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Titre : Annales de la Société d'émulation, agriculture, lettres et arts de l'Ain

Auteur : Société d'émulation (Ain). Auteur du texte

Éditeur : Société d'émulation de l'Ain (Bourg)

Date d'édition : 1898

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb36134384n

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb36134384n/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

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Description : 1898

Description : 1898 (T31).

Description : Collection numérique : Fonds régional : Rhône-Alpes

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k54603635

Source : Archives départementales de l'Ain, 2008-66591

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 12/12/2008

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SOMMAIRE DU 4* CAHIER 1898

1. A. BÉRARD. — Les Etangs de la Dombes. ( La

réforme législative) 4

II. PHIUPON. — Le Second Royaume de Bourgogne (suite) 29

III. X... — La Statue de Goligny 87

IV. TARDY. — Météorologie 92

V. Résumé des travaux de la Société d'Emulation

1896-1897 95

Institut de France 100

Revue bibliographique, 3e page couverture.

CHANEL. — Dictionnaire de Géologie ( foliotage

à part) 97

La publication dans les Annales n'implique pas, pour la Société , la responsabilité des articles insérés.

Les manuscrits et toutes les communications concernant la Société doivent être adressés au Président, 21, rue Prévôté, à Bourg.

Les abonnés aux Annales de la Société d'Emulation qui n'auraient pas encore payé le montant de leur souscription sont priés de le faire parvenir à l'administration du Courrier de l'Ain, rue Lalande, 18, au 1er étage, à Bourg.


TONALES

'DE LA

SOCIÉTÉ D'ÉMULATION DE L'AIN


Les manuscrits et toutes les communications concernant la Société doivent être adressés au Président, 21, rue Prévôté, à Bourg.

La publication dans les Annales n'implique pas, pour la Société, la responsabilité des articles insérés.


ANNALES

DE LA

SQCI&TÉ D'ÉMULATION

^ U [ib^GRICULTURE

/. y

.,. TL.'E-lfrT/RES. SCIENCES EX ARTS)

De l'Ain

1898

BOURG "IMPRIMERIE DU « COURRIER DE L'AIN «

Francisque Allombert, propriétaire 1898



LES ÉTANGS DE LA DOMBES

(La Réforme législative)

I

Un de nos plus distingués hommes politiques disait, il y a quelques 'années : « Les fautes économiques sont « beaucoup plus dangereuses que les fautes politiques : « en effet, les fautes politiques se réparent, les fautes « économiques ne se réparent pas. »

Cela est vrai : les fautes économiques, dans tous les cas, sont beaucoup plus difficiles à réparer que les fautes politiques : nos chères populations de la Dombes en ont fait l'expérience au sujet de leurs étangs qu'une erreur économique avait fait sottement dessécher.

Que du xiie au xvie siècle, on ait eu tort de détruire les champs de céréales et les vignobles de l'antique Dombes pour les remplacer par des étangs, que, profitant des effroyables vides faits dans les villages par les guerres seigneuriales du Moyen-Age et plus encore par les persécutions religieuses, pour raser ces villages et livrer leur territoire à l'envahissement des eaux, cela ne saurait


6 ANNALES DE L'AIN

faire dé doute pour personne (1) ; mais, l'oeuvre accomplie, la nature éternellement ingénieuse et nos laborieux paysans s'étaient mis d'accord pour tirer le meilleur parti de ce nouvel état de chose et les efforts de la nature combinés avec l'invincible labeur des Dombistes avaient créé un sj'stème de culture admirable, fécond, lequel donnait richesse et prospérité à cette terre aux poétiques et mélancoliques horizons, qui s'étend des derniers vallonnements de la plantureuse Bresse aux moraines du glacier du Rhône que la pioche de nos vignerons ont victorieusement conquis.

C'est cet éternel sophisme, lequel a coûté tant de sang et tant de larmes à l'humanité, celui que la vieille scholastique résumait en ces cinq mots : Cum hoc ergo propter hoc (Avec cela, donc à cause de cela), c'est cet éternel

(1) « A bien regarder, dit mon vénéré ami, M. Jarrin, dans son beau livre : La Bresse el le Bugey (t. II, p. 91), la dépopulation et l'inondation de la Dombes sont l'oeuvre du Mojren-Age tout entier. »

« Dès le xile siècle, la Dombes était dévastée et ruinée, au point que, en 1211, la riche abbaye de Cluny abandonne les domaines qu'elle y possède. Les guerres ecclésiastiques et féodales des xme et xive siècles achèvent le désastre : les seigneurs de Beaujeu, les comtes de Mâcon, les sires de Thoires-Villars, les sires de Montluel, le dauphin, les comtes de Savoie, les Bourbons, les Montbel, le chapitre de Lyon s'y livrent à la guerre et pillent à tour de rôle bourgs et villages : la Dombes est un champ clos pour leurs batailles et un domaine pour leurs rapines. Les guerres religieuses du xvi° siècle, les atroces persécutions dirigées contre les huguenots achèveront de faire de la Dombes un désert.

« Si, ajoute M. Jarrin, le sort de la Dombes a été tel


LES ÉTANGS DE LA DOMBES 7

sophisme en vertu duquel, au Moj'en-Age, on brûlait d'innocentes folles accusées de sorcellerie et on égorgeait les juifs dans une cité parce qu'une épidémie sévissait dans un village ou parce que la peste dévastait une bourgade, c'est cet éternel sophisme, en vertu duquel nos campagnards de France, ignorant les'' rapports de cause à effet et rattachant grâce à de superficielles observations, non scientifiquement contrôlées, les faits les plus étrangers les uns aux autres, affirment encore dans tant de régions que c'est la lune qui fait geler les jeunes pousses au printemps ou que c'est Saint-Médard qui inonde, suivant son caprice, durant quarante jours, la terre des eaux célestes, c'est cet éternel sophisme qui a fait le malheur de la Dombes : il y avait des fièvres dans la Dombes et il y avait des étangs, donc c'étaient les étangs qui produisaient les fièvres.

au Moyen-Age, ce n'est point surtout que la guerre y ait été plus habituelle ou plus cruelle qu'ailleurs. Cela, on l'a vu partout. Mais ce pauvre pays était le plus ouvert et le moins défendu qui fût. Nul rempart naturel, en effet, point de positions défensives sur la terrasse plane, accessible de partout, sans ressauts et accidents de terrain. Les matériaux enfin manquent pour créer là, de main d'hommes, les obstacles et les abris que la nature n'a pas voulu fournir... On dut émigrer le plus qu'on put d'un pays qui trahissait ainsi ses habitants »

« En 1500, la population avait diminué de moitié de ce qu'elle était auparavant : depuis elle n'a cessé de décroître encore.

« Il y avait au xine siècle, continue Jarrin (p. 94 et 95), sur le plateau de la Dombes, certaines dépressions du sol sans émissaires possibles ; il s'y formait des leschères^


8 ANNALES DE L'AIN

Ah ! ce préjugé, en vertu duquel, depuis un siècle, on a fait pour nos étangs toutes les sottises, qui ont coûté si cher à la Dombes, combien il est fortement enraciné ! Hors de notre pays^ il est tenu pour vérité certaine, indiscutable : c'est un aphorisme qui fait que, lorsqu'on essaye de le contester, vos interlocuteurs, au premier mot, haussent les épaules, croyant que l'on veut railler. C'est contre ce préjngé universellement admis que j'ai eu à lutter — et, qu'on me permette de le dire, â lutter avec ténacité — pour faire voter la réforme relative à nos étangs que réclamait l'universalité de nos cultivateurs de la Dombes.

Aujourd'hui, la cause est jugée et bien jugée : les étangs ne sont pas malsains et leur existence est par-dessus le marché une richesse pour la région qui les possède : la science a vaincu le préjugé.

lescheria, flaques marécageuses, dans les saisons sèches, étangs naturels dans les années pluvieuses, conservant les eaux que le sol argilo-siliceux du pays n'absorbait pas.

« Ces étangs naturels empoissonnés, d'un revenu avantageux grâce aux jours d'abstinence si fréquents alors, donnèrent l'idée d'en créer d'artificiels. Les uns et les autres étaient peu nombreux, car parmi les redevances en nature des fiefs, on ne voit pas le poisson mentionné. Les cultures étaient variées et la vigne, à laquelle le voisinage des étangs nuit, prospérait.

« Au xive siècle, les étangs artificiels s'accrurent à mesure que la population diminuait. L'étang des Vavres à Maiiieux occupe un espace où l'on avait recensé quarante-deux feux. Ceux de Brovonnes et de la Rippe remplacèrent les villages de même nom. Le sol qu'on inondait était devenu sans culture et sans rapport : la digue


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M. le D 1' Passerat, ici même, dans nos Annales, en une série de remarquables études, et a fait la saisissante démonstration.

Les eaux vivantes, celles qu'animent des poissons, ne sont jamais malsaines ; les étangs ne sont pas plus malsains que les lacs. Suivant la thèse si nettement exposée par Vaulpré et par M. Passerat, « les étangs ne sont pas a la cause de la fièvre : au contraire, ils préservent le « pays (la Dombes) de plus grands maux en réunissant « les eaux éparses qui auraient formé des marais infects « en les réunissant dans des bassins' plus profonds, »

En fait, depuis le dessèchement des étangs, les communes, où nul dessèchement n'a été fait, sont aussi saines que celles qui ont vu dessécher presque tous leurs étangs. Oui, la Dombes s'est assainie depuis quarante ans, oui, ses habitants se portent mieux ; mais cette amélioration

ou chaussée nécessaire pour en faire un étang ne coûtait au seigneur qu'un ordre aux corvéables d'avoir à la construire. Le produit, grâce au carême, à l'avent, aux quatre-temps, vigiles, jours maigres de chaque semaine, était assuré.

«Au xve siècle, la nappe d'eau stagnante va gagnant avec une rapidité lugubre. De 1401 à 1510, quatre-vingtquatorze étangs sont créés. Les seigneurs usent ou abusent de leur autorité pour inonder les fonds de leurs vassaux. Les nobles manoirs, les villes empoissonnent leurs fossés. Si une route gêne, on la supprime ou on la détourne.

« Au xvme siècle, on en viendra à démolir des villages, à en expulser les habitants.pour cultiver les carpes. Ce sont les seigneurs qui font ces choses : ce sont les officiers du prince de Dombes qui s'en plaignent. »


1-0 ANNALES DE L'AIN

est due non au dessèchement des étangs, mais aux meilleures conditions de vie, de logement des habitants, à leur meilleure nutrition, à la construction des routes qui a permis aux gens de voyager sans avoir de la boue jusqu'au-dessus des genoux et. qui a fait disparaître les eaux stagnantes des fossés. La suppression des eaux vivantes des étangs n'est pour rien dans ce progrès de l'hygiène publique dans la Dombes.

Même on peut l'affirmer, ce dessèchement a souvent amené le remplacement d'étangs inoffensifs pour la santé des habitants par des terrains incultes, laissés en friche, se transformant par suite du cours forcé des eaux en marécages, ceux-là très insalubres et, par-dessus le marché, improductifs.

Ce dessèchement a eu une autre conséquence pour la sécurité publique : il a eu pour résultat de transformer, au grand détriment de nos villages, le régime des eaux du plateau de la Dombes. Ces étangs étaient des réservoirs naturels, régularisant le service des eaux, l'écoulement des rivières ; en les supprimant, on a transformé ces douces et molles rivières, la Sereine, la Chalaronne, la Veyle, eu violents torrents qui, de ruisseaux, en moins de deux heures, transformés en fleuves, comme durant l'automne 1896, entraînent les ponts, démolissent les maisons, causent d'incalculables ravages.

Au point de vue agricole, personne ne songe à discuter la question : les étangs, fumant eux-mêmes, sans frais, par deux années d'évolage, très riches en poissons, les terrains qui, en une année, produisent de drues récoltes de céréales, les étangs sont une "source de prospérité pour notre Dombes : en notre paj^s de grande culture, de grands domaines, où les bras manquent, ils constituent une richesse inappréciable.


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C'était ce que disait, dans le Courrier de l'Ain, le 21 décembre 1897, la veille du jour où j'ai eu le bonheur de faire voter par la Chambre la réforme qu'il désirait, c'était ce que disait un groupe de cultivateurs dombistes s'exprimant ainsi :

« Nous serions heureux de voir aboutir cette loi (celle que je proposais) si ardemment désirée de tous nos cultivateurs ; si l'on considère tout le mal qu'a fait à notre pays cette fatale loi du dessèchement, les milliers d'hectares de terrains très productifs devenus stériles, les millions 'évanouis, perdus à jamais pour la fortune publique, les malheureux fermiers pleins de prospérité auparavant, tout d'un coup appauvris, les difficultés extrêmes auxquels ceux d'aujourd'hui sont en butte, pour parer aux éventualités de leur culture pour cause du manque d'engrais, du manque de bras, on ne pourra se défendre d'un vif sentiment de reconnaissance envers celui qui aura doté notre pays d'un si grand bienfait en obtenant le vote de cette loi.

« La remise en eau des étangs desséchés de la Dombes, c'est la renaissance à la fécondité de nombreuses fermes tombées en décadence, c'est l'aisance, le bien-être rendus aux fermiers ; c'est la fortune publique augmentée et dont tout le monde ressentira l'heureuse influence. Ce n'est point une perspective remplie d'illusions que nous entrevoyons, c'est la réalité!

« Les étangs sont non seulement la richesse de la Dombes, mais encore la condition nécessaire et absolue de son existence ; voilà ce qu'affirmaient, en 1840, MM. Nivière, Guerre, Nolhac, Ponchon, Bonthier de Beauregard et le docteur Vaulpré ; ces noms rappellent avec quelle ardeur ces hommes se firent les vaillants dôfen-


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seurs de nos étangs et, ajoutaient-ils, la suppression des étangs rendra le pays si malheureux qu'il deviendra inhabitable. On ne pouvait mieux prévoir l'avenir ! le dessèchement des 6,000 hectares d'étangs a fait perdre à notre pajrs, en même temps qu'une partie de sa richesse, beaucoup de sa population. Mais que serait-il advenu si on eût desséché le tout, c'est-à-dire les 19,000 hectares qui existaient ! Nous laisserons au lecteur le soin de le penser

« La nature nous traite ici en enfants gâtés en fournissant gratuitement à notre sol un précieux élément de fécondation par l'eau et ses dépôts gras d'alluvions ; pourquoi le laisser perdre en l'abandonnant au courant qui l'entraîne et ne pas le retenir captif à son passage ? Quelle perte immense se produit là et n'est-ce pas d'une incohérence inexplicable au point de vue agricole de ne pas utiliser de pareils avantages, surtout lorsqu'il est démontré qu'aucun intérêt, soit de salubrité ou autre, ne doit en souffrir.

« Il faut donc briser cette détestable loi de 1863 votée par les Chambres d'alors, sous l'influence de la frayeur produite par ce fantôme de miasme dont l'action délétère a disparu comme par enchantement dès le jour où le confortable, l'hygiène, l'amélioration de la nourriture ont remplacé les conditions misérables d'existence de nos paysans avant 1860. »

Bien convaincu comme tous nos Dombistes de la faute commise, j'ai pris à tâche de réparer le mal causé à notre chère petite province, ne faisant en cela que mon strict devoir, trop heureux d'être quelque peu utile à tous ces braves gens, à ces vaillants cultivateurs, à ces laborieux fermiers qui m'avaient fait le très grand honneur de me f-onfier le soin de les représenter et de les défendre.


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II

C'est pour cela que le 27 janvier 1897, de concert avec mes cinq collègues et amis de la représentation de l'Ain, je déposais sur le bureau de la Chambre la proposition de loi suivante :

« Article premier

« Les étangs situés dans les arrondissements de Trévoux et de Bourg (département de l'Ain) et qui ont été desséchés à la suite de la convention passée, le 1er avril 1863, entre l'Etat et les concessionnaires de la voie ferrée de Sathonay à Bourg, pourront être remis en eau sous les conditions prescrites par le règlement d'administration publique du 28 octobre 1857.

Cette remise en eau ne pourra être faite que sur un avis favorable des Conseils municipaux des communes sur le territoire desquelles se trouvent les terrains à remettre en étangs, et que sur un avis favorable du Conseil général de l'Ain.

« Art. 2

« Lorsque la remise en eau d'un de ces anciens étangs aura été autorisée, le propriétaire qui aura antérieurement touché une prime de dessèchement devra restituer une partie de cette prime.

ff A cet effet, il désignera un arbitre ; M. le Préfet de l'Ain désignera un autre arbitre ; le Conseil général de l'Ain en désignera un troisième.

« Ce conseil d'arbitre, le propriétaire entendu, fixera


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la somme qui devra être restituée. Cette somme ne pourra jamais dépasser les deux tiers de la prime reçue et être moindre du tiers de cette prime.

« La somme versée sera restituée dans les caisses communales des communes sur le territoire desquelles se trouveront les terrains à remettre en eau, cela proportionnellement à l'étendue de l'étang sur le territoire de chacune d'elles.

« Art. 3

« L'article 80 de la loi du 3 frimaire an VII ne s'applique plus aux terrains ayant cessé d'être des terrains alternativement en étang et en culture. »

Ce texte amène deux remarques.

L'article 3 de la proposition visait une situation spéciale de nos cultivateurs dombistes à l'égard du fisc. Je la précisais ainsi dans l'exposé des motifs de la proposition :

« L'article 80 de la loi du 3 frimaire an Vil a déterminé que l'évaluation du revenu imposable des terrains alternativement en étang et en culture, d'après le revenu moyen de la culture et du poisson, serait plus élevée que celle des terres labourables de première qualité.

« Il n'est pas douteux que, en stricte équité, lorsque les étangs sont définitivement desséchés, les terrains qu'ils occupaient ne devraient plus être imposés suivant l'article 80 de la loi de frimaire : l'élément poisson ayant totalement et définitivement disparu, il ne devrait plus en être tenu compte dans l'évaluation du revenu. Ces terrains ne devraient plus être imposés que comme les autres terrains de culture. C'est l'évidence même.

« Or, en fait, il n'en est pas ainsi et les terrains d'é-


LES ÉTANGS DE LA DOMBES 15

tangs desséchés, contre toute justice, continuent, conformément à l'article 80 de la loi de frimaire, à voir l'évaluation de leur revenu imposable faite comme si les étangs existaient toujours.

a C'est là une iniquité évidente qu'il faut faire cesser.

« L'iniquité ne peut disparaître qu'en vertu d'une loi, la jurisprudence étant formelle et deux décisions du Conseil d'Etat du 10 juin 1868 et du 7 novembre 1873 ayant formellement décidé que ^article 80 était toujours applicable aux terrains des étangs desséchés.

« Le Conseil général de l'Ain, dans une série de voeux, entre autres le 30 avril 1889, le 15 avril 1890, le 24 août 1893, les 24 avril et 23 août 1895, a demandé une modification de la législation dans ce sens.

« Le même voeu, le Conseil d'arrondissement de Trévoux le renouvelle dans toutes ses sessions. »

Nos populations étaient, en cette matière, victimes d'une criante iniquité : elles protestaient — pas bien fort malgré le lourd fardeau qui pesait sur leurs épaules — et elles payaient fidèlement l'impôt.

La seconde remarque c'est que nos é'angs desséchés de a Dombes se divisent en trois catégories très distinctes :

1° 192 hectares d'étangs réputés insalubres ont été desséchés par ordre de l'administration, en vertu des lois combinées du 11 septembre 1792, 14 frimaire an II, 6 décembre 1850 et 21-28 juillet 1856 : il y a là une question d'hygiène publique engagée et nul n'a pu songer à modifier la situation créée en cette matière ;

2° 4,270 hectares d'étangs desséchés volontairement par leurs propriétaires et à la remise en eau desquels ne s'oppose aucun texte législatif, malgré un arrêté préfectoral pris sous le second empire, arrêté tenu pour illégal


16 ANNALES DE L'AIN

par tous les jurisconsultes qui se sont occupés de la question ; — on est très gouvernable dans nos régions, on est très pacifique : on s'est soumis à cette décision arbitraire sans jamais songer à porter le débat devant la juridiction compétente ;

3° 6,000 hectares d'étangs desséchés par suite de la convention passée entre leurs propriétaires et les concessionnaires de la ligne ferrée de Sathonay à Bourg.

C'était de cette dernière catégorie seule qu'il s'agissait dans notre proposition de loi.

Rappelons brièvement la question.

Le 1er avril 1863, l'Etat concédait la ligne de Sathonay à Bourg à MM. Arlès-Dufour, Henri Germain et Sellier ; subissant l'influence du préjugé qui rattachait la fièvre à l'existence des étangs, dans le but très louable d'assainir la Dombes, mais se trompant sur les moyens d'y parvenir, l'Etat mit pour condition à cette concession l'obligation de dessécher 6,000 hectares d'étangs ; d'autre part, cette obligation lui paraissant trop lourde pour les concessionnaires, l'Etat leur accordait, pour accomplir ce dessèchement, une subvention de 1,500,000 francs.

Voici les deux articles de la convention visant le dessèchement :

« Art. 3. — Les sieurs Arlès-Dufour, Germain et Sellier, concessionnaires, s'engagent à dessécher et à mettre en valeur, dans un délai de dix ans, à partir du 15 juillet 1864, 6,000 hectares au moins d'étangs dont la suppression aura été préalablement approuvée par l'Administratiou, soit en acquérant lesdits étangs pour les transformer directement en prairies, bois ou terres arables, soit en provoquant leur dessèchement et leur mise en valeur, au moyen de primes payées aux propriétaires


' ■ LES ÉTANGS DE LA DOMBES 17

en numéraire, en travaux agricoles, en constructions, en engrais ou de toute autre manière. Seront comptés dans ce chiffre de 6,000 hectares les étangs qui auront été supprimés par le passage du chemin de fer dans une zone de deux kilomètres de chaque côté de la voie.

« Art. 4. — Le Ministre de l'Agriculture, du Commerce et des Travaux publics, au nom de l'Etat, s'engage à payer aux sieurs Arles Dufour, Germain et Sellier, à titre de subvention, .pour l'accomplissement des engagements énoncés à l'article 3 ci-dessus, la somme de quinze cent mille francs (1.500.000 fr.)

« Cette somme sera versée en vingt payements semestriels égaux, dont le premier aura lieu le 15 janvier 1865.

« Les susnommés devront justifier, avant chaque payement, du dessèchement et de la mise en valeur de 300 hectares d'étangs.

« Le dernier versement n'aura lieu qu'après le dessèchement et la mise en valeur de la totalité des 6,000 hectares prévus par l'article précédent. »

Cette convention fut approuvée par une loi du 18 avril 1863, l'utilité publique des travaux fut déclarée et la concession donnée en vertu d'un décret rendu en Conseil d'Etat, le 25 juillet 1864.

MM. Arlès-Dufour, Henri Germain et Sellier se mirent à l'oeuvre dès 1865. L'oeuvre de dessèchement s'accomplit les années suivantes. Les habiles et les prévoyants gardèrent leurs étangs ; seuls les imprévoyants consentirent pour une modeste prime une fois donnée à renoncer au fructueux rendement de leurs étangs : ils tuaient ainsi la poule aux oeufs d'or.

Tout le monde connaît-le procédé employé par les con-


18 ANNALES DE L'AIN

cessionnaires de la ligne des Dombes pour faire ce dessèchement : ils donnaient une prime aux propriétaires, lesquels s'engageaieut à détruire leurs étangs et à ue jamais les remettre en eau.

Moyennant le versement de la subvention de T,500,000 francs stipulée dans la convention de 1863, les concessionnaires ont souscrit, vis à vis de l'Etat représenté par le préfet de l'Ain « l'obligation de maintenir à ses frais, « risques et périls et par toutes les voies de droit, quelles « qu'elles puissent être, le dessèchement et la mise en « valeur des étangs, » qui étaient agréés par l'Aministration comme devant être desséchés mojrennant cette subvention.

D'autre part, les concessionnaires stipulaient sur la quittance des primes de la part des propriétaires « l'en« gagement, envers la Compagnie et l'Etat, de maintenir « cet étang constamment desséché en culture. o

Il résulte d'une note que m'a remise la préfecture de l'Ain que la moyenne de la prime payée par les concessionnaires aux propriétaires a été de 150 francs par hectare d'étang desséché. 6,000 hectares à 150 francs cela fait 900,000 francs.

Les concessionnaires (la Compagnie des Dombes) ont donc donné 900,000 francs aux agriculteurs et ils avaient reçu dans ce but une subvention de 1,500,000 francs : leur bénéfice a donc été de 600,000 francs, soit des deux tiers et notez-le bien, l'oeuvre du dessèchement avait été considérée par l'Etat comme une charge compensant l'avantage de la concession de la ligue ferrée : les concessionnaires ont très habilement transformé cette charge en source de bénéfice. Nous ne songeons pas à les en blâmer ; mais il nous faut bien constater que si l'opération du


LES ÉTANGS DE LA DOMBES 19

dessèchement de nos étangs entreprise en 1805 a été déplorable pour nos cultivateurs de la Dombes elle a été très fructueuse pour les habiles financiers qui l'ont conduite.

548 étangs, d'une contenance totale de 6,000 hectares, ont été ainsi desséchés. Ces étangs étaient situés sur les communes de Saint-André-de-Corcy, Saint-Marcel, Samt-André-le-Bouchoux, Saint-Andréie-Panoux, l'Abbergement-Clémeiiciat , Ambérieu-enDombes, Saint-Jean-de-Thurigneux, Birieux, Bouligneux, Certines , Civrieux, Chalamont, Châtillon-la-Palud , la Chapelle-du-Châtelard , Saint Georges-sur-Renom , Chanoz-Chatenay, Châtillon-sur-Chalaronne, Chaveyriat, Condeissiat, Crans, Cordieux, St-Cyr-de-Relevant, Dompierre, Châtenay, Druillat, Varambon, Villette, SaiutEloi, Joyeux, Faramans, Saint-Germain-sur-Renom, Savigneux, Monthieux, le Montellier, Lent, Rigneux-leFranc, Saint-Nizier-le-Désert, Marlieux, Sainte-Croix, Moutluel, Mollon, Moutracol, Neuville les-Dames, SaintPaul-de-Varax, Sainte-Olive, Péronnas, Lapeyrouze, le Plantaj'-, Priay, Versailleux, Romans, Rancé, Sandrans, Servas, Sulignat, la Tranclière, Tramoyes, Saint-Triviersur-Moignans, Villars, Villeneuve et Vandeins.

Désormais, en violation de tous les principes de notre code civil, il pesait sur ces 6,000 hectares de terrain une servitude perpétuelle, non rachetable, d'un genre .tout spécial, n'existant pas au profit d'autres fonds, mais au profit de rien, servitude en vertu de laquelle sur ces 6,000 hectares de terrain il était impossible à jamais de faire un genre de culture déterminée, l'étang.

Pour mettre fin à cette servitude, que rien ne justifiait plus puisqu'il était démontré, d'une part, que les étangs


20 ANNALES DE' L'AIN

ne sont pas malsains et qu'il était établi, de l'autre, que les étangs sont productifs au point de vue agricole, il fallait une loi ; une loi seule, en effet, pouvait effacer les dispositions législatives de 1863 et les engagements pris à l'égard d'une personne disparue, la Compagnie des Dombes ; c'est cette loi que j'ai présentée.

III

Notre proposition de loi fut renvoyée à la 25e commission d'initiative parlementaire de la Chambre des Députés : j'en faisais partie : cette commission conclut à la prise en considération et me chargea du rapport.

J'avais demandé l'inscription de la proposition en tête de l'ordre du jour de la séance du 2 février 1897, sous réserve qu'il n'y aurait pas de débat, comptant bien que nul ne s'y opposerait. Quelle ne fut pas ma surprise, le 2 février, quand je vis M. Méline, président du Conseil et ministre de l'agriculture, y faire une très nette opposition et demander l'ajournement du débat. M. Méline alors très carrément hostile subissait l'influence de l'opposition locale, sur laquelle nous reviendrons tout à l'heure, et qui agissait souverainement sur son esprit'par l'intermédiaire d'une puissante Société d'agriculteurs. L'ajournement de la discussion, c'était l'enterrement de ma propo.- sition : de longtemps la réforme était impossible.

C'est alors que je m'avisais du stratagème d'insérer ma proposition au budget : c'était obliger le Parlement à la discuter et par conséquent avoir chance de la faire voter. J'étais bien sur que, à la lumière de la discussion, l'opposition, qui ne reposait que sur des mobiles d'étroit égoïsme individuel, s'effondrerait. — A ce sujet, que l'on me permette une observation, on a souvent reproché aux mem-


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bres du Parlement de tout mettre dans le budget : hélas ! quand on a en face de soi l'hésitation plutôt peu bienveillante du gouvernement, comme dans l'espèce, c'est encore le seul moyen de faire aboutir les réformes : la preuve en est pour nos étangs.

Ma proposition- devait se diviser pour le budget : une partie devait aller aux contributions, l'autre à la loi de finances.

L'article 3, j'en fis un article additionnel à la loi des quatre contributions directes :

« L'article 80 de la loi du 3 frimaire an VII ne s'applique plus aux terrains ayant cessé d'être alternativement en étang et en culture. »

Je fus assez heureux pour le faire adopter, malgré une opposition très vive de l'administration des contributions directes, qui y voyait une grave atteinte au principe sacrosaint de l'immutabilité du cadastre. Ma proposition est devenue l'article 16 de la loi budgétaire du 21 juillet 1897. Une réforme vainement réclamée par nos populations depuis trente ans et une réforme éminemment juste était enfin accomplie. Il est vrai que, ayant le malheur d'être mêlé aux luttes politiques, j'ai eu — à tout tableau il y a des ombres — j'ai eu la tristesse de voir des adversaires, 'lesquels ont cependant la prétention d'être des représentants des intérêts agricoles de la Dombes, oublier, en une sotte hostilité politique, que cette réforme intéressait notre région au plus haut point : le Bulletin du Comice agricole de Trévoux n'en a pas difrun mot. Comme s'il s'agissait là de politique !

Restait la seconde partie à faire voter.

Toujours de concert avec mes cinq collègues de la dé-


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putation de l'Ain, je déposais l'amendement suivant à la loi de finances du budget de 1898 :

« Les étangs situés dans les arrondissements de Trévoux et de Bourg (département de l'Ain), desséchés en vertu de l'article 3 de la convention passée, le 1er avril 1863, entre l'Etat et les concessionnaires de la ligne ferrée de Sathonay à Bourg, convention approuvée par le décret impérial du 25 juillet 1864, pourront être remis en eau, sur les avis favorables,donnés : 1° par les Conseils municipaux des communes, sur le territoire desquelles sera situé l'étang à remettre en eau ; 2° par le Conseil général de l'Ain ; 3° par une commission d'hygiène nommée par M. le Préfet de l'Ain, s

Il faut le dire, entre temps, le Conseil général de l'Ain, à l'unanimité, dans sa séance du 27 avril 1896, avait adopté un voeu en faveur de cette proposition.

Mon amendement au budget n'était, on le voit, que la reproduction de ma proposition primitive, sauf un point : la nécessité pour les propriétaires, qui remettraient en eau les étangs desséchés de restituer une partie de la prime.

On m'avait fait remarquer que l'argent provenant de cette restitution, je le donnais aux communes alors que les communes n'avaient rien déboursé. D'autre part, nos cultivateurs qui avaient fait de gros frais pour détruire leurs étangs devraient en faire encore de considérables pour rétablir leurs étangs, il était peu raisonnable, dès lors, de grever les Dombistes alors que partout on parle de dégrever les agriculteurs. Enfin, dernière considération, nos cultivateurs, en 1865, avaient fait un marché de dupes : comment ils auraient à rendre une part quelconque des 900,000 francs prélevés sur la subvention de


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l'Etat de 1,500,000 francs, qui étaient allés en leurs mains et qu'ils avaient chèrement payés, alors que les 600,000 francs restaient bien et dûment acquis aux concessionnaires de la ligne des Dombes, lesquels n'avaient rien sacrifié du tout! La simple réflexion démontrait que cela était monstrueux.

Et plus tard, sur ce point, M. Guillain, le rapporteur de la commission du budget, gardien jaloux cependant des intérêts du trésor, devait conclure : « La commis« sion du budget s'est demandé s'il convenait de subor« donner la remise en eau au remboursement de tout ou « partie de la prime de dessèchement payée jadis au pro« priétaire ou à ses auteurs en exécution de la conven« tion de 1863. Elle n'a pas hésité à trancher cette ques« tion par la négative : l'obligation de remboursement « équivaudrait, dans la plupart des cas, à enlever toute o portée pratique à l'article de loi proposé, et rendrait « généralement impossible la remise en eau qui est si « vivement désirée aujourd'hui par les intéressés, et qui « paraît en effet de nature à améliorer, dans une sérieuse « mesure, le bien-être de la population agricole de la « Dombes. »

Mon amendement fut renvoyé à la commission du budget. Là, il se trouva deux hommes, qui, après études des documents, se firent les avocats de notre cause et auxquels nos cultivateurs de la Dombes doivent profonde reconnaissance, car c'est à eux qu'ils doivent le succès de la réforme; M.. Delombre, président de la'commission du budget, et-M. Guillain, député-du Nord.

L'amendement modifiant la convention de 1863 devait venir au budget des conventions : M. Guillain en était le rapporteur.


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Convaincu de l'excellence de notre thèse, surtout par les remarquables travaux de M. le Dr Passerat, M. Guillain se mit à la tâche avec un zèle extrême, avec le zèle qu'eût mis en cette matière le Dombiste le plus déterminé.

Il fit passer sa conviction dans l'esprit des directeurs du ministère de l'agriculture, jusque là très nettement hostiles à notre proposition et engagea le ministère luimême qui, plus tard, se trouva fort gêné en' face des démarches faites auprès de lui en sens contraire par la puissante Société d'agriculteurs, écho de l'opposition locale, — et qui, le jour du vote, manifesta sa gêne et sa contrariété par un discours aigre-doux à l'égard des agriculteurs de la Dombes, acceptant le projet tout en le critiquant, lançant des épigrammes à l'adresse des propriétaires d'étangs desséchés.

M. Guillain triompha de toutes les difficultés. A la demande du ministère de l'Agriculture, il précisa, sous une forme plus rigoureuse, les conditions de remise en eau. Puis, au nom de la commission du budget, il déposa la rédaction suivante, à laquelle, mes amis et moi, nous nous empressâmes de nous rallier, voulant coûte que coûte aboutir :

LOI DE FINANCES

<L Art. 60. — Les étangs qui ont été desséchés dans le département de l'Ain, pour l'exécution de l'article 3 de la convention passée le 1er avril 1863, entre- l'Etat et les concessionnaires du chemin de fer de Sathonay à Bourg et approuvée par la loi du 18 avril 1863 et le décret du 25 juillet 1864, pourront être remis en eau si l'autorisation en est donnée par un arrêté du Préfet de l'Ain.


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« Chaque arrêté préfectoral d'autorisation prescrira l'exécution, aux frais des propriétaires demandeurs, des travaux à faire et des mesures d'exploitation à observer pour, éviter l'insalubrité de l'étang remis en eau et soumis au régime de l'assec périodique avec culture.

« Chaque arrêté devra être précédé : 1° d'un avis du Conseil d'hygiène du département; 2° d'une enquête tenue suivant les mêmes formes que celle réglée par les articles 2 à 10 inclusivement du décret du 25 octobre 1857 relatif à la licitation et au dessèchement des étangs de la Dombes; de l'avis favorable du ou des Conseils 'municipaux du lieu de l'étang, ledit avis exprimé dans les mêmes formes que celui prévu au cas de destruction d'un étang par l'article 11 du décret précité du 28 octobre 1857; 4° d'une délibération favorable du Conseil général du département de l'Ain.

« En cas d'infraction aux prescriptions de l'arrêté préfectoral autorisant la remise en eau, la destruction de l'étang, d'office, aux frais des propriétaires et sans indemnité, peut être ordonnée, à la suite d'une mise en demeure d'un mois restée sans effet, par un arrêté préfectoral qui prescrit en outre l'exécution des travaux nécessaires pour assurer le libre écoulement des eaux, le tout sans préjudice de l'exercice des droits qui appartiennent à l'Administration pour la police des étangs, d'après les lois et règlements en vigueur. »

L'opposition locale, très restreinte, mais très agissante, ne se reposait pas. Elle disposait du Comice agricole de Trévoux : elle envoya en son nom une protestation que reçurent tous les députés et, le jour du vote, elle fit monter à la tribune un honorable député de la Charente-Inférieure, M. Gabriel Dufaure, pour nous combat-


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tre — on ne s'attendait guère à voir la Charente-Inférieure en cette affaire, mais il faut dire que M. Dufaure est le beau-frère du principal meneur de la campagne d'opposition..

De cette opposition, je n'en veux rien dire autre ici que ce que je lui ai dit, le 22 décembre 1897, du haut dé la tribune de la Chambre : il est inutile d'insister davantage, tout le monde est fixé. Ce que je disais et ce que je répète, le voici ;

a II y a, il est vrai, une opposition extrêmement restreinte. Et savez-vous de qui elle émane ? Elle émane de gens qui sont grands propriétaires d'étangs ; parmi les opposants, vous ne trouvez que des personnes possédant des étangs. Eh bien ! alors, si les étangs sont chose si détestable, s'ils sont tellement malsains au point de vue hygiénique, si leur existence est si déplorable au point de vue agricole, que ces propriétaires donnent donc l'exemple, qu'ils dessèchent leurs étangs ! Mais non, ils ne dessèchent pas ; la vraie raison de leur opposition, ils la donnent dans une lettre qu'on a envoyée à toute la Chambre. La voici :

« Il faut ajouter que le prix du poisson a baissé considérablement dans ces dernières années. La concurrence de la marée est de plus en plus redoutable, non seulement à Lyon, principal lieu de vente du poisson de la Dombes, mais partout, grâce aux facilités nouvelles données par les colis postaux. Multiplier la production d'une denrée dont le prix est déjà en baisse serait achever d'en préci piter le cours. »

« Ils disent : Si l'on fait d'autres étangs, on fera plus de poisson et on nous fera concurrence.

« Est-ce une raison valable? J'en appelle au bon sens de tous : c'est comm°, si, par exemple, ou défendait à un


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cultivateur d'avoir une vigne sur un coteau parce que sûn voisin cultive déjà une vigne et que celui-ci verrait baisser le prix de son vin parce qu'il aurait à subir une ' concurrence à côté de lui! » •

Du reste, grâce au très remarquable discours de mon collègue et ami Guillain, la proposition était votée à la formidable majorité de 426 voix contre 79, — une majo rite correspondant bien à celle des Dombistes qui réclamaient cette réforme, cette réforme qu'est obligé d'approuver tout esprit impartial et désintéressé.

Puisse cette modification législative apporter quelque nouvel élément de richesse et de prospérité à notre chère Dombes, à cette terre industrieuse, pareille à une petite Hollande enserrée entre le Rhône, la Saône et l'Ain ! Notre terre, la nature l'a placée comme en un carrefour des grandes routés des migrations et des'animaux et des hommes : c'est sur le fond de son ciel aux tons gris et bleus que se profilent, au printemps allant vers le nord, à l'automne allant vers le sud, les longues théories des oiseaux voyageurs, fendant les airs en des triangles rapides, cygnes, oies sauvages, outardes, grues et cigognes ; c'est sur son sol qu'ont passé d'autres migrateurs, mais ceux-là, souvent dévastateurs, — alors même qu'après eux ils apportaient l'oeuvre do civilisation humaine, — Cinabres et Teutons, cohortes d'Annibal et légions romaines, Hongres et Sarrazins. Et les migrateurs et la féodalité et les persécutions sanglantes du fanatisme religieux ont tour à tour dévasté et ruiné la Dombes. Ses robustes paysans, en un labeur opiniâtre et en une ténacité admirable, forts de l'éternelle jeunesse de leur vaillance, chaque fois, de ces ruines amoncelées, ont fait germer à nouveau la vie Puissent ils désormais, à l'ombre de nos lois républicaines et


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démocratiques, grandir et vivre en paix, faisant rendre à cette terre si ' poétique en ses horizons aux vapeurs d'or quand le soleil se couche vers les lignes bleues des montagnes lyonnaises, en ses lentes rivières, en ses étangs aux eaux miroitantes animées du vol de la multitude des oiseaux, en ses blancs bouleaux se profilant sur la rude verdure de ses chênes, faisant rendre à cette terre la richesse qui sera la juste rémunération de leurs vaillants efforts !

ALEXANDRE BÈRARD.


LE

SECOND ROYAUME DE BOURGOGNE

(Suite)

Deux inscriptions trouvées à Genève et qui paraissent remonter au second siècle de notre ère, nous apprennent que L. Julius Brocchus Valerius Bassus avait fait construire, à ses frais, pour l'usage des habitants de ce'viens (vihanis Genavensibus) , deux fontaines monumentales. Le généreux donateur appartenait à une riche famille gallo-romaine d'origine viennoise et nous voyons par le texte épigraphique qui nous a conservé le souvenir de sa munificence qu'il avait exercé les plus hautes fonctions publiques, non seulement dans la cité de Vienne mais encore dans celle des Equestres (1).

C'est ce même personnage qu'une inscription de Nyon nous montre élevant, dans cette ville, un monument à son fils Julius Ripanus Capito Bassianus (2).

Enfin, on voit encore à Prangins, to;.t près de Nyon, les restes du monument dédié à C. Julius Sedatus dummvir et prêtre d'Auguste de la cité Equestre; .ce personnage était inscrit dans la Tribu Voltinia,- si donc, comme le

(î; Allmer. lue. cit., n-* 223 et 224, t. II, p. 352; Mommsen, Inscr. Helcet., um 83, S't ; Corpus Inscripiionum Latinarwm, t. XII, nos 2G''0 et 2(i ;7 ; cf. Mommsen, loc. cit., n° 116. Sur l'origine gauloise du nom de liroccus,. vo.y. A. Holder, loc. cit., v,s Brocchus et Brocaus.

(2) Mommsen, hiscr. Helx., n° 116; Spon, loc. cit., t. If, p. 326; Allmer, loc. cit., n° 121. Fait à noter, cette inscription a été découverte dans la ville basse, au quartier de Rive {Ripa), du nom duquel semble bien dériver l'un des surnoms du fils de L. Julius Brocchus.


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croit M. Allmer, l'attache à cette tribu dénote une origine viennoise, le monument de Julius Sedatus nous fournirait un nouveau témoignage des relations qui existaient entre les cités de Vienne et de Nyon.

Ainsi nous avons la preuve que la cité Equestre se détacha de bonne heure de la cité des Helvètes à laquelle elle appartenait par ses origines, pour se rapprocher de plus en plus de Vienne et de Genève. Aussi bien il n'y a rien là qui doive nous surprendre : étant donnée sa situation topographique la cité Equestre, comme de nos jours le pays de Gex, n'avait pas d'autres débouchés que ceux que lui offrait la ville de Genève. Peu à peu l'union économique dut amener l'union politique et celte dernière était sans doute un fait accompli lorsque vers la fin du IVe siècle. Genève devint le siège d'un évéché de la province viennoise. On aurait ainsi l'explication toute naturelle du rattachement de la cité équestre au diocèse de Genève.

'Après avoir fait connaître quel était, au déclin du IVe siècle, l'état politique des pays qui formèrent par la suite le Royaume de Bourgogne jurane, il me reste à rechercher quelle était leur situation au point de vue ecclésiastique.

On dit communément que l'Eglise a calqué son organisation sur l'organisation administrative de la Gaule, av. temps de l'empire romain (1). A peu près exacte, si l'on considère l'état ecclésiastique des Ve et VIe siècles, cette formule a le tort de sembler dire que l'organisation épiscopale fut conçue et réalisée en quelque sorte tout d'une pièce, alors qu'en réalité elle est l'oeuvre patiente et successive d'un grand nombre de générations chrétiennes.

(t) E. Desjardins, loc. cit., t. III, p. 417, et B. Guérard, Estai sur le système des divisions territoriales de la Gaule, p. 47.


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A l'origine, les chrétiens disséminés à travers l'Aquitaine, la Celtique, la Belgique et les deux Germanies ne formaient qu'une seule communauté religieuse, sous là. direction de l'évêque de Lyon. Evangélisée par saint Pothin, disciple du Snryrniote Polj'carpe, vers le milieu du IIe siècle, la capitale politique et religieuse des Très Provïncise d'Auguste était devenue le siège d'une Eglise célèbre qui groupa sous son autorité, pendant plus d'un siècle, toutes les petites chrétientés éparses du Rhône aux Pyrénées, des Cévennes à l'Océan (1).

Dans la seconde moitié du IIIe siècle, quand la religion nouvelle eut augmenté le nombre de ses adeptes, on reconnut la nécessité de placer un évêque à la tête de chaque métropole civile, et comme cela ne suffisait pas encore, il fallut établir deux, puis trois évêques dans les limites d'une même province. Cette réforme était en voie de s'accomplir, lorsqu'en 314 s'assembla le concile d'Arles. Des dix provinces qui correspondaient aux Très Provincial d'Auguste, cinq n'ont pas d'autre représentant à cette assemblée que l'évêque de la métropole, cesont : la Novempopulanie (Eauze), la seconde Lj^ounaise (Rouen), la première Belgique (Trêves), la seconde Belgique (Reims) et la seconde Germanie (Cologne) ; deux sont représentées par l'évêque de la métropole et pnr l'évêque d'une autre cité, ce sont : la première Lyonnaise (Lyon et Autun) et l'Aquitaine (Bordeaux et Javols) ; enfin la Première Germanie, la Séquanaise et les Alpes-Grées et Pennines ne sont pas représentées du tout, apparemment

(1) Ducliesne. ibid.,t.' I, p. 38, 7, 32; E, Renan, l'Eglise chrétienne, p. 467 et suiv. ; T. Ruinart, Acta martyr uni, édit. de Ratisbone, p. 107, et surtout Eusùbe, Historia Ecclésiast. lib. V, cap. I et seqq.


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parce qu'elles n'avaient pas encore d'églises autonomes au commencement du IVe siècle (1).

Par la suite, le nombre des petites chrétientés locales allant sans cesse en augmentant, toutes les cités finirent par être pourvues d'un évêque et l'on en plaça même dans certaines localités d'un ordre inférieur, comme les castra et les vici (2).

Dans la Gaule Narbonnaise les choses durent se passer à peu près de la même façon, à cette différence près qu'il paraît y avoir eu, dans cette région, plusieurs églises mères et. qu'en général ces églises essaimèrent plus tôt que celles de Lyon (3).

Ces données générales sur la fondation des églises une fois admises, voyons quelles sont les conséquences qui en découlent par rapport aux origines des diocèses qui se partageaient le second royaume de Bourgogne.

Une légende bourguignonne qui paraît dater, dans son texte actuel, de la première moitié du IVe siècle, (4) nous raconte que, vers l'an 212, saint Iréuée chargea le prêtre lyonnais Ferréol et le diacre Ferrutius d'aller à Besançon

(1) lïardouin, Acta Conciliorum, t. I, e. 259; cf. E. Desjardins, loc. cit., t. III, planches X et XIX.

(2) Sur la marche suivie par l'organisation épiscopale en Gaule, voyez le beau travail do M. l'abbé Duchesne : les Fastes ('piscopaux de l'ancienne Gaule, t. Ier. Les listes épiscopales dont une seule, celle de Lyon, remonte jusqu'au II" siècle, le témoignage des contemporains les [dus autorisés et enfin l'analogie offerte par le mode de développement des Eglises dans la Gaule Cisalpine, tels sont les principales raisons qu'invoque, à l'appui de sa thèse, l'éminent directeur de l'Ecole Française de Rome.

(3) M. l'abbé Duchesne considère comme établie l'existence des églises de Nai-bonne/ d'Arles, de Marseille, do Toulouse et de Vienne, dès le milieu du IIIe siècle (Fastes Episcopaux de l'ancienne Gaule, t. I, p. 74, 76, 77).

(-1) Duchesne, loc. cit., t. 1, p. 52-54.


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« fonder l'église » ad fundandara ecclesiam (1). La légende de S. Ferréol est étroitement apparentée aux légendes relatives à la fondation des Eglises d'Aulun et de Langres;' ces divers récits sont l'oeuvre d'un hardi faussaire du VIe siècle : il va de soi qu'ils ne méritent aucune confiance et que, par exemple, on se tromperait certainement en reportant aux premières années du IIP siècle la création des chrétientés dont ils ont la prétention de raconter l'histoire. Au point de vue où je me place, ils n'en sont pas moins précieux à consulter, en ce sens qu'ils nous font connaître qu'elle était, au milieu du VI 6 siècle, c'est-à-dire à une époque relativement voisine de celle où fut établie l'église de Besançon, l'idée qu'on se faisait, dans la région lyonnaise, du développement ecclésiastique en Gaule. On y voit clairement que les contemporains des rois Burgondes avaient gardé le souvenir d'un temps où l'église de Besançon, comme les églises d'Autun et de Langres, étaient gouvernées par de simples prêtres attachés au diocèse de Lyon (2).

Pour Autun et Langres cet état de choses ne paraît pas s'être prolongé bien longtemps. Autun dut apparemment à sa qualité d'ancienne métropole de la puissante cité des JEdui d'être dotée d'une église autonome dès les premières années du IVe siècle; c'est du moins ce que l'on est droit de conclure de la présence' au concile de Rome, en 312, et à celui d'Arles, en 314, de son évêque

(1) SS. Ferréol et Ferjeux, Acta SS. 16 jun. t. III, p. 7; cf. Grégoire de Tours, Liber in gloria Martyrum, cap. 70, édit. Arndt, p. 535, et Gallia christiana, t. XV, col. 3.

(2) Duchesne, loc. cit., t. I, p. 48-35 "

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Reticius, le plus ancien que l'on connaisse (1). La création de l'église de Langres date, sans doute, du milieu du IVe siècle (2). Pour Besançon, au contraire, soit que l'évangélisation y ait commencé plus tard, soit que le rattachement à l'église de Lyon y ait duré plus longtemps, le premier évêque dont l'existence soit attestée autrement que par un catalogue sans valeur du xvie siècle, est l'évêque Chelidonius qui fut déposé, vers 444, par Hilarius d'Arles (3) ; donc on serait sans doute, bien près de la vérité en datant la création de l'église de Besançon du premier quart du Ve siècle (4).

Si maintenant nous nous demandons quelle était au temps où fut dressée la Notilia Provinciarum, la situa(1)

situa(1) Acta C'onciliorum, t. I, col. 259 et suiv. ; Grégoire de Tours, Liber in gloria confessorum, cap. 73-75, édition Arndt p. 746, 791, 792 ; Duchesne, loc. cil. p. 8. L'existence des deux prédécesseurs donnés ù Reticius par le Gallia Christiana, (t. IV, c. 326) n'est rien moins que prouvée.

(ï) Gallia Christiana, t. IV, c. 510 et Duchesne, ibid. p. 8.

(3) Gallia Christiana, t. XV, c. 9; Jafïé, Règesta pontificum romanorum, n° 407 ; J. Sirmond, Concilia antiqua Gallioe, t. I, p. 80. La lettre du pape Léon Ier aux évêques de la Viennoise n'indique pas le siège de Chelidonius ; c'est l'auteur anonyme de la vie des Saints Romani et Lupicin qui nous apprend que Chelidonius était évoque de Besançon (Bolland. Acta SS. t. III i'ebruai-ii, p. 742, et B. Ki-usch, Passiones citxquc sanctorum oevi Merovingici, p. 134 et 135, dans les Monumenta Germamoe historica.

(4) Il est à remarquer que l'Eglise de Besançon ne l'ut représentée à aucun des conciles du ive siècle ; le Gallia Christiana (t. xv. c. 6) nous dit, il est vrai, qu'un évêque bisontin du nom de Paneharius se fit représenter au concile de Cologne, en 346, mais on sait que les actes de ce prétendu concile sont un faux de l'époque carolingienne.


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tion ecclésiastique des districts qui formèrent par la suite le doyenné de Ceyzérieu, au diocèse de Genève, comme ce diocèse ne remonte certainement pas à une date sensiblement antérieure à l'an 400, il en résulte que jusqu'à cette époque, la Michaille et le Valromey firent partie intégrante du diocèse de Vienne, fondé comme oh sait vers l'an 250 (1).

Reste le pays de Gex dont le territoire dépendait originairement de la cité des Helvètes et qui en fut détaché au temps de César ou, au plus tard, sous le dernier triumvirat, pour être incorporé à la Colonia Equestris (2). Nous avons vu plus haut que dès le IIe siècle, la Colonia Equestris avait été élevée au rang de civitas que lui reconnaît la Notice des Provinces ; rattachée sous Dioclétien à la province des Alpes Graioe et Poeninoe, elle se trouvait placée, au début du Ve siècle, dans la Grande Sèquanie (Maxima Sequanorum). Quelle était à cette époque sa situation au point de vue ecclésiastique ?

Le P. Chiffiet dont l'opinion a été adoptée, non sans certaines réserves, par M. Hauréau, prétend que la Civitas Equestrium devint de très bonne heure le siège d'un évèché mais que Nyon ayant été détruit de fond en comble (?), ses évêques abandonnèrent l'Helvétie pour se retirer dans le bourg séquane de Belley. L'érudit bisontin

(1) Duchesne, loc. cit. t. I, p. 76, 146, 222.

(2) Th. Mommsen, hiscriptiones Helveticoe, p.18; Gingins-laSarra, Histoire de la cité et du canton des Equestres, dans les Mémoires et Documents publiés par la Société d'histoire de la Suisse Romande, t. XX, p. 32, 76 ; Spon, Histoire de Genève 2e édition, t. II, p. 300 : Dissertation de F. Abauzit sur la colo nie équestre ; cf. ibid. p. 384,


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conjecture que cette translation de siège eut lieu sous l'épiscopat d'Audax , aux alentours de l'année 412(1). D'après une autre conjecture qui n'a pas de base plus solide que la première, l'évêque bisontin Amantius qui. vivait au début du VIe siècle, aurait transféré à Nyc-n, sur les rives du Léman, le siège métropolitain de la Séquanie, après la destruction de Besançon par les Huns (2). La vérité est que l'on ne sait absolument rien de l'Eglise de Nyon et que son existence même n'est rien moins qu'établie.

Quant à l'Eglise de Belley, son premier évêque certain est Vincent que l'on voit assister au concile de Paris en 555 et à celui de Lyon en 567. Ce prélat occupe le quatrième rang sur les listes épiscopales du diocèse de Belley qui se trouvaient, au xvne siècle, aux archives de la cathédrale de Besançon (3) ; par conséquent, alors même que l'authenticité de ces listes serait prouvée, ce qui n'est pas, il faudrait reconnaître que la fondation de l'Eglise de Belley ne peut guère remonter au delà du dernier quart du Ve siècle. Dans Tlrypothése la plus favorable, l'origine de cette église serait donc postérieure de plus d'un demi siècle à la date que le P. Chifîlet et d'après lui M. Hauréau assignent à la prétendue translation du siège de Nyon à Belley.

Lorsqu'on va au fond des choses, on s'aperçoit bien vite que l'unique argument qui se puisse invoquer en

(1) Gallia. Christiana, t. xv, col. 603.

(2) Dunod, cité par le Gallia Christiana, t. XV, cil.

(3) S. Guichenon, Histoire de Bresse et de Dugey, 2° partie, continuation, p. 36 ; Gallia Christiana, t. XV, c. 603.


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faveur de l'existence d'un évêché à Nyon est celui qui découle de la règle de concordance des divisions ecclésiastiques avec les divisions civiles de la Notilia Provinciarum. Mais cette règle n'a rien, d'absolu et l'histoire ecclésiastique nous montre que certaines cités perdirent leur autonomie et furent incorporées à des cités voisines avant d'avoir eu le temps de devenir le siège d'un évêché. C'est ce qui est arrivé notamment aux cités des Diablintes, des Boiates et des Bonionenses (1). La civitas Equestris a pu subir le même sort et il n'y aurait assurément rien d'impossible à ce que, dès la seconde moitié du IVe siècle, elle ait été réunie à la cité de Genève avec laquelle nous l'avons vue entretenir, sous le Haut-Empire, d'excellentes et étroites relations de voisinage

Mais alors même que l'existence d'un siège épiscopal à Nyon serait établie autrement que par de simples hypothèses, il resterait encore à 'prouver que ce siège a été transféré à Belley : or c'est là ce qu'on ne saurait faire. Sans doute, à partir de l'époque où l'évêché de Belley apparaît dans l'histoire, on ne trouve aucune trace du prétendu diocèse de Nyon, mais on n'en trouve pas davantage pour l'époque antérieure. D'un autre côté, le siège de Nyon, si tant est qu'il ait jamais existé, n'a-t-il pas pu disparaître de bonne heure et son territoire être réuni à celui du diocèse de Genève, bien des années avant la création du siège de Belley. Ce ne serait point là un fait absolument exceptionnel puisque dans le courant du Ve siècle, pareille chose est arrivée aux sièges de Thorame,

(1) Duchesne, loc, cit. t. I, p. 10, 24, 29 ; Longnon, Géographie historique de la Gaule au VI» siècle, p 315, 413 et 420.


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de Castellane et de Cimiez qui, après une existence éphémère, furent rattachés à des diocèses voisins (1).

Si je me refuse à admettre le prétendu transfert du siège de Nyon à Belley ce n'est pas, bien entendu, que je conteste la possibilité d'une mesure de ce genre ; je n'ignore pas, en effet, que lès changements de résidence épiscopale sont chose assez fréquente durant les premiers siècles de l'Eglise. C'est ainsi, pour n'en pas citer d'autres exemples, que l'évêché delà cité des Helvii (Vivarais)fut transféré d'Aps [Alba) à Viviers, dans la première moitié du Ve siècle (2) et que celui de la cité des Vallenses passa, un siècle plus tard, de Martigny (Octodurumj à Saint-Maurice, puis à Sion (3) ; c'est ainsi également que dans le courant du VIe siècle, le siège épiscopal d'Avenches fut transporté à Lausanne (4). Mais si le siège de Nyon avait été, ainsi qu'on le dit, transféré à Belley, l'évêque de cette ville n'aurait vraisemblablement pas manqué de conserver son autorité sur l'ancienne cité des Equestres, tout comme les prélats de Viviers, de Sion et de Lausanne continuèrent à exercer leur pouvoir épiscopal sur les localités où ils' avaient eu leur résidence primitive ; or on ne voit pas que les évéques bugistes aient jamais, je ne dis pas administré, au point de vue religieux, la ville de Nyon, mais simplement exercé dans aucune des paroisses comprises dans les limites du pays des Equestres, un de ces droits de collation ou patronage que l'on pourrait consi(1)

consi(1) loc. cit. t. I, p. 285.

(2) Duchesne, t. I, p. 231 ; Gallia Chrtsiiana. t. XVI, c. 543.

(3) Duchesne, t. I, p. 239; Gallia Christiana, t. XII, c. 314, E. F. von. Mulinen, Helvetia Sacra, Ir" partie, p. 24.

(4) F. Forel, [\egeste de la Suisse Romande, nos 21 et 31.


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dérer, à la rigueur, comme une dernière épave de leur autorité pastorale évanouie. Tout au contraire, aussi haut que nous permettent de remonter les documents qui nous sont parvenus , le territoire de l'ancienne colonie des Equestres nous apparaît rattaché au diocèse de Genève (1).

Cette anomalie n'a pas laissé d'intriguer quelque peu les érudits locaux qui s'entêtent à voir dans le siège de Belley un succédané de celui de' Nyon, mais ils s'en sont tirés en alléguant, sans en apporter d'ailleurs la moindre preuve, je ne sais quel échange de territoire entre le métropolitain de Vienne et celui de Besançon. A les en croire, la portion de l'évêché de Belley située sur la rive gauche du Rhône aurait été cédée à la province de Besançon par l'évêque de Vienne, au temps où la cité Equestre fut réunie au diocèse de Genève, c'està-dire, apparemment, au début du Ve siècle. Il faut reconnaître que c'eût été là un échange véritablement original : c'est le diocèse de Genève qui s'agrandit et ce sont les diocèses de Grenoble et de Vienne qui devront dédommager, à leurs dépens, le métropolitain de Besançon, alors qu'il eût été à la fois si légitime et si simple de rattacher au diocèse de Belley les districts que le diocèse de Genève possédait sur la rive droite du Rhône, dans la Michaille et le Valromey. Mais il y a mieux : d'une part, en effet, divers documents diplomatiques établissent, ainsi que nous le verrons bientôt, que les acquisitions du diocèse bugiste dans les comtés de Grenoble et de Sermorens ne

(1) Pardessus, Diplomata, t. I, p. 70 et 71 ; Historié pairiie mo numenta, t. II, Çhartarùm, n° 67.


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peuvent guère remonter au delà du IXe siècle (1) et d'un autre côté, il n'est pas possible de s'arrêter un seul instant à l'hypothèse d'un traité passé, vers l'année 412, entre le métropolitain de Vienne et celui de Besançon, par la raison toute simple qu'à cette époque la province ecclésiastique de Besançon n'existait pas encore.

Cette dernière affirmation est à ce point contraire aux idées généralement reçues par les érudits locaux qu'il convient, pour la justifier, d'entrer dans quelques détails sur le développement du pouvoir métropolitain dans l'ancienne Gaule. Au VIIIe siècle, nous voyons qu'un évêque a été placé à la tête de chaque cité et qu'au chef-lieu de chaque métropole se trouve un prélat d'un ordre plus élevé qui a pour principale mission d'ordonner les évêques de sa province et de les réunir en synode, pour traiter avec eux les questions de discipline ecclésiastique; mais il s'en faut de beaucoup qu'il en ait toujours été ainsi. Au rebours de ce qui s'était passé pour le culte de Rome et d'Auguste qui paraît bien avoir eu à l'origine un caractère provin(1)

provin(1) notamment le' diplôme concédé, en 866, par Lothaire II à la reine Theudberge, apud D. Bouquet, t. VIII, p. 412f ce diplôme place Novalaise et Meyrieux dans le pagus Gratianopolitanus ; voyez également le diplôme concédé, en 885, à l'Eglise de Lyon par Charles-le-Gros : il ressort de ce document qu'à l'époque où il fut rédigé, Fitilieu (FisliliacuinJ appartenait encore au pagus Salmoriacensis, c'est-à-dire au diocèse de Grenoble, (D. Bouquet, t. IX, p. 339); cf. ibidem, t. VIII, p. 409, le diplôme, sans date, de Lothaire II et la charte de la fin du Xe siècle do l'évêque de Belley, .Odo (Bibl. Nation, mss. Baluze, t. LXXV, p. 334.)


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cial (1), l'organisation du pouvoir êpiscopal précéda celle du pouvoir métropolitain et ce n'est qu'à une époque relativement tardive qu'on s'avisa de grouper les évêques d'une même province civile sous l'autorité de l'évêque de la métropole; pendant longtemps il n'y eut pas d'autre autorité au sein de l'épiscopat que celle du plus ancien évêque de la région (2). Comme de raison, c'est dans l'ancienne Narbonnaise où le développement êpiscopal avait été plus hâtif que dans le reste de la Gaule., que l'on cons(1)

cons(1) Manuel des Institutions romaines, p. 556. Sur le culte provincial de Rome et d'Auguste voyez, pour les Trois-Gaules, Dion Cassius 54, 32; Strabon 4, 3, 2, et E. Desjardins, loc. cit. III, 186, — pour la Narbonnaise, Corpus Inscriptionum Latinarum, t. XII, n" 3275 ; — pour les Deux Germaines, Tacite, Annales, XII, 27; E. Desjardins, Géogr. de la Gaule d'après la Table de Pentinger, p. 49-52 ; — pour la province des Alpes-Maritimes, C. I. L. t. XII, n° 81 et t. V, nos 7907 et 7917; — pour la province des Alpes Cottiennes qui correspond à la province ecclésiastique de Tarentaise, C. I. L, t. V, n° 7259. Quant au culte municipal-'de Rome et des Empereurs, d'innombrables inscriptions permettent d'affirmer qu'à l'époque gallo-romaine chaque cité avait à sa tête un prêtre d'Auguste (sacerdos ou flamen AugustiJ chargé de présider aux cérémonies do la religion officielle. De même que les liamincs provinciaux, les flammes municipaux étaient élus parle peuple. Cf. E. Desjardins, loc. cit. t. III, p. 417.

(2; Duchène, t. I, p. 115. — Le concile tenu à Arles, en 314' dans la décision qu'il prit au sujet des ordinations épiscopales, ne fait pas mention du métropolitain ; il dit simplement que ces ordinations ne pourront être faites qu'en présence de sept ou, à tout le moins, de trois évêques, sans même exiger que ces évêques appartiennent à lamêrne provineeque l'évêque ordonné. (J. Sirmond, Concil. antiq. t. I, p. 3); cf. Jaffé, n°s 333, 334, 340 et 341.


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tate les premières manifestations du nouvel ordre de choses (1). En 417, à l'époque où eut lieu la tentative malheureuse du pape Zozime pour faire d'Arles la succursale de Rome, de ce côté-ci des Alpes, l'organisation du pouvoir métropolitain était déjà un fait accompli dans la province de Vienne et dans les deux Narbonnaises (2). Zozine mort, il ne fut plus question à Rome, pendant quelque temps du moins, de la primatie arlésienne : le pape Boniface Ier s'y montra même décidément hostile et nous le voyons reprocher sévèrement à l'évêque de Narbonne, Hilaire, d'avoir laissé l'évêque d'Arles placer un étranger sur le siège de Lodève, « contrairement aux règles canoniques et au mépris de ses droits de métropolitain, proetermisso metropolitano, conlrà po.trum régulas ». (3) Quelques années plus tard, le 26 juillet 428, le pape Célestin adressait aux évêques des provinces de Vienne et de Narbonnaise une lettre circulaire qui portait défenses expresses aux métropolitains de rien entreprendre en dehors de leurs provinces respectives (4).

Malgré ces manifestations réitérées de la volonté de Rome, le. successeur de Patrocle sur le siège d'Arles, le

(1) Les pères du Concile d'Aquilôc assemblés, comme on sait, en 392, écrivirent aux évêques de la Province de Vienne et à ceux des deux Narbonnaises pour leur donner connaissance des décrets rendus contre Palladius, l'auteur de l'hérésie arienne. (J. Sirmond, Concilia, anliqua Gallia', t. I, p. 20).

(2) Jaffé, Regesta Ponti/icum romanorum, 2"édit., nuî 332, 334, 328 et 333. Sur la tentative éphémère du pape Zozime, voyez M. l'abbé Duchesne, les Fastes Episcopaux de l'ancienne Gaule, t. I, p. 84-106.

(3) Jaffé, a» 302; J. Sirmond, Concil. t. I, p. 49. (-1) J. Sirmond, Concil., t. I, p. 55 ; Jaffé, u" 109.


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vénérable mais remuant Hilaire, afficha la prétention d'ordonner tous les évêques de la Gaule. Il se heurta à l'opposition inébranlable de la curie romaine qui maintint énergiquemeut le principe que chaque province devait avoir son métropolitain et que nul métropolitain ne devait empiéter sur les droits des autres (1). En ce qui concerne l'ancienne province romaine, on peut donc tenir pour établi que le pouvoir métropolitain y fut organisé dès la seconde moitié du IVe siècle.

Si malgré l'action énergique de la papauté, le pouvoir métropolitain eut quelque peine à s'établir dans la- Gaule Narbonnaise où cependant le développement rapide de l'épiscopat dut eu faire sentir d'assez bonne heure l'utilité, on conçoit aisément à quelles difficultés de toutes sortes se heurta l'organisation provinciale dans les 2\ es Provincial. A part la lettre du pape Innocent Ier à l'évoque de Roueu, Victricius, lettre qui nous fait connaître les desiderata de la cour de Rome bien plutôt que l'état de choses existant en Gaule au début du Ve siècle (1), je ne crois pas qu'il existe aucun document nous permettant de conclure d'une façon certaine au fonctionnement du pouvoir métropolitain dans les Trois Gaules avant le milieu de ce même siècle. Il est à présumer que grâce à sa situation

(1) Voyez la lettre du pape Léon Ier aux évêques de la province de Vienne, (J. Sirmond , Concil. antiq Gall., t. I, p. 80, ut Jaffé, Regesta Pontificum romanorum, n° 407) ; cette lettre est datée de l'année 445. Voyez également la lettre adressée par le même pape, en 458 ou 459, à Rusticus, évêque de Narbûiino (Jaffé, n° 54i) et le canon VII du concile de Riez, tenu en 439, (Har.douin, Acta conciliorum, t. I, col. 1747).

(2) Jaffé, n° 280 ; Bulle du 15 février 404. J. Sirmond, Concil. Gall., t. I,p 307.


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exceptionnelle d'ancienne capitale politique et religieuse, Lyon dut être la première et pendant quelque temps l'unique métropole des Gaules; du moins l'évêque de cette ville, saint Eucher, est-il le seul des évêques de ce paj^s qui assista au concile d'Orange de 441, et l'on voit clairement par sa souscription aux actes sjaiodaux, qu'il ne s'y était point rendu uniquement à titre d'évêque de Lyon mais aussi comme délégué des évêques de sa province, sacerdotes comprovinciales (1). Malheureusement, il n'est pas aisé de savoir ce qu'il faut entendre au vrai par ce terme d'évêques co-provinciaux.

La IIIe Lyonnaise dut être organisée en province ecclésiastique, sous l'autorité de l'évêque de Tours, dans la première moitié ou vers le milieu du Ve siècle: cette organisation était un fait accompli, lorsque vers l'année 465, l'évêque Perpetuus se rendit à Vannes, accompagné de quatre suffragants, pour procéder à l'ordination de Paternus qui venait d'être élu évêque de cette ville (2). Durant la seconde moitié du Ve siècle, divers documents nous montrent le pouvoir métropolitain fonctionnant régulièrement dans les provinces de Sens (3),

(1) Hardouin, Acta Conciliorum, t. I. c. 1760. Cf. Sidoine Appolinaire, Epislolse, lib. IV, ep. 25 et dans l'édition Nisard, lettre 30, p. 78 II est question, dans cette lettre, de la consécration de Jean à l'évêché de Châlon, vers 470, par l'évêque de Lyon, Patiens, et les autres évêques de la province, provinciales sacerdotes. Cf. Gallia Christiana, t. IV, col, 802.

(2) Hardouin, Acta Conciliorum, t II, col. 795.

(3) Voyez la lettre de Sidoine Apollinaire à Agroecius, métropolitain de ia Sénonaise, Senonioe caput (Sidonii Apollinaris epistoLv, édition Nisard, epist. 67),


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de Bourges (l) et de Reims (2). Au début du siècle suivant, les actes des conciles d'Agda (506) et d'Orléans (511) attestent l'existence des métropoles de Bordeaux, d'Eauze et de Rouen (3). Enfin, quelques années plus tard, au concile d'Orléans de 549, nous voyons l'évêque des Trêves siéger au rang des métropolitains (4).

En résumé, au milieu du' VIe siècle, sur les dix-sept provinces civiles de la Notice, onze seulement avaient été érigées en provinces ecclésiastiques (5). Les six provinces dont- les métropoles civiles n'avaient pas encore rang de métropoles religieuses étaient la seconde Narbonnaise, les deux provinces alpestres des Alpes-Maritimes et des Alpes Grées et Pennines, les deux Germanies et la Province des Sequanes (Provincia Maxima Sequanorum).

La province d'Aix qui équivaut à la seconde Narbon(1)

Narbon(1) de Sidoine Apollinaire à .Perpetuus {ibidem, epist. 69) ; cf. la lettre de Sidoine à Euphronius, évêque d'Autun, de 450 à 475 environ (ibidem, epist. 68) ; ces lettres ne peuvent être antérieures à l'année 472. Voyez aussi Gallia, Christiana, t. II, col. 7 et les actes du concile d'Angers de 453 environ, apud Hardouin, Acta Conciliorum, t. II, c. 777.

(2) Cf. la lettre de Saint Remy a l'évêque Falcon qui occupa le siège de Maastricht de 495 à 512, apud Bouquet, t. IV, p. 53.

(3) Hardouin, Acta Conciliorum, t. I, col. 10C6 et F. Maassen, Concilia, Mci Merovingici, p. 8 et Prooemium, p. 12.

(4) F. Maassen, loc. cit., p. 108. Cf. le fragment de chronique publié par Bouquet, t. III, p. 365.

(5) Ce sont les quatre Lyonnaises (Lyon, Rouen, Tours et Sens), les deux Belgiques (Trêves et Reims), la Viennoise qui fut dédoublée pour former, les provinces ecclésiastiques de Vienne et d'Arles, les deux Aquitaines (Bourges et Bordeaux), la Novempopulauie (Eauze) et la Première Narbonnaise (Narbonne).


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naise ne paraît pas avoir été constituée définitivement avant la fin du VIIIe siècle (1). Pour ce qui est des deux Germanies, nous savons que sur la demande de l'évêque Boniface, le pape Zacharie les réunit en une seule province ecclésiastique, dans le courant de l'année 745, avec Cologne pour métropole. Trois ans plus tard, des difficultés s'étant élevées entre Boniface et les princes Francs, le pape transféra le siège métropolitain à Mayeoce (2). Longtemps réunie à la province de Vienne, la province des Alpes Grées et Pennines en fut détachée, vers la fin du VIIIe siècle, pour former une province ecclésiastique autonome qui comprenait, avec le siège métropolitain de Tarentaise, les évêchés de Sion et d'Aoste (3). C'est apparemment de la même époque qu'il faut dater la constitution en province religieuse de l'ancienne province des Alpes Maritimes qui jusqu'alors avait dépendu de la métropole d'Arles (4).

Quant à la province Séquane, les actes des Conciles de

(11 L'abbé Duchesne, loc. cit., t. I, p. 271 ; Cf Jaffé, n» 369.

(2) Jaffé, numéros 2273, 2274, 2286 et 2298; D. Bouquet, t. IV., p. 95 et 97 ; Brève Chronicum, aqud Bouquet, t. III, p. 3g3 et Vie de saint Boniface, ibidem, t. III, p. 066.

(3) Jaffé, iios 450 et 765; la métropole de Tarantaise se trouve mentionnée dans le testament de Charlemagne qui nous a été conservé par- Eginhard ; cf. D. Bouquet, t. V, p. 102.

(4) Sur le rattachement de la province des Alpes-Maritimes à la piovince d'Arles voyez, notamment, les souscriptions aux conciles d'Arles (524) et de Carpentras (526), apud J. Maassen, Concilia Ai ci Meroringici, p. 29, 37, 41. A l'époque où la domination hurgonde s'étendait jusqu'à la Durance, Embrun paraitavoir reconnu l'autorité du métropolitain de Vienne ; voyez sur ce point les souscriptions au concile d'Epaonue (517), apud


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l'époque Mérovingienne vont nous permettre de'déterminer., à deux ou trois années près, la date exacte de son élévation au rang de province ecclésiastique.

Tout d'abord il paraît certain qu'en 517, à l'époque où se réunit le concile d'Epaone, Besançon et Windisch reconnaissaient l'autorité du métropolitain de Lyon (1). Les lettres de convocation à ce concile furent lancées, en effet, les unes par l'évêque de cette ville, les autres par l'évêque de Vienne(2). Or comme parmi les membres du concile on voit figurer un certain nombre de prélats des futures provinces de Besançon, de Tarentaise et d'Embrun, il est naturel de penser que les évêques de ces deux dernières provinces furent convoqués par le métropolitain de Vienne, tandis que ceux de la province Séquane reçurent leur invitation du métropolitain de Lyon (3). D'un autre côté, on sait qu'à partir du VIe siècle l'habitude s'établit de faire signer les métropolitains les premiers aux actes synodaux; rien n'est donc plus facile que de savoir à quelle époque la province Séquane fut érigée en province ecclésiastique : il n'y a pour cela qu'à parcourir les listes de souscriptions aux conciles mérovingiens ; nous y verrons que le prélat bisontin signa, au rang des simples évêques, aux conciles

Maassen, ibidem, p. 30. C'est dans le testament de Charlemagne que l'on voit, pour la première fois, le titre de métropole donné au siège d'Embrun.

(!) Cf. Gallia Christiana, t. IV, col. 242; sur le siège do Windisch, voyez dans le Bulletin de la Société des Antiquaires de France, 1888, p. 193, une communication de M. l'abbé Duchesne.

(2kMaassen, Concilia, p. 17 et 18.

(3) F. Maassen, Concilia Mvi Merovingici, p. 17 ; cf. Gallia Christiana, t. IV, col. 243, note c.


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d'Epaonne (517), de Lyon (523 et 570), d'Orléans (549), de Paris (542 et 573), de Màcon (583 et 585) et de Clichy (627) (1) ; par contre, au concile de Reims, qui s'assembla entre les années 627 et 630 et à celui de Chalon dont la réunion se place entre les années 639 et 644, l'évêque de Besançon souscrivit immédiatement après les métropolitains (2). Nous avons ainsi la preuve certaine ques% Grande Séquanie ne fut pas érigée en province ecclésiastique avant le second quart du VIIe siècle, plus de deux siècles par conséquent, après le prétendu traité en vertu duquel aurait eu lieu le transfert du siège de Nyon à Belley.

En résumé, la thèse qui fait de Têvêché de Belley le succédané de l'évêché de Nyon se heurte aux impossibilités que voici :

1° C'est vers 412, à en croire le P. Chifflet et M. Hauréau, que le siège de Nyon aurait été transféré à Belley ; or quand bien même on ajouterait foi aux catalogues de Besançon, il ne serait guère possible de faire remonter la création de l'évêché de Bellejr au delà du dernier quart du Ve siècle ; 2° L'hypothèse d'uu traité passé au commencement du Ve siècle entre le métropolitain de Vienne et celui de Besançon est inadmissible puisque ce n'est que dans le second quart du VIP siècle que la province Séquane a été érigée en province ecclésiastique ; 3" Nous verrons bientôt que les acquisitions de l'évêché de Belley sur la rive gauche du Rhône sont postérieures

(1) F. Maassen, loc. cit., p. 17, 34, 141, 108, 117, <48, 100, 172 et 200.

(2i F. Maassen. loc cit. p. 203 et 213.


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de près de cinq siècles au prétendu traité d'échange imaginé par certains érudits pour expliquer le rattachement de l'ancienne cité des Equestres au diocèse de Genève ; 4° L'existence du diocèse de Nyon n'est nullement établie.

Telles sont les raisons qui m'empêchent de croire à la translation du siège de Nyon à Belley. Pour moi, les choses se sont passées d'une façon infiniment plus simple. Au commencement du VIe siècle, à une époque où l'Eglise avait à lutter contre l'hérésie arienne encore viyace dans la Burgondie, on jugea, à bon droit, qu'un pays d'une aussi vaste étendue que l'ancienne cité des Séquanes, où les communications étaient rares, dangereuses et difficiles, ne pouvait plus être administré par un seul évêque ; on en démembra donc la partie méridionale pour en former un diocèse particulier dont le siège fut placé au chef-lieu dg l'ancien vicies galloromain de Belley (Bellicium) qui était devenu, à l'époque Burgonde, une ville fortifiée (castrum) d'une certaine importance (1).

