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Titre : Bulletin de la Société historique et archéologique de l'Orne

Auteur : Société historique et archéologique de l'Orne. Auteur du texte

Éditeur : Typographie Renaut-De Broise (Alençon)

Éditeur : Typographie et lithographie Alb. ManierTypographie et lithographie Alb. Manier (Alençon)

Éditeur : Typographie et lithographie Lecoq & MathorelTypographie et lithographie Lecoq & Mathorel (Alençon)

Éditeur : Imprimerie alençonnaiseImprimerie alençonnaise (Alençon)

Date d'édition : 1896

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb327246199

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb327246199/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

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Description : 1896

Description : 1896 (T15).

Description : Collection numérique : Arts de la marionnette

Description : Collection numérique : Fonds régional : Basse-Normandie

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k5457288j

Source : Bibliothèque nationale de France, département Collections numérisées, 2008-138547

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 06/12/2010

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BULLETIN

DE LA SOCIÉTÉ

HISTORIQUE ET ARCHÉOLOGIQUE

DE L'ORNE /

TOME XV. — Premier Bulletin.

ALENÇON

TÏPOGEAPHIE RENAUT-DEBEOI8E'

PLACE D'ARMES »

-1896.


SOMMAIRE

1. Procès-verbaux des séances de la Société.

2. Bureau ot Commission de publication. - Liste des Membres

de lu Société.

3. L'occupation d'Alençon par les Prussiens en 1871, par

M. Henri BEAUDOUIN.

4. Ferrière-la-Verrerie, par M. ChaVlcs VÉREL.

5. Un élève du Collège de Sées, par M. l'abbé J. ROMBAULT.

6. Un Goutteux content de l'être, par le P. EDOUARD

d'Alençon.

7. L'Age de Pierre dans les environs de Seès. par M. l'abbé

GATRY.

8. M" 1 G. DESPIERRES, par M. Louis DUVAL.

9. Bibliographie, par M. Henri BEAUDOUIN. 10. Comptes de l'année 1895.

Il sera rendu compte dans le BULLETIN de tous les ouvrages dont Deux Exemplaires auront été adressés à la Société.


SOCIETE HISTORIQUE ET ARCHEOLOGIQUE DE L'ORNE


TYPOGRAPHIE E. REN AU T - DE BROI SE


BULLETIN

DE LA SOCIÉTÉ

HISTORIQUE ET ARCHÉOLOGIQUE

DE L'ORNE

TOME XV.

ALENÇON

TYPOGRAPHIE RENAUT-DE BROISE SES,'.1./ Jf PLACE D'ARMES

1896.



PROCÈS-VERBAUX

Séance du 4 décembre 1895.

PRÉSIDENCE DE M. LE COMTE DE CONTADES.

M. LE Gle DE CONTADES remercie ses confrères de la Société de l'honneur qu'ils lui ont fait en l'appelant à la présidence. Il leur promet une bonne pari de son activité et de son dévouement et les engage à étudier de plus en plus tout ce qui concerne l'histoire de notre beau département; si riche en documents de toute sorte.

Lettre de M. le Ministre de l'Instruction publique relative à la session des Beaux-Arts des départements. Cette session s'ouvrira le 7 avril 1896. La Société choisit pour ses délégués MM. LE VAVASSEUR, DUVAL, DU MOTEY et LORIOT.

Lettre de décès de M. LE BORGNE, de Fécamp. La Société s'associe à la douleur de la famille.

Admission de M. CHAMBAY, avocat à Domfront.

Appel fait par M. TOURNOUER à la bonne volonté des Membres de la Société historique à l'occasion d'une nouvelle série inaugurée dans les Documents sur la province du Perche et comprenant une foule de petits travaux, tels que notices biographiques et bibliographiques, lettres, questions, découvertes, renseignements de toute nature.

Demande parl'/lrmuaire critique des progrès de la. philologie romane, à Leipzig, du 1er bulletin de 1893, contenant la Petite grammaire du patois de l'arrondissement d'Alençon, par M. Ch. VEREL. — Accordé.

M. l'abbé MÉTAIS, auteur des Archives historiques du diocèse de Chartres, revue mensuelle, du prix de 10 francs par an, s'adresse à la Société pour avoir des souscripteurs,


II

A propos de la Bibliographie du département de l'Orne pendant l'année 1895, M. BKAUDOUIN fait appel au concours bienveillant de ses confrères, notamment de ceux qui ont bien voulu l'aider les années précédentes.

M. l'abbé GUESDON recommande une oeuvre d'histoire diocésaine, entreprise sous la direction de trois ecclésiastiques, tous trois membres de la Société historique, MM. Dumaine, Blin et Guesdon. La Société s'associe pleinement à la pensée de ces Messieurs et espère que beaucoup de ses membres voudront, par leurs travaux et leurs recherches, se faire les auxiliaires de cette oeuvre importante.

M. LORIOT présente à la Société : 1° Un Christ en bronze, d'une assez bonne facture, trouvé dernièrement dans un cercueil vide du cimetière de Colombiers. On suppose qu'il aura été enterré et caché là à l'époque de la Révolution. 2° Une large tuile romaine ou gauloise, Irouvée avec plusieurs autres et un certain nombre d'objets en terre ou en métal dans des fouilles exécutées à SaintMaurice (Haute-Vienne 1. M. Loriot offre en même temps à la Société un exemplaire du journal de Limoges, le Courrier du Centre, en date du 5 novembre dernier, dans lequel il a consigné les détails de cette découverte.

Séance du 16 janvier 1896.

Le Congrès des Sociétés savantes s'ouvrira à la Sorbonne à Paris, le même jour, 7 avril, que celui des Beau\-Arls. La Société choisit pour ses délégués MM. LE Ctc DE CONTADES, LE VAVASSEUH, DU VAL et DE NEUFVILLE.

M. DUVAL se propose de faire au Congres une lecture sur Pichon Trémonderie et quelques autres colons bas-normands et piM-cherons à Saint-Domingue.

Admission de M. BLAY, représentant la bibliothèque de la ville de Nogenl-Ie-Rotrou.


III

Prière sera adressée aux journaux du département d'insérer le sommaire des bulletins au moment de leur publication.

Communications verbales de M. l'abbé BARRET :

1° Sur les Ecoles alençonnaises au xvc siècle ;

2° Sur quelques figures et inscriptions qu'il a relevées sur les vitraux de la Cathédrale et qui, entre autres renseignements, peuvent servir à fixer l'époque à laquelle a été achevé le monument ;

3° Sur un grand nombre de pièces ou collections de pièces du plus grand intérêt pour l'histoire du diocèse, qu'il a pu consulter aux archives de l'Évêché.

Comme conclusion, M. l'abbé Barrel recommande les archives de l'Évôché comme une mine inépuisable d'études et de découvertes.

A la demande du président et de tous les membres présents, M. l'abbé Barret veut bien s'engager à faire de ces diverses communications l'objet d'une chronique à insérer dans le prochain bulletin.

Don par M. DELBAUVE de la maquette du portrait de M. de La Sicotière.

Don par M. Georges LECOINTRE de la photographie de la maison dite des quatre sieurs d'Alençon.

OUVRAGES REÇUS PAR LA SOCIÉTÉ, DU 10 OCTOBRE 1895 AU 16 JANVIER 1S96.

Publications individuelles.

1° Observations sur la note de M. Letellier intitulée: Constitution géologique de l'arrondissement d'Alençon, par M. A. BIGOT, professeur à la faculté des sciences de Caen.

2° Lettre à M. Bigot, en réponse a ses observations ; par M. LETELLIER, conservateur du musée d'Alençon.

3° Cou rrier du Centre, du 5 novembre 1895 (article de M. Loriot).


4° Table des 20 premières années de la Revue historique et archéologique du Maine, par M. l'abbé CIIAMBOIS (2 exempl.).

5° Une Excursion à Essai, par M. L. Du VAL.

Publications périodiques.

1° Analecta Bollandiana, fasc. iv de 1895.

2° Le Cidre et le Poiré (Argenlanj, novembre et décembre 1895.

3° Le Cidre (Paris), octobre, novembre et décembre 1895.

4° La Croix de l'Orne, 13 octobre 1895 12 janvier 1896.

5° Almanach de la Croix de l'Orne pour 1896.

6° Recueil des travaux de la Société libre d'Agriculture de l'Eure, année 1894.

7° Bulletin de la Société Archéologique d'Eure-et-Loir, septembre et octobre 1895.

8° Société Normande de géographie, septembre-octobre 1895.

9° Bulletin de la Commission historique et archéologique de la Mayenne, 4e trimestre de 1895.

10° Revue Catholique de Normandie, 15 novembre 1895 et 15 janvier 1896.

11° Annales de l'Archiconfrérie de Notre-Dame-des-Champs, novembre, décembre 1895 et janvier 1896.

12° Bulletin de la Société des Antiquaires de l'Ouest, 2e trimestre 1895.

13° Documents sur la province du Perche, octobre 1895.

14° Bulletin de la Société des Amis des sciences et arts de Rochechouart, septembre 1895.

15° Bulletin de la Société de Géographie de Roohefort, 2e trimestre 1895.

16° Bulletin d'Agriculture, Sciences et Arts de la Sarthe, 1895-1896, 2e fascicule.

17° Bulletin de la Commission des Antiquités de la SeineInférieure, t. x, lrelivr. de 1895.

18° New-York state Muséum report, for tbe year 1893.


BUREAU ET COMMISSION DE PUBLICATION

Président Le Comte DE CONTADES,

! Jules APPERT. Le Comte DE CHARENCEY. LECOINTRE (Eugène). Le Vicomte DE BROC.

Secrétaire général Gustaye LE VAVASSEUR.

Secrétaire Henri BEAUDOUIN.

Secrétaire-Adjoint L'Abbé HOMMEY.

Trésorier DE BROISE.

Archiviste - Bibliothé -

caire Le NEUF DE NEUFVILLE.

Bibliothécaire Adjoint. Le Vicomte DU MOTEY. I DESCOUTURES.

Membres de la Com-\ T ,.,, , T

. . , ^ ,,. LAbbéLETACQ.

mission de Publi-l T>AII - T-.

| L Abbe RICHER.

f L Abbe ROMBAULT.

\ Le Comte DE VIGNERAL.

LISTE DES MEMBRES DE LA SOCIÉTÉ

ACHARD DES HAUTES-NOES, maire de Saint-Mars-d'Égrenne, à Alençon, rue de Bretagne, 29.

ADIGARD, avocat à Domfront.

ALEXANDRE, ancien bibliothécaire, à Alençon, ruedel'Écusson,40.

ALMAGRO-DESCHAMPS, ancien pharmacien, à Laigle.

ANTOINE (l'abbé), curé-doyen à Argentan.

APPERT (Jules), à Fiers, rue d'Argentan, 10.

AVELINE, avoué à Alençon, rue du Jeudi, 33.


VI

AUDIFFRET-PASQUIER (duc D'), sénalenr, de l'Académie française, au château de Sassi, par Morlrée (Orne) : — à Paris, rue Fresnel, 23. AUDIFFRET-PASQUIER (marquis D'), au château de Sassi ; — à

Paris, 5 bis, rue de Berry. BAILLANCOURT (DE), à Mortain (Manche). BARRET (l'abbé), curé de N.-D. de la Place, à Sées. BEAU (Amédée), ancien député, au château de Tuboeuf, par

Chandai, 3, rue Keppler, Paris. BEAUCHAMPS (baron DE) DE MONTHÉARD, 51, rue de la Pompe,

à Paris. BEAUCHÊNE (comte DE), au château de Torcé, par Ambrières

(Mayenne) — Paris, 6, rue Bocador. BEAUDOUIN (Henri), à Alençon, 22, rue des Promenades. BEAUREGARD (DE), au château d'Acbé, par Alençon. BERNIER (le Révérend Père), à Tinchebrai. BEUDIN (l'abbé), à Fiers. BIDARD-HUBERDIÈRE, docteur-médecin, au château de la Bérardière,

Bérardière, Saint-Bômer. — Paris, 9, rue de Suresne. BLANDEL (l'abbé), curé de Heugon. BLANZAY (DE), à Tessé-la-Madeleine.

BLAY, bibliothécaire de la ville de Nogenl-le-Rotrou (Eure-etLoir). BLIN (l'abbé), chanoine honoraire, aumônier de la Miséricorde,

à Sées. BOISSEY (l'abbé), vicaire à Passais. BOISTERTRE (DE), à Alençon, rue Cazault. — Paris, 26, rue

d'Hauteville. BONNEAU LA VARANNE, à Alençon, rue des Marcheries. BOSCHET, conseiller général, à Argentan. BOUL (Georges), agent-voyer à La Ferté-Macé. BOURMONT (comte Amédée DE), au château de la Roche, à Vaas

(Sarihe). — Paris, 37, rue de Babylone. BRARD, avocat à Alençon, rue du Collège, 4. BRESDIN, conseiller général, maire de Longni. BRETÈCHE (Alexandre DE LA), à Argentan. BROC (vicomte DE), au château des Feugerets, par Bellême ; —

Paris, rue de Las-Cases, 15. BRUST (Constant), propriétaire, à Laleu, par Le Môle-s.-Sarthe. BUNOUST (l'abbé), curé de Fiers. BUQUET, ancien notaire, à Almenèches. BUREL (l'abbé), curé de la Lande-Patry, par Fiers. CACHET, docteur-médecin à Domfront.

CANIVET, conseiller général, à Chambois; — Paris, 11, boulevard Magenta.


"VII

CHALLEMEL (Wilfrid), à la Ferté-Macé.

CHAMBAY, avocat à Domfront.

CHAMPAGNE (marquis DE), à Ménil-Jean, par Ecouché; — Paris, 25, rue Ville-l'Evôque.

CHANCEREL, notaire à Alençon.

CHARENCEY (comte DE), conseiller général, à Saint-Maurice-lesCharencey ; — Paris, 25, rue Barbet de Jouy.

CHARPENTIER, receveur de l'Enregistrement, à Alençon.

CHARPENTIER (l'abbé), curé-doyen de Briouze.

CHARTIER, avocat, à Mortagne.

CHÉGUILLAUME, ingénieur des Ponts et Chaussées, 3, rue des Cadeniers, à Nantes.

CHENNEVIÈRES (marquis DE), directeur honoraire des BeauxArts, membre de l'Institut ; — Paris, 3, rue Paul-LouisCourrier.

CHENNEVIÈRES (HenriuE), attaché à l'Administration des BeauxArts ; — Paris, 77, rue de Vaugirard.

CHESNES (Henri DES), château du Bois-Joli, par Mortagne.

CHOLLET, juge de Paix, docteur en Droit, à Exmes.

CHRISTOPHLE, député, 19, place Vendôme, à Paris.

CONTADES (comte Gérard DE), maire, à Sainl-Maurice-duDésert, par La Ferté-Macé ; — Paris, avenue Marceau, 28.

COURCIVAL (marquis DE), au château de Courcival, par Bonnétable (Sarlhe) ; — Paris, H2, rue Marcadet.

DALLET (Alexandre), conseiller municipal, à Saint-Aubin-deBonneval, par le Sap.

DARPENTIGNY, greffier de la Justice de Paix, àPutanges.

DE BROISE, ancien imprimeur, à Alençon, 24, rue de Bretagne.

DESCOUTURES (Reynold), greffier du Tribunal de Commerce, à Alençon, rue de l'Ecusson, 42.

DES DIGUÈRES (Victor), maire de Sévigni, par Argentan.

DESVAUX (l'abbé), à la Chapelle-Montligeon.

DUBOIS-GUCHAN (Gaston), archiviste-paléographe, àSées.

Du BUISSON, avocat, à Longni.

Du HAYS (Charles), attaché à la direction des Haras au ministère de l'Agriculture, à Paris ; — à Saint-Germain-de-Clairefeuille, par Nonant.

DULAU, 37, Soho-Square, à Londres.

DUMAINE (l'abbé), curé de la Cathédrale, à Sées.

Du MESNIL DE MONTCHAUVEAU, rue du Collège, 11, à Alençon.

DUPONT (l'abbé), à Alençon, rue de Lancrel, 58 bis.

DUPUY (l'abbé), aumônier du Lycée, à Alençon, rue de l'École, 7.

DUVAL, archiviste du département de l'Orne, à Alençon.

EDOUARD (le Révérend Père), (LECORNEY), capucin, archiviste général de l'Ordre, 74, via S. Nicolà da Tolentino, Rome.


VIII

FARCY (Paul DE), à Château-Gontier (Mayenne).

FLEURY, imprimeur, à Mamers.

FORTINIÈRE (Paul DE LA), juge au Tribunal civil, à Alençon,

2, rue Odolant-Desnos. FOULON (Eugène), architecte, à Laigle. FRÉBET (l'abbé), professeur au Petit-Séminaire de la FertéMacé.

FertéMacé. (DE), à Mamers (Sarthe). GALPIN (Gaston), député de la Sarthe, à Assé-le-Boisne; —

Paris, 61, rue de la Boétie. GATRY (l'abbé), curé de Macé, par Seès. GAULIER (l'abbé), prêtre habitué, à la Ghapelle-Montligeon. GENDREL, instituteur, à Livaie.

GERMAIN-LACOUR (Joseph), à Moulins-sur-Orne, par Argentan. GILBERT, à Alençon, 81, rue des Tisons. GILLARD (l'abbé), curé de Couesmes (Mayenne). GIRARD (l'abbé), secrétaire-général de l'Evèché, à Seès. GODET (l'abbé), curé du Pas-Sainl-Lhômer, par Moutiers. GOURDEL (l'abbé), curé de Saint-Hilaire-de-Briouze. GUÉRIN (l'abbé R.), aumônier des soeurs Sainte-Claire, à

Alençon, 15, rue de la Demi-Lune. GUESDON (l'abbé), directeur au Grand-Séminaire, à Seès. GUILLEMIN, officier en retraite, à Alençon, 69, rue Saint-Biaise. GUILLOUARD, professeur à la Faculté de Droit de Caen. GUYON DE VAULOGER (DE), rue des Granges, à Alençon, 3. HAREL (Paul), à Echauffour. HOMMEY (Charles), notaire, à Alençon. HOMMEY (Léon), banquier, à Alençon, rue de l'École. HOMMEY (l'abbé), prêtre, à Saint-Léonard d'Alençon. JOSSE (l'abbé), professeur au Petit-Séminaire, à Seès, chanoine

honoraire. JOUSSELIN, propriétaire, à Alençon, rue de Bretagne, 10-12 ; —

Paris, 108, rue de Rennes. JOUVIN (tils), à Longny.

LAGARENNE (DE), à Alençon, place Saint-Léonard, 24. LA JONQUIÈRE (marquis DE), ancien préfet, à Mauves château

dé Landres ; — Paris, 28, rue de Varennes. LAPORTE, ancien sous-préfet, à Alençon, rue de Bretagne, 20. LA RAILLÈRE (DE), conseiller général, à la Ferté-Macé. LA SICOTIÈRE (M,UC DE), à Alençon, rue Marguerile-de-Navarre. LEBRETON (l'abbé J.), chanoine à Sées. LEBEY (Daniel), licencié en Droit, à La Carneille. LECHEVREL (Ernest), notaire à Chanu. LECLÉRE (Adhémard), résident de France à Kratié (Cambodge).


IX

LECOINTRE (Eugène), membre de la Commission des Archives

départementales, à Alençon, rue Saint-Biaise, il. LECOINTRE (Georges), id.

LECOMTE, au château de Montigni (Sarthe). LECORNU (Emile), à Fiers, rue de Tirichehrai. LEFAIVRE (l'abbé), bibliothécaire au Grand-Séminaire, à Sées. LE F AVÉRAIS, président du Tribunal Civil de MortainfManche). LEFÉBURE, à Paris, 36, avenue Marceau. LE FÉRON DE LONGCAMP, ancien président de la Société des

Antiquaires de Normandie, à Caen, rue de Geôle. LE HARDY (Gaston), secrétaire de la Société des Antiquaires de

Normandie, à Rots, par Bretteville (Calvados). LELIÈVRE, propriétaire à Fiers. LEMAITRE (l'abbé), chanoine à Sées. LE MAROIS (comte), au château de Lonray ; — Paris, 119, rue

de l'Université. LEMARQUANT, rédacteur au Ministère de l'Intérieur, à Paris,

rue des Feuillantines, 11. LE NEUF DE NEUFVILLE, président honoraire du Tribunal

Civil, à Alençon, rue du Parc. LE ROUILLÉ, à Alençon, rue du Château, 41. LESSART, maire de Saint-Siméon; — à Alençon, 5, place SaintLéonard. LETACQ (l'abbé), aumônier des Petites-Soeurs des Pauvres, à

Alençon, rue du Mans. LEURSON, agent-voyer en chef, en retraite, à Alençon. LEVAIN (Charles), à Caorches (Eure). LE VAVASSEUR (Gustave), conseiller général de l'Orne, lauréat

de l'Institut, à La Lande-de-Lougé, par les Yveteaux. LEVEILLÉ (l'abbé), professeur au Petit-Séminaire de La FertéMacé.

FertéMacé. (comte DE), député, 58, rue de Varennes, Paris,

à Alençon, 41, rue du Cours. LHERETEYRE (l'abbé), curé-doyen de Moulins-la-Marche, LORIOT (Florentin), avocat à Alençon, Grande-Rue, 112. LORY, docteur-médecin, à La Ferté-Macé. LOUVEL (Marcel), chef d'institution, à Rémalard. MACAIRE, chef de Division à la Préfecture de l'Orne, à Alençon,

rue de la Demi-Lune, 10. MACÉ (l'abbé), curé d'Athis. MACKAU (baron DE), député, conseiller général, à Guerquesalles,

par Vimoutiers ; — Paris, avenue d'An!in, 22. MALLET (l'abbé), à Alençon, 99, rue des Tisons. MARAIS (Paul(, bibliothécaire à la Bibliothèque Mazarine, Palais

de l'Institut, Paris.


MARCÈRE (DE), sénateur, à Paris, rue Montaigne, 23. MARY (l'abbé), curé de Saint-Georges-d'Annebecq, par Rânes. MAUNOURY (l'abbé), chanoine, au Petit-Séminaire de Sées. MOTEY (vicomte RENAULT DU) , avocat, docteur en Droit, à

Alençon, 44, rue Saint-Biaise. MOUCHERON (comte DE), à Maison-Maugis. MÛRIE, architecte, conservateur de la Bibliothèque et du Musée,

à Fiers. PATOU (Urbain), avocat, à Avrilly, par Domfront. PERROTE (Vital), inspecteur d'assurances, à Meulles (Calvados). PORIQUET, sénateur, conseiller général de l'Orne, à Montmerrei,

château de Blanche-Lande ; — Paris, rue de Montceau, 58. PRÉBOIS (Paul), notaire, à Sées. PREMPAIN (Charles), architecte, à Sées. RÉGNIER, secrétaire de la Société Libre de l'Eure, à Évreux,

rue Chartraine. RENAUT-DE BROISE, imprimeur, à Alençon. RICHER (l'abbé), aumônier de la Providence, à Alençon, 89, rue

des Tisons. RORILLARD DE BEAUREPAIRE , ancien conseiller à la Cour

d'Appel, secrétaire de la Société des Antiquaires de Normandie, a Caen. ROMANET (vicomte Olivier DE), château des Guillets, par

Mortagne. ROMBAULÏ (l'abbé), curé de Messei. ROMET (Paul), à Alençon, rue du Pont-Neuf, 24. ROMKT (Charles), à Alençon, rue du Jeudi, 34. ROTOURS (baron DES) (Jules), aux Rotours, par Putanges ; —

9, avenue de Villars, Paris. SAFFRAY (l'abbé), cui'é de Sarceaux, par Argentan. SAINTE-PREUVE (Mme la baronne DE), à Boisbulant, près

Alençon. SALZE, à Paris, 134, rue Mouffetard. SANDRET, architecte du Département, à Alençon, 15, rue des

Champs. SAUVAGE (Hippolyte), à Paris, 134, boulevard de la Villette. SCHNETZ (madame), au château de Fiers. SEVRAY (l'abbé), à Mortrée. SOUANCÉ (comte H- DE), à Mondoucet, près Nogent-le-Rotrou

(Eure-et-Loir). SURVILLE, instituteur, à La Chapelle-Biche, par Fiers. TOMERET, chef de Division à la Préfecture de l'Orne, à Alençon,

rue Desgenettes, 19. TOURNOUER, 5, boulevard Raspail, à Paris; — château de

Saint-Hilaire, près Mortagne.


XI

TRÉGARO (Mgr), évoque de Seès.

TRIGER (Robert), au Mans, 5, rue de l'Évêché.

TURGEON (Charles), Paris, 45, boulevard Saint-Germain.

VAUCELLE (Jules de), à Lignou, par Briouze ; — Paris, 18, rue

de la Pépinière. VAUCELLE (comte Pierre DE), à Alençon, rue d'Avesgo. VÉREL (Charles), à Nonant. VIGNERAL (comte DE), ancien chef d'escadron d'État-Major, au

château de Ri, par Putanges. VIMONT, à Paris, 15, rue Lebrun (Gobelins).

SOCIÉTÉS SAVANTES ET ÉTABLISSEMENTS PUBLICS

Auxquels la Société Historique et Archéologique de l'Orne adresse ses Publications et ses Correspondances.

Ministère de l'Instruction publique (6 exemplaires).

Archives Départementales de l'Orne, à Alençon.

Bibliothèque publique d'Alençon.

Bibliothèque publique d'Argentan.

Académie des Sciences, Agriculture, etc., d'Aix (Bouches-duRhône).

(Bouches-duRhône). d'Agriculture, Sciences et Arts d'Angers. Société Archéologique et Historique de la Charente, à Angoulème. Le Cidre, à Paris, 15, rue Lebrun (Gobelins). Société d'Archéologie d'Avranches et Mortain, à Avranches. Société Belfortaise d'Émulation, à Belfort. Société des Antiquaires de Normandie, à Caen. Académie Nationale des Sciences, Belles-Lettres el Arts de Caen. Société des Beaux-Arts de Caen. Société Linnéenne de Normandie, à Caen. Société Archéologique d'Eure-et-Loir, à Chartres. Société française d'Archéologie, à Compiègne. Société libre d'Agriculture, Sciences, Arts et Belles-Lettres de

l'Eure, à Evreux. Société libre d'Agriculture, etc. de l'Eure (section de Bernay). Revue Catholique de Normandie, à Evreux. Croix de l'Orne, à Fiers. Société Industrielle de Fiers. Académie Delphinale, à Grenoble.


XII

Commission Historique et Archéologique de la Mayenne, à Laval. Société Historique et Archéologique du Maine, au Mans. Société d'Agriculture, Sciences et Arts de la Sarthe, au Mans. Société Archéologique de Nantes. Société de l'Histoire de Paris, chez M. Champion, libraire, à

Paris, 9, quai de Voltaire. Société Philologique, à Paris.

Société Neufchâteloise de Géographie, à Neufchâtel (Suisse). Comité des Travaux historiques et des Sociétés savantes à Paris. Société des Antiquaires de l'Ouest, à Poitiers. Société des Amis des Sciences de Rochehouart. Société de l'Histoire de Normandie, à Rouen. Commission des Antiquaires de la Seine-Inférieure, à Rouen. Société Normande de Géographie, à Rouen. Revue d'Alsace, à la Librairie Fischbacher, 33, rue de Seine,

à Paris. Société Philomatique Vosgienne, à Saint-Dié. Société Archéologique du Midi de la France, à Toulouse. Société d'Histoire Ecclésiastique et d'Archéologie Religieuse de

Valence. Société Polymalique du Morbihan, à Vannes. Analecta Bollandiana, à Bruxelles, 14, rue des Ursulines. Muséo Nacional de Rio de Janeiro. Muséo Nacional de Cosla-Rica (Amérique Centrale). Davenport Académy of Natural Sciences, Davenport-Yowa

(Etats-Unis d'Amérique).

Académie Royale des Belles-Lettres, de l'Histoire et des Antiquités de Stockolm.

Smithsonian Institution, Washington.

Université de l'Etat de New-York, à Albany i — M. Gustave E. STECHKRT, libraire-agent, à Leipzig.


L'OCCUPATION D'ALENGON

P.AIR, LES PRUSSIENS EN 1871

Le travail que je publie aujourd'hui a été composé en grande partie en 1871, c'est-à-dire au moment où venaient de se passer les événements que je rapporte II a été fait d'après ce que j'ai vu et éprouvé, plus encore que sur ce que j'ai lu ou entendu dire. C'est donc, s'il en fut, une oeuvre personnelle et en quelque sorte vécue. Cela ne m'a pas empêché, bien entendu, de m'entourer de tous les documents et de tous les renseignements que j'ai pu découvrir. N'étant ni militaire ni stratégiste, j'avais particulièrement des motifs de me défier de mes jugements pour tout ce qui concerne les opérations militaires. Voici du reste la liste des principales autorités auxquelles j'ai eu recours :

1° La Deuxième Armée de la Loire, par le général Chanzy. In-8° 1871.

2° La Guerre franco-allemande de 1870-71, rédigée par la section historique du Grand Etat-Major prussien. Traduction par le chef d'escadron E. Costa de Serda, de l'état-major français. In-8° 1880, 2m 9 partie. Tomes II et III (IV et V. de l'ouvrage complet).

3° Les Combats d'Alençon, par M. Martin Le Neuf de Neufville. In-8°.

4° Tableau statistique des perles des armées allemandes, etc., d'après les documents officiels allemands, par D. II. Leclerc, capitaine au 101e régiment d'infanterie. 2me parlie.

1.


5° Vandales et Vautours, par un franc - tireur du corps Lipowski.

6° Registre des délibérations du conseil municipal de la ville ù'Alençon (14 janvier à 28 avril 1871).

7° Délibérations du Comité Militaire de défense du département de l'Orne.

8° Note explicative sur les circonstances qui ont précédé et suivi la défense d'Alençon, par M. Antonin Dubost, Préfet de l'Orne.

9° Note de M. Eugène Gautier, sur les négociations pour la contribution de guerre pendant l'armistice.

10° Le dossier des opérations de la commission d'enquête sur les charges de l'occupation.

11° La collection du Journal d'Alençon, notamment les nos du 22 au 26 janvier et du 11 février 1871, sur le combat et l'occupation ; du 6 et du 8 avril, note explicative du Préfet.

12° La colleclion du Courrier de l'Ouest, notamment les nos du 25 et du 26 janvier 1871.

13° Quelques extraits de journaux, notamment du Journal de Fiers, du 18 au 25 janvier 1871.

M. Lecointre, ancien maire d'Alençon a réuni en un gros volume de 329 pages in-folio tous les documents qu'il a pu se procurer sur l'invasion d'Alençon. Son manuscrit est extrêmement précieux.


CHAPITRE I.

LES PREMIERS MOIS DE LA GUERRE.

Jusqu'au moment où les Prussiens menacèrent notre département, Alençon fut ce qu'étaient à peu près toutes les villes éloignées du théâtre des hostilités. Il avait accueilli avec joie la déclaration de guerre, et le mouvement que nécessite toute grande concentration de forces militaire n'avait fait qu'accroître son ardeur. On ne pouvait voir sans émotion les levées d'hommes, les passages de troupes, l'enthousiasme des soldats, faisant retentir les rues de leurs transports bruyants, trop bruyants même, ou inscrivant sur leurs wagons ces mots , hélas ! si peu prophétiques : Train de plaisir pour Berlin, payé par le père Guillaume.

Tout d'ailleurs inspirait la confiance. Nos troupes étaient si vaillantes, nos généraux paraissaient si habiles, le Maréchal Le Boeuf se disait si bien préparé, nos arsenaux, nos magasins étaient, à ce qu'on prétendait, si bien garnis.

Nos mobiles eux-mêmes, mal équipés, mal commandés, nullement exercés, ne laissaient pas que de présager un utile soutien, si tant est qu'on ait jamais besoin d'eux. On aimait à les voir sur la place faire l'exercice ; leur maladresse, la gaucherie et l'inexpérience des officiers aussi bien que des soldats faisaient sourire tout d'abord ; mais bientôt on constatait leur bonne volonté, leur ardeur, leurs progrès étonnants.

A quiconque aurait dit que nous avions trois fois moins de soldats que nos ennemis ; que nos mobiles ne seraient pas en état d'aller utilement au feu avant des mois ; que notre organisation militaire était défectueuse en beaucoup de points ; en un


mot, que nous n'étions pas prêts, c'est à peine si l'on eût daigné faire une réponse.

Cependant, pour ne négliger aucune force, on avait jugé utile de réorganiser les gardes nationales ; précaution bien superflue, à ce qu'il semblait, et bonne, tout au plus, à répondre à un besoin d'ordre local. D'après la loi stricte, la garde nationale ne devait comprendre que les hommes en état de s'habiller à leurs frais. On jugea néanmoins plus prudent d'en élargir les cadres et d'y inscrire tous les citoyens. La ville se réservait de fournir, quand il en serait temps, des uniformes à ceux qui ne pourraient pas en acheter ; quant aux armes, on ne pouvait disposer que de 400 fusils à piston, ancien modèle. C'était peu pour douze ou treize cents gardes nationaux ; mais à quoi bon s'en préoccuper?

Pendant qu'on songeait ainsi à s'organiser, bien des motifs de déception étaient venus ébranler la confiance. Les nouvelles des défaites du commencement d'août et de l'entrée des Prussiens sur le territoire français arrivaient à Alençon coup sur coup, dans la journée du dimanche 14 août, alors qu'on était en train d'élire un nouveau conseil municipal. Puis, les progrès de l'ennemi, les victoires de Bazaine, les débats de la Chambre, les communications du Comte de Palikao, attristaient ou encourageaient, irritaient ou réconfortaient, mais ne pouvaient décourager que les pessimistes. Comment croire que la France pût être définitivement vaincue ? On se précipitait aux dépêches télégraphiques ; on se transmettait les nouvelles, on se plaignait de n'en pas avoir assez, espérant toujours qu'il en allait arriver d'heureuses et de décisives.

Enfin le désastre de Sedan vint jeter la consternation dans les esprits, et deux jours après, la proclamation de la République augmentait les inquiétudes des uns, tandis qu'elle inspirait à d'autres les espérances les plus chimériques. De la personne de l'Empereur, on s'en inquiétait peu ; mais un changement de gouvernement dans un pareil moment, alors que l'ennemi assiégeait Strasbourg, Metz et d'autres places fortes, occupait nos provinces de l'Est, menaçait et allait bientôt investir Paris, avait de quoi effrayer pour l'avenir de la France, non pas seulement pour son avenir politique, mais surtout, car c'était pour le moment, l'unique préoccupation, pour le succès de ses armes.


L'avènement de la République eut donc à Alençon, comnie ailleurs, pour premier effet de diviser les esprits.

