'Etat-Major général de l'armée figurent encore les Lieutenant-généraux, originaires du Limousin, dont les noms suivent :

Le duc de Noailles, chevalier de Saint-Louis ; le comte Souham, chevalier de Saint-Louis, Grand'croix de la Légion d'honneur; le duc de Lévis; le baron de Maucune, chevalier de Saint-Louis, commandeur de la Légion d'honneur; le comte de Bourdesoulle, commandeur de Saint-Louis, Grand'croix de la Légion d'honneur; le comte de Beaupoil-de-Saint-Aulaire, Grand'croix de Saint-Louis ; le comte d'Escars de Pérusse, commandeur de Saint-Louis; M. de Noailles, prince de Poix, chevalier de Saint-Louis; le vicomte de Fontanges, commandeur de Saint-Louis; le marquis de Lubersac; le baron d'Escars; le marquis de Jumilhac, commandeur de Saint-Louis, chevalier de la Légion d'honneur ; le chevalier de Cavaignac, chevalier de Saint-Louis, commandeur de la Légion d'honneur ; le comte de Saint-Marsault, chevalier de Saint-Louis, officier de la Légion d'honneur; M. de Joussineau, baron de Tourdonnet, commandeur de Saint-Louis.

Les Maréchaux de camp :

Baron de Corbier, chevalier de Saint-Louis; Materre, officier de la Légion d'honneur; comte d'Alton; comte de Lubersac; vicomte d'Escars; comte d'Ambrugeac, chevalier de Saint-Jean de Jérusalem, de Saint-Louis et de la Légion d'honneur; M. de Noailles, duc de Mouchy; marquis du Boscage.


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Le Limousin avait fourni encore de nombreux généraux, anciens officiers de l'armée royale ou volontaire de la République, qui avaient fait les campagnes de la Révolution et de l'Empire. Citons parmi eux les généraux de division ou de brigade Marbot, de Sahuguet, des Bruslys, Gimel, Treich-Desfarges, Arbonneau, Dalesme, Beyrand, Dumoulin, Mourier, Bardet de la Maison-Rouge, Aubugeois, Delmas, Vachot, Couloumy, les trois derniers tués dans la campagne de 1813 en Allemagne.

La France, Corse comprise, était en 1815 répartie en 23 Divisions militaires, analogues aux régions de corps d'armée actuelles, qui comprenaient plusieurs départements ; elles avaient à leur tête un Maréchal de France ou un Lieutenant-général avec le titre de Gouverneur, un Lieutenant-général commandant sous ses ordres la Division.

La 20e Division, ayant son siège à Périgueux, est composée des départements de la Corrèze, du Lot, du Lot-et-Garonne, de la Dordogne et de la Charente.

Le marquis de la Grange, commandeur de SaintLouis, officier de la Légion d'honneur, Gouverneur.

Le baron Darmagnac, chevalier de Saint-Louis, commandeur de la Légion d'honneur, commandant la Division.

Le Maréchal-de-camp Gavoty, officier de la Légion d'honneur, commandant le département de la Corrèze, à Tulle.

Maison du Roi

M. de Noailles, prince de Poix, Pair de France, Lieutenant-général, commande la 3* compagnie des


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Gardes-du-Corps. La couleur distinctive de la compagnie de Noailles est le bleu.

Dans cette compagnie, nous remarquons les officiers originaires du Centre ou du Centre-Ouest dont les noms suivent : le comte de Nadaillac, colonel, lieutenant adjudant-major; M. de la Brousse, chef d'escadron, sous-lieutenant adjudant; M. de la Laurencie, capitaine, brigadier-fourrier; M. Bonnegens de Chabrignac, capitaine, maréchal-des-logis.

Le comte de Montbron, colonel, est lieutenant de la Compagnie des Cent-Suisses.

Le comte d'Escars, Lieutenant-général, est capitaine de la Compagnie d'Escars (Ie) des Gardes-duCorps de Monsieur, comte d'Artois.

Le comte deMon'tmort, chef d'escadron, sous-lieutenant à la Compagnie de Puységur (2e) des Gardesdu-Corps jle Monsieur.

Garde royale

Dans la Garde royale proprement dite, qui comprend deux Divisions d'infanterie et deux de cavalerie, nous relevons, en suivant l'ordre de bataille : le comte d'Imécourt (de Vasinhac), lieutenant-colonel à l'état-major général de la Garde ; le comte d'Ambrugeac, maréchal-de-camp, commandant la lre Brigade d'infanterie (lre Division); le comte de Valon, capitaine, aide-de-camp de cet officier-général; M. de Lespinasse de Pebeyre, lieutenant adjudant-major au 1er régiment; M. de Valon, capitaine; M. Dutheillet de Lamothe, lieutenant; le comte de Geoffre et M. de Valon, sous-lieutenants au même régiment; le comte d'Aubusson de la Feuillade, chef de bataillon


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au 4e régiment (lrc Brigade); M. du Mirât,lieutenant adjudant-major; M. Vitrac, chirurgien-major; MM. le chevalier de Lostanges, le vicomte de Savignac et de Lauthonnye, capitaines au même régiment; M. de Labrouhe, capitaine au 2e régiment (2e Brigade) ; M. Horric de la Motte, chef de bataillon au 5e régiment (2e Brigade); le comte de Fontanges, major; M. Horric de Beaucaire, adjudant-major; le chevalier Horric de Beaucaire, capitaine; M. de Roffignac, sous-lieutenant au même régiment; M. de Foucauld, lieutenant au 3e régiment (2e Division, 1™ Brigade); MM. de Savignac, le marquis de Lostanges, de Montagnac, de Canteloube, capitaines au 6e Régiment (2* Division, lre Brigade); le comte de Bordesoulle, Lieutenant-général, commandant la lre Division de cavalerie; M. de Lespinasse, lieutenant en 1er au 1er Régiment de grenadiers achevai; M. deLafaye, souslieutenant au même régiment; M. Certain, sous-lieutenant au 1er Régiment de cuirassiers; M. de Tourdonnet lieutenant-colonel, à l'état-major de la 2e Division de cavalerie; le comte de Saint-Chamans, colonel, commandant le Régiment de dragons de la 2e Division; M. de Saint-Chamans, adjudant-major au Régiment de dragons; M. de Verdal, capitainecommandant au Régiment de lanciers; le chevalier de Tournemine, capitaine-commandant au Régiment d'artillerie à cheval.

Infanterie

L'armée ayant été dissoute, les régiments d'infanterie sont remplacés par des légions, à raison de


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une par département, devant se recruter dans le département dont elles portent le nom.

L'infanterie française se compose donc de 86 légions. Le prince de Condé en est Colonel-général.

La Légion de la Corrèze, emplacement Tulle, a pour colonel le chevalier Baillif et pour lieutenantcolonel le vicomte de Beauregard.

Le 24 septembre 1815, le chevalier Baillif, chargé de l'organisation du nouveau corps, arrive à Tulle. Un assez grand nombre de volontaires se présentent tout d'abord, animés d'un bon esprit : ce sont en majorité des soldats ayant servi sous Napoléon. Mais cela dure peu ; beaucoup de soldats désertent, et le recrutement devient si difficile que la légion, au milieu de 1816, ne compte guère que 350 hommes sous les drapeaux.

Cavalerie

Les régiments de cavalerie portent également des noms de départements. Les chasseurs de la Corrèze, dont la garnison est Niort, ont pour colonel le comte de Rochambeau et pour lieutenant-colonel M. Lelong. Le duc de Berry est colonel-général dès chasseurs.

Le marquis de Royère est chef d'escadron à l'Ecole d'instruction de cavalerie à Saumur.

Gardes nationales

Les gardes nationales sont composées de citoyens à qui les lois imposent l'obligation de prendre momentanément les armes pour le maintien de la paix publique, pour la sûreté des propriétés, la garde des places et la défense du territoire.


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Monsieur, frère du Roi, est Colonel-général des Gardes nationales du royaume.

Il y a, dans chaque département, un Inspecteur qui ■ a rang de Maréchal-de-camp dans la Garde nationale. Celui de la Corrèze est M. Darche, chevalier de SaintLouis (1).

La Garde nationale s'organise plus facilement dans la Corrèze que l'armée active, particulièrement la Garde à cheval qui se recrute dans les familles aisées dévouées à la Monarchie. Le Préfet, M. de Rigny, s'occupe d'en presser l'organisation et fait reconnaître MM. Darche, de Lavaur et de Toulzac en qualité d'Inspecteur des Gardes du département, de chef d'état-major et de commandant d'arrondissement (à Brive).

Gendarmerie royale

Le corps de la Gendarmerie royale forme 24 légions comprenant des brigades à pied et des brigades à cheval.

La 11e Légion (Limoges) est composée des compagnies de la Haute-Vienne, de la Creuse, de la Dordogne et de la Corrèze. Celle-ci a pour officiers : MM. Amadieu, capitaine; de Lachapelle, lieutenant, à Tulle; de la Garde, lieutenant, à Brive; Dussaray, lieutenant, à Ussel.

Marine

Dans la Marine, dont le duc d'Angoulême est le chef, nous remarquons : les capitaines de vaisseau

(1) D'Arche, ancien chevau-léger de la Garde du Roi.


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Grivel (le futur Vice-Amiral), chevalier de SaintLouis et de la Légion d'honneur, et vicomte de Barton de Montbas, chevalier de Saint-Louis; les capitaines de frégate du Roy de Chaumareyx (1), chevalier d'Anglars, de la Morélie et de la Laurencie, chevaliers de Saint-Louis.

Cours et Tribunaux

La cour royale d'appel de Limoges compte parmi ses présidents le chevalier Grivel, les conseillers Delort, Lamy de la Chapelle, de Bruchard, Personne de Ghaleix.

En 1815 comme aujourd'hui, il y a des tribunaux de première instance à raison de un par arrondissement.

Composition de ces tribunaux pour la Corrèze :

Tulle. — Ce tribunal comprend deux chambres. MM. Lacombe, président; Froment, vice-président; Duval, Bonnelye, Meynard, Soleilhet (juge d'instruction), Servientis, Vialle - Lafaurie, Bourguenet fils, juges; Bourguet, Meynard, Mougein-Saint-Avid, Sartelon, suppléants; Ludière, procureur du Roi; Ghadabet, Chaumont, substituts; Estorges, greffier.

Brive. — MM. Lavialle-Masmorel, président; Lescure, Tassen (instruction), Dubousquet-la-Borderie, juges; Vergne, Bousquet du Rouvein, Lachapelle fils, juges suppléants; Maillard, procureur du Roi; Cessac, substitut; Chaumeils de Saint-Germain, greffier.

(1) M. de Chaumareix, qui s'était distingué dans la guerre de l'Indépendance américaine et avait pris part à l'expédition de Quiberon, dont il a publié une bonne relation, devait finir malheureusement sa carrière par le naufrage de la frégate La Méduse qu'il commandait. T. XXXVIII. 1-2 — 7


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Ussel. — MM. Bonnot, président; Dupuy, juge d'instruction; Cohadon, juge; Dumarets de Belair, procureur du Roi; Chassain, substitut; Baraduc, greffier.

Le tribunal de commerce de Tulle était composé ainsi qu'il suit : MM. Rigaudie, président; Brossard, Vidalin, Toinet, Pauquino, juges; Duval greffier (1).

Ministère de l'Intérieur

Le premier ministère de Louis XVIII après les Cent jours, présidé par le prince de Talleyrand, avec Fouché à la Police, Gouvion-Saint-Gyr à la Guerre, le baron Louis aux Finances, malgré ses tendances franchement royalistes, attaqué par les députés de la Chambre introuvable, suivant le mot plus spirituel que politique de Louis XVIII lui-même, a été remplacé (octobre 1815) par le ministère du duc de Richelieu qui représente des idées plus modérées. Le Président du Conseil ayant les Affaires Etrangères, les autres ministres sont : le chancelier Dambray à la Justice, le duc de Feltre à la Guerre, le vicomte du Bouchage à la Marine, le comte Corvetto aux Finances, le comte Decazes à la Police générale, M. Laine à l'Intérieur.

La 2e Restauration avait trouvé dans la Corrèze M. Camille Périer préfet nommé par Napoléon, rallié en 1814 aux Bourbons, revenu à l'Empereur pendant les Cent jours et qui avait acclamé Louis XVIII

(1) Les lecteurs limousins sauront rétablir les noms exacts des honorables magistrats, dont jbeaucoup de descendants existent encore aujourd'hui.


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avec la même constante ferveur administrative. Le gouvernement royal ne crut pas devoir conserver cette fois ce zélé fonctionnaire et le remplaça'(juillet 1815) par le "marquis de Vaulchier, préfet du Jura, avec M. Lespinasse de Pebeyre comme secrétaire général.

Le nouveau Préfet, d'accord avec le Lieutenantgénéral baron d'Armagnac, commandant la 20e Division militaire, fut obligé, dans ces circonstances difficiles, de prendre des mesures pour le maintien de l'ordre et de la tranquillité générale. Un certain nombre de personnes, suspectes d'hostilité aux Bourbons, furent mises en surveillance. M. de Faulchier qui, en définitive, avait administré la Corrèze avec intelligence et fermeté, nommé préfet de Saône-etLoire par le nouveau ministère, fut remplacé à Tulle (31 janvier 1816) par le chevalier de Rigny, parent du haron Louis et ami du comte Decazes, qui venait de Saône-et-Loire.

A cette date, la situation administrative est la suivante :

Le Royaume est divisé en 86 départements. Le département de la Corrèze, composé d'une partie du Haut et Bas-Limousin, tire son nom d'une rivière qui se jette dans la Vézère. Sa population est de 254.271 habitants. Il comprend trois arrondissements.

PRÉFECTURE.

M. de Rigny, Maître des requêtes, Préfet, à Tulle. M. de Lespinasse-Pebeyre, secrétaire général, Conseil de préfecture composé de 3 membres : MM. d'Ussel, Jean Sartelon, Joussineau.


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Arrondissement de Tulle. Population : 108.982 habitants. Population de la ville de Tulle : 9.362 habitants.

SOUS-PRÉFEGTURES.

Brive. — M. Devins de Peysac, Sous-Préfet.

Population de l'arrondissement : 95.517 habitants; de la ville de Brive : 5.762 habitants.

Ussel. — M. Tochon de Marollier, Sous-Préfet.

Population de l'arrondissement : 49.772 habitants; de la ville d'Ussel : 3.036 habitants.

MAIRES.

Les Maires des principales villes sont : à Tulle, M. Saint-Priest de Saint-Mur; à Brive, M. de Verlhac; à Ussel, M. Lacombe-Lamazière.

Le Conseil général est présidé par le comte Alexis de Noailles, dont le dévouement à notre pays est resté légendaire.

M. de Rigny, d'opinions très modérées, s'occupe activement de l'organisation de la Garde nationale. Des fêtes, comme celle qui eut lieu à l'occasion du mariage du duc de Berry, contribuent à ramener l'union entre Français et à rétablir dans le pays la confiance et la prospérité.

Cependant, la Chambre de 1815, composée en majorité à'ullras, plus royalistes que le Roi, était un véritable embarras pour le Gouvernement. Le ministère Richelieu-Decazes obtint de Louis XVIII une ordonnance de dissolution. La nuance politique des députés ne fut pas changée en Corrèze par l'élection de MM. Sartelon, commissaire-ordonnateur, et de


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Valon d'Ambrugeac, Maréchal-de-camp. Le baron Louis, candidat modéré, avait échoué contre l'opposition royaliste avancée, malgré les efforts du préfet.

Quoi qu'il en soit, les élections furent suivies d'une détente dans les esprits, et le discours du Roi à l'ouverture des Chambres (novembre 1816), faisant appel à l'union et à la concorde, acheva l'apaisement.

Instruction publique

Conformément à l'ordonnance du 15 août 1815, les pouvoirs attribués au Grand-Maître et au Conseil de l'Université sont exercés, sous l'autorité du Ministre de l'Intérieur, par une Commission de l'Instruction publique, qui est présidée par M. Royer-Collard, et l'organisation des Académies est maintenue. Chaque Académie est gouvernée par un Recteur : elle comprend des facultés et des collèges royaux.

Le Recteur de l'Académie de Limoges est M. de la Laurencie, le Proviseur du Collège royal, M. Goumot.

Il n'y a pas de collège royal dans la Corrèze, mais seulement des collèges communaux et des institutions ou pensions.

Administrations publiques

Le receveur-général des finances (actuellement trésorier-payeur général) de la Corrèze est M. Grolée; le percepteur de Tulle, M. Leix; le receveur particulier de l'arrondissement de Brive, M. Blanchard; celui d'Ussel, M. Dupin de Belloc.

L'Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées de la Corrèze est M. Mesnard, à Tulle.


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Le directeur de l'Enregistrement et des Domaines à Tulle est M. Barbazan.

Les conservateurs des hypothèques sont : à Tulle, M. Lespinas; à Brive, M. Jeannin; à Ussel, M. Beauregard .

Le directeur des Contributions directes dans la Corrèze est M. Guigoux, l'inspecteur M. Malézieux.

Le directeur des Contributions indirectes à Tulle est M. Deviène, l'inspecteur M. Garet. le receveur principal M. Bournazel. A Brive, le contrôleur principal est M. Benezet, le receveur principal M. Arnault. A Ussel, ces deux fonctionnaires sont MM. Mioulle et Lacouture.

Dans l'administration des tabacs, l'entreposeur principal à Tulle est M. Freconnet, les entreposeurs particuliers sont : MM. Tortel à Tulle, de la Ferrière à Brive, Bouvier de Bellevaux à Ussel.

Cultes

Le travail relatif à la nouvelle organisation du clergé catholique n'étant pas terminé au milieu de l'année 1816, il n'est pas donné de renseignements sur cette partie.

Un conseiller d'Etat était chargé de l'administration générale des affaires concernant les cultes.

Le département de la Corrèze restait placé, comme pendant le Consulat et l'Empire, sous la juridiction de l'évêque de Limoges. Le Roi ne nomma un titulaire à l'évèché de Tulle rétabli que le 13 janvier 1823.

COLONEL DE CONCHARD.


LMAS105 CALVINISTE

EN BAS-LIMOUSIN, PÉRIGORD ET HAUT-QUERGY

CHAPITRE Ier

État social, religieux et militaire au début de l'Invasion

Le Régime féodal. — Guerre de Cent ans. — Humanisme et Renaissance. — Réaction. —Le Concordat de 1516. — Luther et Calvin. — Les premiers Calvinistes. — Montaigne, Brantôme, La Boëtie. — La Société sécrète. — Le Pacie de Vendôme. — Le Vicomte de Turenne. — Le Comte de Périgord, vicomte de Limousin. — L'Armée royale.

Régime Féodal

Le Bas-Limousin, le Périgord et le Haut-Quercy (1), situés à l'est du beau pays d'Aquitaine, ont toujours eu les mêmes ennemis à combattre et les mêmes luttes à soutenir. Romains, Vandales, Sarrazins, Normands, Anglais, ont essayé de conquérir les riches vallées de la Corrèze, de la Dordogne et du Lot, pour y fixer leur demeure. Lorsque le roi ne pouvait pas secourir ces populations trop éloignées du trône, les nobles seigneurs devenaient les protecteurs attitrés de leurs voisins, et la féodalité renaissait en face des envahisseurs.

(1) Le Bas-Limousin correspond au département de la Corrèze (ancien diocèse de Tulle et partie de l'ancien diocèse de Limoges); le Périgord au département de la Dordogne (anciens diocèses de Périgueux et de Sarlat); le Haut-Quercy au département du Lot (ancien diocèse de Cahors).


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Il n'est certainement pas, dans l'Europe entière, une seule province où le régime féodal ait laissé des traces aussi nombreuses que dans les cinq diocèses de Limoges, Tulle, Périgueux, Sarlat et Cahors; à chaque sinuosité des rivières, on aperçoit au sommet des collines environnantes, quelque vieux château dressant vers le ciel ses hautes tours, qui rappellent aux voyageurs la longue période de notre histoire, pendant laquelle les chevaliers ont servi d'intermédiaires entre l'autorité royale et les manants. Dans toutes les crises nationales que la France a subies depuis Clovis jusqu'à Louis XIII, les paysans du Bas-Limousin, du Périgord et du Haut-Quercy se rassemblaient autour de leurs châtelains, en leur demandant aide et protection. PhilippeAuguste, Louis IX, Louis XI, Charles VII, Louis XII, François Iar, mirent leurs persévérants efforts à supprimer cette glorieuse fonction de la noblesse, et cependant aussitôt qu'apparaîtra l'invasion calviniste, les pauvres gens de la Guyenne imploreront encore le secours du régime féodal. Aux premiers appels, les nobles seigneurs hésiteront quelquefois à prendre les armes avant d'avoir reçu l'autorisation du roi; les habitants de Molières (1), menacés par les Huguenots, demandèrent à leur voisin, François de Gaulejac, seigneur d'Espanel (2), de leur porter secours : — Je n'ai pas qualité pour vous défendre, répondit-il; ses scrupules furent levés par le lieutenant-général du roi qui, n'ayant pas à sa disposition la force armée dont il avait besoin, délivra la commission suivante :

« D'aultant que ceulx de la nouvelle opinyon font tous

« les jours des courses du cousté de Mollières, entrant dans « la ville, qui est démantelée et party bruslée, prennent les « habitants catholiques d'ycelle prisonniers de faisson

(1) Bastide fondée en 1275. Chef-lieu de canton du Tarn-et-Garonne.

(2) Fils de Louis et de Jeanne de Montagut. Ep. Cabrielle de Narbonne.

(3) Commune et canton de Molières (Tarn-et-Garonne).


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« qu'ilz ont esté contraintz se retirer dans vostre chasteau « d'Espanel, pour la conservation de leurs personnes.

« Vu le consentement cy attaché des consulz, syndics,

« habitants dudict Mollières avons permys et permettons

« par ces présentes, mettre dans ledict chasteau vingt sol« datz bons catholiques, pour empescher lesditz de la nou« velle opinyon de leur nuire (1).

« Faict à Agen le 18 octobre 1572.

« HONORÂT DE SAVOYE » (2).

Après quelques années d'invasion calviniste, Limoges et Brive, Périgueux et Sarlat, Cahors et Figeac solliciteront fréquemment le secours des châtelains de leur voisinage et les gentilshommes n'hésiteront plus à mettre le dévouement traditionnel delà noblesse au service des faibles. Dès que le régime féodal aura repris cette glorieuse fonction, les abus ne tarderont pas à paraître ; les puissants seigneurs voudront reconquérir leur indépendance et s'enrichir par la guerre privée; nous en citerons de nombreux exemples.

Ce sera la dernière manifestation féodale tolérée par le roi de France; la pesante main de Richelieu promènera son niveau de fer sur les classes sociales au moment précis où l'invasion protestante venait de briser l'unité de foi. Quand viendront les fiévreuses agitations des masses populaires, le chef de l'Etat, entouré d'une noblesse impuissante et d'un clergé discuté par de nombreux hérétiques, ne pourra plus assurer l'ordre et la paix dans les provinces.

La Guerre de Cent ans

A l'aurore du xvie siècle, la tradition féodale avait été réveillée, dans le Limousin, le Périgord et le Quercy, par la terrible guerre de Cent ans. Aucune passion religieuse n'excitait alors la fureur des combattants, puisque l'Angle(1)

l'Angle(1) de la famille de Gaulejac, à Toulouse.

(2) L'amiral de Villars, lieutenant-général du roi, en Guyenne, de 1570 à 1580.


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terre était catholique ; cependant les envahisseurs s'arrêtaient rarement devant les villes closes ou les châteaux forts, capables de résister à leurs attaques, tandis qu'ils dépouillaient toujours les églises de leurs objets précieux ; les curés et les moines voyaient leurs trésors pillés, leurs provisions enlevées et leurs domaines saccagés; s'ils essayaient de se défendre, leurs monastères étaient impitoyablement détruits ou brûlés.

Le chanoine Tarde raconte, dans sa Chronique du pays Sarladais, que « Le prioré du Rauzel (1), dépendant de l'ab« baye de l'Artige (2), en Limousin, ayant esté ruiné pence dant la guerre des Anglais, et entièrement abandonné, « fut baillé à un religieux de l'abbaye, lequel, l'an 1450, « bailla tous ces domaines à nouveau fief » (3).

Le même chroniqueur dit, à la date de 1465 :

« Les religieux de Francon (4), au diocèse de Cahors, con« sidérant que le prioré des Vayssières (5). près Sarlat, dé« pendant d'eux, avoit demeuré abandonné l'espace de qua« trevingts ou cent ans, à cause des grandes guerres ' et « mortalités qui avoient heu cours en Périgord, par tant « d'années, et voyant que la maison estoit devenue inhabi« table et les terres en friche, baillent à fief perpétuel, soubz « certaine rente, tous les domaines qui dépendoient de ce « prioré des Vayssières, et ainsi la maison perdit l'espérance « d'être jamais habitée » (6).

Les vieux cartulaires et les anciennes chroniques nous révèlent souvent des localités qui, jadis, avaient une importance plus ou moins grande, et dont les noms sont oubliés aujourd'hui. Si nous allions chercher dans le Périgord ou le

(1) Commune de Saint-Geniez, canton de Salignac (Dordogne).

(2) Commune et canton de Saint-Léonard (Haute-Vienne)

(3) J. Tarde. Chroniques, p. 186.

(4) Riche prieuré de l'ordre de Grandmont.

(5) Fondé en 1140. Commune de Yitrac, canton de Sarlat (Dordogne).

(6) J- Tarde : Chronique, p. 194.


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Quercy Montravel (1), Auberoche (2), Bonneval (3), Orgueil (4), les Alix (5), Mont Sainte-Marie (6), nous ne trouverions que de rares maisons ou quelques murs en ruine, qui nous permettraient d'apprécier les désastres accumulés en Guyenne par la guerre de cent ans et par les guerres de religion. Orgueil était au xin" siècle une bastide puissante et riche, dont les coutumes sont parvenues jusqu'à nous; au xiv" siècle, elle ouvrit ses portes aux Anglais, et pendant plus de vingt ans, les capitaines de Clarens et de Lescot, fortement établis dans Orgueil, dévastèrent sans pitié les maisons et les domaines dont les propriétaires ne voulaient pas accepter la suprématie de l'Angleterre.

Par un singulier atavisme, les villes closes et les familles qui se laissèrent gagner par l'albigéisme au xme siècle et par l'invasion des Anglais au xve, furent au xvie siècle les premières attirées vers le calvinisme. Simon de Monfort eut à châtier de puissants seigneurs albigeois dans le Bas-Périgord et dans le Quercy, tandis que cette hérésie ne pénétra jamais dans le Limousin, où les Huguenots trouvèrent plus tard une résistance insurmontable.

Le château de Pestillac fut démantelé par ordre de Charles VII, parce qu'il avait favorisé la conquête des Anglais ; Henri III fera mettre les canons du maréchal Matignon en batterie contre cette même forteresse, à moitié détruite, qui servait de repaire aux protestants.

Orgueil avait aussi livré ses portes à l'Angleterre, nous verrons en 1562, un parti de farouches huguenots s'organiser auprès de ces murailles pour massacrer le baron de Fumel, ravager ses domaines et brûler son château (6). Monluc fit pendre les coupables et dut exercer des représail(1)

représail(1) de Montravel, canton de Vélines (Dordogne).

(2) Commune de Saint-Antoine, canton de Vélines (Dordogne).

(3) Commune de Fossemagne, canton de Thenon (Dordogne).

(4) Commune de Mauroux, canton de Puy-1'Evêque (Lot).

(5) Commune de Rocamadour, canton de Gramat (Lot).

(6) Voir ci-après, ch. II


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les contre la ville, car en 1642, les jurats et les consuls écrivirent à Louis XIII, qu'Orgueil ne pouvait plus payrer ses impôts (1). Sur son emplacement, on ne trouve aujourd'hui que des tas de pierres informes.

Les seigneurs de Duras, de Cardaillac, de Biron, de Beynac, de Castelnau servirent aussi la cause des Albigeois ou des Anglais; nous allons voir ces mêmes noms figurer à la tête des armées calvinistes, envahissant le Périgord et le Quercy.

M. le chanoine Albe, qui connaît mieux que personne le sol et l'histoire du diocèse de Cahors, affirme avec raison que « le Quercy n'a pas été ruiné par la guerre des Al<• bigeois mais bien par la guerre de Cent ans; et quand les « Quercynois commençaient à se relever et la prospérité à « revenir, les guerres de religion arrivèrent pour produire « la ruine définitive. Jamais plus le Quercy n'a retrouvé sa « richesse et sa vaillante activité d'autrefois » (2).

L'invasion des Anglais fut aussi désastreuse pour les habitants de la Guyenne que pour le sol et ses foyers ; les hommes les plus vigoureux disparaissaient, au début de leur vie, dans ces perpétuels combats et de nombreuses familles furent éteintes pour toujours.

La victoire de Castillon sur-Dordogne (1453) (3) rendit enfin le beau pays d'Aquitaine au roi de France, et cinquante années de paix suffirent pour ramener dans cette province l'amour du travail et la prospérité.

Le recrutement du clergé séculier et des moines avait été complètement enrayé dans la Guyenne, pendant ce long siècle de guerre; le culte était partout délaissé; les autels, les confessionnaux et les chaires restaient abandonnés dans toutes les paroisses ; mais dès la fin du xve siècle, le clergé catholique commençait à reprendre une bienfaisante influence et favorisait par tous les moyens en son pouvoir le

(1) Archives municipales de Mauroux (Lot).

(2) Abbé Albe : L'Hérésie Albigeoise en Quercy, p. 39.

(3) Commune et canton de la Gironde; faisait partie du Périgord.


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réveil des belles-lettres et des beaux-arts. On relevait les églises ruinées au temps des Anglais ; on bâtissait des châteaux plus élégants et plus confortables que les lourdes forteresses du rnoy^en âge, tandis que les agriculteurs remettaient en culture les domaines ravagés pendant la guerre de Cent ans.

La Renaissance et l'Humanisme

Le début du xvi 6 siècle est resté l'une des périodes de notre histoire pendant lesquelles on a bâti les plus beaux monuments religieux et les plus élégants châteaux du Limousin, du Périgord et du Quercy (1); presque toutes ces constructions nous offrent un caractère de luxe et de richesse qui les fait aisément reconnaître au premier coup d'oeil. Les nobles seigneurs consacraient à la vie des champs les rares loisirs que leur donnaient les fréquentes expéditions d'Italie; dans leurs manoirs, restaurés au goût de la Renaissance, ils menaient une existence active, laborieuse et large. En ce même moment, l'Humanisme appelait l'attention des lettres sur les chefs-d'oeuvre classiques de Rome et d'Athènes; « une grande flotte de poètes illustrait le règne des Valois » (2) et l'invention récente de l'imprimerie permettait de créer des bibliothèques, dont nous retrouvons parfois quelques intéressants et curieux catalogues ; nous pouvons citer celle de Castelnau-Bretenoux, célèbre par ses élégantes boiseries, celle du vicomte Henri de Turenne, remarquable par ses riches reliures, celles de Eyquem de Montaigne, de Jean d'Ebrard de Saint'Sulpice, de l'archidiacre Armand de Labatut, etc., etc. La haute bourgeoisie manifestait le même enthousiasme pour les lettres et les arts, le même amour des beaux livres.

(1) Les châteaux bâtis à cette époque dans le Quercy sont ornés de sculptures qui représentent souvent une branche d'arbre avec de nombreux rameaux coupés à égale distance; ils offrent aussi des marguerites rappelant que le Quercy fut l'apanage de Marguerite d'Angoulême et de Marguerite de Valois.

(2) Etienne Pasquier.


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La société française, depuis longtemps privée de tout culte religieux, se laissa facilement entraîner vers l'antique civilisation payenne; les moeurs dissolues de la Cour exercèrent à cet égard une funeste influence sur la plupart des familles devant qui s'ouvraient les palais du roi. Le mal fut surtout grand chez les favoris de la naissance et de la fortune ; il n'atteignit pas au même degré la noblesse restée fidèle à la vie de province. Les La Tour d'Auvergne et les Ventadour en Limousin, les Caumont-La-Force et les Gontaut-Biron, en Périgord, les Durfort-Duras et les Crussol d'Assier. en Quercy donnèrent un fâcheux exemple qui gagna bientôt les villes et les campagnes.

Les principautés de la péninsule Italienne avaient connu, longtemps avant la Guyenne, les séduisants attraits de la Renaissance; l'étonnante prospérité de ces divers Etats produisit, dès le commencement du xvie siècle, un développement extraordinaire des belles-lettres et des beaux arts. La cour pontificale elle-même se laissa facilement éblouir, comme toutes les cours d'Italie, par l'incomparable éclat du grand duché de Toscane, sous le gouvernement de Laurent-le-Magnifique (1).

La Réaction

Les plus graves abus pénétrèrent alors dans tous les rouages de l'Eglise; mais avant l'arrivée de Luther et de Calvin, le Saint Siège avait entrepris une réforme générale. Dès 1450, Nicolas V (2) définissait, la mission de la papauté dans les termes suivants : « Epurer et renouveler, en se gardant « de détruire et d'anéantir ; il n'appartient pas à l'homme « de transformer la religion ; c'est la religion qui doit trans« former l'homme ». Fidèle à son programme, Nicolas V s'efforça de rétablir Tordre dans la discipline ecclésiastique et de relever l'instruction des jeunes clercs ; il parcourut

(1) Laurent de Médicis 1448 à 1492.

(2) Nicolas V 1449 à 1455.


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l'Allemagne dans tous les sens, répandant partout l'expression de sa volonté.

Pie II (1) se préoccupa surtout des congrégations, qu'il voulait ramener à la rigoureuse observation des règles fixées par les fondateurs. Ses successeurs s'opposèrent, ainsi que lui-même, à la création de nouveaux ordres, pour faciliter autant que possible le recrutement du clergé séculier; mais quand l'hérésie calviniste vint menacer l'Eglise, d'énergiques vocations se présentèrent pour lutter contre les progrès de l'invasion, et la rigueur des papes s'adoucit. On vit alors se lever une véritable armée de congrégations nouvelles, destinées à sauver la foi de nos ancêtres; ces chefs d'Ordres s'appelaient Ignace de Loyola (2), Gaétan de Tiènes(3), Antoine-Marie Zaccaria, Thérèse d'Avila (4), Jeanne de Valois (5), etc. Les .légions organisées par leurs généreux efforts s'appelèrent : Jésuites, Théatins, Barnabibes, Carmélites, Annonciades, etc.

Cependant la noblesse et la bourgeoisie n'abandonnaient pas le clergé séculier, dont les cadres ne furent jamais mieux remplis, en Limousin, Périgord et Quercy, que dans la première moitié du seizième siècle : Aymeric de Cornil, seigneur de Vayrignac, de Roquenadel et de Prouillac a fait son testament en 1531 (6); il demande que cent-soixantesix prêtres assistent à ses funérailles et au service de huitaine. En 1535, un simple agriculteur de Grolejac, sur la frontière du Périgord et du Quercy, Antoine Valette, demande aussi que trente prêtres soient présents à son enterrement comme au service. Tous les évêchés avaient leurs titulaires et l'on trouvait encore dans les ambassades, dans les parlements, dans les universités, de nombreux gentils(1)

gentils(1) II, 1458 à 14G4.

(2) Né en 1491, mort en 155G.

(3) Né en 1480, mort en 1547.

(4) Née en 1515, morte en 1582.

(5) Née en 14G4, morte en 1505.

(6) Archives de Doyssac.


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hommes d'église, de même qu'on pouvait voir des bourgeois, revêtus de la cléricature, remplissant les fonctions de notaires ou de régisseurs.

Concordat de 1516

Utilisé dans ces diverses charges, le clergé français, au lieu d'apporter un utile concours au relèvement religieux de la France, donnait plutôt un sérieux prétexte de critique aux partisans de la réforme. D'autre part le Saint-Siège, trop préoccupé d'acquérir les bonnes grâces de François Ier, consentit à signer le Concordat de 1516, qui donnait au roi le pouvoir de nommer les évêques, les abbés et les prieurs. Ce privilège fit bientôt naître un clergé de cour, accessible à toutes les séductions.

Nous verrons, pendant l'invasion calviniste, Odet de Châtillon, frère de Coligny, nommé cardinal à seize ans, devenir archevêque de Toulouse, évêque de Beauvais, se marier et conserver sous la pourpre, après avoir apostasie, tous ses émoluments et ses titres ; nous verrons des évêques afficher sur les sièges de Périgueux (1) et de Montauban (2) leur adhésion formelle à l'hérésie calviniste ; trois évêques occuperont le siège de Tulle (3) pendant de longues années, sans se donner la peine d'aller dans leur diocèse; nous verrons un gentilhomme de dix-huit ans tenir l'évêché de Cahors, en même temps qu'un honorable bourgeois du Limousin, âgé de dix-neuf ans, Christophe de Lestang (5) occupait le siège de Lodève.

Tous ces abus firent naître dans le clergé de Guyenne des sentiments de critique et d'envie, qui favoriseront le succès de l'invasion calviniste jusque dans les couvents ; il ne fau(1)

fau(1) Bouchard d'Aubeterre (1554 à 1560) et Pierre Fournier (15G0 à 1675).

(2) Jean de Lettes des Prés, 1439-1556.

(3) Pierre Duehatel (1539), François de Falcon (1546) et Jean de Fonsèque (1563).

(4) Antoine d'Hébrard de Saint-Sulpice, né à Saint- Sulpice.

(5) Christophe de Lestang, né à Brive.


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dra pas nous étonner quand des religieuses et des moines jetteront leur froc et deviendront hérétiques, pendant que des gentilshommes s'empareront des monastères avec la ferme intention de les garder. La bourgeoisie du Bas-Limousin, du Périgord et du Haut-Quercy, restera fidèle à l'église catholique, sauf dans le pays Bergeracois, où des circonstances particulières laisseront pénétrer la doctrine de Calvin ; Il est cependant incontestable qu'en général les habitants de la Guyenne, dans les villes comme dans les campagnes, restaient, sincèrement attachés à leurs églises, à leurs clochers, aux croix dressées dans tous les carrefours. Hommes et femmes, vieillards et jeunes gens gardaient avec un soin jaloux la tradition religieuse de leur province.

Un historien peu suspect de partialité vis à-vis des catholiques, affirme que « le peuple regardait les protestants « comme des sacrilèges, des infidèles, des sauvages, qui

« voulaient détruire la société Pour lui, ce n'étaient pas

« des novateurs, qui différaient de sa croyance par quelques « dogmes, c'étaient des ennemis, des étrangers qui, l'insul« taient par le mépris de tous les objets de sa vénération, et « quand il les vit détruire les églises, croix, tombeaux, « quand il les vit s'attaquer à ce qui était pour lui civilisa • « tion et bonheur, il les prit pour des barbares semblables « aux Sarrazins et il les traita comme tels » (1).

Luther et Calvin

Deux réformateurs audacieux déchaînèrent sur toute l'Europe cette épouvantable révolution. Luther (1483-1546) vint le premier. A l'âge de vingt-deux ans, il fut reçu comme novice chez les Augustins d'Erfûrth, malgré l'opposition de ses parents et de ses amis, qui redoutaient la violence de son caractère et l'imprécision de sa foi. En adoptant la vie

(1) Lavallée : Histoire des Français.

T. XXXVIIt. , 1-2 S


du cloître, il avait espéré qu'il mènerait jusqu'à la fin de ses jours une existence laborieuse, dans la perfection monastique; il remarqua bientôt autour de lui des abus nombreux, qui jetèrent un trouble profond dans son âme; il lisait cependant encore avec avidité les épîtres de saint Paul et les oeuvres de saint Augustin ; ces deux grands docteurs restèrent pendant, trois ans les principaux guides de sa pensée.

Devenu professeur de philosophie à Wittemberg, en 1508, il ne tarda pas à combattre avec une violente ardeur les enseignements de l'Eglise catholique ; il reçut plusieurs fois des observations à cet égard, et dès lors toute sa colère fut dirigée contre l'autorité pontificale.

Rome condamna sa doctrine le 15 juin 1520.

Les princes d'Allemagne embrassèrent aussitôt l'hérésie Luthérienne, qui proclamait l'indépendance religieuse des Germains vis-à-vis du pontife latin, et les royaumes du Nord de l'Europe suivirent l'exemple des principautés allemandes.

Calvin (1509-1564), élevé dans l'Eglise catholique, en vue du sacerdoce, adopta le système de Luther, basé sur la libre interprétation de la Bible; mais tandis que Luther admettait le baptême et la cène, comme sacrements utiles à la justification des croyants, Calvin se montra plus radical et supprima tous les Sacrements. L'expérience avait déjà fait sentir qu'une doctrine exige un chef indiscutable et que le protestantisme tomberait bientôt en dissolution, par la multiplication infinie des sectes, s'il restait privé d'une autorité suprême.

Calvin essaya de conjurer cet inévitable péril, en attribuant un pouvoir absolu à son grand consistoire, où siégeaient cinq ministres et douze anciens, tous pénétrés des sentiments tyranniques du réformateur. « Son catéchisme « régla la forme des prières, la manière de célébrer la cène... « et le consistoire eut pleins pouvoirs pour porter les censu« res et pour excommunier >; (1).

(1) Berger. Dictioiutaire de théologie.


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Les premiers Calvinistes

Calvin mit une activité fiévreuse à propager sa religion prétendue réformée dans toutes les provinces de France. Le Bas-Limousin, le Périgord et le Haut-Quercy, fortement imprégnés de sentiment féodal, lui donnèrent immédiatement quelques nobles adhérents; mais la question religieuse restait indifférente à la plupart d'entre eux ; les premiers gentilshommes qui s'attachèrent au calvinisme ne firent aucun acte d'abjuration ; ils se rendirent indépendants de l'autorité royale pour rétablir l'antique droit de guerre privée et pour s'enrichir de la dépouille des évêchés et des monastères, comme les grands seigneurs d'Allemagne.

L'humanisme avait pénétré dans le pays Bergeracois, où Montaigne naîtra bientôt, plus que dans les autres cantons de la Guyenne; les bourgeois épicuriens adoptèrent la religion nouvelle, parcequ'elle supprimait les plus gênantes entraves du catholicisme. Quant à la masse du peuple, elle suivait ordinairement les gentilshommes ou les bourgeois qui la faisaient vivre, allant de l'église au temple et revenant du temple à l'église, sans se donner la peine d'abjurer. Nous verrons les Huguenots s'emparer des principales villes du Bas-Limousin, du Périgord et du Quercy et forcer les vaincus à pratiquer le culte réformé; l'hérésie disparaîtra dès que prendra fin l'occupation lyrannique du vainqueur. Nous verrons aussi de nombreux châtelains prendre rang dans les armées protestantes et conduire leurs tenanciers au temple calviniste; lorsqu'ils reviendront à la foi de leurs pères, les paysans y reviendront aussitôt.

L'hérésie ne jettera quelques profondes racines que dans les rares cantons où la bourgeoisie, séduite, par les agréments du culte nouveau, adoptera sérieusement, la religion prétendue réformée, pour la faire observer autour d'elle par les ouvriers qu'elle emploiera dans l'agriculture, dans le commerce ou dans les métiers. Quand les premiers adeptes de Calvin avaient groupé plusieurs croyants, ils les organisaient en communautés appelées églises et leur donnaient


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un pasteur soumis au libre choix des fidèles; on se réunissait dans un temple (1), pour les presches, les baptêmes, les funérailles et pour célébrer la Cène, qui n'était d'ailleurs qu'une image, puisque le calvinisme n'admet pas la transsubstantiation.

Cette doctrine dépassait la portée des foules appelées à fixer leur croyance d'après la Bible; cependant Calvin avait besoin du peuple pour supprimer l'église catholique; dans ce but, les pasteurs devinrent, sous la direction du grand consistoire, les agents passionnés d'une violente propagande ; ils devaient gagner la confiance des travailleurs en promettant, pour un avenir prochain, la suppression des rentes féodales, l'extinction des dîmes, l'abolition des impôts, l'égalité parfaite de tous les Français.

Les paysans refusaient presque partout d'écouter ces prédicants étrangers, qui mettaient le trouble dans leurs foyers, en critiquant leurs plus vénérées traditions ; mais quand les pasteurs, soutenus par un puissant châtelain ou par de riches bourgeois, trouvaient des auditeurs disposés à les suivre, ils ne craignaient pas d'entraver le culte catholique, en brisant les statues et les croix, en renversant Tes autels, en se débarrassant des prêtres qui résistaient à leur invasion. Ces attaques constituaient évidemment une entreprise révolutionnaire ; car la France était unie par toutes ses fibres à l'église catholique et Romaine ; chaque paroisse avait son édifice religieux bâti par les ancêtres et garni par eux de tous les objets du culte ; là se réunissait fréquemment la famille paroissiale; et voilà que des Huguenots, armés de torches ou d'arquebuses, excités par un prédicant venu de Genève, s'emparent de ces monuments, profanent les autels, brûlent ou détruisent les ornements ou les vases sacrés.

Les populations, troublées dans leur foi traditionnelle, avaient évidemment le droit de se défendre et c'était un

(1) Le temple est administré par un comité appelé consistoire formé du pasteur et d'anciens élus par les croyants'


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devoir pour le roi de donner aux catholiques le secours de son autorité; si toutes les classes sociales, également, attachées aux croyances des ancêtres, avaient opposé leur union parfaite aux persécutions calvinistes, l'invasion protestante eût été repoussée dès ses premières tentatives ; mais le clergé du Limousin, du Périgord et du Quercy manqua souvent de prestige ; le peuple se laissa quelquefois entraîner par les excitations démagogiques des pasteurs et les gentilshommes, plus coupables que le peuple et le clergé, cherchèrent trop fréquemment la fortune dans ces troubles religieux.

L'hérésie s'était introduite dans presque toutes fes familles nobles; « il n'estoit filz de bonne mère qui n'en voulut « gouster » ; a dit très justement Monluc ; quelques-uns, guidés par les tendances de leur esprit, adoptèrent la religion nouvelle et son culte, d'autres, en beaucoup plus grand nombre, entrèrent dans les armées calvinistes par intérêt féodal. L'amiral de Coligny présente un type accompli du vrai protestant despote, intolérant et taciturne, autant qu'égoïste et cruel. Louis de Bourbon, prince de Condé, nous représente au contraire le Huguenot féodal qui cherche dans les combats le plaisir, la gloire ou la richesse, dédaignant les conseils moroses de l'amiral et les perpétuelles remontrances des ministres de l'Evangile.

Montaigne, Brantôme, La Boëtie

Un noble et séduisant Périgourdin, Michel Eyquem de Montaigne (1), contribua pour une large part à faire accepter la doctrine de Calvin par les gentilshommes de la Guyenne ; sa mère, issue d'une famille Juive, convertie depuis peu d'années, embrassa le calvinisme dès son apparition, menant avec elle dans l'hérésie son fils aîné, Thomas, seigneur de Beauregard, et l'une de ses filles. Michel resta catholique par esprit national; mais entraîné par son huma(1)

huma(1) le 28 février 1532 à Saint-Michel-Montaigne, commune du canton de Vélines (Dordogne).


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nisme, il fut l'un des écrivains du seizième siècle qui aida le plus au rapide succès de l'invasion protestante; son style brillant et coloré, toujours riche en métaphores, charmait les lecteurs à moitié payens de la Renaissance; fervent admirateur d'Horace, il n'ambitionnait au cours de la vie que le bonheur matériel ; son élégant épicurisme compromettait l'autorité du roi comme l'autorité de l'Eglise, en attaquant le prestige du prince aussi bien que le respect de la famille; il entourait les dogmes catholiques d'un doute dangereux; il séparait systématiquement la morale de la religiou et préconisait le libre examen; de sorte que, bien qu'il repoussât la doctrine de Calvin, il finit par la propager mieux que les ministres de Genève. Egoïste et sceptique, il fit admettre par ses innombrables lecteurs que tout homme distingué doit être un Epicurien tolérant; ses livres se répandirent avec une incroyable rapidité, puisqu'ils eurent plus de cent éditions en moins d'un siècle.

Pierre de Bourdeille (1; adopta la philosophie de son illustre compatriote; fait abbé de Brantôme (2), en 1557, par Henri II, conformément au concordat de 1516, il se servait des immenses revenus de l'abbaye pour fréquenter la cour, où son éclectisme aidait, comme celui de Montaigne, aux rapides progrès du calvinisme. Ils étaient tous les deux amis du roi de France et du roi de Navarre, du duc de Guise et de Coligny. Leurs publications trouvaient partout quelques gentilshommes prêts à tirer Tépée en faveur de la religion nouvelle.

La désunion s'établit ainsi dans la plupart des familles de la Guyenne, comme elle s'était mise, au début de la réforme, dans la famille de Montmorency : on sait que le connétable fut l'un des chefs les plus dévoués de l'armée catholique ; il périt, à soixante-quinze ans, dans la bataille de Saint-Denis, en faisant la guerre aux protestants ; une

(1) Fils de François et d'Anne de Vivonne, né vers 1536, mort le 5 juillet 1614.

(2) Canton de la Dordogne,


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de ses soeurs, Louise, fut la mère des trois Chatillon, organisateurs de l'invasion calviniste en France ; son autre soeur, Eléonore, épousa Gilbert III de Ventadour, qui fut longtemps chef des catholiques, en Limousin, et qui devint ensuite chef des politiques. Anne de Montmorency avait épousé Madeleine de Savoie (1), soeur de l'amiral de Villars, l'un des plus fidèles Ligueurs du royaume ; ses fils furent les principaux chefs du groupe des Politiques et combattirent souvent avec les protestants contre le roi; sa fille Eléonore fut la mère du vicomte de Turenne, sa seconde fille, Charlotte, épousa Louis de La Trémouille ; ils seront tous deux à la tête des armées Calvinistes; une troisième, Marie, épousa Henri de Foix-Candale, qui était catholique.

La même discorde existait dans les meilleures familles du Limousin, du Périgord et du Quercy : La Tour d'Auvergne, Lambertie, Baynac, Foucauld, Abzac, Cugnac, Cardaillac, etc., etc.

Antoine de Pardaillan-Gondrin combattit pour le roi; son fils, Hector, pour le calvinisme; ses deux petits-fils, Arnauld de Pardaillan et Jacques du Lau, pour la Ligue. D'autres, tels que Saint-Astier, Massaul, Saint-Ours, Commarque, Lamaurie, etc., servirent tantôt les protestants et tantôt les catholiques; nous savons que Michel de Montaigne était resté fidèle à la foi traditionnelle, tandis que son frère aîné, Thomas, avait embrassé l'hérésie. Le 17 août 1563, Etienne de La Boétie (2), qui devait mourir le lendemain, fit appeler Thomas de Montaigne près de son lit de mort et lui dit :

« Je vous jure que de touz ceulx qui se sont miz à la réfor« mation de l'église, je n'ay jamais pensé qu'il y en ait un « seul qui s'y soit mis avec meilleur zèle... que vous; je « erois sincèrement que les seuls vices de nos prélats, qui « ont sanz doubte besoing d'une grande correction, .... vous « incita à cela. Je ne veulx pour ceste heure desmouvoir ;

(1) Fille de René, comte de Villars, bâtard de Savoie et d'Anne de Lascaris.

(2) Né le 19 novembre 1530 à Sarlat, mort le 18 août 1563 à Germinian, près Bordeaux.


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« car aussi ne prié je pas volontiers personne de fayre quoy « que ce soit contre sa conscience ; mais je vous veulx bien « advertir qu'ayant ... respect à la volonté de vostre père, « de vostre bon oncle, de vos frères, vous fuyiez ces extrê« mités ; ne soyez point si âpre et si violent ; accommodez« vous à eulx; ne faites point de bande et de corps à part; « joignez vous ensemble ... vous voyez combien de ruynes « ces dissentions ont apporté en ce royaume, et vous res« ponds qu'elles en apporteront de bien plus grandes ... Pre« nez en bonne part ce que je vous en dis... » (1).

Lorsque La Boëtie parlait avec tant de sagesse au frère de son illustre ami, la première guerre de religion était terminée; l'amiral de Coligny venait de livrer le Havre aux Anglais et le roi de Navarre, Antoine de Bourbon était mort en reprenant la ville de Rouen aux Huguenots.

L'éloquent appel aux traditions et à la concorde, inspiré par l'amour de la patrie au chrétien qui va rendre son âme à Dieu, ne produisit aucun effet salutaire. La guerre civile sera continuée pendant plus de trente ans et l'invasion calviniste couvrira toutes nos provinces de sang et de ruines.

La Société secrète

La prétention d'étouffer la religion catholique en France, sous des ruines ou dans le sang, ne pouvait être inspirée aux premiers calvinistes que par un orgueil insensé ; mais Calvin avait le génie des conspirations en même temps que l'âme d'un tyran; il organisa son église comme une vaste société secrète. La tête résidait à Genève, où siégeait le grand consistoire que le réformateur assemblait et présidait tous les huit jours, sans que nul ait jamais fait la moindre opposition à son énergique volonté.

Ce Conseil s'occupa tout d'abord de former des ministres et des pasteurs, bien pénétrés des sentiments de haine que les fauteurs d'hérésie ont toujours manifestés contre l'autorité pontificale ; les ministres, envoyés dans les provinces, res(1)

res(1) de Michel Montaigne. Ed. Garnier,, t. IV p. 210,


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taient en relations périodiques avec Genève; mais les ordres importants n'étaient transmis qu'à ceux sur lesquels Calvin pouvait compter jusqu'à la mort.

L'exécution des projets appartenait ordinairement aux chefs militaires, qui ne connaissaient pas toujours l'origine et le but de la mission dont ils étaient chargés ; le consistoire ne doutait pas de leur fidélité, car l'ambition et l'envie qui avaient entrainè ces grands seigneurs dans l'hérésie, ne laissaient aucune inquiétude sur le dévouement des principaux calvinistes.

Les décisions prises en comité secret n'étaient pas transmises à tous les pasteurs; il suffisait ordinairement que l'exécution impressionnât vivement les lieutenants-généraux du roi; une certaine latitude était aussi laissée aux agents militaires, qui devaient se conformer à l'ordre reçu, sans être astreints à des dates précises.

La Société secrète était donc réellement constituée par Calvin et son consistoire, chargés de prendre les décisions et par les ministres, chargés de faire exécuter les ordres. « Le secret, la fidélité, le zèle estoient par eux gardés... Les « ministres écrivent les naissances, les nombres, les âges, « marquent les maisons, chemins, passages, par livrets, « chiffres et signaux. Les surveillants de Genève, sans avoir « esté en France, exécutaient dans icelle ce qui leur estoit

« commis par les moyens dessus écrits Postes à pied,

« jargons, signes, contresignes, écritures couvertes, chiffres « ne sont épargnés. Les ministres, les églises, les surveil«lanlsplus fidèles avertis, tout se prépare aux surprises, « aux armes, trahisons et menées : ils trompent leurs frères, « pères, amis, le roi et sa cour » (I).

Ainsi s'exprimait au xvne siècle, un témoin des guerres de religion, le fils du Maréchal de Saulx de Tavannes, gouverneur de Bourgogne.

Au xvme siècle, un historien très consciencieux a dit dans le meilleur de ses ouvrages :

(1) Mémoires de Saulx-Tavannes, coll. Michaud, t- VII, p. 291.


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« Les calvinistes, comme s'ils eussent été en pays ennemi, « avoient des signaux d'intelligence, des mots, de ralliement, « des rôles de recrues et de recette, des routes tracées, des « entrepôts marqués, des magasins d'armes et tout ce qui « est nécessaire pour faire éclater au premier ordre un sou« lèvement général...

« Ils entretenoient, outre cela, dans les états protestants « et catholiques, des envoyés publics ou secrets, chargés « d'éclairer les ministres du roi de traverser leurs négocia« tions ou d'en entamer à leur avantage; enfin de temps en « temps, ils faisaient à la Cour tantôt des propositions rai« sonnables, tantôt des demandes outrées, afin de juger, par « la réponse, des dispositions cachées. Ensuite, sous pré« texte de divertissements ou de simples visites, ils se ras« sembloient dans des châteaux et y prenoient en commun « des résolutions, toujours couvertes du voile du mystère » (1).

L'ffisfozre de France d'E. Lavisse a confirmé dans les termes suivants l'existence de la Société secrète des calvinistes :

« L'organisation du parti était parfaite; il avait comme les « sociétés secrètes, un mot d'ordre, des lieux de réunion, « une écriture chiffrée, des signes de reconnaissance. A la « première alerte, les soldats accouraient auprès du chef « désigné... etc. » (2).

Nous-aurons souvent à raconter, pendant l'invasion calviniste, des conjurations, des complots ou des entreprises simultanées, qui ne peuvent avoir été préparées ou commandées que par la Société secrète de Genève; il est toutefois évident que nous ne trouverons pas Tordre donné par Calvin à Godefroy du Barry, quand ce gentilhomme Périgourdin mena le tumulte d'Amboise, ni l'ordre que reçut le prince de Condé, quand eut lieu la tentative d'enlèvement de Monceaux-en-Brie, etc. Mais nous savons que le Consistoire de Genève était un comité permanent et secret; nous

(l)Anquetil : L'Esprit de la Ligue. Ed. ISIS, t. 1, p. 184. (2) E. Lavisse : Histoire de France, t. VI, p. 95.


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savons qu'il correspondait avec les ministres par des signaux d'intelligence et par des mots de ralliement.

Quand nous verrons les principales tentatives des Huguenots accompagnées jusqu'en Limousin, Périgord et Quercy, de nombreuses attaques simultanées, nous pourrons dire qu'une autorité mystérieuse a dirigé ces mouvements et que les attaques secondaires avaient pour but de dissimuler l'action principale aux yeux du roi. Quaud nous verrons des attentats criminels commis par des agents dont tous les chefs calvinistes célébreront les louanges, nous aurons le droit d'attribuer ces forfaits à la Société secrète intéressée à leur exécution.

Le Pacte de Vendôme

Cependant Calvin et son grand Consistoire ne pouvaient pas entreprendre l'invasion d'un royaume tel que la France, avant d'avoir obtenu le concours actif de quelques puissants châtelains, capables d'amener des gentilshommes à la religion prétendue réformée, d'exercer sur eux une persévérante influence, d'organiser des troupes et de les commander.

Il était donc indispensable de créer ce groupe important de conspirateurs; l'amiral de Coligny consentit, dès 1557, à devenir le principal agent de la Société secrète de Genève; il décida le chef de la maison de Bourbon, Antoine duc de Vendôme et roi de Navarre, à réunir dans son château de Vendôme, en août 1559, huit nobles calvinistes, tous désignés par l'amiral et choisis parmi ses plus proches parents et ses amis les plus sûrs, tels que ses frères d'Andelot et le cardinal de Chatillon, ses deux beaux-fils (1), Louis de Bourbon, prince de Condé et François de La Rochefoucauld, prince de Marcillac, Antoine de Croy, prince de Porcien ; ils prirent ensemble l'engagement formel de travailler par tous les moyens en leur pouvoir au succès de l'invasion calviniste (2).

(1) Ils avaient épousé Eléonore et Charlotte de Roye, filles d'un premier mariage de Louise de Montmorency.

(2) De Thou : Histoire de mon temps. — Davila : Histoire des guerres civiles, etc.


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Antoine de Bourbon pourra bientôt après trahir la confiance des conspirateurs et le prince de Porcien ne tarda pas à mourir ; mais la guerre religieuse avait entraîné déjà, dans la cause de l'hérésie, un très grand nombre de gentilshommes; Calvin continuera son oeuvre néfaste, et quand il disparaîtra, le grand consistoire restera le chef incontesté d'une vaste société secrète, servie par les pasteurs.

Aussitôt après avoir conclu leur pacte de Vendôme, les nobles conspirateurs cherchèrent dans toutes les provinces des gentilshommes disposés à donner leur concours à la guerre civile, qui devait commencer, l'année suivante, par la conjuration d'Amboise.

Le duc de La Rochefoucauld trouva facilement quelques très ardents prosélytes vers Périgueux, Aubelerre (1) et Larochebeaucourt (2) ; la noblesse du Bas-Limousin, du Périgord et du Haut-Quercy fut ensuite particulièrement entraînée dans les armées protestantes par deux hauts et puissants seigneurs, dont la grande influence portera quelquefois ombrage au roi lui-même. Ces deux suzerains sont le vicomte de Turenne et le comte de Périgord, vicomte de Limousin ; d'ailleurs les vassaux ou les amis qui se rangeront autour d'eux, resteront très souvent fidèles à l'Eglise catholique, quoique tirant l'épéepour le succès de l'invasion calviniste.

Vicomte de Turenne, comté de Périgord et vicomte de Limousin

La vicomte de Turenne, qui sera le dernier grand fief de la couronne de France, constituait au xvi* siècle, une principauté indépendante, relevant immédiatement du roi; le prince se proclamait vicomte par la grâce de Dieu et de Monseigneur Saint-Martial; il jouissait de plusieurs droits régaliens et notamment des droits de battre monnaie, d'octroyer des sauvegardes et de gracier les criminels.