L'histoire du développement ecclésiastique en Gaule, nous offre d'ailleurs plusieurs exemples de formations diocésaines obtenues exactement de la même manière. C'est ainsi que dans la première moitié du Ve siècle, la portion septentrionale de la cité de Nimes fut érigée en diocèse avec, pour chef-lieu, Uzès qui à l'époque où fut rédigée la Notice des Provinces n'était qu'un simple

(1) La légende de Saint Domitien qui paraît dater dans son texte primitif du milieu du vie siècle donne encore à Belley lo titre de Castrum Bellicense, (Guichenon, Histoire de Bresse et de Bugey, preuves, p. 231).

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castrum (1). A quelque temps de là, c'est la cité d'Autun à laquelle on enlève le territoire du Castrufn Cabilonense (Chalon-sur-Saône), pour en faire un diocèse autonome (2) ; puis c'est la cité d'Auxerre dont on détache le diocèse de Nevers, dans les premières années du VIe siècle (3). Enfin, dans le second quart de ce même siècle, à

(1) L'abbé Duchesne, loc. cit. t. I, p. 303.

(2) Le premier évoque de Chàlon dont l'existence soit certaine n'apparaît pas avant 470. Cf. Gallia Christiana,, t. IV, p. 861 et Sidoine Apollinaire, Epist. IV, 25, édition Nisard, lettre 30, p 78.

(3) Si comme cela est généralement admis, le Noviodunum AEduorum de César (lib. VII, cap. 55) doit être identifié avec le Nevirnum de l'Itinéraire d'Antonin, il en faut conclure que le diocèse de Nevers avait été formé au détriment de deux cités distinctes : la cité d'Auxerre et celle des Aidui, et s'il est vrai, comme on le croit aussi, que la cité d'Auxerre ait été démembrée de celle des Senones, nous aurions ici un exemple des modifications successives apportées aux circonscriptions provinciales de l'époque romaine par les formations diocésaines. Le rattachement du diocèse de Nevers à la province ecclésiastique de Sens donne lieu de croire que la plus grande partie de ce diocèse avait été prise à la cité d'Auxerre. Voyez sur ce point délicat de la géographie ecclésiastique de la Gaule : Valois, Notitia Galliarum, p. 69 et 383 ; D'Anville, Notice de la Gaule, p. .132 et 491 ; Dictionnaire archéologique delà Gaule, Epoque Celtique, v° Autessiodurum ; E. Desjardins, Géographie de la Gaule d'après la Table de Peutinger, p. 21 et 169 ; A. Bernard, Cartulaire de Sacigny, l. I, introduction, p. 4i ; Longnon, Géographie de la Gaule a,u VF siècle, p. 306; E. Desjardins, Géographie de la Gaule Romaine, t. II, p. 472. Dans son Atlas historique de la France, texte p. 19, M. Longnon revenant, sans en dire la raison, sur l'opinion qu'il exprime dans sa Géographie, fait de l'Auxerrois un démembrement de la civitas Aiduorum.


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une époque voisine de celle que j'assigne à la création du siège de Belley, c'est Màcon, le Castrum Malisconense de la Notice, qni devient le siège d'un évêché formé d'un nouveau démembrement de l'ancienne cité des JEdui (1).

Lorsqu'à l'aide du compte de décimes du xive siècle conservé à la Bibliothèque nationale on trace, sur une carte, les limites du diocèse de Belley, à cette époque, on constate, non sans surprise, que ce diocèse Séquane constitue une enclave au milieu des provinces ecclésiastiques de Lyon et de Vienne et qu'une assez vaste étendue de pays le sépare de son diocèse métropolitain. Cette situation est à ce point anormale qu'on est tout naturellement amené à se demander si elle ne serait pas le résultat d'empiétements successifs opérés, au détriment de la province de Besançon, par les diocèses qui l'enserrent à l'Est et à l'Ouest.

Avant de rechercher ce qu'il peut y avoir de fondé dans cette conjecture, voyons s'il ne serait pas possible de déterminer la limite orientale du diocèse de Lyon au temps de la domination Burgonde. Ett d'abord, quelle était au poiut de vue administratif la situation de la région comprise entre le Jura à l'est, le Rhône au sud, la rivière d'Ain à l'ouest et l'Albarine au nord, ou en

(1) Le premier évêque de Màcon est Placidus qui siégea aux conciles d'Orléans de 538, 541 et 549 et à celui de Paris de 551, (Gallia Christiana, t. IV, c. 1039). Cf. J. Severt, Chronologia Ivstorica successiutiis antistitum Lugdunensis archiepiscopalus et suff'raganearum dioecescum, pars II , De Matisconensibus épiscopis, p. 170.


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d'autres termes, à quel peuple gaulois avait appartenu le territoire qui forme de nos jours les cantons de Lhuis, Lagnieu, Saint-Rambert et Ambérieu, au département de l'Ain ?

On admet généralement que ce district (viens) qui paraît avoir eu, à l'époque gallo-romaine, Briord pour chef-lieu, n'appartenait pas à la cité des Séquanes ; mais jusqu'à ce jour je ne vois pas qu'on ait apporté même un commencement de preuve à l'appui de cette hypothèse et d'un autre côté, les savants sont loin d'être d'accord sur le point de savoir à quel peuple gaulois il convient d'attribuer le vicus de Briord ; tandis que certains y voient une dépendance du pays des Ambarri, les autres en font un prolongement de l'Allobrogie au delà du Rhône (1).

J'ai déjà dit l'impossibilité où l'on est de concilier cette dernière opinion avec les textes de César et d'Ammien Marcellin, je ne reviendrai pas sur cette démonstration ; ce que je voudrais établir maintenant c'est qu'aussi haut que nous font remonter les documents échappés à l'action destructive du temps, le district de Briord nous apparaît rattaché au diocèse de Lyon, formé comme on sait du territoire des Ségusiaves augmenté de celui des jEduiAmbarri.

La légende de Saint-Domitien va nous fournir à ce sujet de précieux renseignements. Cette légende qui dans sa

(1) M. Valentin Smith dont l'opinion a été adoptée par M. E. Desjardius, localise les Allobroges Trans-llhodani de César dans les cantons de Lhuis et de Lagnieu, mais logique avec luimême, il laisse le Valromey aux Séquanes ; M. Allmer, au contraire, avec un manque de critique qui étonne do la part d'un archéologue aussi distingué, attribue à la Viennoise et les inscriptions de Briord et celles du Valromey.


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rédaction primitive remonte apparemment aux derniers temps de la domination burgonde, nous apprend que Domitien ayant conçu le dessein de se retirer dans un lieu désert pour y mener la vie monastique alla trouver l'évêque de Lyon Eucher et l'entretint du projet qu'il avait formé de fonder un monastère dans son diocèse. « Va, lui dit l'évêque, et choisis un lieu convenable à les desseins ». Muni de cette autorisation, le saint homme fit route à l'est de Lyon, arriva sur les bords de la rivière d'Ain qu'il traversa et s'enfonça dans de profondes solitudes situées sur les confins du territoire Lyonnais, in confînio Lugdunensis lerritorii (1). Parvenu dans un lieu arrosé par de nombreux ruisseaux, il donna au plus important d'entre eux le nom de Bebrona (?) et choisit, pour y construire son monastère, la colline qui domine ce

(1) Guichenon, Histoire de Bresse et du Bugey, preuves, p. 228-232.

(2) Quoiqu'on dise le légendaire, le nom de Bebrona ou Bebronna était en usage bien avant l'arrivée de Saint-Domitien, à Snint-Ramberl en-Bugey. Bebrona est un nom gaulois dérivé du thème behro — ,castor, à l'aide du suffixe masculin — ona, qui a servi à former un grand nombre de noms de rivières en Gaule. Le Bebrona, bugiste qui est aujourd'hui le Brevon, affluent de l'Albarine , avait un homonyme dans le département du Rhône : la Brevenne [Bebronnaj, affluent de l'Azergue. Ce thème bebru- se retrouve dans l'indo-europ. * bhebhru, le latin filer, le germanique bebru-, le lithuanien bebru-s, le gaélique beabhar, etc., on le retrouve également dans Bibracte, nom de l'ancienne capitale des Aedui, dans Bibrax, aujourd'hui le VieuxLaon (Aisne) et dans Bibrori, nom d'un peuple de la GrandeBretagne mentionné par César (B. G. V, 21). Cf. Whjtley Stokes und Adalbert Bezzcubergor, Wortschaù dcr Keltischcn Spraeheinheit, p. 107, t. II du Vergleiehendes Voerterbucli dcr Iudogennanischen Sprachen von August Fick ; Alfred Holder, Alt-Celtischer Spraehschntj, vls Bebronna, Bebros, Bibracte, Bibrax et Bibroci ; A. Bernard, G artulaire de Savigny, nos 147, 597, etc.


5i ANNALES DE L'AIN

cours d'eau à l'ouest ; non loin de là coulait une petite rivière , l'Albarine (Albarona), où le saint homme alla un jour se baigner avec ses disciples. Pendant qu'on travaillait à la construction du monastère les vivres étant venus à manquer, Domitien monta sur son âne pour aller implorer la charité publique. Après avoir traversé une villa gallo-romaine du nom de Torciacus (Torcieu), il arriva dans un domaine qui s'était appelé autrefois Calonnia, du nom du ruisseau Calonna qui le traversait ; ce domaine appartenait à un certain Lalinus (corrig. Lalinius^, « homme riche et vaniteux » qui avait voulu lui donner son nom, de sorte que la villa Calonnia était devenue la villa Latiniacus: c'est aujourd'hui Laguieu, chef-lieu de canton du département de l'Ain. Latinius qui était arien reçut fort mal l'homme de Dieu : il se mit à discuter avec lui des choses de la foi et à tourner en dérision la consubstantialité du Fils et du Père. Non loin des limites de la villa Latiniacus s'élevaient deux temples païens que les paysans du voisinage fréquentaient encore en secret : l'un était dédié à Jupiter, l'autre à Saturne (1). « Pour te prouver la supériorité de ma foi, s'écrie Domitien qui ne parvenait pas à convaincre son adversaire, que la foudre écrase ces temples consacrés au culte des démons ! » A peine ces paroles étaient-elles prononcées qu'un orage terrible éclate tout à coup : les éclairs déchirent le ciel, le tonnerre

({) Suivant un usage recommandé par un pape, l'Eglise po.ur avoir plus facilement raison du culte de Saturne le remplaça par celui de Saint-Saturnin. C'est en effet ce saint qui a donné son nom au village de Saint-Sorlin, sur le territoire duquel s'élevaient les temples païens dont parle le légendaire ; cf. A. Maury, Les Fées au Moyen-Age, p. 17


SECOND ROYAUME DE BOURGOGNE 55

gronde et les temples s'écroulent sur la terre qu'ils ébranlent. Saisi d'effroi à la vue de ce prodige, Latinius renonce à l'arianisme et fait don à l'homme de Dieu de divers biens situés a dans le pagus de Lyon, du côté du castrum de Belley ».

La légende de Saint-Rambert qui paraît dater du VIIIe siècle, nous apprend que ce saint fut mis à mort, sur l'ordre d'Ebroïn, en un lieu appelé Bebronna, situé à la limite du territoire de Lyon et à l'entrée du massif du Jura « in confinio videlicet Lugdunensis territorii Jurae vicino » (1). C'est aujourd'hui Saint-Rambert-en-Bugey.

Des indications topographiques contenues dans les légendes des saints Domitien et Rambert, il résulte qu'au temps de la domination burgonde, Saint-Rambert-enBugey, Torcieu , Vaux , Lagnieu et Saint-Sorlin se trouvaient à l'extrême limite du diocèse de Lyon. A ces indications des légendaires bugistes, il faut ajouter celles que nous apporte l'acte de fondation du monastère de Saint-Benoît de Cessieu, sur la rive droite du Rhône. Cet acte qui date de l'année 859, place dans le pagus Lugdunensis un ager Saxiacoisis où étaient situés, avec le chef-lieu Cessieu, les villages de Neyrieu, hameau de Saint-Benoît, de Cressin, hameau de Chazey-Bons, de Crept, hameau de Seillonnas, de Milieu, hameau de Lhuis, de Marchamp et neuf autres localités dont les noms ont été déformés par la maladresse du copiste et qu'il n'est pas possible d'identifier (2).

La Chartreuse de Portes fut établie, en 1115, sur un territoire qui passait, à cette époque, pour avoir appar(1)

appar(1) Bresse et Bugey, p.233.

(2) Guichenon, Bresse et Bngey, pr. p. 225-228.


56 ANNALES DE L'AIN

tenu,de temps immémorial, au diocèse de Lyon (1). Du procès-verbal de limites dressé dix ans plus tard, il résulte que les villages d'Ordonnaz et d'Arandas appartenaient au diocèse de Belley, tandis que ceux de Bénonces, de Conand et de Villebois faisaient partie du diocèse de Lyon (2).

Enfin, le privilège accordé en 1106 à l'abbaye de Cluny par le pape Pascal II place dans le diocèse de Belley les villages de Peyrieux, PremeyzeL Conzieu et Innimond (3).

En présence des documents que l'on vient de citer, il ne semble pas douteux que sinon dès l'origine, du moins dès l'époque mérovingienne, la limite orientale du diocèse de Lyon partait de la rive droite du Rhône, en amont de Saint-Benoît-de-Cessieu, suivait les crêtes des montagnes de Saint-Benoît, de Tantainet, de la Morgne et d'Arandaz et atteignait l'Albarine à Saint-Rambert, laissant à l'est Peyzieux, Premeyzel, Conzieu, Innimond, Ordonnez, Arandas, Argis et Oncieu qui appartenaient au diocèse de Belley. A partir de Saint-Rambert elle

(1) C'est du moins ce qui fut déclaré, à Portes, par devant un grand nombre de personnes, à l'archevêque de Lyon Joccrand, parle prêtre Pierre de Briord, dans l'année qui suivit la fondation de la Chartreuse.Cf. Guichenon, loc. cit. preuves, p. 224.

(2) Guichenon loc. cit., p. 223 et 221. Ce procès-verbal fut signé par Humbaud, archevêque de Lyon, Ponce, évêque de Belley et Hugues, ôvèque de Grenoble ; il fut homologué quelques années plus tard par le pape Innocent II. Sur les limites occidentales du diocèse de Belley, voyez une charte de 1130 environ d'Amédée de Savoie en faveur de l'abbaye de SaintSulpice-en-Bugey. (M. C. Guigne, Carlulaire de Saint-Sulpice, p. S et 21) ; voyez également une charte de 1141 de l'archevêque Fulco, dans Guichenon, ibidem, pr., p. 220-222; sur la possession de Villebois par le diocèse de Lyon, voyez Gallia, Christiana, t. IV; col. 113.

(3) A. Duchesne, Bibliotheca Cluniaeensis, col. 537.


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obliquait à l'ouest, laissant au diocèse de Belley Arabronajr qui appartenait encore à la fin du VIIIe siècle à l'abbaye séquane de Luxeuil, remontait la vallée de l'Ain et rejoignait le diocèse de Besançon à Coudes, au confluent de la Bienne et de l'Ain. Le diocèse de- Belley englobait ainsi dans ses limites tout ou partie des cantons actuels d'Ambérieu, Poncin, Ceyzériat, Nantua, Izernore et Oyonnax.

Telle n'est point cependant la situation que nous révèlent les plus anciens pouillés diocésains ; ces pouillés placent, en effet, dans le diocèse de Lyon, les districts que l'on vient d'énumérer, si bien que le diocèse de Belley forme une enclave au milieu de provinces ecclésiastiques auxquelles aucun lien ne le rattache. Cette situation, je le, répète, est à ce point anormale qu'on est tenté d'y voir la conséquence d'empiétements successifs du diocèse de Lyon sur celui de Belley.

A l'appui de cette conjecture il convient de remarquer que les empiétements du genre de ceux dont aurait souffert la province Séquane, ne sont point chose rare dans l'histoire de l'organisation ecclésiastique en Gaule : dans notre région même, on en peut citer un certain nombre d'exemples. C'est ainsi que le diocèse de Chalon s'est très certainement agrandi au détriment de l'ancienne cité des Séquanes. Au temps de l'empire romain, cette cité s'étendait jusqu'à la Saône qui, au dire de Strabon, servait de limite, dans la partie supérieure de son cours, aux Séquanes d'une part, aux Lingons et aux JEdui de l'autre (1).'I1 en était encore ainsi au VIe siècle ; Frédégaire nous apprend, en effet, que la banlieue de Chalon où le roi Gontran fit

(Il Strabon, 1, 1, 11 ; édition Mùller et Dûbner, p. 154.


58 ANNALES DE L'AIN

élever une église en l'honneur de Saint Marcel dépendait du ce territoire Séquane » (1). Le moine Aimoin qui écrivait au X° siècle dit de même que cette église avait été construite dans le voisinage (in suburbio) de Chalon, mais sur le territoire des Séquanes, au milieu-des bois de la Bresse (2). Ainsi aucun doute n'est possible, à l'époque mérovingienne le diocèse de Chalon ne dépassait pas la Saône. Les évêques chalonnais réussirent d'assez bonne heure, apparemment, à s'emparer de l'église et de l'abbaye Saint Marcel (3); mais leur ambition n'en fut point satis faite, ils continuèrent à s'étendre à l'orient de la rivière et firent tant et sibien que le compte de décimesdu xiv° siècle que je viens de citer nous les montre en possession d'une trentaine de paroisses, sur la rive gauche de la Saône, ou comme on disait alors, du côté de l'Empire, a parte imperii (4).

Entamée au Nord-Ouest par la province de Lj'on, la province des Séquanes se vit enlever, à l'Est, d'impor(1)

d'impor(1) el aliorum chronica, V, 1, édition B. Krusch, p. 124, dans les Monumenta Germanix Historica : « Anno 24 regni sui devino amore eclesiam beati Marcelli, ubi ipsi proeciosus requiescit in corpore, suborbanum Cabilonninsim, sed quidern tarnen Sequanum est territurium, îuerefîce et sollerter oedificare jussit ».

(2, Aimoin, De Gestis Francornrn, 1. III, c. 80, apud Bouquet t. III, p. 106.

(3) Voyez l'acte par lequel le synode provincial réuni à Chalon, en 873, adjugea l'église de saint Laurent située aux portes de Chalon (juxta, moenio, civitatis) à l'église de Saint Marcel, (Gallia Christiana, t. IV, inslrum. col. 224, et Hardouin, Acta Conciliorum, t. VI, pars I, c. 137).

(4) Recueils de pouillés du XIVe siècle, Biblioth. Nat. mss. ; fonds latin n" 10031.


SECOND ROYAUME DE BOURGOGNE 59

tants territoires par la province de Vienne. En premier lieu, les districts du Valromey et de la BasseMichaille qui , dès l'époque gauloise , étaient tombés en la possession des Allobroges, se trouvèrent naturellement compris dans le diocèse de Vienne, puis dans celui de Genève, Et de fait, les diplômes concédés par Charles le Chauve, en 875 (I), et par Charles-le-Simple, en 916(2), localisent l'un et l'autre en Genevois (inpago Genevisio) une villa du nom de Subtriacum qui est Sutrieu, dans le Valromey (3).

L'ordre suivi, dans l'énumération des domaines concédés, en 867, par Lothaire II à sa femme Theudberge montre assez que la villa Cavurnum faisait dès lors partie du Genevois ; or Cavurnum, qu'il faut lire Cavurnacum, paraît être aujourd'hui Ghavornaj , village du Valromey (4).

Divers documents authentiques des xi 6 et xne siècles placent dans le diocèse de Genève : Champagne et Cormoranche (1055) (5), Seyssel (1124) (6), Brénod, Ardon,

(1) D. Bouquet, t. VIII, p.6i7; Juenin, Nouvelle histoire de Tournas, preuves, p. 91 ; Regeste Genevois, 98. .

(2) D. Bouquet, t. IX, p. 523 ; Juenin, loc. cit. preuves, p. 109; Regaste Genevois, n" '18.

(3) Subtriacum dont ou cite les variantes Sultriacum. et Suetriacum, est un nom de lieu, à forme hypoeoristique, dérivé soit de Sutrius, soit plutôt de Suelrius, noms d'hommes ethniques.qui se lisent l'un et l'autre sur les inscriptions. Cf. Corpus Inscriptionum latinarum, t. III, nos 3428, 3429 ; t. VI, u»s 26926, 20927; t. VIII', n«s 1838 et 4079; t IX, 1 6073 (156), 2855, 2898.

(4) D. Bouquet, t. VIII, p. 412 ; Regeste Genevois, n° 95.

(5) Gallia christiana, t. [V,.inslrum. col. 79; Regesle Genevois, n° 205'.

i<ii Rejesie Genevois. 207.


60 ANNALES DE L'AIN

commune de Châtillon-de-Michaille, Ville (1146) (1), Haute ville (1172) (2), Belmont (1181) (3), Gignay, hameau de Corbonod, Talissieu , Ameysieu , Virieu-lePetit, Chavornay, Passins, Breuod, les Abergements, Corcelles, Champion Arlod, Billiat, Dorches et Chanay (1198) (4).

Ainsi que le montre l'énumération qui précède, l'Eglise de Genève ne s'était pas contentée de s'annexer les districts qui avaient appartenu aux Allobroges transrhodaniens, elle s'était en outra emparée de la bande de territoire qui au temps d'Ammien Marcellin, appartenait aux Séquanes, sur la rive droite du Rhône, de Bellegarde à Lavours. Pour cette dernière localité, nous avons la preuve diplomatique qu'elle dépendait encore de l'évêché de Belley au xie siècle (5) et que ce n'est que postérieurement à cette époque qu'elle fut rattachée à l'évêché

(1) Guichenon, Histoire de Bresse et de, Bugey, preuves, p. 217 ; Regeste Genevois, 316, 449.

(2) Regeste Genevois, 389.

(3) Dunod, Histoire des Séquanois, t. I, preuves, p. 69; lie. geste Genevois, 427.

(4) Guichenon, Bibliotheca Sebusiana, p. 299 ; Regeste Genevois, 470; cf. Gallia christiana, t. IV, col. 227.

(5) Le Cartulaire du monastère de Domène (Isère), n° 213, contient une charte par laquelle Raoul de Theys donne à ce monastère l'aleu qu'il possède « in episcopatu Belensi ; est antem hic honor prope villam quae dicitur Lavatorium, in l'oco qui vucatur Chasnas ». On sait que la seigneurie de Chanaz était partie on Savoie, partie en Bugey, (Guigne, Topographie historique de l'Ain). Le pouillé genevois du xivp siècle publié dans les Mémoires de la Société d'histoire et d'archéologie de Genève [t. IX, p. 227) place la paroisse de Chanaz dans le déeanat de Cevzérieu.


SECOND ROYAUME DE BOURGOGNE 61

genevois (1). L'Eglise de Genève ne s'en .tint pas là ; à une date qu'il est malheureusement impossible de déterminer, nous la voyons franchir les hautes cîmes du Jura qui au temps de l'empire romain séparaient les Séquanes des Helvètes (2), pour aller prendre possession des vallées de la Valserine et de la Semine (3).

Quant à l'ancienne cité des Equestres qui par ses origines appartenait à la province des Helvètes, son territoire dut être rattaché de très bonne heure au diocèse de Genève : c'est ce qui ressort de la charte de fondation du monastère de Saint-Maurice d'Agaune par Sigismond, roi des Burgondes, en 523. Cette charte dont l'authenticité a été, il est vrai, contestée mais qui est en tout cas d'une haute antiquité, place dans le pagus Genevensis le village de Cominugn}' situé entre Nyon et Coppet (4). Durant le Haut-Moyen-Age, les documents abondent qui établissent l'union du pays de Gex au Genevois : c'est

(1) Cf. le pouillé bugiste du xv siècle publié par S. Guichenon, Histoire de Bresse et de Bugey, preuves, p. 181.

(2) Coesar, B. G. 1,2 : « monte Jura altissimo qui est inter Sequanos et Helvetios » ; cf. Strabon, 4, 3, 4 ; édition Dubner et Millier, p. 161, ligne 0.

(3) Los pouillés genevois du xive siècle placent clans le décanat d'Aubone : Lancrans, Champfroinier, Montanges, Echallon, Saint-Germain-de-Joux, Lalleyriat et Musinens, (Mémoire de la Société d'hist. et d'archéol. de Genève, t. IX, p. 236).

(4) Pardessus, Diplomata, t. I, p. 70 et 71 ; Gallia christiana, t. XU,instrum. cul.423 ; Mabillon, Annal. Bened,t. I, p. 28; Regeste Genevois, 32 ; Grégoire de Tours, Historia Francorum, t. III,c. 5. édition B. Krusch,p. III ; Gingins-la-Sarra, Histoire de la cité et du canton Equestres, p. 68 et 75 ; cf. D. Bouquet XI, 547 et Gallia christiana, t. XIII, instrwn. c. 427.


62 ' ANNALES DE L'AIN

d'abord une charle de 912 qui constate la donation faite au monastère de Saint Pierre de Satigny par la comtesse Eldegarde de différentes propriétés situées dans le pays des Equestres, in pago Equeslrico ; cette donation est mise sous la protection de l'Eglise de Genève, ce qui est une raison suffisante de croire que les biens donnés étaient compris dans le Genevois (1) ; c'est ensuite une charte du XI 0 siècle qui attribue formellement le comté Equestre au pagus de Genève (2).

La bulle octroyée en 1106 par le pape Pascal II à l'abbaj;e de Cluny localise, dans ce même pays, le village de Saint-Jean-de-Gonville qui appartient actuellement à l'arrondissement de Gex (3).

Quatre ans plus tard, en II 10, Guy, évêque de Genève, confirmait au monastère de Saint-03'en de Joux (Saint-Claude) la possession des églises de Nyon, Cessj', Divonne, Pouilly, Saint-Genis, Sergy, Crassier et Genollier qui avaient été données à ce monastère soit par ce même Guy, soit par ses prédécesseurs (4). Enfin les pouillés Genevois du xive siècle placent dans l'évêché de Genève le pays de Gex et le district de Nyon qui faisaient à l'origine très certainement partie de la cité des Helvètes laquelle, comme on sait, appartenait à la Pro{{)

Pro{{) Guichenon, Bibliotheca Scbusiana, p. 71 ; Regeste Genevois, n° 110.

(2i « In pago Gcnevense et in comitatu Equestrico, » (Historié Patruc Munumenfa, t. II, Chartarum, n" 07).

(3) A. Duchesne, Bibliotheca cluniacensis, col. 537 ; Ginginsla-Sarra, loc. cit., p. 53-55.

(4) Guichenon, Bibliotheca Sebuniana, p. 182; Regeste Genevois, n° 218.


SECOND ROYAUME DE BOURGOGNE 63

vincia Maxima Sequanorum de la Notice des Provinces (1 ).

Ce n'est pas seulement à l'Ouest que le diocèse de Genève franchit les limites de l'ancienne Allobrogie ; au Nord-Est il s'annexa le Chablais et l'extrémité orientale du Faucigny qui dépendaient de la Confédération des peuples du Rhône supérieur, les Nantuates, les Veragri et les Seduni (2).

Le diocèse de Besançon ne fut pas seul à souffrir des empiétements commis par d'ambitieux voisins : le diocèse de Vienne lui-même se vit dépouiller par le diocèse de L}'on de districts importants situés au sud du Rhône et qui appartenaient, sans conteste, à l'ancienne cité des Allobroges telle que la délimitent, de ce côté, les textes de César (3), de Strabon (4), de Pline (5) et d'Ammien Marcellin (6). Cet empiétement avait commencé à se

(1) Cf. le recueil de comptes de décimes du XlVf siècle, Bibl. Nat. mss. fonds latin, n» 10031, fos 88 et 89, et le pouillé genevois publié dans les Mémoires et Documents de la Société d'Histoire et d'Archéologie de Genève, t. IX,p. 234; voyez aussi E. Desjardins, Géogr. de la, Gaule Rom., t. III, planche 20.

(2) E. Desjardins, Géographie de la Guide Romaine, f II, p. 234 et 239; Allmer, Inscriptions antiques de Vienne, t. III, p. 361 ; cf. le pouillé genevois cité à la note précédente et la Carte du Duché de Savoye, par Robert de Vaugondy (1751).

1^3) Cuosar, De Bello Gallico, lib. I, cap. 10 : « Ab Allobrogibus in Segusiavos exercitum ducit. Hi sunt extra Proviuciam trans Rhodauum primi ». Cf. lib. VII, cap. 04.

(4) Strabon, 4, 1,11; édition Millier et Dubner, p. 154, 1. 31.

(o) Pline, III, Viiv), 1: « Narbonensis provincia... a reliqua vero Gallia laterc septentrionali, montibus Geben-na et Jura. «

(6) Ammien Marcellin, liv. XV, chap. 11 : « Longèque progressif [Rhodauus] Viennensen sinistro perstringil, dextro Lugdunensem. •»


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produire dès l'époque Gallo-romaine ou, au plus tard, au temps de la domination burgonde, puisque Grégoire de Tours place dans le pagus Lugdunensis le bourg d'Oclaoum qu'on identifie avec Saint-Symphorien-d'Ozon, localité qui fit effectivement partie de l'archevêché de Lyon jusqu'à la Révolution (1). Au reste, l'Eglise de Lyon parait avoir borné longtemps son ambition à la à la possession d'une bande de territoire le long de la rive orientale du Rhône, puisqu'à l'extrême fin du Xe siècle, les actes officiels placent encore dans l'évêché et le comté de Vienne Chandieu et Miohs 2) qui par la suite passèsèrent au diocèse de Lyon (3).

A quelque temps de là, ce diocèse paraît s'être annexé toute la rive gauche du Rhône, de Mores tel à Saint-Sj'mphorien-d'Ozon : une bulle pontificale de 1120 localise en effet « in archiepiscopatu Lugdunensi » le village do Leyrieu (Isère), ce qui implique la possession par le métropolitain lyonnais de tout ou partie du canton actuel de Crémieux que les prélats viennois finirent d'ailleurs par recouvrer (4).

(1) Historia Francorum, 1. IX, c. 21 ; cf. Longnon. Géographie de la. Gaule au VIe siècle, p. 199.

(2) Diplôme de Rodolphe III, roi de Bourgogne de 99S : « in Viennensi autem comitatu.... Medonem... . capollam quoque de Chandiaco » et dans un autre diplôme du même souverain et de la même date: « in Episcopatu Viennensi.... ecclesia de Candaico (rorr. Candiaco) , Medons » , apud D. Bouquet, t. XII, p. 544 et 545.

(3) Cf. A. Bernard, Cartnlaire de Sarigny et d'Ainay : Pouillé du diocèse de Lyon au XIIIe siècle, t. Il, p. 918.

(4; U. Chevalier. Cartulaire de Saint-André-lc-Bas, n" 19\ p. U3.


SECOND ROYAUME DE BOURGOGNE 65

Les pertes de l'Eglise de Vienne ne se bornèrent pas aux territoires de la rive gauche du Rhône qui formèrent par la suite les archiprètrés de Mej'zieu et de Morestel, au diocèse de Lyon ; cette église se vit en outre enlever par sa voisine de Grenoble toute la partie orientale du comté de Sermorens que, vers le milieu dn ixe siècle, un diplôme de Charles de Provence attribuait encore au Viennois (1). Les évêques de Vienne protestèrent longtemps contre cette usurpation et portèrent leurs revendications devant plusieurs conciles, mais ils se heurtèrent à la résistance obstinée des prélats grenoblois, si bien que de guerre lasse ils durent consentir à une transaction qui fut passée à Lyon, le 2 août de l'année 1107, par devant le pape Pascal II et les évêques de la région, transaction aux termes de laquelle le comté de Sermorens était partagé entre les deux diocèses de Vienne et de Grenoble (2).

(1) Diplôme sans date de Charles de Provence : « Tollia. num, in pago Viennensi, in comitatu Tollianensi » ; apud Bouquet, t, VIII, p. 397. Il s'agit dans ce diplôme de Tullins, chef-lieu de canton du département de l'Isère, l'une des paroisses de l'archiprôtré de Vienne, au diocèse de Grenoble. Cf. J. Marion, Cartulaire s de l'Eglise de Grenoble, p. xxxm, 16, 17, 276 et 289.

(t) Jaffé, n° 6163. La bulle confirmative de cette transaction a été publiée par D. Bouquet, t. XIV, p. 761 et par J. Marion, Cartulaire s de l'Eglise de Grenoble, p. 1. La partie du comté de Sermorens abandonnée au diocèse de Grenoble y forma l'archiprôtré de Vienne, nom qui a lui seul suffirait à prouver l'usurpation de l'Eglise Grenobloise. Sur les démêlés des Eglises de Vienne et de Grenoble au sujet de la possession du pagus Salmorincensis, voyez D. Bouquet, t. XIV, p. 757-762 et J. Marion, locis citatis.


66 ANNALES DE L'AIN

Le diocèse de Belley, lui-môme, s'est visiblement agrandi au Sud et au Sud-Est au détriment de l'ancienne cité des Allobroges. Malheureusement les documents font défaut qui nous permettraient de fixer exactement la date des empiétements de l'évêché bugiste. Tout ce que l'on peut dire, c'est qu'ils étaient déjà en partie accomplis au IXe siècle. La charte-notice de la fondation de l'abbaye de Saint-Benoît de Cessieu, en 859, par Aurélien, abbé d'Ainay,localise expressément,dans le pagus Bellicensis : Castiniacum Chassignieu(?j, canton de Virieu (Isère) et Domassianum ( lisez : Domitianum), aujourd'hui Domessin, commune du canton du Pont-de- Beauvoisin (Savoie) (1). Si de l'ordre suivi dans l'énumération des domaines concédés, en 866, par Lothaire II à sa « très chère épousée Theudberge, il semble résulter qu'à cette époque Novalaise et Meyrieux cités entre Lemenc et Aix-les-Bains, appartenaient encore au pays de Grenoble (pagus Gratianopolitanus), par contre Avressieux et Belmont ne peuvent guère être attribués qu'au pays de Belley dont le nom a été déformé en celui de Bellinsua par la maladresse du copiste italien qui nous a conservé le diplôme concédé par le roi Lothaire à sa femme Theudberge (2).

La possession d'Avressieux et de Belmout implique celle

(1) Guichenon, Bresse et Bugey, p. 225-228.

(2) D. Bouquet, t. VIII, p. 412. L'éditeur imprime Anersiacum qu'il faut corriger sans hésitation en Aversiacum, Aversions et iiar métathèse Avressieux. L'identification A'Anersiaciim avec Annecy que propose le Regeste Genevois, n° 95, ne me parait pas admissible. Quant à Aversiacum, il représente un plus ancien Apertiacum, nom de lieu à forme hypocoristi-


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de Saint Genis et de son district et en fait, une charte dont la date se place entre les années 994 et 1032 localise Yager de Saint-Genis dans le pagus Bellicensis (1). Cette acquisition était alors de date relativement récente, car dans la charte de 9 13 par laquelle le roi Conrad donna, à la prière de son cousin, le comte Charles Constantin, la chapelle de Saint Genis au prêtre Ermentheus, il est dit que cette localité faisait partie du comté de Vienne (2).

Enfin, dans les dernières années du xe siècle, l'archevêque de Vienne,Thibaud, céda à Odon, évêque de Belley, pour lui et pour ses héritiers, le territoire de Traize, ager qui vocatur Tresia,k l'orient du Rhône; la charte dressée à cette occasion nous dit expressément que cet ager faisait partie du comté de Belley, lequel était limité à l'est

que dérivé du geutilice Apertius qui se lit sur plusieurs inscriptions; voyez notamment C. I. L. t. VIII, n° 8395 et t. IX et XIV, Indices I, v° Apertius.

(1) U. Chevalier, Cartulaire de Saint-André-le-Bas, n« 216 ; cf ibidem, n° 211, une charte de 1023 qui place Saint-Genis et son district (pagus) dans le comté de Belley. Dans son Mémoire sur l'origine de la maison de Savoie, Gingins-la-Sarra affirme, sans indiquer ses autorités, que Saint-Genis et Pressins dépendaient encore au x° siècle du comté de Vienne et qu'ils ne furent rattachés à celui de Belley qu'au siècle suivant (Mémoires et Documents sur la Suisse Romande, t. XX, p. 221 note 3 et p. 2*7).

(2) Bernard et Bruel, Rec. de Charles de Cluny, I, n. 631; U. Chevalier , Cartulaire de Saint-André-le-Bas , p. 235 ; F. Forel, Regesie de la Suisse Romande, pièces annexes, p. 550; Do Rivaz, Diplomatique de Bourgogne, analyse d'LJ. Chevalier, t. I, 61.


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par le Mont-du-Chat (nions Munilus) (1). En retour, l'évêque Odon, fils de Humbert l'Ancien, comte de Belley, donnait au métropolitain Viennois quelques-unes des propriétés patrimoniales qu'il possédait dans Yager de Vezeronce alors compris, sans doute, dans le pagus Bellicensis.

L'acquisition de l'extrémité nord-est du comté de Sermorens par l'évêché de Belley doit être sensiblement postérieure à celle des paj's de la rive droite du Guier puisque le diplôme concédé, en 885, à l'Eglise de Lyon, par Charles-le-Gros, place encore dans le a pagus Salmoriacensis et Gratianoplitanus », avec Collonges, hameau de- Chassignieu et Chélieu (Caduliacum), le village de Fitilieu (Fistiliacum) qui devait être rattaché plus tard à l'évêché de Belley (2). Il convient également de remarquer que tandis qu'elle localise dans le diocèse bugiste Saint-Genis, Avressieux et Verrel-de-Montbel, une bulle pontificale de 1120 attribue à l'Eglise de Vienne Doniessin, Chimilin et Pressins (3) ; mais comme une charte datée

(1) Cette charte nous a été conservée par deux copies, l'une de la fin du xvir= siècle et l'autre du xvin 0, qui paraissent avoir été prises, l'une et l'autre, sur le Cartulaire original de SaintMaurice de Vienne aujourd'hui perdu ; elles se trouvent à la Bibliothèque nationale, mss. Baluze, t. LXXV, p. 334.

(2) D. Bouquet, t. IX, p. 339 : cf. ibidem, t. VIII, p. 409, le diplôme sans date de Lothaire II qui place Caduliacum dans le Comitaius Salmorincensis. Voyez également lediplômeconcédé en 892, par Louis, roi de Provence, à l'Eglise de Lyon, apud Bouquet, t. IX, p. 074 Sur le rattachement de Fitilieu au diocèse de Belley, voyez le pouillé de ce diocèse publié par S. Guichenon, Histoire de Bresse et de Bugey, preuves, p. 181.

(3) Jaffé, no 6815; U. Chevalier, toc. cit. n° 197, p. 143.


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de 1081 (1) rattache cette dernière localité au diocèse de Eelley et que la charte de fondation de Saint-Benoît de Cessieu qui date de 859 y localise également Domessin, il paraît certain que Chimilin , situé plus au nord, faisait également partie de ce diocèse, au temps où le pape . Calixte II délivra à l'abbaye viennoise de Saint-Andréle-Bas la bulle que l'on vient de citer. La mention de ces paroisses bugistes au nombre de celles qui dépendaient de l'Eglise de Vienne peut s'expliquer par l'inattention du rédacteur de la bulle qui, ayant sous les yeux un acte plus ancien, se sera borné à le copier, sans lui faire subir les modifications nécessitées par les empiétements successifs des évêques de Belley. Peut-être aussi les archevêques de Vienne n'avaient-ils pas encore pris leur parti de ces empiétements et la bulle nous a-t-elle conservé comme un lointain écho de leurs protestations.

Des documents diplomatiques que l'on vient d'analyser il ressort que les acquisitions du diocèse bugiste sur la rive gauche du Rhône ne remontent probablement guère au-delà du ixe siècle et qu'elles durent prendre une certaine extension, à la fin du siècle suivant, sous l'épiscopat d'Odon, apparenté de très près aux princes de la maison de Charles Constantin, comte du Haut-Viennois et fils de l'empereur Louis l'Aveugle (2).

(1) U. Chevalier, ibidem, no 260, p. 200

(2) Gingins-la-Sarra, Mémoire sur l'origine de la Maison de Savoie. Au xie siècle, les expressisns à'episcopatus et de comitatus Belliccnsis sont synonimes, ainsi qu'on le voit par la charte de donation d'Aymon petit fils d'Humbert II ou l'Ancien, au prieuré de Saint-Genis, apud U. Chevalier, Cartulaire de Saint-André le-Bas, n° 213.


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Que devient après cette constatation la prétendue « transaction mathématique » qui au dire de M. Debombourg serait intervenue, au début du Ve siècle, entre le métropolitain de Vienne et celui de Besançon, transaction aux termes de laquelle la province ecclésiastique de Besançon, qui n'existait pas encore à cette époque, aurait reçu, sur la rive gauche du Bhône, soixante et une paroisses qui n'existaient certainement pas davantage, en compensation du rattachement à la province viennoise de l'évêché Irypothétique de Nyon ? (1)

Nous venons de voir que ni les limites du diocèse de Genève, ni celles des diocèses de Vienne, de Grenoble et de Belley ne correspondent exactement aux limites des circonscriptions gallo-romaines qui leur ont donné naissance. La même observation s'applique au diocèse de Lyon et à celui de Besançon. Pour ce qui a trait à ce dernier, s'il eut à souffrir, à l'est, des empiétements du diocèse de Genève, par contre le compte de décimes du xive siècle conservé à la Bibliothèque nationale nous montre qu'il avait alors franchi la Saône que Strabon donne pour frontière à la cité des Séquanes (2), et qu'il possédait, à l'ouest de cette rivière, d'importants territoires compris dans les doyennés de Traves et de Favernay (3).

Quant au diocèse de Lyon, il ne se borna pas à enlever à la cité de Vienne les dictricts de la rive gauche du Rhône qui devaient former plus tard les archiprêtrés de

(1) Delombourg, Les Allobroges d'Outre-Rhône et l'évêché de Belley, dans la Revue du Lyonnais, année 1867, 3e série, t. IV, p. 22.

(2) Strabon IV, I, II, édition Di'ibner et Millier, p. 154, f. 33.

(3) Bibliot. Nation : fonds latin, no 10031, folios 110 et 111.


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Meyzieu et de Morestel ; à une époque qu'il n'est pas possible de déterminer il franchit-, à l'ouest du fleuve, les limites de l'ancienne cité des Ségusiaves et descendit, en longeant les Cévennes, jusqu'au pays des Ilelvii (Vivarais).

On s'accorde, en effet, à reconnaître que de l'embouchure du Gier à celle de l'Erieux, l'Allobrogie traversait le Rhône pour aller s'étendre, à l'ouest, jusqu'aux crêtes des Cévennes et à la chaîne du Mont Pilât, enserrant ainsi dans ses limites l'arrondissement actuel de Tournon (Ardèche), l'extrémité occidentale de celui de Saint-Etienne (Loire) et le canton de Condrieu, au département du Rhône (1).

(1) Pline nous dit expressément que la Narbonnaise était bornée au nord par les Cévennes et le Jura : « Narbonensis

provincia a reliqua vero Gallia latere septentrionali, montibus

montibus et Jura [discreta] » (lib. IIL, cap. 5 (4). Et ailleurs : « Agrippa Galliarum inter Rhenum et Pyrenaeum, atque Oceanum, ac montes Gebennam et Juram, quibus Narboneusem Galliam excludit, loiigitudinem 430,000 passuum, latitudineni 418,000 , computavit » ( lib. IV, cap. 31 (17). Voyez dans le même sens : A. Allmer, Inscriptions antiques de Vienne, t. III, p. 305 et suiv. et Longnon, Atlas historique de la France, pi. I. Certains auteurs, comme E. Desjardins dans sa Géographie de la Gaule Romaine (t. II, p. 236), donnent, il est vrai, le Rhône pour limite à la Viennoise, mais au point de vue où je me piace cela importe peu : que le diocèse de Lyon ait empiété sur la cité de Vienne ou bien qu'au contraire le diocèse de Vienne se soit agrandi aux dépens du territoire des Ségusiaves, dans l'une et l'autre hypothèse, on est obligé de reconnaître que les circonscriptions diocésaines ne concordent pas avec les circonscriptions civiles de l'époque romaine, or c'est là tout ce que .je veux établir.


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Or il résulte de plusieurs actes authentiques du ixe siècle qu'à cette époque , la partie cis-rhodanienne de la Viennoise avait été absorbée par le pagus Lugdunensis. C'est ainsi que le diplôme concédé par Charles de Provence à l'archevêque de Lyon, Reiny, localise dans ce pagus la ville et le château fort de Tournon (1). Il faut rapprocher de ce diplôme deux chartes analysées au Cartulaire de Saint-Chaffre du Monastier qni attribuent au pagus Lugdunensis la viguerie de Soyons et le village de Toulaud, au département de l'Ardèche (2).

Cet état de choses ne tarda pas d'ailleurs à prendre fin : un diplôme concédé, en 892, à l'Eglise de Lyon par Louisl'Aveugle nous apprend, en effet, que le district de Tournon avait été enlevé au Lyonnais pour être rattaché au Viennois (3).

Il n'en fut pas de même des districts de la rive gauche du Rhône usurpés par les métropolitains lyonnais : ces districts qui formaient les archiprêtrés de Morestel et de

(1) « De quodam castro seu villa Tornône quod situm est in pago Lugdunensi, juxta fiuvium Rhodannm », (Diplôme de Charles de Provence, apud Bouquet, t. VIII, p. 399)..Ce diplôme ne porte pas de date, mais on sait que Charles de Provence régna de 855 à 863.

(2) U. Chevalier, Cartulaire de l'abbaye de Sainl-Chaffre du Monastier, p. 66 et 133. L'attribution des districts de Soyons et de Tournon a.\i pagus Lugdunensis implique nécessairement le rattachement à ce pagus de toute la partie cis-rhodanienne de l'ancien diocèse de Vienne.

(3) « In pago Viennensi, villam Turnonem et Liviam et Luconnacum », apud Bouquet, t. IX, p. 674. Cf. A Bernard et A. Bruel, Rec. des Chartes de l'abbaye de Cluny, t. I, numéros 8 et 12; Giraud, Essai historique sur l'abbaye de SaintBarnard de Romans, Cartulaire, 249.


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Meyzieu (Isère) continuèrent à faire partie intégrante du diocèse de Lyon, jusqu'à la Révolution (1).

Si le pagus Lugdunensis s'étendit au Sud au détriment de la Viennoise, par contre, il semble avoir reculé au Nord devant les diocèses de Besançon et de Chalon. C'est ainsi que Louhans qu'un diplôme de 878 (2) et une bulle pontificale de 1119 (3) attribuent au Lyonnais fut disputé aux évêques de Lyon par les évêques de Chalon et de Besançon (4) et finalement resta à ces derniers (5).

La même observation s'applique à Préty qui après avoir appartenu à la métropole lyonnaise (6) passa au diocèse de Chalon vers le milieu du xie siècle (7). A partir

(1) A. Bernard, Cartulaircs de Savigny et d'Ainay, t. II, p. 1023.

(2) Diplôme de Louis-le-Bègue au monastère de Toumus : « in pago Lugdunensi, super fiuvium Salliam, villiam Lovingo, cum ecclesia in honore Sancti Martini »; apud D. Bouquet IX, 412 ; cf. Chifflet, Histoire de l'abbaye de Toumus, preuves, p. 241 et Juenin, Nouvelle histoire de l'abbaye de Saint Philibert et de la ville de Toumus, preuves p. 102. Un diplôme de 915, de Charles-le-Simple place également Louhans in comitatu Lugdunensi, apud Bouquet IX, 524.

(3) Jaffé, n» 6094 ; Chifflet, ibidem, p 400, et Juenin ibid. p. 145.

(4) Voyez le diplôme accordé en 1059 à Tournus par Henri Ier, apud Chifflet, ibid. p. 312; Juenin, ibid. p. 120 et D. Bouquet, XI, 6(Q.

(•ï) Le pouillé du xiv siècle conservé à la Bibliothèque Nationale place Louhans dans le doyenné de Lons-le-Saunier au diocyse de Besançon (f° 108 vo).

(0) Privilège de Henri Ier de 10 9 : « Pistriacum... in Episcopatu Lugdunensi », apud Bouquet, t. XI, p. 600.

(7) Voyez la bulle par laquelle le pape Calixte 11 confirma, les privilèges de l'abbaye de Tournus, dans Chifflet, ibidem, preuves, p. 400 et Juenin ibidem, preuve p. 145. Cette bulle est du 10 mai 1119 (Jaffé, n» 6094).


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de cette époque, la limite Nord-Ouest du diocèse de Lyon fut formée par le cours des deux petites rivières de la Seille et de la Vallière (1).

Les faits que l'on vient de signaler prouvent suffisamment que si au début, des limites des circonscriptions ecclésiastiques se confondirent avec celles des circonscriptions administratives de l'époque gallo-romaine, cet état de choses subit par la suite des temps et sous linfiuence de causes encore mal connues d'assez graves modifications. A elle seule cette constatation nous autoriserait à penser que si à une certaine époque, le diocèse séquane de Belley se trouve séparé, par une vaste étendue de paj's, de son diocèse métropolitain, cette anomalie n'est que la conséquence des empiétements successifs opérés au détriment de la province de Besançon par les évêchés de Lyon et de Genève.

Toutefois avant de nous contenter de cet argument d'analogie, voyons si nous ne trouverions pas dans des documents contemporains la preuve qu'à l'origine, les diocèses de Lyon et de Genève ne s'étendaient pas encore sur les territoires séquanes dont nous les voyons plus tard en possession. J'ai déjà signalé plusieurs empiétements certains du diocèse de Genève sur l'ancienne cité des Séquanes, je n'y reviendrai pas, et je passerai tout de suite aux usurpations de beaucoup les plus considérables dont la province ecclésiastique de Besançon ait eu à souffrir, je veux dire celles qui sont le fait de l'Eglise de Lyon.

(Il Sur la limite nord du pagus Lugdunensis, voyez au Cartulaire de Cluuy, une charte de8331 ?) qui localise dans ce pagus le village de Baniange, rilla que dicilur Bandingas [X. Bernard et A. Bruel, Roc. des chartes de l'abbaye de Clvny, t. I, n° 7).


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Dans ses Vitoe Patrum, Grégoire'<de Tours nous raconte que deux frères, Lupicin et Romain, se retirèrent au milieu des solitudes du Jura situées « entre la Bourgogne et l'Allemagne, sur les confins de la cité d'Avenches » et qu'ils y fondèrent un monastère en un lieu appelé Condaliscone, de sa situation au confluent de deux petites rivières (1). Après avoir porté quelque temps le nom de Saint Oyend de Joux. monaslerinmSancliEuqendi Jurense, qu'il devait à l'un de ses premiers abbés; ce monastère prit par la suite le nom de Saint Claude, évêque de Besançon, qui s'y était retiré dans le courant du VIIe siècle.

Il est à remarquer que Grégoire de Tours ne nous dit pas que les solitudes jurassiennes choisies par les saints Romain et Lupicin pour y mener la vie monastique, fissent alors partie du pagus lugdunensis, dont il devait cependant bien connaître l'étendue, ajrant été diacre de l'Eglise de Lyon, sous son oncle Saint Nizier. On serait donc fondé à conclure du texte que je viens de citer qu'à l'époque où écrivait l'auteur de Y Histoire des Francs, c'est-à-dire dans le dernier quart du VI" siècle, le district de Saint-Claude faisait encore partie du pays des Séquanes où en d'autres termes, du diocèse de Besançon. Toutefois, je ne fais nulle difficulté de reconnaître que sur ce point, le témoignage de l'évêque de Tours n'est pas assez précis pour constituer autre chose qu'une simple présomption, très forte à la vérité, étant

(1) Grégoire de Tours, Vide Patrum, t. I, cap. 1, édition Arndt, p. 004 : « Inter illa Jorensis deserti sécréta, qua.'inter Burguudinm Allamaniamque sita Aventicns adjacent civitati, tabernaeula figunt. »


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donnée la connaissance particulière que Grégoire devait avoir avoir de l'étendue du diocèse de Lyon, mais qui cependant, laisse encore place au doute. Il n'en est pas de même du témoignage de l'auteur anonj'me des Vies des Pères du Jura; cet auteur qui écrivait, à ce que l'on croit, vers le milieu du IXe siècle, mais qui avait très certainement sous les yeux un texte hagiographique beaucoup plus ancien, va nous fournir la preuve irréfutable du rattachement de la région jurassienne au diocèse de Besançon à l'époque mérovingienne. Cette preuve résulte d'un passage de la vie de Saint-Romain, fondateur du monastère de Condaliscone, rapproché d'un passage de la vie de Saint-Oyend (S. Eugendus), quatrième abbé de ce monastère. Dans le premier, notre hagiographe nous apprend que Saint-Romain appartenait à une riche famille de la Gaule séquanoise (Gallia Sequanorum); dans le second, après nous avoir dit que Saint-Ojrend était de la même province que Saint Romain (indigena atque conduis), le biographe ajoute qu'il était né à Izernore (Isarnodori), au département actuel de l'Ain, c'està-dire à plusieurs lieues au sud du district de SaintClaude. Ainsi, au milieu du IXe siècle, ou à tout le moins au VIIe siècle, date probable du texte sur lequel travaillait l'auteur des Vies des Pères du Jura,le district d'Izernore, et à plus forte raison celui de Saint-Claude faisaient encore partie du diocèse séquane (1).

Vers la fin du VHP siècle,des difficultés s'étant élevées entre l'abbé de St-Oyend, Rigbert et l'évêque de Besançon,

fi) B. Krusch, Passiones vit.vque Sanctorum ,vvi Mcrovingici, p. 131 et 154,


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Gédéon, au sujet de la possession du petit monastère (cella) de Laucona, où reposait le corps de Saint Lupicin, l'affaire fut portée à Reims par devant Charlemagne qui après avoir ordonné ce que l'on appellerait aujourd'hui une vue de de lieu, donna gain de cause à l'abbé.

Si à cette époque, Saint-Oyen avait été du diocèse de Lyon, l'Eglise de cette ville n'eût sans doute pas manqué d'intervenir au procès ; or le jugement ne porte pas trace d'une intervention de ce genre (1). D'autre part, l'insertion dans une décision judiciaire rendue contre l'évêque de Besançon, d'une clause de confirmation des possessions de Saint-Oyen, dans la région du Noirmont et de la Valserine, nous permet d'affirmer que cette région dépendait alors du diocèse séquane (2).

Fondé dans les dernières années du VIIe siècle, au centre du massif du Jura, c'est-à-dire en plein pays séquane, le monastère de Nantua ne fut certainement pas consi(1)

consi(1) Perard, Recueil de plusieurs pièces curieuses servant à, l'histoire de Bourgogne, p. 12; D. Bouquet, t. VIII, p. S83, et Regeste Genevois, no 94. Mabillon, après avoir attribué ce diplôme à Charlemagne revint sur son opinion et l'attribua à Charles- le-Chauve ; mais outre les raisons qui militent en faveur do la première attribution, il en est une à laquelle on ne parait pas avoir songé et qui pour moi est décisive : c'est qu'en 802, date que le' savant bénédictin assigne au jugement de Reims, le diocèse de Besançon et l'abbaye de Saint-Claude appartenaient au royaume de Lothaire II qui seul avait qualité pour prononcer sur le différend survenu entre l'évêque et l'abbé. Cf. Gallia christiana, t. IV, col. 245 et t. XV, col. 19.

(2) Joignez à cela-que l'Eglise de Lyon n'eut aucun représentant parmi les commissaires enquêteurs nommés par Charlemagne.


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déré, à l'origine, comme faisant partie du diocèse de Lyon (t). Et de fait, le privilège d'immunité concédé à l'abbé Syagrius par Pépin, en 757, ne fait suivre le nom de ce monastère d'aucune indication géographique (2) ; il en est de même du diplôme par lequel, un siècle plus tard, Lothaire Ier garantit aux moines de Nantua la liberté des élections abbatiales (3). Dans le courant de l'année 825, l'archevêque de Lyon, Saint-Remy, profitant de la faveur dont il jouissait à la cour impériale, obtint du prince la cession du monastère de Nantua à l'Eglise de Lyon ; or, fait digne de remarque, les deux diplômes dressés à cette occasion se bornent à dire que ce monastère était situé dans la région du Jura, locis jurensibus (4). Comme d'ordinaire, la chancellerie impériale a bien soin d'indiquer la circonscription administrative à laquelle appartiennent les abbayes mentionnées dans des actes publics (5), il est à présumer que si elle se départit de cette règle, en ce qui concerne le monastère de Nantua, c'est que l'on n'était pas encore bien fixé sur le point de savoir à quel pagus ou à quel comté il fallait le rattacher. A partir de la donation de ce monastère à l'archevêque Reniy il n'en est plus ainsi ; la situation adminis(1)

adminis(1) la fondation du monastère de Nantua, voyez Gallia Christiana, t. IV, col. 215.

(2) D. Bouquet, t. V, p. 702.

(3) D. Bouquet, t. VIII, p. 872 et Gallia Christiana, t. IV, col. 217.

(4) D. Bouquet, t. VIII, p. 388 et 391.

(5) Voyez notamment les diplômes concédés par Lothaire I" aux monastères de Saiut-Mihel, de Flavigny, de Romans, de Munsterthal et de Cruas, apud Bouquet, t. VIII, p. 372, 370, 389, 38") et 392.


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trative du district de Nantua est définitivement .réglée et les actes publics le placent désormais dans le pagus lugdunensis (1).

En terminant, il ne sera peut-être pas inutile de remarquer qu'Ambronay appartenait à l'abbaye Séquane de Luxueil lorsque, dans les dernières an-nées du vin" siècle, Saint-Barnard y jeta les fondements d'une abbaye célèbre qui ne tarda pas à reconnaître l'autorité des prélats lyonnais (2).

De l'ensemble des faits que l'on vient de rappeler on est en droit de conclure qu'au début de l'époque carlovingienne, le Haut-Bugey et le district de Saint-Claude

il) Pour l'époque antérieure à la donation de 852, il n'y a pas à faire état de la prétendue donation, faite au monastère de Nantua par le comte de Genève Albitius (?) ; cette donation, qui du reste ne porte pas de date est un faux manifeste. Il faut sans doute en dire autant du précepte de Louis et Lothaire, fils de Louis-le-Pieux, que le savant archiviste de l'Ain, M. Brassard, a publié d'après une copie du xvne siècle, dans les Annales de la Société d,'Emulation de l'Ain, année 1889, p. 172. Au reste les moines de Nantua étaient, comme ou sait, sinon d'habiles, du moins d'obstinés faussaires. Sur l'époque postérieure, à 852, voyez les diplômes de Louis-le-Bègue (878), de Charlesle-Gros (88o) et de Louis roi de Provence (892), qui tous les trois placent le monastère de Nantua dans le pagus Lugdunensis, apud Bouquet, t. IX, p. 412, 339 et 075 ; voyez également les Annales de Saint-Bertin, ad annum 877, ibidem, t. VII p. 124 et la Chronique de Verdun, même année, ibidem, t. VII, p. 248.

(2) Voyez la Légende de Saint-Barnard, fondateur de l'abbaye d'Ambronay, dans S. Guichenon, Histoire de Bresse et de Bugey, preuves, p. 175; cette légende ne dit pas qu'Ambronay appartint au pagus lugdunensis. à l'époque de la fondation du monastère de ce nom.


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n'appartenaient pas encore au diocèse de Lyon. Comment et par suite de quelles circonstances ces régions entrèrentelles dans la sphère d'action des prélats lyonnais ? C'est ce qu'il nous reste à rechercher.

Suivant une tendance générale qui prit une grande extension à l'époque carolingienne (1), les abbayes jurassiennes s'efforcèrent sans doute de bonne heure de s'affranchir de la suprématie épiscopale et dans l'état d'impuissance où était tombée l'église de Besançon, à la suite des invasions des Vandales et des Huns (2), elles durent y réussir sans trop de difficultés. Au reste, quand elles ne parvenaient pas à arracher une charte d'immunité à l'avidité du souverain ou à la faiblesse de l'évêque, elles ne se gênaient pas pour fabriquer de toutes pièces des bulles pontificales ou des diplômes royaux qui leur concédaient les privilèges les plus mirifiques. C'est ce que fit le monastère de Nantua qui imagina une correspondance entre le pape Grégoire le Grand mort en 604 et le roi Childéric II qui naquit en 649, correspondance de laquelle il ressort, bien entendu, que les moines de Nantua ne dépendent que du pape et qu'aucun évêque n'a le droit de se mêler de leurs affaires (3).

En rompant les liens qui les unissaient aux évêques Séquanes, les abbayes de la région jurassienne avaient cru assurer leur indépendance ; elles ne réussirent qu'à rendre plus facile et plus prompte leur incorporation au

(1| Sur les immunités épisropales ou abbatiales, voyez Le Huerou, Histoire des Institutions earolinqiennes, p. 492 et s'niv. et J. Tardif, Etudes sur les Institutions de la France, p. 182.

(2) Gallia Christiana, t. XV, c. 10 et D. Bouquet, t. III, p. 183.

(3) Pardessus, Diplomata, t. II, n»' 352 et 3o3.


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diocèse de Lyon. Nous venons de voir que dès l'année 852, le monastère de Nantua avait été donné à l'Eglise de Lyon par l!empereur Lothaire (1) ; il est à présumer que les abbayes de Saint-Ratnbsrt et d'Ambronay dépendaient déjà, à cette époque, de l'évêché lyonnais (2).

Quant à l'abbaye de Saint-Claude, bien que l'archevêque de Lyon, Renry, archichancelier de l'empereur Lothaire, l'ait reçue en bénéfice de ce prince (3), elle n'en reconnut pas, pour autant, la suprématie du siège de Ljron; tout au contraire, elle sollicita et obtint diplômes sur diplômes pour la garantie de ses immunités épiscopales (4). Aussi bien, la donation que Lothaire Ier en avait consentie à son archichancelier avait un caractère tout personnel, bien différente en cela de la concession de l'abbaye de Nantua qui semble avoir été faite non pas à l'archevêque mais à l'Eglise de Lyon (5).

(1) D. Bouquet, t. VIII, p. 388 et 381.

(2) Cf. Gallia Christiana, t. IV, col. 255 et 272. Une bulle de Léon IX, du 30 avril 1050, place Ambronay, « in archipresulatu Lugdunensi ». Cetf bulle qui existe en original aux Archives de l'Ain, H. 88, a été publiée par M. A. Bé^ard, en appendice à son intéressante Histoire de L'abbaye d'Ambronay.

(3) Gallia Ghoistiana, t. IV, col. 246 et 247. Lothaire Ie° pa rait avoir considéré l'abbaye de Saint-Claude comme l'apanage de ses archîchanceliers ; c'est à ce même titre d'archichancelier que l'archevêque de Vienne Agilmar l'avait reçue en bénéfice avant Saint-Remy.

(4) Diplôme de Lothaire 1er, apud Bouquet VIII, 392;—Diplôme de Louis d'Outremer, apud Duuod, Histoire des Séquanois, t. I, preuves, p. 68 ; — Diplôme de Frédéric Ier, de 1184, apud Dudod, ibidem, p. 09.

(5) Cf. Bouquet, t. VIII, p. 388 et 391.

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Les prélats lyonnais qui, depuis longtemps, ambitionnaient de soumettre à leur autorité la riche abbaye jurassienne furent assez habiles pour convaincre l'abbé Bernard de la légitimité de leurs prétentions. Ce Bernard qui exerça les fonctions abbatiales de 1185 à 1187, s'engagea solennellement par devant l'archevêque Jean de Bellesmes à reconnaître la juridiction du siège de Lyon (]); mais ses successeurs ne se tinrent pas pour liés par cet engagement : soit qu'ils préférassent dépendre des évêques de Besançon dont l'autorité moins considérable cadrait mieux avec leurs velléités d'indépendance, soit plutôt qu'ils prétendissent à l'exemption de toute autorité épiscopale, ils contestèrent hautement à l'Eglise de Lyon les droits qu'elle revendiquait sur leur abbaj'e.

Dans le courant de l'année 1399, un difiérend s'étant élevé entre l'archevêque Philippe de Thurey et l'abbé de Saint-Claude, Guillaume V, l'official métropolitain évoqua l'affaire et par un interlocutoire qui nous a été conservé, il ordonna de tirer des archives diocésaines l'acte par lequel l'abbé Bernard avait reconnu la juridiction du siège de Lyon (2). On ignore qu'elle fut l'issue du procès, mais il y a tout lieu de croire qu'il donna gain de cause à l'Eglise de Lyon. Au reste, les abbés de Saint-Claude ne s'inclinèrent point devant cette décision ; ils en appelèrent au pape et continuèrent à récuser la juridiction ordinaire

(1) La formule du serment prêté par l'abbé Bernard nous a été conservée; M. Guigue l'a publiée dans son Cartulaire Lyonnais, t. I, n° 54. Cf. Gallia Christiana, t. IV, c. 249.

(2) Bibliothèque de la Ville de Lyon, Catalogue Coste, numéro 1555.


SECOND ROYAUME DE BOURGOGNE 83

des prélats lyonnais. Les choses en étaient là et le conflit s'envenimait de jour en jour, lorsque s'ouvrit le Concile de Bâle, le 23 juillet 1431, A cette époque, la mitre abbatiale était portée par Jean de Vinzelles, homme ardent et d'un caractère opiniâtre qui défendait avec énergie les immunités de son abbaye, refusant de se soumettre aux visites de l'archevêque de Lyon, Amédée de Talaru, et s'abstenant de se rendre aux synodes convoqués par ce prélat. Pour en finir, ce dernier, présenta au concile de Bâle une requête aux fins d'obtenir des pères de ce concile qu'ils évoquassent l'affaire qui était toujours pendante en cour de Rome. Dans cette requête, le prélat lyonnais ne prétendait pas que l'abbaye de Saint-Claude eût, de tout temps, dépendu de l'Eglise de Lyon, il se contentait de dire, ce qui est bien différent, que les abbés de ce monastère étaient soumis à la juridiction des archevêques de Lyon « depuis si longtemps que l'on n'avait pas conservé la mémoire du contraire. » Le Concile, ainsi que le lui demandait Amédée de Talaru, évoqua l'affaire à sa barre et faisant droit aux prétentions de l'Eglise de Lyon, il soumit l'abbajre de Saint-Claude à la juridiction ordinaire et à la supériorité, ecclésiastique des prélats lyonnais (1). Ainsi se termina un conflit qui durait depuis plus de cinq siècles.

La main mise de l'Eglise de Lyon sur les abbayes ju(1)

ju(1) de ce jugement délivrée à l'Eglise de Lyon nous a été conservée : elle se trouve actuellement à la Bibliothèque de la ville de Lyon, Fonds Coste, n° 1555 du Catalogue Vingtrinier. La bulle du Concile append encore à l'acte : elle est en plomb et présente au droit le buste du Christ et au dessous des bustes d'évèques et d'abbés ; au revers, on lit : Sacro sancta Generalis Sinodus Basiliensis.


84 ANNALES DE L'AIN

rassiennes ne paraît pas avoir eu pour conséquence nécessaire et immédiate la réunion au diocèse lyonnais du Haut-Bugej>- et du district de Saint-Claude.

Dans l'acte de fondation de la chartreuse de Meyriat, rien n'indique, en effet, que les domaines qu'en 1116 Ponce du Balme3r, chanoine de l'Eglise de Lyon, donna à l'ordre des Chartreux fussent alors compris dans le pagus lugdunensis (1) et ce n'est sans doute que quelques années plus tard, sous l'administration de ce même Ponce, que la nouvelle chartreuse fut réunie au discëse de Lyon (2).

Cette annexion ne semble pas avoir entraîné celle des pays environnants et notamment de la partie du canton actuel de Brénod qui n'appartenait pas au diocèse de Genève. Cette région continua pendant quelque temps encore à faire partie du diocèse de Belley : c'est du moins ce qui semble ressortir d'une déclaration de 1149 par laquelle Bernard, prieur de la Chartreuse de Portes, fait savoir que deux ans auparavant, alors qu'il était évêque de Belley, un accord avait été passé par devant lui entre G. de Bénonces et les religieux de Meyriat, au sujet de biens situés sur la montagne du Chevillàrd (3). C'est

\\) S. Guichenon, Histoire de Bresse et de Bugey, preuves, p. 199 et 200.

(2) Cette réunion était un fait accompli en llà'7, ainsi que le prouve une bulle de Frédéric II qui place la chartreuse do Meyriat « in dioecosi Lugdunensi et regno Burgundioe. » (^Guichenon, Bibliotheca Sebusiana, p. 177); cf. le compromis passé, en 1213, entre les' Chartreux et les religieux de Saint-Sulpiceen-Bugey, dans M. C. Guigue, Petit Cartulaire de l'abbaye de Saint-Sulpice-en-Bugey, p. 65.

(3) Gallia Chrisiicrna, t. IV, col. 309, instrumenta.


SECOND ROYAUME DE BOURGOGNE- 85

ce qui ressort également de la sentence rendue, en 1164, par l'évêque de Belley, Saint Anthelme, dans le procès qui s'était élevé entre ces mêmes religieux de Meyriat et les seigneurs de Rougemont, relativement à des biens situés dans la Combe du Val, au canton de Brénod (1).

Pour ce qui est du district de Saint-Claude, le pouillé lyonnais de la fin du Xile siècle publié par Aug. Bernard, à la suite des Cartulaires de Savigny et d'Ainay, nous montre qu'à cette époque, le diocèse de Lyon ne dépassait pas au nord Dortan, Arbent et Oyonnax (2). Le diplôme délivré, le 16 novembre 1184, par l'empereur Frédéric Barberousse à l'abbaye de Saint-Oyen place également dans le diocèse de Lyon MartignaL Groissiat, Oyonnax (Oionaco), Veyziat et Dortan (Dordingo), mais il ne dit rien dont on puisse inférer que Saint-Claude appartînt alors à ce diocèse (3). Le plus ancien document qui attribue au diocèse lyonnais, sinon la totalité, du moins une partie importante de l'arrondissement actuel de Saint-Claude est le compte de décimes inséré dans un recueil de pièces du même genre qui se trouve aujourd'hui à la Bibliothèque nationale. Ce document qui parait avoir été rédigé vers 1365, place dans l'archiprêtré d'Ambronay, Longchaumois, Saint-Ouen, Septmoncel, Molinges, Saint-Sauveur, Jeurreet Choux (4).

Dans la bulle instituant auprès de l'Eglise de Belley un collège de chanoines réguliers, bulle qui date de l'année 1142, Innocent II réserva à l'évêque de cette ville son droit êpiscopal (jus épiscopale) sur vingt-sept églises

(1) Gallia Christiana, t. XV, instrum. col. 312.

(2) A. Bernard, Gartulaires de Savigny et d'Ainay, p. 931.

(3) Dunod, Histoire des Séquanois, t. I, preuves, p. 69. (i) Bibl. Nat. ; Fonds Latin, n° 10031, folio 17, v» à 19, r".


86 ANNALES DE L'AIN

de son diocèse et lui reconnut, en outre, un droit de patronage sur les églises dTzernore, de Geovreissiat, de Napt et de Pouillat, au diocèse de Lyon (1). La bulle n'indique pas l'origine de ce droit de patronage, mais il ne serait peut-être pas trop téméraire d'y voir comme un débris du droit êpiscopal exercé par les évêques de Belley, à l'époque où ces églises faisaient partie de leur diocèse. Il convient d'ajouter que les pouillés lyonnais des xnr 2 et xive siècles publiés par A. Bernard attribuent également à l'évêque de Belley le patronage des quatre églises que l'on vient de citer (2;.

Enfin, il ne sera pas inutile de remarquer que trois localités du Haut-Bugey, Sonthonax-la-Montagne, Chantonnax, commune de Vej'ziat et Sonthonnax-le-Vignoble, commune de Leyssard, portent le nom d'un prélat de Besançon, Saint-Donat, qui exerça les fonctions épiscopales durant le second quart du VIP siècle, de 625 à 641 environ (3).

Telles sont les motifs que l'on peut alléguer pour établir qu'à l'origine et conformément à la loi générale de de concordance des divisions civiles avec les divisions ecclésiastiques, le diocèse de Belley allait rejoindre au nord le diocèse de Besançon.

E. PHIL1PON.

(A suivre.)

(1) Gallia Christiana, t. XV, instrum. col. 307.

(2) A. Bernard, Cartulaire de Savigny, p. 625, 932, 932, 97-1, 970 et le compte de décimes du xive siècle conservé à la Bibliothèque nationale (Manuscrits, fonds latin, u° 10031!.

(3) Gallia Christiana. t. XV, col. 14.


LA STATUE DE COLIGNY

Cette exceptionnelle découverte archéologique a fait l'objet de trois communications à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres : deux de M. Paul Dissard, conservateur des Musées de Lyon ; une de M. Joseph Bûche, agrégé de l'Université, professeur au Lycée, membre de la Société d'Emulation de l'Ain. M. Héron de Villefosse, membre de l'Institut, a bien voulu, avec sa haute autorité, communiquer ces notes à l'illustre et savante Compagnie. Nous ne croyons pouvoir mieux faire qu'en les reproduisant textuellement, ci-dessous, dans leur ordre chronologique. Elles se complètent et se rectifient mutuellement et donnent l'état actuel de la question.

I Académie des Inscriptions et Belles-Lettres

Séance du 17 décembre 1897

M. Héron de Villefosse communique au nom de M. Paul Dissard, conservateur des Musées de Lyon, une note concernant une importante découverte archéologique faite récemment sur le territoire de la commune de Colignjr, arrondissement de Bourg (Ain).

« Un cultivateur du hameau de Charmoux, en minant une terre nommée Verpois, située à peu de distance de


88 ANNALES DE L'AIN

la route nationale de Lyon à Strasbourg, près des confins des départements de l'Ain et du Jura et non loin des restes d'une voie romaine, a trouvé enfouis à trente centimètres du sol les débris d'une magnifique statue de bronze remontant à l'époque gallo-romaine. Cette statue, grande comme nature, est très probablement une image d'Apollon : la tête du dieu est de très beau style ; la bouche est entrouverte; les yeux, aujourd'hui vides, devaient être jadis remplis d'une matière précieuse ; les cheveux, longuement bouclés et d'un travail particulièrement soigné, forment comme une espèce de couronne retombant en mèches flexibles sur la nuque. Le dessus de la tête n'a pas été.retrouvé ; fondu à part, il s'ajustait avec des rivets dont on remarque encore la place ; il devait être surmonté d'une couronne de raj'on. Une base circulaire moulurée servait de support à la figure entièrement nue et debout.

« En même temps que les restes de la statue et mêlés avec eux, on recueillait les fragments de deux grandes tables de bronze ; ces fragments sont au nombre de près de cent cinquante, dont plus de cent vingt sont couverts d'inscriptions gauloises. Ï

L'étude sommaire faite par M. Dissard semblerait indiquer qu'on se trouve en présence d'un calendrier dont les divisions sont faites par demi mois lunaires de quatorze ou quinze jours. Devant chaque chiffre indiquant la date est placé un trou destiné à recevoir une cheville; en regard de ce trou on trouve des indications désignant, sans doute, les jours fastes et néfastes, les fêtes, les jeux, les marchés, etc. M. Dissard soumet à l'Académie une partie de ce texte fournie par trois fragments juxtaposés ; ses explications seront complétées dès que le travail


LA STATUE DE COLIGNY 89

d'assemblage, qu'il a entrepris lui permettra de donner une copie complète de ce texte.

« La conservation de l'ensemble de cette précieuse découverte a été assurée par l'acquisition qui en a été faite par M. Dissard, pour les Musées de la ville de Lyon. »

(Comptes rendus, novembre-décembre 1897, p. 703-704.) II

Académie des Inscriptions et Belles-Lettres

Séance du 29 décembre 1897

M. Héron de Villefosse rappellaque, dans la séance du 17 décembre dernier, il a communiqué à l'Académie de la part de M. Dissard, conservateur des musées archéologiques de Lyon, une note relative-à la découverte d'une longue inscription gauloise, gravée sur des tables de bronze brisées en une infinité de petits morceaux. Il dépose aujourd'hui sur le bureau la copie de ce texte important qui provient de Coliguy (Ain). Il n'a pas fallu moins de six grandes planches pour réunir les 126 fragments dont se compose l'inscription, M. Dissard a consacré plus de quinze journées à cet assemblage provisoire qui aura besoin d'être revu dans les détails, mais qui, dès à présent, permet d'apprécier la valeur du document épigraphique si heureusement recueilli par le musée de Lyon. Le texte comprend plusieurs colonnes ; il se compose d'un nombre assez considérables de paragraphes ayant ohacun quinze lignes, numérotées I à XV ; ces paragraphes sont précédés d'un titre en plus gros caractères. Dix d'entre eux n'ont que quatorze lignes, numérotées I à XIV ; ces dix paragraphes se terminent tous par le mot DIVER-


90 ANNALES DE L'AIN

TOMV, DIVORTOMV ou DIVIRTOMV, écrit en caractères, plus gros à la place de la quinzième ligne.

M. Dissard a voulu, avant tout, placer le texte de l'inscription sous 'les yeux des savants compétents. Il serait nécessaire d'en publier, au plus tôt, des fac-similés dans le Bulletin de l'Académie.

L'Académie décide la reproduction et la publication dans les Comptes rendus des textes communiqués par M. Dissard.

(Comptes rendus, novembre-décembre 1897, p. 730).

Les fac-similés placés à la suite de cette communication forment six planches hors texte.

III Académie des Inscriptions et Belles-Lettres

Séance du 14 janvier 1898

M. Héron de Villefosse communique à l'Académie, au nom de M. Joseph Bûche, agrégé de l'Université, professeur au lycée de Bourg, les photographies de plusieurs morceaux (et en particulier de la tête) de la statue de bronze trouvée près de Coligny (Ain), au lieu dit Verpois. La découverte a été faite par M. Roux, propriétaire à Ville-sous-Charmoux. Les photographies ont été exécutées par M. Fournier, agent-voyer, qui faisait partie avec MM. Huteau, professeur à l'Ecole normale d'instituteurs, Sommier et Joseph Bûche, professeurs au lycée de Bourg, de la commission envoyée par la Société d'émulation de l'Ain pour examiner la découverte de M. Roux.

M. J. Bûche croit que les débris de statue recueillis ne peuvent appartenir à une statue d'Apollon, comme le


LA STATUE DE C0LIGNY 9i

pense M. Dissard, conservateur du Musée de Lyon, mais qu'ils conviennent beaucoup mieux à une statue de Mars. Après avoir constaté au-dessus des boucles de cheveux les traces d'un rebord ébarbé, percé de trous pour les rivets destinés à supporter une coiffure, il en conclut que la statue de Coligny devait être coiffée d'un casque.