Les hommes d'ordre, tous ceux qui mettent la France au dessus des intérêts d'un parti, l'acceptèrent comme une nécessité d'un moment, et, faisant plus que de s'y soumettre, n'hésitèrent pas à lui prêter leur concours actif et dévoué, sauf à régler plus tard, s'il y avait lieu, les questions politiques.

Malheureusement les chefs du nouveau gouvernement, je parle surtout de la délégation de province, au moins aussi soucieux, peut-être, de fonder la République que de sauver la France, n'apportèrent à la défense ni la même abnégation, ni le même patriotisme. Troublés d'abord et comme écrasés sous le poids d'une charge trop lourde pour leurs épaules, ils laissaient écouler le temps, sans paraître songer que chaque jour hâtait notre ruine, s'il ne préparait notre délivrance, quand leur arriva en ballon un auxiliaire tout à fait inattendu, qui ne manquait certes ni d'énergie, ni d'activité, et à qui toute responsabilité était légère. Bientôt donc Gambetta eut effacé et absorbé ses collègues, et la France, à l'humiliation de voir son sol foulé par l'étranger, sentit s'ajouter la honte de subir, pendant quatre longs mois, la dictature d'un avocat sans expérience.

Et la France, devant ce représentant improvisé de la défense nationale, se soumit encore, tant elle redoutait d'affaiblir la résistance !

Levées extraordinaires , dilapidation de nos ressources , emprunts, désorganisation des services, dissolution de nos assemblées issues du suffrage universel et. leur remplacement par des commissions administratives, omnipotence des préfets, sous la main de leur tout-puissant chef, et prédominance de l'autorité civile sur l'autorité militaire, même en ce qui concernait les questions militaires, destitutions arbitraires d'officiers ou de généraux, plans de campagne ou de batailles imposés à des hommes de guerre par un avocat, mépris constant de toute loi, de tout conseil et de tout contrôle, tel est le résumé du système qui prévalut à cette fatale époque.

Plusieurs de ces mesures furent adoucies dans la pratique par le bon vouloir de quelques préfets. Notre paisible cité eût été difficile à révolutionner ; et pourtant, elle ne manqua pas plus que d'autres de brouillons qui, à défaut de désordres maté-


riels, n'auraient pas mieux demandé que d'amener des excitations fâcheuses. Ce fut donc un bonheur pour Alençon d'avoir un préfet modéré et intelligent, M. Christophle, à qui ses qualités gagnèrent dès l'abord presque tous les esprits. Dévoué, autant que qui que ce soit, au salut du pays, il eut pour principe que la violence et le bruit, loin d'assurer ce résultat, ne font que le compromettre. Alençon lui sut gré de sa modération et l'en récompensa, d'abord en lui rendant par son bon esprit l'administration plus facile, et plus tard, en l'appelant à défendre ses intérêts à l'Assemblée nationale.

M. Christophle avait à sa discrétion maires et conseils municipaux ; il nous laissa notre conseil municipal tout entier, et se montra aussi heureux que la population de la réélection de notre maire, M. Lecointre. Aussi, le Maire et le Préfet marchèrent constamment d'accord, au grand avantage de la ville.

Les rapports du préfet avec le général avaient quelque chose de plus délicat. Les pouvoirs militaires, accordés si malencontreusement aux préfets, ne pouvaient être qu'une source de fausses mesures et de conflits. L'esprit de conciliation du général de Malherbe et de M. Christophle facilitèrent une entente que le gouvernement, central semblait, comme à plaisir, rendre impossible. Le préfet sut s'incliner devant l'expérience militaire du général, et ne pas se mêler outre mesure de ce qu'il ne pouvait savoir. Là encore, les hommes chargés d'exécuter les décrets corrigèrent ce que les décrets avaient d'excessif et de vicieux.

Je voudrais avoir à citer sur notre ville quelques faits particuliers ; mais ils furent rares et peu saillants, tant que les troupes ennemies ne la menacèrent pas d'une manière immédiate.

Un Comité chargé de la défense du département fut institué. Ce comité, placé dans le principe sous la présidence du préfet ne tarda pas à passer sous celle du général de Malherbe ; commandant la subdivision militaire de l'Orne. Les autres membres étaient le général de Boisterlre, commandant de la garde nationale d'Alençon ; l'ingénieur en chef du département du HautPlessis, MM. Grollier, ancien député, Lherminier, avocat, Libert, docteur médecin. Ces trois derniers se retirèrent au bout de peu de temps. Firent aussi partie de ce comité, ensemble ou successivement, le commandant d'infanterie Lemaître, le colonel d'artillerie en retraite d'Hostel, le colonel Tardy, de s


mobilisés de l'Orne, l'ingénieur de Domfront de la Tournerie, M. Boissière. Au dessous de ce Comité était placé dans chaque canton un comité de défense cantonale (1).

La garde nationale faisait son service et ses exercices comme à l'ordinaire, peut-être un peu mieux qu'à l'ordinaire ; mais à côté de quelques membres zélés, combien ne comptait-elle pas de négligents. Les chefs eux-mêmes, ne prévoyant pas sans doute qu'on dût jamais avoir besoin d'elle, ne faisaient rien pour lui inspirer de l'ardeur et du courage. Les engagements volontaires se continuaient, quoique lentement, malgré les appels réitérés du gouvernement et du préfet ; le recrutement de l'artillerie surtout présentait de grandes difficultés. Une compagnie de francs-tireurs alençonnais, sous les ordres de M. de Botot, s'organisait péniblement, sauf à se dissoudre plus tard avec une déplorable facilité. Une autre, recrutée dans des conditions différentes, se retira, avant d'être définitivement constituée , devant le décret qui plaçait les compagnies franches sous les ordres du ministre de la guerre, et les soumettait à un service rigoureux en dehors des limites du département. Les levées, les révisions, les exercices des mobilisés se poursuivaient activement, mais, hélas ! ne comblaient que bien imparfaitement les vides qui se multipliaient chaque jour dans nos armées. Les mobiles étaient le diminutif de l'armée active ; les mobilisés n'étaient, à leur tour, que le diminutif des mobiles. C'était surtout une grande difficulté pour eux de se trouver des chefs, et, quoique presque jusqu'à la fin les nominations aient eu lieu à l'élection, les électeurs n'étaient pas peu embarrassés pour se trouver des officiers qui ne fussent pas trop incapables. Les uns, propriétaires, commerçants, se recommandaient par leur position sociale, leur instruction, leur influence, mais ne savaient rien des choses de la guerre ; les autres, anciens soldats, se souvenant plus ou moins de l'exercice, ignoraient le commandement et l'art de diriger les hommes. Heureux donc quand le zèle d'une part, l'esprit de discipline d'autre part, suppléaient plus ou moins à ce qui manquait d'ailleurs. On a vu placer à la tête de bataillons de simples ouvriers, n'ayant d'autre recommandation

(1) Circulaire de M. Christophle, préfet de l'Orne, sur l'organisation de la défense départementale. 23 septembre 1870.


que leurs sept ans de service en qualité de simples soldats. D'autres fois, on était obligé d'aller chercher hors du bataillon un ancien militaire, sorti caporal, après trois ans de service.

Le plus souvent, les nouvelles recrues arrivaient sans équipement, sans armes, sans uniformes. Le Conseil général vola 2,500,000 francs, pour subvenir aux frais de la défense ; le conseil municipal, de son côté, vota, pour le môme objet, un crédit de 50,000 francs, acheta des chassepots pour ses mobilisés et pourvut, autant qu'il était possible à leur équipement. Par suite, certains travaux, qui d'abord avaient été conduits assez mollement, se poursuivirent avec une activité dévorante, à mesure que les circonstances se firent plus impérieuses. La ville et les campagnes environnantes se transformèrent, en quelque sorte, en un vaste atelier ; mais ne pouvaient qu'à grande peine fournir en quantités suffisantes vareuses, pantalons, souliers, képis, sacs, tentes de campement, etc.

Mais il n'y avait pas seulement à songer aux combattants : la guerre a ses nombreuses victimes, qu'on ne peut laisser sans secours. Ce lut surtout de ce côté que la charité privée dirigea son action. Qui n'avait à l'armée un fils, un frère, des parents, des amis ? On espérait leur rendre le ciel favorable, leur épargner peut-être des blessures ou la mort, en venant au secours de leurs camarades. On ne voyait dans toutes les mains que charpie ou bandes de pansement. Puis, la saison froide approchant, des quêtes et des ateliers s'organisèrent pour acheter et fabriquer des gilets de laine et des cache-nez. Des dames s'astreignirent à se trouver au passage de tous les trains, pour distribuer aux soldats blessés, malades ou simplement fatigués, des vivres, du tabac, des rafraîchissements. Des particuliers offrirent des ambulances ; mais, à ce sujet, l'action privée était évidemment insuffisante. Les malades, encore plus que les blessés, affluant de tous côtés,' la petite vérole commençant ses ravages, l'hôpital se vit obligé de renvoyer dans leurs famillesj moyennant une rétribution convenable, ses vieillards, . ses enfants, ceux de ses malades qu'il était possible d'évacuer, de n'en plus admettre d'autres qu'à la dernière extrémité, et de réserver presque tous ses lits pour les militaires. Plus tard, ce ne fut pas seulement l'hôpital qui dut avoir cette destination ; l'Ecole Normale d'instituteurs, la caserne de la Sénatorerie,


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l'hôtel de la gare, l'ancienne maison de la Providence, un certain nombre de maisons particulières la reçurent, à leur tour. Outre les aumôniers attachés nos corps départementaux en campagne, des aumôniers spéciaux voulurent se consacrer au service de chacune de ces ambulances. Des religieuses de tout ordre, spécialement celles de la Miséricorde, des personnes du monde même se dévouèrent L. cette oeuvre, qui n'était pas sans péril. Plusieurs payèrent de leur vie leur admirable charité.

Nous n'avions plus seulement à supporter les effets lointains de la guerre ; son souffle brûlant s'approchait ; bientôt il allait, en quelque sorte, nous envelopper.


CHAPITRE II.

PREMIÈRES ALARMES, INVASION DU DÉPARTEMENT

La prise de Metz, en assurant les communications des Allemands avec leur pays, et en rendant disponibles les 200.000 hommes qu'ils étaient obligés d'immobiliser devant l'armée de Bazaine, contribua puissamment à étendre le fléau de la guerre. Elle eut encore, par contre-coup, d'autres résultats non moins affligeants. Elle diminua à Paris la force du Gouvernement, et augmenta, presque jusqu'au triomphe, celle de la Révolution. Elle fit, par suite, avorter les négociations pour un armistice dont nous avions grand besoin. Alors nos armées commençaient à s'organiser ; quelques avantages aAraient été obtenus et en faisaient présager de plus grands. Si Metz avait-pu tenir un ou deux mois de plus, qui peut dire si l'issue de la guerre n'aurait pas été totalement changée ? S'il eût tenu seulement encore une semaine, l'émeute du 31 octobre eût-elle eu lieu ? l'armistice n'aurait-il point été conclu ? une paix moins désastreuse n'en eût-elle pas été la suite ?

Quoi qu'il en soit, des dangers plus pressants furent comme un nouvel excitant à les conjurer, et à de plus grands désastres, on se sentit disposé à opposer des efforts plus puissants. Il ne fut plus question que de résistance à outrance, les brûlantes proclamations de Gambetta ne retentirent plus que d'appels aux armes et aux populations ; la levée en masse fut décrétée, sauf à être arrêtée plus tard par l'impossibilité matérielle d'armer et d'équiper autant d'hommes ; la résistance des Ailles, même au risque de les faire écraser inutilement, la dépopulation des campagnes et le transport des vivres et des approvisionnements hors de la portée de l'ennemi furent mis à l'ordre du jour. Mais que pouvait, pour nous sauver, une énergie sans expérience et sans sagesse?


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Tant d'efforts cependant ne pouvaient manquer d'obtenir de temps en temps quelques succès. Un moment, après la bataille de Coulmiers et la sortie victorieuse de Trochu, Paris et la Province se crurent prêts de se donner la main ; mais d'Aurelles de Paladine, moins heureux, blâmé, révoqué, eut son armée divisée ; celle de la Loire, commandée par Chanzy, forcée, malgré quelques succès, de se retirer devant des forces supérieures, fut obligée de reculer jusqu'au Mans.

11 était grand temps que le Comité de défense pourvût aux nécessités de la situation. Parmi les mesures qu'il prescrivit, on doit citer l'interdiction d'abattre des bois sans autorisation ; l'ordre d'évacuer, le cas échéant, les bestiaux, les chevaux, les voilures, les approvisionnements, hors de la portée des troupes allemandes ; môme la limitation préalable des grains et des farines à la halle et chez les boulangers, ainsi que la dénaturalisation des semences, de manière à les rendre impropres à la nourriture de l'homme ; l'établissement dans chaque commune de tout un système de postes, de patrouilles de nuit, d'estafettes, afin de se tenir au courant des mouvements de l'ennemi et de pouvoir les signaler autour de soi. Il désigna seize points dans le département et y fit exécuter plus ou moins complètement des travaux : Coupures de routes , barricades , retranchements, abattis d'arbres, fascinages, etc. Les points de défense les plus voisins d'Alençon en étaient à 10 ou 12 kilomètres ;. au Neufchatel, à Ancinnes, à Saint-Denis, à Oisseau, aux Rablais, au Menil-Brout. Quant à la ville elle-même, le Comité après avoir examiné ses environs, ne reconnut pour elle d'autre moyen de défense que le barricadement de ses rues et de ses maisons dans le cas oùjie sacrifice des biens et de la vie des citoyens paraîtrait commandé par des avantages d'une importance assez exceptionnelle ou au moins assez sérieuse pour la défense nationale. Cependant, sur les observations du Conseil municipal, il prescrivit quelques abattis d'arbres aux environs de Champfleur et de Bourg-le-Roi et une coupure de route entre le Mesnil-Erreux et les Ventes-de-Bourse. Quant à la voie ferrée, il suffisait pour l'intercepter, de jeter au dernier moment, des terres dans un déblai (1).

(1) Délibérations du Comité de défense, 8 novembre 1870 à 2 janvier 1871. avec carte. — Cabier Lecointre, p. 319 à 329. Circulaire du Préfet de l'Orne.


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L'envahissement de notre contrée ne date pas seulement du reste de la concentration au Mans de l'armée de Chanzy. Dès avant cette époque, des engagements avaient eu lieu à Dreux et vers Nogent, et l'on avait signalé les Prussiens sur plusieurs points extrêmes du déparlement de l'Orne. C'est en vain que les dépèches se multipliaient ; qu'on leur donnait les formes les plus mitigées ; qu'on noyait une mauvaise nouvelle sous un flot de détails rassurants; il n'était pas besoin d'une grande perspicacité pour apercevoir, derrière ces phrases calculées, une situation chaque jour plus grave. Nos troupes prenaient ou tuaient quelques ennemis; les Prussiens s'emparaient des villes et des canons, nous tuaient ou nous prenaient des centaines ou des milliers d'hommes. Nous étions vainqueurs dans les petits engagements, ils l'étaient dans les batailles.

Le 23 novembre, il y eut grand émoi à Alençon. Des troupes, ou plutôt des troupeaux d'hommes de toutes armes, mobiles, francs-tireurs, soldats de ligne, se précipitaient dans la ville, sales, exténués, quelques-uns sans armes. Fallait-il ajouter un nouveau nom à la liste de nos défaites ? A les entendre, c'est à peine si quelques hommes auraient échappé au désastre. Tel racontait qu'il n'en restait que douze de sa compagnie ; tel autre, qu'il n'en restait pas quatre-vingts de son bataillon. Et, pourtant) à voir tous ces soldats, sans blessures, fuyant au hasard, sans lieu de ralliement, arrivant à rangs pressés pendant toute la journée, on aurait dû songer à la part d'exagération que la panique devait avoir dans ces nouvelles.

Un combat avait eu lieu en effet deux jours auparavant, à la Fourche, vers l'extrémité est du département, entre les mobiles de l'Orne, appuyés par quelques autres corps et par des francstireurs, et une partie de l'armée du duc de Mecklenbourg. Plusieurs de nos bataillons avaient bien tenu ; mais d'autres, n'ayant pas montré la même solidité, avaient hâté une retraite inévitable, ou plutôt, l'avaient changée en débandade. Une centaine des nôtres, dont trente morts environ, avaient été mis hors de combat. Il y avait loin de ces nouvelles, tout affligeantes qu'elles fussent, à l'anéantissement de nos forces départementales. Mais, ce qu'il y avait de plus triste dans cette affaire, c'est qu'une armée ennemie tout entière se mouvait près de nous ; c'est que la faute des nôtres lui livrait le département ; c'est qu'elle en occupait


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déjà plusieurs points et ne pouvait manquer de nous arriver d'un jour à l'autre.

Alençon l'attendait pour le lendemain ou le surlendemain ; la panique régnait dans la ville. Quant à ce qui serait fait pour recevoir les Prussiens, personne n'en avait seulement, le pressentiment . Le Comité de défense siégeait, à ce qu'il paraît, presque en permanence ; mais ses déterminations étaient peu connues dans le public. On se demandait avec anxiété où aurait lieu la résistance, et même s'il y aurait résistance ? Quelles troupes avait-on à mettre en ligne? La garde nationale fut pourtant reunie ; des grand'gardes de trente hommes chacune furent postées pendant deux ou trois jours sur les routes de Mamers, de la Fresnaie, d'Essay, de Sées et de Paris ; des gendarmes furent envoyés en éclaireurs. A quoi bon? Et ces quelques mesures n'avaient-elles pas pour but de faire taire les partisans de la résistance et de donner une sorte de satisfaction au besoin de mouvement qu'on éprouve malgré soi dans des circonstances de cette nature ? Ce qui portait à le croire, c'est que, d'un autre côté, la préfecture et les administrations se retiraient à Domfront ; c'est qu'on éloignait le peu de troupes dont on pouvait disposer et qu'on faisait évacuer au plus vite les fuyards, à mesure qu'ils arrivaient.

Et cependant, cette fois encore, l'ennemi ne vint pas jusque chez nous. Les Allemands, après quelques engagements, occupèrent Bellême, qu'ils firent cruellement souffrir, allèrent de là à Mamers ; mais n'osèrent pousser jusqu'au Mans. Ils rodèrent ainsi, pendant plus de deux semaines, à quelques lieues de nous sans nous visiter.

Ce temps ne se passa pas sans alertes. Vers le 15 décembre notamment, on signalait, disait-on, les Prussiens à Mortagne, à Mamers, même au Neufchâtel. Quelques concentrations de troupes eurent lieu à Alençon ; des reconnaissances furent faites de tous les côtés ; mais cet appareil militaire s'évanouit de nouveau comme par enchantement, et de nouveau aussi les ennemis nous laissèrent de côté.

Ces délais étaient employés à peu près aussi bien que le permettait le désarroi général. On en profita pour achever d'équiper les mobilisés ; pour commencer l'organisation de l'artillerie départementale, qui venait d'être décrétée par la délégation de


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Bordeaux' ; pour procéder aux réquisitions de .chevaux et de voitures destinés aux service des armées ; pour donner des soins à nos ambulances. Les blessés affluaient en plus grand nombre, à mesure que se rapprochait le théâtre de la lutte. La générosité des particuliers, principalement des dames, eut là un vaste champ pour s'exercer et ne faillit pas à la tâche. De temps à autre, on apprenait avec satisfaction que nos mobiles ou nos francs-tireurs avaient remporté quelque avantage ou tenu vigoureusement tête à l'ennemi ; on espérait tous les jours de bonnes nouvelles ; on en avait quelquefois ; c'élait alors une grande joie; plus souvent les dépêches ou les journaux ne nous apprenaient qu'un nouveau malheur.

Cependant, comme si les Prussiens n'avaient pas suffi à occuper l'activité d'un homme d'État, Gambetta en revenait, bon gré, mal gré, à sa politique révolutionnaire. Parmi les nombreux monuments de son despotisme, un de ceux qui froissèrent le plus les populations, fut la dissolution des Conseils généraux et leur remplacement par des Commissions administratives. Notre Conseil général, à l'exemple de la plupart des autres, protesta ; le Préfet insista auprès du ministre tout-puissant, pour le presser de revenir sur sa décision, lui exposa le patriotisme du Conseil, les services qu'il avait rendus au déparlement, les gages qu'il avait donnés à la défense ; on lui répliqua par un nouvel ordre. M. Christophle, ne voulant pas se faire l'exécuteur d'une mesure qui répugnait à ses sentiments, répondit lui-même par l'envoi de sa démission. M. de la Garenne, secrétaire général de la préfecture, le suivit dans sa retraite.

Dans toute circonstance, M. Christophle aurait été regretté ; ses qualilés, son esprit de justice et de conciliation lui auraient gagné les sympathies ; le motif de sa retraite lui assurait un nouveau titre à l'estime ; mais ce qui augmenta surtout les regrets qui le suivirent, ce fut le choix de son successeur.

M. Antonin Dubost était un homme d'environ 26 ans, ex-collaborateur de la, Marseillaise. Il avait été nommé secrétaire de la Préfecture de Police après le 4 septembre, puis, il avait quitté Paris en ballon. Son ami Gambetta n'avait trouvé rien de mieux que de nous le donner pour préfet. Sa proclamation d'entrée en fonctions ne pouvait d'ailleurs laisser aucim doute sur ses idées. Le but qu'il poursuivait, c'était celui-là même qui s'était incarné


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dans la Révolution du 4 septembre, à savoir; l'établissement définitif de la République, et par elle, l'indépendance absolue de la Patrie. La cause du mal, il la trouvait tout entière dans le régime monarchique. Quand aux complices conscients de ce régime, qui a conduit la France à deux doigts de sa perte, la République n'a qu'un mot à leur répondre : vous êtes des incapables ; qu'un droit à leur laisser, le droit de se ■ repentir.

Notre nouveau Préfet nousarrivait d'ailleurs dans de tristes circonstances militaires. A l'en croire, il aurait trouvé nos légions de mobilisés dans l'état le plus pitoyable, dispersées dans toutes les directions, obéissant à leurs propres inspirations. Une seule légion, sous les ordres du commandant Raulin, opérait utilement dans l'arrondissement de Mortagne. En revanche, deux bataillons étaient si bien égarés que, pendant plusieurs jours, personne, dit-il, ne savait ce qu'ils étaient devenus. Il était à peine installé qu'on signalait une nouvelle invasion dans notre département et dans la direction denotre ville. La Fourche, Bretoncelles, Laigle, Mortagne étaient occupés par l'ennemi ; Bellème venait, au dire du Préfet, d'être occupé de nouveau par nos mobilisés. Les mêmes démonstrations, les mêmes concentrations, les mêmes reconnaissances, les mêmes mesures de défense que par le passé furent reprises, mais avec une énergie et un appareil auquel nous n'étions pas accoutumés. Alençon, déshabitué de voir nos vieilles troupes, fut surtout flatté d'être défendu par un corps de cinq ou six cents gendarmes. (1)

Ces mouvements effrayaient plutôt les habitants pour leur sûreté particulière, qu'ils ne les inquiétaient au point de vue des opérations générales. Alençon, ville ouverte de tous les côtés, et qui n'avait rien de militaire, ne pouvait supposer que l'ennemi cherchât à l'envahir dans un autre but que celui de s'enrichir à ses dépens, ou, tout au plus, de s'avancer davantage au coeur de la France. Son sort, dans tous les cas, ne lui paraissait lié que d'une manière bien éloignée et bien indirecte à celui des grandes armées. Cependant, il n'en était pas ainsi, et nous eûmes pendant quelque temps une importance stratégique que nous ne songions même pas à soupçonner.

Cette persistance des Allemands à rôder autour de notre ville

(1) Note explicative du Préfet.


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ne pouvait rester inaperçue aux hommes chargés de la défense, et ne laissait pas que de leur donner à réfléchir. D'un autre côté, Alençon entrait pour une large part dans le plan de campagne du général Chanzy. Nos ennemis, avec cette sûreté de coup d'oeil qui les abandonnait si rarement, ne faisaient donc ainsi que contrarier ses vues et gêner ses opérations, en même temps qu'ils se ménageaient les moyens de l'attaquer de plusieurs côtés à la fois, de se préparer, dans l'avenir, un de ces fameux mouvements tournants qui leur avaient réussi tant de fois, et peut-être, au dernier moment, de lui couper la retraite.

Les projets du général Chanzy sur notre pays semblent dater de l'arrivée à son camp du capitaine d'étal-major de Boisdeffre, envoyé par Trochu pour mettre le gouvernement de la Province au courant de l'état et des besoins de Paris. Deux points importants résultent de son rapport : premièrement, Paris complètement enfermé dans un cercle de fer, ne peut se sauver à lui seul, ni nourrir l'espoir de faire une trouée avec les moyens dont il dispose ; et, en second lieu, ses jours sont comptés ; il a encore des vivres et des munitions pour un mois, et l'on peut fixer dès maintenant aux environs du 20 janvier la date fatale de la capitulation.

La conclusion de ces renseignements s'imposait : il n'y avait pas un instant à perdre. Un mois pour aller jusqu'à Paris, avec les obstacles de toute nature que l'ennemi ne manquerait pas de nous opposer, c'était peu, trop peu même, à moins d'un effort suprême et combiné des trois armées qui nous restaient encore. Telle fut l'avis du général de l'armée de la Loire. Il le proposa catégoriquement au Gouvernement ; il insista auprès des autres généraux ; il lit appel à toutes les forces de la nation ; et, chose qui paraîtra difficile à croire, ce fut Gambetta, le bouillant dictateur, qui tempéra l'ardeur du général, et jugea à propos de reviser ses projets en ce qu'il leur trouvait de trop hasardeux et de trop prompt.

Voici en quels termes s'en explique le général Chanzy dans une lettre au ministre : « La base d'opération d'où je partirai « sera la Sarthe et la ligne ferrée du Mans à Alençon; la nouvelle « base sur laquelle je marcherai sera l'Eure, probablement de « Dreux à Chartres. Là, j'apprécierai, d'après la situation, si je « veux continuer nui marche sur Paris, ou si je trouve plus


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« avantageux d'investir dans cette position, l'armée assié« géante. » Puis, après avoir montré la nécessité de combiner ses opérations avec les généraux Bourbaki et Faidherbe, de relier son action à celle du général Trochu, et enfin d'assurer ses communications avec sa base d'opération et sa ligne de retraite, il reprend : « C'est pourquoi je vous ai demandé de me « faire connaître quelles troupes je pourrais tirer de l'Ouest, « pour couvrir la ligne du Mans à Alençon, et même du Mans

« à Tours Des concentrations de troupes dont je ne suis

« nullement informé, se font sur divers points de la Norman« die, notamment à Cherbourg ; j'ignore dans quel but. Il im« porte, en ce moment, que rien ne soit détourné de mes forces « vives, etc. »

Puis, Gambetta faisant attendre sa réponse trop longtemps au gré de l'impatience du général, celui-ci, quelques jours après, lui envoie le commandant de Boisdeffre (un Alençonnais), poulie presser, l'engager à adopter son plan et lui en expliquer les détails : Action simultanée de Chanzy, Bourbaki et Faidherbe ; Ghanzy partant du Mans, pour venir par notre pays s'établir sur l'Eure, entre Evreux et Chartres ; les forces de Cherbourg s'avançant le long du chemin de fer de Caen, jusques sur la gauche de la deuxième armée ; les forces réunies en Bretagne et sur le cours inférieur de la Loire occupant fortement la Sarthe, d'Alençon au Mans, et le Perche jusqu'au Loir, pour couvrir la base et la ligne d'opération de l'armée et assurer ses derrières ; les corps francs de Cathelineau et de Lipowski, en arrière du Loir et de Châteaudun, pour couvrir l'aile droite et observer les troupes ennemies de la vallée de la Loire ; enfin les trois grandes armées se rapprochant de Paris, et combinant. leurs attaques avec celles de Trochu. Qu'une seule réussisse, c'est le ravitaillement de Paris et peut-être le succès (1).

Gambetta avait, à la vérité, 80,000 hommes, en formation à Cherbourg et à Vierzon ; il consentait à les mettre à la disposition du général, ce qui devait porter son armée à200,000hommes, mais ils ne pourraient être prêts avant le 12 ou le 15 ; il fallait donc attendre jusques là pour commencer le mouvement, sur

(1) La Deuxième Armée de la Loire, par le Général Chanzy, 2m» édit. p. 244.

2.


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Paris. — Mais Paris lui-même pourrait-il attendre ? Chanzy, qui ne le croyait pas, hâtait, autant que cela lui était permis, l'exécution de ses projets. Il faisait établir à Beaumont-surSarthe, sur la route d'Alençon, les avant-postes de cavalerie du XVIIe corps ; il plaçait à Mamers et au Theil, ceux du XXIe corps ; il chargeait le général de Malherbe, cemmmandant la subdivision de l'Orne, d'appuyer la colonne du général Rousseau, du côté de la Ferté-Bernard, du Theil et de Mamers ; il dirigeait sur Mamers deux bataillons des mobilisés de l'Orne ; il donnait ordre au colonel Lipowski, des francs-tireurs de Paris, de concourir aux mômes opérations (1).

Ces dispositions amenèrent sur divers points, à Nogent, à Bellème, à la Fourche, à Condreceau (probablement, Condeau?), à Regmalard, au Theil, etc., un grand nombre d'actions peu importantes, si on les considère chacune en particulier ; mais qui, avec des chances diverses, et après des débuts avantageux, avaient eu pour résultat définitif la retraite, ralentie par la lutte, mais presque générale de nos troupes (2).

Mentionnons encore parmi ces petits engagements la défense de Longny, qui dura cinq jours, et fait le plus grand honneur à ses habitants et à ses défenseurs, les francs-tireurs de Constantine (3).

Le moment était venu de couvrir Alençon directement, et le 7 janvier, après le combat du Theil, Lipowski devait être envoyé dans notre direction, pour observer l'ennemi, qui menaçait Mortagne. De leur côté, les mobilisés de l'Orne étaient échelonnés, d'une part, au Mesle-sur-Sarthe et à Montisambert, d'où ils surveillaient les routes de Mortagne à Sées, par Sainle-Scolasse et Courtomer; d'autre part, à laFresnaie, aux Aillères, au Neufchâtel, à Ancinnes, à Louvigny, de façon à garder la forêt de Perseigne et à couvrir Alençon. Chanzy avait l'espoir qu'un effort vigoureux en avant leur permettrait de reprendre Bellême et avait donné des ordres en conséquence au général de Malherbe (4). Attaqué dans toutes ses positions à la lois, il donnait

(1) La Deuxième Armée de la Loire, p. 250, 256, 257.

(2) La Deuxième Armée de la Loire, p. 285-287.

(3) Courrier de l'Ouest, 4 février 1871.

(4) La Deuxième Armée de la Loire. Notes et documents, p. 552 et 556. — Note explicative du Préfet A. Dubost au Maire et aux Conseillers municipaux d'Alençon.


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ordre de résister partout, autant que cela serait possible. Attendant de jour en jour une grande bataille, et obligé de rappeler à lui ses meilleures troupes régulières, les difficultés de sa situation ne lui faisaient pas perdre de vue Alençon.

Dans sa pensée, le projet des Allemands était de nous attirer en dehors de nos positions du Mans, pour chercher à nous battre en détail ; ou bien de nous refouler sur ces positions et de nous y bloquer, pour empêcher notre marche sur Paris. Les trois lignes d'attaque de l'ennemi devaient être : 1° Par la vallée de l'Huisne, l'armée du duc de Mecklenbourg, avec menace sur Alençon, Bellême et Mortagne ; 2° par la route de Vendôme au Mans, où se trouvait, dit-on, le prince Frédéric-Charles ; 3° enfin au sud du Loir. Dans ces conditions, Chanzy, obligé de faire tête à l'ennemi dans autant de directions, déclarait indispensable de faire arriver à Alençon au moins une division du XIXe corps et de diriger sur Tours ce que le XXVe avait de disponible. Il renouvela également sa demande de faire venir à Alençon 9,000 mobilisés de la Mayenne, que le Préfet donnait comme prêts et bien outillés. Tous ces mouvements, disait Chanzy, sont urgents et doivent être faits par les voies les plus rapides. Il nous faut être nombreux partout, et ne pas nous exposer à voir nos lignes forcées en quelques endroits (1).

Et le même jour, annonçant au préfet de l'Orne les demandes qu'il venait de faire et l'envoi à Mamers du colonel Lipowski, pour couvrir Alençon, seul renfort immédiat qu'il puisse lui donner, il ajoutait : « Le tout est de tenir quelques jours ; et « cela est d'autant plus facile que, par le temps qu'il fait, nous « avons le choix des posilions de défense, et que l'ennemi ne « peut faire grand usage de son artillerie. » Le 10 janvier, les mobilisés étaient annoncés à la fois par le général de l'armée de la Loire et par le Ministre de la Guerre. En attendant, le Préfet avait ordre de défendre Alençon et le cours de la Sarthe, avec les forces dont il disposait (2).

Nous voici arrivés au moment de la bataille du Mans. Je n'ai point à raconter ce désastre, qui eut sur nos destinées une si triste influence, et j'ai presque honte de dire qu'elle causa la perte

(1) La Deuxième Armée de la Loire, p. 306 et 552.

(2) Lettre du Préfet au Maire, etc.


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d'Alençon, quand je songe aux résultats infiniment plus funestes qu'elle eut pour notre malheureuse patrie. Au moins est-ce une sorte de triste consolation de penser que l'événement qui consomma le malheur de notre ville fut celui-là même qui donna le dernier coup à notre bien-aimée France.

Cette bataille de trois jours se présenta d'abord, comme c'était assez l'ordinaire, sous des auspices avantageux. Jusqu'à la fin, des dépêches favorables, commentées par le désir du succès, grossies par les nouvelles particulières, entretinrent les espérances les plus magnifiques. Comment se fait-il, et quelle était donc la confusion universelle, que des événements de cette importance, se passant à douze lieues, aient été si peu, si tard et si mal connus ?

Enfin, le 13 janvier, une dépêche, venue de Bordeaux, nous apprit la triste vérité.

Mais, ce que nous ne savions pas, c'étaient les projets que le général en chef de l'armée de la Loire avait nourris et continuait à nourrir relativement à notre ville.