(1) Canton de la Charente.

(2) Commune du canton de Mareuil-sur-Belle (Dordogne).


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Le roi de France ne pouvait requérir ni taille ni aide dans la vicomte, où son unique vassal direct était le vicomte.

Le territoire de ce fief indépendant s'étendait, sur les rives pittoresques de la Dordogne et de la Vézère, depuis Argentat (1), en Bas-Limousin, à l'Est, jusque près de Vitrac (2), en Périgord, à l'Ouest, et depuis Terrasson (3), en Périgord, au Nord, jusque près de Gourdon (4), dans le Haut-Quercyr, au Sud.

Cent soixante-deux vassaux ecclésiastiques ou laïcs, appartenant au Bas-Limousin, au Périgord ou au Quercy, faisaient partie de la vicomte, qui ne possédait aucune ville assez importante pour constituer une capitale; elle touchait aux portes de la riche et gracieuse cité de Brive, où les vicomtes avaient leurs tombeaux; ils étaient même co seigneurs avec le châtelain de Noailles et les consuls ; mais ils ne pouvaient y rendre la justice qu'au nom des trois suzerains et pour le compte du roi de France.

La vicomte arrivait aussi jusqu'auprès de l'enceinte fortifiée de Sarlat, siège d'un évêché : mais le vicomte n'avait aucun droit féodal sur la ville. La plus forte 'agglomération de son domaine était Martel (5), où deux-cents feux à peine entouraient le vieil hôtel de ville.

Turenne était la propriété des comtes de Beaufort, seigneurs de Limeuil (6), lorsque, en 1444, leur unique héritière, Anne de Beaufort, épousa Agne de La Tour et porta dans la famille de La Tour d'Auvergne la vicomte de Turenne et ses diverses seigneuries.

Au début de l'invasion calviniste, avant la première guerre de religion, le vicomte s'appelait François III; il venait d'épouser Eléonore de Montmorency, fille du connétable.

(1) Chef-lieu de canton de la Corrèze.

(2) Commune du canton de Sarlat (Dordogne).

(3) Chef-lieu de canton de la Dordogne.

(4) Chef-lieu d'arrondissement du Lot.

(5) Chef-lieu de canton du Lot.

(6) Commune du canton de Saint-Alvère (Dordogne).


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François mourut au siège de Saint-Quentin, en 1559, laissant un fils unique, Henri, alors âgé de quatre ans. Elevé au château de Chantilly, dans l'amour des lettres et des arts, Henri connut dès^son enfance la perpétuelle rivalité des Guise et des Montmorency; ce souvenir contribuera pour une large part à l'éloigner des catholiques, dont le duc de Guise sera le chef. Pendant sa minorité, la vicomte sera souvent envahie par les calvinistes, mais l'invasion ne produira ses effets désastreux qu'après la nomination d'Henri, vicomte de Turenne, aux fonctions de lieutenant-général des réformés.

Le comté de Périgord et la vicomte de Limousin avaient été très longtemps séparés et bien souvent en guerre, l'un contre l'autre. En 1399, le roi de France confisqua le comté de Périgord entre les mains d'Archambeau VI et le remit au duc d'Orléans, qui le vendit, eu 1408, au vicomte de Limousin. Les deux fiefs réunis étaient composés d'un grand nombre de châtellenies et de seigneuries ; cependant le comte et vicomte possédait très peu de domaines en toute propriété; il avait des châteaux, des forêts, des moulins, il jouissait des rentes, des cens, des droits de justice, des dîmes inféodées, etc.; mais presque toutes les terres cultivables avaient été depuis longtemps aliénées.

Le comté de Périgord s'étendait sur Ans (1). Auberoche (2), Excideuil (3), Génis-Moruscles (4), Nontron (5), Payzac (6), Thiviers (7), La Tour blanche (8), Montignac(9), Saint-Front de Périgueux et sur quelques seigneuries détachées telles

(1) Commune de Boissières d'Ans, canton de Thenon (Dordogne).

(2) Commune de Saint-Antoine d'Auberoche, canton de Saint-Pierre de Chignac (Dordogne).

(3) Canton de la Dordogne.

(4) Commune du canton d'Excideuil (Dordogne).

(5) Chef-lieu d'arrondissement de la Dordogne.

(6) Commune du canton de .Lanouaille (Dordogne).

(7) Chef-lieu de canton de la Dordogne.

(8) Commune du canton de Verteillac (Dordogne).

(9) Chef-lieu de canton de la Dordogne.


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Molières (1), Caussade (1), La Française (1), Cordes (1) et Montalzat (2).

La vicomte comprenait le château de Limoges et la ville d'Aixe (3), Ayen (4) Ghalus (5), Chalusset, (6), ChâteauCherveix (7), Courbefy (8), Larche (9), Masseret (10), SaintYrieix (11), Ségur (12), Terrasson (13), etc.

Plus de deux cents seigneurs devaient l'hommage au comte et vicomte; mais il était, comme eux, vassal du roi de France, qui mettait, lorsqu'il le jugeait utile, une garnison dans ses châteaux, et notamment à Montignac.

L'administration de tous ces fiefs et de ces droits divers était confiée à trois officiers principaux : le gouverneur, chargé du service militaire, le sénéchal, chargé de la gestion financière, et le juge ; chacun d'eux recevait, comme gages, environ cent livres par an ; cette faible somme nous démontre que l'ensemble des revenus ne devait pas être considérable.

Le comte et vicomte ne possédait, en cette qualité, aucun des droits régaliens qu'avait le vicomte de Turenne; il ne pouvait pas battre monnaie, ni gracier les criminels et .délivrer des sauvegardes. Les justiciables avaient le droit de faire appel soit au parlement, soit au sénéchal du roi de France.

Au début du seizième siècle, le comté de Périgord et la vicomte du Limousin appartenaient au roi de Navarre,

(1) Chef-lieu de canton du Tarn-et-Garonne.

(2) Commune du canton de Montpezat (Tarn-et-Garonne.

(3) Commune de la Haute-Vienne.

(4) Commune de la Corrèze.

(5) Commune de la Haute-Vienne.

(6) Commune de Boisseuil, canton de Pierre-Buffière (Haute-Vienne).

(7) Commune du canton de Saint-Germain (Haute-Vienne).

(8) Commune de Saint-Nicolas, canton de Chalus (Haute-Vienne),

(9) Canton de la Corrèze.

(10) Commune du canton d'Uzerche (Corrèze).

(11) Arrondissement de la Haute-Vienne.

(12) Commune du canton de Lubersac (Corrèze).

(13) Canton de la Dordogne.


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Henri d'Albret, époux de Marguerite d'Angoulême, soeur de François I; de cette union naquit une fille unique, Jeanne, née en 1528.

Le beau royaume de Navarre comprenait la Haute-Navarre, ou Navarre Transpyrénéenne et la Basse-Navarre ou Navarre française, lorsqu'en 1513, Ferdinand le Catholique, roi d'Espagne, s'empara sans aucun droit de la Navarre Transpyrénéenne ; cet acte de violence fit naître chez Henri d'Albret des sentiments de haine et de vengeance qui le rendirent favorable aux idées de Luther.

Lorsqu'éclatera la première guerre de religion, Jeanne d'Albret avait remplacé son père sur le trône de Navarre ; mariée en 1541 avec le duc de Clèves, qu'elle ne connaissait pas, elle obtint, en 1545, l'annulation de ce premier mariage et, deux ans plus tard, le roi de France lui fit épouser son cousin, Antoine de Bourbon, duc de Vendôme ; « jamais on ne veisl maryée plus joyeuse ».

Henri d'Albret, mort en 1555, était gouverneur de la Guyenne et de la Gascogne; Jeanne avait espéré que son mari recevrait en France tous les titres dont son père avait joui; mais Henri II donna le gouvernement de la Gascogne au duc de Montmorency et l'époux de Jeanne de Navarre n'obtint que la Guyenne; en même temps le bruit fut répandu dans tout le royaume qu'Henri II voulait prendre la Navarre Française, comme Ferdinand avait pris la Navarre Espagnole. Jeanne conçut alors, envers le roi de France, une animosité que rien n'apaisera ; comme son père, elle dirigea toute sa colère contre la papauté; nous la verrons favoriser l'invasion calviniste avec une ardeur farouche : elle dira même à Catherine de Médicis : « Je jetterois mon « filz et mon royaulme à la mer, plustost que d'aller à la « messe ».

Toutes ses largesses iront aux églises protestantes fondées sur ses domaines du comté de Périgord et de la vicomte de Limousin ; toutes ses faveurs iront aux gentilshommes qui donneront le secours de leur épée au succès de la religion prétendue réformée.


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L'Armée royale au XVIe siècle

Au moment où vont commencer les guerres de religion, la France ne possédait pas d'armée permanente ; cependant François I, au cours de ses luttes incessantes contre Charles Quint, avait souvent constaté qu'un pays est mal protégé, quand il n'a pour se défendre qu'une armée de mercenaires. Afin de remédier à ce grave danger, il résolut, en 1533, de créer les légions provinciales, qui devaient lui donner une infanterie régulière; il n'était rien innové par rapport à la cavalerie, dont le recrutement restait assuré par le service obligatoire de la noblesse.

Pour former cette infanterie, le royaume fut divisé en sept grandes provinces ; chacune fournirait une légion de six mille hommes; sur ces quarante-deux mille fantasins, douze mille devaient être armés d'arquebuses (1), les autres auraient porté le mousquet (2), la pique (3) ou la hallebarde (4).

« Ce fut, dit Monluc, une très belle invention, si elle eût « été bien suivie ; car c'est le vrai moyen d'avoir toujours « une bonne armée sur pied', comme faisoient les Romains, « et de tenir son peuple aguerri ».

François Ier mourut avant d'avoir réalisé son grand projet, et toutes les guerres d'Italie furent entreprises avec le seul concours des mercenaires. Ce système, insuffisant en présence des armées allemandes, avait du moins l'avantage de concentrer le fléau de la guerre sur la frontière menacée; les autres provinces continuaient à vivre comme en temps de paix ; rien ne troublait chez elles le travail des champs et de l'industrie. C'est ainsi que la première moitié du seizième siècle fut l'une des périodes de notre histoire les plus prospères et les plus favorables au développement des lettres et des beaux-arts, alors que la guerre restait constamment ouverte entre la France et l'Italie, l'Espagne ou l'Allemagne.

(1) Arme à feu portative, dont le canon était soutenu par un chevalet.

(2) Arme à feu portative qu'on allumait avec une mèche.

(3) Arme d'hast portant un fer plat et pointu.

(4) Arme d'hast à long manche portant deux fers latéraux.

T. XXXVIII. 1-2 - 9


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Henri II, reprenant la grande idée de son père, chercha dès son avènement au trône, à garantir le royaume contre une invasion étrangère, non seulement par la création des légions provinciales, mais aussi par la formation d'une puissante marine ; la lance de Mongonmery détruisit tous ces grands desseins, en faisant passer la couronne sur la tête d'un enfant.

Les guerres de religion seront soutenues de part et d'autre par des armées de mercenaires ; les meilleurs fantassins étaient recrutés dans le Midi de la France, dans la Suisse ou dans l'Espagne; les cavaliers venaient de l'Allemagne, de l'Albanie et de la Dalmatie ; on trouvera chez tous les belligérants les terribles reistres, suivis de leurs innombrables voitures à quatre roues, dans lesquelles ils entassaient, avec leurs munitions et leurs vivres, le butin qu'ils faisaient en saccageant les villes, les châteaux ou les églises ; la rapacité légendaire de ces cavaliers allemands donna naissance au proverbe : « Où le reistre a passé, la dîme n'est pas due ».

L'unité de combat était la compagnie forte de cent à cent cinquante hommes de guerre et portant le nom de son capitaine; chaque compagnie avait son enseigne; lorsque plusieurs capitaines prenaient part à la même opération, l'un d'entre eux avait le commandement sous le titre de mestre de camp et son enseigne devenait l'enseigne colonnelle.

Les quatre premiers régiments furent créés en 1558, par Henri II sous les noms de Picardie, Champagne, Navarre et Piémont ; les bataillons ne furent organisés qu'au xvin 6 siècle.

La grosse cavalerie de l'armée française était ordinairement constituée par la noblesse, qui laissait aux mercenaires étrangers le service de la cavalerie légère. La convocation du ban devait fournir toujours le contingent sur lequel le roi pouvait compter; les cadres de la noblesse étaient, dans ce but. maintenus constamment au chiffre jugé nécessaire pour les besoins de l'armée.

Dans les petites expéditions, la cavalerie sera, comme au


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moyen-âge, l'arme principale des combats; dans les engagements plus sérieux, l'infanterie va prendre un rôle prépondérant, et dès lors les gentilshommes qui n'avaient voulu jusqu'ici servir le roi que dans les compagnies à cheval, demanderont le commandement des enseignes, afin de participer de plus près à la victoire.

L'artillerie avait fait de grands progrès depuis la guerre de cent ans, surtout pour l'attaque des villes. Henri II, toujours préoccupé des perpétuelles menaces de l'Allemagne, régularisa les calibres de France; on faisait des canons (1) pour assiéger les places fortes et des couleuvrines grosses (2), bâtardes (3), moyennes (4), pour tenir les ennemis à distance; les faucons (5) et les fauconneaux (6), beaucoup plus légers que les couleuvrines, figuraient dans les plus petites armées; enfin les pétards servaient à faire sauter les portes des villes.

La fonte des pièces d'artillerie et de leurs boulets était faite dans les principales forges du royaume; celle de La Mouline, à Sainte-Croix de Beaumont (7) était alors l'une des plus importantes de la Guyenne; pour fondre les canons et les couleuvrines, on procédait comme à la fonte des cloches; mais dès le commencement duxvnr 3 siècle, on fonditles grosses pièces en plein, pour les forer ensuite avec des outils spéciaux; la portée devint alors beaucoup plus forte, tandis qu'au xvi" siècle, les boulets n'allaient pas audelà de cinq cents mètres.

Le poids des armes et des armures était très élevé; dès qu'arrivait la saison des pluies, les chemins devenaient impraticables aux lourds chevaliers, comme à l'artillerie; pour

Us sii calibres de France étaient en 1860 : Poids du Projectile ; Attelage ;

(1) Canons 33 livres 21 chevaux.

(2) Grandes couleuvrines 15 » 17 »

(3) Bâtardes 7 » 11 »

(4) Moyennes 2 » 4 »

(5) Faucons 1 » 3 »

(6) Fauconneaux 14 onces 2 »

(7) Commune du canton de Beaumont (Dordogne).


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ce motif, et par mesure d'économie, les chefs d'armée licenciaient ordinairement leurs troupes à l'entrée de l'hiver et ne les rappelaient qu'au printemps.

Les guerres de religion entraîneront la ruine de presque toute la noblesse d'épée du Limousin, du Périgord et du Quercy ; le trésor public sera lui-même très souvent dans l'impossibilité de recruter des mercenaires : nous verrons alors reparaître, avec le consentement du roi, le régime féodal accompagné de ses précieux avantages et de ses dangers ; nous verrons aussi bien souvent dans toute la Guyenne les sénéchaux (1) recourir aux milices urbaines, force armée que les villes closes entretenaient, conformément à leurs privilèges, pour la défense de leurs murailles et pour le maintien du bon ordre. Quelle que fût l'importance de ces milices, elles devaient être toujours commandées par les consuls, qui rempliront souvent ces fonctions guerrières avec une remarquable compétence ; les bourgeois prenaient, contact avec le métier des armes et bientôt le roi favorisera leur ambition en les faisant parvenir jusqu'aux grades les plus élevés.

R. DE BOYSSON.

(1) Le sénéchal administrait la sénéchaussée au nom du roi ; il avait habituellement le commandement de la force armée; il était cependant assisté quelquefois d'un gouverneur ayant l'autorité militaire. La province était administrée par un gouverneur près duquel le roi déléguait ordinairement un de ses lieutenants-généraux aux armées.


Les Origines de Tulle

Le Culte de Tutela et des anciens dieux en Limousin

i

« Toutes choses sont pleines de dieux », écrivait un ancien.

Les peuples de l'antiquité, ceux de l'Orient comme ceux de l'Occident, ont, en effet, rempli l'univers de divinités de toutes sortes. A côté des dieux et des déesses, — sur lesquels nous reviendrons, — régnaient les génies. Le Génie (Genius), c'est « la force qui engendre au point de départ et qui conserve dans leur individualité propre, jusqu'à leur destruction, et l'être de l'homme et les êtres de raison que l'homme s'est forgée à sa propre image, dit M. Hild. Comme le daemon, chez les Grecs, exprime ce qu'il y a de plus subtil dans la conception de l'être divin, il est la personnification religieuse, chez les Romains, de la vis abdita quoedam qui tient lieu de divinité à l'épicurisme de Lucrèce. Pour la foi populaire, il sert à rendre l'être divin présent à tous les degrés de la réalité avec la double qualité de producteur et de consommateur. Il y a des Génies partout, depuis la nature matérielle, les lieux et les choses, en passant par l'homme individuel et les collectivités de toute espèce, jusque dans la sphère des dieux ».

Dans l'Empire Romain, le Génie servait de trait d'union entre le monde des dieux et la nature des hommes, comme dans les croyances chrétiennes les saints servent de truchement entre Dieu et les implorateurs. Le Génie devint une divinité tant pour les collectivités que pour les individualités. Son idée se résolvait dans celle du Numen, c'est-à-dire dans l'action tutélaire de la divinité sur les hommes et sur les choses.

Avec les divinités domestiques : les Lares, les Pénates,


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les Mânes, les Génies figuraient au nombre de celles que le Latium possédait le plus anciennement. Dans les phénomènes physiques, les accidents du sol, sources d'étonnement religieux sur les hommes, il y avait un esprit divin, de même que pour les montagnes, les vallées, les fontaines, les fleuves, les forêts, les bois, les confluents, les lieux quelconques. Des génies présidaient aux réunions d'hommes, aux groupements politiques, aux associations professionnelles, aux communautés, aux clans, aux castes, aux tribus, aux peuplades. Les cités, les Vici, les Pagi, les villes, les municipes, les colonies, avaient aussi leur génie propre. Il donna une force particulière à la notion de patrie et, à l'origine, il régna sur la génération, dont il fut le principe divin, son esprit étant alors de nature mâle, à l'exclusion de toute autre (Tutela generandi).

Mais les formes locales de la divinité du Genius, étaient variables. Ici, c'étaient la dea Victoria, la dea Concordia ; là, une dea Fortuna, une dea Tutela, etc., quand ces formes ne portaient pas une appellation propre au terroir, à la ville, à la tribu, à la peuplade sur lesquels le Génie étendait sa protection. D'ailleurs, ces Génies n'avaient pas le don d'ubiquité et ne pouvaient être invoqués que par ceux sur lesquels ils régnaient. Ils étaient implorés dans une même ambiance de joie et de félicité, dans un même élan d'amour et de reconnaissance.

La dea Tutela des Latins représentait un aspect particulier de la dea Fortuna dans leurs plus anciennes croyances religieuses. Celle-ci n'était autre, d'après M. Hild, que « la personnification de l'influence capricieuse et mobile, quelque fois funeste, le plus souvent favorable, qui se manifestait dans la vie des individus et des nations et qui, sans apparence de règle, soit logique, soit morale, dispensait le succès ou infligeait le revers ». Elle présidait à la vie des peuples, la régissait et représentait le destin dans ce qu'il avait de mobile, de capricieux, d'incertain.

A la Fortuna, on associait, en outre, la condition privée d'un homme ou d'un souverain, à une ville, à un territoire.


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Son culte à Rome alla croissant jusque sous le règne des Sévère et se confondit souvent avec celui de Tutela, Genius de nature féminine. Leur double nom se trouve même associé dans les inscriptions avec celui du Genius loci, — Tutela se substituant, dans la plupart des cas, à Fortuna et au Genius.

Dans le monde hellénique, Fortuna et Tutela eurent une façon de prototype dans Tychée, représentant soit la chance, la destinée d'une cité ou d'un peuple, soit la fondation et la protection des villes, la fortune glorieuse d'un roi. Tychée, en un mot, c'était la Tutela de l'Occident, en Grèce et en Asie-Mineure, postérieurement au iv° siècle avant notre ère, où son culte s'était répandu et fortifié sous des influences romaines.

Parmi les dii agrestes des Indigitamenta, dont le caractère archaïque n'est pas douteux, figure une déesse Tutelina ou Tutilina. Elle est considérée comme le génie protecteur des récoles mises en grange.

« Une formule de prière, empruntée au rituel des Frères Arvales, nous montre, d'autre part, comment, de la notion accidentelle d'une protection salutaire, a dû se détacher celle d'une personnalité divine l'incarnant d'une manière générale : Sive deo, sive dea, in cujus 'tuteta hic lucus locusve est, nous dit encore la savant professeur de l'Université de Poitiers. Enfin, dans la légende populaire des Nonae Caprotinse, le nom de la femme libératrice de Rome est Tutela ou Tutula ».

Tutela, ou plutôt la Tutela pariendi, correspondit aussi à la Juno des femmes (Junones). Elle la doublait dans le le culte domestique, la remplaçait même, — la Juno représentant l'espjit protecteur, propre au sexe féminin, en complément au Genius des hommes, — et allait même jusqu'à désigner une entité géographique. Tutela, en effet, convient mieux, dans sa signification générale, aux lieux qu'aux personnes.

« A ce point de vue, les Tutelae sont identiques aux Fortunae, déterminées ou par des noms de personnes, de famil-


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les, ou par des noms de localités et d'édifices, quand ceuxci, comme les entrepôts, sont en rapport avec les besoins de la vie humaine. Elles sont identiques aussi au Genius loci; celui-ci n'est en somme que la divinité : in cujus tutela hic locus est. Des inscriptions l'appellent même deus tutelae: et c'est par une sorte d'abréviation que Tutela personnifiée en vint à désigner l'esprit protecteur d'un pays, d'une maison, d'un bois sacré, d'un navire, etc., dont elle assurait, par son influence, le salut et la prospérité » (1).

Après la conquête des Gaules, par Jules César, le culte de Tutela se répandit dans ces pays et jusqu'en Ibérie, sous la forme latine, mais tel que le culte des Génies était conçu en Orient, dans le monde italiote, dans son principe divin d'origine. Avec eux, avant la venue des Celtes, les Ligures, — et l'on entend par Ligures, non pas une race d'hommes, mais un ensemble de populations, un groupement politique, un corps de nation formé par des tribus associées, d'origines diverses, unies entre elles par une communauté d'intérêts, de traditions et de langue, sur le sol de la Gaule (C. Jullian), — les Ligures, disons-nous, y avaient apporté, peut-être même y avaient-ils trouvé, la croyance en de multiples Génies : Génies des montagnes, des sources et des rivières ; Génies des arbres et des lieux. Ils les vénéraient sous des noms qui ne nous sont connus qu'en partie, et ils les confondaient, parfois avec de grands dieux communs à plusieurs de ces primitives peuplades. Ce sont ces innombrables divinités locales des Gaules qui frappèrent si particulièrement l'esprit des Romains conquérants.

Et cependant « les esprits sont tous malfaisants ou capables de le devenir ; la terre, les eaux et l'air fourmillent de « bactéries » redoutables. L'homme est aussi un danger pour l'homme, au sens matériel et au sens magique : chacun craint son voisin et est redouté de lui... Pour assurer à

(1) Daremberg, Saglio et Ed. Pottier, membres de l'Institut : Dietionnaire des antiquitéB Grecques et Romaines (Paris (1900-1914). Cf. Articles : Génie, Fortuna, Tulela, etc., par M, Hild,


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l'homme une liberté relative, il faudra que la coutume lui enseigne les moyens de désarmer, de concilier les esprits malins, dit M. Salomon Reinach »rDe là, des supplications des purifications, des rites de toute nature.

Les familles, les clans, les tribus, les peuplades, avaient leur Génie propre ; de même les Vici (quartiers ou bourgs), les Pagi (petits pays), les Civitates (cités ou territoires étendus) et les accidents du sol. Leur nom se confondait avec celui du Pagus, de la tribu qui le peuplait et du Vicus dont il était le centre politique et religieux, le chef-lieu.

Il semble qu'à l'époque gauloise, le Limousin a compté six Pagi : la Combraille, le Rançonnais, la Ligoure ou Ligora le Nigremontais, l'Uzerchois, le Turennois ou Tomes (1). Ils avaient pour chefs-lieux Chambon, Rançon, Châlus, Saint-Georges-Nigremont, Uzerche et Turenne. Chambon tirait son nom de celui des ses habitants, les Gambiovicenses et se nommait alors Cambiovicum, ou Vicus Cambonum ou Cambolha, — cette dernière appellation désignant la divinité du Pagus (Maximin Deloche) — Rançon (aujourd'hui Rilhac-Rancon) de celui de sa tribu, les Andecamulenses, et s'appelait Andecamulum; Châlus de celui de sa peuplade, les Leuci et se nommait Leucus.

On ignore encore le nom des tribus vivant dans le cadre des Pagi de Nigremont, d'Uzerche et de Turenne. Mais comme

(1) Au temps de la Gaule indépendante, le nombre et l'étendue des Pagi variaient suivant la configuration et les ressources du sol, la densité de la population et la répartition des familles. Us apparaissent plus nombreux dans les pays de plaine et de demi-relief que dans les pays de Montagne. On en compte quatre chez les Helvètes. Leur chiffre est plus élevé dans l'Ile de France et la région de Paris. Si l'on considère, d'une part, que les Romains multiplièrent les Pagi en démembrant les primitifs, trop vastes, à leur jugement, et que de l'autre, les Carolingiens les ramenèrent à quatre (Limoges, Nigremont, Uzerche et Turenne) en s'inspirant sans doute des cadres anciens, on peut, par hypothèse, il est vrai, fixer à six le nombre des Pagi de la cité des Lemoviques, l'existence de ceux de Combraille et de Châlus, absorbés l'un par Nigremont, l'autre par Limoges, étant connus dès la période celtique.


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trois de ces centres de Pagi, sur six, ont tiré leur dénomination de celle de leurs peuplades, il dut en être de même pour les centres de ces trois derniers. Et, comme d'autre part, le Génie propre aux Cambiovicenses, Cambolha, s'identifiait à celui de la peuplade et du Vicus central, ne s'ensuit' il pas que le nom du Génie des autres Pagi ne saurait remonter à une source différente? En d'autres termes, nous posons ce principe que le nom de ces Pagi, de leur tribu ou peuplade, de chacun de leurs chefs-lieux et de leur Génie particulier, devait être le même.

Indépendamment de ces Génies de Pagi, il y avait aussi des Génies de frontières, généralement à la limite de deux Pagi (1). Il en était de même à la frontière des Civitates.

Ces Génies étendaient leur protection sur les peuples vivant dans leur cadre. Ils étaient implorés pour faire régner entre les tribus voisines, la paix et la concorde. Dans l'histoire de la civilisation, les frontières des grandes et des petites nations ont joué un rôle considérable et réglé l'état des relations de tribu à tribu, de peuple à peuple. Limitée naturellement par des forêts, des marécages, des étendues désertiques, un cours d'eau, une chaîne de montagnes; tracée par la volonté et la confiance réciproque des hommes, consentie par la nature, bénie par les dieux, la frontière commune était considérée, dans l'antiquité, comme une entité physique et morale, comme une personnalité vivante et sacrée. Sa violation engendrait, les pires calamités, provoquait des mêlées effroyables, déterminait le carnage et la dévastation. Mais si elle pouvait être la source de maux incalculables, elle ne manquait pas de produire d'inappréciables bienfaits quand l'accord parfait régnait entre voisins. Aussi bien ne doit-on pas s'étonner d'y voir élever des autels à la divinité de la bonne entente. Sur un des points

(1) A. Bizanet, aux Clauses (Aude), aux limites du subvrbium de la Narbonne gallo-romaine, M. Rouzaud a découvert une inscription (Finibus et Genio loci) qui ne laisse aucun doute sur ce genre de vénération.


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de la frontière, on s'assemblait, on fraternisait, on échangeait des idées et des produits par la tenue des foires sur le forum, aménagé à cet effet, et de marchés, sur le magus (champ). En outre, on s'y divertissait, par des spectacles et des jeux, et on y invoquait, en commun, le Génie de cette frontière lequel ne pouvait être qu'un dieu tutélaire, dispensateur de la Joie et de l'Abondance, dans la sérénité d'une paix auguste, féconde et durable.

Dans la majeure partie des cas, ces « champs sacrés de frontière », se trouvaient situés dans un lucus, un bois sacré (1), où le culte des arbres était associé à celui d'une source dans laquelle résidait un Génie, — soit une fée (fada) ou dame. Ce bois sacré s'ouvrait, généralement, en une partie de la forêt, dans une clairière aux larges aires, sur une ample échappée du terroir, sur une échancrure de la nature montrant l'échelonnement plus ou moins lointain, et le moutonnement des collines et des sylves les couvrant. Ausone, le poëte bordelais, disait que les vieux bois sacrés, les Luci, étaient la gloire des Pagi, et Pline : « Non moins que les statues diverses où resplendissent l'or et l'ivoire, nous adorons les bois sacrés et, dans ces bois, le silence même ».

Sénèque écrivait, à Lucilius : « Ces bois sacrés, remplis d'arbres séculaires, d'une hauteur inusitée, où les rameaux épais, superposés à l'infini, dérobent la vue du ciel, la puissance de la forêt et son mystère, le trouble que répand en nous cette ombre profonde qui se prolonge dans les lointains, tout cela ne fait-il pas naître l'idée que là réside un dieu ? »

En Limousin, pays forestier, les Luci durent être nombreux, comme le sont les fontaines sacrées auxquelles un culte, en marge de l'exercice de la religion chrétienne, est encore rendu pour obtenir du Ciel une protection, une guérison, l'accomplissement d'un voeu (2). De même les sanctuaires élevés aux grands et petits dieux du Panthéon Italo(1)

Italo(1) lucus ou leucos vient le terme de Luc, assez fréquent dans la toponomastique du Limousin.

(2) Cf, J.-B. Champeval : Le Culte des Fontaines (Annuaire de


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Celtique. Malheureusement, la pauvreté de notre épigraphiè gallo-romaine n'a pas encore permis d'en dresser une liste satisfaisante, — on verra pourquoi, — ni celle des divinités propres au peuple de la nation des Lémoviques. Cependant quelques inscriptions nous révèlent que Cernunnos, le dieu cornu, symbole, croit-on, des confluents, était adoré à Chassenon (Cassinomagus), dans le Confolentais, tout au moins; le dieu au maillet, appelé Teutatès ici, Sucetlus là, — le Dis Paie?' de Jules César, peut-être, en qui les Druides reconnaissaient l'ancêtre commun à tous les Gaulois, — au Puy de Jouer, l'antique Proetorium, (le musée de Guéret en possède une image) ; Durrico ou Duoricus, à Arrênes (Creuse), divinité topique, comme Euvahon, ou Iuvaha, la déesse de la « source bouillonante », à Evaux-les-Bains, et Cambolha, à Chambon-sur-Voueize, dont nous avons déjà parlé; Tutela, à Tulle; Epona, la déesse équestre, protectrice des chevaux et des écuries, qu'on plaçait, aux relais, dans les hôtelleries, et les Matres ou Bonnes-Mères, gardiennes des carrefours de routes et des confluents de rivières (la Pierre de Saint-Martin, à Jabreilles, près Saint-Goursaud, en est une représentation triadique), ça et là; Mercure, déification romaine de Teutatès, à Mercoeur, à St-Martinle-Mault, à Persac, au Marcoux à St-Christophe en Drouilles (marmots de la Feyte et Monismes) et autres lieux (1).

la Corrèze, Tulle, année 1888); — Louis de Nussac : Les Fontaines en Limousin (Bulletin du Comité des travaux historiques et archéologiques, Paris, 1897); — Gaston Vuillier : Le Culte des Fontaines en Limousin [Le Tour du monde, Paris, année 1901); L. Duval : Esquisse marchoises, Guéret, 1879; — G.-Michel Coissac : Mon Limousin, Paris, 1913.

(1) Les inscriptions, statues, débris de statues et autels élevés aux divinités païennes, dont il est ici question, ont été révélés au public par les comptes-rendus de recherches et découvertes faites par les auteurs et publiés dans le Bulletin de la Société historique et archéologique, de Limoges, et celui de la Société des sciences naturelles et archéologiques, de Guéret (Voir les tables annuelles, décennales ou générales).

Cf. C. Espérandieu : Inscriptions d,e la cité des Lemovices, Paris, 1891,


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Ce Teutatès, — confondu parfois, suivant les régions, avec Lug, Ogham, Ohgim, Oghmius, etc., — était le principal dieu des Gaulois, et on le vénérait sur les hauteurs principalement. Comme l'Hermès grec et le Mercure latin, le Mercure Gaulois passait pour avoir créé l'alphabet, ordonné le calendrier, borné les champs, tracé les routes, réglé les poids et mesures, estampillé les premières monnaies, inventé le tétracorde. Il protégeait les arts et les lettres, enseignait le négoce et conduisait les voyageurs sur les routes. Son culte était universel du Rhin aux Pyrénées, des Alpes à l'Océan, et persista longtemps. Le moyen âge le continua par celui de Saint-Michel. En cette divinité, que Lucain nous représente comme avide de sang humain, s'incarna le génie même des Arvernes. Ils lui élevèrent un temple magnifique sur le sommet du Puy-de-Dôme. Sous son appellation romaine, Mercorius, il a qualifié des lieux, où des autels lui furent élevés, notamment ceux de Mercury 7, Mercurey, le Marcoux, Mercues, Mercou, Mercoeur, etc. En ce qui concerne ce dernier, sis en Saintrie, d'aucuns y ont pu relever la survivance d'un gentilice, Mercimacus, désignant le fundus d'un patricien indigène ou immigré, — les noms divins ayant été pris de bonne heure par les hommes. Mais la présence sur le territoire de Mercoeur d'un village de Luc ( de lucus, bois sacré) et de la fontaine des Dames, près de laquelle subsistent des débris de construction romaine, appartenant sans doute à un cancel (oratoire rural) ruiné, ne peut que faire penser à une enceinte consacrée à un dieu, à Mercure, en l'espèce (1).

Sous la domination romaine, les divinités olympiennes, apportées par les conquérants, se trouvèrent noyées dans le flot des grandes déités et des génies domestiques de la Gaule,

(1) MM. C. Jullian et le C Espérandieu ont signalé et commenté une inscription de Bordeaux émanant d'un lémovique, Veduco, qui rendit un hommage à Mercure dans cette ville. Or, Viducus. serait une épithète de Mercure, comme Vesucius, par le dérivé Viducius. Ajoutons qu'en Gaule on trouve d'autres épithètes de Mercure sous les formes ; Magniacus, Tourenus, qui pourraient bien expliquer les noms de Magnac et Turenne, à leur origine.


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comme le remarque justement M. Bulliot. Le plus grand nombre de leurs figures finirent par se rattacher aux croyances de Rome. Dans le culte voué aux dieux à marteau, à cornes, aux chevelures et barbes bouclées ; aux Triades, aux Bonnes-Mères, aux génies de tout acabit de l'un et de l'autre sexe, on mêla les rites importés. Dans le Bas-Empire, la fusion était presque complète et les dévotions confondues. Du moment que de cette absorption et pénétration réciproques continuaient de dériver les biens nécessaires à la vie, qu'importaient les noms personnels et la représentation, arbitraire et confuse des attributs prêtés aux divinités parles Latins, d'une part, par les Gaulois de l'autre? Il est donc vraisemblable que si Teutatès doubla Mercure ou Pluton, Belenus put prendre le visage d'Apollon, Taranis celui de Jupiter, Esus celui de Mars ou de Sylvain, l'un et l'autre peut-être; telles autres divinités secondaires les formes de Diane, de Vénus ou de Priapus. En tout cas, on a relevé, dans le Limousin, maintes traces laissées par le souvenir du polythéisme de Rome et même d'Asie (1).

On s'accorde à voir un temple de Jupiter, le grand dieu Indo-Européen, sur l'emplacement où s'élève la cathédrale Saint-Etienne, à Limoges. On s'entend moins sur la destination primitive de la colline de Montjovy, suivant qu'on ortographie ce nom Mont-Jovis ou Montjauvy (Mons-Gaud.ii). Dans le premier cas, Jupiter y serait pour quelque chose ; dans le second, ce serait la Joie qui interviendrait, la Joie éprouvée par les Limogeois lorsque sévissait le mal des Ardents et que les reliques de Saint-Martial furent exposées à la vénération publique sur cette butte où des miracles se produisirent alors. Mais ce mont portait un nom antérieurement à cet événement et on ne dit pas lequel. Aurait-il disparu subitement, emporté dans l'oubli le plus profond par la liesse populaire? En règle générale, les abs(1)

abs(1) est possible qu'au Mnotceix et à Châlus, Mars ait eu un sanctuaire, si nous rapprochons les formes anciennes du nom de ces localités (Monlecenso, Monscensus pour le Montceix ; \Leucos, Leucus, de Cailusium, château luisant, ponr Châlus), des épithètes gauloises du dieu guerrier : Cemenellus et Leucelius ou Loucetius (éclair).


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tractions entrent bien peu dans la dénomination des lieux. Celle de Mons Gaudii paraît avoir été employée par corruption ou dans le but de détourner l'attention des fidèles d'un souvenir païen. Le clergé avait intérêt à le faire disparaître. Nous tenons la forme Mont-Jovis pour exacte et, conséquemment, en rapport avec le culte de Jupiter. En tout cas, elle ne pourrait dériver pour le moins, qu'un de ces monjoies (Mons-Joia), tertres naturels ou factices, si nombreux sur les routes gallo-romaines et qui' servaient d'indicateurs aux passants. Ces tertres étaient dédiés à une divinité, à Mercure généralement. Les chrétiens les sanctifièrent en élevant sur leur emplacement des croix où ils faisaient des oblations. A La Roche-Abeille et à Ausiac (Saint-Laurentles-Eglises), ont été aussi découverts des traces d'autels élevés au maître des dieux (1).

Des traditions, ayant cours au xvne siècle, plaçaient à Brive un temple de Priapus. Ce serait même en tentant d'en renverser les idoles que l'ermite de Savignac, le compagnon de Laurens, saint Martin, dit l'Espagnol, y aurait subi le martyre en 407. Ainsi il serait devenu le patron de la cité Gaillarde. Priapus, comme Saturnus, une des plus vieilles divinités du Latium, ne dut pas connaître que les hommages des Brivistes, une statuette de Priapus, trouvée à Limoges, a été prise, à tort, pour une image du dieu Terme. Mais Terminus n'a pas, à proprement parler, de forme anthropomorphisée. Sur les édicules de bornage, l'effigie de Jupiter seule apparaît le plus souvent (2).

Le culte de Priapus était extrêmement populaire dans les campagnes. C'était, en effet, un dieu rustique. Il donnait aux champs la fertilité, aux troupeaux la fécondité, aux jardins et aux vergers l'abondance. Il étendait sa protection

(1) Le nom du mont ou Puy de Jouer [Jové) semblerait aussi en rapport avec le culte de Jupiter. Ussel également [Uscella, Uscello, Oxcello, Uscellum), et encore Uxellodunum, Uxellus étant une épithète gauloise du grand dieu olympien.

(2) Une image de Priapus trouvée dans les ruines du château de Treignac, au siècle dernier, a été considérée comme un témoignage de la débauche seigneuriale!!!


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sur les cultures et les chaumières; assurait la sécurité des bois, la pureté des sources ; châtiait les maraudeurs et les voleurs, s'opposait aux entreprises des oiseaux pillards. Ses images se dressaient en plein air, ses oratoires au milieu des jardins et des vignes. Parfois, elles prenaient l'aspect d'un épouvantail. Plaisamment, on surnommait ce dieu, le « gardien des citrouilles », parce que cette cucurbitacée symbolisait la fécondité végétale. N'adorait-on pas la citrouille à Syscionne? Confondu avec Pan, le « Grand-Tout », Priapus finit par personnifier la nature entière, la puissance fécondante de l'Univers. Par assimilation, son pouvoir divin s'étendit à l'homme et à la femme, aux mystères de la génération, à la satisfaction des désirs sexuels. Dès lors l'attribut de la virilité, le phallus, devint une façon de talisman et l'emblème de la force procréatrice. Peu à peu, le culte de Priapus s'offrit sous la forme phallénique et devint inséparable de l'idole même. Dans le Bas-Empire, au déclin du paganisme, tous les Génies gaulois, auxquels on attribuait un pouvoir reproducteur et génésique, se trouvèrent réunis en elle. Aussi bien la notion d'une chose sacrée et celle d'une chose impure se confondait souvent dans les croyances anciennes.

Priapus était un dieu paterne et plaisant. Il se laissait railler dans des vers égrillards. Au théâtre, il figurait sous les traits d'un personnage grotesque, portant à rire (1). Les fêtes célébrées en son honneur, — les phallophories — continuaient les saturnales, à la même époque. Il était venu d'Orient en Gaule par l'Italie où on le vénérait encore sous le nom de Muturus Tuturus. Mais il avait eu dans le renard un précurseur parmi les peuplades préceltiques. Élevé à la dignité de totem, d'animal sacré, le rusé compère était considéré par elles comme le symbole de la fécondité végétale. Il suffisait qu'il passât dans les cultures pour que celles-ci devinssent belles et abondantes. Le souvenir

(1) Cf. Dictionnaire des antiquités grecques et romaines, op. cil. (article de M. F. Cumont).


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inconscient de ce totémisme est encore vivant dans nos campagnes limousines (1).

Des survivances du culte de Priapus sont à signaler en Limousin. Notons, d'abord, qu'une partie du pouvoir reconnu à cette divinité a passé au nombre des prérogatives les plus précieuses de celles dont jouit Saint-Léonard, auquel on s'adresse pour obtenir l'heureuse délivrance des femmes, la fécondité d'icelles, le choix du sexe de l'être enfanté. Le fameux verrou de son église principale, aujourd'hui disparu, ne présentait-îlpas les apparences, grossières, il est vrai, d'un phallus? (2). Notons, ensuite, la confection, dans les familles, le dimanche des Rameaux, — coïncidant approximativement, avec la date des fêtes priapiques, — d'un gâteau à trois branches, plus ou moins égales, la « cornue » (la cournuda a très banas), dont on orne encore le rampai des enfants. Devenue, par sanctification, le symbole de la Sainte-Trinité, cette pâtisserie affectait primitivement une forme sur laquelle il ne serait pas convenable d'insister (2). Enfin, tout le monde connaît les baboulhis, ces frustes mannequins que l'esprit prévoyant de nos paysans place dans les champs pour en éloigner les moineaux et les alouettes, dévorateurs d'épis, les merles, geais et loriots, friands de cerises et autres' fruits, les grives avides de raisins (3). Ils rappellent la vieille croyance en Priapus. Mais qui s'en douterait? Mentionnons, en outre, le rite des épousailles,

(1) Cf. D. Drouet : Le Renard, génie de la végétation en Limousin (Limoges illustré, année 1913.

(2) Suivant Marvaud, qui s'appuie sur un texte dont il n'indique pas la provenance (Hoc in templo panes, alii virilis, alii muliebris offerabantur us'que ad annum 1452), la coutume se maintint, jusqu'au x\" siècle, d'offrir, dans le moustier de Saint-Martin de Brive, des pains en forme de phallus et d'autre chose dont la reproduction n'a pas complètement disparu de nos boulangeries.

(3) L'image antique de Priapus apparaissait dans les champs' comme épouvantail, sous l'aspect d'un homme mal taillé à coups de hache, dans un tronc d'arbre, où l'on enfonçait, en manière d'attribut, un gros pieu peint en rouge. Dans les mains, on plaçait un faix de. bois, sur la tête un roseau que le veut agitait. Aujourd'hui, un vieux chapeau, des haillons, posés sur deux morceaux de bois en croix, fichés en terre, ont remplacé la vieille idole.

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toujours en usage, qui consiste à jeter sur les mariés, des grains d'avoine, substance aphrodisiaque, tout le long du cortège nuptial, et dans leurs verres et assiettes, au cours du repas de noce, sans omettre celui de la rôtie, bol de lait ou de bouillon, fortement épicés, porté aux époux, dans leur chambre, la nuit. La coutume, si curieuse et si pittoresque du coq de carnaval, où Chantecler est promené, jugé, condamné, par une burlesque cour de justice, puis mis à mort et mangé dans un festin, toutes les fois que dans une commune aucun mariage n'a été célébré dans Tannée, ne s'apparenterait-elle pas aussi à des survivances priapiques?(l).

Apollon-Grannus, divinité primaire du temple en Gaule, ou Apollon-Belenus, Minerve, Pluton, Hercule, Diane (appelée dans certains cantons celtiques, Badiance), ont été en faveur, sans aucun doute, chez les Lémoviques. Des images et des inscriptions trouvées à Limoges, à Rançon, l'existence, à Glanges, d'un Pu]' de Diane, en font foi. Vénus — simple abstraction marquant le désir, dont le nom manque dans les listes anciennes de divinités latines, mais qui fut tirée de son obscurité quand il fallut trouver un pendant à l'Aphrodite des Grecs (2), — semble bien aussi avoir été en honneur chez ce peuple. Une de ses statuettes fut découverte à Limoges, dans le quartier de la Courtine. On ignore le prototype celtique de la déesse de l'Amour; mais il devait exister. Neptune fut vraisemblablement l'objet d'une certaine vénération dans l'ouest du Limousin, si nous nous en rapportons à un groupe de Ghassenon représentant un dieu marin, porté sur la croupe d'un triton à queue de dauphin. Nombre d'autres autels païens, non encore identifiés, sont

(1) Sur le Coq de Carnaval, voir Lemouzi, année 1900 (art. de L. de Nussac et J.-B. Lavialle).

Il va sans dire qu'ici, à propos du culte de Priapus, il n'a pas été fait état des nombreuses reproductions phalliques figurant dans Tri.pon (Historique monumental...). Elles sont l'oeuvre, toute de fantaisie, du comédien-dessinateur Beaumesnil. Nous avons cherché ailleurs nos témoignages comme en a ou le voir.

(2) Salomon Reinach : Orpheus, Paris 1914.


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signalés un peu partout dans notre province. D'aucuns sont en rapport avec des religions asiatiques.

Le populaire, nous apprend M. Camille Jullian, ne voyait dans toutes ces divinités du Panthéon gallo-romain que des êtres corporels, un peu trop proches de lui. « Or, il y avait dans le monde apaisé et unifié qu'avaient créé les lois de Rome, un ardent besoin de croire à un pouvoir plus lointain et plus mystérieux, plus divin comme origine, plus paternel comme nature... C'est pour satisfaire ce besoin d'aimer, d'espérer, de donner à une puissance bonne et mystérieuse son âme et sa vie, que les Gaulois accueillirent les divinités de l'Orient ».

Les Lémoviques suivirent l'exemple de ceux qui adorèrent la divinité égyptienne Isis, « la déesse aux mille noms », la « tendre mère des mortels », en lui élevant quelques autels, non pas à Yssandon (Isidis-Dimu?n, la montagne d'Isis, comme le ditMarvaud, à faux), maisbienà Aubusson, à Vicq et autres lieux, où le sol a rendu de ses images (1). Ils se firent aussi les dévots de la Grande-Mère des Dieux, de la Cybèle phrygienne, si Ton s'en rapporte aux vestiges de son culte relevés notamment à Flavignac et à Ghateauponsac. C'est en son honneur qu'avait lieu l'étrange cérémonie des tauroboles ou immolation d'un taureau et aspersion des fidèles avec son sang. Il se peut que le dieu persan de la Lumière, Mithra, ait eu des adeptes en Limousin, parce que son culte, par les agapes fraternelles qu'il ordonnait et les pieuses confréries qu'il inspirait, fut extrêmement populaire en Gaule, au 11e et au 111e siècle. Mais, jusqu'ici, aucune trace de ce culte n'a été signalé, — l'image de ce dieu, conservé au château de Bach, paraissant provenir d'une province méridionale voisine.

Quant au Druidisme, venu très probablement d'Asie, à la suite des Ligures, sans doute, — il n'est pas proprement celtique, — c'était une sorte de religion philosophique, mêlée de pratiques magiques et de sorcellerie. Il se confondait

(1) Pour mémoire, mentionnons la découverte de sphynx à Bessines.


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avec le culte de la Terre-Mère, auquel nos plus anciens ancêtres tenaient si fortement. Si Cybèle, la grande Mère des Dieux, occupa une si grande place, sous l'Empire, dans les dévotions des pagani, c'est parce que son culte renouvelait et rajeunissait celui de la Terre-Mère. Les chrétiens ne purent arriver à l'abolir qu'au prix des plus tenaces efforts et des plus grandes peines. Peut-être l'extension de ce culte fut-il un des facteurs de la décadence du druidisme après la conquête. Quoi qu'il en soit, les Druides remplissaient en Gaule un rôle considérable. Ils formaient une caste sacerdotale puissante et respectée, recrutée dans l'élite de la nation. C'étaient des pontifes d'un ordre élevé, des magistrats à compétence universelle, des éducateurs de la jeunesse aristocratique, laissant le commun croupir dans l'ignorance et les superstitions grossières. A la tête des Civitates et des Pagi, en nombre déterminé par l'importance de la population, ils présidaient à la vie religieuse, s'assemblaient périodiquement, en une sorte de concile, dans la plaine de Chartres, et allaient, croit-on, à l'an nouveau, suivant un vieil usage, cueillir le gui sacré sur le chêne-rouvre. « Le culte (druidique) exigeait, dit-on, des sacrifices humains ; en réalité, la justice criminelle n'étant pas encore laïcisée, nous confie M. Salomon Reinach, les Druides présidaient à l'exécution des condamnés de droit commun et y procédaient suivant leurs rites, dont l'un prescrivait de brûler, à certaines époques, des mannequins où étaient enfermées les victimes. Il y avait aussi des imitations avec simulacres de sacrifices : les Druides tiraient de leurs dévots quelques gouttes de sang. » Répandu, sinon sur des dolmens (ces monuments funéraires sont antérieurs à la période celtique), du moins en des enceintes consacrées, ce sang devait rendre la terre propice aux hommes, en tant que divinité. A l'époque de César, l'influence du druidisme était en décroissance en Gaule ; il ne devait pas tarder à en disparaître complètement, à mesure que les hautes classes, dont il était la religion, adoptait les croyances nouvelles du panthéisme latin.


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Le culte voué à Rome et à l'Empereur divinisés, le culte des Augustus, domina tous les autres et les tint, en quelque sorte, dans sa dépendance. Une inscription de Rançon nous donne l'idée qu'il devait être rendu dans tous les chefs-lieux de Pagi, à certaines dates. On devait aussi le célébrer dans la capitale de la Civitas. Limoges portait, d'ailleurs, le nom de l'empereur Auguste, Augus loritum, le gué sacré d'Auguste, sur la Vienne. A Bourges, capitale de la province à'Aquitanica Prima, il revêtait plus de solennité. Mais c'est surtout à Lyon, à l'Autel du confluent (de Rhône et Saône), au mois d'août, que le culte impérial revêtait une magnifique et incomparable pompe. A ces grandes assemblées prenaient parties représentants de toutes les Cités gallo-romaines, choisis parmi les notables, et une foule de gens venus de toutes parts. Au pied de la statue sacrée, personnifiant l'Empereur-dieu, dont le somptueux sanctuaire se trouvait desservi, d'une manière permanente, par autant de prêtres que toutes les Gaules comptaient de Civitates et peut-être même de Pagi, on brûlait l'encens de l'obéissance et de la fidélité. Les Lémoviques y entretenaient des prêtres comme tous les autres peuples. Pendant longtemps, ils comptèrent parmi eux des membres de la famille de Licinus, voués, de père en fils, au sacerdoce impérial. Leurs statues se dressaient même dans le souverain temple (1).

Le culte rendu aux Césars fit l'unité religieuse du monde romain; il engendra et fortifia l'idée d'une patrie gauloise, d'un patriotisme gaulois, sous l'égide d'une monarchie qui, en dépit d'un régime politique autoritaire et centralisé, n'a nullement présenté, comme le dit justement M. Camille Jullian, la figure d'une « tyrannie inquiète et détestée ». Aussi nulle part la Patrie romaine n'a été plus longtemps aimée et plus dignement célébrée que dans les Gaules, surtout pendant le long espace de temps, près de trois siècles, qui marqua le règne glorieux de la « Paix Romaine ». (A suivre.) JOHANXÈS PLAXTADIS.

(1) Commandant Espérandieu : Inscriptions de la Cité d,es Lémoviques.


Société Scientifique, Historique ei Archéologique de la Corrèze

Procès-uerfrai" de la séance du 9 février 1916.

Les membres de la Société se sont réunis, sous la présidence de M. Philibert Lalande, le mercredi 9 février, à 4 heures de l'après-midi, à THôtel-de-Ville de Brive.

OHDRE DU JOUR :

Lecture du dernier procès-verbal ;

Situation financière ;

Présentation de nouveaux membres ;

Travaux admis et composition du prochain Bulletin;

Communication diverses.

Après la lecture du procès-verbal de la dernière séance, le Président donne communication d'une lettre de M. le chanoine Bouyrssonie, vice-président, qui ne peut assister à la réunion, et il exprime les regrets que cause son absence. Il fait connaître qu'il a reçu de notre collègue, M. Finck, une description de la monnaie romaine remise à la dernière séance, ainsi que les ouvrages suivants : Un petit problème de bibliographie; Jean Margerin, imprimeur à Limoges. par M. René Fage. — Legendas Lemouzinas, par M"e Margarita Priolo.

M. Lalande leur adresse, au nom de tous, ses vifs remerciements pour leur gracieux envoi. Il remet ensuite aux membres présents des exemplaires d'une circulaire du Ministère de l'Instruction publique relative à une enquête historique et économique sur les biens communaux.

Le Président, toujours soucieux de faire connaître les faits de guerre à l'honneur de membres ou de fils de membres de la Société, communique les récompenses ou avancements suivants obtenus depuis la dernière réunion :

M. Robert Mazot, médecin-major de 2e classe au 326e d'infanterie, a été cité à Tordre de la division avec le motif


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suivant : « Pendant les attaques du 25 au 28 septembre 1915, a assuré son service de façon parfaite. A réussi à soigner un nombre de blessés supérieur à celui du régiment et à organiser leur évacuation dans les meilleures conditions de rapidité et de sécurité. » Déjà cité à l'ordre de l'armée le 1" septembre 1914.

M. Marc Doussaud, capitaine au 134e territorial, après avoir été cité àT'ordre du régiment, vient d'être promu au grade de chef de bataillon au même corps, par décision du général commandant en chef, du 6 novembre 1915.

M. Charles de Lasteyrie du Saillant, sous-lieutenant affecté au service d'état-major, a été promu lieutenant et détaché comme chef du cabinet de M. Denys Cochin, Ministre d'Etat.

Marquis de Griffolet d'Aurimont, engagé volontaire au 24e d'infanterie, blessé grièvement, a-reçu la croix de guerre. lre citation : « Brillante conduite au feu. » 2e citation : « S'est fait remarquer par son sang froid sur la ligne de feu, ajustant parfaitement son tir, et a permis à un groupe d'exécuter un tir efficace sur un poste d'observation allemand. » Proposé pour la médaille militaire.

M. Philibert d'Ussel, lieutenant au 3e d'artillerie coloniale, a été fait chevalier de la Légion d'honneur avec le motif suivant : « Donne à tous l'exemple de l'intrépidité, de l'entrain en toutes circonstances. Toujours en première ligne, a assuré les liaisons avec l'infanterie dans des conditions qui ont permis l'union intime et morale des deux armes. Officier très distingué, dont la seule présence aux avant-postes est le gage de la bonne humeur et conséquemment du succès. Blessé à la face le 7 octobre 1915, a continué à remplir la mission dont il était chargé, souriant sans forfanterie, déclarant sa blessure trop légère pour mériter l'attention. » La présente citation comporte l'attribution de la croix de guerre avec palme. Le lieutenant d'Ussel, est le fils aîné du baron d'Ussel, qui a cinq fils sur le front.

Avec ses félicitations pour ces braves défenseurs du pays, le Président, eu nom des membres de la Société, adresse


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ses douloureuses condoléauces à notre collègue, M. Raymond de Lamaze, à l'occasion de la mort de son fils Charles, tué au champ d'honneur le 5 janvier 1916, dans la 19e année de son âge. Suivant l'exemple de deux frères sous les drapeaux dès la mobilisation, ce jeune homme, après avoir rendu d'excellents services à la Croix Rouge, s'était engagé et avait demandé à partir sur le front. Dans les tranchées sa belle attitude lui valut rapidement les galons de brigadier. Il est mort en brave, atteint d'une balle au coeur, alors qu'il aménageait un créneau. Il avait su s'attirer l'estime de ses chefs et la sympathie de ses camarades. C'est, dans cette terrible guerre, le troisième de Lamaze tué à l'ennemi.

La réunion accueille chaleureusement un de nos plus jeunes sociétaires, M. Léon Lalande, retour du front avec les galons de sergent, suite des glorieuses citations, médaille militaire et croix de guerre, signalées à la dernière séance.

M. de Valon, vice-président, prenant la parole aux lieu et place de M. Gourdal, trésorier, empêché, expose la situation financière : les comptes du budget de 1915 sont approuvés.

Sont admis comme nouveaux membres de la Société :

M. Bernard Marque, professeur au lycée de Tulle, présenté par MM. de Valon et de Nussac;

M. Adolphe Ulry, percepteur en retraite, présenté par MM. de Nussac et Lafarge.

M. Ulry offre, comme bienvenue, des exemplaires de son récent ouvrage (1913) Donzenac autrefois, aujourd'hui, dont il avait fait don déjà à la bibliothèque de la Société. — Remerciements.

M. de Valon présente les manuscrits suivants qui sont acceptés :

LTnvasion calviniste en Bas-Limousin, Périgord et Haut-Quercy, par M. Bertrand de Boysson ;

La Confrérie des Pénitents blancs de Donzenac (1610-1810) par M. Adolphe Ulry.


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Le vice-président donne ensuite la composition du Bulletin pour le second semestre 1915 :

1° M. Laffon. Suite de son travail sur Les Annales de Larche ;

2° M. J.-B. Finck. Etude sur les divers ateliers monétaires du Bas-Limousin depuis les Gaulois jusqu'en 752;

3° M. René Fage. Livre de raison des Marue et des Froment depuis le XVIe siècle ;

4° M. de Nussac. Biographie Briviste : François Sauvage ;

5° M. Tabbé Echamel. Prieuré et collégiale de Ture?ine;

6° M. le colonel de Conchard. L'Armée et la Capitulation de Metz jugées par les Allemands;

7° M. Trespeuch. Chronique municipale de Turenne (1830-1850)

8° M. Marque. Le Planh de Bertrand de Boni. — L'Inscription gallo-romaine du musée de Brive;

9° Procès-verbal de la dernière séance.

A l'occasion de son article « L'armée et la capitulation de Metz jugées par les Allemands », le colonel de Conchard rappelle que le maréchal Bazaine fut condamné à la peine de mort avec dégradation militaire, peine qui fut commuée en 20 années de détention par le maréchal Mac-Mahon. En 1874, c'est-à-dire Tannée suivante, Bazaine, interné à l'île Sainte-Marguerite, près de Cannes, s'en évada et se réfugia en Espagne. On raconta alors que Bazaine, trompant la surveillance de ses gardiens, s'était, comme un héros de roman, malgré l'âge et l'obésité, échappé de la forteresse par une échelle de corde et avait été recueilli dans une barque par des amis qui l'avaient conduit en lieu sûr.

L'histoire vraie est bien différente de la version officielle. Le colonel de Conchard l'apprit, la veille du jour où l'événement fut connu du public, par une personne du palais de Castille habité alors par la reine Isabelle d'Espagne. Cette princesse ne fut pas étrangère à l'évasion. On sait, en effet, que le maréchal Bazaine, commandant le corps expéditionnaire au Mexique, avait épousé en secondes noces une jeune Espagnole d'une des meilleures familles de Mexico, MIIe de


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la Pena de Barragan; il sspérait utiliser cette alliance dans un but ambitieux, ne rêvant rien moins que de devenir Empereur du Mexique.

En 1873, bien des gens, ignorant l'incapacité de Bazaine comme général en chef et ses relations coupables avec l'ennemi, voulaient encore le regarder comme une victime malheureuse de la politique. Sa femme sut habilement exploiter ces doutes. Très bien vue, d'ailleurs, comme Espagnole au palais de Castille, elle intéressa au sort de son mari la reine Isabelle. D'un autre côté, Bazaine avait servi, comme capitaine dans la légion française prêtée à la reine Christine, la cause de celle qu'on appelait alors « l'innocente Isabelle » contre son compétiteur, le premier don Carlos. On rappela ces souvenirs. Isabelle, qui avait le coeur bon et généreux, demanda la grâce de Bazaine, insista auprès du maréchal Mac-Mahon qui, après une longue résistance, se laissa vaincre. C'est ainsi que le directeur de la prison SteMarguerite, assuré de n'être pas sérieusement blâmé, se relâcha de sa surveillance et laissa partir l'ex-maréchal. Celui ci mourut en 1SS8 à Madrid dans la misère et l'abandon.