Sa conclusion est confirmée par le rapprochement des fragments de Coligny avec une statuette en bronze du dieu Mars, nu et casqué, trouvée en 1788 à Oyonnax (Ain), dans le même pays. Cette statuette appartient, aujourd'hui à M. Aimé Vingtrinier, conservateur delà bibliothèque de Lyon (1).

L'étude des fragments de la statue de Coligny conduit donc M. J. Bûche à affirmer que ces fragments proviennent d'une statue de Mars identique au Mars d'Oyonnax, dont il existe du reste d'autres répliques dans les musées. Les attaches des bras, des jambes, les rotules ne laissent d'après lui, aucun doute sur l'attitude du dieu. C'est bien le même corps svelte, sec et nerveux. Il croit qu'un casque à haut panache, dont aucun débris n'a été retrouvé, couvrait les boucles épaisses de la chevelure du dieu. Cette ingénieuse hypothèse parait très vraisemblable.

(Comptes rendus, janvier-février 1898, p. 9-10).

(1) M. A. Vingtrinier a lu une étude sur cette statuette à l'une des réunions de la Sorbonne, le 31 mars 1880. Il en a publié une lithographie dans une brochure intitulée : La statuette d'Oyonnax.Lyon, 1880.


MÉTÉOROLOGUE

On sait que les pluies sont peu semblables dans des régions assez voisines disposées à peu près de même.

Les mêmes différences se poursuivent sur les autres genres d'observations. Il semble donc impossible d'établir une note générale pour toute une région étendue comme celle du département de l'Ain, placé entre deux chaînes de montagnes à l'ouest et à l'est et formé de deux régions aussi distinctes que la plaine de la Bresse à l'ouest et la chaîne du Jura à l'est. Ces dissemblances sont telles, qu'à dix kilomètres dans la montagne, à Simandre, il y a déjà des quantités de pluie fort différentes de celles de Bourg et irrégulièrement variable.

Ainsi, à Simandre, on a généralement moins de jours de pluie qu'à Bourg, mais plus de pluie.

Néanmoins, on peut remarquer qu'en groupant en un seul tableau : Bourg, Simandre et Bonneville (HauteSavoie), dont je trouve les relevés dans la Revue de E. Vimont, on aura à peu près un aperçu au point de vue de la pluie en 1897, de la région comprise entre la Saône et le Rhône :


93 MÉTÉOROLOGIE

BOURG SIMANDRE BONNEVILLE

Pluie Jours Pluie Jours Pluie Jours

Jours en de en de en de Joursd'orages

Joursd'orages pluie millini. pluie- mill. pluie, d'orages,

Janvier.... 0 42 17 43 8 15 13 0

Février.... 0 95 U 167 11 88 14 0

Mars 3 100 15 157 12 145 17 2

Avril 4 97 18 188 12 83 17 3

Mai 3 28 12 55 6 76 20- 4

Juin 10 61 10 94 7 67 21 8

Juillet 10 00 14 63 10 57 14 3

Août 5 152 17 223 8 238 14 3

Septembre. 1 181 18. 240 12 189 19 1

Octobre.... 0 17 4 15 I 1 2 0

Novembre.. 0 18 5 20 2 1 4 0

Décembre.. 0 88 10 11g G 6 8 0

Totaux.. ~36 939 154 1.383 95" 966 163 24~

Aux jours de pluie, j'ai ajouté pour les deux stations extrêmes : Bourg et Bonneville, le nombre de jours i d'orages. Ceux-ci commencent et finissent en même temps de part et d'autre, mais ils sont plus nombreux à Bourg qu'à Bonneville, et il " est probable que plus à l'ouest ils seraient encore plus nombreux.

Je profite de cette occasion, pour publier quelques notes qu'on veut bien me communiquer sur Saint-Jeanle-Vieux, elles donneront, comparées à celles ci-dessus, la différence climaférique de ce lieu de villégiature bien desservi aujourd'hui :

Température WiltiiB. Jour* [iaruraetre Duurg. température llil.de Pluie MOIS Kiiùisa M:ixiina de pluie de pluie Maï, HiD. Minima. Maxiraa Bourg Simatidrc

Mai —1+25 27 8 770 754—0 +29 28 55

Juin 51 6 +8 +34 61 194

Juillet... +8 +30 52 8 771758+10+33 60 63

Août..... +7 +30 189 15 770 762 +10 +33 152 223

Septembre +5 +25 229 18 775 760 +7 +28 181 240

Octobre.. —4 +18 21 2 775 762 —2 +22 17 15

D'après ce tableau on voit que la pluie à Saint-Jeanle-Vieux est moindre qu'à Bourg dans une période sèche,


94 ANNALES DE L'AIN

et lient au contraire !e milieu entre Bourg et Simandre dans une période mouillée. Cela semble faire naître l'idée d'un climat moyen entre la Bresse et la montagne présentant sans doute moins de jours débrouillard et plus de jours de beau temps où l'on voit le soleil. A Résinand, au-dessus de Sainl-Jean-le-Vieux, on a eu tout cet hiver, un beau soleil, point de brouillards ou s'il en vient le soir, il disparaît le matin, la floraison des plantes y est beaucoup plus avancée qu'à Bourg. Comme l'air y est plus lavé que dans la plaine, on ne se plaint pas la haut des maladies transmissibles qui se sont si développées cet hiver dans la plaine, chaque fois surtout que le baromètre s'est élevé en même temps que le thermomètre. Il y a là une sorte de coïncidence qui ne me paraît pas fortuite, s'étant produite deux fois.

La région de Simandre est aussi considérée comme plus saine que Bourg, mais Simandre situé sur un sol rocheux est plus sain que Villereversure, situé sur une alluvioh du Suran. L'humidité du sol est donc un facteur considérable.dans la santé de l'individu.

Aussi, faut-il dans les slalions de villégiature où on recherche un air sain et salubre, éviter les stations dont le sol est caillouteux ou rempli de sources et préférer les sites du jurassique supérieur de notre Jura de l'Ain. Ces sites sont placés sur les terrains teintés en bleus et marqués J 3, 4, 5, 6, de la carte géologique officielle de la France. Il convient aussi de choisir des stations abritées du Nord et situées à des altitudes un peu élevées. Ces stations doivent être séparées de la Bresse,soit par la première chaîne occidentale du Jura, soit par la

vallée de l'Ain.

TARDY.


RÉSUMÉ DES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ D'EMULATION

1896-1897

M. Nodet, vice-président, communique à la Société une Notice explicative du quintuple sens de la devise de Marguerite d'Autriche à Brou : • • • Fortune • \ ■ Infortune • ; • Fort • j • Une • j • par M. le lieutenant-colonel Laussac de Bourg.

Ce travail prétend expliquer la devise de Marguerite rapprochée de la devise de Savoie : Fert (foedere et religione tenemur) telle qu'elle est expliquée dans une médaille d'or de Victor Amédée 1er. Une devise était d'autant mieux choisie qu'elle permettait un plus grand nombre d'interprétations différentes et la brochure de M. Laussac, très bien illustrée, a le mérite de donner pour la première fois une photographie du bénilier qui porte les deux devises ci-dessus enchaînées l'une dans l'autre.

M. Ch. Tardy, donne quelques détails sur l'Arande et sa vallée. L'Arande prend sa source à l'ouest de Chavannes-sur-Suran, au bois du Clapej', dans un trou de douze mètres de profondeur. Il traverse la plaine de Dhuis, Thiole et se jette dans le Suran à un kilomètre au midi de Simandre. Ce cours d'eau n'existe qu'au moment des grosses eaux : il coule généralement après une chute de pluie de 60 millimètres.

— Une notice nécrologique sur Frédéric Tardy par M. E. Fournier, publiée dans les Annales, a donné, à la


96 ANNALES DE L'AIN

suite de s'a biographie, le titre des nombreux travaux que notre regretté collègue a fait paraître dans les Annales et dans différentes revues. C'est un juste hommage rendu à la niénioire d'un collègue dévoué à la prospérité de la Société dont il était le Secrétaire.

— M. Brossard, notre regretté Président, a achevé durant sa longue et bien douloureuse maladie, le Regeste de Notre-Dame de Bourg. Il l'a mis au point, et en a corrigé les épreuves, mais il n'a pas eu la satisfaction de le voir imprimé. Dans deux in-octavo, M. Brossard a réuni tous les documeuts, tous les titres intéressant notre vieille et belle église paroissiale jusqu'en 17,90. Il lésa fait suivre d'études diverses sur les vitraux, les stalles, les différentes chapelles, le maitre-autel, la chaire à prêcher, le tableau miraculeux, etc.

C'est là un travail important parce qu'il réunit dans un livre les nombreux articles épars dans des revues et dans des journaux, articles qui auraient pu s'égarer facilement.

— M. Philipon continue là publication de l'Histoire du second royaume de Bourgogne, jusqu'à la djaiastie des Rodolphiens. Nous signalons au lecteur le chapitre'relatif à la mort de Charles-le-Chauve, publié dans le 4e trimestre 1896, qui fixe un point important de notre histoire locale.

Le lieu où ce roi est mort serait un village situé dans la vallée de la Maurienne, et non Brion près de Nantua ou Briord sur le Rhône: ce point parait établi à l'auteur d'une manière irréfutable par la traduction de l'annaliste de Saint-Bertin et par la phonologie, qui s'oppose à ce que Brios ait pu devenir Brion ou Briord.

— M. le docteur Passerat a donné dans le travail qui


RÉSUMÉ DES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ D'ÉMULATION 97

a pour titre : « Mouvement de la population dans le pays d'étangs, de 1880 à 1896, au point de \ue de l'hygiène », une remarquable étude sur la salubrité de la Dombes avant le dessèchement. Cette salubrité est prouvée, pour lui, par une statistique consciencieusement établie d'après le chiffre de la population et le chiffre des décès de plusieurs communes, qui possédaient beaucoup d'étangs au commencement du siècle et qui en possèdent moins aujourd'hui. D'après M. le docteur Passerat, les étangs ne sont point une cause d'insalubrité et par conséquent de diminution dans la population de la Dombes ; il prouve, chiffres à l'appui, que la population diminue très sérieusement depuis plusieurs années, c'est-à-dire depuis l'époque des plus vastes dessèchements.

— M. Tardy communique à la Société le résultat des observations météorologiques pour l'année 1896. Il est tombé à Bourg 1,268 millimètres d'eau en 171 jours; à Résinand, à 600 mètres d'altitude, 2,301 millimètres en 151 jours.

— M. Bûche a fait une causerie sur Mme de Meillonnas et ses oeuvres. 11 rappelle que M. Jarrin, notre vénéré Président honoraire, s'est occupé à deux reprises, de Mmede Meillonnas : 1° Dans les Annales de 1875, page 169-178 ; 2° Dans îa Vie de Lalande, p. 67-68, appendice au tome IV de son Histoire de la Bresse et du Bugey. Le travail de M. Jarrin lui semble à peu près définitif en l'absence de nouveaux documents d'archives.

— MM. Tardy et Sommier entretiennent la Société d'un bolide qui a été aperçu le 26 février 1897 à 4 heures 1/2 du matin à Bourg, Saint-Rambert, Bellegarde, Annecy, Saint-Claude et Belleville. La direction générale était de l'ouest à l'est. A.Bourg, on l'aurait vu se diviser

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98 ANNALES DE L'AIN

en trois fragments, mais aucune détonation n'a été entendue ; dans les autres lieux où il a été signalé on a perçu une détonation, deux même à Saint-Claude. M. Tardy explique ce phénomène et la composition chimique des aérolithes.

— M. Huteau présente à la Société l'appareil à projections que celle-ci a acheté pour servir aux Conférences populaires et lui en donne la primeur en montrant aux membres présents les vues de l'Algérie, de Saint-Pétersbourg et de Moscou.

— M. Collet, dans ses « Notes sur divers ouvrages hydrauliques servant à fixer le régime des étangs, de la Dombes » publiées dans les Annales, a traité de la construction d'un étang et de tous les travaux indispensables pour cela. C'est une étude toute d'actualité et qui arrive au moment où l'on parle du rétablissement de quelques étangs.

— M. E. Chanel commence la publication d'un Dictionnaire de Géologie. Ce travail a pour but de faciliter aux adeptes de cette agréable science la connaissance de ses termes ardues et souvent inintelligibles.

— M. J. Couvert a entretenu la Société du pain complet. Il rappelle les nombreux travaux de notre compatriote M. Balland et ceux de M. Aimé Girard sur cette question.

— M. Bûche a fait à la Société le compte rendu d'une notice « La Tunisie à l'usage des émigrants ». Un résumé de ce compte rendu a été imprimé dans les Annales.

— Un travail intéressant de M. Brossard sur notre historiographe bressan : Samuel Guichenon, est lu à la Société. D'après documents à l'appui, M. Brossard dit que


RÉSUMÉ DES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ D'ÉMULATION 99

Samuel Guichenon serait né à Màcon et non à Chàtillonsur-Chalaronne, comme l'a écrit son neveu Collet, le 18 août 1607. La lecture de cet important travail a occupé plusieurs séances et il est décidé qu'on le publiera très prochainement dans les Annales.

— M. Fournier a annoncé à la Société qu'il avait dû exister à Gex, vers 1680, une imprimerie. Il en a acquis la preuve par un ouvrage qu'il a eu entre les mains et qui porte ce lieu et cette date d'impression, il est intitulé : « La fama gelosa del Ludovica quadraterina ».

— M. Sommier a donné communication à la Société d'une conférence faite devant la Société des Amis de l'Université de Lyon par M. J. Texte « La jeunesse d'Edgar Quinet. » Conférence bien écrite, très intéressante et qui a été entendue avec un vif plaisir.

— M. Bûche entretient la Société des Papiers de Mme Roland et lui annonce la savante et sérieuse étude à laquelle se livre sur ce sujet M. Perroud, recteur de l'Université de Toulouse, membre correspondant de la Société.

Nous avons à mentionner maintenant les décès qui ont particulièrement atteint la Société en 1896-97.

Edmond Jacquemin , professeur honoraire du Lycée Lalande, conservateur-bibliothécaire de la Société, décédé le 21 décembre 1896. C'était un membre très ancien et très assidu qui avait publié dans les Annales, un important travail sur les Terrains secondaires du département de l'Ain. Il avait pris aussi une part très active aux fouilles faites à Corveissiat, à Ramasse, à Châteauvieux et dans beaucoup de grottes afin de rechercher et de réunir tous les documents relatifs au département, et se


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rapportant, soit aux plus anciennes-époques de l'histoire, soit aux âges préhistoriques.

Edmond Chevrier qui fut Président de la Société d'Emulation du 23 décembre 1863 au 18 décembre 1872, Président honoraire depuis le 1er février 1888, décédé à Bourg, le 4 août 1897. Peu de temps après son élévation à l'honorariat, Edmond Chevrier écrivait : « La Société d'Emulation a tenu une grande place dans ma vie, elle m'a été très utile et très agréable par les distractions que j'y ai trouvées et par les bonnes amitiés et relations qu'elle .m'a procurées. » Il avait publié plusieurs travaux dans les Annales.

Joseph Brossard, Président de la Société, est décédé à Bourg, le 15 août 1897. Depuis un an la maladie le retenaient loin des séances, mais jusqu'au dernier jour, il a travaillé pour la Société en corrigeant les épreuves des Annales et en mettant la dernière main à la biographie et à l'histoire de Samuel Guichenon. L'oeuvre considérable de JI. Brossard a été rappelée dans une notice nécrologique faite par M. E. Fournier et publiée dans le 4e trimestre.des Annales 1897.

INSTITUT DE FRANCE

L'Académie des Sciences morales et politiques, dans sa séance du 7 août 1397, et sur le rapport de M. Lefèvre de Pontalis, a décerné une récompense de mille francs sur la fondation Le Disses de Penanrun à M. E. Thouverez, professeur à l'Université de Toulouse, membre correspondant de la Société, pour son ouvrage intitulé : Le Réalisme métaphysijqïié, v 7' s


CAUSERIE SUR LES ETANGS

Bibliographie. — Assolement, — Avantages. — Exploitation. — Insalubrité. — Loi de 1856. — Traité de 1363. — Dessèchements. — Primes, — Projet de loi. — Conclusions.

Les grandes polémiques sur les étangs remontent à l'année 1783.

Dans notre bibliographie spéciale qui a paru en 1881, nous avons cité 240 ouvrages sur les étangs et les pvys où il en existe. Ils ont été écrits par 190 auteurs.

Les plus connus, la plupart de notre département, sont : Bodin, Hossi, Bouthier de Beauregard, Casonava Collet, Couvert, Dubost, Greppo, Guillebeau, Guichenon, Guignes, La Mairesse, de Monicault, Nivière, Nulhac, Pichat, Ponchon, Puvis, Revel, Rivoire, ValentuiSmith, Varenne de Feuille, Vaulpré.

Après 1881 : Brocchi, Collet, Chavériat, Passerat, Bérard.

Ces divers auteurs ont traité la question au point de vue agricole, hygiénique, administratif, législatif, coutumier, économique, statistique, historique, politique, humour is tique, etc.

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102 ANNALES DE L'AIN

Ces travaux sont rappelés dans notre ouvrage par ordre chronologique de 1570 à 1880, et la table des auteurs les classes par ordre alphabétique.

L'assolement normal des étangs est de trois ans, savoir :

Assec, culture en avoine, un an.

Eoolage, eau et poissons, deux ans.

La culture de l'assec n'exige qu'un seul labour léger, sans aucune fumure. Ou sème 3 hectolitres d'avoine par hectare. Le rendement ordinaire est de 6 à 8 fois la semence, soit 18 à 24 hectolitres.

Pendant l'évolage on empoissonne l'étang et on veille à la retenue des eaux.

On met 3 sortes de poisson : la carpe, la tanche et le brochet.

La proportion de ces diverses espèces varie suivant la nature et la qualité du sol, suivant aussi le genre de pêche que Ton veut faire. L'expérience est le seul guide à cet égard.

Les étangs ont assurément de nombreux avantages que nous allons résumer.

Leur exploitation est économique, puisqu'ils n'exigent aucun engrais, très peu de façons au sol (un seul labour eu 3 ans), guère de main-d'oeuvre pour faire la récolte d'avoine et pour la pèche.

Ils donnent, des produits avantageux en avoine, paille et poissons, récoltes simples, faciles à-obtenir; et, circonstance très appréciable, le sol ne s'épuise jamais par ce système d'inondation périodique.

C'e-4 pourquoi les propriétaires qui ont été assez habiles pour conserver leurs étangs se gardent bien de les


CAUSERIE SUR LES ÉTANGS 103

détruire aujourd'hui. Ils leur rendent de bons revenus dont ils ne veulent pas se priver. Du reste, les domaines qui ont des étangs sont ceux qui trouvent le plus facilemeni preneurs, s'afferment le plus cher et sont toujours le mieux payés.

Les poissons, les eaux et la brouille fertilisent le sol ; les poissons par leurs déjections et leurs cadavres qui sont un engrais très riche ; les eaux troubles chargées de matières limoneuses fertilisantes qu'elles tiennent en suspension, les déposent insensiblement à la surface du sol pour le modifier dans sa composition chimique et physique, en agissant à la fois comme engrais et amendement; la brouille qui est une herbe aquatique abondante dans les étangs, entretient la fraîcheur du terrain et sert aussi de fumure à l'avoine en se décomposant dans le sol.

Les grains d'avoine tombés lors de la récolte et les chaumes ou tiges de cette céréale, dites étroubles forment la seule nourriture du poisson.

Le poisson et l'avoine n'absorbent pas les mêmes principes nutritifs. Ils ne se nuisent pas, au contraire; l'un fait produire l'autre. C'est un cercle sans fin.

Le; lorrains provenant d'anciens él.uigs desséchés n'ont généralement donné des produits avantageux ou médiocres, sans fumure, que pendant les deux ou trois ans qui ont suivi leur dessèchement, c'est à-dire jusqu'à épuisement complet de leur fertilité, car les engrais formés par les poissons et les eaux sont facilement assimilables et conséquemment de courte durée.

Les hommes pratiques n'ignorent pas que pour fertiliser le sol d'un ancien étang desséché, ou pour maintenir


404 ANNALES DE L'AIN

v

sa fertilité naturelle, qui s'épuise vite, il faut des labours profonds et conséquemment beaucoup d'engrais, ce qui est très coûteux pour d'aussi vastes étendues augmentant d'autant les domaines déjà trop importants de la Dombes et qui ont à peine de quoi se suffire. comme fumure, capitaux et main d'oeuvre.

A défaut de poisson (qui est bon marché à présent), les étangs bénéficient toujours au moins de la jachère d'eau pendant l'évolage qui est pour le sol un (emps de repos durant lequel les eaux déposent leur limon fertilisant. C'est un assolement naturel et améliorant. L'expérience l'a démontré.

Si la jachère cultivée est un moj'en économique de fertiliser certains sols pauvres en Dombes, la jachère d'eau est encore préférable ; au moins aussi fertilisante, sinon plus ; elle épargne, en outre, les façons au sol et les fumures.

Les anciens fonds d'étangs desséchés sont restés ou devenus pour la plupart des sols mauvais, stériles, des nonvaleurs. Ils ne donnent souvent aucun produit avantageux. On les a convertis en terre arable, en pré, et en bois.

Enterre, ces fonds exigent des façons répétées pour diviser la couche arable, très peu profonde, au-dessous de laquelle il existe un sous-sol compact, un terrain vierge, formant une sorte de béton, produit par le séjour et le tassement prolongé des eaux et rendait parfaitement étanche l'ancien bassin de l'étang.

Le sol de la Dombes est silico-argileux ayant les inconvénients de l'argile sans en avoir les avantages. En été, il est trop sec et se fend, se crevasse En hiver, ou à la


CAUSERIE SUR LES ÉTANGS 105

suite des pluies, le terrain cultivé se détrempe ; il devient trop humide, même boueux. Il n'est jamais frais, ce qui serait pourtant la meilleure condition.

C'est pourquoi, comme nous l'avons dit. il faut pour arriver à modifier la nature physique et chimique de ce sol, l'approfondir, et lui donner des fumures et des amendements.

Les étangs desséchés ne peuvent se convertir en pré qu'après 8 ou 10 ans de bonne culture, lorsque le sol a été entièrement modifié. L'expérience l'a démontré et a même été très onéreuse pour quelques propriétaires.

Le boisement ne réussit pas toujours. Le chêne a une racine pivotante qui ne peut percer l'ancien béton des étangs. L'aulne ou verne ne trouve pas assez d'humidité dans la couche végétale, du reste trop superficielle, pour ses nombreuses racines traçantes. Le bouleau réussit souvent, ainsi que l'osier ; mais cette dernière plante nécessite des frais assez élevés.

Après l'avoine, puis pendant l'évolage, les étangs fournissent un bon pâturage.

L'espèce bovine y pâture dans l'eau la brouille qui est une graminée (fesluca fluilans); de là le nom de brouillage donné au pâturage dans l'eau. Les chevaux malades y font leur saison d'eau avec avantage. Les porcs y recherchent beaucoup la châtaigne d'eau dont ils sont très friands. Pour cela, ils fouillent le sol à de grandes profondeurs avec leur groin ; et on est obligé de les ferrer pour les empêcher de fouger.


106 ANNALES DE L'AIN

Les étangs arrêtent les inondations ou les rendent moins dangereuses, moins fréquentes. Ils forment, en effet, des bassins ou réservoirs naturels où les eaux s'arrêtent, s'accumulent, lors des pluies abondantes, pour les laisser écouler ensuite lentement, progressivement. Depuis la disparition des étangs, surtout au midi de la Dombes, nos campagues et même les villes sont fréquemment dévastées, nos récoltes détruites, nos prés dénudés de leurs

gazons.

*

Un autre avantage des étangs et que ne connaissent pas les personnes étrangères à la Dombes, c'est d'alimenter d'eau nos campagnes. En effet, depuis la suppression d'étangs, dans bien des communes, les sources ont tari et on a dû approfondir les puits.

Lorsque les étangs existaient, beaucoup d'entre eux servaient d'abreuvoir pour le bétail d'un hameau, d'une commune, et remplaçaient les mares, serves, réservoirs, etc. Les'cultivateurs amenaient, en été, désaltérer leurs animaux, souvent à de grandes dislances. On y venait faire des provisions d'eau pour plusieurs domaines, avec des tonnettes.

En hiver, lorsque les mares, les serves étaient gelées, les cultivateurs cassaient la glace des étangs • pour y puiser l'eau destinée à abreuver le bétail des fermes. Les étangs étaient ainsi une précieuse ressource en été comme en hiver.

Quant à l'insalubrité qu'on a si souvent reprochée aux étangs, elle n'existe pas pour ceux qui sont profonds, à bords escarpés; mais on l'admet généralement pour les étangs plats, peu profonds, ayant de vastes rives alterna-


CAUSERIE SUR LES ÉTANGS 107

tivement couvertes par les eaux et desséchées par l'évaporation et les ardeurs du soleil, lesquels étangs sont dans ce cas de véritable marais appelés grenouillards.

Cette question d'insalubrité a été étudiée et résolue par des hommes compétents et autorisés, entre autres, M. le Dr Passerat qui, tout récemment, a publié un travail remarquable dans les Annales de la Société d'Emulation de l'Ain. Il n'y a, dit-on, plus de fièvres depuis qu'on a desséché beaucoup d'étangs. C'est une simple coïncidence; et ce bon résultat doit plutôt être attribué à l'hygiène qui est mieux comprise.

En effet, depuis 30 ans, les habitants de la Dombes sont mieux nourris, plus chaudement vêtus, plus sainement logés; ils boivent du vin, travaillent moins qu'autrefois ; les bergers ne gardent plus dehors leurs troupeaux jour et nuit ; on a créé des chemins et dès routes supprimant les eaux stagnantes des fossés et remplaçant les charrières remplies de boue liquide qui engendraient des rhumes avec leurs funestes conséquences, etc.

La statistique conclut à la parfaite innocuité des étangs, car elle établit que dans les communes où il existe encore beaucoup d'étangs, la salubrité est plus grande, plus complète, que dans celles où les étangs ont été presque tous détruits; cela peut aussi s'expliquer par cette circonstance que l'on a souvent desséché imparfaitement des étangs très salubres, ce qui en a converti la cuvette en de véritables marais, pleins d'eau qui ne peut s'écouler.

*

Cette opinion que les étangs ne sont pas insalubres, sauf de très rares exceptions, a déjà été émise par nous ' en 1866, dans notre thèse agricole, à La Saulsaie; nous l'avons maintenue dans notre préface du livre traitant


108 ANNALES DE L'AIN .

des usages des étangs, publiéen 1881, et dans nos usages ruraux, en 1896, au chapitre étangs.

Les étangs profonds sont les plus nombreux ; ils sont toujours de bonne qualité et jamais insalubres. Au contraire, les étangs plats, les grenouïllards sont l'exception et sont généralement de mauvaise qualité. Ils sont ou peuvent être malsains. Plus ils se rapprochent des marais, des eaux croupissantes, plus ces étangs sont insalubres, car le voisinage des marais est assurément malsain.

Par le traité de 1863, passé entre l'Etat et la Compagnie des Dombes, cette dernière s'engageait à faire dessécher 6,000 hectares d'étangs, soit environ le tiers de ceux qui existaient alors, dans un délai de dix ans. Elle recevait de l'Etat 250 francs par hectare et traitait directement, de gré à gré, avec les particuliers, à des prix très variables, pour la prime de dessèchement que recevaient les propriétaires des étangs desséchés dans les conditions voulues par la loi.

N'ajrant pu remplir ses engagements pendant la période de 10 ans qui lui était imposée, la Compagnie a demandé et obtenu une prorogation de délai.

La loi de 1856 sur la licitation des étangs dans le département de l'Ain et la loi de 1863 sur le dessèchement sont l'une et l'autre des mesures administratives et législatives aveugles qui ont coûté cher; elles ont poussé au dessèchement systématique, atteignant ou supprimant tous étangs, bons ou mauvais, sans distinction, sans discernement, ce qui en a fait une très mauvaise opération


CAUSERIE SUR LES ÉTANGS 109

au point de vue agricole et économique, sans avantage sérieux pour la salubrité publique et l'assainissement du pays

Tous étangs étaient considérés ou traités comme s'ils étaient insalubres, sans examen.

Aussi, ces lois n'ont pas eu pour résultat de pousser au dessèchement des mauvais étangs plutôt qu'aux bons; et cependant ces derniers sont bien plus nombreux et, en outre, ils ne sont pas insalubres. En sa qualité d'entrepreneur de dessèchement, et armée de ces lois de 1856 et 1863, la Compagnie des Dombes poussait tout naturellement les propriétaires, par tous les moj'ens, à dessécher, non pas les étangs insalubres, mais tous les étangs sans exception.

Elle cherchait surtout à faire dessécher la plus grande surface possible dans le délai imposé. C'était son intérêt, puisqu'elle était payée par hectare. On aurait dû commencer par les étangs qui étaient ou. pouvaient être insalubres ou de mauvaise qualité. On ne l'a pas fait. C'était un dessèchement systématique, forcé et presque obligatoire.

Du reste, la Compagnie des Dombes avait des courtiers, des agents commissionnés et intéressés qui provoquaient le dessèchement,, par intérêt, mais non par philanthropie, ni pour favoriser les progrès agricoles. C'était leur moindre souci.

Les propriétaires de la Dombes sont, en général, de riches commerçants lyonnais qui ne voulaient de leurs terres que gros revenus, chasse, etc., mais sans rien dépenser ,

Ils ne connaissaient pas les besoins de la culture locale et s'en préoccupaient fort peu.


110 ANNALES DE L'AIN

Si des améliorations ont été réalisées dans, des positions favorables, elles-sont le fait de quelques propriétaires du pays qui ont pu convertir leurs étangs desséchés en terres, prés, bois. Mais ces cas sont l'exception et les dépenses ont été élevées.

Souvent les primes de dessèchement reçues par les propriétaires étaient abandonnées à leurs fermiers qui promettaient tout : culture, engrais, assainissement des terres, création de prés, et ne faisaient rien. Ils gardaient l'argent, disaient-ils, comme indemnité de dépréciation du domaine par suite de dessèchement.

Il n'y a pas eu de contrôle suffisant ; les primes de dessèchement ont été dépensées sans grand profit pour le pajrs auquel elles étaient pourtant destinées ; la plupart des propriétaires qui out reçu ces primes, au lieu de les employer à l'amélioration du sol, en achat d'engrais, d'animaux, en constructions rurales, création de prés, etc., les ont employées ,en placements dans les banques, en actions, obligations, etc., en constructions de luxe ou embellissements de maisons bourgeoises.

Le but de la loi de 1863, qui était l'assainissement et l'amélioration de la Dombes, a été ainsi manqué; les sacrifices faits par l'Etat ont profité surtout à la Compagnie des Dombes, puis à quelques propriétaires, à quelques fermiers, mais pas au sol; le dessèchement a été souvent incomplet ou mal exécuté, ce qui a converti de bons étangs en marais insalubres, où l'eau croupit, le remède devenant ainsi pire que le mal.

. * * Avant de parler de la loi en projet, disons d'abord qu'il y a deux sortes d'étangs desséchés : 1° Ceux dont les propriétaires ont reçu de la Compagnie des Dombes, en


CAUSERIE SUR .LES ÉTANGS 111

vertu de la loi de 1863, une prime de dessèchement et ont pris l'engagement formel de ne jamais remettre leurs étangs en eau ; 2n les élaugs qui ont été desséchés volontairement par leurs propriétaires, lesquels n'ont reçu aucune prime et n'ont pris aucun engagement.

Or, les étangs qui ont été l'objet d'une prime de dessèchement ne peuvent être remis en eau saus une loi spéciale ; tandis que les autres étangs desséchés peuvent être rétablis à la volonté de leurs propriétaires.

.Un projet dé loi de 1897 a pour but d'autoriser la remise en eau des étangs qui ont été desséchés avec primes, en exécution et à la suite de la convention de 1863.

Ce projet a eu Bérard pour promoteur. A lui, du reste, revenait l'honneur de cette initiative, en sa qualité de député de l'arrondissement de Trévoux compreuant la Dombes d'étangs.

Cette loi est sage, utile, équitable, opportune.

Elle est libérale à tous égards. Elle n'impose pas, mais permet, autorise, à charge de remplir certaines formalités de droit commun et sur un avis favorable du Comité d'hygiène, du Conseil municipal de la situation des étangs, et du Conseil général.

Après ces formalités, uu arrêté préfectoral autorise la remise en eau.

Le résultat de cette loi serait de lever l'interdit mis sur les 6,000 hectares d'étangs qui ont été desséchés avec primes, de supprimer une servitude perpétuelle, très lourde, non rachetable, qui déprécie, amoindrit la valeur de ces étangs, au profit des étangs desséchés sans primes; elle abolit le privilège exceptionnel qu'ont les étangs des-


112 ANNALES DE L'AIN

sèches sans primes ; elle rétablit l'égalité entre tous les étangs desséchés, qu'ils le soient avec ou sans primes., Elle donne liberté à tous : à ceux qui ont des étangs de les conserver ou de les supprimer, et à tous ceux qui les avaient desséchés pour un motif quelconque, à quelques conditions que ce soit, ou de les laisser desséchés, ou de les remettre en eau, aux frais, risques et périls des propriétaires, sans pour cela créer de nouveaux impôts, sans dépenses pour l'Etat, ni pour les communes, sans amener des difficultés avec les riverains, ni compromettre la santé publique.

Elle ne lèse personne, elle ne bouleverse aucune habitude, aucune idée reçue et ne coûte rien ! Quelle est donc la loi qui réunit tous ces avantages y

Ce n'est pas une loi contraire au progrès ; on ne demande pas le retour à l'ancien régime des étangs. Ce que l'on désire, c'est de conserver les avantages, les béuéfices obtenus par les améliorations faites à quelques étangs desséchés, et en même temps réparer les fautes commises par des dessèchements mal compris, mal exécutés, qui ont déprécié la valeur du sol.

Bien des propriétaires qui ont desséché leurs étangs ont conservé les chaussées et quelques accessoires des thous. Pour ceux-là, il sera facile et peu coûteux de les remettre en eau : mais il est équitable qu'on laisse à chaque propriétaire la liberté entière de dessécher ses étangs ou de remettre en eau ceux qui ont été desséchés avec primes, si des causes sérieuses d'insalubrité ne sont pas à craindre.

Nous pensons que la remise en eau des mauvais sols,


CAUSERIE SUR LES ÉTANGS 113

provenant d'étangs desséchés, est un progrès, en ce sens que cela permettra de répartir avantageusement sur une moindre surface les façons et les fumures dont on dispose.

Quant aux anciens fonds desséchés, bien situés, déjà améliorés, convertis en terres ou en prés, il faut bien se garder de les remettre en eau. Chaque propriétaire sera juge et pourra agir suivant son intérêt.

Il arrivera certainement que dans certains cas, l'application de cette loi pourra être difficile.

D'abord les formalités préliminaires retiendront quelques propriétaires qui craindront qu'on leur refuse l'autorisation de remettre leurs étangs en eau.

D'autres craindront d'entreprendre les travaux coûteux d'une reconstitution d'étangs desséchés depuis longtemps, et, pour ce motif, renonceront au bénéfice de cette loi..

Généralement les chaussées, levées, digues des anciens étangs desséchés ont été écrétées, nivelées et épandues ; elles seront à rétablir, ce qui nécessitera des terrassements souvent importants.

Les biefs qui auront été, au moins en partie, comblés ou supprimés devront être élargis, curés ou creusés à nouveau.

Il en sera de même des faux-biefs, raies-pal Hères ou routières.

Les vidanges seront curées et allongées. La pêcherie comblée devra être creusée de nouveau.

Enfin le llnu qui aura été détruit ou fortement endommagé, pour que le propriétaire touche la prime de dessèchement, devra être rétabli, ce qui est généralement une


114 ANNALES DE L'AIN"

dépense élevée II en sera de môme des bâchasses qui auront été détruites.

Les eaux qui alimentent un étang proviennent de pluies, de sources, de canaux spéciaux, ou bien elles viennent de fonds coutigus et voisins, en natures de terres, prés et étangs.

Suivant nos usages qui font loi, tous propriétaires contigtis à un étang lui doivent les eaux pour l'alimenter. Or, ensuite du dessèchement légal, ces servitudes se sont éteintes et chacun est rentré dans le droit commun. Il y a aussi extinction de ces servitudes par le non usage pendant longtemps.

Le propriétaire qui voudra reconstituer son étang desséché, s'il ne dispose pas d'eaux suffisantes, s'il lésa aliénées ou laissé perdre, devra racheter d'autres eaux, de gré à gré, de ses voisins ou riverains. Ce rachat pourra être onéreux.

Les propriétaires ont été heureux autrefois de toucher les primes et il pourra leur être désagréable de retirer leur argent des banques où ils Tout placé pour faire les frais d'une remise en eau de leurs étangs. .Vais ils seront juges de l'opportunité de cette mesure et ils devront, avant de l'entreprendre, se rendre compte des travaux à faire et de la quantité d'eau dont ils peuvent disposer.

Eu général, pourront se remettre en-eau facilement et économiquement tous les étangs francs, libres et indépendants.

Par le premier projet de loi, on imposait au propriétaire (jui voulait remettre en eau ses étangs desséchés


CAUSERIE SUR LES ÉTANGS 115

l'obligation de restituer une partie de la prime reçue, soit le tiers ou les deux tiers, suivant les cas. C'eut été une autre entrave à l'application de celte loi. Du reste, dans les coutrats.de dessèchement, les prix portés ont été souvent majorés ou atténués, suivant les besoins des intéressés ou le but qu'ils se proposaient alors.

Par le nouveau projet de loi il n'y a aucune partie de prime à rembourser. On doit, eh effet, considérer la prime reçue comme une indemnité de dessèchement acquise au propriétaire privé de ses étangs ; et d'autre part les frais à faire pour la remise en eau sont'déjà assez élevés.

Il ne faut pas encore augmenter ces frais en faisant payer un droit pour rétablir les étangs détruits.

Profiteront seuls de cette loi, les propriétaires qui croiront y trouver leur avantage et qui pourront faire les frais d'une remise en eau. Ces propriétaires sont plus nombreux qu'on ne le suppose. On ne les connaîtra que plus tard, si la loi est votée.

En résumé, une loi autorisant la remise en eau des étangs desséchés avec primes n'offre que des avantages pour les intéressés et pour le pays, sans aucun danger pour les habitants. Et ne dut-elle profiter qu'à 15 ou 20 propriétaires ayant ensemble 600 à 700 hectares d'étangs à rétablir, ce serait un vrai service à rendre à la Dombes, puisque ce serait autant de terrains stériles, de non-valeurs à utiliser économiquement ou que l'on améliorerait. Dans ce cas, Bérard, promoteur de cette loi, aurait droit à la reconnaissance des fermiers et des propriétaires en Dombes.


116 ANNALES DE L AIN

Tel est notre avis sur les étangs et la loi en projet Nous l'avons exposé simplement et franchement, n'envisageant la question qu'au point de vue de'l'intérêt général, car nous ne sommes personnellement intéressé ni au maintien des étangs, ni à leur suppression.

TRUCHELUT.

Bourg, le 2 février 1898.



LYCEE LALANDE


H ISTOIRE

DU

« SIUDÏÏM » COLLE&E & LYCÉE DE BOUES

(1391-1898)

Notre sujet se divise naturellement en six périodes :

1° Communale de 1391 à 1618;

20 Les Jésuites de 1618 à 1763 ;

30 Les Parlementaires de 1763 à 1793 ;

40 L'Ecole Centrale de l'an j (1790) à l'an n (1802)

5° Le Collège de 1803 à 1856 ;

6° Le Lycée de 1856 à nos jours.

PREMIERE PÉRIODE

I. — Le studium ou Ecoles communales (1391-157S)

La fondation et le développement de Bourg sont liés à un fait particulier d'ordre géographique d'abord, moral ensuite, qui, à notre sens, en domine toute l'histoire. Au nord, sur une mince colline les Romains édifièrent une tour massive (1) dont les ruines importantes, découvertes en 1816 au milieu des bâtisses savoyardes du Palais de justice, ont été détruites impitoyablement pour construire la prison. Elle était environnée de trois cents monolithes : pierres levées ? dolmens? alignements? nous ne pouvons

(1) Jarrin, La Bresse et le Bugey, I, 74-76.

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118 ANNALES DE L'AIN

le savoir avec certitude. Les démolisseurs de 1816 les ont brisés, taillés, pour en faire les lourdes et solides assises de la prison. La tour dominait l'épaisse et immense forêt de Bresse, coupée ça et là d'étangs aux eaux troubles et limitée au levant par la ligne bleuâtre du Revermont. Un kilomètre plus loin, à vol d'oiseau, sur un plateau séparé de la colline par la vallée marécageuse où confluent les eaux de la Reyssouze venue de la montagne et celles du Cône qui draine le versant nord de la forêt de Seillon, se trouvait la ville gallo-romaine, dont le temple est probablement recouvert par l'église de Brou. Quand fut elle détruite ? nous l'ignorons. Mais le sol profondément calciné (l) ne laisse aucun doute sur le dénouement tragique. On en a tiré d'innombrables débris de poteries (2), des monnaies romaines et massaliotes, quelques médiocres statuettes, des bijoux d'un travail commun. En somme, c'était une assez pauvre bourgade.

Quoi qu'il en soit, la tour romaine et Brou sont les deux centres d'attraction, qui tour à tour victorieux ou vaincus, expliquent l'histoire de notre ville. Sur la colline vivra la commune avec ses légistes, sur le plateau l'église et le droit religieux. Car lorsque pour la première fois, après une longue éclipse de plusieurs siècles, il est de nouveau question de la colline et du plateau, nous trouvons l'évêque de Màcon, Gérard , qui s'est retiré, pour faire pénitence (927), à l'orée de la forêt de Bresse, et s'y est construit, non loin de la forteresse (op(1)

(op(1) Description... de l'ancienne ville de Bourg, p. 93. Jarrin, Annales de la Société d'Emulation de l'Ain, 1869, p. 173-177.

(2) Le musée de Bourg a une assez belle collection de marques de potiers, extraites du sol de Brou.


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 119

pidum) qu'on appelle Bourg, un coenobium, où il meurt en odeur de sainteté. Puis à côté du couvent s'est, élevée l'église de Saint-Pierre, probablement aux premières années du xie siècle, car dès 1184 les églises voisines contestent ses limites et l'étendue de sa dîmerie. Hugues, archevêque de Lyon, les fixa.

Nous avons donc en présence sur la colline et le. plateau, séparés par les profonds marécages de la Reyssouze et du Cône, les deux éléments essentiels de toute ville au Moyen-Age : l'église et le château-fort. Autour de l'église se groupent les clercs et leurs domestiques, autour du château et sous la protection du seigneur « les hommes de Bourg », serfs aujourd'hui, bourgeois demain. Ce sont, il ne faut pas s'y tromper, des frères ennemis, ayant même croyance et même besoin de vivre à l'abri d'épaisses murailles ; mais qui ne possèdent les uns que l'église, les autres que le château, et luttent pour posséder les deux aux dépens du voisin.

Voici les épisodes essentiels de la lutte. Bourg en 1250 obtient des frères Guy et Rainald de Bâgé une charte, qui nous a été conservée. Avec elle, c'est l'ébauche de la commune et le jour n'est pas loin où les légistes en seront les maîtres. Mais leur victoire ne sera définitive, ils en ont le clair sentiment, que lorsqu'ils auront avec de plus amples franchises une église à eux et échapperont à la tutelle du curé de Brou. Nous allons les suivre dans ce double effort.

Ils commencèrent par bâtir une modeste chapelle hors des murs de l'enceinte primitive, sur les bords d'un marais, pour y loger une statuette miraculeuse de la vierge noire et un tableau où M. Didron « a reconnu tous les caractères de ces icônes rapportées aux croisades de


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Grèce ou d'Italie, où on les attribue au troisième évangéliste (Saint Luc) » (1).

La première mention datée de cette chapelle, certainement plus ancienne, est dans le testament (2) (1295) de Sybille de Bâgé, qui lègue vingt livres « à l'oeuvre » de la bienheureuse Marie de Bourg. Seulement cette chapelle n'est qu'une succursale de Saint-Pierre de Brou. On n'y célèbre d'ailleurs les offices que la semaine. Le dimanche et les jours fériés desservants etjfidèles doivent ouïra Bourgla messe paroissiale. Nos bourgeois, malgré les comtes de Savoie, qui ont succédé ici en 1272 à la famille de Bàgé ne peuvent avoir un curé à eux. Suppliques, démarches, négociations patientes, tout échoue. Ils imaginent alors de prendre le curé de Saint-Pierre par la famine et un moment arrive où l'infortuné pasteur, dont les revenus deviennent presque nuls, cède son église à Amé V, qui, par un singulier jeu de bascule, en fait don à l'abbaye d'Ambronay, à charge d'y entretenir un religieux pour dire la messe.

Déçus dans cet espoir, nos bourgeois, plus heureux avec le prince, obtiennent, en 1352, d'Ame VI une nouvelle charte, qui confirme et étend leurs franchises au point qu'on peut considérer la commune comme désormais fondée. Ce résultat est dû à la politique de nos maîtres savoyards qui trouvent chez nous des auxiliaires dans leur lutte contre la noblesse et le clergé. Enfin, Amé VIII nous donne, au prix de 2,000 florins, la charte si explicite de

(1) Regeste de Notre-Dame {Annales, janvier, juin 1896, 88), article de M. Jarrin.

(2) Brossard, Description de l'ancienne ville de Bourg, 105.


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1407 « que nos pères dénommaient « la petite franchise », celle de 1450 pour eux « étant la grande » (1).

En somme, ils avaient raison : la charte de 1407 n'était que l'aboutissant logique de celle de 1250.

Mais, notons-le, si Bourg et ses légistes ont conquis une à une toutes les libertés communales, Brou a.gardé son église et nos Bourgeois vont créer leur école avec l'aide du prince, sans et contre le pouvoir religieux dont il n'ont pu se rendre maîtres.

I

Nous croyons devoir consacrer aux Ecoles communales de Bourg une étude aussi complète que possible. Certes, on le verra par la suite de ce récit, elles ne ressemblent en rien à ce que nous nommons collège, mais c'est bien d'elles que le collège de Bourg est né.

Leur création est l'oeuvre de la commune et du prince ; leur histoire résulte de la lutte du pouvoir religieux et du pouvoir civil. On y peut distinguer les périodes suivantes : de 1391 à 1442, la ville, sous la tutelle du prince, nomme ses recteurs; de 1442 à 1493, leur nomination doit être soumise à l'agrément du curé, prieur de Brou ; de 1493 à 1572, les postulants sont examinés par un tribunal dont la présidence appartient à un théologien assisté des inquisiteurs de la foi.

La première mention des Ecoles est dans une patente (2) du comte Amé VIII du 28 juillet 1391. Le prince met à

(1) Brossard, Descript. de l'ancienne ville de Bourg, 171.

(2) Brossard : Descript. de l'une, ville de bourg, 200.


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leur tète le recteur Léon de la Roche, attendu l'honnêteté de ses moeurs et sa science prouvées par personnes dignes de foi. Il résulte de ce titre que les écoles existaient déjà, car il n'est pas question de création, et que le prince nommait directement le recteur sans intervention ecclésiastique. Nous ne savons rien de plus et toute conjecture en l'absence de documents, serait vaine.

Quoi qu'il en soit, le 7 mai 1404, un contrat passé cette fois entre les syndics, plusieurs bourgeois influents et Léon de la Roche, maître es arts, peut être considéré comme la véritable charte des Ecoles communales.

Le juge de Bresse et de Bombes, Antoine de Bourg, porte à la connaissance de tous (1), que, en présence des syndics et de nombreux bourgeois et en particulier de Jehan Guy, notaire cosyndic agissant au nom de la ville et communauté, noble Jehan Venet, vice-châtelain de Bourg, Jehan de Corgenon, bailli et lieutenant de Bresse pour le comte de Savoie, Etienne Morel, licencié es lois, Aymon Dumont, bachelier es lois, Jehan Chevrier, Jehan de Sanciac, Pierre de Belley, Jehan de Bosco d'une part, et Léon de la Roche, maître es arts et recteur des écoles de ladite ville, d'autre part, il a été décidé d'établir et d'organiser pour toujours dans ladite ville des études de grammaire générale, comme elles existent en plusieurs autres lieux et particulièrement à Dijon, Vienne, etc., tant pour l'avantage de la ville que des enfants et des clercs qui habitent ou habiteront daus la ville.

Il y aura une école à deux degrés. Maître Léon de la Roche louera ou possédera une maifon dans laquelle il fera des lectures auxquelles assisteront d'abord tous les

(1) Cf. Brossard, Cartuluire de Bourg, pit'-ce 46, p. 1(19.


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 123

élèves (1) et ensuite les bacheliers (2) capables et suffisants, après qu'ils auront subi devant lui un examen et lui auront prêté serment de fidélité et de bonne conduite.

En somme il s'agit ici, pour employer des termes modernes : 1° d'une école normale supérieure où Léon de la Roche formera avant tout des maîtres (bacheliers), choisis et agréés après examen et distribuera par surcroît, uu enseignement dont les élèves profiteront plus ou moins suivant leur capacité ; 2° d'écoles disséminées dans la ville qui pourront se concentrer, et c'est l'objet cherché, nous le verrons plus loin, dans la maison du maître principal.

Léon de la Roche fournira en effet, dans sa maison, un local convenable aux bacheliers (3), qui conserveront d'ailleurs toute liberté d'avoir en ville maisons ou chambres pour se loger ainsi que leurs pensionnaires et leur y donner l'enseignement. Ils percevront directement leurs honoraires, dont on ne nous donne pas le chiffre, soit qu'il

(1) « Item quod magister principalis presens et futurus, lectiones générales légère teneatur ad quas, scolares universi, liora statuta, debeant venire et ejus lectiones pacifiée et quiète audire e. Bross., Cartulaire, 110.

(2) « Item quod dictus magister debeat et teneatur baclialarios sufficientes et ydoneos ad suas scola"s venientes recipere, illisque locum in scolis tribuere convenientem, il lis tamen prius examinatis, juramento fidelitatis et boni regiminis preassumpto ». Bross., Cart. 110.

(3) K Item quod singuli bachalarii possiut libère caméras et domos tenere cum camerariis et commensalibus et sedem in scolis habere, scolares sibi recommondatos vel at'firmatos recipere, eorumque salaria sibipromissa recipere, expetere, absque eo quod magister principalis aliquid in illis liabeat percipere excepta g'eneralitate quss sequitur i. Bross., Cart., 110.


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fût fixé par l'usage ou déterminé par la loi de l'offre et de la demande. Le maître (1) principal ne peut rien leur en demander. Il n'a droit qu'à la rétribution suivante de la part des écoliers pour l'aider à supporter ses charges : six gros par an, paj^ables en deux termes, à la Nativité et à la Saint-Jean, pour les enfants qui ont déjà lu les sept psaumes ; trois gros, payables de la même façon, pour les tout petits qui commencent à connaître l'alphabet et n'étudient pas encore les parties de la grammaire.

Mais le maître principal peut, lui aussi, s'il le juge bon, tenir à côté de l'école générale, une école particulière et en cette qualité recevoir de ses propres écoliers une rétribution comme les autres bacheliers.

Enfin, il résulte de l'ensemble du texte que le maître général a un droit et un devoir de surveillance et de contrôle sur toutes les écoles particulières.

Ces conditions acceptées de part et d'autre, Léon de la Roche choisit comme premier bachelier Symon Duval (=De Valle), maître es arts et lui donne (2) un nège et une place dans son école.

En résumé, Léon de la Roche a essentiellement dans ce système ingénieux un triple rôle : 1° former des maîtres ; 2° inspecter les écoles ; 3° distribuer dans des leçons générales une espèce d'enseignement plus large et plus ample

(1) La ville né donne aucune subvention à Léon de la Roche : c Item quod magister principalis debeat et teneatur de domo scolarum generalium providere suis sumptibus et expensis. » Bross., Cart., 110.

(2) "« Sedem et locum dat et concedit eidem magistro Sy<- moni in eodem studio et secunduin pacta proedieta ». Bross., Cart., 111


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qui pût convenir, sinon à tous les écoliers réunis sans distinction d'âge ni de force, ce qui semble impossible, mais du moins à certains groupes venus d'écoles différentes ayant approximativement le même âge et se livrant aux mêmes études. La division fondamentale et nécessaire devait être, à tout prendre, celle des abécédaires et des élèves a septem psalmis.

Ces deux premières fonctions nous semblent très naturelles et ont dû avoir un effet heureux sur l'enseignement en y mettant de l'ordre, de la régularité et en assurant le bon recrutement et la formation des maîtresMais nous comprenons moins, malgré tout, ces leçons générales. Nous croyons, étant données la pauvreté et la petitesse de notre ville en 1405, qu'il ne devait y avoir que des écoles « triviales ». C'est-à-dire que, des sept arts libéraux, ou n'y enseignait que le trivium, grammaire, rhétorique et dialectique : c'étaient les sciences réputées nécessaires. Quant au quadrivium, arithmétique, géométrie, astronomie, musique, rien ne semble y faire allusion dans le traité conclu entre Léon de la Roche et la ville.

Ceci posé, nous conjecturons, non sans hardiesse, que Léon de la Roche laissait probablement à ses bacheliers le soin d'enseigner la grammaire, les éléments du calcul, et se réservait la rhétorique et la dialectique. Voilà, il nous semble, la matière de ses leçons générales. L'éloignement dans le temps et la pénurie extrême de documents nous réduisent à cette hypothèse à peu près vraisemblable. La pièce suivante nous permettra d'assister à là réception d'un bachelier.

Le 12 avril 1410 (1), Jehan de Montbel, lieutenant du

(I) Brossard, Cart., 122.


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bailli de Bresse, au nom d'Ame VIII, comte de Savoie, reçoit François Beyrard comme bachelier de Pierre de la Roche. Est-ce le successeur de Symon Duval, ou son collègue? Nous l'ignorons. L'acte ne nous donne sur ce point aucun renseignement.

Jehan de Montbel se réfère d'abord aux statuts des Ecoles, puis entend vénérable homme Antoine de Bourg, juge, et Pierre Veluet, procureur de Bresse, enfin Léon de la Roche, recteur des Ecoles, qui accepte François Beyrard. Quand à ce dernier, il jure sur l'Evangile et s'engage sur ses biens à observer tous les statuts et règlements des Ecoles, à déclarer tous ses élèves et à donner à maître Léon la part et portion qui lui revient dans leurs honoraires. L'acte insiste tellement sur cette clause que nous en pouvons conclure, assez sûrement, que déjà ce règlement était contesté. Parents et élèves avaient l'habitude de rétribuer leur maître immédiat, mais comprenaient moins bien peut-être l'importance de donner en surérogation, six gros ou trois gros au recteur général. C'était coutume nouvelle mal établie.

En tous cas nous n'apercevons jusqu'ici dans l'organisation et la direction des Ecoles que la commune et le comte de Savoie : la commune proposant, le comte sanctionnant et édictant au nom de son pouvoir souverain des peines contre ceux qui transgresseraient ses ordonnances (1).

(1) « Idcirco, instante dicto magistro Leone, vobis et vestrum cuilibet in solidum, tenore presentium committimus et mandamus quatenus dictum Franciscum et omnes scolares totius studii villoeBurgi etalios, si qui sint contradicentes, cogatis et compellatis virilliter cum effectu, poenarum impositionibus .. ». Brossard, Cart., 123.


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II

La ville (1) nomme (1426) et supplie le duc de Savoie d'agréer comme recteur des Ecoles Gérard Jacquin, avec les charges et les privilèges de son prédécesseur. Elle conclut avec lui un traité d'une année, indéfiniment renouvelable.

Mais, dès le 11 janvier 1426 ^ancien style), nous assistons à une véritable révolution dont nous avons plutôt les prétextes que la cause. Les syndics assistés de nombreux bourgeois, concluent une transaction (2) avec Gérard Jacquin : il se démet de son titre de recteur général et renonce pour l'année présente à tous les émoluments de cette fonction ; il sera comme avant, maître particulier avec le titre et le salaire d'un maître particulier. Néanmoins, il (3) devra garder avec lui André Beczon comme bachelier, ou trouver quelque autre maître capable pour enseigner la grammaire, la logique, la philosophie et la morale, et autres matières qu'on a coutume d'y enseigner.

Gérard Jacquin et André Beczon acceptent ces propo(1)

propo(1) et ordinaverint... dictum magistrum Girardum, magistrum et rectorcm generalem dictarum scolarum et studentium in oisdem, ad et per unum annum integrum et quandiu bene facerct et dictoe villoe foret voluutatis. » Brossard, Cartulaire, 163

(2) Brossard, Cartulaire, pièce 67, 165.

(3] « Item quod ipse teneatur reverendum magistrum Andream Beczonis bachalarium... tenere necnon unum alium bachalarium suflicienlem et ydoneum pro dictis scolaribus in i'acultatibus grammaticoe, logicee, pliilosophioe, moralisque et aliis in dictis scolis legi consuetis, instruendis t. Brossard, Cart., 163.


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sitions. Le prétexte donné est le suivaut : « Ce n'est pas pour faute, négligence ou quelque défaut dans la direction et la conduite des Ecoles, mais plutôt à cause de la cherté des vivres... parce que le bien commun doit être préféré au bien particulier, comme les parties, dit naïvement le texte, en ont été d'accord (1). » On peut croire qu'il n'y a là qu'une'occasion. L'opinion publique profita de la mort de Léon de la Roche pour obtenir la suppression des droits et des émoluments du recteur au nom de la disette qui « douleur ! sévit dans la patrie ! Puisse Dieu détourner ce fléau ! » Le véritable motif est l'opposition violente du prieur-curé de Bourg, Jehan Balandrin. En la même année 1426, il fait briser pendant la nuit, les portes de l'école et maltraiter Gérard Jacquin et André Beczon, parce qu'il n'avait pu les .faire remplacer par d'autres maîtres à la tête des Ecoles. Non content de ces violences, il les traduit avec les syndics devant l'officialité de Lyon. C'est ce que nous apprenons par une supplique que nos syndics adressent, en février 1426, à notre redouté seigneur Amé VIII. Ils y rappellent que Gérard Jacquin, licencié es arts des Universités de Paris et de Toulouse, n'a été admis comme recteur qu'après un examen (2) solennel et public ; que son bachelier, homme capable, est André Beczon. Enfin, ils demandent au prince son intervention.

Amé VIII évoque l'affaire devant son Conseil, et, le 18 février 1426, Jehan Balandrin, prieur-curé de Bourg, défaillant, est condamné par contumace. Le prince cou(1)

cou(1) : Cart., 164-165.

(2) Bross., Cart. ( « solemni et publico examine intervenieiite ») , 167.


COLLÈGE ET LYCÉE. DÉ "BOURG 129

firme les droits de la ville et déclare nulles toutes oppositions faites contre l'Ecole et son recteur (1).

Jehan Balandrin voulait et la grande transaction (1442) , intervenue à Bâle entre la ville et lui le démontre, que la nomination du recteur dépondit de lui, curé de Bourg, ou du moins fût soumise à son approbation. Il fallut seize ans d'efforts à ce prêtre opiniâtre, mais devenu plus souple et plus habile, pour réparer l'échec de 1425. Il eut le triomphe de faire lire'devant tout son peuple de fidèles que les syndics nommeront les recteurs des Ecoles et de l'Hôpital, et les présenteront au curé qui les reconnaîtra en cette qualité, sous trois jours, « s'ils sont ydoines (2) ». La victoire dut lui être d'autant plus douce que la lutte avait été chaude et plus d'une fois indécise. Amé V11I avait ceint la tiare^sous le nom de Félix V. C'est à Bàle que nos envoyés se rendent et, au nom de son fils et successeur Louis, demandent au pape et à leur ancien souverain la révocation du curé. Sa Sainteté ne veut pas de mesure de rigueur, malgré sa tendresse pour la ville de Bourg où elle a été nourrie. D'ailleurs, on lui a remontré que cela pourrait créer des difficultés au concile. Les nôtres reviennent à la charge et insistent. Le pape, « anhelans pro pace », fait appeler Balandrin et lui annonce son intention de le déplacer. « Le Balandrin d'autrefois se retrouve ; il ose couper la parole au Pontife, proteste qu'il ne cédera en rien de ses droits... Félix V « le fait sortir de sa présence » et se déclare arbitre (3).

Nous avons vu plus haut comment notre curé avait vaincu et triomphé. C'est maintenant le tour des Dominicains .

(1) Brass., Cart., p. 168-69.

(2) Jarrin, Essai sur Bourg, p. LXI.

(3) Jarrin, Essai sur Bourg, p. LX.


430 ANNALES DE L'AIN

III

Au cours de cette longue lutte, Gérard Jacquin était mort en 1435, et Nicolas Chanoine fut choisi comme recteur des Ecoles. C'est sous son rectorat, en 1440, que la ville rembourse les servis dus pour la maison des écoles de la Verchère au prince de Savoie et à la famille de Bouvenc. Nous ne savons rien de la direction de Nicolas Chanoine, qui dut quitter l'école en 1449, à la suite d'une plainte devant le conseil réuni. Jehan Gallet, bourgeois de Bourg, se plaignit de la conduite scandaleuse de la femme et des filles du recteur ; il demanda et obtint son expulsion.

François Luj'rard le remplaça en 1449. La même année, un maître es arts (1), dont on ne nous donne pas le nom, offrit ses services qui furent agréés. La nomination de Luyrard dut, conformément à la grande transaction, être approuvée par le curé de Bourg. L'absence de toute protestation semble le prouver. Mais une nouvelle cause de conflit ne tarda pas à se produire. Amé VIII avait introduit chez nous, en 1415, les Dominicains (2), qui s'installèrent non loin des Ecoles, de l'autre côté de la rue actuelle du lycée. Eu 1441, le couvent est clos, l'église achevée, et nos bourgeois semblent très fiers de ce bel édifice qui est à eux et qu'ils opposent à la paroisse extra muros de Brou. Profitant de cette faveur, le Frère Denis ouvre une classe dans le couvent des Dominicains. Ce fut mauvais calcul, le charme était rompu. La ville,

(1) Arch. comm., BB. 8.

(2) Les soeurs de Saint-Joseph se sont établies sur remplacement du couvent des Dominicains.


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG l31

jalouse de son privilège, obtint (1459) des supérieurs du frère Denis, fermeture de l'école (1). Us renouvelèrent cette tentative en 1582 avec le même insuccès. Le conseil enjoignit aux parents d'envoyer leurs enfants, sous peine de 50 livres d'amende, chez le recteur communal (2). Dès lors, les Dominicains changèrent de tactique et, profitant des luttes religieuses, ils se firent donner, à titre d'inquisiteurs de la foi, le droit de présider l'examen imposé au recteur et aux régents avant leur entrée en charge. La pression des événements extérieurs et aussi, il faut l'avouer, la faiblesse des études et les désordres dont l'école fut le théâtre expliquent pourquoi ils y réussirent. Maîtres Henri et Benoit remplacèrent (1459) François Luyrard ; est-ce après décès? ou par rupture de contrat? Nous pencherions plutôt pour la seconde hypothèse. L'école devait être peu florissante, car dès l'année suivante (1460) Honoré et Benoît avertissent qu'ils ont l'intention, d'aller à Mâcon où les gages sont meilleurs. Après de longs pourpalers Benoît,, quelque peu augmenté, nous resta ; il s'engageait encore, au cas où il voudrait partir, à prévenir trois mois d'avance. Honoré seul se rendit à Mâcon. Ces incidents ne pouvaient favoriser l'assiduité des élèves. Nous comprenons que nos bons syndics aient éprouvé le besoin de commenter pour nos écoliers la prophétie d'Ezéchiel qui « estant enfant levoyt toujours matin pour aller à l'école et apprendre latin (3) ». L'anachronisme est touchant. Bientôt même ils songeront à y faire enseigner le français. Mais avant d'arriver à cette importante transformation il nous faut noter quelques faits.

(i) Arch., comm., BB. 9.

(2) Id. BB. 52.

(3) Arch. éomm., AA. 19, année 1467.


132 ANNALES DE L'AIN

Nous trouvons en 1472 Bernard Ruffin à la tête des écoles, sans qu'il ait été plus question de maître Benoît. Un de ses écoliers meurt chez lui de la peste : on force Ruffin à renvoyer sa servante, qui a soigné le malade et ou licencie, pour un temps, les écoliers (1).

En 1478, à la suite de l'épidémie, l'école était si peu fréquentée que le conseil décida que les écoliers qui ne resteraient que deux ou trois mois à Bourg ne seraient pas tenus de payer le droit annuel. Il faut croire que cette situation ue tarda pas à s'améliorer, car, en 1482, il fallut rapporter cette mesure ; l'école, dit le sjrndic Palluat, est devenue trop exiguë et a besoin de réparations. Le recteur de son côté (1483) insiste pour que la ville se décide le plus tôt possible à entreprendre des travaux urgents (2). La maison d'école fut rebâtie en 14861487, sur le même emplacement de la Verchère (3).

On profita de la reconstruction de l'école pour obliger le recteur, âgé et impotent, ou à se démettre ou à se procurer un aide suffisant. En 1493, le conseil cherche en outre un maître es arts parisien pour avoir l'enseignement des deux langues. C'est là un fait capital. L'importance grandissante du français et la préoccupation toute nouvelle de l'enseigner nous montré la France qui par sa langue fait la conquête du pays bressan. L'heure n'est pas lointaine où notre maître savoyard, si favorable à nos libertés communales et dont la domination fut ici bien habile, nous paraîtra un étranger,

(1) Arch. comm., BB. '8, années 1472-74.

(2) Arch. comm., BB. 18.

(3) Arch. comm., BB. 19 (Adjudication et détails de la construction de l'école).


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 133

Tout à côté, il nous faut noter les résultats des querelles confessionnelles. Nous avons vu la commune et le prince choisir nos recteurs jusqu'à la grande transaction de 1442 ; puis, à partir de cette date, leur nomination être soumise à la ratification du curé de Bourg. Maintenant, c'est devant un tribunal bien différent que comparaissent, avant d'être admis, Antoine de Rorgete, Italien, docteur es arts, Valerand, maître es arts. Le dominicain Frère Dumont, professeur en théologie, et les inquisiteurs de la foi, et quatre dominicains, et l'avocat du comte, et quatre bourgeois composent le jury chargé d'examiner les postulants. Nos deux candidats sortirent victorieux de cette redoutable épreuve qui fit éclater leur science et leur orthodoxie (1). La revanche des Frères Prêcheurs semble complète, et pourtant ils rèvaie,ut mieux et espéraient devenir les maîtres de l'école communale. Un événement inattendu vint rompre leur entreprise.

Le 10 septembre 1504, Philibert le Beau mourait à Pont-d'Ain. L'infatigable chasseur avait pris froid sous les beaux arbres qui ombragent les eaux fraîches et limpides de la source de Saint-Vulbas. Marguerite d'Autri clie, pour réaliser le voeu de sa belle-mère, Marguerite de Bourbon, etélever un tombeau au cher défunt, obtenait du pape, le 17 août 1506, le transfert de la cure de Brou à Notre-Dame-de-Bourg. Nos ancêtres l'avaient désiré cinq cents ans.

Le résultat fut'de faire des chanoines de Notre-Dame nos véritables maîtres. Ils le sentirent et pour assurer leur pouvoir firent pièce aux Dominicains. Ils préparées Arch. comm., BB.21.

10


134 ANNALES DE L'AIN

rontplus tard les échecs des Cordeliers et des Oratoriens, mais échoueront devant les mesures plus habiles et plus sagement mûries de Jésuites, servis d'ailleurs par l'éclatant succès de leurs collèges,

Ce besoin de donner aux enfants l'enseignement du français se lie ici avec le souci tout nouveau de s'occuper de l'instruction des filles. Les syndics Cartelier et Ducrozet proposent de trouver pour l'école un recteur marié afin que sa femme puisse faire la classe et apprendre la couture aux filles et aux femmes de Bourg (1). Nous ne connaissons pas l'issue de cette proposition sur laquelle se greffa peut-être une requête des Frères Prêcheurs (1508) qui s'offraient à diriger l'école communale. Les six quartiers appelés à délibérer répondent : «... et pour maîstre n'en voulons aultre [que le maître actuel] pour ce qu'il nous ha bien appris par le passé (2). o

L'école reste donc laïque. Elle s'accroît avec la population de Bourg et en 1514 on doit, à nouveau, la réparer et l'agrandir (3).

Qu'advint-il d'Antoine de Borgete et de Valerand? Nous ne pouvons le dire avec les documents conservés. Nous savons seulement qu'en 1517 le recteur est l'infortuné Jacques Bouet, toujours en procès avec les syndics et avec notre clergé. Finalement on le met à la porte : car il « a

femme, enfants , et se querelle avec safemme, ne songe

qu'à ses enfants.. , et la discipline et les études fuient l'école (4). »

(1) Arch. comm., BB. 24.

(2) Arch. comm., BB. 24. (3| Arch. comm., A A. 23.

(4) « Vir uxoratus habens liberos... disputât cum uxore et providet suis liberis... et doctrina et sludium deserunt scliolam. » Brossard, Description de l'ancienne ville de Bourg, 204.


COLLÈGE ET LYCEE DE BOURG 135

Du départ de Jacques Bouet à 1572, année où la ville acheta le domaine de la Cra pour installer un collège, nos archives ne nous donnent que des renseignements fort décousus. En 1525, le conseil enjoignit au recteur, dont nous ignorons le nom, de s'occuper avec autant de soin des enfants qui apprennent à lire que des grands garçons qui écrivent déjà habilement (1).

En 1528, Pont-de-Veyle est sur le point de nous ravir notre recteur. Est-ce le même ou un autre ? Une augmentation de traitement nous évite ce malheur (2). Mais un an plus tard la mort nous l'enlève et le recteur de Cuisiat, originaire de Dieppe, vient le remplacer. Il « s'engage par écrit à enseigner aux petits bressans les bonnes moeurs, la lecture, l'écriture, la grammaire et à honorer la Vierge -et les Saints : le catéchisme regardant le curé (3) ». Mais le bon recteur prit peur de la peste de 1532 et nous dûmes recourir au recteur do Mont-fleur en Bourgogne, qui eut à supporter l'année suivante une sédition des grands élèves, pendant laquelle il fut assez maltraité. Le conseil calma ces forcenés et tout alla, plutôt mal que bien, jusqu'en 1538 où le recteur de Montfleur nous laissa.

Il y avait d'ailleurs de quoi décourager un plus brave. On peut en juger par ce fait. En 1537, après la conquête de la Bresse par les Français, un fondeur de canons voulait s'installer dans la maison d'école. Il fallut de longues et délicates négociations pour l'en empêcher. En outre, nos infortunés recteurs, suspects à priori d'êtres favorables à l'hérésie, étaient surveillés de fort près et inces(i)

inces(i) comm., BB. 2-S.

(2) Arch. comm , BB.29.

(3) Brossard, Description de l'ancienne ville de Bourg, 204.


136 ANNALES DE L'AIN

samment dénoncés. En 1544, une plainte est adressée au conseil contre le recteur des écoles qui ne mène pas les enfants aux offices de Notre-Dame (l). En 1549, symptôme plus grave, le conseil encourage ici, contrairement aux conventions et règlements, un maître d'écriture, comme utile au bien public. En 1553 on s'en prend à l'incurie du recteur (2). Enfin ce malheureux, dont nous ne savons pas le nom, meurt en 1557.

L'année suivante (1558), on installe Bérardier. Il jure d'instruire ses élèves dans la foi catholique et de les conduire à tous les offices, processions, catéchismes, il promet de se faire aider conformément aux anciennes coutumes par un ou deux sous-maitres instruits. Les grands écoliers lui donneront un florin par an ; les abécédaires six gros. En outre de son logement il aura de la ville 100 florins de traitement par an (3).

En 1561, on refit le tarif des écoliers. Je n'y vois d'important que la mention de gratuité pour les enfants pauvres (4).

Est-ce à l'occasion de cette clause ou de quelque autre difficulté ? — nous l'ignorons — Bérardier se démet de son rectorat, puisqu'on le réinstalle en 1565 avec 120 florins d'appoiutement et les mêmes obligations que précédemment (5).

C'est l'année (5 novembre 1565) où notre conseil, sur la demande des syndics de Chambéry, fait publier au prône de l'église paroissiale et afficher aux carrefours des

(i) Arch. comm., BB. 32.

(2) Arch. comm., BB. 36.

(3) Arch. comm., BB. 37.

(4) Arch. comm., BB. 40.

(5) Arch. comm., BB. 43.


FRONTON DE LA PORTE DU " STUDIUM



COLLÈGE ET LY'CÉE DE BOURG 137

placards pour annoncer l'ouverture à Chambéry d'un collège (1). Cette initiative décida nos syndics à s'occuper de cette question: En 1572, la ville acquérait la maison de la Cra « pour en faire l'école (2) ».

De la vieille bâtisse qui avait abrité, non sans réparations ni modifications, tant de générations d'écoliers, il reste une inscription encadrée dans un portique formé de deux pilastres, surmonté d'un fronton. Elle était scellée dans la façade de la maison de M. Julliard, rue de la Verchère. La Société d'Emulation, à qui M. Julliard l'avait donnée, l'a fait placer dans la salle actuelle de ses séances.

Voici l'inscription :

Pieridum domus liaec sacros haurire liquores Si cupis hanc adeas docta Minerva rogat Ingenuas arteis su!> tecto hoc clamât Apollo Atque suum quevis musa agit officium. 1536 Tundit omnia tudes.

M. Riboud (3) avait cru y voir le souvenir d'une académie littéraire. M. Baux a conclu plus justement que c'était la porte de la vieille école, ce qui convient bien et à la place où l'on a trouvé l'inscription et à sa traduction :

« Voici la maison des Piérides ; si tu désires boire aux sources sacrées, entre la docte Minerve t'y invite. Sous ce toit Apollon professe les arts libéraux et chacune des muses y exerce son emploi. »

1536 « En forgeant on devient forgeron . »

(1) Baux, Ménv. hist., I, 344.

(2) Arch. com., BB. 48.

(3) Compte rendu des travaux de la Société d'Emulation, année 1816.


138 ANNALES DE L'AIN

Ici s'arrête l'histoire des écoles ou mieux du « studium générale » de Bourg Ce studium,- qui fait honneur à Léon de la Roche qui le conçut et à la commune qui l'agréa, diffère de tous ceux connus et cités dans le remarquable ouvrage de M. Marcel Fournier (Statuts et privilèges des Universités françaises), par les deux traits essentiels suivants :

1° Il est créé par la commune seule, sous la tutelle du prince, sans intervention ecclésiastique. Ailleurs à Pamiers (1), à Gaillac (2), à Nîmes (3), à Besançon (4), c'est le pape ou l'évêque qui, en vertu de leur autorité religieuse et comme par un prolongement de leur mission apostolique, établissent le studium et lui donnent ses statuts ;

2° Nulle part le studium n'apparaît avec ce caractère d'école à deux degrés formant des maîtres (5) d'abord, des disciples ensuite.

Mais dans notre pauvre ville dénuée de ressources cette oeuvre d'une conception si originale et qui pouvait être si féconde, ne dura à vrai dire que la vie d'un homme, de 1407 à 1426. Elle périclite déjà avec Gérard Jacquin qui, renonçant au titre, nous semble par surcroit avoir renoncé à ce qu'il 3' avait de vivant dans ce rôle de maître

il) Marcel Fournier, Statuts et Priv. des Univ. Franc., Il, 743.

(2) Marcel Fournier, Op. laud., II, 743.

(3) Marcel Fournier, Op. laud., II, 745.

i4) Marcel Fournier, Op. laud., III, 441-42.

(0.1 11 faut noter que cette action do L. de la Roche doit s'exercer sur un maître es" arts. C'est, à son premier degré, une espace d'Ecole normale supérieure.


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 139

enseignant et formant des maîtres ; d'inspecteur des écoles prêchant d'exemple et planant un peu au-dessus du rudiment. Après Léon de la Roche et Gérard Jacquin ce n'est plus qu'une école communale comme tant d'autres attaquée sans relâche, puis vaincue et dominée d'abord par le curé de Bourg (1442). ensuite par les Dominicains (1493;.

II. — Le Collège communal (1573-1618)

« Le penultiesme jour du mois de décembre » 1572, Me Claude Legrand, procureur ès-cours de Bresse et noble Philibert Desgières, seigneur de la Motte, jadis syndics de la ville et communauté de Bourg, acquièrent de noble Humbert du Saix « une maison, tours, jardins, cours, pourpris ensemble contigus et adjassents avec leurs fonds, fruitz, droitz, entrées, sorties, pertenances, etc.. . size et située en la présente ville de Bourg et rue de la Verchière. Laquelle se confine avec toutes ses dictes appertenances jouxte la place et rue publique de ladicte Verchière et encores la maison et jardin de Mychaud Marciat de bize ; la maison et jardin de noble Claude Verdet de mattin ; les muraillies de la présente ville et estang dicelle de vent et de bize (1) ».

L'acquisition était faite au prix de 1700 florins. Cette

(1) Arch. comm. GG, 228 (pièce en parchemin.) .


140 ANNALES DE L AIN

maison portait le nom de la Cra et était située au haut de la rue Verchière, à peu près sur l'emplacement actuel du lycée. La vieille école placée au bas de la même rue devint en 1598, par ordre du Conseil, un refuge pour les pauvres errants (1).

Mais la ville devenue propriétaire s'ingénia à trouver de l'argent pour édifier le collège. Malheureusement la Bresse eut plusieurs mauvaises récoltes. La disette fut si grande, en 1584, qu'on réduisit tous les gages des employés de la ville ; on fit mieux encore pour ceux du recteur ou les supprima « attendu la notoyre pauvreté de la ville (2). »

Ce ne fut qu'en 1563 et grâce à un don généreux de 2,500 florins de M. de Joly de Choin, baron de Langes, que nous pûmes avoir un collège. La construction commença le « lundy cinquiesme de février» 1590 (3). Honorable Clément Gordan, jadis sindic, chargé des bâtiments, rendit ses comptes qui s'élevèrent., en y comprenant l'acquisisition à 5,038 florins 3 gros. Le procès verbal de visite des bâtiments, examen et approbation des comptes fut arrêté en la maison de ville, le dernier jour de janvier 1595(4).

Ces chiffres et l'étude des comptes permettent de concevoir ce qu'était le collège. On n'y avait sacrifié ni au luxe ni à l'art. Nous ne parlons pas du confort, ce siècle ignorait le mot et la chose. C'était en somme une assez

l'I ) Arch. comm. BB, 63.