Quand, le 11 au soir, la perte de l'importante position de la Tuilerie eut placé l'armée du Mans dans un état des plus critiques, ce contretemps, loin de changer l'idée que caressait Chanzy de pousser sa marche sur Paris, ne fit en quelque sorte que d'en bâter l'exécution. Il se proposait, avant la bataille, d'aller à Paris par Alençon ; le chemin étant encore ouvert, il résolut d'en faire sa ligne de retraite, sauf à voir ensuite par où il pourrait continuer sa route. Sa première pensée donc, avant môme d'avoir constaté sa défaite, est de se ménager, à tout événement, un puissant renfort à Alençon. « Il est de la der« nière importance, écrit-il au Ministre, que les deux divisions « du XIXe corps, que vous voulez bien m'annoncer, soient ren« dues dans le plus bref délai possible à Alençon. Elles peuvent « me donner le moyen d'un succès important sur les flancs de « l'ennemi. Prière de me faire savoir le jour où elles seront à « Alençon. Je donnerais tout pour les y savoir aujourd'hui. » (1)

Enfin, la retraite étant définitivement commandée, les instructions du 12 au matin ne sont que la mise à exécution de la pensée

(1) La Deuxième Armée de la Loire. Télégramme du 11 janvier, 11 1). du soir, p. 325.


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du général. L'armée, disent-elles, devra aboutir entre Prez-enPail et Alençon, et s'établir, la gauche à la Sarlhe, au XIXe corps, qui doit arriver à Alençon, la droite à Prez-en-Pail. La marche s'effectuera en quatre jours, avec une moyenne de 14 à 16 kilomètres par jour. Le XXIe corps, formant l'aile gauche, marchera le long de la Sarthe, directement sur Alençon; le XVIIe corps, formant le centre, se rendra par Domfront-enChampagne, Ségrie, Fresnay, Assé-le-Boisne, Gesnes-le-Gandelain, Saint-Denis-sur-Sarthon ; le XVIe corps, formant l'aile droite, ira par Chauffeur, Neuvi-en-Champagne, Conlie, Cressé, Pont-la-Robert, Montreuil-le-Chétif, jusqu'à Prez-en-Pail. La cavalerie avait pour mission d'arrêter les fuyards. Une arrièregarde solide devait achever les coupures des routes et couvrir la retraite. Les Prussiens, d'ailleurs, toujours prudents et ne se rendant pas bien compte de leur victoire, ne songèrent pas d'abord à nous inquiéter (1).

Cette appréciation du général était-elle justifiée ? En tout cas, dès le 13, le grand duc de Mecklenbourg, recevait du prince Frédéric-Charles, l'ordre de suivre le XXIe corps français jusqu'à Alençon et d'y prendre une position d'attente.

Le plan de Chanzy plaçait, comme on voit, Alençon au coeur de la défense, et l'exposait aux chances d'une bataille et aux tristes effets du passage de deux armées. Que d'autres s'en plaignent ; pour moi, tout ce qui nous donnait l'occasion de nous mesurer avec l'ennemi ei de contribuer à la lutte d'une manière plus active est à mes yeux un honneur, dont il y a lieu d'être content et fier. Mais il n'en devait pas être ainsi.

Gambetta ne parut pas d'abord s'opposer aux vues du général. « Je comprends, lui écrivait-il, votre impatience d'avoir le XIXe « corps à Alençon, et, comme vous, je donnerais tout au monde « pour qu'il y soit aujourd'hui ; mais je n'ai malheureusement « pas le don de faire des miracles. Les deux divisions partiront « de Cherbourg demain. Elles fussent pallies aujourd'hui 12, « si vous aviez pu me donner plus tôt réponse à la dépêche « d'hier matin, par laquelle je vous demandais le point définitif

(1) La Deuxième Armée de la Loire, p. 329.

La Guerre franco-allemande de 1870-71, rédigée par la section historique du Grand État-Major prussien, traduction Costa de Sarda de l'ÉtatMajor français, 1880. T. IV, p. 851 à 855.


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« de destination. Ces deux divisions, à l'effectif d'environ 30,000 « hommes, voyageant en chemin de fer, nous devrions nous « estimer heureux si elles s'embarquent en quarante-huit heures. « Vous ne devez donc espérer les faire entrer en ligne, la prête mière, que le 15 au matin, et la deuxième, que le 16. A ces « dates, je crois qu'elles pourront coopérer avec vousd'Alençon ; « mais plus tôt, il serait chimérique d'y compter. Faites-moi « connaître, le plus tôt possible, sur quel point vous voulez que « se rende la troisième division. »

Chanzy répondait immédiatement : « Je reçois à l'instant, « midi et demi, votre télégramme, au sujet du XIXe corps. Vous « connaissez les événements, je veux organiser la retraite de « façon à établir le 15 au soir mes divers corps d'armée entre « Alençon et Prez-en-Pail, pour m'y reconstituer et reprendre « les opérations. Il est donc plus urgent que jamais que les deux « premières divisions du XIXe corps arrivent promptement à « Alençon, pour me servir de base et d'appui. Quant à la 3eme « division, je désire la voir arriver le plus tôt possible à Argen« tan, et connaître le jour. » (1)

Le général prévoyait une retraite diffflcile, des défections, des découragements ; il craignait d'être inquiété, coupé peut-être. Il prit les mesures qu'il jugea les plus propres à assurer l'exécution de son plan. D'un côté, il chargea celui, peut-être de ses officiers qui lui inspirait le plus de confiance, le général Jaurès, de protéger la retraite et de tenir la route ouverte. On savait qu'un effort de l'ennemi devait être tenté vers Bonnétable ; cette localité eut ordre d'opposer une résistance énergique. Deux affaires sérieuses et bien menées eurent lieu en effet, l'une à la fourche de la route de Sillé, l'autre à Ballon, afin de conserver le pont de Montbizot, le seul qui fût praticable à l'artillerie (2).

D'un autre côté, ce n'était pas un médiocre avantage de trouver en avant un renfort puissant pour se reformer, et une force capable de tenir l'ennemi en respect. Aussi le général Chanzy, recommandait-il à Alençon de tenir, coûte que coûte, en l'attendant.

Les mobilisés de la Mayenne y arrivèrent le 12 au matin, au

(1) La Deuxième Armée de la Loire, p. 578-579.

(2) La Deuxième Armée de la Loire, p. 585.


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nombre de 3,500. Le même jour, Beaumont les reçut, au nombre de 4,500, en envoya une partie à Fresnay-sur-Sarlhe et à La Hutte, et garda le reste, bien inutilement d'ailleurs ; car ces soldats, débauchés, dit-on, par les habitants, ne surent pas tenir devant l'ennemi (1). Ces mesures avaient pour but. croyait-on, de barrer la route aux Prussiens venant du Mans ; dans la réalité, leur destination était bien plus tôt de préparer la voie à notre armée. Mais déjà, un ordre de Gambetta avait changé tout cela, réduit à néant les projets du général, et imposé un autre objectif à la retraite.

Chanzy eut de la peine à se soumettre et insisla énergiquement auprès du ministre pour faire prévaloir ses idées. « Je ne prête voyais certes pas hier, écrivait-il le 12 au soir, les défaillances « de la nuit dernière, ni la retraite à laquelle elles allaient me « contraindre. J'en suis le premier navré, mais ma confiance « était telle qu'elle a résisté, et que c'est en m'en inspirant « qu'ont surgi les idées que vous n'admettez pas....

« N« pouvant me séparer de la pensée que Paris est aux « abois ; me cramponnant à l'idée d'un mouvement dans cette « direction, notre but suprême, je portais ma droite à Alençon, « appuyé fortement au XIXe corps, que je croyais une force sé« rieuse et immédiatement utilisable. Une fois établi d'Alençon « à Prez-en-Pail, pivotant sur ma droite avec les éléments réelle« ment résistants de mon armée, ralliant à Argentan le reste du « XIXe corps, je marchais, sans perdre un jour et sans presque « allonger les distances à parcourir, sur Dreux et sur Evreux, « dans la pensée d'appuyer ma gauche à la Seine et de forcer « l'Eure dans une partie moins préparée pour sa défense que « celle de Chartres à Dreux. Ce que je vois autour de moi, « vos propres objections, vos préoccupations pour Rennes et « Nantes, alors qu'à Josnes elles étaient surtout pour Cher« bourg, me forcent à renoncer à une marche, hasardeuse sans « doute, mais qui pouvait tout sauver.

« J'obéis donc et je change mes dispositions, pour me diriger « vers Laval, etc. »

De telles observations demandaient une réponse ; elle ne se fit pas attendre. Le général espérait peut-être qu'elles engage(1)

engage(1) explicative, du Préfet — Grand Etat-Major Allemand, p. 854-856'


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raient Gambetta à changer d'avis. Il n'en fut rien. Voici ce qu'il lui écrivit :

« Quant au dessein que vous nourrissez, me dites-vous, de « vous arrêter, s'il était possible, entre Alençon et Prez-en« Pail, pour, de là, tenter une marche hardie sur Paris, par « Dreux et Evreux, je vous ferai remarquer que cette tentative « généreuse était de nature à amener la perte de votre armée. « D'une part en effet, vous auriez couru le risque de ne point « refaire vos troupes avant de reprendre votre marche ; d'autre « part, vous auriez infailliblement rencontré sur votre chemin « l'armée de Frédéric-Charles, commandant général des forces « prussiennes dans l'Ouest, laquelle parcourant, du Mans à « Dreux ou à Mantes, une corde dont vous même parcourriez « l'arc, vous aurait nécessairement gagné de vitesse.

« Nous estimons donc qu'à tous les points de vue, la retraite « sur Mayenne et Laval est infiniment préférable.

« Je suis d'ailleurs en mesure de vous dire que les vivres ne « manquent nullement dans Paris, et que le général Trochu « lui-même recule la fatale échéance jusqu'à la fin du mois) « etc. » (1)

Est-ce tout, et Chanzy va-t-il renoncer à son projet ? Pas encore. C'était le moment où Alençon, apprenait enfin la défaite qui avait eu lieu presque à sa porte. La dépêche qui lui annonçait cette nouvelle indiquait en même temps Laval, comme objectif de la retraite. Le général cependant ne s'y soumettait que positivement contraint. Même après en avoir donné l'ordre, il écrivait encore au ministre : « Je n'avais qu'une idée, donner « à mon armée l'occasion de laver cette tache, et arriver encore « à temps pour sauver Paris. Aussi, sans hésiter, je me décidai « à battre en retraite sur Alençon.JLà, en me réunissant au XIXe « corps, encore intact, ralliant autour de moi tout ce qui avait « du coeur dans la deuxième armée, j'aurais marché sur Paris. « Tous, cette fois, prévenus qu'il fallait arriver ou mourir.

« La grandeur du but à atteindre me semblait justifier ces « risques suprêmes. Vous en avez jugé autrement, j'obéis.

« La retraite s'opère convenablement sur la Mayenne...

« Le XXIe corps, après avoir combattu toute la journée contre

(1) La Deuxième Armée de la Loire, p. 338-339.


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« trois divisions du Grand-Duc de Mecklenbourg, a pu opérer « sa retraite en très bon ordre, et passer la Sarthe sur les ponts « de Montbizot, la Guerche, et Beaumont.

« L'ordre de cette nuit lui prescrivant de changer son mou« vement de retraite lui est arrivé ce matin, au moment où, en « très bon ordre, il marchait sur Alençon, où il serait arrivé « demain. »

Cependant, le lendemain 14, ce même corps, attardé par ses impedimenta, était, encore échelonné sur la route de Beaumont, à cheval sur les trois routes de Sillé au Mans, à Beaumont et à Fresnay. (1)

Mais revenons à Alençon, et aux événements dont il ne pouvait manquer de devenir le théâtre. On était certes loin de s'y douter des nombreuses dépêches dont il était l'objet, et de l'importance qu'il avait dans les pensées des hommes d'État. Tout ce qu'on savait, c'est que les Prussiens étaient à quelques lieues de nous, et qu'ils allaient infailliblement nous arriver du jour au lendemain.

Comment les recevrait-on ?

Grave question, que chacun tranchait à sa manière, sans avoir ni l'autorité, ni les éléments indispensables pour la résoudre.

(1) La Deuxième Armée de la Loire. Télég. du 13 et du 14 janvier, p, 309, — 580 et 581.


CHAPITRE III.

LA VEILLE DU COMBAT

Comment les recevrait-on ?

Nous ne pouvions, évidemment, songer à nous livrer sans avoir au moins fait quelques efforts pour échapper à cette honte. Une telle indignité n'entrait dans la pensée de personne. Tous, sans doute, n'entendaient pas l'honneur de la même façon, et il s'en trouve toujours trop qui partagent leur coeur entre le patriotisme et les considérations de la peur ou de l'intérêt personnel. Je ne crains pas loutefois de le dire : personne à Alençon n'eût osé proposer un parti en opposition constatée avec la dignité du pays. Il fallait donc résister dans les limites du possible. Mais quelles étaient ces limites ? Qu'est-ce qui était possible ? Qu'estce qui ne l'était pas ? Et ces limites elles-mêmes ne devaientelles pas être reculées plus ou moins, selon les intérêts plus ou moins puissants de la défense ? Autant, par exemple, il est beau et généreux de faire le sacrifice de sa vie quand la Patrie a besoin de ce sacrifice ; autant il serait vain et absurde de se faire tuer sans utilité, par gloriole et par entêtement. Quel était donc au juste l'intérêt de la défense d'Alençon ? Etait-elle liée au sort général de la campagne? Pouvait-elle être utile à l'armée de Chanzy ? Pouvait-elle arrêter l'ennemi ? Ou bien, n'avionsnous à songer qu'à nous-mêmes ? à notre honneur, d'abord ; mais aussi à nos femmes, à nos enfants, à nos propriétés ?

Et puis, quels étaient nos moyens et ceux de l'ennemi ? En étions-nous réduits à notre garde nationale et à quelques milliers de mobilisés ? Ou bien, comme quelques-uns commençaient à le dire, mais sans parvenir à se faire croire, avions-nous lieu d'attendre un prompt secours, et quel secours ? L'ennemi se dirigeait-il en force de notre côté ? Ses masses les plus nom-


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breuses étaient-elles, au contraire, à la'poursuite de l'armée de Chanzy ? Toutes questions auxquelles personne ne pouvait satisfaire ; auxquelles les hommes chargés de la responsabilité eussent été peut-être fort embarrassés de donner une réponse quelque peu nette et précise.

Autre question, non moins grave: quelle autorité était chargée de décider de notre sort ?

C'est là, dans ces jours de péril, où les plus grands intérêts sont en jeu, l'honneur, la vie, la fortune, qu'une autorité respectée et incontestée est absolument indispensable. C'est alors qu'un homme capable et reconnu comme tel, investi de la confiance de ses concitoyens, peut tout sauver; comme aussi c'est alors qu'un moment d'incertitude ou d'hésitation peut tout compromettre. Que dire de l'anarchie dans de telles circonstances ? Et pourtant, il faut l'avouer, l'anarchie, tel fut à peu près le régime auquel nous nous trouvâmes soumis.

A prendre les hommes d'après le degré d'évidence qu'ils eurent, ou qu'ils se donnèrent, nous avions bien notre préfet' homme nouveau, jeune et sans expérience des choses de la guerre, peu au courant des besoins, du caractère et des aspirations de notre ville ; très-remuant d'ailleurs, ne voyant que le but, sans se préoccuper des moyens, et très-disposé à prendre des paroles brûlantes et des appels au désespoir pour des raisons et des procédés de victoire. La loi, croyait-on, plaçait sous ses ordres les mobilisés ; pourtant, il n'en était pas bien sûr luimême ; et en effet, un décret venait de rendre à l'autorité militaire des droits qu'on n'aurait jamais dû lui enlever. Il était donc à propos qu'un mot de Bordeaux fit taire ses scrupules et lui décernât un brevet de vaillance. « Conservez, lui disait-on, « la dispositiondes mobilisés que vous avez si bien conduits jusqu'à « présent. Je suis heureux de savoir que la défense d'Alençon « et environs est entre vos mains. » (1) C'est encore lui, à ce qu'il paraît, qui était le plus au courant de la situation. C'est avec lui que le Gouvernement, et peut-être Chanzy, avaient échangé le plus de dépêches ; c'est à lui qu'on avait annoncé l'envoi des deux divisions de l'armée de Cherbourg, ' des mobilisés de la Mayenne, des francs-tireurs Lipowski ; c'est lui qui

(l^Note explicative du Préfet- Télégr. du 14 janvier,


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avait fait venir, de son chef, les mobilisés de l'Orne ; c'est à lui qu'on avait demandé les -plus énergiques efforts pour résister jusqu'au 16 au matin, époque où devaient commencer à arriver les renforts de Cherbourg (1), Mais n'oublions pas, d'un autre côté, qu'il avait dû être également avisé, et des premiers, que le général Chanzy ayant été forcé de changer au dernier moment. ses dispositions de retraite, Alençon avait ainsi perdu une grande partie de son importance stratégique et par suite, n'avait plus les mêmes motifs de résistance à outrance.

Comment un tel personnage se trouva-t-il investi d'une telle mission ? Qu'avait-on affaire alors d'un homme d'administration ? N'était-ce pas bien plutôt un militaire qui nous fallait ?

Nous avions bien encore à Alençon le général de Malherbe, vieil officier d'Afrique et de Crimée, commandant la subdivision de l'Orne. Nous avions aussi le Comité de défense, que je ne sépare point, dans ma pensée, du général, pas plus qu'il n'en était séparé dans la réalité. Le général, en effet, en était le président, l'inspirateur, et se regardait comme l'exécuteur de ses décisions (2). Quelle était donc au juste la position du Général, assisté du Comité de défense ? En devait-il être réduit à exécuter les plans militaires éclos dans la cervelle d'un jeune préfet et à commander sous ses ordres ? 11 faut convenir qu'une telle perspective était peu de nature à élever ses pensées et à développer ses moyens. Sera-t-il au moins appelé dans les conseils de notre homme de guerre improvisé ? Ou plutôt, n'était-ce pas à lui, comme commandant militaire du département, ou même en sa simple qualité de général, à mettre la haute main sur les affaires et à décider de tout d'après ses lumières et son expérience, sauf à s'en entendre avec le préfet ?

Restait une troisième autorité : le Maire et le conseil municipal. Elle avait sur le général le privilège de disposer de la garde nationale ; car, par une anomalie au moins singulière, la plus haute autorité militaire était la seule qui n'eût pas un soldat sous sa main. L'autorité municipale avait encore l'avan(1)

l'avan(1) explicative. Télég. du 14 janvier, etc.

(2) Les autres membres étaient : MM. le Général de Boisterlre, commandant de la garde nationale, le Commandant Lemaitre, le Colonel d'artillerie en retraite d'Hostel. le Colonel Tardy, l'Ingénieur en chef du Plessis, l'Ingénieur de Domfrpnt, de la Tournerie,13oissière.


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tage d'être, en quelque sorte chargée de la tutelle de la ville ; mais par contre, n'était-il pas possible d'en inférer une disposition à se laisser entraîner à des vues étroites, exclusives et inspirées surtout par l'amour du clocher. Enfin, elle n'avait rien de militaire.

Par ces motifs, il eût été fâcheux de lui laisser la haute direction. Elle n'y prétendit pas d'ailleurs, et son but unique fut de travailler à remettre les intérêts de ses administrés entre des mains présentant les meilleures garanties de capacité, d'impartialité et de modération. Elle était alors dans son rôle. Elle n'y réussit, comme nous le verrons, que bien tard. Elle y serait arrivée plus tôt, que les conditions de la lutte auraient été améliorées, sans doute ; mais le résultat final n'eût pas été changé ; il était inévitable.

De ces divers pouvoirs, le préfet seul se mit d'abord en avant. Aussitôt que la fatale nouvelle de la défaite du Mans fut parvenue à Alençon, il fit placarder la proclamation suivante, dans le but de préparer les habitants aux événements, quels qu'ils fussent, d'exciter leur patriotisme, et de leur faire comprendre sa résolution de résister jusqu'à la dernière extrémité :

« Aux habitants d'Alençon.

« Un certain nombre de fuyards, venant du Mans, pénètrent « dans Alençon, y jettent le trouble et y provoquent des pani« ques. La plupart de ces hommes sont un danger dans un « pareil moment. Le général Chanzy a prescrit de ne pas les « laisser entrer dans la ville et, au besoin, de faire sur eux des « exemples nécessaires.

« Le Mans a été évacué par notre armée, qui s'est retirée en « bon ordre.

« Nous ne connaissons pas encore la marche de l'ennemi.

« Nous pensons toutefois, mais sans en avoir la certitude, « qu'Alençon ne sera pas de sitôt souillé par l'étranger. Mais, « quoi qu'il arrive, si après avoir défendu pied à pied les posi« tions occupées par nos troupes, après avoir fait notre devoir, « nous étions renversés par la force brutale, le gouvernement « compte sur le sang-froid de la population Alençonnaise.

«' Dans une pareille hypothèse, la peur qu'engendre le désor« dre ne fait jamais que des victimes. Avons-nous besoin d'ajou-


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« ter que nous sommes disposés à nous défendre, les armes à la « main, jusqu'aux portes de la ville ?

« La garde nationale est composée de citoyens soucieux, je « pense, de leur dignité et de leur honneur. Ils n'imiteront pas « ces âmes pusillanimes, qui cherchent dans l'existence de leur « prétendue faiblesse un prétexte pour se soustraire à la mort.

« Citoyens ! si les Prussiens viennent jamais coucher dans « nos lits, il faut que l'on puisse dire d'Alençon qu'elle fut vrai« ment digne de la République, de la Patrie et de la Liberté.

« Quant à votre Préfet, il ne se retirera que quand il sera « bien constaté que l'honneur et le droit n'ont rien pu contre la « force.

« Citoyens ! un grand homme a dit : l'adversité est notre mère, « la prospérité n'est que notre marâtre.

« Le jour n'est pas loin, je vous le jure, où la mère engen« drera. Il n'y a pas de droit contre le droit. Les Prussiens ne « peuvent tarder à en faire l'expérience.

« Alençon, le 13 janvier 1871, minuit. »

Si le préfet se proposait, par ces paroles, de rassurer, ou môme d'enflammer la population, il avait bien manqué son but. Déjà, on voyait la ville bombardée, incendiée peut-être ; on se rappelait le sort de Saint-Calais, livré au pillage pour bien moins. Ce n'est pas pourtant que le patriotisme fit défaut ; mais rien, jusqu'à ce jour, n'avait fait pressentir l'éventualité de tels sacrifices. Beaucoup néanmoins se montraient prêts à s'y soumettre ; à une condition toutefois, c'est qu'ils lussent commandés par l'intérêt de la France et ne fussent pas uniquement le fruit d'une héroïque folie ou d'un vain désir de se signaler. Dans tous les cas, on ne se souciait nullement d'abandonner à la discrétion du préfet la vie des citoyens et l'honneur de la Aille.

En même temps, le préfet songeait aux moyens d'augmenter son effectif. Il avait déjà, depuis deux jours les mobilisés de la Mayenne, il les passe solennellement en revue dans la journée du 14, ainsi que la garde nationale sédentaire. C'était, il en faut convenir un triste assemblage. Je n'ai rien à dire des gardes nationales ; elles sont connues de vieille date. Si quelques-unes montrèrent, dans le cours de la campagne, de la solidité, de l'héroïsme, si l'on veut, ces belles exceptions ne sauraient infir-


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mer la règle. Le fait est que la garde nationale, ni par sa composition, ni par son organisation, ni par son esprit, n'est préparée à une action militaire quelconque. La nôtre, en particulier, en valait Lien une autre ; mais ce serait lui taire un honneur dont elle serait la première étonnée, que de vanter son humeur guerrière. Elle aurait pu fournir, en face de l'ennemi, une ou plusieurs compagnies de volontaires ; mais c'eût été s'exposer à une déception ;que de la lancer indistinctement et en masse contre les hataillons ennemis.

Quant aux mobilisés de la Mayenne, il n'était pas besoin d'attendre l'événement pour les juger et eux-mêmes avaient pris soin de donner leur mesure. « Qu'on nous fasse faire chez nous, « disaient-ils, la guerre de buissons, et l'on verra de quoi nous « sommes capables ; mais pour Alençon, les Prussiens y peu« vent venir ; ce n'est pas nous qui le défendrons. Alençon nous « a fait coucher sur la paille ; qu'il ne compte pas que nous « tirions pour lui un coup de fusil. » Les malheureux, ignoraient en effet que leurs chefs eux-mêmes ayant exprimé le désir de les avoir sous la main, de manière à pouvoir disposer d'eux à tout instant, on avait été à peu près forcé de les caserner tant bien que mal dans les halles et les monuments publics. Quelque peu donc qu'il y ait à attendre de troupes jeunes, sans expérience, sans discipline, armées de fusils à piston dont les cartouches n'étaient pas toujours de calibre, celles-là se montrèrent encore au dessous de ce qu'on pouvait raisonnablement présumer. Je tiens toutefois à ne pas laisser à un jugement aussi sévère plus d'étendue qu'il n'en doit comporter. Plusieurs compagnies, un bataillon presque entier même, cherchèrent en effet à racheter les mauvaises dispositions de leurs camarades.

Voilà les hommes auxquels il s'agissait d'inspirer force et courage. On pouvait être surpris que M. Dubost fût chargé de ce soin. Quelle était donc la confusion qui présidait à la distribution des rôles, qu'il nous fût donné de voir le jeune journaliste passant fièrement la revue de ses troupes, pérorant, agissant, paradant ; et derrière lui, le général de Malherbe, le général de Boistertre, le Maire, muets et comme entraînés dans l'orbite de cet astre de nouvelle espèce ? Mais Gambetta s'était bien improvisé généralissime ; quoi d'étonnant à ce que ses lieutenants s'improvissassent chefs de corps ?


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Mes amis, nous disait le Préfet, la France a les yeux sur vous. L'affaire peut être rude ; mais ne comptez pas les ennemis. Ne craignez pas la mort... Je ne veux avec moi que des hommes qui aient fait leur testament... Que l'ennemi ne pénèlre dans votre ville que sur vos cadavres amoncelés !... Oui, je vous le dis : faites-vous tous tuer ; tous, jusqu'au dernier, s'il le faut, et la France sera sauvée !

L'anxiété était grande ; la garde nationale assez bien disposée. Plusieurs cependant auraient préféré voir le général, ou seulement leur commandant, leur indiquer la ligne de l'honneur et du devoir, les assurer de la possibilité et de l'utilité de la défense. Quelques cris de Vive la République ! firent écho aux paroles brûlantes du préfet ; mais, en somme, la passion des auditeurs était loin d'être à la hauteur de celle de l'orateur.

De son côté, le conseil municipal était en séance depuis plusieurs heures et s'occupait des éventualités de la lutte. Le Général, dit le Maire, « pour être en mesure de repousser l'invasion, « si les troupes qui s'avancent ne sont pas en trop grand nombre, « a donné l'ordre de battre le rappel, pour avoir la garde natio. « nale à sa disposition, afin de soutenir au besoin les troupes « qui occupent la ville et doivent essayer de la défendre aux « points indiqués par le Comité de défense. » Les Prussiens étaient signalés à Beaumont. Il aurait pu ajouter, que Beaumont ne les avait pas arrêtés longtemps. (1) Gomme conséquence, le pont de Beaumont qui devait être détruit, restait debout, et les colonnes ennemies pénétraient sans obstacle jusqu'à La Hutte, Bourg-le-Roi et Ancinnes. (2)

Cette affaire de Beaumont eut pour nous des résultats considérables. Son premier effet fut de nous priver du secours si vivement attendu de l'armée de Cherbourg. Alençon, comme Beaumont, était confié, en grande partie, au patriotisme des mobilisés de la Mayenne. N'était-il pas à redouter que ce patriotisme fît défaut à Alençon, comme il avait fait défaut à Beaumont ? Dans un tel doute, malheureusement trop fondé, le général Chanzy, craignant que les deux divisions de Cherbourg ne trouvassent Alençon déjà occupé, n'osa pas les exposer à une

(1) Conseil municipal, 14 janvier, une heure du soir.

(2) La Deuxième Armée de la Loire, p. 351-581-582-585.


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perte presque certaine, et demanda au Gouvernement-(car ils n'étaient pas encore partis !) de les faire arrêter à Fiers, sauf à les diriger ensuite sur Alençon, si Alençon était en état de les recevoir. Mais ce qui était possible alors, ce qui l'était encore le lendemain 15, ne l'était plus le 16. On aurait dû s'y prendre un ou deux jours plus tôt ; maintenant il était trop tard.

Les télégrammes les plus contradictoires se croisèrent donc dans cette journée du 14, relativement à l'envoi des divisions de Cherbourg. Les termes pressants dans lesquels ils sont conçus montrent assez l'importance qui s'attachait à cette opération :

« Guerre à Protais, agent général de la compagnie Ouest, « Granville, faire suivre; — général Gérard, Carentan, faire « suivre ; — chef de gare de chemin de fer, Carentan, à préfet, « Alençon et à général Chanzy, à Sillé-le-Guillaume.

« Bordeaux, 14 janvier 1871.

« Les deux divisions du XIXe corps d'armée s'embarqueront à « Carentan, par chemin de fer, demain jeudi (1), à 5 heures du « soir, et seront expédiées, de jour et de nuit, sans interruption, « sur Alençon, de manière que l'embarquement total soit terminé « en 48 heures. Les deux divisions comprennent 30,000 hommes, « 12 batteries, de la cavalerie et les accessoires. Je compte sur le « patriotisme de la compagnie de l'Ouest et, en particulier, sur « celui de M. Protais., ainsi que sur la ponctualité et la vigilance « des chefs, pour que le transport ait lieu dans les conditions « sus-indiquées. La compagnie de l'Ouest est autorisée par la « présente à supprimer le service sur telles sections qu'elle jugera « utile, pour se procurer le matériel nécessaire et assurer la « circulation des trains militaires. Réponse urgente.

« Signé : DE FREYCINET. »

Reste un point à éclaircir : Comment se fait-il que le départ, demandé comme urgent dès le 11, annoncé positivement le 12, n'ait été ordonné que le 14 ?

Autre télégramme :

GAMBETTA A CHANZY

« Bordeaux, 14 janvier 1871, 9 h. 40 m. du soir. « Je prends communication de votre dépêche de 2 h. 45 m. à

(1) C'est une erreur ; le lendemain 15 janvier était un dimanche.

3.


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« mon délégué au ministère de la guerre, dont l'activité et l'ini«

l'ini« nous mettent à même de vous secourir au milieu de

« votre retraite, par la présence du XIXe corps. Vous demandez la

« composition et l'emplacement des troupes qu'il vous envoie.

« Elles doivent débarquer à Alençon, sous les ordres du général

« Gérard ; le général Saussier devant commander la 3e division,

« à Argentan. Quant au général Dargent, les instructions qu'il a

« entre les mains sont fort nettes ; il commande la 1" division

« et, jusqu'à l'arrivée du général commandant le XIXe corps, il

« remplira l'intérim. Dès lors, il n'a qu'à se rendre à Alençon,

« comme on le lui a dit, pour surveiller le débarquement des

« troupes. Quant au délai fixé pour l'ensemble de ces opérations,

« il ne dépendra pas de M. de Freycinet qu'il ne soit, scrupuleu«

scrupuleu« respecté

« Signé : Léon GAMBKTTA. »

Mais à quoi bon toutes ces belles promesses ? Cbanzy venait lui-môme de réclamer un contre-ordre.

« Le préfet d'Alençon, disait-il, signale les Prussiens à Bourg«

Bourg« et à Ancinnes, marchant sur Alençon. Je doute que les

« mobilisés de la Mayenne puissent tenir mieux qu'à Beaumont.

« Dans le doute de ce qui va se passer, quoique nos projets de

« résistance ne soient nullement modifiés, je crois utile de faire

« arrêter les divisions du XIXe corps à Fiers, sauf à les diriger

« plus tard, soit sur Alençon, soit sur Domfront, suivant le cas.

« Vous avez prescrit les mouvements ; je vous prie de les modi«

modi« dans ce sens... » (1).

Il paraît toutefois que le préfet ne fut avisé que le 15, j'ignore à quelle heure, de ce changement de disposition, par un télégramme du ministre de la guerre. Le 14 encore, à 3 h. 40 m. du soir, le général Chanzy continuait à lui faire les mêmes promesses. « Je compte, disait-il, que le XIXe corps commencera à arriver « à Alençon demain soir. Je fais occuper Fresnay par la division « Gougeard, qui y sera demain, et qui se reliera à Montreuil à « la droite du 21e corps. Faites savoir au colonel Lipowski que « je compte sur lui pour vous aider à défendre Alençon (2). »

Cependant le préfet ne perdait pas son temps. Jugeant que

(1) La Deuxième Armée de la Loire, p. 582, 587, 588.

(2) Note explicative du préfet.


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nous ne serions pas attaqués par la forêt de Perseigne, il rappela à la hâte toutes les troupes qui en gardaient les débouchés, ainsi que les francs-tireurs Lipowski ; puis il réunit dans son cabinet le colonel Lipowski et le colonel Tardy, commandant supérieur des mobilisés de l'Orne, afin de s'entendre avec eux sur les dispositions à prendre en cas d'attaque.

Les troupes étant arrivées dans la soirée, il convint avec ses conseils de les envoyer dans la nuit occuper des positions en avant d'Alençon, échelonnées jusqu'à la Hutte, où se trouvaient déjà deux bataillons de la Mayenne. Il décida aussi que les voies de communication seraient barricadées et les ponts minés, afin d'arrêter la marche de l'ennemi. Le général Chanzy avait bien promis d'envoyer pour cette dernière opération l'ingénieur civil de l'armée avec son matériel et son personnel ; mais en son absence, on dut s'adresser aux ingénieurs du département ou de la ville et aux hommes de bonne volonté (1).

Qui eût dit, au milieu de cette agitation, que nous avions à Alençon un général et un comité de défense ? Restaient-ils donc inactifs ? Il ne faudrait pas le croire ; mais tandis que le préfet agissait à grand bruit et disposait de certaines forces, les autres, sans troupes et sans pouvoirs définis, en étaient réduits le plus souvent à des résolutions stériles. Peut-être auraient-ils pu et dû faire davantage. Peut-être eût-il mieux valu, au risque d'élever un conflit, qu'ils prissent d'autorité la direction des affaires. Ne connaissant ni leurs résolutions ni leurs motifs, il est difficile de les juger.

Le conseil municipal y mit moins de formes et, tout en y apportant les précautions nécessaires, ne recula pas devant une lutte avec le préfet. Les projets de M. Dubost ne pouvaient manquer de l'émouvoir, comme ils avaient ému la population. La défense de la Aille à l'intérieur et la rupture des ponts lui paraissaient une folie qui devait infailliblement causer la ruine de la ville. Il prit à tâche de s'y opposer et de remettre le pouvoir en de meilleures mains.

Il était en séance le 14 au soir, quand une députation des officiers de la garde nationale vint lui faire part des craintes de la population. Celui qui porte la parole expose que, par ordre du

(1) Note explicative.


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préfet, des barricades doivent être éleArées dans la ville, en deçà des différents ponts; qu'il y a des ordres et des réquisitions du préfet pour préparer la rupture des ponts ; qu'il résulte de son allocution à la revue que la défense doit avoir lieu non seulement en dehors d'Alençon et sur les points où des travaux préparatoires ont été faits par ordre du Comité de défense, mais dans l'intérieur de la ville.