Passant de 1870 à 1916, le commandant de La Leyssonie, dans un beau mouvement de patriotisme, envoie son salut respectueux aux morts héroïques qui dorment leur dernier sommeil au bord des tranchées et le témoignage de son admiration aux braves qui défendent le sol de la patrie et vers lesquels vont toutes nos pensées et tous nos espoirs.

M. Louis de Nussac présente la deuxième de ses biographies brivistes, celle du docteur Georges Rouffy (1816-1884) faite à l'aide d'ouvrages de son ami Alphonse Daudet. Il demande que son travail, quand il paraîtra dans le Bulletin de la Société, soit illustré de la photographie de la maison Rouffy, menacée de démolition par le dégagement de l'église Saint-Martin, et delà vue du monument que les concitoyens du docteur lui ont érigé à Draveil (Seine-et-Oise) et qui figure sur des cartes postales avec une légende des plus élogieusespour sa mémoire.

M. de Nussac présente encore, comme exemple de ses


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monographies historiques et descriptives des voies publiques de Brive, celle de la Grand'Place qu'il avait promise à la dernière séance. Son travail est devenu remarquablement intéressant, grâce au relevé du plan Massénat de 1745 sur lequel M. Duché, agent-voyer conducteur des travaux de la ville, et son habile dessinateur, M. Léon Rafal, ont porté les indications des modifications actuelles : ce qui a disparu est marqué en pointillé et ce qui existe en lignes pleines. Le croquis, soigneusement vérifié sur place, retient vivement l'attention de la réunion et rend très clair l'exposé de M. de Nussac expliquant comment la Grand'Place s'est formée aux dépens du cimetière, de dépendances du prieuré de Saint-Martin, racontant l'histoire des bâtiments et maisons qui la bordent, décrivant monuments détruits ou subsistant, narrant les faits passés et l'évolution économique des halles et des marchés tenus depuis l'origine au coeur de la cité briviste.

Cet exposé suscite maintes remarques de l'auditoire, notamment de MM. J. Verlhac, Philibert et Julien Lalande, de Chauveron, ainsi que de M. Duché qui est particulièrement félicité et remercié de son plan destiné à être publié dans le Bulletin.

Procès-verbal de la séance du 11 mai 1916

Les Membres de la Société se sont réunis le mercredi 17 mai 1916, à 4 heures de l'après-midi, à l'Hôtel-de-Ville de Brive, sous la présidence de M. Philibert Lalande.

ORDRE DU JOUR : Désignation du Trésorier ;

Travaux admis et composition du prochain Bulletin ; Lecture du dernier procès-verbal ; Présentation de nouveaux membres ; Communications diverses.

Après la lecture du procès-verbal de la dernière séance


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pai le Secrétaire-général, deux nouveaux membres sont admis dans la Société : M. Jacques Claret, agent d'assurances, actuellement Lieutenant au 95me territorial, présenté par MM. de Vallon et de Conchard ;

M. Gabriel Soulié, ancien pharmacien, présenté par MM. de Valon et de Nussac.

M. Soulié est, en même temps, désigné comme Trésorier de la Société, en remplacement de M. Gourdal, démissionnaire. Le Président lui remet la Commission, qui doit lui servir de titre dans l'exercice de ses fonctions, et il remercie l'ancien et le nouveau titulaire.

M. Philibert Lalande fait ensuite connaître la mort de M. Edmond Lespinas et donne un souvenir ému à la mémoire de cet homme de bien, de cet érudit,qui faisait partie de la Société presque dès l'origine, exactement depuis 1879. M. Julien Lalande est prié de rédiger pour notre Bulletin un article nécrologique sur notre regretté collègue.

Pour continuer la tradition patriotique pendant la guerre, le Secrétaire-général lit, sur l'invitation du Président, la belle citation à l'actif de M. Pierre Soulié, sergent au 17me Régiment d'Infanterie, fils de M. G. Soulié, nouveau membre et Trésorier de notre Société : « Excellent sousofficier, très apprécié de ses chefs, déjà blessé et cité une première fois au cours de la campagne et revenu au front, a été atteint d'une deuxième blessure grave le 11 octobre 1915, alors qu'il maintenait, énergiquement ses hommes sous un bombardement intense. — Impotence fonctionnelle d'une jambe. » A obtenu la médaille militaire avec la croix de guerre.

« Par contre, nous avons eu la profonde tristesse d'apprendre la fin glorieuse de M. Jean de Lamaze, second fils de notre sympathique collègue Raymond Pradel de Lamaze, notaire à Brive ; Ce jeune héros frappé le 29 mars, moins de 3 mois après son frère Charles tombé lui aussi au champ d'honneur, est décédé le 18 avril à l'hôpital de SainteMenehould, à l'âge de 26 ans. Docteur en droit, M. Jean de Lamaze partit comme ses deux frères, avec le grade de


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maréchal-des-logis de dragons. Excellent sous-officier, il accomplit des actes de bravoure qui lui valurent sa première citation et la croix de guerre. Appelé à servir comme instructeur au Dépôt, il permuta avec un père de famille désigné pour la manoeuvre des crapouillots, nouveaux canons de tranchées, et, après un cours d'instruction à Bourges il revint au front. C'est à son poste de combat qu'il fut grièvement blessé par un éclat d'obus. Le projectile n'ayant pu être extrait, il succomba à l'hôpital entouré des siens. Il avait été avant sa mort décoré de la médaille militaire et de la croix de guerre avec palme, à la suite de la citation à l'Ordre de l'Armée suivante : « Excellent sous-officier proposé pour officier, déjà cité à l'Ordre du jour du Régiment. Blessé grièvement à son poste de combat le 29 mars 1916, a maintenu son personnel à la pièce de 240 qu'il commandait et a fait continuer le tir. » — Nous adressons à M. de Lamaze et à sa famille si cruellement éprouvés l'expression émue de nos sincères condoléances. »

M. le Président souhaite la bienvenue à M. Chaumont (de Reims) amené à la réunion par MM. Julien Lalande et Raphaël Gasperi. M. Chaumont, membre de plusieurs sociétés savantes de l'Est, est venu en Limousin pour y étudier les gisements minéralogiques et en particulier les terres à faïence et à porcelaine : il propose des échanges de publications, ce qui est accepté avec plaisir.

Les travaux suivants sont présentés et admis :

1° La Corrèze politique, militaire, judiciaire et administrative au commencement de la 2e Restauration (1815-1816), par M. le Colonel de Conchard ;

2° Biographie du briviste Georges Rouffy, par M. de Nussac ;

3° Uxellodunum, étude critique, par M. Marque.

La question d'Uxellodunum, dit M. de Valon, ne paraît pas près d'être résolue. Le travail de M. Marque, qui place la cité gauloise à Uzerche, ne peut prétendre à solutionner le problême. Mais cette étude, fruit de recherches considérables, si elle ne résout pas la question, fournira, il faut


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l'espérer, de nouvelles lumières et en tout état de cause des éléments de discussion qui pourront être mis à contribution par les savants dans leurs recherches.

Le Vice-Président donne ensuite la composition du Bulletin pour le 1er semestre 1916.

1° M. Laffon — Suite de son travail sur les Annales de L arche.

2° M. J.-B. Finck — Etude sur les divers Ateliers monétaires du Bas-Limousin depuis les Gaulois jusqu'en 752.

3° M. de Nussac. — Biographie du Briviste Georges Rouffy.

4e M. de Valon. — La famille de Valon à Rocamadour, ses droits sur les spo'i telles.

5° M. de Boysson. — L'invasion calviniste en Bas-Limousin, Haut Quercy et Périgord.

6° M. le colonel de Conchard. — La Corrèze politique, militaire, judiciaire et administrative au commencement de la 2e Restauration (1815-1816).

7° M. Plantadis. — Le culte de Tutela et des anciens dieux en Limousin.

8° Procès-verbal de la dernière séance.

La Bibliothèque a reçu, dans le dernier trimestre, les beaux ouvrages suivants :

i° (Du Ministère) Commentaires de la Faculté de Médecine de l'Université de Pa'ris (1395-1516), par le docteur Ernest Wickersheimer.

2° Mémoires de la Commission oies Antiquités du département de la Côte-d'Or. Tome XVI, 4* fascicule (1912-1913), et tome XVII, 1" fascicule (1913-1914).

3° Volume 27 (1914-1915) de la Société des Antiquaires de Londres.

4° Rapport annuel de l'Association historique américaine 1913 — en deux volumes. Washington — 1915. (Envoyé parla Smithsonian Institution avec ses vifs remerciements pour les Bulletins reçus.)

Sur le désir exprimé par plusieurs membres, le colonel de Conchard fait hommage de son livre, l'Assassinat du


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Maréchal Brune, Librairie académique Perrin. Paris, 1887, d'après les archives de la Cour d'appel de Riom, relation qui complète l'étude récente : Le Maréchal Brune pendant la lre Restauration et les Cent jours, par le même auteur.

Le Président remet une brochure : Hautefort et ses seigneurs: Souvenir du dépôt du 84e Régiment d'Infanterie en 1915-1916, par un caporal de la compagnie hors rang. L'auteur est de son vrai nom M. Gavelle, directeur des Beaux-Arts de Lille, cantonné alors à Hautefort, que M. Ph. Lalande a mis sur la voie des recherches qu'il se proposait de faire.

M. Lalande remet aussi à M. de Valon, pour examen, un travail manuscrit sur les Seigneurs de Lentillac par notre collègue, M. de Griffolet d'Aurimont, qui n'est malheureusement pas encore guéri de ses blessures.

Remise e st également faite des Éléments de préhistoire, offert, sur la demande de M. de Nussac, par M. Peyrony en souvenir de son séjour à Brive comme caporal des gardes des voies de communication. « Le livre de M. Peyrony sur la Préhistoire, dit M. le chanoine Bouyssonie, vice - président, tout désigné pour juger un pareil ouvrage, est un résumé de ce que cette science a découvert. Clair, méthodique, bien au courant, abondamment illustré, c'est un ouvrage de valeur. Il faudrait toutefois y effacer plusieurs certainement et y introduire quelques peut-être. On pourrait y ajouter un mot du crâne de Wiltdown dont le front droit est assez gênant pour certains évolutionnistes pressés de conclure. Nous y aurions vu avec plaisir les noms d'Elie Massénat et de Philibert Lalande. »

M. Louis de Nussac offre, à son tour, au nom de son ami, M. Léon Branchet et au sien propre, Las chansons galhardas qu'ils ont publiées à Brive (1913) en collaboration. Le célèbre vielleur, qui est aussi un compositeur émérite, a recueilli et développé les thèmes populaires des refrains brivistes, paroles et musique; tandis que dans une préface, la traduction et les notes, M. de Nussac a fait valoir l'intérêt de cet original recueil pour le folk-lore et l'his-


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toire locale. Le dessinateur aquafortiste M. E. Gaillot a illustré la couverture d'une spirituelle composition.

M. de Nussac présente enfin un travail complémentaire de l'étude qu'avaient commencée en 1903, dans le Bulletin de la Société, MM. L'Hermitte, archiviste, et Godard, professeur au lycée de Tulle, sur l'Histoire du Collège de Brive. C'est grâce aux archives de M. Julien Lalande mises à sa disposition, que M. de Nussac a pu tirer parti de précieux documents sur la fondation et le fonctionnement de cet établissement scolaire. Un procès-verbal d'enquête sur son état en 1667, faite par le Président François II Dumas de Neuville, lui permet défaire connaître la méthode pédagogique des maîtres, lesR. P. Doctrinaires, leurs livres classiques dont quelques-uns étaient édités par leur imprimeur et libraire local, A. Alvitre, et enfin d'identifier leurs 163 élèves de l'époque, condisciples de Guillaume Dubois, le futur cardinal. La collaboration d'une quinzaine de correspondants, la plupart appartenant à notre Société historique, a favorisé ces identifications intéressant un grand nombre de familles notables de la région : ainsi est déterminé le milieu social de la clientèle du collège de Brive au milieu du xvne siècle.

M. de Nussac ajoute à la communication qu'il a faite à la dernière séance, pour la monographie de la Grand'Place de Brive, des détails sur l'Hôtel noble de Langlade, ses dépendances et ses entours (maisons actuelles Bordes, Marcou, Lenclos, Ménard, Goursat, Fort et Eschapasse) : il en fait l'historique depuis 1412. Cette revue rétrospective lui est facilitée par un croquis du quartier en 1751, à lui procuré par M. Emile Eschapasse, notaire, dont les indications vont entrer dans le plan relevé par MM. Duché et Rafal.

Le Président remercie les donateurs des livres et travaux offerts à la Société.

Le secrétaire général, Colonel de CONCHARD.


LES

Annales de Larehe

EN BAS-LIMOUSIN

Jusqu'à la Révolution

CHAPITRE DOUZIEME Péage et Four Banal de Larehe

Les droits de péage et de banalité, ces vieux restes de l'ancien droit féodal, subsistèrent à Larehe jusqu'à la Révolution.

A l'origine, le droit de péage fut institué pour subvenir à l'entretien des ponts, ports, passages de rivières, et les seigneurs, qui le levaient, étaient dans l'obligation d'y pourvoir s'ils ne voulaient pas se le voir supprimer par le roi. (Ar. 5 de l'ordonnance des Eaux .et Forêts rendue par Louis XIV, en août 1669, titre des péages).

En ce qui concerne Larehe, le droit de péage est fort ancien et Ton retrouve aux archives de Pau les pièces en parchemin d'un procès fait par Mre Jean de Saint-Martin, lieutenant du sénéchal de Limosin « à la requ" de Dame Marguerite de Chauvigny veuve de feu Jean de Bretagne, comte de Perrigort, sur la saisie du Péage de la seigneurie de Larehe qui avait été faite à la reqte du procureur dud. lieu » (1).

Ce droit ne pouvait s'appliquer à un pont, qui n'existait pas, ni au port déjà cité dans le chapitre précédent ; car ce port appartenait à un ou à plusieurs particuliers, les possesseurs mêmes du moulin et on ne trouve aucune mention de ce droit dans les divers baux concernant le port de Larehe. Il est, au contraire, toujours lié au four banal, qui se trouvait au centre de Larehe et le même fermier avait la jouissance de ces deux droits. 11 est donc fort probable que le

vl) Arch. départementales de la Corrèze, E, 141.

T. XXXVIII. 3-4 1


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péage de Larehe, qui était un droit seigneurial, s'appliquait à un ancien port, qui existait en amont de la localité, mais depuis longtemps presque abandonné au profit de l'autre port du moulin, situé en aval, à l'autre extrémité de Larehe.

Cet ancien port est mentionné dans certains actes de catholicité, entre autres dans le décès de Pierre Védrenne, âgé de 30 ans, « hnl de l'ancien port de Larehe », le 16 juillet 1741 et dans celui de Jean Périnet « demeurant à l'ancien port », âgé de 90 ans, décédé le 21 juillet 1750 (1).

La matrice cadastrale de la commune de Larehe comprend encore douze parcelles désignées sous le nom de « vieux port » et portées dans la section B, sous les numéros suivants, avec leurs contenances respectives :

246 avec 2 ares 20 252 avec 10 ares 39

247 — 0 — 64 253 — 45 — 38

248 — 8 — 10 265 — 44 — »»

249 — 4 — »» 266 — 14 — »»

250 — 4 — 90 267 — 25 — 26

251 — 11 — 60 270 — 13 — 76

soit un total de 1 hectare 92 ares 23 de superficie.

Quant au four banal, dit aussi « four abanq » dans le Contrat d'affermé de la seigneurie de Larehe, consenti aux sieurs Noyret et Lavech et reçu Larfeuil, notaire tabeillon royal à Aven, le dernier du mois de décembre 1664(2), il appartenait au seigneur et les habitants étaient obligés d'y aller faire cuire leur pain et de payer, bien entendu, une certaine redevance au fermier du four (3).

(1) Arch. municipales de Larehe.

(2) Archives départementales de la Corrèze, E. 145.

(3) Dans son livre « La Vicomte de Limoges », p. 59, Clément-Simon dit, à propos du droit de banalité, que « dans la vicomte, il fut restreint aux fours (sous le nom de fornage) et aux moulins à blé et à tan (moulin bladaret, moulin tanaret). Je n'ai pas trouvé trace de pressoir banal, mais le vicomte percevait un droit de lods et ventes sur les mutations de propriété de ces objets mobiliers assimilés ainsi à des immeubles »,

Il en existait cependant au moins un dans le Duché de Noailles;


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Il est permis de voir dans cet usage certains avantages pour les vassaux, ne serait-ce qu'une économie de bois et de temps ; car, fonctionnant journellement, le four était plus vite chaud et les familles pouvaient s'en servir plus souvent et ne préparer chaque fois qu'une quantité de pain plus restreinte, de façon à l'avoir plus frais; mais il y avait aussi le gros inconvénient de laisser le fermier libre d'agir à sa guise, avec plus ou moins de bonne foi, d'empêcher la concurrence de s'établir et de priver l'individu du droit naturel de la liberté, que devait seule lui donner la Révolution.

En tous cas, péage et four banal, confondus sur le même contrat d'affermé, étaient payés à Larehe et venaient encore augmenter les charges nombreuses et vexatoires de nos ancêtres, au profit de leur « haut et puissant seigneur ».

Le 25 février 1747, par contrat reçu Maury, Pierre Marchant, bourgeois à Larehe et Jean Chabannes, sr de Labrauge, marchand au champ Dalou « -en qualité de fermiers de la chatellenie de Larehe ont sous-afïermé pour six années à commencer le jour et feste de la S' Jean dernier et finiront à même et semblable jour au bout desd, six années, à Jacques Lacoste travailleur habitant de la pQte ville ici pnt et acceptant scavoir est le péage et le four banal de la pnte ville est ce moyennant le prix et somme de quatre-vingt-treize livres annuellement.,... comme aussi sera tenu led. Lacoste de payer la taille et autres impositions qui se trouveront sur les rolles de la présente paroisse » (1).

Le 6 août 1764, nouveau contrat reçu Maury, consenti par « Jean Chabannes sieur de Labrauge bourgeois, lequel en

car l'on trouve dans le « Compte que rend à monseigneur le Duc d'Ayen François Pomarel avocat en parlement et juge de Larehe des Revenus dont il a fait la recette pour les six derniers mois 1739 années 1740-1741-1742 et six p«" mois 1743 », au cinquième chapitre ayant trait aux entretiens, reconstructions et réparations de bâtiments : « la somme de cent dix livres remboursée au sr Certain pour réparations faites au Pressoir Banal de Noailles suivant l'état détaillé et certifié commençant au 25 juillet 1741 ». (Arch. Pomarel, de Pazayac). 3) Étude Beaudenon de Lamaze, de Larehe.


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qualité de régisseur et aiant charge de Monseigneur le Duc d'Ayen seigneur des chatellenies de Larehe, Terrasson et Nadaillac, etc., a donné à ferme à Pierre Gibertie, hab' Larehe le four banal appartenant à Monseigneur situé en

lad. ville de Larehe et le péage qui appartient aussi à mond. seigneur » pour six ans à partir du 24 juin dernier et moyennant cent quarante livres par an (1).

C'est ce même chiffre qui est indiqué à la page 21 de la « Liève des Cens et Rentes dus à Monsgr le Duc de Noailles tant sur la paroisse de Larehe que sur celle de S' Sernin de Larehe ». faite à cette époque (2).

On constate entre les deux fermes précédentes une augmentation assez marquée de quarante-sept livres, ce qui n'empêcha pas, à l'expiration de la dernière, d'en voir le montant encore accru de vingt livres.

En effet, le 24 août 1770, toujours devant le même notaire, fut passé un autre acte consenti par Me Jacques Pomarel, notaire à Peyrefumade « lequel en qualité de régisseur et aiant charge de Monseigneur le Duc de Noailles, seigneur de la pme chatellenie de Larehe a donné comme donne par ces présentes à titre de bail à ferme à Antoine Leymarie tailleur d'habits et à Jean Valière travailleur habitans de la pme vine iCy presens et acceptans sçavoir est le four banal appartenant à Monseigneur situé en lad. ville et le péage qui appartient aussi à monseigneur tels que l'un et l'autre luy sont dus et qu'ils ont accoutumés d'être perçus par les précédens fermiers et autres personnes à ce préposés pour par les preneurs en jouir l'espace de neuf années qui commencent à courir cejourd'huy pour finir au même jour au bout des neuf années. La présente ferme ainsi faite pour le prix et somme de cent soixante livres pour chacune des neuf années paiable par led. Antoine Leymarie et led. Jean Valière solidairement et sans division ni discution et par corps à deux pactes égaux le premier desquels échoira à la

(1) Étude Beaudenon de Lamaze, de Larehe.

(2) Arch. départementales de la Corrèze, E, 141.


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noel prochain et le second à la s' Jean d'ensuite et ainsi chaque année jusques à la fin du bail » (1).

Le four banal eut bientôt besoin de réparations et, après diverses démarches, par contrat reçu Maury le 28 janvier 1774, Henry Marchant, avocat en parlement et lieutenant de la juridiction de Larehe, à la prière de M9 Brival, procureur du roy au sénéchal et présidial de Tulle et fondé de pouvoir de Mgr le duc de Noailles, consentit un prix fait pour le réparer à Sirice Chassagnac, m6 maçon à Larehe, « aux conditions et charges cy après scavoir que led. Chassagnac remetra à neuf incessament les deux voûtes dud. four comme aussi les deux gorges ou entrées dans leur entier, qu'il aura la faculté de se servir des briques qui se trouvent en état d'être employées, qu'il pourra prendre les pierres nécessaires à lad. réparation de celles qui sont à la Lapinière, sans néanmoins endommager les murs ni que led. seigr puisse être sujet à faire faire aucun transport de matériaux, qu'il remetra aux murs dud. four des pierres où elles se trouveront manquer et les récrépir en dedans et dehors. Le pavé dud. four demeurant sur le compte du fermier, qu'il sera chargé de fournir tous les autres matériaux qui lui seront nécessaires à cet effet et les voiturer à ses frais. Led. prix fait donné aud. Chassagnac par led. sr Marchant pour la somme de soixante dix livres paiable scavoir trente livres au commencement de l'ouvrage et le reste lorsqu'il sera fini parfait et visité pour être agréé et néanmoins indépendamment de lad. visite led. Chassagnac répondra de la solidité dud. prix fait l'espace d'un an et fournit pour caution de l'exécution et solidité d'icelluy la personne d'Antoine Leymarie fournier icy présent et acceptant (2).

On voit, d'après ce document, que le four banal de Larehe comprenait en réalité deux fours, puisqu'il y avait deux voûtes et deux entrées à refaire.

(1-2) Étude Beaudenon de Lamaze, de Larehe.


CHAPITRE TREIZIEME La route de Lyon à Bordeaux

La route de Lyon à Bordeaux, dite aujourd'hui route nationale n° 89, fut exécutée sur les plans de Perronet, directeur général des Ponts et Chaussées et, d'après les études du célèbre Th. Brémontier, qui devait trouver quelques années plus tard, en 1786, le moyen de fixer les dunes du golfe de Gascogne, entre la Gironde et l'Adour.

Rectifiant l'ancienne voie romaine de Tintiniac à Vézone, qui suivait surtout le flanc et le sommet des collines, à cause des marécages de la plaine, la nouvelle route occupe au contraire la vallée et ne s'éloigne guère des rivages de la Corrèze et de la Vézère. En 1770, elle n'arrivait encore qu'à Brive, construite seulement, en amont de cette ville, et, en 1774, elle s'acheminait lentement vers Larehe, dont elle n'était plus séparée que par une lieue et demie. Jusqu'à ce point, cette route était « praticable en toutes saisons », lisons-nous, à la date du 20 août de cette année, dans le rapport de M. Ernault de Brusly, receveur des tailles à Brive, à M. de Cheveru, iutendant des finances du comte d'Artois, apanage du Limousin; mais, « si Ton ne fait point les réparations voulues, les frais de sa première construction dans cette partie du Limousin porteront incessamment à faux », et, pour donner plus de valeur à sa demande d'accélération des travaux, il se hâte d'ajouter que c c'est précisément, la place ■ avec laquelle Brive et tout le BasLimousin sont dans la correspondance la plus continuelle


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de commerce sur toutes sortes d'objets, des denrées, comestibles et autres » (1).

Cependant, il fallut encore plus de dix ans pour arriver jusqu'à Larehe et l'estimation des maisons à démolir et des terrains nécessaires pour l'assiette de la route dans la traversée de la localité ne fut faite que le 23 juin 1786 par « l'entrepreneur des ponts et chaussées habitant de la ville de Tulle paroisse s' Julien, suivant les ordres de Monseigneur l'Intendant] de la généralité] de Limoges », assisté de Lamaze, notaire royal. Le chiffre des indemnités fut d'abord fixé à 12.300 livres, puis augmenté de 1.700 livres, ce qui faisait un total de 14.000 livres, sur lesquelles 5.116 livres devaient être payées en 1789.

Il restait encore dû plus de 7.000 livres en 1790 et les habitants de Larehe, qui s'étaient empressés de démolir leurs demeures pour en utiliser les matériaux se trouvaient alors dans une situation des plus précaires, que nous fait connaître la pétition suivante des « officiers municipaux de la ville de Larehe », faisant suite à une lettre déjà écrite par le maire à ce sujet et exposant qu'il restait encore dû 7.217 livres :

« Le sr Marchant de Bourrieu maire de la commune de Larehe nous a fait part de la lettre qu'il vous écrivit le premier de ce mois. Nous ne doutons pas que la vérité de l'exposé qu'il vout fait sur l'état de cette ville ne procure à ses habitants les secours et la justice qu'ils attendent de vous. »

« Nous vous prions de vous rappeller la confiance et la bonne volonté qu'ils vous témoignèrent l'année dernière, lorsque ne recevant que le tiers ou environ de l'indemnité qui leur était due, ils ne furent pas moins empressé d'abattre leurs maisons et de contribuer de tout leur pouvoir à l'ouverture de la traversée de Larehe. »

« Cette traversée est ouverte et il ne manque pour conduire le chemin à sa perfection que les fonds nécessaires

(l) Bulletin de la Société scientifique, historique et archéologique de Brive, t 10, p. 73,


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pour continuer les travaux et finir de payer les indemnités. »

« Nous osons vous assurer que vous ne verriez pas sans émotion la situation où nous sommes réduits, nous vous en épargnerons le récit qui serait véritablement, pénible pour votre coeur, mais nous prendrons la liberté de vous observer qu'un plus long retard à solder le restant des indemnités ferait un tort irréparable aux intéressés, ils ont été délogés ou exposés aux injures du tems tout l'hiver, s'ils ne peuvent avec le reste du prix de leurs maisons les reconstruire dans la belle saison où nous sommes, ils se verront forcés de passer l'hiver prochain aussi misérablement que le dernier. Cette raison est de la plus grande considération, connaissant votre coeur et votre humanité nous espérons que vous voudrés bien faire payer incessamment ce qui reste du aux propriétaires des maisons emportées par la route et donner les ordres les plus exprès pour la continuation des travaux » (i).

« Signé : Marchant Bourieux maire, Pomarel procureur de la commune, Barutel officier m.p., Loubignac chirurg. officier m.p., Lafont off. mun. Jaubert off. mun. et Bouret secrétaire.

Mais, en amont de Larehe, cette route se trouvait établie sur des terrains tellement défectueux et glissants, et l'on mettait si longtemps pour la construire que, lorsqu'on arrivait à un point, les parties antérieures avaient déjà besoin d'être réparées. Or, à cette époque, les ressources manquaient, totalement pour l'entretien des routes ; l'argent disponible était consacré à la défense nationale qui devait, primer toute autre considération et les voies de communication se ressentaient de cet état de choses.

Au mois de décembre 1792, la route de Larehe à Brive était déjà tellement détériorée qu'il fut adressé « aux citoyens administrateurs du département de la Corrèze » la pétition suivante : (2)

■(1) Arch. départementales de la Corrèze, C, 7. (2) Arch, départementales de la Corrèze, L 578,


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« Les citoyens libres, habitants des communes qui composent le canton de Larehe vous exposent qu'ils voient avec la plus profonde douleur la destruction des routes s'opérer journellement faute d'entretien. »

« Des dépenses énormes ont été faittes pour la partie du chemin de Brive à Larehe ; seize années de travaux ont été employées pour la confection de cette route, on commençait à peine de goûter l'avantage qu'elle procurait pour le commerce, lorsqu'on la voit disparaître et bientôt remplacée par des bourbiers. »

« Nous n'ignorons pas, citoyens administrateurs, les dépenses de toute espèce nécessitées pour les frais de la guerre. »

« Nous connaissons la pénurie des finances du département, mais nous regardons l'entretien des routes comme une chose du premier besoin, qu'on n'aurait jamais du perdre de vue. »

« Notre département ne présente qu'un petit nombre de voyes publiques, elles y sont très négligées, tandis que dans les départements voisins mieux partagés que nous à cet égard, l'entretien des chemins s'y fait avec le plus grand soin, quelques-uns même ont des atteliers en activité pour des constructions nouvelles. »

« Nous espérons que vous prendrez le sujet de notre représentation dans la plus grande considération : vous verrez comme nous que toute économie sur la partie des entretiens devient funeste parcequ'elle donne lieu à des dégradations dont on ne peut mesurer l'étendue. »

« Nous ne mettrons pas sous vos yeux le résultat du dépérissement des routes, un des principaux est le renchérissement des danrées de première nécessité occasionné par la lenteur et l'augmentation des frais de transport. »

« Vous sentirez, citoyens administrateurs, tout ce qu'un défaut d'entretien plus longtemps prolongé entrenerait d'inconvénients; nous vous invitons par le grand intérêt que nous prenons à la chose publique de vous occuper incessament de l'objet de notre pétition et nous vous prions de nous


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instruire des mesures que vous prendrez pour prévenir les ravages que les temps pluvieux pourraient occasionner dans la saison ou nous allons entrer. »

« Nous venons d'être informés que la Route de Larehe à Brive finit de s'abimer aux approches de Larehe, si vous n'acourez promptement au secours, le passage est détruit et sera une grande calamité, pareequ'il arrive par ce chemin au marché de Brive au moins quatre cent sacs de bled par semaine et cette provision devra toujours s'acroitre ».

Suivent des signatures de maires et d'officiers municipaux, et la mention : « soit communiqué au citoyen Demelhac ingénieur en chef pour faire incessament des observations, fait en conseil général le 21 Xbre 1792 l'an 1er de la République française ».

Deux jours après, le 23 décembre 1792, cet ingénieur en chef s'empressait de faire un rapport reconnaissant que « la pétition des citoyens composants le canton de Larehe est appuyée sur les motifs les plus fondés. La route de Brive à Larehe qui fait partie de celle de Lyon à Bordeaux a été abandonnée comme toutes les autres du département pendant Tannée entière 1792 et par cette raison a besoin de promptes réparations et ce travail est d'autant plus pressant que presque toutes les chaussées, vu la rareté de la pierre, élant construites avec le brasier tendre recouvert d'une couche de pierres concassées et prises dans la Corrèze, si cette couche était une fois usée le brasier serait bientôt entamé et les chaussées faites à grands frais détruites ». Il proposait de prendre 1.200 livres sur les ateliers de"' charité restant à ouvrir dans l'arrondissement du district de Brive.

Malgré cela, il continua de se produire de nombreux affaissements de la chaussée et des éboulements importants causés par les eaux, qui sont constatés dans une délibération du Conseil général de la commune de Larehe du 16' février 1793 : « le chemin se trouve coupé et intercepté même pour les personnes à pied, Téboulement a coulé jusqu'à la rivière » et « attendu l'urgence du cas et l'importance du passage intercepté il en sera sur le champ donné


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avis au département et copie du présent procès-verbal luy sera apporté par le citoyen Bouret député à cet effet qui partira demain matin » (1).

De son côté, le Directoire du district de Brive s'était aussi ému de cette situation et avait décidé, le 17 février, « que le département ne doit pas perdre un instant à renvoyer l'ingénieur sur les lieux pour constater les réparations à faire et mettre de suite et sans délay les ouvriers nécessaires aux réparations de cette route qui est absolument essentielle pour le transport des grains qui arrivent à Brive chaque marché et dont la circulation est absolument interrompue et verser dans les mains du district des fonds suffisants pour ces réparations. Le Drs observe de plus que cette interruption est d'autant plus affligeante que les contrées qui aboutissent à ce chemin sont celles qui fournissent le plus aux approvisionnements des marchés de Brive et à la consommation de la moyenne partie du district » (2).

A la suite de ces réclamations, l'ingénieur en chef du département et l'ingénieur ordinaire se transportèrent sur les lieux, le 20 février 1793, et après avoir constaté les dégâts, en firent un rapport détaillé, estimant à 1.681 livres 6 sols 3 deniers les réparations les plus urgentes à faire et concluant qu'il faudrait se procurer de nouveaux fonds pour les consacrer à cette route.

Néanmoins, on retrouve cette voie dans un mauvais état, trois ans plus tard, et l'administration municipale du canton de Larehe s'adresse encore à l'administration centrale du département, le 8 brumaire an 5 (20 octobre 1796), pour lui signaler « un petit pont en bois sur le ruisseau de Couze, qui a 22 pied de long sur 16 de large, ce ruisseau a 5 pied de profondeur. Led. pont menace d'une ruine prochaine et malgré les rabiliages que la commune y fait, il y a du danger à y passer. Sa suppression intercepterait absolument la communication de ce-département à celuy de la Dordogne qui est limitrophe. »

(1-2) Arch. départementales de la Corrèze, L. 578.


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v Dans l'état des choses, citoyens administrateurs, nous vous invitons à prendre notre exposé en considération et de nous fournir les moyens nécessaires et prompt pour la réparation de ce pont. »

« Nous vous observons aussi qu'on a commencé à construire même avancé la construction d'un autre pont sur la même route et à peu de distance de Larehe appelé de Bedenas et qu'on a cessé ce travail depuis plusieurs années et que ce pont en souffrance dépérit, que les pierres déjà travaillées et destinées à cet ouvrage sont endommagées par les injures de l'air, les bois nécessaires pour la voûte déjà placés se gattent singulièrement » (1).

Nouveaux dégâts et nouvelle réclamation, le 27 pluviôse an 7 (17 février 1799). On constate en effet qu' « à la suite de la gelée est venu un temps pluvieux qui a fait crouler une quantité immense de terre dans lad. route qui la rend impraticable. Aux tournants des ponts de Bedenas et Negrelat qui sont abominables on ne peut y passer sans danger, les rouliers n'y passent qu'en empruntant les boeufs voisins qu'ils atellent avec leurs cheveaux. Le pont de Bedenas menace ruine, la voûte est quasi percée, ce qui pourrait occasionner sa chute et on ne saurait le remettre qu'à grands frais. Tous ces accidents vont infailliblement intercepter tout à fait la route si l'ad 011 centrale ne le prévient sans retard. Le nouveau pont de Bedenas est déjà avancé, faute de fonds il est resté en souffrance, les chemins n'ont pas été entretenus et se sont par là infiniment dégradés. Citovens adteurs ne perdez pas de vue notre exposé et empêchez que cette route ne s'intercepte. Vous rendrez un grand service à tout le public et en particulier àvos administrés »(1).

Il serait facile, depuis cette époque jusqu'à nos jours, de multiplier les constatations d'éboulements, qui se produisent sur cette route, soit en remblais soit en déblais, malgré les travaux d'entretien et de soutènement que l'administration des ponts et chaussées y fait encore exécuter dans la partie comprise entre Larehe et le pont de Négrelat.

(1) Arch. départementales de la Corrèze, L 578,


CHAPITRE QUATORZIÈME

Les anciennes rues de Larehe. — Réfection des paués

Une simple note sur feuille volante, trouvée dans les archives municipales de Larehe, va nous renseigner exactement sur le nombre des rues de cette localité et les noms sous lesquels elles étaient désignées à la fin du xvme siècle. Cette liste comprend : (1)

La rue Cabanis, allant de chez Loubignac du Lion d'or chez Charles Barutel ;

La rue de Pouch d'Henry, allant de chez David à la Vézère en passant devant la maison Barutel :

La rue du sol de Laroque passe entre led. sol et la maison de Jean Lagosse, maréchal, pour aller au ruisseau de Couse;

La rue du pas étroit, du four à la halle ;

La rue de la halle allait du pont à la halle;

La rue du moulin et du château français, qui fait le tour de la maison du sr Marquay, de la plate forme et ancien château français ;

La rue de sous ie château ;

La rue du porche va de la grand rue à celle du four passant entre Sauret et Laborderie ;

La rue marguillière va de la grand rue à celle du four passant entre le s1 Loubignac et Lapierre ;

La place du château, entre le château et la grand rue;

La rue du château va de celui-ci à la grand'rue ;

La rue du pont ;

La grand rue.

(1) Arch. municipales de Larehe.


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Mais, toutes ces rues se trouvaient en fort mauvais état et laissaient tellement à désirer, soit au point de vue de la viabilité qu'à celui .de l'hygiène, que le procureur d'office de la juridiction se vit dans la nécessité d'adresser au juge des remontrances à ce sujet, à l'audience du 4 décembre 1782, lui exposant « qu'en exécution des ordonnances, arrêt et règlemens rendus en fait de police, une des principalles attentions de sa charge est de veiller à la propreté des rues, à l'entretien des pavés, à empêcher tout ce qui peut les embarasser et en intercepter le passage, à faire enfin tout ce qui est nécessaire pour procurer la salubrité de l'air dans les rues de Larehe, qui ne peut qu'être corrompu par la grande quantité de fians et terreaux qu'on entretient dans led. Rues, creux et enfoncemens qui se trouvent aux endrois où le pavé manque, qu'il ne saurait être soufert que les latrines et privés ayent leur sortie hors des murs des maisons du côté des Rues chemins et voyes publiques, que les règlemens de police obligent les propriétaires des maisons de les tenir renfermés dans leurs murs ou terrein ou à en procurer l'écoulement de manière qu'elles n'infectent point, le public et le particulier, que les rues du présent lieu de Larehe surtout celle appelée la grand rue, ou passe la Route de Tulle à Bordeaux se trouve dans un état de malpropreté affreuse, partout on trouve sous ses pas des fians, fumiers et ordures de toute espèce qui ferment et gênent le passage qui est très-fréquenté tant à cause de la susd. route que par le voisinage de Terrasson et de Brive ce qui d'ailleurs répend partout l'infection et la puanteur et en attendant qu'il y ait des ordres pour la construction ou refaction du pavé desd. rues, il est de l'intérêt public et le plus pressent de contraindre par provision les habitans à combler de pierres, calioux ou gravier les creux ou enfoncemens qui existent dans les endrois où il n'y a pas de pavé depuis longtemps et où Ton place le fiant, ce qui occasionne souvent le versement des voitures et les plaintes des voya. geurs. »

« Partant led. procureur d'office conclut qu'il soit fait inhi-


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bition et deffences sous peine de dix livres d'amande et plus grande en cas de récidive aux habls dud. Larehe de mètre ou rependre dans les susd. rues des pailles, bruières ou feuilles, d'entasser sur les bords desd. rues et joignant les murs de leurs maisons, des fians, terreaux et fumiers quelconque, qu'il soit ordonné d'enlever dans huitaine ceux qui y sont ou de les retirer dans leur cour ou dessous de maison ou les porter hors de l'endroit, d'enlever les boues et immondices qui s'amassent dans les Rues chacun devant leurs maisons, comme aussi de combler de pierres, cailloux ou gravier les creux et enfoncements qui existent dans les Rues en attendant qu'il soit pourvu à construction ou refaction du pavé, qu'il soit en outre ordonné que les propriétaires des maisons qui ont des latrines saillantes hors des murs d'icelle exposées à la vue du public de les renfermer sous peine d'encourir lad. amende dans l'intérieur des murs de manière que les ordures et excremens ne puissent pénétrer et filtrer dans les rues ce qui sera exécuter non obstant opposition et appellation quelconque et sans préjudice d'icelles attendu qu'il s'agit de matière de police et que l'ordonnance qui interviendra sera lue publiée et afichée partout ou besoin sera et a signé Pomarel, proc 1" d'office » (1).

Il fut pris un arrêté conforme aux conclusions ci-dessus par le juge, Guillaume pomarel et par son lieutenant, Henry Marchant, et Ton doit croire qu'il fut exécuté par les habitants, car on ne trouve pas mention de poursuites exercées à ce sujet dans les registres de la juridiction. La propreté des rues dut s'améliorer, mais leur viabilité laissa encore à désirer et les habitants, peu soucieux de l'entretenir seuls à leurs frais, adressaient en juillet 1784 la pétition suivante « à Nosseigneurs les Présidens et thrésauriers du Bureau des finances de Limoges » :

« Supplient humblement les habitans de la ville de Larehe disans que le pavé de lade ville n'ayant pas été refait depuis un très grand nombre dannées, il en est résulté sa

(4) Arch. départementales de la .Corrèze, B, 1427.


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destruction entière; dans bien des endroits il n'en reste pas le moindre vestige, ce qui donne lieu dans la saison des pluyes à des Boues profondes, même des fondrières qui permettent à peine l'accès desdes rues; dans d'autres Ton voit encore quelques traces de l'ancien pavé, mais dans un état si misérable par ses inégalités et les profondeurs qui s'y trouvent, que la fréquentation et l'abord dans cette partie en devient très pénible aux voitures et presque impossible aux gens à pied qui n'y peuvent passer sans s'embourber, il s'ensuit encore de l'état actuel desdes rues une insalubrité de l'air nuisible aux habitans et une interruption de commerce qui leur est préjudiciable. »

« Les supts qui ont le plus grand intérêt que toutes les Rues de lad* ville soient dans un état qui en permette un libre accès tant aux habitans de lade ville qu'aux étrangers vous présentent leur Requête. »

« Pour que ce consid. il pi, de v. gr. Nosseigneurs ordonner la réfaction et construction du pavé de lade ville de Larehe tant dans les Rues où il en existe encore des traces, que dans celles où il n'en reste aucun vestige, les formalités requises et usitées en pareil cas préalablement observées et ferés Bien » (1).

Cette pétition signée par Lamaze, prieur de Larehe, Leymarie, Denoix, Lajouanie, Marchant juge de Larehe, Laborderie, Pécon de Laforêt, Granger, Gibertie, Vilate, Bouret, Cluzan, Veyssière, Faure, Loubignac, Lagorse, Grange, Loubignac, Duteil, David, Gibertie, Albert, Barutel, etc., fut adressée par des Baille, pour « soit communiqué au procureur du Roi à Limoges le 14 juillet 1784 ».

Après en avoir pris connaissance, le procureur du Roi, de Voyon, demanda « qu'il soit préalablement, fait procèsverbal de l'état des lieux avec les mesurages des toises superficielles qu'il peut y avoir à rétablir dans lade ville de Larehe par un commissaire nommé à cet effet pour à la vue d'icelui rapporté en minute être dans ses conclusions plus

(1) Arch. municipales de Larehe.


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amplement ordonné ce qu'il appartiendra, fait au parquet de la chambre du domaine et voierie de la généralité de Limoges le 17 juillet 1784 ».

Deux jours après, le 19 juillet, le Bureau des finances, « faisant droit de la présente requête et des conclusions du procr du Roi ordonne qu'il sera fait procès-verbal des pavés de la ville de Larehe, ainsi que le mesurage des toises superficielles qu'il peut y avoir à rétablir et aux fins dud. procès-verbal le Bureau a commis et commet Jacques Sévère de la Bachelerie chevalier seigr du rieux ancien capitaine d'infanterie subdélégué de l'intendance de Limoges à Brive pr led. procès-verbal fait et rapporté en minute être communiqué au procureur du Roi et sur ses conclusions ordonné plus amplement ce qu'il appartiendra ».

En conséquence, le susdit commissaire, « assisté de Jacques Pistre Maitre maçon et entrepreneur d'ouvrages le serment par lui prêté au cas requis », se transporta à Larehe, le 7 août suivant, pour exécuter le travail demandé et en donna minutieusement les résultats dans un procès-verbal, d'autant plus intéressant qu'il nous indique la longueur et la largeur exactes des rues de Larehe, encore faciles à contrôler de nos jours. En voici la teneur :

« Nous aurions apperçu que les pavés desd" Rues sont entièrement délabrés que dans bien des endroits il n'en reste presqu'aucune trace, que celui qui existe encore est rempli de creux et de fondrières, ce qui rend absolument nécessaire et indispensable la faction reconstruction dud. pavé dans toutes les Rues de lade ville et ayant ensuite procédé au mesurage d'icelles nous aurions trouvé que la rue appelée du Pont était de 80 pieds de long sur 17 de large ce qui fait 1160 pieds en superficie] et nous a led. Pistre fait appercevoir que le pavé de ladc rue était trop bas, du [côté de la porte du pont, ce qui donne lieu au Ruisseau de Couze qui flotte contre les murs d'y entrer et s'y déborder souvent, que pour éviter cet inconvénient, il est de nécessité de lever le nouveau pavé aud. côté d'environ un pied avons fait ensuite mesurer la grande rue qui s'est trouvée de 337 pieds

T. XXXVIII. 3 4-2


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de long sur 13 de large ce qui fait 3781 pied en superficie puis avons fait mesuré la rue Cabanis qui s'est trouvée avoir 100 pieds de long sur 20 de large ce qui fait 1000 pieds en superficie. La rue du Pouch d'henri qui s'est trouvée sur 50 pieds de long 8 de large et sur 25 pieds aussi de long 12 de large faisant le tout 700 pieds en superficie. »

« La Rue du sol Laroque de 80 pieds .de long sur 12 de large formant 960 pieds en superficie. La Rue du pas étroit ayant 210 pieds de long sur 9 de large faisant 1810 pieds en superficie. La rue de la haie de 60 pieds de long sur 12 de large faisant 720 pied de superficie. Les rues du moulin et du château français faisant, ensemble 776 de long dont 740 ont onze pieds de large et le restant 12 faisant 8772 pieds en supeificie. La rue de sous le château a 270 pieds de long sur 8 de large faisant 2160 pieds en superficie. La rue du Porche de 60 pieds de long sur 11 de large faisant 660 pieds en superficie. La rue Marguillière de 60 pieds de long sur 10 de large faisant 600 pieds en superficie. La place de devant le château jusqu'à la grand Rue a 4605 pieds en superficie ce qui fait en tout 16728 pieds formant 464 toises deux tiers à raison de 36 pieds la toise en superficie » (1).

C'est à la suite de ce rapport que les travaux de réfection des pavés des rues de Larehe furent décidés sans retard et mis en adjudication par l'ordonnance suivante, qui en réglait les conditions :

« De par le Roi et Nosseigneurs « Des présidens trésoriers de France, Juges, conservateurs du Domaine du Roi, Grands Voyers en la Généralité de Limoges.

« Affiche d'Adjudication et Ordonnance de Voyerie concernant la réfaction des pavés de la Ville de l'Arche. « du 6 septembre 1784.

« Sur ce qui a été exposé par le Procureur du Roi en la Chambre du Domaine et Voyerie : que la plus grande partie des habitans de la Ville de l'Arche se seraient plaint de

(2) Arch. municipales de Larehe.


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ce que les pavés de leur ville n'ayant point été refaits depuis un bien grand nombre d'années, ils se trouvent par vétusté dans une entière destruction ; que dans bien des endroits il n'en restait pas le moindre vestige, ce qui occasionnait, dans la saison des pluies, des boues et des creux qui rendaient la communication des rues fort incommode et mal-propre ; que dans les endroits où il en restait encore ils formaient des inégalités profondes qui rendent lesdites rues et abords de la ville très-difficulteux aux voitures et presque impraticables aux gens à pied : ce qui causait une gêne et une interruption au commerce, et nuisait à la salubrité de l'air.

« Que toutes ces considérations ayant déterminé le Bureau à ordonner un procès-verbal de l'état des pavés de ladite ville, par Ordonnance du 19 juillet dernier, le sieur Bachellerie-Durieux, Subdéléguée de l'Intendance, avait été nommé pour en dresser procès-verbal, auquel il aurait procédé le 7 du mois d'Août, assisté d'un Expert que ce procès-verbal aurait suffisamment établi le besoin urgent de cette réparation dans toutes les rues et abords de ladite ville.

A ces Causes, requérait que les pavés de la susdite ville de l'Arche fussent incessamment refaits et reconstruits à neuf de bout à bout; que l'entreprise en fut adjugée par bail à rabais, aux formes ordinaires; et que l'ordonnance qui interviendrait à raison de ce, fut rendue en direction de Voyerie, pour être exécutée nonobstant opposition, appellations quelconques.

Fait au Parquet de la Chambre du Domaine et Voyerie du Bureau des Finances de la Généralité de Limoges.

« Signé, DEVOYOX, Procureur du Roi.

« Vu le procès-verbal du sept Août dernier, ouï le rapport du Sieur Durand-de-Richemond, Président Trésorier de France, faisant droit des conclusions du Procureur du Roi ; nous ordonnons que les pavés des rues et abords de la Ville de Larehe seront refaits à neuf de bout à bout, aux frais de chaque Riverain, chacun en droit soi ; que l'entre-


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prise en sera délivrée au bail à rabais, et que pour y parvenir il serait fait trois affiches, publications de huitaine en huitaine aux lieux accoutumés, tant en la présente Ville qu'en celle de Larehe, pendant lesquelles toutes offres et soumissions des personnes qui voudront entreprendre ledit ouvrage, seront reçues au Greffe du Bureau en la présente Ville et chez le Sieur le Marchand, juge de Larehe, Commissaire que nous nommons à cet effet en la Ville de l'Arche ; pour ensuite être adjugée en notre Auditoire au moins disant et à celui qui fera la condition du public meilleure, aux conditions suivantes :

« 1° Qu'il sera fait deux prix de la toise quarrée, une pour les Riverains qui fourniront tous les matériaux nécessaires, qui se chargeront des déblais et remblais, et d'enlever les décombres : l'autre lorsque la fourniture des matériaux, les déblais, remblais et enlèvement des décombres seront à la charge de l'Entrepreneur.

« 2° Que lesdits pavés seront refaits -en gardant les anciens niveaux, soit pour le cour des eaux, soit pour l'entrée des maisons, sans qu'il y soit fait aucun changement, à moins que lorsque les circonstances pourront l'exiger, il n'en ait autrement été ordonné par le Bureau, sur Tavis du Commissaire chargé de la conduite de cette réparation.

« 3° Que l'Adjudicataire n'employera que des pierres de bonne qualité, de sept à huit pouces de queue ; ordonnons qu'en cas de difficulté, elles seront agréées par le Commissaire nommé par le Bureau, ainsi que la terre, le tuf et sable, à peine de dix livres d'amende contre les Riverains, et autant contre l'Adjudicataire, qui sera encore obligé de refaire l'ouvrage à ses dépens ; que le pavé sera fait dans les règles de l'art, battu au refus de la hie, et recouvert après de deux doigts de sable ou tuf.

« 4° De faire dans les carrefours, places publiques ou lieux qui seront indiqués par le Bureau, une certaine quantité de toises de pavé avec fourniture de tous matériaux, déblais, remblais, et une autre quantité sans aucunes fournitures de


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matériaux, desquelles l'Entrepreneur ne pourra répéter aucun payement ni salaire.

« 5° De payer tous les frais de l'adjudication, de prendre un tems préûx pour faire et parachever l'ouvrage, d'y employer nombre suffisant d'ouvriers, à peine de cent livres, et de les voir finir par d'autres à ses frais; de ne pouvoir exiger de payement qu'à fur et à mesure que les ouvrages seront faits, parfaits, visités, agréés, toisés, et les états arrêtés par le Commissaire du Bureau ; de garantir l'ouvrage pendant UE an; de réparer à l'expiration de ce terme, toutes les dégradations provenant de la mauvaise manière dont il aura été fait.

« Au surplus, nous ordonnons aux Riverains qui voudront fournir les matériaux, de se précautionner de manière que cela ne retarde en rien l'ouvrage, à proportion qu'il s'éten-, dra devant leur propriété, nous autorisons l'Adjudicataire à en fournir d'office, faute par eux de l'avoir fait dans le tems, après toutefois qu'il en aura prévenu le Commissaire du Bureau, et averti trois jours d'avance les particuliers; l'autorisons pareillement à faire enlever les décombres, matériaux et autres objets déposés sur les pavés qui en empêchent la refaction, ainsi que ceux provenans de cette réparation, si les Propriétaires riverains ne le font trois jours après que leur partie de pavé aura été parachevée, et lui adjugeons par charretée le prix qui sera fixé par notre Commissaire, pour les faire conduire dans les lieux qu'il indiquera, sans qu'on puisse compter moins d'une charretée, quelque petite quantité qu'il y en ait.

« Ordonnons que s'il se commet des contraventions à la présente Ordonnance, notre Commissaire en donnera avis au Procureur du Roi, qui pourra d'office informer contre les contrevenans, et faire toutes poursuites nécessaires pour la ramener à exécution : ordonnons aux Propriétaires riverains et Adjudicataires, chacun en droit soi, de lui adresser les plaintes respectives, pour être par lui pris les conclusions nécessaires, et sur icelles statué par nous ce qu'il appartiendra; lesquels Propriétaires et Adjudicataires, faute


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de ce faire, serons solidairement garans et responsables en leur propre et privé nom, de toutes contraventions, et des amendes et peines encourues pour icelles ; le tout conformément à l'Arrêt du Conseil du 17 juin 1722, faisons défenses de se pourvoir ailleurs que devant nous pour le payement des ouvriers, même aux Propriétaires pour les contestations qui surviendront à raison des réparations desdits pavés, à peine de deux cens livres d'amende : et nous ordonnons que la présente Ordonnance soit rendue en direction de Voyerie, pour être exécutée nonobstant opposition ou appellation quelconque, s'agissant de'la super-intendance de la Voyerie; et afin que personne n'en ignore, qu'elle soit imprimée, lue, publiée et affichée, tant dans la présente Ville que dans celle de l'Arche, aux lieux et de la manière accoutumée.

« Fait en- la Chambre du Conseil du Domaine et Voyerie du Bureau des Finances de la Généralité de Limoges, le 6 septembre 1784.

« Signés, Noalhié-des-Bailles,Devoyon-du-Buisson, Barnyde-Romanet, Maillard-de-la-Couture, Durand -de- Richemond ».

Et plus bas, « par Nosseigneurs, Bardy, greffier » (1).

Mais cette ordonnance fut plus difficile à mettre en pratique qu'à obtenir des Bureaux de l'Intendance et plusieurs années s'écoulèrent avant que les travaux fussent mis en chantier. Il est vrai que la route de Lyon à Bordeaux était alors en construction aux abords de Larehe et que son passage pouvait bien donner lieu à des modifications de nivellement dans certaines rues de Larehe qui allaient y accéder. C'est d'ailleurs la raison donnée par le procureur de la commune, Jacques Pomarel, au conseil général de la commune de Larehe, dans sa réunion du 1er novembre 1790. Il fait en

(1) Affiche sur papier blanc, haut. 0.55 sur larg. 0.43 imprimée sur deux colonnes, séparées par un trait noir, pointillé blanc et enguirlandé d'une spirale noire, formée d'un trait hérissé des deux côtés. En tête, les armes de France, trois fleurs de lys sur écusson surmonté de la couronne, le tout au milieu et à la jonction de deux palmes horizontales. (Arch, municipales de Larehe),


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effet remarquer à cette assemblée que l'ordonnance royale du 6 septembre 1784 « n'a pu jusqu'aujourd'huy recevoir son exécution, ayant été décidé au conseil du Roy que la traversée de la route de Lyon et Clermont à Bordeaux se ferait par la présente ville, il a fallu de préalable prendre le niveau de cette route et attendre qu'elle fut ouverte pour commencer les pavés des rues leur donner la direction et la pente nécessaire pour l'écoulement des eaux.

« Dans ce moment que lad. traversée est ouverte, que les travaux sont avancés et les niveaux donnés, le procureur de la commune croit qu'il est de son devoir de requérir la réfaction desds pavés. La municipalité d'après l'avis et délibération du conseil général de la commune est autorisé à rendre toutes ordonnances à ce nécessaires Par ces raisons le procureur de la commune requiert qu'il soit tout présentement délibéré sur les motifs de sa réquisition.

« Sur quoit la chose mise en délibération il a été décidé et arrêté que les pavés de la présente ville seront refaits à neuf de bout à bout aux frais de chaque riverain en observant les formalités à tel cas requises et accoutumées, qu'il sera fait une élévation convenable au lieu appelé au pont pour empêcher les eaux du ruisseau de pénétrer dans la rue, qu'il sera fait une élévation au lieu appelé Taqueduc de Duteil et ces eaux qui entreront dans cet aqueduc seront dirigées du côté du nord ; le pouvoir municipal est autorisé par la présente délibération, sous l'approbation de l'administration du département de la Corrèze à rendre toutes ordces à ce nécessaires et faire tout ce qu'il conviendra pour rendre la rue qui conduit à l'église plus abordable, surtout vis à vis la maison du sr Barutel où se trouve une pente d'un difficile abbord et on signé à Larehe led. jour mois et an susd. ainsi signé Souffron ofiier municipal, Loubignac offier municipal, Lafon off" municipal, Laborderie presidan, Lamaze prieur curé notable, Dutel notable, Marchant notable, Sage, Lagorse, Sambat notable, Lamaze maire et Bouret secrétaire » (1).

(1) Arch. municipales de Larehe.


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A la suite se trouve l'arrêté de la municipalité presque en tous points conforme à l'ordonnance royale, citée plus haut, du 6 septembre 1784, arrêté qui reçut un avis favorable du directoire du district de Brive et qui fut rendu exécutoire « suivant sa forme et teneur » par le conseil du directoire du département, en sa séance du 23 novembre 1790 (1).

Mais laissons là les pavés des rues de Larehe pour revenir un peu à leurs anciennes dénominations. Elles sont certainement oubliées aujourd'hui ; mais elles pourraient cependant être localisées facilement avec les indications précises données plus haut et une municipalité ne pourrait que s'honorer en les faisant revivre, en évoquant tous ces vieux souvenirs d'un passé déjà lointain. En tous cas, c'est un voeu que nous croyons devoir exprimer ici, avec le ferme espoir qu'on voudra bien le réaliser.

Et à propos des noms de rues, bien qu'il s'agisse d'une époque plus récente, qu'il nous soit permis de protester ici hautement contre la disparition d'une plaque portant l'inscription « rue du pont Barbazan », qui avait été régulièrement apposée, après délibération du Conseil municipal de Larehe du 14 février 1847, duement approuvée par le Préfet de la Corrèze, comme « un acte public de reconnaissance». M. Jules Barbazan, membre du Conseil municipal de Larehe et du Conseil général de la Corrèze, avait en effet rendu de grands services à Larehe et « c'est à ses démarches actives et souvent dispendieuses qu'est due en grande partie la réalisation du projet du pont (suspendu)

(1) Cette question du pavage des rues de Larehe est revenue devant le Conseil municipal, le 19 août 1855. « Considérant que, d'après les usages locaux, les propriétaires des maisons situées sur le bord des rues sont tenus de pourvoir à leur entretien et que cet usage a été constamment suivi pour le pavage des rues de la ville, [le Gonseil] reconnaît l'urgence du renouvellement du pavé dont il s'agit et invite M. le président [le Maire] à mettre les propriétaires en demeure de procéder à cette réparation dans le délai qu'il lui plaira de leur indiquer. » (Arch. municipales de Larehe).


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qui a été construit sur la Vêzére et dont la commune retire de grands avantages » (1). Il serait bon que la municipalité de Larehe s'en souvienne encore aujourd'hui pour ne pas mériter le reproche d'ingratitude.

(1) Archives municipales de Larehe. Registre des délibérations

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CHAPITRE QUINZIEME Les Médecins de Larehe

Parmi les médecins qui ont exercé leur art dans la paroisse de Larehe, nous pouvons citer :

FRANÇOIS LOBIGNAC OU plus probablement Loubignac « bachelier en médecine habitant du lieu de Larehe », mentionné dans une vente, reçue Valière le 3 juillet 1574, d'une pièce de terre aux appartenances d'Yssalot, par lui consentie en faveur d'Anthoine Marchant (1).

JEHAN MANDEGOU «chirurgien», marié avec Thoinette Dolier est indiqué dans le baptême de son fils, François, le 23 février 1614 et dans celui de sa fille, Jehanne, le 6 août 1617 (2).