(2i Baux : Mcm. historiq. II, 115(3)

115(3) comm. GG. 238.

(4) Arch. comm. GG. 238.


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 141

pauvre maison entourée de jardins dominés par les murs de la ville, d'où l'on pouvait apercevoir au loin les sombres et profondes verdures de la forêt de Seillon.

Le collège communal laïque, virtuellement constitué dès l'année 1572, n'ouvrit réellement ses portes qu'en 1595. Son histoire se divise en deux parties bien distinctes. De 1572 à 1618 on assiste à sou pénible enfantement, suivi de l'impossibilité, ou peu s'en faut, de vivre ; de 1618 à 1644 il n'est plus collège communal que de nom. Les jésuites le dirigent : le brevet royal de 1654 ne fait que sanctionner et reconnaître officiellement ce qui en fait existe déjà depuis 26 ans. Aussi, crojrons nous devoir renvoyer l'étude de cette seconde période (1618-44) au chapitre suivant qui traitera des Jésuites.

Ces années de 1572 à 1618 présentent la plus inextricable confusion. Politiquement c'est la fin ici de la domination savoyarde rétablie le 4 août 1559 ; religieusement nous subissons, plus ou moins atténués, les contre-coups des guerres civiles. Enfin, en 1600, nous redevenons pour toujours Français. Biron, le 12 février au matin fait pétarder par le capitaine gascon Castanet la porte de Màcon et la ville est prise presque sans coup férir. Mais il en fut autrement de la forte citadelle Saint-Maurice dont les cinq branches en forme d'étoile couvraient le champ de Mars actuel, les casernes, la gare et dominaient nos maisons. Le gouverneur M. de Bouvens s'y maintint près de sept mois. Dès le 24 août 1600, il crible de boulets de fer les rues Teynière et Bourgmayer d'où les Français tirent sur lui. On imagine sans peine ce qu'il pouvait advenir du collège au milieu de ce tumulte d'armes.

En 1589, le recteur Buathier se retire et il est rem-


142 ANNALES DE L'AIN ' .

placé par Etienne Giractet Antoine Calliat (1). Immédiatement éclatent des querelles confessionnelles. Les régents s'accusent mutuellement d'être huguenots, méchants pour les élèves, immoraux dans leur conduite (2). Il dut s'en suivre un remaniemeut dans le personnel, car en 1590 nos syndics appelent maître Artiyot réputé fort docte « qui vient augmenter le personnel des empkryés du collège. Il y avait un principal, deux bacheliers : l'un chargé de la classe de grammaire, le second des abécédaires ; enfin un maître d'écriture et d'arithmétique. Maître A.myot fut chargé de montrer les belles lettres (3). »

La même année, les 6 quartiers délibèrent sur les gages annuels des serviteurs de la ville et allouent, ces chiffres semblent instructifs :

100 florins au secrétaire, 25 — au procureur,

120 — aux serviteurs, 30 — aux capitaine de la santé, 90 — au recteur des Ecoles.

Bérardier, en 1565, en recevait 120, il est vrai que c'était après conflit et retraite provisoire.

Cette année 1590, on installe un nouveau recteur probablement Guy Laurent, que le régent Amyot accuse d'être huguenot « le recognoissant fort bien aux grâces qu'il faisoit dire à ses disciples et qu'il estoit impossible qu'il

(1) Arch comm. BB, 57.

(2) Arch. comm.. BB, 57.

(3) Baux : Mém. histonq. II, 220.


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG i 43

allast vivre chez luy (1). » Amyot (2) joignit l'acte aux paroles et quitta la maison de Guy Laurent. Le Conseil touché probablement par ces délicats scrupules lui alloua trois écus par mois pour nourriture. Il essaya même de réconcilier le recteur et le régent. Ce fut peine perdue. Le recteur se fâcha à son tour et dénonça Amyot aux syndics comme maltraitant les écoliers « les fouettant oultrageusement, oultre qu'il tenait mauvais train », le tout avec une verdeur de langage propre au xvie siècle finissant.

Ces accusations vraies en partie, il semble, n'entraînèrent pas le renvoi du régent. Les syndics se bornent à recommander à Me Amyot o qu'il aye à traicter plus doulcement les escholiers qu'il n'a faict par le passé, ains de leur monstrer par cy après bons exemples aux fins, de les faire incliner aux choses vertueuses (3). »

La querelle ne s'arrêta pas là. Nos pères étaient singulièrement entêtés et processifs. '

Me Amyot, ou quelqu'un de ses amis, obligea le Conseil en 1594 à faire une enquête solennelle sur les opinions

(1) Baux. Mêm. hist. II, p. 230.

(2) Serait-ce le môme personnage que celui qui est cité dans les Annales du collège Bourbon (Aix), II, 11 : Il n'y avait point d'intelligence entre les professeurs et le principal. «En preuve de quoi il se trouve parmi nos papiers une plaisante requeste qui fut présentée à MM. les Intendants du Bureau de l'Université, par un Jacques Amyot, professeur de philosophie en ce collège, à l'encontre du principal qui estoit alors, elle contenoit douze articles et à la tin, il conclud que Messieurs feroient bien d'appeler les P. Jésuites, pour leur bailler la direction du collège et remédier à tous les désordres qui s'y voyaient pour lors. » Année 100'(.

(3) Baux, Mêm. hist., II, 230.


144 ANNALES DE L'AIN

religieuses du recteur. M. Baux en cite le fragment suivant, qui n'a besoin d'aucun commentaire : « Quant à à Me Guy Laurent, les s^yndics disent, qu'il a faict profession solennelle de foy en présence des dicts sieurs chanoynes ou partie diceulz, ez mains de Me Girard officiai, et que on le voyt ordinairement hanter et fréquenter les églises, y conduyre et mener ses disciples, aller à confesse, se communier et faj^re tous actes de vray catholique. Neantmoyns qu'ilz l'admonesteront d'instruyre plus particulièrement les enfants de son escolle à la pieté et dévotion. Et, entant qu'on leur feroit apparoir qu'il aye failly ou en aye quelque mauvaise opinion, sont prestz de le lever de la charge où il est (1). »

Guy Laurent avait réellement des sympathies pour les réformés. Il dut dissimuler jusqu'à la prise de Bourg par Biron. Car, en 1600, Raymond de la Place, docteur èsdroits, est nommé recteur au collège (2). Aussitôt Laurent jeta le masque -et sous la protection de Pardaillan, gentilhomme gascon, compagnon de fortune d'Henri IV et son gouverneur ici, il ouvrit une école pour « ceulx de la religion. » Pardaillan construisait en même temps (1603), un temple au quartier de la Verchère, non loin du collège et près du glacis du rempart. Son influence jointe à sa bonté propagea rapidement la foi nouvelle.

La situation du collège devait être difficile, car M6 Le Riche (3) succède à Rajrmond de la Place, en 1602, - et les syndics procèdent à des visites hebdomadaires pour s'assurer qu'on donne aux enfants bonne ius(1)

ius(1) Mêm. hist., II, 284.

(2) Arch. comm., BB, 64.

(3) Arch. comm., BB, 65.


COLLÈGE ET LY'CÈE DE BOURG 1 4S

traction et saine nourriture (1). En outre, le recteur se plaint de la concurrence que lui font plus ou moins ouvertement un certain nombre de personnes, qui ne sont pas nommées dans l'acte, et attaque (1603) un maître d'écriture qui a ouvert école (2). Le malheureux multiplie requête sur requête pour être payé de ses gages. La ville répond (1606) qu'elle ne le peut n'aj^ant pas un denier en caisse (3).

Enfin, la même année on le remercie probablement, mais ce n'est pas bien sûr, après lui avoir donné ses honoraires et on le remplace par Me Husson (4). De nouveau nos infatigables syndics font visite sur visite au collège pour inspecter la méthode d'enseignement du recteur. Ils la déclarent bonne sans la définir, et nous le regrettons. Husson, qui semble peu réussir malgré ces attestations flatteuses, s'en prend aux chanoines (1607) et à quatre particuliers qui enseignent au détriment du collège (5) D'un autre coté, les chanoines poursuivent devant le Parlement de Dijon l'ex-recteur Laurent, qui avait ouvert, nous l'avons vu, une école réformée. Le Conseil refusa (6). de s'associer à cette poursuite (4 janvier 1608), et même à payer comme il faisait jadis le prédicateur du carême (7). Dès lors, il est bien évident que la question de l'enseignement à Bourg est devenue avant tout une

(I) Arch. comm., BB, 66 (2). (2j Arch. comm., BB, 67. {3) Arch. comm.. BB, 69.

(4) Arch. comm., BB, 70.

(5) Arch. comm., BB, 71.

(6) Brossard, Mêm. hist., IV, 18.

(7) Jarrin, La Bresse et le Bugeg. III, 10.


146 ANNALES DE L'AIN

question de religion, et pour laquelle chaque parti prend nettement position.

D'un côté, les protestants pour qui le collège est sus pect : ils le montrent clairement en créant l'école de Guy Laurent. D'un autre côté les chanoines qui ne le trouvent pas suffisamment orthodoxe : ils le manifestent pleinement en lui faisant ouvertement concurrence.

Entre ces deux adversaires résolus, le Conseil, effrayé par Pardaillan, mais au fond bon catholique, tergiverse et incline secrètement du côté des chanoines. Les événements le prouvèrent bientôt. Heuri IV est assassiné eu 1610 et Pardaillan nous quitte. La même année on appelle ici les Capucins pour achever la déroute des protestants. Les Capucins s'établissent (1612-14) dans les magasins à blé et à vin de la citadelle démolie. En 1515, le temple brûle pendant la nuit ; fortuitement? c'est douteux. En somme, il y a chez nous do la part des catholiques, favorisés par les événements et conduits par les chanoines, une réaction très vive conlre les protestants, peu nombreux d'ailleurs, à peine deux cents, au lendemain du renvoi de la garnison (1).

Les élections de 1611 amènent les catholiques au pouvoir avec les syndics Prosper Gauthier et Paul Arbellot. C'est pourquoi, dans l'exposition des affaires de la ville, on place au premier rang la nomination d'un bon recteur (2). Maître Morand, recteur de l'école de SàintTrivier, installé en 1609-1610, malgré l'opposition de M. de Pardaillan, est remercié, et on fait le plus chaud

(1) E. Chevrier. Le protestantisme dans le département de l'Ain.

(2) Arch. comm., BB. 73.


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 147

accueil à une supplique des Cordeliers qui demandent (10 novembre 1611) à régir le collège. Le Conseil alloue'50 livres à leur gardien pour aller voir le P. Provincial et amener des régents capables (1). Mais, nos> chanoines aidant, la désillusion fut prompte. Dès le 9 novembre 1612, on lit dans le' registre du Conseil : « Se voit occulairement que les Cordelliers ne font pas leur devoir au fait du collège dont ils ont charge, mesme que la plus part de ceux de la ville qui ont des enfants s'en plaignent et disent qu'ils aiment mieulx les mener ailleurs estudier, voire hors la ville (2). » On écrit à Maître Morand et Guyennot fait des propositions.

Enfin, le 14 août 1614, un bail de trois ans est conclu avec Me Crot « escripvain » habitant de Villefranche. Nous en citerons les principales clauses pour caractériser la situation et l'organisation du collège. Ces extraits nous prouveront que les chanoines ont hérité non seulement des pouvoirs du curé prieur de Bourg, mais encore de ceux des Dominicains. Ils sont vraiment les maîtres du collège et nous comprendrons mieux l'opposition, tantôt dissimulée tantôt ouverte, qu'ils feront aux Jésuites. Mais par une étrange erreur de conduite, ils n'auront pas la sagesse de s'interdire certaines manifestations de mauvaise humeur contre-le collège dont leurs rivaux plus habiles et plus logiques profiteront.

« M0 Crot sera tenu, ce qu'il a promis de tenir deux regens suffisantz et capables avec lui qui feront la première et seconde classe etledict Crot enseignera lart descripture et l'arithmectique.

(1) Arch. comm., BB, 73.

(2) Brossard, Mêm. hist., IV, 38.


148 ANNALES DE L'AIN

« Lesquels regéntz il nourrira, entretiendra ou conservera à son possible et paj'era leurs gages... lesdicts regéntz seront présentez par lesdicts sieurs syndicqs aux sieurs prévost et chanoynes de l'église Notre-Dame de la présente ville pour faire profession de la foy et religion

catholique, apostolique et romaine a laccoustumee

sera tenu faire lire et enseigner tous les jours de samedjr appres disne le catéchisme de Canisius... plus de les mener et conduyre à la messe tous les jours de dimanche et festes solennelles en ladicte esglise Notre-Dame. .. aux processions qui se feront en icelles et aux prédications tant de l'advent, caresmes, qu'aultres auxquelles il assistera iuy mesmes avec ses dicts rogens ou pour le moings deux diceulx pour les conduire et se contenir en toute piété, dévotion et modestie .(1). »

La ville lui accorde les émoluments suivants : les syndics paieront à Me Crot 300 florins t, pour chacune des trois années « tant pour son gage, celuj' de ses regentz que payement du louage de sa maison qne luy mesme sera tenu frayer que supporter sur la somme, payable par quartier (2). »

Il recevra des élèves la rétribution que voici : « Il prendra pour chacung mois scavoir des abécédaires cinq solz ; de ceux de la première et seconde classe à qui il enseignera ou fera enseigner la grammaire et escripture ensemblement, huict solz ; de ceux de la première qui seront plus advancez et à qui il enseignera les bonnes lettres lescripture et arithmétique dix solz (3). »

(1) Arch. comm., GG. 239, fol. 2 v°

(2) Id,, fol. 3 r°.

(3) ld., fol., 3 r>.


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 149

.De plus, la ville s'engage à lui garantir le monopole de l'enseignement et à l'exempter de toutes tailles municipales et du logement et fourniture du soldat.

Je cite le premier article qui nous fera comprendre les longs procès de Me Crot contre la ville : les syndics promettent que toutes espèces « d'escolles et enseignement soyt aux bonnes lettres, soyt à l'escripture, soj't en lescripture et arithmétique cesseront et seront deffendus dans la ville (1). »

Nous savons par un des factums de Crot que ses régents s'appellent, Antoine Sève et Gabriel Arbelot ; le premier reçoit annuellement 120 livres, le second 48 ; ils sont tous deux nourris.

M. Crot était à peine installé que les difficultés commencent. Les catholiques, de plus en plus soupçonneux, se refusent à envojrer leurs enfants au collège. Ils trouvent appui chez les sjnidics et, avec leur connivence avérée, s'ouvrent des écoles privées. Me Jean Husson, ancien recteur du collège, a une quarantaine d'enfants parmi lesquels se trouve « mesmemenl le fils de Monsieur le Sindic Giract »; le vénérable Geoffred Sauciat, chanoine de Notre-Dame, instruit seize petits enfants. Cela résulte d'un procès-verbal de visite ordonné par M" Renibert, lieutenant particulier, sur la plainte du principal Crot (2). Comme les faits sont patents, Pierre de Granet, conseiller du roi en sa cour de parlement de Dauphiné, lieutenant civil et criminel au bailliage de Bourg... o mande et commande (22 décembre 1614) de faire inhibitions et deffences publiquement et à son de trompe, par les carrefours de

(1) Id., fol. 3 ro.

(2) Arch. comm., GG. 239.

11


150 ANNALES DE L'AIN

la présente ville, à toutes personnes de qualité et conditions qu'ils soient aultres que le requérant (Me Crot), d'enseigner directement ou indirectement soyt aux bonnes lettres, escripture ou arithmétique dans ladicte ville et faulsbourgs pendant le bail à ferme du dict requérant et à tous particuliers habitants de ladicte ville d'envoyer ailleurs qu'au dict collège leurs enfants à peine de cinquante livres d'amande, laquelle deff'ence vous mandons de signifier particulièrement à M. Jean Usson, son régent, et aultres que semblera bon au requérant » (1).

Ce fut le signal de pétitions pour et contre Me Crot. Il y est bien question d'enseignement, mais ce n'est qu'un prétexte pour affirmer que « maître Crot. . . dédaigne de conduire les enfants aux messes, prédications et processions, ce que les autres principaux ont fait devant luy et ce qui est de louable coustume faire i (2).

Bref, sur l'appel des syndics notoirement hostiles au principal, l'affaire fut portée devant le parlement de Dijon (3) [le 24 septembre 1615], où les syndics furent condamnés aux dépens le 9 de mars 1618. Mais le bail de l'infortuné Crot était expiré et lui-même avait quitté la. ville, probablement en septembre 1616, sans y avoir fait fortune (4).

Le Conseil fait venir à Bourg Pierre Millot, maître d'école à Montrevel. Il subit un triple examen. D'abord devant le Conseil qui lui demande d'improviser un distique a sur la troisième pétition de l'oraison dominicale »;

(1) Arch. comm., GG. 239.

(2) Brossard : Les Jésuites et le Collège de Bourg, Annales de la Société d'Emul. de l'Ain, 1871, p. 342.

(3) Arch. cumin., GG. 239, pièce en parchemin. <4) Brossard , Mêm. Hist., IV, 53.


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 151

ensuite devant M. le président de Granet « comme chef de justice en ceste ville »; enfin devant les « sieurs prévôts et chanoines de l'église Notre-Dame, nos curez et pasteurs, afin d'être par eux d'abondant . . examiné tant sur sa profession de foi et bonnes lettres et pour prêter le serment en tel cas accoustumé de faire profession de la religion catholique, apostolique et romaine, et d'enseigner et instruire les enfants qui lui seront remis, en icelle, ne leur faire point lire de livres censurez » (1).

Maître Millot, à peine installé, poursuivit Husson « escripvain ».comme tenant chez lui un régent pour enseigner le latin. Il le dénonce à la ville qui répond : « Défense à Husson d'enseigner par régents ou pédagogues les bonnes lettres à peine de 50 livres d'amende et expulsion. » C'est avec M6 Millot et ce procès, symbole de tant d'autres, que se termine l'histoire du collège municipal laïque de Bourg.

DEUXIEME PERIODE

I. — Les Jésuites directeurs du Collège (1618-1644)

I. — Chanoines, Cordeliers, Dominicains concurrents malheureux des Jésuites

Ainsi finit au milieu de procès, de chicanes religieuses et, disons-le sans hésiter, de l'indiscipline, de l'incurie et de fort mauvaises études, le collège communal de Bourg. La faute en est aux temps si profondément troublés par

(1) Brossard: Mêm. Hist., IV, 57-58.


152 ANNALES DE L'AIN

la ruine ici du parti savoyard et le contre-coup des querelles religieuses. Catholiques et protestants ont à se le reprocher également. L'école de Guy Laurent et celle des Chanoines procèdent de la même défiance contre le collège ; les deux partis veulent une école strictement confessionnelle. La lutte ne pouvait avoir qu'une issue la ruine du collège communal et le triomphe des Jésuites.

Nos chanoines maîtres de Bourg, depuis 1506, grâce à Marguerite d'Autriche qui édifie Brou, s'étaient aliéné la population par leur ladrerie : leur unique pensée fut de construire Notre-Dame aux dépens de la ville sans toucher à leurs revenus. M. Jarrin avait déjà indiqué cette cause d'irritation des Bourgeois contre le Chapitre (1). Le Regeste de M. Brossard en contient presque à chaque page les preuves surabondantes.

Quant aux Cordeliers et aux Dominicains la ■ viile a contre eux les griefs les plus graves. Ils n'assistent pas aux processions votives (1541) ; ils « mal versent en religion », les six quartiers le déclarent solennellement en 1540 et menacent même, s'ils ne s'amendent, de les faire réformer. Les Archives municipales sont remplies de ces plaintes. Bien plus les Cordeliers, nous venons de le voir, maîtres un an du collège, avaient échoués piteusement dans sa direction.

Je ne parle pas des Capucins venus trop tard ((612) pour être des concurrents sérieux ; ils bornaient d'ailleurs leur activité à la prédication. En somme, la situation était favorable aux Jésuites, dont les collèges déjà nombreux, étaient célèbres et florissants.

Nous étudierons successivement dans ce chapitre les

(1) La Bresse cl le Bugey, IIS 243.


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 153

premières tentatives faites pour établir les RR. PP. chez nous, 1612-1618; puis l'installation delà mission, 16181638; enfin la résidence, 16J8-I644.

II. — Premières tentatives des Jésuites 1612-1618

Les rapports des Jésuites avec la ville de Bourg commencent, autant que nous en puissions juger par les documents conservés, à l'année 16'2. On reçoit une lettre du P. Co.tton(l), le fameux confesseur de Henri IV puis de Louis XIII, qui concerne la réception des Capucins eu la place de la citadelle. Quel en était le sens? Lest bien difficile de le conjecturer. Nos syndics déclarent n'avoir écrit à personne au sujet des Capucins et décident que « la ditte missive sera mise aux Archives sans faire aucun semblant ni réponse (2). »

L'année suivante (juillet 4613) nous possédions «céans » l'archevêque de Lj'on et quelques pères jésuites de son cortège.

Le Conseil confie mission à nos syndics de parler aux pères pour savoir, s'il y aurait moj'en d'avoir provisoirement trois classes, en attendant l'établissement définitif d'un collège (3). M. Duplomb, prévôt de Notre-Dame,

(1) Cf P. J. M. Prat, Recherches historiq. et cvit. sur la Compagnie de Jésus en France du temps du P. Colon, 5 vol. dont un de pièces justificatives.

(2) Bross., Mêm. Hist-, IV, 29.

(3) Il me semble qu'il faut placer en cette année 1613 la controverse, non datée,.entre le R. P. Gaultier et le pasteur de Genève Théodat, qui semble avoir eu une réelle influence sur l'établissement des Jésuites à Bourg. Cf P. Prat, op. laud-, IV, 97-98.


154 ANNALES DE L'AIN

les assisterait. Bien plus, on irait trouver l'abbé d'Ambronay pour obtenir résignation du prieuré de la Boisse qui servirait de dotation (1). L'abbé dut s'y refuser, car on ne parle plus de la Boisse. Mais, le 14 novembre, on songe à préparer un logis. Il serait facile de bâtir à peu de frais un étage sur les murs du collège. On pourrait en l'absence de deniers faire une quête. Réflexion faite, il semble plus prudent à nos bourgeois avisés d'attendre un engagement formel des pères, car il n'est pas sur qu'ils trouveraient les travaux exécutés à leur gré (2).

A y regarder d'un peu près ces précautions laissent pressentir certaines négociations mal connues. Un mot nous les révêle. Le conseiller au présidial Fallaise (13 mai 1617) rapporte au Conseil que Mgr le Révérendissime archevêque de Lyon «est-de bonne volonté, d'introduire... les Pères de l'Oratoire... moyennant que la ville veuille aider de son côté (3). » Là était le difficile. Notre pauvre ville désirait un collège sans bourse délier. Les Oratoriens furent-ils plus exigeants sur le chapitre argent que les Jésuites? Y a-t-il une autre raison? Nous l'ignorons, mais il n'est plus question d'eux. Quoi qu'il en soit, le 2 novembre de la même année, le R. P. Jacquinot provincial des Jésuites promet un prédicateur pour l'Avent (4). Le père Corlet s'acquitta de cette tâche avec un rare succès et fut, en outre, le véritable artisan de l'installation des RR. PP. à Bourg. Le conseil décide, le 13 janvier 1618, de proposer en assemblée générale, le 17 du même mois,

(1) Bros., Méni: IIiSl., IV, il.

(2) Bross, Méat. Hisl., IV, 42-43. (3; Bross., Mém. hist. IV, 00-61. (4) Bross, Mérn. hist., IV, 63.


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 155

les mesures nécessaires pour obtenir une mission. Le Conseil fait promesse de six cents livres sur les deniers du commun. Des particuliers, dont nous ignorons les noms, s'engagent eu outre pour deux cents (1).

Le père provincial n'accepte pas ce chiffre global de huit cents livres, sur lesquelles six cents seules étaient assurées ; il le décompose prudemment de la manière suivante : « Il octroyé, dit le rapport, une mission de deux pères à charge que pour leur nourriture et entretien leur seront donné quatre cents livres par an, qu'ils seront logez et meublez honnesteinent et que pour les regentz ils soj^ent payés et entretenus par la ville tellement qu'il ne reste plus qu'à mettre la convention par escript, excepté pour le logement étant nécessaire leur louer un logis pour n'avoir la ville moyen de rebastir la maison de la Craz anciennement desdiée pour cela (2). » Nos syndics en veine de générosité, ce qui est rare, font cadeau d'une paire de souliers du prix de 38 sols au compagnon du père Corlet.

III. — La Mission 1618-1638

Mais si le Conseil et la majorité de nos bourgeois étaient favorables aux pères, il y avait ici un parti protestant résolument hostile, qui, pour compenser sa faiblesse numérique, cherche un appui au dehors. Le 23 mai 1618, le châtelain communique au sjrndic Gauthier une lettre d'un conseiller au parlement de Dijon, Humaix. Elle ne contient que des questions dont le sens commina(1)

commina(1) Mém. Hist., IV, 65-66.

(2| Bross, Mém. Hist., IV, 67 (29 mars 1613).


156 ANNALES DE i/AIN

toire n'échappe pas à nos élus. Humaix prie qu'on lui baille « avis du progrès des jésuites^céans, des conventions 'faites avec eux » de la somme promise pour leur entretien etc... Le Conseil décide de pourvoir à ce que le a Parlement n'entre pas en soupçon malveillant contre la ville (1). »

Comment s'y prit-il? Nous l'ignorons. En tous cas, les « personnes affectionnées » par intimidation ou négligence, peut-être les deux, ne fournissent ni le liuge ni l'argent promis et nos conseillers en gémissent (2).

Malgré toutes ces traverses on songe à ouvrir le collège avec grande solennité. Le 30 août 1618, nos syndics annoncent qu'ils ont reçu du premier régent du collège, probablement Favre, qui les envoie de Lyon, un grand nombre d'affiches imprimées (3) contenant la date fixée pour commencer les cours, les heures consacrées aux différentes classes et les livres qui seront expliqués. On fera parvenir des exemplaires dans toutes les villes et bourgades « tant de ce pays que des pays circonvoisins pour inciter et encourager les pères et parents de la jeunesse d'envoyer leurs enfants en la présente ville pour y être instruits et enseignez à-la crainte de Dieu et aux bonnes lettres (4). »

Le père Corlet obtient des réparations aux bâtiments du collège et un quatrième régent, le maître d'école de Ceyzériat, pour les tout petits (5).

(1) Bross, Mém. Hist., IV, 71.

(2) Bross, Mém. Historiq., IV, 73.

(3) Aucune n'est restée dans les Archives, (i) Bross, Mém. Hist., IV, 74.

(5) Bross, Mém. Hist., IV, 74-:5.


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 1 57

Madame de la Verjonnière semble avoir été durant ces deux années 1618-1620, la providence des Jésuites (1). Elle meurt le 10 février 1620 après avoir légué à la ville les deux tiers de ses biens pour la fondation d'un collège. Le cosyndic Tamisier témoin du testament disait au conseil de ville réuni : « Madame de la Verjeonnière a fait chose grandement prouffictable au service de la ville » et il demandait de lui rendre tous les honneurs possibles. Le Conseil décida : « seront fornies douze torches aux frais de la ville, auxquelles seront apposés les escussons de ladite ville puis portées par douze pauvres à l'enterrement du corps de ladicte dame et la dépense entrée au compte des sindics (2). »

La ville s'était réjouie trop tôt. Madame de la Verjonnière avait légué un bien qu'elle ne possédait que comme usufruitière. En effet, mariée à M. de Seyturier elle lui donnait sa terre de la Verjonnière et à son fils Melchior ses terres de Béost et de Chastenay, en ajoutant qu'au cas ou Melchior décéderait « sans enfants naturels et légitimes », les deux tiers de ses biens seraient employés à l'établissement d'un collège de Jésuites à Bourg. Maîtres Dechevance et Malteste, avocats au parlement de Dijon, consultés en 1634, soutinrent cette thèse en déclarant que Madame de la Verjonnière ne pouvait donner ce qu'elle n'avait qu'à titre de fidèi-commis par le testament de Jacques de Monspey en 1579. Cela nous explique qu'à la mort de Melchior décédé en 1623 « sans enfants naturels et légitimes a ni la ville, ni les pères ne s'oppo(1)

s'oppo(1) Mém. Hist., IV, 91-92.

(2) Bross, Annales fie la Société d'Emulation de l'Ain, 1871,339.


158 ANNALES DE L'AIN

sèrent à ce que Pierre . de Seyturier prit possession des biens de son fils. Ce ne fut que le 8 juin 1651, après un procès de trois ans terminé par une transaction, que les Jésuites reçurent d'un fils, que M. de Seyturier avait eu d'un second lit, la terre de la Verjonnière en toute propriété (1).

La cause des Jésuites, on vient de le voir, était gagnée chez nous. Mais pour fonder un collège, il fallait deux choses également difficiles : obtenir un brevet rojral et à Paris on s'y refusait obstinément ; trouver de l'argent et Bourg n'avait que des dettes. C'est pourquoi les Pères durent se contenter pendant vingt six ans (1618-1644) d'être les aumôniers et les directeurs du collège.

La lettre de M. d'Humaix, mentionnée plus haut, trahit l'hostilité du parlement de Dijon et des parlements en général contre les Jésuites. Cette hostilité et les efforts des protestants de Bourg furent bientôt secondés par Richelieu, qui crut sa politique contrecarrée par la Compagnie. Il vit avec dépit Louis XIV autoriser son ancien confesseur le P. Arnoux à rentrer à Paris, sut lui interdire l'accès de la cour et lui rendre en France la vie si difficile que le R. P. général, Mutio Vitelleschi crut devoir l'appeler à Rome. Une partie des papiers du père Arnoux fut interceptée ou achetée à un nommé Oudin, son correspondant. Louis XIII ordonna leur examen par un maître de requêtes : l'affaire aboutit à un non lieu (1). La nomination la même année du fameux P. Cotton,

(1) Bross , Annales de la Société d'Emulation, 1872, 37-38.

(!) P. Prat, Rccherch. historiq. et crit. sur la Compagnie de Jésus, IV, 493.


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comme provincial à Paris, acheva d'irriter Richelieu, qui se résolut à opposer les Oratoriens aux Jésuites. L'affaire du père Voisin, qui avait pris si violemment à parti Théophile de Viau, gagna Louis XIII aux vues de son ministre. Ces faits nous permettent de comprendre pourquoi toutes les instances de la ville, pour avoir un brevet en faveur des Jésuites, échouèrent pendant vingt-six ans (1).

C'est ainsi que le syndic Galien se rend vaiuement à Paris en juillet 1623; qu'en 1631 on sollicite l'intervention du Révérendissime cardinal et archevêque de Lyon Du Plessis, frère de Richelieu ; qu'en septembre 1634, on adresse la même prière au prince de Condé, à l'occasion de sa visite dans notre cité ; qu'en 1638, la même instance est renouvellée à Lyon, par Guichenon auprès du prince et du Cardinal, toujours avec le même insuccès.

Ce n'est que le 20 janvier 1639 que M. le Prince daigne agréer l'établissement d'un collège de Jésuites à Bourg et promettre d'en obtenir le brevet de sa majesté (2). Mais il fallut attendre la mort du puissant ministre et celle de son maître pour avoir, en 1644, grâce à l'intercession enfin heureuse du prince, le brevet si longtemps sollicité et désiré.

La ville voulait aveu la même obstination deux choses en soi inconciliables ; un collège et ne pas ouvrir sa bourse, où il est vrai qu'il n'y avait rien ou presque rien.

(1) En outre, Richelieu crut discerner chez PP. des sympathies pour la maison de Savoie. C'est la raison particulière qui fit retarder leur installation dans un pays encore frémissant sous la domination française.

(2) Bross., Mém. Hist., IV, 261-262.


160' ANNALES DE L'AIN

C'est l'histoire amusante racontée par M. Brossard (1) avec humour et force inexactitudes (2) de dates et de faits. Il y a montré nos bourgeois trop épais, trop colériques et trop balourds : ils étaient plus avisés et raisonnaient assez juste surtout quand leurs intérêts couraient quelque ■danger; par contre, il a prêté trop de malices aux Pères Jésuites. La vérité est beaucoup plus simple. Nos sj^ndics ne connaissaient qu'un collège le leur ; les PP. en administraient et possédaient déjà un grand nombre et savaient par expérience les conditions qui les rendent viables. Ils exigeaient donc, et à juste titre, ou bien que la ville s'engageât avec eux par un traité en bonne et due forme à leur fournir les ressources nécessaires, ou bien que la ville leur procurât des bénéfices suffisants pour vivre. C'est la dernière solution, on le devine, qui a toutes les faveurs du Conseil, malheureusement, il ne sait pas le di'oit canon de là, quelques maladresses ; il ne sait guère mieux le droit civil, mais est très processif comme on l'était alors sans exception, de là trop souvent abus de poursuites par exemple avec les héritiers de Mme de la Verjonnière. En voici quelques preuves. Les pères conseillent d'attendre (3) : M. de Seyturier, sa colère cal(i)

cal(i) de la Société d'Emulation, 187i, 337-64; 1872, 22-57.

(2) M. Brossard a rectifié implicitement ces erreurs par la publication postérieure des Inrcnlaiivs sommaires des Archives de l'Ain et des volumes IV et V des Mémoires Historiques de la ville de Bourg extraits des registres municipaux, qui continuent les trois volumes donnés par M. Jules Baux. <

(3) Bross, Mém. Hist., IV, H9. Le « recteur [du collèye] mande que nous devons traiter aimablement avec M. de la Verjonnière... faut luy desputer quelqu'un. » 24 oct. 1623.


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mée par le temps, consentira à remettre à la ville, le legs pieux de Mme de la Verjonnière : immédiatement nos syndics réclament et continuent des poursuites judiciaires (1) contre M. de Seyturier, 20 novembre 1623.

On pourrait, disent les PP., s'adresser à l'archevêque de Lyon pour obtenir des bénéfices, immédiatement notre Conseil dresse une liste nominative de gens bien vivants dont il réclame l'héritage (16 décembre 1623). Mais comme on lui démontre, le droit canon à la main, que c'est tout compromettre, le conseil à la séance suivante arrête cette résolution pleine d'un naïf dépit : c Est délibéré qu'on écrira à Mgr le Révérendissime (archevêque de Lyon), mais sans demander les bénéfices en question, attendu qu'il ne faut impétrer les bénéfices des vivants (2) ».

Privés de bénéfices, frustrés de l'héritage de Mme de la Verjonnière nos bourgeois se résolurent à faire des sacrifices.

Ils promirent (12 décembre 1623) quinze cents livres à condition d'avoir cinq classes : rhétorique, humanités, troisième, quatrième, cinquième. Le 24 décembre le R. P. Fornier provincial les en remercie par une lettre flatteuse : « Je veux croyre que l'affaire réussie, comme il faut espérer ; vous scaurez par expérience que Dieu vous aura inspiré bien sy bonne volonté que de longues années vous n'aurez fait entreprise plus salutaire à votre ville et

(1) Bross, Mém. Hist , IV, 120, a « esté délibéré que l'on ne s'adressera davantage au sieur de la Verjonnière pour obtenir deluy à l'amiable l'établissement d'un collège... mais que l'on poursuivra lentement le procès intenté contre luy... »

(2) Bros., Annales de la Société d'Emulation, 1871, 363.


162 ANNALES DE LJAlN

à tout le paj'S voire pour le temporel comme il est aysé à voir partout où nous avons des collèges (1). »

Mais ni la ville, ni les PP., comme nous l'avons dit plus haut, ne purent obtenir le brevet royal. Aussi en 1634, le syndic Nugon se rend à Dijon pour demander une résidence. La réponse (2) précise et prévoj^ante a pour objet d'amener notre conseil à prendre une décision ferme. Il s'agit de s'engager définitivement.

Le 19 septembre 1634, l'assemblée générale consent à nouveau à l'établissement d'un collège, mais elle ne promet plus que douze cents livres annuelles et mille livres payées une fois et sans conséquence, à charge que les Jésuites bâtiront comme il leur plaira sur l'emplacement du collège (3).

Qu'advint-il de cette décision ? l'absence des registres municipaux de novembre 1633 à novembre 1637 ne nous permet pas de le savoir.

(1) Bross., Annales de la Société d'Emulation de l'Ain, 1871,360.

(2) c Le syndic Nugon ira... à Dijon où il parlera au P. Provincial pour savoir s'il se pourvoit faire que deux pères ou frères de la Compagnie régentassent et fissent les classes du collège au moins les trois plus hautes... Le Provincial a répondu qu'ayant été obtenu par ceux de Châlon un collège., et ceux de Mâcon en poursuivant un, en cet état l'on ne permettra pas tant de collèges si près les uns des autres... La résidence n'enseignoit ni plus ni moins que la mission... et que lorsqu'ils ont des régents, c'est un collège... que la mission n'est que temporaire et la résidence pour toujours... la ville [ayant une résidence] se trouverait engagée et ne pourrait pas après les congédier et retrancher les revenus,. De quoy il leur donne avis pour délibérer. » Bross, Mêm. Hist., IV, 243.

(3i Bross, Mém. Hist., IV, 246.


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 163

Mais la question fut reprise, en 1638, probablement dans les mêmes termes, car le P. Boniel, provincial, répondit le 6 novembre au P. Bullioud supérieur de la mission :

1° Que le père général a accordé une résidence à Bourg ; 2° deux régents; 3° qu'il faut travailler pour avoir un brevet du roi ; 4° que la ville avait fait une promesse plus élevée que celle de douze cents livres ; 5° les régents seront à Bourg à Pâques « votre Révérence toutefois fera bien de dilayer un peu » : 6° « Elle peut sur leurs responces (des syndics) et conclusions faire ses provisions et conclusions et les assurer en un mot que nous ne lâcherons jamaisle pied (1). »

Le père Bullioud attendit avant de communiquer cette lettre que la nouvelle municipalité, élue le 2 novembre, fut installée. Les syndics de 1538 étaient Samuel Guichenon et Claude-François Beauregard.

Guichenon, très lié avec le P. Bullioud par la communauté de goûts et. d'études, très reconnaissant aux PP. qui n'avaient cessé de le protéger depuis sa conversion, tint à honneur de leur donner définitivement le collège. Le 19 novembre 1638, il annonce au Conseil l'installation d'une résidence et deux régents à Pâques pour la rhétorique et les humanités, si on assure aux PP. huit cents livres par année, en attendant les ressources nécessaires pour le collège. Le conseil effrayé par la dépense temporisa. Le 30 novembre suivant Guichenon revint à la charge et dans l'Hôtel de ville, entouré des amis des RR. PP., il exposa que le collège était nécessaire et qu'on

(1) Bross, Annales de la Société d'Emulation, '.812, 28.


164 ANNALES DÉ L AIN

avait deux voies pour le réaliser : 1° les Jésuites ; 2° les Dominicains (1). Notre syndic ne se prononça pas.

Mais on recueillit les voix et voici ce qui fut délibéré :

« L'on remercie les Religieux de Saint-Dominique de la bonne volonté qu'ils témoignent à la ville. Les PP. Jésuites seront continués pour, la direction du collège et priés de passer contrat avec les sieurs sindics et autres notables qu'ils adviseront. Les dits PP. promettront de faire le collège entier jusqu'à la rhétorique inclusivement moyennant la somme de 1,500 livres qui seront diminuées à mesure qu'ils seront pourvus de rentes et revenus par bienfaicts quelconques et provisions de bénéfices. Et, en attendant, promectent fournir deux régents de leur ordre pour la rhétorique et humanités dans Pasques prochaines pour lesquels la ville paiera 400 livres. Se pourvoieront les syndics au Roy par l'intercession de Mgr le Prince pour obtenir le brevet et provisions requises (2). »

« Quant aux régents séculiers la ville y pourvoiera de de gens idoines avec quelques gratifications s'il y a lieu (3). »

C'est ici que se termine la première période de l'administration des Jésuites : la mission de 1618 à 1638. Il semble bon avant de passer à la seconde période de la

(1) « Le prieur et les religieux du couvent Saint Dominique voyant qu'il y a difficulté à l'établissement des Jésuites au collège, proposent d'y vaquer à l'instruction de la jeunesse et d'y faire sept classes avec rhétorique, logique et physique, à conditions honnêtes qu'ils feront agréer à leur général. » 14 novembre 1638. Bross, Mém. Hist., IV, 256-57.

(2) Bross., Annales de la Société d'Emulation, 1872, 32-33.

(3) Bross, Mém. Hist., IV, 2!)5.


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 165

Résidence (1638-44) d'indiquer le peu que nous savons des régents et de l'enseignement.

Nous avons noté, en 1618, la nomination d'un quatrième régent pour enseigner les petits ; le 24 octobre 1622, le père Barrachin, « surintendant » du collège « dit qu'il est nécessaire d'avoir un régent pour enseigner les abécédaires, attendu qu'il est impossible que le quatrième régent puisse faire cet exercice et enseigner les rudiments et principes de grammaire à ceulx de sa classe. Et se présente un homme capable pour 18 livres l'an. (I) »

Le 18 juillet 1623, le Conseil décide d'envoyer au collège les enfants nourris à l'Hôpital, car ils « perdent le temps et se débauchent par la ville (2) ». A la même date le Conseil s'indigne de-ce qu'on fait balayer les classes aux « enfants de maisons » contre la coutume ancienne qui « estoit que les Aquaristes les nettoyent. » Il y faut revenir : « les porteurs d'eau béniste balliront les classes, sepmaine par sepmaine à peine de suspension, et en sera parlé au père Barrachin et aux vicaires (3). »

Le premier régent Favre a quitté le collège et la ville. Les PP. Jésuites (27 avril 1G24) en avertissent le Conseil. Les syndics désirent avoir le P. Arnault qui a enseigné quelques jours. La ville lui offre successivement 200 puis 400 livres de traitement. Les pères en écriront au provincial à Besançon et en cas d'insuccès on s'adressera à Pierre Millot qui est réputé capable et enseignera la première classe (4).

(1) Bross., Mêm. Hist., IV. lli.

(2) Bross, Mém. Hist., IV. 117.

(3) Bross., Mém. Hist., IV, 117.

(4) Bross.. Mém. Hist., IV, 126.

12


166 ANNALES DE L'AIN

L'année suivante, 9 juin 1625, une démarche collective des ré'gents trahit une situation fort troublée. Ils « se plaignent grandement du P. Jésuite qui enseigne le catéchisme aux enfants ne se contentant pas de les maltraiter et calenger dans les classes en présence des escholliers, mais encore publiquement en l'église Notre-Dame, et disent qu'ils seront contraints de quitter le collège si le dit Jésuite continue à les tourmenter comme il fait, battant oultrageusement les escholliers et en telle sorte qu'il les desgoutte d'estudier et est cause que plusieurs ont quitté le collège tout à fait. — Sera faite remontrance sur ce Jésuite au surintendant du collège par le syndic Gallien, qu'il s'abstienne de maltraiter les régents et les escholliers, à faute de quoi la ville y pourvoiera (1). »

La mission ne comptait cette année que les PP. Hugues Mambrun (2) et Fornier.

Le premier, qui nous est suffisamment connu, semble avoir été le « surintendant du collège », par conséquent, ce doit être le P. Fornier qui avait cette âpre rudesse, tout à fait exceptionnelle dans la Compagnie de Jésus.

Eu 1626 (4 mars), le premier régent du collège demande qu'on lui rende sa liberté, car il se présente pour lui « en Avignon une occasion de faire fortune, t Pierre Millot qui occupe la seconde chaire le remplacera et Messire Cavassol, habitué de Notre-Dame fera l'office de ce

(1) Bross., Mém. Hist., IV. 134.

(2) Né àThiers, Puy-de-Dome, vers le 22 juillet 1581 ; novice vers 1600 ; recteur à Lyon, il y mourut le 27 novembre 1657. La Rev. rêtrosp., 31 mai 1836, a publié du P.H. Mambrun,'une « Relation de la disposition à la mort de M. de Thou. Ï Cf. Sommervogel V, col. 451,


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 167

dernier (1). Les syndics se fâchent et veulent que les Jésuites « qui l'ont fait venir », l'obligent à terminer l'année. Il reste donc douteux si notre premier régent est allé faire fortune en Avignon.

L'année 1626 fut troublée par les débordements de Me Honorât régent de troisième «joueur, tavernier, subject à beaucoup de débauches. » Le 24 septembre le conseil intercède pour lui « attendu sa capacité reconnue » et la protection du sieur de Luysandres ; on le tancera ; les Jésuites auront l'oeil sur lui (2). Mais Me Honorât récidive et de plus bat ses écoliers : on le met à la porte, Pr février 1627 (3).

La même année (17 avril) on signale un maître inconnu qui enseigne dans la maison du comte de SaintTrivier, sans autorisation, sans qu'on connaisse sa naissance ni sa religion (4). On soupçonne évidemment en lui un protestant, car c'est le moment où les religionnaires font les derniers efforts pour rebâtir leur temple brûlé à nouveau en 1622. M. de Frot Barin, conseiller du roi au Parlement de Bourgogne, est chargé de presser sur nos syndics fort mal disposés (5). Ainsi, le 25 septembre 1627, le Conseil décide l'expulsion du maître d'école de Langres, « attendu que les escholliers se débandent du collège et qu'il n'a fait profession de foy et n'a permission, et pour cause, de régenter (6). »

Dans cette lutte contre les protestants, les paresseux et

(1) Bross, Mém. Hist., IV, 149.

(2) Bross, Mém. Hist., IV, 152.

(3) Bross, Mém. Hist., IV, 161.

(4) Bross, Mém. Hist., IV, 165.

(5) Bross, Mém. Hist., IV, 167.

(6) Bross, Mém. Hist., IV, 171-72.


168 ANNALES DE L'AIN

les libertins Messieurs du Présidial déploient une ardeur encore plus grande que nos syndics. Ils décident de faire fermer les tavernes et cabarets. Or, voici le contre-coup admirable de cette mesure. Une requête des fermiers du commun est adressée au Conseil, qui supplie Messieurs du présidial de tolérer la liberté des tavernes « aultrement l'on n'aura argent pour travailler à la closture de la ville 113' pour payer les gages des PP. Jésuites... (1) »

Le 20 novembre 1628 « Maisfre Jean Taincturier, imprimeur, demande d'être payé de quatre livres pour les cathalogues de livres que l'on enseigne au collège (2). » C'était, j'imagine, des espèces de programme pour être affichés, comme nous l'avons vu en 1618, dans les villes et villages de la région.

Enfin, nous savons par une note justificative adressée, le 3 avril 1632, à M. Brùlart, maître des requêtes chargé d'inspecter les comptes de la ville, que l'entretien du collège monte a plus de 1,200 livres par année (3).

IV. — La résidence 1638-1644

La ville après vingt ans d'efforts patients avait obtenu une résidence, cette première étap3 nécessaire avant d'avoir un collège. Tout faillit, semble-t-il, être compromis en un instant. Nous n'avons sur ce grave danger qu'une indication ; les détails précis et circonstanciés manquent. Le 30 juin 1639, le premier régent Millot nous quitte et s'en va comme principal à Mâcon (4). Aussitôt (6 août),

(1) Bross, Mém. Hist., IV, 178-79.

(2) Bross. Mêm. hist., IV, 190.

(3) Bross.,.Mém. Hist., IV, 217-18, (i) Bross, Mém. Hist., IV, 267.


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les syndics confèrent avec le P. Bullioud. Comment pourra-t on organiser les classes ? Ne serait-il pas nécessaire d'avoir deux pères pour les deux premières classes? Le P. Bullioud répond que cela est impossible. Les lois leur interdisent d'enseigner sans brevet « tellement que c'est à la ville de considérer ce qu'il y & faire en ce rencontre pour éviter la perte totale du collège (1) ». Le collège n'était peut être pas en si grand péril, mais le P. Bullioud tenait, avec raison, à pousser nos syndics à sortir du provisoire. Le 7 septembre, Guichenon offre de se rendre à Lyon pour saluer le roi. Ce serait l'occasion d'obtenir sinon le brevet du moins l'autorisation d'avoir deux régents Jésuites. On lui adjoignit le secrétaire de la ville. Mais l'éloquence de nos deux orateurs bressans fut impuissante, nous l'avons noté plus haut.

On eut recours à un honnête homme Jean du Gourd natif de Rioms en Auvergne, pour faire la première classe du collège. Il prête serment (18 octobre 1689) et promet que le samedi suivant il donnera « à deux heures après midy, la harangue accoutumée à l'ouverture de sa classe, les syndics et le Conseil présents (2) ».

Avant ce jour solennel on fera battre la terre dans deux des classes du collège, car la poussière y incommode si fort qu'il est impossible d'y demeurer.

Les rares événements connus de cette période de six ans (1638-1644) peuvent se placer sous deux chefs : les Dominicains ; le personnel du collège.

L'introduction des Jésuites à titre définitif de résidence et l'échec les Dominicains avaient, ici du moins, profou(1)

profou(1) Mém. Hist., IV, 208.

(2) Bross, Mém. FJist., IV, 271-72


170 ANNALES DE L'AIN

dément brouillé les deux ordres. En prévision de conflits futurs les Dominicains demandèrent, le 27 juillet 1640, l'autorisation de faire enseigner la philosophie par le P. Benoist. Elle leur fut vraisemblement accordée au moins tacitement et à titre provisoire, car le P. Benoist s'étant retiré le P. Vuart lui succéda, dans quelles conditions? nous ne le savons. En tous cas, le 18 février 1641, le P. Vuart ayant été expulsé par son supérieur, les bourgeois Ducloz, Cocon, Martin, Guichenon, Bardet, Bruchet. Arbellot, adressent une requête au lieutenant général pour que le père Vuart continue son cours. Mais le lieutenant les renvoie aux syndics parce que « eux seuls et le conseil ont le pouvoir d'accorder pareille permission à l'exclusion de tous autres .. (1) » Ce rappel du principe du monopole sert trop directement la cause du collège, pour ne pas en inférer que c'est à lui que pensait le lieutenant général.

Quoi qu'il en soit, le chapitre, fort mal avec la ville, nous l'avons vu, et qui avec l'introduction des Jésuites perdait son droit de surveillance sur le collège se mit du côté des Dominicains. Mgr le Prince, depuis plusieurs années et notamment depuis 1638, voulait que la chaire de Notre-Dame fut occupée alternativement par les Jésuites et les Capucins, les chanoines, qui avaient droit de présentation, prétendent ne tenir aucun compte de ce désir.

Contrairement à l'usage ils proposent, encore un Dominicain, le 27 février 1643. C'est le signal d'un ardent procès à Dijon entre le chapitre et la ville pour les droits curiaux. Cette dernière gagne son procès. Les chanoines

(I) Bross, Mém. Hist., IV, 274.


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 171

se vengent en ne choisissant aucun prédicateur pour le carême (16 janvier 1643.)

Mais cette petite guerre, quelque ennuyeuse qu'elle fut, était sans danger. On fait des réparations au vieux bâtiment de la Cra. Messire Rey, prêtre et régent du collège, le quitte. Le 28 janvier 1642, le Conseil propose vainement pour le retenir d'augmenter de trente livres son gage qui était primitivement de cent. Messire Rey était au collège depuis au moins dix ans. En février 1644, nos syndics à la prière des régents visitent les bâtiments. Certains détails méritent d'être notés. Ils reconnaissent l'utilité de faire fermer la porte de la troisième par laquelle, de nuit, on entrait dans la classe de quatrième où des ordures étaient déposées, les bancs rompus, la chaire à demi démolie et emportée. Quant aux châssis, il faut les protéger par des » vantaux » car ils ne sont pas plutôt mis qu'ils sont cassés. On blanchira les classes, et on bouchera les gouttières « car il pleut presque dans tout le collège (1) ».

II. — Les Jésuites maîtres du Collège (1644-1763)

Son histoire se divise en trois périodes : 1° de 1644 à 1670, construction de la chapelle; 2° de 1670 à 1751. reconstruction du collège; 3° de 1751 à 1763, expulsion des Jésuites.

I. — 1644 à 1670 Le brevet si longtemps attendu fut enfin obtenu par

(1) Bross, Mém. Hist., IV, 317.


172 ANNALES DE L'ÀIN

Mgr le Prince (1). La ville l'en remercie par une délibération solennelle.

Le 30 mai suivant, l'assemblée générale de la ville, où étaient MM. du Chapitre, M. le Bailly,] MM. le lieutenant général, le procureur du roy, le président en l'Election, les avocats, procureurs, bourgeois, approuve le contrat passé avec les PP. Jésuites, dont voici les clauses :

« Les Rév. Pères Jésuites entretiendront dans la ville un collège de cinq classes, la rhétorique comprise, moyennant la somme annuelle de 1,500 livres, payables à chaque feste S. Luc, aux conditions suivantes, scavoir que quand les dits Pères auront plus de trois mille livres de rente, la ville sera deschargée du payement des 1,500 livres à ratte et proportion de leurs revenus. Et quand les revenus dudit collège monteroientà quatre mille livres de rente les Pères seroient tenus de fournir un régent pour la philosophie, sur réquisition des Syndics de la ville.

« La ville fornira aux Pères la place pour se bastir, laquelle consiste dans les bastiments présentement possédés par lesdits Jésuites, la place vuyde qui est au devant des classes, partie d'un jardin voisin, deux maisons voisines, etc..

« La ville leur donne pour une fois 1200 livres pour l'ameublement.

« Elle leur promet pendant seize années une somme de six cents livres annuelles pour les aider à bastir.

(1) Pièce originale en parchemin, datée du 19 mars 1644, signée Louis et plus bas Phelgppeaux par le roy la reyne Régente sa mère présente dûment scelle et contrescelle en cire Jeanne. Arch. comm. GG. 240.


COLLÈGE. ET LYCÉE DE BOURG 173

B Ne sera loisible aux dits Jésuites de poursuivre ivy prétendre aulcuns privilèges au préjudice des deniers patrimoniaux de la ville tels que l'Once et le Commun, ny au préjudice des Octroys, et ne pourront rien faire contre les franchises et privilèges d'icelle. (1) »

Mais le traité de 1644, signé par la ville, ne fut ratifié par le général de la Compagnie que le 18 novembre 1652. De là, pendant huit années d'interminables difficultés où l'on retrouve le caractère processif de cette époque.

Nos syndics se refusent à l'exécution de toutes clauses avant acceptation définitive ; les PP. ne peuvent ni ne veulent donner un collège complet avant d'y être autorisé par le R. P. général et avant que la ville ait rempli ses engagements. La situation est inextricable. Aussi pendant trois années de 1644 à 1647, le collège n'existe que de nom ; en fait, ce n'est qu'une résidence avec deux régents de l'ordre, l'un pour les humanités, l'autre pour la classe de 5e ou de 6e.

La ville se fâche et, le 1er octobre 1646, les syndics demandent aux RR. PP. s'ils sont en état d'exécuter les conventions. Le P. préfet (Jean de Blot ou Charles Billot ?) répond que c'est impossible sans l'autorisation du R. P. général, qui exige un revenu de 2,000 livres. La ville incapable de les fournir en appelle à Mgr le Prince qui n'en peut mais. Il conseille de temporiser. La ville à contre coeur se résigne à fournir deux régents laïcs (1).

Le sage conseil du prince eut d'heureux résultats. Le

(1) Bross, Mém. Hist., IV, 320-21. (1) Bross, Mém. Hist., IV, 329.


174 ANNALES DE L'AIN

3 avril 1647, les Jésuites s'engagent spontanément à fournir à la Saint-Luc prochaine cinq régents de leur Compagnie. Mais ils demandent que la ville exécute ses promesses. Le Conseil ne se résout qu'à faire remettre la « poutre rompue de la classe de rhétorique (1)». Enfin, le

4 septembre, on fait un pas de plus et on fixe la place qui doit être devant le collège (2). Le 7 octobre, on répare la fontaine des Jésuites qui est tarie et se perd (3). Par contre (19 août 1649) on refuse de remettre aux PP. le brevet original du roi avant signature du contrat : nos syndics sont de mauvaise humeur et plus que de raison du moins contre les PP. de Bourg qui semblent faire tout leur possible pour les contenter. Nous trouvons, en effet, dans leurs papiers, une pièce où le P. Court, recteur du collège (25 octobre 1652), demande au R. P. général avec une réelle éloquence que le collège de Bourg soit enfin reconnu : « Un nouveau délai nuirait non seulement à la prospérité du éollège, mais au bon renom de la Compagnie. (4) » Il s'efforça d'établir que les revenus exigés par les constitutions sont suffisants (5). Voici le compte fort curieux, produit à Rome. Je n'en donne que le résumé :

(1) Bross, Mém. Hist. IV, 337.

(2) Bross, Mém. Hist., IV, 349-350.

(3) Bross, Mém. Hist., IV, 350)

(4) Arch. dép., -D, 2, pièce en latin.

(o) Une note marginale nous apprend que le P. Court, dans son zèle pour l'établissement du collège, a un peu exagéré ses revenus.


COLLÈGE ET LYCÉE DE' BOURG . 175

1° Contribution annuelle de la ville.. 1.500 1, (non compris les 600 1. pour les constructions).

2° Le revenu d'un legs de3,000 livres de Mme de Chaliouvre 150

2° Rente annuelle donnée par Mme de Choin 150

4°Rente annuelle donnée par Mme de Verfey 50

5° Pension cédée par M. Porcet, procureur du roi 25

6° Pension cédée par Claudia Giract, veuve Barthélémy Golier 18 1, 15 s.

7° Revenus en nature de la Verjonnière 1 100

3° Moulin de. Villemotier 100

9° Briqueterie au même lieu 250

10e Droit de justice sur cinq paroisses dépendant de la Verjonnière 100

Soit en revenu total.... 3.443 1., 15 s.

Dont il faut déduire 400 livres pour les frais et charges, 400

Et il reste 3.043 1., 15 s.

Somme dit le P. Court qui « suffit à faire vivre amplement vingt des nôtres à raison de 150 livres par an, dans un pays aussi fertile, et aussi abondant en blé et en fruits et où la vie est bon marché (1). »

Enfin la ratification du R. P. général arrive par lettres datées du 18 novembre 1652. Le Conseil (2), dont la méchante humeur persiste, exige remise de la pièce elle(1)

elle(1) départ., B, 2.

(2) Bross, Mém. Hist., V, 8-9.


176 ANNALES DE L'AIN

même et de tous les papiers avant d'échanger les signatures (Il janvier 1653). Le 2 mai, il charge les sieurs Mngain et Saddet, les avocats Revel et Corton de préparer un projet. Ce fut, paraît-il, chose difficile, car, le 4 septembre 1654, le sj'ndic Jayr représente que le P. Provincial est ici depuis quelques jours et « sollicitte continuellement les sieurs syndics à passer le contrat de leur établissement (1). » Le conseil nomme à nouveau une commission où Me Chambard remplace Me Corton et le 12 septembre suivant, l'acte est passé par devant les notaires Dcrrys et Guillaume conformément aux articles arrêtés.

Le P. Regnaud procureur du collège remet aux syndics ratification définitive du collège et du contrat, signée du R. P. général Gosvinus Nickel, et datée de Rome 29 octobre 1654 (2). Lecture ouïe le conseil approuve la ratification, ordonne de lajoindre au contrat et de garder le tout dans les Archives.

Ces menus incidents, détaillés peut être trop au long, nous permettent de voir mieux ce qu'était une assemblée commmunale au xvne dans une petite ville jalouse de ses libertés. Mais déjà la main mise par le pouvoir central et ses agents devient de jour en jour plus lourde. Le parlement de Bourgogne dont l'action, si on en excepte la lettre d'Humaix, avait été nulle jusqu'alors à Bourg eu matière d'éducation, intervient à la demande des Jésuites qui, par précaution, veulent faire homologuer leur traité. La ville, un peu à contre-coeur, invite son procureur à Dijon, Farcy, à agir dans ce sens (3) Il me semble que

(l) Bross, Mém. Hist., V, 21-22. f (2) M. Brossard a publié cette lettre, Annales de la Société d'Emul., 1872, 55-50.

(3) Bross, Mém. Hist., V, 36 (24 novembre 1656).


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 177

les Parlementaires, en 1763, au lendemain de l'expulsion des Jésuites, se souviendront de ces précédents en instituant les bureaux d'université.

Le seul fait important à noter, à partir de la ratification, c'est la création d'une chaire de philosophie due à la munificence de Mme de Choin qui lègue une somme de 3,500 livres payables à son décès à charge que son fils ait le titre de fondateur (1). Le Conseil, pour ne pas retarder l'ouverture de ce cours s'engage pour quatre ans à paj'er une somme annuelle de 300 livres et, sur l'observation des RR. PP. dont « les constitutions défendent de commencer un cours qui pourrait être interrompu, » décide que c'est par erreur que l'assemblée a fixé une date : on paj^era ladite somme jusqu'à l'époque plus ou moins éloignée où la fondation de Mme de Choin deviendra exigible (2). Le 29 août 1661, le R. P. recteur du collège Sébastien Barthoquin signe le contrat par lequel il est stipulé « que le régent de philosophie enseignera tout le cours commençant et finissant de deux ans en deux ans à partir de l'année présente à la Saint-Luc. (3). Î Les syndics s'engagent à fournir les chaises et les bancs (4).

Le cours commença en 1661-1662 avsc le P. d'Haudvillars. Il fut le signal ou l'occasiô'a de graves désordres dont nous ne savons pas exactement la cause. Un monitoire, non publié en chaire, de l'abbé de Saint-Just, vicaire capitulaire de l'archevêque de Lyon, nous apprend que les écoliers s'étaient mutinés contre les Pères et en

(1) Bross, Mém. Hist., V, 82.

(2) Bross, Mém. Hist. V, 74.

(3) Arch. comm., GG. 240.

(4) Bross, Mém. Hist., V, 38.


178 ANNALES DE L'AIN

étaient venus aux menaces de mort et aux voies de fait. La nuit les écoliers, ou ceux qui se joignent à eux, criblent le collège de pierres et tirent des « coups de pistoletz et fusilz. » Les châssis des fenêtres sont brisés et les révoltés y <a ont appliqué le feu avec menasse d'embraser le reste de la maison. » Rien n'arrête le désordre pas même le changement du père d'Haudvillars. Les écoliers se liguent non seulement pour ne pas aller au cours de philosophie mais encore pour empêcher l'exercice des classes au collège. C'est pourquoi le grand vicaire ordonne à toutes personnes, de quelque condition qu'elles soient de révêler, sous peine d'excommunication, les faits qu'elles pourraient connaître (1). Le désordre se calma avant qu'il fut besoin de recourir à cette extrémité.

Sauf cet incident, il ne nous reste à signaler, dans ces deux périodes de la mission et résidence puis du collège 1618-1670, qu'un certain nombre de noms qui, sans être illustres, méritent d'être conservés.

Le Père Pierre Bullioud supérieur de la mission de 1628 à 1633, puis de 1638 à 1640 appartenait à la grande famille lyonnaise de ce nom. En 1647. il publiait chez Barbier, à Lyon, une mince brochure pour annoncer son histoire de Lyon le Lugdunum sacro profanum, dont un manuscrit se trouve dans la grande Bibliothèque de Lyon. L'inventaire des Ms. dû à MM. Moliuier et Desvernay en contient une analyse très remarquable, qui donne une haute idée de l'immense labeur du savant Jésuite. M. Brossettea publié, en 1897, la « Vie de Fran-? çois Cagnin Jésuite » (1546-1617) extraite du Ms. de

(1) Arch. départ., D, (.


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Pierre Bullioud (1). Cet opuscule- contient des renseignements nouveaux et fort curieux sur ie collège de la Trinité.

Le fameux P. François de la Chaize, confesseur de Louis XIV en 1675, enseigna la 5e à Bourg en 1648-49(2).

Le père Marcellin Fornier ou Fournier y fut préfet des études de 1648 à 1650, année où il y mourut. On lui doit une « Histoire générale des Alpes Maritimes ou Cottienes et particulière de leur métropolitaine Ambrun... » qui a été publiée à Paris, chez Champion 1889-90, in-8°, 2 vol. La bibliothèque de Carpentras possède aussi des : « Annales ecelesiasliei Sancloe Metropolilance Ebredunensis Ecclesiee », I, n° 512 (3).

Le père Honoré Chaurand vint prêcher à Notre-Dame en 1664-65. C'était un thaumaturge qui créa cent vingtsix hôpitaux à Rome, Avignon, etc.. et leur donna de remarquables règlements (4).

Nous pourrions citer encore les RR. PP. Galien, Charles Mercier, Jean Papou, Odet Dalier, dont les Panégyriques des Saints et les Méditations ont été traduits en allemand, latin, flamand, mais cette énumération nous entraînerait trop loin. Nous la clorons par le nom du R. P. Claude-François Ménétrier qui vient prêcher à Notre-Dame en 1668-69. C'est le véritable fondateur de la Bibliothèque de Ljron.

Les cent soixante-quatre numéros (5) que lui consacre

(1) Cf. sur Pierre Bullioud : Sommervogel, II, col. 372-74.

(2) Cf. Sommervogel, II, col. 1035-40.

(3) Cf. Sommervogel, III, col. 392-93.

(4) Cf. Sommervogel, II, col. 1101-2.

(5) Sommervogel, V, col. 905-45.


180 ANNALES DE L'AIN

dans sa Bibliothèque des Jésuites, le P. Sommervogel peuvent donner une idée de sa prodigieuse activité intellectuelle.

II. — Collège (suite) 1670-1751

La construction de la chapelle marque la prise de possession définitive du collège par les PP. Jésuites. Dès ■ lors, les teuls événements importants, si l'on en excepte les querelles avec les Dominicains et les Cordeliers, sont . d'ordre tout à fait intérieur. L'intérêt réel serait ici dans : l'étude de la vie de l'éducateur monotone et vide, en apparence, mais, en fait, variée et pleine. Chaque année, les longues théories d'élèves ramènent dans les classes avec leur joyeux et souriant tumulte un souffle embaumé de printemps. Le maître digne de ce nom, comme le laboureur tenace patient et prudent dans l'effort, sourit à la plaine fleurie mais tremble en songeant à l'heure de la moisson. Rien, hélas, dans ce qui nous reste des papiers des PP. ne nous permet d'écrire l'histoire intime du collège.

Nous ne pourrions le faire que par induction et en empruntant nos traits par exemple à l'ouvrage de l'abbé Méchin qui a publié les Annales du collège rogal d'Aix. Année par année, les recteurs ont consigné sur un registre tout ce qui leur a paru intéresser la maison. Ces mille petits faits, notés sans préoccupation littéraire, donnent l'image la plus vive et la plus exacte de ce qu'était un collège des RR. PP. Jésuites. Nous ne pouvons qu'y renvoyer.

Notre étude se bornera pour ces quatre-vingt-uue année de 1670 à 1751 à la construction de la chapelle, aux querelles avec les Dominicains, aux longues et persévé-


PORTE DE LA CHAPELLE (1671)



COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 181

rantes et habiles négociations pour acquérir une à eue les maisons qui enserrent le collège et préparer sa reconstruction, enfin à rappeler les noms de certains professeurs dignes d'être mentionnés ici.

Le P. Claude Mercier, recteur et le P. Odet Dalier, procureur de la fabrique de l'église commencée, concluent avec Pierre Redon, maître-maçon, le prix fait pour leur église (1). Les Pères fourniront les matériaux. C'est leur habitude à Bourg du moins, soit qu'ils y trouvent un avantage, soit bien plutôt qu'ils songent à la durée et à la solidité. Toutes les clauses du devis dénotent, en effet, une rare entente de la construction. On y retrouve un trait signalé par M. Charvet dans son Histoire des Edifices de Brou. Maistre J.ean Trutot, que nous ne connaissons pas autrement, a donné un dessin de la façade de l'Eglise, un véritable « pourtraict » dans lequel il a fait oeuvre de dessinateur ou de peintre mais non d'architecte au sens moderne du mot. C'est affaire à Pierre Redon d'en tirer un plan avec coupe et élévation et traduire du mieux qu'il pourra dans la pratique, la conception idéale de Jean Trutot. Aussi, pour le guider dans ce travail, qui peut exiger de profondes modifications, on stipule que « la ceinture de taille » (pierres de taille) fera deux pieds de hauteur avec un chanfrein audessous semblable à celuy de la ceinture de la maison de M. le Prince en cette ville (2). »

L'église de style dit Jésuite ou faux style grec est construite à la façon du pays. Le gros oeuvre est en briques savoyardes revêtues en partie, car le travail n'a pas été

(1) Arch. comm., GG. 240.

(2) Arch. comm., GG, 241.

*3


182 ANNALES DE L'AIN

achevé, d'un placage de pierres de taille. Elle n'a pas de valeur architecturale ; mais de proportion assez vaste et bien distribuée, elle convient à sa destination. Les hauts toits moussus, qui dominent les vieux bâtiments du collège, donuent-à l'ensemble un aspect assez pittoresque.

Dix ans à peine s'étaient écoulés depuis que le P. , d'Haudvillars avait inauguré, au milieu du tumulte, le cours de philosophie, lorsque les pères Cordeliers entreprirent non sans habileté de taquiner les Jésuites.

Les registres municipaux nous apprennent que les Cordeliers avaient à maintes reprises dédié au conseil de ville les thèses de théologie et de philosophie soutenues dans leur couvent. Nos sjaidics, sans se faire prier, y assistaient aux bonnes places et en retour votaient, sans grand enthousiasme, un "chiche don. Cette année 1671, les Cordeliers demandent au syndic Favier, si le Conseil agréerait les thèses qu'ils ont l'intention de lui dédier. Le Conseil, fort surpris, ne trouve pas à propos d'accepter cette dédicace, car la philosophie a été enseignée dans le couvent des Cordeliers & à l'insu et sans l'agrément des syndics ; d'ailleurs semblable école va contre l'intention de la ville et préjudicie à l'établissement qu'elle a fait du collège des Jésuites (i) ».

De son côté, le P. Claude Mercier, recteur, se plaint au Conseil de la violation du contrat et les syndics font signifier défense au R. P. Cochot, gardien du couvent des Cordeliers, le 31 août 1671. Le P. Cochot s'excuse en termes excellents et dit « qu'il étoit trop serviteur de la ville pour nuire à ses droits et qu'il ne prétendoiten

(i) Bross, Mém. Hist., V, 140.


CHOEUR DE LA CHAPELLE (1671-1675)



COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 183

aucune manière de la fâcher, ni avoir eu intention de ce faire... (1) ».

Mais il paraît que les Dominicains eux aussi enseignaient la philosophie car non seulement, le 14 septembre, la même interdiction est signifiée au R. P. Jayr, leur prieur, mais encore nouvelle signification plus impérative lui est adressée, le 17 septembre 1671. Enfin, le 25 septembre de la même année, le Parlement de Dijon fait défense d'ouvrir aucune école de philosophie ailleurs que dans le collège de Bourg (2).

Les pères, non contents de faire régner à l'intérieur du collège une exacte discipline, veillent à la décence de leurs écoliers dans la rue. Ils obtiennent (23 juillet 1672) du Conseil « défense à tous les écoliers et jeunes étudiants, depuis les basses classes jusqu'en philosophie, de fréquenter les tavernes et cabarets, d'y boire et d'y manger — on ne nous dit pas sous quelle peine ; défense aux taverniers de les recevoir et de leur fournir pain et viande à peine de 10 livres d'amende (3) ».

C'est à la même préoccupation morale que se rattache l'autorisation accordée par M. de Choin aux Jésuites (15 juillet 1685) de faire fermer par deux portes le passage qui existait entre le mur sud du collège, de la rue Verchère au ruisseau du Cône, et les remparts de la ville. Il. y avait là de vieilles casemates à demi ruinées et un corps de garde fort délabré qui servaient de retraite « aux personnes débauchées de la ville et môme [aux] écoliers (4).»

(1) Arch. comm., GG, 240.

(2) Arch. départ., D, 1. Pièce originale en parchemin.

(3) Bross, Mém. Hist., V, 152.

(4) Requête du R. P. Louis Viard, recteur. Arch., départ., D. 3.


184 ANNALES DE L'AIN

Les pères ne pouvaient mettre la tète à la fenêtre de leurs chambres sans être témoins d'actes scandaleux, ni se promener dans leur jardin sans entendre d'inconvenants propos. A ces dangers moraux s'en ajoutaient d'autres plus matériels qui devaient rendre aux PP. la vie peu agréable : « il arrive que des jeunes gens tirent des coups de fusilcontreune montre solaire qui est sur la muraille d'une chapelle où se tient la congrégation des Messieurs ou à des oiseaux qui nichent sous le couvert de ladite chapelle (1). »

Et, plus d'ur.e fois, des balles ou des plombs ont pénétré daus les chambres, heureusement sans blesser personne. M. de Choin, ému par ces justes raisons, accorde aux PP. Jésuites de fermer ce passage par deux portes assez larges pour, en cas de besoin, y faire passer du canon.

Les pères débarrassés de ces soucis songent dès cette époque à préparer la reconstruction du collège sur un plan plus vaste et mieux approprié. Ils se proposent un double objet : acquérir les nombreuses parcelles, maisons ou jardins, qui enserrent le domaine de la Cra et dont la réunion leur donnera plus d'espace et plus d'air pour les cours et les bâtiments ; obtenir des bénéfices, car leurs revenus très limités, environ 150 livres par père en 1662, ne suffisent plus en cette fin du règne de Louis XIV ou tout, aliments, habillements, meubles, etc.. avait étonnamment renchéri.

Un curieux plan de l'année 1693 (2) nous donne le détail de ces acquisitions qui étendaient le domaine du col(1)

col(1) départ., D. 3.

(2) Arch. comm., GG. 240.


COLLÈGE ET LY'CÉE DE BOURG 18o

lège de la rue de la Petite Verchère, donnée par la ville, le 16 mars de la même année, jusqu'aux murailles de la ville. Cette surface acquise en deux années (1692-93) appartenaient à environ vingt propriétaires différents. M. Brossart a publié la liste de ces acquisitions dans les Jésuites et le collège de Bourg (1). Ces dépenses utiles, mais improductives, amenèrent les PP. à solliciter « vu leur notoyre pauvreté » une aide financière du Conseil de Bresse, dans une requête du 27 juin 1700. Le Conseil attendu ce que les PP. Jésuites ont à paj^er « pour leurs droits d'amortissement et autres taxes,, la modicité de leurs revenus qui ne leur permet de tenir religieux suffisais au collège et pour le soulagement du public » leur alloue une gratification de 3,000 livres « pour une fois par la province, sans tirer à conséquence (2). »

Deux ans plus tard, le 12 mai 1702, le Conseil de ville, à la requête des PP. qui ont « dessein pour animer les écoliers... principalement dep.iis la 3e jusqu'à la rhétorique » de leur donner des pri:;, accorde une somme de 30 livres mais en stipulant bien que ce n'est que pour une fois et sous le bon plaisir de Mgr l'Intendant (3). Il semble que cet usage ait persisté à Bourg, mais nous ne pouvons dire, avec les documents conservés, si la ville a continué son aide pour la distribution des prix.

JOSEPH BUCHE. (A suivre.)

(1) Annales de la Société d'Emulation, 1872, 40-41.

(2) Bross, Mém. Hist., V, 250-51.

(3) Bross, Mém. Hist., V, 256.


LA TOUR ET LA « POYPE »

JOE VILLAES

Découverte d'une construction ancienne

lrc relation des fouilles

Les « poypes » ces monticules mystérieux de la Bombes, ont donné lieu à beaucoup de discussions et les historiens qui se sont occupés de ce pays ont émis à leur sujet différentes hypothèses. Cependant, la plupart admettent avec M. Guignes, que ces monticules sont aussi anciens que les dolmens et les menhirs, et que les hommes qui ont aligné les pierres de Carnac étaient les contemporains de ceux qui ont édifié les poypes de la Dombes, les uns et les autres, dans le irême but, auraient mis en oeuvre les matériaux qu'ils avaient sous la main... Les seconds au prix d'efforts moins rudes, mais plus soutenus auraient à défaut de pierre, entassé de la terre.

Sur un point les historiens sont tous d'accoid : les résultats des fouilles faites dans les poypes ont été négatifs, on n'a rien trouvé et, malheureusement pour l'his • toire, les poypes gardent toujours leur secret.

Divers ouvrages signalent dans le canton de Villars, centre de la Dombes, l'existence de six poypes : une à Monthieux, une au Châtelard et quatre à Villars, celles de Filioly, de la Juyre, de Terment et de Villars même.


LA TOUR ET LA POYPE DE VILLARS 187

Toutes ces poypes ont été détruites sauf deux, celle de Villars et celle du Châtelard. Cette dernière, à notre avis, n'est pas une poype, ainsi qu'il es' du reste facile à s'en rendic compte maintenant, à la suite de travaux de terrassements exécutés depuis quelques années déjà, mais une simple moraine glacière que la nature seule a édifiée et sur laquelle le travail des hommes s'est borné à l'aménagement du sommet pour la construction de l'ancien château fort du Châtelard.

La poype de Villars encore debout, a survécu aux autres-, elle dresse toujours sa masse imposante et son sommet couronné de quelques vestiges des murs épais de l'ancienne forteresse des sires de Thoires et de Villars.

Villars, cité comme centre de population dès les premiers siècles de notre ère, Villars, avec son histoire tourmentée, qui est celle delà plus grande partie du département de l'Ain, a utilisé souvent sa poype pour sa défense et cette poype a dû évidemment subir des transformations, à mesure que se développait l'art de la guerre.

Avant 1897, on pouvait, en examinant la surface du monticule, reconnaître que des fouilles avaient été faites autrefois, soit dans l'espoir de découverte d'objets de valeur, soit au point de vue purement historique, mais aucune relation de ces fouilles n'existe, ce qui est regrettable, puisque ces relations auraient peut-être aidé aux fouilles nouvelles.

Grâce au concours d'une population dévouée, de quelques personnes de Villars et avec l'encouragement de la Société d'Emulation de l'Ain, nous avons commencé en 1897 des travaux de consolidation des quelques ruines existantes et, simultanément des fouilles dans


188 ANNALES DE L'AIN

l'intérieur de la poype. Ces fouilles sont encore bien peu importantes, mais elles ont déjà donné des résultats et sur les instances de la Société d'Emulation et de son dévoué président M. le Dr Passerat, nous donnons ci-après une relation succinte de ces fouilles.

La poype de Villars que l'on avait cru jusqu'ici toute en terre jusqu'aux bases des vestiges de la forteresse qui en couronnait le sommet a une hauteur de 16 mètres 20 au-dessus du sol environnant, son diamètre de plateforme est de 14 mètres 60 et son cube d'environ 15,000 mètres.

L'état des fouilles exécutées est donné par la figure 1 qui est une coupe de la partie explorée de la poype, au nord-est.