Au nom de la garde nationale, cet officier proteste de l'entier dévouement du corps à la défense de la patrie ; déclare que la garde nationale est prête à tous les sacrifices pour repousser l'ennemi loin de la ville ; mais n'entend pas, par une défense à l'intérieur qui lui paraît impossible, exposer à la ruine la cité tout entière.

L'ingénieur en chef entre alors et prévient le maire qu'il ait à mettre en réquisition les poudres qui peuvent se trouver dans les différents dépôts de la ville, afin de préparer la rupture des ponts. Il affirme en même temps qu'il lui a été communiqué par M. le Préfet un ordre du général Chanzy prescrivant cette mesure.

M. Baudry répond que la gravité des circonstances sollicite l'intervention énergique du Conseil. Sans doute, si un ordre du général Chanzy réclame dans l'intérêt de la défense nationale les mesures signalées, si douloureux que soient les sacrifices imposés, le Conseil el la Ville doivent trouver dans leur patriotisme et leur amour pour la France le courage de les accepter sans limites. Mais il est du devoir étroit du Conseil de s'assurer que ces ordres viennent bien du général Chanzy ou du ministre de la guerre. A son avis, ils doivent avoir été transmis directement à l'autorité militaire, qu'un décret récent investit seule du droit de pourvoir à la défense. 11 demande que le maire s'informe auprès du général de Malherbe de la portée des ordres qu'il peut avoir reçus et lui soumette les observations qui, sans nuire à la défense générale, peuvent préserver la ville des malheurs qui la menacent. M. Baudry s'occupe ensuite de la position désastreuse faite par les projels du préfet au quartier de Montsort, des avis à donner et des mesures à prendre pour lui permettre de se réfugier à temps dans les autres quartiers.

M. Lherminier, tout en s'associant à ce qui a été dit par M. Baudry, pense que c'est au préfet qu'on doit plus particulière-


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ment réclamer des communications, qu'il ne pourra ni ne voudra refuser.

Néanmoins, d'après l'avis unanime, le maire se rend auprès du général.

A son retour, il fait connaître que le général lui a déclaré n'avoir reçu aucun ordre du général Chanzy ni du ministre pour prescrire la rupture des ponts intérieurs, l'érection de barricades et la défense dans les rues; que le Comité de défense a toujours été d'avis que c'était aux environs qu'Alençon, ville ouverte, devait être défendu; qu'il partageait entièrement cet avis, ainsi que le commandant de la garde nationale ; que c'est en dehors de lui que les ordres communiqués au Conseil ont été donnés par le préfet.

En conséquence, le Conseil se transporte en masse auprès du préfet, pour avoir de lui des explications sur ces ordres et. lui exposer la situation douloureuse qu'ils peuvent créer à la ville.

A neuf heures et demie, le maire, introduit avec le Conseil, fait part au préfet de l'émotion causée par les ordres qu'il a donnés ; il lui en demande communication, ainsi que des nécessités de la défense nationale sur lesquels ils peuvent reposer.

Le préfet, dans une vive et longue allocution, répond qu'il a reçu du ministre carte blanche pour diriger les opérations de la défense ; qu'il est en communication avec Chanzy ; que, par des considérations qu'il ne peut rendre publiques, ils regardent tous deux comme d'un intérêt véritable qu'Alençon se défende à outrance ; que le salut de la patrie peut être attaché à ce qu'il résiste pendant un certain temps ; que l'intérêt particulier de la ville doit céder à l'intérêt général ; qu'il faut que l'ennemi soit retardé dans son invasion d'Alençon par tous les moyens possibles, dût-il n'en pas rester pierre sur pierre. Il ajoute que, du reste, son intention est de n'avoir recours à la rupture des ponts et aux barricades à l'intérieur que si les positions avancées ne peuvent être maintenues.

M. Romet, appuyé par ses collègues, insiste pour avoir communication des ordres prescrivant la rupture des ponts et la défense à outrance à l'intérieur de la ville, ordres qui n'ont encore été donnés pour aucune ville ouverte, quelle que soit son importance et la concentration des troupes chargées de la défendre.


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Refus du préfet. Il consent néanmoins à donner des ordres qu'il a reçus une communication confidentielle au maire qui, dans la mesure d'une discrétion nécessaire, en pourra faire part au Conseil.

Bientôt le maire déclare à ses collègues que la seule dépèche qui lui ail été communiquée a trait à la rupture des ponts entre Fresnay et Beaumont.

Enfin le préfet annonce sa visite au Conseil pour le lendemain matin à 8 heures, pour diverses communications (1).

Tout en faisant la part de l'emphase et de l'exagération, on doit convenir qu'il y avait du vrai dans les déclarations du préfet. Si la rupture des ponts de la ville et la défense à l'intérieur n'étaient pas expressément commandées, il n'en est pas moins vrai que les télégrammes du général Chanzy poussaient énergiquement à la résistance, et que ceu* du ministre donnaient un pouvoir considérahle au préfet (2). Mais alors, qui l'empêchait de produire ces pièces et d'établir ainsi son autorité contestée ? Ne les trouvait-il pas suffisamment claires? Ne craignait-il point aussi, par hasard, que le général investi de l'autorité de par la la loi, en relations suivies, lui aussi sans doute, avec le général Chanzy et avec le gouvernement , ayant reçu de son côté des communications analogues à celles du préfet, peut-être les mêmes, mais leur ayant donné une interprétation différente, n'en prit occasion pour s'opposer à ses desseins ? On a dit aussi que la rupture des ponts sur la Sarthe, prescrite par Chanzy comme nécessaire à l'époque où il comptait effectuer sa retraite par Alençon et Prez-en-Pail et faire de la Sarthe une de ses grandes lignes de défense, n'ayant plus sa raison d'être depuis que Gambetla l'avait obligé à changer ses plans, avait dû être contremandée par lui, si elle ne l'était suffisamment par la force des choses. Dans cette hypothèse, le préfet, aurait simplement fait une erreur de date , appliquant au 15 janvier des mesures qui ne pouvaient s'appliquer qu'au 12 ou au 13. Quoiqu'il en soit, il y a là un point obscur qu'il est difficile de trancher. Les points obscurs ne manquent pas d'ailleurs à celle triste époque.

(1) Procès-verbaux des délibérations du Conseil municipal du 14 janvier, 8 heures du soir.

(2) Noie explicative du préfet.


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Ces luttes intestines à l'approche de l'ennemi duraient encore le lendemain. Les travaux de mines et de barricades se poursuivaient, mais avec mollesse et lenteur ; on sentait que ceux qui étaient chargés de les faire ne s'acquittaient de leur besogne qu'à contre-coeur. Un employé avait même osé pénétrer jusqu'au préfet et lui exposer respectueusement l'inutilité des travaux et le danger qu'ils constituaient pour la ville. Il ne fut pas tenté d'y revenir. F...-moi le camp, s'écria le haut magistrat en fureur. Je me f... pas mal de la ville. Périsse Alençon ; qu'il n'en reste pas pierre sur pierre. Ce que je veux, c'est la résistance, la résistance à outrance. Allez et obéissez. Cependant le 15 au matin, un seul pont important, celui du chemin de fer, sur la Sarthe, était détruit, et le général de Malherbe, défendant sous sa propre responsabilité la destruction des autres, se montrait disposé à l'empêcher, même par la force. Des pétitions se signaient, surtout dans le quartier de Montsort ; le Conseil municipal, en attendant le préfet qui ne venait pas, écoutait les observations de plusieurs de ses membres « contre un système de défense « qui ne peut, disaient-ils, avoir pour résultat que de prolonger « la résistance et qui, cependant, entraînerait la ruine de la « ville... Des communications verbales de M. le Préfet, il résulte, « ajoutaient ces membres, que c'est lui qui, par une interpréta« tion qui lui appartient, s'est créé un système désastreux de « défense ; que son patriotisme, qui ne peut être éclairé par des « connaissances militaires auxquelles il est étranger, se fait illu« sion sur la portée de ces mesures, et que le Conseil municipal, « par un silence qui serait coupable, ne peut les sanctionner.

« Sur quoi, le Conseil municipal, à l'unanimité,

« Proteste de son dévouement à la défense nationale. Déclare, « au nom de la ville et de la garde nationale tout entière, que la « défense aux postes en avant de la ville et qui ont été indiqués « par l'autorité supérieure, doit être énergiquement soutenue.

« Mais, considérant que la rupture des ponts intérieurs et la « défense dans l'enceinte même de la ville essentiellement « ouverte ne sont prescrites par aucun ordre spécial du ministre « de la guerre ou du général Chanzy.

« Considérant que l'autorité militaire et le Comité de défense « ont été d'avis que la ville ne devait et ne pouvait être défendue « que dans ses postes avancés.


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« Considérant qu'après l'abandon de ceux-ci, toute autre « défense, en l'absence de forces et d'artillerie suffisantes, serait « désastreuse, sans être utile, compromettrait même le mouve« ment de nos troupes.

« Refuse énergiquement son concours aux ordres émanés de « M. le Préfet » (1).

Une nouvelle séance fut indiquée pour 10 heures, afin d'entendre les explications du préfet. Le général y assista. Après des altercations assez vives entre le préfet, qui se dit muni d'ordres formels auxquels il ne peut faillir, le Conseil municipal, peu convaincu par ses déclarations et le général qui persiste dans son opinion de concentrer en avant toute la défense, sans exposer la ville aux dangers d'une résistance intérieure qui n'aurait aucune efficacité réelle, la rupture des ponts ne pouvant pas entraver sérieusement la marche de l'ennemi, on convint d'en référer au général Cbanzy et de s'en rapporter à sa décision (2). Et pendant ce temps-là, on se battait aux portes d'Alençon ! Ces longues citations étaient nécessaires pour nous aider à juger, s'il est possible, une situation unique dans l'histoire de notre ville. Il ne s'agissait de rien moins en effet que de savoir si, oui ou non, elle allait être bombardée, détruite peut-être, livrée dans tous les cas aux horreurs de l'incendie et du pillage. Que faut-il penser, en définitive, du système du préfet? 11 est certain que, s'il avait dû avoir quelque efficacité, s'il avait été commandé par la nécessité ou par les ordres du général Chanzy comme devant contribuer au salut du pays, il n'y avait pas à se préoccuper des conséquences ; il fallait s'y soumettre, coûte que coûte. Mais cette nécessité, cette efficacité, ces ordres existaientils ? On a vu les télégrammes de Chanzy cités par le préfet luimême ; avaient-ils ce caractère formel et positif d'un ordre militaire qui n'admet ni examen ni réplique ; ou ne prescrivaient-ils pas simplement la résistance dans les limites de la possibilité ordinaire? Y était-il question de défense dans les rues de la ville, de barricades, de rupture de ponts à l'intérieur? Le préfet, d'un autre côté, était-il apte à interpréter et à exécuter ces ordres? Ses décisions pouvaient-elles être autre chose que les décisions

(1) Conseil municipal, 15 janvier, 8 heures du matin.

(2) Conseil municipal, 15 janvier, 10 heures du malin.


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d'un homme ardent, héroïque, si l'on veut; mais d'un homme qui n'y entend rien et que son défaut de lumières et de sagesse éloigne du but qu'il poursuit lui-même ? S'imaginait-il, par hasard, que les Prussiens allaient s'engager dans les rues de la ville et y livrer un combat incertain et inégal? C'eût été bien peu connaître leurs habitudes de prudence. Avant donc que d'entrer dans la ville, ils n'auraient pas manquer de s'y préparer un accès facile en la bombardant sans danger pour eux, jusqu'au moment où nous aurions trouvé assez de femmes et d'enfants tués ou blessés, assez d'incendies, assez de ruines pour leur ouvrir nousmêmes nos portes. Le préfet voulait le combat ; de cette façon, il ne l'obtenait même pas et permettait à l'ennemi de nous faire du mal, presque sans représailles possibles. Au lieu donc de le laisser venir et de concentrer la résistance trop près de la ville, que n'allait-il l'attendre plus loin, dans des positions d'où ses obus ne pourraient atteindre les habitants inoffensifs et où il l'obligerait à se mesurer avec de véritables soldats ? Son système donc, bon tout au plus comme moyen extrême, après avoir essayé de tous les autres, et pour le cas seulement où l'attente d'un prompt secours et un intérêt puissant eussent déterminé à se laisser bombarder en silence, était inapplicable dans les conditions où il était proposé. On comprend la rupture du pont du chemin de fer; une gare est toujours une position importante, et il était bon. surtout si l'on attendait du secours, de la garder le plus longtemps possible. Mais ni nos barricades, ni nos ponts rompus n'étaient de nature à arrêter l'ennemi, par la raison bien simple que lui-même ne songeait pas à s'y heurter.

Cette longue discussion nous a fait négliger les faits. D'ailleurs, ce n'est pas encore le jour des grands événements. Signalons toutefois, pour en finir avec cette journée du 14, les mesures de précaution pour s'éclairer et se mettre à l'abri d'une surprise. Des grand'gardes furent placées sur les routes ; des éclaireurs à cheval eussent été bien utiles ; mais les cavaliers étaient rares. Quelques gendarmes, quelques chasseurs d'Afrique, c'était bien peu, et il eût été urgent d'en augmenter le nombre; néanmoins, malgré l'appel fait à la garde nationale, on ne put s'en procurer beaucoup.

Signalons encore l'arrivée dans la soirée des mobilisés de l'Orne et des francs-tireurs Lipowski. Bon nombre d'habitants


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en prirent chez eux ; mais la plupart furent réduits à coucher dans les églises el les monuments publics. Triste nécessité, que les soins de l'intendance et de la municipalité auraient pu éviter, ce semble, à la majesté du culte et à la fatigue de ces malheureux. A Saint-Léonard, ils eurent au moins de la paille ; à NotreDame, ils furent obligés de dormir sur des chaises ou sur les dalles humides, par un froid rigoureux. Le matin, au moment de dire les premières messes, il en fallut réveiller un bon nombre qui étaient pressés sur les degrés des autels. Combien d'autres encore furent forcés de bivouaquer sur la place, au milieu de la neige.

La garde nationale était convoquée pour le lendemain matin à 6 heures, à moins que le tambour ne l'appelât dans la nuit ; mais une partie resta jusqu'à 11 heures ou minuit sur la place et sous la coupole de la Halle au blé, dans l'attente des événements qui pouvaient surgir d'un moment à l'autre.


CHAPITRE IV LE COMBAT

Un combat à Alençon !.... Conlre les Prussiens ! La France envahie sur une étendue de cinq ou six cents kilomètres ! Quelle impossibilité ! Aurait-on honoré d'une réponse celui qui, six mois auparavant, aurait fait, de telles prédictions ? Et pourtant, ces événements inouïs, impossibles, qui ne pouvaient, entrer dans les calculs de l'homme d'État ou du guerrier; qui ne pouvaient trouver place ni parmi les illusions du succès, ni parmi les craintes de revers ; que ni vainqueurs ni vaincus, ni Allemands ni Français n'auraient seulement osé supposer, nous en avons été les témoins, les acteurs, les victimes.

Le 14 janvier au soir, nous avons laissé notre petite armée bivaquant sur la Place, au milieu de la neige, ou couchée sur les dalles des églises et des monuments publics. 11 m'en coûte de l'y laisser, et pourtant, avant la mettre aux prises avec l'ennemi, il y a plusieurs questions qu'il est nécessaire de vider.

Le combat d'Alençon n'eut point l'importance d'une grande bataille. Ni le nombre des troupes qui y furent engagées, ni le chiffre des pertes qu'il nous occasionna ne permettent de le classer parmi les grands faits militaires de la campagne. Et quant à son influence sur les résultats généraux de la guerre, les changements imposés aux plans de Chanzy la lui enlevaient en grande partie.

Il eut cependant pour effets d'ouvrir à la Prusse la route de la basse Normandie et de gêner la retraite de nos troupes après la bataille du Mans. A un point de vue plus particulier, il nous valut l'occupation de tout notre pays par les Prussiens, Il fut d'ailleurs fécond en enseignements de toute sorte.

Celui donc qui n'y verrait qu'une lutte malheureuse de quelques milliers de Français contre un plus grand nombre d'enne-


mis ou, suivant l'expression d'un auteur, un court mais très vif engagement des troupes du grand duc de Mecklenbourg contre celles du général Lipowski (1), courrait risque de l'apprécier d'une manière incomplète et peut être inexacte. Le commandement, les dispositions demandent à être examinés à part et antérieurement à l'action. De ces trois points, l'action proprement dite est peut-être le moindre, se déduit presque comme une conséquence nécessaire et, pour la centième fois, fournit la solution de ce problème : étant donnés les éléments dont on pouvait disposer et les hommes chargés de les mettre en oeuvre, l'issue pouvait-elle être autre qu'elle ne fut?

Dans toute guerre, le commandement est chose capitale, et la Prusse ne nous aurait peut-être pas vaincus, si nous avions eu un général en chef à opposer au sien. Qu'on suppose devant l'ennemi une autorité incertaine, contestée, ou seulement divisée, n'aura-t-elle pas pour effet de paralyser les troupes, de leur faire perdre l'enthousiasme, la confiance, et d'amener infailliblement la défaite ? Je ne parle pas d'une autorité nulle ; l'esprit se refuse à une telle hypothèse, et alors même qu'on ne peut découvrir le commandement, on le suppose toujours quelque part. Cela posé, quelle était, sous ce rapport, notre situation à Alençon? Je l'ai déjà dit, c'était l'anarchie. Mais au moins, au dernier moment, une main énergique allait-elle imposer son autorité? Il n'y fallait pas compter. L'ennemi approchait ; nous devions, disait-on, aller à sa rencontre ; mais personne ne savait qui devait nous y conduire. Il était là, à nos portes ; nous entendions le canon ; nous nous demandions avec anxiété quel général, quel officier dirigeait nos troupes, et personne ne pouvait répondre à cette question. Aujourd'hui encore, après des années, on voudrait savoir le nom de celui qui commanda ce jour-là, et la réponse laisse des doutes et est sujette à des distinctions

Il est certain que, jusqu'à 10 heures 15 minutes, c'est le préfet qui eut presque toute l'autorité. C'est lui qui avait fait venir les troupes; c'est lui qui, de concert avec les colonels Lipowski e.t Tardy, les avait disposées ; c'est lui seul qu'on voyait agir ; c'est donc sur lui que doit reposer en grande partie la responsabilité des préparatifs, du plan et des commencements de l'action.

(1) La Guerre clans l'Ouest, par L. Bolin, ancien officier, p. 378.


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Cependant, comme son pouvoir ne s'exerçait pas sans opposition, j'ai dit que, pour mettre fin à un conflit des plus regrettables, on avait dû recourir à l'intervention du Gouvernement et du général Chanzy.

Il était près de dix heures quand des télégrammes leur furent adressés. A ce moment, on entendait déjà le canon dans les environs ; il était temps de savoir qui commanderait la résistance. Heureusement la réponse ne se fit pas attendre. Elle était ainsi

conçue :

« Sillé, 10 h, 15 m. du matin, 15 janvier 1871.

« Général Chanzy à Général, Alençon.

« C'est au Comité de défense à prendre les mesures en vue de « la marche de l'ennemi sur cette localité. Je ne puis ni com« mander directement dans cette direction, ne pouvant apprécier « les événements, ni prendre des mesures qui n'auraient peut« être pas leur raison d'être. Je n'ai jamais eu l'idée d'enlever à « qui que ce soit sa part d'autorité et de responsabilité.

« Signé : CHANZY. » (1)

Il semble, du reste, que le préfet aurait pris lui-même les devants, car il parle d'une dépêche envoyée par lui plusieurs heures avant cette réponse, et qui était conçue en ces termes :

« Préfet, Alençon à Guerre, Bordeaux et général « Chanzy, Sillé-le-Guillaume.

« Vous m'avez recommandé de défendre à outrance Alençon « et ses environs. Pour assurer notre ligne de retraite, nous « avons cru indispensable de faire miner les ponts de l'intérieur « de la ville. Le Conseil municipal et le Général, qui ne sont pas « du même avis, protestent. Si vous voulez que je leur résiste, « donnez-moi par dépêche l'autorisation formelle. » (2)

Enfin, vers une heure, le ministre prescrivait au général de prendre possession des mobilisés de l'Orne des mains du préfet (3).

De cette façon, le général se trouvait donc chargé de pourvoira une situation qu'il n'avait pas faite, de poursuivre des opérations qu'il avait blâmées et auxquelles il s'était opposé.

(1) Cons. municip. 15 janvier, 3 heures.

(2) Note explicative du préfet.

(3) Cons. munie. 15 janvier, 3 heures.


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Il était connu de vieille date qu'Alençon, situé dans un fond, entouré de tous côtés par des hauteurs, ne pouvait résister qu'autant que ces positions restaient en notre pouvoir ; que l'ennemi, s'il en devenait le maître, pouvait facilement de là réduire la ville, avant même d'y entrer ; qu'Alençon, en conséquence devait être défendu, non dans Alençon même, mais hors de ses murs.

Aussi le Comité de défense avait-il résolu d'occuper les hauteurs de Neufchâtel, Ancinnes, Champfleur, Oisseau etc. et de disputer aux Allemands l'approche, plutôt que l'entrée même de la ville. On a prétendu après coup (1) que, si la lutte n'eut pas lieu sur ces points, ce ne fut pas la faute du préfet, mais celle des mobilisés de la Mayenne, qui ne surent pas tenir devant les avant-gardes allemandes. Malgré l'obscurité qui, encore actuellement, couvre en partie les opérations de cette journée, il paraît que dés grand'gardes avaient, à la vérité, été envoyées dans ces directions; mais ces grand'gardes, suffisantes pour éclairer sur la marche de l'ennemi, n'avaient ni la mission, ni le pouvoir d'opposer une résistance sérieuse. Et pourtant, quel avantage, non pas seulement pour Alençon, je ne le place qu'au second plan, mais pour le succès de nos armes, si le combat, au lieu de s'être livré presque en rase campagne, aux portes d'une ville que la rupture de notre première ligne de défense livrait à l'ennemi, avait été porté sur des hauteurs boisées et accidentées, où se joignait à l'avantage de la position celui de travaux et de préparatifs étudiés et exécutés de longue main !

Mais il n'y fallait plus songer. C'est l'ennemi qui maintenant occupe ces positions préparées pour le combattre. Il s'approche de la ville, et il ne s'agit plus que de lui en interdire l'entrée. C'est à cela du moins que se bornent, à ce qu'il paraît, les prétentions du préfet. Pour y réussir plus sûrement, il avait dressé au haut de la ville, à la jonction des routes de Mamers et du Mans, une sorte de barricade. Elle était élevée de deux à trois mètres et formée d'un double rang de charrettes renversées et de madriers. L'intervalle était rempli de terre et de fumier ; de larges gradins servaient, suivant leur hauteur, à placer ou à abriter les défenseurs. Un seul passage de côté, tout juste suffisant pour une voiture, établissait la communication. Le préfet se persuadait

(1) Communiqué du préfet, Journal d'Alençon, 26 janvier.


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sans doute que les Allemands viendraient se heurter juste au point qu'il aurait fortifié.

Quand il se vit obligé de remettre le commandement en des mains plus habiles, si tant est qu'il l'ait abandonné tout-à-fait, il n'en continua pas moins du reste à se montrer et à parader de tous côtés. Monté sur un petit cheval prussien que les francstireurs lui avaient donné, on le voyait galopant sur le front des troupes ; allant de la Place d'Armes, où était le quartier général, sur le champ de bataille, il haranguait les uns, excitait les autres, et même, si l'on en croit un de ses amis, ramenait les fuyards au feu à coups de cravache (1); puis il revenait sur la place, montrait un éclat d'obus en s'écriant, cela ne fait pas plus de mal que vous ne voyez. L'obus était-il, comme l'a prétendu le même ami, tombé à ses pieds ? Peu importe. Il n'y avait guère qu'au général de Malherbe qu'il n'adressât pas la parole. Il aurait été sans doute assez mal venu à lui proposer ses idées. N'avait-il pas d'ailleurs, pour le faire à sa place, ses deux amis Lipowski et Tardy ? Et c'était bien force ; leur présence en effet était assez nécessaire pour mettre le général au courant d'une situation qu'il avait prise à l'improviste et qu'il connaissait à peine. Ainsi les deux colonels, après avoir partagé la direction avec le préfet, la partagèrent avec le général, et ce n'est pas sans une sorte de vérité que le Conseil municipal a dit : « le combat a été dirigé par le « colonel Lipowski, commandant les francs-tireurs, et par le « colonel Tardy, commandant les mobilisés de l'Orne, » et que le général Chanzy ne parle pas d'autre commandement que de celui du général Lipowski.

Maintenant que nous avons essayé, inutilement peut-être, de savoir à qui appartint le commandement, il est bon de rechercher quels furent nos défenseurs. Nous avons déjà eu occasion d'en nommer la plus grande partie; c'étaient: 1° 1,500 francstireurs appartenant à des nationalités diverses, Français, Grecs, Polonais, etc. 2° 500 francs-tireurs venus tin peu de partout; d'Alençon, capitaine Huchet; des Basses-Pyrénées, capitaine Oustalet ; de Fiers, capitaine Bougon ; des Hautes-Pyrénées, de Tours, du Havre ; il y fallait encore joindre quelques fuyards du Mans. 3° Un escadron, peu complet, du 8e chasseurs. 4° Huit

(1) Lettre publiée par le Journal d'Alençon, 11 février 1871.


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petites pièces de montagne, composant la 32e Laiterie (bis) d'artillerie de marine, et commandées par le capitaine Charner et le lieutenant Lecuisinier. Ces troupes étaient sous les ordres immédiats du Colonel Lipowski et de son lieutenant La Cecilia, le futur général de la commune, le futur commandant du fort d'Issy.

5° De plus, le colonel Tardy et le lieutenant colonel Raulin commandaient sept bataillons des mobilisés de l'Orne. 6° Enfin le colonel Bournel avait avec lui trois ou quatre bataillons des mobilisés de la Mayenne. Les mobilisés de l'Orne avaient six petites pièces de montagne.

Le tout ensemble pouvait former un effectif de sept à huit mille hommes ; mais quatre à cinq mille au plus prirent une part sérieuse à la lutte. Les uns aAraient été envoyés dans la nuit, ou le matin de bonne heure sur les positions qu'ils devaient occuper; les autres attendaient sur la place, où était établi le quartier général, et d'où ils devaient partir au fur et à mesure du besoin.

Voyons maintenant les forces prussiennes que nous avons eues à combattre. Nos ennemis ont pris soin de nous renseigner très exactement à cet égard (1)

J'ai déjà dit qu'après la bataille du Mans, le grand-duc de Mecklenbourg avait reçu la mission de suivre les Français dans la direction d'Alençon, avec le XIIIe corps d'armée ; mais dans ce XIIIe corps lui-môme, il y a des distinctions à faire, à cause des troupes qui, pour divers motifs, se trouvaient disséminées de côtés et d'autres, dans un rayon de quelques lieues, à Ballon, à Beaumont, à Mamers, à Fresnay, etc. Voici celles qui nous furent directement opposées.

1° Une forte avant-garde de la 22° division, commandée par le colonel de Foerster et composée du 83e régiment d'infanterie, des 2e et 3e escadrons du 13e hussards, de la 6e batterie lourde du XIe corps d'armée et de la moitié de la 3e compagnie des pionniers de campagne.

2° Le 1er bataillon du 95e régiment d'infanterie et le 4e escadron du 13e hussards, sous le major de Conring,

3° La 2e batterie légère et la 4e batterie lourde de la 22e division.

4° La 10e brigade de cavalerie, appartenant à la 4e division, avec le 1er bataillon du 32e et le 2e bataillon à cheval du XIe corps d'armée.

(1) La Guerre franco-allemande par le Grand État-Major prussien, tome IV, p. 861 et suivantes.


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J)* Trois escçtdrpns de la 12" brigade de cavalerie : à savoir, le 3e escadron du 7e régiment de cuirassiers, un escadron combiné du 16e de uhlans et du 5e escadron du 13e de dragons, avec l'infanterie et l'artillerie affectées à cette brigade : 2e bataillon du du 94e et deux batteries à cheval du XIe corps d'armée.

Toutes ces troupes étaient sous le commandement supérieur du général de Bredpw.

Je ne parle pas ici de celles qui étaient dispersées dans des localités peu éloignées et qu'il eût été facile, en cas de besoin, de. rassembler en quelques heures.

Les premiers coups de canon se firent entendre vers neuf heures et demie. Ils étaient encore assez lointains et étaient dus à un petit combat engagé à Bethon, dit le document allemand; plus exactement, crpyons-npus, à la butte de la Feuillère, à 6 kilomètres environ de la ville. Quarante-trois francs-tireurs, envoyés le matin pour faire sauter un pont de chemin de fer, s'étaient embusqués dans le village, guettant le passage de l'ennemi. Il ne tarda pas en effet à se montrer ; c'était l'avant-garde de la 22e division. Les francs-tireurs l'accueillirent par une vive fusillade. Ils étaient dans une bonne position ; aussi lui firent-ils éprouver quelques pertes ; niais celui-ci étant nombreux et muni d'artillerie, ils durent bientôt songer à la retraite. Ce petit engagement, presque dû au hasard, pourrait, au besoin, servir à démontrer le parti que nous aurions pu tirer d'une occupation plus forte de ces bpnnes positions. Que serait-il advenu si, au lieu d'y être quarante, nous y avions été quatre ou cinq cents ? Sans dpute, nous n'auripns pas été viçtprieux ; notre petit nombre ne nous le permettant pas; mais .npus aurions au mpins disputé plus Ipngtemps la, victpire.

A partir de ce moment, la canonnade ne cessa plus jusqu'au soir. Cependant les Allemands purent faire au mpins quatre kilomètres sans être sensiblement inquiétés, et l'on peut supppser que le feu de leurs canons, dirigé contre quelques francs-tireurs disséminés ou les grand'gardes se repliant sur leur centre/ avaient plutôt pour but de nous effrayer que de npus faire du mal.

Jusqu'au hameau du Coudray, à deux kilpmètres de la ville, ils purent dpnc crpire que perspnne ne leur disputerait le terrain; mais arrivés là, nos coups les mirent à même de constater que

4.


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nous n'étions pas décidés à nous rendre sans combat. C'étaient encore les francs-tireurs qui leur envoyaient les premiers obus. Les Prussiens établirent alors une batterie dans un champ à gauche de la route ; la nôtre était sur la route même, sur une petite éminence, au hameau delà Détourbe, à quelques centaines de mètres de la ville.

Lipowski averti par ses cavaliers qu'une forte colonne ennemie s'avançait, avait disposé en cet endroit deux compagnies avec deux pièces de canon. Ce fut là véritablement le commencement de l'action. Il était onze heures et demie. Mais une aussi petite troupe n'aurait pu arrêter les bataillons allemands. Mobiles et francs-tireurs sont envoyés, sous les ordres du lieutenant-colonel Raulin et du capitaine Oustalet, pour prêter main-forte à leurs camarades. Les uns, prenant position à proximité de nos canons, s'installent dans une maison appartenant à un sieur Leroux, d'où ils peuvent à leur aise fusiller les Prussiens ; ou bien, avec les meubles de la maison, ils élèvent à la hâte, pour abriter leurs feux, une demi-barricade barrant la moitié de la route. D'autres se répandant sur les flancs des envahisseurs, depuis la route de Mamers jusqu'à Hauteclair, se portent dans la ferme, s'embusquent dans les bois, s'abritent derrière les arbres, les haies, les talus, et font éprouver à leurs adversaires des perles sensibles. Pendant ce temps, nos batteries se sont renforcées et nos canons, au nombre de huit, répondent énergiquement à ceux de l'ennemi. Enfin celui-ci faiblit, il recule et se voit même obligé de reporter ses batteries en arrière.

Le document allemand ne fait d'ailleurs que de confirmer, en quelque sorte, cette bonne nouvelle. « En arrière d'Arçonnay, « dit-il, l'avant-garde de la 22e division se trouvait en présence « d'une résistance plus sérieuse. L'ennemi ne se bornait pas à « montrer une infanterie nombreuse ; plusieurs pièces avanta« geusement placées répondaient à la batterie d'avant-garde, qui « avait pris position sur la droite de la route; le 1er bataillon « occupe Arçonnay, où la colonne de droite (le corps du major « de Conring) arrivait de son côté vers trois heures et demie, « après une marche fort pénible par des chemins non frayés. Le « gros avait débouché entre temps, et la 2e batterie légère était « venue à côté de la batterie d'avant-garde. » (1)

(1) Grand État-Major prussien. T. IV, p. 861.


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Si toutes nos troupes avaient valu nos francs-tireurs, nos mobiles, et même une notable partie de nos mobilisés, aurions-nous été de force à continuer et à accentuer notre léger succès ? C'est peu probable; ou plutôt, le contraire n'est que trop certain. Mais, malheureusement, un certain nombre des nôtres donna l'exemple de la plus déplorable défection. Des mobilisés de la Mayenne, chargés en effet d'appuyer nos troupes, n'eurent pas plutôt reçu dans leurs rangs quelques obus, que, sans môme décharger leurs armes, ils s'enfuirent en désordre, compromettant ainsi l'opération qu'ils venaient assurer.

C'est en vain que les francs-tireurs les accueillent à coups de fusil ; il arrive ce qui arrive souvent dans les paniques : la peur ne laisse plus de place à la raison, et ces indignes soldats aiment mieux périr d'une balle française que de s'exposer aux coups des Prussiens. On prétend que plusieurs en effet furent victimes de leur lâcheté.

J'ai été, comme bien d'autres, témoin des hésitations du général et de son inquiétude en envoyant au feu des troupes si peu sûres. Mieux valait encore pourtant en essayer que d'abandonner la partie ; et de nouveaux bataillons allèrent pour remplacer ceux qui fuyaient. Ils prirent hélas ! la fuite comme eux et plus vite qu'eux.

Il suffisait d'ailleurs d'assister à leur départ pour prévoir ce qu'ils feraient. A voir ces hommes cachant leurs armes dans la neige, s'esquivant quand ils le pouvaient, se glissant le long du chemin dans les maisons, se cachant dans les caves et dans les greniers, il n'était pas difficile de conclure ce qu'on pouvait attendre d'eux.

Quand on vint dire au général que des mobilisés cachaient leurs fusils dans la neige, il ordonna de les surveiller et de les empêcher. Bientôt on lui annonça que vingt au moins s'étaient rendus coupables du même fait ; puis, un moment après, une soixantaine. Il menaça d'en faire passer quelques-uns par les armes. Cette juste punition aurait-elle rendu les autres plus braves ?