PIERRE DE GOUZON, Me chirurgien, fils d'Antoine Gouzon, Me chirurgien à Saint-Ceré, en Quercy, s'était marié, en 1616, à Brive, avec Marie de Langevin, d'où sont nés Izabeau, baptisé le 5 avril 1618, jour de jeudi et Antoine, baptisé le 19 janvier 1620 (3). Débiteur de l'hôpital de Brive, en 1636, pour la somme de 38 livres, qui lui avait été prêtée et dont il paya l'intérêt de 4 mois, s'élevant à 17 sols (4), on le trouve encore cité, à la date du 6 février 1650, dans une baillette, reçue Paleyrie « en la maison de Mr Pierre de Gouzon Me chirurgien juré à Larehe », par laquelle il donne à métairie à Pierre Lachèze, de la Nadalie, paroisse de St-Pantaléon, tous ses biens situés à Puyjubert (5). Pierre

(1) Arch. Marchant, de Bernou.

(2) Arch. municipales de Larehe.

(3) Étude Beaudenon de Lamaze, de Larehe.

(4) Arch. de l'Hôpital de Brive, E, 1, registre f° 61.

(5) Arch. Marchant, de Bernou.


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de Gouzon est décédé le 15 septembre 1664 et a été enterré le lendemain (1).

ANTHOINE DE GOUZON, fils du précédent, embrassa la même carrière et se maria avec Françoise de Léonard, fille d'Elie de Léonard et de Lucie de Lapetitie, après contrat reçu Laval, le 17 juin 1656 (2).

Anthoine de Gouzon, le 11 août 1663, « certifie à touts qu'il appartiendra que le deuxième jour du moys d'aoust mil six cens soixante troys y aurays esté mandé de la part de Mr Jacques Marchant de pouch sieur de la vivie pour l'aller traitter et mediequemanter ou estant allé et dans sa maison lu y ayr trouvé sur sa personne une grande contusion avec enflure tenant toute la partye charneuze du poulce droit et dans la partye intérieure de sa main prenant depuys la deuziesme articulation dudit poulce jusques à celle qui joinct le carpe avec la petite focille jugeant ladicte contusion avoir esté faicte avec chose contondante comme pierre ou autre chose ce pouvant faire asseurant tout ce dessus estre véritable ay signé le presant rapport et lay délivré par lenjonction qui men a esté faiste de la part de Mr Pierre

(1) Arch. municipales de Larehe.

(2) Etude de Viviers, à Chasteaux;

Il en eut les enfants suivants : Pierre-François, baptisé le 8 avril 1659 « et estait né le soir auparavant a esté pairrin Messire Pierre de Léonard prestre de la paroisse de Lissac a porté aussi le nom de François pareequ'on l'avait voué à St François et mairrine damoyzelle Marie de Langevin (arch. mun. de Larehe).

Jeanne, baptisée le 2 mars 1660, « a esté parrin M' Jean Pascarel lieutenant à la Baronie de Sarre » (arch. mun. de Larehe).

François, né le premier janvier 1662, se fit aussi chirurhien (archives municipales de Larehe.

Pierre, né le 25 mars 1664, dit plus tard sieur de Lavergne, épousa Guilhaumette Marchant après contrat reçu Leymarie le 30 juillet 1683 (étude de Viviers à Chasteaux) et mourut le 31 juillet 1731. Il fut enseveli dans la chapelle St Roch. Sa femme est décédée, âgée de 75 ans, le 6 mars 1736 et fut inhumée le lendemain dans l'église (arch. municipales de Larehe). C'est leur fils, Jacques de Gouzon, sr de LaLacombe, lieutenant d'infanterie au régiment de St Germain Beaupré, .qui se maria à St-Quentin, avec Magdeleine de Malézieux, fille


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Paleyrie ce qui ma esté signifié par Hélias Maury greffier, faict à Larehe le onziesme du moys et an que dessus » (1).

Ce chirurgien ne négligeait pas la rentrée de ses honoraires et prenait avec ses clients la précaution de se faire assurer par des titres en bonne forme. C'est ainsi qu'il se fait consentir une obligation, le 29 mars 1670, reçue Maury, par Martial et Jehan Me3'jonnade, père et fils, laboureurs du bourg de Saint Pantaléon, pour « la somme de quatre vingt dix livres tournoys à cause et pour raison de compte et accord faict pour les traitements drogues mediquamants cy devant fournis et expozés par led. sieur Gouzon à une playe que led. Jehan fils avait sur sa teste dont il le falust trapasser en sorte que père, et fils ont déclaré en être bien contemps et satisfaicts » (2).

Antoine Gouzon vivait encore le 13 avril 1680, et, ce jour là, Mathieu Minatte, marchand à Larehe, lui acquittait pour Jean Nicoulaud, « souchier » à La Bouquerie, une note d'honoraires de 46 livres, pour laquelle il se faisait consende

consende Malézieux, bourgeois, et de Magdeleine Pernet, habitant St-Quentin. Le contrat de mariage fut reçu, le 14 juillet 1717, par « Fontaine et Malézieux, notaires conseillers du roi, notaires garde notes, garde scels, sindics greffiers des arbitrages et tabeillons au baillage de Vermandois à St-Quentin ». L'époux étai 1" muni de procurations spéciales de ses père et mère, du 5 mai 1717, reçues Maury et assisté de M. Jacques de Maubert, procureur ès-sièges royaux et ancien échevin dud. St-Quentin, son ami et l'épouse était assistée de d"* Marguerite Mileschamp, v' d'Alexandre Malézieux, not" royal et ancien échevin dud. St-Quentin, sa tante paternelle, de M. Louis Dorigni, aussi notre royal aud. lieu, son cousin paternel (arch. Marchant de Bernou). Jacques de Gouzon est mort, âgé de 85 ans, et fut enterré le 15 août 1769; sa femme était décédée bien avant lui, à l'âge de 40 ans, le 10 novembre 1731 et fut ensevelie dans l'église, le lendemain. (Arch. municipales de Larehe).

Jean, né le 18 février 1673 et baptisé le 20 (Etude de Viviers, à Chasteaux).

Françoise, qui se maria avec Jean Roume, après contrat reçu Bousquet, le 7 avril 1698 (étude de Viviers, à Chasteaux).

(1) Arch. Marchant, de Bernou.

(2) Arch. Marchant, de Bernou.


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tir par ledit Nicoulaud une obligation de pareille somme, au sujet de laquelle il fit faire des poursuites en 1702, pour être remboursé par Marie Nicoulaud, épouse François Dhur, tailleur, fille et héritière du susdit débiteur (1). Antoine Gouzon est mort en 1691 après avoir fait son testament reçu Bousquet le 14 septembre 1691, et sa femme fit le sien, reçu Dufour, le 29 novembre 1701 (2).

FRANÇOIS GOUZON, fils du précèdent, né le 1er janvier 1662, fut aussi chirurgien à Larehe ; mais il ne tarda pas à aller habiter à Vinevialle, paroisse de Saint-Pantaléon, où il s'était marié avec Anne Delclaud, fille de Pierre Delclaud, laboureur, et de Marguerite Denoix, après contrat reçu Bousquet, le 22 juin 1700 (3).

Dr RAOUL LAFFON. (A suivre.)

(1) Arch. Marchant, de Bernou.

(2) Etude de Viviers, à Chasteaux.

(3) A rch. Marchant, de Bernou et étude de Viviers, à Chasteaux. Il en eut trois enfants : Jean, dit sieur de Lavergne, officier invalide, décédé à Larehe, le 15 janvier 1766 (arch. municipales de Larehe).

Françoise, qui se maria avec Etienne Caslalane, M" potier d'étain à Larehe, après contrat reçu Maury, le 4 février 1727 (étude Beaudenon de Lamaze, de Larehe.

Marie, qui épousa Jean Vidal, maître d'école à Larehe,


Les Origines de Tulle

Le Culte de Tutela et des anciens dieux en Limousin

(SUITE)

II

Revenons aux Genii loci et à Tutela.

Dans son Historia Tutelensis, publiée en 1717, Etienne Baluze écrivait : « A la fin de ce chapitre, je veux rappeler qu'il Y avait jadis à 4.000 pas de Tulle (10 kilomètres environ), un oppidum célèbre, dans le pays de Naves et le pays de Tintignac; il en reste encore des vestiges; un amphithéâtre de 200 pieds de long et 150 de large ; j'en ai vu les gradins et les fondements dans mon enfance ; on trouve là de nombreuses pièces de monnaie impériale, dont certaines en or, de vieilles urnes en pierre, en brique, en verre ; des vases pour les sacrifices ; des têtes en marbre d'hommes et de femmes dont Tune ceinte de lauriers doit représenter quelque empereur ; on a trouvé aussi là de vieilles conduites en briques, venant de quelque aqueduc; un puits dont on n'a jamais pu trouver le fond et des masses d'autres objets antiques; et pourtant on ne trouve aucune mention de cet oppidum, ni chez les historiens ou géographes, ni dans les archives des églises et monastères ; on appelle aujourd'hui ces ruines les Arènes de Tintignac; c'est ce même nom que les Nimois et les Arlésiens ont donné à leur amphithéâtre ; peut-être cet oppidum fut-il, en effet, appelé jadis Tintignac à moins que ce ne soit celui que Ptolémée appelle Rastatium ».

C'est depuis le xvnc siècle que ce lieu, dit encore de nos jours les Arènes, est connu sous l'appellation de Les Arènes de Tintignac, — bien que le village de Tintignac s'en trouve éloigné de mille mètres environ (1). Au moyen âge, il était

(1) La forme médiévale du nom du village de Tintignac est Qui n-


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connu sous celle de Zas Arenas ou Las Orenas (des textes en font foi), — cette qualification d'arènes s'étant appliquée, à tout vestige, à toute substruction gallo-romaine, plus ou moins ruinés, quelle qu'en fut la nature. On la retrouve dans un ténement de Monceaux, près d'Argentat, Les Arènes, et, dans le département de la Creuse, dans un village du canton de Bénévent, Erêne^ (Errenas) et dans le chef-lieu de canton (Arenas), où des traces d'occupation romaine ont été constatées.

Les fouilles entreprises aux Arènes de Tintignac, en 1846, 1847, 1884 et 1887, ont permis d'y reconnaître : 1° un théâtre (et non un amphithéâtre ou un cirque), pouvant contenir quinze cents spectateurs environ; 2° un temple y adossé, comme c'était l'usage ; 3° une sorte de. caravansérail (où se trouvait un puits signalé par Baluze), dont le peuple a désigné les vestiges sous le nom de les Boutiques ou les Baraques ; 4° une façon de tribunal à double basilique, séparé du caravansérail par un assez large espace qui a pu être un forum. Ça et là, dans les environs immédiats de ce groupe monumental, on a trouvé des traces de logis particuliers, de métairies isolées (sedificia), notamment au Mas-Blanchié ou Mas-Blanc, dans la dépendance du château de Bach dont le nom ancien de ce dernier, Batz, Betz, Bech, signifie fontaine. En outre, du côté du village de Soleilhavoup (SolelhaVolp, Solelha-Vuolph, Solel-Vulpus, clairière du renard) dont le bois est attenant à celui des Arènes, on peut remarquer des débris d'appareillage ayant pu entrer dans la construction d'un aqueduc (Tubi lateritti).

Quelle fut la destination de ces antiques témoignages d'une civilisation disparue, sur laquelle jusqu'ici on n'a pu lever le voile mystérieux qui la cache ? Etienne Baluze s'est montré fort réservé et s'est borné à prendre la forme dubitative pour y voir une identification avec la Rastiatum de Ptoléliniacus,

Ptoléliniacus, provenant de celui d'une villa gallo-romaine, dans lequel nom entre un gentilice et le suffixe acus, désignant un fundus. Une famille de chevalerie du nom de Tintignac eut château en ce lieu, au moyen âge.


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mée. Il a aussi bien fait; personne aujourd'hui n'oserait soutenir, par l'affirmative, une aussi hazardeuse supposition. D'autres ont été moins prudents. Maximin Deloche et ses imitateurs ont voulu y voir l'emplacement du camp des deux Légions placées par César dans « le pays des Lémoviques à la limite de celui des Arvernes », après la chute d'Uxellodunum. Cette opinion ne nous paraît pas soutenable en raison du manque d'eau de ces lieux où seules les sources insuffisantes de la Vigne et du ruisselet de Bach assurent à peine Talimentation d'une population peu dense, et l'irrigation de quelques prairies. Et cet argument a bien sa valeur en considération des 12.000 hommes, sans compter les chevaux, composant les deux Légions ; il n'exclut pas les autres objections contre cette hypothèse, celles à tirer des données les plus récentes et les plus sûres de la science géographique, de l'histoire et de l'examen attentif des caractères topographiques du territoire de Tintignac (1).

D'autres auteurs ont vaguement indiqué que cette destination pouvait s'identifier avec un lieu d'assemblée périodique, religieuse ou profane, fréquenté de longue date par les Gaulois, puis par les Gallo-romains. Ils ont touché à la réalité des choses sans la préciser et sans la déterminer exactement. Il n'est pas douteux que le plateau de Naves, à une moyenne altitude par rapport au relief général du pays, a été très anciennement occupé par des peuplades primitives, il y a trois ou quatre millénaires. Des traces de leur séjour ont été relevées, ici et là (monuments mégalithiques et autres), jusqu'au delà de la forêt de Blanchefort (un lucus, certainement).

Pour bien déterminer cette destination du territoire dit de Tintignac, il faut, d'abord, prêter quelque attention au jaillissement de l'eau à la fon des Arènes, située en contre(1)

contre(1) d'Argentat, M. Eusèbe Bombai, a situé l'emplacement du camp des Légionnaires de César, à Monceaux, sur les bords de la Dordogne, en Limousin, et non loin de l'Auvergne — comme disent les Commentaires. Cette hypothèse approche de la certitude, à notre avis,


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bas de la prairie où gisent les ruines dont nous avons parlé. C'est la source de la Vigne, branche principale de la Solane qui prend ce dernier nom au village où elle rencontre le ruisseau de Bach et qu'elle garde jusqu'à Tulle où elle se jette dans la Corrèze (1). Son volume d'eau n'est pas considérable, cinquante litres par heure environ. Mais elle tire son importance de la vénération dont elle dut être l'objet depuis l'âge de pierre peut-être. « Nous adorons les fleuves à leur source, s'écrie Sénéque, et nous leur élevons des autels aux endroits où les eaux viennent à la surface de la terre ». Et pour acquérir cette consécration, il n'était pas besoin qu'elles fussent abondantes de leur source à leur confluent.

Cette source de la Vigne est le point central de la destination des lieux où elle recevait les hommages des hommes; c'est elle qui Ta déterminée dans le bois ombreux où les foules dévotieuses se rendaient à certaines époques. En outre, il convient de constater que là passe la frontière limitant le domaine des tribus du Pagus d'Uzerche et celui des tribus méridionales du Pagus de Turenne. Sous la domination romaine, cette frontière confina aussi à celle du Pagus de Chamboulive, Pagus issu d'un démembrement de l'Uzerchois. Aux temps féodaux elle marqua le finage septentrional de la vicomte de Turenne, d'une part, et celui de la vicomte de Ventadour, de l'autre, — bien que la féodalité n'ait tenu aucun compte de la structure de ces pagi, au point de vue administratif (2).

(1) Le nom de Vigne est la francisation d'un mot très ancien Veniana, Vija, issu de Avenos, Venis, Vena, Aven dont on trouve l'équivalent dans le nom de la Vienne et dans le suffixe de Souvigne (Sumena, Sumène). Ce mot est un générique d'eau.

Quant au nom de la Solane, il ne peut pas être l'éponyme du village où la Vigne se réunit au ruisseau de Bach. II semble formé d'un préfixe sol, de signification inconnue, et du suffixe latin âmnis, ruisseau, dontle celtique amber, ambis, de même sens, a pu être la forme primitive.

(2) Cf. Cartes des Pagi du Limousin par Maximin Deloche.

Sur le nom des habitants des Pagi : Pagani, Compagani, on a fait


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Par la source, le bois et la frontière nous nous trouvons donc ici en présence d'un territoire à triple caractère sacré, rayonnant bien au-delà de son périmètre proprement dit. En temps normal, toute agitation en est absente et les habitants qui y vivent à demeure, agglomérés ou dispersés en des sedificia, artisans et cultivateurs, y sont peu nombreux. Mais au printemps, vraisemblablement, dans les premiers jours de mai, les pagani de TUzerchois, du Turennois et autres lieux y affluent pour célébrer le Genius loci autour de la source. Avant le lever du soleil, les pèlerins boivent à la fontaine, y font des ablutions, des sacrifices et y déposent des pièces de monnaie et autres offrandes (oeufs, fromages , bouquets de fleurs propres à conjurer le mauvais sort, etc.). Les arbres reçoivent aussi des parures de fête et des présents. Les jours suivants, campés sous bois, à l'abri du vent et des rayons du soleil, les foules échangent entre elles des produits, des denrées et vendent leurs bestiaux. Sur de larges aires découvertes, la foire se tient au milieu d'une fébrile activité. Les « montagniers » offrent de la laine, du seigle, du chanvre; les peds-terrous du pays-bas, des fruits, du froment, du lin, de l'huile, voire même du vin. Ça et là, sous des tendelets de toile, on donne à boire et à manger, puis on se divertit. On danse, on chante, on se livre à des ébats où se mêlent les disputes, les complots, les nouvelles communiquées et commentées, dans cette ivresse de la vie tant recherchée par la race gauloise. Les prêtres, de leur côté, se taillent leur part de profits dans la vente des amulettes, le récit de rapsodies guerrières célébrant les exploits des héros, les pratiques de sorcelleries si goûtées des esprits crédules. Ainsi les transactions commerciales, les spectacles populaires suivaient et complétaient l'accomplissement des devoirs religieux en ces jours de liesse (1).

pagan, pacan, paysan, qui peuvent signifier également païens. — les ruraux ayant été les derniers à abandonner les croyances et pratiques du paganisme,

(1) Camille Jullian : Histoire de la Gaule (tome I).

Le souvenird u marché-foire a, laissé des traces dans la tradition. Dans


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En résumé, et pour tout dire, le terroir désigné sous le nom à'Arènes de Tintignac, c'est, dès le temps de la Gaule indépendante, un ensemble de loca sacra, une « propriété des dieux », un champ sacré de frontière; un lucus, assorti d'une fontaine miraculeuse, et dans lequel un dieu, le ge?iius hujus loci demeure ; c'est encore un marché (magus), un champ de foire (forum) ; un lieu de passage, de gîtes, d'étapes pour les voyageurs, où sont établis des relais, des hôtelleries (mutationes mansiones), surtout à l'époque galloromaine quand des routes fréquentées le desservaient, notamment celle de Vesu?i?ia (Périgueux) à Augustonemetum (Clermont-Ferrand), dont on trouve des restes à SainteFéréole, aux villages de l'Estrade et de Bach; et celle se dirigeant sur Augustoritum (Limoges) par Treignac, et sur Bourganeuf (1).

Avec les Romains, en effet, les loca sacra du plateau de Naves, loin de perdre de leur importance, en acquirent une nouvelle. Avant la conquête, les Gaulois n'adoraient pas les dieux et les génies dans des édifices murés. Ce sont eux qui leur enseignèrent à construire des temples et à élever des théâtres, sur un de ses côtés, où des spectacles divers (luttes, pantomimes, chants, peut-être les tragédies grecques, les comédies de Plaute et de Térence) étaient donnés aux fêtes annuelles.

Fustel de Coulanges, dans La Gaule Romaine, nous apprend que les Gallo-Romains entouraient les cérémonies du

Jehan des Horls, Oscar Lacombe le rapporte en ces termes « Vous auriez sceu lors comme quoi les boutiques de Quintiniacus ouvrent tous les cent ans et qu'il y est grand foison de draps et pannier tels que... (ici une longue énumératien de choses mises en vente) que ces damnés payens qui olim furent seigneurs du pays de Lémosin sont forcés de estaler chaque siècle par la volonté et puissance de Satanas, lequel les détient et questionne en ses géhennes pour ce qu'ils crucifiairent Monsieur Jésus-Christ, le propre fils de Dieu... u

(1) Il paraît certain que les vestiges de demeure particulière trouvés par feu Clément-Simon, dans sa propriété, au Mas-BIanchié, ne sont autres que ceux d'une hôtellerie, avec ses dépendances et annexes,


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culte local d'une grande pompe ; que les spectacles tenaient une place prépondérante dans leur existence religieuse et profane; que ces derniers étaient choses sacrées; que le peuple tout entier y assistait, chacun suivant son rang; les magistrats et les décurions aux places d'honneur, et que tous participaient à ces jeux, offerts aux divinités, d'une manière à la fois recueillie et joyeuse. Le temple devint alors le centre attractif du pays.

En considérant, dans leur ensemble, les divers édifices élevés aux Arènes (de Tintignac), on remarque qu'ils sont situés' à la campagne, en plein bois, assez éloignés de localités connues; qu'ils se groupent, les uns à côté des autres, sans rapports entre eux, — sauf le théâtre et le temple, — et cette disposition suffirait à écarter l'hypothèse d'une ville dont ces édifices feraient partie, si d'autres raisons exclusives ne s'imposaient à notre attention. Or, ils ne sont pas rares, en France, les lieux qui présentent cet aspect. Leur destination est connue. Elle confirme pleinement notre point de vue.

En Alsace, à la limite de la Cité des Triboques, on a trouvé l'autel d'une divinité de frontière et une précieuse inscription : Genio loci et Concor (dioe) duar (cum) stat (isnum); de même à Champlieu (Oise), entre les Suessions et les Silvanectes, tout un ensemble de monuments dont un temple et un théâtre, dans lesquels les laboureurs du Valois et les bûcherons de la forêt de Compiègne se rendaient pour y faire leurs dévotions et jouir des spectacles qui s'y donnaient. Plus près de nous, à Sanxay, en Poitou, toujours à la limite de deux pagi, le sol a rendu d'importants vestiges d'édifices (temple, théâtre, thermes, etc.), semblables à ceux des Arènes (de Tintignac) et du bois des Bouchauds, à Charmé, près de Saint-Cybardeaux (Charente), où se trouvait Sermanicomagus (entre le pagus des Santons proprement dits et les pagi dont on forma, au ive siècle, la Cité d'Angoulême), sur la route de Saintes à Limoges et à Lyon. Et le Puy de Jouer (près Saint-Goussaud, dans la Creuse), Tantiqua Proetorium, de la table de Peutinger, ne nous pa-


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raît pas avoir eu une destination différente de celle des lieux que nous venons de signaler. Il est à la frontière des Andecamulenses (pagus de Rançon) et des Cam6iouice?ises (pagus de Combraille) où se rencontraient plusieurs routes dont celle de Clermont-Ferrand à Limoges (1). Ce sanctuaire était assorti, comme les autres, d'un mansio (lieu d'étapes et de relais), et même d'un oppidum.

Il ne faut pas s'exagérer les dimensions et l'importance du temple des Arènes (de Tintignac). C'était un simple oratoire rural, relativement spacieux, décoré d'ex-voto et d'images nombreuses, les unes taillées dans le marbre et importées, les autres façonnées dans Toolithe du pays, en imitation de modèles provenant de l'Italie centrale et reproduisant ces vieux « santons » populaires que les marchands, les vétérans, venus d'Ombrie, du Sammiun et de Campanie, vendaient aux indigènes de la Gaule (2). Ceux-ci en multiplièrent les copies et les répandirent dans les sanctuaires et les foyers domestiques. Dans le pays Eduen (3), on a découvert nombre de ces images, toutes mutilées, souvent défigurées, représentant des Césars ou des Idoles, toutes semblables à celles trouvées à Tintignac, et aussi des ex-voto en pierre, en quantité considérable, figurant des personnages assis présentant des offrandes; des bustes plus ou moins bien travaillés, des têtes inscrites dans une niche, des torses, des jambes, des bras isolés indiquant certaines effections maladives. On les vendait sur le forum avec des figurines et des bijoux. Dans le sanctuaire, se tenaient les prêtres, exerçant un art médical des plus frustes, et des sacrificateurs d'animaux. Les débris d'ossements calcinés de

(1) On amis au jour, sur le Puy de Jouer, nombre de souvenirs gallo-romains : enceinte en parallélogramme, amphithéâtre (ou théâtre), chaussées de route, monnaies, poteries, bas-reliefs, statues dont un dieu au Maillet, une déesse Epona, type équestre, imité d'une vieille idole latine.

(2) Camille Jullian.

(3) Cf. Bulliot : La Mission et le Culte de Saint-Martin dans le pays Eduen,


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loups, ours, chamois, trouvés dans les décombres de nos ruines, prouvent suffisamment l'existence des holocaustes de celte nature. Comme dans tous ces temples, un puits assez profond, — le puits signalé par Baluze, qui, depuis, a été fouillé, — baillait hors les murs et se trouvait affecté à des usages funéraires.

Il est fâcheux que les débris des ^4?*ènes (de Tintignac), en particulier ceux du théâtre, aient été recouverts de terre, les fouilles terminées. En ce temps de tourisme, elles eussent, présentées une des plus hautes curiosités historiques et archéologiques de notre province. Si nous en croyons les témoignages réitérés de ceux qui purent les voir, en plein air, avant ce nouvel ensevelissement, elles n'étaient pas sans offrir un aspect analogue à celui du théâtre rural de Sanxay (Vienne). Une campagne de presse fut menée dans un journal de Tulle, i1 y a quelque vingt ans, dans le but d'émouvoir l'opinion publique et de l'intéresser à ces vieux restes de la civilisation gallo-romaine en BasLimousin. On y préconisait l'achat du « champ des Arènes », de nouvelles fouilles, et l'exposé, à la lumière du jour, au regard des hommes, de tout ce que les vandales, anciens et modernes, avaient pu laisser (1). Depuis, le Comité des sites et monuments de la Corrèze a justement élevé la voix dans le même sens. Le Touring-Club de France a même accordé quelque subside pour sauver

(1) « 11 y aurait un chapitre de l'Histoire du Vandalisme moderne bien intéressant à écrire, disait feu Clément-Simon, à propos des ruines de Tintignac. » On y lirait que des Conseillers de Préfecture, de Tulle, firent main basse, sans scrupule, sur les monnaies et médailles romaines trouvées au cours des fouilles et déposées aux archives départementales, pour les faire monter en broches, en boutons de manchettes et en épingles de cravatte; que des paysans de Naves ont emporté chez eux de larges pierres d'assises du théâtre pour en construire des granges et daller des cours de ferme; qu'un service public s'est emparé de vieux moellons pour les casser et en paver la route. Et nous passons sous silence le bris systématique des statues, la dispersion des briques des Boutiques et autres appareillages anciens.


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de la destruction définitive le petit appareillage galloromain des Boutiques. Mais tout cela n'est pas suffisant. Nous formons des voeux pour que l'on fasse davantage. L'Etat, le département de la Corrèze, les communes de Tulle et de Naves, les sociétés archéologiques de la région, les syndicats d'initiative qui cherchent à attirer chez nous les touristes et le Pactole les suivant, ne sauraient se désintéresser de cette question d'exhumation et de conservation historiques, artistiques et pittoresques au plus haut point. Ne perdons pas tout espoir.

Il ne serait pas inutile, non plus, de rappeler au public les origines et la destination de cette antique enceinte. Nous souhaitons voir s'élever à la lisière du bois, à travers lequel passe le chemin de Bach, en bordure de la route nationale, un petit monument commémoratif, mais bien autrement conçu que les deux piliers érigés, au même endroit, au cours du siècle dernier, et avec plus de véracité et de précision (1).

Il suffirait de dresser une stèle de granit, surmontée d'un coq, — le coq gaulois, — aux ailes éployées, en compagnie d'une petite alouette, non moins gauloise. Sur la face extérieure du soubassement supportant la stèle, on tracerait le

(1) A la suite des premières fouilles, ils furent dressés à l'entrée du

bois des Arènes. Sur l'un d'eux on lisait cette romantique et inexacte

inscription, que le temps et les hommes ont peu à peu dégradée et

effacée :

CIRQUE DE LA GENESTE (sic)

DÉCRIT PAR COMMISES ET BALUZE

FOUILLÉ EN 1847

DERNIERS PASSAGES DES AIGLES ROMAINES [sic).

Sur l'autre pilier, on lisait (car l'inscription n'existe plus) :

Anno CDLI

Valenlianino imperanle

Aetius Dux

In campo Mauriacensi

Hunnorum Alque Affilae Victor

(L'an 451, sous le commandement de Valentianimus, le général

Aëtius, dans le pays de Mauriac, fut victorieux des Huns et d'Attila),

Ce qui ne veut rien dire,


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plan et la disposition primitive des édifices, sur une plaque de marbre blanc et on l'accompagnerait d'une inscription explicative, non pas du plan, mais du caractère des lieux ainsi évoqués. Le tout serait mis sous la sauvegarde des passants et des gens de l'endroit. Il n'est pas douteux que cet édicule, faisant face au magnifique panorama dont l'amplitude s'étend jusqu'aux pics neigeux de l'Auvergne, à travers des lointains vaporeux, teintés de bleu, donnerait à la solitude environnante, sur laquelle planerait l'âme des ruines, un cachet plein d'originalité et de grandeur.

L'énigme des Arènes (de Tintignac), posée pendant de longs siècles, a permis à la littérature limousine et française, d'envisager toutes les hypothèses et de les faire entrer dans ses fictions. C'est d'abord M. Philibert. Lalande qui publia dans Le Conciliateur de la Corrèze (Brive, 1887), sous le pseudonyme d'Olim, une nouvelle, Les Derniers Jours de Tintignac, conçue dans le genre du roman anglais de lord Lytton : Les Derniers Jours de Pom'péï (1) ; puis le chanoine Joseph Roux, dans une gesie de sa Chansou Lemouzina (1890), Césa?*en, où est évoquée la mort de notre locus ; enfin M. André de Lachapelle, en 1909, fit jouer à Martel et à Paris, un acte en vers : Le Baise?' à la Sowce, dans lequel la nymphe de la Vigne, mise en scène, dialogue avec un moissonneur du pays, sur le passé et le présent (2).

(1) La Nouvelle de M. Philibert Lalande a été reproduite, sous son nom, dans Lemouzi de 1909 et tirée à part.

(2) Primitivement, cet acte était destiné à servir de prologue au drame en prose, Le Moissonneur (de Raoul Charbonnel, musique de scène, choeurs et soli de Francis Casadessus), dont la première eut lieu à Tulie, en 1909. Le Baiser à la Source a été publié dans Lemouzi de 1910.


III

La construction du groupe d'édifices des arènes (de Tintignac) doit remonter au règne des Antonins et des Flaviens (70-180 de notre ère), si Ton en croit les plus anciennes monnaies trouvées dans les ruines, et sous lesquels Césars la paix et les arts fleurirent en Gaule. Il est possible qu'ils aient été précédés, dès les premières années de la Conquête, de bâtiments moins nombreux et plus grossiers. Ces monuments furent détruits, vraisemblablement, dans les dernières années du in 6 siècle, lors de la grande invasion germanique de 275-276 après J.-C, qui dévasta tout sur son passage, depuis le Rhin jusques aux Pyrénées. Le Centre et le Sud-Ouest de la Gaule, l'Aquitaine, en souffrirent tout particulièrement. Ces Barbares, conduits, peut-être, par Crocus, roi des Alamans, détruisirent tous les vici, oppida et sanctuaires sacrés du pays des Lemoviques, par le feu et par le fer. Le torrent humain, envahisseur, fut si violent et si rapide, qu'il emporta jusqu'au nom gaulois du territoire de Tintignac, caché, obscurci, semble-t-il, sous une appellation gallo-romaine, à forme latine. N'était ce pas celle de Tutela? (1).

(1) Un tellement portant le nom de Ludières, encore vivant, connu anciennement sous les formes de Ludieras, Ludieyre, Nudieyre, Lodeiras, confrontant, dit un vieux texte, au mas de la Geneste, d'une part, les appartenances du mas des Arènes et les terres de Chazarenc, de l'autre, nous avons pensé, un moment, qu'il pouvait avoir quelque rapport, par le latin ludus, avec l'antique destination de ces lieux, et délimiter, par exemple, l'aire même du « Jeu ». Mais un obligeant confrère, très versé dans la philologie celtique et la lexicographie, veut bien nous faire remarquer qu'à son sens Ludières ne peut provenir de ludus et qu'il se retrouve dans des noms de lieux d'origine T. XXXVIII. 34-4


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Reportons-nous aux premiers temps de la conquête, romaine. Maîtres du pays, les fils de la Louve s'y installent, confient à des fonctionnaires et agents de tous ordres et de tous rangs, son administration. Respectueux delà liberté et des croyances des vaincus, ils leur apportent néanmoins leurs institutions et leurs lois, leurs dieux, mais sans les contraindre à les adopter, leur langue et certaines de leurs manières de voir. Peu à peu, une fusion s'opéra entre le polythéisme gaulois et le polythéisme romain. Les divinités des uns devinrent celles des autres sans difficulté aucune, et réciproquement, comme nous l'avons dit. Les conquérants], néanmoins, ignoraient les multiples noms sous lesquels les Gaulois adoraient un même dieu ; leur raison s'égarait dans le foisonnement des Génies locaux, ceux, notamment, qui répondaient à des choses concrètes et à la protection d'un lieu quelconque, d'une ville, d'un monument, d'une frontière. Ils donnèrent alors à ces déités, abstractives ou concrètes, les noms de celles du monde latin dont nous avons parlé : Victoria, Concordia, Fortuna, Tutela, etc. Celle-ci, on ne saurait trop Y insister, s'appliquant à une des formes locales de la divinité, à une chose réelle, tangible, impérissable..

Elle ne se distinguait point, à leurs yeux, de la divinité

celtique, Ludedis cico, Ludrianos. Ludula, Ludunos, Ladusa, dont on relève la trace dans Ludna (auj. St-Georges-du-Bois, dans la Sarthe), Ludnomagos ou magus (St-Jean d'Ardière, dans le Rhône), Ludooî7/a(Leudeville, (Seine-et-Oise), Ludnom (Bourbonne-les-Bains) Nous trouverions-nous ici, dès lors, en présence d'une francisation du nom gaulois même de nos Arènes, (Luderomagus?), l'élément secondaire magus ayant dû entrer, sans conteste, à cause du double caractère sacré et mercantile du locus, dans son appellation primitive? Nous ne saurions nous prononcer plus nettement sans un nouvel et profond examen. Mais la question est troublante. On n'ignore pas que le terme magos ou magus, accompagnant un nom de lieu, s'est perdu de bonne heure à l'usage, comme c'est le cas pour Argenlomagus (Argenton), Sermanicomagus (Charmé), Rigomagus (Riom), Neriomagus (Néris), etc. (Cf. Holder : Trésor de l'ancienne langue celtique).


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poliade. Les maîtres de la Gaule ne savaient pas, — comme nous d'ailleurs, — le nom du Génie vénéré aux Arènes (de Tintignac). Mais comme ses fidèles, au début de la domination, tenaient à le cacher aux yeux de l'étranger, dans la crainte que celui-ci ne l'invoquât pour son propre compte, les Romains le dénommèrent Tutela, faute de mieux, par analogie avec leur vieille idole de terroir. De semblables substitutions furent fréquentes en terre gauloise. D'où, comme nous allons le voir, un assez grand nombre de localités qualifiées ainsi. Soit par crainte, soit par respect, soit par habitude ou nonchalance, ce nom de divinité passa à celui du terroir même, ou à la ville, et s'imposa à tous, à l'exclusion de tous autres.

Après le sanglant passage des Barbares, les Pagani du plateau de Tintignac, échappés aux massacres, en présence du désastre dans lequel leurs biens, collectifs ou individuels, leur fortune, avaient sombré, se croyant abandonnés de leurs dieux, éprouvèrent le besoin, la tourmente passée, le calme revenu, de rallumer les foyers éteints, de se faire une nouvelle existence, tout en se précautionnant contre un retour offensif de l'ennemi (1).

(1) D'après une tradition, encore vivace, les victimes de l'invasion, dans leur fuite éperdue, au milieu des alarmes, auraient abandonné un riche trésor, un veau d'or (selon le terme populaire), qui se trouverait caché dans le sous-sol du petit massif du Puy de l'Aiguille. On estimerait sa valeur à plusieurs millions. On ignore l'endroit précis où il gît. Mais les Anglais le savent et ils donneraient une fortune pour acquérir une sétérée (15 ares environ), un lopin de terre. Mais les rois de France ont toujours refusé de les satisfaire dans la crainte de les trop .enrichir et aussi pour éviter la guerre qui s'ensuivrait.

Une légende analogue a cours en Quercy, au Puy d'Usssolu où l'on place le célèbre oppidum d'Uxellodunum. Un veau d'or serait caché dans la colline et seuls, les Anglais, en connaîtraient l'emplacement exact, Quand les félibres du Limousin, en 1912, commémorèrent l'héroïque défense de cette place contre Jules César, certains habitants de la contrée s'imaginèrent que les dames en barbichet étaient des Anglaises qui allaient à la recherche du trésor. Longtemps l'autorisation de faire des fouilles aurait été refusée à nos voi-


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On peut supposer qu'après avoir erres, un temps, en proie au plus profond désespoir, ils résolurent d'aller vivre et de « se continuer » non loin de leurs primitives demeures, dans une dépendance du vieux lucus, en un point de la ligne de faîte des vallées de la Corrèze et de la Solane, proche du confluent de ces cours d'eau, et qui offrait des moyens naturels de défense, au cas où les Barbares reviendraient, et d'où l'on pouvait surveiller les alentours.

Nous savons, d'autre part, qu'après les premières invasions germaniques, les habitants des villes ruinées et ceux disséminés dans la campagne, s'unirent et allèrent se grouper dans des pourtours plus étroits, à l'abri d'une enceinte fortifiée, d'un castrum. Une autre raison a pu encore entrer dans la détermination de leur choix : la proximité du confluent de la Solane, — continuation des eaux issues de la source sacrée de la Vigne, — lequel confluent, placé sous la protection des « Bonnes Mères » (Maires) avait dû recevoir la consécration en des temps très anciens.

Sur les pentes du Puy de Peyrafort, durent s'élever les nouveaux logis alors que le Puy Saint-Clair leur offrait un refuge salutaire en cas d'attaque. Et ce fut une seconde

sins d'Outre-Manche. Mais depuis que l'accord est fait entre la France et l'Angleterre, elle leur aurait été accordée. On sait que la tradition attribue aux Anglais, en Limousin et dans les régions voisines, un très grand nombre de constructions : châteaux, maisons, ponts, enceintes et chaussées fortifiées, etc., sans aucune apparence de réalité, d'ailleurs.

Une autre légende place au centre de la forêt de Blanchefort (entre Lagraulière et Vigeois), sur les bords du Brezou, une hypothétique ville de Tulle qui aurait subi le sort de Gomorrhe et de Sodome, à cause du dérèglement des moeurs des habitants. N'y aurait-il pas là une transposition, un transfert, dans la mémoire des hommes, des faits notoires qui se produisirent, à deux lieux et demie environ de ces lieux, aux Arènes (de Tintignac), bien que des légendes de ce genre foisonnent dans le Folk Lore de France, et, particulièrement, dans celui du Limousin ? La primitive ville de Toull Sainte-Croix, dans la Marche-Limousine, périt, en effet, de la même façon, dans les croyances populaires. Les mêmes causes déterminent les mêmes effets dans la vie courante des choses.


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Tutela, par transfert, sinon de nom, du moins de culte, du culte de la divinité protectrice, outragée par les Barbares et à laquelle on devait une réparation. Les dieux d'un lieu déterminé, dit Camille Jullian, suivaient la destinée des demeures, en créant un nouveau domaine, les Gaulois conservaient les divinités sous l'égide desquelles ile se plaçaient. La nouvelle Tutela devint l'actuelle ville de Tulle (1). Ces transferts de lieux et de cultes furent fréquents dans la Gaule Romaine, soit qu'ils fussent provoqués par d'irrémédiables événements, comme c'est ici le cas, soit qu'ils fussent dictés par les dominateurs, dans un intérêt politique et stratégique, Les Romains, en effet, dans la crainte que leur inspiraient les indigènes retranchés sur des hauteurs, leur persuadèrent, et ils y réussirent, de descendre vers les plaines, moins inaccessibles à leurs troupes, surtout dans les premiers temps de la conquête (2). Ainsi Bibracte, la Cité sainte des Eduens, se trouva transférée du Mont-Beuvray à Aùtun, où sa Tutelle continua d'être adorée, bien que la source sacrée, au centre de ce premier oppidum, eût été adandonnée (3). Ainsi encore Gergovie descendit dans la plaine de Clermont-Ferrand, comme Li(1)

Li(1) La cité de Tintignac (réduite comme nous l'avons vu à un lieu d'assemblée religieuse et profane), était le seul centre des populations gallo-romaines des environs, dit Marvaud, dans son Histoire politique, civile et religieuse du Bas-Limousin... Tulle ne réunit un plus grand nombre d'habitants qu'après la ruine de Tintignac qui, comme tant d'autres stations romaines, dut disparaître pendant l'invasion des quatre nations germaniques, flot impétueux qui entraîna avec lui la civilisation et les monuments d'un grand peuple». Cette même opinion a été partagée par tous les historiens de Tulle.

(2) Cf. Ernest Schmidt : Kultublragung'en dans la collection Religionsgeschichtliche Versuche, t. VIII, fas, 2, 1910, Gressen Toepelmann (sur les transferts de cultes).

(3) « Le rapprochement de Bibracte avec Tulle est capital. Il est, en effet, curieux que la déesse Bibracte, qui n'a pu être originairement que celle de Beuvray, ait été si particulièrement adorée à Autun. Il a dû y avoir, lors de la fondation oVAugustodunum, quelque acte solennel de transfert de culte, de nom, de statue, je ne sais, comme les anciens savaient en opérer. » Camille Julian : Notes gallo-romaines


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moges (la Ritu celtique) accrut, semble-t-il, son importance de l'exode des populations vivant dans les oppida voisins (le Montceix, Châlus, Mont-Pigeau (Saint-Eloi), le PuyChâtelard, etc.)

Nous l'avons dit, le culte des Tutelles se répandit en Gaule, à la suite des Légionnaires de César, notamment dans le sud-ouest, en Aquitaine, et jusqu'en Espagne, au milieu des populations ibériques. La Tutela Lemovicam, la Tulle du iv 6 siècle, ne fut pas la seule cité éponyme de l'antique divinité italiote. Les cartes et itinéraires latins marquent l'emplacement d'autels ad Tutelam, sans plus, mais assez nombreux. Des inscriptions, des statues, des ex-voto établissent encore que de multiples vici et loca sacra portaient ce nom de Tutela, avec ou sans qualificatifs secondaires. Bordeaux s'appela Tutela Burdigala et éleva dans ses murs, à sa Tutelle, un magnifique temple démoli sous le règne de Louis XIV (1). Périgueux, T7esu?i?ia Tutela; le Mas d'Agenais, Tutela Augusta Ussubio; Dax, Tonneins, Lourdes, etc. Tutela. A Lyon, au Mont-Beuvray (Bibracte), à Autun, à Orléans (où l'on a constaté la piésence d'un « portereau de Tudele »), etc., on a relevé des traces non équivoques du culte de cette divinité. D'autre part, le poëte Martial a parlé d'un bourg voisin de Bilibilis. sur l'Ebre, dans la VieilleCastille. sa patrie, du nom de Tutela, lequel bourg était en rapport avec l'idée d'une contrée, d'une ville. C'est aujourd'hui la ville de Tudela (Tudèle), où naquit peut-être le troubadour Guilhem de Tutela (2). C'est la seule localité,

(Revue des Etudes anciennes, Bordeaux, 1912). De ce même auteur voir Le Culte des Tutelles dans le sud-ouest de la France (C.R. du Congrès archéologique d'Agen, 1890).

(1) La rue des Piliers de Tutelle, encore existante, en a conservé le souvenir et l'emplacement. Si le nom de Bordeaux rappelle moins celui de Tutela que celui de Burdigala, c'est que les descendants des Bituriges vivisci, maîtres de la ville, avant et après César, préférèrent perpétuer la mémoire du Génie de leur peuple que celle du Génie secondaire dont le nom venait des Romains.

(2) Au xi* siècle, on signalait la présence d'un religieux noble dans la forêt d'Aureil, près Limoges, du nom d'Emne de Tudella.


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avec notre Tulle, qui, dans son appellation actuelle, a perpétué celle de Tutela, à notre connaissance (1).

A travers les siècles, Tulle a été qualifiée diversement : Tutela, avant le viir 9 siècle; Locus qui vocatur, au ixc; Castrum Tutelense, au xe; de Vicus et d'oppidum, antérieurement au xne; de burgus, dès cette dernière époque, de cité, au xive, à la création de Tévêché. Dés lors, elle est dénommée dans le parler vulgaire et même dans les actes officiels : Tula, Toula, Touelle, Thuelle, enfin Tulle ou Tulles.

La cellule initiale de cette ville, son noyau primitif ne paraissent pas devoir être cherchés sur le penchant méridional de la colline du Puy Saint-Clair, où l'Enclos s'est épanoui au moyen âge, mais bien plus au nord, comme nous l'avons vu, entre le Puy Saint-Clair, d'une part, et le Puy de Peyrrafort de l'autre. Ce nom de Peyrafort doit, un moment, retenir notre attention. Il est très ancien et tire sa forme actuelle de Petra fortis (Peira forta) qui éveille l'idée d'une fortification, d'un lieu pourvu de retranchements. Serait-ce un oppidum (refuge), au sens celtique, ou un castrum (enceinte murée), dans le sens gallo-romain ? En l'état de nos connaissances, il est difficile de se prononcer. Ce lieu nous semble cependant devoir prendre place dans le système défensif du vicus de Tutela, aux premiers siècles de son existence. Celui-ci était-il flanqué, au sud et au nord, de deux ouvrages fortifiés, l'un au Puy Saint-Clair, qui avec le temps prit de l'importance, l'autre, au Puy de Peyrafort? C'est possible. En tous cas, il paraît bien que l'éminence du

(1) Dans les Basses-Alpes, une commune s'appelle Sainte-Tulle. Ce nom est sans rapport avec celui de Tutela. ]1 en est de même du lieu Le Tulle, en Bretagne.

Au moyen âge. une famille de chevalerie portant le nom de Tulle a vécu dans la ville où elle fut apanagée. Elle a fourni des moines et des dignitaires du chapitre à l'abbaye de Saint-Martin jusqu'à sa disparition, au XIY" siècle. Dans le Rouergue fut et existe peut-être encore une famille noble de ce nom de Tulle. Elle ne nous semble pas continuer la précédente.


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Puy Saint-Clair, au crépuscule de l'Empire et dans le haut moyen âge, a joué un rôle de premier plan dans l'existence de la petite ville. Dans la topographie des lieux où nous plaçons le nouveau sanctuaire de Tutela on trouve le claus de las Arenas (clos des Arènes), entre Peyrafort et le HautMonteil, dans le voisinage de la maison dite de la Leune (du lierre), clos mentionné dans un acte de notaire du xve siècle. On ne saurait, bien entendu, le confondre avec les Arènes (de Tintignac). Que rappelait-il ? Un Théâtre, un Temple, des thermes (les sources Y sont abondantes) ? On ne sait. Mais on peut remarquer que la prairie qui s'étend actuellement devant la maison de la Leune prend la forme d'un amphithéâtre. Un peu plus loin, au Tranchât, à l'entrée de l'isthme reliant le Puy Saint-Clair à l'Ouradour, était le lieu de Vivilla (1) qui figure dans un document de 1065 où J.-B. Champeval Ta relevé. Il ne peut que marquer l'emplacement de la vieille ville ou en rappeler le souvenir.

Plus tard, dès la fin des temps gallo-romains, à la suite d'événements de nous inconnus, Taxe de la ville se déplaça légèrement et à l'abri du Castrum, se fixa le long de la colline dont la base touchait aux rives de la Corrèze et de la Solane, au confluent de ces cours d'eau (2). Il n'est pas aventureux de conjecturer que Tulle fut convoitée par les Wisigoths, — maîtres du Limousin pendant près d'un siècle, — prise de force et occupée. En tout cas, bien qu'Etienne Baluze soit d'un avis contraire, nous croyons qu'à la fin du ive siècle, Saint-Martin de Tours, à l'instigation de Saint Hilaire

(1) Viala, La Vialla, dans la toponymie limousine, signifient villa, village. Dans les anciens textes, on trouve ces différentes formes : vêtus villa, vetula villa, velerem villa, veleri villa, velavilla, visvilla, cecilla. Elles équivalent toutes à Virevialle, Veyvialle, c'est-à-dire à vieilles villas et, par extension, à vieilles villes.

(2) Dans le Bas-Empire et le haut moyen-âge, le mot castrum ne signifie point château-fort (castellum), lequel plus tard devait s'élever sur une motte naturelle ou artificielle, mais bien une ville murée possédant, dès lors, une administration à elle, un municipe de plus ou moins d'importance (Jacques Flach : L'Origine historique de l'habitation et des lieux habités, P,aris, 1890),


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de Poitiers, ayant résolu d'arracher à Tidôlatrie les pagani de Tutela, y installa, mais hors les murs, une communauté de moines. Elle forma le noyau de l'abbaye, placée sous le vocable du grand thaumaturge des Gaules, à proximité du confluent Solane-Corrèze. Le choix de cet emplacement n'était peut-être pas un effet du hasard (1).

Plus tard encore, quand eut progressé le christianisme, un nouvel oratoire, sous l'invocation de Saint-Pierre, comme c'était l'usage, s'éleva, intra-muros, cette fois, dans l'Enclos; puis un second, dans la basse-ville, près de l'abbaye, voué à Saint-Julien, le martyr de Brioude, dont le culte se trouve presque toujours associé à celui de Saint-Martin de Tours. Une tradition attribue à Saint-Martial, le premier évêque de Limoges, la fondation de la première de ces paroisses. Il serait venu à Tulle, au i" siècle de l'ère chrétienne, suivant les uns, plus vraisemblablement au milieu du 111e, suivant les autres. Quoi qu'il en soit, Saint-Martial n'a pu visiter Tulle parce que de son vivant cette ville était inexistante. Mais il a pu se rendre aux Arènes (de Tintignac), où des médailles à double croix latine, indices de foi chétienne, partagée par quelques familles, ont été découvertes.

Pour Etienne Baluze, Tulle aurait commencé son existence autour de l'abbaye de Saint-Martin, à la fin du vu' siècle. En dédiant son Historia Tutelensis à son frère, il écrivait : « Tulle doit son origine à de très saints moines qui ont habité les premiers notre région dans des temps fort reculés ; il est certain que leurs voisins admirant leur genre de vie et pleins d'un pieux dévouement à leur égard, leur ont fourni les objets de première nécessité dont ils manquaient. » Cette dernière opinion ne manque pas de vraisemblance, mais ce

(1) L'archéologue Arcise de Caumont a remarqué que les plus vieilles églises abbatiales étaient placées sous le patronage de Saint-Martin de Tours. D'autre part, il n'est pas sans intérêt de constater que sur l'emplacement où se trouvait la source de la Tutelle au Mont Beuvray (Bebracte), fut édifiée une chapelle, dédiée précisément à l'illustre évêque de Tours, dont les souvenirs en pays Eduen sont aussi nombreux et aussi vivaces qu'en Limousin. (Cf. Bulliot. op. cit.).


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concours leur fut prêté dans des circonstances différentes de celles dont nous fait part l'illustre érudit : « J'ai, de prime abord, continue-t-il, rejeté les fables inventées au siècle dernier (le xvne) par des hommes audacieux et incapables dont je veux taire le nom ; il me suffit d'avoir soufflé sur leurs chimériques inventions. « Ici, Baluze fait allusion à Bertrand de Latour, son parent et compatriote, auteur de ITnstitutio ecclesioe Tutellensis (1633) qui avait entrevu une partie de la vérité en l'amplifiant outre mesure. Moins soucieux de critique historique que de satisfaction à donner à Tamour-propre local, à son patriotisme de clocher, il avait affirmé l'existence de Tulle, dès le ier siècle de notre ère et lui avait reconnu une telle importance que 3,000 de ses habitants avaient reçu le baptême des mains mêmes de SaintMartial !...

Si Baluze avait prêté plus d'attention au nom même de Tutela et à sa signification latine, — ce nom lui avait été révélé par les vieux textes, — il aurait été certainement frappé par le fait que des moines, en s'établissant dans une solitude, ne pouvaient décemment emprunter à une divinité païenne la qualification des lieux où, désormais, ils allaient exercer leur prosélytisme. Ce nom était donc antérieur à leur venue ; ces lieux n'étaient donc pas solitaires. Mais il faut dire, à la décharge de Baluze, qu'en son temps, les études historiques, archéologiques et philologiques sur l'antiquité gréco-romaine n'avaient reçu ni l'ampleur, ni la précision que notre temps leur a données.

Cependant, en 1765, un demi-siècle après la mort de l'auteur de l'Hisloria Tutelensis, il parut à Paris : Le Voyageur français ou la connaissance de l'Ancien et du Nouveau Monde, mis au jour par Monsieur D (esportes). Voyage en France, tome xxxiv. On pouvait y lire les lignes suivantes (l'auteur s'adresse à une dame, dans la forme épistolaire) : « Elle était (Tulle) nommée autrefois Tutela. Ce nom antique est le seul monument qui semble attester son origine romaine. Tutela, comme vous le savez, Madame, est le nom que les Romains attribuaient à la divinité protectrice d'un


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pays ou d'une ville : plusieurs villes des Gaules avaient érigé des autels à la déesse Tutelle... » En 1840, F. Marvaud, professeur au collège de Brive, mais non-originaire du Limousin, fit paraître son Histoire politique et religieuse du Bas-Limousin, dans laquelle il reprit l'opinion de-l'abbé Desportes, peut-être d'après lui : « Qu'était-ce alors (au iv« siècle) que cette localité dont un pauvre monastère devait faire la fortune ? dit-il. Sans aucun doute, une simple bourgade perdue dans les collines. En s'arrêtant à la signification de ce nom, Tutela, on lui trouve une origine romaine. Dans les deux derniers siècles qui précédèrent l'invasion germanique, les tribus dispersées des tribus galliques, se réunirent dans quelques centres communs ; soit pour obtenir la protection de leurs maitres (?), soit pour flatter leur orgueil et désarmer leur sévérité ('?), les nouvelles tribus placèrent leur demeure dans la protection d'une divinité allégorique appelée Tutela, qui n'était autre chose que l'image de la puissance romaine (?) ayant pour symbole une énorme pierre taillée en colonne (?), ou une haute tour (?). Plusieurs grandes cités avaient encore cette divinité dans leurs murs au ve siècle. »

Bien que l'oeuvre de Marvaud soit pleine d'imperfections, qu'elle porte bien sa date, elle est encore lue et consultée, peut-être pas avec assez de précautions. Mais les disciples de Baluze, lui reprochant de manquer de critique et d'indication de sources, négligèrent son avis sur l'origine de Tulle et le caractère de la dea Tutela. Et Baluze continua de faire école et de régner souverainement sur le monde des curieux et des chercheurs. Son érudition était si vaste, ses dissertations si substantielles et si précises, ses jugements si sûrs, ses déductions et conclusions si pénétrantes, ses méthodes critiques si rigoureuses que personne n'osait s'attaquer à une autorité si solidement établie et se mettre en contradiction avec elle. Toutefois, dans la première partie du siècle dernier, des esprits attentifs, Anne Vialle, Léonard Baluze du Mayne, François Bonnélye, tentèrent, assez timidement d'ailleurs, de secouer le joug baluzien. Ils insinué-


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rent que Tulle pouvait être antérieure au vir 9 siècle, à la création de l'abbaye, et qu'à la fin de l'Empire Romain elle avait bien pu naître et se développer sous l'aile d'un Castrum, d'un fort entrant dans le système dèfensif de la contrée, au point où la Solane se dilue dans la Corrèze. Après eux, Maximin Deloche, Gustave Clément-Simon, Emile et René Fage, J. B. Champeval, J.-B. Poulbrière, partagèrent cette manière de voir, la confirmèrent, en Tétayant de nouvelles et fortes raisons. Mais cet effort, très méritoire, était insuffisant pour arriver à la découverte de la vérité. Elle se trouvait au-delà du Castrum, entre les exagérations de Bertrand de Latour et les supputations des savants historiographes de Tulle les plus récents.

On ne saurait donner à la Tulle gallo-romaine l'importance d'une ville, même de densité moyenne. Ce fut, tout d'abord, un lieu sacré, un sanctuaire vénéré, un rendez-vous de pèlerins et d'affaires, de foire et de marché. Sans le monastère et la riche donation qu'il reçut, vers 932, du seigneur Adémar d'Escal, la destinée de Tulle eût été celle d'un simple chef-lieu de canton. La ville devait posséder un organe d'administration, un municipe dont il semble que les Boni Veri ou Probi Homines, du xc siècle (Bons Hommes, Prud'hommes) devaient continuer la tradition, même dans les mailles serrées du lourd et inextricable réseau de la féodalité.

Dans un mémoire récent : Cantedunum et Tutela, M. Bernard Marque donne à Tulle une origine celtique et le nom de Cantedunum. Sa conjecture s'appuie sur la dénomination d'un tènement, Chardon, qu'il place dans la dépendance immédiate du Puy Saint-Clair. A son avis, ce nom de Chardon serait une mauvaise graphie de celui de Chandon, Cendon, Chandoux, assez fréquent dans la toponomastique de Tulle et ses alentours. De sa forme primitive, Cantedunus, proviendrait l'appelation de Chanteix, commune du canton de Seilhac(l). Ce Chardon, selon nous, ne semble pas devoir

(1) Dans le recueil d'Holder, on trouve le terme de Camedollus, aujourd'hui Champdoux (Loiret).


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être situé sur le Puy Saint-Clair. Nous le placerions un peu plus loin.dans la direction du Balcon. Rien ne prouve nettement que son appelation dérive de Cantedunus ou Cantedunum ; qu'elle n'est qu'une forme altérée de Chantahu, Chantau, Champtueix comme il appert pour Chanteix, d'après les textes anciens. En décomposant Cantedunum, nous y voyons deux éléments : le second dv.num, signifie mont fortifié, fortification sur la hauteur et l'on pourrait certainement l'appliquer au Puy Saint-Clair. Le premier, Cante, ne saurait lui convenir. Il a le sens de blanc, de blancheur, de lumineux, comme l'adjectif limousin Cande, encore vivant. Cantedunum veut donc dire le mont blanc fortifié, luisant. Il peut s'applique à Chanteix, situé dans une large zone de schistes cristallins, au milieu desquels étincellent les micas. Ces derniers n'apparaissent pas dans la conformation géologique du Puy Saint-Clair, tout au moins au point de donner à cette éminence une coloration de nature à justifier sa dénomination première.

D'autre part, M. Marque tire argument de la présence de souterrains remontant au moyen-âge, à notre avis, pour affirmer la présence d'habitations gauloises sur les bords de la Corrèze. 11 se peut, en effet, qu'aux endroits les mieux exposés de la vallée, notamment au bas de la colline des Charpenèdes ou Vignottes, vers le Pavé du Collège, et sur le versant oriental du Puy-Chessial, regardant La Marque et L'Auzelou, des familles ont vécu en des temps très lointains. Mais il ne faut voir là que des métairies isolées, des oedifia, comme dit César, sans rapport aucun avec une agglomération quelconque.

En résumé, Tulle fut un Vicus gallo-romain, dont l'existence doit remonter à la fin du m' ou au début du ive siècle. Il prit naissance au delà du Puy Saint Clair, vers l'Ouradour et Peyrafort, aux abords du chemin allant du Tranchât au Baladour (1) — vieille voie romaine mettant Tutela, dont

(1) D'un terme de basse-latinité, balador, alias Baladoria, fait sur une racine celtique ou préceltique, Pal, Bal, Bau, Bar (le Palais, Baiedent, Orliac de Bar, Croix de Bar, etc.), signifiait éminence, hauteur,


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elle a dû constituer l'artère principale, en communication avec le plateau de Naves, —pour se développer ensuite dans le sens de la marche du soleil, comme on peut le constater dans nombre d'autres villes. C'est dans ces parages qu'il conviendrait de fouiller le sol. Si les ruines mêmes n'ont point péri, si le granit, sur lequel nos aïeux ont fixé l'expression de leurs voeux et de leur reconnaissance à la divinité protectrice du sol et des foyers, en a gardé fidèlement et clairement l'empreinte, on doit trouver des traces de son existence première (1). Malheureusement, le granit « tout dur qu'il est se corrode beaucoup plus facilement, que le calcaire, assure M. le Commandant Espérandieu. Toutes les inscriptions des Lémoviques connues sont gravées sur le gra nit et à peu près complètement effacées. Mais il est une cause qui, plus que tout autre, peut-être, a contribué à l'appauvrissement de i'épigraphie limousine. C'est l'indifférence que les habitants du pays paraissent avoir eu de tout temps pour les pierres à inscriptions ». Cette incurie est propre au terroir. Il serait souhaitable d'y mettre un terme, tant en ce qui touche aux monuments écrits qu'aux autres. Ce serait tout profit pour la science et pour notre bonne réputation.