On a au sommet une couche composée de débris de la forteresse écroulée et d'humus formé par l'herbe et les plantes et par les feuilles et les poussières amenées par lèvent; cette couche, quia 1 mètre 10 d'épaisseur contient également du bois brûlé et des cendres, vestiges des feux de joie « cavolets » des générations dernières. Au-dessous de cette couche en est une autre des plus intéressantes, elle n'a que 0 mètres 25 d'épaisseur, c'est la couche d'incendie de la forteresse du sommet, elle doit dater du démantellcment effectué par les troupes de Biron en 1595, elle contient des chevrons de chêne carbonisés, du mortier et quelques tuiles, vestiges de la toiture écroulée, des dents et des ossements humains, quelques piécettes d'argent, monnaie locale du xvie siècle sans valeur ; elle n'est d'ailleurs explorée qu'en partie. Les ossements indiquent que les défenseurs de la citadelle ou une partie de ses défenseurs périrent dans les flammes. La troisième couche est composée de terre


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190 ANNALES DE L'AIN

et de cailloux qui ont dû être fortement tassés et pilonnés, elle a 0 m. 65 d'épaisseur. Immédiatement au-dessous se trouve une voûte en pierre et cailloux d'un autre âge que la forteresse supérieure, celte voûte était complètement pleine de terre et de cailloux et si on en soupçonnait l'existence depuis quelques années, on ne se doutait pas du tout de ses dimensions considérables, surtout en hauteur. Le fond en est maçonné — du moins dans la partie que l'on a pu fouiller. — Les dimensions sont les suivantes :

Plein cintre de 4 mètres de diamètre, épaisseur à la clef 0 m. 50, hauteur totale du cadre ou plafond à l'intrados 5 m. 00, longueur 4 mètres 85. Les piédroits et les parties latérales de la voûte comprises entre les naissances et le joint de rupture sont en cailloux siliceux, le sommet de la voûte en pierre oolilhique ; du côté du centre de la poype la voûte était terminée par un bandeau en pierre de taille, dont il reste encore quelques voussoirs. Une meurtrière romane éclairait — elle est bouchée extérieurement par du remblai — celte voûte au nord-est ; cette meurtrière est très bien conservée.

On a, en outre, mis à jour au-dessus de la voûte, dans la troisième'couche du côté du centre de la construction, un mur en état complet de vétusté dont la direction et l'usage n'ont pu encore être déterminé. Enfin dans les déblais des terres qui remplissaient la voûte on a trouvé un linteau de porte en pierre, sans que rien n'indique, pour le moment, l'emplacement de cette porte ; on peut toutefois en conclure que la voûte communique à d'autres voûtes ou d'autres chambres encore cachées du même étage.

La nature des matériaux de construction de ces ma-


LA TOUR ET LA POYPE DE VILLARS 191

çonneries enfouies, est très facile à déterminer. Les cail loux et le sable ont été pris dans les moraines glacières du pays, la chaux vive a été employée pour le mortier, quant à la pierre elle a beaucoup d'analogie avec celle des carrières des bords de la Saône, notamment de Lucenay. Il est à remarquer du reste que la pierre de taille des-plus anciennes églises du pays vient deLucenay; il devait donc exister anciennement des voies de communication de la Dombes à cette localité.

Certaines particularité de la construction et notamment la grande hauteur de la voûte découverte, permettent d'établir l'hypothèse suivante sur la manière dont a été édifiée la poype de Villars, ou du moins une partie de celte poype.

l°Tumulus, ou peut être seulement moraine glacière, 'de faible hauteur;

2° Au-dessus de eette première et faible élévation, château fort roman en cailloux et pierre de taille :

3° Elévation de terre tout autour, contre le château, remplissage et enfouissement complet de celui-ci dans la terre :

4° Elévation d'une forteresse en briques au-dessus de l'ancien château.

Ce dernier point de l'hypothèse pourra paraître hasardé, aux constructeurs qui ne connaissent pas les lieux, surtout si l'on ajoute que la forteresse supérieure avait des murs de î mètre 45 et devait former une masse très lourde et très imposante, mais ce qui est bien plus étraDge encore et que nous avons constaté et montré à beaucoup de personnes, les bases de la seconde citadelle ne reposent pas sur les maçonneries de lancienne ; dans


192 ' ANNALES DE L'AIN

certaines parties, notamment au droit de la coupe de la figure 1, il' existe un espace de 0m 20 entre les deux nia-- çonneries et cet espace est bourré de terre, dans d'autres les bases reposent simplement sur la terre, sans traces d'anciens murs en dessous. Il ne pouvait d'ailleurs y avoir concordance entre les deux maçonneries parce que la tour supérieure qui recouvre toute l'ancienne et peutêtre plus de surface encore, était ronde — ce qui se voit très bien — et que la construction inférieure ne l'était pas; ainsi le mur porlant la meurtrière, qui faisait partie de la face nord-est, est droit et il se prolongeait avec là même forme ai.-lessus, à droite et à gauche de la voûte.

Il a fallu une très grande hardiesse aux seconds constructeurs pour édifier ainsi. Ils se sont bornés à pilonner de la terre rapportée sur le sommet après avoir rempli l'intérieur de l'ancien château, puis ont construit sur cette terre pilonnée, une large couronne (1 mètre 90) en maçonnerie de cailloux très solide et cette couronne leur a servi de fondations.

Si l'on rapproche de ce fuit, que les maçonneries de la construction supérieure reposent en partie sur le vide, ces autres considérations, savoir : que la maçonnerie de la forteresse supérieure est entièrement en briques audessus de la couronne, sans pierre, ni cailloux cl qu'au contraire la construction cachée est en pierre et cailloux sans aucune brique ; que la quantité considérable de terre qui obstrue la meurtrière, montre que cette ouverture n'était pas utilisée par les défenseurs de la forteresse supérieure, que les bases de cette même construction au-dessus de la meurtrière, ont leurs parements bruts, sarsharmonie et devaient logiquement être cachées,


LA TOUR ET LA POYPE DE. VILLARS 193

on voit que l'hypothèse de deux forteresses superposées et d'âge différent est très admissible.

Quels sont ces âges ? Ce que l'on peut dire c'est que celui de la construction inférieure est très éloigné. La meurtrière est du style roman le plus ancien ; la pierre des bandeaux et des chaînes d'angles est bien taillée — ce qui était facile, puisqu'ils ont été exécutés en pierre tendre — mais l'appareil lui-même dénote des connaissances primitives, ainsi les chaînes d'angles n'ont aucune symétrie et la clef de la face intérieure n'est pas au milieu de la voûte; l'ouvrier a bien exécuté, mais l'appareilleur était médiocre.

Quoique la puissance des Sires de Villars — et partant leurs moyens de défense — n'apparaît clairement qu'au xie siècle, il est à présumer que la construction cachée est plus ancienne encore et Guichenon a probablement vu juste, lorsqu'il cite —sans toutefois affirmer netlem.enf, faute de preuves, qu'il s'agit bien du Villars qui nous occupe — <> avoir, trouvé en la chronique de Sainte Bénigne de Dijon qu'en l'an 709, Childebert, roi de France, eut guerre contre un seigneur de Villars, qualifié de prince et bourguignon, »

Les fouilles de la poype de Villars présentent donc un réel intérêt. Elles peuvent donner encore d'autres résultats. Si l'on additionne les couches mises à jour depuis la plateforme, on arrive à une profondeur de 7 mètres 40; or, le monticule ayant 16 mètres 20, il reste donc une hauteur de 8 mètres 8Q inexplorée. Que contient cette partie de la poype? Un autre étage de maçonnerie faisant partie de la première construction? Une vulgaire moraine glaciaire ou un tumulus, idée première des poypes ?


194 ANNALES DE L'AIN

Il est à espérer qu'on le saura bientôt, car les fouilles seront continuées, malgré leurs difficultés, et malgré leurs dangers, grâce aux concours acquis de personnes dévoués et de la population.

Villars, le 4 juin 1898

F. COLLET,

Les Tremblements de terre du. 6 mai 1898

La Terre tremble quelquefois d'une façon désastreuse pour ses habitants; mais le 6 mai 1898 à 1 heure 27 minutes du soir, il n'y eut pas de dégâts et pas d'accidents dans toute la région du Jura qui trembla, dit-on, de l'ouest à l'est. Mes éludes géologiques m'ont montré qu'à la fin du Miocène, avant les dépôts pliocènes de la Bresse, le Jura a été refoulé sur la Bresse par les Alpes, c'est-à-dire de l'Est vers l'Ouest, je serai donc plutôt porté à croire que l'on n'a observé, dans le dire précédent, que la résultante de l'effet réel. Mais le déplacement d'un lit de poupée disposé sur un meuble a permis de bien établir qu'à Bourg, le sol s'est porté vers l'Est ce qui était déjà arrivé il y a vingt ans.

On peut d'autant plus soutenir celte conclusion que les récits donnent des observations très divergentes et, sans relations faciles à découvrir. Ainsi, à Belfort, l'oscillation va de l'Ouest à l'Est, ainsi qu'à Résinand. Mais à


TREMBLEMENTS DE TERRE 195

Lausanne, à Sancey-le-Grand (Doubs), à Pont-de-Vaux, à Mâcon, c'est de l'Est à l'Ouest.

A Bonneville, à Lons-le-Saunier, à Annecy, c'est du Nord au Sud. A Résinand, il y a une trépidation verticale produisant le bruit d'une chienne qui gratte ses puces a'vec activité.

D'après cela, le centre serait dans le haut Jura, vers la Suisse. Cependant on l'a ressenti jusque dans le duché de Bade, et jusqu'en Autriche ainsi que sur le lac Majeur. Mais la propagation a été du Sud au Nord d'après les heures données des secousses. On a, en effet, 1 heure 23 à Grenoble, 1 heure 25 à Annecy, 1 heure 27 à Bourg, 1 heure 30 à Belfort.

On l'a ressenti de Bourg-Mâcou au Valais et de Belfort à Grenoble. Sur tous ces points, il est suivi d'un orage venant de l'ouest amenant une trombe d'eau. Il y a eu agitation considérable des arbres. Cette tempête s'étend de Rodez à Marseille et de Toulon à Genève. Cet orage pour les uns arrive à 2 heures 30, pour les autres arrive tout de suite après. La secousse est ressentie plus dans les vallées que sur les montagnes. Enfin, à Besançon un éclair l'accompagne, partout il donne lieu à des bruits et à des trépidations verticales. Ces derniers faits sont intéressants parce qu'une tromhe n'est jamais aussi étendue dans un temps aussi court.

En effet, la trombe de Saint-Claude de néfaste mémoire, n'avait qu'une vitesse de cent vingt kilomètres à l'heure, et la dernière trombe du 20 mai 1898, de Sénissial qui a versé sur ce col un sac d'eau en quelques secondes n'a eu qu'un champ très limité. Elle s'est formée à l'est du village, a passé au nord puis au nord-ouest sur le versant de Ceyzériat et- s'est évanouie ensuite


196 ANNALES DE L'AIN

avant d'arriver au passage à niveau de la montée de Mont-July ; mais les lieux situés en contrebas de tous ces points ont été ravagés par l'eau qui tombait à torrents le long de la montagne et dans toute la région, avec une telle intensité qu'à Bourg, j'ai recueilli 43 millimètres et à Simandre 67 tombés en une seule nuit de 6 heures du soir à 6 heures du matin. A Revonnas, il est tombé de la grêle.

La généralité des mouvements violents de l'air sur tous les lieux d'observations et leur production aussitôt après la secousse et avant l'obscurcissement du ciel et la pluie prouve que ces mouvements ont dû être produits par une sortie violente de gaz du sein de la terre et ce sont eux qui ont dû produire les bruits entendus partout à la fois.

Ces émissions de gaz expliquent facilement les mouvements et les aspects de l'océan dans les tremblements de mer observés par des navigateurs.

Et elles expliquent ainsi facilement la baisse brusque du baromètre qui n'est donnée que par les enregistreurs et la pluie qui partout suit les tremblements de terre et qui à Bourg a donné 143 millimètres d'eau.

Après ce court orage, le ciel est devenu clair le soir. Mais cet orage avait dérangé le temps dont la température s'est rapidement abaissée de -f 12° au moment du tremblement de terre à-f 5° dès le lendemain. Ensuite le mois de mai est devenu très pluvieux et a donné à Résinand 226 millimètres d'eau, à Bourg 174 en 23 jours de pluie.

TARDY.


HISTOIRE

DU

« STUDIUM i) COLLEGE & LYCEE DE BOURG

(1391-1898)

DEUXIEME PERIODE

(Suite)

Les pères étaient occupés à chercher des revenus pour leur collège lorsque la vieille querelle avec les Dominicains et les Cordeliers se ralluma en l'année 1705-1706, Elle revêt la double forme que nous lui connaissons déjà : rivalité pour la prédication et pour l'enseignement de la philosophie.

Depuis l'arrivée des Capucins (1612) et des Jésuites (1618) la ville, sous l'influence des gouverneurs de Bourgogne et en particulier du grand Gondé, n'accepte plus comme prédicateurs que les Capucins et les Jésuites, qui occupent alternativement la chaire de Notre-Dame. Les Cordeliers et Dominicains battus et pas contents tentent en 1705-1706, un effort infructueux pour débusquer leurs

M-


198 ANNALES DE L'AIN

adversaires. Repoussés avec perte, ils's'unissent pour ouvrir un cours de philosophie et de théologie.

Le P. J. Devau, recteur du collège adresse, en mars 1709, au conseil une requête où il rappelle que la ville leur a garanti le monopole de l'enseignement philosophique et demande l'exécution du contrat intervenu en 1661, dont la violation est non moins nuisible aux intérêts des étudiants qu'au collège. Les pères Dominicains reçoivent dans leur cours de mauvais élèves qui ont fait des études incomplètes ou insuffisantes « entre autres Jean-Baptiste Debesserel qui est venu en logique un mois seulement,... Benoit Cabuchet, quia étudié en rhétorique où il était faible,... Benoît Everard qui a aussi étudié quelque temps en rhétorique sans y rien faire, Antoine Monnier qui estoit resté en rhétorique à raison de son incapacité,... André Rouge qui a étudié en humanités seulement et... Antoine Savey qui n'a pareillement estudié qu'en humanités où il estoit trop faible (1) ».

Le P. Devau demande qu'on condamne les Dominicains en cas de récidive à 300 livres d'amende envers le roi, et même peine pour les parents qui leur confieront leurs enfants (2). Le 28 mars 1709, sur les conclusions du procureur du roi, défense est faite aux RR. PP. Dominicains et à.leur prieur Guichenon, d'enseigner la philosophie à peine de 100 livres d'amende et ordre aux parents de « retirer [leurs enfants] de ladite école à peine de 60 livres (3) ».

Les Cordeliers qui s'étaient tenus cois pendant cette

(1) Arch. départ., D, 1.

(2) Arch. comm. GG, 241.

(3) Arch comm. GG, 241.


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG l99

première bagarre ouvrirent un cours en 1710. Le 16 août de la même année, le lieutenant général du baillage le leur interdit en édictant les mômes pénalités que ci-dessus. Mais les Cordeliers n'en tiennent aucun compte, et après de multiples incidents de procédure, présentent « requête aux maire et échevins tendant à ce qu'ils eussent à se joindre à eux pour faire casser l'ordonnance du lieutenant du baillage du 22 mars et à les faire maintenir dans leurs... droits et possession d'enseigner la philosophie aux offres de fournir deux régents moyennant une pareille rétribution que la ville donne aux Jésuites (1). » La ville s'y refuse et délibère de conserver aux Jésuites le droit d'enseigner la philosophie. Les Cordeliers interjetèrent appel de celte décision du Conseil et firent distribuer « uu mémoire imprimé portant que le 3 novembre prochain l'on commenceroit un cours de théologie et qu'on continueroit de donner des leçons privées. » Ce litige fut définitivement tranché par un arrêt du Conseil d'état du 31 janvier 1722, qui fait défense aux PP. Cordeliers et à tous autres religieux de la ville de Bourg d'ouvrir une classe de philosophie et de théologie sans permission expresse de sa majesté (2).

C'est la défaite définitive et irrémédiable des Cordeliers et Dominicains à Bourg. C'est aussi le point extrême chez nous de cette lente évolution, qui a réduit à néant le pouvoir jadis souverain de la ville sur ses écoles. Cette mainmise du parlement d'abord, du roi ensuite a été favorisée par l'établissement des Jésuites qui, pour fonder puis défendre leurs nombreux collèges contre des

(1) Arch. départ., D, i.

(2) Arch. Départ., D, 4, original en parchemin.


200 ANNALES DE L'AIN

ordres rivaux ou des oppositions locales, ont pris l'habitude d'eu appeler directement au roi.

De là, ces nombreuses lettres d'évocation qui se trouvent dans leurs papiers. Leur avantage â procéder ainsi est bien évident. Ils ont à Paris une maison puissante et des pères qui ont accès à la cour, c'est-à dire tous les moyens de peser sur un gouvernement devenu, par nécessité d'abord, puis par habitude et tendance consciente ou non, centralisateur et absolu. 11 n'y a donc rien d'étonnant à ce qu'une querelle entre Jésuites et Dominicains à Bourg, se règle dans le Conseil du roi et que la ville, bien qu'elle soit partie principale et jadis souveraine, n'y interviennejilus qu'incidemment.

Au plus fort de ces conflits les PP. Joseph Arvisenet, recteur, et Charles François de Montplaisant, procureur,, acquéraient pour servir de maison de campagne à leurs élèves les bâtiments, cours, jardins, appelés de Rozière et vendus par Victor Marinon, conseiller honoraire au siège présidial de Bourg, au prix de 1,500 livres. Cette propriété, qui porte aujourd'hui le nom de la Grenouillère et appartient à la famille Thévenin, a peu changé d'aspect. Au fond d'un immense clos se dresse une maison d'un étage à haute toiture, flanquée de portiques qui devaient probablement servir de préau. Il résulte de l'acte d'acquisition que la blanchisserie des héritiers du sieur Denis, située au nord de la maison principale, ne fut pas comprise dans la vente primitive (1).

Mais, malgré des legs pieux et des aumônes, le collège de Bourg restait fort pauvre. Les revenus ne s'étaient pas accrus aussi vite que l'avaient espéré le père Court et les

(I) Arch. départ., D, 4.


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 201

signataires de l'acte de 1652 pour l'acceptation. Le vieux projet caressé dès le 31 mai 1635 (I), d'obtenir le riche prieuré de Villemotier, situé à proximité de Bourg et dépendant de l'abbaye de Saint Claude, échouait faute d'argent pour soutenir de longs et onéreux procès. Le roi, par un brevet du 1er février 1725, le leur avait bien donné, mais les chanoines de Saint-Claude firent opposition en déclarant que ce bénéfice ne relevait pas du roi. Le R. P. Cottin rédigea, pour son Eminence le cardinal de Tencin et en faveur du collège de Bourg, un rapport très remarquable (2) où il établit, avec une grande connaissance du droit et de véritables qualités d'écrivain, que l'opposition des chanoines est illégale, abusive et contradictoire avec leurs propres arguments. Mais les PP. Jésuites de Bourg étaient trop pauvrespour lutter en justice contre d'aussi riches adversaires et de plus l'opinion publique et la cour ne leur étaient pas favorables. Une note marginale du mémoire, probablement de l'année 1742, résume bien la situation :' « Je n'ai eu, dit le père Cotiin, d'autre réponse à... Lyon (du cardinal)... si ce n'est que le mémoire était bon. M. d'Ormière m'a répondu de Paris une lettre de compliment, [c'est] à quoy cette démarche a abouti. »

Enfin, nous apprenons par trois lettres du P. Cottin (18 mai, 8 juin, 18 juillet 1749J que l'affaire du prieuré de Villemotier se clôt par une réunion à la manse abbatiale de Saint-Claude.

Dans l'intervalle, à l'occasion de la construction d'un

(1) Bross., Annales de la Société d'Emulation, 1872, 24.

(2) Arch. départ., D. 7.

(3) Arch. départ., D. T.


202 ANNALES DE L'AIN

mur et de l'établissement d'une porte (15 avril 1739), la congrégation des Messieurs dirigée par le P. Joseph Scipion de Clardan, se réunit en grand tumulte le dimanche, 19 avril, et réclame le terrain enclos comme lui appartenant. Je ne citerais pas cette querelle aussi futile que celle du Lutrin, si le mémoire (1) des PP. ne nous révélait pas l'état des esprits à Bourg. Le salon de M. de Choin est le centre de l'opposition contre les Jésuites : il a reçu chez lui l'avocat Soyer, janséniste parisien exilé ici. A ses côtés, se groupent comme adversaires déclarés l'élu Bolozon, le médecin Bressan, les avocats Bizet, Chambard, Friley, Tardj de la Pérouse, MM. de Montburon et de Cretia. Des dames font partie de la cabale et on cite parmi les plus exaltées la présidente de Léal, Mme de Civert, MUe de Mativet « et autres de plus bas étage ». Enfin les PP. font abattre le mur et peu à peu l'effervescence se calme. Mais le Jansénisme avait jeté dans notre sol de profondes et vivaces racines. Le grand ouragan révolutionnaire' a seul pu les arracher.

III. — Collège des Jésuites (suite) 1751-1763

Les bâtiments du vieux collège déjà branlants en 1618 devenaient inhabitables « par la caducité, la ruine entière et prochaine » (2) et, malgré la déception cruelle éprouvée par les PP. dans la recherche du bénéfice de Villemotier, il fallait songer à une reconstruction. Les clauses du contrat, signé le 6 octobre 1751, furent les suivantes : 1° Les Jésuites consacreront pendant dix ans à la cons(I)

cons(I) départ., D. 4. ■ 2• Arch. comm. GG. 241.


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 203

traction la pension de 1500 1. de la ville, en supprimant pour cette période le régent d'humanités, le prédicateur et un frère ; la ville donnera 450 1. pour l'entretien des régents de cinquième et de quatrième que les pères auraient dû, faute de ressources, supprimer.

2° Le maire et les syndics promettent 24,000 1. que les Jésuites emprunteront au nom et aux frais dudit collège. Les syndics payeront annuellement 1,200 1. pour les intérêts de cette somme, jusqu'au remboursement du principal en six paiements, qui ne seront pas moindres chacun de 4,000 1.

Moyennant quoi les Jésuites s'engagent à construire en dix ans à leurs risques et périls tout le collège à partir des fondements, suivant le plan qui sera présenté par Mr l'Intendant. Enfin, au bout de ces dix ans, ils rétabliront le régent d'humanités (1).

Ce traité fut approuvé le 25 novembre de la même année par le R P. Provincial, Antoine Valoris (2).

Ce contrat avait été précédé d'un brevet de permission du roi, du 29 avril 1751, approuvant, sur le vu des mémoires et plan dressé par Saint-André, directeur des chemins des Provinces de Bresse et pays de Gex, l'ouverture d'une porte dans le mur de la ville de Bourg « à l'effet d'établir une communication des Halles et quartier du Bourgneuf avec les routes de Pont-d'Ain et de Lyon par la rue des Jésuites » (3) actuellement rue du Lycée. C'est la première brèche faite à l'enceinte qui étouffait Bourg et y rendait endémique la fièvre typhoïde et la peste.

(1) Arch. comm. GG. 241.

(2) Arch. comm. GG. 241, pièce originale, parchemin.

(3) Arch. comm. GG. 241, pièce originale, parchemin.


204 ANNALES DE L'AIN'

Saint-André dressa aussi les plans du collège contenus dans un devis imprimé de vingt pages, du'30 mai 1752. L'adjudication au rabais en fut consentie à Boutaric, maître maçon, demeurant à Bourg. Une pièce (1) non datée, mais qui ne peut être antérieure à 1756, ni postérieure à 1760, nous donne les renseignements suivants ; 1° Prix de l'adjudication y compris les vieux matériaux 43.000

2° Deux états d'augmentation arrêtés par M. l'Intendant le 21 octobre 1755... . 9.642, 8, 4

3° Deux autres états présentés en

1756 3.194

56.236,8,4 4" Honoraires de Saint-André à raison de deux deniers par livre.. 5.296,13

64.533 1, 1, sol 4, den.

Le plan simple et pratique adopté par Saint-André était dicté par la nature du lieu. La chapelle, édifiée en 1670, restait intacte et formait à gauche un des côtés des futurs bâtiments, qui devaient dessiner le fer à cheval destiné à encadrer la cour d'honneur. Au fond à environ 72 pieds (= 23 mètres) de la rue Verchère on construirait à neuf un corps de logis qui ne pouvait être plus reculé, car le terraiu situé derrière n'appartenait pas aux PP. Jésuites; à droite on édifierait de même un autre bâtiment en retour d'équerre pour faire pendant à la chapelle. La cour ainsi formée aurait une largeur de 63 pieds = 23 mètres de largeur. « Cette cour, dit judi(l).4/-c/;.

judi(l).4/-c/;. GG. 242.


COLLÈGE ET LY'CÉE DE BOURG 205

cieusement Saint-André, sera fermée par un simple mur... étant impossible de rien bâtir en cet endroit sans obscurcir la cour et en faire comme un puits... (1). » Ce qui est arrivé lors de la reconstruction du lycée.

Le corps de logis au fond de la cour, orienté du levant au couchant, fut disposé pour servir de conciergerie, parloir, bibliothèque et petites chambres pour loger les Frères Jésuites et les domestiques. Le corps de logis à gauche, orienté du nord au sud, eut au rez de chaussée les classes, le réfectoire et la cuisine, au premier étage l'habitation des PP., au deuxième les chambres des cinq régents. Il faut noter que les classes pour o éviter la poussière... l'humidité et prévenir les réparations presque journalières que les écoliers occasionnent en arrachant les carreaux du pavé» seront planchéiées « en usant de bonnes planches de chêne bien unies et bien clouées et de bons gîtes i "2) ». La même et louable précaution fait distribuer par de nombreuses fenêtres et des portes avec hautes impostes une assez abondante lumière. La hauteur des classes est fixée à douze pieds (= 4 mètres) et le sol dans ce pays particulièrement humide en est relevé à huit pouces au-dessus du terrain de la cour. Enfin on veille à écarter le plus possible des classes et du logis les cabinets de nécessité « pour éviter la mauvaise odeur. » En somme Saint André et les PP. montrent dans ce devis et ses multiples et sages prescriptions beaucoup de bon sens et une connaissance, remarquable pour l'époque des conditions d'hygiène requises pour une maison d'éducation.

En 1760, le plus gros de la construction était fait. Sur

(O Arch. comm. GG. 211. i2) Arch. connu. GG. 241.


206 ANNALES DE L'AIN

le fronton de la porte d'entrée était taillée en relief l'inscription :

RELIGIONI ET BONIS ARTIBVS

Et « une autre inscription cachée dans la première pierre de l'angle gauche du portail contient ces lignes (1) :

COLLÈGE DE BOURG-EN-BRESSE RECONSTRUIT EN 17^2

SOUS LES AUSPICES DE M. JoLY DE FLEURY,

INTENDANT DE BOURGOGNE MM. RIBOUD, CABUCHET ET PERROD, SYNDICS

DE LA PROVINCE

MM. RIBOUD, MAIRE, CHEVRIER ET DUHAMEL

SYNDICS DE LA VILLE

LE RÉVÉREND P. DE MONTESSUIS, RECTEUR DU COLLÈGE,

SAINT ANDRÉ, ARCHITECTE.

Pour fournir aux dépenses de cette construction, les PP. durent à deux reprises obtenir l'autorisation de couper la plus grande partie de leurs bois de la Verjonnière (2), et consentir, malgré leur vive répugnance, à laisser imposer pour la ville et percevoir par son secrétaire Gérard un impôt de quatre livres par an sur chaque élève du collège, Ce qui fut fait par Gérard du 1er novembre 1751 jusqu'en 1758, date de sa mort et par son successeur Humbert de 1758 à 1760. Grâce à leur comp(1)

comp(1) Annales de la Soc. d'Em., 1872, 49.

(2) Arch. comm. GG. 241. Lettre du P. de la CoUière, procureur du 24 février 175G à Claude-François Renouard, yrand maître des eaux et l'orèts au duché de Bourgogne. Arch. Départ. D. 4, 21.mars 1758.


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 207

tabilité, nous avons le nom, je ne dis pas de tous les écoliers, mais' de tous ceux qui ont payé au cours de cette période.

En 1751 180 écoliers payent

1752 135 —

1753 132 .—

1754 .110 —

1755 118 —

1756 95 -

1757 84 —

1758 100 —

1759 88 —

1760 80 -

Le rôle de 1751 contient deux Faguet, un en 3me et un autre en humanités, un Jean Bernard Quinet en philosophie. Celui de 1752 uù Morelbt, un Midan et le futur député à l'assemblée nationale Popnlus. Mais j'y renvoie les curieux. Un érudit es-choses bressannes pourrait eil tirer un article intéressant.

La réception des ouvrages du collège eut lieu à la fin de l'année 1760, ainsi qu'il résulte d'une lettre autographe de Saint-André au P. de la Cottière, datée de Dijon du 11 décembre de la même année. Il n'y a rien à signaler dans ces constructions qui ait un caractère d'art, si ce n'est la rampe en fer forgé de l'escalier. Elle a été exécutée par Croppet fils, serrurier à Pont-de-Veyle, au prix de .246 livres (I). C'est un bon travail dans le style du dix-huitième siècle.

Pendant la construction du collège, les Jésuites traversent la rue de la Verchère et se logent chez leurs anciens

(li Arch. comm. GG. 212, re<;u du 14 juillet 1700.


208 ANNALES DE L'AIN

adversaires, les Dominicains, auxquels ils payèrent, le 21 octobre 1755, la somme de 2,000 1. fixée par l'Intendant (1). Le conseil de ville sur une nouvelle réclamation des Dominicains'leur alloua une somme de 1,500 1. le 6 novembre 1762 (2).

Il semble que ce fut l'occasion, sinon d'une réconciliation complète, du moins d'une entente meilleure entre les deux ordres rivaux. D'ailleurs, pour qui savait écouter, une rumeur inquiétante grandissait au dehors. Un même danger menaçait tous les ordres religieux'. Je n'en vois pas ici de symptôme plus remarquable que le testament (3) de Charles Le Loup, premier président de l'élection de Bresse, du 22 mai 1740, modifié par deux codicilles, le premier du 18 avril 1756, le second du 9 novembre 1757. Le premier président, autant que nous en puissions juger, est imprégné de l'esprit de l'encyclopédie : c'est un Diderot vivant en province. Toute connaissance, toute culture se résume pour lui dans la physique expérimentale qui donnera, il en est convaincu, le bonheur à l'humanité. C'est une foi d'apôtre. Elle lui inspire les dispositions fort généreuses que voici :

1° Il veut qu'on choisisse, parmi les enfants de la charité, l'enfant jugé par les deux bureaux le plus capable d'apprendre la physique ; on l'élèvera aux frais de sa succession ; il \irendra son nom et ses armes ; après le cours, il recevra trois ans de suite 600 livres ;

2° A son décès on établira une chaire de physique avec un traitement de 300 livres ; le professeur en sera choisi

(1) Arch. comm. GG. 242.

(2) Avch. comm. BB. 202, fol. 7rt et V°.

(3) Arch:Départ., D. 4.


COLLÈGE ET LYCEE DE BOURG 209

« parmi messieurs les Oratoriens ou de Saint-Joseph excluant tous autres. » Et chaque année on donnera un prix au meilleur élève du cours. M. Le Loup ajoute dans sou premier codicille que si on ne trouve pas à Bourg d'établissement qui s'en charge, il fait le même legs à l'Hôpital de Lyon aux mêmes conditions.

Puis, le 4 novembre 1757, dans son deuxième codicille il renonce, et ceci est fort important, aux Oratoriens et aux prêtres de Saint-Joseph et revient à la tradition communale. Il prie les Maire et syndics d'accorder une chambre de l'Hôtel-de-Ville pour le cours de physique expérimentale. Le Conseil aura en retour le droit de choisir le professeur sur une liste de trois candidats présentés par MM. les chanoines de la ville. Nous sommes revenus sur ce point à la conception du_ curé Balandrin et à la grande transaction de 1442, avec une légère variante : jadis le curé prieur de Bourg approuvait la nomination du recteur des Ecoles dans les trois jours s'il le trouvait « idoine » ; désormais les chanoines présenteront une liste de candidats, le maire et les syndics choisiront et nommeront celui qu'ils tiendront pour le plus capable.

« Mais pour remplir la première chaire, dit M. Le Loup, je nomme M. Chambard Tardy, chanoine. Je veux qu'il soit payé à mon dit sieur Chambard et à ses successeurs, la somme de 300 livres annuellement. » « Les chanoines régleront les heures de l'étude et ils pourront révoquer à leur volonté les professeurs qui succéderont à Mc Chambard-Tardy. » Enfin, il lègue 1,000 livres pour l'ameublement, les instruments convenables et livres nécessaires (1).

(1) ^4rc/i. départ., D. 4.


210 ANNALES DE I.'AIN

Il en résulta un procès bien curieux. La ville liée par ses engagements avec les Jésuites n'y intervient que pour s'en remettre à la sagesse du parlement de Dijon ; les chanoines, quelle que soit leur sjrmpathie pour la physique expérimentale, en font autant; Me Chambard accepte toutes les transactions possibles et renonce même à enseigner la physique pourvu qu'on lui donne annuellement, sa vie durant, les 300 livres léguées par son ami Le Loup. La cour cassa le testament du premier président de l'élection de Bresse, tenant pour nulles et caduques toutes ses dispositions sauf celles qui attribuaient 300 livres de revenu à Me Chambard sa vie durant (1).

Mais la question de la chaire de physique était posée et, le 8 janvier 1761, M. Cabuchet, maire de la ville de Bourg, remontrait au Conseil qu'il n'y a point de professeur de physique dans le collège de cette ville ni même dans la province et en indiquait les inconvénients. «. Le professeur qui a enseigné une année la Logique n'enseigne la Physique que l'année suivante ; au moyen de quoi les Ecoliers sont obligés de deux ans en deux ans de redoubler leur rhétorique et de perdre une année, ou d'aller dans les villes voisines suivre leurs études sans interruption, ce qui jette leurs parents dans de grandes dépenses et fait sortir l'argent de la province. Il arrive même souvent que les enfants qui sont dans la mauvaise année se dégoûtent et quittent l'étude, ce qui fait penser qu'il serait avantageux à la ville et à la province d'établir dans le collège de cette ville un professeur de physique (2). » Le Maire ajoute que le tiers état offre 200 li(1)

li(1) départ., D. 4, pièce parchemin. Arrêt du 19 juin 1:60.. (2; Arch. comm., GG, 242.


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 211

vres pour cette création et il estime que la ville devrait donner 100 livres. Cette proposition est agréée par le Conseil et l'intendant de Bourgogne, Dufour de Villeneuve homologue cette délibération- (1). Le recteur du collège le P. Méry et le procureur le P. de la Cottière s'engagent, le 8 mars 1702, à fournir un professeur de

plrysique (2).

Mais l'orage, dont nous avons signalé quelques signes précurseurs, éclatait brusquement. L'huissier Genolin, 4 octobre 1762, au nom des sieurs Gouffre et Léoncey, créanciers des PP. Jésuites, saisissait les meubles, effets, denrées, ornements, vases sacrés, revenus du collège. Le Conseil délibérait, le 4 novembre, de faire opposition à la saisie devant le Parlement de Paris et y était autorisé deux jours plus tard par l'intendant de Bourgogne (3).

Les Jésuites, de leur côté, demandaient vainement qu'on levât les scellés posés sur la porte de leurs Archives, afin d'y puiser les actes dont ils avaient besoin pour leur défense. Mais, le 11 juillet 1763, le parlement de Dijon ordonnait : 1° l'expulsion, pour le 1er octobre, de tous les Jésuites qui se trouvaient dans son ressort ;

2° La nomination par les villes intéressées, sauf ratification, des régents qui devront commencer leurs classes le 12 novembre (4).

Dès lors, la ville n'avait plus qu'à s'incliner et à laisser s'accomplir les formalités d'expulsion. Le 12 août 1763, la cour du parlement de Dijon, toutes chambres

(1) Paris, 7 février 1761.

(2) Arch. départ., D, i.

(3) Arch. comm., GG. 2-13.

(4) Arch. comm., GG, 243, imprimé,


212 ANNALES DE L'AIN

assemblées, nomme Joseph-Philipp.e Jarrin, procureur de ladite cour, o pour curateur aux biens ayant appartenus aux cy-devant Jésuites du ressort de la cour » et établit Adrien Mathieu, notaire à Bourg, économe de tous leurs biens dans cette ville (1). Conformément à l'ordonnance du parlement la ville fait procéder, le 27 juillet et jours suivants, à un inventaire qui occupe un gros registre de plus de cent pages (2). Baptiste Comte, libraire à Bourg, prête son office, peu intelligent, pour la bibliothèque. Les désignations portées au catalogue sont trop souvent notoirement insuffisantes ou inexactes et par là de peu d'utilité. On en peut seulement conclure que la bibliothèque comprenait environ mille volumes, dont le plus grand nombre étaient des ouvrages de théologie écrits par des pères. La littérature du grand siècle n'y est absolument pas représentée. On n'y trouve ni Bossuet, ni Corneille, ni Racine, ni Pascal, ni Molière, ni Fénélon, ni Labruyère, ni même Bourdalouc. Richelieu y figure avec Les Principaux points de la foy catholique et Fléchier avec La vie du cardinal Jean-François Commendon, Paris, 1861, in-4°.

La maison est peu riche : elle n'a pas d'argenterie et son mobilier est plus que médiocre : il est franchement pauvre. Je reproduis à titre d'indication l'inventaire de la chambre du recteur « visante sur la grande rue Verchère, a On y voit « table bois ncryer avec son tiroir non fermant à clefs, boune ; huit chaises en paille, avec deux fauteuils de même ; une autre table à quatre pieds ayant un tiroir non fermant à clefs ; plus une encoguure bois

(t) Arch. comm., GG, 243. (2) Arch. comm.. GG, 243.


(1786)



COLLÈGE ET LYCEE DE BOURG 2t 3

noyer ; plus un feu avec sa bretagne (1) », Le reste est à l'avenant. A la cave le vin est sur ou tourné, l'huile rance. La cuisine et le réfectoire sont on ne peut plus mal fournis.

Enfin, le 23 juillet on expulse les pères. Ils étaient à cette date huit au collège. Les PP. Jean-Baptiste d'Emery (2), recteur, Claude Hugon (3), préfet des classes , Claude la Cottière (4), procureur, Alexis Augustin Catin (5), régent de 5e, Antoine François de Villëtte (6), prédicateur, André Peitel (7), professeur de physique, PierreIgnace Roubaud (8), régent de rhétorique, Joseph-Inno(1)

Joseph-Inno(1) comm., GG, 243.

(2) Né à Boguier dans le comté d'Avignon. 60 ans, entré la Société, le 7 septembre 1718, profés des 4 vo-ux, recteur depuis environ 14 ans dans différentes maisons. Arch. comm., GG. 243.

(3) D'Auxon en Franche-Comté, 52 ans, entré dans la Compagnie le 9 septembre 1728, profés des 4 voeux, préfet de classe, directeur de la congrégation dos Messieurs. Id., id.

(4) Né à CluUillon-les-Dombes, 53 ans, entré dans la Compagnie le 7 septembre 1730, profés des 4 vu-us, procureur de la dite maison depuis environ 16 ans. Id., Id.

(5) Né à Poligny. 42 ans, entré dans la Compagnie le 7 septembre 1739, profés des 4 voeux, enseigne les basses classes depuis environ 15 ans. Id., id.

(6) Prédicateur, officier au service de sa majesté, 39 ans, entré dans la Compagnie le 7 septembre 1743, profés des 4 vo-ux, ayant enseigné 7 ans la philosophie au dit collège et prêché 2 ans. Id., id.

(7) Natif do Reyrieux en Dombes, 36 ans, entré dans la Compagnie le 8 septembre 1745, profés des 4 voeux depuis le 2 février 1763, n'enseigne la philosophie que depuis 2 ans. Id., id.

(8) Né à Avignon, 24 ans, entré dans la Compagnie 7 septembre 1757, n'ayant que des voeux simples, ayant enseigné basses classes n ans. Id., id.

l5


214 ANNALES DE L'AIN

cent Escallier (1), régent de troisième. Le régent de seconde Pierre-Antoine Hubert, et le-régent de quatrième Joseph-Bonaventure Villier avaient abandonné le collège depuis environ huit jours.

TROISIÈME PÉRIODE

Le Collège parlementaire (1763-1793)

La ville, au 1er octobre 1763, devait être mise en possession des terrains et bâtiments « servant auxdites Ecoles et Collèges [des Jésuites] ainsi que des meubles en dépendant et bibliothèques fondées pour le service desdites écoles et Collèges (2). » Les vases sacrés, linges, chandeliers demeureraient « en toute propriété auxdites maisons » ; le surplus du mobilier serait vendu. L'envoi en possession du maire et des syndics de Bourg fut fait par Philippe Paradis, conseiller du roi, premier président au siège présidial de notre ville, le 27 sept. 1763 (3). Le recensement constate que tout le bâtiment est en bon état, sauf le grand escalier. Le contenu du terrain est évalué à douze ou treize coupées, environ 8,000 mètres carrés, y compris les constructions. M. Gahet, curé de NotreDame, reconnaît les vases sacrés, linges d'autels, chan(1)

chan(1) Gap, 23 ans, entré dans la Compagnie le 8 octobre 1758, voeux simples, a enseigné les basses classes 3 ans. Id., id.

(l) Arch. comm. GG. 243.

(3) Arch. comm. GG. 2 53.


COLLÈGE ET LYCEE DE BOURG 215

deliers. La bibliothèque est comme elle était au jour de l'expulsion (l).

Avant d'étudier la réorganisation du collège et de pénétrer les causes du conflit qui s'éleva entre la ville et le parlement de Dijon, il nous semble plus à propos de savoir avec exactitude quelles étaient les ressouces mises à la disposition du Bureau de i'Université de Bourg pour continuer l'oeuvre des Jésuites.

Un rapport (2) fort bien fait adressé au Bureau du collège, et sur lequel il délibéra, à la date du 12 juin 1764, nous donne tous les renseignements désirables. Il se divise naturellement en deux parties, revenus et charges.

Voici d'abord les revenus : 1° Terre de la Verjonnière, louée aux frères Bon, de Bourg, le 3 octobre 1763, pour 6 ans, moyennant le prix annuel de.... 4.280 livres

2° Contribution annuelle de la ville 1.500' —

3° Complément des appointements du premier professeur de philosophie (délibération du 9 août 1061) '. .. 200 —

5° Somme de 100 1. due par le corps de ville pour le même objet (délibération du 8 janvier 1761) 100 ' —

6° Petit domaine à Saint-Denis-le-Ceyzériat donné par Jeanne Forestier (acte reçu Billiard, notaire (22 janvier 1705), loué à Valentin Bon pour 6 ans 100 —

A reporter. , 6.180 livres

(1) Arch. comm. GG. 243.

(2) Arch. coiiuiu GG. 244.


216 ANNALES DE L AIN

Report 6.180 livres

7° Maison de campagne de Rosières acquise par les Jésuites pour servir de lieu de récréation (acte reçu Billiard, notaire, lOjanvier 1721), au prix de I5O0 1. payées par la dame Perret. Le jardin de cette maison ainsi que la blanchisserie qui en dépend est loué à la veuve Nallet 180 —

8° Préau territoire de Rosières donné purement et simplement aux Jésuites par Claude-Catherine Perret, comte du Châtelard, par acte reçu Piquet cadet, notaire à Bourg, le 21 mars 1744, loué à Valentin Bon 155 —

9° Contrat de rente au principal de 300 L, donné par le comte du Châtelard par acte sous-seingprivé du 21 mars 1744, ledit contrat dû par M. Trebillet de Condal, écuyer, demeurant à Saint-Amour 150 —

10° Autre contrat de rente passé par sieur Hiérosme Chambard, conseiller au baillage de Bresse, le 21 mars 1744, au principal de 2.500 1 75 —

11° Une rente annuelle due par les héritiers Poncin, en vertu d'un acte d'abbergeage reçu Moreau, notaire à Saint-Etienne-duBois, le 24 décembre 1743 30 —

Total des revenus 6.890 —

Les charges se divisent en : 1° Rétribution à l'Econome au taux de 1 sol

par livre. 344, 1. 15 s.


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 217

2° Ayant droit des Jésuites servis et laods d'indemnité (je n'en donne pas le détail qui est trop long) 76, 1. 10 s.

3° Le principal 800

Le professeur de philosophie 600

— rhétorique 600

— d'humanités 400

— troisième 400

— quatrième . 400

— cinquième ' 400

4° Le concierge et son grand valet « pour

faire les fondions de correcteur ».... 100 5° Les réparations. « Les Jésuites avaient tellement négligé les bâtiments et fonds de la Verjonnière qu'il fut reconnu par l'acte d'état pris sous l'autorité des officiers du baillage le 17, 18, 19 novembre 1763, que les bâtiments menaçaient ruine » Il a fallu les réparer pour les louer. Ces réparations ont coûté environ 2.150 1. et ont été payées par une coupe de bois due aux Jésuites. Il faut compter pour réparations annuelles à la Verjonnière environ 300 1.

Entretien du bâtiment du Collège et de Rosières et du bâtiment de Saint-Denis... . 100 De l'Eglise, cierges, lampes, linge, horloge,

vitraux 400

6° Appointements du secrétaire du Bureau. 120 Pour le papier, plume et bois de chauffage 30

Total des charges 5.071 1. 5 s.

qui déduites du revenu 6890 donnent un excédent de 1.8181.15s.

(1) Arch. comm. GG. 244.


2l8 ANNALES DE L'ÂIN

Mais cette situation, satisfaisante en apparence, n'en reste pas moins fort précaire pour deux raisons : 1° « Les appointements que les officiers municipaux ont fixés aux jeunes ecclésiastiques qui régentent pendant l'intérim » en attendant la décision du roi, « ne peuvent servir de règle pour l'avenir. » On devra au moins les augmenter d'un tiers ; 2° Les Jésuites, d'après les conventions faites avec eux par la province et la ville, étaient tenus de fournir un professeur de philosophie. Il n'y en avait point lors de leur expulsion et les officiers municipaux, qui leur succédèrent, ne pouvaient y suppléer, car l'arrêt du parlement de Dijon ne les autorisait qu'à établir le même nombre de régents, mais il échoit d y pourvoir incessamment. Il en résulte, on le voit, que le Bureau d'université, héritier des revenus et des charges des Jésuites n'était pas, et à juste titre, sans appréhension. Néanmoins, dans une note manuscrite, non signée, mais certainement de la main de Perruquet de Saint-Just, les directeurs et administrateurs estiment qu'il ne faut rien retrancher au collège de Bourg, mais le développer : & il serait même très a propos qu'il y eut une pension ce qu'il seroit aisé d'établir. »

Nous verrons plus loin la réalisation de ce voeu ; mais il nous faut revenir, en attendant, aux rapports aigres doux de la ville et du Parlement de Dijon. En v.oici le motif. Le 24 août 1763, Me Chambard, premier syndic, fut député par le Conseil auprès de MM. de Saint-Antoine pour les prier d'accepter le collège. 11 reçut charge de demander à leur abbé ses conditions pour avoir huit régents, « quatre pour les classes de cinquième, quatrième, troisième, humanités, et trois professeurs, un de rhétorique et les deux autres de logique et de physique et


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 219

un principal du collège (1) ». Le parlement accueillit mal l'annonce de cette ouverture. Il rappela au Conseil que la cour devait approuver ses choix et que, par conséquent, il convenait de pressentir par avance l'opinion du Parlement. La ville, fidèle à ses vieilles habitudes d'indépendance municipale, temporisa, céda sur uu point en réservant, autant que possible, sa liberté pour l'avenir. C'est ainsi que, le 11 septembre 1763, puis le 17 septembre de la même année, le Conseil choisit à titre provisoire, sans aucun engagement ferme, c Claude-Louis Obrien, l'aîné sous-diacre pour enseigner la logique... Albert Bouvier pour la rhétorique »... ils feront « la préfecture jusqu'à l'entrée des professeurs et des régents aux heures indiquées pour faire la classe (2) ». Les autres professeurs seront(3):

Eugène Obrien pour les Humanités,

Moiret, sous-diacre, pour la 3e.

Giraud, pour la 4e.

Couvât, pour la 5e.

Chacun avec un traitement de 400 livres. « Le sieur Couvât o-, par suite de certains engagements... contractés à Lyon » supplie « MM. les Maire et syndics de vouloir nommer tels sujets qu'ils jugeront à propos ». Ce qui fut fait et le Conseil choisit (4) Joseph Charnoz ou Chamaud, dit Neuville, clerc tonsuré et lui attribue le même traitement. Enfin, le 26 septembre, M. Champion, vicaire de

(1) Arch. comm., BB, 202. fol., 31, ro.

( ') Arch. comm., BB. 202, fol 33, r»,

(3i Ces nominations furent homologuées por un arrêt de la chambre des vacations de Dijon du 26 octobre 1763, Arch. comm., BB. 202. 8, v».

(4) Arch. comm., BB. 20i, fol. 33, V


220 ANNALES DE L'AIN

la paroisse est chargé par intérim des fonctions de principal et du « service divin » moyennant la somme de 800 livres « qui lui sera payée sur les revenus du collège, laquelle somme sera acquittée en plein quelque temps que le provisoire dure ». M. le Maire et les syndics « se pourvoieront à Monseigneur l'archevêque [de Lyon] pour obtenir son agrément à cet effet (1) ». Ces dispositions, que j'ai citées trop ou long peut-être, nous révêlent l'intention de la ville qui redoute, avec l'ingérence du Parlement, l'établissement d'un Bureau d'Université. Elle envoie à Dijon un mémoire qui ne nous est pas parvenu, mais dont nous avons une analyse succinte dans un délibéré du Parlement, daté du 4 avril 1764 et signé Legrand (2j. En voici l'essentiel.

« Les officiers municipaux [de Bourg] paraissent incliner à faire tomber le choix des nouveaux régeus sur les religieux de Saint-Antoine auxquels ils abandonneraient tous les biens dotaux du collège suivant que les cy-devant soy disans jésuites en ont joui, ou par des religieux se soumettant aux mêmes obligations... » Quoique leurs « réflexions... soient très sages » et que l'appiobation que le parlement à donné « à ce que la ville de Belley leur confia l'éducation et l'instruction de la jeunesse, donne lieu de croire que la cour voudra bien agréer » les voeux de la ville de Bourg, il importe de ne rien précipiter, c Avant que de conclure et de terminer il faudra s'assurer de l'agrément de M. l'archevêque de Lyon, dans le diocèse duquel est la ville de Bourg. Cet agrément est de nécessité absolue. » Au surplus, et c'est à notre sens le

|l)/rf., BB. 203, fol. 35, r". (2) Arch. comm.,(i(i. 2'rl


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG ,221

point important du délibéré et la cause de l'opposition du Conseil, « MM. les Maire et syndics de la ville de Bourg doivent craindre que la nomination des professeurs et régents de leur collège no leur soit contestée parce que d'une part suivant l'article seize de l'édit du mois de février 1763, enregistré à la Cour le onze aoust de la même année, les principaux, les professeurs et les régens doivent être choisis et nommés par le bureau d'administration, et que, d'autre part, il est dit par l'article six du même édit que le bureau sera composé d'une personne ecclésiastique qui sera commise par M. l'archevêque de Lyon, du lieutenant général comme principal officier de la justice royale, du procureur du roy en ce siège, des deux premiers officiers municipaux et de deux notables habitants de Bourg qui doivent être choisis par le bureau. »

La Cour rappelle en outre, à titre d'exemple, que « le bureau d'administration établi pour le collège de Dijon en a nommé les régens et professeurs au préjudice des Maire, échevins et sj^ndics qui prétendaient en avoir le droit en vertu du testament de M. Godran, premier fondateur de ce collège. » Elle ajoute encore : « dans le cas où pareille contestation seroit formée, contre les sieurs Maire et syndics de la ville de Bourg, on estime qu'ils doivent se conformer à l'exemple de la ville de Dijon qui jusques 'à présent a souffert la nomination faite par le bureau de toutes les places du collège. »

La contestation eut lieu mais sans violence et le désir exprimé par le Bureau d'Université à la fin de son mémoire adressé au Conseil de ville et au Parlement, fut réalisé assez facilement. Le bureau se soumet humblement aux volontés de sa majesté mais son « avis est cepen-


222 ANNALES DE L'AIN

dant que le collège de Bourg continue à être rempli par ecclésiastiques isolés qui vivront en commun au collège suivant le plan ci-après cojàé — il ne nous est pas parvenu — et les règlements qui seront prescrits et autorisés (1)». Le bureau demande encore, et obtient, « que ceux qui seront placés dans leur collège soient toujours soumis à [ses] décisions» pour l'admission et l'exclusion.

C'est ainsi que s'est créée, malgré l'opposition de la ville et grâce à la volonté tenace du parlement du Dijon, l'autorité toute puissante en matière d'éducation du bureau d'Université. Il rencontra dès le premier jour l'appui de nos chanoines et de leur curé. C'était une revanche de l'introduction des Jésuites. Il ne faut donc pas s'étonner si notre chapitre fît les efforts les plus louables pour assurer le succès et le développement du collège reconstitué.

Le premier bureau lut composé de MM. Gabet, curé de Notre-Dame, commis par l'archevêque de Lyon, Paradis, premier président au baillage, Perruquet de Saint-Just, procureur du roi, Cabuchet, maire, Chambard, premier syndic, Foilet, Gaillard, notables. Il eut à surveiller l'application d'une « teneur d'arrêt du Parlement de Bourgogne », rendue le 5 mai 1763, « qui défend aux maîtres de billiard, cabaretiers et cafetiers de recevoir des écoliers étudians au collège de son ressort (2). » Cette pièce fort curieuse nous permet non seulement de mieux comprendre le rôle que le parlement s'attribue dans l'éducation, mais encore nous donne une classification assez inattendue des établissements que nos pères hantaient à la fin du xvine siècle. Le parlement n'a aucune sympathie

(1) Arch. comm., BB, 244, 12 juin 1761. i,2) Arch. comm., BB. 203, fol. 16.


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 223

pour les billards : leurs « moindres inconvénients [pour] les écoliers sont la négligence du devoir et la perte du temps : mais ce qu'on doit considérer c'est que les moeurs de la jeunesse s'y corrompent entièrement.... On sait assez quelles sont les personnes qui y fréquentent... Inutilement des maîtres soigneux sacrifieront leur peine à l'instruction des jeunes gens, si au sortir du collège ils vont dans une école aussi pernicieuse oublier les leçons qu'on vient de leur donner ; c'est en vain que ces maîtres employeront le droit de remontrance et d'avis,-cette jeunesse indocile est persuadée que le pouvoir de ses maîtres est borné dans l'enceinte du collège, il faut pour la retenir les ordres et non des conseils (1)... » Sur cette apostrophe foudroyante l'honorable procureur passe aux cabarets pour lesquels il ne dissimule pas son mépris le plus absolu. Ce « sont, dit-il, des lieux que tout homme bien né ne doit point fréquenter. » Le café seul, le contraire à la fin de xvme siècle eut été étonnant, trouve grâce à ses yeux et c'est bien à contre-coeur qu'il le condamne- mais non sans circonstances atténuantes. « Les jeunes gens, il l'avoue, y courent moins de risques, ces lieux n'étant fréquentés que par d'honnêtes gens.» Reste la perte du temps. C'est pourquoi le 'procureur demande et obtient de la cour o cent livres d'amende contre chacun des contrevenants, applicable par moitié aux hôpitaux des lieux, l'autre pour moitié au profit des villes où sont établis les collèges (2). »

En somme, tout le prouve, de 1763 à 1793, sauf bien entendu les troubles révolutionnaires, le Parlement et le

il) Arch. comm.j P.B. 203, fol. 10 v?. (2) Arch. comm., BB. 203, fol. lo \".


224 ANNALES DE L AIN

Bureau d'Université sont les véritables maîtres du collège de Bourg. Leur oeuvre ici fut triple : ils assurèrent la dotation du collège contre toute revendication extérieure ; ils créèrent la salle de physique et contribuèreut avec la Société d'Emulation au mouvement scientifique dont le nom de Lalande est la plus haute expression ; enfin ils introduisirent et développèrent, parce que c'était une nécessité, l'internat.

Le 15 décembre 1763, la ville décide d'intervenir devant la cour pour déclarer qu'étant en possession des biens des Jésuites elle n'a pas à faire adhésion à l'acte d'union des créanciers (1). Le 27 juin 1767, les directeurs et administrateurs du bureau demandent en vertu de l'arrêt du parlement de Dijon à être mis en possession des biens de la congrégation, car ils ont été affectés au collège (2). Le 27 mars 1768, un arrêt est rendu à la requête de M. Charles François Champion, docteur en théologie et principal. Les congréganistes sont déboutés de leur appel et leurs meubles sont attribués au collège. Les créanciers dit l'arrêt eussent seuls pu contester les lettres patentes du 21 octobre 1763 « mais ils gardent silence... [et] laissent en conséquence jouir le collège des biens qui ont été déclaré lui appartenir (3). » Le 27 avril suivafit la Cour des. Comptes de Dijon rend un arrêt de reprise de la terre et seigneurie de la Verjonnière en faveur des directeurs et administrateurs du collège du Bourg, reconnus officiellement c en qualité de possesseurs et seigneurs du fief et seigneurie de la Verjonnière... aulieu et place des ci(1)

ci(1) comm., BB. 203, fol. 9 r.

(2) Arch. départ., D. 8.

(3) Arch. départ., D. 8.


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 225

devant Jésuites qui en avaient faites et rendues les devoirs foy et hommage le 11 janvier 1753 et fourni l'aveu et dénombrement le même jour (1)...*> Le bureau nomme Me Etienne Louis-Marie-Vincent natif de la ville de Bourg, licencié en droit « pour homme vivant et mourant... [apte] à faire et rendre lesdits devoirs de foy et hommage auxquels ils sont tenus envers nous [Louis XV] à cause et raison de ladite terre... mouvante et relevante de nous à cause de notre pays de Bresse (2). »

Pendant que nos administrateurs menaient à bien cette prise de possession des biens des PP., ils obtenaient dès l'année 1764 cent livres de la ville pour distribuer des prix à leurs meilleurs élèves (3). Puis l'année suivante cette somme s'élevait à 120 livres qui, d'après tout un lot de quittances, semble avoir été le chiffre définitif de cette subvention (4). En même temps ils cherchaient à réaliser ces deux parties de leur programme énoncés dans le rapport soumis au parlement : établir une pension; avoir un professeur de physique.

Le 9 septembre 1766 ils traitaient avec Charles Maurix et Jacob marchands de literie à Bourg une fourniture de vingt quatre lits pour l'internat au prix de cent livres (5) l'un. Ceux des régents devaient coûter 180 livres.

Dès l'année 1765 probablement, mais en 1766 sûrement, ils avaient un M. Bataillon qui enseigne la phy(1)

phy(1) départ., D. S, (pièce collationnée en parchemin).

(2) Id., id.

(3) Arch. comm. GG, 244. (A)Id. Id., GG. 244.

(5) Arch. comm., GG, 2V4.


226 ANNALES DE L'AIN

sique. Il achète à Lyon, en mai 1766, pour son cours deux globes d'électricité avec un tableau magique et avance vingt-quatre livres, quiluisont remboursées le 12 juin (1). Eu 1769 il achète encore des appareils d'électricité. Ces dates me paraissent caractéristiques. La thèse de Mesmer est de 1766 et déjà dans notre petit ville de Bourg on s'en préoccupait.

Vers cette époque M. Champion est-ce par mort ou démission? nous l'ignorons, cessa .d'être principal. Il fut remplacé par M. Bouvier, qui sollicite vers 1770 (?) avec les directeurs et administrateurs du bureau, l'autorisation de couper les baliveaux de la Verjonnière : « attendu que les revenus dudit collège sont à peine suffisants pour subvenir aux charges annuelles... qu'ils ne peuvent fournir aux clôtures, nivellement des terres et aultres dépenses indispensables pour fermer le clos dudit collège et pensionnat (2).» Il est probable que cette autorisation fut accordée, mais nous n'en avons pas la preuve. Quoiqu'il en soit, il fallut faire des travaux considérables à la Verjonnière en 1774. Ces réparations ne furent terminées et reconnues qu'en 1779 par un expert nommé Goyffon (3).

An milieu de ces traverses se créait ici un foyer scientifique dont l'âme fut Lalande et le centre la Société d'Emulation. La mode s'en mêla et, en 1786, les membres du bureau d'Université, MM. Périer, Lescuyer, premier syndic, Chevrier, maire, Favier, puîné, Picquet, avocat du roi, Barquet, principal, successeur de M. Champion, demandent 2.400. livres sur les deniers de la Province

(1) Arch. comm., GG. 241.

(2) Arch. départ., I). (5.

(3) Arch. corn.. GG. 241.


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 227

pour transformer la chapelle des congrégations du collège en salle de physique. Voici quelques uns des considérants forts curieux. Les suppliants s'adressent au gouverneur de la Province Amelot. « C'est à cette Société [d'Emulation] dont vous favorisez les progrès que l'on doit un cours public de physique, qui a eu lieu l'année dernière pour la première fois, » 1785.

«C'est à cette même Société que l'on doit pour cette année un cours public d'anatomie, dont on doit espérer de grands succès, si l'on en juge par le concours de ceux qui y vont puiser des lumières (1). » Et c'est au nom de cette foule avide de savoir que les syndics du Tiers-Etat, le 3 mars 1786, recommandent cette supplique à la bienveillance du gouverneur qui l'approuve, le 24 avril de la même année.

Les plans de la nouvelle salle furent dressés par Chauvereiche. et il en arrêta 31 janvier 1786 le devis, soumis au Tiers-Etats et au gouverneur. Je ne la décrirai pas, les plans annexés ci-joint loueront mieux que moi son heureuse disposition. Sa démolition a été une des erreurs les plus regrettables. Le souvenir d'Ampère eut dû la protéger. Un inventaire détaillé (2) des instruments de physique du nouveau cabinet, fait à Bourg le 29 septembre 1786, étonne par le nombre et le choix des appareils (3). Je regrette de ne pouvoir citer sûrement ici le

(1) Arch. comm., GG. 214.

(2) Id., id.

(3) Arch. comm., partie non classée. Dans le rapport pour le rétablissement du collège, on trouve mention d'une somme de 6.000 livres, accordée par la Province en 1786, pour l'achat des machines et instruments. Je n'ai pu retrouver la pièce comptable. Vais le chiffre ne parait-pas exagéré.


228 ANNALES DE L'AIN

- nom du professeur, qui en a dressé la liste et à son défaut transcris les noms des membres du bureau : Valentin du Plantier, Favier puîné, Riboud,Parret, curé, Chevrier, maire, Barquet, principal.

La création de ce cabinet attira au collège un grand nombre d'élèves et on dut refuser des internes. Leur nombre s'élève à cinquante (1). Ils sont trente-quatre dans un dortoir au premier étage et les seize autres sont dispersés çà et là au grand détriment de la discipline. Le recteur et les administrateurs demandent différentes modifications au bâtiment pour remédier à ce grave inconvénient. Et après de longs pourparlers obtiennent gain de cause.

Dès lors, nous ne savons plus rien de l'histoire du collège. Les documents nous font tout à fait défaut. La Révolution va commencer. La Bresse, comme la France tout entière, consigne dans ses cahiers ses rêves, ses espérances, et s'abandonne aux illusions les plus généreuses et les plus naïvement confiantes. Je crains qu'on en fit autant derrière les murs de notre vieille maison. En tous cas, le 25 août 1791, à la distribution des prix, trois jeunes et brillants rhétoriciens, quelque peu soufflés par leurs maîtres et il y paraît, luttèrent d'éloquence pour attaquer, défendre et juger la constitution. Les héros de ce tournoi oratoire d'où la constitution sortit triomphante furent Joseph-Jérôme Dismier, Pierre Falconnet et Charles-Joseph Tavel.

Monsieur Philibert Le Duc, dans son ouvrage (2), n'a cité du programme de ce « Plaidoyer pour la constitu({)

constitu({) comm., GG. 214.

(2j Hist. de la Révolution dans l'Ain, II, 2i3-M.


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 229

tion française (1) » que les objections. J'en reproduis ci-dessous, à titre de curiosité, quelques passages un peu vifs qui font regretter la réponse :

« Enfantée par l'ignorance et la passion, appuyée sur l'injustice, réprouvée par le bon sens et l'intérêt général, mais accueillie par l'enthousiasme d'un peuple ami de la nouveauté, et facile à séduire, notre nouvelle Constitution sera à jamais l'opprobre de ses auteurs, la honte du nom français et le triomphe de ses ennemis. Devant elle ont disparu avec la rapidité de l'éclair toutes les institutions de^ nos sages aïeux... Rien n'a échappé à la faux tranchante de nos réformateurs : la forme même du gouvernement qui subsistait avec gloire depuis quatorze siècles n'a pas été respectée ; on ne nous a laissé que l'ombre de la monarchie. Vainement, pour nous faire illusion, mêle-t-on quelquefois le nom sacré de Roi à celui de pouvoir exécutif....

« Si c'est par ses effets qu'on doit apprécier un établissement, où trouver des expressions assez énergiques pour caractériser une Constitution aussi profondément vicieuse ? Au lieu de cette égalité chimérique, de cette aimable liberté, de cet ordre fondé sur la loi, qu'elle semble nous promettre, règne partout un arbitraire absolu, un esclavage avilissant, une licence farouche. Une armée sans discipline et sans frein, un peuple qui ne reconnaît aucune borne à la liberté nouvellement reconquise, des victimes célèbres et nombreuses,des vexations de tous les genres, des cruautés inouïes (tristes trophées de la liberté française), le commerce et les arts dans l'inertie, une di(1)

di(1) 1791, k p. in-4°. (Nous n'avons pu nous procurer cette plaquette.)


230 ANNALES DE L'AIN

sette extrême de numéraire, un papier sans confiance, une émigration effraj'ante, le Trésor public épuisé, le crédit national perdu sans ressource, le plus grand nombre de Français à la misère : telles sont les heureuses prémices de notre bienfaisante Révolution ; telle est l'aurore du beau jour que doit éclairer notre empire régénéré. »

L'auteur de cette philippique me paraît être Me Barquet, principal du collège. Je n'hésite pas à réunir tous les renseignements qui nous sont parvenus sur cet homme qui ne manquait pas de valeur, car sa vie en ces années si troublées se confond avec celle du collège et en, explique la destinée.

Me Barquet, prêtre et principal, était Janséniste. Il prit très nettement parti pour la Constitution civile du clergé (1). Et dans un écrit remarquable qui a pour titre: « Exposé des principes qui ont décidé le principal et les professeurs du collège de Bourg à prêter le serment civique » (2), il défendit habilement sa thèse et entraîna les deux tiers au moins des prêtres du département de l'Ain. Ce premier écrit nous donne les noms des professeurs du collège qui l'ont appu3'é de leurs signatures : Bernard, Creuset, Loup, Collet, Lespinasse, Josserand, prêtres et professeurs ; Populus, professeur ; Charnaud - Neuville, clerc minoré, professeur. Il fut attaqué vivement par M. Aj'nard, chanoine de Bourg ÇS) ;

(1) Art. XXI et XXXVIII du titre III, et décret du 27 novembre 1790 qui exige le serment des prêtres sous peine de la perle de leurs offices.

(2) Bourg, 1791, 70, in-8°.

(3) Réponse ù un écrit portant pour titre : Exposition des principes qui ont décidé Icprincipal.-.par M.A.M.R.P.C. SO pages.


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 231

M. de la Bévière, plusieurs curés de l'Ain (1), l'évêque et prince de Genève et l'archevêque de Lyon, primat des Gaules. M. Barquet riposta par un second écrit : Justification de l'Exposition des principes ou réfutation de

la réponse à l'exposition par M.A.R.P.C., ci de deux lettres de plusieurs curés députés à l'Assemblée nationale, Bourg, 1791, 118 p. in-4°. Mais déjà la division s'était produite au sein du collège. Les abbés Collet et Lespinasse s'étaient rétractés et ne professaient plus. M. Barquet signe son nouvel ouvrage avec MM. Bernard, Creuset, Loup, Josserand, Populus, diacre, qui lui sont restés fidèles, et ses nouveaux professeurs Honorez, prêtre, Lager et Piquet, sous-diacres. *

Le 12 février 1791, Thomas Riboud, procureur général syndic, demanda et obtint du Directoire de l'Ain suppression de la Lettre pastorale de Mgr l'évêque et prince d,e Genève.

M. Philibert Le Duc (2) suppose que ce fut à l'instigation de M. Barquet, qui était le collègue de Thomas Riboud à la Société d'Emulation. C'est possible, mais nous n'en avons trouvé aucune preuve et la mesure nous paraît spontanée.

Notre principal, homme de talent et de tête, était le président de la Société des Amis de la Constitution. C'est à ce titre qu'il rédige une adresse (3) recommandant aux électeurs de l'Ain de voter pour des hommes

(1) Cf. Philibert Le Duc, Hist. de la Révolution dans l'Ain, II, 82, note 2.

( ) Hist. de la Révol. dans l'Ain, II, 117-18.

(3) L'arrêté du Directoire de l'Ain convoque les assemblées primaires pour le 22 juin, et les électeurs qu'elles auraient nommés pour le 4 juillet 1791.


232 ' ANNALES DE L'AIN -

capables de continuer l'oeuvre de l'Assemblée constituante et de mettre s la dernière main à cette Constitution sublime, dont le plan est un chef-d'oeuvre... » (1).

Au lendemain de l'arrestation du roi à Varenne, 22 juin 1791, M. Barquet seconda, par une patriotique et véhémente exhortation, l'appel des citoyens à la défense de la patrie en danger « un roi jusqu'ici l'idole des Français, vient de s'échapper furtivement du palais de ses pères.... Ce n'est plus ici, frères et amis, une intrigue de cour, les caprices d'une femme qui vont comme

autrefois vous mettre les armes aux mains ; c'est la patrie en danger qui vous appelle ; c'est votre liberté qu'il faut défendre ; c'est la Constitution attaquée qui demande l'appui de vos bras... -s (2).

Mais la scission qui se produisit entre les Jacobins et les Feuillants vient modifier le classement des partis dans notre petite ville. M. Barquet penchait pour les Feuillants et, n'étant pas suivi par la majorité des amis de la Constitution de Bourg, la présidence passa entre les mains de Blanq-Desisles, le futur terroriste, qui déclara que lui et les amis de la Constitution restaient* inviolablement unis à la Société mère » des Jacobins. Néanmoins, l'autorité du principal y restait grande. C'est lui qui, le 7 février 1792, adresse des paroles vraiment éloquentes au 3me bataillon des volontaires de l'Ain, la veille de leur départ pour la frontière (3).

(1) Adresse aux citoyens du département de l'Ain, in-4. Philibert Le Duc, Hist. de la Ré col. dans l'Ain, II, 130.

(2) l'hilib. Le Duc, llist.de la Révol. dans l'Ain, II, 171-72.

(3) Philib. Le Duc, hisi. de la Révol. dans l'Ain, II, 2o34il.


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 233

Bientôt même il devint l'âme du parti Girondin chez nous. L'héroïque résistance de Lyon, couronnée de succès au début, doublait son influence et il semble qu'il fut un inspirateur et un des auxiliaires les plus actifs du Conseil général de l'Ain, dans sa courageuse pétition à la Convention nationale en faveur des Girondins. Cette manifestation fédéraliste eut lieu le 2 juin, le jour même de la proscription des Girondins. La Société populaire rédigea à la même date une violente protestation dans le même sens qui recueillit 260 signatures, où je relève les noms des professeurs du collège : Loup (1), Olivier (2), Josserand (3), Honoré (4), Barquet (5), Gay (6), Dupraz fils (7).

Ce mouvement fédéraliste devint irrésistible au point que Blanq-Desisles, farouche maratiste, dut crier du haut du balcon de la Commune : A la guillotine Marat (8). Il en fut si confus qu'il en arrangea le récit suivant. Je le cite, car il est une nouvelle caractéristique de l'influence exercée par notre principal.

Blanq-Desisles avait dû se rendre (30 juin) à la rencontré du détachement du Jura, « dont les plumets rouges » portaient une tète de bois qu'ils avaient baptisée du nom de Marat. «. On me menaçait de me faire brûler

(1) Phil. le Duc, Hist. de la Révol. dans l'Ain, III, 300.

(2) Id.. id.

(3) Id., id.

(4) Id., id., 301. ;5) Id., id.

l0) Id., id., 302.

(7) Id., id.

(8) Aux Représentants du peuple composant le Comité de Salut Public, 24 p. in-8". Cf. Philib. le Duc, Histoire de laRévol. dans l'Ain, III, 338 .


234 ANNALES DE L'AIN

la tête de Marat... Mon écharpe étoit ma sauvegarde et je voulois périr avec elle plutôt que de brûler la tête de ce martyr de la liberté. J'avais trop souffert pour lui et par vous pour ne pas l'aimer. Ce fut le prêtre Barquet, perfide imposteur, qui fit un discours infâme au faubourg du Jura et sur la place (1). Mes lèvres qui ne se meuvent que pour la liberté et l'égalité n'ont pas proféré une seule parole, et ne se sont pas appliquées sur les lèvres impures de l'administrateur du Jura... On me poursuivait avec les cris : A la guillotine Desisles. On se jetta dans mon magasin (2); on vouloit le piller... (3) »

Nous laissons de côté les affirmations plus que douteuses de Blanq-Desisles. Mais l'heure de la vengeance n'allait pas tarder pour lui. Le 8 juillet 1793 , l'abbé Barquet fut nommé un des dix-huit notables de la ville. C'était le dernier effort du parti modéré. Blanq-Desisles courut à Paris, Rollet excita les départements voisins, Albant et Chaigneau fondèrent une nouvelle Société populaire dans le local de l'Arquebuse, et l'ancienne, qui se tenait dans la salle du spectacle, fut bientôt abandonnée.

C'est ainsi que les Jacobins restèrent seuls maîtres du champ de bataille. Aussi le 25 septembre 1793, BlanqDesisles fut imposé comme maire à la commune de Bourg par Bassal et Bernard, représentants du peuple en mission à Besançon. Le même jour le Comité révolutionnaire

(1| La place d'Armes, probablement du balcon de Hôtel-deVille.

(2iCet ancien comédien tenait un magasin de bijouterie dans la maison dite du chancelier Bolomior, qui a été occupée par le Courrier de l'Ain, et démolie par la percée.

13.i Philib. le Duc, Hist. de la Révol. dans l'Ain, III, 337-38.


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 235

décrétait de prise de corps le principal Barquet, prêtre (1), et le 2 octobre la nouvelle municipalité donnait l'ordre aux citoyens Convers, procureur de la commune et Bouveyron, notable, « d'arrêtter Barquet, prêtre et Loup, prêtre (2). » Boulon, Duclos, Degrusse, Ducret, Gosselin, Petit- se chargèrent, le 5 novembre, de désarmer et d'arrêter « les personnes suspectes d'incivisme » au nombre d'environ quatre-vingt-dix, parmi lesquelles se trouvaient les prêtres du collège.

Ainsi finit le collège parlementaire et municipal. Nous avons crut devoir insister un peu sur ces années troublées, bien persuadé que ses murs devaient laisser passer les rumeurs du dehors. Le rôle extérieur de l'abbé Barquet et de ses collaborateurs nous était d'ailleurs seul accessible. Les archives ne renferment rien, ou du moins nous n'avons rien trouvé sur la vie intérieure du collège. Nous laisserons à un chercheur plus heureux le soin de compléter ou mieux d'écrire ce chapitre intéressant.

(•) «Roy des fédéralistes, écrivant et blasphémant contre les députés montagnards, grand corps allongé, ton mielleux et sourd, un peu bancal, les jambes minces, digne émule de VaIentin (du Plantier) et qui mérite de mettre la tète à la fenêtre.» Reg. du Comité central de surveillance. Phil.Le Duc, La Révol. dans l'Ain, IV, 165.

(2) « Scélérat fédéraliste, hypocrite, assassin des patriotes, prêtre en un mot. » Id, Id., IV, 479.


236 ANNALES DE L'AIN

QUATRIÈME PÉRIODE

L'Ecole Centrale An V (1796). - An XI (1803,

I

Avant d'arriver à l'Ecole centrale, il convient d'étudier avec quelques détails un curieux essai de réorganisation révolutionnaire du collège de Bourg. Nous avons vu le principal Barquet, qui échappa par la fuite, Loup, moins heureux et qui fut guillotiné à Lyon (1), décrétés d'arrestation, le 2 octobre 1793, les autres prêtres ou régents désarmés le 5 octobre suivant, et le collège virtuellement supprimé. Mais au lendemain de cette exécution restait un problème à résoudre : que faire des élèves ? Le conseil, sous la pression de l'opinion publique, dut y songer et le « 11 du deuxième mois de l'an II de la République (1er novembre 1793) », les citoj'-ens Gayet et Buget présentèrent un projet, en leur qualité de « commissaires nommés pour organiser le collège de cette ville. » Le conseil s'en déclare « on ne peut plus satisfait. » Il décide même que le rapport sera « consigné sur le registre et envoyé au district (2). »

Nous apprenons tout d'abord qu'il reste au collège

(1) Philib. Le Duc, La Révol. dans l'Ain, VI, 414. (2i Arch. comm,, Registre des délibérations du Conseil -à la date).


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 237

deux professeurs, probablement MM. Olivier et Valensot ou Honoré ? On nous dit en effet dans une incidente « qu'on pourroit supprimer un des deux professeurs et charger celui qui resterait » d'enseigner le curieux programme que nous citerons plus loin. « Mais vos commissaires ont pensé qu'il valoit mieux attendre la retraite volontaire de l'un d'eux pour éviter d'être taxé d'ingratitude envers un citoyen qui n'a pas démérité et qui s'est bien donné des peines pour l'éducation de nos enfants. » Ce sont là des sentiments fort honorables.