Pour comble de malheur, ces hommes déjà si mal disposés rencontrèrent, chemin faisant, six de nos pièces qui rentraient en ville faute de munitions. Ils crurent naturellement à une défaite et pensèrent qu'on les envoyait à la boucherie. Je ne sais


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s'ils tirèrent un coup de fusil. Et il aurait fallu là des héros ! Il ne nous restait plus sur ce point que deux canons. Vers 4 heures il y en eut un de démonté ; on eut quelque peine à le sauver.

A une certaine distance de là, de l'autre côté de la route du Mans, avaient lieu d'autres engagements. Les Prussiens en effet, maîtres de la route, jugeant une diversion utile, envoyèrent quelques troupes dans la direction de Gesnes-le-Gandelain. « La 4e batterie lourde en particulier, prenant position auprès « du hameau de Saint-Biaise, canonnait de là, avec un succès « marqué, les colonnes françaises en marche de la Chapelle sur « Alençon » (1). Disons plutôt, car on ne voit pas pourquoi des colonnes françaises dans cette direction, que cette attaque avait pour but et eut pour résultat de prendre entre deux feux et de déloger des soldais français que les péripéties de la lutte avaient éloignés de leur centre et forcés de se réfugier dans les bois de Hauteclair.

Le succès de nos ennemis ne laissa pas toutefois que de leur coûter des sacrifices sérieux. La Fosse aux Renards notamment et les carrières de l'Hôpital, si propices à la guerre de partisans, servirent de tombeau à bon nombre des leurs.

« Les Français cependant, continue le document prussien, « résistaient avec une opiniâtreté extrême et ne se renfermaient « point dans une défensive passive. Leurs feux de mousquetérie « infligeaient aux batteries des perles assez sensibles. Les « contingents du 83e, qui prenaient l'offensive vers quatre a heures, ne parvenaient pas à avoir entièrement raison de « l'adversaire » (2).

Ainsi nous avions l'avantage. La nouvelle s'en répand promptement dans l'armée et dans la ville, enflamme les courages, rend à tous l'espoir. Qui sait si nous n'échapperons pas cette fois encore à l'invasion ? Mais c'était compter sans les renforts dont nos ennemis pouvaient disposer, en quelque sorte, à leur gré. Aussi, plutôt que de s'acharner à un combat inégal ou seulement douteux, alors qu'ils avaient entre les mains le succès certain, ils aimèrent mieux retarder de quelques heures une victoire qui ne pouvait leur échapper.

(1) Grand État-Major .prussien, p. 8C1. (?) Idem.


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«Le général'de Wittick après en avoir référé au Grand Duc, « ajournait donc au lendemain l'effort décisif et installait, la « 22e division en cantonnements dans Bethon et aux alen« tours. Pendant ce temps, el conformément à ses instructions, «'• là 17e division avait pris des cantonnements sur la ligne '« Assé-le-Boisne— Rouessé-Fontaine. Le Grand Duc établis« sait son quartier général à Beaumont. » (1)

Ces mesures de prudence étaient hélas ! bien superflues et le lendemain ne devait exiger aucun effort de la part de nos ennemis.

Mais nous n'avons vu jusqu'ici qu'un des côtés du combat. A gauche de la route du Mans en effet, sur la route de Mamers et un peu sur celle d'Ancinnes, il s'étendait et s'était propagé avec non moins'de A'ivacilé.

Dès le matin, nos francs-tireurs envoyés en éclaireurs pour surveiller la forêt de Perseigne, avaient rencontré vers le Neufehàtel et Saint-Rémy-du-Plain la cavalerie et l'artillerie du général de Bredow venant dé Mamers. Ils eurent à essuyer quelques coups de eanon, qui ne leur firent pas grand mal ; mais n'élant pas en force, ils durent se replier sïir Alençon. (2)

"Un-autre corps allemand, « la 10e brigade de cavalerie, que <i là 4* division avait mise en marche par Ancinnes était arrivée « vers 3 heures auprès de la Chaussée. Des contingents ennemis « (français) débouchant du chemin de fer dans cette direction, «le 1" bataillon du 32e, qui accompagnait la brigade, « oecùpe la Chaussée et fait tête à l'attaque, avec l'aide de la « 2e batterie à cheval du XIe corps. A la chute du jour, la bri« gade se cantonnait à Ancinnes et à Louvigny, en maintenant « des avant-postes auprès de la Chaussée. » (3).

Une autre action, très vive et remplie d'épisodes intéressants, s'engageait non loin de là. Ou plutôt, je suis porté à croire que ce fut en partie la même, mais racontée sous une autre forme, avec plus de détails et d'après les témoignages français.

Les Prussiens donc, dit M. de Neufville, afin de garder leur droite contre toute surprise, n'avaient pas tardé à envoyer des forces du village du Coudray vers celui de Saint-Gilles et le

(1) Grand Etat Major Allemand, p. 862.

(2) Idem p. 862.

(3) Idem. -


bourg de Saint-Paterne; mais elles y avaient été vigoureusement accueillies par une batterie établie au carrefour des routes de Mamers et d'Ancinnes et par la fusillade des mobilisés de l'Orne. Ces derniers, cachés derrière les murs, les haies et les fossés, se virent bientôt en état, par la vigueur de leur défense, de prendre l'offensive à leur tour et repoussèrent l'ennemi avec énergie et entrain. Ce fut le plus beau moment de la journée, celui où les Prussiens reculaient également sur la route du Mans. Mais nos soldats ne tardèrent pas à être arrêtés dans leur poursuite par le bruit du canon et de la fusillade qui se faisait entendre derrière eux. C'était le général de Bredow qui arrivait. Jusques-là, il n'avait pas éprouvé une grande résistance ; mais vers 3 heures, en s'approchant de Saint-Paterne, il s'aperçut qu'il lui faudrait pour s'en emparer, faire un effort énergique. (1) Cependant, plutôt que d'engager d'abord un combat dans les rues et de nous laisser l'avantage d'une position plus solide et mieux abritée, il préféra, suivant la coutume prussienne, nous attaquer de loin et nous faire subir un commencement de bombardement. Quelques instants lui suffirent pour établir une batterie sur la route de Mamers, à 500 mètres du village. Et les obus de pleuvoir sur les maisons ; le presbytère en reçut six pour sa part ; le curé, absent pour les devoirs de son ministère, trouva en rentrant murailles effondrées, mobilier brisé et dut encore s'estimer heureux de sauver sa maison de l'incendie. Le château fut également le point de mire de nombreux projectiles. Enfin, quand les Allemands jugèrent que l'accès leur était rendu suffisamment facile, ils pénétrèrent dans le village ; mais non sans y subir une rude résistance et des pertes sensibles. Nos mobilisés, avec lesquels, disons-le à leur louange, étaient aussi des mobilisés de la Mayenne, tiennent presque comme de vieilles troupes : ils tirent derrière les murs des jardins et par les fenêtres des maisons ; forcés de reculer sur un point, ils vont se reformer quelques pas plus loin et y soutiennent un nouveau choc ; chaque rue devient le théâtre d'un combat ; mais le nombre doit l'emporter à la fin, et les nôtres sont forcés de reculer peu-à-peu et d'abandonner le village. En tout cas, « ce n'est, dit l'ouvrage allemand, qu'après un

(1) Grand Etat Major Allemand, p. 862.


oo; —-

« engagement prolongé de mousqueterie, que le 2e bataillon du « 94e prenait possession, à 5 heures, des Evants, de Saint« Paterne et de la ligne ferrée tracée en arrière. » (I)

Dans ce mouvement de retraite qui s'effectue du côté de la ville, c'est nous qui désormais allons avoir le désavantage de la position, et les Prussiens, abrités derrière les murs et les maisons, peuvent nous fusiller à leur aise. Arrivés près de la bar-, rière du chemin de fer, les mobilisés tentent cependant de se reformer. Un moment, ils croient voir venir à eux des chasseurs d'Afrique ; mais, ô malheur, ce sont des uhlans ; c'est une attaque de plus à essuyer. Il faut céder ; l'ennemi, en possession du chemin d'Ozé, menace de les tourner.

Cependant, avant d'abandonner la place, plusieurs, enflammés par la lutte, veulent apprendre aux Allemands ce que peut le soldat français et engagent près de la maison du garde-barrière , et dans la maison même, un combat corps à corps, à la baïonnette, qui leur fait le plus grand honneur. Il est intéressant de signaler un combat à la baïonnette entre Prussiens et mobilisés. Ce petit engagement ne pouvait avoir d'autre résultat que de prolonger un peu la défense.

Je viens de dire que les Prussiens avaient essayé de nous tourner par le chemin d'Ozé ; mais là encore ils éprouvèrent une résistance sérieuse. M. Sauron, chef de gare, à la tête de ses employés et de quelques citoyens courageux, leur causa des pertes sensibles, les arrêta et les obligea même à se replier.

Je n'ai rien dit de la garde nationale. On doit penser que son rôle ne put être que fort effacé. Dès le commencement de l'action, un certain nombre de gardes nationaux, huit ou dix peutêtre, s'étaient joints comme volontaires aux mobilisés de l'Orne ou aux francs-tireurs ; le reste, ceux du moins qui étaient sous les armes, au nombre de 300 ou 350, attendaient sur la place l'ordre de partir. Dès midi, alors que les détonations commençaient à se rapprocher, plusieurs, M. de la Garenne entre autres, ; demandèrent qu'on nous envoyât au feu pour défendre nos foyers, moi-même; je fis signer autour de moi et je présentai une pétition tendant à ce qu'au moins on fitappel aux plus zélés ; mais le général, qui ne pouvait avoir une grande confiance dans

(1) Grand Etal Major Allemand, p. 862. .......


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là garde nalionale, déclara constamment qu'il la regardait comme sa dernière réserve, et qu'il ne l'emploierait qu'en cas d'absolue nécessité.

Pendant la journée, les Prussiens, non contents de~ combaltre ceux qui leur faisaient la guerre, avaient jugé à propos de lancer sur la ville vingt ou trente obus. 11 en tomba rue des Tisons, rue du Pont-Neuf, sur l'église de Noire-Dame, rue du Bercail, sur le bâtiment des bureaux de la Préfecture. Ils ne firent aucune victime et ne causèrent que des dégâls matériels insignifiants. Ce procédé, peu conforme, si je ne me trompe, aux usages de la guerre était sans doute, dans la pensée de nos ennemis, comme une sommation de se rendre, et devait avoir pour but d'effrayer' la population. Si telle était leur intention, ils perdirent complètement leur poudre et leur temps. Quelques personnes cherchèrent à la vérité un abri dans leurs caves ; mais la plupart ne firent qu'une médiocre attention aux projectiles qui tombaient de loin en loin sur la ville : l'esprit était ailleurs. Toutefois , le maire donna ordre, pour le cas où des obus menaceraient la mairie, de mettre en sûreté les papiers les plus précieux des archives municipales et le général, supposant que la Place d'Armes serait le principal point de mire, la fit évacuer par tout ce qui n'était pas militaires. Ces précautions furent, par le fait, inutiles.

La place d'ailleurs se dégarnissait de plus en plus. Il n'y restait guère que la garde nationale. Vers 4 heures, elle avait ellemême été envoyée aux extrémités de la ville, pour arrêter les fuyards. Une centaine d'hommes notamment furent placés au carrefour de la rue des Tisons et de la rue du Mans. Mesure bien insuffisante, il en faut convenir. Que pouvaient faire cent gardes nationaux contre le flot toujours croissant des fuyards ? M. l'abbé Lesimple et M. Grollier, furent obligés d'exercer une surveillance sévère à la porte de l'hospice, pour empêcher d'entrer les faux blessés. Bientôt, ce ne sont plus seulement les mobilisés, ce sont les francs-tireurs eux-mêmes qui affluent. Ils conservent des allures plus martiales, un ordre plus régulier ; mais il n'en est pas moins vrai qu'eux aussi battent en retraite.

Le combat tirait à sa fin et l'issue n'en pouvait plus être douteuse. Du côté de Saint-Paterne, le champ de bataille louchait aux pieinières maisons de la rue des Tisons ; du côté de la route


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du Mans, il s'approchait également. D'ailleurs, ûné plus longue résistance devait être sans profit, et probablement aussi, saris honneur. Il devenait difficile d'exiger des troupes engagées de nouveaux efforts, et il n'y avait plus personne pour les remplacer, ou seulement pour les appuyer. Vers 5 heures, un conseil de guerre décida que la retraite serait ordonnée. Ce fut aux francstireurs Lipowski, soutenus par les mobilisés de l'Orne, que fut confié l'honneur de la protéger.

: Us s'acquittèrent de leur mission, surtout du côté de la route du Mans, de la façon la plus brillante. Le brave capitaine Duchamp n'hésita pas à prendre position, avec sa compagnie de francs-tireurs, derrière le cimetière de Montsort, à 300 mètres seulement des batteries ennemies. Son audace lui coûta la vie ; mais ses soldats et les autres compagnies, électrisés par son exemple, s'élancèrent, à la baïonnette, avec une telle ardeur qu'ils repoussèrent encore une fois les Allemands presque jusqu'à l'avenue de Hauteclair.

Malheureusement ce succès était trop léger et trop tardit pour influer sur le résultat de la journée. Nous n'avions plus qu'une chose à faire : nous retirer sans tarder. Nous avons vu d'ailleurs que les Prussiens étonnés par l'énergie de notre résistance; avaient résolu d'en faire autant et de remettre la partie au lendemain.

Il m'a été donné d'assister, de la barricade de la rue du Mans, à la retraite de nos troupes. Quelle tristesse ! et comment oublier jamais un pareil spectacle ? En face, un vaste incendie ; c'est un chantier de bois auquel les obus ont mis le feu ; à côté, les mobilisés se pressant, se bousculant, se précipitant en foule serrée par l'étroit passage ; ils conservent pourtant encore leur ordre de compagnies et leurs chefs ; de temps à autre, un brancard ou une voiture d'ambulance amène quelques blessés. Un officier supérieur à cheval, immobile et silencieux, semble pré- ' sider à la triste opération. La barricade est gardée parles francstireurs du Havre; mais à un moment donné, et comme par' enchantement, elle se trouve vide de ses défenseurs. Pas un coup de canon, pas un coup de fusil, à peine un éclat dé voix rompant cette sorte de lugubre silence. Comment se fait-il que les Prussiens oublient de nous inquiéter dans un moment où il leur serait si facile de le faire ? Ils craignent évidemment de s'appro- -


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cher de la ville à l'entrée de la nuit ; peut-être sont-ils peu. renseignés sur nos moyens ; peut-être redoutent-ils quelque, piège. Dans tous les cas, la barricade serait, pour un certain temps, un excellent rempart contre eux. Pourquoi se trouve-t-elle abandonnée ? Bientôt cependant, une cinquantaine de mobilisés de bonne volonté, avec leur lieutenant, consentent à la garder,, à condition qu'on les relèvera au bout d'une demi-heure. Heureusement, rien ne vint les troubler ; qu'auraient-ils fait ?

Du reste, ils ne restèrent pas seulement une demi-heure: on les avait oubliés, et ils n'eurent que tout juste le temps de courir après leur bataillon qui quittait la ville par un autre côté.

La mission qui nous avait été marquée, de garder la ville jusqu'au dimanche soir était accomplie avec conscience et honneur.- Encore en ce momenl, un secours par la ligne du chemin de fer de Caen eût pu entrer librement à Alençon; mais on savait, depuis plusieurs heures que l'armée de Cherbourg avait reçu contre-ordre et qu'il n'y avait de renforts à attendre d'aucun, côté. Du moment donc qu'un retour offensif de notre petite armée n'était pas possible pour le lendemain matin, il était urgent de pourvoir à son salut. Grâce à la prolongation de la lutte jusqu'au soir, la retraite ne paraissait pas devoir être inquiétée immédia- . tement ; mais ce répit durerait-il seulement la nuit tout entière ?.. Nous ignorions que l'ennemi, de son côté, n'était pas pleinement rassuré, et dans la crainte d'un renouvellement de la lutte avec de nouvelles troupes, allait travailler une partie de la nuit à élever une barricade au Coudray.

Nos soldats furent dirigés sans retard par la route de Bretagne sur Carrouges, afin d'y former, selon l'occurrence, une nouvelle ligne de défense, ou de se rallier à l'armée de Chanzy du côté de Laval. La garde nationale dépouille ses uniformes, rend ses-, armes; et, fusils, munitions, effets d'habillement et d'équipement sont chargés sur des charrettes et expédiés en lieu sûr, sous la -, protection de nos troupes ; le poste de la Mairie et la police de la ville sont confiés aux sapeurs-pompiers ; la barricade de la rue du Mans, si compromettante pour nous, est démolie, non sans quelque danger par M. Leguernay ; enfin, pendant que le Conseil municipal se déclare en permanence et se prépare à faire face aux événements, le préfet quitte la ville avec les troupes, sans prévenir personne, et c'est par hasard que le maire apprend son départ.


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Maintenant que nos soldats sont en sûreté, et qu'il est bien constaté que nous ne pouvons plus éviter le malheur de l'occupation, quelques membres du Conseil municipal sont d'avis d'envoyer des parlementaires au quartier général allemand; mais le maire trouve plus digne et plus convenable d'attendre à l'Hôtel-de-Ville, et l'on se borne à faire placer sur la Mairie et sur les clochers de Notre-Dame et de Montsort le drapeau parlementaire à côté du drapeau national.

Que faisaient les Allemands pendant ce temps-là? On peut être sûr qu'ils ne perdaient pas leur temps. S'ils ne brûlaient pas leurs morts, ainsi que le prétendait la crédulité publique, ils avaient au moins à les enterrer. Ils avaient aussi des blessés àpanser et à évacuer sur d'autres lieux, des désordres à réparer. Au bout de quelques heures, un autre genre de besogne, le pillage et l'incendie, occupa leur activité. Les habitants de la route de Mamers et du haut de la rue des Tisons s'en souviendront longtemps. Alors que chacun croyait pouvoir au moins jouir de la paix de la nuit, tout à coup on entend un grand bruit ; les patrouilles sillonnent les rues ; lés soldats frappent aux portes, les défoncent si l'on n'ouvre pas assez vite, menacent de leurs pistolets et de leurs injures quiconque eût osé cacher un militaire ou faire une observation, et après avoir pris aux habitants ce qui tente leur cupidité, ne craignent pas de mettre le feu sous leurs yeux à leur mobilier. D'autres enduisent de pétrole enflammé les portes et les fenêtres et écartent à coups de fusil les voisins qui tentent de porter secours. Les détonations retentissent ; la lueur des incendies porte au loin l'effroi. Cinquante mille bourrées brûlent à la fois à la briqueterie Papillon et Fouet ; les maisons Jarry, Pianchant et Delrue (1) sont dévorées par le feu; le café Prudent est pillé. Triste prélude de l'envahissement qui se prépare !

Ainsi donc, il n'y a plus à en douter ; Alençon va s'ajouter à la longue liste des villes envahies ! Au moins, peut-il se rendre le témoignge qu'il n'a pas été au devant de sa honte et ne s'est: pas servilement courbé devant la menace de quatre uhlans ou les injonctions d'un officier subalterne. Ne peut-il pas aussi s'étonner que sa petite armée, si peu nombreuse, si peu aguerrie,

(1) M. Delrue a raconté dans le Courrier de l'Ouest du 23 mars les indignes traitements dont il fut l'objet.


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si peu disciplinée, ait réussi à arrêter celle des Prussiens pendant une journée tout entière ? Deux causes ont. contribué à nous obtenir ce résultat inespéré : la valeur de nos défenseurs, jl n'en faut pas douter; mais aussi l'ignorance de nos ennemis sur l'état véritable de nos forces. De là leurs hésitations et leurs lenteurs. Us possédaient des canons pour combattre de loin ; ils avaient de la discipline, de la solidité ; mais ils manquaient de cet élan qui n'abandonne jamais le soldat français, pour peu qu'il sache être lui-môme.

. Les mêmes causes peuvent servir à expliquer le chiffre relativement restreint dé nos pertes. Il est certain que si, dès le matin, les Prussiens avaient fait un effort vigoureux ; si, même le soir, ils avaient osé entrer dans la ville à la suite de nos troupes, ils auraient obtenu plus sûrement et plus vite la victoire ; peut-être auraient-ils réussi à nous envelopper et à faire tous nos soldats prisonniers. Sans prétendre donner des chiffres exacts, nos quatre ou cinq mille soldats eurent en face d'eux un nombre d'ennemis qu'on peut évaluer à près du double. Et si ces huit mille hommes n'avaient pas suffi, les Allemands pouvaient être deux fois, trois fois plus nombreux.

: Nos francs-tireurs cachés derrière les murs ou les haies, dans les fossés ou dans les bois ; nos mobilisés déployés en tirailleurs, donnaient peu de prises aux projectiles prussiens ; nos balles et nos obus au contraire portaient bien plus sûrement dans les masses plus compactes des ennemis. Aussi, tous les témoignages' français sont-ils unanimes à déclarer que leurs pertes furent plus considérables que les nôtres.

Le rapport officiel du colonel LipoAvski parle de 40 artilleurs tués.ou blessés et de 120 francs-tireurs mis hors de combat ; mais comme il n'est pas question ici des mobilisés, on doit estimer nos pertes à 300 hommes pour le moins.

Quant à ce qui concerne les Prussiens, les chiffres qu'on a apportés sont si variables, pour ne pas dire si fantaisistes qu'il est difficile d'asseoir sur ces évaluations un jugement quelque peu sûr ou seulement probable. On a parlé de cinq ou six cents tués ou blessés ; on a parlé de neuf cents ; on a même parlé de quinze cents ; mais que ne dit-on pas ? Dans un autre sens, si l'on préférait s'en rapporter au témoignage officiel des Prussiens, il ne resterait plus à leur compte qu'une perte de six tués et de dix-neuf


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blessés, mais ces derniers chiffres sont si évidemment au-dessous de la vérité, que le mieux, à mon avis, est de n^en tenir aucun compte (1).

Le nombre de nos morts fut d'une soixantaine sur le champ de bataille ; mais il faut ajouter ceux qui allèrent mourir dans les hôpitaux ou les ambulances, des suites de leurs blessures ou de la petite vérole. Le lendemain du combat, M. Grollier avec M. l'abbé Lesimple, sur la route du Mans, M. l'abbé Poirier avec des infirmiers de l'hospice, sur celle de Saint-Paterne, allèrent, non sans être inquiétés par les ennemis, à la recherche des morts. Ils en recueillirent 30 d'un côté, 28 de l'autre et ramenèrent quelques blessés. Les jours suivants, M. Grollier et M. de Neufville, avec les frères des écoles chrétiennes en retrouvèrent encore quelques-uns

D'après le témoignage du préfet, notre artillerie'de l'Orne mérite une mention spéciale et paya largement sa dette de sang. Des 70 hommes qu'elle comptait au commencement de l'action, elle en aurait eu 35 de tués ou de blessés. On cite un marin de passage qui, plusieurs fois, chargea, rechargea et tira tout seul un de nos canons dont tous les servants avaient été mis hors de combat (2). On doit encore signaler comme s'étant particulièrement distingué le capitaine Oustalet, pour sa charge à la baïonnette, et M. Charles Davoust, petit-neveu du maréchal Davoust et simple soldat dans la garde nationale sédentaire. Il fut blessé pendant l'action ; la: croix de la légion d'honneur a été la récompense de son courage.

Du reste, à en croire le préfet, il faudrait donner des éloges à tout le monde où à peu près. Que dis-je ? nous pourrions inscrire une victoire de plus dans nos fastes militaires. Son bulletin, comparé avec la vérité, est tristement curieux. « Nous avons, « dit-il, battu les Prussiens en avant d'Alençon ; mais nous « n'avons pas cru prudent de conserver nos positions, étant afta« qués par trop de monde, et nous avons évacué la ville. Je suis « à Carrouges ; je rallie mes troupes ; je Tais me transporter de « moi-même à Fiers. » (3)!

(1) Tableau statistique des perles des armées allemandes, d'après les documents officiels allemands, p. 462. ;(2) Journal de Fiers du 18 janvier. Récit du Combat attribué an-Préfet (3) Bulletin télégraphique du Préfet au Sous-Préfet de Domfront, 16 janvier, 8 h. 13 m. du soir.


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Sa proclamation à ses troupes mérite également d'être citée comme un modèle de vanité satisfaite.

« .Citoyens, .

« Nous étions chargés de défendre Alençon. Malgré votre petit «■ nombre, vous attendiez avec impatience le moment de vous « mesurer avec l'ennemi. Ce moment est venu plus tôt que vous ■« ne l'espériez.

« Le 15 ati matin, l'ennemi, qui n'avait pu être arrêté à Beau■«

Beau■« était signalé à quelques kilomètres de vos points de

« concentration. Dès la veille, des mesures énergiques avaient

« été prises pour défendre Alençon jusqu'à la dernière extrémité.

« Les voies de communication avaient été barricadées, afin que,

« repoussés en pleine campagne, vous puissiez encore continuer

« la lutte.

« Conduits par des chefs habiles, j'ai nommé les colonels

« Lipowski et Tardy, vous avez abordé sans hésitation l'ennemi,

« qui vous attendait avec des forces supérieures aux nôtres. Sept

« heures durant, vous l'avez tenu en échec ; vous lui avez fait

« subir des pertes considérables ; vous l'avez fait reculer ; la

« prudence de vos chefs vous a empêchés de le poursuivre. Mais

« les Prussiens ne sont entrés dans Alençon que lorsque le der«

der« d'entre vous en a été sorti.

« Ainsi une ville ouverte a pu être défendue au point de retar«' der efficacement la marche de l'ennemi. C'est d'un fécond « exemple pour les autres qui, ne comprenant pas la nécessité de « multiplier partout des obstacles, cherchent dans je ne sais * quelle préoccupation d'intérêts matériels et locaux un prétexte « pour s'endormir dans les bras des vainqueurs.

« Citoyens, au nom de la République, je vous remercie ! Il y a « eu parmi vous quelques défaillances ; mais que sont-elles au « milieu d'actes de bravoure si nombreux qu'il serait impossible « de tous les récompenser ? Elles ne se justifient pas, sans doute ; « mais elles s'expliquent dans une certaine mesure par l'im« pression que cause le canon sur ceux qui l'entendent gronder «■ pour la première fois.

« Citoyens, bientôt vous marcherez de nouveau à l'ennemi, et « j'ai la certitude que le Gouvernement et le Pays peuvent comp-


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« 1er sur vous. J'en ai pour garants yotre amour du devoir, votre « honneur, le souci que vous avez de votre dignité et de votre « patriotisme.

« Fiers, le 18 janvier 1871.

« Le Préfet de l'Orne :

« ANTONIN DUBOST. »

Si l'on n'avait que de tels documents, comment s'y prendraiton pour écrire l'histoire ?

H. BEAUDOUIN.

(A suivre).


FERRIÈRE -LA-VERRERIE

La vicomte d'Alençon comprenait quatre châtellenies : Alençon, Essai, Sainte-Scolasse, Moulins-et-Bonsmoulins.

La châtelienie d'Essai se divisait en quatre branches : Essai. Sées, Courtomer et le Mêle-sur-Sarthe.

La paroisse de Perrière, en latin Ferraria, appartenait pour une partie à la branche de Courtomer et pour l'autre partie à la sergenterie du Chesnay. Pour le spirituel, elle relevait du doyenné de la Marche, archidiaconé de Sées.

En l'an 1238, Robert des Portes, écuyer, fit don du patronage de l'église de Ferrière, établie sous le vocable de Saint-Agnan, aux Religieuses de Chaise-Dieu, diocèse d'Évreux (1). Robert de Ferrières, père de Robert, avait déjà donné à ce couvent, vers 1216, toutes les grosses dîmes de la paroisse, affermées au xvie siècle « neuf vingt livres (180 livres) aux subjections, outre par le fermier d'entretenir le chanceau, granges et autres maisons en réparations », de payer chaque année au curé 48 boisseaux de froment, mesure de Moulins (70 livres), 48 boisseaux de de méteil, 48 boisseaux d'orge et 96 boisseaux d'avoine. Le curé jouissait de toutes les menues dîmes, d'un temporel de cinq arpents de terre labourable et d'une vergée de pré, à charge de cinq messes par an, et d'un demi-acre de terre labourable, chargé

(1) Chaise-Dieu-du-Theil, canton de Rugles, autrefois de l'élection de Verneuil, de la subdôlégation et du doyenné de Laigle. La prieure était élective, triennale et confirmative par l'abbesse de Fontevrault. Le nombre des religieuses était de 30 du temps de Louis XIV. Le revenu du prieuré est évalué à 1,800 livres dans le Pouillé de 1766.


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de deux messes. Il prélevait enfin « 300 de grosses pailles et 300 de menues pailles » (1).

Le curé de Ferrière rendait aveu au fief de Saint-Vandrille (2), pour le presbytère et le temporel, et il était tenu, chaque année, de donner à son seigneur une paire d'éperons dorés avec plusieurs autres faisances.

Le 5 septembre 1476, Jean Louet, dit de la Vove, seigneur de Saint-Vandrille, abandonna devant les tabellions d'Essai, les droits qu'il pouvait avoir sur le patronage de l'église de Ferrière, à condition toutefois « qu'iceluy escuyer et ses hoirs seront accueillis es bienfaits, messes, prières et oraisons du prieuré de Chaise-Dieu et inscrits au martyrologe de la dite église comme augmentateurs d'icelle ».

Dans son remarquable ouvrage sur l'industrie verrière en Normandie (3), M. Le Vaillant de la Fieffé a dit quelques mots de la verrerie de Ferrière.

« Une verrerie, écrit-il, a existé très anciennement dans cette commune, elle a été établie dans un vallon, sur le bord d'un ruisseau, lieu où l'on voit encore des restes de vieilles constructions. Tout autour de ce lieu, nommé le village de la Verrerie,'se trouvaient des bois qui devaient fournir au four son combustible.

« La propriété sur laquelle cette manufacture avait été établie appartient à M. Laisné, ancien maire de la commune, administrée aujourd'hui par M. des Moutis, qui, à la demande de M. le Curé, a bien voulu faire dans les archives communales des recherches demeurées sans résultat, comme celles faites par M. Gravelle-Desulis dans les archives de l'Intendance d'Alençon.

« Après les obligeantes recherches faites par M. des Moutis, j'aurais pu me dispenser de compulser les registres de l'étal-civil de Ferrière, déposés au greffe du tribunal civil d'Alençon et qui commencent à 1692 (4) ; je les ai parcourus attentivement jusqu'à l'année 1738 et n'y ai trouvé aucune mention de la verrerie. »

(1) Pouillé du diocèse de Sées (Arch. de PÉvêché) ; Revenu des bénéfices du diocèse de Sées (Bibl. d'Alençon).

(2) Saint-Vandrille, ancienne paroisse réunie, sauf pour le culte, à la commune de Planches (Orne).

(3) Les Verreries de la Normandie, les gentilshommes et artistes verriers normands, Rouen, Lanctin, 1873, gr. in-8".

(4) Les registres paroissiaux conservés à la mairie de Ferrière, commencent à l'année 1618,

5.


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Ces recherches aux archives communales devaient forcément demeurer infructueuses, le maître-verrier, dont l'établissement était situé au milieu des bois fie Cochet, n'ayant jamais, en réalité, habité Ferrière. Nous avons en effet sous les yeux divers documents, notamment deux procès-verbaux d'adjudication d'une partie de la coupe des bois de Cochet et de Saint-Vandrille, en date des 13 et 30 décembre 1670, qui montrent bien que le verrier de Ferrière était Jacques de Brossard, sieur du Hamel, demeurant à Saint-Vandrille. On sait, du reste, que les Brossard avaient le privilège « de souffler la felle » dans nos contrées. C'est ainsi qu'au xvie siècle, Robert de Brossard dirigeait la verrerie de la forêt de Perseigne, et René de Brossard, celle du BoisMallet près de Tanville, et qu'au siècle suivant, Isaac de Brossard exploitait celle qui avait été établie dans les bois d'Écuenne, à Courtomer, tous gentilshommes de la famille des Brossard, les maîtres-verriers de la Roche-de-Nonant.

La. Semaine catholique du diocèse de Sées a publié, dans son numéro du 8 août 1872, une curieuse légende qui justifie le nom de Ferrière-Saint-Roch, souvent donné à la paroisse dont nous esquissons l'histoire.

« Pendant une des grandes pestes qui ont désolé la France, au xvie ou au xvne siècle, on venait de très loin prier saint Roch devant une ancienne statue qui était en vénération dans l'église de Courtomer.

« Les pèlerins étaient si nombreux que les habitants du lieu finirent par craindre pour eux-mêmes. Dans cette multitude, il pouvait se rencontrer quelques personnes qui porteraient en elles-mêmes le terrible germe et répandraient dans l'église les principes de la contagion. Ils crurent prudent de sortir la statue vénérée, et ils la placèrent au grand air dans un poirier d'une prairie dite la Chienne, qui avoisinait l'église.

« Les habitants de Saint-Aignan de Ferrière, choqués de ce manque de respect à l'égard de saint Roch, descendirent nuitamment dans l'herbage, enlevèrent la statue et la portèrent dans leur église, l'environnant de leur dévotion.

« Quant aux pèlerins, à peine se présentaient-ils, que de Courtomer on les envoyait promptement à Ferrière, la statue vénérée étant alors dans cette église. Enfin la colère de Dieu s'apaisa. Courlomer voulut alors rentrer en possession de la


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statue de saint Roch. Un procès s'éleva entre les deux localités, mais le tribunal jugea en faveur de Perrière; il crut même devoir condamner Courtomer à trente sols, chaque année, pour l'entretien de la statue, plus un cierge apporté processionnellemenl.

« La grande Révolution a fait disparaître la rente de trente sols, mais le cierge continuait d'être apporté processionnellement jusqu'au moment où l'Évêque de Sées jugea prudent de supprimer les pèlerinages solennels à saint Roch, il y a une trentaine d'années.

« Ferrière était jadis un des lieux de pèlerinage les plus fréquentés du diocèse. On y a vu jusqu'à trente-deux paroisses dans la même journée. On fut obligé de mettre quelqu'ordre dans cette grande affluence. Trois dimanches furent alors désignés pour l'accomplissement de ces dévotions. Le premier porta le nom de Grande-Saint-Roch, c'était la fête du lieu. Aucune autre paroisse ne devait venir en corps ce jour-là ; il était réservé pour les habitants de Ferrière. La seconde porta le nom de PetiteSaint-Roch. Les paroisses qui venaient à Ferrière ce jour-là ne restaient qu'une demi-heure chacune à l'église, après quoi il fallait.livrer la place à d'autres. Enfin, le troisième dimanche était réservé à Courtomer, pour acquitter sa dette et réparer son ancien manque de confiance. »

Parmi les familles dont le nom se rencontre le plus souvent aux registres paroissiaux des deux derniers siècles, nous citerons par ordre alphabétique, en dehors de la famille Gouhier, qui vient en première ligne : Baubigny, Besnard, Blanchon, Bouillie, Bouquerel, Bourgeois; Chevallier; Delaporte, Déletang, Desbleds, Dubreuil ; Fauvel, Fleury, Fournier ; Galicher, Gallois, Gendrel, Godard, Gondouin, Guay, Guernier, Guernon ; Havard ; Joigneaux, Jullien ; Laisné, Lambert, Leclerc, Lefèvre, Lemégissier, Lepeltier, Leprince, Levesque, Levillain, Locard ; Meurger, Molvaux, Morand ; Notramy ; Pichon, Plet ; Quéru ; Radigois, Rolet ; Tempied, Thorel; Vasnier.