JOHANNES PLANTADIS.

terrasse de coteau escarpé. D'où le verbe embaussar, mettre en tas, en hauteur et le substantif abaus, tas, amoncellement de fagots, de bûches, de foin, etc., en langue limousine.

(1) Un fragment d'inscription a été trouvé dans les décombres des monuments des Arènes (de Tintignac) : OCTA... TVI.LIA .. BVDARACI. .. Il a été impossible jnsqu'ici d'en donner une explication.


BIBLIOGRAPHIB

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LES DEBUTS D'UN SAVANT NATURALISTE

Le Prince de l'Entomologie

Pierre-André Latreille à Brive de 1762 à 1798

(COMPLÉMENT)

Nous reprenons, pour y ajouter un Complément, le titre et la matière de notre ouvrage paru en 1906, grâce à de nouveaux documents qui éclairent le texte que nous avons publié, il y a déjà dix ans.

Les renseignements sur la première partie de la vie et de la carrière de Latreille sont relativement assez rares ; ils sont d'autant plus précieux pour éclairer cette période briviste : à ce double titre ils méritent d'être ici donnés, sans attendre le grand travail que nous poursuivons d'autre part sur la correspondance ultérieure de notre illustre entomologiste : ils s'en détachent très nettement.

D

Ce que nous allons donc éditer aujourd'hui,, comme documents, ce sont cinq lettres de Latreille à son ami Louis Rose, que vient de révéler le récent Catalogue des Manuscrits du Muséum national' d'Histoire naturelle (numérotées 196 à 200).

Comme elles correspondent en général à celles que nous avons insérées dans le précédent ouvrage, l'anotation se réfère constamment à son texte, mais maints détails complètent ceux que nous avons donnés. Nous


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nous reporterons constamment au premier (1) ; les lettres portent sur un laps de temps d'une quinzaine de mois, de septembre 1795 à février 1797.

Pierre-André Latreille venait d'échapper miraculeusement aux mortels pontons de Bordeaux, et de reprendre ses relations amicales et scientifiques avec les Naturalistes de l'époque, naguère maltraités, comme lui, par les événements de la Révolution.

Lui s'était réfugié à Brive, où il cultivait l'histoire naturelle., la botanique comme la zoologie, dans le but de remplir la tâche qu'il sollicitait, de professeur à une Ecole centrale de département.

Ses loisirs lui permirent même de revenir à Bordeaux, où il s'était créé tant d'amitiés, et surtout l'intimité de Dargelas ; nous savions bien qu'il était retourné dans cette ville, autour de laquelle il a indiqué ses chasses d'insectes (2), or nous avons aujourd'hui l'explication de ses particulières relations avec la Société des Naturalistes de l'endroit.

Mais ceux de Paris l'attiraient aussi. Ses rapports avec Millin, qui était chef de division du Comité de l'Instruction publique, facilitaient ses communications d'insectes, comme sa correspondance avec Lamarck, Lacépède, dont font encore foi les lettres à Bosc, lui permettait d'envoyer favorablement des mémoires à la Société d'Histoire naturelle, à l'Institut

(1) Les Débuts d'un Savant Naturaliste, etc., publié dans le Bulletin de la Société Scientifique, Historique et Archéologique de la Corrèze, tome XXXVIII, 1906, — mais, pour plus de simplification, nous nous référerons au tirage à part de cet ouvrage, en mettant en abrégé : Les Débuts....

(2) Voir Les Débuts, p. 69 et note 1.

T. XXXVIII. 3-4 5


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national. C'était l'attraction vers la capitale des sciences qui se faisait sentir, et qui l'emportera finalement.

Déjà Latreille, qui est fort apprécié de ses amis, se voit lancé, et publiant encore à Brive son livre capital Précis des Caractères génériques des Insectes (1796), dont il parle plusieurs fois, il va bientôt partir sans retour.

Mais en outre, dès lors, il prépare son Gênera Crustaceorum et Insectorum, qui ne paraîtra qu'en 1806-09, (1) et l'étude des insectes qu'il obtient de Bosc, faite dans des conditions de loisirs particulièrement favorables., laisseront une trace significative dans l'ouvrage en question. Aussi n'est-il pas inutile de noter soigneusement ces prémices entomologiques, comme nous l'avons fait dans notre premier livre.

Ces cinq lettres accusent encore une tendresse de sentiments vraiment touchante chez Latreille qui, pour ses confrères en science, fait montre d'une belle âme. Avec Bosc, d'ailleurs, ses rapports cordiaux, nés à propos d'insectes, durèrent toute leur existence. Et ce n'est pas en' vain qu'il lui écrivit en date du 20 décembre 1825 (2) : « Mon ami de trentesix ans. »

(i) Voir les indications bibliographiques et critiques sur cet ouvrage. Les Débuts.... p. 222.

(2) Lettre qui fait partie du même dossier des manuscrits de la Bibliothèque du Muséum, n° 201-


- 219 —

I

Brives (sic), le 18 fructidor an 3 (5 septembre 1795).

Il faut sans doute, mon cher Bosc, qu'on ne vous ait pas remis la lettre que je vous écrivis, il y a environ deux mois, sous le couvert de la commission executive de l'instruction publique et en dessous sous celui du citoyen. Millins. (1) Je connais trop votre exactitude à répondre, et je suis trop convaincu de votre amitié pour moi pour attribuer ce retard à votre volonté ; où il faudra que je m'abandonne à une autre alternative plus affligeante, celle de penser que vous êtes malade. Faites en sorte de dissiper l'une et l'autre et que je reçoive enfin des nouvelles d'une personne sur l'attachement de laquelle j'ai toujours compté.

Les nouvelles publiques m'ont appris que Ton avait réparé l'injustice commise dans le tems, à votre égard. Vous voilà dans l'agence des postes. (2) Je m'en réjouis et pour vous et pour l'avancement que l'histoire naturelle en recevra. J'espère que vous me donnerez la facilité de correspondre avec les savants qui ont avec vous des relations plus spéciales, supposé toutefois que je reste ici. Car je sens bien qu'on ne peut vraiment être bon naturaliste si on habite une ville où

(i) Voir L. de N., Les Débuis, p. 111, note 4, la note biographique sur Aubin-Louis Millin, érudit, antiquaire et naturaliste (1759-1818), grand ami et protecteur de Latreille, comme il est établi, ibidem, p. 119. 11 occupait alors la place de chef de division dans les bureaux du Comité de l'Instruction publique.

(2) Bosc, â l'âge de 19 ans, avait été secrétaire de l'Intendance des Postes (1778), il fut destitué le 31 mai 1793 du grade d'administrateur (parmi les 3 premiers chefs) où l'avait nommé le ministre Roland. C'est alors que, proscrit, il se réfugia au fond de la forêt de Montmorency, déguisé en paysan, habitant l'ermitage de Sainte-Radegonde. Un autre réfugié qu'il accueillit-là, Lareveillère-Lepeaux, devenu ensuite membre du Directoire, désire le rétablir dans sa situation antérieure — c'est à quoi fait allusion sans doute Latreille — mais Bosc remercia son ami, ne voulant pas redevenir collègue de certains hommes qu'il regardait comme les provocateurs de sa destitution,


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il existe un foyer de lumières, comme Paris. (1) Mais l'embarras est d'y être placé et de pouvoir y vivre dans ce moment. Je me recommande toujours de vous.

Comment se porte votre fils? Faites-moi le plaisir de m'en instruire.

J'ai quelques insectes à vous envoyer, notamment l'Empis acephala de Villers (2), très rare, et qui fait un genre nouveau. Je me rappelle que vous me dites avoir éprouvé quelque désagrément à son sujet.

Depuis mon départ de Paris, je n'ai cessé d'étudier la zoologie et la botanique, afin que si le gouvernement juge à propos de me placer, je puisse répondre à ses vues. (3) J'ai perfectionné le plan d'entomologie que je lus à la Société. (4) Je vous l'enverrai, lorsque vous m'aurez écrit. J'ai adressé dernièrement au citoyen Lamarck un mémoire sur les genres des Tiques (5) sans avoir encore eu le bonheur de recevoir de réponse, pas plus de ce que j'avais déjà envoyé, par la Commission de l'Instruction publique, et par ce Comité du même nom.

Adieu, mon cher Bosc, je vous embrasse et salue avec bien de l'affection, tous les entomologues.

LATREILLE, à Brives, dép 1 de la Corrèze.

(1) Cette attraction de Paris n'empêchait Latreille de déclarer d'avoir été favorisé dans un pays vierge pour l'Entomologie. Voir Les Débuts, p. 172.

(2) Empis acéphale, décrit et figuré par Villers dans l'Entomologie Linnéenne, ni, tab. 10, fig. 21, diptère qu'il avait trouvé sur des coteaux de l'Angoumois au mois d'août, dont il fit le genre Cyrlus, dans son Précis des Caractères génériques, p. 154, genre VIII.

(3) Latreille était alors en instance pour être nommé professeur d'Histoire naturelle aux Ecoles centrales.

(4) Il s'agit effectivement du Précis des Caractères génériques des Insectes, et de la Société d'Histoire naturelle de Paris, à laquelle appartenaient. Bosc et Lamarck.

(5) Sans doute Observations sur la variété des Organes des Tiques et distribution -méthodique des Insectes de cette famille... parues au Magasin encyclopédique (1795), et présenté à la Société d'Histoire naturelle, sans doute par-Lamarck. Cf. notre ouvrage Les Débuts.... p. 126-7, où nous avons décrit ce mémoire.


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Où en est l'Entomologie (1) d'Olivier? Est il de retour?

Au citoyen Bosc, administrateur de l'Agence des Postes, chez le C. Debays, à Nuits.

II

Brive, le 4 brumaire, an 4 (27 octobre 1795).

J'ai reçu, mon cher Bosc, votre réponse à mes deux lettres et j'ai vu, avec le plus grand plaisir, que vos sentiments d'amitié pour moi n'avaient pas changé. Vous êtes trop juste pour retirer sans sujet la créance que vous donnez sur votre coeur. Persuadez-vous bien que je ferai tout mon possible pour la conserver.

L'annonce que j'ai vue dans les journaux des élémens d'Hist. nat. par le C. Millins (2), m'a fait naître le désir d'acquérir cet ouvrage. Je viens de lui écrire sous le couvert de la Commission de l'Instruction publique, et j'ai inséré 25 fr. Comme le prix en a augmenté depuis la première annonce, j'ajoute à cette lettre autres 25 fr. Tâchez vousmême de me Tacheter et de me le faire parvenir,le plutôt (sic) possible, franc de port. Morin, libraire, rue Christine, n° 10 est chargé de la vente. Le citoyen Millins voudra bien avoir la bonté de faire remettre au citoyen Lacépède (3) la lettre que j'ai jointe à la sienne et que je n'ai point cachetée, par oubli.

(1) Entomologie ou histoire naturelle des Coléoptères, Paris, 1789-1806, in-4°. Voir sur Olivier (Guillaume-Antoine) Les Débuts, la note 2 de la page 103; ce Naturaliste (1756-1814) était parti en mission auprès du Shah de Perse, qu'il devait raconter dans Voyage dans l'Empire Ottoman, l'Egypte et la Perse (1801-1807).

(2) Deuxième édition, parue en 1797 (Paris, Levrault), des Eléments d'Histoire naturelle, de Millin, à laquelle Latreille a participé, comme nous l'avons indiqué; cf. Les Débuts, p. 119, note 1.

(3) Lacépède, professeur de zoologie (reptiles et poissons) au Muséum ; nous avons montré ses rapports affectueux avec Latreille dont il facilita la venue au Muséum : cf. Les Débuts... pp. 101-2.


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Un ami que j'ai à Bordeaux, Dargelas, (1) voudrait troquer quelques insectes exotiques, et en avoir en place d'indigènes. Je vous ai écrit de vous envoyer la boîte. Vous pourriez peut-être enrichir votre collection sans être obligé d'avoir recours à d'autres. Au surplus faites tout ce que vous pourrez pour lui ; vous me rendrez service.

Les insectes que je désirerais pour la perfection de mon Gênera, sont :

— Scarabeus cylindricus... la bouche. Ptinus spinicornis Fab. Un Teratome de Fab. nouv. éd. Nitidula hirta F. (2)

— Erotylus.... une espèce histrio alumus. — Zygia. (3)

— Un zonitis... vous en avez de doubles, preusta.

(1) Dargelas, dont nous avons relaté le rôle de dévouement pour sauver Latreille des pontons mortels de .Bordeaux. (Les Débuts... pp. 28-35) Nous pouvons ajouter sur ce savant les notes biographiques suivantes :

Raymond Dargelas, né à Saint-Esprit (Basses-Pyrénées) en 1762, mort à Bordeaux en 1842. Professeur de botanique à Bordeaux, membre de la Société médicale d'Emulation de Bordeaux et de l'Académie de Bordeaux en 1804, son président en 1824 ; associé correspondant du Muséum de Paris; un fondateur de la Société d'Histoire naturlle de Bordeaux ; fit en 1809, un cours d'Entomologie au Muséum Guethal ; fut nommé en 1810 Conservateur du Muséum de Bordeaux. Il resta en correspondance avec Bosc et Latreille, qui donna le nom de Dargelasii à un insecte du genre de Chalsix, (Histoire naturelle des Crustacés et des Insectes, xni, p. 221), trouvé aux environs de Bordeaux par Dargelas; celui-ci donna à son fils Latreille, comme prénom. M. Lynch, maire de Bordeaux, fit l'éloge de Dargelas, dans L'Indicateur de Bordeaux, 14 septembre 1811.

(2) Scarabeus cylindricus Linné, Sistema Naturoe, éd. 13, T. ?, p. 544 devenu Sinolendron cylindricum, Fab. Lat., Coleoptère Scarabeide '< Ptinus Spinicernis Fab. qu'Olivier décrivit, Entomologie, u, n° 17, fig. 5, devenu Moesligus palpalis Lat., Coleoptère palpeur. — Tétatroma, Coleoptère Diapériale, probablement Le Tetratomoe Fungorum Fab. Systema Eleatorum, u. p. 574. — Nididula hirta F.? ou Rossi Fauna Etruscx, i, p. 59, devenu Colobicus marginatus, Lat., trouvé par lui à Brive, sous l'écorce des arbres (Cf. I,es Débuts, p. 262).

(3) L'Erotylus serait-il l'Erotyle Bifascié d'Olivier devenu Dacne fasciata Lat., Gênera Insectorum, u, 21, avec la mention : « Habitat ;n America Boreali. Ex dono Dom. Bosc. »? (Coleoptère nécrophage). Zygia, Coleoptère melyride,


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— Un Lycus exotique bicolor. — Un Iïoria. (1)

— Un Lyméxylon... Navale. (2)

— Cucujus depressus... (3)

— Carabus limbatus (4) dont Fab. a fait un nouveau genre.

— Cette espèce de Cicindèle angustata décrite dans Rossi et Oliv. dont le corps est rouge et les élytres bleues. Vous l'avez trouvée autour de Paris.

— Monoculus apus ou une espèce assez grande pour bien en examiner les organes. (5)

Oniscus paradoxus. (6)

Quelque crustacé qui paraisse former un genre nouveau.

Evania appendigaster. (7)

— Un scorpion.

Les faucheurs autres que les f. Cornu et TOpilio.

Je viens de faire sur ce genre les observations les plus curieuses. J'ai découvert les parties de la génération, de la respiration, plusieurs espèces nouvelles et je me propose de donner un mémoire que je présenterai à l'Institut national. (8) Envoyez-moi celle que vous avez : je vous les ren(1)

ren(1) preusta Fab. Systema Eleulerorum, tome n, p. 23. Coleoptère cantharidie. — Lycus, Coleoptère lampyride. — Horia, Coleoptère horiale, cf. Les Débuts, p. 110, note 2.

(2) Lyméxylon navale Fab. Syst. Elent. u, p. 88. Cf. Les Débuts, 110, note 5.

(3) Cucujus depressus Fab. Syst. Eleut. u, p. 93, Coleoptère cucujipès du Gênera, m, p. 24.

(i)Scolytus limbatus Fab., Syst. Eleut. i, 247, devenu Omphron limbatum, Latr. Coleoptère carabique.

(5) Monoculus apus Linné, Systema Naturae, éd. 13, i, p. 2, 1058 = Apus productus Latreille, ou Apus cancriformis Lat. Crusta:é phillopode.

(6) Cloporte, crustacé isopode de Latreille, compris d'abord par Linné dans les Insectes proprement dits.

(7) Evania appendigaster Fabricus, Systema Piezatorum, p. 178 = Evania roevigata, Oliv., Encycl. méthodique, Hist. Nat., 6, p. 453.

(8) Cf. Les Débuts... p. 137, analyse par Cuvier du mémoire présenté à l'Institut; p. 130, indications bibliographiques sur ce Mémoire pour servir à l'Histoire des Insectes connus sous le nom de Faucheurs L. (1797); p. 259, mention des espèces créées trouvées à Brive.


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verrai avec d'autres insectes. Si j'avais étudié les Araignées comme vous, j'aurais donné, en outre, leur histoire et leur nomenclature, les deux genres étant très voisins.

Adieu, mon cher Bosc. Je vous embrasse et salue les amateurs de notre connaissance.

LATREILLE.

III

Brive, le 19 floréal, an 4 (9 mai 1796). Je vous fais passer, mon cher Bosc, sous le contre seing du ministre de l'intérieur et à l'adresse de Millin, la boîte que vous eûtes la galanterie de m'envoyer. J'en ai eu tout le soin possible et je n'oublierai certainement pas votre beau procédé à mon égard. Vous venez de me donner une nouvelle marque de votre amitié en m'envoyant l'ouvrage de Creuzé la touche (1) sur le district de Chatellerault et le nomenclateur de Fab. (2) Je remettrai les deux objets avant peu. J'ai parcouru, avec avidité, ce dernier : car il me tarde de completter mon Fabricius. J'espère que par votre moyen et celui de Millins, j'en viendrai à bout. Si vous connaissez les genres Ceria, Volucella, Cytherea, (3) vous m'obligerez de m'en indiquer les caractères. Vous me donnâtes, avant de quitter Paris, plusieurs insectes entre lesquels est le Melyris Amaculutus (4) de Rossi. Olivier ne Ta pas rapporté à

(1) (2) La lettre du 8 prairial, an 4 (24 mai 1796) dont cette lettre-ci est la suite, — et que nous avons publiée dans Les Débuts, p. 111 — parle de cet ouvrage de Creuzé-Latouehe, Description topographique du District de Chatellerault (1790) sans le nommer — et du Nomenclateur, sans indiquer qu'il était de Fabricius, — c'est celui qui avait ce titre complet : Nomenclator, Entomologicus enumerans Insecta omnia in J. G. Fabricii Entom. Systematica. Manchester, 1795. Cf... Les Débuts, p. 112, note 1.

(3) Même demande dans la lettre du 8 prairial ; Cf. op. cit.. p. 113, note 6.

(4) Melyris bimaculatus R.ossi, Fauna Etrusca, i, p. 45, Coleoptère sur lequel Latreille avait déjà consulté Fabricius et qui lui répondit le 2 fructidor 1796 (19 août), comme nous l'avons dit, en publiant la lettre de celui-ci (Les Débuts... p. 94).


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ce genre. Je l'ai examiné ces jours-ci. Il m'a paru effectivement qu'il en différait par les antennes un peu boslées et entièrement perfoliées. C'est le vrai genre Zigia de Fab. qui diffère peu des Melyris d'Oliv. Je désirerais beaucoup examiner la bouche du Mélyre du Cap de Fab. ; mais cet insecte est rare. (1)

A ceux que vous m'aviez prêtés, j'ai ajouté les suivants :

Impis Acephala de Villers, genre que je nomme Cyrtus du mot grec : Bossu. (2)

Bupreste bronzé d'Oliv. (3)

Callidium 3 fasciatum Fab. (4)

Melasis buprestoides Oliv. Je vous rends ce que vous eûtes la bonté de me donner. (5)

Deux Tritoma 2 pustulata Fab. Je vous prie d'en donner un à Lamarck ainsi qu'un autre du suivant. Ce genre diffère très peu de l'Erotyle. (6)

Sphex abietina Scopoli. Joli insecte qui forme un nouveau genre, bien évidemment. Je vais le publier, sous le nom d'Orusse couronné. Je vous en envoie trois, dont un pour vous, un pour Lamarck comme je viens de vous le dire, l'autre pour Fab. Ce sont des mâles. J'ai pris hier la femelle qui sous beaucoup de rapports s'éloigne de l'autre sexe.

(1) Melyris veridis Fab., Systema Eleutorum î, p. 310 ; Coleoptère du Cap de Bonne-Espérance.

(2) Empis acephala Villers, Entomologie linnéenne, tome 3, Fab. 10, p. 21, forma le genre Cyrtus, Cyrte, Précis des Caractères génériques des Insectes, p. 154.

(3) Sans doute le Bupreste bande dorée (Buprestis vitata), Olivier, Entomologie, tome 2, n° 32. Coleoptère.

(4) Le genre Callidium Fab. fut incorporé par Lat. dans le genre Cerambyx (Capricorne, coleoptère).

(5) Le Melassis buprestoides Oliv., Coleoptère de la famille des Buprestides, était fréquent dans les environs de Brive. Cf. Les Débuts p. 112, et note 2, p, 262.

(6) Tritoma 2 pustulatum Fabricius,Systema Eleutorum, 2, p. 271, Coleoptère de la famille des Trotylenoe.


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C'est au bout d'un mois de recherche, ayant pris vingt à trente mâles, sans jamais rencontrer de femelle. (1)

Vous me ferez plaisir de m'envoyer une ou deux Omalises (2).

Je réfléchirai sur les inconvénients de publier mon Gênera dans ce moment. Je serais cependant fort aise d'amasser quelque peu d'argent pour voyager au Mont d'Or et au Cantal. (3)

Adieu, je vous embrasse. LATREILLE.

IV

Brive, le 24 messidor, an 4 (13 juillet 1796).

Que ne m'avez-vous fait connaître, mon cher Bosc, le mode de votre voyage à Bordeaux : j'eus calculé, à peu près, l'époque de votre passage à Périgueux, distante de Brive de 12 lieues et je m'y serais rendu, afin d'avoir la consolation de vous embrasser. Peu même s'en est fallu que je n'ai entrepris d'aller à Bordeaux y étant sollicité par le Ce" Dargelas, chargé de vous remettre la présente ; mais ne pouvant faire le voyage qu'à pied et ne jouissant pas d'une trop bonne santé, j'ai été obligé d'abandonner cette agréable idée.

Y aurait-il de l'indiscrétion de ma part de vous demander quelles seront vos occupations dans cette terre paisible où vous vous retirez. (4) Pardonnez-moi, mon cher, cette ques(1)

ques(1) lettre confirme l'antériorité pour Latreille dans la création du genre d'Hyménoptère Orusse ou Orysse que lui souffla Fabricius, comme nous l'avons rapporté, Les Débuts, p. 131. Cf. aussi, ibidem, p. 25S, 2, pour la capture de cet insecte.

(2) Coleoptère lampyride auquel se rapporte déjà un passage de la lettre du 8 prairial, Les Débuts, p. 113 et note 2.

(3) Voyage qu'il fit en août 1796 et qu'il a raconté, cf. Débuts, p. 68(4)

68(4) ayant refusé de son ami Lareveillère-Lépeaux sa réintégration en tête de l'administration des Postes, fut poussé par des chagrins d'amour à s'expatrier et demanda le premier poste vacant aux ÉtatsUnis dans les consulats. Nommé successivement vice-consul à Wilmington, puis consul à New-York, il ne peut obtenir l'exequatur du président Adams, alors en discussion avec la France. Et il occupe ses loisirs forcés, à réunir d'importantes collections d'histoire naturelle. II fit part de ses trouvailles à ses amis Fabricius, Olivier, Latreille, etc., ne voulant profiter de ses travaux qu'ensuite.


— 227 —

tion. L'amitié bien sincère que j'ai pour vous est le seul motif qui m'engage à vous la faire. Je désire, au reste, de tout mon coeur, que le nouveau monde vous procure plus de bonheur que l'ancien. Je suis très convaincu que vos lumières vous y seront parfaitement accueillies. L'Histoire naturelle va s'agrandir sous vos yeux et sous vos mains. Un nouveau théâtre de découvertes se présente à vos regards et je crois que vous en laisserez bien peu échapper. L'Amérique n'a guère vu de naturalistes de votre trempe. Puissè-je vous accompagner dans vos intéressants voyages ! Une malheureuse destinée m'attend peut-être ici ; mais enfin tout le monde ne peut pas s'expatrier. Me voilà lancé, il faut courir les risques. Je ne manquerai pas dans toute circonstance, de vous écrire et de vous instruire sur tout des avancemens de la science pour laquelle vous faites tant de sacrifices. Je n'ai pas besoin de vous dire de vous rappeler de moi, lorsque je connais la bonté de votre coeur, et que vous m'en donnez l'assurance. Dès que vous serez arrivé, écrivez-moi pour me tranquilliser sur votre sort. Les nouvelles de votre santé, de votre repos, me feront plus de plaisir que les insectes que vous me promettez. Ainsi que l'impossibilité de répondre à mes voeux sur cet article, ne vous empêche pas de m'apprendre ce que vous êtes dévenu avec votre enfant.

Tâchez, s'il vous est possible de jeter quelque coup d'oeil sur la collection du Cen Dargelas, mon ami. Veuillez vousmême choisir parmi ses doubles les insectes qu'il me destine, surtout dans les ordres des hyménoptères et des lépidoptères. Rendez-lui, pendant votre court séjour à Bordeaux, tous les services que vous pourrez et soyez assuré qu'il en usera de même.

Je vous ferai passer ce que je publierai en Entomologie. J'ai surtout un travail important sur les hyménoptères que j'ai étudiés avec le plus grand soin. J'ai découvert ces joursci que les Mutilles aptères sont des vraies femelles et qu'il n'existe pas de Mulets dans ce genre, comme on l'avait cru.


— 228 —

Voyez le Cen Journu-Aubert (1), député à la 1" législature, son musée est fort beau. Le propriétaire peut vous être trèsutile, par ses correspondances commerciales.

Lorsque je serai à Paris, je remplirai les conditions que vous me prescrivez à l'égard de votre collection. L'amitié et la reconnaissance m'en feraient un devoir.

Adieu, Mon cher Bosc, je vous embrasse bien tendrement

et je serai éternellement à vous.

LATREILLE.

Au Citoyen Bosc, chez la citoyenne Veuve Gensonné (2), rue des Trois Corsets, à Bordeaux.

V

Bordeaux, le 24 pluviôse, an 5 (13 février 1797). [Rep. le 30 Mm.] (3) On vient de me donner de vos nouvelles, mon cher Bosc, et elles m'ont fait, je vous le jure, un plaisir bien grand. Je sens tous les jours, le vide où m'a jette votre absence. Je

(1) Le citoyen Journu-Aubert avait aidé son neveu le Naturaliste Bory de Saint-Vincent à délivrer Latreille des pontons de Bordeaux, voir Les Débuts, p. 30.

Bernard Journu, connu sous le nom de Journu-Aubert, né en 1748 à Bordeaux, mort le 29 janvier 1815, fut un personnage. Négociant, armateur, consul à la Bourse de Bordeaux de 1778 à 1780, il fut élu à l'Assemblée législative en 1791, et fut nommé sénateur après le 18 brumaire. Pair de France en 1815. 11 légua à la ville de Bordeaux sa collection d'Histoire naturelle et laissa plusieurs mémoires imprimés sur l'agronomie, qui sont estimés. Cf. Féret, Statistique de la Gironde, in ; sur le legs des collections d'histoire naturelle, cf. André Vovard, Le Patrimoine de la Légion d'Honneur dans le département de la Gironde (1914).

(2) La veuve du Girondin célèbre, Armand Gensonné, décapité le 13 octobre 1794, qui avait été un ami personnel de Bosc.

(3) Cette anotation, que nous mettons entre crochets, est de la main de Bosc, et la réponse en question est publiée par nous (Les Débuts, p. 114), d'où un double intérêt que présentent ces deux lettres tour à tour. Celle que nous produisons marque une date exacte d'un voyage à Bordeaux de Latreille.


- 229 —

ne trouve plus des entomologues de votre force, et mon esprit, de ce côté, se livre à beaucoup de regrets. Le coeur n'est pas moins en peine : car je ne peux douter que je n'ai eu en vous l'ami le plus sincère. J'attends, avec la plus vive impatience quelque lettre de vous qui me console et me dédommage des inquiétudes que j'éprouve à votre égard. J'espère que vous n'oublierez pas un homme qui ne vous aime pas simplement comme homme de lettres, mais comme un véritable frère. Je vous suivrai dans ces contrées si belles aux yeux d'un amant de la nature ; je traverserai avec vous les vastes solitudes, et votre souvenir répandra peut-être quelques douceurs sur les amertumes de notre misérable vie.

Vous voyez que j'ai quitté Brive, et que je suis dans l'intéressante ville de Bordeaux. Vous ne sauriez croire, vous ne sauriez croire, Mon cher, à quel point je jouis. L'amitié m'accorde ici mille faveurs. C'est chez mon bon ami, disons mieux, notre intime Dargelas, je suis venu loger. Ayant une si bonne place dans son coeur, il était naturel d'en trouver une autre dans sa maison. Il m'a parlé de vous avec cet épanchement de sentimens que vous lui connaissez. Quand il ne m'eut pas chargé de le rappeler à votre souvenir, vous pouvez bien penser que je vous eusse entretenu également de lui.

Nous apprenons, avec douleur, que la cherté des vivres atteint vos ressources. Hélas ! mon cher, si la fortune n'avait pas été si fort mon ennemie, je tâcherais de venir à votre secours et de vous ménager quelques jouissances secondaires et souvent même nécessaires à un homme qui travaille comme vous.

Votre présence dans cette ville a électrisé toutes les têtes. Il s'est formé une Société d'Hist. nat. fort bien organisée et qui marche (1). Il lui faudrait seulement quelque homme

(1) Sur la fondation de la Société d'Histoire de Bordeaux, cf. Les Débuts, pp. 119 à 121; Latreille et Bosc en furent pendant quelques temps les seuls correspondants, tellement ses choix étaient circonspects.


- 230 —

qui eut déjà vieilli dans les observations et dans l'étude des sciences naturelles, afin d'empêcher le faux pas. L'erreur est une malheureuse compagne des institutions nouvelles. Que n'êtes-vous ici?

On vous remettra un ouvrage que je viens de publier et que je dois en partie à vos communications amicales. Vous ne serez pas content, peut-être, de la partie typographique : je manquais de moyens et de conseils (1).

J'ai cette confiance que dans les envois que vous annoncez, j'y serai, ainsi que Dargelas, pour quelque chose.

Adieu, mon cher Ami. Je vous désire le bonheur que je me souhaite à moi-même. Tout à vous.

LATREILLE.

Au Citoyen Bosc, Naturaliste français.

LOUIS DE NUSSAC.

(1) Il s'agit évidemment du Précis des Caractères génériques des Insectes, imprimé à Brive, 1796, ouvrage capital dans la carrière scientifique de Latreille, dont les dispositions typographiques ont été aussi critiquées par le Magasin encyclopédique de Millin ; nous avons consacré à ce livre tout un chapitre. (Les Débuts, pp. 141-167).


Il ne ôeza paô pezçu de cotiôationô pouz l'année igi6 ; maiô en zaiôon deâ fzaiô de publication, le Tzéôoziez de la Société zecevza avec zeconnaiôôance led cotiôationô ençoyéeô à titze gzacieux.

M. SOULIÉ, Trésorier, rue du Colonel Bial à BRIVE (Corrèze)



CHAPITRE III Le Commandeur Jean de Valon

1440 à X S 18

Son enfance, sa vocation; il entre dans l'ordre des chevaliers de Saint-Jean de 'Jérusalem. — 2° Il se trouve à Rhodes lors du siège fameux de 1480 où il est blessé et séjourne longtemps dans l'Ile. — // s'occupe de diverses missions et de Vadministration de ses commanderies; il est nommé commandeur de Bordeaux (14.Ç4). — 4" Il visite ses commanderies, porte à Rocamadour le titre d'indulgences données par le grand maître, Pierre d'Aubusson; devient commandeur du Bastit, et se retire en Quercy, en 1503. — 50 II consacre dés lors son temps à la gestion de ses commanderies ; il fait une fondation importante à la chapelle Saint-Jean-Baptiste de Rocamadour où il veut être inhumé, et meurt en i$iS.

§1. — Les Valon de Thégra, depuis leur départ de Rocamadour, revenaient souvent se prosterner aux pieds de la Madone. Jean de Valon, fils d'Adhémard, les accompagnait dans ces pieux pèlerinages ; il gardera toute sa vie un amour profond pour le lieu de sa naissance et pour la vierge du Quenry. Né dans la « maison forte » des Valon vers 1440, il puisa de bonne heure aux sources mêmes de la piètè sa dévotion envers Notre-Dame qui décidera de sa vie religieuse et chevaleresque et animera toute sa carrière. Quand ses parents regagnèrent le berceau familial, c'est avec regret qu'il quitta ce lieu, cette maison, qui lui étaient si chers.

Sa mère, Marguerite de Guiscard, fille de Raymond et


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de Marguerite d'Aubusson, était proche parente du futur grand maître Pierre d'Aubusson (i), de là des relations qui ont pu déterminer la vocation de Jean. Les vertus et les exploits des chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem dont en s'entretenait dans sa famille n'}r étaient pas non plus étrangers. Avec les sentiments qui germaient dans son coeur, ce jeune seigneur ne pouvait rester insensible aux attraits d'une carrière vers laquelle il se sentait instinctivement attiré. C'est dans le recueillement, à Rocamadour, qu'il prit la résolution d'entrer dans la milice des Hospitaliers. Il dut faire ses preuves, vers 1460, à l'âge de 18 ans, et son père versa au trésor de l'Ordre « cent scutz d'or » le jour de sa réception (2). Peu de temps après il devenait chevalier presqu'à la veille d'événements mémorables.

§2. — Un fait d'une grande importance venait de se produire en Orient; Mahomet II avait pris Constantinople en 1453 et du coup Rome et la chrétienté se trouvèrent menacés. L'ordre de Saint-Jean de Jérusalem se dressa contre le conquérant et, fortement retranché dans l'île de Rhodes, opposa une barrière infranchissable aux efforts de l'Islamisme. A la mort du grand-maître, Orsini, le danger de l'invasion Musulmane devenait inquiétant. Dans cet instant critique l'élection de Pierre d'Aubusson à la dignité suprême fut accueillie avec joie comme un gage de salut (3). Dès qu'il fut élu, Pierre d'Aubusson, parcourut l'Europe pour obtenir le concours des puissances ; mais ses efforts n'eurent pas le succès qu'il attendait. Jean de Valo?i l'aurait accompagné et, fidèle à la convocation du grand maître, ordonnant, le 31 juillet 1477 (4), à tous les chevaliers en état de porter les armes de se rendre immédiatement à Rhodes, il était auprès de lui,

(i) Archives de la famille de Valon ; — Moreri, t. 1, pp. /■/ôctyjy.

(2) Archives de la famille de Valon.

(3) Pierre d'Aubusson, par Bonhours, p. 36.

(4) Ibidem, p. 47.


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le Ier mai 1478, et ne lé quittera plus jusqu'à sa mort. Jean appartient donc à la grande période de l'histoire de son Ordre qui, sous la conduite de l'illustre grand maître, fut le rempart de l'Occident contre l'invasion de Mahomet II et sauva le monde chrétien.

Pierre d'Aubusson fondait plus d'espoir dans la protection divine et le courage des chevaliers que dans l'intervention des puissances. Aussi ne négligea-t-il rien pour organiser la défense de Rhodes et rendre imprenable cette citadelle avancée de la chrétienté. Les desseins de Mahomet II ne pouvaient tromper sa vigilance et quant la flotte ennemie parut devant l'Ile, en mai 1480, il était prêt à soutenir un long siège et à mourir plutôt que de se rendre. Tous- comprenaient en effet que l'échec de Rhodes serait le signal de l'invasion de l'Italie.

Le siège dura deux mois. Les attaques, les assauts, les surprises se succédaient nuit et jour. Les chevaliers n'avaient pas le temps de se reposer dans leurs albergues; mais grâce à leur intrépidité, les Turcs furent constamment repoussés. Néanmoins ceux-ci tentèrent un effort décisif et, profitant d'un moment de surprise, donnèrent l'assaut général, le 27 juillet 1480. Les remparts furent bientôt couverts de Musulmans. Pierre d'Aubusson fit déployer le grand étendard de l'Ordre portant l'image de la mère du Sauveur et celle de saint Jean-Baptiste, et suivi de ses preux monta à l'assaut de ses propres murailles. Malgré ses blessures il excite à chaque instant le courage des siens. Cependant la résistance eût été presque impossible sans l'intervention miraculeuse de la Vierge. Nul doute que Pierre d'Aubusson et ses braves, dans cet instant suprême, n'aient fait appel à son secours. On peut croire aussi que Jean de Valon invoquait plus spécialement la reine du ciel sous le vocable de Notre-Dame de Rocamadour (1). — Les chevaliers se battaient comme des héros, faisaient en vain des prodiges de valeur; mais la

(1) Guide du Pèlerin de Rocamadour, édition 1897, P- 94T. XXXVIII. 3 4 D


victoire semblait fuir. « Or voila que dans la chaleur du « combat les Turcs aperçoivent en l'air une croix d'or envici ronnée de lumière et une Dame extrêmement belle, vê« tue d'une robe blanche, la lance à la main et le bouclier « au bras, accompagnée d'un homme vêtu de poils de cha« meau et d'une troupe de jeunes guerriers... » Cette vision troubla les Musulmans à tel point qu'ils prirent la fuite et se précipitèrent sur le rivage pour regagner leurs vaisseaux. Les chrétiens ranimés par cette apparition poursuivirent l'ennemi et en firent un grand carnage (i). Le grand Maître et ses chevaliers, la plupart couverts de blessures, rendirent grâce à Dieu et à sa « Benoîte Mère ».

Jean de Valon avait été blessé ; les débris d'armure trouvés dans son ancien tombeau l'attestaient (2). Les chevaliers blessés, selon l'usage de l'époque, suspendaient leur armure sur les autels votifs et à leur mort on les déposait sur leur tombe. — On voyait aussi sur les parois de l'ancienne chapelle Saint-Jean-Baptiste (chapelle de Valon) un reste de peinture représentant un chevalier à genoux priant une madone élevée dans les airs. C'était un témoignage de la piété de Jean et probablement aussi un souvenir de la miraculeuse apparition de la Sainte-Vierge dont il avait été le témoin, le 27 juillet 1480 (3).

Rhodes sauvé, Pierre d'Aubusson prévoyant le retour offensif des Turcs, prit de nouvelles mesures pour repousser une seconde attaque. Heureusement la mort de Mahomet II, survenue l'année suivante, vint assurer le salut de la papauté et le triomphe de Rhodes. Toute la chrétienté remercia Dieu de cette nouvelle faveur.

Jean de Valon resta longtemps dans l'île célèbre, ainsi qu'un grand nombre de chevaliers car le grand maître, pour ne pas perdre le fruit de sa victoire, ne voulait, sous

(1) Pierre d'Aubusson, par Bonhours, p. 102.

(2) Des restes d'armure de la cuirasse et du casque furent trouvés lors des fouilles du tombeau, vers 1862.

(3) Guide du Pèlerin à Rocamadour, p. 04 {édition 1S97).


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aucun prétexte, dégarnir la place. Pendant son séjour à Rhodes il fut chargé de diverses fonctions relatives à la défense de l'île. Les archives de Malte pourraient, peutêtre, en donner le détail; mais elles sont plus explicites sur les commanderies de choix que l'Ordre lui confia en Provence, dans le Bordelais et en Quercy (i). Quoique parent du grand maître, ces honneurs n'étaient pas dûs à la faveur, mais au mérite et à l'ancienneté; ils témoignent en tout cas des services rendus pendant une période des plus difficiles.

§ 3. — Les occupations militaires n'empêchèrent pas Jean de Valon d'administrer ses commanderies. En 1487 il résigna la commanderie de Rusticas et Saint-Lazare qu'on lui avait efferte en Provence (2); mais il accepta en mai 1489 la commanderie de Beaulieu, également en Provence, avec tous ses droits et appartenances (3). Elle comptait Toulon, Hyères, etc. parmi ses membres, et Jean dut en éprouver une grande joie en raison des souvenirs de famille qui se rattachaient à ces localités. C'est à Toulon que son grand oncle, Jean Stephani de Valon (le bienfaiteur et le parrain de son aïeul, Jean de Valon) avait été évêque pendant plus de 25 ans de 1368 à 1395 (4); c'est à Hyères que Marguerite Stephani de Valon,soeur de l'évêque de Toulon, avait été abbesse de Saint-Pierre de la Manarre à la fin du xive siècle (5).

(1) Archives de la famille de Valon.

(2) Archives de Malte, reg. Magistri, 74. f. 33.

(3) Prioratûs Sh Egidii— Magister et conventus fratri Johanni de Valon, linguse Provincise, militi, bajuliam de Belloloco, prioratûs Sancti Egidii, per resignationem de eadem factam a fratre Guillelmo Sextre vacantem, cum omnibus suis jùribus et pertinentibusac sub annua solutione jurium communis thesauri ad annos decem conferunt, illumque in eadem preceptoria preceptorem constituunt,' zo maii 1489 (arch. de Malte, reg. bullar. Magistri, 75, f. 30).

(4) Cf. VEssai historique et généalogique sur la famille de Valon, par Ludovic de Valon, pp. 96 à 122,

(5) Ibidem, pp. 140 et 141.


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Jean de Valon fut chargé, en 1492 et 1493, de la missionimportante de réorganiser et délimiter les commanderies dans la langue de Provence (1). C'était la conséquence des réformes de P. d'Aubusson qui eut l'honneur de rétablir la discipline et les finances de l'Ordre. Une commission fut nommée dans chaque langue pour étudier les améliorations à apporter dans les groupes de commanderies. Jean faisait partie de la langue de Provence. La mission était délicate car il fallait, en s'inspirant des idées du grandmaître, pratiquer des coupures dans les commanderies trop riches, diminuer les droits et l'autorité des précepteurs trop puissants, se soustraire aux influences des situations acquises, mettre enfin de l'harmonie dans la hiérarchie des possessions. Jean de Valon s'acquitta si bien de sa tâche qu'après le décès d'Odet de la Graulas, il fut mis, le 11 juin 1494, à la tête de la commanderie de Bordeaux, une des plus considérables du Midi (2). Quelques mois après (avril 1495) il reçut aussi la commanderie de Sallebruneau (membre important de Bordeaux) vacant par le décès de Bernard de Gros (3). On lui donna encore une

(1) Arch. de Malte, reg. bullar. Mag. 76, f°s 2S à 38.

(2) Prioratûs Tholose — Magister, fratri Johanni de Valon preceptorioe de Belloloco, prioratûs Sancti Egidii, preceptori, non obstante quod dictam preceptoriam de presenti possideat, preceptoriam de Burdegalense, prioratûs Tholose, per obitum quondam fratris Oddeti de la Graulas vacantem, excepto et resignato membro seu pensione francorum 200 ad electionem Magistri, sub annua solutione jurium communis thesauri confert, 7 junii 1494 (arch. de Malte, reg. bullar. Magistri, 77, f. 3S).

(3) Bernard de Gros était procureur de Jean de Valon, le iS décembre 1494, pour les affaires de la commanderie de Bordeaux. Son décès a dû avoir lieu entre le Ier janvier et le ic avril 1495 puisque, le il mai 1495, jcan de Valon, en qualité de commandeur de Sallebruneau, donne procuration à Me Etienne de Bioreau, notaire, pour recevoir les reconnaissances des tenanciers de Sallebruneau (archives de la famille de Valon. — Arch, de la Haute-Garonne, salle de Malte, carton 1, Sallebruneau, pièce n°46).


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pension de 60 écus à titre d'ancienneté sur les revenus de Ta Selve, en Provence, en attendant qu'il fut pourvu d'un bénéfice plus important (1).

§ 4. — Toutes ces charges obligèrent Jean de Valon à faire sans retard, la visite de ses commanderies. Il partit en mai 1495 (2) sur une galère de l'Ordre et se rendit directement à Bordeaux où l'appelaient des affaires sérieuses concernant Sallebruneau. Cette commanderie avait alors pour membres : le temple de Bordeaux et SaintJean de Bordeaux, Arveyres, Cadarsac, la Grave d'Ambarès, la Lande, Pomerol près Libourne, Marcenais dans le Fronsadais, Sallebruneau, Puch, etc., dans le Bazadais, Benon en Médoc, etc.. Au xnie siècle le revenu de ce bénéfice s'élevait à 16.000 livres (3).

De graves difficultés existaient depuis longtemps à Sallebruneau. Le commandeur, qui en était aussi le seigneur, luttait contre de puissants voisins désireux de s'approprier la juridiction de cette localité. En 1477 le précepteur, Jean Taren, ne pouvant soutenir la lutte, supplia le commandeur de Bordeaux, Antoine de Murât, d'accepter ce fief. L'offre fut repoussée. Mais l'union des deux bénéfices devint définitive au décès de Bernard de Gros, dès que Jean de Valon lui eut succédé. — Les seigneurs de Rauzan étaient de rudes adversaires pour les commandeurs de Sallebruneau : le plus redoutable fut sans contredit messire Jacques Angevin. En 1494 il envahit les terres de cette commanderie,' les dévasta et commit toutes sortes d'excès. Bernard de Gros déposa plainte au parlement de Bordeaux qui ordonna une enquête et réprima les séditieux (4). Enfin Jean de Valon ayant pu transiger, le 18 décembre 1494, avec Jean de Durfort, l'un des seigneurs de Rauzan, et ensuite avec les autres coseigneurs, l'apaisement se fit (5).

(1) Arch. de Malte, reg. bullar. Mag. 77, f°s 160 à 170.

(2) Il était encore à Rhodes le 2S avril 1495 (arch. de Malte, reg. bullar. n° 77, f°s 160 à 170).

(3) Histoire du grand prieuré de Toulouse, par A. du Bourg, p. 461.

(4) Ibid, pp. 437 à 460.

(5) Archives de la famille de Valon.


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Après avoir visité les commanderies de Bordeaux et Sallebruneau il s'embarqua pour la Provence. Il arriva à Beaulieu en juillet 1495 et fit la visite de cette commanderie qui avait pour membres : Hyères, Toulon, Co3rolin, Brignoles et en plus la quatrième partie de la seigneurie de Soliers. Là aussi il y avait des difficultés ; le commandeur était en procès avec Palamides Fourbin qui occupait toute la seigneurie ; mais en 1495 Jean de Valon rétablit l'ordre en transigeant avec lui. Le revenu de Beaulieu s'élevait à cette époque à « trois cents huictante florins huit sols neufs deniers » (1). — Il assista ensuite au chapitre provincial de Saint-Gilles et se fit octrojrer des lettres lui donnant des titres à l'avancement. Ces lettres furent examinées et acceptées par la chancellerie de Rhodes le 2 août 1495 (2).

De là le commandeur se dirigea sur Toulouse prit part au chapitre provincial, puis il se rendit à Rocamadour où il voulait remercier la Madone de sa protection et remplir la mission dont il était chargé. Pierre d'Aubusson, très probablement à la prière de Jean de Valon, avait accordé, en 1495, au sanctuaire de Rocamadour, en vertu de ses pouvoirs comme cardinal légat du SaintSiège, des indulgences valables pour toujours, d'après Odo de Gissey (3). Mais, comme le dit l'abbé Caillau, ces indulgences octro37ées par simple légat, ne pouvaient être plènières ni excéder cent jours à moins de privilèges extraordinaires (4). Elles témoignaient, en tout cas, du pieux attachement du grand Maître et du chevalier, Jean de Valon, pour l'antique Pèlerinage. Ce fut donc une joie pour le commandeur de remettre à l'évêque de Tulle le titre de ces indulgences (5).

(1) Archives des Bouches-du-Rhône, Ordre de Malte, visites,

reg. 5 (1495). 14(2)

14(2) de Malte, reg. Mag. n° 77, fus 3S à 44.

(3) Histoire de Rocamadour, par Odo de Gissey, chap. XXIV, p. 177.

(4) Histoire de Rocamadour, par l'abbé Caillau, p. 114.

(5) On ne connaît pas le nombre de jours d'indulgences qui furent accordés.


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Jean de Valon vint se reposer ensuite dans sa famille au château de Thégra. Il profita de son séjour pour aplanir le différend entre ses frères Anthoine, seigneur de Thégra, et Pierre, au sujet de la succession paternelle et,, le II octobre 1495, leur fit signer la transaction qui mettait fin au litige. Il renouvela à Antoine de Valon sa procuration pour la gestion de la commanderie de Bordeaux (1) et retourna à Rhodes au commencement de 1496. Dans le courant de cette année il eut la satisfaction'de permuter la commanderie de Beaulieu pour celle de Cras et du Bastit en Quercy (2), située près de Rocamadour et de Thégra centre de toutes ses affections. Cette commanderie comprenait le lieu du Bastit, les seigneuries spirituelles et temporelles de Baussac et de Cras, des rentes à Gramat, Leyme, Martel, Vaillac, etc.. Au xvme siècle ce bénéfice donnait environ 9.000 livres de revenu (3). Quelques années après (1501) il entra en possession du membre d'Assier qui faisait partie du Bastit (4). — Vers la

(1) Archives de la Haute-Garonne, salle de Malte, carton i, Sallebruneau, pièce 47.

(2) Prioratûs Sancti Egidii — Magister et conventus, fratri Johanni de Valon preceptoriarum Burdegalensis et Belliloci, prioratûs Sancti Egidii, preceptori, dimissa prius dicta preceptoria Belliloci ad illam permutandam cum fratre Petro de Castellana, preceptore de Crast et du Bastit, prioratûs Sancti Egidii, non obstante quod alteram preceptoriam Burdegalensem de presenti teneat, eamdem preceptoriam de Crast et du Bastit cum suis juribus et pertinentibus... pro suo melioramento conferunt illumque in eadem preceptorem nominant... 22 juin 1496 (arch. de Malte, reg. bullar. Magistri, n° 77, f°s 38 à 44). — A la commanderie de Cras (canton de Lauzès) se rattachaient l'ancienne commanderie de Templiers de Saint-Thomas de Pomarède à Peyrilles, Gironde près Cras, SaintMichel près Cras, Nadilhac, etc.. — A la commanderie du Bastit se rattachaient Cazillaç et Saint-Julien, Martel, probablement Félines près Bretenoux, Saint-Vézian près Monfaucon, Assier et un peu de Camburat.

(3) Histoire du grand prieuré de Toulouse, par A. Dubourg, p. 547.

(4) Arch. de Malte, reg. Mag. n° 78, fos 38 à 40. •


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même époque (1500) il fut également pourvu des membres du Boysset et de Giés dépendant de la commanderie de Bordelles (grand prieuré de Toulouse) [ij.

Jean de Valon résidait à Rhodes depuis longtemps, on peut en trouver la preuve dans une enquête qu'il fit en 1501 au sujet des désordres commis à Sallebruneau où l'on voit les témoins déclarer qu'ils ne connaissent pas le commandeur de Bordeaux mais seulement son frère et son procureur, Antoine de Valon (2). Le grand Maître, d'ailleurs, surveillait les armements de Bajazet, successeur de Mahomet II, et avait ordonné à ses chevaliers de venir le rejoindre. Il organisa une croisade contre Bajazet et accepta d'en être le chef. Mais au moment de partir la plupart des puissances reculèrent et Pierre d'Aubusson en éprouva un violent chagrin. Dès lors il ne s'occupa plus que des affaires de son Ordre. — Jean de Valon, de son côté, se consacra, de plus en plus, tout en restant à Rhodes, à l'administration de ses commanderies. Il eut notamment à vaincre les nouvelles difficultés suscitées à Sallebruneau par les seigneurs de Rauzan. Jacques Angevin, le plus acharné, à la tête de soixante hommes d'armes avait dévasté, en 1500, les terres du commandeur et commis de nouvelles déprédations (3). L'affaire fut portée devant le parlement de Bordeaux ; une enquête fut ordonnée en 1501 à la suite de laquelle des arbitres fixèrent les limites de la terre et seigneurie de Sallebruneau. Enfin Jean de Valon et Jacques Angevin transigèrent, le 31 mai 1503 (4). Malgré cet accord, la lutte se poursuivit et ne fut suspendue que par la mort de Jacques Angevin (5).

(1) Arch. de Malte, reg. Mag. n° 80, fos 27 à 40.

(2) Arch. de la Haute-Garonne, salle de Malte, carton 4, Sallebruneau.

(3) Histoire du grand prieuré de Toulouse, par A. de Bourg,

PP- 437 à 46°-

(4) Arch. de la Haute-Garonne, salle de Malte, cartons de SalleBruneau.

(5) Histoire du grand prieuré de Toulouse, par A. du Bourg, pp. 437 à 461,


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Le commandeur, très attaché à Pierre d'Aubusson, par les liens de l'affection et de la parenté, ne voulut pas quitter Rhodes tant que le grand maître y resta. Mais à sa mort, juillet 1503, il demanda et obtint son èloignement. Il partit de Rhodes en septembre 1503 (1) après plus de 25 ans de séjour.

§ 5. — A partir de cette époque Jean de Valon put se recueillir plus complètement dans ses attaches, ses souvenirs, son pays natal. C'est pour répondre à ce besoin qu'il fixa sa résidence au château de Cras, dépendance de la commanderie du Bastit, à proximité de Rocamadour.

Les archives de Malte font mention de plusieurs travaux que l'Ordre lui confia : informations, enquêtes, visites de commanderies, installations de précepteurs, réceptions de chevaliers, etc. (2) Il fut un des commandeurs qui, en 1513, conseillèrent vivement au grand prieur de Toulouse d'envoyer à Rhodes les jeunes chevaliers pour les mettre à la disposition du grand maître. Sélim venait de succéder à Bajazet en 1512, et son avènement faisait craindre un retour offensif des Turcs. Dans cette occurence le grand maître prit de nouvelles mesures pour mettre l'île en état de défense et parer à toute éventualité.

Les archives de Toulouse donnent aussi quelques détails sur la gestion des commanderies de Jean de Valon. — DANS LE BORDELAIS, il soutint la lutte contre les seigneurs de Rauzan qui continuaient à lui disputer la justice de Sallebruneau (3); il mena aussi à bonne fin le litige soulevé par les Chartreux qui avaient empiété sur la commanderie d'Arveyres (4). — EN QUERCY, Jean de Valon

(1) Arch. de Malte, reg. Magistri, n° 79, f. 36.

(2) Ibidem, reg. 88, fos 47 et 53; 81, f. 40; 83, f. 39 et 43.

(3) Les Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, par H. de Marquessac, 1866, pp. 88 à 90. — Histoire du grand prieuré de Toulouse, par A. du Bourg, pp. 437 à 461.

(4) Les Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, par H, de Marquessac, p, 249,


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résista contre les prétentions de l'évêque de Cahors au sujet de la cure de Cazillac dont la présentation appartenait à l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem. Au décès de Jacques de Gubili (1505), le commandeur nomma, à la cure de Cazillac, son frère, Antoine de Valon et l'évêque de Cahors désigna Guillaume de Cazillac, chanoine d'Albi : d'où procès. Sur ces entrefaites Antoine de Valon ayant résigné, la cure fut attribuée par Jean de Valon à frère Amans Engilbert et le parlement de Toulouse, par arrêt de 1515, le maintint dans la possession définitive de cette cure (1). — Le commandeur eut également à soutenir un procès contre Jean d'Auriole, seigneur de Gramat et les habitants, qui prétendaient avoir droit de prendre du bois dans les dépendances du Bastit. Le parlement de Toulouse lui donna encore gain de cause par arrêt du 3 décembre 1516 (2).

Cependant l'heure de la retraite approchait. A cause de son âge et de son état de santé, Jean de Valon fut autorisé à se rendre une année au chapitre provincial de SaintGilles et l'année suivante à celui de Toulouse (3). Plus tard on le dispensa même d'assister au chapitre de SaintGilles et on lui permit de verser les fonds au grand prieuré de Toulouse (4). Enfin à partir de 1517 il ne s'absenta plus du Quercy. — Il aimait aussi à goûter un peu de repos au sein de sa famille à Thégra où ses avis étaient écoutés avec la déférence qu'inspiraient son âge, son expérience et son autorité. Il eut la satisfaction de voir entrer dans l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem son frère, Hugues de Valon, qu'il nomma, en 1515, à la cure de Cazillac (5); son

(1) Archives de la Haute-Garonne, salle de Malte, le BastitCazillac, liasses 10, 13, 15.

(2) Arch. de la Haute-Garonne, salle de Malte, le Bastit, pièce n° 30.

(3) Arch. de Malte, reg. Magistri n° 80, f. 44.

(4) ibid. reg. 83, f. 49.

(5) Arch. du Vat. Léon X, vat. 1051. f. 149.


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neveu, Antoine de Valon, qui mourut avant 1510(1); et d'être le parrain de son petit-neveu, Jean de Valon, qui embrassa la carrière religieuse (2). Mais Rocamadour avait ses préférences, et sa dévotion envers la Madone grandissait avec l'âge, aussi faisait-il de fréquents pèlerinages à l'oratoire de la Vierge, aimant à revoir le lieu de sa naissance où tout lui rappelait les souvenirs de sa jeur nesse. Son testament, daté de 1516, témoigne de son attachement à ce sanctuaire, iL3^ exprime enfermes touchants son culte pour Notre-Dame de Rocamadour, fait une fondation à la chapelle Saint-Jean-Baptiste et demande à'y être enseveli s'il décédait en Quercy. En voici les principales dispositions :

Le 27 mai 1516, au lieu de Cras, en Quercy, et dans la maison du commandeur, noble, puissant et religieux homme frère Jean de Valon, chevalier de l'ordre de Saint Jean de Jérusalem (3), commandeur du Bastit et de Cras, au diocèse de Cahors, et de Bordeaux, lequel étant mu de dévotion envers la très dévote église et magnifique oratoire de Notre-Dame de Rocamadour où l'on dit tous les jours et sans cesse messes, prières et services (4), ayant obtenu de sa Sainteté dispense et autorisation, donna et fonda à perpétuité aux vénérables prébendiers de l'église et oratoire la somme de cinq cents livres à lui dues par noble Bathélemy de Lagarde, seigneur de Saignes et de Lunegarde, pour laquelle somme le seigneur de Saignes lui avait affecté le repaire et moulin de Langlade suivant acte retenu par Barthélémy Darnitz, notaire de Gramat, le 3 juin 1514. Movrennant cette somme le fondateur veut et

(1) Arch. de la Haute-Garonne, salle de Malte, le Bastid, liasse 13.

(2) Arch. du Vat. Léon X, vat. 1175, f. 303.

(3) A remarquer le qualificatif « potens » qui attestait la situation considérable dont jouissait le commandeur Jean de Valon.

(4) L'expression... officia que quotidie in eadem ecclesia continue et incessanter dicuntur et celebrantur... témoigne de l'animation


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ordonne que les prébendiers qui sont et seront à l'avenir soient tenus de dire et chanter en la chapelle Saint-JeanBaptiste de Notre-Dame de Rocamadour contiguë à l'ancienne maison abbatiale du revérendissime évêque de Tulle, abbé et administrateur perpétuel de l'église de Rocamadour, laquelle chapelle est appelée la chapelle de la maison de Monsieur de Thégra :

Une messe haute de requiem avec note, avec l'absolution générale aussi à haute voix, tous les lundis de chaque semaine ;

Et une messe de Notre-Dame, selon le cours du temps, à haute voix avec l'antienne et l'oraison tous les samedis de chaque semaine à perpétuité.

Les dites messes en l'honneur et gloire de Dieu tout puissant, de notre Seigneur Jésus-Christ, de la Bienheureuse et Glorieuse Vierge Marie, de saint Jean-Baptiste, saint Jean l'Evangéliste et de tous les saints et saintes du paradis, pour la rémission de ses péchés, de ceux de ses parents et bienfaiteurs.

Le fondateur veut et ordonne qu'il soit enseveli dans la chapelle Saint-Jean-Baptiste dans le cas où il décéderait en Quercy (i).

que donnaient chaque jour, à l'église et à l'oratoire, les messes, prières, services et chants perpétuels. On a ainsi, par cet aperçu, comme un petit tableau des cérémonies qui se faisaient à cette époque et qui montrent, quoique sur le déclin, la dévotion envers NctreDame de Racamadour.