Mais revenons à la mission de nos commissaires. Ils procèdent d'abord à la visite du collège. « Pour première opération ils ont réduit à peu de chose l'étude du latin qui, jusqu'à présent, étoit la seule science qu'on y enseignoit. Ils ont considéré cette langue comme à peu près inutile et ils [y] ont substitué l'étude de plusieurs sciences utiles à tous les citoyens. » Jusqu'alors on n'a songé qu'aux riches, il est temps de songer à tous et à ceux « qui se destinent à exercer des arts mécaniques » et à ceux « qui paraîtroient propres à des sciences [plus] élevées. » Tous sans distinction doivent de bonne heure apprendre les lois de leur propre paj^s tant civiles que criminelles et d'administration ainsi que les droits de l'homme et la constitution ; qu'[en] outre les jeunes élèves dévoient aussi s'exercer au maniement des armes, à la danse et à l'escrime que cette élude en développant leurs organes les rendraient propres à faire dans le moment des réquisitions des bons soldats prêts à voler à la défense des frontières. »

Ces principes posés, les citoyens Gayet et Buget passent au détail de leur programme. Il paraît se diviser en deux parties, chacune de cinq sections : la première, si


238 ANNALES DE L'AIN

nous ne nous trompons, comprend les arts inutiles, malgré l'adjonction de quelques bribes de sciences utiles à titre de contre poison; la seconde toutes les sciences utiles. Car, disent les rapporteurs « nous avons jusqu'à présent payé des professeurs qui ne nous ont enseigné que des sciences inutiles, changeons de sjrstème... »

ITe Section. — 1° Français, géographie française, droits et devoirs de l'homme et du citoyen, usage des nombres, compas, mesures, leviers poulie, etc.

Traitement du professeur : 1.000 francs, et le logement ;

2° « Classe de basse latinité » en faveur de ceux «. qui désireront apprendre cette langue 'qui peut convenir à ' ceux qui se destinent à l'art de guérir, à l'état ecclésiastique et autres. »

Traitement du professeur : 1.000 francs, et le logement ;

3° Ecole de « haute latinité, de mythologie, d'explication des lois, des droits de l'homme et de la constitution. »

Traitement du professur : i .000 francs, et le logement ;

5° Ecole pour l'histoire générale, la géographie comparée.

Traitement du professeur : 1.000 francs, et le logement ;

II Section. — 1° « Classe de rhétorique en français » pour les élèves qui ont de l'esprit et du talent.

Traitement du professeur: 1.200 francs, et le logement ;

2° Ecole de dessin et d'architecture.

Traitement du professeur : 1 .500 francs, et le logement ;


COLLÈGE ET LYCÉE DE "BOURG 239

3° Mathématiques et géométrie.

Traitement du professeur : 1.500 francs, et le logement ;

4° « Ecole de physique expérimentale pour laquelle nous n'avons plus de professeur depuis l'arrestation du citoyen Loup. »

Traitement du professeur : 1.500 francs et le logement ;

5° Une école de gymnastique. Cette école comprend la danse et l'exercice militaire.

Les citoyens Gayet et Buget projettent même l'établisment d'un manège dans les locaux du collège pour favoriser le recrutement de la cavalerie.

Pour réaliser ce plan il faut des professeurs. « Le citoyen Cochet de Lyon se présente pour établir un cours de dessin, de géométrie et d'architecture, je pense citoyens qu'il faut accepter le professeur, l'établir dans notre collège, lui faire une pension honnête et il sera chargé d'enseigner gratuitement tous les enfants qui se présenteront... »

On fera de même pour les « professeurs qui enseignent les sciences utiles, nous les recevrons avec empressement et ils remplaceront le troupeau des professeurs de latin, l'on pourra cependant en conserver un ou deux... » Car il est nécessaire de faire cette révolution dans les études. « Nous qui sommes les magistrats du peuple, jettons de bonne heure un regard attentif sur nos écoles; jusqu'à présent nous n'y avons vu que l'ancien régime, lire, écrire du latin, un peu de philosophie, tout cela pour les citoyens riches et rien pour les pauvres ; nous ne voulons plus que la justice et la raison pour arranger nos différents, nous ne voulons plus de théologie, de sophismes


240 'ANNALES DE L'AIN

religieux ny de fanatisme, nous ne voulons que la religion telle que l'ont enseignée ' les apôtres, simple douce et consolante et pour cela nous [n'] avons pas besoin d'apprendre à parler latin. »

Quoiqu'il en soit de ce programme naïf et plein d'illusions où les citoyens Gayet et Buget ont mis beaucoup de bonne volonté et encore plus de fautes d'orthographe et d'incorrections au point d'en être souvent inintelligibles, ou essaya peut-être de l'appliquer au collège. En tous cas, le 21 brumaire an II (11 novembre 1793), dix jours plus tard, les citoyens Olivier, Valensot, Honoré, instituteurs, demandent « aux citoyens composant le Conseil général de la commune de Bourg regénéré » l'autorisation d'ouvrir à nouveau le pensionnat. « Depuis le décret qui exclut les prêtres de l'éducation cet établissement, qui étoit sous leur surveillance est demeuré sans vigueur. Cependant depuis quelques jours, aujourd'hui surtout différents citoyens sont venus demander des places pour leurs enfants. Les soussignés vous demandent de les autoriser :

1° A continuer en leur nom cet établissement;

2° De leur permettre "de faire l'acquisition des grains et autres comestibles qu'avaient achetés les citoyens Loup et Josserand qui, l'année dernière, régissoient cette pension (l). »

Ce projet semble avoir échoué, mais ce n'est pas uniquement du fait de la municipalité. En effet, le citoyen Moyse-Robert Se vérin, secrétaire de la commune, demande une place au collège. Il se sent la vocation nécessaire pour former de bons républicains et rappelle au Conseil

(1) Arch. comm., liasse du collège.


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 241

que « la loi d'octobre 1793 (vieux style), l'autorise à procéder au remplacement des instituteurs publics.» Or « deux instituteurs abandonnent momentanément leur poste et partent incessamment pour la frontière (1). » Cette pièce n'est pas datée mais est une allusion au départ de MM. Dupras et Olivier (2). Nous ne savons pas l'accueil fait par le Conseil à la pétition du citoyen Robert Séverin.

Mais le 24 ventôse an II (18 mars-1794), Alexis Morel, officier municipal, Jean-BaptisteBrangier, notable, installent le citoyen Salles, nommé instituteur de mathémathiques, avec sa femme et ses enfants. On lui donne, en outre d'un appartement au deuxième étage, la chambre de Loup, après en avoir levé les scellés sur l'ordre du Directoire et fait l'inventaire des meubles (3).

Que devenait le collège au milieu des graves mouvements provoqués ici par la tyrannie d'Albitte, rien malheureusement ne nous permet de le savoir. Y suivait-on le programme des citoyens Gayet et Buget? avec quel succès? nous ne pouvons pas même en faire la moindre conjecture. Ce qu'il y a de sur, c'est que le collège sous une forme quelconque existait encore le 8 frimaire an III, (26 novembre 1794), car les administrateurs composant le Directoire du district nomment aux places d'élèves de l'Ecole Normale établie à Paris, les citoyees BenoîtNicolas Honoré et Claude Valansot, tous deux instituteurs au collège. Les citoyens Charles Revol et Pierre Gay les remplaceront (4). Leur installation eut lieu deux jours plus tard, et< il semble bien qu'ils fussent les deux

(1) Ld., id, liasse du collège.

(2) Arch. comm., Reg. du Cons. général, 5 germinal an II. '3) Arch. comm., liasse du collège.

(4) Arch. comm., liasse du collège. c


242 ANNALES DE L'AIN

seuls professeurs du collège à cette date. Ce n'est pas assurément un signe de prospérité.

Enfin le 24 prairial an III (12 juin 1795), la municipalité de Bourg désigna provisoirement l'église du ci-devant collège pour l'exercice du culte constitutionnel. Avec cette mention se clôt la brève et trop obscure période révolutionnaire de notre collège. Aucun historien de Bourg ne semble en avoir soupçonné l'existence. Il serait à souhaiter que la découverte de cahiers de cours, dont quelques uns subsistent probablement encore dans des archives de famille, permissent de jeter plus de lumière sur ces années mal connues.

II

Sur ces entrefaites, le 7 ventôse an III (26 février 1795), la Convention adoptait le décret relatif aux écoles centrales. Elle aussi avait senti, comme \a. Conseil général de Bourg régénéré, qu'il ne suffisait pas de détruire mais qu'il était nécessaire de réédifier. Son projet, que je ne commenterai pas, procède de quelques unes des préoccupations des citoyens Gayet et Buget. Il y a caché derrière une façade plus décorative et mieux disposée, la même division en arts inutiles et utiles : les uns legs du passé, les autres promesse féconde d'avenir, et comme le disait notre projet : ancien régime et révolution. Le 3 brumaire an III (24 octobre 1796), Daunou retouchait le premier décret assez mal venu en certaines parties, et au nom de la commission des onze et du comité d'instruction publique présentait le texte définitif de la loi sur l'organisation de l'Instruction Publique. Une école devait êtrte installée dans chaque département avec dix profes-


COLLÈGE ET LYCEE DE BOURG 243

seurs au lieu de treize. Nous en verrons l'économie plus loin, à propos de l'Ecole centrale de Bourg.

En ventôse de l'an III (février ou mars 1795), la date n'est pas très précise les administrateurs du département de l'Ain, offrirent à Thomas Riboud la charge de membre du jury de l'Ecole centrale (1). Thomas Riboud eut un instant d'hésitation. II craignit qu'on ne lui fit un crime d'avoir servi la royauté. Mais les administrateurs eurent raison de cet honorable scrupule. Dans l'oeuvre de réorganisation de la France personne, dirent-ils, ne devait songer au passé mais au présent. Tout citoyen capable de rendre des services devait être appelé aux fonctions publiques, quelque fût son origine (2). Riboud se rendit et le 8 mesidor an III, le jury dont il faisait partie avec MM. Loubat-Bohan, Picquet puîné, lui confia la chaire d'histoire philosophique des peuples et d'économie politique. Il ne put l'occuper, car il fut appelé à la tête du département de l'Ain, avec le titre de procureur-généralsyndic.

Le 9 floréal an IV (29 avril 1796), l'administration centrale de l'Ain, J.-B, Rouyer, président, Buget, Guillon,

il) Plril. Le Duc, La Ré vol. dans l'Ain, VI, 84.

(2) « S'il te restoit encore quelques scrupules, l'administration a pensé qu'ils disparaîtroient à la lecture de la lettre qu'elle a reçu de la commission executive d'instruction publique, dont copie est ci-jointe. Tu verras que nous avons fait d'avance ce qu'elle recommande dans le passage ainsi conçu :

« Sans égard à la profession antérieure, n'examinez que le « mérite et la moralité actuelle. Il n'est pas de tache origi« nelle. Le grand art de l'homme public n'est pas de'briser les « instruments mais de les utiliser. ...» Salut et fraternité. BRANGIER, OLIVIER, ROUSSET, agent national. '

Phil. Le Duc, La Rèool. dans l'Ain, VI, 85.


244 ANNALES DE L'AIN

Bavozat, administrateurs, Lescoeur faisant fonction de commissaire du pouvoir exécutif et Brangier, secrétaire provisoire, déclare e qu'après avoir par son arrêté du 16 germinal dernier, pouvu dans son arrondissement à l'organisation des écoles primaires, il lui reste un devoir non moins important à remplir celui de donner de l'activité à l'Ecole centrale»... et arrête :

ARTICLE 1er. — « L'école du département fixée à Bourg, est établie dans les bâtiments du .ci-devant collège et sera en pleine activité le Pr messidor prochain (1). »

Nous verrons bientôt qu'il fallut attendre au 1er nivôse an V (21 décembre 1796), avant d'inaugurer l'Ecole centrale.

ARTICLE 2. — On annonce que l'enseignement y sera

divisé en trois sections et qu'il y aura dans chacune

d'elles savoir :

( 1° un proffesseur de dessin,

) 2° » d'histoire naturelle,

Dans la I " section . „n , ,

3° » de langues anciennes,

I 4° » de langues vivantes.

Une pétition sera adressée au Corps législatif pour avoir

un professeur de langue allemande « comme étant celle

qui convient le mieux à ce département par les relations

commerciales qu'il a arec la Suisse et l'Allemagne. »

11° un professeur d'éléments de mathématiques, 2° » de chimie et de physique

expérimentale.

(1) Arch. comm. Imprimé chez Dufour et Josserand, Bourg, 4 pages, io-4°. — Liasse du collège.


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 245

; 1° un professeur de grammaire générale,

1 2° » de Belles-Lettres,

Dans la oe section < . .

i 3° » dhistoire.

\ 4° » de législation.

Le recrutement des professeurs est réglé par l'article 3.

Un concours sera ouvert le 20 prairial prochain et fermé le 30 du même mois. Il aura lieu dans la salle des séances de l'assemblée électorale du département.

Pour être admis à l'examen, article 4, « les candidats seront tenus de représenter un certificat de l'administration municipale du lieu de leur habitation qui constatera de leur nom, prénom, âge, qualité et demeure, et en outre de leurs vertus morales et républicaines... »

Le jury, eu plus des citoyens Picquet puîné, Riboud et Loubat aine, « qui forment, d'après l'arrêt du 16 germinal dernier, le jury pour l'organisation des écoles primaires dans l'arrondissement de la rive occidentale de TAin », sera composé des citoyens Perrot, homme de loi, et Louis-Hiacynthe Goiffon, demeurant à Bourg. Mais il est bien entendu que « tous les membres composant les cinq autres jurys d'instruction publique de ce département ont collectivement et individuellement la faculté de se réunir et de faire partie de celui indiqué... pour l'organisation de l'école, l'administration même les y invite ou à députer un de leurs membres. »

Le salaire annuel des professeurs est fixé par la loi du 3 brumaire ; mais il sera de plus réparti entre eux la somme formée par les vingt-cinq livres que payera chaque élève par an. L'administration se réserve d'excepter de Siette rétribution le quart des élèves pour indigence.

'7


246 ANNALES DE L'AIN

« Il sera fait un règlement (art 9)..., les différents jurys d'instruction publique de ce département sont invités de lui faire part à ce sujet d'ici au 15 prairial de leurs vues et observations. »

Enfin, « dans le courant de ce mois, l'ingénieur en chef du département, accompagné d'un membre du Jury de l'Instruction publique..., fera la visite des bâtiments du ci-devant collège.... indiquera.... un local propre à chaque partie de l'enseignement, à l'établissement d'une bibliothèque publique, d'un jardin des Plantes, d'un cabinet d'histoire naturelle et d'un cabinet de chimie, celui de physique expérimentale existant déjà dans lesdits bâtiments. (1) ».

Mais, sans que nous en puissions trouver la raison dans les documents conservés, l'Ecole centrale ne fut pas ouverte à la date fixée.

Fût-ce par manque de professeurs ? réparations et insuffisance de locaux? Les deux causes sont possibles. Quoiqu'il en soit, nous lisons dans le procès-verbal des séances publiques de l'administration de l'Ain, à la date du 9 frimaire an V (29 novembre 1796J, que la date de l'ouverture de l'Ecole centrale est fixée au 1er nivôse (21 décembre). Elle se fera dans la salle de physique par l'administration, en présence du jury d'instruction publique, des administrations municipales, des tribunaux, car « cette installation doit être faite d'une manière solennelle et qui est due à la Restauration de l'Instruction Publique. » Ce sont là de fortes et graves paroles qui traduisent avec bonheur les sentiments des hommes qui travaillèrent à cette réorganisation.

(I) Art. 10.


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 247

L'installation des professeurs aura lieu par appel nominal et par « la déclaration que chacun d'eux fera individuellement de la haine qu'il voue à la royauté et de son attachement sincère à la République, ce dont il sera dressé procès-verbal par l'administration centrale du département » (1).

Le 13 Frimaire an V (3 décembre 1796), l'administration municipale et le Jury d'instruction publique, assistés du citoyen Lingée, ingénieur en chef du département, procèdent à la visite des locaux destinés à l'Ecole centrale et arrêtent les réparations et modifications nécessaires « pour l'ouverture provisoire de la ditte Ecole qui devra être faite, le 1er nivôse prochain (2). ».

Thomas Riboud prononça le discours d'inauguration, que nous n'avons pu retrouver. L'histoire de l'Ecole jusqu'au règlementdu 19 brumaire an IX.(11 novembre 1800), n'est constituée que par les réclamations des professeurs qui sont mal logés, mal éclairés, mal chauffés, mal installés, et, à ce qui semble, très irrégulièrement payés. Le mécontentement atteignit uu tel paroxysme que, le 4 Thermidor an IX, le jury d'instruction publique, la municipalité et l'ingénieur durent se rendre dans les locaux du ci-devant collège et, pour calmer ces esprits émus, procéder à une répartition des appartements en y mettant des numéros et diviser en parts géométriquement égales le jardin (3). Les professeurs mentionnés à cette date sont i\iM. I althazard Tissier, protesseur de plrysique et de chimie; Bea'uregard, professeur d'histoire; Valensot,

(Il Arch. comm., liasse du collège. (~) Arch. comm., liasse du collège. (3) Arch- comm., liasse du collège.


248 ANNALES DE L'AIN

Mermet, professeurs de belles lettres; Luc, professeur d'histoire naturelle ; Clerc, professeur de mathématiques ; Chapuis, bibliothécaire. .

M. Mermet, professeur de belles-lettres à l'Ecole centrale, puis au lycée de Moulins, et enfin censeur des études, était le héros d'une aventure qui fit beaucoup de bruit dans la région bressane. Emprisonné à Brou, Rollet Marat au nom d'Albitte lui proposa de se marier s'il voulait éviter la guillotine. Mmc Mermet, mise au courant de cette démarche, décida Mlle Vuilleminot, fille d'un notaire de Courmangoux, à se prêter à un simulacre de mariage. Il eut lieu le 29 ventôse au II (19 mars 1794) ; six mois plus tard, M. Mermet demanda le divorce et l'obtint, sous prétexte qu'il n'y avait jamais eu de domicile commun. Enfin, le 28 mars 1795, M. Mermet se rétracte devant la municipalité de Bourg, et le 1er mai suivant, un envoyé de l'archevêque de Lyon, lut à Notre-Dame la rétractation solennelle du futur professeur à l'Ecole centrale, le releva de ses censures et le réhabilita dans ses fonctions sacerdotales.

M. Valensot était un des survivants du collège parlementaire et un de ceux qui avaient essayé de le faire vivre pendant l'orage parlementaire. C'est ainsi que le passé se continuait dans des formes nouvelles et que se renouait l'anneau de la tradition.

Le 30 Thermidor an V (17 août 1797), les professeurs de l'Ecole centrale demandent à établir un pensionnat (1). L'administration en principe est favorable à cette demande, mais subordonne son acceptation à la possibilité de trouver un local indépendant, salubre et propre à une surveillance constante.

(1) Arch. comm., liasse du collège.


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 249

Le 14 nivôse an VI (3 janvier 1798), l'administration se préoccupe du chauffage et ordonne d'acquérir un poêle pour la salle de dessin, dont le professeur semble avoir été, à cette date, le citoyen Cochet, encore un des survivants du collège révolutionnaire (1). Le 22 Pluviôse de la même année (10 février 1798), le citoyen Chapuy, bibliothécaire, est autorisé à faire transporter à l'Ecole centrale les livres qui sont dans la maison de Fenille, ainsi que les rayonnages, qui sont la propriété de la nation, car il ne peut en dresser catalogue autrement et les professeurs ne peuvent s'en servir (2). Cet arrêté est signé Pâté, secrétaire général, que nos grands pères facétieux avaient baptisé Pâté de deux sous.

Le 28 Pluviôse de l'année suivante (16 février 1799), l'administration fait savoir que le ministre, par un décret du 1er, a alloué une somme de 6,700 fr. o pour achat et entretien des objets nécessaires pour le service des différents cours de l'Ecole centrale (3). n. Le premier emploi de cette somme est la mise en adjudication au rabais de tables de dessin, dont le prix maximum ne pourra excéder 750 fr. (4).

Le 27 Floréal an YI (10 mai 1798), on réclame du citoyen Tissier, professeur de chimie, un inventaire des instruments, fournaux, sels de la salle de physique ; puis, en sa présence, cet inventaire est reconnu, le 1er prairial an VI (20 mai 1798), par le citoyen Goyffon, président de l'administration municipale de Bourg.

(1) Arch. comm., liasse du collège.

(2) Kl., Id.

(3) Arch. comm., liasse du collège (1) Id. Kl.


250 ANNALES DE L'AIN

Enfin le 18 Germinal an VII (7 avril 1799), le citoyen Jean-François-Marie Grindon, homme de loi, juge au tribunal civil, est nommé professeur de législation.

C'est avec ce renseignement que se termine la première période de l'Ecole centrale. La deuxième commence avec le Règlement provisoire 'pour l'Ecole centrale de VAin, « fait arrêté et clos par nous, membres du jury d'instruction publique présents à Bourg ce 19 brumaire an IX (H novembre 1800), signé d'Apvrieulx et Favier puîné. » Il fut approuvé le même jour par le maire de Bourg, Chossat Saint-Sulpice, et par le préfet de l'Ain, J.-A. Ozun. Le ministre de l'intérieur, par une lettre du 19 frimaire de la même année (11 décembre 1800), en autorisa l'application provisoire. Nous ne le transcrirons pas en entier. Il occupe les huit premières pages in-folio du Registre de l'Ecole centrale qui est déposé dans le cabinet du Proviseur du Lycée Lalande, et se divise en neuf titres : 1° organisation; 2° ouverture, clôture, division et heures des cours ; "3° conditions à remplir par les élèves pour être admis à un ou plusieurs cours ; 4° discipline ; 5° morale ; 6° examens ; 7° composition ; 8° récompense; 9° distribution des prix.

1° Organisation. — Le conseil de l'Ecole sera composé de trois professeurs choisis par le préfef sur présentation du jury d'instruction publique. « Le premier nommé présidera sous la qualité d'inspecteur, le deuxième remplacera l'inspecteur en cas d'absence ou de maladie, le troisième... fera les fonctions de secrétaire. ° Le conseil, après formation, s'adjoindra un suppléant. L'inspecteur convoquera le conseil tous les 25 du mois et chaque fois qu'il le jugera nécessaire. Le portier et tous les employés à gage... seront sous la surveillance et sôus les ordres


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 251

immédiats de l'administration municipale ; le portier sera nommé sur la présentation de l'inspecteur et le jardinier botaniste sur celle du professeur d'histoire naturelle. La porte du collège sera fermée tous les soirs à dix heures en hiver et à onze heures en été.

2° Ouverture, clôture, division et heures des cours. — « Les cours commenceront le 15 brumaire (5 ou 6 novembre) et finiront le 15 fructidor (3 ou 4 septembre). Les cours sont divisés en trois sections (1), comme dans le projet cité plus haut. Les élèves ne pourront suivre plus de deux cours. « Les cours de langues anciennes, de mathématiques, d'histoire et de grammaire générale seront ouverts depuis neuf heures du matin jusqu'à onze. Les cours de dessin, de physique, d'histoire naturelle, de belles-lettres et de législation depuis deux heures après-midi jusqu'à quatre. « Tous les cours seront publics ; en conséquence il y aura dans chaque salle un emplacement destiné aux amateurs; ceux-cy ne pourront point interrompre le professeur, ni lui faire des questions avant la fin du cours. » Le professeur de physique donnera tous les quintidis une leçon de physique expérimentale pour les amateurs. « Chaque année, avant l'ouverture des cours le jury d'instruction publique et les professeurs réunis formeront le programme des matières à enseigner : ils fixeront même un autre ordre de cours,

(1) 1er Section : Cours de langues anciennes, d'histoire et de dessin ;

2e Section : Cours de mathématiques, d'histoire naturelle et de physique expérimentale;

3° Section : Cours de belles-lettres, de grammaire générale et de législation,


252 ANNALES DE L'AIN

si l'expérience en démontre la nécessité. » Tous les cours vaqueront les quintidis et les décadis

Ce qui me semble le plus remarquable dans ce titre c'est avec la préoccupation de faire une grande place dans l'enseignement au public extérieur, la flexibilité des programmes. Il y a là un sentiment très exact des nécessités d'une époque où tout était à réorganiser. Dix ans de troubles avaient fait oublier jusqu'à la pratique des métiers les plus simples. Il n'y avait plus ni architectes, ni maîtres ouvriers; on ne savait ni bâtir ni dessiner un meuble; rien n'est plus visible à Bourg et dans toute la région lyonnaise. Mais à ce sentiment si juste ne correspondirent pas suffisamment les écoles centrales : l'enseignement pratique y céda trop vite la place à l'enseignement théorique et les amateurs laissèrent vide la place qu'on leur avait réservée.

3° Conditions à remplir par les élèves pour être admis. — Il faut pour être admis aux cours de langues anciennes avoir douze ans accomplis et pouvoir répondre sur les déclinaisons et conjugaisons, les règles élémentaires de la sjnitaxe et expliquer les premiers auteurs classiques; aux cours de belles-lettre avoir seize ans accomplis et être en état d'expliquer Tite-Live, Virgile et Horace; au cours de dessin, avoir douze ans accomplis et pour la classe d'architecture connaître en outre l'arithmétique et les premiers éléments de géométrie; à celui de mathématiques être âgé de quatorze ans accomplis et connaître au moins les quatre premières règles et leur application aux nombres fractionnaires; à celui de physique être âgé de quatorze ans accomplis et pouvoir répondre sur l'arithmétique, la trigonométrie comprise; à celui d'histoire naturelle être âgé de quatorze ans, et pouvoir


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 283

expliquer les premiers auteurs classiques, et connaître les premiers éléments de géométrie,

Les professeurs sont chargés de faire passer cet examen dans la première décade qui suit l'ouverture des cours et le conseil prononce sur leur rapport. Mais il est juste de noter ici une idée heureuse \ les élèves, dans le courant de Tannée, peuvent avec le consentement de leurs parents passer d'un cours à l'autre à condition d'en subir l'examen. Cette pratique existe dans les écoles anglaises et y donne les meilleurs résultats pour le travail, les progrès et l'émulation.

4° La discipline. — Les dispositions de ce titre sont on ne peut plus dignes d'éloge. L'élève doit obéissance et respect au maître « en raison des fonctions honorables qu'il remplit au nom de l'Etat et comme dépositaire de l'autorité paternelle. » Le maître doit user comme un père de « remontrances amicales », de « punitions légères, comme augmentation de travail, séparation du reste des élèves, ordre de rester à la porte de la salle intérieurement, a

5° Morale. — Ici il faut citer textuellement. Rien ne caractérise mieux les eflorts de cette époque pour se rattacher au passé :

« L'exercice delà morale, surtout à l'égard de Dieu, est la première et la meilleure leçon, elle doit servir de base à toutes les autres.

ART. 1er. — « Lorsque les élèves seront rendus dans leurs salles respectives, chaque professeur donnera un signal ; alors il se fera un silence profond, les élèves dans une attitude respectueuse et tournés du même côté, recueilleront les paroles suivantes que le professeur placé de la même manière prononcera à haute et intelligible


254 ANNALES DE L'AIN

voix : Dieu est présent partout ; il voit jusqu'à nos plus secreties pensées ; remercions le de ses bienfaits ; demandons lui la grâce d'en faire un bon usage.

c Après ce recueillement, les élèves, au signal donné par le professeur, se remettront à leur place et la leçon commencera.

ART. 2. — « Avant de terminer la classe le professeur, après avoir ordonné le silence, chacun restant à sa place, prononcera à haute voix les deux maximes suivantes : Ne faites en secret que ce que vous ne craindriez pas de faire en public. — Ne faites pas à autrui ce que vous sériés fâché qui vous fut fait à vous mêmes.

ART. 3. — « Le dernier jour de chaque décade les professeurs feront, chacun dans leur classe, pendant une demie heure une lecture de morale.

ART. 4. — « Les professeurs et le Bibliothécaire, feront alternativement, et le trente de chaque mois à la salle de physique, un discours de morale en présence de leurs collègues, des élèves, des membres du jury d'instruction publique et des citoyens qui voudront y assister.

ART. O. —« Dans les instructions particulières et publiques, les professeurs s'abstiendront de traiter d'aucun système de philosophie dont les incertitudes sont toujours nuisibles à l'instruction de la jeunesse, ni d'aucun sujet qui puisse attaquer les opinions religieuses. »

Les titres 6 des examens et 7 des compositions n'ont rien de caractéristique, si ce n'est que les sujets seront choisis « dans un conseil présidé par le préfet et composé des maire et adjoints, du jury d'instruction publique et de l'inspecteur de l'école. » Le même conseil les examinera les professeurs y étant appelés.


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 255

Au titre 8 il est question d'un grand prix, constitué par une médaille d'argent, qui sera décerné par les suffrage des élèves recueillis quelques jours avant les vacances.

9° Distribution des prix. — La liste des lauréats ne sera imprimé qu'après la cérémonie. « Les certificats joints aux prix et les accessit, seront imprimés d'avance, les noms seront laissés en blanc et tran;-crits par un secrétaire à mesure qu'on les distribi era.»

Voilà résumé, en ses parties essentielles, le règlemeut de l'Ecole centrale, en vertu duquel le 28 frimaire an IX (20 décembre 1800), le conseil composé de MM. Chapuy, inspecteur, Mermet, suppléant, Valensot, secrétaire, arrête la liste des neuf professeurs, qui le 30 de chaque mois feront le discours de morale à onze heures précises du matin. Malheureusement aucun de ces discours ne nous est parvenu. Le reste de l'année est vide d'incidents. Nous savons seulement par une lettre du préfet Ozun que le professeur de dessin probablement le citoj'en Cochet est démissionnaire. Le préfet charge provisoirement de remplir ces fonctions (1), le citoyen Ange Boily qui, pour je ne sais quel raison ne fit que passer (2). Le jury d'instruction publique propose à titre provisoire le citoyen Innocent Goubaud, natif de Rome et de famille française qui présente un certificat signé par « Visconti

(1)'Bourg, le 13 nivôse an IX (4 janvier 1801)- Reg. de l'Eeole centrale, p. 12.

(2) Le jury se fait présenter « l'extrait de la nomination provisoire du citoyen Ange Boily... lequel a bien voulu pour le bien public remplir la vacance de la place de professeur de dessin, jusqu'à l'arrivée du sujet... demandé au ministre.» Id;, id., p. 10-11.


256 ANNALES DE L'AIN

de Rome, antiquaire et membre du conseil du Musée central des arts et Benedetto Mauri, architecte et graveur romain et François Piranelli, artiste. » Le jury se fait ensuite montrer quelques ouvrages du citoyen Goubaut, l'interroge et se déclare satisfait (1). Goubaud prend possession de son poste et signe au registre le serment de fidélité à la Constitution de l'an VIII, le Pr ventôse suivant (20 février 1801). La môme année (7 germinal, 28 mars), le jury d'instruction publique décide que les professeurs « sont invités à prévenir ceux qui se présenteront dans leurs cours comme amateurs, que cette qualité ne peut être reconnue qu'à ceux qui auront atteint l'âge de vingt-un ans (2). »

Le 9 brumaire an X (31 octobre 1801), l'assemblée des professeurs procède au renouvellement du conseil. Le procès-verbal insiste sur ce point que « le citoyen préfet a manifesté l'intention formelle de laisser aux professeurs le droit de nommer leur conseil d'administration (3). » Il faut donc en conclure que jusque là ils n'avaient ce droit qu'eu théorie. Le citoyen Mermet est nommé président, Luc, vice-président et Clerc, secrétaire. Je relève un nom nouveau parmi les professeurs, qui ont signé le procèsverbal c'est celui de P.-E. Durand, à côté duquel on peut lire assez sûrement professeur de grammaire générale.

Mais il était écrit que les professeurs de dessin ne séjourneraient pas à Bourg et, le 1er frimaire an X (22 novembre 1802), le conseil doit décider qu'un des plus forts

(1)29 pluviôse au IX (18 janvier 1801). Reg. de l'Ecole cent., p. 11.

(2) Id., id., p. 12,signé d'Apvrieulx et Gainet Saint-Germain.

(3) Reg. de l'Ecole cent., p. 13.


COLLÈGE. ET LYCÉE DE BOURG 25?

élèves remplacera Innocent Goubaud, qui n'a pas reparu depuis l'ouverture des cours. Le citoyen Cluny « sera invité à rendre un service aussi important à ses condisciples et à ses concitoyens (1) »

Je laisse de côté une modification peu importante dans les heures de service pour arriver à l'installation d'Ampère.. « Séance du 1er ventôse an X (20 février 1802). Présents les membres du jury d'instruction publique et ceux du conseil d'administration de l'Ecole centrale.

« S'est présenté le citoyen Amperre, nommé par arrêté

du préfet de l'Ain, en datte du jour d'hier, à la chaire

'vacante de plrysique et chimie expérimentale de l'Ecole

centrale de ce département lequel a demandé a être

installé comme il est dit dans l'arrêté de sa nomination.

« Lecture faite de cet arrêté, le citoyen Amperre a prêté le serment de fidélité à la Constitution de l'an VIII, ainsi qu'il suit : .

Je promets fidélité à ta Constitution de l'an VIII. Et de suite il a été installé dans sa fonction. » Ampère a signé ainsi que D'Apvrieulx, Gamet Saint-Germain, Favier puîné, membres du jury, Mermet, Luc et Clerc, membres du bureau d'administration. Quatre jours plus tard Ampère, en présence de son prédécesseur Tissier, prenait possession des appareils du cabinet de physique. Le récolement qui en fut fait montre que si vingt-trois objets inscrits dans l'inventaire ne s'j' retrouvent pas, il y en a vingt-huit de plus que ceux portés à l'inventaire (2), M. Tissier neparaît pas avoir été un modèle d'ordre. Son successeur l'illustre Ampère était encore plus distrait, car

(1) Reg. de l'Ecole cent., p. 15

(2) Registre de l'Ecole cent., p. 17-19.


258 ANNALES DE L'AIN

il emporta en quittant Bourg l'inventaire qui lui avait été remis (1).

Ampère par sa correspondance (2), avec sa jeune femme Julie, restée à Poleymieux, près de Lyon, nous permet de ressaisir ce qu'était la vie d'un professeur à l'Ecole centrale. Il a un traitement fixe de 2,000 francs et un appartement dans les bâtiments du collège. Voici ses premières impressions sur la maison : « J'ai vu le cabinet de physique, le laboratoire de chimie et l'unique petite chambre avec alcôve, [et] petit débarras à mettre le bois. J'ai été fort content des machines; le laboratoire a un grand manteau de cheminée par où doivent s'exhaler les» vapeurs nuisibles... La portière de l'école, est une pauvre femme, mère de six enfants, qui ne peut se tirer d'affaire qu'en faisant le ménage et les commissions des professeurs. Elle a déjà balayé et nettoyé l'appartement dont je viens de te donner la description (3). » Il se lie avac un de ses collègues M. Beauregard, professeur d'histoire, prend « pension chez [lui] à quarante francs par mois. » Hélas? on lui en conte de toutes sortes sur son hôtesse : « J'en veux à M. Ribon (Riboud), de m'avoir fait faire connaissance avec son mari ; je crois du reste que le meilleur est de ne faire semblant de rien, et de dîner dans ma chambre dès que le mois sera fini... La nouvelle chambre qu'on m'a donnée au collège, est malheureusement séparée par un jardin de l'ancienne, qu'on me laisse aussi ; mon logis consiste en quatre muraille> grises,, une cln minée et une

(1; Id ,id., p. 27.

(2) André-Marie Ampère correspondance <t souvenirs (de 1793 à 1805), recueillis par Mme II. C, Paris, Hetzel et Cc.

(3) André-Marie Ampère, p. 174.


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 259

fenêtre (1). La tradition n'en a pas gardé le souvenir et je ne sais où la placer. Lalande nous apprend qu' « Ampère, professeur de physique, fait un cours d'anatomie qui est suivi (2). » Il professait dans la salle de physique. Son discours d'inauguration est écrit dans le style emphatique alors à la mode (3). Ce fut peut-être, le talent aidant, une cause de succès. Quoi qu'il en soit, le 10 messidor an X (29 juin 1802), il fut présenté à la Société . d'Emulation, élu le 6 thermidor et reçu à l'unanimité le 20 (8 août 1802).

Lalande y rendit compte du travail d'Ampère, Considération sur la théorie mathématique du jeu. Il n'effleura que le sujet. La raison donnée par Ampère est peutêtre légèrement injuste et malicieuse : « Je fis avant-hier une visite à M. Delalande ; il me donna de grands coups d'encensoir... il finit par me demander des exemples en nombre de mes formules algébriques... pour mettre mes résultats à la portée de tout le monde dans le rapport qu'il en ferait... Il doutait même, ajouta-t-il, que des gens de la force de M. Clerc me comprissent... J'ai conclu de tout cela que M. Delalande n'avait pas voulu se donner la peine de suivre mes calculs qui exigent en effet de profondes connaissances en mathématiques (4). »

Voici l'emploi des journées du jeune savant: « M. Clerc (son collègue et ami) travaille avec moi de six heures du matin jusqu'à dix. Gripière (un élève auquel il donne des

(1) André-Marie Ampère, 181-82.

("2) Jarrin, Ampère (innales de la Société d'Emulation, 18:2, p. 99).

(3) André-Marie Ampère, 191.

(4) André-Marie Ampère, p. 240-41.


260 ANNALES DE L'AIN

répétitions) de onze heures et demie à une heure ; l'aprèsmidi, de trois heures jusqu'à quatre, c'est ma leçon de plrysique ; le reste de mon temps je pense à Julie et aux ouvrages que je médite. Pendant la vacance du décadi, M. Clerc fait avec moi des expériences de chimie. Hier, je ne fus souper qu'à dix heures, bien las d'avoir pilé, broyé du charbon et soufflé le feu pendant douze ou treize heures, mais content d'avoir réussi quelquefois. Ah! si tout cela me faisait arriver au Lycée (de Lyon) (1). »

Ampère y partit en vacances. Les heures coulaien^ trop courtes et trop rapides à Poleymieux, lorsqu'une lettre de Clerc vint attrister Julie et André, Bonaparte songeait à renverser les Ecoles centrales.

« A L'ourg, 9 brumaire.

« Nous sommes perdus, mon cher ami ! Vous connaissez aussi bien que moi l'arrêté des consuls relatif aux écoles centrales de l'arrondissement de Ljou.

o Je vous annonce encore deux jours de bonheur domestique; notre rentrée n'aura lieu que le 17; elle sera triste, tranquille, obscure et sans la présence d'aucune des autorités constituées.

« Je ne sais pas comment nous pourrons enseigner jusqu'en germinal, puisque, à la réception de l'arrêté des consuls, le préfet devra faire apposer les scellés sur la bibliothèque, le cabinet et autres dépôts.

« La ville de Bourg va organiser son Ecole secondaire, de manière qu'elle vive à l'instant où nous mourrons. Il est dur de dépendre du gouvernement, mais il le sera bien davantage d'être sous la domination d'une pe(1)

pe(1) Ampère, p. 2iOT41.



PORTE DU COLLÈGE (1752)


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 261

tite ville. Ne pourrions-nous pas former à Lyon un établissement qui nous mît tous deux hors de la dépendance ? Pensez,-y, car aussi bien il y a guère à faire pour nous à Bourg. Cinq à six cents francs, tel sera le traitement des régents du collège futur, si toutefois on leur en assure.

c M. Goubaud est encore à Paris ; on ignore même s'il en reviendra. Nous avons vu hier le préfet, qui nous a dit que le gouvernement ne lui avait point encore alloué de fonds pour l'enseignement de l'an XI, et qu'il n'avait envoyé que la moitié du traitement de fructidor dernier. Le préfet ne fournira rien aux dépenses de l'école projetée à Bourg: la ville sera chargée de tout.

« Nous aurons très peu d'élèves cette année : les étrangers à Bourg n'enverront pas leurs enfants pour quatre mois... » (1).

CINQUIÈME PÉRIODE Le Collège

(1803-1856)

L'arrêté du gouvernement, prévu par M. Clerc, parut le 11 germinal an XI (1er mai 1803). En voici la teneur : « Vu la loi du 11 floréal an X (1er mai 1802), les arrêtés des 4 messidor suivant (23 juin), et du 30 frimaire an XI (21 décembre 1802), sur le rapport du ministre de l'intérieur [le gouvernement] arrête ce qui suit :

ART. 1er « La commune de Bourg, département de l'Ain, est autorisée à établir une école secondaire dans le local de

(1) André-Marie Ampère, p. 236-57.

18


262 ANNALES DE L'AIN

l'Ecole Centrale, qui lui est concédé à cet effet, à la charge par ladite commune de remplir les conditions- prescrites par l'arrêté du 30 frimaire an XL »

a Le premier consul,

BONAPARTE. » (1).

Quelle que fut l'intention secrète du premier consul que des rêves d'Empire hantaient déjà, la suppression des Ecoles Centrales était réclamée par l'opinion publique. Leur programme primitivement encyclopédique avait été assez judicieusement mais timidement élagué par Daunou, qui d'ailleurs avait trop oublié que toute institution nouvelle ne peut durer si elle n'est comme un prolongement logique et un aboutissant des institutions antérieures. Or, il n'en était rien. Malgré la division des matières d'études en trois sections, il y avait mélange et confusion de l'enseignement primaire, secondaire et supérieur. En outre, les élèves et j'ajoute les maîtres avaient l'habitude des classes et non des cours : il fallait aux uns et aux autres pour avoir confiance et se reconnaître la division traditionnelle en cinq ou six années d'études où tout roulait autour du latin. Enfin, il leur manquait peut-être, comme l'avait senti et réclamé nos professeurs de Bourg, un pensionnat. L'habitude en était prise et, pour avoir rompu hâtivement avec elle, on avait travaillé uniquement au succès des institutions libres. Il y en avait deux' chez nous fondées par des survivants du vieux collège parlementaire et du collège révolutionnaire, M. l'abbé Creuset et MM. Olivier et Dupras. Elles seront le noyau du futur collège.

Quoi qu'il en soit du jugement à porter sur les Ecoles

(I) Arch. comm. Liasse du collège, copie.


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 263

Centrales dans les autres départements, on les jugeait défavorablement chez nous. Dans un rapport et projet d'arrêté pour le collège, non daté, mais qui semble du milieu de l'année 1802 (août ou septembre), nous lisons que la ville, avec les revenus des biens des Jésuites et une subvention de 1750 livres, « a soutenu cet établissement dans un état tel qu'il a toujours été regretté, même pendant la durée des Ecoles Centrales ; il est vrai que la province venait de temps en temps à son secours et notamment, en 1786, elle accorda une somme de 6,000 1. pour être employée aux achats des machines et instruments de physique, qui étaient, lors de l'entrée de l'Ecole Centrale, en plus grand nombre et en meilleur état qu'ils ne sont actuellement ( I ). » Une note en marge ajoute que la dépense des Ecoles Centrales était à la charge du département et non de la ville. Rien ne me parait montrer avec plus d éloquence le regret du vieux collège parlementaire, puisqu'on en vient chez nous à trouver légère cette malheureuse subvention de 1750 livres, qui, chaque année, désolait nos très économes maire,, syndics et conseillers.

Nos édiles autorisés par l'arrêté des Consuls, cité plus haut, se réunissent le 1er floréal (21 avril 1803) et décident l'établissement d'une école secondaire. Trois jours plus tard. M. Creuset, prêtre, ancien professeur de logique au collège parlementaire, est nommé directeur ; MM. Dupras et Olivier sont déclarés associés à M. Creuset pour la régie du collège.

MM. Dupras et Olivier, comme nous l'avons dit plus haut, avaient établi à Bourg, à côté de l'Ecole Centrale,

(1) Arch. comm. Liasse du collège.


264 ANNALES DE L'AIN

un pensionnat, où les professeurs de l'Ecole Centrale venaient donner des répétitions. Les consuls, par un arrêté du V frimaire an XI (26 novembre 1802), avaient accordé à ces écoles le titre de secondaires (1), et un certain nombre de professeurs, parmi lesquels se trouvaient André Ampère et son ami Clerc, y trouveront un emploi à la suite de la suppression de l'Ecole Centrale.

Ampère bien triste revint à Bourg.

« Le vent avait cassé la fenêtre de ma chambre en automne, la bise l'a achevée. Mes papiers, mes livres étaient couverts de trois doigts de neige... » Il emporte le tout à la pension Dupras et Olivier. « Je suis logé et nourri en prince... On allume mon feu à six heures; je m'habille en me chauffant. Je n'aurai que mon blanchissage à payer des étrennes à la fi île : tout le reste de mon traitement ira à Lyon. Tout va le mieux du monde du côté de la vie physique, mais mon âme jeûne... »

« De ce logement de prince, dit M. Jarrin, on peut aisément s'informer. Une des chambres de la maison Olivier (rue du Gouvernement), s'appelle encore la chambre d'Ampère (2)... »

Notre Ampère resta à Bourg jusqu'au 16 avril 1803; il avait été nommé à Lyon le 13. Sa fortune fut décidée par l'inspection de Delambre. Il fit à Ampère « un accueil très distingué... Mes élèves n'ont pas mal répondu sur les mathématiques, mais ils avaient trop peu de leçons pour être forts ; ils l'ont été extrêmement sur tout le reste. Les inspecteurs enchantés, après l'avoir témoigné de mille manières, ont fini par dire à MM. Dupras et Olivier qu'ils

(1) Arch. comm. Liasse du collège.

(2) Annales de la Société d'Emulation, 1872, 110.


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 265

n'avaient pas encore trouvé une pension qui valût la leur (1)..»

Delambre retrouva Ampère à la Société d'Emulaiion le 11 ventôse an XI (2 mars 1803). a M. de Coninck, second préfet de l'Ain, nommé à son arrivée ici membre résidant de la Société, plus tard président, était au fauteuil. La Compagnie fit montre de toutes ses ressources. M. de Bohan débuta par un Mémoire sur les haras. — M. Clerc vint ensuite avec un travail sur la recherche de racines des équations qui sont entr'elles dans un rapport quelconque connu. — Puis M. Riboud avec des Fragments de voyage dans le déparlement. Ampère suivit avec ses Formules de calcul des variations appliquées aux problèmes de la mécanique. L'analyse de son travail est suivie dans le registre des délibérations par ces deux lignes :

« MM. Delambreet Villars ont fortement engagé M. Ampère à suivre cet intéressant travail et à le communiquer à Lagrange, qui le verrait avec un grand plaisir.

« M. Chapuis continue une Description de médailles trouvées à Bourg. — M. Riboud revint avec la Description d'une ente par approche. — Enfin, M. d'Apvrieulx conronna une journée... aussi pleine par un Discours ■moral sur le bonheur, où il trouva occasion de payer un juste tribut au chef du gouvernement français... M. de Moyria avait intercalé trois fabies entre ces lectures graves.

«Les deux examinateurs « exprimèrent à la Sociétécombien ses travaux inspiraient d'intérêt et lui donnèrent les marques les plus flatteuses d'estime et d'encourage(1)

d'encourage(1) Ampère, p, 294.


266 ANNALES DE L'AIN

ment. » Sur quoi, après leur sortie, on les nomma membres correspondants. Delambre parlant de la séance le lendemain dit que « Laplace et Lagrange ne désavoueraient pas le travail d'Ampère. »

«Au collège l'académicien dit aujeune professeur : «Tout ce je vois de vous confirme l'idée que j'en avais conçue. Je vais à Paris porter mes observations sur ceux qui se présentent (pour les LycéesJ. Votre place est à Lyon. Le gouvernement n'a rien changé encore à ce que j'ai fait; il ne commencera pas à propos de vous. D'ailleurs je serai là et veillerai (1). »

Nous avons vu que Delambre tint parole. Hélas ! Julie mourut- trois mois plus tard et ne put goûter pleinement le plaisir de la réunion.

J'ai tenu à citer cette page pour sa valeur littéraire, les souvenirs honorables qu'elle renferme pour la Société d'Emulation, et aussi pour caractériser mieux cette renaissance, des lettres et des arts dans notre petite ville. Mais revenons au collège

M. l'abbé Creuset, directeur et.ses associés Olivier et Dupras, conformément au traité du 4 floréal an XI (24 avril 1803), quatre jours après le départ d'Ampère pour Ljron, agréèrent sur la nomination du conseil municipal comme professeur de belles-lettres, au traitement de l,400fr., le citoyen Beauregard, ancien professeur de rhétorique au collège de Belley, marié et professeur d'histoire et de grammaire française à l'Ecole centrale supprimée.

Professeur de latin lreclasse, le citoyen Olivier, 1,200 fr.

(1) Jarrin, Annales de la Société d'Emulât, de l'Ain, 1872, 115-116.


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 267

Professeur de latin 2e classe, le citoyen Valensot, professeur à l'ancien collège de Bourg, marié, professeur de langue latine à l'Ecole centrale, 1,200 fr.

Professeur de latin 33 classe, le citoyen Dupras, 1,200 fr.

Professeur de dessin et d'architecture, le citoyen Shmitt, de Genève, 1,200 fr.

Professeur de physique et de mathématiques, le citoyen Salles, professeur à Paris, 1,400 fr.

Le citoyen Chapuis, prêtre catholique, ex-bibliothécaire à l'Ecole centrale est nommé conservateur de la bibliothèque de la ville de Bourg, avec 400 fr. et un logement dans les bâtiments de l'Ecole secondaire.

Ces traitements, sauf le dernier, doivent être payés par les associés ; ils ont encore à leur charge 200 fr. pour le cabinet de phj'sique, 8 places gratuites d'externes à la nomination du conseil municipal. En retour la ville leur accorde une subvention de 3,000 fr., les prix et les autorise à percevoir 4 fr. par mois des externes pour un seul cours, 6 fr. pour deux; 5 fr. des internes quelque soit le nombre de cours ; le prix de la pension des internes n'est pas fixé par le conseil municipal (1).

La direction de M. Creuset dura jusqu'au 1er novembre 1809. Le seul événement notable de ces six années

(I) Le préfet nomme une commission administrative qui «sera le régulateur de l'école secondaire. » Elle est composée par l'arrêt du 14 germinal a*n XII (4 avril 1804), de MM. De Conninlc, préfet ; Chossat Saint-Sulpice, maire; Perrot. commissaire du gouvernement près le tribunal civil ; Sevré, Bernard Vorgel, délégué du conseil municipal ; Chevriêr, juge de paix ; Creuset, directeur de l'Ecole. Arch. [comm., Registre du collège, p. 1.


268 ANNALES DE L'AIN

est la visite de Napoléon. J'en transcris le récit tel qu'il a été rédigé par M. Creuset, je crois, aux pages 6-8 du registre du collège.

« L'empereur Napoléon Ier, allant à Milan se faire couronner roi d'Italie, est arrivé à Bourg le 3 germinal de l'an XIII (24 mars 1805), sur les cinq heures du soir. A peine sa Majesté est-elle descendue de voiture, qu'elle monte à cheval pour voir les environs de la ville de Bourg et surtout l'église de Brou. En rentrant elle met pied à terre au collège où elle est reçue par MM. le directeur, les professeurs et les élèves pensionnaires, au milieu des plus vifs applaudissements et des cris mille fois répétés : Vive notre Empereur! Vive le grand Napoléon ! Elle a daigné passer en revue tous les élèves, a témoigné sa satisfaction sur leur tenue et l'air de santé qui brillait sur leur visage, a admiré les bâtiments, le clos et la situation avantageuse du collège. Elle s'est fait rendre compte dans le plus grand détail du règlement, du prix de la pension, de la nourriture, des exercices permis pendant les recréations, des parties de l'enseignement, du nombre des professeurs et des élèves. » Puis l'Empereur interroge en mathématiques Pierre Jacquemot de Meximieux, qui répond assez bien. En rhétorique Louis Cardon de Sandrans.

« L'enfant a saisi cette occasion pour débiter à Sa Majesté le compliment suivant :

« Jeune et puissant héros dont les vastes vertus « Nous donnent à la fois un César, un Titus

« Toi qui dans ta sagesse, en imitant les dieux « Sais agir et créer et voir tout par tes veux.

« Sa Majesté a eu la complaisance de l'écouter, a donné


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 269

des éloges à l'auteur (1), et satisfait des réponses du jeune Cardon et de l'intérêt avec lequel il a récité les vers, elle l'a sur le champ nommé à un lycée.

« En sortant l'Empereur a ordonné de donner sur le champ un extraordinaire aux enfants, et lorsqu'il est monté à cheval le grand • écuyer de l'empire s'est approché du directeur du collège, lui a dit de se rendre au Palais (2), dans trois quarts d'heure, parce qu'il avait douze cents francs à lui compter de la part de Sa Majesté.

« Le même jour son excellence le Ministre de Tintérieur, qui avait visité le collège quelques heures avant l'arrivée de l'Empereur à Bourg, a écrit la lettre suivante au directeur :

« Bourg. 19 germinal an XIII.

« Le Ministre de l'Intérieur à M. Creuset, directeur de l'Ecole secondaire de la Ville de Bourg.

« Sa Majesté, l'Empereur, en visitant, Monsieur, l'école que vous dirigez a remarqué votre zèle et les succès qu'il a obtenus, jaloux de montrer ce qu'ont à attendre'de sa bienveillance les hommes qui remplissent avec Une semblable distinction l'honorable carrière de l'instruction publique, elle daigne m'ordonner de vous faire connaître qu'elle vous accorde une pension de 600 fr. C'est un vraie jouissance pour moi que de pouvoir vous transmettre le gage de ses bontés en vous assurant de ma sincère estime «

CHAMPAGNY.

(1) Nous supposons que c'est M. l'abbé Creuset lui-nième, car sans cela il l'eut nommé. Ces vers plutôt médiocres sont d'un élève de Dclille, qui n'était, pas poète.

(2) Préfecture, rue Crève-Coeur, aujourd'hui rue Bichat.


270 ANNALES DE L'AIN

Nous laisserons le bon abbé tout à sa joie; elle dura jusqu'au 14 août 1807. C'est la date où commencent les difficultés. Elle sont de deux ordres : financières et morales. Le gouvernement songe à une réorganisation de l'instruction publique. M. Creuset un peu effrayé offre sa démission alléguant ses trente-cinq ans de service, une santé chancelante et le besoin « d'un peu de tranquillité (1). » Puis quelque peu rassuré il retire sa démission la 22 août. Mais les événements suivent leur cours et le gouvernement impérial, 22 janvier 1808, supprime l'allocation de 3,000 fr. que la ville donnait au collège . La raison en est dans conflit de la municipalité avec le Ministre des Finances, qui trouve le budget de Bourg mal établi. Nous verrous plus loin l'issue de cette mauvaise chicane. Enfin M. Olivier, professeur au collège, ouvre un pensionnat. M. Creuset se plaint de ce cumul au conseil d'administration, le 16 novembre 1808. La loi du 17 mars de la même année paraît, dit-il, l'interdire formellement. Le conseil retuse de prendre une décision. Tout cela semble-indiquer un profond désaccord, dont nous connaissons mal les causes réelles. Quoiqu'il en soit, M. Creuset se retira, comme nous l'avons dit plus haut, en 1809. Sa pension fut liquidée à 800 fr. M. Olivier, « maître de pension à Bourg » fut nommé principal, par décret du grand maître de l'Université, Fontanes, en date du 18 octobre 1809.

Le nombre des élèves sous la direction de M. Creuset avait été :

Années Externes Internes Totaux

1803 96 71 167

1804 132 87 219

(1) Arch. comm., Reg. du Collège, p. 11.


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 271

Années Externes Internes Totaux

1805 107 63 170

1806 132 76 208

1807 98 62 160

1808 102 55 157

1809 119 35 154

M. Olivier amena avec lui au lycée les élèves de sa pension et en 1810, il y eut 99 externes, 68 internes, en tout 167 écoliers. Mais les difficultés financières loin de diminuer ne firent que s'aggraver. En 18 J0, le Ministre refusa d'allouer au collège la somme de 2,800 fr. votés par la municipalité. H fallut pour rétablir l'équilibre élever le taux dé la rétribution :

Les élèves de 7e et de 6e 5 fr. par mois. « » 5e, 4e, 3° 6 fr. par mois.

'- » » d'humanité, rhétorique, mathématiques,

7 fr. 20 par mois.

Cette situation misérable se prolongea jusqu'en 1815.

Il fallut l'énergie, le dêvoûment et l'absolu désintéressement de M. Olivier et de ses professeurs pour ne pas mettre les clefs sous la porte. Enfin on fixa l'arriéré du collège à 7,784 fr., qui furent payés sous la mairie de M Bernard, au moyen de la remise du blé et froment provenant des magasins militaires (1).

La ville pour essayer de se tirer de ces inextricables difficultés avait demandé la création d'un Lycée dans une éloquente pétition en offrant de s'imposer tous les sacrifices nécessaires (2).

(1) Arch. comm., Rapport sur la situation du collège depuis la suppression de l'Ecole centrale, 1823. Liasse du collège.

(~2.) Délibération du conseil municipal du 13 mai 1812. Arclr comm. Liasse du collège.


272 ANNALES DE L'AIN

M. de Fontanes y répondit le 3 juin 1812 :

« Monsieur le maire, « J'ignore si le collège de cette commune pourra être érigé en lycée, mais vous ne devez pas douter de mon empressement à consigner votre opinion personnelle et les offres de votre conseil municipal (1)... »

Je n'insiste pas sur ce point car toutes ces négociations furent vaines. Elles ne devaient aboutir que quarante-deux ans plus tard.

Le principal et le bureau demandent, le 29 septembre 1813, l'appui du préfet pour obtenir de Sa Majesté un décret érigeant la chapelle en Oratoire à l'usage du collège, et le 3 décembre de cette même année, sollicitent le patronage du cardinal Fesch, archevêque de de Lyon, oncle de l'Empereur (2). .Tout semble indiquer l'insuccès du bureau. Car dans un rapport sur la situation du collège de 1802à 1816, nous lisons parmi les causes de la décadence de l'école secondaire, indépendamment de l'absence de discipline et des professeurs de rhétorique et de 6e, que cet établissement, où il « n'y a que laïcs mariés et qui manque même d'aumônier», inspire peu de confiance (3).

Ces considérations, qui ne furent pas rendues publiques, sont le signal des difficultés de la ville avec M. Olivier. Ce fut une petite guerre qui dura dix ans et dont la cause véritable me parait être le jansénisme du principal. Un épisode me semble le prouver. Le 15 décembre. 1820, le bureau constate que le cours de logique

(1) Arch. comm. Lias.se du collège.

(î) Arch. comm. Reg. du collège, p. 24-55.

(3) Arch. comm. Liasse du collège.


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 273

compte 21 élèves et il note que les grands réclament, d'après l'usage du vieux collège jusqu'à la fin de 1793, un cours religieux séparé. En effet tous les samedis soir les quatre classes inférieures assistaient à un catéchisme et les autres à une instruction en forme de sermon. Comme l'aumônier ne veut rien changera ses habitudes le bureau accepte la proposition du professeur de philosophie qui s'offre à faire le sermon (1).

Quoi qu'il en soit, l'orage éclata à la suite de la nomination d'une Commission (1) qui, après une inspection de douze jours, déposa son rapport le 21 juin 1828. Elle conclut en termes très vifs et peut-être exagérés : <■ Il résulte de tout ce qui précède que les Etudes au Collège de Bourg sont au-dessous de tout ce qu'on pouvait en attendre et que les progrès des élèves sont loin de répondre aux sacrifices que la ville faits pour leur éducation » (2). Le rédacteur du projet primitif avait dit avec une pointe encore plus acérée : « Personne n'aura profité des sacrifices généreux de la ville de Bourg, à l'exception peut-être des fournisseurs de la maison. » Ce jugement est évidemment injuste à l'égard d'un établissement où Louis Quicherat a enseigné la rhétorique depuis 1822 jusqu'à 1825 et Claude Valensot les humanités depuis le rétablissement du Collège jusque et après 1828. Quant au principal Olivier, on ne tarda guère à lui rendre justice ; nous le verrons plus loin.

(1) Arch. comm. Liasse du collège.

(2) Elle était composée de MM. Belloc, Bouvier, Bonet, Charrassin, yuiiison, Quinsou fils, Chevrier aine, Josseraud, Angeloni, Chupiet, Jarrin, de Puvis, Rossand de Ravel, Carretet, Joly, Jules Pochet, H. Favier, P. Dufour, Eugène Gromier, Cli. Sirand, II. Jayr fils.

(3) Arch. comm., Liasse du Collège


274 ANNALES DE L'AIN

Dans une lettre au maire, du 8 juillet 1827, M. Olivier offrit formellement sa démission, en lui rappelant un entretien qu'ils avaient eu aux premiers jours du printemps pour savoir si le Conseil voulait à la tête du Collège un laïc ou non, et s'il avait un candidat. Sur réponse doublement négative « j'ai cherché au dehors un candidat qui fut considéré au ministère, qui offrit au Conseil municipal les garanties de succès que les familles peuvent désirer et qui voulut traiter de la remise de mon mobilier... (1). » M. Olivier l'avait trouvé en M. Barrau, sous-principal au collège de Niort, ami de M. Creuset, mais le maire de Bourg soutenait M. Lehaitre, (2) professeur de mathématique au Collège, qui avait été un des inspirateurs de la Commission de 1828. Pour départager M. Olivier (3)

(D Arch. comm., Liasse du collège.

(2,i Id. Id., Cf. Lettre de M. Gaillard, inspect. d'Académie faisant fonction de recteur, 8 août 18-27. Liasse du Collège.

(3) Voici le dernier budget du collège sous l'administration de M. Olivier pour 1828 :

Principal Olivier 1 500 en réclamation pour sa retraite

Aumônier Catin (iOO

Mathématiques Lehaitre 1.400 Rhétorique Garadoz 1.400

Seconde. Valensot 1.200 Id.

Troisième Jogues 1.200

Quatrième Raidelet t.u2O0

Sixième Comas 1."!O0

Septième Decoeur 8C0

Dessin Shmith 1.200

Autres dépenses 5.606

13.400 Recettes 6.916

Part à fournir par la ville 6.S50


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 275

et M. le Maire, le Ministre de l'Instruction publique nomma M. Genin, principal. On comprend qu'il fût usé au bout d'un an et cédât la place à M. Garadoz, qui avait remplacé M. Louis Quicherat comme professeur de rhétorique. Son principalat se prolongea de 1828 à 1833. Il organisa une classe préparatoire, décidée par une délibération du Bureau en date du 29 novembre 1828, et dont le professeur devait être rétribué par les élèves qui recevaient ses leçons (1)! Nous savons qu'en cette année 1829 le Collège comptait 116 élèves (2). Enfin M. Garadoz, lassé par une lutte infructueuse contre la mauvaise fortune, redevint, en 1833, professeur de rhétorique et céda la place à M. Pelletier.

Les mêmes difficultés financières attendaient son successeur. Aussi, en 1835, comme M. Chatenay, professeur de philosophie, fort âgé et accablé d'infirmités, demandait sa mise à la retraite, le Bureau propose de présenter M, Pelletier pour la classe de philosophie, « ce serait pour lui un supplément de traitement utile (3) ». Le 9 mai suivant, M. Pelletier était nommé Inspecteur primaire des Ecoles primaires de l'Ain et remplacé par M. Francheteau (4). Ces changements de personnes étaient impuissants. Le nombre des élèves, surtout pensionnaires, n'avait cessé de décroître. M. Soulacroix, recteur de l'Académie de Lyon, ému par cette situation grave, vint sur place faire mie enquête. Pour être plus libre, il obtint

(i; 2i janvier 1829. Arch. comm. Reg. du collège, p. 49.

(2) Id., id., p. 50.

(3) 12 avril 1835, Arch. comm. Registre du Collège, p. 67-08.

(i) Id., id. Installé le o juin, p. 69,


276 ANNALES DE L'AIN

que M. Francheteau se retirât et fit nommer à Bourg M. Letellier, principal du collège de Saint-Chamond (l!. Cela fait, il reconnaît que des économies mal entendues ont eu pour résultat d'abaisser le niveau des études. On avait réuni sous un même professeur la classe de 4me et ome, la 6me et la 7me, le recteur obtint leur dédoublement. Pour répondre au voeu de l'opinion publique, le Bureau recherche les moyens d'établir une table commune au Collège pour les professeurs non mariés, « la prospérité plus grande du Collège paraît, dit le rapporteur, intéressée à cette réunion habituelle (2). Ï Enfin, toujours dans le même ordre d'idées, le Conseil municipal se préoccupe d'obtenir l'érection du Collège communal en Collège royal, et il s'offre à faire toutes les dépenses nécessaires (3). Cette délibération, nous le verrons plus loin, fut renouvelée le 21 avril 1846.

Il résulte de ces mesures une amélioration réelle. Malheureusement M. Letellier quitta trop tôt le collège en 1840, lassé par tant d'efforts et désireux de plus de repos. M. Laurance le remplaça. Sous son principalat fut organisé l'enseignement de l'allemand et de l'anglais. M. Gustave Soldau, allemand d'origine, et qui avait passé trois ans en Angleterre, ouvrit son cours le 2 mai 1841 (4). Son traitement était de 1,200 fr. La même année, 3juillet, le maire de Bourg annonça au préfet l'installation de l'Ecole primaire supérieure annexée au Collège et dirigée par MAL Battey et Guillon (5). Une ordonnance du roi

(\) M., id., p. 72-73.

(2) Arch. comm., Reg. du Collège, p. 72.

(3) 3 sept. 1837, Arch. comm., liasse du collège.

(4) Arch. comm., Reg. du Collège, p. 88.

(ô) Arch. comm., liasse du collège, imprimé.


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 277.

du 18 novembre 1842 donne son approbation définitive aux cours d'instruction primaire supérieure du Collège de Bourg (1). Elle est sous la surveillance directe de M. Laurance, et forme une école absolument distincte.

Le 10 mai 1842, M. Vincent de Gourgos, inspecteur d'Académie délégué par le Recteur, préside le Bureau du Collège. Après des compliments, qui ressemblent fort au miel dont Lucrèce fait enduire les bords d'une coupe amère, il demande, comme jadis M. Olivier, une instruction religieuse plus solide avec des conférences hebdomadaires pour les classes supérieures et dont le programme serait : Morale, histoire de la religion, monuments chrétiens ; une salle pour le dessin et des modèles, l'inspecteur général Alexandre a émis le même avis : un local particulier et absolument séparé du collège pour l'Ecole primaire supérieure ; enfin la fameuse table commune des professeurs. M. Laurance, piqué au vif. je ne sais pourquoi, par cette dernière proposition, fait une réserve aigre-douce, fort mal accueillie par M. l'Inspecteur et le Bureau du Collège (2). Ce fut le commencement des ennuis de M. Laurance. M. de Gourgos revint, en mars 1844, et trouva que l'enseignement primaire supérieur « n'était pas assez professionnel » (3). Les régents se mirent bientôt de la partie et manifestèrent vis-à-vis du principal et du Bureau des sentiments d'indépendance un peu exagérés. M. Brossard, professeur de philosophie, père de l'ancien archiviste de l'Ain, fut la bête noire du proviseur et du Bureau qui demande qu'on lui enlève sa chaire :

(1) Arch. comm., liasse du Collège, imprimé.

(2) Arch. comm., Reg. du Collège, p. 96-97.

(3) Id., id. Reg. du Collège, p. 113-U4.

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278 ANNALES DE L'AIN

« attendu que M. Brossard a adopté dans sa conduite et dans les digressions qu'il ajoute habituellement à son enseignement des principes d'indépendance et d'affranchissement des devoirs hiérarchiques et sociaux... qu'il n'a point paru à la distribution des prix le 21 de ce mois (août 1844) et, que pendant cette solennité il s'est promené dans le jardin du Collège... que là se promenaient des élèves de M. Brossard... » (1). La conclusion ce fut que M. Laurance songea bientôt à changer d'air. On en jasa. Et sur une demande du maire, M. Charrassin, M. Laurance lui écrivit, le 9 août 1848, la lettre suivante :

« Vous désirez savoir ce que vous devez penser des bruits qui se sont répandus dans la ville relativement à mon départ. Ce que je puis vous dire aujourd'hui, c'est que j'ai fait dans le courant de cette année des démarches pour être appelé à la direction d'un autre collège et que j'espère obtenir le changement que je sollicite... >(2).

• Le maire offrit le collège à M. Olivier, le fils de l'ancien principal. M. Olivier répondit en ces termes (12 août 1848) :

« Après la bienveillante proposition que vous aviez daigné me faire... ma première pensée avait été de tirer parti d'un établissement qui est pour moi une propriété particulière et de vendre mon pensionnat en acceptant le principalat... » Mieux vaut pour relever le Collège y diriger les élèves, « anéantir ainsi une concurrence qui paraît lui nuire » (3). C'était la revanche du vieux principal, si

(1) 27 août 1841. Arch. comm., Rég. du Collège, p. 118-119.

(2) Arch. comm.,, liasse du Collège.

(3) Arch. comm., liasse du Collège.


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 279

sévèrement jugé par la commission de 1827-28. On accueillit le fils avec transport.

Mais il convient avant d'aller plus loin de revenir sur deux ou trois faits. L'année 1346 avait vu l'achèvement de la construction de la bibliothèque de la ville, près de la cure, et M. Charrassin prévoyait le transfert pour l'été des 20,000 volumes déposés au-dessus de l'ancienne salle de physique du Collège (1). Ce transfert permit d'approprier ce bâtiment pour y loger l'Ecole primaire supérieure. Enfin le 29 septembre s'ouvrit le concours pour la construction du futur Collège royal. Trois plans furent présentés par MM. Darme, élève de l'Ecole des Beaux-Arts; Meunier, architecte du département; Quantin, architecte de Louhans. La commission fit choix de celui de M. Darme (2).

Les dépenses de gros oeuvre furent évaluées à 240.000 en y comprenant 10,000 fr. pour la façade de l'Eglise.

Le mobilier 80.000

Une partie du jardin de M. Humbert et la

maison de M. Faguet. .. 8.000

En supposant un rabais de 10 °/° sur le gros oeuvre on arrive à une dépense totale de 304.000

La somme sera empruntée à la Caisse des Dépôts et Consignations et remboursée par annuités, de façon à éteindre le capital pour l'année 1862 (3).

.(1) Bourg, le 22 avril 1846, lettre à M. de la Tournelle, député de l'Ain, Arch. comm., liasse du collège.

(2) Id., id.

(3) Arch. comm., liasse du Collège.


280 ANNALES DE L AIN

Qu'advint-il de ce projet? je n'en sais rien. Il semble qu'il ait servi, en partie du moins, lors de la construction des bâtiments du lycée. Et à ce titre devait être mentionné.

Quoi qu'il en soit, le 8 septembre 1848, M. Olivier était nommé par le Ministre en remplacement de M. Laurance. Quelques professeurs du lycée, si nous en crojrons une lettre adressée par la Mairie à M. Charrassin, en furent un peu irrités, ils redoutaient les v projets de réforme indiqués par M. Olivier (1). »

Il me semble qu'ils se réduisaient : 1° à réorganiser l'enseignement primaire supérieur ; 2° à préparer la création d'un lycée. Il obtint une somme de 45,000 francs pour installer d'après un devis de M. Martin, architecte du département, cette infortunée Ecole toujours errante et, le 1er juillet 1850, HippolyteLegendre, instituteur communal, en fut nommé directeur (2). M. Olivier réussit encore à faire augmenter le traitement des professeurs du collège de façon à le rapprocher du traitement minimum des professeurs des collèges royaux. Tout cela était un acheminement vers l'obtention du lycée. L'accroissement du nombre des élèves y aida beaucoup. En 1850, il y avait 102 internes, 54 externes libres, 35 externes appartenant à des pensions, en tout 191. Aussi, en 1854, le voeu de la ville fut exaucée. M. Charles Martin, fut chargé de dresser les plans des nouveaux bâtiments. L'affiche donne les prix suivants. La dépense totale est évaluée à 203,062 fr. 34 centimes à valoir sur laquelle :

(1) 22 août 1848, Arch. comm., liasse du collège. (21 Ici. Id.


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG • 281

Vieux matériaux de la salle de physique cédée à l'enpreneur 3.000

Dont il faut déduire pour frais de démolition 1.000

Il reste donc. 201.052 34

Auxquels il faut ajouter pour imprévus.. 8.947 66

Total.... 210,000 00

MM. Roche et Chabroux associés furent déclarés adjudicataires au prix de 201,021 fr.

Le Conseil, vu les travaux exécutés au lycée demanda le 7 septembre 1855 que les vacances fussent prolongés jusqu'au 22 octobre. Voici le dernier budget du collège pour l'année 1855, celui de 1856, n'étant établi que pour les 9/12meE de l'année :

Rétribution collégiale 8.353

Subvention de la ville 16.306 95

Rétribution de l'Ecole primaire 1.579

Subvention de la Ville pour cette école. 11.121

Recette totale 27.359 95

Fonctionnaires du collège 23.500

Dépenses diverses. 1.159 95

. Directeur et sous-maître de l'Ecole primaire 2.200

Total.... 27.359 95


282 ANNALES DE L'AIN

SIXIÈME PÉRIODE

Le Lycée < ■

(26 mars 1857)

Il fut inauguré solennellement, le 26 mars, sous la présidence de M. de la Saussaye, membre de l'Institut, recteur de l'Académie de Lyon. Mer Chalandon, évêque de Belley, archevêque nommé d'Aix, avait bien voulu revenir quelques jours dans son ancien diocèse pour bénir les nouveaux bâtiments. Une plaquette (1) de 28 pages publiée par l'imprimerie Dufour, Bourg 1857, et dont une note signée F. D. paraît bien établir qu'elle est due à M. Frédéric Dufour, contient les discours, d'ailleurs intéressants, prononcés à cette occasion.

Le plus curieux est incontestablement celui de .VI. le proviseur Olivier. Débarrassé des compliments nécessaires en ce jour, il est un essai non sans valeur sur l'histoire du collège. M. Olivier croit que le collège a été fondée en 1623 par les Jésuites et organisé d'une pièce ; la vérité, nous l'avons vue, est moins simple. Mais ses appréciations sur le collège parlementaire sont plus sûres. Il y a chez lui un écho paternel. De là, ces lignes excellentes sur le dévouement du Bureau d'administration qui « s'occupait sérieusement des affaires », car o à cette épo(1)

épo(1) ai dû la communication à M. Oury, économe du Lycée Lalande, et l'en remercie.


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 283

que il y avait des affaires. » Le collège était riche : « il possédait une belle seigneurie, plusieurs domaines et des rentes importantes. Depuis nous avons toujours trouvé dans notre bureau autant de zèle... malheureusement les membres actuels en sont réduits à déplorer les loisirs que leur a créés notre pauvreté, ce pénible défaut dont l'Université demande â être corrigée (1). » Vient ensuite Je souvenir de « cette belle salle de Physique, que nous avons tous regrettée, et que la province avait meublée d'une collection complète d'instruments perfectionnés et d'un grand prix pour cette époque. Sa splendeur était telle, en 1788, que le secrétaire du bureau d'administration écrivait avec enthousiasme : « Notre cabinet de physique le dispute en magnificence aux plus beaux que la capitale possède en ce genre (1). »

M. Olivier est malheureusement trop sobre sur la période révolutionnaire. Il procède par allusions et c'est dommage car son père avait pu le renseigner exactement sur les hommes et les choses de cette époque si intéressante. Il fait malheureusement de même pour l'Ecole centrale.

Le reste nous échappe : il s'agit d'un parallèle entre Napoléon Ier et Napoléon III, le premier, visitant le collège, le second créant le Lycée. J'en dirai autant du discours de M. de la Saussaye qui dut faire plaisir à tout le monde par ses lieux communs sur l'émulation, l'union de la religion et de la science, le danger des révolutions et la naissance du prince impérial « que le ciel destine à continuer une succession merveilleusement renouée » et dont

(1) P. 14-15. (1) P. 17.


284 ANNALES DE L'AIN

le « berceau redonne à tous ces espérances de stabilité future qui consolent des malheurs passés, et garantissent les joies de l'avenir (1). » Le discours de Msr Ghalandon a les mêmes défauts et les mêmes qualités.

C'est ici que se termine à vrai dire la partie historique de ce modeste essai. Nous devrons désormais nous borner à citer quelques dates et à fixer quelques faits. Notre liberté d'appréciation ne serait et ne peut-être suffisamment complète. Trop d'hommes vivent encore qui furent les acteurs de cet humble drame qu'est l'histoire d'un lycée. Leurs actes et leurs intentions appartiennent à l'équitable postérité.

Le lycée ouvert et organisé, on s'aperçut bientôt qu'il fallait améliorer les dortoirs. M. Charles Martin étudia et fit approuver le projet de construction d'une aile additionnelle. Ces travaux terminés le lycée fut définitivement reçu le 13 mars 1860. M. Olivier qui avait été l'âme de toute cette entreprise fut nommé le 7 septembre 1861, inspecteur d'Académie à Chàteauroux. Il eut pour successeurs jusqu'en 1870, MM. Perhosc (2), Deynez, (3); Patry (4), Munier (5).

L'enseignement spécial y posséda depuis 1857 un professeur particulier de sciences plrysique et naturelles avec M. François Joz.

Mais la guerre vint et avec elle la patrie envahie, l'effroi de la défaite, l'éternelle blessure du pays mutilé. Le Lycée de Bourg à ces heures sombres ne manqua pas à son

(1) P. 26.

(2) Septembre 1861, décembre 1862.

(3) Janvier 1863, avril 1863.

(4) Avril 1863, septembre 1866.

(5) Septembre 1866. mai 1870.


PLAN DE LA SALLE DE PHYSIQUE (1780)



COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 285

devoir. Le sang de dix de ses fils rougit les champs de bataille où le droit succomba devant la force. C'est le souvenir de ces vaillants qui, le 24 août 1879, réunit quelques élèves du collège et du lycée dans la pensée commune 'de fonder une Association amicale. Un comité fut chargé de rechercher les noms des morts et d'en dresser la liste. Et, le 17 avril 1882, sous la présidence du général Wolf, commandant du 1° corps, ancien élève, avait lieu après un service funèbre dans la chapelle, l'inauguration solennelle d'une plaque dé marbre noir, placée dans le vestibule du Lycée (1).

M. Adolphe Dufour, président de l'Association y prononça un discours au nom des anciens élèves ; puis le général Wolf prit la parole et, dans un sobre et mâle tableau de la guerre, encadra le récit de la mort de ces braves.

Louis-Claude Vacher, de Bourg, lieutenant au 43e régiment d'infanterie, tué à Amanvilliers, le 17 août 1870.

Francisque Chevalier, de Belley, lieutenant au lCr régiment d'infanterie, tué à Bazeilles.

Benoît-Jean-Jules Vie, de Toulouse, sous-lieutsnant au 71e régiment d'infanterie, tué à Servigny, le 31 août 1870.

Emile Serraboquet, de Collonges, caporal à la lre légion du Rhône, blessé deux fois au combat de Châteauneuf, mort le 28 décembre 1870.

(1) Inauguration de la Plaque commémoratite établie au

Lycée 17 avril 1882, Bourg, Eugène Cbambaud, 1882, in-S°

30 p. — J'en dois la communication à mou collègue et ami M. Pommier.

20


286 ANNALES DE L*AIN

Joseph Georget, de Lyon, sergent à la lre légion du Rhône, tué à Nuits (Côte-d'Or), le 18 décembre 1870.

Gabriel Mercier, de Lagnieu, sergent à la lre légion du Rhône, tué à Nuits.