Ferrière-la-Verrerie est situé à environ 4 kilomètres de Courtomer, son chef-lieu de canton, et à 35 kilomètres d'Alençon. La superficie de son territoire est de 1,458 hectares, son altitude de


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309 mètres et sa population qui était de 928 en l'année 1804, n'est plus aujourd'hui que de 562 habitants (1).

La commune est arrosée par la rivière de Fay, affluent de la Sarlhe ; le Rilley, affluent de la Rille, laquelle prend sa source près de la ferme de la Brière ; le ruisseau du Prieuré, sousaffluent de l'Orne, et par six sous-affluents de la Sarthe, savoir : les ruisseaux de Surgoutte, de Bourse, d'Orgueil, de la Morandière, de Launay et de Loisellière.

A peu de distance de la ferme de Bourse, se trouve la fontaine minérale de la Faucherie, qui se distingue, paraît-il, « par l'odeur hydrosulfurée qu'elle répand dans certaines circonstances » (2).

Parmi les curiosités végétales des environs de Courtomer, M. l'abbé Letacq signale le gros chêne de Louvigny, à Ferrière. « Les racines et les excroissances ont au niveau du sol une circonférence de 6m90 ; le tronc lui-même a 3m45 de tour et seulement 2m de hauteur ; il se divise alors en un 1res grand nombre de branches dont 15 parfaitement horizontales mesurent 0ra75 de circonférence moyenne sur 16m de longueur; l'ensemble de ces ramifications forme un dôme magnifique qui couvre un espace circulaire de 8 ares et développe une surface hémisphérique de 1,600 mètres carrés ; la hauteur totale de l'arbre est de 25m. Son âge est de 2 à 300 ans.

« Sur Ferrière-la-Verrerie, ajoute M. l'abbé Letacq, à la ferme de la Vieille-Bruyère, j'ai vu un tronc de Houx très droit, très sain, régulièrement cylindrique, ayant lm15 de circonférence et 4mde hauteur. Son branchage forme une belle touffe arrondie, qui mesure 6m50 de diamètre en tous sens ; hauteur totale de l'arbre : 12m environ. Tout près de là se voit aussi un vieux poirier de 3m35 de tour sur 18m de hauteur » (3).

Le sol de la commune est argileux dans la partie nord (briques),

(1) Statistique de la population : 1804, 928 h. ; 1808, 931 h. ; 1823, 922 h. ; 1836, 781 h. ; 1851, 688 11. ; 1866, 640 h. ; 1872, 611 ; 1891, 562 h.

(2) Le département de l'Orne archéologique et pittoresque, par Léon de La Sicolière, p. 69.

(3) Curiosités végétales du département de l'Orne, par M. l'abbé Letacq (Bull, de la Soc. d'Horlicullure de l'Orne, 1" semestre 1895, p. 52). Le poirier dont parle l'auteur est sans doute celui qui se trouve aux QuaIreChemins du lioisgautier et dont l'existence nous a été révélée par notre ami, Edouard Miraux.


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calcaire au centre et à l'ouest (extraction de marne) et sablonneux au sud et à l'est (carrières de sable) (1).

Les principaux villages ou fermes portent les noms suivants : Beauvais, le Boisgautier, le Boivin, Bourse, la Brossette, la Brière-Cohardon, les Bruyères de Louvigny ; la Chapelle, Cochet, la Coudre, la Croix, la Croix-Saint-Lô ; la Faucherie, la Feuilletière, les Girardeaux, la Gourie, la Guyon (en patois : La,illon),\e Grand-Breuil,leGrand-Fresne; la Haie-de-Moulins; le Jardin ; les Landes, Launay, Louvigny ; les Malbéraux, le Marais, la Mare, le Moncel, la Montchevalerie, la Morandière ; les Orgéraux, Orgueil ; La Pelleterie, le Petit-Breuil, le Pommier, la Porte, la Potinière, la Poudrière, les Pouplines, le Petit-Fresne; la Saulnerie, la Sellière ; le Val-Morin, la VieilleBrière, les Vignes.

(1) La plupart des renseignements relatifs à la géologie et à la statistique de Ferrière nous ont été obligeamment fournis par M. Dujarrier, instituteur.


NOBLESSE DE FERRIERE

FAMILLE DES MOUTIS

D'or, à trois chevrons de sable, accompagnés en jioinle d'une rose de gueules.

La famille des Moutis tire son nom d'un ancien fief, sis en la paroisse de Courlomer, passé par suite de vente en la maison des barons puis marquis de Courlomer.

Dès le xie siècle, on la voit figurer clans la province de Normandie et sa noblesse d'extraction chevaleresque est attestée par les procès-verbaux des recherches de 1463, 1561 et enfin par un jugement du 4 avril 1666.

Parmi les terres et fiefs nobles que la famille des Moulis a possédés, nous citerons ceux des Moulis, de la Morandière, de Tellières, de Longchamp, du Verger, du Ménil-Guyon, de BoisHuberl, de Boistertre, de Boisgautier, de Frêne, de VinglHanaps, etc.

Guillaume des Moutis, chevalier, sieur du lieu, fui un des gentilshommes qui combattaient avec le Comte de Montforl, à Terraube, en 1124.

Robert des Moutis vivait en 1188.

Hugues, un de ses fils, prieur des Bénédictins de l'abbaye de Saint-Martin de Sées, seigneur et patron de Sainte-Marie de Vingt-Hanaps, est mentionné dans une charte du Livre-Rouge de la dite abbaye (fol. 19.)

Jean des Moulis, chevalier, reçut en 1294 un sauf-conduit d'Edouard I, Roi d'Angleterre.

Jean des Moutis assista, en l'année 1302, à l'assemblée des nobles du comté d'Alençon.


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La filiation de cette famille est établie depuis Guillaume, qui suit :

I. GUILLAUME DES MOUTIS, seigneur du lieu, de la Morandière et du Ménil-Guyon, vivait en l'an 1364. Il épousa Massine de la Motte, fille de Fralin de la Motte, écuyer, sieur de la Bellière, dont il eut :

II. JEAN DES MOUTIS, écuyer, seigneur de la Morandière et des Moutis. De son mariage avec Jeanne de Saint-Aigna.ii, il eut : (1)

III. GUILLAUME DES MOUTIS, écuyer, sieur des Moutis et de la Morandière, marié à Guillemette de la Rosière, de la province du Perche, dont :

1° Jean, sieur des Moutis, dont nous publierons ailleurs la descendance ; 2° Etienne, qui suit (2).

IV. ETIENNE DES MOUTIS, écuyer, sieur de la Morandière, épousa DeIle Nicole Moinet (3), quatrième fille de Godefroi Moinet et de Catherine des Buats, dont :

V. ROMAIN DES MOUTIS, écuyer, sieur de la Morandière, lequel eut de son mariage avec Marie Brosset (4) :

VI. ADRIEN DES MOUTIS, écuyer, sieur de la Morandière, marié, par contrat du 25 Janvier 1557, à DelIeAnne de Tascher (5).

Sont issus de ce mariage :

1° Claude des Moutis, qui suit ;

2° François des Moutis, curé de Saint-Vandrille, le 22 no(1)

no(1) : d'argent, à trois feuilles de vigne de sinople, posées 2 et 1. Couronne de Marquis. Tenants : deux Sauvages.

(2) Jeanne des Moutis épousa Aimar Authier, seigneur du Repaire et de la Bastide (1477).

(3) Moynet : d'argent, à deux fasees d'azur, avec un chevron de gueules en pointe (Recli. de 1666).

(4) Brosset : de gueules, à 3 chevrons d'argent, accompagnés de 3 merleltes d'or, 2 et 1.

(5) Tascher, au Perche : de sinople, fretté d'argent, à deux fasees du second ; au chef aussi d'argent, chargé de deux soleils de gueules. (Dict. de la Noblesse.)


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vembre 1563, chapelain du Coudray de 1594 à 1595, chanoine de la collégiale de Morlagne, et mis en possession de la cure de Saint-Germain-de-Clairefeliille, le 20 novembre 1601. Il eut pour héritier François de Bultot.

3° Jacques des Moutis.

Jacques des Moulis, seigneur de la Morandière, porta la cornette de la compagnie des chevau-légers Albanois, commandée par le sieur de Falandres, gouverneur du comté de Dreux. La famille des Moutis conserve la lettre suivante qui lui fut écrite, le 26 juin 1574, par le maréchal de Fervaques :

Monsieur de la Morandière, je vous prie de ne pas vous mal contenter que j'ai pourvu à mon état de maréehal-des-logis le Sieur de la Guyardière, et vous assurer que çà n'a esté pas faute de vous en sentir aussi digne que Gentilhomme seroit, mais par une promesse et résolution que j'en avois faite longtemps avant, vous assurant que par récompense je ferai chose qui vous contentera, et ne se passera pas occasion que je ne vous fasse paraître que je vous aime et estime. Monsieur de Médavy, qui vous est affectionné ami, pourra vous dire le surplus qui ne tardera vous faire cette plus longue, sy non pour me recommander à toutes vos bonnes grâces, et prie Dieu de vous donner en bonne santé longue et heureuse vie. — Je vous prie nous annoncer le sieur de Glapion, votre compagnon, et l'assurer qu'il sera le bien venu en votre recommandation.

Votre entièrement bon compagnon et vray ami,

FERVAQUES.

Dix-neuf ans plus tard, les Royalistes occupant la ville de Mortagne depuis près de trois années, le baron de Médavy, que le duc de Mayenne avait nommé gouverneur du Perche pour la Ligue, conçut le projet d'enlever à l'ennemi la capitale de son nouveau gouvernement. Il était alors à Verneuil où il avait établi son quartier général. Pour exécuter son projet, il chargea son lieutenant, Jacques des Moutis de la Morandière, ligueur déterminé, de marcher sur Mortagne : « La nuict d'entre le lundy douzeiesme et mardy treizeiesme juillet mil cinq cens quatrevingtz trèze, la Morandière, lieutenant du baron de Médavy, gouverneur de Vernueil, Braquetrerie et autres cappitaynes au nombre de deux cens cinquante chevaulx et deux cens hommes de pied, entrèrent dedans Mortaigne pensant surprendre le fort du chasteau scis au milieu du dict Mortaigne, où se retiroyent les principaulx habitlans ; y firent leur effort, furent répoulcez,


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plusieurs blessés, deux de Mortaigne mortz, plusieurs maisons pillées et quelques hommes rançonnez (1). »

Médavy revint à son tour avec 15 à 1.600 hommes et entra dans la ville le 16 juillet 1593, mais il dut également se retirer devant l'héroïque résistance des Mortagnais réfugiés dans le fort du château, construit en 1411 par Jean Ier, comte d'Alençon.

En 1596, Jacques des Moutis de la Morandière fut nommé Gentilhomme de la Chambre du Roi et prêta serment, le 12 juin, entre les mains de M. de Bellegarde, premier gentilhomme et Grand-Ecuyer de France.

Il avait épousé, très-peu de temps avant cette nomination, Delle Louise de Vieuxpont, fille de Guillaume, chevalier, seigneur de Ghailloué et de Messey (2), et de Madeleine de la Bertherie. Elle était soeur de Jean de Vieuxpont, écuyer, abbé commendataire de Saint-Jean-de-Falaise en 1589, puis évêque de Meaux, et de Pierre de Vieuxpont, écuyer, sieur de Fatouville.

Mclle de Vieuxpont était alors veuve pour la troisième fois. Elle avait épousé : 1° Par contrat du 21 février 1574, Mre Jacques de Lyée, seigneur de Belleau, la Fosse et Bigard, dont : un fils, Gabriel, qui épousa, le 26 août 1597, Delle Anne de Malherbe; 2° En 1582 ou 1583, Jean de Gislain, écuyer, sieur de Saint-Mars de Coulonges, dont : Louis, marié par contrat du 10 novembre 1609 à De!,e Madeleine de Saint-Aignan ; 3° Le 28 octobre 1589 Louis de Lombelon, seigneur des Essarts et de la Poultière, en la paroisse de la Guéroulde, capitaine de 50 hommes d'armes des ordonnances du Roi, dont: Alexandre de Lombelon, écuyer, seigneur des Essarts.

Les biens de Mclle de Vieuxpont furent partagés le dernier jour de février 1608 entre ses deux fils, Gabriel de Lyée et Louis de Gislain, aucun enfant n'étant né de son quatrième mariage avec Jacques des Moutis de la Morandière.

Vil. CLAUDE DES MOUTIS, écuyer, seigneur de la Morandière, reçut du Roi Henry IV, en 1594, commission de lever une compagnie de chevau-légers pour son service. Il épousa, par contrat du

(1) Recueil des Antiquités du Perche, par Bart des Boulais, publié par H. Tournouer. — Abbé Fret, Tome III, p. 116.

(2) Vieuxpont : d'argent, à dix annelets de gueules.


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20 Octobre 1603, DeIlc Ambroise de Bardoul (1), de la maison de Fel, dont il eut :

1° Jacques des Moutis, qui suit ;

2° Louise des Moutis, mariée à Mrc Charles de Villereau (2), écuyer.

Devenue veuve, avant 1612, Mcllc de Bardoul épousa Mrc Adrien Blanchard (3), écuyer, sieur de la Rochère, lieutenant du bailli d'Alençon en la châtellenie de Bonmoulins, fils de Denis Blanchard, écuyer, seigneur de Bois-Hubert, anobli en 1586. De son premier mariage, il avait eu Jean Blanchard, écuyer, sieur de la Feuilletière, marié le 26 mars 1689 à Dclle Marie-Catherine de Launay, fille de Guillaume, écuyer, sieur de Bellefontaine, et de DelIe Catherine de Launay, de la paroisse de Cisai.

Le 18 décembre 1620, le sieur de la Rochère acquit de son frère, François Blanchard, écuyer, sieur de Boistertre, la terre et métairie de Boisgautier, avec le moulin du dit lieu, consistant en maisons, prés, bois-taillis et terres labourables en toutes circonstances et dépendances. Plus tard, le 18 mars 1632, il échangea avec le môme François Blanchard, une pièce de terre nommée le Pré-Locard, contenant environ un acre, située en la paroisse de Tellières, seigneurie du Plessis, contre les tîef et seigneurie nobles du Boisgautier, avec l'aînesse de Blande qui en dépendait, le tout assis en la paroisse de Fai et s'étendant en celles de Ferrière et de Saint-Agnan, et mouvant du fief des HayesHeurtaux (4).

VIII. JACQUES DES MOUTIS, écuyer, seigneur de la Morandière, pensa tout d'abord à succéder à son beau-père dans la charge de lieutenant du bailli d'Alençon, « mais venu en âge de suivre ses mouvements naturels, son inclination lui fit prendre

(1) Bardoul : parti d'argent et de gueules, au léopard de l'un en l'autre, armé et lampassé de môme. (Rech. 1666).

(2) Villereau : de sable, à un lion d'argent couronné et lampassé d'or, armé de sable, accompagné de 5 fleurs de lis de même, 2, 2 et 1. (Arm. général, 1696).

(3) Blanchard: d'azur, à un chevron d'or, surmonté d'une croix et accom. pagné de 3 molettes de même. (Arm. général).

(4) François Blanchard, qui avait épousé Marie Juliotte, dame de Boistertre, fille de Jean et de Marie Malard, fut inhumé à Tellières, le 24 septembre 1656.


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les armes qu'il porta en Italie sous la cornette du Maréchal de Saint-Géran. » A son retour, il épousa, par contrat du 12 octobre 1622, Dell° Madeleine Blanchard, fille née du premier mariage du dit Adrien, sieur de la Rochère, avec Delle Madeleine Nepveu.

Lors du partage des biens d'Adrien Blanchard, en date du 28 novembre 1657, la terre deBoislertre fut. mise dans le lot de Madeleine Blanchard et la moitié des fief et seigneurie du Plessis dans celui de sa soeur, Marie .Blanchard, veuve de François de Brétignières, écuyer, sieur de la Bertrannière, conseiller du Roi, grenetier du grenier et magasin à sel de Verneuil, Laigle et Brezolles, maire de Verneuil (1).

Jacques des Moutis mourut le 22 février 1651 et sa femme, le 28 octobre 1670 ; tous deux furent inhumés dans l'église de Ferrière. Plusieurs enfants, baptisés à Ferrière, étaient nés de ce mariage :

1° Anne des Moutis, baptisée le 11 septembre 1631 ;

2° Adrien des Moutis, seigneur de la Morandière, baptisé le 14 décembre 1632, et inhumé à Ferrière, le 13 mars 1704. Il avait épousé à Saint-Lomer, le 18 octobre 1700, Dellc Charlotte Le Hantier (2), fille de Claude, écuyer, sieur des Vaux, demeurant à Mahéru, dont : 1° Charles des Moutis, baptisé à Ferrière, le 16 septembre 1702, et inhumé le 27 novembre de la même année; 2° Marguerite-Charlotte des Moutis, baptisée à Saint-Lomer, le 2 août 1701, et inhumée dans l'église le 23 août suivant.

Les 5 et 19 novembre 1680, Adrien des Moutis avait vendu à Nicolas Blanchard, écuyer, demeurant à Alençon, les fief et terre de Bois-Hubert qui lui venaient de la succession de. sa mère.

3° Pierre des Moutis, qui suit ;

(lj De Mario Blanchard sont issues deux filles : 1" Madeleine de Brétignières, mariée par contrat du 11 mai 1663 à Pierre Le Cornu, écuyer, -seigneur de la Boissière ; 2° Barbe de Brétignières, mariée à Alexandre de la lloussaye, sieur de Boissy.

(2) Le Hantier : d'azur, à deux chevrons d'argent, accompagnés de 3 molettes d'éperon do même, 2 et 1.

— 27 février 1710. Inhumation dans l'église de Ferrière de D 0' 1" Anne Le Hantier, femme d'Etienne Le Villain, dont : Charles Le Villain, bapt. le 1" novembre 1670, et Louise Le Villain, inhumée le 2y avril 1703. — Les Le.Villain étaient qualifiés « sieurs de la Chapelle, » comme on le voit dans l'acte d'inhumation de Charles Le Villain (23 mars 1701).


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4° Jacques des Moutis, baptisé le 2 avril 1637 et nommé par Louis Blanchard, sieur du Plessis et de Tellières ;

5° Jacques des Moutis, baptisé le 12 décembre 1638 ;

6° Gabrielle des Moutis, baptisée le 13 juillet 1643 ;

7° El, probablement, Suzanne des Moutis, ayant pour curateur Me Samson de Fontaines, prêtre, écuyer, sieur de Beauvais, lors d'un acte départages passé le 28 novembre 1657, et où elle est qualifiée de petite-fille du sieur de la Rochère. Elle épousa Gilles de l'Aumosne (1), écuyer, sieur de la Blottière, dont: Madeleine, baptisée à Perrière, le 12 mai 1639.

IX. PIERRE DES MOUTIS, écuyer, sieur de Tellières, puis seigneur de la Morandière, fut baptisé a Ferrière le 8 octobre 1634. Dès l'an 1666, il possédait les fiefs de Boisgautier et de BoisHubert, situés dans les paroisses de Fai et de Saint-Lomer. Il épousa, par contrat du 2 octobre 1669, Del,e Madeleine-Charlotte Le Vasseur (2), fille de Louis, écuyer, seigneur de Terrey, et de Charlotte de Raveton.

Tous deux furent inhumés dans l'église de Ferrière : le seigneur de la Morandière, le 1er octobre 1711, et sa femme le 6 janvier 1710.

Étaient sortis de ce mariage :

1° Adrien-Jacques des Moutis, seigneur de la Morandière, baptisé à Ferrière, le 20 octobre 1670, el inhumé le 31 janvier 1743. De son mariage avec D°"e Marguerite Le Coutellier (3), inhumée le 15 mars 1668, il n'avait eu qu'un fils, Jacques des Moutis, baptisé à Ferrière le 3 mars 1668.

2° Pierre des Moutis, qui suit ;

3° François des Moutis, auteur de la branche des seigneurs de Boisgautier, rapportée plus loin ;

4° René des Moutis, né vers 1676, inhumé à Ferrières, le 16 janvier 1682;

5° Vincent des Moutis, inhumé à Saint-Lomer, le 12 novembre 1678 ;

(1) L'Aumosne : d'argent, à trois pointes de gueules, et un chef d'azur chargé de 3 glands d'or. (Arm. général.)

(2) Le Vasseur : d'argent, à un lion de gueules, couronné, lampassé et armé d'azur (Arm. général.)

(3) Le Coutellier : d'argent, à trois hures de sanglier arrachées de sable.


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6° Marie des Moutis, inhumée dans l'église de Saint-Lomer, le 21 mai 1680;

7° René des Moutis, baptisé à Saint-Lomer, le 25 janvier 1680 ;

8° Jeanne des Moutis, baptisée à Ferrière, le 12 février 1682, inhumée le 13 mars suivant ;

9° Marie des Moutis, baptisée à Ferrière, le 10 février 1685 et inhumée le 31 août 1686 ;

10° Charlotte des Moutis, nommée à Ferrière, le 29 juillet 1686, par Charles de Surmont, écuyer, sieurdesEssarls. Inhumée le 27 décembre de la même année ;

11' Marie-Charlotte des Moutis, baptisée à Ferrière, le 19 septembre 1687. Inhumée dans l'église de celte paroisse, le 30 mars 1700 ;

12° Marguerite des Moutis, inhumée dans l'église de SaintLomer, le 6 février 1690 ;

13° Charlotte des Moutis, inhumée le 19 juillet 1697.

X. PIERRE DES MOUTIS, écuyer, seigneur de la Morandière et de Bois-Hubert, né vers 1671. fut inhumé dans l'église de Ferrière, le 22 mai 1744. Il avait épousé, par contrat du 18 mars 1712, Delle Marie-Jeanne de Villereau, née en 1693, fille de Jean, écuyer, seigneur de Sainl-Hilaire et de Marie Martel. Mclle de Villereau mourut à Ferrière, le 6 mars 1780, laissant un fils et une fille :

1° Adrien-Pierre des Moutis, qui suit;

2° Marie-Jeanne des Moutis, baptisée à Ferrière, le 14 juillet 1718, mariée à Tellières, le 2 septembre 1745, à Mre François Estienne, sieur d'Anges, ancien garde du Roi, officier des Invalides, fils de feu Guillaume, écuyer, et de Marie du Hays. Mclle des Moutis mourut à Sées, dans sa maison de la rue d'Argentan, le 23 vendémiaire an III (14 oclobre 1794).

XI. ADRIEN-PIERRE DES MOUTIS, écuyer, seigneur de la Morandière et de Bois-Hubert, baptisé à Ferrière, le 27 février 1724, mourut dans cette paroisse, le 9 août 1779. Il avait épousé à Tellières, le 11 février 1749, Delle Anne-Marie-Madeleine de Barville (i), née à Mamers, fille de René-Gaspard, écuyer,

(1) Barville : d'argent, à deux bandes de gueules (Arm. général de 1696).


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sieur de la Bonneville, l'un des deux cents chevau-légers du Roi, chevalier de Saint-Louis, et de Delle Madeleine-Charbonnier, fille de Nicolas, écuyer, sieur de Champrai, greffier en chef du Bureau des Finances d'Alençon.

Étaient nés de ce mariage :

1° Renée-Françoise des Moutis, baptisée à Ferrière, le 7 juillet 1750, et mariée le 14 mars 1776, à Louis-Alexandre-Isaac de la, Haye (1), écuyer, sieur de la Barre, capitaine d'infanterie au régiment de Beaujolais, fils de Louis-Alexandre, chevalier, et de Jacqueline du Buat. Mclle des Moutis mourut à Sées, le 4 février 1826, laissant entr'autres enfants une fille, Hélène-Adélaïde de la Haye, née à Saint-Agnan-sur-Sarthe, le 6 août 1782, mariée à Auguste-Louis du Rouil, fils de Jean-Jacques Guillaume, capitaine commandant au régiment de Besançon, chevalier de SaintLouis, gentilhomme de S. A. R. le Duc d'Orléans.

2° Marie-Catherine des Moutis, née à Ferrière, le 22 novembre 1753, et nommée le surlendemain par Nicoles de Barville, écuyer, lieutenant de carabiniers, et Marie-Jeanne des Moutis, femme du sieur d'Anges.

XII. LOUIS-JACQUES-ANTOINE DES MOUTIS, chevalier, seigneur de la Morandière et de Bois-Hubert, chevau-léger de la garde ordinaire du Roi, fut baptisé à Tellières, le 9 novembre 1757. Il épousa, le 3 août 1780, en la chapelle de la Morandière (2), pêne Angélique - Jacqueline des Moutis , laquelle mourut le 5 juillet 1843, fille de François-Jacques, chevalier, seigneur de Boisgautier, chevalier de Saint-Louis, et de feue Marie-Anne de Saint-Aignan.

Louis-Jacques-Anloine des Moutis étant décédé sans hoirs, la terre de la Morandière passa dans la maison du Rouil.

Du mariage de Louis-Auguste du Rouil (3) avec DelIe Hélène(1)

Hélène(1) Haye de la Barre : d'argent, à six losanges de gueules, bordés de sable et posés 3, 2 et 1 (Ami. gén.)

(2) 26 août 1666. Mariage en la chapelle de la Morandière, de Tanneguv de Brosset, écuyer, sieur de la Pommeraye, demeurant à Courtomer, avec M'"" Louise Gaultier, de la paroisse de Saint-Agnan.

(3) Du Rouil : de gueules, à une demi-fasce d'argent chargée de trois mouchetures d'hermines de sable, et un demi-chevron d'argent posé à senestre, le tout accompagné de trois fers à cheval d'or, posés 2 en chef et l'autre en pointe ; l'écu bordé d'azur. (Rech. de 1666).


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Adélaïde de la Haye, fille de Louis-Jacques et de Dc,le RenéeFrançoise des Moutis de la Morandière, étaient sortis quatre enfants :

1° Louis-Edmond du Rouil, né le 5 décembre 1808, mort sans alliance, à la Morandière, le 24 janvier 1828 ;

2° Zoé-Adelaïde du Rouil, née le 20 mai 1810, mariée le 13 septembre 1830 à Jacques-François-Hilarion de Saint-Aignan ;

3° Irénèe du Rouil, né à Saint-Germain-de-Clairefeuille, le 3 juin 1811, héritier du chef de sa mère, de la terre delà Morandière ;

A0 Auguste du Rouil, marié à Argentan, le 20 juin 1848, à peiie Marie-Caroline de Couilliboeuf d'Angloischeville, dont une fdle mariée à Louis-Arthur de Landelles..

Les du Rouil, sieurs de Bray, de la Rouillière, de Valgalleren, de Bois-Massot, de la Lissoudière, possédèrent pendant plusieurs siècles le fief des Retailles, en la paroisse du Sap, et le fief du Grand-Douet, assis en la paroisse d'Orville. De celte maison sortit au xve siècle, Gabriel du Rouil, dont le fils, Jean, fut seigneur de Beaufai-sur-Rille. Parmi les alliances de la branche qui nous occupe, nous remarquons les suivantes : de Guittré, de Chaulieu, Simon de la Rouillère, de Trousseauville-Chesnebrun, de Raveton, de Villers-Saint-Pau), Bouttein, de Gueurot de Boismassot, d'Avréville, de Bonenfant de Chailloué, de SaintClair, de Bracques, de Haussey, de la Haye de la Barre, etc.

Irénée du Rouil, conseiller d'arrondissement, épousa Dclle Lisbeth-Louise de Chasot, née à Clermont (Meuse), le C décembre 1813, fille de Jean-François-Théodore de Chasot (1) et d'Ernestine-Louise Guyon de Guigny.

L'aïeul de Mme du Rouil, M. de Chasot, servit en Prusse et fut assez heureux de sauver la vie du Grand-Frédéric à la bataille de Wollswilz. Dès lors, des relations très amicales s'établirent, entre le Roi et les parents du jeune officier ainsi qu'en témoigne la lettre suivante adressée par Frédéric, à Mme de Chasot, à Caen, « avec une boéte contenant une tabatière d'or » :

(1) La maison de Chasot, originaire de Bourgogne, s'établit en Normandie au milieu du xv* siècle. La branche, fixée aux Andelys, a eu pour premier auteur, Colin de Chasot, chambellan de Charles-le-Téméraire en 1528.

Les armes de cette famille sont : d'azur, à un chêne d'argent planté Staline terrasse de même et soutenu par deux lions d'or, ayant les têtes contour-nées et attachées au fût de l'arbre par des chaînes d'argent.


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MADAME,

J'ay reçu votre lettre avec grand plaisir ; il y a longtems que vous avés des droits sur mon attention par les services que m'a rendu votre fils ; la mère d'un officier aussy brave et aussy universellement estimable ne peut attendre de ma part que les témoignages d'une véritable bienveillance ; je reçois bien volontiers le présent que vous me faites (1) ; la manière dont vous me l'offres y ajoute tout le prix que la bonté de votre coeur auroit souhaitté d'y métré. Recevez avec les mêmes sentiments et pour vous ressouvenir de moy ce que je vous envoyé, et soyés persuadée que je verray toujours " avec bien de la satisfaction les occasions de vous donner et à votre famille des marques de ma bonne volonté et de mon estime. Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait, Madame, en sa sainte et digne garde ; fait à Berlin le 1er janvier 1751. »

Lors de la guerre franco-allemande de 1870, M. Irénée du Rouil, espéra un moment que grâce à l'immense service rendu à la Prusse par le grand-père de sa femme, il pourrait épargner à la contrée qu'il habitait l'invasion de l'armée ennemie. A cet effet, il adressa la lettre suivante à Guillaume Ier, Roi de Prusse, dont le quartier général était établi à Versailles.

SIRE,

Vos armées parcourent nos provinces, et combien de victimes innocentes vont avoir à subir les malheurs de l'invasion !

En suppliant Sa Majesté de vouloir bien accorder la neutralité, sinon pour tout le département de l'Orne que j'habite, au moins pour le canton de Courtomer que je représente au Conseil d'arrondissement, et celui de Moulins-la-Marche qui l'avoisine et où réside ma famille, permettez-moi, Sire, de rappeler à Sa Majesté les quelques titres qui pourront attirer son attention.

Le chevalier de Chasot, aïeul de ma femme, sauva la vie du GrandFrédéric à la bataille de Wollswilz, Le Roi, à la suite de cette action, daigna écrire à Mme de Chasot, sa mère, en l'accompagnant d'une tabatière d'or, ornée de diamants, une lettre que le Marquis de Chasot, mon beau-père, déposa aux archives de Caen, afin que ce litre précieux pour notre famille ne fût pas égaré.

Ci-jointe copie littérale, dûment enregistrée.

Sire, c'est au souvenir de l'affection si vive que votre aïeul, le Grand-Frédéric, avait toujours témoignée au chevalier de Chasot, qui mourut gouverneur de Lubeck, que j'ose espérer de votre clémence la faveur que je sollicite.

J'ai l'honneur d'être, Sire,

De Votre Majesté, Le très humble et très respectueux serviteur,

J. DU ROUIL-DE CHASOT

Château de la Morandière, canton de Courtomer, département de l'Orne, le 28 octobre 1870.

(1) Madame de Chasot lui avait envoyé une montre.


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En réponse à cette lettre, M. du Rouil, reçut le dépêche suivante, écrite en allemand , et traduite par M. Lyon, professeur au lycée d'Alençon.

Quartier général, Versailles, le 1er novembre 1870.

Sa Majesté le Roi a bien voulu décider, en réponse à l'écrit de Votre Grâce, arrivé ici le 30 octobre, qu'il ne peut être donné suite, vu la situation des choses, aux voeux exprimés par Votre Grâce, et m'a chargé immédiatement d'en donner connaissance à Votre Grâce par le renvoi de la demande remise.

Pour l'accomplissement de l'ordre suprême qui m'est transmis, j'en donne connaissance, avec respect, à Votre Grâce.

(Signature illisible.)

Lieutenant-général et Adjudant-général de S. M. le Roi.

M. Irénée du Rouil est mort à la Morandière, le 25 novembre 1889, et sa femme, le 2 décembre 1878, laissant uoe fille unique, Melle Angèle-Hélène-Marie du Rouil, née à Ferrière, le 11 novembre 1847, mariée le 10 juillet 1871 à M. Richard-CharlesAlbert de Foulques, né à Lignières, le 11 décembre 1847, fils d'Antoinede Foulques etdeDeIle Irénée-Elisa du Bosc ; dont trois enfants :

1° Henri-Louis-Antoine-Rodolphe de Foulques, né à Lignières, le 6 novembre 1872 ;

2° Suzanne-Marie-Ernestine de Foulques, née à Lignières, le 3 février 187(3 ;

3° Mathilde-Marie de Foulques, née à Ferrière, le 3 décembre 1882.

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BRANCHE DES SEIGNEURS DE BOISGAUTIER (Ji

X. FRANÇOIS DES MOUTIS, écuyer, seigneur de Boisgautier. Boistertre, etc., fils de Pierre des Moutis et de Delle MadeleineCharlotte Le Vasseur, fut baptisé à Tellières, le 8 mars 1674, et inhumé dans l'église de Fai, le 6 février 1737. Il avait épousé, par contrat du'4 février 1712, Del,e Catherine-Marie-BéréniceVicloire d'Estienne, (2) de la paroisse de Sevrai, fille de Guillaume, écuyer, sieur de la Guyonnière, conseiller du Roi, lieutenant criminel de robe courte en la Prévôté générale de Normandie, et de noble DeIlc Marie du Hays.

Six enfants étaient nés de ce mariage :

1° Marie-Françoise-Victoire des Moutis. née le 12 juillet 1714;

2° Ar... des Moutis, mort en naissant, le 7 octobre 1719 ;

3° Pierre-Guillaume des Moutis. né le 26 juillet 1721, mort jeune ;

4° Jacqueline-Françoise des Moutis, baptisée à Tellières, le 15 septembre 1722, mariée par contrat du 19 décembre 1740 à Roland-Joseph Le Fort, seigneur des Chesnes, officier du bureau des Finances d'Alençon, fils d'Olivier, écuyer, gentilhomme servant chez S. A. R. Madame, et de Marie-Françoise Gaultier. Melle des Moutis est morte sans laisser de postérité ;

(1) Voir : Esquisses généalogiques concernant un grand nombre de familles alliées entre elles et remontant à Saint-Louis, Rodolphe de Habsbourg, Jean-Sans-Terre, Saint-Ferdinand, etc. Paris, Dumoulin, 1863' gr. in-8' IV et 449 p.