(i) In Dei nomine amen noverint universi... quod anno incarnationis Domini millesimo quingentesimo decimo sexto et die vicesima septima mensis maii (27 mai 1516) apud locum de Crassio et in domo domini preceptoris eiusdem loci de Crassio dioc. Caturc. ... domino Francisco Dei gratia Francorum rege... personaliter constitutus nobilis potens et religiosus vir frater Joannes de Valon, miles, ordinis Sancti-Joannis-Jerosolimitani preceptor et comendatarius preceptoriarum de Baptisto, de Crassio, Caturc. dioc. et de Bordeux qui motus devotionis affectu erga devotissimam ecclesiam almifici et devoti oratorii Béate Marie ville Rupis-Amatoris ob


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L'an 1517, le 16 juillet, dans la ville de Rocamadour et sur le parvis Saint-Michel, vénérable Jean Alberti et Bernard de Lacroix, prêtres et prébendiers du magnifique oratoire de Notre-Dame de Rocamadour, syndics, et Pierre Bosqueti, Jean Portalis, Jean de Lagrange, Jean de Decano, Pierre de la Serre, Jean Saqueti, Gilibert Nichola'ï et Pierre de Malhier aussi prêtres et prébendiers du même oratoire acceptèrent la fondation du commandeur, Jean de Valon, et promirent de la tenir et accomplir moyenmissas,

moyenmissas, et alia divina officia que quotidie in eadem ecclesia continue et incessanter dicuntur et celebrantur, volens etiam et quamplurimum et bonus verus et frdelis christianus in sancta fide catholica existens, affectans saluti et remedio anime sue ac paren - tum et benefactorum suorum pro quibus intendit incurrere débite

providere, tanquam dispensatus ut asseruit a Summo Pontifice,

confidens ad plénum de bona et fideli amicitia que habuit et gessit erga honorandissimos viros dominos prébendarios dicti oratorii, dédit, legavit, fundavit pro honorabilibus dominis prebendariis predicte ecclesie et oratorii Nostre Domine ville Rupis-Amatoris... vide - licet summam quinque centum librarum turonentium monete nunc currentis, valons cuiuslibet viginti solidos turonenses, causa mutui [facti] pernobilem virum Bartholomeum Lagarda,dominum deSanhas et de Lunegarde, constantis super hoc instrumento per magistrum Bartholomeum Darnits, notarium Gramati, sumpto et die tertia mensis junii anno Domini millesimo quingentesimo decimo quarto passato, pro qua summa idem Lagarde expresse obligavit eidem domino preceptori repayrium et molendinum de Langlade... pro qua summa ipse idem nobilis dominus preceptor voluit et ordinavit quod predicti domini prebendarii qui de presenti sunt et qui protempore futuro erunt teneantur et debeant in laudem et honorem Dei Omnipotentis Domini Nostri Jesu-Christi et Beatissime et Gloriosissime Virginis Marie et sanctorum Joannis-Baptiste et Evangeliste et omnium civium supernorum in redemptionem suorum peccatorum ac parentum et benefactorum suorum supradictorum, singulis annis per in perpetuum, in quolibet septimana et hebdomana, celebrare, dicere et cantare in capella Sancti-Joannis-Baptiste Béate Marie supradicte ville Rupis-Amatoris, contigua domui abbatiali reverendissimi in Christo patris et domini Tutelensis episcopi et


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nant la donation de cinq cents livres tournois (environ dix mille francs de nos jours) [i].

Jean de Valon vécut encore quelques mois puisqu'il obtint, le 26 février 1518, l'autorisation de fonder une messe dans l'église de Notre-Dame de Rocamadour, pour le repos de son âme, avec l'argent de ses propres économies. Mais il mourut peu de jours après, probablement en mars, car il était remplacé dans ces commanderies le 7 avril

abbatis et administratoris perpetui ecclesie predicte Béate Marie Rupis-Amatoris, nuncupata « la capela de la maysou de Mossieur de Thégra », in quaquidem capella sepeliri voluit casu quo moriatur

et ab hoc migraretur seculo ipso existente in diocesis Caturcensis

videlicet unam missam altam de requiem cum nota cum absolutione generali etiam alta voce, in qualibet die lune cuiuslibet septimane et unam missam de Nostra Domina secundum cursum temporis sub alta voce cum antiphona et oratione competentibus in qualibet die sabati etiam cuiuslibet septimane perpetuo in eadem ecclesia Sancti Joannis-Baptiste celebrandas, supplicans et requirens ipse idem nobilis, potens et religiosus vir frater Joannes de Valon eosdem dominos prebendarios quatenus huiusmodi legatum et

donationem predictam acceptare dignentur acta vero fuerunt

hec anno, die, mense, loco predictis, presentibus ibidem dominis Hugone Molini, Geraldo del Moli, presbyteris, Bernardo Pozalgues, mercatore loci Sancti Martini, Joanne Valete, servitore dicti domini preceptoris, et me juliano Pabot, notario Rupis-Amatoris...

(1) Postque anno quo supra et die décima sexta mensis julii (16 juillet 1517) apud villam Rupis-Amatoris et in platea Sancti Michaëlis Béate Marie eiusdem ville Rupis-Amatoris... personaliter constituti honorabiles et discreti viri domini Joannes Alberti et Bernardus de Cruce,' presbyteri et prebendarii dicti almifici oratorii Béate Marie ville Rupis-Amatoris ac scindici anni presentis aliorum dominorum prebendariorum ac domini Petrus Bosqueti, Joannes Portalis, Joannes La Grangia, Joannes de Decano, Petrus de Serra, Joannes Saqueti, Gilibertus Xicholaï et Petrus Malheri etiam presbyteri et prebendarii oratorii et ecclesie Béate Marie RupisAmatoris... predictum legatum et donationem acceptaverunt, promiserunt que dicti domini prebendarii eidem domino preceptori cum


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1518 (i). On le'transporta de Cras à Rocamadour suivi de la foule et d'un grand cortège de parents, de prêtres et de chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem. Il fut exposé dans la maison de Valon, où il avait vu le jour et enseveli, selon son désir, dans la chapelle Saint-Jean-Baptiste, aux pieds de la Madone.

Sur son.tombeau on déposa sa cotte de mailles et son armure ; il les avait suspendus lui-même dans la chapelle miraculeuse en témoignage de reconnaissance et pour rendre hommage à Notre-Dame de Rocamadour (2). Les autres débris d'armure (cuirasse, casque, etc.) furent enfouis à ses côtés (3). — Il y a quarante ans, avant les réparations, on voyait encore sur un des murs intérieurs de la chapelle un enfeu orné d'un fronton (xvi« siècle) garni de de choux rempants (4). La pierre découpée qui occupait le tympan avait été brisée, sans doute pour arracher le blason qu'elle portait (5). C'était l'ancien tombeau du commandeur.

dicto legato et donatione de summa quinque centum librarum turonensium dicere et cantare... prout in legato continetur et ea tenere ... presentibus : discreto viro Joanne Chourimi in legibus baccalario et Petro Alberti, mercatore, dicte ville Rupis-Amatoris et me J. Pabot, notario regio..."(Archives de Saint-Priest).

(1) Prioratûs Tholose, 27 februarii 1517 (v.s.) — Magister et conventus fratri Joanni de Valon preceptoriarum Burdegalensis etc.. prioratûs Tholose, preceptori, facultatem dant de bonis sua industria acquisitis missam fundandi in ecclesia Nostre Domine de Rochemador diocesis de Caours et eam de dictis bonis dotandi (Arch. de Malte, reg. Mag. n° 91, f. 50. — Arch. de Malte, reg. Mag. n° 62, fos 40 à 50).

(2) Guide du pèlerin à Rocamadour, p. 94 de l'édition 1897,

(3) Ces débris furent découverts en 1860 lors des fouilles du tombeau.

(4) Nous avons vu, longtemps, les pierres sculptées qu'on avait déposées à côté de la première station du calvaire.

(5) Guide du pèlerin à Rocamadour, p. 94 de l'édition 1897.


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« Par le souvenir de la défense de Rhodes dont l'éclat « et le merveilleux égalent presque ceux de la bataille de « Lépante et celui des grands ordres religieux et militai« res qu'il représente, le commandeur Jean de Valon, est « un des témoins du caractère chevaleresque du Pèle« rinage » (i).

(i) Guide du pèlerin à Rocamadour, p. ioo.


CHAPITRE IV

SL"V1« et XVÏf siècles

Description de la maison forte des Valon, de la cheminée de la grande salle, de son écusson. — 2° Fondations de Pierre de Valon, seigneur de Thégra (151J), de Guillaume de Valon, de Rocamadour, et d'Antoinette de Chourigny, sa femme. — Guerres de religion, ruine et pillage du Pèlerinage ; les possessions de la famille de Valon à Rocamadour ne sont pas épargnées ; elles disparaissent peu à peu et complètement avec l'extinction des Valon de Thégra.

§ 1. — A la fin du xv« siècle un élan de rénovation se manifestait partout, il n'est donc pas surprenant que Rocamadour ait suivi le mouvement. Les familles après avoir reconstitué le patrimoine s'occupèrent de restaurer les demeures. Ce rajeunissement prit naissance avant 1500 et s'accentua davantage sous François Ier et ses successeurs et l'on voit d'après le style des maisons (gothique ou renaissance) qu'au Pèlerinage cette transformation dura près d'un siècle.

La famille de Valon, comme les autres, restaura son hôtel de la grand'rue. Elle avait inféodé la plupart de ses immeubles, ne gardant que la chapelle située sur la place des sportelles et la « maison forte des Valon ». De la chapelle qui était contiguë à l'ancien palais épiscopal, il ne reste rien, tout a été démoli, remanié, transformé il y a 40 ans; et à la place de la chapelle de Valon on a reconsT.

reconsT. 3-4 7


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truit la chapelle Saint-Jean-Baptiste sur un plan différent (i). — Quant à la maison forte il ne reste pour ainsi dire que des ruines, mais on y voit les vestiges des restaurations exécutées aux xv» et xvie siècles. Nous reproduisons ici le dessin qu'en a donné M. Rupin dans son ouvrage sur Rocamadour à la page 261. La portion debout représente environ le tiers de l'immeuble; la partie la plus importante s'écroula vers 1830.

Fig. 1. - MAISON FORTE DES VALON

Cet hôtel fortifié, très endommagé pendant la guerre de cent ans demandait une sérieuse réparation. Sa situation, ses jardins, ses dépendances le rendaient agréable; c'est

(!) Rocamadour, par E. Rupin, p. 301 (figure 40, p. VIII et fig. 56, pi. IX).


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pour ce motif qu'on en fit la restauration. Antoine de Valon, seigneur de Thégra, la commença vers la fin du xv» siècle. « Au xvie siècle on ouvrit sur le mur de façade une « fenêtre carrée qui devait être divisée par une croix de « pierre et qui a pour encadrement plusieurs rangs de « nervures prismatiques et un cordon, portant sur des « consoles, qui lui sert de couronnement. Un autre cor« don, décoré de feuillages, court au dessous de l'accou« doir (i). On ouvrit également au rez-de-chaussée une « porte d'entrée rectangulaire surmontée d'une triple ar« cade en forme d'accolade » (2).

Dans la partie écroulée se trouvait « une vaste salle ornée a d'une belle cheminée en pierre dont le manteau sculpté, «c portait les armes de la famille de Valon : écartelé d'or et a de gueules. L'écusson a été conservé et on le voitaujour« d'hui dans la cour de l'hôtel Sainte-Marie au haut des « escaliers conduisant aux chapelles » (3). A cause de ces armes cet hôtel, dès le xvie siècle, fut appelé : la maison de Vécu. La cheminée, dont le poids considérable fatiguait les murs, occasionna la chute d'une partie de l'édifice et fut vendue comme matériaux de démolition. La plupart des motifs de sculpture, brisés par le choc, disparurent sauf l'écusson et quelques fragments qui ont permis d'en reconstituer le décor. Le dessin ci-joint en donne l'image vraisemblable (Voir figure 2).

Les sculptures qui encadraient le blason (ornementation trilobée, arbustes, feuillages ondulés) marquent la fin du du xve siècle. La fenêtre croisée et le cordon où serpente la même bordure végétale accusent aussi la fin du xve et le commencement du xvie siècle. Cependant l'écusson, par sa forme, semble plutôt appartenir à la renaissance ; son profil triangulaire est en effet différent de la forme ogivale en usage au xve siècle et notamment des écussons Valon de cette époque à Gigouzac, Thégra ou Beyssac (4).

(1, 2, 3) Rocamadour, par Ernest Rupin, p. 262.

(4) A Gigouzac l'écusson se voit au-dessus de la porte de l'ancien


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Toujours est il que la forme triangulaire dénote un changement de style et le prélude de l'accolade. On peut en conclure que la partie décorative a dû être exécutée du temps de Pierre de Valon, seigneur de Thégra, ou plutôt du temps de Gilles de Valon, marié, vers 1Ç42, à Marie de Gourdon de Ginouilhac, fille de Jean et de Marguerite d'Aubusson (1). Par ce mariage les Valon de Thégra renouaient les liens de parenté avec les d'Aubusson et les Gourdon de Ginouilhac dont plusieurs membres furent à cette époque évêques de Tulle et abbés de Rocamadour (2). Cela explique les motifs qui ont déterminé les seigneurs de Thégra à restaurer plus complètement leur hôtel et à le doter d'une salle d'apparat.

L'écusson, dont nous venons de parler, était le plus bel ornement de la cheminée. Son profil n'est pas la seule chose qui le différencie des anciens écus Valon. Il offre un champ plat et Técartelure est représentée par une croix à relief, tandis qu'elle est indiquée par le creux des 1 et 4 dans les blasons du xve siècle (3). Mais ce qui le caractérise essentiellement c'est qu'il a pour supports deux lions et pour tenant une tête de femme. C'est une tête de Méduse, à longue chevelure tombant sur les épaules, dont le

moulin « de Valon » ; à Thégra et à Beyssac ils ornent la clé de voûte de l'église. Ils sont tous du xve siècle.

(1) Archives de la famille de Valon.

(2) Louis de Gourdon de Ginouilhac fut évêque de Tulle et abbé de Rocamadour du 17 juillet 1560 jusqu'en 1583; Flottard de Gourdon de Ginouilhac de 15S3 à 1586; et Jean de Gourdon de Ginouilhac de 1599 à 1652 (Rocamadour, par E. Rupin, pp. 330 à 332).

(3) Dans le vieil écusson de l'hôtel de la Raymondie à Martel (1340), de forme arrondie, Técartelure est marquée par une croix en saillie sur un champ creux encadré d'une bordure- — La découverte de cet écusson, en 1915, nous a permis d'identifier le signe héraldique des Stephani : « Técartelure » et celui des Valon -• « le

parti». Les Stephani de Valon ont adopté Técartelure dans toutes es seigneuries (Thégra, Martel, Gigouzac) qui provenaient des Stephani et ont conservé le parti dans le fief des Valon à Lavergne.


Fig 2. - CHEMINÉE DE LA GRANDE SALLE

Fig. 3. - ÉCUSSON DES VALON


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regard protège l'écu. Les lions lui lèchent les bras en signe d'union parce qu'ils ont le même rôle à remplir : celui de protecteurs symboliques des armes, du drapeau de la famille, de l'honneur. — L'ouvrier qui a sculpté cette pierre ne manquait pas d'habileté pour reproduire les motifs de décor et d'architecture, mais il ne connaissait pas suffisamment le dessin pour traiter les personnages et les animaux (Voir figure 3).

§ 2. — Les Valon de Thégra n'oubliaient pas le sanctuaire de Rocamadour, on en trouve le témoignage dans la restauration de leur hôtel, leurs relations avec les Gourdon de Ginouillac, évêques de Tulle et abbés de Rocamadour, et leurs testaments. Nous avons déjà signalé la fondation du commandeur Jean de Valon, en 1516. Pierre de Valon, seigneur de Thégra, dans son testament du 15 février 1517 (n. s.) voulut qu'aux jours de sa sépulture, quarantaine et bout de l'an, des messes de requiem fussent célébrées par les prébendiers de l'oratoire de Notre Dame de Rocamadour et que chacun d'eux reçut deux sols et six deniers tournois pour dire la grand'messe avec diacre et sous-diacre (1).

Guillaume de Valon, de Rocamadour, dans son testament de 1614, donna aux prébendiers de Rocamadour, deux cents livres tournois (1.400 fr. de nos jours) pour faire dire des messes de requiem dans l'église Saint-Sau(1)

Saint-Sau(1) Item voluit et ordinavit dictus nobilis Petrus de Valon quod dictis diebus sépulture, quarentane et capitis anni per eius heredem universalem vocentur domini prebendarii devoti oratorii Béate Marre Rupis-Amatoris et quod dicti domini prebendarii teneantur Deum rogare et deprecare pro anima ipsius testatoris, parentum et benefactorum suorum et quilibet dicere et percantare unam missam de requiem et quod dictis diebus et quolibet ipsorum per unum prebendarium dicatur et percantetur una missa de requiem in alto cum diacono et subdiacono... quibus et cuilibet ipsorum dari voluit duos solidos et sex denarios turonenses semel et quolibet die dictorum trium dierum... (Extrait du testament de Pierre de Valon [archives de la famille de Valon ).


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veur et douze aunes de satin rouge pour la chapelle de la Benoite Vierge Marie (i). A la même date Antoinette de Chourign3r, épouse de Guillaume de Valon, donna également, par testament, cent cinquante livres pour des messes dans la chapelle de Notre-Dame de Rocamadour, six nappes fines, quatre aunes de satin blanc, quatre aunes de satin rouge et quatre aunes de satin jaune pour l'autel Notre-Dame ; enfin elle légua à l'église de Notre-Dame de Rocamadour sa robe blanche nuptiale pour en faire un ornement (2).

§ 3. — La première moitié du xvie siècle fut une époque de paix et de prospérité pour les seigneurs de Thégra qui goûtaient à Rocamadour les bienfaits d'une situation privilégiée. Les Valon, il est vrai, avaient versé leur sang pour le roi et la patrie dans les guerres d'Italie (3) ; mais si les deuils parfois survenaient, l'honneur du drapeau familial n'en était que plus grand. Cette tranquillité, hélas, ne devait pas être de longue durée. Un événement vint en effet occasionner à Rocamadour des désastres analogues à ceux qu'il avait subis pendant la guerre de cent ans. Les guerres de religion éclatèrent soudain en 1560 et par leur durée et leur violence, désolèrent tout le Quercy. Le capitaine Bessonies, avec ses partisans, se présenta devant Rocamadour, le 3 septembre 1562, y entra sans coup férir et se signala par sa barbarie et son impiété. Les églises furent dévastées, les reliques profanées, les objets de valeur dérobés, les maisons pillées. Pendant quinze ans toute la contrée fut le théâtre des dé(1)

dé(1) de Guillaume de Valon du 19 novembre 1614, reçu par Jean Marty, notaire royal (archives de la famille de Valon).

(2) Testament d'Antoinette de Chourigny passé à Rocamadour, le 22 novembre 1614, et reçu par Jean Marty, notaire.

(3) Les Valon qui ont succombé pendant les guerres d'Italie sont : Pierre de Valon, seigneur de Thégra, Pierre de Valon, seigneur de Gigouzac, Agnet de Valon et Antoine de Valon aussi seigneurs de Gigouzac,


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prédations des Luthériens (i). Durant cette période, les immeubles des Valon, dans le bourg, subirent le sort commun ; leurs droits sur la vente des sportelles, dont le commerce était nul, n'existaient plus que de nom. Mais ce qui acheva de perdre leur fondalitè à Rocamadour, ce fut l'extinction de la branche de Thégra. Gilles de Valon, décédé vers 1558, ne laissait pour héritière que sa fille Jeanne mariée à Louis de Gozon (2). Par suite des calamités des temps presque toutes les possessions des Valon au Pèlerinage furent vendues ou passèrent dans les maisons alliées. A la mort de Jeanne de Valon, 1606 (3), il ne restait que des débris, que la branche collatérale « des Valon de Thégra Rocamadour » tenait encore. Cette branche descendait d'Antoine de Valon, fils d'Adhémard, seigneur de Thégra, qui lui avait laissé dans le bourg une maison et des dépendances (4). Au début du xvn" siècle, elle était représentée par Antoine, Hugues et Guillaume de Valon; ces deux derniers habitaient Rocamadour. Guillaume de Valon, de son mariage avec Antoinette de Chourigny, n'eut qu'une fille unique, Antoinette, qui épousa, en 1614, noble Robert de Foulhiac. Antoinette hérita, en 1641, des biens qu'Hugues de Valon, son oncle, avait au val d'Alzou (5), et après son décès, vers 1645, tout son patrimoine passa dans la maison de Foulhiac (6).

A partir de cette époque la famille de Valon ne posséda plus rien à Rocamadour. Il ne restait d'ailleurs en Quercjr que la branche des Valon de Gigouzac-Saint-Amaran, très

(1) Rocamadour, par E. Rupin, p. 162.

(2) Archives de la famille de Valon (Gilles de Valon n'eût de son mariage avec Marie de Ginouilhac que deux filles : Jeanne et Anne).

(3) Elle fit son testament au château de Thégra, le S octobre 1605 , lequel fut remis à de Roques, notaire royal.

(4) Archives de la famille de Valon. Cette branche possédait en plus le fief de Mordesson et partie du fief des Gaules.

(5) Extrait du cadastre de Rocamadour de Tannée 1641 (archives de la mairie de Rocamadour).

(6) Archives de la famille de Padirac,


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appauvrie, qui résidait à Saint-Chamarand dans les débris de ses anciennes possessions. Malgré son effacement elle gardait les traditions de la famille et le souvenir de son passé. Elle resta fidèle à la Vierge du Quercy et puisa dans la prière, surtout lors des grands pardons de 1666 et 1734, la force dans l'épreuve et la confiance en l'avenir.


LE DERNIER OPPIDUM GAULOIS

assiégé par César

d'après les textes latins

AVANT-PROPOS

Le VIIIe livre des Commentaires de la Guerre des Gaules attribué à Aulus Hirtius, contient le récit du siège par les Romains., d'un oppidum qui dans les éditions modernes a été désigné jusqu'ici par Uxellodunum.

Un autre auteur latin du ve siècle, Paul Orose, a rapporté plus brièvement le même événement dans le VIe livre de ses « Histoires ». Enfin, Frontin, qui vivait au Ier siècle, cite ce siège mémorable comme exemple de stratagème employé pour priver d'eau une cité assiégée abondante en fontaines et entourée d'eau par une rivière.

D'autres auteurs latins avaient sans doute parlé de ce siège, notamment Suétone, dont P. Orose a utilisé les oeuvres pour composer son récit. Malheureusement tous leurs écrits sur ce sujet sont perdus. Nous sommes réduits aux seuls textes d'Hirtius, de Frontin et de Paul Orose.

Une étude sérieuse sur l'identification du lieu désigné par Uxellodunum semble devoir commencer par rétablissement de ces textes latins authentiques ; car les textes originaux, surtout celui des Commentaires, ne nous sont pas parvenus directement, mais


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par l'intermédiaire de copies présentant de nombreuses variantes.

Le nom même d'Uxellodunum est très contestable et se trouve en réalité écrit d'une foule de manières différentes dans les divers manuscrits des Commentaires qui ont été copiés au Moyen-Age. Au lieu à'Uxello, on trouve le plus souvent Auxilio correction d'un primitif Uxilio; on trouve aussi d'autres graphies, comme Uxellu, Uxlelu, Uexello, Uexellu, Uelo, Velu, Vixelo, Velu; cette dernière est celle qui est adoptée par P. Orose. Le Vossianus I de Leyde contient aussi cette leçon comme correction en interligne d'un autre mot écrit d'abord par le copiste, au courant de la plume, et que malgré un léger grattage on lit très nettement sur la photographie agrandie que nous en avons : Userco. Quel est le nom qu'avait écrit Hirtius ?

Nous avons dû ponr le savoir nous livrer à des recherches assez longues et complexes, mais non sans agrément et profit. Il nous a fallu en particulier, et le public nous en excusera, étudier la classification des manuscrits des Commentaires donnée par les philologues allemands et montrer qu'elle est totalement erronée.

N'eussions-nous atteint que ce résultat de faire voir combien il est imprudent d'accepter, sans vérification et d'enseigner, hélas ! dans nos écoles, les conclusions transcendantes des « savants » d'Outre-Rhin, nous estimerions déjà n'avoir pas perdu notre temps. Mais, nous espérons plus encore de notre effort vers la lumière : c'est d'avoir dégagé le texte original des Commentaires de toutes les divergences avec


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lesquelles il nous est parvenu et de mettre enfin, s'il est possible, un terme au fameux problème historique d'Uxellodunum. Si nous avons réussi, le public en sera juge. Notre effort ne peut, en tous cas, que contribuer à la recherche de la Vérité. Tulle, 16 avril 1916.


Les Manuscrits des Commentaires de ia Guerre des Gaules et la Philologie allemande

I. — Les Manuscrits des Commentaires.

Les mss. (manuscrits) qui ont servi à établir le texte des différentes éditions des Commentaires de la Guerre des Gaules sont relativement nombreux. Oudendorp, dans sa si remarquable édition critique de 1740 (Leyde et Rotterdam) en cite plus de trente. On les distingue par des noms tirés soit de ceux de leurs propriétaires ou de leurs commentateurs, soit de leur provenance. On en trouvera la liste dans la savante édition i'Achaintre et Lemaire (Paris-1819-1" vol.) que les travaux de la critique contemporaine ont pu compléter mais non dépasser comme mérite.

Quelques philologues allemands, Nipperdey entre autres, reprirent toutefois l'étude comparée des mss. des Commentaires et essayèrent de les grouper d'après les analogies et les divergences qu'ils présentent dans leur texte. Dans son édition des oeuvres de César (Leipzig, 1847), il crut pouvoir annoncer que tous les mss. actuellement connus des Commentaires de la Guerre des Gaules se classent en deux familles ayant pour origine deux ancêtres distincts issus eux-mêmes de l'archétype original latin.

IL — Archétypes hypothétiques.

Mais cette coordination ne parut pas suffisante à la science allemande éminemment organisatrice comme Ton sait.

Dans leurs éditions plus récentes, Holder (Fribourg et Tubingue, 1882), Kûbler (Leipzig, 1893 et 1911), Meusel (Berlin, 1894) cherchèrent notamment à établir une filiation plus précise des divers mss. des Commentaires ; et, quoique leurs conclusions à ce sujet diffèrent sensiblement sur beaucoup de points, ils s'accordent cependant pour faire descendre ces mss. des deux ancêtres hypothétiques imaginés par Nipperdey et que Holder nomme a et 6. Ces deux souches auraient donné naissance à tous les mss. actuellement connus par l'intermédiaire de quatre autres mss. hypothétiques


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que Holder et Kûbler à sa suite désignent par A', B', U', T' et Mensel par y, o T. p. D'après cette classification, tous les mss. des Commentaires seraient donc issus de l'archétype X, grâce aux intermédiaires précédents, suivant le schéma ci-dessous :

III. — La valeur comparative des archétypes, d'après la philologie allemande.

Poussant plus loin encore leurs investigations, les savants allemands se sont demandé quelle est celle des deux familles de mss. a ou 6 qui contient le vrai texte original de Césa?\ D'après Nipper dey, l'inventeur de ce classement, ce serait les mss. a ; les autres 6 contiendraient des interpolations dues à deux savants grammairiens, Celsus et Lupicinus, qui, non seulement expliquaient les Commentaires à leurs élèves, mais encore cherchaient à accroitre la plénitude et l'élégance des tournures, en mettant sous une autre forme les expressions mêmes de César.

Ces conclusions ont été généralement adoptées dans la plupart des éditions récentes de cet auteur. Cependant quelques éditeurs, notamment Meusel et Kûbler, y sont opposés. Ce dernier, dans son édition de 1911 (Leipzig-Teubner), expose en effet que, d'une part, Paul Orose, vers le commencement du ve siècle, faisant le récit de la Guerre des Gaules, d'après les Commentaires de César, s'est servi pour cela d'un ms. qui suivant R. Schneider (I. c. p. 154). serait de la classe 6. Au contraire, Priscianus, qui écrivait à Constanlinople vers l'an 500 environ, cite ainsi les paroles de César dans le 7e livre (c. 75 H) des Institut, gramm., « pawîo latiores quam quibus reliquis utimur maribus » (B. G. v. 1). Il s'est donc servi d'un ms. de la classe c puisque dans ceux


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de la classe 6 on trouve à la même place « paulo altiores quam quibus in reliquis maribus uti adsueverant. »

Les deux classes a et 6 auraient donc déjà existé du temps de Priscianus. D'autre part, Kûbler trouve une confirmation de cette conjecture dans certaines suscriptions en majuscules romaines à la fin ou au commencement de quelques livres des Commentaires dans les mss. a et 6.

Dans les premiers on trouve en'effet : IVLIVS CELSVS CONSTANTINVS VC LEGI. BELLI GALLICI LIBER I (II, III... VII). EXPLICIT. INCIPIT LIBER II (III... VII).

Dans presque tous les mss. 6, d'après Meusel (préface de son édition de César, — Berlin, Weber, 1894) on trouve : GAI IVLII C^SSARIS BELLI GALLICI LIBER... EXPLICIT... INCIPIT LIBER....

A la fin du second livre, il y a dans les mss. a : IVLIVS CELSVS CONSTANTINVS VC LEGI. FLAVIVS LICERIVS FIRMINVS LVPICINVS LEGI. BELLI GALLICI LIBER IL EXPLICIT. INCIPIT LIBER III. FELICITER.

A la fin du 7e livre dans VUrsinianus du Vatican (lat. 3324) et dans le Riccardianus 541 de Florence qui appartiennent à la classe 6 on trouve également : GAII IVLII C^ESARIS BELLI GALLICI LIBER. VIL EXPLICIT. FELICITER. HIRTII PANSAE LIBER BELLI GALLICI. VIII INCIPIT FELICITER.

■ Les copistes de VUrsinianus et du Riccardianus, ainsi que celui du Thuaneus (Bibl. Nat. lat. 5764) que Holder et Meusel rangent aussi dans la classe 6, ont ajouté à la fin du 8e livre : HIRCII PANSAE RERVM GESTARUM B. G. C. IVLII CJ3SARIS PONT. MAX. LIBER. VIII. EXPLICIT. F. ; et, au-dessous de ces mots, on trouve dans VUrsinianus : IVLIVS CELSVS CONSTANTINVS VC RELEGI TANTUM.

Suivant Kûbler, il n'est pas douteux que Celsus et Lupicinus témoignent par ces suscriptions de la nouvelle révision qu'ils ont faite du texte de Césa?\ C'est à eux que Ton doit l'interpolation de l'ancien texte des Commentaires d'où les divergences actuelles sont sorties. Mais, quel est le texte


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interpolé? est ce a ou 6 ? D'après Kûbler les noms de Flavius, Licerius, Firminus, Lupicinus ressemblent extraordinairement à ceux d'un fils à'Euprepia, soeur de l'auteur latin Ennodius, qui fut évêque de Pavie de 473 à 521 et joua à cette époque un rôle politique et religieux important. D'autre part, on peut inférer de la forme des noms de Julius Celsus Constantinus qu'il n'a pas vécu avant le ive siècle. Il faudrait conclure de tout cela que c'est vers le ve siècle, en tous cas, peu avant ou peu après, que l'interpolation aurait été faite. Kûbler ajoute qu'à son avis, c'est dans ê qu'on retrouve l'ancien texte authentique de César, texte assurément fort corrompu en beaucoup d'endroits, tandis que « a est le nouveau texte amendé et perfectionné par Celsus et Lupicinus, grammairiens certainement, doctes et prudents. »

Kûbler fait d'ailleurs observer que beaucoup de leçons du teste ê ont été adoptées, même par Nipperdey, de préférence à celles de a : il ne les a donc pas trouvées si méprisables. Il en a été de même de Dûbner, Frigell, Holder, Kûbler, etc. dans leurs éditions plus récentes. Meusel et R. Schneider nient du reste que les mss. ê soient souillés de si nombreuses fautes et Kûbler adopte cette opinion et n'admet pas celle de Nipperdey suivant laquelle les expressions employées par César auraient été changées ou interpolées à dessein ou par caprice : « Le texte a, dit-il, a été plus éprouvé que le texte 6 par l'injure du temps et la négligence des copistes et jamais par la faute des interpolateurs. »

Toutefois Kûbler, dans les cas douteux, adopte encore prudemment comme Holder les leçons a. jusqu'à ce que son opinion sur les leçons ê ait prévalu ; et, afin que chacun soit juge, il donne, ainsi que Meusel, la liste des variantes des six manuscrits qu'il considère comme les meilleurs de tous et dont aucun, suivant lui, n'a été copié sur quelque ms. contemporain : le Bongarsianus I d'Amsterdam (A), le Parisinus Lat. 5056 de la Bibl. Nat. (M), le Parisinus Lat. 5763 de la Bibl. Nat. (B), le Vaticanus 386k (R), le Thuaneus ou Parisinus Lat. 5764 de la Bibl. Nat. (T) et l'Ursmia'rtus ou Vaticanus 332k (U).


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IV. — lre Objection à la théorie allemande : L'archétype original X a existé jusqu'au Xe siècle au moins

Mais, la théorie des philologues allemands que nous venons d'exposer brièvement, dans ses grandes lignes, soulève de graves objections :

En premier lieu, l'étude du nom d'Uxellodunum dans les divers mss. des Commentaires et particulièrement ceux que Holder a collationnés, conduit comme on va le voir, à reconnaître que l'archétype original X a vécu jusqu'au xie siècle tout au moins et que les copistes de ces mss. l'ont eu sous les yeux et s'en sont servis, selon toute vraisemblance.

En effet, la liste de ces mss. que le docte philologue a complaisamment, il faut le reconnaître, communiquée à la Société d'Etudes d'Uzerche, dans une lettre du 21 mai 1914, contient, outre les mss. A, B, M, T, R, U, étudiés par Kûbler, six autres mss. qui sont : le La.urentia.nus 33 de Florence (D) ; le Lovaniensis (Louvain) (E), en possession du British Muséum (Add. 10084) depuis longtemps heureusement ! ; le Riccardianus 541 de Florence (F) ; le Mediceus 8, plutei LXVIII, de Florence (L) ; le Vindobonensis 1-95, de Vienne (Autriche) (V) et le Parisiacus Lat. 5166 de la Bibl. Nat. (a) qui est une copie du Bongarsianus I (A) auquel il supplée pour les parties manquantes.

Or, il résulte de la comparaison des diverses graphies du nom d'Uxellodunum dans ces mss. au chapitre XXXII, et au chapitre XL, 1 et 2 du VIIIe livre des Commentaires de la Guerre des Gaules, que les mss. A, B, L, R, M, rangés par Holder dans la classe <x, sont caractérisés par les leçons de 1" main, au chap. XL, uxellu et uxello, avec deux l, suivies du mot donum ou dunum. Dans tous ces mêmes mss., le nom uxello est remplacé au chap. XXXII, par la leçon auxilio. Mais, dans R, l'a initial de ce mot est interpolé, car le copiste de ce ms. ou bien un correcteur postérieur à lui a indiqué l'interpolation en mettant,' suivant l'usage, un point au-dessus de cet % et un point au-dessous. Le copiste du Vaticanus R, ms. du xe siècle qui provient de l'abbaye des Bénédictins de Corbie, avait nécessairement sous les yeux,

T. XXXVIII. 3 4-8


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suivant la théorie allemande, sinon l'archétype original X, du moins l'intermédiaire hypothétique a ou son dérivé B', dont il est issu d'après Holder ; et il y a lu le nom uxilio, rectifié en auxilio (a initial enclos entre deux points).

Mais, comment admettre que des grammairiens ■<■ aussi doctes et prudents » que Celsus et Lupicinus à qui est due la récension du texte de César, aient laissé passer cet uxilio, qui n'a pas de sens, dans un ms. a, d'où B' serait issu? Les copistes de A, a, B, F, L, M, R, T, V, et bien d'autres, ont tous écrit auxilio,évidemment parceque uxiliodunum n'avait pas de sens pour eux, tandis q\V auxilio dunum signifiait à leurs yeux place forte de secours, d'appui. S'ils n'ont pas indiqué, comme le copiste de R l'interpolation de Ta initial, c'est qu'elle leur a paru sans doute d'une nécessité si évidente qu'il était inutile d'indiquer la leçon fautive du ms. original. Celsus et Lupicinus, qui parlaient et écrivaient en latin et conservaient les traditions de l'époque classique au point de pouvoir amender le texte de César, auraient-ils manqué d'écrire auxilio au lieu d'uxilio qui a l'apparence d'être le même mot mal écrit, alors que des moines du Moyen-Age, des ignorants comparativement à eux, n'ont pas manqué de le faire ?

Cette leçon uxilio, lue par le copiste de R, ne peut donc avoir existé ni sur un ms. y. ni sur un ms. B' qui en proviendrait, d'après la théorie allemande ; elle ne peut davantage avoir été lue sur un ms. 6 ni sur ses dérivés U'. T', puisque, d'après la même théorie, R n'appartient pas à cette classe ë. Il faut donc nécessairement que le copiste du Vaticanus R Tait lue sur l'archétype X lui-même qui aurait ainsi vécu jusqu'au xe siècle et aurait été en possession de Tordre des Bénédictins. Par suite, il est vraisemblable que la plupart des mss. des Commentaires du Moyen-Age ont été copiés directement, sur cet archétype et non sur des archétypes a, 6, A', B', T', U', imaginés par les philologues allemands, mais dont l'existence n'a jamais été établie par aucun fait. Comment dès lors expliquer les divergences des mss. dits K et ë?


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V. — 2e objection : Aucun ms. n'appartient exclusivement a la classe a. ni à la classe ë. .

Pour répondre à cette question, il suffit d'étudier avec soin ces divergences. Kûbler et Meusel, par exemple, en collationnant et en publiant les diverses leçons des mss. dont ils se sont servis pour établir leurs éditions des Commentaires nous fournissent les moyens de montrer la fausseté de leur théorie.

Dès le début ils en donnent la preuve. C'est ainsi que suivant eux, le mot Garumna, qui est généralement adopté dans toutes les éditions modernes du texte de César et qui désigne notre Garonne se trouve écrit de la sorte au chapitre 1-2 du 1er livre dans les mss. A et M de la classe a, tandis qu'il est écrit garunna (avec deux n), dans les mss. B, R, D, qui sont de la classe a également, et dans les mss. T, V, U, F de la classe ê. Au paragraphe 5 du même chapitre, tous ces mêmes mss., y compris A et M, offrent la même graphie Garunna. Au paragraphe 7, on trouve cette fois la leçon Garumna dans T qui est de la classe ê et Garunna dans tous les autres mss.

Quelle était la leçon authentique de César ?

Nous estimons avec tous les éditeurs modernes que c'est Garumna que la loi du moindre effort a transformé d'abord en Garunna, qui a donné ensuite le mot Garonne actuel. Celsus et Lupicinus ont-ils rectifié la graphie de César suivant la prononciation de leur temps qui était vraisemblablement Garunna ou bien au contraire ont-ils rectifié cette dernière leçon qui leur a paru corrompue pour y substituer la graphie primitive Garumna? Nous n'en savons rien. Toujours est-il qu'ils semblent bien avoir fait une rectification, cause de la divergence actuelle des divers mss. Mais, en admettant avec Nipperdey, par exemple, que les mss. a nous offrent les leçons les plus authentiques, comment se fait il que les mss. A et M de cette classe a qui adoptent en effet la leçon Garumna au paragraphe 2 du chapitre I, adoptent ensuite la même leçon Garunna que les mss. ë aux aux paragraphes 5 et 7 ? Ont-ils donc eu pour ancêtres com-


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muns un archétype de la classe a et un autre de la classe 6? Comment expliquer d'une autre manière que T, de la classe 6, présente au paragraphe 7 la leçon Garumna propre à la classe a tandis qu'il adopte la deuxième graphie dans les autres paragraphes ?

Si l'ou adopte, avec Kûbler et Meusel, l'opinion contraire à celle de Nipperdey, que les mss. 6 sont les plus rapprochés du texte césarien authentique, notre raisonnement n'en subsiste pas moins :

Les mss. A, M et T, reconnus parmi les meilleurs, adoptent tantôt une leçon a, tantôt une leçon ê, quelquefois dans la graphie du même mot, quand ils le contiennent plusieurs fois en divers passages.

Et ce ne sont pas ces mss. seulement qui présentent cette particularité : il suffit de poursuivre tant soit peu l'analyse des diverses leçons indiquées par Kûbler et Meusel, dans leurs éditions eitées plus haut, pour s'apercevoir qu'il n'est pas un seul ms. de la classe a qui ne contienne des leçons caractéristiques de la classe ë ; et réciproquement, tous les mss. de cette classe admettent maintes leçons propres à la classe a.

Le groupement M, ë de Meusel, équivalent au groupement R, U, T, V, F, ou R, ê de Kûbler et Holder, indique nettement que le ms. R = M (de Meusel), c'est-à-dire le Vaticanus 386k, qui est de la classe a, adopte une leçon de la classe ë dont U, T, V, F font partie.

Le groupement B, ë prouve qu'il en est de même pour le ms. B rangé également dans la classe a.

Le groupement A, B, R, M, V, F = a, f, 1, de Meusel, prouve inversement, que V et F, de la classe ê, adoptent des leçons de la classe -±. Or, c'est à chaque page des éditions critiques que nous citons, qu'on rencontre, et cela est forcé, des groupements hétérogènes de cette nature.

L'enchevêtrement des leçons a et ë est même tel, que les philologues allemands ont de la peine à s'y reconnaître et ne sont pas d'accord pour le classement de certains mss. C'es^ ainsi que le ms. D. le Laurenlianus 33 de Florence, qui


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date du xe siècle, ou du xie et provient de l'abbaye de SaintBenoît de Beauvais est rangé par Meusel, sous le nom de S, dans la classe a, par l'intermédiaire de l'hypothétique o, tandis que Holder le tient pour issu de ë sans intermédiaire.

Evidemment la classification établie par les savants allemands a été pénible et c'est peut-être en raison même de la peine qu'il faut se donner pour la trouver plausible, qu'elle s'est imposée : Les éditeurs français notamment ont préféré l'accepter, les yeux fermés, plutôt que de vérifier les déductions laborieuses des érudits d'Outre-Rhin. C'est d'ailleurs là leur seule excuse.

Que déduire en effet des leçons collationnées par les philologues allemands, sinon que chaque copiste du Moyen-Age a dû avoir à la fois devant les yeux un archétype a. et un archétype ê? Mais, ne paraît-il pas étrange que chaque copiste ait eu ainsi en mains deux archétypes distincts, alors que déjà, nous l'avons établi plus haut, ces copistes avaient à leur disposition le ms. original latin, l'archétype X?

Il n'y a, selon nous, qu'une explication possible à tout cela : c'est que les deux prétendues souches a et é n'étaient pas distinctes; mais réunies sur le même ms., celui précisément qui a vécu jusqu'au Xe siècle tout au moins et qui a sei^vi d'archétype aux principaux mss. des Commentaires copiés au Moyen-Age.

Il est probable en effet que Celsus et Lupici'tius, vers le ve siècle, ont fait une récension d'un ms. des Commentaires déjà plus ou moins altéré par le temps et certainement fautif en bien des passages comme on le verra plus loin, par suite de l'inattention du scribe qui l'avait écrit vraisemblablement sous la dictée.

Mais, respectueux de tout texte écrit, comme on Tétait à cette époque, ils ont simplement écrit leurs corrections ou les modifications qu'ils ont cru devoir apporter à ce texte, dans les marges ou dans les interlignes. De là les variantes des mss. du Moyen-Age dues à ce que les copistes ont adopté en général, les uns l'ancien texte du ms. original, comme plus authentique, les autres le texte corrigé par Celsus et


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Lupicinus parce qu'il leur paraissait peut-être plus parfait ou simplement plus facile à lire. D'autres encore, comme le copiste du Laurentianus 33 de Florence, ont adopté indifféremment les leçons de l'un ou l'autre texte, suivant qu'elles lui ont paru meilleures. Mais, quel que fut le système adopté par le copiste, avec des caractères usés et effacés à moitié, avec des lacunes comme il s'en trouve dans les vieux mss., il leur fallait reconstituer comme ils le pouvaient les mots effacés en partie ou manquants ; et, quoiqu'en général ils se piquassent plus de zèle et d'exactitude matérielle que de critique et d'érudition, ils étaient bien obligés de compléter parfois le texte ancien avec le texte interpolé ou inversement.

11 en est résulté, comme nous l'avons constaté plus haut, que chaque ms. présente à la fois des leçons propres à ces deux textes, de sorte que le classement allemand ne saurait qu'être erroné et purement fictif. L'existence des mss. hypothétiques, a, ê, A', B\ T, U' est, à plus forte raison, une « exagérario?i » de la manie classificatrice d'Outre-Rhin. (1)

VI. — L'archétype X.

Il nous reste maintenant à déterminer autant que possible ce qu'était l'archétype X qui, après avoir été corrigé par Celsus et Lupicinus, a vécu jusqu'au Moyen-Age, où il a été copié directement dans les abbayes de l'ordre de Saint-Benoît, auquel il appartenait sans doute et qui se le transmettaient de Tune à l'autre.

Le mot EXPLICIT qui se trouve à la fin de chaque livre dans les notes où Celsus et Lupicinus mentionnent leur récension du texte, montre d'abord que cet archétype était formé, selon toute vraisemblance, d'un ou de plusieurs rouleaux de papyrus ou de parchemin. Ce mot est en effet,

(1) Pour plus de clarté dans ce qui suit, nous continuerons toutefois à désigner encore provisoirement par mss. a et ô les groupes A, M, B, R et F, T, U, V. Mais, ces groupements n'ont rien que de fictif dans notre esprit.


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comme on sait, une abréviation du mot explicitus qui signifie que le rouleau, le volumen, a été complètement déroulé, par suite lu. (Voir S. Reinach, Manuel de Philologie. — Paris, Hachette, 1883, p. 42). Le texte des volumina y est ordinairement distribué en colonnes et écrit d'un seul côté, s'il s'agit de papyrus. (Voir aussi M. Prou, Manuel de Paléographie. — Paris, Alph. Picard, 1910, p. 24).

L'écriture de ce texte, déjà en mauvais état du temps de Celsus et de Lupicinus, devait être très ancienne; car, ainsi que nous le verrons plus loin, les [nombres étaient écrits en chiffres romains souvent peu lisibles, de sorte que pour éviter de nouvelles erreurs, les correcteurs les ont généralement réécrits en toutes lettres, dans les interlignes. On peut donc affirmer à coup sûr que cette écriture était une de celles dont se sont servis, dans leurs mss. les Romains des premiers siècles.

Mais la comparaison des graphies diverses données pour les mêmes mots par les mss. du Moyen-Age, montre immédiatement que les divergences de lectures qu'elles accusent ne peuvent résulter que d'une écriture cursive romaine.

Ainsi la lettre a est confondue avec le groupe ïs dans le mot injuria des mss. dits a (1-36-12), qui est écrit injuriis dans les mss. ê. Or, cette confusion n'est possible, comme on peut le vérifier par l'étude des écritures, données par exemple dans le Manuel de Paléographie de Mr M. Prou, ni en capitale romaine, ni en onciale,ni même en semi-onciale. Au contraire, en cursive romaine du siècle d'Auguse, le groupe is peut s'écrire sous une forme d'aspect assez -semblable à celui de la lettre a. La confusion des lettres o et a ou u, de e avec i, avec l, avec c, est fréquente comme on peut s'en rendre compte aisément, en comparant les graphies des mêmes mots dans les divers mss. des Commentaires ; (voir p. 22 ces lettres écrites en cursive romaine) ; mais elle peut s'expliquer dans d'autres écritures 'que la cursive romaine. On ne saurait en dire autant de la méprise d'un c pour un p dans caemani (a) pour paemani (ë) (II-4-10) ou encore d'unjJ pour un f, puisas (a) pour fusas (ë) (1-44-3).


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De même r et e peuvent être difficilement pris l'un pour l'autre, sauf en cursive, comme ils l'ont été dans perferre pour preferre = proeferre (T, V) (1-17-3). Avec cette seule écriture encore on peut s'expliquer Terreur de er pour ra. dans inter (a) pour intra (ë) (1-53-7).

La lettre b a été confondue avec un d dans le mot abici des mss. ë (II-21-3) écrit adici dans les mss. a. Cette confusion n'est possible qu'en cursive romaine où effectivement b et d ne diffèrent guère, tandis qu'à partir du ive siècle la panse du b se fait à droite, comme aujourd'hui.

Le b cursif peut se confondre de même avec un g, à panse trop courte relativement au trait qui le termine. De là Terreur de tous les mss. qui écrivent Sebusianos (1-10-5) pour Segusiavos.

b écrit en cursive avec une haste trop courte a pu donner l'illusion d'un u mal écrit. De là les variantes Latovicis pour Latobicis, Viturigibus pour Biturigibus, Suevi pour Suebi.

Cette confusion de Vu et du b n'est toutefois possible qu'à l'époque très ancienne où la cursive est encore voisine de la capitale romaine dont elle dérive et où les lettres ont encore des hastes ne dépassant que de très peu ou pas du tout le corps principal. Le fait que les hastes de l'écriture de l'archétype X étaient très courtes est encore démontré par une foule de éonfusions impossibles sans cela ; par exemple (VIII-24-4), les mss. y. écrivent depopulandos et les autres oppugnandos ; Terreur de ces derniers vient certainement de l'écriture en cursive du premier mot écrit avec des hastes très courtes qui permettent de confondre le d initial avec o, e avec p et popul avec pugn.

Ces confusions supposent, nécessairement une écriture cursive de l'époque la plus ancienne, c'est-à-dire contemporaine de César et d'Hirtius, puisqu'en l'espèce nous ne pouvons remonter plus haut : c'est donc de leur temps qu'il faut dater l'archétype X ; et il est dû vraisemblablement, par suite, à quelqu'un des scribes qu'employaient les libraires de l'époque pour éditer les oeuvres des écrivains célèbres, à un grand nombre d'exemplaires. Certaines fautes, dues à l'inat-


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tention du scribe écrivant sous la dictée, ne laissent pas de doute à ce sujet. C'est ainsi qu'on trouve par exemple (VIII 30-1) dans les mss. D, U, T, V, F (ë) le mot omnium mis pour civitatum par inattention, et probablement par attraction du mot omnibus qui le précède : c'est là une erreur due certainement au mélange auditif inconscient du radical omni et du son final um de civitatum.

Il nous serait aisé de multiplier les exemples ; mais, nous espérons que ceux qui précédent suffisent pour établir que l'archétype X était écrit en cursive romaiue à hastes peu développées de l'époque de César et d'Hirtius, On peut donc présumer, sans craindre de se tromper beaucoup, que les lettres avaient peu de pente et étaient formées de traits séparés légèrement incurvés mais avec peu de liaisons entre elles. Nous ne savons si les mots étaient séparés par des points comme dans l'écriture de certaines tablettes du ier siècle ; il est probable, en tous cas, qu'il y avait entre eux un très léger intervalle et que les nombres en chiffres romains, tout au moins, étaient placés entre deux points, comme on observe sur la plupart des mss.ë du Moyen-Age.

VIL — Les Périgrinations de l'Archétype et les corrections de Celsus et Lupicinus.

Comment l'archétype X vint-il en la possession de Celsus et Lupicinus, et de là en celle des Bénédictins du MoyenAge? Nous ne pouvons à cet égard que faire des conjectures ; mais il n'est pas défendu de supposer qu'il passa d'abord entre les mains de Paul Orose, qui paraît s'en être servi à Hippone en 416 et 417 pour composer ses livres d' « Histoires » grâce à son illustre maître Saint Augustin (voir P. Orose dans Patrologie de Migne, t. xxxi). C'est sans doute ce dernier qui l'avait rapporté d'Italie où il avait été, comme on sait, un brillant professeur de Rhétorique à Milan, ce ne peut être que lui qui fournit à son disciple Paul Orose, qu'il fitprofiter de ses conseils, les livres qui lui étaient nécessaires pour composer ses « Histoires ». Peutêtre même fit-il don à P. Orose du ms. des Commentaires


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que celui-ci dut emporter en quittant l'Afrique pour aller d'abord en Espagne, sa patrie, et revenir vraisemblablement en Italie où l'appelaient son zèle pour les controverses religieuses et la possibilité de poursuivre ses études mieux que dans son propre pays alors envahi par les Goths. Quoi qu'il en soit, l'archétype échappa à la destruction des Barbares et tomba en la possession des grammairiens Celsus et Lupicinus, qui en firent la récension sur le texte même. Il se pourrait que l'autre grammairien, Priscianus, qui a eu connaissance du texte amendé par Celsus et Lupicinus fut précisément leur élève, et qu'il se fut servi, tout au moins, à Constantinople, de notes prises en Italie.

Que l'archétype X soit resté en la possession d'un des centres religieux de Lombardie et qu'il ait ensuite appartenu aux Bénédictins du Mont Cassin, par exemple, rien de plus naturel, car la fondation de cette abbaye date de 530. De là, il est à présumer qu'il parvint en France dans Tune des filiales de cette célèbre maison, peut-être en premier lieu à celle de Fleury-sur-Loire, où fut transféré, dit-on, le corps de Saint-Benoît lui-même, et où furent copiés, en tous cas, deux des mss. réputés les meilleurs et les plus anciens, le Bongarsianus A et le Parisinus B.

De Fleury, il passa peut-être à Corbie et à Beauvais, et de là à Trêves, etc., à moins que les mss. provenant de ces abbayes n'aient été en réalité copiés directement à St-Benoît de Fleury-sur-Loire. Nous ne pouvons à cet égard que faire des suppositions sans aucun fondement certain jusqu'ici. Il est probable toutefois que dès le xme siècle, s'il vécut même jusque-là, il devait, être en très mauvais état par suite du long usage qu'on en avait fait. Il n'est donc guère possible qu'il ait survécu en entier ou seulement en partie jusqu'à nos jours, même s'il était écrit sur parchemin. Ce n'est que par les mss. copiés au Moyen-Age que nous pouvons espérer reconstituer son texte authentique ainsi que les corrections dues à Celsus et à Lupicinus. L'étude attentive des variantes publiées dans les éditions critiques d'Oudendorp, à'Achaintre et Lemaire et celles plus récentes et plus complètes de


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Holder et de Meusei, par exemple, suffisent d'ailleurs à cela.

En premier lieu, il n'est pas douteux que c'est dans les mss. dits ë qu'il faut chercher le plus fréquemment l'ancien texte de l'archétype X, comme le soutiennent Meusel et Kûbler notamment, contrairement à l'opinion de Nipperdey et de Holder.

Cela résulte principalement, selon nous, de ce que dans les mss. ë les nombres sont écrits ordinairement en chiffres romains, écriture de scribes plus rapide que l'écriture en toutes lettres qui est le fait de gens moins pressés, tels que les correcteurs Celsus et Lupicinus, désireux surtout d'éviter dés erreurs. Ce sont évidemment ces grammairiens, qui ont réécrit en toutes lettres dans les interlignes, les nombres écrits en chiffres romains dans le texte et sans doute déjà effacés en partie et peu lisibles, l'inverse serait peu compréhensible. Ce qui confirme cette manière de voir, c'est que les divergences des mss. au sujet des nombres sont relativement nombreuses, [cela n'aurait pas eu lieu s'ils avaient été écrits d'abord en toutes lettres. Il est bien difficile de confondre par exemple duo et quinque, duodecim et quindecim, tandis qu'en chiffres romains la confusion est facile et a eu lieu fréquemment. 11 a suffi que le scribe de l'archétype ait eu la mauvaise habitude de ne pas joindre par le bas les deux traits du V par exemple, pour que ces deux traits séparés aient été pris pour IL C'est ce qui est arrivé, par exemple (VIII, 24-2) pour le numéro d'une légion qui, cela est certain, est la XVe et qui cependant est écrit XII par les mss. ë, de même qu'il est écrit aussi duodecim par les mss. a, par suite de Terreur des correcteurs qui ont évidemment écrit ce mot en interligne.

De même (II-2-6), les copistes des mss. 6 ont écrit le nombre XII qui est certainement erroné, de l'avis de la plupart des éditeurs et historiens modernes ; tandis que les copistes des mss. (a) ont écrit le nombre XV plus exact et qui a dû être réécrit en interligne, vraisemblablement par un des correcteurs qui cette fois ne s'y est pas trompé.


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On lit encore (VIII-30-1) dans les mss. S (D, U, T, V, F), les mots : duobus milibus e fuga, tandis que dans B et R, il y a : milibus e fuga quinque. Il y avait là assurément, dans le texte ancien de l'archétype, un V mal fait qu'un correcteur, Celsus probablement, a dû prendre pour un II et écrire en toutes lettres d^uobus, dans l'interligne, et naturellement au-dessus du nombre en chiffres romains. Mais, un autre correcteur plus attentif, peut-être Lupicinus, n'a pas été de cet avis et a estimé, avec raison, qu'il s'agit là d'un V. Il a donc rectifié la leçon duobus ; mais, ne voulant pas l'effacer et ne pouvant écrire quinque au-dessus du texte dans l'interligne, puisque la place était déjà prise par les mots duobus milibus e fuga du 1er correcteur, il a écrit à la suite de ces mots la nouvelle rectification quinque.

Le plus curieux, c'est que deux copistes des plus réputés pourtant, ceux de A et M, ne se sont pas aperçus de la contradiction des deux leçons duobus et quinque ; ils les ont impartialement insérées toutes les deux dans leur texte : duobus milibus e fuga quinque. Que les philologues allemands expliquent autrement que nous, s'ils le peuvent, la présence dans la même phrase des mss. A et M, de ces deux leçons contradictoires et caractéristiques, Tune du texte a et l'autre du texte é !

VIII. — Exemple de restitution d'un chapitre de l'archétype X avec les corrections.

Pour compléter cet essai de reconstitution de l'archétype, reconstitution évidemment un peu délicate, nous reproduisons ci-après, en cursive romaine, l'alphabet et quelques mots prêtant à confusion, à titre d'exemple ; et, comme intéressant plus directement notre sujet, le chapitre XXXII du VIIIe livre des Commentaires. Naturellement nous avons adopté partout le texte ë que nous pensons être celui de l'archétype, et, quoique souvent fautif en d'autres chapitres, le plus rapproché du texte authentique d'Hirtius. Nous avons d'ailleurs écrit en interlignes, en onciale du v' siècle, les corrections dues à Celsus et Lupicinus et d'où sont sorties la divergence des leçons des mss. du Moyen-Age.


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[A suivre.) B. MARQUE.


L'INVASION CALVINISTE

EN BAS-LIMOUSIN, PÉRIGORD ET HAUT-QUERCY

CHAPITRE II Les débuts de l'Invasion (1530-1562)

§ 1. LeLuthèrianisme féodal. — § 2. A Bergerac. — § 3. Débuts du calvinisme. — § 4. L'invasion sous Henri IL — § o. Progrès de l'invasion en Limousin, Périgord et HautQuercy. — 16. Le duc de Guise et Coligny. — § 7. L'invasion sous François IL — § S. Complot de Vendôme. — § 9. Premières attaques. — § 10. Conjuration d'Amboise. — § 11. Réaction calviniste. — § 12. Edit de Romorantin. — § 13. Avènement de Charles IX. — § 14. Edit de Juillet. — § 15. Le Triumvirat. — § 16. Guerre civile en Périgord et Quercy. — § 17. Biaise de Monluc. — § 18. Edit de janvier. — § 19. Enquêtes de Fumel et de Cahors.

1530

§ 1. — Luther, en révolte contre le Pape, commença, vers 1522, à prêcher sa doctrine qui séduisit rapidement les principautés allemandes et les royaumes' du Nord; l'unité de foi religieuse se trouva dès lors brisée dans presque toute l'Europe ; la Saxe, le Palatinat. la Prusse, la Hesse, la Franconie. la Suède, le Danemark, les Pays-Bas, l'Angleterre furent envahis par la Réforme, tandis que les peuples de race latine restaient fidèles à la religion Catholique et Romaine. Toutefois, quelques puissants seigneurs, dans la plupart des provinces de France, se laissèrent entraîner au Luthérianisme par .ambition féodale. En Guyenne, François II de La Rochefoucauld (1), prince de Marcillac, et Guy Cha(1)

Cha(1) de François et de Louise de Crussol.


— 279 — 1530

bot de Jarnac (1) essayèrent de faire adopter la doctrine de Luther par les principales familles de leur voisinage ; ils échouèrent en Limousin, où les Lévis de Ventadour et de Caylus, les Pérusse des Cars et de La Vauguyon repoussèrent avec énergie toutes les tentatives d'invasion ; mais dans le Haut-Périgord plusieurs gentilshommes, tels que François Bouchard d'Aubeterre(2), Jean de Cugnac (3), seigneur de Gaussade et, plus tard, Raymond d'Aix (4) entrèrent dans le complot Luthérien. En même temps, l'hérésie pénétrait dans le Bas-Périgord sous l'influence des quatre fils de Charles de Caumont (6), « qui vers 1530, embrassèrent la réforme, « preschée dans TAgenais par un neveu de Mélanchton » (7). Elevés dans le culte de la Renaissance, ils abjurèrent après la mort de leur père; l'aîné, François, résidait au château des Milandes (8), construit par son aïeul ; le second, Geoffroy, était prieur de Brive, abbé d'Uzerche (9), de Vigeois (9) et de Glairac (10), les deux plus jeunes avaient une dizaine d'années. Brantôme leur accordait une très faible estime : « Messieurs de Caumont, quatre frères, estant, dit-il, de la » Religion et à couvert, sans porter aultrement les armes... « D'aultres les appeloient poltronnesques. On les regardait de mauvais oeil, plustost que les meneurs de mains » (11). Le plus méprisé des quatre était Geoffroy, que Théodore de Bèze signale « comme faisant profession de religion,

' (1) Fils de Charles, Ep. Marguerite de Durfort-Duras, soeur de Symphorien.