Auguste Ligez, de Marseille, engagé volontaire, sergent-major aux mobiles de l'Ain, tué à Clamart, le 14 janvier 1871.

Joseph-Honoré Beau, de Collonges, lieutenant au 3e régiment du génie, tué à Buzenval, le 19 janvier 1871, chevalier de la Légion d'honneur.

« L'ennemi faisait à l'abri du mur du parc, un feu violent sur nos tirailleurs et il était indispensable de pratiquer des brèches dans ce mur. Cette mission périlleuse est confiée au lieutenant Beau... Au moment où il atteint le mur, il est frappé d'une balle et tous ses sapeurs tombent à côté de lui. Son unique préoccupation n'en est pas moins d'accomplir sa mission, et il a l'énergie de faire feu de deux coups de revolver pour enflammer la dynamite destinée à renverser l'obstacle, et, en même temps, il est frappé à mort (lj ».

Adrien Peloux, bâtonnier de l'ordre des avocats à Valence, engagé volontaire, capitaine des mobiles de la Drôme, tué le 19 janvier 1871, à Montretout.

« Sans antécédents militaire, il ne peut offrir à son pays que l'exemple de son patriotisme... Son bonheur domestique s'efface dans son coeur devant les malheurs de la Patrie. Sa résolution est prise. Sa femme se montre digne de ce sublime dévoûment... L'élévation de ses sentiments se révêle dans ces lignes qu'il écrit alors à l'un de ses

(1) P. 14,


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 287

parents : « L'envahissement des Prussiens serait une honte pour la France s'ils venaient à triompher : nos enfants, un jour, rougiraient de nous... Ce que j'ai fait n'est rien, je le sais, c'est moins que la millième partie d'une goutte d'eau dans la mer; mais au moins je n'aurai rien à me reprocher, et mon fils, je l'espère, ne rougira pas de moi (1). »

Jules-Emile Gayet, de Saint-Amour, sous-lieutenant au 22e régiment d'artillerie, blessé mortellement au fort de Vanves, mort-le 4 février 1871, chevalier de la Légion d'honneur.

M. Gabriel Vicaire écrivit encore pour cette cérémonie de beaux vers patriotiques, et un élève de philosophie, M. Louis Garnier, dans une pièce d'un très noble sentiment, trouva ce cri d'espérance :

« Germains

« Ne dites pas encor que notre histoire est pleine : « Il lui manque une page et nous l'ajouterons. »

Au lendemain de la guerre il fallut songer à donner plus de place aux élèves dont le nombre ne cessait de s'augmenter, grâce à la virile préoccupation de panser les blessures de la France et de se préparer pour les redoutables épreuves de l'avenir. Les nombreux projets de construction d'un petit lycée dressés par M. Charles Martin, achitecte du département et de la ville, incessamment remaniés et corrigés furent résumés dans un devis définitif de 79,768 fr 33 c. y compris les hon rai :<:s de l'architecte et mis en adjudication le 1er mars 1877. La réception des travaux eut lieu le 15 avril 1879 et le devis

(1) p. 15-16.


288 ANNALES DE L AIN

ne fut dépassé que de 142 fr., ce qui prouve avec quel soin M. Martin avait étudié tous les détails de son projet.

M. Royer en 1892 fit encore mieux. Le lycée avait besoin de quelques réparations et de salles nouvelles pour la rhétorique, les chambres des répétiteurs, etc. On résolut de surélever d'un étage les bâtiments sur rue. Le projet de M. Royer fut agréé et le devis s'éleva, honoraires compris, à 100.008 fr. 84 c. L'adjudication fut tranchée le 18 février 1892; les travaux reçus définitivement, le 12 mars 1894, avaient coûté y compris les honoraires 93,411 fr. 07 c.

Le lycée fut administré de 1870 à nos jours par MM, Canet(l), Dalimier (2), Deprez (3), Heurtel (4), Condé(5), Delande (6), Simon (7), Malinet(8), Croiset (9), Flassayer (10).

Il n'y a, dans cette période, à signaler que l'enseignement de la législation avec M. Jules Baux en 1876.

La vie intérieure du ljrcée pour les professeurs et les maîtres répétiteurs est devenue plus pleine et plus agréable

(1) Mai 1870, avril 1S"5.

(2) 1875-78.

(3) 1878-1881.

(4) 1881-82.

(5) 1882-87.

(6) 1887-90.

(7) 1890-91.

(8) 1891-95. (S) 1893-97.

(10) Encore en fonctions.


COLLÈGE ET LYCÉE DE BOURG 289

par l'organisation, au printemps de 1897, d'une société de lecture. Elle comprend tous ceux qui veulent en faire partie et verser un franc par moi, pour les dix mois de l'année scolaire. La somme qui en résulte, trois cents francs environ, est employée à l'acquisition des Revues que ne reçoit pas la bibliothèque du Lycée. Les Revues sont placées sur une large et longue table dans une salle du rez-dechaussée et doivent y rester à la disposition de tous pendant les huit jours, qui suivent leur réception. Ensuite elles peuvent être emportées, mais pour trois ou quatre jours seulement. L'emprunteur s'inscrit sur un petit registre en prenant la Revue, et, en la rendant, écrit à la marge le mot rendu. Notre association avec ce minimum de règlement va sans heurt et sans bruit. Déjà dans une petite bibliothèque s'alignent en bon ordre les Revues de toutes couleurs et de tous formats, qui ont égayé, consolé, embaumé plus d'un jour morose.

Et maintenant à la dernière page de ce modeste essai, je voudrais rendre hommage à toute cette longue suite de maîtres dévoués et modestes, qui depuis cinq siècles ont dépensé sans compter tous les trésors du coeur et de l'esprit pour faire le devoir d'éducateurs, former des hommes pour les rudes luttes de la vie et travailler ainsi à la grandeur de la patrie. Il me semble voir s'avancer avec Léon de la Roche, les vieux régents barbus, ergoteurs et disputeurs du moyen-âge finissant et de la Renaissance, ensuite les Jésuites fins et souriants, avec leur soutane lacée et étroite, puis les abbés parlementaires au rabat empesé et à la gravité janséniste, derrière eux les courageux et vaillants instituteurs de l'époque révolutionnaire avec la cocarde tricolore au chapeau, plus près


290 ANNALES DE L'AIN

encore la pâle et inspirée figure d'Ampère, qui mène le choeur des savants de l'Ecole centrale et enfin, nous touchant, en habit et en veston, nos collègues et nos maîtres fils de l'Université, héritière consciente de ce long passé dont elle ne répudie ni les gloires, ni les charges,

JOSEPH BUCHE.

FIN.


NOTE

SUR

L'Orientation des Mégalithes

« On peut donc croire qu'ici les premiers « conquérants ont voulu marquer le terme « de leurs courses par des bornes ou autres « monuments faits de main d'homme. »

STRABON. — Géographie. — Livre III.

Au commencement de l'année 1894, peu de temps après mon arrivée à Brest, m'étant mis à étudier les monuments mégalithiques de l'arrondissement, je crus remarquer qu'ils n'étaient point disséminés au hasard et que leurs positions respectives ainsi que, dans certains cas, l'agencement des blocs qui les composent, étaient l'effet raisonné d'une volonté intelligente.

Pendant longtemps je cherchai la clef du système, mais, avant de parvenir à trouver une solution plausible au problème que je m'étais posé, mes recherches traversèrent diverses phases dont la principale fut la suivante :

J'avais constaté que certains monuments s'alignaient entre eux suivant une direction Nord-Sud (1), et je me

(1) Menhirs de Kerdelvas et du Denec, Dolmen du Pouliot.


292 ANNALES DE L'AIN

demandais si le peuple qui les avait érigés ne les avait pas dirigés sur l'Etoile polaire.

Alors je me disais : « Si lors de leur érection, ces Mégalithes ont été volontairement alignés sur la Polaire, l'angle que, à cause du mouvement conique de l'axe de la terre, leur direction actuelle doit faire avec la ligne des pôles du monde me donnera la possibilité de calculer leur âge. » Mais plus je cherchais,'moins je trouvais une solution qui arrivât à me satisfaire complètement.

Heureusement, je n'étais pas le seul à suivre cette voie et à tâcher, de tirer une déduction rationnelle de cette constatation « que les monuments mégalithiques s'alignent entre eux suivant des règles déterminées, pour ne pas dire suivant une règle unique. »

Un officier de marine, M. le lieutenant de vaisseau DEVOIR, s'appliquait aussi à cette étude. Nous nous mîmes à explorer ensemble les environs de Brest et principalement l'extrémité de l'arrondissement formée par les communes de Lanildut, Porspoder et Argenton, dans le but d'arriver à découvrir, si possible, quelles idées, quelles traditions ont pu influencer la volonté de ces Pré-Celtes, dresseurs de Menhirs, constructeurs de Dolmens, nos vrais ancêtres, les créateurs de notre race.

« Ils n'ont point de nom dans l'histoire ; pourquoi en « auraient-ils un ? Ce nom : —Nos Pères.— ne suffit-il « pas ? » dit l'amiral RÉVEILLÈRE.

C'est bien à eux, à ces chercheurs d'Infini, à' ces re • gardeurs d'astres, toujours

« , , L'oeil dans les Etoiles. *

suivant la lumineuse expression de RICHEPIN que peut s'appliquer le vers du poète latin :


NOTE SUR L'ORIENTATION DES MÉGALITHES 293

« Os liomini sublime dédit, coelumquc lueri « Jussit »

bien plus qu'à ceux de leurs compatriotes dont le dur regard se fixait sans cesse sur le sol, unique but de leurs convoitises.

Les récents progrès de l'archéologie peuvent partiellement soulever ce voile et nous faire pressentir les tendances de ces grands remueurs de pierres.

Vivant pendant la longue période de transition qui sépare l'époque des animaux émigrés de l'ère celtique, les Mégalithiens — comme les a si heureusement dénommés M. l'amiral RÉVEILLÈRE, — étaient des envahisseurs absolument différents des races autochtones (ou réputées telles dans l'état de nos connaissances) qui se succédèrent et évoluèrent régulièrement pendant l'immense durée du quaternaire ancien, du type presque simiesque du Néanderlhal ou type de La Madeleine.

A ces populations dolichocéphales viennent se juxtaposer et, plus tard, se mélanger, des races à crâne arrondi dont les ossements, les armes et les objets de parure ont été retrouvés dans de nombreuses sépultures disséminées dans toute l'Europe Occidentale et Centrale ainsi que dans le Nord de l'Afrique.

Ces hommes au crâne arrondi sont précisément nos dresseurs de Dolmens.

Les soins donnés aux sépultures sont un fait nouveau dans l'histoire de l'humanité : Les hommes de la Pierre éclatée et du Renne n'avaient aucun souci des cadavres ; et si quelques précieux restes de sujets vivant à cette époque sont parvenus jusqu'à nous, ce sont ceux d'individus morts de mort violente, ensevelis sous des éboulements et ainsi préservés de la dent des fauves.


294 ANNALES DE L AIN

Ce respect des morts indique chez les envahisseurs un sentiment religieux déjà puissant et nous fait tout naturellement nenser que leur centre anthropogénique — ou plutôt leur.centre de dissémination — est l'Asie, patrie de toutes les grandes religions.

Cette partie du monde fournit d'ailleurs le plus grand nombre de types brachycéphales.

A quel moment les Mégalithiens pénètrent-ils en Europe ?

La très séduisante hypothèse exposée dans la Revue de l'Ecole à"Anthropologie (1) place la migration du Renne après la disparition du Continent Atlantique dont l'effondrement (2), laissant passage aux courants chauds (Gulf Stream) eut pour conséquence une élévation de tem pérature de l'Europe occidentale.

Ce cataclysme eut peut-être comme contre-coup un soulèvement de la partie centrale de la Russie.

Trouvant un nouveau champ à leur activité, les Mégalithiens s'élancèrent par ce pont à la conquête de nouveaux territoires. Peut-être rencontrèrent-ils en route une migration magdalénienne suivant, vers le Nord, l'animal qui lui fournissait vêtements, armes et nourriture et qui constitue encore aujourd'hui l'unique richesse des Esquimaux, descendants dégénérés des anciens hommes du Renne ?

Une grande partie de la population autochtone était néanmoins attachée à ces territoires ; elle essayait de

(1) Le Renne et l'Atlantide.

(2) Effondrement analogue à celui qui a fait disparaître le continent Lômuricn, dont il ne reste que Madasgacar et les îles environnantes.


NOTE SUR L'ORIENTATION EES MÉGALITHES 295

remplacer le Renne par le Cerf, et dut accueillir avec enthousiasme la nouvelle industrie qui la dotait de la pierre polie.

Les Mégalithiens devinrent alors, sans résistance, maîtres de l'Europe occidentale et ne se fusionnèrent que peu à peu avec les peuples conquis auxquels ils imposèrent vraisemblablement leurs idées et leurs pratiques religieuses.

Quelles pouvaient être ces idées? Forcément une reconnaissance envers l'astre qui semblait marcher avec eux, colonne de feu les guidant vers la Terre promise, se couchant chaque soir plus loin à mesure qu'ils avançaient vers l'Ouest; le culte devait donc être un culte solaire.

Pour ces amoureux de lumière, la nuit était pleine d'inquiétudes et d'embûches dans les pays qu'ils découvraient chaque jour et, si nous en croj'ons Strabon, cette horreur de l'ombre persista longtemps. Parlant des monuments mégalithiques du Promontoire sacré, le géographe ancien s'exprime en effet ainsi : « Les seuls monu« ments qu'il y vit étaient des groupes épars de trois ou « quatre pierres.... il n'est pas permis de les visiter la nuit, « les Dieux, à ce qu'on croit, s'y donnant alors rendez« vous. » {Géographie. Livre III.)

Pour se préserver des fauves, ils allumaient avant la nuit tombante de grands feux tout autour de leurs campements. De là vient leur culte pour ce feu protecteur, culte si voisin dô celui rendu à la lumière astrale et qui a survécu dans nos feux de joie et nos feux de SaintJean.

Si donc les monuments mégalithiques ont entre eux des relations de positions, ces positions doivent dériver du soleil. Dieu suprême qui, en se levant chaque matin,


296 ANNALES DE L'AIN

semblait indiquer aux Mégalithiens l'Orient d'où étaient venus leurs pères.

Quelles pouvaient être ces pratiques ? « Les prêtres de « ces temps reculés élevaient des pierres sacrées dans les « lieux arides, au milieu des bruyères rabougries. Leur « répugnance pour les images taillées de main d'homme « et les temples couverts les portait à rechercher les lar« ges espaces, afin que le théâtre de l'adoration rappelât c< par son étendue la grandeur de celui à qui elle s'a« dressait » (1).

Ils construisaient aussi pour les morts des tombeaux superbes, demandant des efforts gigantesques.

Enfin, dans d'immenses enceintes de pierres, d'un accès difficile pour l'ennemi et terrifiant pour le profane, ils rendaient au Soleil et aux mânes des ancêtres un culte constant de reconnaissance.

Menhirs, Dolmens et Cromleclis, telles sont donc les manifestations que nous avons étudiées soit au point de vue de leur but individuel, soit surtout au point de vue de leur placement respectif.

Quant aux Cromlechs, à la fois temples, lieux sacrés et forteresses, leur analogie avec les citadelles célèbres est frappante.

Comme le Capitole de Rome et l'Acropole d'Athènes, ils devaient défendre la cité et garder son palladium (2).

(i) La voix des pierres. (Contre amiral Réveillère).

(2) Mon cher capitaine Comme vous, j'admets parfaitement que les Cromlechs ont pu servir à abriter les Dieux protecteurs de la peuplade qui les a construits, quand les hommes se sont fabriqués des Dieux.

C'est dans leur Byrsa nue les Carthaginois avaient placé le


NOTE SUR L'ORIENTATION DES MÉGALITHES 297

La plupart, en effet, des citadelles actuelles et des temples en renom sont construits sur l'emplacement d'anciens Cromlechs (1) et toujours dans une situation présentant une défense facile ou dominant les habitations environnantes. Car les religions, comme les fortifications, sont toutes deux nées de la crainte : les premières, de la crainte de Puissances ou d'Etres mystérieux ; les secondes de la crainte de dangers matériels.

Comme nous l'avons dit plus haut, les alignements sur l'Etoile polaire ne nous donnaient rien qui pût nous satisfaire.

Cela est facile à comprendre : La position de cette étoile, si remarquable à notre époque, ne devait point frapper les hommes de ces temps lointains. Au moment des observations d'Hipparque, en effet, (127 ans avant notre ère), la Polaire se trouvait à 12° du pôle. Combien devait-elle en être plus éloignée 30 ou 40 siècles auparavant !

Ces considérations nous amenèrent à chercher l'orientation des Mégalithes sur une direction Est-Ouest, ou du

dur Moloch qu'ils avaient apporté de Tyr, mais il ne faut pas oublier que la nécessité de se défendre a primé tous les autres besoins.

Agréez, mon cher capitaine, l'assurance de mes sentiments affectueux. — Général SENAULT.

Bourg, 23 février 1890.

(1) A Bourg-en-Bresse, notamment, la maison d'arrêt actuelle, située sur le point culminant de l'ancienne ville, est bâtie sur l'emplacement d'un Cromlech qui gardait le gué de la Reyssouze. Les pierres de ce Cromlech ont servi aux Romains à établir les fondations du bâtiment qui a été transformé en prison. (BROSSARD).


298 ANNALES DE L'AIN

moins sur une direction voisine, et nous pûmes relever les positions des groupes suivants :

1° Cromlech de la presqu'île Saint-Laurent, Menhir du Traon; . ■ 2°' Dolmen et Menhir de Kérivoret, Menhir du Denec ; 3° Menhir de Franchis, Menhir de Kergadiou ; 4° Menhir de l'Ile Melon, Dolmen du Pouliot.

Chacun de ces groupes est orienté suivant la direction N. 84° 0. — S. 84° E, faisant un angle de 6° avec la ligne E. 0. actuelle.

Le 27 septembre 1895, nous nous trouvions au coucher du soleil à Kérivoret, et ce n'est pas sans une profonde satisfaction intime que nous vîmes le soleil à l'équinoxe se coucher sensiblement dans là direction de la ligne jalonnée par un Dolmen et un Menhir.

Malheureusement, depuis cette époque, nous n'avons pas eu soit au printemps, soit à l'automne, la possibilité, à cause du mauvais temps, d'observer un autre lever ou coucher du soleil d'équinoxe. Mais nous sommes convaincus qu'une règle fixe détermine la distance qui sépare les Mégalithes, et que cette règle est basée sur la longueur de leur ombre au lever du soleil d'équinoxe.

Ces monuments sont donc placés suivant une orientation bien déterminée et alignés par groupes : 1° suivant une direction E. 0. ; 2° suivant une direction N. S. perpendiculaire à la première.

Nous soupçonnons encore d'autres relations de directions, mais le temps ne nous a pas permis jusqu'ici de les établir.

Pour nous, le terrain occupé par les Mégalithiens est couvert d'un immense quadrillage de monuments de


NOTE SUR L'ORIENTATION DES MÉGALITHES 299

pierres brutes ; à la notion de la ligne droite dirigée sur le soleil se joint la connaissance de l'angle droit.

Les Mégalithes, monuments religieux, se trouvent représenter en plus une idée scientifique : Ce sont certainement les premiers moyens que nos ancêtres, devenus sédentaires, employèrent pour mesurer le temps.

Les Mégalithes que nous avons étudiés ne sont pas tous de la même époque ; certains d'entre eux, comme les Menhirs de Keryéatoux et de Kergadiou, indiquent par leur volume et leur quasi-polissage une civilisation plus avancée et des moyens plus puissants.

Constatons en passant que l'on a trouvé, à peu de distance du moulin de Kergadiou, d'importantes cachettes de fondeurs de bronze. Quelques pièces provenant de ces cachettes, et que nous possédons, semblent se rattacher à la première période d'emploi de ce métal.

En tout cas, le sentiment religieux n'avait pas varié, ces monuments se trouvant dans la même orientation que leurs prédécesseurs.

Nous nous proposons de donner ultérieurement une description complète de chacun d'eux et de les comparer avec ceux que l'on rencontre encore dans le département, dans les départements voisins et sur plusieurs points de la France.

Disons, en attendant, que l'Ile Melon, couverte de Menhirs et de Dolmens, dut, par sa situation, être jadis un centre cultuel très important.

Les Menhirs qui subsistent, plantés en face de la pointe qui rattache l'île à la côte à marée basse, ont leur côté le plus large tourné vers la terre. Ils nous paraissent donc, comme les Menhirs encore debout du Cromlech de SaintLaurent, avoir fait partie de l'enceinte qui défendait les


300 ANNALES DE L'AIN

prêtres et les Dieux contre les ennemis et les profanes.

L'Ile de Sein, l'Ile sacrée, maintenant séparée du continent, Ségal et Melon qui s'y réunissent à basse mer, les presqu'îles de Kermorvan et de Saint-Laurent qui ne l'ont point encore abandonné, formaient toutes des points à la fois religieux et militaires dont l'importance ne fit que s'accroître au fur et à mesure que les nomades venant de l'Est renforçaient la population qui les avait précédés dans notre pays (1).

Nous croyons devoir, en outre, signaler que nous pensons avoir découvert l'endroit où étaient taillés les Menhirs et les tables des Dolmens qui sont dressés dans la région. Ce gigantesque chantier est situé entre Kérivoret et Larret et nous avons trouvé, dans un chemin creux qui va de ce point à la mer, un Menhir assez grand, abandonné pour une cause quelconque pendant son transport.

Enfin, pour terminer, constatons que la région, —

(1) Des preuves nombreuses de l'affaissement du terrain se rencontrent sur la côte. Nous ne voulons citer, pour l'instant, que la découverte faite par M. Carré, architecte, d'une forêt de frênes énormes submergée par les eaux de la baie d'Argenton. A noter également la reconnaissance des monuments mégalithiques de l'ile Béniguet faite, en 1835, par M. Hesse; commissaire général de la marine. Cette reconnaissance, relatée dans un petit mémoire inédit, communiqué à M. Devoir par M. Frixon, capitaine au 28e régiment d'artillerie, signalait, à une époque où ces études ne passionnaient que fort peu de gens, l'existence de trois allées couvertes et de vastes alignements de Menhirs.

Il est donc permis de penser qu'autrefois Béniguet était reliée au continent : l'Atlantide s'est effondrée brusquement, mais le mouvement continue.


NOTE SUR L'ORGANISATION DES MÉGALITHES 3fll

et notamment le champ de Mézarrock, situé à un kilomètre à l'Est de l'Ile Melon, sur un plateau d'où l'on domine les environs, — contient un grand nombre de ces pierres creusées qui ont tant intrigué MM. Alfred Fouquet et Henri Martin.

M. Fouquet (1) remarquait avec étonnemeiit que certains gros blocs de pierre ont à leur base une gorge largement évidée et donnant à la partie inférieure du rocher (qu'il appelle rocher-autel), la forme d'une marche, d'un gradin. Le dessus du bloc creusé représente des bassins, dit-il, ou des coupes irrégulières.

H. Martin décrit ainsi qu'il suit la pierre qu'il appelle autel de Ker-Rohon (Côtes-du-Nord) :

« Sur un bloc brut que sa forme, à distance, ne distin« guait point des autres, une dépression singulière attira c mon regard. J'approchai et je vis, par le travers de « cette masse, une forme humaine parfaitement r'econ» naissable : la tète, l'encolure, le torse, le bassin, puis « unegaîne pour les membres inférieurs ; la figure suivait « la pente de la pierre, la gaîne des jambes était plus « basse que la tête ; un homme de grande taille pouvait c s'étendre facilement dans ce moule étrange. »

En parlant du rocher-autel de Pontaven, le même auteur s'exprime aidsi : t C'est une table monolithe d'en« viron 10 mètres de long et posée sur une autre masse « allongée. On remarque à la surface quelques dépres(i sions ou petits bassins qui peuvent, à la rigueur, être naturels; mais deux cavités plus larges et plus profondes, « se correspondant sur les deux côtés de la table, ont

(1) Antiquités celtiques du Morbihan (1853).

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302 ANNALES DE L*AIN

« été évidemment pratiquées de main d'homme, dans un . « but qui n'a rien a^équivoque. »

A notre avis, les cavités ont une origine naturelle. Elles 'correspondent à l'emplacement de nodules d'augite (1) noyés dans la masse du granit. Les coefficients de dilatation et de perméabilité du granit et de l'augite n'étant pas les mêmes, ces nodules se sont peu à peu séparés du granit sous l'action du soleil et de la pluie. Puis, mus par le vent, que rien n'arrête dans cette région, ils ont, eu tournant dans leur ancien logement, agrandi la cavité ainsi formée. Qu'ils aient ensuite été appropriés dans ce but, qui n'a, suivant H. Martin, rien d'équivoque, nous ne le nions pas. Et notre opinion à ce sujet se trouve confirmée par la présence, autour de ces blocs, de grandes dalles entaillées comme pour servir de sièges et que personne, à notre connaissance, n'a jusqu'à présent signalées. C'est surtout sur le point culminant de l'Ile Melon qu'un de ces blocs-sièges pouvait placer celui qui s'y asseyait, en face de la terreur de l'Océan, à l'extrémité duquel disparaissait chaque jour ce Soleil, source de lumière de chaleur et de vie, guide et Dieu des ancêtres.

Je ne puis mieux clore cette courte notice, destinée à recevoir un plus grand développement quand nous aurons terminé nos explorations et nos recherches, sans remercier mon ami et collaborateur M. le Lieutenant de vaisseau DEVOIR, de l'aide précieuse qu'il m'a prêtée pour le remuement et la mise en lumière de ces idées qui nous sont à tous deux si chères.

P. GROSSIN.

(1) Ou de dolérite.


BIBLIOGRA.PHLE

Plusieurs de' nos membres correspondants ont bien voulu faire hommage de leurs travaux à la Société d'Emulation de l'Ain.

La Société en remerciant ces généreux donateurs, est heureuse et fière de recevoir ce dépôt précieux. Elle l'a placé dans sa bibliothèque, à côté des ouvrages des enfants de l'Ain, et elle espère que l'exemple des docteurs Fiessinger, Magntn et Bouveret sera suivi, et qu'ainsi ses collections déjà si importantes s'enrichiront de plus en plus.

Le docteur Fiessinger d'Oyonnax, membre correspondant de l'Académie de Médecine, à qui ses travaux nombreux d'épidemilogie et de thérapeutique ont attiré tant de distinctions honorifiques, nous a envoyé la Thérapeutique des vieux Maîtres.

Cet ouvrage, déjà à sa deuxième édition, fruit d'un praticien entérite doublé d'un lettré n'est pas une histoire de la thérapeutique, mais une exposition des fluctuations principales de cette science, caractérisées par certaines figures, et des causes qui les ont produites.

Comme on le voit, par la lecture de cet ouvrage, le milieu et le livre réagissent sur l'homme en modifiant sa manière de sentir et de comprendre ; et l'homme répond en imprimant sa marque personnelle aux usages, aux croyances du milieu et aux idées traduites par le livre.

De ce courant entre l'individu et le centre intellectuel ambiant, sont nées les fluctuations de la science avec


304 ANNALES DE L'AIN

ses reculs et ses progrès : Recul quand l'individu s'adonnait à l'inertie, et acceptait tête baissée la tradition, car subir sans conteste la tradition, c'est mépriser la recherche, c'est à la place de l'observation installer le culte des arguments : progrès, au contraire, quand l'individu essayant ses forces s'impatientait contre la langueur des esprits et secouait le joug des dogmes enseignés.

Le docteur Fiessinger, en un mot, nous fait viyre dans le passé, et ce qu'il nous montre console du présent et permet d'espérer dans l'avenir.

— Le docteur Magnin, ancien interne des Hôpitaux de Lj'on, professeur à la faculté des sciences de Besançon, avait déjà envoyé à la Société d'Emulation ses travaux antérieurs. Il a tenu à en compléter la collection, et nous adresse aujourd'hui ses nouvelles publications :.1° La florule adyentive des saules têtards dans la région lyonnaise ; 2° Les observations sur la flore du Jura et du Lyonnais publiées en collaboration avec M. Hétier.

Le premier travail est une monographie illustrée de cinq planches en phototypie sur les productions parasitaires : fleurs, champignons, arbrisseaux, arbres qu'on peut rencontrer sur les saules têtards de notre région.

Le second est le commencement d'une série de travaux sur le Jura. Le volume actuel renferme : 1° Les annotations et les additions aux flores du Jura et du Lyonnais ; 2° La contribution à l'étude botanique des bassins lacustres de la chaîne jurassique par M. Hétier.

Je ne veux pas insister sur la valeur et l'importance de ces deux publications, qui seront consultées par tous les botanistes de la région : je tiens seulement à faire savoir que le complément de cette étude, la monographie des lacsjurassiques paraîtra bientôt dans nos annales.


BIBLIOGRAPHIE 305

— Le docteur Bouveret nous a fait parvenir la plupart de ses travaux parus jusqu'à ce jour. La liste en est longue et intéressante ; elle montre non seulement la science et la fécondité de l'auteur, mais elle met en évidence la place importante que les enfants de l'Ain savent, par tradition, conserver dans les sciences médicales.

Le docteur Bouveret, en effet, n'est pas un étranger pour nous ; fils d'un médecin de Chàtillon-les-Dombes, après un court séjour à l'hôpital de Bourg, il est allé à Paris, où son travail lui assurait bientôt un succès rapide, rfa période d'internat terminée avec succès, il concourait pour l'agrégation et pour les hôpitaux de Lyon, Reçu dans ces deux concours, il s'est consacré à des travaux multiples et a publié des ouvrages nombreux qui lui ont assuré une place prépondérante.

Voici la liste des travaux dont il fait hommage à la Société :

Sur une tumeur osseuse généralisée à laquelle conviendrait le nom de tumeur à ostéoblastes.

Quelques réflexions à propos d'un cas de mort subite à la suite de la thoracenthese.

Des sueurs morbides.

Scrofules et tuberculose

Les migrations insolites de l'empyème.

Injections intraveineuses d'eau salée dans le traitement du choléra.

Etudes étiologiques sur les foyers cholériques de l'Ardèche (mention au Concours Bréa, 1885).

Syphilis, ataxie, cardiopathie.

La fièvre typhoïde traitée par les bains froids, par R. Tripier et Bouveret, traduite en allemand par le docteur Pollack.

Les bains froids et l'antipyrine à hautes doses dans la fièvre typhoïde.

Observation de cécité totale par lésion corticale. — Ramollissement de la face interne des deux lobes occipitaux.


306 ANNALES DE L'AIN

Sur la dilatation du coecum et du côlon ascendant.

Traité de l'empyème.

Sur la théorie du bruit de galop dans l'hypertrophie cardiaque d'origine rénale.

De la tachycardie essentile paroxystique.

Les premiers signes de la néphrite insterstielle.

Note sur le développement du cancer primitif du foie.

La dyspepsie par hypersécrétion gastrique ou maladie de Reichmann.

Spasmes cloniques du pharynx (aédrophagie hystérique).

La Neurasthénie, lrC édition 1890 ; 2e édition 1891. Traduite en allemand par le docteur Dornbluck.

Le chimisme stomacal normal et pathologique, d'après MM. Hayem et Winter.

Sur les grands accès fébriles de la défervescence de la fièvre typhoïde.

Recherches cliniques et expérimentales sur la tétanie d'origine gastrique.

Traité des maladies de l'estomac.

OEdèma pulmonaire brightique suraigu avec expectoration albumineuse.

Sur l'hyperthermie secondaire de la scarlatine sans complications locales.

Diplopie monoculaire dans un cas de tuberculose des pédoncules cérébraux.

Hématome du nerf optique dans l'hémorrhagie cérébrale.

Sur les signes de la fistule gastro-colique.

Sur le diagnostic de l'estomac biloculaire.

Le phonendoscope et la phonendoscopie.

Sur le ramollissement qui entoure les tumeurs cérébrales.

Il nous est impossible d'insister sur tous ces travaux, mais il nous sera au moins permis d'appeler l'attention sur les principaux.

Dans ses études étiologiques sur les foyers cholériques de l'Ardèche, le docteur Bouveret est arrivé à démontrer que l'hygiène défectueuse des habitations, l'alimentation


BIBLIOGRAPHIE 307

insuffisante, les imperfections des systèmes d'approvisionnement d'eau potable avaient été les causes primordiales de la dissémination de l'épidémie. Pour lui les fontaines jaillissantes, confèrent l'immunité contre le germe cholérique.

Après avoir résumé les règles prophylactiques de la maladie ; combattre l'importation du germe cholérique, débarrasser le sol des milieux humides, prévenir la contamination des eaux potables, il arrive à cette conclusion consolante : le choléra épidémique est une maladie de la saleté et de l'eau sale ; et comme les grands fléaux épidémiques, aujourd'hui disparus, qui ont désolé le Moyenâge, il est destiné à disparaître devant les progrès constants de l'hygiène publique et privée.

La fièvre typhoïde traitée par les bains froids est venu combler une lacune qui existait dans la thérapeutique française. Le grand ouvrage de Brand, consacré à l'hydrothéraphie de la fièvre typhoïde n'était pas traduit ; les publications de Glénard étaient disséminées. M. Bouveret et M. Tripier, en publiant le résultat de leur expérience et de leur observations ont réussi à répandre dans le public médical français une méthode de traitement qui a sauvé des milliers de vie, en montrant que la balnéation froide était applicable chez les typhiques dans les hôpitaux aussi bien que dans la pratique rurale. Aussi ont-ils rendu un grand service.

Le Traité de L'empyème est sans contredit le travail le plus complet qui ait paru sur cette question. Dans cet ouvrage, l'auteur s'est occupé surtout du traitement qui acquiert un intérêt immense depuis la vulgarisation des méthodes antiseptiques et l'application de la résection multiple des côtes à la suppuration chronique de la plèvre.


308 ANNALES DE L'AIN

M. Bouveret après avoir montré l'insuffisance et l'infériorité des anciens procédés, et les avoir condamné, s'est attaché à décrire la pleurotomie antiseptiqne, à fixer le manuel opératoire, ses indications et contre-indications, et les moyens de combattre ses complications et ses accidents.

Le Traité des maladies de l'estomac par la clarté de l'exposition, et le sens clinique qui le distingue, la connaissance très grande de la littérature spéciale, et surtout de la littérature étrangère, constitue un des traités de maladies de l'estomac le plus complet que nous connaissons en France et à l'étranger.

La Neurasthénie est aussi un ouvrage du docteur Bouveret qui mérite une mention spéciale.

Cette affection qui tend à prendre une place considérable daus le cadre des névroses est presque aussi fréquente que l'hystérie. Malgré l'enseignement de Charcot, elle était cependant, mal connue de beaucoup de médecins.

Jusqu'à présent, il n'existait pas de monographie française sur la neurasthénie. M. Bouveret est venu combler cette lacune avec un vétitable talent, par un travail qui est basé sur les travaux de Brand, de Ziemsenn, de Weir Mittchell, de Charcot et sur de nombreuses observations personnelles. Sa description à la fois sobre, élégante et méthodique, lui ont assuré un succès immense. Aussi, ne faut-il pas s'étonner que cet ouvrage ait été traduit à l'étranger.



Les Balmettes en 1898


LES THERMOPYLES

cLe 1814=

PAR ' Y

ALEXANDRE BÉRARD

CHAPITRE 1er

Lorsque le voyageur, en suivant la voie ferrée de Lyon à Genève, a franchi l'Ain, dont les eaux bleues séparent la Dombes, aux plateaux riches de céréales, aux larges horizons, du Bugey aux monts chargés de vignes et de forêts de sapins, il a devant lui un paysage magnifique, un vaste hémicycle, amphithéâtre superbe de montagnes que domine la haute cime de Luisandre, amphithéâtre à peine brisé par la sombre gorge de Saint-Rambert, où coule l'Albarine aux eaux blanches, laquelle, à travers la plaine caillouteuse, formée des cailloux roulés par l'ancien glacier du Rhône, des débris pierreux et calcaires entraînés par les torrents, va mêler ses flots à ceux de sa grande soeur l'Ain, aux eaux bleues.

Au bas des coteaux, dans la vallée, s'élancent les flèches des clochers modernes et bourdonnent gaîment villes et villages, Ambérieu avec sa gare si vivante, Saint-Denisle-Chosson au vieux nom historique, — qu'on a changé, il y

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304 ANNALES DE L'AIN

a peu d'années, — Amhronay, puis Douvres et Betfan, lieux p.-tifs villages perdus dans des nids de verdure, ca chés aux regards de l'indifférent et que peut seul découvrir le touriste ameureux des sites ignorés.

Sur les cimes qui dominent le vaste hémicycle, sur les gradins de l'amphithéâtre, planant comme les témoins de la mort au-dessus des cités vivantes de la plaine, se dressent des ruir.es, tristes, solitaires, majestueux débris du passé: c'e.-t la tour de Saint-Denis, qui se dresse comme um; sentinelle avancée traçant sa gracieuse silhouette sur le dernier coleau qui ferme l'hémicycle ; c'est le château do Saint-Germain, l'ancienne résidence dos rois burgondes, dans les salles duquel Gondebaud rédigea la loi Gombelle, premier balbutiement de la législation renaissante au milieu du féroce arbitraire des tribus barbares venues des forêts de Germanie, dans les cours duquel grandit Clotilde, la femme de Clovis, c lie que l'Eglise a sanctifiée pour avoir converti le roi franc à la religion ratholique; c'est le vieux manoir des Allymes, dont les (ours en pierres sèches bravent depuis dix siècles les vents et les ouragans de la montagne ; ce sont les derniers débris du château de Luisaudre, qui, lui, placé au point culminant, n'a pu résister à la tempête dés éléur nts, après avoir es myé le feu des hommes ; c'est la vieille tour de Douvres, qui surgit au milieu d'un bosquet ; c'était hier Chazej' et Varey, aujourd'hui restaurés par le goût artistique de leurs propriétaires.

Au milieu de ces ruines, demeures de leurs anciens maîtres, témoins ineffacés de l'ancien esclavage, nos vaillants cullivateurs du Bugev ont planté leurs vignes, et, au milieu des anciennes cours sc:gr.euriales. à côté des oubliettes à peine comblées, avec les pierres que le temps


LES THERMOPYLES DE 1814 305

a arrachées aux hautes tours, ont construit les grangeons, petites maisonnettes, où ils enferment lé fruit de leurs vendanges. Leur pioche invinciblement laborieuse a conquis les vieux manoirs ; mais, pendant qu'ils sarclent leurs vignes, les ruines voisines, debout à leurs côtés, leur rappellent le long martj're de leurs pères : puissentils, devant ces monuments des siècles passés, ne jamais oublier les larmes qu'a arrachées à leurs aïem' le despotisme féodal et théocratique, ne jamais oublier leur joie à la grande délivrance de 1789 !

Sur ce coin de terre, toutes les grandes invasions qui ont été déchaînées sur l'Europe ont passé: toutes j'-ont laissé des traces : c'est un des morceaux du lit commun où les flots divers de tous les torrents humains ont roulé: Kymris et Celtes y ont passé pour peupler la Gaule aux âges préhistoriques ; Ambarres et Séquanes y ont trouvé leur route : les Cimbres et les Teutons — avant-garde des grandes hordes germaniques, invincibles par leur nombre, victorieuses cinq siècles plus tard — l'ont traversé pour aller se faire écraser à Verceil sous les lances et les glaives des légions romaines de Marius ; les Romains envahissant la Gaule y ont poussé leurs intrépides phalanges et y ont planté fièrement l'aigle quirite que devaient y briser les Gofhs, se précipitant par les vallées de l'Ain et du Rhône vers l'Italie, la terre aux fruits d'or, éternellement rêvée sous les grises bruines du Nord; Annibal y poussa ses cohortes ; les sauvages tribus des Hongres y lancèrent leurs chevaux ; les Arabes y conduisirent leur invasion portant la civilisation d'Orient ; et tous ces peuples venus de fous les points de l'Ancien Monde, de l'Italie, de l'Espagne, de la Nuniidie, des immenses plages de la Baltique, des rives de la Sprée et


306 ANNALES DE L'AIN

de la Vistule, des plaines de la Hongrie et des gorges du Caucase, ont fous laissé sur ce coin de terre des traces profondes, jetant des races diverses, dont les traits ataviques se retrouvent nettement caractérisés encore à l'époque actuelle, et qui néanmoins s'ont arrivées à former en cette démocratie vaillante et laborieuse la population la plus homogène au point de vue moral, la plus profondément unie en son patriotisme français.

Là, sur ce coin de terre, au début du Ier siècle avant notre ère, les Cimbres et les Teutons écrasèrent les 80,000 soldats des légions des consuls Manlius et Cépion ; là, sur ce coin de terre, au nie siècle de notre ère, les héritiers des Césars s'y disputèrent l'empire du monde ; là, sur ce coin de terre, au xiv° siècle, se livra une fameuse bataille, Varey, qui décida du sort de la vallée du Rhône, décima pour toujours la noblesse de Bourgogne, arrêta la marche conquérante de l'ambitieuse maison de Savoie, lui barra à jamais son empire vers l'ouest et rejeta son âpre désir de conquêtes au-delà des Alpes vers les rives du Pô et les plaines lombardes !

A travers les monts de l'hémicycle qui le ferment à Test, une brèche étroite, masquée par les revers des coteaux, les bizarres fantaisies des taillis de chênes, une brèche par où coule l'Albarine

Au sud, exposés par les vents du nord, les coteaux boisés aux' pieds desquels dort le village de Bettan ; sur la rive droite de la rivière, des côtes abruptes, rocailleuses, commençant au village de Saint-Germain-d'Ambérieu, se continuant par celui de Torcieu, aux flancs desquels, sans cesse menacées par les roches qui les surplombent, vivent vertes et verdoyantes les vignes aux vins succulents, vignes que dorent les rayons du chaud soleil.


LES THERMOPYLES DE 1814 307

Au-dessous des vignes d'étroites prairies, enserrées entre le roc et la rivière, prairies parsemées et ombragées de chàtaigners centenaires.

Puis des éboulis de rochers brisés, roulant de trois à quatre cents mètres de haut vers la rivière, éboulis à travers lesquels luttent de maigres arbrisseaux aspirant à la vie et conquérant, menacés par de continuelles avalanches, pouce par pouce la terre à la stérilité, la fécondant pour les générations de demain.

La Roche de Salaize suspendue au-dessus de la gorge ; les Aléanches (les avalanches), cirque enfermé dans des roches perpendiculaires perforées de cavernes profondes, aujourd'hui parées de vignes verdoyantes, autrefois dégringolade de pierres incultes, la rivière étroite, coulant dans des vourgines de saules en cascadettes blanches et écumantes, un cahos de blocs informes, énormes, barrant le passage, c'est le défilé des Balmettes : c'est là, où, en 1814, les paysans bugistes renouvelèrent, pour la défense delà patrie, en des Thermopyles nouvelles, l'héroïsme des Grecs antiques défendant la terre sainte de l'Hellade contre l'invasion des Perses barbares, où, nos héroïques paj'sans, luttèrent un contre cent pour la défense du sol sacré de la France contre les envahisseurs cosaques et autrichiens.

Les Balmettes de bal, bel, montagnes, si non de Bal soleil, le nom de l'éclatant parrain du village voisin de Bettan, où nos aïeux gaulois célébraient, aux équinoxes d'hiver et d'été, la fête aux flammes allumées et joyeuses du Dieu bienfaisant, dont les chauds rayons donnent la vie à la nature, et que leurs fils, continuateurs inconscients des vieilles traditions et des vieilles légendes, ont


308 ANNALES DE L'AIN

transformée en les fêtes chrétiennes de Noël et de la Saint-Jean.

Des deux côtés du défilé, d'un côté en aval de l'Albarine, le village de Saint-Germain-d'Ambérieu construidans les derniers remparts du vieux manoir burgonde, ancienne petite ville commerçante ruinée an Moyen-Age par suite d'une horrible Saint-Barthélémy de Juifs que le fanatisme religieux et la stupide ignorance rendaient responsables de la peste, déchue de son antique splendeur, plus loin Ambérieu-en-Bugey ; de l'autre côté, en amont de la coquette rivière, le village de Torcieu, puis la petite ville de Saint-Rambert-en-Bugey, qui a pu construire ses maisons en l'étranglement de la gorge, conquérant tout à la fois une place sur l'Albarine et sur les rochers.

C'était les derniers jours de l'année 1813 : Napoléon vaincu par les frimas de la Russie, battu dans les champs de Leipsick, après avoir, en sa folle ambition, épuisé la patrie dans une série de guerres conquérantes, reculait devant l'Europe coalisée : ce n'était plus l'imitateur d'Alexandre-le-Grand, d'Annibal et de César poussant ses légions à la conquête des peuples, c'était le général vaincu, débordé par des armées dix fois plus nombreuses, luttant en vain pour défendre contre l'invasion le sol de la patrie.

La France, par les fautes de Napoléon, avait déjà perdu ses frontières du Rhin et des Alpes que lui avaient conquises glorieusement les héroïques armées de la République, les soldats en sabots, quand ils n'étaient pas uupieds, de la Convention : Anglais, Russes, Prussiens, Espagnols, Autrichiens coalisés, sur fous les points du territoire, avaient franchi les frontières françaises d'a. vaut 1792 : au nord, au sud, à l'est, de partout, c'était le


LES THERMOPYLES.DE 1814 309

débordement de l'invasion sur le sol sacré de la patrie Napoléon, revenu à Paris, disait au Sénat: « Toute l'Eu« rope marche contre nous » ; et il ajoutait : « Nous au« rions tout à redouter sans l'énergie et la puissance de « la nation. » Hélas! cette puissance avait été épuisée par les quinze ans de guerre pendant lesquelles le despotisme do Napoléon avait entraîné cette nation sur tous les chemins d'Europe et l'énergie du peuple que, du haut du trône impérial, il avait méconnu, exploité et épuisé, n'était plus assez forte pour barrer la route à l'envahisseur en 1813 comme en 1792.

Et tout le génie militaire du vainqueur de Marengn et d'Austerlilz ne pouvait, avec une poignée de soldats, 60,000 hommes environ, arrêter le flot des envahisseurs, les 500,000 soldats que lançait sur la France l'Europe coalisée. Napoléon le pouvait d'autant moins que partout il était entouré de trahisons : si le peuple, si méconnu par lui, conservait la foi patriotique, ses maréchaux, ses sénateurs, ceux qu'il avait couverts d'or et de faveurs, le trahissaient se mettant d'accord avec les représentants de la "vieille noblesse et du clergé, lesquels faisaient pirtout cause commune avec les envahisseurs, avec ceux qui ramenaient dans leurs fourgons pour la replacer sur le trône la famille des Bourbons.

Pendant que Wellington, à la tête de 100,000 AngloEspagnols forçait la ligne pyrénéenne et que le traître Bernadotte, porté au trône de Suède, à la tête de 80,900 Scandinaves, envahissait, la Belgique, l'armée prussienne sous la direction de Bliichcr, et l'armée autrichienne, commandée par Schwartzenberg, fortes ensemble de 360,000 hommes, envahissaient la frontière de l'Est cherchant à se réunir sur le plateau de Langres.


310 ANNALES DE L'AIN

Violant la neutralité Suisse, Schwartzenberg envahissait le département de l'Ain.

Un des héros de la défense nationale, qui fut le témoin des hauts faits des paysans de ce département à cette époque, le commandant Garbé, lequel défendit héroïquement le fort de Pierre-Châtel situé sur le Rhône, leur rend ce témoiguage :

« A l'approche de l'armée ennemie, l'esprit public se « manifesta dans toute cette contrée (la Bresse et le Bu« gey) avec une remarquable énergie. Les gardes natio». nales se disposèrent à la résistance, les paysans les « secondèrent partout... Je pouvais compter sur le con« cours des habitants du pays. Malgré les menées des « personnes influentes qui désiraient la chute du gouver« nement de Napoléon, et dont l'activité s'accroissait de « jour en jour à mesure qu'ils la voyaient arriver, l'ini« mense majorité de la population était prête à nous « prêter un appui énergique. Si je n'y fis pas plus sou« vent appel, ce fut pour ne pas compiomettre inutile« ment de braves gens, pendant que les événements se « décidaient ailleurs contre nous... Dans une guerre « d'invasion, le gouvernement trouvera toujours dans les a habitants du Bugey et de tout le département de l'Ain, « des hommes courageux, patriotes, décidés à défendre c énergiquement leur paj's, et sur le concours desquels « les opérations militaires pourront utilement s'appuyer.»

Mais hélas.! que pouvaient ces braves pajrsans, malgré tout leur héroïsme patriotique, contre les hordes de Schwartzenberg, alors que les généraux impériaux lâchaient pied ou trahissaient, alors que les Autrichiens étaient reçus à bras ouverts dans les villes par l'aristo-


LES THERMOPYLES DE 1814 311

cratie, par ce qu'on appelait la bonne société ! Que pouvait la vaillance de nos paysans de l'Ain isolés dans nos montagnes bugej'siennes ou au milieu des coteaux de la Bresse et de la Dornbes, quand Augereau lui-même, chargé de la défense de la région, avait, aux portes de Lyon, une attitude si étrange, explicable seulement par une inadmissible incapacité ou par la trahison ! Que pouvaient-ils faire nos paj'sans surtout quand les plus forts d'entre eux, tous ceux de dix-huit à quarante ans avaient été enlevés pour être enrôlés dans les armées et qu'ils ne restaient plus dans nos villages dépeuplés par l'inexorable conscription laquelle avait immolé des générations entières à la rage conquérante de Napoléon — le village de Douvres par exemple, qui comptait 1,200 habitants en 1804, dépeuplé par les appels incessants de l'enrôlement militaire n'en comptait plus que 400, neuf ans après, en 1813, — quand ils ne restaient plus dans nos'villages que des infirmes, des vieillards et des enfants !

Infirmes, vieillards et enfants, dignes successeurs de leurs frères et aïeux de 1792 et 1793, furent cependant héroïques et, au milieu des tristes défaillances du temps, ils sauvèrent au moins l'honneur national !


312 ANNALES DE L'AIN

CHAPITRE II

Eh bien ! la Maria as-tu des nouvelles de Jacques?

— Hélas ! non ! voilà plus de deux mois que nulle lettre de lui ne m'est parvenue : la dernière m'avait été écrite par lui de Silésie, quelques jours après une bataille où le général Sibuet avec ses cinq mille soldats avait tenu tête pendant douze heures à trente mille Russes. Il me disait qu'il n'avait pas eu une seule égratignure et qu'il allait bien, malgré les fatigues de la guerre, la retraite depuis Moscou. Mais, depuis, disait-elle, en éclatant en sanglots, qu'est-il devenu?

— Vous ne savez pas où il est allô?

— Non : le général Sibuet l'avait vu à Bellej' et l'avait pris à son service; mais, le soir de la bataille, le général - a été tué au moment où il franchissait, une rivière. Qu'estce que Jacques est devenu ?

- Cette conversation s'échangeait, dans la soirée du 15 janvier 1814, dans l'étroite pièce d'une petite maisonnée de Saint Germain-d'Ambérieu entre une vieille femme, la femme Alamercery, et une grande et belle jeune fille de dix-neuf ans, Marie Bozonnet.

Celle-ci était restée orpheline avec son frère î'enoit, plus jeune qu'elle de deux ans : pour tous biens la petite chaumière perdue dans les murailles des remparts deSaintGermain et quelques arpents de vignes. C'était la misère, mais Benoît et Marie étaient vaillants et, en leur jeunesse active, ils luttaient tant bien que mal contre l'adversité.

Quelques mois auparavant, Marie s'était fiancée avec un brave garçon Jacques Tissol-Gur rraz. Jacques était.


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parti pour l'armée comme tous les camarades de son âge : le général Benoît-Prosper Sibuet, qui était, de Belley, l'avait attaché à lui comme ordonnance.

Quant à la mère Alamercery, elle avait vu ses deux fils s'enrôler en 1792: l'un était mort sur le Vengeur; l'autre, enrôlé dans l'armée des Pyrénées-Orientales, avait disparu probablement frappé dans un engagement avec les Espagnols. La vieille femme restée seule, profondément imbue des grandes et patriotiques idées qui avaient enflammé tous les coeurs aux premiers jours de la grande épopée révolutionnaire, était restée dans le vil • lage, l'objet de la vénération de tous. Pendant toute la période des guerres victorieuses de Napoléon, elle était demeurée muette, stupéfaite de voir nos armées entreprendre contre les autres nations ces conquêtes, ces invasions que ses fils et leurs frères de 1792 avaient repoussées au prix de leur sang. Depuis que. le bruit de nos défaites était arrivé dans les villages du Ilugej' et que l'on disait que l'Autrichien menaçait d'envahir le paj's, la mère Alamercery, revivant, vingt ans après, la grande pensée d'autrefois, du temps de Yalmy, de l'époque de Danton, allait de maison en maison, enflammant les coeurs, appelant tous ses compatriotes à prendre les armes, à la défense du sol national. Ses discours ardents, à SaintGermain, à Torcieu, avaient exalté les imaginations et tous les paysans des deux villages étaient prêts à la guerre sainte : ils avaient décroché du haut des cheminées des chaumières les vieux fusils pour faire feu sua les Autrichens et les Cosaques quand ils arriveraient sur les bords de l'Albarine.

La mère Alamercery cherchait à consoler autant qu'elle pouvait Marie, à lui donner courage et à lui rendre espé-


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rance ; mais ses paroles résonnaient dans le vide : la pensée de la jeune fille s'égarait dans des rêves douloureux ; elle ne pouvait chasser de son esprit les noirs pressentiments qui lui montraient son fiancé couché sur la terre glacée d'Allemagne ou roulé comme son général dans les eaux grises d'une rivière de Silésie.

Au dehors, la neige tombait à gros flocons, amoncelant, dans les rues étroites du village, un épais tapis blanc.

Un instant après, Benoît Bozonnet, un fort gas de dixsept ans, solide et robuste, tjrp& achevé de cette race forte produite par le mélange du sang latin et -du sang burgonde, entra dans la maison et se jeta au cou de sa soeur, en sanglotant.

Des nouvelles, il eu apportait : elles étaient tristes, désolantes, et le chagrin du deuil national allait encore assombrir les âmes des deux femmes déjà troublées d'inquiétude à la pensée de Jacques.

L'armée autrichienne était dans le département : le 29 décembre, elle était entrée dans Gex et, pendant trois jours, cela avait été dans la petite ville un passage incessant de cavaliers, de fantassins, de canons se dirigeant les uns vers le Jura, les autres sur Bourg, Nautua et la vallée du Rhône. Le général autrichien qui commandait le corps d'invasion s'appelait Bubna. On aurait pu arrêter sa marche au premier pas, au fort l'Ecluse, sous les canons duquel il était impossible de passer ; mais la trahison s'était mise de la partie et un ancien émigré, nommé Lecamus de Coëtenfoë, qui commandait le fort, d'accord avec l'ennemi, lui avait livré la place sans coup férir. Ce traître avait même joué une indigne comédie en sa lâche trahison ; les Autrichiens s'étant approchésdu fortsanscanoiis, Lecamus deOoétenfoë leur fit savoir qu'il ne pouvait


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rendre la forteresse à un corps d'armée ayant de l'artillerie: les Autrichiens firent alors avancer deux canons et un obusier et, afin deparlementer plus facilement, eux parlant latin et Lecamus de Coëtenfoe ne comprenant que le français, iis forcèrent une dame Cuazàleur céder comme interprète son fils âgé de douze ans, jeune Lycéen, bégayant tant bien que mal la langue de Virgile, en l'assurant qu'ils étaient d'accord avec le commandant du fort et que son enfant ne courrait aucun risque; ils tirèrent pour la forme sur le fort et, le jeune Cuaz servant d'interprète, contraint, au premier coup de feu, Lecamus de Coëtenfoe se rendit. A Nantua, une vingtaine de gendarmes avaient essayé bravement de se battre, mais cette poignée de vaillants soldats avait inutilement succombé sous les balles autrichiennes. Bubna était descendu le long des rives du Rhône et avait sommé le fort de Pierre-Chàtel de se rendre, cixryant qu'il en serait là comme au fort l'Ecluse ; mais l'officier, qui commandait Pierre-Châtel, n'était pas un ancien émigré ennuie Lecamus de Coëtenfoe, c'était un brave soldat des armées de la République nommé Garbé et, bien que sa place fût absolument isolée, qu'il n'eut pour toute garnison que cent cinquante hommes, sur lesquels quatre-vingts vétérans d'origine hollandaise, la plupart infirmes, mal armés , et que pour toute munition cent paquets de cartouches, il s'apprêtait à soutenir un siège — rendu d'autant plus difficile qu'il y avait dans le fort à surveiller quatre cent,s prisonniers espagnols prêts à tout pour reconquérir leur liberté. — Du côté du haut Rhône, la route était donc fermée à Bubna, mais ses troupes allaient arriver à Ambérieu par Nantua, Bourg, Cerdon, par la vallée de l'Ain. Bourg défendue héroïquement par soixante jeunes gens, armés de mauvais


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fusils, malgré un combat follement disproportionné au pont de Jugnon, était tombée aux mains de l'ennemi. L'ennemi y avait même installé, au nom du roi Louis XVIII, un préfet provisoire, traître, originaire d'Ambêrieu.

Telles étaient les nouvelles que Benoît Bozonnet apportait aux deux femmes.

La vieille femme, la mère des soldats de 1792, écoutait en silence et les larmes coulaient de ses yeux : il n'avait donc servi à rien d'immoler, vingt ans auparavant, tant de jeunes et vaillants hommes, tels ses fils, pour sauver la patrie de l'invasion des étrangers et des rois !

Marie oubliait presque son fiancé eu la triste stupeur de la défaite nationale.

La mère Alamercery sortit la première de sa stupeur : puisque les Autrichiens s'avançaient, il fallait les combattre et tâcher de les arrêter. Et, vaillante, se dressant, sa haute silhouette se dessinant à la vacillante lueur de la pauvre chandelle qui éclairait la pauvre demeure : « En« fants, s'écria-t-elle, venez avec moi avertir les gas ; « on reprendra les vieux fusils et en se battant on mourra « pour la patrie! »...

Et au même moment, dehors, la voix avinée d'un pochard jetait sous la neige tombante les paroles, idiotes d'une chanson à boire.

o Delise ! » s'écrièrent à la fois Benoît et Marie.

C'était un individu d'une quarantaine d'années, venu on ne sait d'où, installé au village depuis trois ou quatre ans, riche disait-on, qui s'était mis à faire la cour à Marie et qui, toujours repoussé, espérait la décider au mariage depuis le départ de Jacques. Triste personnage, méprisé


LES THERMOPYLES DE 1814 ' 317

de tous, détesté de tous, dont l'origine inconnue était un sujet des plus incohérentes légendes et dont la seule vue jetait, l'effroi dans le coeur de Marie.

I'i se mit-à heurter la porte. Marie, effrayée, se blottit dans les bras de son frère.

Ce fut la mère Alamercery qui ouvrit : « Passez votre « chemin », clama t-elle à l'ivrogne.

Et celui-ci, bégayant, surpris de la subite apparition de la vieille femme, s'en alla zig-zaguant et continuant sa chanson, dont les vers sonnaient comme une menace aux oreilles de Marie.

CHAPITRE III

Du côté de Belley, les troupes de Bubna se trouvaient parafées par la résistance de Pierre-Chàtel, que, malgré un long siège et un furieux bombardement, le vaillant commandant Garbé ne devait jamais rendre à l'ennemi et dont la résistance ne devait cesser que la paix conclue, une fois Louis XVIII ayant remplacé Napoléon et le drapeau blanc ayant été hissé à la place du drapeau tricolore. Les Autrichiens s'étaient néanmoins cantonnés à Belley, où les nobles et le clergé les avaient reçus en amis, mais d'où les paysans, réunis en un jour de foire, au moment de leur entrée dans la ville, avaient follement essayé de les repousser, les assaillant « avec tout ce qu'ils trous voient sous la main, même avec des boules de neige, « ainsi que le raconte Garbé, et tombant désarmés sous les coups de fusil de l'ennemi.

Du côté de Lyon, malgré les ordres de Napoléon, malgré ses pressantes sollicitations « d'oublier ses cinquante-


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« six ans et de se souvenir des beaux jours de Castiglione », Augereau trahissant se refusait à agir. S'il se fut avancé à temps, grâce surtout au concours des paysans de la Bresse et du Bugey, il eût facilement repoussé jusqu'à la frontière suisse les soldats de Schwartzenberg.

Augereau ne se décida qu'au milieu de février à faire marcher contre l'ennemi une partie de ses troupes avec le général Meunier. Le 17, celui-ci s'emparait de Meximieux, battait les Autrichiens sur les bords du Toison, près de la rivière d'Ain, entre les deux coquets villages de Loyes et de Villieu ; et, le 19, il reprenait Bourg, et, poursuivant ses succès, il allait chasser, avec l'aide des gardes nationales Gessiennes et Nantuassiennes, l'Autrichien du pays de Gex ; mais Augereau, continuant son oeuvre de trahison, donnait l'ordre de battre en retraite, se retirant devant l'ennemi et abandonnant aux seuls paj-satos la défense du département de l'Ain envahi par les blancs soldats de l'empereur d'Autriche.

Napoléon, comprenant enfin que la seule défense de la patrie pouvait se trouver dans ce peuple qu'il avait si longtemps méconnu, se décida à faire appel à son patriotisme, comptant retrouver en lui le sublime élan de 1792.

En Champagne, où son génie militaire faisait des efforts gigantesquement merveilleux pour arrêter la marche des armées ennemies, il avait vu à l'oeuvre ces vaillants gardes nationaux, soldats improvisés « en chapoaux ronds et en « vestes, sans gibernes, armés de toutes sortes de fusils, » comme il le disait dans une lettre à Augereau, ajoutant qu'il « en faisait le plus grand cas », qu'il regrettait de n'en avoir que quatre mille et qu'il « voudrait bien en « avoir trente mille. » Par un décret impérial, il ordonna


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de rétablir les gardes nationales dans toute la France. Inutile de dire que les populations de la Bresse, du Bugey et de la Dombes s'empressèrent d'exécuter ce décret. Elles le firent avec un élan aamirable que les royalistes cherchèrent à arrêter ; « mais, raconte Garbé, les efforts des « royalistes furent infructueux an milieu de l'excellente « population du Bugey. » On réquisitionna le plomb et la poudre pour en faire des cartouches.

Les habitants de la petite ville de Saint-Rambert-enBugey furent des premiers à organiser leur garde nationale. Dès l'apparition du décret impérial, ils se réunirent autour des notables de la petite cité et formèrent un petit corps de troupe. Les officiers furent choisis parmi les citoyens qui avaient su imposer à toute la population l'estime par leur vie privée et la confiance par leurs vertus civiques. Juvanon fut nommé capitaine ; François Grange, Gustave Baron et Bourdin-Grisy furent nommés lieutenants ; les galons de sous-lieutenant furent donnés à Brucelin.

On chercha dans toutes les maisons le plomb qui pouvait y être enfoui, les fusils qui pouvaient être suspendus aux murailles : on se prépara héroïquement à défendre la petite ville. Les femmes, les enfants, les infirmes, tous se donnaient avec courage, dans la mesure de leurs forces, à l'oeuvre grandiose de la défense nationale, les uns préparant ce qui devait être nécessaire aux blessés, les autres aidant à la confection des cartouches : un grand, souffle patriotique avait passé sur la petite cité, enflammant les coeurs et créant les héros.

A Ambérieu, à .Saint-Germain, la même flamme patriotique soulevait les habitants. Là aussi on songeait à organiser les gardes nationales ; mais les ressources man23

man23


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quaient, sur les conseils de la mère Alamercery, une trentaine de jeunes gens et d'hommes d'une quarantaine d'aunées résolurent d'aller se joindre à la garde nationale de Saiut-Rambert : — Saint-Rambert, l'ancien chef-lieu du district, petite ville, avait encore gardé à cette époque son allure de capitale de la région ; il était tout, naturel que les habitants des communes voisines songeassent à se grouper en cette cité, centre de la vie locale. — Benoit Bozonnct se mit à parcourir les hameaux de la région environnante, avertissant les paj'sans de la résolution prise et invitant les solides, ceux qui pouvaient tenir un fusil, à se joindre à la petite troupe, qui, à jour dit, se réunirait sur le champ de foire d'Ambérieu pour se mettre en route vers Saint-Rambert.

Au jour fixé, ils étaient une soixantaine venus de toute la région voisine, la plupart âgés de plus de cinquante ans ou seulement de seize et de dix sept ans, armé:, de mauvais fusils de chasse, même de simples bâtons, mais courageux, exaltés de la foi patriotique. Ils étaient là venus de tous les villages des environs, d'Ambronay, où ils se rappelaient la tyrannie d'une antique abbaj'e bénédictine, de Douvres et de Saint-Denis-le-Chosson, que dominent encore do vieilles tours féodales, de ChâteauGaillard et de Saint Maurice de-Rémens, témoins des antiques combats des Teutons et des légions romaines. A côté d'eux, une dizaine de femmes, parmi lesquelles Marie, que la mère Alamercery avait contrainte à suivie son frère et qui fuyait moins les Autrichiens que la répugnante persécution de Delise — lequel rôdait sournoisement aux environs du rassemblement patriotique comme s'il méditait un mauvais coup. —

La mère Alamercery allait de l'un à l'autre, eucoura-


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géant ces soldats improvisés, rappelant les glorieuses victoires qui avaient chassé Brunswick du sol français, remémorant les souvenirs des géants de 1792, promettant que, en 1814, comme au temps de la Convention, les volontaires repousseraient l'envahisseur.

La vaillante femme n'avait pas oublié le victorieux chant de guerre de l'armée du Rhin, ce chant de salut des Marseillais que le despotisme impérial avait effacé de tous les esprits et que, au moment où il s'agissait de sauver la France, on retrouvait, pour enflammer les coeurs pour rendre la foi à ceux qu'avait comprimés la tjTannie napoléonnienne, on reprenait avec amour comme une promesse de salut et de victoire en même temps qu'on décrochait les vieux fusils rouilles des hautes cheminées des chaumières enfumées.

Les fusils étaient vieux et rouilles; mais le chant était resté énernellement jeune et vivant et ses accents lyriques versaient dans toutes les âmes l'ardeur qui envolaità la victoire les soldats de Hoche et de Marceau. Le chant glorieux, les vieillards de la petite troupe le retrouvaient au fond de leur mémoire par lambeaux ; les jeunes qui ne l'avaient jamais entendu depuis les dixhuit années qu'il était banni des cérémonies publiques l'apprenaient avec l'émotion de la sublime révélation. Tous pleuraient en écoutant et en cherchant à retenir les merveilleux couplets que la mère du martyr du Vengeur récitait avec l'enthousiasme du plus ardent patriotisme.

Benoit Bozonnet avait montré un tel zèle dans l'organisation de la petite troupe que tous, d'un commun accord, l'avaient choisi pour diriger leurs pas jusqu'à SaintRambert',


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Marie se jeta en pleurant dans les bras de la mère Alamercery : « Courage ! » dit la vieille femme.

Benoit leva son épée — une vieille épée rapportée des guerres de Vendée par un ancien lieutenaut de chasseurs, qui avait combattu à Quiberon et jeté dans la mer émigrés et Anglais, vieille épée conservée en panoplie chez la fille du vieil officier, épée qu'on n'avait jamais cru voir resservir. —

Et la petite troupe s'ébranla.

Allons, enfants de la Patrie, Le jour de gloire est arrivé ; Contre nous de la tyrannie L'étendard sanglant est levé !

Les murs de la vieille petite ville étaient à nouveau secoués par ces mâles accents endormis depuis si longtemps et que, pour le malheur de la France, avait étouffé le canon de Wagram, d'Eylau et de la Moskowa ! L'écho semblait se réveiller à l'air vibrant des vainqueurs de Watiguies.


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CHAPITRE IV

Arpin-Gonnet dit Bécot était un ancien soldat des armées de la République. Enrôlé volontaire sur l'autel de la Patrie en 1793, il avait fait les campagnes de Belgique et du Rhin. Il s'était battu sous Landau, sous les ordres de Hoche, à côté de Saint-Just envoyé par le comité le Salut Public; toujours aux côtés de Saint-Just, il avait pris part à la victoire de Fleurus ; il avait gagné au contact du jeune jacobin une foi républicaine exaltée, qui n'avait fait que consolider son enthousiasme des premières heures de la Révolution. A Louvain, sous Jourdan, en luttant contre les Autrichiens, il avait eu une jambe emportée par un boulet : cela lui avait encré une haine profonde contre les soldats du Kaiserlick. Revenu impotent à Paris, lui le glorieux blessé des armées de la patrie, il s'était vu un jour, après le 9 thermidor, assailli lâchement par une dizaine de muscadins royalistes, qui poursuivaient partout dans les rues de la capitale les habits bleus des soldats de la République, ne s'attaquant aux invalides eux-mêmes que lorsqu'ils étaient dix contre un : roué de coups des grosses cannes tordues de ces lâches agresseurs de la jeunesse dorée, il n'avait dû la vie qu'à l'arrivée soudaine d'un brave boulanger, dont la seule apparition avait mis en fuite la bande des collets noirs : Bécot avait achevé de prendre dans cette aventure la haine des rois et des nobles. Comme tous ceux qui avaient souffert à l'époque conventionnelle, comme tous ceux qui s'étaient sacrifiés pour la République, comme la mère Alamercery, — la souffrance est la plus solide base de


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l'amour, son plus inaltérable lien, — il avait conservé au fond du coeur le culte de la liberté, des grandes et généreuses idées des hommes de la Gironde et de la Montagne, confondant dans la même pensée soldats et.hommes d'Etat, hommes de droite et hommes de gauche, Hoche et Camille Desmoulins, Vergniaud et Marceau, Danton et Saint-Just, ayant gravée au coeur cette image de la République casquée du bonnet phrygien, qui avait été le symbole de la plus grande épopée de notre histoire nationale.

Il était venu se retirer, ne pouvant plus combattre, dans son petit village natal de Torcieu. Là venaient résonner à son oreille les nouvelles des victoires dé ses anciens compagnons d'armes et son coeur travaillait d'aise à l'annonce de Marengo, de Rivoli, d'Austerlitz, de Friedland ; mais il ne pouvait comprendre certaines choses, les causes de ces guerres lointaines quand la France n'était pas menacée, ces guerres pour la conquête des peuples quand jadis lui et ses héroïques compagnons n'avaient combattu que pour les affranchir : une chose surtout Je dépassait c'est quand il voj'ait d'anciens camarades, de ceux qui avaient lutté contre les tyrans, devenir ducs, princes, quand même ils ne devenaient pas rois : son bon sens ne comprenait plus.

Il se consolait de ce qu'il tenait pour des trahisons à la grande pensée patriotique en regardant pousser ses verts rameaux à l'arbre de la liberté planté au centre de son village. Cet arbre était le sj-mbole éternellement vivant des choses qu'il aimait et qui paraissaient mortes, la République, la liberté : c'était l'emblème pieux de sa religion.

Cet arbre, il avait aidé à le plantera l'automne de 1791 ; c'est même lui qui l'avait arraché avec quelques camara-


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des au flanc du coteau des Abéanchcs et qui l'avait apporté à Torcieu. Il se rappelait comme si c'était hier la fête joyeuse où, au milieu des danses, les paysans avaient fêté le jeune arbre qui, dans ses branchettes fragiles, leur apportait ht liberté, la fin de la tyrannie roj-alo, féodale, ecclésiastique, le règne de la justice, les bienfaits de l'égalité, le rêve sublime de la fraternité. La veille de ce jour même, pour ne pas voir planter l'arbre sacré, deux jeunes hobereaux de Torcieu, M. Décr'.vieux et le comte de Grandveyle étaient partis : ils avaient émigré : on ne •les reverrait plus. Bon vojrage ! La République avait été tuée; la liberté avait disparu ; beaucoup de nobles étaient rentrés en apprenant que la monarcbie était restaurée pour le plus grand profit d'un ancien soldat jacobin devenu empereur— M. Décrivieux et le comte de Grandveyle n'étaient pas revenus : sans doute, ils avaient disparu pour toujours, morts ou s'étaient faits définitivement Russes, Prussiens ou Autrichiens ; — mais l'arbre lui vivait, verdoyant à chaque printemps comme une éternelle espérance.

Et Bécot, chaque matin, venait sur la place publique, apportant de l'eau dont il arrosait religieusement, comme en une pieuse prière matinale, l'ormeau qui, depuis vingt-deux ans, avaient puissamment grandi, qui, depuis 1791, avait abrité de nombreux nids, et qui, au milieu de l'indifférence de.tous, restait aux yeux du vieux soldat le symbole éternellement jeune de l'éternelle liberté. Et Bécot passait de longues heures assis sur un banc de pierre adossé à la muraille d'une maison à regarder son arbre chéri

Depuis quelques semaines, Bécot était profondément attristé : les désastres de Russie , Leipsick, eh quoi ! les armées françaises n'étaient donc plus invincibles ?


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Que lui avait-on dit que ces Prussiens, ces Autrichiens si souvent battus, chassés au-delà du Rhin avaient victorieusement franchi ce.fleuve où sur les bords duquel ses camarades et lui avaient planté, victorieusement le drapeau tricolore ?

Comment on disait que ces Prussiens marchaient triomphalement dans cette Champagne d'où jadis Kellermann et ses cannoniers les avaient repoussés en une heure? C'était donc pour en arriver là que le général Bonaparte s'était fait empereur et avait fait tuer trois millions de soldats français à travers tous les champs de l'Europe?

Son coeur avait failli se briser en apprenant que les Autrichiens étaient à Belley et qu'ils s'étaient emparés de Bourg. Les Autrichiens ! et ils pensaient avec plus de rage à sa vieille blessure, à sa jambe perdue sous les murs de Louvain.

Et Bécot passait de longues heures , silencieux, sombre, quelquefois pleurant de douloureuses larmes, sur le banc de pierre adossé à la petite maison, en face de l'arbre de la liberté, promesse vivace de l'éternité du droit et de la liberté.

Tremblez, tyrans, et vous, perfides, L'op|irobro de tous les partis ! Tremblez, vos projets parricides Vont enfin recevoir leur prix.

Ces accents ont retenti; ils viennent secourir Bècot dans sa torpeur. Il croit rêver ; sa tête est égarée. La Marseillaise ! La vieille Marseillaise l Le chant de Landau, de Fleurus, de l'armée de Sambre-et-Meuse, léchant de Louvain ! Mais non, ce'chant est mort ; il a été coudamné par l'empereur : depuis quinze ans, on ne le chante


LES TIIERMOPYLES DE 1814 327

plus ; tout le monde l'a oublié, personne ne le sait

plus !

Que veut cette horde barbare

De rois, de traîtres conjurés...

Mais si, c'est bien lui le chant sacré, mais non ce n'est pas un rêve, ce sont bien des voix françaises qui ont entonné l'immortelle Marseillaise. Les voix viennent du côté des Balmettes , elles se rapprochent, montant l'étroite gorge de l'Albarine :

Aux armes '. citoyens, formez vos bataillons ;

Marchons, marchons, Qu'un sang impur abreuve nos sillons!

Bécot est debout, les yeux pleins de larmes, frémissant. La Marseillaise !

Sur la place du village débouche la troupe : ce sont les gens d'Ambèrieu qui vont s'enrôler dans les rangs de la garde nationale de Saint-Rambert, Benoît Bozonnet en tête. Emu, stupéfait, Bécot se croit revenu aux beaux et glorieux jours de 1793 ; c'est la sublime vision du passé, des volontaires de la grande époque, qui repasse devaut ses yeux extasiés.

Les bras levés, le vieux soldat, tressaillant encore une fois de la vieille flamme du passé, salue frénétiquement les amis dont la voix redit les accents aimés des victoires de jadis. Il embrasse Benoit Bozonnet et bénit du fond de l'âme les jeunes gens en l'enthousiasme desquels il revit ses belles années, celles de Fleurus et de Landau.

La petite troupe s'arrête une heure sur la place de Torcieu : tous se pressent auprès d'elle, lui apportent le vin des grangeons pour réchauffer les soldats-paysans. Puis elle se remet en route, toujours en chantant l'air de guerre :


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Amour sacré de la patrie, Conduis, soutiens nos bras vengeurs! Liberté, liberté chérie, Combats avec tes défenseurs.

Et, à travers les grandes châtaigneraies, les étroites prairies où se dressent les branches des noyers séculaires, le long de la douce Albarine, qui accompagne de la murmurante mélodie de ses cascatelles brillantes le chant de guerre, à travers les rochers à pic qui surplombent le vallon, d'écho en écho, de roc en roc sonnent les mâles accents de l'hymne de Rouget de l'Isle, semblant éveiller tout ce passé disparu, semblant à travers les ressources des grands arbres et les pointes arides des rochers, faire passer l'âme même de la patrie — l'âme de la grande patrie républicaine. —

Le long de la route, à chaque coin du chemin, c'est quelque paysan venu d'un des villages de la plaine, de Bettan ou de Serrières ou desrendu d'un des hameaux de la montagne, de Montferrand, de l'Abergement-de-Varey, des Allymes, qui, sur l'épaule un mauvais fusil ou une hache de bûcheron, vient se joindre à la vaillante petite troupe. Quelques-uns, venus à travers les abrupts rochers, des maisonnettes perdues du mont Luisandre, du pauvre hameau de Brédevent, à la barbe rousse, hirsutes, semblent de purs burgondes, de sauvages compagnons du roi de Gondebaud.

Là-bas, au fond de la gorge, du côté d'Ambèrieu, en cette courte journée d'hiver, le soleil se couche en de rouges raj'ons, en ce fauve horizon où la lumière se joue étincelaute à travers l'atmosphère chargée des brumes surgissantes des étangs de la Domhes.

Et la petile troupe continuait sa route, frappaut vive-


LES TIIERMOPYLES DE 1814 329

ment le sol glacé, sur lequel résonnaient les sabots des paysans d'Ambèrieu.

Et le crépuscule ombrait la terre : la délicate silhouette des arbres dépourvus de feuilles barrant le couchant se reflétait en lignes sombres dans les lones tranquilles où se mirait le ciel bleu — avec son bleu profond et froid de mars, — que rougissaient à l'horizon les derniers feux du soleil disparu ; et l'Albarine grise sous ses courts arbrisseaux avait un murmure plus doux, qui semblait s'éteindre avec la lumière du jour

A la nuit tombante, la petite troupe arrivait à SaintRambert, où le capitaine Juvanon et toute la garde nationale, celle improvisée depuis huit jours, où toute la population, les femmes, les enfants attendaient les vaillants camarades du canton d'Ambèrieu. Poignées de mains, embrassades, c'était la joie à la veille du combat.