L'ancienne habitation de la famille des Moutis de Boisgautier, maison de ferme aujourd'hui, était située en la paroisse de Fai. Le nouveau château a été construit sur le territoire de la commune de Ferrière.

(2) Estienne : de gueules, à un chevron d'or, surmonté d'un croissant d'argent, et accompagné en chef de deux esloiles d'or, et en pointe d'une tête de léopard de même. (Arm. général).


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5° Charlotte-Bérénice des Moutis, née le 14 mai 1724, que l'on croit morte jeune ; 6° François-Jacques des Moutis, qui suit:

XI. FRANÇOIS-JACQUES DES MOUTIS, écuyer , seigneur de Boisgautier, Boistertre, etc., l'un des deux cents chevau-légers du Roi, chevalier de Saint-Louis, naquit à Moulins en 1728 et mourut à Fai, le 15 janvier 1804. Il avait épousé, par contrat du 12 décembre 1747, Mel" Marie-Anne de Saint-Aignan, fille de Gilles, seigneur de la Grimonnière, et de Jacqueline Septier. Melle de Saint-Aignan mourut également;à Fai, le 23 avril 1769, à l'âge de 45 ans.

Sept enfants étaient nés de ce mariage :

1° Anne-Jacqueline-Victoire des Moutis, née le 18 octobre 1748 à Moulins-la-Marche, reçue à Saint-Cyr, le 22 août 1760, morte le 18 mai 1766 et inhumée à Fai ;

2° Jean-François des Moutis, né à Moulins, le 20 décembre 1749, mort à Fai, le 11 janvier 1750 ;

3° Renée-Françoise des Moutis, née le 30 mars 1751, élevée à Saint-Cyr, décédée sans alliance et inhumée à Fai, le 3 septembre 1780 ;

4° Roland-Joseph-François-Jacques des Moutis, né au Boisgautier, le 13 mars 1752. Il fut d'abord chevau-léger, chevalier de Saint-Louis, puis entra clans les Ordres. 11 était sous-diacre en 1783, chanoine de Sées et chapelain de la Morandière en 1789. Décédé à Sées, le 26 septembre 1807.

5° Pierre-Jacques-Philippe des Moutis, qui suit :

6° Angélique-Jacqueline-Adelaïde des Moutis, née à Fai, le 2 juin 1756, décédée à la Morandière, le 4 juillet 1843. Elle n'eut pas d'enfants de son mariage contracté, le 9 mai 1780, avec Louis-Jacques-Autoine des Moutis, écuyer, sieur de la Morandière, son cousin, fils d'Adrien-Pierre, et d'Anne-Marie-Madeleine de Barville :

7° Claude-François des Moutis, né le 14 août 1757. mort le 27 septembre 1759 et inhumé à Fai (1).

(1) 8 février 1832. Décès, à la Morandière, de Jacques-Gaspard des Moutis de Boisgautier, âgé de 75 ans (sans autres indications.)


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XII. PIERRE-JACQUES-PHILIPPE DES MOUTIS, écuyer, seigneur de Boisgautier, dit le chevalier de Boisgautier, chevauléger de la garde ordinaire du Roi, naquit à Fai, le 27 août 1753 (1 ). Il épousa Dle Anne-Louise Le Cornu de la Forêt, (2) dont :

1° François-Ambroise des Moutis, qui suit ;

2° Jacques-François-Joseph des Moutis de Boistertre, né à Dreux, le 21 septembre 1790, mort à Tellières, le 14 décembre 1868. Il avait épousé à Tellières, le 26 février 1821, MeIlc Aglaé de Fontaines, fille de Robert, écuyer, seigneur de Boismaillard, etc. (3) et de Delle Solange-Charlotte-Antoinette Magné de la Londe. Mme des Moutis de Boistertre est décédée à Tellières, le 27 avril 1873.

Deux enfants sont issus de ce mariage :

1° Adélaïde-Camille des Moutis de Boistertre, née à Tellières, le 14 mars 1822, mariée le 13 janvier 1845 à Erasme de Mallevoue, (4) originaire de Moutiers-Hubert, fils de Jean-François, chevalier de Saint-Louis, ancien chef d'escadron, et d'Aglaé Berlhelot de Mézeray, dont un fils : Joseph-Camille de Madevoue, né à Tellières, le 11 janvier 1846, marié le 27 septembre 1880, à Mell° Juliette Saugeron, de Mortagne ;

2° Octavie-Angélique des Moutis de Boistertre, née à Tellières, le 14 décembre 1828, et mariée le 5 juin 1850 à M. Arthur Dillon-Corneck, ingénieur civil, né à Verneuil, le 1er janvier 1820, fils de Thomas Corneck, et de Sara Millecenl, baronne Dillon, d'origine irlandaise. M. Arthur Dillon-Corneck, qui avait relevé le nom et le titre de sa mère, est mort à Tellières, le 15 juin 1881. Deux enfants sont nés de ce mariage :

1° Maria Dillon-Corneck, née le 20 avril 1851 à Ingrande (Maine-et-Loire), décédée à Moulins (Allier), le 20 mars 1865;

2° Thomas Dillon-Corneck, né le 10 septembre 1866 à Moulins (Allier), marié le 19 mai 1891, à MeIle Alice Le Tourneur du Breuille, dont un fils : Roger Dillon-Corneck, né à Caen, le 14 mars 1893.

(1) Le chevalier de Boisgautier aimait à signer par abréviation: « Le cheval, de Bois. ».

(2) Le Cornu : d'azur, à trois cornets d'or, liés de même (Arm. général).

(3) Décédé à Tellières, le 13 juillet 1821.

(4) Mallevoue : d'azur, à trois canettes d'argent.


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XIII. FRANÇOIS-AMBROISE DES MOUTJS DE BOISGAUTIER, né à Dreux, le 24 février 1789, officier supérieur au 4e régiment d'infanterie de la garde royale, chevalier de Saint-Louis et officier de la Légion d'honneur, mourut au Boisgautier, le 3 juin 1880, et fut inhumé à Versailles. Il avait épousé à Lille, le 27 juillet 1819, Dcllc Camille-Justine-Josèphe de Madré deNorguet, née à Lille, le 9 octobre 1789, fille de Louis-Albéric-Joseph, écuyer, et de Delle Marie-Angélique du Bois-Descretons du PetitMetz. Mme de Boisgautier mourut à Versailles, le 11 septembre 1857, laissant un fils unique, qui suit.

XIV. RAOUL-CHARLES-PHILIPPE-JOSEPH DES MOUTIS DE BOISGAUTIER, né à Paris, le 22 juillet 1820,. fut maire de Perrière et conseiller général de l'Orne, et mourut à Versailles, le 25 juin 1889. Il avait épousé, dans cette dernière ville, le 27 octobre 1842, DeIle Marie-Suzanne-Célestine Boudin de la Nuguy de Tromelin, (1) fille de Jacques-Marie, ancien officier de marine, chevalier de Saint-Louis et delaLégion d'honneur, et de N... de Flacourt.

De ce mariage sont issus :

1° Henri des Moutis de Boisgautier, né à Versailles, le 9 février 1844, mort au même lieu, le 2 février 1851 ;

2° Marie-Henriette des Moutis de Boisgautier, née vers 1845; _

3° Marie-Thérèse-Josèphe des Moutis de Boisgautier, née vers 1846, morte à Saint-Pol-de-Léon, le 14 décembre 1860 ;

4° Yvonne-Marie-Appoline-Françoise des Moutis de Boisgautier, née à Versailles,le 2 août 1853, mariée à Ferrière, le 27 décembre 1872, à M. Marie-Antoine-Roger de Berlier (2), né à Paris, le 13 février 1846, fils de Louis-Marie-Ferdinand, comte de Bertier, et de Marie de Galitzin. Dont postérité.

(1) Boudin de Tromelin : de sable, à l'épée d'argent, la pointe en haut, surmontée de deux étoiles d'or (Bachelin-Deflorenne). ' (2) Bertier de Sauvigny : d'or, au taureau de gueules, chargé de cinq étoiles du champ (id.)


FAMILLE DE LAUNAY

Vairé et contre-vairè d'argent et d'azur (Rech. de 1666). — Fascé de vair de trois pièces, séparées les unes des autres par trois burelles de gueules, et soutenu d'argent en pointe (Armoriai général de 1696).

Celte famille, que l'on dit descendre en ligne directe d'une soeur du connétable du Guesclin, tirait son nom de la terre de Launay qui s'étendait dans les paroisses de Courtomer et de Ferrière-la-Verrerie. Elle possédait :

1° En 1453, la seigneurie de la Génevraye, qui passa de Robert de Launay à la maison de Cintray (1) ; 2° vers l'an 1500, la seigneurie de la Brière, plein fief de haubert relevant de la baronnie de Courtomer (2).

De la maison de Launay est sorti, au commencement du xvi* siècle, François de Launay dont le fils Charles, écuyer, sieur du lieu, épousa Delle Gabrielle de la Vilette. De ce mariage vint Jean de Launay, marié par contrat du 19 janvier 1603, à Dolle Catherine de Marolles, fille d'Antoine, écuyer, seigneur de la Chesnaye, et de Marie Guingueron, de la province de Berry, dont :

1° René de Launay, curé de Saint-Martin-de-Nouan, en Touraine, lequel céda son droit d'aînesse à Claude, son frère ;

2° Claude de Launay, écuyer, seigneur de la Brière et de la Trivaudière, homme d'armes de la compagnie du Roi ;

3° Alexis dé Launay, écuyer, sieur de Vaux, capitaine et major de la ville de Saint-Venant en Flandre, marié par contrat du

(1) Communication de M. le vicomte du Motey.

(2) En 1491, la seigneurie de la Brière appartenait à Jean de SaintGermain, époux de Mathurine de la Vove, fille d'Odart, seigneur de la Vove, Saint-Vandrille, Saint-Agil, Planches, et de Blanche de Valtol.


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11 février 1647 à DelIe Anne Jobelin, fille de Nicolas, écuyer, sieur de la Croix, commissaire ordinaire de l'artillerie de France, et de Delle Jeanne de la Barre, dont une fille, Bonne de Launay, mariée par contrat du 15 octobre 1673 à Claude de Hallot, écuyer, seigneur des Haies, capitaine du régiment de Saluce.

4° Charlotte de Launay.

Par lettres-patentes de Louis XIV, datées du mois d'avril 1661, la terre et châtellenie de Bullon fut érigée en baronnie en faveur d'Alexis de Launay, chevalier, seigneur de Vaux et de Bullon, en reconnaissance de services rendus pendant vingt ans en qualité de premier capitaine d'un régiment. Il avait, en effet, pris part aux batailles de Rocroy, Fribourg, Lens, aux sièges de Thionville, Philisbourg, Arras, et avait reçu un grand nombre de blessures dans ces différents combats.

Il habitait le manoir de Launay-la-Brière, paroisse de Châteauvieux en Berry.

La filiation des Launay, seigneurs du lieu et de la Biïère en Courtomer et Ferrière-la-Verrerie, commence à :

I. GUILLAUME DE LAUNAY, écuyer, seigneur du lieu et de la Brière, vivant en 1516. Il eut trois (ils :

1° René de Launay, écuyer, sieur de la Gastine, lequel tut envoyé en possession, par sentence du 6 février 1545, de la moitié de la terre de la Brière, qui fut alors réunie à son fief de la Gastine.

2° Jean de Launay, qui suit, héritier de l'autre moitié de la dite terre.

3° James de Launay, curé de Godisson, en 1545, puis nommé curé de Saint-Germain-le-Vieux en 1555, par la résignation de Thomas de Launay.

II. JEAN DE LAUNAY, écuyer, seigneur de la Brière, épousa par contrat du 1er août 1512, De,le Marie Le Prévost (1), fille de noble Marin Le Prévost, maître des requêtes ordinaire de l'Hôtel de Monseigneur, dont :

(1) Le Prévost, sieur de Belleperche : de gueules, à deux fasces d'argent accompagnées en chef de 3 croissants de même et en pointe de 3 besarts aussi d'argent (Arm. gén.).


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1° Oudard de Launay, étudiant au collège de Navarre à Paris, puis curé du Mesnil-Imbert ;

2° René de Launay, qui suit ;

3? Guillaume de Launay, écuyer, sieur de la Gastine, présent aux partages de ses neveux en 1580 (1).

III. RENÉ DE LAUNAY, écuyer, sieur de la Brière et de la Gastine, lieutenant du Vicomte d'Alençon es châtellenies de Moulins-et-Bonsmoulins, épousa par contrat du 23 avril 1545, rjeiie garDe Gociet (2), fille de feu Pierre, écuyer, seigneur de Tournay, élu d'Alençon et du Perche, et de Jeanne Gislain.

A l'occasion de ce mariage, Oudard de Launay céda son droit d'aînesse à son frère puîné.

René de Launay mourut, en 1580, laissant trois fils :

1° Léon de Launay, qui suit ;

2° François de Launay, auteur de la branche des sieurs de Cochet, rapportée plus loin ;

3° Claude de Launay, sieur de Rillé, homme d'armes de la compagnie du seigneur de Carrouges, marié par contrat du 19 novembre 1583, à De,le Anne Bizé, fille de François, écuyer, sieur du Buisson, lieutenant du bailli d'Alençon en la châtellenie de Moulins-et-Bonsmoulins, et de Catherine Droullin. La jeune femme reçut en dot 600 livres et des « robes de satin et de taffetas, accompagnées de cotillons et de chaperons de velours, et autres étoffes requises, sans orfèvrerie ni broderie ». Trois enfants sont nés de ce mariage : a) François de Launay, écuyer,

(1) Noble homme Nicolas Bougis, seigneur de la Ferrière-Béchet, fils de Nicolas, épousa en juin 1566, D 1' 1" Barbe de Launay, fille de Pierre, écuyer, originaire de Ferriôre-Sainl-Roch. Noble homme Grégoire Bougis, sieur du Coudray et de la Ferrière, frère de Jacquette, fut conseiller du Roi, assesseur aux bailliage et siège présidial d'Alençon. Il épousa Catherine Bélier de la Brétonnière, dont il eut René Bougis, écuyer, sieur de la Ferrière, officier dans les armées du Roi, marié, le 27 avril 1634, à D'"" Jehanne Chagrain, fille de Jean, sieur des Noës, et de Jeanne des Ormes, en présence de M"' Adrien Billard, écuyer, seigneur de la Motte, conseiller du Roi, premier président en l'élection d'Alençon, Robert Bélier, receveur des tailles, sieur de la Brétonnière et Hiérôme Bougis, sieur de la Vallée, alors receveur des décimes, qui devint plus tard trésorier de France en la généralité d'Alençon (Communication de M. le vicomte H. du Motey).

(2) Godet, sieur du Parc, él. d'Argentan : de gueules, à 3 coupes couvertes d'argent, alias, d'argent, à trois godets de gueules.


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sieur de Rillé, marié par contrat du 4 décembre 1615 à Marguerite Boutelet, fille de Jean, sieur du Rocher, et de Marie Deschamps, demeurant à Échauffour, dont : 1° Louis de Launay, sieur du Buisson, né à Ferrière, le 28 janvier 1619, marié en 1635 à Barbe Jary; 2° Alexandre de Launay, écuyer, sieur de Rillé, marié par contrat du 11 novembre 1645, à Delle Jacqueline La Gouge et, en secondes noces, à Delle Françoise de Guernon, soeur de Léon de Guernon, curé de Mahéru et prieur de Saint-Antoine des Essards, et de François de Guernon, curé de Lignières-laDoucelle; dont les sieurs du Buisson et de la Tirelière en Mahéru ; 3° Guillaume de Launay, écuyer, sieur de Bellefontaine, marié par contrat du 12 avril 1658, à Delle Catherine de Launay, fille de Louis et de DeI,e Angélique d'Ambry ; b) François de Launay, écuyer, sieur du Buisson, marié par contrat du 15 juin 1630 à DelIe Madeleine de Bonenfant, fille de François, écuyer, sieur des Feugeroux ; c) Marie de Launay, vivante en 1630.

IV. LÉON DE LAUNAY, écuyer, seigneur de la Brière, licencié ès-lois, lieutenant de la châtellenie de Moulins et Bonsmoulins en 1583, épousa par contrat du 21 décembre 1572, D6lle Léonore de Perdriel (1), dont il eut :

1° Louis de Launay, qui suit ;

2° Renée de Launay, mariée à Alexandre Le Cousturier, écuyer, sieur de Beaufai.

V. Louis DE LAUNAY, écuyer, sieur de la Brière, épousa par contrat du 29 décembre 1615, Delle Angélique A'Ambry, fille de feu Pierre, écuyer, et de Delle Madeleine de Bretignières.

Il rendit aveu, le 3 juin 1633, à Haut et Puissant Seigneur Mre Cyrus de Saint-Simon, marquis de Courtomer, du fief de haubert de la Brière, assis en la paroisse de Ferrière.

De son mariage avec Me,le d'Ambry, il eut dix-huit enfant s, baptisés à Ferrière :

1° Georges de Launay, seigneur de la Brière, baptisé en août 1617, marié par contrat reconnu à Argentan, le 4 juillet

(1) Perdriel : d'argent, à trois perdrix d'azur.


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1645, à Delle Renée de Bennes (11. Il mourut sans laisser de postérité.

2° Marie de Launay, baptisée le 14 décembre 1617 ;

3° Jacques de Launay, qui suit ;

4° Madeleine de Launay, baptisée le 21 janvier 1620 ;

5° Nicolas de Launay, né en 1621, baptisé en avril 1622 ;

6° Louis de Launay, baptisé en juin 1622 ;

7° Samson de Launay, baptisé en décembre 1623 ;

8° Marie de Launay, baptisée en septembre 1624 ;

9° Louise de Launay, baptisée en décembre 1625 (2^ ; 10° Nicolas de Launay, baptisé en décembre 1626 ; 11° Barbe de Launay, baptisée le 31 janvier 1628 ; 12° Georges de Launay, baptisé en février 1629 ; 13° Alexandre de Launay, baptisé en avril 1630 : 14° Catherine de Launay, baptisée le 22 août 1631, mariée par contrat passé à la Vieille-Brière, le 12 avril 1658, à Guillaume de Launay, écuyer, sieur de Bellefontaine(3),fils de feu François, écuyer, sieur de Rillé, et de Marguerite Boutelet, de la paroisse de Fai. Quatre enfants sont nés de ce mariage : a) François de Launay, écuyer, sieur de la Cadière, capitaine au régiment de Grandcei en l'an 1690, et. pensionnaire du Roi, marié le 7 septembre 1709, àLouise Michelle d'Aspres, fille d'Alexandre, huissier de la Chambre du Prince de Condé, et de Marguerite Paviot ; dont deux filles : Anne-Marguerite, baptisée le I" août 1715, et Marguerite-Victoire, née le 18 mars 1725, toutes deux reçues à Saint-Cyr, le 27 septembre 1725 et en août 1731 ; 6) Jacques de Launay, écuyer, lieutenant-colonel du régiment de la Chenelaie, ci-devant de Grandcei, chevalier de Saint-Louis ; c) Georges de Launay, chanoine de l'église cathédrale de Verdun en 1709 : d) Marie-Catherine de Launay,mariée à Jean Blanchard,écuyer, sieur de la Feuilletière, lequel fut inhumé dans l'église de Ferrière, le 15 septembre 1698, laissant deux enfants : 1° JeanGeorges Blanchard, baptisé le 22 janvier 1694 ; 2" Louise-Marie

i 1, Benne* : d'argent, an chevron île gueules, accompagné- de Irois tètes de cerf de sable, ramées d'argent (de Magny).

■iv2) 16 février 16C9. Inhumation de Louise de Launay, veuve du sieur de Vauguerin.

(3) Guillaume de Launay, écuyer, sieur de Bellefontaine : de vair. à trois fasces de gueules (Armoriai général. 1696,).


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Blanchard, baptisée à Ferrière, le 10 mai 1696, mariée le 28 juillet 1722, à Thomas-Philippe de Ruppière, écuyer, sieur de Vauferment, seigneur honoraire de Sainte-Gauburge, fils de feu Thomas-Philippe et de Charlotte de Billard. M. de Vauferment vendit, le 18 janvier 1733, la propriété delà Feuilletière à Etienne Gouyer ;

15° Angélique de Launay, baptisée le 23 décembre 1632 ;

16° Louis de Launay, baptisé le 8 juin 1634 ;

17° Anne de Launay, baptisée le 30 octobre 1635 ;

18° Gaspard de Launay, baptisé le 22 janvier 1637, curé de Réveillon, puis de Moussonvilliers.

VI. JACQUES DE LAUNAY, écuyer, sieur de la Guyon, fut baptisé à Ferrière, le 7 février 1619, et inhumé dans la môme paroisse, le 6 janvier 1678. Il avait épousé : 1° le 16 août 1643, DelIe Louise de Fontaines, fille de feu Claude, écuyer, sieur de la Poudrière, conseiller du Roi, lieutenant de longue robe du Prévôt de Normandie au bailliage d'Alençon, et de Marie Riclier. Le contrat, passé sous seings privés, le 12 juillet 1643, au château de la Poudrière, avait été reconnu, le 2 août suivant, devant Jacques Deschamps et Daupeley, tabellions à Courtomer ; 2° Marie de Mailloc, fille de Pierre, écuyer, sieur de la Rimeraye et de Barbe Le Siverai, veuve de François Jambon, seigneur de Saint-Cyr, et de François des Hayes, écuyer, sieur de Bonneval(l).

Jacques de Launay eut cinq enfants de son premier mariage :

1° Georges de Launay, qui suit ;

2° Louise de Launay, baptisée le 15 avril 1648 et mariée à Ferrière, le 22 mai 1670, à Philippe de Ruppière (2), écuyer, sieur du lieu et de Vauferment, seigneur honoraire de SainteGauburge ;

3° Louis de Launay, baptisé le 11 mai 1649, inhumé le 16 janvier 1652 ;

4° Jacqueline-Angélique de Launay, baptisée le 1er septembre 1650, mariée le 18 février 1677, à Robert-Charles Le Boullem■ (3),

(1) Armoriai général, par d'Hozior, 2e Reg., p. 556. — Mailloc : d'argent, à un maillot de sable et un chef d'azur chargé de 3 étoiles d'or (Armoriai général).

(2) Ruppière : d'azur, à 7 besans d'or, 3, 3, 1.

(3) Le Boulleur : d'azur, au chevron d'argent, accompagné de 3 boulets suspendus à 3 chaînes d'or.


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chevalier, seigneur de la Motte, fils de Robert, et de Marie de Bemières, du diocèse de Chartres ;

5° Jacques de Launay, baptisé le 31 juillet 1654 ; 6° Et probablement, Jeanne de Launay, inhumée à Ferrière, le 25 mars 1727, âgée de 78 à 80 ans.

VII. GEOBGES DE LAUNAY DE COHARDON , fut baptisé à Ferrière, le 4 mars 1646, et inhumé le 3 avril 1727. Il était devenu seigneur de la Brière par le testament fait en sa faveur par son oncle, Georges de Launay, propriétaire de cette seigneurie qui s'étendait dans les paroisses de Saint-Vandrille, Tellières et Fai.

Georges de Launay, seigneur de la Brière, cornette dans l'escadron du Ménil-Froger, se distingua dans la campagne d'Allemagne, ainsi qu'on le voit dans un certificat, daté du 8 novembre 1674, au camp de Hveiler, signé du vicomte de Turenne, maréchal général des camps et armées du Roi. D'autres pièces, attestant sa valeur militaire et l'excellence de ses équipages, furent délivrées, le 22 novembre 1674, par Jean Osmont, chevalier, seigneur du MesnilFroger, et, le 28 août 1689, par le Grand Bailli d'Alençon.

Il avait épousé, par contrat du 19 avril 1677, Delle LouiseRenée d'Ambry, fille de Nicolas, écuyer, sieur de la Taillerie, et de Barbe Bachelier. Cinq enfants sont nés de ce mariage :

1° Jacques-René de Launay, qui suit ;

2° Henriette-Françoise de Launay, baptisée le 27 août 1681 et inhumée le 17 décembre 1686 ;

3° Louise de Launay, baptisée le 12 octobre 1683 ;

4° Louise-Angélique de Launay peut-être la même que la précédente, mariée à Ferrière, le 27 février 1702, à Pierre-Michel du Pontavice (1), écuyer, sieur de Roussigny, de la paroisse de la Béhardière, au diocèse de Chartres.

5° Samson de Launay, baptisé le 28 juin 1685, sieur de la Guyon, chevalier de Saint-Louis, sous-brigadier des chevaulégers de la garde du Roi, inhumé dans l'église de Ferrière, le 13 mai 1769;

6° Alexandre-Louis de Launay, baptisé le 10 avril 1690 et. inhumé le 4 juillet 1697.

(1) Pontavice : d'argent, à un pont de trois arches de gueules.


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VIII. JACQUES-RENÉ DE LAUNAY DE COHARDON.. seigneur de la Brière et de Surille, gendarme de Sa Majesté, naquit à Perrière, le 14 mai 1678, et fut inhumé dans l'église de cette paroisse, le 6 avril 1743. Il avait épousé, par contrat passé à Bazoches, le 28 avril 1707, Del,e Marie du Buat (1), fille de Pierre, écuyer, seigneur et patron de Bazoches-sur-Hoëne, et de Marie Duguay. La dame de Cohardon fut inhumée quelques jours après son mari, le 1er mai 1743, laissant au moins trois enfants :

1° Jacques-Georges de Launay, qui suit ;

2° Marie-Madeleine de Launay, mariée à Ferrière, le 29 octobre 1737, à Claude-Jacques-Michel de la Rocque (2), écuyer, seigneur de Raunays el de la Picquetière, fils de Jacques-Robert et de Marie-Chariot le d'Estienne, de la paroisse du Sap ;

3° Geneviève de Launay, mariée à Ferrière, le 28 avril 1755, à Jean-Antoine Descorches (3), veuf de Marie-Madeleine Laisné, chevalier, seigneur de la Grande-Noë et de la Guitonnière, paroisse de Moulicent, fils de feu Jean-Antoine et de MarieÉlisabeth de Trousseauville. Dont postérité.

IX. GEORGES, dit JACQUES-GEORGES DE LAUNAY DE COHARDON, sieur du Pommier, des Landes, chevalier, seigneur de la Brière, Boischevreuil, patron et haut justicier de Bazoches, Saint-Jacques de l'Ermitage, etc., fut baptisé à Bazoches, le 13 février 1708, et mourut à Ferrière, le 19 mars 1781.

Par lettres royales datées à Versailles, le 8 décembre 1734, il avait été nommé capitaine au régiment de Souvré.

Cinq enfants étaient nés de son mariage contracté à SaintFirmin des-Prés, diocèse de Blois, le 11 mai 1745, avec MarieElisabeth de Chabot (4), fille de René, chevalier, seigneur de Monçay-la-Roche et autres lieux, et de Marie-Elisabeth de la Goupillière :

(1) Buat : d'azur, à trois bâtons d'or, fleurdelisés, 2 en sautoir et l'autre en pal (d'Hozier).

(2) De la Roque, sieur de Bois-Hébert : d'azur, à trois rochers d'or (Armoriai général).

(3) Descorches : d'argent, à la bande d'azur, chargée de 3 besants d'or (Recherche de 1666).

(4) Chabot : d'or, à trois chabots de gueules en pal (Arm. Gén.)


1° Marie-Jacqueline-Renée de Launay, baptisée à Ferrière, le 28 avril 1747. el mariée par contrat du 15 avril 1769 à Paul de Jouffrey, seigneur de la Vallée, des Forges, Pireaux, etc., ancien capitaine au régiment de la Marche ; dont seize enfants ;

2° René-Jacques-Georges de Launay, né à Ferrière, le 7 janvier 1750 ;

3° Elisabeth-Catherine-Françoise de Launay. née à Ferrière, le 11 mars 1751, entrée en religion à Chaise-Dieu, le 8 décembre 1767. Elle fit son testament à Verneuil, le 14 janvier 1837 ;

4° Philippine-Elisabeth-Madeleine de Launay, née à Ferrière, le 21 mars 1752, entrée en religion à Chaise-Dieu, le 9 octobre 1769:

5° Charles-Samson-Alexandre de Launay, qui suit ;

VIII. CHARLES - SAMSON - ALEXANDRE DE LAUNAY DE COHARDON, chevalier, seigneur de la Brière, du Pommier, seigneur et patron haut-justicier de Ba/oches et de la ChapelleSaint-Jacques de l'Ermitage, naquit à Ferrière, le 2 mars 1753.

Voici le texte de l'hommage qu'il rendit au Marquisat de Courtomer, le 4 octobre 1786, pour la seigneurie de la Brière :

Devant nous, Jean-René Collet du I-Iamel, avocat en Parlement, Sénéchal du Marquisat de Courtomer, assisté de Me René-Jérôme Levain, procureur en la vicomte d'Essay, pris pour greffier du dit Marquisat, aujourd'hui 7 quatrième jour du mois d'octobre mil sept cent quatre-vingt-six.

S'est présenté haut et puissant Seigneur Messire Charles-Alexandre-Samson de Launay de Cohardon, chevalier, seigneur de la Brière, le Pommier, Saint-Jacques de l'Hermitage, seigneur-patron haut-justicier de Bazoches el autres lieux, demeurant en la ville de Mortagne, paroisse Notre-Dame : lequel nous a déclaré que depuis quelques années il est devenu héritier de haut et puissant Seigneur, Messire Georges de Launay de Cohardon, vivant, chevalier, seigneur des fiefs ci-devant nommés, lequel était fils de Jacques-René de Launay, écuyer, seigneur de Surille et des susdits fiefs, lequel était fils de Georges de Launay, écuyer, etc.

Qu'en cette qualité, il est propriétaire et paisible possesseur du plein-fief de haubert de la Brière, lequel s'étend dans les paroisses de Ferrières, Fay, Tellières et lieux circonvoisins, relevant noblement du Marquisat de Courtomer ; pour raison dudit fief le dit seigneur de la Brière désirerait rendre sa foi hommage, dont il nous plût le recevoir, lui en accorder acte. En conséquence de quoi, il nous a requis de vouloir bien l'accompagner avec notre greffier au château et ma-


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noir seigneurial de Courtomer, où, en effet, le dit seigneur comparant s'est transporté.

Là étant, y a trouvé très haut et très puissant Seigneur Messire Antoine-Léon-Pierre de Saint-Simon, chevalier, marquis de Courtomer; seigneur haut justicier de Gasprée, Montgoubert, Pescoux et les Aulrieaux, seigneur et patron honoraire de Saint-Aignan-de-Ferrières, enseigne des gendarmes de la garde ordinaire du Roi, chevalier de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis. En notre présence et celle de notre greffier, le dit Seigneur de la Brière a très humblement supplié 'edit seigneur marquis de vouloir le recevoir à foi hommage pour raison de son dit fief de la Brière. Ce qu'ayant été souhaité par ledit seigneur marquis, ledit sieur de Launay de Cohardon s'est à l'instant mis en devoir et posture de vassal, sans épée, ceinture, bottes ni éperons, ensuite ayant étendu ses mains en celles dudit seigneur marquis lui a parlé en ces termes : « Je deviens voire homme, à vous porter foi et hommage contre tous, sauf la féauté au Roi ». • Duquel fief de la Brière, le dit seigneur en a cejourd'huy donné au dit seigneur marquis de Courtomer aveu par dénombrement sous la date du vingt-six mars mil sept cent quatre-vingt-cinq, reçu sauf à blâmer le trente, contrôlé à Courtomer, le premier avril, le tout en suivant. De tout ce que dessus ledit seigneur de la Brière nous a demandé acte, ce qui lui a été accordé par nous, Sénéchal susdit assisté comme dessus, lesdits jours et an. Ledit Seigneur a signé avec nous.

Signé : Launay de Cohardon, Collet du Hamel.

Reçu sous toutes mes réserves de blâme ce dit jour et an.

Signé : de Saint-Simon, marquis de Courtomer.

Charles-Samson-Alexandre de Launay de Cohardon épousa, le 4 août 1778, en l'église de Mortagne, Del,e Marie-Elisabeth Labbey (1), née le 30 novembre 1754, fille d'Antoine, chevalier, seigneur du Mesnil, Bazoches et autres lieux, et de Marie-Madeleine du Buat. Pendant la tourmente révolutionnaire, Mme de Launay demanda le divorce contre son mari émigré, à l'effet de sauver sa fortune, qui allait être saisie par la Nation ; mais le 24 thermidor an XIII, ils se présentèrent tous deux devant le notaire à Mortagne, à l'effet de signer un nouveau traité de mariage : « lesquels ont dit que si le mariage qu'ils avaient ci-devant contracté a été dissous civilement, ce n'a été que parce que les circonstances et les temps malheureux qui se sont passés dans le cours de la Révolution le commandaient impérieusement, car ils n'ont cessé de se donner des témoignages de leur amitié,

(1) Labbey : d'argent à un chevron d'azur, accompagné en chef de deux molettes d'éperon de sable, et en pointe d'une rose de gueules.


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de leur union et bonne intelligence, que leur intention a toujours été de vivre ensemble comme deux véritables époux et qu'enfin ils veulent rétablir d'une manière authentique leur mariage, quant aux effets civils, dans les formes que prescrivent les lois ». M. de Cohardon mourut à Mortagne, le 30 juillet 1827, et sa femme, le 12 octobre 1821.

Deux enfants étaient nés de ce mariage :

1° Charles de Launay de Cohardon, inhumé à Ferrière, le 14 janvier 1783, à l'âge de 15 jours ; 2° Alexandre-Paul de Launay de Cohardon, qui suit.

IX. ALEXANDRE-PAUL DE LAUNAY DE COHARDON, né le 24 février 1784, membre du Conseil général de l'Orne, épousa Melle Claire de Vanssay (1), née à Versailles, le 24 brumaire an X, fille d'Achille-Pierre, comte de Vanssay, ancien écuyer de la Reine, chevalier de Saint-Louis, et de Louise-Bonne de Crandpré, demeurant à la Forgeterie, en Mortagne.

Le 24 décembre 1828, M. de Launay de Cohardon acheta de M. Dndouet, de Bivilliers, la terre de Bois-Joly (anciennement Bois-Péant) située en Saint-Hilaire-les-Mortagne, que celui-ci avait acquise le 27 nivôse an XII, moyennant une rente viagère, de Melle Marie-Charlotte Descorches.