(2) Fils de Louis et de Marguerite de Villebois-Mareuii.

(3) Fils de Jean et de Philippe de Salignac de Lamothe-Fénelon.

(4) Commune de Trélissac, canton de Périgueux.

(5) Seigneur de La Feuillade (commune de Goursac, canton de SaintAstier (Dordogne).

(6) Fils de François et de Claude de Cardaillac f 1528.

(7) R. L. Alis : Histoire de Caumont, p. 77.

(8) Commune de Castelnau, canton de Domine (Dordogne).

(9) Chef-lieu de canton de la Corrèze.

(10) Commune du canton de Tonneins (Lot-et-Garonne).

(11) Brantôme : Les grands Capit.de France, t. IV, p. 26.


— 280 — 1531

« n'ayant ni coeur ni mains, et ne désirant pas mieux que

« d'estre temporisé en ces troubles » (1).

Les nobles alliances et la grande richesse des Caumont amenèrent au Luthérianisme plusieurs de leurs voisins, tels que le baron de Salignac, Geoffroy de Baynac (2), Bertrand de Lur-Longa (3), Pierre de Blanchier, seigneur de Fayrac (4), Claude de Vivant, seigneur de Mel (5), Armand de Clermont, seigneur de Piles (6), etc.

Dans le Haut-Quercy, les premiers protestants furent les châtelains d'Assier (7). Nourrie dans les splendeurs de la Renaissance, Jeanne de Gourdon-Genouilhac (8) épousa Charles de Crussol, baron d'Uzès, oncle de François de La Rochefoucauld et partisan de la doctrine de Luther, comme son neveu. Veuve en 1531, elle ne tarda pas à contracter un second mariage avec Jean-Philippe de Salm, fils du Rhingrave Philippe ; le château d'Assier devint le rendez-vous de toute la noblesse révolutionnaire du Bas-Périgord et du Haut-Quercy; on y voyait les Cardaillac de Saint-Cirq, de Peyre et de Montbrun, les Gontaut de Cabrerets, les Gourdon de Cénevières, les Caumont de Castelnau. les LurLonga, Jean de Bessonnies, Lomagne de Cardaillac, prieur d'Escalmels (9), etc.

§ 2. — Jeanne de Genouilhac donna sa ûlle en mariage à Geoffroy de Cardaillac, qui sera bientôt le terrible capitaine Marchastel, et Bertrand de Lur-Longa épousa peu de temps après Jeanne de Cardaillac; les châteaux d'Assier, des Milandes et du Longa (10) furent alors trois ardents foyers de Luthérianisme ; mais la Réforme gardait son caractère féo(1)

féo(1) par R.-L. Alis. Histoire de Caumont.

(2) Fils de François et de Françoise de La Marthonie.

(3) Fils de Bertrand et de Catherine de Gontaut-Biron.

(4) Commune de Castelnaud, canton de Domme (Dordogne).

(5) Fils d'Arnaud et d'Odette de Ratehout.

(6) Fils de Bertrand et de.Françoise de Durfort-Boissière.

(7) Commune du canton de Livernon (Lot). (S) Fille de Galiot et de Catherine d'Apchier.

(9) Commune ee Viazac, canton de Figeac (Lot).

(10) Commune de Saint Médard, canton de Mussidan (Dordogne).


— 281 — 1535

dal en Haut-Quercy, comme dans le Haut-Périgord, tandis qu'en Pays Bergeracois des circonstances particulières faisaient pénétrer l'hérésie dans le coeur des bourgeois.

Les viticulteurs des plaines de la Dordogne entretenaient de fréquents rapports avec les Pays-Bas, où les vins de Bergerac étaient fort appréciés; les riches propriétaires, nobles ou bourgeois, visitaient souvent leurs acheteurs et gardaient parfois avec eux des relations affectueuses. A la suite d'un de ces voyages, Armand de Clermont de Piles apporta dans le Périgord la méthode employée par les Hollandais pour la fabrication du papier et la mit en pratique dans une usine dont il fut l'intelligent fondateur à Creysse ( 1 ). « Bergerac était à cette époque, après Bordeaux, la première « place de la Guyenne et la plus forte » (2) ; elle était aussi Tune des villes les plus commerçantes. C'est là que le Haut-Quercy, l'Auvergne et le Bas-Limousin allaient chercher leurs produits exotiques arrivant en France par Bordeaux ; plusieurs négociants Bergeracois fondèrent des comptoirs en Hollande, où les jeunes gens achevaient souvent leur éducation professionnelle.

Le Luthérianisme qui séduisait la noblesse par ses attraits féodaux, attirait la bourgeoisie par sa morale indulgente et facile; ce culte dépouillé de tout mystère ; cette loi délivrée des plus rigoureuses entraves du catholicisme et cette foi basée sur l'interprétation de chacun, furent bientôt adoptés par les jeunes voyageurs; revenus dans leurs foyers, ils s'efforçaient de répandi e autour d'eux la nouvelle doctrine En 1540, ils menèrent en Périgord un pasteur Hollandais, appelé Gaslédius, qui s'installa chez Veyrel, à Périgueux ; Gasledius faisait une active propagande jusque dans le diocèse de Sarlat. Ses intrigues, signalées au parlement de Bordeaux, motivèrent, en juin 1542, l'arrêt suivant : ... « Or« donne que Me Jean de Belcier, juge-mage de la séné« chaussée de Périgord... se transportera aux maisons de

(1) Commune du canton de Bergerac (Dordogne).

(2) B. N. Fonds Lespine, t. 48, p. 399.

T. XXXVIII. 3 4 g


— 282 — 1542

« Jean Veyrel, apothicaire de Périgueux, et saisira tous les « livres, papiers et autres choses qu'il trouvera dans ladite « maison et hôtellerie, appartenant à un nommé Gasledius « Pierre, qui se dit médecin... et le tout enverra inconti« nent devers lad. cour... » (1).

Gasledius fut condamné au bannissement, le 3 septembre 1542, et les évêques de Périgueux et de Sarlat durent payer cinquante écus chacun pour acquitter les frais du procès (2). § 3. — Calvin avait déjà, depuis trois ou quatre ans, fixé sa résidence à Genève et placé dans cette ville les fondements de sa religion. Quand le réformateur envoya ses premiers émissaires à Bordeaux (1538) l'inquisition était chargée de signaler aux juges laïcs les fauteurs d'hérésie, que les lois frappaient avec une extrême rigueur ; cependant le protestantisme faisait de rapides progrès et les Parlements, qui veillaient avec un soin jaloux sur les institutions traditionnelles du royaume, insistaient auprès du roi pour que l'Eglise fut dessaisie d'une prérogative qu'elle exerçait avec trop d'indulgence. Le vieil axiome : Un Dieu, une foi ; un roi, une loi, constituait pour la France un principe sacré, que violait tous les jours Thèrésie naissante.

Cédant à ces demandes, François Ier promulgua son célèbre édit de Villers-Colterest (1539), par lequel les juges laïcs furent chargés de provoquer les poursuites contre les hérétiques. « Environ ce tems, les Luthériens de ce royaume « voyans que les opinions de Luther n'estaient pas assez « éloignées de la religion calolique, les quittèrent pour « prendre celles de Calvin, à cause de quoy, ils perdirent le « nom de Lutériens ou protestants et furent apelés Calvi« nistes, sacramentaires ou Huguenots. » (3) Les premiers propagateurs de l'hérésie dans le Périgord n'étaient pas plus

(1) Archives de la Gironde. B. 4 cité par Bul. de la Société Arch. du Périgord, t. 57, p. 172.

(2) Archives de la Gironde. B. 4 cité par Bul. de la Société Arch. du Périgord, t. 37, p. 173.

(3, La chronique de Jean Tarde, p. 252.


— 283 — 1542

Calvinistes .que Luthériens ; ils étaient féodaux ou révolutionnaires.

Luther s'adressait aux puissants seigneurs de tous les empires ; Calvin dirigea ses efforts vers la France et chercha principalement ses disciples, du moins en Guyenne, parmi les masses populaires. La batellerie de la Dordogne, depuis le Bec d'Ambez jusqu'à Bergerac, constituait au xvie siècle une très vivante corporation ; de nombreux bateliers profitaient de leurs voyages à Bordeaux pour assister aux assemblées tenues par les ministres protestants ; ils écoutaient les presches et se laissaient volontiers séduire par la religion nouvelle, qui supprimait les commandements de Dieu les plus gênants ; ils entendaient avec joie les pasteurs prophétiser, pour un avenir prochain, la réduction des impôts, la suppression des dîmes, l'annulation des droits féodaux, l'égalité complète des citoyens. Lorsqu'ils revenaient à leurs ports d'origine, avec l'influence acquise par les services commerciaux rendus à leurs voisins, ils se transformaient en apôtres de Calvin. Grâce à leur propagande, l'invasion pacifique atteignit rapidement Gastillon (1), Sainte-Foy (1), Bergerac et parvint aux limites extrêmes de la navigation, car le juge ordinaire ayant juridiction sur l'abbaye de Beaulieu (2) « reçut en 1539 une attestation concernant « tapage et séditions faictes par les réformés dans le mo« nastère et dans l'église abbatiale. » (3)

Le pasteur Aymar de Lavoix fut condamné à mort et pendu en 1541, par arrêt du Parlement de Bordeaux pour avoir .enseigné des doctrines perverses dans les villes de Castillon et de Sainte-Foy.

L'hérésie, favorisée par de nombreux gentilshommes, arriva jusqu'aux populations rurales éloignées de la Dordogne ; une église fut fondée vers 1542, dans le bourg de Salignac (4), sur la frontière du Bas-Limousin et du Péri(1)

Péri(1) de canton de la Gironde.

(2) Chef-lieu de canton (Corrèze).

(3) Abbé Marche : La Vicomte de Turenne, p. 485.

(4) Chef-lieu de canton de la Dordogne.


— 284 — 1542 gord ; Frontin de Béraud. président au Parlemeni, pourra bientôt écrire en toute vérité : « La religion prétendue « réformée a conquis la plus grande partie du peuple, mesme « des rustiques et des gens de labeur. » (1)

Calvin disait à tous : Plus de pape et plus de maîtres ! Il enseignait que sa religion devait être élevée sur les ruines de l'église catholique, et quand les Huguenots se croyaient protégés, ils exécutaient l'ordre du réformateur, en renversant les autels, les statues et les croix, en brûlant les images des saints et les ornements sacerdotaux, en provoquant des luttes homicides qu'ils reprocheront plus tard à leurs ennemis; mais les catholiques défendaient leur foi traditionnelle, tandis que les Calvinistes organisaient une révolution sociale et religieuse. Cependant les lieutenants du roi se laissaient eux-mêmes attirer vers la doctrine nouvelle. En 1542, des poursuites furent engagées contre François de Alba, procureur au siège de Bergerac, accusé de crime d'hérésie. (2) Les protestants étaient déjà nombreux dans cette ville ; en 1544, une statue de la Sainte Vierge, érigée sur le milieu du pont, fut mutilée par des malfaiteurs restés inconnus ; (3) le pont appartenait à la famille d'Armand de Clermont, seigneur de Piles, que les religionnaires bergeracois considéraient comme étant leur chef.

Des événements beaucoup plus graves vinrent démontrer, en 1545, que les moines apostats commençaient à se jeter dans la lutte en faveur de l'hérésie :

« Le 20 novembre 1545.... a esté remontré par le seigneur « baillif de Bergerac que frère Guillaume Marentin, de l'or« dre de S'-François, en preschant dernièrement le caresme, « en la présente Ville, avait semé tout plein d'erreurs et dit « qu'il n'avoit passé que par ruelles et qu'il en viendroit qui « passeraient par les rues ; despuys, estoient venus trois

(1) Arch. Hist. de la Gironde, t. xm, p, 143.

(2) Arch. de la Gironde B 24.

(3) B. N. Mail. Fond Périg XIV. 20.


— 285 — 1545

« prescheurs de Ste Foy qui... en preschant avoient nyé le

« purgatoire et le S' Sacrement... » (1)

Le président de La Chassaigne et deux conseillers au Parlement vinrent à Bergerac faire une enquête sur ces faits ; le frère Marentin et les autres « prescheurs » furent condamnés à mort et pendus par figure, aux frais de la ville. Les consuls refusèrent plus tard de payer les frais de justice, « parce qu'ils y sont les consuls despuys la feste Madeleine « dernièrement passée et led. Marentin ne prescha despuys « leur Consulat, et que messeigneurs les gens du roy ont « toute puissance pour faire exécuter lesd. décrets. » (2)

Les ministres de Calvin allaient aussi faire leurs presches dans le pays sarladais, car le 24 février 1545 un arrêt très sévère fut rendu par la Cour du Parlement contre Jean Valade, Raymond Martin, Jean Dupuy et Pierre Duroc, tous habitants de Sarlat, convaincus d'hérésie.

§ 4. — François I déclarait au Parlement de Paris que si son bras gauche était infecté d'hérésie, il le couperait avec sa main droite. La volonté du roi, si nettement formulée, enrayait dans presque toute la France les efforts de Calvin. Henri II manifesta, dès son avènement au trône, les mêmes résolutions que son père. Brillant cavalier, chasseur infatigable, habile jouteur de paume et de tournoi, le successeur de François Ier s'occupait avec une grande sollicitude du développement de la marine et de l'organisation d'une armée permanente ; il consultait volontiers le duc de Guise, le connétable de Montmorency, le maréchal de Saint-André, qui l'encourageaient à ne tolérer dans son royaume qu'une seule foi, comme une seule loi ; la reine Catherine de Médicis n'assistait pas aux conseils : mais elle soutenait peutêtre l'invasion protestante, par opposition à Diane de Poitiers, toujours hostile au Calvinisme ; cependant plusieurs gentilshommes de la Cour entretenaient des relations directes avec le réformateur de Genève ; les plus fervents admirateurs de

(1) Arch. de Bergerac Lay. E 53.

(2) Arch. de Bergerac. Lay. E 53.


— 286 — 154S

Calvin étaient les trois fils de Gaspard de Chatillon, entraînés à l'hérésie par leur mère, Louise de Montmorency, veuve en premières noces de Ferry de Mailly. Le connétable avait pour ses trois neveux l'amour d'un père et sur ses instances, Henri II leur accorda tout ce qu'ils désiraient ; l'aîné, Odet, cardinal à seize ans, affichait sous la pourpre les moeurs d'un libertin; le second, Gaspard, seigneur de Coligny, était amiral de France, et le troisième, François, seigneur d'AnJelot, était colonel-général de l'infanterie ; ces faveurs insignes préparaient la redoutable influence que les trois puissants seigneurs vont mettre au service de l'invasion protestante.

Après les sévères arrêts prononcés contre les moines franciscains de Bergerac et contre les premiers hérétiques de Sarlat, les Huguenots du Périgord furent, pendant quelques années, très prudents ou très calmes; entre 1545 et 1549, aucun grave attentat ne fut commis contre les propriétés ou les personnes par les religionnaires du Périgord ; il est toutefois certain que le calvinisme avait jeté de profondes racines dans le pays bergeracois, puisque Bergerac fut, en 1549, désigné comme une des villes où seraient dorénavant tenues les assemblées triennales des réformés. Le lieutenantgénéral de la sénéchaussée, Jean de Poynet, quoique bon catholique, fermait les yeux sur les rapides progrès de l'hérésie qui pénétrait jusque dans son foyer, car son frère, Antoine, fréquentait les presches, malgré la défense expresse du roi. (1)

A la fin de Tannée 1549, le Parlement condamna « Jehan « Seguin, régent d'escholes de Bergerac, pour réparation « des paroles par lui tenues contre le sainct sacrement de « l'autel.... à estre trayné sur une clye par les lieux et care« fours accoutumés de Bordeaux et estre mené devant « l'église S'-André, et illec demander pardon à Dieu, Notre(1)

Notre(1) ce moment, Guy Chabot de Jarnac, sénéchal du Périgord (1545-1551) et Antoine de Crussol, sénéchal du Quercy (1555-1559) favorisaient les progrès du Calvinisme, sans attirer sur eux la disgrâce du roi.


— 287 — 1550 « Dame, saincts et sainctes du paradis, au roy et à justice... « et, ce fait, estre conduict audevant le palais royal de « l'Ombrière, et illec estre bruslé et son corps mis en cen« dres. » (1)

Peu de temps après, Jean de Poynet dénonça Pierre Bégon, orfèvre, comme ayant fait acte public de calviniste. Par arrêt du 29 mai 1551, Bégon fut incarcéré dans les prisons de la Conciergerie ; mais un arrêt du 19 septembre lui rendit sa liberté. (2)

L'invasion protestante menaçait toute la province ; pendant la nuit du 24 au 25 janvier 1551 des malfaiteurs renversèrent les croix dressées sur le bord des voies publiques, autour de Périgueux, et notamment celles qui se trouvaient au long du chemin conduisant à Marsac (3) ; plusieurs prêtres furent accusés d'avoir pris part à cette profanation ; un seul, appelé Chaulet, fut mis en prison.

Quatre jours plus tard, pendant la nuit du 28 au 29 janvier, de.s criminels pénétrèrent dans l'église Saint-Etienne de la Cité, qui était alors l'église cathédrale ; après avoir arraché la grille de N.-D. de Pitié, « où le thrésor du chapitre estoit « gardé, ils ont pillé tous les vaisseaux sacrez d'or et d'argent « qui valloient quarante-mille livres, à scavoir, les précieux « reliquaires du chef de S' Léon, pape, du chef de S1 Barthé« lemy, apôtre, du bras de S4 Front, déplus, dix-huit grands « calices d'or et d'argent, avec leurs patènes, burètes, encen« soirs, chandelliers, croix et autres orfèvreries. » (4)

Le lendemain, 30 janvier, on trouva les reliques dans un jardin, près de la ville, mais les vases sacrés et les orfèvreries furent perdus pour toujours : on accusa les protestants et des perquisitions eurent lieu dans plusieurs maisons, notamment à La Feuillade, chez Raymond d'Aix ; elles ne donnèrent aucun résultat.

(1) Archives de la Gironde B. 28.

(2) Archives de la Gironde B. 28.

(3) Commune du canton de Périgueux (Dordogne).

(4) E. Dupuy : Etat de l'Eglise du Périgord, B. 2, p. 177.


— 288 — 1553

§ 5. — Plusieurs circonstances malheureuses vinrent en ce moment favoriser les progrès du Calvinisme en Périgord et Limousin : Geoffroy de Pompadour, (1) évêque de Périgueux, mourut en 1553 ; il eut pour successeur Guy Bouchard d'Aubeterre (2) qui fut nommé sur la présentation du maréchal de Saint André, mal qualifié, comme épicurien sceptique, pour désigner un évêque ; mais le Concordat de 1516 admettait ces graves abus. Guy d'Aubeterre ne tarda pas à faire adhésion publique à l'hérésie et resta sur son siège épiscopal pendant trois ans, malgré cette'apostasie.

En la même année, 1553, le roi mit une Cour des aides à Périgueux, avec juridiction sur les généralités 'de Poitiers, d'Agen et de Riom ; parmi les magistrats appelés dans cette Cour, Henri II choisit Jean de Poynet, qui fut remplacé, comme lieutenant-général au présidial de Bergerac, par son frère Antoine, justement accusé de favoriser autour de lui la propagande calviniste.

Une profonde transformation s'accomplit en même temps dans le comté de Périgord et la vicomte de Limousin ; Marguerite d'Angoulême, reine de Navarre, avait abandonné son mari, en 1547, après le mariage de sa fille avec Antoine de Bourbon, duc de Vendôme, pour chercher la solitude et la paix au château d'Odos (3) ; elle y mourut en 1549; Jeanne de Navarre, élevée loin de sa famille, avait connu la pénible discorde qui sépara souvent son père et sa mère ; elle ne fit rien pour maintenir l'union dans son foyer; cependant les premières années de son mariage s'écoulèrent à la Cour de France et furent heureuses, parce que le duc de Vendôme, toujours insouciant, subissait volontiers ses caprices. A la fin de Tannée 1553, le roi de Navarre ayant appris que sa fille allait devenir mère, lui donna l'ordre de se rendre immédiatement à Pau. « Ceste « courageuse princesse partit de Compiègne le 15 novembre, « traversa toute la France jusqu'aux monts Pyrénées, arriva

(1) Fils d'Antoine et de Catherine de La Tour.

(2) Fils de Louis et de Marguerite de Villebois-M.

(3) Commune du canton de Tarhes (Hautes-Pyrénées).


— 289 — 1554

« à Pau, où estoit son père, le 4 décembre, n'ayant mis que

« dix-huit jours à faire ce voyage et, le 13 du même mois,

« elle accoucha heureusement d'un fllz. » (1)

Ce fils, qui devait prendre une grande part aux guerres de religion, avant de devenir Henri IV, fut baptisé le 6 janvier 1554 dans la chapelle du château de Pau par le cardinal d'Armagnac, évêque de Rodez (2) et lieutenant-général d'Henri II à Toulouse ; il eut pour parrains les rois de France et de Navarre.

En 1555 mourut Henri d'Albret ; le comté de Périgord et la vicomte de Limousin devinrent la propriété de Jeanne d'Albret, qui se plaignait amèrement du roi de France et qui manifestait son mécontentement en pactisant avec les Calvinistes. Elle devint, suivant l'expression de Brantôme, une Huguenote très forte, et le duc de Vendôme, cédant à ses instances, abandonna lui-même, pendant quelques années, les intérêts de la religion catholique ; cette évolution produisit une impression considérable dans le Périgord et le Limousin ; de nombreux gentilshommes devinrent hérétiques, tels que Jean de Foucauld-Lardimalie (3) et Jacques de Saint-Astier (3), son beau-frère (4), Aymar de R.anconet (5), président au Parlement de Paris, et Louis du Faure (6), conseiller au même Parlement; Jean d'Escodéca (7) seigneur de Boisse, Jehan de Mellet, seigneur de Neuvic (8), Armand de Gontaut-Biron (9), devenu baron de Salignac par son mariage avec Jeanne de Solignac, Bertrand de Larmandie (10), qui bientôt épousera Françoise de Bourbon(1)

Bourbon(1) : Histoire d'Henri le Grand.

(2) Il devint archevêque de Toulouse, après la déposition du cardinal de Chatillon.

(3) Fils de Bernard. Ep. Marguerite de Saint-Astier.

(4) Fils de Jean et de Catherine de Martel.

(5) Humaniste, auteur d'ouvrages fort appréciés au xvie siècle.

(6; Seigneur de la Roderie, commune de Lunas, canton de La Force (Dordogne).

(7) Fils d'Armand et de Marguerite d'Apremont.

(8) Canton de la Dordogne.

(9) Fils de Brandelin et de Anne de Gourdon-Genouilhac, ;10) Jeanne d'Albret a signé son contrat de mariage.


— 290 — 1554

Malause, soeur du vicomte de Lavedan, l'un des chefs calvinistes de la Navarre, etc.

Le troisième fils de Charles de Caumont, qui s'appelait François, comme le premier, s'était marié en 1554 avec Philippe de Beaupoil, dame de La Force (1), de Maduran (2), et d'Eymet (3) ; il s'installa dans le château de La Force pendant que son frère aîné transformait en temple protestant la belle église des Milandes et que Geoffroy, toujours paré du petit collet, faisait, avec les moines apostats d'Uzerche et de Clairac, une active propagande en Agenais et BasLimousin ; le plus jeune des fils de Charles, Jean de Caumont, marié avec une soeur du baron de Biron, résidait au château de Montponillan (4) et marchait sur les traces de ses trois frères.

L'influence féodale de ces puissants seigneurs s'ajoutait aux excitations démagogiques des ministres de Calvin pour répandre la religion nouvelle dans le Bas-Périgord ; cependant l'édit de Chateaubriant (27 juin 1554) venait d'aggraver la répression du crime d'hérésie ; mais les Huguenots, soutenus par de nombreux gentilshommes, progressaient toujours. On voyait dés églises parfaitement organisées à SaintAulaye (5), Parcoul (6), Aubeterre, Le Fleix (7), La Rochebeaucourt, Sainte-Foy, Bergerac, Castillon, Salignac, etc. ; les pasteurs faisaient leurs presches à Périgueux, Sarlat, Mussidan (8), Nontron, Latourblanche, et les esprits forts trouvaient plaisant d'ériger des temples dans les villes ecclésiastiques d'Issigeac (9), où l'évêque de Sarlat était suzerain, de Montcaret (10) et de Saint-Gyprien (11),qui relevaient de l'archevêque de Bordeaux.

(1) Canton de la Dordogne.

(2) Commune de Saint-Pierre d'Eyraud, canton de La Force (Dord.).

(3) Chef-lieu de canton de la Dordogne.

(4) Commune du canton de Meilhan (Lot-et-Garonne).

(5) Chef-lieu de canton de la Dordogne.

(G) Commune du canton de La Force (Dordogne).

(7) Commune du canton de La Force (Dordogne).

(8) Chef-lieu de canton de la Dordogne.

(9) Canton de la Dordogne.

(10) Commune du canton de Vélines (Dordogne), (1!) Canton de la Dordogne.


— 291 — 1555

Le Limousin n'était encore menacé par le Calvinisme que sur la vicomte de Turenne ; il va subir de plus sérieuses attaques. Guillaume Le Daugnon, prêtre apostat, bravait les édits en preschant la religion nouvelle sur les places publiques de Limoges. Le sénéchal, François de Pontbriant (1), le fit arrêter et le Parlement prononça contre lui la peine de mort sur le bûcher. Calvin chargea le pasteur Brunet de continuer l'oeuvre du renégat. Brunet réussit à fonder une église à Limoges et prescha jusqu'à Saint-Yrieix et Brive ; il rencontrait dans les villes closes, comme dans les campagnes, des populations mal disposées à recevoir sa doctrine. Jeanne de Navarre alla, l'année suivante (1556) visiter sa vicomte de Limousin et donner au pasteur Brunet le concours de son influence personnelle. Elle n'avait pas encore abjuré, mais sa vive irritation contre le roi de France l'excitait à combattre l'église catholique. Quoi qu'elle fût accompagnée par Antoine de Bourbon, elle n'obtint que de très rares adhésions en faveur du Calvinisme.

Le Haut-Quercy résistait, comme le Limousin, à l'invasion protestante, malgré les persévérants efforts de la châtelaine d'Assier et du vicomte de Gourdon ; cependant un pasteur de Genève, appelé La Teulade, réussit à fonder dans la ville de Cahors une église plus bruyante que solide ; l'un des premiers adhérents fut Guillaume Le Clerc, avocat au présidial, qui voulut seconder La Teulade dans sa propagande ; poursuivi devant le Parlement et convaincu d'hérésie, il fut condamné à être brûlé vif; mais il avait eu le temps de se réfugier en Suisse et l'arrêt prononcé contre lui fut exécuté par effigie sur la place de la Conque. En même temps, le pasteur Vignals organisait une église peu résistante à Montcuq (2) ; Etienne Gragnon, envoyé par Calvin, alla sans aucun succès prescher vers Gramat et Gourdon ; il ne trouvait des adhérents que dans la vicomte de Turenne, à SaintGéré (3), Beaulieu et Argentat.

(1) Fils de Pierre et de Anne de Peyronnenc.

(2) Chef-lieu de canton du Lot.

(3) Chef-lieu de canton du Lot,


— 292 — 15o5

Henri II constatait avec une vive inquiétude ces rapides progrès ; il fit venir auprès de lui la reine de Navarre et s'efforça de la rendre plus favorable à l'église catholique, en l'aidant à reprendre la Navarre espagnole ; l'expédition que Jeanne d'Albret organisa dans ce but, avec le concours dissimulé de la France, eut un échec complet ; la guerre ouverte contre l'Allemagne empêcha les gentilshommes d'aller au secours de Jeanne d'Albret. Toute la noblesse combattait en Lorraine ; Henri II s'empara des trois évêchés, Metz, Toul et Verdun ; Charles-Quint essaya vainement de reprendre Metz ; le duc de Guise, après une brillante défense, contraignit l'empereur à lever le siège.

§ 6. — Les Allemands furent encore vaincus à Renty (1) le 13 mars 1554. Au soir de ce glorieux combat, le vainqueur de Metz et l'amiral de Coligny eurent en présence d'Henri II une vive discussion et portèrent ensemble la main sur la garde de leurs épées ; l'intervention du roi fut nécessaire pour apaiser ces deux chefs d'armées, unis comme des frères au iemps de leur jeunesse et rendus ennemis jusqu'à la mort par la jalousie de l'amiral.

En 1557, Coligny, assiégé dans Saint-Quentin (2), dut capituler après une désastreuse bataille, où le vicomte de Turenne (3) fut tué et le connétable de Montmorency fait prisonnier ; la conduite de l'amiral ayant été vivement critiquée, sa haine contre le vainqueur de Metz devint encore plus ardente. Le duc de Guise releva l'honneur des armes en chassant les Anglais de la ville de Calais (4j qu'ils occupaient depuis deux siècles ((558), A dater de ce jour, la politique traditionnelle du roi de France fut interrompue pendant un demi-siècle ; obligé de soutenir la guerre contre des sujets révoltés sous prétexte de religion, Henri II renonça provisoirement à porter jusqu'au Rhin la frontière du ro(1)

ro(1) du canton de Fauquenbergues (Pas-de-Calais).

(2) Arrondissement de l'Aisne.

(3) François III (1526 à 1557) avait épousé Eléonore de Montmorency.

(4) Chef-lieu de canton du Pas-de-Calais.


— 293 — 1558

yaume. Profondément irrité de l'attitude prise par les trois frères de Chatillon, dans ces luttes civiles, il enleva le titre d'amiral à Coligny et François d'Andelot perdit ses fonctions de colonel général d'infanterie, qui furent attribuées à Monluc (1), comme une juste récompense de sa brillante expédition d'Italie.

Le 14 juin 1559, le roi tint une audience solennelle du Parlement, où devaient être discutées les mesures à prendre pour arrêter l'invasion calviniste ; cinq conseillers, parmi lesquels deux périgourdins, Ranconet et Louis du Faure, osèrent manifester des sentiments favorables à l'hérésie ; Henri II les fit conduire à la Bastille, où Ranconet se pendit, laissant peser sur sa mémoire des accusations peu favorables à la dignité morale des premiers disciples de Calvin. Le 29 juin, le roi reçut dans un tournoi la blessure dont il mourut le 30 juillet. La lance de Gabriel de Lorges, comte de Mongonmery, faisait disparaître le plus redoutable adversaire du protestantisme en France ; les derniers Valois n'auront pas les qualités royales de François 1er et d'Henri IL

§ 7. — François II, maladif et léger, monta sur le trône à l'âge de seize ans ; dès les premiers jours de son règne, il donna toute sa confiance aux princes de Lorraine, oncles de Marie Stuart, et choisit comme ses deux principaux conseillers, François, duc de Guise, et Charles, cardinal de Lorraine. Calvin jugea que les circonstances étaient favorables au triomphe de sa religion. Le jeune roi. qui n'avait aucune influence personnelle, venait d'exciter la colère du duc de Vendôme et du prince de Condé, en donnant le pouvoir aux Lorrains ; le connétable de Montmorency ne voyait pas sans amertume le duc de Guise commander l'armée française ; les Chatillon, mis en disgrâce, paraissaient disposés à se révolter et le réformateur croyait que les gentilshommes rendus sceptiques par la Renaissance ne feraient rien pour défendre la foi traditionnelle du royaume ; tandis

(1) Fils de François de Montesquiou, seigneur de Monluc, et de Françoise d'Estillac de Mondenard.


— 294 — 1555 que déjà, dans les nombreuses églises réformées de France, « les ministres avaient lâché la bride à toutes sortes de « désordres et de licences. » (1)

§ 8. — Toutefois, le consistoire de Genève ne voulait pas commencer la guerre avant d'avoir organisé sur des bases solides un conseil exécutif ; l'amiral de Coligny le composa lui-même et le forma presqu'exclusivement dans sa famille ; il décida le roi de Navarre à convoquer, en août 1559, dans son château de Vendôme, l'amiral, ses deux frères et ses beaux-fils, Louis, prince de Condé, et François de La Rochefoucauld, avec Antoine de Croy, prince de Porcien ; il leur proposa de s'engager ensemble à chasser les Guise du pouvoir et à substituer le Calvinisme au catholicisme ; l'idée religieuse ne préoccupait guère les nobles conspirateurs de Vendôme (2) ; car si les Chatillon allaient au presche, le duc de Vendôme allait à la messe et le prince de Condé n'entendait ni messe ni presche.

Les organisateurs du complot décidèrent que l'armée protestante serait placée sous les ordres du prince de Condé ; bientôt après, le grand consistoire de Genève résolut d'ouvrir les hostilités par l'enlèvement du roi. fallut-il pour cela massacrer les deux grands conseillers de la couronne. Quand François II aurait été mis sous la tutelle de l'amiral de Coligny, l'invasion calviniste supprimerait aisément l'église catholique en France. Pour éloigner du but principal de ce complot l'attention du duc de Guise, « la société secrète de « Genève, menaçant la France entière de sa redoutable « conspiration » (3\ donna l'ordre à tous les pasteurs dont elle connaissait le zèle, de multiplier les attaques autour d'eux et de les mener avec la plus grande violence ; nous verrons cette même tactique précéder la plupart des complots organisés par le grand consistoire.

(1) E. Pasquier : Recherches de la France.

(2) Davila : Histoire des Guerres civiles. — De Thou : Histoire de mon Temps.

(3) Janssen : L'Allemagne et la Réforme, t. n, p. 259-200.


- 295 - 1559

§ 9. — « Dans toutes les provinces du Midi, il y eut des « presches en armes, des saccagements d'églises, des com« bats entre les bandes protestantes et les troupes royales. « Mouvans, choisi pour chef par les soixante églises de « Provence, courait le plat pays, abattait les images et fai« sait jeter au creuset les objets du culte et les trésors d'or« fèvrerie. » (1)

En Périgord, « les religionnaires, se voyant soutenus de « quelques grands seigneurs du royaume, qui pour quel« que considération particulière s'estoient rendus protec« teurs d'iceulx, levèrent le masque, se liguèrent et formè« rent un parti, se persuadant estre assez forts pour s'en « faire croire. Ils ne se contentent pas d'establir leur reli« gion, mais veulent dutout abolir l'ancienne ; à cause de « quoy, ils faisoient estât de tuer les prebstres, brasier et « détruire les églises et monastères, là où ilz estoient les « plus fortz. » (2)

Le signal des hostilités en Guyenne fut donné par un officier de la reine de Navarre, Arnaud de Bord, procureur d'office à Montignac, où la comtesse de Périgord et vicomtesse de Limousin possédait un puissant château placé sous la garde d'un capitaine nommé par le roi de France. La reine Jeanne avait fait venir d'Orléans un ministre, appelé Richard, qui devait s'entendre avec Arnaud de Bord pour imposer le culte calviniste à Montignac par tous les moyens en leur pouvoir ; ils assemblèrent quelques adhérents, s'emparèrent de l'église, la pillèrent de fond en comble, brisèrent les autels et massacrèrent plusieurs prêtres ; « ilz prindent le chasteau, où commandoit le capitaine La « Chilaudie, lequel ilz firent pendre à mesme heure qu'ilz le « tindrent, sans autre forme de procès, et après imposèrent ' « des tailles sur les. catholiques, lesquelles ilz firent payer « par force et violence ». (3)

(1) E. Lavisse : Histoire de France, t. vi, p. 25.

(2) Les chroniques de J. Tarde, p. 228.

(3) Les chroniques de J. Tarde, p. 228.


— 296 — 1559

La domination tyrannique d'Arnaud de Bord pesa sur Montignac pendant plus d'une année.

Dans la ville close d'Issigeac, en pays bergeracois, « les « gens de cesle secte occupèrent, l'église par violence, rom« pirent lez autelz, brysèrent les ymages, pillèrent les orne« ments et firent semblables insolences en plusieurs églises « voisines ». (1)

On accusa Jean d'Escodéca, seigneur de Boisse (2), d'avoir provoqué ce mouvement révolutionnaire ; l'évêque de Sarlat possédait une maison épiscopale dans cette ville close, dont il était la première autorité féodale et le seigneur de Boisse voulait le supplanter.

Les rares protestants de Limoges, étroitement surveillés par le sénéchal de Pontbriand, ne prirent aucune part à ces hostilités ; ceux du Haut-Quercy organisèrent à Cahors quelques manifestations violentes, sous la direction du pasteur La Teulade qui fut mis en prison.

Des assemblées clandestines furent tenues à Cajarc (3), Figeac (4), Puylaroque (5) et Montcuq (3), provoquées par les dames d'Assier ou de Montbrun et par le vicomte de Gourdon ; mais les paysans et les bourgeois opposèrent une résistance énergique à toutes les tentatives d'invasion.

§ 10. — Pendant que ces entreprises occupaient l'attention des gouverneurs de provinces et des princes de Lorraine, la conjuration d'Amboise était conduite par un capitaine que la SociéLé secrète de Genève avait désigné, « c'était Godefroy « du Barry, seigneur de la Renaudie (6), gentilhomme d'une « ancienne famille du Périgord, bien connu du duc de Guise, « sous les ordres duquel il avait vaillamment servi à Metz, « en 1552, et qui l'avait quelque temps protégé contre les

(1) Les chroniques de J. Tarde, p. 228.

(2) Commune d'Issigeac (Dordogne).

(3) Chef-lieu de canton du Lot.

(4) Chef-lieu d'arrondissemon! du Lot.

(5) Commune du canton de Montpezat (Tarn-et-Garonne).

(G) Commune de Saint-Front-la-R., canton de Saint-Pardonx (Dord.) Belles ruines près de la Dronne.


- 297 — 1560 « suites d'un procès fâcheux, dans lequel La Renaudie avait « été condamné par le Parlemeut de Paris, pour fabrication « et production de faux titres. Forcé de quitter la France, il » se retira en Suisse, à Lausanne et à Genève, où il ne tarda « pas à se dévouer avec passion pour la réforme ». (1)

Du Barry fut chargé d'aller avec cinq cents gentilshommes surprendre le roi et ses ministres, à Blois ; il possédait en Périgord une petite châtellenie, sur laquelle il avait droit de moyenne justice. Cette faible influence féodale avait souffert des arrêts prononcés par le Parlement de Paris ; du Barry n'aurait jamais pu grouper cinq cents gentilshommes sous ses ordres, si .la Société secrète ne l'avait revêtu d'un pouvoir mystérieux. 11 trouva d'ailleurs très peu de conjurés autour de lui ; nous n'en connaissons que deux : François d'Aubeterre et Poltrot de Méré.

La cour royale, informéedu complot, quitta Blois et s'installa dans le château d'Amboise ; les conjurés poursuivirent leur projet sur celte nouvelle direction ; ils eurent un lamentable échec. Du Barry fut tué (2) dans la forêt de Chateaur renault par son cousin, François de Ségur-Pardaillan (3) ; et presque tous ses complices furent massacrés ; cependant François d'Aubeterre et Poltrot de Méré réussirent à se sauver et se réfugièrent à Genève.

§11. — La répression de ce grave attentat fut tellement violente qu'une réaction se produisit en faveur des Calvinistes, dans l'entourage de François II. Catherine de Médicis profita de cette réprobation générale pour entrer hardiment en scène. Son premier acte fut de nommer L'Hôpital garde des sceaux en remplacement d'Olivier, mort de frayeur pendant le tumulte d'Amboise. Austère et froid, comme l'amiral

(1) Guizot : Histoire de France, t. 3.

(2) Il fut considéré comme un martyr. Il laissait deux filles ; l'aînée, Jeanne, épousa François de Saint-Aulaire, qui prit la terre et le titre de La Renaudie ; la seconde, Marie, épousa Pierre de La Rochefoucauld.

(3) Seigneur de Saint Aulaye, fils de Béraud et de Catherine de Pélagrue.

T. XXXVIII. S-i 10


— 298 — 1560

de Coligny, Michel de L'Hôpital se montrait toujours bienveillant envers les Calvinistes, tandis qu'à l'égard des Catholiques il était tantôt acerbe et tantôt affable. Certains de pouvoir s'appuyer sur lui, les trois Chatillon revinrent à la cour et leurs actives démarches amenèrent la réunion immédiate d'une assemblée des notables à Fontainebleau, chargée de fixer les poursuites exigées par l'opinion publique contre les conjurés. L'amiral s'y rendit ; dès la première séance, il attaqua le duc de Guise avec tant de violence que les notables le mirent hors de cause et déclarèrent qu'Antoine et Louis de Bourbon seraient jugés à bref délai sur leur participation au complot ; il obtint en même temps du roi que les Etats généraux seraient convoqués pour le 10 décembre, à Meaux.

La réaction fut assez forte pour modifier la situation politique du royaume ; tous les Français restaient sincèrement attachés au roi ; mais l'union n'existait plus entre eux ; on distinguait trois groupes hostiles : Les Catholiques, résolus à défendre, même par la guerre, la foi traditionnelle du royaume ; ils n'avaient à la Cour aucun chef assez influent pour imposer son autorité ; leurs efforts resteront longtemps inefficaces. Les Calvinistes voulaient supprimer l'église catholique ; maie ils étaient incapables de formuler un programme donnant tout à la fois satisfaction aux gentilshommes, aux bourgeois, aux masses populaires ; ils s'inclinaient tous devant l'autorité de l'amiral et cette discipline décuplera leur force. Les Politiques avaient la prétention de rétablir la concorde entre tous les Français par des moyens diplomatiques et sans recourir aux mesures de rigueur ; ils étaient parfois soutenus par les malcontents des deux autres partis. A l'origine, le connétable de Montmorency prit part à leurs intrigues, par haine des princes de Lorraine.

§ 12. — L'Hôpital, chef de ce groupe influent, avait toute la confiance de Catherine de Médicis : « Avec sa barbe « blanche, dit Brantôme, son visage pasle, sa façon grave, « on eust dit à le voir que c'esloit un vray pourtraict de « de S'-Hiérosme », Il fit signer, le 20 mai 1560, TEdit de Romorantin. rendant aux juges ecclésiastiques la connais-


- 299 - 1560

sance du crime d'hérésie et statuant qu'à l'avenir les assemblées illicites seraient seules punies, sans qu'on puisse jamais troubler les croyances. L'unité de foi n'était plus obligatoire en France !

Ces concessions redoublèrent l'audace des chefs calvinistes du Périgord et de TAgenais ; sous l'impulsion des quatre frères de Caumont, des manifestations bruyantes furent organisées à Sainte-Foy, Marmande, Caumont, Ste-Bazeille(l) etc. « A Sarlat, Bergerac et Mussidan, certain populaire, « sans armes toutefois, s'est assemblé pour entendre les « presches de quelques dogmatizans, qui se sont enhardis « par passade de prescher publiquement. » (2)

L'agitation fut tellement violente que l'évêque de Sarlat (3) dut prendre la fuite. Armand de Gontaut, baron de Biron (4) commandait en ce moment les compagnies du roi dans la sénéchaussée de Sarlat, après s'être vaillamment distingué, pendant les guerres d'Italie, sous les ordres du maréchal de Biïssac. Appelé à rendre compte des troubles survenus auprès de lui, il écrivit, le 16 octobre, deux lettres qui permettent d'apprécier les dispositions à la diplomatie du futur chef des Politiques en Périgord. Il dit au lieutenant-général de Guyenne : « Est bruict que quelques uns, à Sarlat, s'effor« cent de faire assemblées de jour et de nuict, pour oyr « quelques ministres contre la deffence des officiers de « justice. » (5)

Il disait, le même jour, au duc de Guise : « A Sarlat, le « tout est entièrement réduilz; aussi n'avait-ce esté grand « chose et l'Evesque y est despuys arrivé. » (6)

En môme temps, Geoffroy de Caumont organisait à Clairac un grand synode, qui fut tenu le 19 novembre, sous la prési(1)

prési(1) du canton de Marmande (Lot-et Garonne).

(2) Bibl. Nat. 500 Colbert xvn, p. 130.

(3) François de Sénectère, évêque de 1546 à 1567.

(4) Né en 1524, fils de Jean et de Renée-Anne de Bouneval.

(5) Bibl. Nat. 500 Colbert xvn, 132.

(6) Archives historiques de la Gironde, xiv, 1.


- 300 — 1560

dence de Théodore de Bèze; trente pasteurs et de nombreux

anciens s'y trouvèrent assemblés.

Cependant, les princes de Lorraine, étant perpétuellement en conflit avec le grand chancelier, François II, sur le conseil de la reine mère, manifesta l'intention de se séparer d'eux. Le duc de Guise aimait les situations périlleuses et savait que les Parisiens détestaient les Huguenots ; après avoir fait venir ses fidèles bandes de Gascogne à Paris, il décida, sous sa seule autorité, que les Etats-généraux seraient assemblés à Orléans au lieu de Meaux, le 10 décembre, et qu'avant cette date, les deux princes de Bourbon seraient jugés sur leur participation à la conjuration d'Amboise.

Le roi de Navarre fut mis hors de cause ; mais le prince de Condé, reconnu coupable de conspiration, de trahison et d'hérésie, fut condamné à mort ; l'exécution devait avoir lieu la veille de l'ouverture des Etats ; François II mourut cinq jours avant « d'une dêfluxion d'humour à l'oreille » ; le chef des armées calvinistes était sauvé!

Toujours confiant en l'avenir de sa religion, Calvin écrivit à ses pasteurs : « Dieu est apparu ! Il a frappé le père à l'oeil et le fils à l'oreille ». Les Etats furent clos le 31 janvier 1561.

§ 13. — Charles IX avait dix ans; il deviendra, comme tous les Valois, brillant cavalier et chasseur intrépide ; il eût même été peut-être un grand roi, si sa mère ne l'avait pas contraint, dès son enfance, à plier sous sa volonté. Antoine de Bourbon aurait dû prendre la régence, mais il s'était compromis dans la conjuration d'Amboise ; la reinemère fît valoir ce motif pour s'emparer du pouvoir ; elle apaisa son mécontentement en le nommant lieutenant-général du royaume, à la place du duc de Guise, élevé à la dignité de grand-maître de France (1); le jeune prince Henri de Béarn devint gouverneur de la Guyenne, en remplacement de son père.

Le roi de Navarre, la reine et leurs deux enfants vivaient à la Cour, où la reine-mère s'efforçait de les rendre

(1) Occupait le premier rang parmi les grands officiers de la Couronne, avec des fonctions honorifiques.


— 301 — 1560

favorables à l'église catholique ; elle envoya même dans ce but François des Cars (1) en ambassade auprès du roi-d'Espagne, afin d'obtenir qu'une équitable convention terminât le conflit relatif à la Navarre transpyrénéenne. (2)

Henri de Béarn, élevé dans la religion calholique, suivait depuis deux ans les cours du Collège de Navarre, avec Henri d'Anjou, frère de Charles IX, et Henri de Guise, fils de François ; les trois Henri se rencontreront dans vingt-cinq ans, à la tête de trois armées rivales. Louis de Bourbon, prince de Condé, fut mis en liberté sous la condition de se réconcilier avec les princes de Lorraine ; Coligny reprit son titre d'amiral et d'Andelot retrouva ses fonctions de colonelgénéral de l'infanterie, Monluc lui rendit avec peine cette charge ; mais il reçut le titre de lieutenant général du roi en Guyenne pour le tenir avec Charles de Coussy, seigneur de Burie. François Bouchard d'Aubeterre revint de Genève avec ses deux fils (3), baptisés par Calvin, et s'empressa de faire bâtir un temple auprès de son château d'Aubeterre.

§ 14. — La régente, voulant effacer jusqu'au souvenir de la conjuration d'Amboise, accorda par son édit de juillet une amnistie pleine et .entière à tous les Huguenots, pour faits de religion ; ce même edit rappelle aux Calvinistes que les assemblées publiques ou privées sont formellement interdites, sous peine de la confiscation des biens ; il ajoute que la répression pour crime d'hérésie ne pourra plus aller au-delà du bannissement.

Ces concessions nouvelles donnèrent une grande confiance aux Calvinistes ; ils savaient que la reine-mère fermait les yeux devant l'invasion et que le grand chancelier protégeait les hérétiques ; ils croyaient être les maîtres de l'armée par l'influence du duc de Vendôme, de l-'amiral et du colonelgénéral de l'infanterie ; Calvin excilait leur audace et, dociles à ses conseils, les pasteurs organisaient partout des assem(1)

assem(1) d'Ardouin et d'Éléonore de Roquefort.

(2) Arch. de la Haute-Vienne Fonds des Cars.

(3) David et Charles, fils de François et de Gabrielle de Laurensanes.


— 302 — 1561 Liées publiques ou privées, interdites par l'édit de juillet. Les presches étaient ouvertement donnés jusques à la cour, où Jeanne de Navarre et l'amiral s'y rendaient toujours avec leurs amis.

Paris se préoccupait vivement de l'extraordinaire tolérance de Catherine de Médicis et les ambassadeurs étrangers signalaient, à leurs gouvernements la redoutable menace d'une crise prochaine ; l'un d'eux, Michieli, écrivait : « Une « vaste conspiration, recevant son mot d'ordre de Genève, « couvre de ses fils la France entière. »

La société secrète redoublait ses intrigues et les fidèles serviteurs de la monarchie s'alarmaient en voyant que jusque dans le palais du roi, les plus grands officiers de la couronne bravaient les prescriptions de la régente. La reine de Navarre entraînait même quelquefois au presche son fils âgé de huit ans, tandis que le duc de Vendôme voulait le mener à la messe. Le jeune prince échappait à tous les deux.

§ 15. — Le connétable de Montmorency faisait les plus sévères observations au prince de Condé, à Coligny, d'Andelot et La Rochefoucaud, qui violaient les êdits sous les yeux du roi lui-même. Après avoir constaté que ses reproches n'amenaient aucune amélioration, il se mit en lutte ouverte avec ces quatre puissants seigneurs, dont il avait favorisé la carrière ; bientôt après, son amour pour la France devint plus fort que la haine des princes de Lorraine. On vit alors le noble vieillard conclure avec le duc de Guise et le maréchal de Saint-André une convention par laquelle les trois vaillants guerriers s'engageaient à combattre jusqu'à la mort pour maintenir l'unité de foi dans le royaume. Vivement émus par la grandeur d'âme du connétable, le duc de Montpensier et le maréchal de Brissac demandèrent à faire partie du conseil des triumvirs ; quelques jours plus tard, le roi de Navarre, toujours chevaleresque et mobile, voulut aussi prendre place dans le triumvirat ; Jeanne d'Albret, indignée, quitta brusquement la cour avec sa fille Catherine, laissant le prince de Béarn auprès de son père ; les deux époux ne devaient plus se revoir. Il était temps de réagir,


— 303 — 1561

car déjà la religion traditionnelle paraissait aussi menacée que l'unité nationale ; Guy Bouchard d'Aubeterre, évêque de Périgueux, et Jean de Lettes des Prés (t), évêque de Montauban, avaient été mis par le souverain pontife dans l'obligation de renoncer à leur siège épiscopal, sur lequel ils voulaient rester, quoi qu'ils aient embrassé publiquement l'hérésie. Huit autres évêques de France (2), ayant imité plus ou moins Aubeterre et des Prés, favorisaient les progrès de l'invasion calviniste ; l'Inquisition les fit appeler à Rome pour y justifier leur conduite. De nombreux moines, s'associaient aux gentilshommes féodaux pour répandre sur tout le royaume l'agitation révolutionnaire de la réforme.

§ 16. — Cependant, les hostilités soulevées au moment de la conjuration d'Amboisse furent interromques par la sanglante répression des conjurés ; elles reprirent toute leur activité dans la Guyenne, sur Tordre du grand Consistoire, organisant la guerre civile partout où ses instructions pouvaient être reçues par un ministre fanatique ; la lutte fut particulièrement violente dans le Périgord et dans le Haut-Quercy. Le jeune prince de Béarn, gouverneur en titre de la Guyenne, était suppléé par les deux lieutenantsgénéraux du roi, Charles de Coussy, seigneur de Burie, et Biaise de Monluc ; le seigneur de Burie, d'une noble famille de l'Angoumois, avait de très nombreuses.relations chez les propagateurs du Calvinisme ; son caractère indécis ne s'appuyait d'ailleurs sur aucune conviction religieuse ; il en avait donné récemment la preuve dans un conflit provoqué par un groupe de prolestants d'Agen, qui voulaient.s'emparer de l'église Sainte-Foy ; M. de Burie crut faire un accord

(1) Fils d'Antoine, maréchal de France, et de Jeanne du Fou ; ép. : Armande de Durfort.

(2) Jean de Chaumont, archevêque d'Aix; Jean de Monluc, évêque de Valence ; François de Noailles,évêque de Dax , Antoine de Carracciolo, évêque de Troyes ; Louis d'Albret, évêque de Lescar ; Claude Régin , évêque d'Oloron; Charles Guillard, évolue do Chartres; Jean de Saint-Gelais, évêque d'Lzès.


— 304 - 1561

sérieux, en décidant, que cet édifice serait à la disposition

des Catholiques pendant la moitié du jour, aux heures fixées

par ses ordres, et que les Huguenots en disposeraient pendant

les autres heures de la journée.

Monluc ne s'était jamais préoccupé de la réforme ; il avait cependant observé que déjà le Calvinisme ouvrait la voie des grandeurs à de nombreux gentilshommes ; or, il aimait le luxe et les richesses, comme tous ses contemporains, et ses intérêts l'engageaient à ne prendre encore aucun parti : « je voulois, disait-il, connoître le cours du marché » ; d'ailleurs, comme un bon courtisan, il ajoutait : Quant à changer de religion, «je ne le ferois jamais, si premièrement « le roy n'en change ».

Le sénéchal du Périgord était Jacques André ; celui du Quercy, François Sôguier, qui faisait élever ses fils par le pasteur La Teulade et que Monluc traitait d'yvrogne et naïf. Ces deux sénéchaux, appartenant à la bourgeoisie, n'avaient qu'une très faible autorité sur les gentilshommes ; pour suppléer à cette insuffisance, le roi nomma François des Cars (1) gouverneur du Périgord et Antoine de Lomagne (2), seigneur de Terride, gouverneur du Quercy. Seul, parmi les sénéchaux de nos trois provinces, François de Pontbriant défendait avec énergie, dans le Limousin, la foi traditionnelle du royaume. Les circonstances semblaient être particulièrement favorables à l'invasion calviniste, dans le Périgord, parceque le plus important capitaine de la province, Armand de Biron, se montrait aussi tolérant que la régente et le grand chancelier, à l'égard des protestants.

Le Bas-Limousin ne connaissait encore, en fait d'invasion calviniste, que le presche des pasteurs genevois; il va bientôt subir les profanations, qui partout ont précédé les attentats contre les personnes. Pendant la nuit du 28 décembre 1561, les statuettes vénérées aux façades des maisons de Brive et

(1) Fils de Gauthier, seigneur de La Vauguyon et de Marie de Montbron; ép. Isabeau du Bourbon-Carency.

(2) Plus connu sous le nom de vicomte de Terride.


— 305 - 1561

les croix dressées au bord des voies publiques furent abattues

et brisées, non seulement dans la ville, mais aussi dans

les faubourgs et dans les villages voisins ; le vénérable

évêque de Limoges, Sébastien de Laubepin, l'un des

plus distingués prélats du royaume, et le sénéchal Pontbriant

Pontbriant une longue enquête, sans pouvoir découvrir les

coupables.

La guerre civile fut beaucoup plus violente et générale en Périgord ; un pasteur envoyé par Calvin, Simon Brassier, fixa sa résidence chez le baron François de Larochebeaucourt (1), qui protégeait son active propagande. Brassier faisait ses presches dans tous les bourgs du voisinage, accompagné par Raymond d'Aix et par une escorte de gens d'armes, violant ainsi les prescriptions de TEdit de juillet ; il ne craignait pas d'aller jusqu'à Périgueux, où ses auditeurs, assemblés dans l'auberge du Chapeau Vert (2), applaudissaient ses appels à la révolte. « La Cour servait d'audience « après que la cave parut trop petite pour la grande quantité « de peuple qui y arrivait. » (3)

Le maire, Antoine du Chillaud, fit arrêter ce pasteur, rebelle aux édits de la régente ; mais le grand chancelier lui rendit sa liberté.

A Sarlat, le ministre protestant, Raymond Leroy, ancien bénédictin d'Uzerche, fit enterrer sous la lanterne des morts, au grand scandale des catholiques, un religionnaire appelé Jean Delpeyrat ; la guerre fut aussitôt allumée dans toutes les rues et le sang coula pendant plusieurs jours ; les consuls appelèrent le baron de Biron, qui refusa son assistance, disant aux catholiques de s'organiser en union défensive, pour résister aux Calvinistes ; le futur chef des politiques suggérait ainsi l'idée de fonder la Ligue, dont il sera plus tard le redoutable adversaire. Un brillant gentilhomme du

(1) Commune du canton de Mareuil (Dordogne).

(2) Etait située sur la rive gauche de Lisle, à l'extrémité du pont des Barris, à la place où se trouve l'école normale des garçons.

(3) Selve : Histoire ms. du Sarladais, p. 142-


- 306 — 1561

voisinage, Jean de Losse (1), capitaine de la garde écossaise,

vint rétablir le bon ordre à Sarlat.

La lutte fut plus violente dans le pays bergeracois ; François de Pontbriand, sénéchal du Limousin, possédait près d'Issac (2) le château-fort de Montréal, où plusieurs calvinistes étaient retenus en prison ; la forteresse, entourée de fossés, avait pour défenseurs vingt arquebusiers, disposant de sept couleuvrines. Quelques audacieux protestants entrèrent par surprise dans la place et délivrèrent les prisonniers. Encouragés par ce brillant succès, ils tentèrent une attaque sur la ville close de Beaumont (3) ; les habitants se défendirent avec un grand courage et mirent les assaillants en fuite, au moment où le seigneur de Flaujac (4) arrivait au secours des assiégés, avec quelques cavaliers ; Flaujac (5) poursuivit les Huguenots, les atteignit à Monsac (6) et les massacra. Les plus petites paroisses furent bientôt envahies.

Le sénéchal du Périgord. Jacques André, reçut le 10 mai 1561 la lettre suivante : « Monseigneur, les habitants de « S'-Laurent (7) me sont venus remontrer commen celluj' « qu'on dist le ministre de Mussidan et grand nombre de ses « complices, ont entreprins venir mercredy prochain au « matin pour Tasseure, prendre et se saisir de Tesglise et « temple dud. lieu de S'-Laurent, pour faire illec doresna« vant leurs presches... Déjà ils se sont saisis de la chapelle « de Bénavant, en lad. paroysse, où personne n'entre que « eulx... et menacent de mettre tout au couteau... » (8)

Les habitants de Sainl-Laurent se préoccupaient à juste

(1) Fils de Pierre et de Anne de Saint-Astier.

(2) Commuue du canton de Villamblard (Dordogne).

(3) Chef-lien de canton de la Dordogne.

(4) Commune et canton de Saint-Cyprien (Dordogne).

(5) Antoine de Toucheboeuf-Beaumont, fils de Jean et de Jaequette de Genouilhac.

(6) Commune du canton de Beaumont-du-Périgord (Dordogne).

(7) Saint-Laurent des-Hommes, canton de Mussidan (Dordogne). (S) Archives dép. de la Dordogne. S. B.


— 307 — 1561

titre des terribles menaces du pasteur de Mussidan, car les Huguenots avaient déjà pris et saccagé le monastère de Paunat (1), les églises de Montaut (2), Monmarsès (3), Saint-Perdoux (4), Monsaguel (5), etc. ; ils s'emparèrent aussi, le 24 février, de la ville d'Issigeac. Partout ils interdisaient le culte catholique ; ils brûlaient les reliques, les ornements sacerdotaux, les livres de messe et transformaient les édifices religieux en temples protestants.

L'évêque de Sarlat pria le lieutenant-général du roi d'aller rétablir Tordre dans son église collégiale d'Issigeac. « Le « Sr de Burie y estant venu exprès, le 7 octobre, ordonna « que les uns et les aultres s'en serviraient, en telle sorte « que les chanoynes et les catholiques feroient leur service « jusqu'à neuf heures du matin, et despuys vespres jusqu'au « soir, et les Calvinistes le reste du jour. » (6)

La convention d'Agen devenait l'unique solution du lieutenant-général de Guyenne ; mais les protestants d'Issigeac n'admettaient ni pape ni maîtres ; le chroniqueur sarladais ajoute : '< Après que le Sr de Burie s'en fnt allé, les Calvi« nistes ne voulurent tenir Tapointement ; au contraire ; ilz « battirent les chanoynes et les chassèrent de l'esglise. » (7)

La guerre était aussi violente dans le Haut Quercy qu'en Périgord ; mais les Catholiques, soutenus et guidés par leur vénérable évêque (8), savaient mieux défendre leurs droits et leurs personnes.