CHAPITRE V

« Les Autrichiens ! Les Cosaques ! »

Ce cri a retenti à Ambérieu et a semé la terreur dans la petite ville.

Les Autrichiens passaient encore pour gens civilisés, bien que, sur leur chemin, ils ne se gênassent pas pour faire flamber les fermes; mais les Cosaques! Ah! eux c'étaient des barbares sans foi, ni loi, égorgeant, brûlant et pillant autant qu'ils pouvaient. L'empereur Alexandre, ce prétendu allié de Napoléon, pour la vaine recherche de l'amitié duquel Napoléon avait sacrifié la Pologne et les vrais intérêts de la France, l'empereur Alexandre


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avait prêté à son « frère », l'empereur d'Autriche, quelques sotnias de ces farouches Cosaques pour éclairer son armée : — et ces Cosaques rendaient aux soldats de Bubna le service de terroriser les populations. — C'était le pillage fait soldat.

Pour ces cavaliers sauvages tout était bon à prendre, tout était occasion à rapine. En entrant à Bourg, alors que, en escadron, précédant l'armée autrichienne, ils pénétraient dans la ville, sur les rangs, l'un d'eux, avisant le manteau bleu flottant — comme on les portait à l'époque — d'un brave bourgeois, ne l'avait- il pas cueilli avec sa lance passée dans l'anneau de l'agrafe, au vol pour ainsi dire, sur les épaules de son propriétaire 1

« Les Autrichiens! Les Cosaques! »

A ce cri, les habitants s'étaient enfuis vers la montagne, emportant tout ce qu'ils pouvaient emporter et emmenant avec eux leurs chèvres, les seuls bestiaux qu'ils possédassent à cette époque.

Les Cosaques ! Ils arrivaient, en effet, au trot de leurs petits chevaux de l'Ukraine, sales, dégoûtants, aux longs cheveux poisseux, la tête couverte du lourd bonnet d'astrakan, tenant à la main leur longue lance ; ils arrivaient, grands, forts, taillés en hercules, le visage allumé aux pommettes, saillantes et rouges — celles du Kalmouck ; —' ils arrivaient du côté de Bourg et ils étaient déjà à Tiret, lieu qui au nord touchait Ambérieu. le com- • mencement même de la petite ville.

A leur tête galopait un officier.

Ah ! certes, ils étaient bien tranquilles : ils arrivaient en éclaireurs, mais ils paraissaient bien sûrs de ne rencontrer aucune résistance : tout était calme, silencieux, presque mort.


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A gauche du chemin, de drus noyers dressaient leurs branches ; au-dessous des arbrisseaux desséchés, à travers les branches desquels on apercevait les champs à cent mètres ; nulle embuscade n'était possible.

Plus loin, cependant, entre deux énormes, noyers, un pan de mur à moitié démoli ; mais un seul homme à peine eût-il pu s'y cacher.

Officier et cosaques avançaient donc trottinant, au petit trot de leurs petits chevaux d'Ukraine, parfaitement tranquilles, jouissant d'une quiétude complète.

Tout à.coup, de derrière le petit mur, surgit une forme humaine, un coup de feu et l'officier de Cosaques frappé au coeur roule à terre.

Une femme est debout, rechargeant son arme ; avant que les Cosaques eussent eu le temps de revenir de leur stupeur, elle a eu le temps d'ajuster encore une fois son fusil et un Cosaque est encore tombé de cheval mortellement frappé.

Des Cosaques se sont déjà précipités, lance au poing, contre l'héroïque femme, qui meurt la poitrine transpercée de dix lances à la fois, qui succombe, en martyr, pour la patrie, comme son fils avait succombé jadis pour la patrie et la République sur le pont démâté du Vengeur.

Et devant le cadavre à cheveux blancs de la mère Alamercery, les Cosaques stupéfaits, leurs lances sanglantes abaissées, se demandaient avec une sorte d'effroi, en leur obtuse intelligence, quel était le peuple qui pouvait avoir de telles héroïnes.


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CHAPITRE VI

Cependant Juvanon et ses officiers avaient mis à profit les quelques jours qui s'étaient écoulés avant l'arrivée des Autrichiens à Ambérieu. Les nouvelles recrues avaient été incorporées dans les rangs de la garde nationale, et, malgré ses dix-sept ans, Benoît Bozonnet, dont tous avaient admiré le zèle et la vive intelligence, avait été nommé adjudant.

Le capitaine Juvanon avait promptement observé que le seul lieu, où sa.petite armée, — ses cent cinquante gardes nationaux, — pourrait utilement se mesurer avec les troupes autrichiennes, c'était la gorge des Balmettes, au point le plus étroit de la vallée, où l'ennemi, eût-il dix mille hommes, ne pourrait, vu l'étranglement des rochers, profiter de sa force numérique.

Malgré la force de sa situation, ses gardes nationaux inexpérimentés n'auraient pu tenir : aussi Juvanon demande-t-il aide à Garbé qui, malgré les difficultés de la lutte qu'il soutient, lui envoie cinquante hommes, sous les ordres du lieutenant Durbec, pour encadrer les soldats improvisés de Saint-Rambert et d'Ambèrieu.

Durant la nuit du .15 au 16 mars, gardes nationaux et soldats du lieutenant Durbec, sous la direction du capitaine Juvanon, creusèrent dans la gorge large d'environ quatre cents mètres, entre le rocher Fort Chauchat et le rocher des Balmettes, une large tranchée derrière laquelle ils s'établirent ainsi que dans les bois environnants. Une grotte était creusée dans le rocher à quarante mètres de


LES THEIIMOPYLES DE 1814 333

la gorge : un étroit sentier seul y conduisait: c'est là que les officiers se portèrent pour diriger l'action.

Une seconde tranchée fut ouverte sur la route nationele qui serpentait au fond de la vallée : elle fut ouverte entre les villages de Montferrand et de Serrières, au Pontde-la Doit.

Les femmes de Saint-Rambert et des villages de la vallée étaient chargées de ravitailler la petite troupe et, durant les quinze jours que se poursuivirent les hostilités, elles remplirent leur tâche avec un zèle admirable.

Bécot se croj'ait revenu au temps de Landau : plus ardent que tons ses camarades, aussi alerte que les jeunes malgré sa jambe de bois, il allait, armé d'un vieux fusil, à travers les sentiers de la montagne, en éclaireur, cherchant à apercevoir de loin les habits blancs, les uniformes maudits des soldats autrichiens. A cause de son infirmité, il n'avait point été enrôlé dans les rangs de la garde nationale: il se trouvait donc absolument libre de ses actes.

Le 16 mars, vers les deux heures de l'après-midi, Bécot était à son poste d'observation : fout à coup, à une centaine de mètres devant lui, surgirent deux cavaliers : leur uniforme, c'était l'uniforme bien connu, l'uniforme bleu et blanc sur lequel il avait tiré si souvent vingt ans auparavant. Le vieux soldat pâlit d'émotion : et, hâtivement, il épaula et fit feu. Les deux cavaliers surpris, pensant être tombés dans une embuscade, tournèrent bride et s'enfuirent de toute la rapidité de leurs chevaux.

L'alerte était donnée: l'attaque prochaine.devait être attendue.

Le 17 au matin, Benoît, qui était chargé de veiller avec une dizaine de soldats à cent mètres en avant de la


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tranchée, aperçut des pelotons autrichiens s'avancer le long de la route'et se glisser à travers les vourgines de l'Albarine : il se replia sur la tranchée. Le signal donné, soldats et gardes nationaux se préparèrent à repousser l'attaque de l'ennemi.

Pris à gauche par le rocher abrupt, exposés dans le vallon soit sur la route dépouillée d'arbres, soit sur les graviers de la rivière, que les buissons encore sans feuilles ne masquaient pas, les Autrichiens avançaient à découvert, exposés aux balles des nôtres abrités derrière des rochers et derrière le talus de la tranchée.

D'un autre côté, l'étroitesse de la gorge ne leur permettait pas de développer un long front de troupes. Le capitaine Juvanon avait décidément admirablement pris ses positions.

Les fantassins autrichiens pouvaient cependant, grâce au coude de la route et à la sinuosité de la vallée, s'approcher assez- près de la tranchée sans être vus ; mais, dès que leur premier rang eût tourné le détour du chemin, ils furent accueillis par une vive fusillade, qui fit dans leur troupe des vides profonds.

Leurs officiers voulurent les entraîner à la baïonnette, mais, une seconde décharge ayant décimé les premiers assaillants, leur chef crut plus prudent de leur faire battre en retraite.

Leur recul fut salué de cris d'enthousiasme des nôtres.

Abrité derrière un rocher surplombant la route et la rivière, à quelques pas en avant de la tranchée, Bécot était embusqué. Il était furieux d'avoir, la veille, en sa précipitation, manqué les cavaliers autrichiens que le hasard avait conduits à la portée de son fusil : il avait résolu de prendre sa revanche. Lentement, tout à son aise,


LES THERMOPYLES DE 1814 ' 335

il épaula : comme point de mire il avait pris un officier autrichien, à cheval, qui, au bord de l'Albarine, essayait de rallier ses soldats, dont la fuite leur paraissait trop hâtive. Un coup de feu : l'officier blessé au bras gauche jeta son poing droit menaçant du côté des Français comme pour jurer de se venger. Cet officier était le colonel Rittermann, celui-là même qui dirigeait l'attaque.

Le soir, au quartier général, les officiers autrichiens comprenant la faute par eux commise en attaquant la tranchée de front, en masses profondes, résolurent de changer de tactique. Rittermann, furieux de sa blessure, voulait l'attaque violente, l'assaut ; mais ses collègues plus prudents lui firent comprendre que des escarmouches continuelles dirigées par des tirailleurs lasseraient les Français, soldats improvisés, gardes nationaux, paj?- sans et bourgeois peu entraînés aux fatigues de la guerre et qui, par ce froid mois de mars, aVec la pluie qui tombait chaque jour, sans autre abri que les anfractuosités des rochers, devaient monter la garde derrière leurs tranchées.

En vertu de ce plan, chaque jour, deux cents fusilliers autrichiens, clairsemés le long de la route et sur le bord de la rivière, venaient faire le coup de feu contre les Français, préparant ainsi l'heure où dans une surprise on pourrait enlever la tranchée par un hardi coup de main.

Les nôtres ripostaient à l'ennemi, mais tandis que les balles autrichiennes s'aplatissaient inutilement contre les rochers, les balles françaises démontaient fréquemment quelque habit blanc trop à découvert dans la plaine. De nombreux cadavres de soldats autrichiens jonchaient,

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chaque jour, les bords de l'Albarine, bien que nos gardes nationaux fussent des tireurs assez peu expérimentés.

Cette fusillade était devenue une sorte de jeu pour nos paysans : ils venaient des hameaux voisins, les uns après les autres, se joignaient aux gardes de Juvanon et aux soldats de Durbec et, après avoir abattu leur Autrichien, retournaient dans leurs demeures.

Garbé venait d'envoj'er, du reste, à Juvanon encore une quinzaine d'hommes sous la conduite du capitaine de Balthazar. Celui-ci, en chemin, avait entraîné tous les gardes nationaux des localités de la vallée et avait amené ainsi des renforts relativement importants aux vaillants défenseurs des Balmettes.

Cependant les officiers autrichiens se lassaient de cette longue résistance, de l'inutilité de l'attaque de leurs tirailleurs. Ils étaient surpris de la ténacité des paysans qui tenaient ainsi tête à leurs soldats.

Rittermann surtout, à peu près guéri de sa blessure, mais toujours en rage contre ceux de qui il l'avait reçue, avait hâte d'en finir.

Plus audacieux, plus ardent que ses camarades, un matin, le colonel Rittermann prit avec lui quatre soldats et à pied se dirigea vers la tranchée pour faire une reconnaissance et chercher le point par où ses troupes pourraient passer pour enlever la tranchée.

Le poste avancé des nôtres était commandé par le nommé Pierre Gabrion. Enseignés par Bécot, nos hommes avaient pour principe de toujours viser de préférence les officiers.

Quand Ritterman et ses quatre soldats se furent avancés, une décharge très vive les accueillit : les quatre soldats dont pas un n'avait été atteint, prirent bravement


LES TIIERMOPYLES DE 1814 337

la fuite : le colonel était à terre frappé de treize balles — les conseils de Bécot avaient été suivis : —avant de mourir Rittermann, se redressant dans son grand manteau bleu, avait encore eu le temps de crier à ses lâches soldats qui fuyaient de venger sa mort en brûlant Saint-Rambert. — C'était, du reste, dans les usages des Autrichiens : quelques jours auparavant, les paysans bugistes de Maillât et de la Combe-du-Val ayant attaqué leur arrièregarde en marche sur Saint-Claude, et ayant été vaincus, écrasés par le nombre, les Autrichiens s'étaient vengés de cette résistance en brûlant le village de Maillât. —

Quoi qu'il en soit, la mort du colonel Rittermann avait mis en fureur l'état-major autrichien qui, se départissant de sa prudence ordinaire, résolut de livrer un combat suprême et d'enlever enfin cette pauvre redoute qui lui barrait la route et derrière laquelle il croyait qu'il n'y avait que des paysans et des gardes-nationaux.

Les deux mille fantassins autrichiens s'avancèrent au pas de charge et en masse profonde contre la tranchée des Balmettes : encouragés par leurs chefs, ils ne cessêreut d'avancer malgré la fusillade dirigée contre eux ; mais, arrivés à trente mètre, du talus, le désordre se mit dans leurs rangs décimés : à ce moment, les soldats de Balthazar et de Durbec, les gardes-nationaux de Juvanon s'élancèrent de derrière leur redoute improvisée et se précipitèrent sur l'ennemi.

Ce fut alors une débandade générale : les Autrichiens se mirent à fuir à toutes jambes dans un désordre inexpressible, poursuivis, l'épée dans les reins, à travers les champs, à travers les rues du village de Saint-Germain, par nos braves soldats jusqu'aux portes d'Ambèrieu.

Là nos hommes durent s'arrêter : Juvanon, Durbec et


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Balthazar constatèrent qu'ils n'avaient que cent cinquante hommes avec eux, tandis que, en face d'eux, les quinze cents Autrichiens débandés se reformaient et que, au loin, accouraient à leur secours les Cosaques et les dragons campés à Tiret, dont on entendait le galop de leurs chevaux.

Quelques blessés, pas un seul mort : tel était de notre côté le bilan de la journée.

Le soir, il y eut grande joie à Torcieu, à Saint-Rambert, derrière la tranchée. On fêtait les braves qui avaient si héroïquement vaincu.

CHAPITRE VII .

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Delise était resté à Saint-Germain, roulant toujours dans sa tête les plus noirs projets dans le but de conquérir Marie.

Il le savait, Jacques était vivant : une lettre interceptée par lui, depuis que la jeune fille s'était retirée à SaintRambert, interceptée grâce à la facile complicité des Autrichiens, avec lesquels il s'était lié d'amitié, lui avait appris que le fiancé de Marie avait été fait — en ce temps où les grades s'enlevaient jour par jour — lieutenant après le combat de Méry-sur-Seine, où, sous les ordres du général Letord, il avait franchi le fleuve sous les balles prussiennes.

Napoléon définitivement vaincu, la guerre, allait finir et si Jacques revenait à Saint-Germain, c'était fini des projets de Delise. Delise le comprenait à merveille et il se demandait par quels moyens il pourrait arriver à brusquer un dénouement qu'il désirait.


LES THERMOPYLES DE 1814 339

En se promenant, il s'était un jour heurté à un bivouac de Cosaques à Tiret ; il y avait parmi eux un ancien soldat de la Grande Armée, d'origine badoise, qui avait été comme ses camarades entraîné par Napoléon dans les steppes de la Russie ; fait prisonnier à la suite de la retraite de Moscou, Karl Immer — c'était son nom — était resté parmi les Cosaques et comme tant de ses compatriotes, comme tous ses compatriotes après Leipsick, il s'était tourné contre la France. Il parlait tant bien que mal le français. Ce fut lui qui servit d'interprète entre Delise et les Cosaques.

Ces derniers, sauvages, féroces en leur barbarie, avaient cependaut les qualités qui se retrouvent chez les peuples primitifs : ils étaient hospitaliers.

Delise fut bien accueilli à leur bivouac, où, eux, les enfants des froides steppes dénudées de la Russie, extasiés devant les campagnes de France, ils vantaient notre pays, nos villages, notre climat, exprimant le désir de rester toujours à Tiret.

Delise se lia surtout d'amitié avec le chef de l'escouade, Nikita.

Le soir du formidable échec infligé par les défenseurs des Balmettes aux Autrichiens, Karl Immer expliqua à Delise que Nikita racontait en gesticulant à ses camarades que les officiers quoique découragés, mais furieux en leur défaite, s'apprêtaient à tenter un nouvel assaut.

— Ils n'y arriveront jamais par ce rnoj'en, dit Delise.

— Et comment alors, fit Karl Immer ?

— En les tournant par la montagne : c'est le seul moyen d'arriver à s'emparer des Balmettes et d'en finir avec les gardes nationaux.

— Connais-tu le chemin ?


340 ANNALES DE L'AIN

— Non ; mais on pourrait le trouver et vous y faire ■ conduire,

La pensée de la trahison avait germé subitement dans son esprit avec tout un plan : Benoît Bozonnet frappé, Marie seule au monde, abandonnée par conséquent à toutes ses entreprises.

Une heure après, grâce à Nikita, la conversation était rapportée au colonel autrichien qui commandait en chef.

Faire venir Delise au quartier général, l'interroger, s'entendre avec lui fut l'affaire d'un instant.

Delise promit de faire guider les troupes autrichiennes à travers la montagne pour tourner le poste français et s'emparer ainsi des Balmettes.

Delise ignorait les sentiers ; mais il savait à qui il pouvait s'adresser.

Au hameau de Vareilles, au bord du petit ruisseau du Gardon, près d'Ambèrieu, vivait un chevrier du nom da Jean Blanc ; dans une misère sordide, faible d'esprit et connaissant admirablement la montagne, où il eut pu aller, les j-eux fermés, c'était l'homme qu'il fallait.

Delise alla le trouver et le misérable, en sa faible intelligence, ébloui par l'or qu'on lui montrait, consentit moyennant trente francs, à conduire les Autrichiens à travers les sentiers de la montagne pour tourner les Balmettes.

Le soir même, le plan fut mis à exécution.

Un millier de fantassins autrichiens se formèrent en colonne.

Deux cents autres se préparèrent à aller au matin tirailler dans la plaine de l'Albarine pour détourner l'attention des soldats français : derrière, les cavaliers et les


LES THERMOPYLES DE 1814 341

Cosaques s'apprêtèrent à foncer sur la tranchée une fois qu'elle aurait été tournée.

Le plan était admirablement conçu.

A minuit, la colonne se mit en marche, ayant en tête . Jean Blanc entre deux sous-officiers armés de pistolets, prêts à lui brûler la cervelle, s'il les trompait et s'il les •faisait tomber dans une embuscade.

Ils passèrent dans le hameau de Vareilles et remontèrent les bords du Gardon, du petit ruisseau qui contourne le mont où s'élève le château de Saint-Germain, — un ruisseau sur les bords duquel, au ixe siècle, s'il faut en croire la légende, le diable tenta, au milieu de ses religieuses méditations, Saint Bernard, le pieux fondateur de l'abbaye d'Ambronay. —

En face, noirs les coteaux du Mont-Charvey, couverts de bois taillis, à pic; à gauche, les coteaux chargés de vignes; au fond, le Gardon murmurant en se précipitant à travers ses cailloux ; à droite, abrupte la pente où se dessinaient les orgueilleuses ruines du château de SaintGermain, à travers lesquelles se jouaient les rayons de la lune, brillante en cette froide nuit de l'avril commençant : un décor de. féerie merveilleuse, avec cette longue théorie des blancs uniformes sillonnant la gorge comme une seconde rivière à côté du Gardon.

Au matin, la colonne malheureusement trop bien conduite était au sommet de la montagne, bien à l'ouest des Balmettes, pouvant prendre à revers les vaillants soldats français.

Une brume épaisse s'était élevée masquant le fond de la vallée, se déchirant parfois pour laisser voir les seules ruines du château passant noires, fantastiques dans la chevauchée blanche du brouillard. Seulement, on enfen-


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dait au loin, dans le fond de la vallée, les coups de feu qui annonçaient que les tirailleurs avaient commencé la manoeuvre qui devait entièrement absorber l'attention des soldats français du côté de l'Albarine. Tout semblait aller à souhait • ,

Ce matin là, Pierre Barbarin, qui, chaque jour, était allé avec son fusil sur la tranchée tirer quelques Autrichiens, flairant une belle journée du printemps à son aurore, avait résolu d'aller travailler sa vigne. Sa pioche sur l'épaule,; en compagnie de son vieux père et traînant son fils âgé de quatre ans, il avait quitté avant l'aube sa maisonnette de Torcieu.

Il piochait ferme vers, les sept heures du matin quand son oreille habituée à tous les bruits de la montagne, crut percevoir un bruit inaccoutumé, étrange. Des yeux, il chercha à percer la brume ; mais la brunie était trop épaisse.

Cependant le bruit se rapprochait toujours ; tout à coup, dans la déchirée du brouillard, à cinquante mètres, il aperçut les uniformes bleus et blancs.

Saisir son fils, le mettre sur ses épaules, courir pour aller avertir les nôtres fut pour Barbarin l'affaire d'un instant. Le brouillard heureusement le masquait aux yeux des Autrichiens, car sa présence leur avait été signalée par les cris de son enfant, qui voulait à tout prix aller reprendre son sabot tombé dans la précipitation de la fuite.

Quelques coups de feu tirés au hasard par les Autrichiens ; mais Barbarin roulant la montagne était arrivé aux Balmettes.

Donner l'alerte; en un instant soldats et gardes-nationaux sont prêts : dans l'impossibilité de lutter, poignée


LES THERMOPYLES EE 1814 343

d'hommes, à découvert, contre les troupes autrichiennes qui les prennent-à revers, maudissant indignés la trahison qu'ils devinent, ils battent en retraite sur SaintRambert, où ils comptent bien organiser une nouvelle résistance.

Les Autrichiens ont trouvé dans la vigne le père de Barbarin, auquel son âge avait empêché de fuire : furieux d'avoir été découverts, ils veulent se venger sur ce vieillard. Un officier surtout brûle du désir de faire cette exécution :

—■ Monsieur le comte, s'écrie le père Barbarin ahuri !

C'était, en effet, le comte de Grandveyle, l'ancien émigré de 1791, incorporé depuis plus de vingt ans dans l'armée autrichienne, combattant dans ses rangs sur tous les champs de bataille les soldats de la France, et revenant, après cette longue absence, dans son pays avec les envahisseurs. Les alliés avaient eu soin do placer ces émigrés dans chacun des corps qui devaient envahir la région de la France d'où il étaient sortis et où ils pouvaient utilement guider l'ennemi. C'est ainsi que le comte de Grandveyle avait été placé dans le corps autrichien chargé d'occuper Ambérieu et Saint-Rambert. Quant à l'autre émigré de la vallée de l'Albarine, Décrivieux, on savait déjà qu'il était l'aide-de-camp du général de Bubna, placé auprès de lui pour lui donner tous les renseignements utiles sur le département de l'Ain.

— Ah 1 tu me reconnais, s'écria le comte. Eh bien ! c'est fini le temps de la révolte.

Et, en allemand, il donna à ses soldats l'ordre d'attacher le vieillard à un arbre et de le fusiller.

Heureusement, le commandant de la colonne intervint : il reprocha avec indignation sa lâche conduite à l'officier


344 ANNALES DE L'AIN

émigré, fit détacher le vieillard, le laissa en liberté, dé clarant que ce qu'il fallait faire avant tout c'était de dévaler vers la plaine pour couper la retraite aux Français.

Il était trop tard. En arrivant aux Balmettes, en face de ces fortifications primitives, qui les avaient arrêté depuis quinze jours, les Autrichiens ne se trouvèrent qu'en face de leurs camarades, qui continuaient à tirailler sur les bords de l'Albarine en s'étonnant quelque peu qu'on ne leur répondit pas, mais flairant quelque nouvelle surprise.

CHAPITRE VIII

Le petit village de Torcieu était occupé par les troupes autrichiennes : Nikita et ses Cosaques y bivouaquaient sur la place publique au pied de l'arbre de la liberté, tandis que leurs camarades à habits blancs avaient envahi les maisons.

Bécot consterné pleurait à cette honte et il regardait, la rage au coeur, les branches commençant à bourgeonner de son ormeau chéri servant d'appui aux lances des Cosaques. Fleur us, Landau, Louvain ! Glorieux souvenirs des armées de la République, où étiez-vous?

Fort du récent exemple de Maillât incendié et conformément à tous les usages suivis par les Autrichiens, durant cette invasion, contre les villages qui avaient résisté, le comte de Grandveyle, dans l'âpre désir d'assouvir une vieille haine de vingt ans, avait fait décider que le village de Torcieu serait entièrement brûlé. Du reste, le cri de vengeance de Rittermann mourant ne devait-il pas être entendu?


LES THERMOPYLES DE 1814 '345

Déjà les torches étaient prêtes aux mains des Cosaques et des Autrichiens": Torcieu allait flamber comme Maillât, ses habitants étant coupables du même crime, la défense du sol sacré de la patrie.

Les habitants consternés imploraient en vain les officiers autrichiens : ceux-ci poussés par le comte de Grandveyle avaient hâte d'en finir et de se venger sur le pauvre'village de l'héroïque défense des Balmettes.

Le commandant en chef, plus humain que ses sousordres, ébranlé par les larmes qu'il voj'ait couler, consentit toutefois à s'en rapporter à la décision du comte de Bubna, lequel avait établi à Bourg son quartier général.

Fureur du comte de Grandveyle qui voyait retarder l'heure de sa vengeance contre ses anciens vassaux qu'il rendait responsables tout à la fois de son exil et de l'oeuvre entière de la Révolution.

Deux notables partirent immédiatement pour Bourg: le comte de Bubna se refusa d'abord à les recevoir: ils implorèrent son aide de camp Décrivieux, leur compatriote, qui, retrouvant au fond de son coeur les vieux souvenirs du village natal, consentit à intercéder et arracha au général autrichien la grâce de Torcieu : le pauvre village serait sauvé des flammes.

Pendant que, à Bourg, se décidait ainsi le sort de Torcieu, Cosaques et Autrichiens continuaient à s'installer dans le village, pillant les maisons et molestant les gens, encouragés par le comte de Grandveyle, qui semblait décidément avoir une bien tenace vengeance à satisfaire.

Le comte, en passant sur la place, remarqua l'arbre de liberté, au pied duquel bivouaquaient les Cosaques :

— « Mais, c'est leur prétendu arbre de liberté, s'écria-


346 ANNALES DE L'AIN

t-il en évoquant tout à coup de vieux souvenirs. Eh bien ! si le comte de Bubna n'a pas encore donné l'autorisation de faire flamber le village, rien ne s'oppose en attendant à ce que je fasse flamber leur arbre. »

Et vite, il ordonna aux Cosaques, joyeux d'un acte malfaisant à remplir, d'apporter des fagots au pied de l'arbre et d'y mettre le feu.

Bécot, qui était assis sur son banc de pierre, n'avait d'abord rien compris à l'ordre donné par l'émigré : coin-' ment eût-il pu supposer un acte d'aussi stupide vandalisme? Mais quand il aperçut un Cosaque s'approcher avec une torche des fagots résineux amoncelés, fou de douleur, en voyant ainsi menacer l'autel, objet de son culte unique, il se leva et se précipita vers l'arbre comme pour le défendre.

Avant qu'on ait eu le temps de l'arrêter :

— « Lâche, misérable, traître », s'écria-t-il et avec sa canne il coupa de deux violents coups la figure du comte de Grandveyle.

Promptement remis de sa surprise, aveugle de colère, le comte tira son sabre et en traversa la poitrine du vieux soldat de Fleurus, lequel, ayant encore la force de pousser son vieux cri de: « Vive la République! » ce vieux cri que les échos ne savaient plus répéter, — lequel alla rouler sur les fagots amoncelés, la tète frappant l'arbre vénéré.

— « Qu'ils brûlent ensemble! » hurla le comte en essuyant sa figure sanguinolente.

Les flammes jaillissaient déjà et, en un monstrueux

autodafé, consumaient dans le même sacrifice et l'arbre

sacré et le dévot qui, toute sa vie, l'avait entouré d'un culte religieux.


LES THERMOPYLES DE 1814 347

Autour du bûcher, les longues branches de l'arbre flambant et pétillant, leur passion sauvage satisfaite, les Cosaques dansaient une ronde barbare, en chantant un refrain au rhytme inconnu et étrange, — pendant que l'arbre charbonnait en une noire fumée autour de laquelle les oiseaux chassés de leur vert refuge voletaient avec des cris d'effroi et que, à terre, dans la cendre des fagots consumés, se brûlait en se recroquevillant le cadavre de l'infortuné Bécot.

Pendant qu'ils dansaient leur ronde infernale, Delise, qui, au loin, comme les hyènes suivent les grands carnassiers, avait suivi la troupe autrichienne cherchant à savoir ce qu'il était advenu des défenseurs des Balmettes et surtout de Benoît, Delise rôdait sur la place.

Nikita l'aperçut: il lui fit signe d'approcher et, quand il fut à portée de sa main, aidé d'un autre Cosaque, il le saisit solidement et le força à entrer dans la ronde, à sauter lui aussi autour du bûcher où se consumait un cadavre.

Il ne restait plus de l'arbre qu'un squelette noirci et du cadavre qu'un crâne et quelques ossements informes : les Cosaques avaient soif: la flamme, la ronde, tout y avait contribué.

Ils entraînèrent Delise, malgré le dégoût qu'il éprouvait de ses amis, dans une maison voisine et là obligèrent le propriétaire à leur apporter à boire.

Le vin du coteau de Torcieu était bon et les Cosaques étaient altérés : au bout d'une heure ils buvaient encore, mais tous étaient gris.

Idée d'ivrognes, dispute incompréhensible, tout à coup après s'être consultés en un langage que Delise ne comprenait pas, avec force éclats de rire, ils se saisirent de


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leur compagnon, le mirent nu jusqu'à la ceinture, le dépouillant de tous ses vêtements, sauf son pantalon : Delise se débattait en vain, mais vingt bras vigoureux l'immobilisaient : il criait, appelait au secours ; mais nul ne répondait à son appel.

On l'entraîna hors de la maison, sur la place, à deux pas de l'endroit où il avait dansé une heure auparavant, en face du cadavre carbonisé du brave Bécot : les Cosaques riaient toujours.

L'un d'eux alla détacher un de leurs chevaux qu'ils avaient placés dans une écurie voisine : Nikita prit l'animal par la bride pendant que deux Cosaques attachaient solidement Delise par les mains à la queue de l'animal. Où voulaient-ils.en venir? Delise ne devinait pas, mais il avait peur devant le rire de ces brutes. Et Karl Immer, leur interprète, qui n'était pas là! Impossible de se faire comprendre, d'avoir une explication.

Il vit les Cosaques aller prendre leurs fusils : allaientils le fusiller? Non: chacun d'eux retirait seulement la baguette servant à les charger et la secouait, l'essayant comme d'une cravache.

Delise ne comprenait toujours pas : il ignorait cette torture en usage dans l'armée russe : les Cosaques allaient seulement, par manière de rire, infliger à ce Français, qui avait eu la sottise de se lier avec eux et qui avait commis le crime de trahir son pays, infliger à ce Français la rude et dure punition qui servait si bien à maintenir la discipline parmi les troupes du tsar.

Les Cosaques, chacun armé de sa baguette, se placèrent sur deux lignes parallèles, à travers lesquelles devait passer le cheval traîné par Nikita et entraînant Delise.

Le voyage commença et au passage chaque Cosaque ap-


LES THERMOPYLES DE 1814 349

pliquait un vigoureux coup de baguette sur le dos nu de Delise. Au premier coup, un cri auquel répondirent de cruels éclats de rire: la peau était déchirée, le sang jaillissait; mais Delise hurlant n'avait même pas le temps de respirer, les coups tombaient et retombaient sans discontinuer, plus durs, plus coupants.

Le voyage terminé, Nikita retourna le cheval et le voyage reprit en sens inverse, les coups tombant sur ce , dos et ces reins qui n'étaient déjà plus qu'une plaie sanglante.

S'arrêter, Delise ne pouvait : deux fois, il tomba, un brusque saut, du cheval lui disloqua les bras et les poignets, pendant que ses amis les Cosaques le relevaient de vigoureux coups de pied dans les flancs.

Quatre fois le sinistre voyage recommença et les coups ne cessaient pas : ils ne cessaient pas davantage que les rires des bourreaux.

Le patient ne criait plus : il tomba lourdement à terre: le cheval se cabra, les Cosaques distribuèrent leurs coups de pied, Delise ne se relevait plus ; le cheval se cabra de nouveau et, comme s'il eût eu pitié de l'infortuné, d'un violent coup de sabot il lui fractura le crâne : le misérable se souleva ; un flot de sang jaillit de sa bouche ; puis il retomba...

Juvanon, François Grange, Gustave Baron, BourdinGrévy, Brucelin, Durbec et Benoît Bozonnet étaient réunis à l'hôtel-de-ville de Saint-Rambert, prenant toutes les dispositions pour la défense de la petite cité contre l'attaque certaine et prochaine des Autrichiens ; mais ils ne se le dissimulaient pas, c'était là une lutte follement héroïque et glorieusement inutile : Saint-Rambert était


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une ville absolument ouverte et la position était loin d'offrir les ressources de défense des Balniettes.

Cependant les jours se passaient et l'ennemi n'attaquait • pas. Quelques cavaliers étaient bien venus en éclaireurs, . mais ils s'étaient retirés en voyant une barricade élevée par les soins de Juvanon à l'entrée de la petite cité.

Avertis par la longue action des Balmettes, les officiers hésitaient à attaquer, en voyant que les soldats de Durbec et les gardes nationaux de Juvanon étaient prêts à défendre Saint-Rambert comme ils avaient défendu Torcieu.

Cette hésitation sauva la petite ville. Quelques jours après, on apprenait l'abdication de Napoléon, l'avènement de Louis xvm rétabli sur son trône par les souverains alliés. C'était la paix, la paix douloureuse, horrible ; mais, la monarchie étant devenue le gouvernement légal du pays, les paysans du Bugey n'avaient plus à lutter.

Pendant que le drapeau blanc était hissé au sommet dfu vieux beffroi, les braves et héroïques défenseurs des Balmettes allèrent enfermer, en pleurant, dans une cachette, d'où il devait sortir bientôt — après le retour de l'île d'Elbe, — leur glorieux drapeau tricolore.

Garbê, le vaillant commandant de Pierre Cliâtel, rendit à ces héros solennel hommage. « Dans cette occasion, « écrit-il, la garde nationale commandée par M. Juvanon o .montra .un courage et un sang-froid dignes des militai« res expérimentés ; elle put, par son intrépidité, préser«: ver du pillage la ville de Saint-Rambert. » Et il parle avec enthousiasme des « actes de courage des habitants « du Bugey qui, sans guides et mal armés, attaquaient cf constamment les détachements ennemis et surtout la o cavalerie ». — « Ils gardaient, ajoute-t-il, tous les « passages, de sorte que l'ennemi n'osait se présenter


LES THEBMOPYLES DE 1814 351

« avec de faibles détachements. Si le même esprit eut «régné dans toute la France, il est incontestable que ce l'ennemi aurait eu beaucoup de peine à s'y maintenir. »

C'était une belle après-midi de printemps, fin avril : les Autrichiens et les Cosaques rappelés par Bubna avaient pris la route de <jrenoble, où le général autrichien massait ses troupes ; de Saint-Rambert à Ambérieu, on ne voyait plus ni lances,, ni habits blancs ; les villages endoloris commençaient à reprendre leur physionomie habituelle : le printemps chantait dans tous les buissons et à travers l'herbe des prairies.

Benoît Bozonnet ramenait sa soeur de Saint-Rambert à Saint-Germain par la route le long de l'Albarine, à travers le défilé des Balmettes : tous deux étaient angoissés, lui au douloureux souvenir de la défaite, se rappelant ce chemin parcouru cinq semaines auparavant avec l'enthousiasme soufflé par les notes ardentes de la Marseillaise, elle à la pensée du fiancé peut être à jamais perdu.

Tout à coup, aux portes de Saint-Germain, venant à eux en courant, un officier de voltigeurs se précipite :

— « Jacques! » — « Marie! »

Deux cris : c'était le fiancé tant attendu, revenant sain et sauf des longues guerres, renvoyé dans ses foj^ers en demi-solde comme ses camarades par le gouvernement du roi.

C'était l'éternel amour rapportant l'âpre désir de vivre et l'éternelle espérance.

Et autour d'eux, germinal jetait à foison la vie, l'amour universel : les oiseaux chantaient dans les branches verdoyantes, les fleurs commençaient à poindre aux vertes

25


352 ANNALES DE L'AIN

ramures des buissons : l'Albarine coulait plus murmurante sur ses blancs cailloux et sous ses vourgines parées par avril. C'était la nature, éternellement jeune, éternellement réparatrice, couvrant de son manteau joyeux et fécond les désastres, les ruines amoncelés par la guerre barbare des hommes, c'était la nature, qui, grande pacificatrice, sous son tiède soleil de printemps, disait à tous les êtres de vivre, d'aimer pour les fructueuses moissons de demain.

ALEXANDRE BÉRARD.



HONORÉ FABRI


UN SAVANT OUBLIE enfant du Bugey

HONORÉ FABRI

L'un des inventeurs de la circulation du sang

A mon ami de Lanessan. A. C.

Il est bien rare qu'une de ces grandes découvertes qui enrichissent lé domaine de ,'humanité éclate comme un coup de foudre et sorte tout armée du cerveau d'un homme de génie. Ce n'est souvent qu'après un laborieux accouchement, des tâtonnemenls, des essais, que la découverte devient concrète, prend corps. Longtemps avant qu'un savant vienne la formuler; elle est, pour ainsi dire, dans l'air. Ainsi, les découvertes de la poudre, de la vapeur, de l'électricité...

Il en est de même pour la découverte de la circulation du sang qui n'appartient pas et ne pourrait guère appartenir à un seul homme.

Il a fallu détruire plusieurs erreurs, à chacune de ces erreurs il a fallu substituer une vérité.

Nous venons revendiquer pour un de nos compatriotes, pour un fils du Bugey, pour un savant français maintenant trop oublié, et dont Flourens, qui a énuméré les précurseurs d'Harvey, ne parle pas dans son Histoire de la découverte de la circulation du sang, nous revendi-


354 ANNALES DE L AIN

quons, dis-je, la gloire d'avoir peu de temps après ïïarvey, mais avant qu'il ait eu connaissance de son livre, enseigné publiquement la circulation du sang.

Ce savant était un jésuite, professeur de philosophie et de physique au collège de Lyon, Honoré Fabri, descendant d'une famille de juges-mages du Valromey; il était né le 16 avril 1607, à Virieu-le-Grand, et non à Bourg, ni au Grand-Abergement comme plusieurs l'ont écrit.

Il eut, pour parrain, croyons-nous, l'illustre Honoré d'Drfé qui commençait alors à écrire, sous les hêtres de son château de Virieu, les premières pages de son Astrée. A défaut du registre des actes de baptême, de l'état civil de cette époque, nous avons des pièces qui autorisent notre assertion.

Après avoir fait d'excellentes études, Fabri entra chez les Jésuites qui, habiles à discerner les hommes de valeur, surent le garder.

Après deux ans de noviciat à Avignon.de 1626 à 1628, Il revient à Lyon pour y étudier la théologie pendant quatre ans. Professeur de logique au collège d'Arles, pendant l'année scolaire 1636-7, il y enseigne l'année suivante 1637-8 la physique et les mathématiques.

Nommé en 1638, préfet des classes au Collège royal d'Aix-en-Provence, il y fit sans doute connaissance de l'illustre Gassendi avec lequel il eut une correspondance qui témoigne de l'estime qu'ils avaient l'un pour l'autre. Nous savons par le journal publié par M. Tamisey de Larroque dans la Revue des Questions historiques en 1877 que Gassendi était à Aix en avril 1639.

Rappelé à Lyon, Honoré Fabri, fut chargé pendant sept ou huit ans d'enseigner les différentes parties de la phi-


HONORÉ FABRI .355

losophie qui embrassait alors la physique, l'astronomie et les mathématiques. C'est pendant cette période qu'il se montre initiateur et grand partisan de la méthode expérimentale, ayant fait, dit-il lui-même, des milliers d'expériences nécessaires pour établir ses idées.

Ceci nous amène à comprendre le rôle personnel du P. Fabri dans la découverte de la circulation du sang.

Il s'occupa beaucoup de sciences naturelles, il enseigna, à Lyon, la philosophie et la physique.

Il y avait alors longtemps déjà que les ouvrages d'approche, pour ainsi dire, de cette grande vérité cachée étaient découverts. Gallien avait montré que les artères contiennent du sang comme les veines, il avait indiqué la distinction de deux sangs. Vésale avait montré que la cloison des deux ventricules n'était pas percée. Servet avait découvert la circulation pulmonaire (1).

Six ans après, Colombo, médecin de Padoue, qui n'avait pu avoir connaissance du livre de Servet, découvrit les valvules des veines sans en découvrir l'usage.

An commencement du xvme siècle, tout, relativement à la circulation, avait été indiqué ou soupçonné; rien n'était établi ; les savants, de tous côtés, avaient l'esprit tendu sur cette question; partouL on faisait des recherches, des expériences ; toutes les chaires retentissaient de discussions et de systèmes.

En 1628, le livre d'Harvey parut à Francfort; il ne fit dans le monde savant et médical que très peu de bruit, il passa même presque inaperçu.

Quelque temps après, le Père Fabri enseignait à ses élèves la circulation du sang. Il affirme, et aucun de ses

(I) Sanguis a vena ai'loi'iosa in artcriam venosam transt'unditur M. SERVET, CHRISTIANISMI RESTITUTIO.


356 ANNALES DE L'AIN

contemporains ne met en doute sa parole, qu'il ignorait l'existence du livre d'Harvey, et que c'est à la suite de ses propres observations, de ses personnelles expériences, qu'il a enseigné le dogme (sic) de la circulation du sang.

On possède à la Bibliothèque de Lyon des recueils de thèses d'élèves du Père Fabri qui confirment la découverte que ce savant revendique hautement dans son livre : De plantis, de generalione animalium et de homine.

Voici ses paroles :

« Il n'y a aucun doute que de savants médecins et des philosophes de l'antiquité n'aient eu une idée de la circulation du sang, mais ils n'en ont parlé que d'une façon obscure ; Guillaume Harvey a écrit un livre où il démontre cette vérité. Quant à moi j'y ai toujours cru énergiquement avant que la brochure d'Harvey ne tombât entre mes mains, je l'ai publiquement enseigné depuis 1638 et ce n'est que de longues années après, que j'en ai eu connaissance. »

Comme nous l'avons dit, cette opinion a été partagée par beaucoup de savants, nul, à l'époque où il produisit sa revendication, n'osa mettre en doute la parole du savant dont tous honoraient la probité scientifique et la dignité de vie.

De Colonia, dans son Histoire de Lyon dit : « Le Père Fabri déclare dans un manuscrit curieux de nouvelles découvertes (1) que, quoiqu'il ne se soit jamais vanté de la

(1) Cette dissertation historique et scientifique la plus curieuse de toutes, qui a été enlevée du volume, de Reconter inventis in re litteraria et dont le P. Colonia avait soin comme bibliothécaire 1 a été depuis indignement lacérée. C'est justement le volume qui contenait ce manuscrit.


HONORÉ FABRI 357

découverte de la circulation du sang, il en est l'auteur original. Les compliments que le célèbre philosophe médecin de Florence, M. Redi, lui fit là-dessus nous marquent que c'était là un fait public et qui fut bientôt connu en Italie. »

Les auteurs du grand Dictionnaire de Trévoux ne l'ont pas ignoré; voici ce qu'ils disent au mot circulation: « Le Père Fabri a enseigné la circulation avant que Harvey en eut rien écrit, (1) mais, après tout, il peut fort bien se faire que deux personnes, et même davantage, aient eu les mêmes idées. »

Baillet, que son attachement à la gloire de son héros Descartes ne rendait pas tendre pour les contradicteurs ou adversaires de celui-ci, Baillet lui-même n'hésite pas à dire (2) : « L'expérience prouve qu'une même chose peut être inventée plus d'une fois en divers endroits par des personnes qui n'auront rien appris l'une de l'autre et qui n'auront eu aucune communication ensemble. Harvey se disait l'auteur de la découverte touchant la circulation du sang et le Père Fabri prétendait l'avoir enseignée en France avant que cet Anglais en eut rien écrit » (3).

On lit dans le P. Charles Daniel (4) : « Le Père Fabri était un génie universel. Il enseigna,, paraît-il, la circulation du sang, d'après ses propres expériences, avant d'avoir eu connaissance de la belle et importante découverte d'Harvey. »

(1) Co lapsus a été expliqué plus haut.

(2) Vie de Descartes, t. II, p. 544.

(3) C'est peut-être dans Baillet que le Dictionnaire de Trévoux a pris cette assertion inexacte.

(4) Les Jésuites instituteurs de la jeunesse.


358 ANNALES DE L'AIN

« Le premier qui découvrit le système de la circulation, dit Mannhart (1), fut Guillaume Harvey ou Honoré Fabri qui déclare avoir enseigné cette doctrine en France, deux ans avant d'avoir eu connaissance de l'ouvrage. »

Dans le curiei;x volume intitulé Esprit et saillies du P. Castel se trouvent encore les lignes suivantes qui sont à retenir, car le Père Castel jouissait dans le monde savant d'une grande autorité : « Nos connaissances étaient bien imparfaites avant qu'Harvey, Fra Paolo ou Fabri eussent découvert la circulation qui règne dans nos corps et aussi dans tous les corps animés. »

Dans le Dictionnaire historique de Feller, nous lisons aussi : « C'est dans le traité des Plantes que H. Fabri prouve avoir enseigné la circulation du sang avant que le livre de Guillaume Harvey eut pu tomber entre ses mains. »

Il faut aussi entendre Michault dans ses Mélanges historiques : « Oudin, dit-il, a réclamé ouvertement une dissertation, qu'il avait écrite en français, sur le véritable inventeur de la circulation du sang. On sait que cette découverte a été attribuée à Harvey, d'autres en font honneur à Fra Paolo... Oudin prétend que c'est Fabri qui l'a trouvée. »

Enfin, nous sommes heureux de nous faire l'écho pour ainsi dire de notre ancien collègue, M. Chapuis. En 1827, il avait fait une communication à la Société d'Emulation de l'Ain où il déclarait que, en 1760, lorsqu'il étudiait au Collège de Lyon où le P. Fabri avait enseigné avec tant de distinction, le P. de Chateauneuf soutenait que le P. Honoré Fabri, son ancien prédécesseur dans la

(1) Bibliothéca domestica.


HONORÉ FABRI 359

classe de physique et de mathématiques, pouvait ajuste titre revendiquer la gloire d'avoir découvert la circulalion du sang.

Nous ne touchons ici qu'à un point de fait ; nous n'avons donc pas à établir le parallèle des doctrines du P. Fabri avec celles qui régnaient avant lui,, mais pour ceux qui auraient la curiosité de se rendre compte en quoi le P. Fabri a innové dans la solution du problème de la circulation du sang, nous les invitons à lire les thèses soutenues par les élèves du P. Fabri, et surtout la claire et solide exposition qu'il fait de tout son système dans le livre qui a pour titre : De plantis et degeneralione animalium.

Le Père Fabri a incontestablement une part dans la découverte du phénomène complexe de. la circulation du sang. En observant des faits non encore nettement observés avant lui, en se livrant à des expériences rigoureuses, il est venu compléter la théorie jusque-là embryonnaire de la circulation du sang.

Nous avons voulu revendiquer pour ce savant français, que M. Flourens a oublié dans son livre au profit des savants étrangers, la part qu'il a eue à la découverte si complexe de la circulation en mettant à jour certains phénomènes qui démontraient l'inexactitude ou l'insuffisance des théories jusque là .reçues.

Comme le dit le même M. Flourens, « la découverte de la circulation du sang n'appartient pas à un seul homme; elle n'a été faite que peu à peu et partie par partie; plus de vingt savants y ont concouru. »

Fabri est de ceux-là ; Harvey, à qui nombre de contemporains anglais contestèrent la découverte, a eu surtout le mérite, dans son merveilleux opuscule de cent


360 ANNALES DE L'AIN

pages, d'avoir synthétisé les découvertes et de les avoir coordonnées.

Les travaux du Père Fabri qui a publié plus de vingt ouvrages, quelques-uns fort remarquables, et qui a été un des grands initiateurs de la méthode expérimentale, lui valurent une haute autorité scientifique.

Il termina en 1688, à l'âge de quatre-vingt-deux ans, sa longue et laborieuse-carrière.

Albert CALLET.


Résumé des Travaux

DE LA SOCIÉTÉ D'ÉMULATION DE L'AIN 1S9'?-1S98

Dans la séance de rentrée du 17 novembre 1897, M. le docteur Nodet, vice-président, donne lecture d'une lettre de M. Pelletier, maire de Coligny, membre correspondant de la Société, nous informant de la découverte de nombreux débris d'une statue en bronze faite à Charmoux par M. Roux, propriétaire. La Société délègue MM. Huteau, Bûche, Fournier et Sommier, afin de prendre des photographies des diverses parties de la statue, copie des . inscriptions', réunir en un mot tous les renseignements qui peuvent aider à en fixer la date et la destination. Puis, la séance est levée en signe de deuil, la Compagnie ayant perdu, le 15 août dernier, son dévoné Président, M. J. Brossard.

A la séance suivante, M. Bûche expose à la Société, la découverte de Coligny.

M. Roux, propriétaire à Charmoux, hameau de Coligny, a mis à jour en défrichant une vigne, les - débris d'une antique statue en bronze qui pourra heureusement être reconstituée. Ce terrain est situé à l'est de la route de Coligiry à St-Amour, à une distance de 80 mètres de celle-ci et assez près de la limite du Jura et de l'Ain. En raison de la configuration du sol, une statue placée en cet endroit était visible d'assez loin, soit du côté de Saint-


362 ' ANNALES DE L'AIN

Amour, soit du côté de Coligny. Des débris nombreux de tuiles romaines, de verre ancien, de poterie, attestent qu'il y a eu là des constructions romaines. Non loin de ce lieu d'ailleurs, à Chazelles (Jura), commune située à l'ouest delà même route, on peut voir encore une écurie entière pavée avec des tuiles romaines.

Les débris recueillis, au nombre de plus de deux cents, provenaient d'une statue et d'une inscription. De cette statue, au moyen de terre argileuse et à force d'ingéniosité et de patience, nous avons pu reconstituer la partie gauche de la tête dont nous avons pris une photographie. C'est un profil romain bien caractérisé, une tête magnifique de jeune homme, ou plutôt de dieu, la statue étant nue, cette statue paraît être du IIe siècle.

Par le même procédé nous avons reconstitué la main droite, les pieds, et nous avons pris une épreuve de ces diverses parties de la statue, les seules intéressantes et susceptibles de donner une idée de cette belle trouvaille.

Par suite de plusieurs mensurations de la tête, des pieds, des mains, cette statue pouvait avoir 1 mètre 80 de hauteur ; elle devait vraisemblablement reposer sur un socle carré contre lequel était placée la tablette contenant l'inscription ; cette tablette pouvait avoir 0™ 60 de long sur 0m 50 de large.

L'inscription divisée en cinq colonnes est très bien gravée, malheureusement elle renferme des chiffres et des mots auxquels on n'a pu trouver encore aucune signification. Est-ce un calendrier? un ordre de troupes?... Quant à la statue. Est-ce un Mercure? un Néron jeune ? un Antinous? — Pour un Mercure, il manque les attributs : caducée, ailerons, talonnières.


RÉSUMÉ DES TRRVAUX — 1897 1898 363

Le tout est d'un très beau travail, d'un beau bronze en parfait état de conservation et vient d'être acheté trois mille francs par le Musée de Lyon qui va reconstituer la statue. Estimons-nous heureux de la voir rester aussi près de nous ? Nous en aurons des nouvelles, et les photographies remises à la Société la feront connaître et la conserveront dans les Annales.

Cette importante découverte archéologique a fait l'objet de trois communications à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres ; deux de M. Dissart, conservateur des Musées de Lyon et une de M. Bûche, professeur, membre de la Société d'Emulation (Voir le 1er trimestre des Annales 1898, p. 87.)

— M. Mermet a donné connaissance en mai 1898 d'une nouvelle communication faite à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres au sujet de deux fragments d'une inscription trouvée en 1802 sur les bords du lac d'Antre (Jura). Ces deux fragments ont de l'analogie par les mots inscrits, avec les débris de l'inscription de Coligny et sembleraient, par le nombre 365 que l'on y remarque, se rattacher à un calendrier. La même hypothèse avait déjà été émise par M. Huteau au sujet de l'inscription de Coligny lors de la première visite de la Commission de la Société d'Emulation.

— La Société a dû procéder au renouvellement du bureau qui se trouve ainsi composé :

MM. le docteur Passerat, président; J. Convert, viceprésident ; Huteau, trésorier ; Fournier, conservateur ; Sommier, secrétaire et Thiévon, secrétaire-adjoint.

— M. Fournier a remis au Président, le Catalogue manuscrit de la bibliothèque de la Société, ouvrage qui ne


364 ANNALES DE L'AIN

lui a pas demandé moins de 18 mois d'un travail laborieux et persévérant. M. Moyret a offert à la Société, pour être remise à l'auteur, une médaille de vermeil grand module. La Société et l'auteur ont accepté avec reconnaissance ce témoignage d'encouragement. Il est décidé à l'unanimité que ce Catalogue sera imprimé tant en 1898 qu'en 1899. Par suite de l'achat du fonds de la bibliothèque de M. Brossard, l'impression du Catalogue a été retardée jusqu'à ce que les nouveaux ouvrages y soient inscrits.

— La Société a voté un crédit de cinq cents francs pour l'installation d'un laboratoire de photographie avec achat d'appareils. La Municipalité a gracieusement installé et mis les eaux à la disposition de la Société qui l'en remercie et déjà le laboratoire fonctionne sous la direction de M. Huteau. L'illustratiou des Annales deviendra pratique ; en outre, la Société se propose de conserver par des vues photographiques tous les monuments et toutes les maisons offrant quelqueintérêt archéologique ou autre. De plus, elle veut faire un ensemble de vues : scènes de la vie champêtre, sites pittoresques ou importants, etc., qui pourront être montrées dans les conférences populaires et qui fixeront la vie dans notre département en 1900.

— M. Bûche a fait à la Société l'analyse d'un important ouvrage de M. Charvet sur Brou (Les édifices de Brou à Bourg-en-Bresse depuis le xvie siècle jusqu'à nos jours).

— La Société s'est intéressée par deux modestes souscriptions aux fouilles de la poype de Villars, dirigées par M. F. Collet, agent-voyer à Villars, membre correspondant de la Société. M. Collet a fait une découverte d'une réelle importance : il a pu constater qu'il existait au mi-


RÉSUMÉ DES TRAVAUX — 1897-1898 365.

lieu de la poype un chàteau-fort remontant aux premières années du moyen-âge. La continuation des fouilles promet sans doute d'autres surprises. Une relation des premières fouilles a déjà paru dans les Annales.

— M. Chanel a traité des puits artésiens à Bourg.

— M. J. Couvert, dans une intéressante causerie, a entretenu la Société des volailles de Bresse. Ou trouve mention de nos poulardes dès 1591 (Registres municipaux, 11e v. J. Baux). M. Convert donne des détails très instructifs sur la race et la qualité de nos volailles, sur leur élevage et leur importance commerciale. Il met en relief une observation faite par M. F. Tardy, que les communes et les fermes où l'on se livre à l'élevage des volailles avec succès sont toutes situées sur la rive gauche du Solnan, dans des sols où l'on rencontre des phosphates.

M. le docteur Passerat a cité à l'appui l'expérience suivante.' Il a fait élever dans une ferme de Dombes deux couvées de poulets de grains et a fait mélanger des phosphates à la nourriture d'une couvée. Il a pu constater que les poulets nourris aux phosphates, sans être plus gros que les autres, avaient alors une chair délicate et savoureuse analogue à la chair des poulardes, ce qui ne laisserait aucun doute sur le bienfait des phosphates. La causerie de M. Convert paraîtra dans les Annales.

— M. L. Parant fait une communication au sujet d'une annexe qu'il se propose de faire à l'OEuvre des Enfants convalescents: Par la Goutte de Lait, société qui existe déjà dans cinq villes : Le Havre, Fécamp, etc., il se propose de distribuer à bas prix du lait stérilisé et hu%

hu% aux nourrissons, qui, pour une cause quelconque, ne pourraient être allaités par leurs mères. M. L. Parant peuse ainsi sauver de la mort une douzaine d'enfants.


• 366 • ANNALES DE L'AIN

— MM. Tardy et Sommier, parlent du tremblement de terre du 6 mai 1898. M. Tardjr a publié à ce sujet une note dans les Annales.

— Un certain nombre d'ouvrages très intéressants pour la Société ont été offerts soit par leurs auteurs, soit par leurs possesseurs ; des photographies nombreuses du vieux Bourg et du département ont été également données par des amateurs et la Société a vu ainsi ses collections s'enrichir rapidement.

Le travaux suivants lus en, séances ont paru dans les Annales : Les Etangs de la Dombes (La réforme législative), de M. A. Bérard.

L'histoire du « Studium » du Collège et du Lycée de Bourg de M. Bûche.

Note, sur l'orientation des Mégalithes, de M. Grossin.

Causerie sur les Etangs, de M. Truchelut.

Les Annales ont publié en outre :

Une Note sur la Météorologie, de M. Tardy.

Les Thermopyles de 1814, de M. A. Bérard.

Un savant oublié, un enfant du Bugey, Honoré Fabri, de M. A. Callet.

Le second royaume de Bourgogne (suite), de M. Philipon.

La fin du Dictionnaire de géologie de M. Chanel.

La statue de Coligny (Comptes rendus de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.)

Une Notice bibliographique sur des( ouvrages offerts à la Société par leurs auteurs.


TABLE DES MATIÈRES

du tome XXXI

A. BÉRARD. — Les étangs de la Dombes (la réforme législative), page 5.

— Les-Thermopyles de 1814. Chapitre I, page 303. — Chapitre II, page 312. — Chapitre III, page 317. — Chapitre IV, page 323. — Chapitre V, page 329. — Chapitre VI, page 332. — Chapitre VII, page 338. — Chapitre VIII, page 344.

JOSEPH BUCIIE. — Histoire du « Studium » Collège et Lycée de Bourg (1391-1898). — lre Période. Le Studium ou Ecoles communales, page 117. — II. Les Jésuites directeurs du Collège, page 151. — III. Le Collège parlementaire, page 214. — IV. L'Ecole centrale, page 236.— V. Le Collège, page 261. — VI. Le Lycée, page 282.

BÛCHE, HUTEAU, FOURNIER et SOMMIER. — La Statue de Coligny, page 87.

A. CALLET. — Un savant oublié, enfant du Bugey, Honoré Fabri, l'un des inventeurs de la circulation du sang, p. 253.

F. COLLET, — La Tour et la « Poype » de Villars. — Découverte d'une construction ancienne. — Première relation des fouilles, page î 86.

— Lettre relative à la découverte d'une deuxième salle dans la Poype de Villars, page verte.

26


368 ANNALES DE L'AIN

CHANEL. — Dictionnaire de géologie (foliolage à part.) 1er trimestre, après page 97. 2e trimestre, après page 129. 3e trimestre (fin), après page 177.

P. GROSSIN. — Note sur l'orientation des Mégalithes, page 291.

E. PHILIPON. — Le Second Royaume de Bourgogne (suite), page 29.

TARDY. — Météorologie, page 92.

— Les tremblements de terre du 6 mai 1898, p. 194.

TRUCHELUT. — Causerie sur les Etangs. — Bibliographie. — Assolement. — Avantages. — Exploitation. —- Insalubrité. — Loi de 1856. — Traité de 1863. — Dessèchements.— Primes. — Projet de loi. —Conclusions, page 101.

X. — Bibliographie, page 303.

— Institut de France, page 100.

Résumé des travaux de la Société d'Emulation 18961897,

18961897, 95.

Résumé des travaux de la Société d'Emulation 18971898,

18971898, 361.

Table des matières du tome xxxi, page 367. Table décennale de 1889 à 1898, page 369. Bibliographie. — Pages vertes.


TABLE DES MATIÈRES

DES

Annales de la Société d'Emulation de l'Ain 1889-1898

BARBIER. — Tableau des récoltes d'un vignoble de Revoiinas, t. xxn, p. 285.

A. BARBIER. — Sonnets champêtres, t. xxii, p. 154 et 308. — Pianta, vers funèbres, t. xxm, p. 278. — Charme du soir, t. xxiv, p. 258.

A. BÉRARD. — La dépopulation des campagnes, t. xxiv, p. 505. — Les Etangs de la Dombes (La réforme législative), t. xxxi, p. 5. —Les Termopyles de 1814, t. xxxi, p. 303.

BIANCHI. — Appréciation d'un habitant de la Dombes sur les progrès de son agriculture, t. xxn, p. 276.

J. BROSSARD. — La légende de Saint-Amand, fondateur de l'abbaye de Nantua, t. xxn, p. 161 (voir t. xxi, p. 319.) — Relevé des Baptêmes, Mariages et Décès de Bourg, de 1506 à 1888, t. xxn, p. 299. — Archives curieuses de l'Ain, t. xxn, p. 331 et 443, t. xxm, p. 493. — Le Champ de Raves ou Eloge des Raves, par Claude Bigothier, t. xxiv, p. 5, 308 et 440. — BrouGallo-Romain ; le don de M. Brevet au Musée de Bourg, t. xxiv, p, 617. — Notes et remarques sur la Taillabilité et la Main morte en Bresse et en Bugey, t. xxv, p. 145. — L'invasion de la Bresse et de la Dombes en 1468, t. xxvr, p. 5. — Glossaire des mots de la basse latinité employés dans les titres de la Bresse


370 ANNALES DE L'AIN

et du Bugey au moyêû-âgé, t. xxvi, p. 241 et 378, — Lé Procès des Justices entre le Baillage-Présidial de Bresse et les Seigneurs hauts justiciers du pays; 1601-1780, t, xxvn, p. 5, 293, 368 et 459. — Quelques lettres inédites de Lalande, t. xxvni, p. 66. — Saint-Rambert-en-Bugey, avec planches, t. xxvm, p. 299. — Regeste ou Mémorial historique de l'Eglise Notre-Dame de Bourg, depuis les temps les plus anciens jusqu'à nos jours, t. xxix, p. 5, 301 et 533, t. xxx, p. 5, 133 et 277.—Bibliographie.— Eglise de Brou. Guide express, par l'abbé H. P., t, xxvn, p. 40?. — Vie de Messire Jean d'Aranthon d'Alex, évêque et prince dé Genève, par M. l'abbé Ph. Boulet, t. xxvn, p. 485. — Galerie française, biographie des Français illustres et célèbres (Ain), par A. Bérard, t. xxiv, p. 244. — Usages ruraux de Bresse et de Dombes, par Truchelut, t. xxix, p. 677.

J. BROSSARD et P. TARDY. — Etude de l'Habitat en Bresse, t. xxv, p. 70.

BÛCHE. — Jany, le dernier corresppndant de Mme Rolland, par M. Perroud, t. xxix, p. 227. — La Tunisie, t. xxx, p. 225. — Histoire du « Studium » Collège et Lycée de Bourg (1391-1898), t. xxxi, p. 117 et 197.

BÛCHE, HUTEAU, FOURNIER et SOMMIER. — La statue de Coligny, t, xxxl, p. 87.

A. CALLET. — Philibert Berthelier, fondateur de la république de Genève, t. xxiv, p. 229, 37/ et 521.— Virieule-Grand, son Château, ses Seigneurs; t. xxvm, p. 5, 115 et 250. — Honoré Fabri, t. xxxi, p. 353.

A. C, — Un cimetière antique en Valromey, t. xxvm, p. 98.

E. CHANEL. — Dictionnaire de Géologie, hors page, t. xxx et t. xxxi.


TABLE DES MATIÈRES — 1889 1898 371

F. COLLET. — Notes sur les ouvrages hydrauliques servant à fixer le régime des étangs de la Dombes, t. xxx> p. 229 et 471.— La Tour et la « Poype » de Villars. Découverte d'une construction ancienne, première relation des fouilles, t. xxxi, p. 186.

E. FOURNIER. — Frédéric Tardy. Ses travaux, t. xxx, p. 126. — Joseph. Brossard. Sa vie. Son oeuvre, t. xxx, p. 473.

P. GROSSIN. — De Aiiiento. — Etude comparative sur le doigtier à sagaie des Canaques et l'Amentum à javelot des Anciens, t. xxm, p. 33. — Note sur l'orientation des Mégalithes, t. xxxi, p. 291.

HUTEAU et SOMMIER. — Catalogue des Plantes du département de l'Ain, t. xxvn, p. 85.

JACQUEMIN. — Etudes géologiques sur les terrains secondaires du département de l'Ain, t. xxn, p. 193 et 393, t, xxm, p. 52, 185 et 399, t. xxrv, p. 74, 260, 404 et 538. -- La végétation dans les lacs du Jura, t. xxvi, p. 236.

JARIAS. — Les rayons X, t. xxix, p. 293.

JARRIN. — EtienneDolay, t. xxn, p. 74. — La Générale, t. xxn, p. 315. — De trois vieilles Dames, t. xxn, p. 337. — Jean BRUNET, t. xxm, p. 110. — M. et Mmc de Grandlieu, t. xxm, p. 282. — Pascal Brice, et Rétu Bonaventure, t. xxm, p. 458, t. xxiv, p. 154. — Denis Bonnivet, t. xxiv, p. 349, 466 et 570. — Fin malheureuse delà maison Bolomier, t. xxv, p. 9Î, 280, 405 et 545. — Sébastien Castellion, t. xxv, p. 337 et 433, t, xxvi, p. 61, 145, 266 et 427. — Léonard Racle, t. xxvn, p. 345 et 409.— Histoire de la Chanson populaire en France, par J. Tiersot, t. xxn, p. 431. — Le duc d'Angoulême à Bourg, 1816, t. xxn, p. 437. — OEuvres d'Alexandre Goujon, t. xxrv, p. 499. — La Statuette de Monlmeiie t. xxv, p. 576. — Sébastien Castellion, par F. Buisson, t. xxv, p. 144. — A


372 ANNALES DE L'AIN .

la bonne Franquette, par G. Vicaire, t. xxv, p. 332. — Rouget de l'Isle, son oeuvre, sa vie, par J. Tiersot, t. xxv, p 336. —La Censure dramatique sous l'ancien régime, par M. Fontaine, t. xxv, p. 431. — Vingt jours en Tunisie, par F. Verne, t. xxvi, p. 130. — Des Arts à Bourg au XVIE siècle, à propos d'une médaille de Jean Huss, t. xxvn, p. 69. — Bibliographie, t. xxn, p. 330, t. xxm, p. 348 et 488, t. xxiv, p. 373, 504 et 616.

JOLIVET et TARDY. Cf. Tardy et Jolivet.

J. MARION. — Variations du Ranz des Vaches, t. xxm, p. 108.

Dr PASSERAT. — Des Etangs de la Dombes au point de vue de l'hygiène, t. xxvi, p. 321. —Mouvement de la population dans le pays d'étangs, de 1880 à 1895, au point de vue de l'hygiène, t. xxx, p. 101. — Etangs de la Dombes en 1898, t. xxx, p. 487.

E. P. — Bibliographie, t. xxxi, p. 303.

E. PHILIPON. — Un poète bressan sous Louis XIII. La Guemen d'un povro labory de Breissy su la pau que l'a de la garra, par Bernardin Uchard, sieur de Monspay, t. xxm, p. 349. — Histoire du Second Royaume de Bourgogne, t. xxvm, p. 177, t. xxix, p. 245 et 623, t. xxx, p. 431, t. xxxi, p. 29.

SOMMIER..— Les Verriers-vitriers de l'Ain, t. xxix, p. 231. SOMMIER et HUTEAU. — Cf. Huteau et Sommier.

F. TARDY. —Notes statistiques sur l'agriculture du département de l'Ain, t. xxn, p. 1 et 228. — Marché de la Saint-Michel, prix des grains à la Grenelte de Bourg, 16131888, t. xxn, p. 288. — Géographie des eaux de Lent, t. xxn, p. 439. — Trombe du 19 août 1890, t. xxiv, p. 223. — Esquisse géologique de la Bresse et des régions circonvoisines, t, xxv, p. 229 et 482. — La débâcle du glacier de


TABLE DES MATIÈRES — 1889-1898 373

Tête-Rousse, 12 juillet 1892, t. xxvi, p. 44. — Trouvailles faites dans les fouilles de la canalisation de Bourg, t. xxvi, p. 139 et 229. — Le froid, la chaleur et la sécheresse à Bourg en 1893, t. xxvi, p. 233 et 318. — La Faune de Pikermi à Ambérieu par M. Boistel, t. xxvn, p. 83. — Recherches sur les blés, les farines et le pain, par A. Balland, t. xxvn, p. 343. — Bulletin de la Société des Sciences naturelles de l'Ain, t. xxvn. p. 395—Almanach annuaire de la Société d'horticulture pour 1895, t. xxvn, p. 484. — Notes sur l'alphabet à l'usage des aveugles, par M. Tony Cerisier, t. xxvn, p. 484.

— Prix Monthyon(arts insalubres), décerné à M. Balland, t. xxvn, p. 490.— Le cheval quaternaire de Solutré, à Bourg, t. xxvm. p. 110. — Les hommes préhistoriques dans l'Ain, par MM. l'abbé Tournier et Charles Guillon, t. xxvm, p. 99. — Bulletin de la Société des sciences naturelles de l'Ain. Une nécropole gallo-romaine à Toussieux, t. xxvm, p. 105. — Les Lacs du Jura, par M. Magnin, t. xxvm, p. 107. — Sur la conservation des blés, par M. Balland, t. xxvm, p. 176. — Bibliographie géologique, t. xxvm, p. 319. — Bibliographie, t. xxn, p. 336.

F. TARDY et JOLIVET. — Carte du Pais et Souveraineté de Dombes, t. xxvi, p. 141.

F. TARDY et BROSSARD. Cf. Brossard et Tardy.

Ch. TARDY. — Météorologie, t. xxxi, p. 92. — Les tremblements de terre du 6 mai 1898, t. xxxi, p. 194.

TROUVEREZ. — Antoine du Saix, d'après M. Texte, t. xxvm, p. 278. — Un éclair en boule, t. xxvm, p. 310.

TRUCHELUT.— Etudes sur les usages ruraux delà Bresse et de la Dombes, t. xxv, p. 5, 196,357 et 457, t.xxvi, p. 106, 197, 302 et 419, t. xxvn, p. 60, 333, 396 et 472, t. xxvm, p. 87, 162 et 225, t. xxix, p. 239. — Causerie sur les Etangs, t. xxxi, p. 101.


374 ANNALES DE L'AIN

A. D. — Ethnographie française. Anciennes colonies arabes : Bénonces, Uchizy, t. xxix, p. 669. ,.-

P. X.— Notice sur le château de Jasseron, t. xxnr, p. 5.

Y. Bibliographie. — Biographie de Gommei^on, t. xxin, : p. 491. - T. xxrv,.p. 226, 228 et 618.

Bibliographie. — Le Rhône, par Ch. Lentheric, t. xxv, p. 578. - Traité d'anatomie générale, par Pli.-C. Sappey, t. xxvi, p. 465."

Société d'Emulation. — Résumé des travaux de la Société d'Emulation 1888-1889, t. xxn, p. 446 ; 1889-1890, t. xxm, p. 494; 1890-1891, t xxiv, p. 619; 1891-1892, t. xxv, p. 580 ; 1892-1893, t. xxvi, p. 466; 1893-1894, t. xxvn, p. 491; 1894-1895, t. xxvm, p. 323; 1895-1896, t. xxix, p. 681; 1S96-1897, t xxxi, p. 95; 1897-1898, t. xxxi, p. 361



.SOMMAIRE DU 2e CAHIER 1898

I. A. TRUCHELUT.— Causerie sur les Etangs.—

Bibliographie.—Assolement.— Avantages. .'■— Exploitation.'—: Insalubrité. — Loi de 1856, —• Traité de. 1863. — Dessèchements. —' Primes. — Projet de loi.— Conclusions..' 101;

II. : Joseph BÛCHE, — Histoire du «Studium»

Collège et Lycée de Bourg (1391-1898)...".. 117

III. F. COLLET. — La Tour et la « Poype"»' de , Villars. — Découverte, d'une construction

ancienne. — lre relation des fouilles.......... 186

IV. TARDY. — Les tremblements de terre du

■ 6 mai 1898. .-..,'..........*.'......., 194

CHANEL. — Dictionnaire'de Géologie (foliolage

à part)..../ ........... ,\ 129

La publication dans les Annales n'implique pas, pour la Société , la responsabilité des articltîs insérés.

Les manuscrits et toutes les communications concernant la Société doivent être adressés au Président, 21, rue Prévôté, à Bourg.

Les abonnés aux Annales de la Société d'Emulation qui n'auraient pas encore payé le montant de leur souscription sont priés de le faire parvenir à l'administration •du Courrier de l'Ain, rue Lalande, 18, au 1" étage, à Bourg.



SOMMAIRE DU 3e CAHIER M 898

1. -Joseph BUCHÈ. — .Histoire .dû 'ce Studium" » - Collège etLycéeâe.Bourg (1391-1898) (suite '

S'hfin)..,.;■'.... ... ;.>>.,:,. .............~y '. ■:. 197

II. :P.-GROSSIS.-— Note sur l'orientation des nié-, . :,";

' " '"■ galithes .:,..."....1-. ::;.:............._,' >ï.. 29f

III." -"- X.... — Bibliographie.^.,.. ....-'......... ■ 303

CHANEL. — Dictionnaire ' de Géologie ( foliotage ■ a part) (suite etfin)., .". ■-.-. ' 177:

La publication dans les Annales n'implique pas, pour là Société , la responsabilité des articles insérés.

Les manuscrits et toutes les ■communications concernant la Société doivent être adressés au Président, 21, rue Prévôté, à Bourg.

Les abonnés aux Annales de la Société d'Emulation qui n'auraient pas -encore payé le montant de leur souscription sont priés de le faire parvenir à l'administration du Courrier de l'Ain, rue Lalande, 18, au 1er étage, à Bourg.



SOMMAIRE DU 4* CAHIER 1898

I. .Alexandre BÉRARD. —-Les Thérmopiles en

1814...'... ■-■-.........,'.......'-............,.;. ' 303

H. Albert CALLËT. — Un savant oublié,- enfant «lu Bugèy, Honoré Fabi'i. l'iin nies inventeurs de la circulation Su sang......... •. ■-.. "358

III. Résumé dés travaux de là Société d'Emulation

d'Emulation l'Ain. - 1897-1898 .... ;;. .......;. 361

IV, Table des matières tfn Tome XXXI:,,.,...; 367

V. Table des matières des Annales delà Société ■ .-'■; d'Emulation de l'Ain-- 1889-1898;........ 369

La publication dans les Annales n'implique pas, pour la Société, la responsabilité des articles insérés.

Les manuscrits et toutes les communications concernant la Société doivent être adressés au Président. 21, rue Prévôté, à Bourç.

Les abonnés aux Annales de la Société d'Emulation qui n'auraient pas encore payé.îe montant de leur souscription sont .priés de le faire parvenir à l'administration du Courrier de l'Ain, rue Lalande, 18, au 1er étage, à Bourg.


REVUE BIBLIOGRAPHIQUE

;: Commentaire théorique et pratique de la Loi du; 8 décembre 1897, sur la réforme de l'instruction criminelle, (Loi Gonstans), par MM.. È^Dagallier, procureur de la .République à Tours retE.Bazënet, docteur endroit, subs^ titut du Procureur de la E,epublique à Tours, un vol.; ;"inrI8» dé 372 pages, qirix B fri^O, ParisJ878, V. Giard et EY Brière, éditeurs..

.La Thérapeutique des Vieux Maîtres, par; le docteur . Ch~.. Fiessiuger, - membre correspondant de l'Académie de ..Médecine'(Deuxième édition, revue et.augmentée), Un vol.

m-8° de 368'pages, prix. 7;,frr 50. Paris 1897,; Sociétés ■d'éditions scientiâques, place .dé l'Ecole de Médecine, 4,

rue Antoine Dubois. ' ::■'■.'■;-. .-■'/■"."';

• Les Edifices. de Bro u à Bourg-en-Br esse depuis le xvr 3 siècle jusqu'ànos;";'jours, par E. L. G;. Ohârvet, un vol. ; grand in-8° dé 140 pages. Paris, 1897, Typographie de E. Pion, Nourrit et. 0e, 8, rue Garancière.


CONDITIONS D'ABONNEMENT

Les Annales de la Société: d'Emulation de l'Ain

Paraissent tous les trois mois, en une livraison de six feuilles in-8", soit 96 pages.

Pour ^Bourg.v....................... 5 fr. par an.

Pour le Département et hors le Départem'. 6 fr. par an. Pour l'étranger, le port en sus. ; -'..'.

Les Annales forment à la fin de chaque année un beau volume in-8° de plus de 400 pages. S

ON S',ABONNE A BOURG, Rue Lalande, fi 0 18,

BUREAUX DU « COURRIER DE L'AIN ».


M. le Dr Passerat, président de la.Société.d'Emulatioir, vient de recevoir de M. Collet, l'importante communi-cation que voici : ■,,.....;

«Villars, le 14 juillet 1898.

■ «Mon cher Président, -

« Je m'empresse de vous faire connaître que nous avons découvert' hier une deuxième voûte dans la poype de VilJars. Cette voûte, située en. dessous de.la première, est en partie pleine de terre ;: ce que l'on voit des maçonneries fait présumer un. état de conservation parfait. Pour le moment, on ne peut pénétrer qu'en rampant dans, le nouvel étage ; avant de continuer l'exploration, il est indispensable de consolider la première voûte. Je continue les travaux."

. -; . « COLLET. »


: CONDITIONS D'ABONNEMENT ;

Les Annales de la Société d'Emulation de l'Ain

-paraissent tous'les trois mois, en une livraison Y de'sixfeuilles i»-8 j. soit 96: pages.

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Pour le Département et hors le Départem'; 6 fr, par an.; Pour l'étranger, lé port en sus. ;~":■.■;" . -

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Lés Annales de Ta Société d'Emulation de l'Ain

Pamissent tous^ les trois mois, en une livraison ,;" de six feuilles in-8°, soit pages.

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