A Cahors, « le Ier septembre, plusieurs Calvinistes tuèrent « à coups d'arquebuse l'homme qui sonnait la cloche de la « cathédrale.... Quelques jours après, ils s'emparèrent d'une « grange de la Chartreuse, où ils célébrèrent leur religion... « Le 28 octobre, qui était jour de foire, ils se répandirent « dans la ville, au nombre de trois-cents, insultant les Catho« liques, principalement les chanoines, en chantant les

(1) Commune du canton de Saint-Alvère (Dordogne).

(2) i3, (4) (5) Commune du canton d'Issigeac (Dordogne). (6) (7) Les Chroniques de J. Tarde, p. 206.

(S) Pierre de Bertrand, évêque de 1536 à 1563.


— 308 — 1561

« psaumes de Marot ; ils forcèrent les portes de la Char«

Char« la pillèrent, fouillèrent dans les tombeaux, où ils

« croyaient que les moines cachaient leur trésor.... Le 16

« novembre, les Calvinistes étaient assemblés dans la maison

« d'Oriole, appartenant au Se 1' de Cabrerets (1) ; il y avait

« plusieurs ministres, entre autres Lagaliouste, Fourques et

« Carvin. Le curé de la paroisse N.-D. de Soubiroux passa

« sous les fenêtres de la maison d'Oriole, à la tête d'un nom«

nom« convoi ; les religionnaires, entendant les chants

« funèbres, se portent aux fenêtres et accablent d'injures

« les personnes du convoi ; le clergé et la famille du défunt

« entrent dans l'église ; mais les assistants, renforcés par les

« gens du peuple, enfoncent les portes de la maison, qui

« devient un champ de bataille ; il y périt vingt-cinq ou

« trente (2) personnes ». (3)

Les Calvinistes, pourchassés dans toutes les rues, jurèrent de se venger, et huit jours plus tard, le baron de Fumel, ancien ambassadeur à Constantinople, fut assailli dans son château de Fumel (4) par uue bande de Huguenots « pires que mahométistes » ; le vieux gentilhomme périt sous leurs coups et ses domaines furent saccagés.

Ces graves attentats finirent par troubler la calme tolérance de la régente ; elle écrivit à la veuve de l'ambassadeur « qu'ayant entendu la mort du sieur de Fumel, si cruelle et « si inhumaine qu'elle a esté, elle avait porté le deuil. » (5) Par lettres-patentes du 10 décembre, elle chargea les deux lieutenants-généraux de Guyenne d'aller dans le HautQuercy faire une enquête sur les troubles de Cahors et de

(1) B-aymond de Gontaut, seigneur de Cabrerets et de Lalbenque, avait épousé Anne d'Oriole, fille unique de Jean d'Oriole, baron de Gramat.

(2) Le Livre de Main de du Pouget dit à la même date : c Estant les hérétiques assemblés pour prendre la parolle du diable, feurent occis du peuple de Cahors environ trente-cinq. »

(3) Lacoste : Histoire du Quercy, t. iv, p. 136-7.

(4) Fumel, chef-lieu de canton du Lot-et-Garonne.

(5) Lacoste : Histoire du Quercy, t. iv, p. 139.


— 309 — 1561

Fumel ; elle leur donnait « plein pouvoir de lever gens à

« pied et à cheval pour courir sus aux ungs et aux aultres

« qui prendroient les armes. »

Deux commissaires civils, Nicolas Compaing. membre du

grand conseil de la Couronne, et Pierre Girard, lieutenant

du prévôt de l'hôtel, furent adjoints à Monluc et Burie.

§ 17. — La régente, ordonnant cette enquête, connaissait le caractère tolérant de M. de Burie, et savait que Monluc réglait toujours sa conduite sur le bon plaisir du roi ; elle préparait d'ailleurs un nouvel édit, qui devait compléter celui du mois de juillet. Burie l'annonça le 4 novembre, au sénéchal du Périgord, dans les termes suivants :

« Monsieur le Sénéchal, j'ay présentement receu des let« très patentes du roy, déclaratives de son voulloir sur plu« sieurs choses qui estoient révoquées en doubte entre * ses subjectz de ce gouvernement, touchant le faict de reli« gion.... lesquelles lettres je vous enjoinctz très expressé« ment faire observer et garder de poinct en poinct, inviola« blement sur les peines y contenues selon le bon plaisir du « roi ; et s'il y a quelque diversité à ce qui a esté par moi « arresté, accordé et établi entre ceulx des deux religions, « il faut qu'ils s'y accommodent en attendant que led. Sei« gneur y ait aultrement pourveu, comme il est après, ainsi « que de bref vous et eulx entendrez. Cependant je vous « ordonne de vous comporter doulcement envers eulx, ez « choses que vous verrez ne pouvoir empescher sans grand « trouble et y daignez les yeux pour ung tems.

« Votre entièrement bon amy, BURIE. » (1)

Se comporter doulcement en daignant les yeux, s'accordait avec le tempérament du premier lieutenant-général de la Guyenne ; son collègue n'avait pas le caractère aussi souple.

Monluc se rendit à Bordeaux le 27 décembre, pour faire enregistrer les commissions relatives aux enquêtes de Fumel

(1) Arch. départ, de la Dordogne, S. B. cité par Soc. Arch. du Périgord, t. 39, p. 287.


— 310 — 1561

et de Cahors ; toute la ville paraissait inquiète au sujet de Tédit annoncé par M. de Burie, et les deux lieutenantsgénéraux convinrent d'attendre cet important message avant de commencer leurs opérations judiciaires ; ce délai permettrait à Monluc de se renseigner ?.ur le choix à faire entre les deux religions ; il pouvait aisément passer de Tune à l'autre sans modifier sa conduite morale, car il avait des idées très larges sur le Décalogue ; il nous a fait connaître ses oraisons du matin et du soir : Mon Dieu, votre serviteur se lève ! Mon Dieu, votre serviteur se couche! Calvin n'eut pas été capable d'en critiquer l'orthodoxie ni d'en abréger la formule.

Monluc comptait de nombreux amis dans les deux cultes : il avait même conservé des relations très affectueuses avec les quatre frères de Caumont. Il aurait, volontiers interrogé le roi sur l'utilité d'une abjuration ; mais Charles IX n'avait que douze ans. Le cours du marché restait donc le meilleur guide à consulter ; or, en arrivant à Bordeaux, Monluc apprit que, le 30 novembre, les Calvinistes de Monségur (1) s'étaient déclarés en commune ; peu de jours après, ceux de Marmande incendièrent le couvent des Cordeliers et massacrèrent les moines; ceux d'Agen saccagèrent les églises de Saint-Etienne et de Saint Caprais ; chaque jour voyait naître quelque nouvel attentat ; Monluc sortit de Bordeaux le 3 janvier 1562 et trouva partout sur sa route les Huguenots plus audacieux que jamais, s'organisant en troupes armées, comme s'ils se préparaient à faire la guerre. On l'avait signalé dans toute la Guyenne comme étant à moitié calviniste, et les chefs de la réforme cherchaient à le séduire, pour obtenir son intervention militaire en faveur de la religion nouvelle ; les ministres Barrèles et Legay de Boisnormand lui proposèrent, à deux reprises, quarante mille écus, au nom des églises ; deux autres tentatives de corruption furent encore faites auprès de lui pendant ce mois de janvier ; il était sous l'impression de ces ouvertures peu flalteu(I)

flalteu(I) de canton de la Gironde.


— 311 — 1561

ses quand le lieutenant au siège de Condom essaya de hâter

son abjuration en affirmant que le triomphe du Calvinisme

était proche ; « les Huguenots vouloient, disait-il, se saisir

« du roy, de ses frères, de la régente, des Guise et aultres,

« pour en disposer à leur volonté ». Un aussi grave complot,

tramé dans les conciliabules d'une société secrète, n'était

pas au goût du fidèle serviteur de la monarchie.

§ 18. — L'Edit de janvier fut promulgué, donnant aux protestants le droit de pratiquer le culte dans les campagnes, autorisant les presches et suspendant les peines prononcées pour crimes d'hérésie.

Ces concessions jetèrent une vive inquiélude chez Monluc ; il avait constaté que presque tous les calvinistes étaient des révoltés, qui « parloient contre la majesté royale et je « voyais bien, dit-il, que la doulceur ne gagneroit point ces « méchants coeurs. »

Les gouverneurs signalaient partout des rassemblements de troupes, organisés par des agents inconnus, et les triumvirs présentaient au roi les plus énergiques doléances ; un revirement complet se produisit, dans l'esprit de la régente ; pénétrée d'une lardive frayeur, elle adressa, le 12 février 1562, aux gouverneurs et sénéchaux, la lettre suivante, qui décida Monluc à se ranger du côté des catholiques :

« De par le roy, nostre amé et féal, considérant quels sont « les discours de ceulx qui troublent notre royaume et le « mal et dangier qui y poinct, lequel nous désirons singulié« rement éviter, voyant que tous les mojrens honnestes que « nous avons tentés pour y mettre le repos et les rappeler « par la doulceur n'ont pu avoir lieu, nous nous sommes « délibérés, avec la juste assistance de N. S. qui scoit et « cognoist nos bonnes intentions, y employer toutes les « forces qu'il lui a pieu mestre en nostre puissance, que « nous faisons assembler, entre lesquelles est principalement « notre Gendarmerie (1), que nous voulons à cest effet faire .« venir en nos rangs et avoir près de nous.

(1) La cavalerie constituée par le service obligatoire de la noblesse.


— 312 — 1562

« A ceste cause, Nous voulons et vous mandons qu'incon« tinent la présente receue, vous ayez à faire faire très « exprès commandement à sons de trompe et cri public... « à tous cappitaines, chefs, hommes d'armes et archers.... « qu'ils ayent à se rendre.... près de la ville de Sens, pour « monstrer armes en estât de nous faire service, dedans le « dixième jour de mars..., excepté les compagnies de nostre « très cher et très amé frère le prince de Béarn (1), sieurs « de Burie, de Monluc (2), de Terride (3), des Cars (4), et de « Jarnac (5), que nous entendons demourer en nostre pays « de Guyenne, pour estre employés sous notre lieutenant« général aud. pays, avec les aultres forces qui y seront....

» CHARLES. »

Entre Burie, toujours hésitant, et Monluc qui venait de choisir sa voie, Ton pouvait déjà pressentir que l'initiative des répressions resterait à Monluc. Les plus puissants protecteurs des Calvinistes, en Guyenne, étaient les quatre frères de Caumont et le plus redoutable d'entre eux était Geoffroy, qui résidait dans son abbaye, sur la route de Bordeaux à Fumel et Cahors. Monluc pria M. de Burie de se trouver le 25 février à Clairac, où il appelait aussi les deux commissaires civils.

Compaing et Girard ne vinrent pas au rendez vous; mais Geoffroy de Caumont comparut devant les lieutenants-généraux. Monluc lui déclara qu'à l'avenir il ne le laisserait plus commettre impunément la moindre infraction aux édits du roi ; irrité par ces paroles menaçantes, l'abbé de Clairac mit la main sur la garde de son épôe. Il fut aussitôt calmé par Monluc, « qui proposa de lui faire espouser pendant quelques « jours la tour du chasteau de Loches, et voilà, dit-il en ses « Commentaires, l'occasion de la hayne qu'il me porte ; car « peu avant nous étions bons amys. » (6)

(1) Henri de Béarn, gouverneur de la Guyenne.

(2) Les deux lieutenants-généraux du roi dans la Guyenne.

(3) Antoine de Lomagne, seigneur de Ter; ide, gouverneur du Quercy.

(4) François des Cars, gouverneur du Périgord.

(5) Chabot de Jarnac, gouverneur de La Rochelle depuis 1551,

(6) Monluc : Commentaires.


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Rendant compte au roi de son passage à Clairac, Monluc dit qu'un synode a été récemment tenu dans cette ville, « où Ton a résolu de le faire mourir et où Ton a créé vingt a nouveaux ministres, lesquelz ne font jour et nuict que « courir et prescher et séduyre le peuple ; Geoffroy de Cau« mont soutient toute la sédition de TAgenois et du Pé« rigord. » (1)

§ 19. — Lorsque les deux lieutenants-généraux arrivèrent à Fumel le 6 mars, ils apprirent que les protestants de Limoges avaient mis la révolution dans la ville, le 1er du mois, en lançant des pierres sur la vénérée châsse de Saint Martial, pendant une procession solennelle ; le même jour, des manifestations sanglantes avaient eu lieu dans plusieurs provinces, notamment à Vassy, sur le passage du duc de Guise. Au pays bergeracois, Armand de Clermont, seigneur de Piles, avait entraîné dans sa vie de partisan un jeune avocat appelé La Rivière, et tous deux ensemble, pendant la nuit du 1er au 2 mars, s'étaient emparés de la ville et du château de Mussidan, l'une des plus puissantes forteresses du Périgord ; à cette audacieuse attaque, Monluc répondit par la commission suivante, datée du 6 mars :

« .... Comme il'soyt nécessaire pour le servicg du roy « assembler des compagnies en forces, pour oster les sédi« tieux, rebelles et désobeyssants aud. seigneur, de la ville « et chasteau de Mussidan en Périgord, de laquelle ilz se « seroyent emparés, Nous vous mandons, et commettons que a cothisez les villes et lieulx ressortissants à la ville de « Périgueux ou Bergerac, contribuer vivres en iceulx, aporter «c audevant led. Mussidan, pour Tentretènement des gens « d'armes qui seraient mis devant ycelle ville et conduire de a l'artillerie et en cas de reffus, contraigner les refaisants « payer les choses cothisées, comme pour les propres affaires « et deniers du roy. De ce faire, .vous donnons pouvoir, « assistance et autorité... »

On voit que Charles IX avait eu d'excellents motifs pour convoquer le ban, puisque la société secrète de Genève pro(1)

pro(1) par R. L. Alis : Histoire de Caumont, p. 81. T. XXXVIII. 3-4 il


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voquait des révoltes partout où quelques Huguenots zélés se

montraient dociles aux excitations de Calvin. La guerre civile

était allumée dans toute la Guyenne, comme à Fumel, à

Cahors, à Mussidan, etc. Au soir du jour où Monluc signa la

réquisition du 6 mars, Louis de Garmaing, seigneur de Négrepelisse.

Négrepelisse. quelques châtelains du Quercy lui remirent une

pétition par laquelle quatre mille deux cents gentilshommes

de la Guyenne offraient au roi le concours de leurs épées,

pour rétablir la paix religieuse dans le royaume ; l'idée de

la Ligue, émanée du triumvirat, faisait de rapides progrès.

Louis de Carrnaing venait de traverser le Haut-Quercy ; il fil part aux lieutenants-généraux des renseignements recueillis sur sa route et leur dit que Compaing et Girard, au lieu d'aller à Clairac, où Monluc les appelait, s'étaient rendus chez le comte de Salm, dans le château d'Assier. Le comte avait récemment obtenu du roi la concession du produit des amendes judiciaires à lever en Quercy, pendantTannée 1562, et Compaing avait fait à son hôte la promesse d'infliger aux principaux catholiques de Cahors une amende de cent vingt mille livres, en répression des troubles causés par eux dans la ville le 16 novembre 1561 ; le grand conseiller devait recevoir, comme prix de cet arrêt, une gratification de dix mille livres.

Le lendemain, un courrier apprit à Messieurs de Burie et Monluc que les commissaires civils avaient l'ait pendre quinze catholiques, déclarés responsables du massacre de la maison d'Oriole ; les lieutenants-généraux précipitèrent l'enquête de Fumel et condamnèrent à mort dix neuf huguenots, convaincus d'avoir participé à l'assassinat du baron de Fumel ; ils se préparaient à partir pour Cahors, lorsqu'ils furent informés que les protestants de cette ville, se voyant soutenus par Compaing et Girard, s'étaient emparés de tous les édifices religieux, dont ils a\ aient brisé les statues et renversé les autels. Monluc et Burie partirent en toute hâte, après avoir donné Tordre à Durfort de Bajamont(l),sénéchal

(1) François de Durfort-Boissières, baron de Bajamont, fils de Guyot et de Catherine de Fumel.


— 315 —

1562

de TAgenais, de leur envoyer rapidement deux mille cavaliers à prendre sur les contingents assemblés en vertu de la convocation du ban. Les lieutenants-généraux arrivèrent le 13 mars. Ce même jour, le comte de Salm, croyant Monluc plus vénal qu'il ne Tétait en réalité, lui fit proposer une gratification de dix mille livres, à condition qu'il signerait la sentence déjà rédigée par Compaing.

Le lendemain eut lieu la première assemblée des enquêteurs, à laquelle assistèrent les deux commissaires civils ; Monluc laissa déborder son courroux ; s'adressant au grand conseiller, il lui dit :

A qui appartient la ville? — Au roi, répondit Compaing.

A qui appartient la justice? — Au roi, répondit il encore.

A qui appartiennent les églises?

Monluc renouvela trois fois cette même question, sans recevoir aucune réponse. « Surquoy, dit-il en ses Commen« taires, je luy commence à donner du Tu, lui dysant : Tu « déclareras ici devant M. de Burie et devant moy, ce que je « te demande, ou je te pendray moi-même de mes mains, « car j'en ay pendu une vingtaine de plus gens de bien que « toy, ni que ceulx qui ont assisté à ta sentence... meschant « paillard, traytre à ton roy... » (1)

Le lendemain, les Huguenots, voyant arriver la cavalerie d'Agen, rendirent aux catholiques toutes leurs églises, après avoir remis les autels en place ; « ils eurent depuis Cahors « en horreur et ne tentèrent plus de s'y introduire ». (2)

Monluc fit pendre quinze protestants reconnus coupables (3) et partit le 1er avril ; les Calvinistes avaient ouvert, dans tout le royaume, les hostilités contre le roi de France ; elles dureront près de quarante ans.

(A suivre). R. DE BOYSSON.

(1) Monluc : Commentaires, Livre V.

(2) Lacoste : Histoire du Quercy, t. iv, p. 137.

(3) Livre de Main de du Pouget. Société des Etudes du Lot, t, 21.


NECROLOGIE

Edmond lljesjpineis

A tous ceux qui ont regretté la mort d'Edmond Lespinas, notre Société veut unir sa voix. Nous sommes les organes de ses camarades du Petit-Séminaire où, dès l'enfance, avec une intelligence active et pondérée, il manifesta une bonté et une bienveillance qui plus tard ont été le caractère particulier de sa vie. Nous sommes aussi les interprêtes de l'amitié de tous ceux qui ont goûté le charme de ses relations, à Brive, à Tulle, à Lubersac et à S'-Yrieix.

Il nous appartenait par sa naissance et ses aïeux. Sa famille maternelle s'associa au mouvement industriel des dernières années de la Monarchie, elle créa une forge et la dirigea jusqu'en 1860.

Son père, lié par une étroite parenté à plusieurs maisons notables de notre pays, a honoré son nom à Lubersac, dont il fut le bienfaiteur avant d'en être le représentant au Conseil général.

Dans l'affaire Lafarge, ni le retentissement de l'opinion, ni les luttes de la presse, ni le prestige charmant de l'accusée, ne diminuèrent la fermeté calme de sa conscience. Il affirma modestement et non sans douleur devant la Cour d'assises que le propriétaire du Glandier avait été empoisonné. Il a transmis à son fils sa droiture scrupuleuse et sa résolution de rester toujours fidèle à la vérité.

Edmond Lespinas, avocat, juge à Saint-Yrieix, fut invité, à 35 ans, à faire valoir ses droits à la retraite, euphémisme qui déguisait une injuste proscription.

Il renonça aux fonctions publiques et au barreau.


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Il se maria à Périgueux et il y fixa son habitation sans esprit de retour dans son pays.

Il trouva ou plutôt il créa un champ d'études assez vaste pour son activité et il mérita l'estime générale., moins peut-être par sa rare distinction et par ses services que par sa courtoisie et ses hautes qualités morales.

Il forma une bibliothèque composée des ouvrages les plus précieux. Il réunit de nombreux documents d'archives., parmi lesquels un fonds important était intéressant pour l'histoire de sa province natale.

Il se consacra à Fétude des monnaies, il devint un numismate très apprécié. Il a disposé de son médailler en faveur du musée de Périgueux.

Membre de la Société Historique et Archéologique du Périgord, il eut l'honneur d'en être élu vice-président. Il était remarqué dans les discussions par ses connaissances approfondies et par son universelle compétence et il était recherché pour la douceur de ses moeurs et son aménité.

Il a aimé et secouru les pauvres. Il a pris une grande part aux créations et aux mesures que la défense religieuse a rendu nécessaires. Sur la demande de son évêque, le Saint Siège a couronné ses bonnes oeuvres en le nommant chevalier de l'ordre pontifical de Saint-Grégoire-le-Grand.

Aimé de Dieu et des hommes, il a passé sa vie modestement et utilement, supportant avec courage la douleur d'un veuvage prématuré et ne croyant avoir fait aucun bien lorsqu'il comprenait qu'il pouvait en faire encore.

J. LALANDE.


Société Scientifique, Historique et Ârcnéologique de la Corrèze

Procès-verbal de la séance du 7 aoiU 1916

Les Membres de la Société se sont réunis le 7 août 1916, à 4 heures de l'après-midi, à THôtel-de-Ville de Brive, sous la présidence de M. Philibert Lalande.

ORDRE DU JOUR :

Lecture du dernier procès-verbal ;

Présentation de nouveaux Membres ;

Communications diverses.

Est absent : M. de Valon, vice-président, empêché par des raisons de service.

Se fait également excuser : M. Duché, agent-voyer, qui s'était proposé de faire une communication à la Société.

Les Membres présents accueillent, avec une cordiale sympathie notre collègue, M. Léon Roche, sergent-major au 300e régiment d'infanterie, en congé de convalescence à la suite d'une maladie contractée au front.

Sont admis dans la Société :

M. Jouhate, Principal du Collège, présenté par MM. Ph. Lalande et de Conchard ;

M. Léon Chadourne, avoué, présenté par MM. de Nussac et Joseph Verlhac ;

M. Geffrier, ancien directeur de Caisse d'EpargDe postale, présenté par MM. de la Ley"sonie et de Conchard ;

M. le comte d'Ussel, présenté par MM. de Nussac et de Conchard.

Le Président se félicite de l'accession de ces nouveaux membres, qui font tous honneur à la Société par leur mérite et leurs travaux antérieurs. Il lit des passages d'une lettre de M. le comte d'Ussel, ingénieur général des ponts et chaussées en retraite, qui veut bien prendre la place de son fils


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aîné tué à l'ennemi. « Ce sont en général les fils qui remplacent les pères, écrit M. d'Ussel; le père ici, remplacera le fils. » Qu'il soit doublement remercié !

Sur l'invitation du Président, le Secrétaire-général donne lecture du dernier procès-verbal, qui est approuvé. Le colonel de Conchard ajoute, à la satisfaction générale :

u Pour la première fois depuis le commencement de cette terrible guerre, que nous soutenons pour le droit et la justice et aussi pour notre indépendance nationale, nous n'avons à enregistrer à l'actif de collègues ou de fils de collègues que des citations glorieuses et des récompenses bien méritées. »

Le capitaine Pierre de Valon, du 1 Ie régiment d'infanterie, fils de notre vice-président, a été nommé chevalier de la Légion d'honneur, avec la citation suivante : « Officier d'une éclatante bravoure. Le 25 septembre 1915, sous un feu violent d'artillerie, a brillamment entraîné sa comqagnie à l'assaut d'une forte position ennemie, marchant en tête de ■ ses hommes et faisant personnellement le coup de feu ; a conquis dans un magnifique élan deux lignes puissamment organisées. Blessé très grièvement, a fait preuve d'une belle énergie en donnant ses derniers ordres à ses chefs de section et en se rendant seul au poste de secours. » Cette citation comporte la croix de guerre avec palme.

Le fils du baron de Corbier, M. Pol de Corbier, docteur en droit, avocat à la Cour de Paris, directeur-fondateur d'une Revue de droit financier, sergent de zouaves, a été cité à Tordre de la division : « Sous-officier d'une crânerie remarquable au feu, a été blessé à la tête par un éclat d'obus et n'a quitté son poste de combat que sur Tordre qui lui a été donné. » Alors qu'il perdait son frère tué au début des hostilités, M. Pol de Corbier était lui-même grièvement blessé. A peine remis, il fut versé dans un régiment de zouaves avec lequel il a continué de faire campagne et vient d'être gravement blessé de nouveau devant Verdun.

Notre collègue, M. Julien Valat (de Souillac), ancien lieutenant, libéré de tout service militaire, qui avait repris du


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service pour la durée de la guerre, nommé capitaine au 18e régiment d'artillerie, a été maintenu dans son affectation et son grade par décret du 15 juillet 1916.

M. François-Marie-Jacques d'Ussel, capitaine au 16e d'artillerie, qui commande un groupï de ce régiment, a été fait chevalier de la Légion d'honneur avec la citation suivante : « Officier d'une bravoure et d'une énergie au-dessus de tout éloge, a rendu les plus grands services depuis le début de la campagne, et a fait preuve en des circonstances difficiles de belles qualités de sens militaire et de décision. A déjà reçu la croix de guerre. » Le capitaine d'Ussel est le fils de M. le comte d'Ussel, de Neuvic, qui remplace dans notre Société son fils aine, le vicomte Jean d'Ussel, tué à l'ennemi, auquel M. Louis de Nussac a consacré une notice dans le Bulletin de décembre 1914.

M. Marc Doussaud, ancien député, notre collègue et gendre de notre honoré Président, actuellement chef de bataillon au 134e régiment territorial d'infanterie, a été cité à l'ordre de la division le 14 juillet dernier dans les termes ci-après : « Chargé avec son bataillon du ravitaillement de la 3e brigade coloniale pendant les journées du 1er au 5 juillet 1916, s'est distingué en toutes circonstances pour assurer ce service en stimulant sa troupe par sa présence continuelle malgré un violent bombardement. » C'est la troisième citation décernée au commandant Doussaud.

Enfin, un autre collègue, M. Léon Lalande, sergent au 300e, déjà titulaire de la médaille militaire et de la croix de guerre avec palme, pour sa belle conduite en Artois, vient d'obtenir devant Verdun la citation suivante à Tordre du corps d'armée : « A fait preuve d'énergie et de sang-froid lors de l'attaque d'un ouvrage fortifié. »

Toutes nos félicitations à ces braves qui honorent leurs compatriotes et la Société dont ils font partie.

Le Président, fait passer dans l'assemblée un beau vase en bronze romain ou gallo-romain découvert à Allassac et apporté par M. Raphaël Gasperi. M. Ph. Lalande se propose de l'étudier dans une notice spéciale.


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M. le docteur Grillière ayant fait une observation au sujet du procès-verbal concernant le crâne de Viltdown omis par M. Peyrony, dans son traité de pré-histoire, M. Peyrony, dit M. de Nussac, a répondu à la critique de M. le chanoine Bouyssonie qu'il n'a pas fait état de ce crâne sur les conseils mêmes de M. le professeur Boule, du Muséum, en raison des contestations et des polémiques auxquelles a donné lieu cette pièce d'anthropologie humaine.

M. Soulié fait ensuite une communication fort intéressante sur la façon dont se conduisirent nos aïeux en Allemagne. Puisant dans les précieux mémoires encore inédits de son arrière grand-père, le colonel Bial, sur les guerres de la Révolution et de l'Empire, il établit un parallèle entre la manière française et la manière allemande de faire la guerre et cite trois anecdotes, dont deux tout-à-fait plaisantes et l'autre dramatique.

Dans la première, son héros se venge avec esprit d'un vilain petit baron poméranien qui s'est conduit comme un goujat.

Dans la deuxième, il narre sa rencontre avec le comte Pelet de Narbonne, descendant d'une de ces familles protestantes qui émigrèrent en Allemagne lors de la révocation de Tédit de Nantes. Le tact et la sociabilité de l'officier français ont raison de la froideur hautaine du général prussien. — Voilà pour la manière française.

Dans la troisième, il décrit les teriibles journées de Leipzig (octobre 1813). Blessé grièvement, il est abandonné sur le sol humide, un officier prussien vient le dépouiller et s'enfuit honteusement avec son butin. — Voilà la manière allemande de toujours.

Tandis qu'une cantinière russe, qui campe près de là, indignée de l'acte ignoble du Prussien, s'empresse de recouvrir la nudité du malheureux blessé et lui apporte une tasse ■ de thé chaud.

Il ressort de ces récits de la grande épopée, que nos pères n'abusèrent pas de la force en pays conquis et qu'ils eurent constamment le souci de conserver le bon renom des nobles traditions françaises,


A la demande générale, M. Soulié promet de nous communiquer les meilleures pages de ces Mémoires, particulièrement celles relatives au Limousin sur les débuts de la Révolution, la journée de la peur à Collonges, le départ des volontaires, etc., pages qui contribueront à l'histoire du Limousin à cette époque mémorable.

M. Louis de Nussac présente de la part de M. Trespeuch, instituteur, un Guide descriptif, historique et archéologique de Turenne. L'auteur signale, en les parcourant en promenade à travers l'antique capitale de la vicomte, les divers vestiges des bâtiments qui la constituaient et dont le plus grand nombre ne-sont plus hélas ! que des ruines. Il indique leur intérêt pour l'histoire, l'art et le pittoresque en s'arrêtant spécialement sur les principaux édifices, comme l'église et le château. Quelques documents sont produits, tels une lettre inédite de Turgot et une demande de classement du sanctuaire. De nombreuses vues photographiques et des dessins illustrent ce guide et lui donnent sa plus grande valeur. M. de Nussac, qui les met sous les yeux de la réunion, en recommande la reproduction dans le Bulletin, afin de remplir le but poursuivi par M. Trespeuch : la connaissance et la sauvegarde de ces intéressants restes du passé qui ont eu tant de grandeur.

M. de Nussac, qui est un de nos collègues les plus actifs et les plus érudits, après avoir passé deux ans à Brive comme garde des voies de communications, fait ensuite en son propre nom, avant d'aller rejoindre son poste au Muséum, à Paris, les intéressantes communications suivantes :

1° Il nous présente un ouvrage classique imprimé à Brive en 1669 par Antoine Alvitre, imprimeur et libraire du Collège, pour les professeurs, les pères Doctrinaires. C'est un Cicéron, lettres à Curion et à d'autres amis, rareté pédagogique et bibliographique, peut-être même exemplaire unique appartenant à M. le docteur Lagorsse, à Brive, qui était resté inconnu des bibliophiles.

2° La Charge d'un Consul de Brive en 1159. Il s'agit de Jean Marbeau de Terrelonge, bourgeois et marchand qui,


— 323 —

réélu 4e consul pour 1759, après avoir exercé en 1758, obtient de l'Intendant de Limoges d'être déchargé de sa fonction qui comportait notamment le recouvrement des deniers royaux, solidairement avec trois autres consuls en exercice. Un engagement réciproque de ces magistrats municipaux, produit à l'appui de sa requête, lui donne un intérêt public pour l'histoire du Consulat de Brive. Aussi les pièces de cette affaire vont-elles être déposées aux archives de la ville.

3° La Porte de Puy Blanc et la maison Beauregard à Brive, d'après une supplique de 1778. Une pièce de ses archives de famille a permis à l'auteur de rappeler comment fut détruite une porte de la ville pour construire la manufacture de tissus Le Clère en 1765, et de faire l'histoire d'une maison attenante (maison actuelle du colonel Charrier) d'où est sortie la famille Beauregard, représentée aujourd'hui par le député de Paris, membre de l'Institut, et son frère, chef de bureau au ministère des Colonies, professeur à l'Ecole supérieure coloniale.

4° Mandrin et le général d'Espagnac. — M. de Nussac montre le rôle de l'illustre officier-général, originaire de Brive, pour la prise du fameux chef de contrebandiers. Grâce à ses relations avec M. Funck-Brentano, l'historien de Mandrin, il précise les sources documentaires d'une piquante aventure arrivée à d'Espagnac, obligé de passer en revue la troupe du bandit qu'il poursuivait, anecdote qui avait échappé au biographe du général, M. A. Rebière, dans la notice publiée par le Bulletin de la Société en 1900.

La bibliothèque a reçu, entr'autres livres, le volume 16 de la 2e série de l'Archéologie, publication de la Société des Antiquaires de Londres (1914-1915). Ce magnifique ouvrage contient, avec de nombreuses illustrations, différentes études dont une nous intéresse plus particulièrement sur l'abbaye de Saint-Denis et son trésor d'antiquités par sir Martin Conway.


— 324 —

Procès-verbal de la séance du 28 octobre 1916.

Les Membres de la Société se sont réunis le 28 octobre 1916, à 4 heures de Taprès midi, à l'hôtel de ville de Brive, sous la présidence de M. Philibert Lalande. ORDRE DU JOUR :

Lecture du dernier procès-verbal ;

Présentation de nouveaux Membres ;

Travaux admis et composition du prochain Bulletin;

Communications diverses.

Après la lecture par le Secrétaire général du procès-verbal de la dernière séance, qui ne donne lieu à aucune observation, le Président lit une lettre d'excuses de M. le chanoine Bouyssonie, vice-président, qui ne peut à son grand regret assister à la réunion.

M. Ph. Lalande ne veut pas laisser passer la mort de M. le baron Paul d'Ussel, décédé après une longue maladie, sans exprimer les vifs regrets de ses anciens collègues. Frère de M. le comte Philibert d'Ussel, notre nouvel adhérent, le défunt, officier supérieur'en retraite, était un érudit, auteur de très estimés travaux d'histoire locale qu'avaient publiés les Sociétés savantes de la région. Nous adressons à sa famille, en particulier à ses fils qui se distinguent à la guerre, nos bien sincères et douloureuses condoléances.

Par contre, nous apprenons avec la plus grande satisfaction le nouveau fait d'armes de M. Pol de Corbier, fils de notre collègue le baron Luc de Corbier. Sergent de zouaves, blessé deux fois dans la Marne et devant Verdun, décoré de la croix de guerre, M. Pol de Corbier vient d'être à nouveau cité pour sa belle conduite dans la Somme : « Excellent sous-officier, d'une crânerie toute particulière. A pris le commandement de sa section dans des circonstances difficiles, l'a conduite d'une façon parfaite. » Proposé pour le grade de sous-lieutenant. — Toutes nos félicitations au dignefils de notre collègue et petit fils du général de Corbier, qui a pris le moyen le plus noble de consoler son père et de venger son frère tué au début de la campagne.


— 325 —

Non moins méritant, M. le docteur Albert Raynal, fils d'un sociétaire M. Jean Raynal, pharmacien à l'Hôpital mixte de Brive, et qui est aide-major du service de physiothérapie de la XIIe Région, a reçu la médaille d'argent des épidémies pour avoir contracté deux maladies graves en soignant les soldats.

De plus, l'Académie française a décerné un prix Thérouanne à notre regretté collègue tué à l'ennemi, le capitaine vicomte Jean d'Ussel, pour ses ouvrages historiques sur la Défection de la Prusse et l'Intervention de l'Autriche (1812-1813), déjà couronnés par l'Académie des Sciences morales et politiques.

Trois nouveaux membres sont admis dans notre Compagnie :

M. Villolte, président du Tribunal civil, présenté par MM. le président de Chauveron et le colonel de Conchard ;

M. Tassain, maire d'Ussac et suppléant du juge de paix, présenté par MM. de Chauveron et Miginiac;

M. Gavelle, directeur de l'Ecole des Beaux-Arts de Lille, actuellement caporal au 84e, secrétaire du commandant du camp d'Hautefort, présenté par MM. Ph. Lalande et Gasperi.

Le Président, heureux de ces nouvelles admissions, adresse particulièrement ses compliments à M. Villotte, seul présent à la séance.

Les travaux suivants, adressés ou annoncés au Président et à M. de Valon, vice-Président, sont acceptés en principe ou admis définitivement pour être insérés au Bulletin :

1° M. le chanoine Bouyssonie. — Note complémentaire à l'Histoire d'une famille bourgeoise depuis le xvie siècle, par M. René Fage.

2° M. René Fage. — Un procès limousin à la Chambre de l'Arsenal au xvne siècle.

3° M. Gavelle. — Etude sur la famille Villotte.

4° M. Louis de Nussac— iVores et documents pour servir à l'histoire de Brive :

a. Un placet pour les étapes de Brive vers 1672, ou réclamation des habitants qui se plaignent au Roi que les paie-


— 326 —

ments de vivres aux troupes de passage sont accaparés par les consuls et notables ;

b. Un lieutenant de maire à Brive en 1702, qui fut un avocat en parlement, Salvian Fontaneil, dont l'office éphémère ne dura que quelques années après bien des difficultés pour son installation ;

c. Une permission des consuls pour disposer d'un passage public (1730), accédant, à la porte des Frères, aujourd'hui entrée de la rue Blaise-Raynal, dont M. Paul Simon a fait la photographie. — Cette permission prouve le droit des magistrats de la ville d'aliéner de leur plein gré dès terrains urbains, droit qui leur fut contesté en 1770.

Mme de Roffignac recueille en ce moment des documents pour une Etude sur la guerre de Cent ans dans le HautQuercy de 1360 à 1380. « On sait, dit M. de Valon, qu'après le traité de Brétigny (1360) le Quercy passa sous la domination anglaise, mais ce ne fut pas sans une grande amertume et une profonde douleur. Aussi, cette situation intolérable amena-t-elle la révolte de 1368 et les représailles de l'ennemi. L'étude de Mme de Roffignac se rapporte donc à une des périodes les plus troublées de la guerre et promet d'être fort intéressante. Rappelons que Mme de Roffignac a déjà publié en 1912, dans notre Bulletin, un article très documenté et remarqué sur le schisme limousin au début du xve siècle. »

Le Vice-Président donne ensuite la composition du Bulletin pour le 2e semestre 1916 :

1° M. Lafon. — Suite de son travail sur les Annales de Larehe.

2° M. Plantadis. — Le culte de Tutela et les anciens dieux en Limousin, les origines de Tulle (suite et fin) ;

3° M. de Nussac. — Lettres inédites de Latreille ;

4° M. de Valon. — La famille de Valon à Rocamadour : ses droits sur les sportelles (suite et fin) ;

5° M. de Boysson.— L'invasion calviniste en Bas-Limousin, Périgord et Haut-Quercy (suite) ;


— 327 —

6° M. Marque. — Le dernier oppidum gaulois assiégé par César ;

7° M. le colonel de Conchard. — Procès-verbal de la dernière séance.

Depuis septembre 1914 jusqu'en 1915, ajoute M. de Valon, nous avons cessé la publication du Bulletin, nous l'avons reprise à celte époque et nous avons fait paraître 2 Bulletins en 1915 et 2 en 1916. Pour ne pas interrompre la liaison entre les anciens Bulletins et Tes nouveaux et rattraper le temps perdu', les Bulletins sont devenus semestriels au lieu d'être trimestriels. Grâce à cette mesure, l'équilibre sera rétabli à la fin de cette année, puisque le Bulletin en cours d'impression concerne le 2e semestre 1916. A partir du 1er janvier 1917, nous pourrons donc reprendre la publication trimestrielle, c'est-à-dire 4 Bulletins par an.

M. Julien Lalande communique à la Société des renseignements qu'il a tirés des archives de sa famille, de celles de l'Hôpital et d'un dossier qui a été mis à sa disposition par M. de Nussac, sur]les droits de l'abbaye d'Aubazine dans la ville de Brive et sa banlieue. Ils s'étendaient au xve siècle : 1° dans l'intérieur, sur un eyrial situé près de la porte de la Brende ou de Barbecane, sur une maison située près de la porte des Prêcheurs et sur un enclos limité par les remparts, la rue de Corrèze, alors rue de la Jaubertie, et deux impasses.

2° Etaient grevés à l'extérieur près de 14 hectares dans le Vialemur, 2 ou 3 hectares au Clos-Doménat, 6 ou 7 hectares à la Pigeonnie et à Migoule, le prieuré du Bouix, les terrains compris entre le couvent des Jacobins, la Corrèze, le ruisseau de Piau et le chemin de Saint-Xantin, une certaine superficie aux Maurézies; à Malemort, aux Aumornes, à Salomon, au Puy Crochet, à Donzenac, à SaintGermain-les-Vergnes, les 4 moulins des Bordes, du Bandai-, de Brive et des Escures.

Ces redevances ajoutées aux autres revenus de l'Abbaye atteignaient à peine 7.000 livres, ainsi qu'il est démontré par la feuille des bénéfices et par deux baux à ferme de 1613


— 328 —

et de 1689. La maison de Malemort paraît avoir été la principale bienfaitrice de l'Abbaye à laquelle elle n'a pu attribuer une seigneurie bu une part de seigneurie sur la ville même et son consulat.

M. de Chauveron, en remettant un sou de 1741 offert par M. Cazale, coiffeur, fait connaître que la librairie Petit, de Brive, va publier prochainement sous le titre : Brive historique et pittoresque, une série d'albums et de cartes postales comprenant des vues photographiques inédites de M. Paul Simon avec légendes de M. de Nussac, et il indique l'intérêt de cette publication pour l'histoire de notre ville.

Avant de se séparer, le Président et tous les membres présents, s'associant au voeu présenté par la Société des Amis du Mont St-Michel, signent un projet ayant pour but de garantir l'insularité du Mont par la suppression des digues et d'assurer les communications avec le Mont Saint-Michel par la construction d'une légère passerelle et d'une chaussée guéable qui ne nuiront en aucune façou à son caractère esthétique ni n'arrêteront le mouvement des marées.

Le commandant de la Leyssonie, comme Président de la section briviste du « Souvenir français »,[invite ses collègues à se joindre à lui pour commémorer nos héros tombés au champ d'honneur, en accomplissant le jour de la Toussaint le pèlerinage annuel au cimetière militaire et au monument des combattants morts pour la France.

Le Secrétaire général,

Colonel DE CO>:CHARD.


TABLE GÉNÉRALE DES MATIÈRES

Pages Etudes sur les divers Ateliers monétaires connus du BasLimousin, par M. J.-B. Fink 4 ■

Biographies Brivistes : Le Docteur Georges Rouffy (1816-1883), par M. Louis de Nussac 22

La Famille de Valon à R.ocamadour, par M. L. de Valon 39, 231

La Corrèze Politique, Militaire, Judiciaire et Administrative, au commencement de la 2"" Restauration, par M. le Colonel Vermeil de Conchard 83

L'Invasion Calviniste en Bas-Limousin, Périgord et Quercy, par M. R. de Boysson : 103, 278

Les Origines de Tulle, par M. J. Plantadis 133, 190

Procès-verbaux des séances de la Société, par M. le Colonel Vermeil de Conchard 150, 318

Les Annales de Larehe en Bas-Limousin, par M. le Docteur Raoul Larron 161

Le Prince de l'Entomologie, Pierre-André Latreille à Brive, de 1762 à 1798, par M. L. de Nussac 216

Le dernier Oppidum Gaulois assiégé par César, par M. B. Marque 25S

Nécrologie : Edmond Lespinas, par M. Julien Lalande 316


TABLE ALPHABETIQUE

PAR NOMS D'AUTEURS

BOYSSGN (R. de). — L'Invasion Calviniste en Bas-Limousin. Périgord et Quercy, pp. 103, 278.

I'"I"\CK (J.-B.\ — Etude sur les divers Ateliers monétaires connus du Bas-Limousin, p. 4.

LAFFOX (Dr Raoul). — Les Annales de Larehe en Bas-Limousin, p. 161.

LAL.^DE (Julien). — Nécrologie : Edmond Lespinas, p. 316.

M A RQLE (B). — Le dernier Oppidum Gaulois assiégé par César, p. 25S.

NUSSAC (Louis de). — Le Docteur Georges Rouffy, p. 22. — Le Prince de l'Entomologie Pierre-André Latreille à Brive, p. 216.

PL.^TADIS (Johannes). — Les Origines de Tulle, pp. 133, 190.

VALON (L. de). — La Famille de Valon à Rocamadour, pp. 39, 231.

VERMEIL DE COXCHARD (Colonel). — La Corrèze Politique, Militaire, Judiciaire et Administrative, au commencement de la 2ct Restauration, p. S3. — Procès-verbaux de la Société, pp. 150, 318.


TABLE DES GRAVURES

Pages

Maison forte de Valon 250

Cheminée de la grande salle et Ecusson des Valon 253

HORS TEXTE

Maison Rouffy à Brive. Portrait du Docteur G. Rouffy Monument Rouffy à Draveil (S.-et-O.)



Les clichés des gravures parues dans le Buùetni, eiaiu la propriété exclusive de la Société, ne peuvent être prêtés pour être insérés dans d'autres publications. Ils ne pourront être cédés qu'en échange d'un cliché dont on aurait offert et accepté la communication.

Le Comité décline toute responsabilité pour la perte totale ou partielle des manuscrits envoyés par les auteurs ou détenteurs, en vue de la publication ou pour tout autre motif.

(Décisions du bureau de la Société.)

Les opinions émises au cours des travaux puniiés dans le Bulletin doivent être considérées comme absolument propres à leurs auteurs, ainsi que leurs appréciations; la Société ne peut en être rendue responsable.

(Note du Comité de la rédaction)

TARIF DES TIRAGES A PART

MM. les Auteurs des Mémoires imprimés dans le Bulletin pourront en faire exécuter à leurs frais un tirage à part aux prix suivants, en prévenant Timprimeur de la Société au moment du renvoi des épreuves corrigées :

La 1/2 feuille d'impression (8 pages), couverture non comprise : les 50 exemplaires. 4 fr. ; 100 exemplaires, 5 fr. 50; 200 exemplaires, 9 fr.

La feuille d'impression (16 pages), couverture non comprise : les 50 exemplaires, 6 fr. 50 ; 100 exemplaires, 9 fr. ; 200 exemplaires, 14 fr.

Les fractions de 1 à 8 pages comptent peur 1/2 feuille.

Les couvertures avec titre imprimé sur la première page se paient, en sus : pour 50 exemplaires, 2 fr. 50 ; 100 exemplaires, 3 fr. 50 ; 200 exemplaires, 6 fr.

Le pliage et le piquage sont compris dans les prix ci-dessus, mais il y a à ajouter un supplément pour le brochage et. le remaniement provenant du fait des Auteurs


PUBLICATIONS :

Trois Etudes sur Cabanis d'après des documents inédits, par M. le Colonel VERMEIL DE CONCHARD. — En vente Libraiiie PETIT, à Brive, et Librairie Boussus, 9, rue Guénégaud, à Paris. — Prix : 2 francs.

Trois Etudes sur Cabanis, d'après des 'documents inédits, par M. le Colonel VERMEIL DE CONCHARD.

Le Maréchal Brune pendant la lre Restauration et les Cent jours jusqu'à sa mort, même auteur. — En vente Librairie Petit, à Brive, et Librairie Boussus, 9, rue Guénégaud, Paris.

Prix de chaque brochure : 2 francs.

Les Débuts d'un savant Naturaliste : Pierre-André Latreille. à Brive. de 1762 à 1798, par M. LULIS DE NLSSAC. — Un fort volume de 264 pages format in-S°. Prix : 5 francs.

Études Historiques Militaires : Le Général Antoine Marbot ! \mitié, \mours et Guerres'. —Un Aide de Camp : Le Commandant Géraud Girbaud, par M. Louis DE NL:-SAI.. Volume de 168 pages, grand in-8°. Trois portraits. — Prix : 2 francs.


BULLETIN

DE LA

SOCIÉTÉJCIENTIFIÛUE, HISTORIQUE

ET

ARCHÉOLOGIQUE

DE

LA CORRÈZE.

SIEGE A BRIVE Reconnue d'utilité publique (Décret du 30 novembre 1888)

TOME TRENTE-SEPTIÈME

AVEC PLANCHES ET FIGURES DANS LE TEXT&

3"' et 4m> LIVRAISONS

BRIVE

ROCHE, IMPRIMEUR DE LA SOCIÉTÉ Juillet-Décembre 1915


TABLE DES MATIERES

DE LA-3me et 4me LIVRAISONS

TEXTE

Pages

1. Biographies Brivistes. — François Sauvage (17851874),

(17851874), L. DE NUSSAC 161

2. Le Prieuré et la Collégiale de Turenne, par M.l'abbé

Echamel 172

3. L'Armée et la Capitulation de Metz jugées par les

Allemands, par le Colonel VERMEIL DE CONXHARD 196

4. Chronique locale ou Annales de la commune de

Turenne, de 1830 à 1860, par M. JEAN TRESPEUCH. 217

5. Etude d'une Inscription Gallo-Romaine du Musée

de Brive, par M. B. Marque 241

6. Histoire d'une famille bourgeoise depuis le xvi"

siècle, par M. René FAGE 254

7. Le Planh de Bertrand de Born, par B. Marque.... 281

8. Les Annales de Larehe en Bas-Limousin, par le

Docteur RAOUL LAFFOX 285

9. Procès-verbal de la séance de la Société du 6 octobre

1915. par M. le colonel DE CONCHARD 296

GRAVURES

Portrait de François Sauvage, (hors texte). — Inscription Gallo-Romaine du Musée de Brive, p. 241.


Les clichés des gravures parues dans le Budetvn,, étant la propriété exclusive de la Société, ne peuvent être prêtés pour être insérés dans d'autres publications. Ils ne pourront être cédés qu'en échange d'un cliché dont on aurait offert et accepté la communication.

Le Comité décline toute responsabilité pour la perte totale ou partielle des manuscrits envoyés par les auteurs ou détenteurs, en vue de la publication ou pour tout autre motif.

(Décisions du bureau de la Société.)

Les opinions émises au cours des travaux publiés dans le Bulletin doivent être considérées comme absolument propres à leurs auteurs, ainsi que leurs appréciations; la Société ne peut en être rendue responsable.

(ATofe du Comité de la rédaction.)

TARIF DES TIRAGES A PART

MM. les Auteurs des Mémoires imprimés dans le Bulletin pourront en faire exécuter à leurs frais un tirage à part aux prix suivants, en prévenant l'imprimeur de la Société au moment du renvoi des épreuves corrigées :

La 1/2 feuille d'impression (8 pages), couverture non comprise : les 50 exemplaires. 4 fr. ; 100 exemplaires, 5 fr. 50 ; 200 exemplaires, 9 fr.

La feuille d'impression (16 pages), couverture non comprise : les 50 exemplaires, 6 fr. 50 ; 100 exemplaires, 9 fr. ; 200 exemplaires, 14 fr.

Les fractions de 1 à 8 pages comptent peur 1/2 feuille.

Les couvertures avec titre imprimé sur la première page se paient en sus : pour 50 exemplaires, 2 fr. 50 ; 100 exemplaires, 3 fr. 50 ; 200 exemplaires, 6 fr.

Le pliage et le piquage sont compris dans les prix ci-dessus, mais il y a à ajouter un supplément pour le brochage «t. le remaniement provenant du fait des Auteurs


PUBLICATIONS :

Trois Etudes sur Cabanis d'après des documents inédits, par M. le Colonel VERMEIL DE CONCHARD. — En vente Librairie PETIT, à Brive, et Librairie Boussus, 9, rue Guénégaud, à Paris. — Prix : 2 francs.

Trois Etudes sur Cabanis, d'après des [documents inédits, par M. le Colonel VERMEIL DE CONCHARD.

Le Maréchal Brune pendant la l-r» Restauration et les Cent jours jusqu'à sa mort, même auteur. — En vente Librairie Petit, à Brive, et Librairie Boussus, 9, rue Guénégaud, Paris.

Prix de chaque brochure : 2 francs.

Les Débuts d'un savant Naturaliste : Pierre-André Latreille, à Brive, de 1762 à 1798, par M. Louis DE XUSSAC. — Un fort volume de 264 pages format in-8°. — Prix : 5 francs.

Études Historiques Militaires : Le Général Antoine Marbot (Amitié, Amours et Guerres). — Un Aide de Camp : Le Commandant Géraud Girbaud, par M. Louis DE NLSSAC. —Volume de 168 pages, grand in-8°. Trois portraits. — Prix : 2 francs.


BULLETIN

DE LA

SOCIÉTÉ SCIENTIFIQUE, HISTORIQUE

ET

ARCHÉOLOGIQUE

DE

LA CORRÈZE

SIEGE A BRIVE

Reconnue d'utilité publique (Décret du 30 novembre 1888) TOME TRENTE-HUITIÈME

AVEC PLANCHES ET FIGURES DANS LE TEXTE

i" et 2- LIVRAISONS

BRIVE

ROCHE, IMPRIMEUR DE LA SOCIÉTÉ Janvier-Juin 1916


TABLE DES MATIERES

DE LA lre et 2me LIVRAISONS

TEXTE

Pages

1. Études sur les divers Ateliers monétaires connus

du Bas-Limousin, par M. J.-B. FINCK 5

2. Biographies Brivistes. — Le Docteur G. Rouffy

par L. DE XUSSAC 22

3. La famille de Valon à Rocamadour: ses droits sur

les Sportelles, par M. LUDOVIC DE VALON 39

4. La Corrèze politique, militaire, judiciaire et administrative,

administrative, commencement de la 2e Restauration, par M. le Colonel VERMEIL DE CONCHARD. .. 83

5. L'Invasion calviniste en Bas-Limousin, Périgord

et Haut-Quercy, par M. DE BOYSSOX 103

6. Les Origines de Tulle; le Culte de Tutela et des

anciens dieux en Limousin, par M. J. PLANTADIS 133

9. Procès-verbal de la séance de la Société des 9 février

et 17 mai 1916, par M. le colonel DE CONCHARD . 150

GRAVURES

Maison Rouffy à Brive; Portrait du Docteur G. Rouffy; Monument Rouffy à Draveil (S.-et-O.) (hors texte)


Les clichés des gravures parues dans le Budetin, eiaui la propriété exclusive de la Société, ne peuvent être prêtés pour être insérés dans d'autres publications. Ils ne pourront être cédés qu'en échange d'un cliché dont on aurait offert et accepté la communication.

Le Comité décline toute responsabilité pour la perte totale ou partielle des manuscrits envoyés par les auteurs ou détenteurs, en vue de la publication ou pour tout autre motif.

(Décisions du bureau de la Société.)

Les opinions émises au cours des travaux publiés dans le Bulletin doivent être considérées comme absolument propres à leurs auteurs, ainsi que leurs appréciations ; la Société ne peut en être rendue responsable.

(Note du Comité de la rédaction.)

TARIF DES TIRAGES A PART

MM. les Auteurs des Mémoires imprimés dans le Bulletin pourront en faire exécuter à leurs frais un tirage à part aux prix suivants, en prévenant l'imprimeur de la Société au moment du renvoi des épreuves corrigées :

La 1/2 feuille d'impression (8 pages), couverture non comprise : les 50 exemplaires. 4 fr. ; 100 exemplaires, 5 fr. 50 ; 200 exemplaires, 9 fr.

La feuille d'impression (16 pages), couverture non comprise : les 50 exemplaires, 6 fr. 50 ; 100 exemplaires, 9 fr. ; 200 exemplaires, 14 fr.

Les fractions de 1 à 8 pages comptent peur 1/2 feuille.

Les couvertures avec titre imprimé sur la première page se paient en sus : pour 50 exemplaires, 2 fr. 50 ; 100 exemplaires, 3 fr. 50 ; 200 exemplaires, 6 fr.

Le pliage et le piquage sont compris dans les prix ci-dessus, mais il y a à ajouter un supplément pour le brochage et. le remaniement provenant du fait des Auteurs


PUBLICATIONS :

Trois Etudes sur Cabanis, d'après des documents inédits, par M. le Colonel VERMEIL DE CONCHARD.

Le Maréchal Brune pendant la ir« Restauration et les Cent jours jusqu'à sa mort, même auteur. — En vente Librairie Petit, à Brive, et Librairie Boussus, 9, rue Guénégaud, Paris.

Prix de chaque brochure : 2 francs.

Les Débuts d'un savant Naturaliste : Pierre-André Latreille, à Brive, de 1762 à 1798, par M. Louis DE XUSSAC —■ Un fort volume de 264 pages format in-8°. —• Prix : 5 francs.

Études Historiques Militaires : Le Général Antoine

Marbot (Amitié, Amours et Guerres,. — Un Aide de Camp : Le Commandant Géraud Girbaud. par M. Louis DE XUSSAC. — Volume de 168 pages, grand in-8°. Trois portraits. — Prix : 2 francs.


BULLETIN

DE LA

SOCIÉTÉ SCIENTIFIQUE, HISTORIQUE

ET

ARCHÉOLOGIQUE

DE

LA CORRÈZE

SIEGE A BRIVE Reconnue d'utilité publique (Décret du 30 novembre 1888)

TOME TRENTE-HUITIÈME

AVEC PLANCHES ET FIGURES DANS LE TEXTE

3°« et 4°" LIVRAISONS

BRIVE ROCHE, IMPRIMEUR DE LA SOCIÉTÉ

Juillet-Décembre 1916


TABLE DES MATIERES

DE LA 3e et 4e LIVRAISONS

TEXTE

Pages

1. Les Annales de Larehe en Bas-Limousin, par le

Docteur RAOUL LAFFON 161

2. Les Origines de Tulle; le Culte de Tutela et des

anciens dieux en Limousin, par M. J. PLANTADIS 190

3. Le Prince de l'Entomologie Pierre-André Latreille

à Brive, de 1762 à 1798, par M. L. DE XUSSAC .. 216

4. La famille de Valon à Rocamadour; ses droits sur

les Sportelles, par M. LUDOVIC DE VALON 231

5. Le dernier Oppidum Gaulois assiégé par César,

d'après les textes latins, par M. B. MARQUE 258

6. L'Invasion Calviniste en Bas-Limousin, Périgord

et Haut-Quercy, par M. DE BOYSSON 278

7. Nécrologie : Edmond Lespinas, par M. J. LALANDE. 316

8. Procès-verbaux des séances delà Société,, par M. le

Colonel DE CONCHARD 318

GRAVURES

Maison forte de Valon, p. 250. — Cheminée de la grande salle et Ecusson des Valon, p. 253.


Les clichés des gravures parues dans le Budetni, étant la propriété exclusive de la Société, ne peuvent être prêtés pour être insérés dans d'autres publications. Ils ne pourront être cédés qu'en échange d'un cliché dont on aurait offert et accepté la communication.

Le Comité décline toute responsabilité pour la perte totale ou partielle des manuscrits envoyés par les auteurs ou détenteurs, en vue de la publication ou pour tout autre motif(Décisions

motif(Décisions bureau de la Société.)

Les opinions émises au cours des travaux publiés dans le Bulletin doivent être considérées comme absolument propres à leurs auteurs, ainsi que leurs appréciations ; la Société ne peut en être rendue responsable.

(Note du Comité de la rédaction )

TARIF DES TIRAGES A PART

MM. les Auteurs des Mémoires imprimés dans le Bulletin pourront en faire exécuter à leurs frais un tirage à part aux prix suivants, en prévenant l'imprimeur de la Société au moment du renvoi des épreuves corrigées :

La 1/2 feuille d'impression (8 pages), couverture non comprise : les 50 exemplaires. 4 fr. ; 100 exemplaires, 5 fr. 50 ; 200 exemplaires, 9 fr.

La feuille d'impression (16 pages), couverture non comprise : les 50 exemplaires, 6 fr. 50 ; 100 exemplaires, 9 fr. ; 200 exemplaires, 14 fr.

Les fractions de 1 à 8 pages comptent pour 1/2 feuille.

Les couvertures avec titre imprimé sur la première page se paient en sus : pour 50 exemplaires, 2 fr. 50 ; 100 exemplaires, 3 fr. 50 ; 200 exemplaires, 6 fr.

Le pliage et le piquage sont compris dans les prix ci-dessus, mais il y a à ajouter un supplément pour le brochage e-t le remaniement provenant du fait des Auteurs


PUBLICATIONS :

Trois Etudes sur Cabanis, d'après des documents inédits, par M. le Colonel VERMEIL DE CONCHARD.

Le Maréchal Brune pendant la lra Restauration et les Cent jours jusqu'à sa mort, même auteur. — En vente Librairie Petit, à Brive, et Librairie Boussus, 9, rue Guénégaud, Paris.

Prix de chaque brochure : 2 francs.

Les Débuts d'un savant Naturaliste : Pierre-André Latreille, à Brive, de 1762 à 1798, par M. Louis DE XUSSAC. — Un fort volume de 264 pages format in-8°. — Prix : 5 francs.

Études Historiques Militaires : Le Général Antoine

Marbot (Amitié, Amours et Guerres]. — Un Aide de Camp :

Le Commandant Géraud Girbaud, par M. Louis DE

XUSSAC —Volume de 168 pages, grand in-8°. Trois portraits.

- Prix : 2 francs.