Cinq enfants sont nés du mariage de M. de Cohardon avec Melle de Vanssay, laquelle décéda le 18 mai 1835 :

1° et 2° N... et Ar..., morts en bas âge ;

3° Zélie - Charlotte de Launay de Cohardon, mariée le 2 février 1853, à Charles-Anatole, comte de Prêaulx (2), fils de Henri, comte de Préaux, et de Clémence Tyrel de Poix. — M. le comte de Préaux est décédé sans laisser de postérité.

4° Georgette-Marie-Claire de Launay de Cohardon, née vers 1831, décédée le 18 mai 1835 ;

5° Valentine-Louise-Claire de Launay de Cohardon, née le 29 avril 1835, mariée, le 28 septembre 1858, à Edouard Thomas

(1) Vanssay : d'azur, à 3 besants d'argent, chargés chacun d'une moucheture d'hermines.

(2) Préaulx : de gueules, au lion d'argent, armé, lampassé et couronné d'or ; au chef d'argent, chargé d'une fasce vivrée de sable.


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des Chesnes (1), fils de Louis, et d'Adèle de Châteaulhierry, dont :

a) Marie Thomas des Chesnes, née le 10 janvier 1860, mariée le 20 novembre 1878, à Marie-Fernand-Gonzalve-FrançoisGabriel, marquis de Cordoue (2), dont : 1° André, le 10 novembre 1879 ; 2° Hugues, 22 octobre 1880 ; 3° Gonzalve, 21 octobre 1883 ; 4° Guy, 28 décembre 1886; 5° Marguerite, 10 février 1890 ; 6° Solange, 4 avril 1892; 7° Gabrielle, 12 février 1894 ; 8° Fernand, 7 avril 1895.

h) Henri Thomas des Chesnes, né le 3 août 1861, marié le 29 avril 1890 à Marie-Jeanne-Aimée-Edmée Hecquard (3), fille d'Arthur et de Marie du Hays.

c) Jeanne Thomas des Cliesnes, née le 25 juin 1868.

(1) Thomas des Chesnes : d'argent, au chevron de gueules, accompagné de 3 chênes de sinople, 2 et 1, et de 3 étoiles de sable, 1 et 2.

(2) Cordoue : d'azur, à l'ours d'argent supportant de ses pattes de devant un monde d'or, cerclé et croisé de même.

(3) Hecquard : Coupé, au 1" d'argent, à deux aigles de sable ; au 2°, d'argent, à la rose de quatre feuilles de pourpre.


BRANCHE DES SIEURS DE COCHET

IV. FRANÇOIS DE LAUNAY, écuyer, sieur de Cochet, fils de René, sieur de la Brière et de la Gastine, et de De"e Barbe Godet, épousa par contrat du 7 mars 1574, Delle Emérence Patrice ; dont le fils qui suit.

V. CHARLES DE LAUNAY, écuyer, sieur de Cochet, eut de son mariage contracté le 13 octobre 1596, avec Delle Madeleine de Courtin, (1) six enfants baptisés à Ferrière :

1° Charles de Launay, né en 1609, baptisé en janvier 1610 ; 2e Marthe de Launay, baptisée en mars 1610, mariée à François Gaultier, écuyer, sieur de Saint-Lambert ; 3° Alexandre de Launay, qui suit ; 4° Léon de Launay, baptisé en mars 1613 ; 5° Louis de Launay, baptisé en mars 1615 ; 6° Jacques de Launay, baptisé le 3 juillet 1616 ;

VI. ALEXANDRE DE LAUNAY, écuyer, sieur du lieu et de Cochet, né à Ferrière au mois d'avril 1611, fut inhumé dans la même paroisse, le 14 décembre 1678. Il avait épousé, par contrat du 11 février 1638, Dolle Françoise Férault, fille d'Isaac, écuyer, sieur d'Echassey, conseiller du Roi, Receveur du taillon en l'élection d'Alençon, et de Delle Marie de Foucquenon. M6"" Férault avait pour beaux-frères, en 1662, Alexandre Belhomnie, écuyer, sieur de Grandley, Jacques Le Paulmier, écuyer, sieur de la Pavinière, et François Richer, écuyer, sieur de la Bertherie.

Etaient nés de ce mariage :

(1) Courtin : de gueules, à trois roses d'or, tigées et feuillées d'argent 2 et 1.


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1°, 2°, 3° Gabriel, Marie et Jeanne de Launay, baptisés à Saint-Gervais de Sées ;

4° Charles de Launay, baptisé à Ferrière, le 27 mars 1641, sieur de Cochet en 1670 ;

5° Jacqueline de Launay, baptisée à Ferrière, le 18 février 1647;

6° Françoise de Launay, baptisée à Ferrière, le 17 mars 1651 ;

7° Madeleine de Launay, baptisée à Courtomer, le 24 juillet 1653 ;

8° Alexandre de Launay, qui suit ;

9° Charles de Launay, écuyer, sieur d'Echassey, baptisé à Ferrière, le 2 novembre 1656.

10° Louis de Launay, baptisé à Ferrière, le 4 septembre 1658 ;

11° Gabrielle de Launay, baptisée à Ferrière, le 26 août 1660 et inhumée le 1er juillet 1683 (1).

VII. ALEXANDRE DE LAUNAY, sieur de Cochet, fut baptisé à Ferrière, le 12 décembre 1654, et inhumé dans l'église de Courtomer, le 27 septembre 1732. Il avait épousé à Brullemail, le 27 août 1686, Delle Catherine-Jacqueline Le Brun (2), veuve de Samson de Fontaines, écuyer, sieur de Préaux, fille de Robert, écuyer, sieur de Breuilly. Mmo de Launay, fut inhumée dans l'église de Ferrière, le 2 décembre 1729.

Etaient venus de ce mariage :

1° Charles-Alexandre de Launay, seigneur de Launay- Hallier (3), garde du corps et capitaine de cavalerie, né le 6 décembre 1688, et baptisé à Brullemail, le 8 février de l'année suivante, marié aux Genettes, le 10 novembre 1734, à Marie-AnneDescorches, fille de Gilles-Antoine, écuyer, seigneur et patron de SaintMartin des Genettes, et de Marie-Anne Descorches. Mme de Launay, soeur de Charlotte-Antoinette Descorches et de Robert

(1) 1660. Mariage de Del1* Gabrielle de Launay, fille d'Alexandre, écuyer, sieur de Cochet, et de Françoise Férault, avec M" Nicolas de Saint-Aignan de la Grimonnière.

(2) Le Brun de Breuilly : parti d'hermines et d'azur, à un lion de l'un en l'autre, couronné d'or, et tenant dans ses pattes de devant une lance de gueules posée en pal.

(3) Launay-Hallier, quart de fief de haubert, dont le chef était assis en la paroisse de Courtomer. Nom moderne de l'ancien fief de Launay.


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Descorches, écuyer, sieur de Chenille, ingénieur à Carentan, fut inhumée dans l'église de Courtomer, le 10 octobre 1755 à l'âge de 64 ans ;

2° Charlotte-Catherine de Launay, baptisée à Brullemail, le 16 février 1690, mariée à Courtomer, le 15 janvier 1716, à Alain-Jean-Baptiste de Johannes, écuyer sieur de Serville ;

3° Joseph-Pomponne de Launay, qui suit ;

4° Louise-Marie-Anne de Launay, baptisée à Brullemail, le 21 juillet 1693, et inhumée clans l'église de Ferrière, le 30 mai 1732;

5° Catherine de Launay, baptisée à Brullemail, le 28 mars 1695, mariée à Ferrière, le 18 février 1727, à Jacques-Alexandre de Guerpel, (1), écuyer, sieur des Fauveaux, né à Chauffourprès-Exmes, le 5 août 1680, fils de feu Christophe, et de Marie Chagrain, de la paroisse de Croisilles. Catherine de Launay décéda peu de temps après son mariage.

VIII. JOSEPH-POMPONNE DE LAUNAY , écuyer , sieur de Cochet, et propriétaire du moulin d'Orgueil, demeurant au Jardin, en Ferrière, fut baptisé à Brullemail, le 2 août 1691, et inhumé dans l'église de Ferrière, le 7 novembre 1752. Il avait épousé à Saint-Agnan, le 30 septembre 1737, Delle Marie-Anne de Saint-Aignan, sa cousine, fille de feu Nicolas, écuyer, seigneur de Boisrevert, et de feue Anne de Foulongne, demeurant à Ferrière depuis environ cinq ans. Marie - Anne de SaintAignan mourut à Courtomer, le 10 décembre 1779, à l'âge de 72 ans.

Douze enfants, nés de ce mariage, avaient été baptisés à Ferrière :

1° Alexandre-Joseph-Charles de Launay, baptisé le 10 avril 1737. Il devint seigneur de Launay-Hallier, à Courtomer, après le décès de son oncle, Charles-Alexandre, et mourut dans celte paroisse, le 5 juillet 1788. Il avait épousé à Tellières, le 21 octobre 1766, Dclle Jacqueline-Anne de Frotté (2), fille de Jacques, écuyer, sieur de la Rimblière, et de De"° Anne Lepistre, de la

(1) Guerpel : d'or, à la croix ancrée et alésée de gueules, cantonnée de 4 hermines de sable (Rech. de 1666).

(2) Frotté, de la Rimblière : de gueules, au chevron d'or, accompagné de 2 étoiles d'or en chef et d'un besant d'argent en pointe.


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paroisse de Saint-Pierre de Seès, dont 8 enfants tous baptises à Courtomer. Mme de Launay-Hallier fut déclarée suspecte pendant la Révolution et mise en prison ; elle mourut à Sées, à l'âge de 67 ans, le 1er décembre 1811, en son domicile, rue Basse ;

2° Jacques-Alexandre de Launay, baptisé le 8 juillet 1738, et inhumé le 8 mars 1739 ;

3° Louise-Françoise de Launay, baptisée le 27 juin 1739, et inhumée dans l'église de Ferrière, le 17 décembre de la même année ;

4° Pomponne-Marin-René de Launay, né le 3 août 1740 ;

5° Marie-Geneviève-Jacqueline de Launay, baptisée le 11 juillet 1742, mariée à Tellières, le 21 octobre 1766, à CharlesHenri d'Avoust (1), écuyer, sieur des Vaudières, fils de JeanAimé, sieur des Noës, et de feue Louise-Françoise de Villereau de Montmarcei ;

6° Samson-Alexandre-Joseph de Launay, baptisé le 16 septembi'e 1743, et inhumé le 3 octobre de la même année ;

7° Joseph-Pomponne de Launay, sieur du Jardin, chevauléger de la garde ordinaire du Roi, baptisé le 24 avril 1745, et mort à Sées, le 15 octobre 1819, en son domicile, rue Greslée. Il avait épousé DeIle Antoinette-Agathe de Mahieu (2), dont : 1° Marie-Antoinette de Launay, née à Ferrière, le 18 janvier 1775, et nommée par Marc-Antoine* Mahieu-Despréaux, écuyer, brigadier des gardes du corps du Roi, chevalier de Saint-Louis ; 2° Marie-Françoise-Rosalie de Launay, née à Ferrière, le 10 décembre 1776, et nommée par Marie-Anne-Françoise de Mahieu, épouse de Charles-François Got de la Rozière. Elle mourut à Sées, en son domicile, rue Royale (rue des Moreaux), le 5 juin 1832, après avoir épousé dans cette ville, le 5 octobre 1807, Charles - Jacques - Augustin Dufour de la Thuilerie (3), fils d'Anne-Jacques-Louis-Claude, décédé à Silly, le 4 mai 1773, et de Marie-Esther-Félicité de la Rocque, morte à Pont-1'Evêque,

(1) d'Avoust, sieur des Noès : de sable, à trois licornes d'argent (Arm. Gén. 1696.)

(2) Mahieu : de gueules, à trois têtes d'ail d'argent, à l'orle de dix gousses d'ail du même. (Rcch. de 1666).

(3) Dufour de la Tliuilerie : d'argent, au chevron de gueules, accompagné de 3 roses tigées de sinople, 2 et 1.


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le 4 avril 1780 ; 3° Mélanie-Pomponne-Georgette de Launay, née à Ferrière, le 29 mai 1778; 4° Jean-Baptiste-Rolland-Pomponne de Launay, né à Ferrière, le 18 mai 1783, et inhumé le 17 octobre 1785 ;

8° Nicolas-Alexandre de Launay, né en 1745 ;

9° Marie-Jeanne de Launay, née en 1747, inhumée à Ferrière, le 11 janvier 1749 ;

10° Jean-Alexis de Launay, qui suit ;

11° Marie-Jeanne de Launay, née en 1750, mariée à Courtomer, le 25 février 1772, à Jean-Félix-Pomponne des Moutis, écuyer, garde du corps du comte d'Artois, fils de Jean-Robert, seigneur des Moutis, et de Marie-Françoise-Madeleine Mallard de Fay -,

12° Marie-Anne-Charlotte de Launay, baptisée le 1" février 1752, décédée le 1er mars suivant.

IX. JEAN-ALEXIS DE LAUNAY, écuyer, sieur de Cochet, baptisé à Ferrière, le 17 juillet 1749, mort avant 1800, épousa Delle Madeleine-Adélaïde de Châteauthierry (1), dont, entr'autres enfants : Charles-François de Launay, inhumé à Ferrière, le 11 juillet 1785, âgé d'environ 8 ans, et Joseph-Léodemire de Launay, né à Ferrière, le 1er juillet 1786. Deux fils aînés sont morts pendant les guerres de l'Empire.

De la famille de Launay, la terre de Cochet passa plus tard, par acquêt, dans celle des Guyon de Quigny, et l'ancien fief de Launay, à Courlomer, dans celle des Leroy-Dubourg.

(1) Châteauthierry : de gueules, à un épervier d'argent, perché sur une branche d'arbre feuillée de même, mouvante de la pointe sénestre de l'écu (Rech. de 1666).


FAMILLE GUYON DE QUIGNY

D'argent, au cep de vigne pampre et terrassé de sinople, fruité de gueules, soutenu d'un échalas de sable (Rech. de 1666).

I. CHABLES - ALEXANDRE - HILAIRE GUYON DE QUIGNY , écuyer, chevalier de Saint-Louis, lieutenant-colonel du 10e régiment de chasseurs à pied (Gévaudan), naquit à la Cochère, le 29 mai 1742. Il était fils de Charles, écuyer, seigneur de Quigny, et de Marie-Louise Le Roy.

Le 20 novemhre 1793, la maison qu'il possédait au Merlerault fut louée par la Municipalité et le Comité de surveillance révolutionnaire de cette commune. Us y tinrent leurs séances jusqu'au 19 février 1795.

M. de Quigny avait obtenu, le 28 septembre 1792, un certificat de résidence dans la ville de Douai, mais il fut déclaré suspect en 1794, et comme tel écroué à la maison d'arrêt de Rouen, ainsi que le montre le certificat suivant qu'il remit lui-même, le 28 octobre 1794, à la mairie du Merlerault :

Le gardien de la maison d'arrêt du district de Rouen certifie que Charles-Alexandre-Hilaire Guyon, dit Quigny, a été détenu dans ladite maison d'arrêt depuis le 7 floréal an 2 (26 avril 1794) jusqu'au 5 du présent mois (26 octobre 1794), date à laquelle il a été remis en liberté par le Comité révolutionnaire du district de Rouen.

M. de Quigny est mort à Argentan, le 6 février 1814.

Il avait épousé, au Merlerault, le 23 octobre 1775, Delle Charlotte-Barbe-Jacquelinede Launay, née à Tellières, le 6 février 1756, fille de Jacques-Henri, sieur de la Tirelière, et de Delle Marie-Anne du Hays. Mme de Quigny mourut à la Tirelière, en Mahéru, le 2 novembre 1849.

De ce mariage étaient venus :


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1° Charles-François Guy on de Quigny, écuyer, né au Merlerault, le 4 novembre 1777, élevé à l'école militaire de Beaumont, officier de Dragons, chevalier de la Légion d'honneur, mort à la Tirelière, le 17 septembre 1827. Il avait épousé, par contrat du 4 février 1817, Mélanie-Geneviève Moy?iet, née à Sées vers 1786, tille de François, écuyer, sieur de Vaujarry, et de Marie-Françoise d'Estienne d'Anges. De ce mariage étaient venus :- 1° Charles-Louis-François Guyon de Quigny, écuyer, né à la Tirelière, le 26 juin 1818 ; 2° Louis-Charles Guyon de Quigny, écuyer, né aussi à la Tirelière, le 2 août 1819, mort sans alliance à Moulins-la-Marche, le 3 janvier 1858 ;

2° Charles-Guyon de Quigny, écuyer, né au Merleraull, le 2 août 1778, mort le môme jour. Il avait eu pour parrain : Messire Charles de Rohan-Rohan, prince de Souhise, et pour marraine, la princesse de Guémenée ;

3° Charles-Alexandre Guyon de Quigny, qui suit ;

4° Charles-Hyacintlte-Guyon de Quigny, écuyer, né le 23 novembre 1781, officier au corps royal de la gendarmerie, chevalier de la Légion d'honneur, marié par contrat du 10 septembre 1816, à Henrictte-Françoise-Elisabeth Moynet, née vers 1784, morte à Argentan, le 23 février 1844. Dont : 1° et 2° N... et N..'. Guyon de Quigny, deux garçons morts en naissant ; 3° Ernestine-Charlotte-Julienne Guyon de Quigny, née le 28 octobre 1819 à Domfront, paroisse de Saint-Front, mariée en 1838 à Raymond-Louis Féraull, marquis de Falendres (1), né à Falaise le 2 avril 1792, fils de Charles-Alexandre, seigneur de Beaulieu, Falendres, Mahéru, etc., capitaine au régiment de Beauvoisis, chevalier de Saint Louis, etc., et de Marie-Angélique-Hippolyte de Séran ; dont : 1° Henri-Raymond-Marie-Hilaire Férault de Falendres, né le 15 mai 1842, marié à Marie-MaximilienneCharlotte du Hays , dont : Alphonse-Henri-Raymond, né le 6 août 1869 ; 2° Françoise-Caroline-Marie-Louise Férault de Falendres, née le 11 juin 1841, mariée à M. le baron du Cos de la Ilitte.

II. CHARLES-ALEXANDRE GUYON DE QUIGNY, écuyer, né au Merlerault, le 1er février 1780, mort subitement en son château

(1) Férault de Falendrc : d'azur, à un saumon d'argent posé en fasce ; au chef d'or, chargé de 3 roses de gueules, (Arm. Gén).


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de Cochet, en Ferrière-la-Verrerie, le 16 août 1844, avait épousé en premières noces, par contrat du 14 février 1814, Louise-Renée-Anne Le Cousturier de Sainte-James (1), morte sans enfants le 19 octobre 1819 ; et en secondes noces, par contrat passé à Saint-Charles-de-Prely, près Vire, le 19 janvier 1824, Marie-Caroline du Châtel (2), née le 19 janvier 1798, morte le 15 décembre 1846, lille aînée de Charles-François, écuyer, sieur de la Varrinière, ancien officier aux chasseurs de Gévaudan, et d'Amahle-Victoire Noëlle du Rocher.

Sont issus de ce dernier mariage :

1° Charles-Léon Guyon de Quigny, né à Ferrière, le 22 no~ vembre 1827, marié à Mel" de la Porte ;

2° Hippolyle-Charles Guyon de Quigny, né à Ferrière, le 6 novembre 1829, marié à Mell° Ernestine Appert ;

3° Marie-Caroline-Françoise Guyon de Quigny. née à Ferrière, le 23 mars 1831, mariée à M. Amédée de la Houssaie (3).

(1) Le Cousturier, seigneur de la Motte : d'azur, à trois croissants d'argent. (Arm. Gén.)

(2) Châtel : de gueules, à 2 tours donjonnées d'argent (Arm. Gén.).

(3) On trouve la généalogie complète de la maison de Quigny dans l'ouvrage intitulé Sêvigny, publié en 1865 par M. Victor Guyon des Diguères.


FAMILLE DE FONTAINES

D'azur, à la croix ancrée d'argent, chargée en coeur d'un nil de sable.

Plusieurs familles de ce nom ont existé dans la province de Normandie et, parmi elles, trois furent maintenues dans leur noblesse en 1666. La maison de Fontaines qui nous occupe compte parmi les plus anciennes et est originaire de la généralité d'Alençon, où elle a possédé un grand nombre de terres et seigneuries parmi lesquelles nous citerons celles de la Poudrière, de Beauvais, de la Bigotière, de Bois-Maillard, de Saint-Légerde-Goulard, du Moncel, etc. Elle fut maintenue dans sa noblesse d'ancienne extraction par jugement de Raymond de Montfaut, commissaire député par le Roi, en 1463, et par jugement de M. de Marie en 1666.

I. La filiation commence à CONRARD DE FONTAINES, écuyer, sieur de la Poudrière, dont :

II. JEAN DE FONTAINES, écuyer, sieur de la Poudrière, marié par contrat du 3 août 1561, avec Madeleine du Fay (1) fille de Robert, sieur du Hamel, et d'Anne Vatelet, dont :

III. CLAUDE DE FONTAINES, écuyer, sieur de Beauvais et de la Poudrière', marié par contrat passé à Sainte-Scolasse, le 16 juillet 1597, avec DeIle Marie Richer (2), fille de René, écuyer, et de Marguerite Guillet (3).

(1) Du Fay, écuyer : d'argent, à une aigle de gueules, et un chef d'azur chargé de 3 besants d'or. (Arm. Gén.l.

(21 Richer : de gueules, à un chevron d'or, accompagné de 3 roses d'argent (Arm. Gén.l.

(31 Jacqueline de Fontaines de la Poudrière épousa Nicolas du Chesnay, en Tellières, vivant en 1614, dont : Renée du Chesnay, mariée en 1611 à Nicolas de Maurey, seigneur du Plessis, à Nonant.


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Dans un contrat de mariage, en date du 20 octobre 1603, Claude de Fontaines, qui y figure comme témoin, est qualifié de secrétaire du Roi, bailli et garde des sceaux aux obligations du bailliage de Villedieu, et dans une sentence rendue aux assises d'Essai, le 22 septembre 1609, il reçoit le titre de lieutenant de longue robe du Prévôt général de Normandie.

Devenue veuve, Marie Richer épousa Louis Blanchard, écuyer, sieur de Vaux-Roussel. Quatre enfants étaient nés de son mariage avec Claude de Fontaines :

1° René de Fontaines, écuyer, sieur de la Poudrière, conseiller du Roi, lieutenant particulier assesseur civil et criminel de Beaumont-le-Vicomte, marié à DeIle Marguerite Le Godan. Il fut inhumé à Ferrière, le 19 février 1679, laissant deux fils : 1" Jacques de Fontaines, écuyer, sieur de la Poudrière, conseiller du Roi, lieutenant général civil et criminel en la sénéchaussée siège royal de Beaumont-le-Vicomte, lequel mourut sans hoirs ; 2° Samson de Fontaines, écuyer, sieur de Préaux, baptisé à Ferrière, le 16 septembre 1639, et marié à Dolle Catherine-Jacqueline Le Brun (1), dont : a) Catherine-Jacqueline, baptisée à Brullemail, le 21 février 1681 ; b) Françoise-Charlotte, mariée à Jacques Chagrain, écuyer, et héritière de son oncle, Jacques de Fontaines, sieur de la Poudrière (2).

2° Louis de Fontaines, écuyer, -sieur de la Bigottière, qui suit ;

3° Renée de Fontaines, mariée à Samson de Maurey (3), écuyer, seigneur du Plessis, en la paroisse de Nonant ;

4° Samson de Fontaines, prêtre, écuyer, sieur de Beauvais et du Moncel. Il rendit aveu de ces deux terres le 16 juillet 1665, et mourut à la Poudrière, son domicile ordinaire, le 10 mars 1676.

IV. Louis DE FONTAINES, écuyer, sieur de la Bigottière, se maria, par contrat du 17 mars 1636, avec Delle Charlotte Le

' (1) Jacqueline-Catherine Le Brun épousa, en secondes noces, Alexandre de Launay, écuyer, sieur du lieu.

(2) Notariat de Nonant : 25 mai 1716 : Jacques de Fontaines, écuyer, sieur de la Barberie, vend à Charles du Hays, écuyer, sieurdela Plesse, le fief du Plessis en Fay.

(3) Maurey : d'azur, à trois bourdons rangés en pal d'argent (Rech. de 1666).


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ViMn, fille de François, sieur de la Barberie, commissaire ordinaire de l'artillerie de France, et de Jeanne Letellier, dont :

1° Claude de Fontaines, chevalier, seigneur de Livet, baptisé à Tellières, le 10 février 1637, et demeurant à Argentan, en 1730 ;

2° Adrien de Fontaines, qui suit ;

3° Renée de Fontaines, mariée à Brullemail, le 26 novembre 1678, à Jean-Baptiste de Hudebert (1), écuyer, sieur de la Miltière, fils de Charles et de Marguerite de Nollent, de la paroisse d'Avernes-Saint-Gourgon.

V. ADRIEN DE FONTAINES, écuyer, sieur de la Barberie et de Boismayard, élection de Bernay, épousa par contrat du 3 juin 1670 ou 1672, De,Ie Henriette Gaucher, fille de Jacques, sieur de Boisjosse, premier président en l'élection de Verneuil, et de Marie Guiart, dont, entr'autres enfants :

1° Samson de Fontaines, qui suit ;

2° Marie de Fontaines, marraine à Perrière, le 2 juillet 1710 (2).

VI. SAMSON DE FONTAINES, écuyer, seigneur et patron de Coudehart, Saint-Léger, sieur de Boisjosse, baptisé à Boissile-Sec, le 27 avril 1675, épousa par contrat du 30 juillet 1695 De,le Jeanne-François Lizot, fille de Nicolas, conseiller du Roi et premier médecin de Monsieur, duc d'Orléans, et de De,le Françoise de Planci, dont :

1° Renée-Françoise de Fontaines de Boisjosse, née à Boissile-Sec, le 2 janvier 1708, reçue en 1716 au nombre des demoi(1)

demoi(1) : d'argent, à deux palmes de sinople, au chef d'azur, chargé de 2 roses d'argent.

(2) Guillaume de Fontaines, sieur de la Barberie, qui rendit aveu en la seigneurie de Roumallard, le 7 juin 1685, avait épousé D*"° Catherine Laudier, dont il eut six enfants, tous baptisés à Brullemail:1° Jacques-Richard, baptisé en 1685, conseiller du Roi, président, bailli juge royal civil et criminel et lieutenant général de police au bailliage et siège royal de Fresnay, y demeurant en 1731 ; 2° Angélique, baptisée, le 4 septembre 1686, et inhumée le 30 du môme mois ; 3" Louis-Georges, baptisé, le 26 janvier 1688 ; 4° Françoise-Catherine, baptisée, le 24 juin 1689 et inhumé le 22 juillet suivant ; 5° Gilles-François, baptisé, le 31 juillet 1690 ; 6° Henri-Samson, baptisé le 19 septembre 1695.


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selles de la Maison de Saint-Louis, fondée par le Roi, à SaintCyr, dans le parc de Versailles ;

2° Claude-Henri de Fontaines, baptisé à Ferrière, le 4 mars 1714;

3° Samson-Claude de Fontaines, qui suit.

VII. SAMSON-CLAUDE DE FONTAINES, écuyer, sieur de Coudehard, seigneur et patron de Saint-Léger, épousa par contrat du 18 janvier 1746,DeIle Gabrielle-Louise-Augustine Mallard{\), fille de Pierre-Laurent, seigneur de Maimbeville et de SaintLambert, seigneur et patron de Saint-Jacques de la Barre, etc., et de Marie-Thérèse de la Pierre, dont :

VIII. NARCISSE-SAMSON DE FONTAINES, écuyer, seigneur de Saint-Léger, baptisé à Coudehard, le 10 janvier 1751, admis en 1768 dans la seconde compagnie des Mousquetaires du Roi. Il était propriétaire de la terre du Moncel, en Ferrière, qu'il tenait de son oncle Adrien-Nicolas de Fontaines, prêtre, chanoine d'honneur en l'église cathédrale de Sées (2). Il figura à l'assemblée de la Noblesse pour l'élecliondes Députés aux EtatsGénéraux en 1789 (baillage d'Evreux) et mourut au mois de février 1830 en son château du Mesnil, commune de Saint-Martin-d'Ecublei, laissant de son mariage avec Melle du Saussay :

IX. AUGUSTIN-ALEXANDRE-NAHGISSE DE FONTAINES, né en 1789, garde du corps du Roi et chevalier de la Légion d'honneur, marié à Caen, en 1820, avec Dolle Henriette-Louise-Bernardine de Séran d'Andrieu (3). Il mourut le 29 avril 1838 laissant quatre enfants :

1° Charles-Auguste Xavier, qui suit ;

2° Marie, mariée en 1841 au marquis Orceaude Fontette, dont postérité ;

3° Caroline, mariée au vicomte Le Doulcet dé Meré, dont postérité ;

4° Thérèse, mariée à Charles Saillard, Receveur des Finances.

(1) Mallard : d'azur, à la fasce d'or, chargée de 2 losanges de gueules au milieu desquels est un fer de mulet de sable cloué d'argent de six pièces.

(2) Adrien-Nicolas de Fontaines fut présenté au bénéfice cure de SaintHilaire-sur-Bille, en 1753, par Jacques Chagrain. Il donna sa démission en 1765.

(3) Séran d'Andrieu : d'azur, à 3 croissants montants d'or, 2 et 1.


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X. CHARLES-AUGUSTE-XAVIER DE FONTAINES , né le 19 mars 1821, a épousé par contrat du 9 décembre 1847, M* 11' MarieClaire de Jousselin, dont :

1° René, né au mois de novembre 1849 ; 2° Mathilde, née le 24 décembre 1850 ; 3° Gaston, né le 29 septembre 1853.


FAMILLE CHAGRAIN ou CHAGRIN

D'or, à une tourterelle d'azur. L'écu timbré d'un casque de profil, orné de ses lambrequins d'or et d'azur.

Alexandre Chagrain, sieur des Noës, conseiller du Roi, ancien contrôleur général du taillon au Bureau des Finances d'Alençon, ayant perdu les différents papiers de famille qui attestaient sa noblesse d'ancienne extraction, supplia le Roi, en l'an 1657, de suppléer à ce défaut de titres par l'octroi de nouvelles lettrespatentes. Louis XIV accueillit favorablement cette demande « en considération, dit-il, de ses services et de ceux que ses ancêtres ont particulièrement rendus aux Rois, nos prédécesseurs, et notamment pendant la Ligue, et guerres intestines survenues en notre royaume lors du règne et à l'avènement à la couronne du feu Roi, Henri-le-Grand, notre très honoré seigneur et aïeul, auquel temps les pères dudit sieur Desnos souffrirent, pour l'intérêt et le maintien de la couronne dudit seigneur Roi, toutes sortes de cruautés et de disgrâces tant en leurs personnes qu'en leurs biens et héritages, leurs maisons ayant été non-seulement ruinées et détruites entièrement, mais bien davantage le feu sieur Roger Chagrain, son^ bisaieul, en ayant perdu la vie par l'inhumanité cruelle et effroyable des Ligueurs et ennemis de l'Etat qui le firent mourir sous l'effort et l'effet violent d'un pressoir » (1).

I. ALEXANDRE CHAGRAIN, écuyer, sieur des Noës, devenu (1) Lettres-patentes, datées à Paris du mois de novembre 1657.


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officier de Mme la Duchesse d'Orléans, épousa DeI,e Marie Got (1), dont il eût :

1° Jacques Cha.gra.in, qui suit ;

2° Jacqueline Chagrain, mariée à Brullemail, le 10 août 1675, à Guillaume Le Maître, docteur en médecine à Laigle ;

3° Robert Chagrain, mort au service du Roi à Tournai, en 1693, lieutenant au régiment d'Alençon. 11 avait fait la campagne de Maestrich et s'était trouvé aux sièges de Gand, Ispres, Luxembourg, Philisbourg, Mons, Namur, Charleroi, à la bataille de Senef où il fut blessé, et à celles de Saint-Denis, de Fleurus, Steinkerque, etc. ;

4° Marie Chagrain, mariée à Brullemail, le 17 août 1677, à Christophe de Guerpel, écuyer, sieur du lieu, fils de feu Jean, écuyer, sieur du Val, et de feue Catherine de Guerpel, de la paroisse de Chauffour ;

5° Jeanne Chagrain, mariée à Brullemail, le 6 février 1681, à François des Moutis, écuyer, sieur du lieu, fils de Gilles, et de rjciie Anne Le Chevalier, de la paroisse de Montgaroult ;

6° Catherine Chagrain, mariée à Brullemail, le 28 juin 1698, à François de Maurey, écuyer, sieur de Lignières, fils de Charles, et de feue Anne de Colisson.

II. JACQUES CHAGRAIN, écuyer, sieur des Noés et de la Bouverie, en Aunou, capitaine d'artillerie, épousa à Brullemail, le 8 février 1701, DeI,e Françoise-Charlotte de Fontaines, héritière de la terre de la Poudrière. Peu de temps avant son mariage, il avait recueilli la succession de Jacques Chagrain, curé de Brullemail, sieur de Vaupinel, inhumé dans le choeur de l'église, le 15 mai 1699.

Jacques Chagrain, sieur de la Poudrière, fut maintenu dans sa noblesse au mois de mars 1700, ensuite de la révocation de tous les anoblissements qui avaient été consentis de 1630 à 1664, et d'Hozier, garde de l'Armoriai général de France, enregistra, le 3 avril 1700, les armoiries indiquées en tète de ce chapitre. Le sieur de la Poudrière fut inhumé dans l'église de Brullemail.- le 30 septembre 1726, et sa femme le 17 janvier 1748.

(1) Got de la Rosière : d'azur, à une aigle à deux lêies d'or, couronnée de même (Arm. Gén.). Cette dame, après avoir épousé en secondes noces M. Philippe de Vatetot, écuyer, sieur des Noës, fut inhumée à Brullemail, le 29 février 1688.


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Deux enfants étaient nés de ce mariage :

1° Marie-Charlotte-Jacqueline Chagrain, mariée à Brullemail, le 7 juillet 1723, à Jacques-Nicolas Lhermite (1), chevalier, fils de Gilles-Etienne, chevalier, seigneur et patron honoraire de Saint-Denis-sur-Huisne, conseiller du Roi et son avocat aux bailliage et vicomte de Mortagne, et de Marie-Ghaiiotte Philippe. Le contrat de mariage fut passé au château de Brullemail, le 24 juin 1723, en présence de Jean-Emmanuel Ruault, écuyer, seigneur de la Bouverie. conseiller du Roi, lieutenant-général de police des bailliage et ville d'Essai, de René-Charles-François de Guéroult, sieur de Saint-Marc, capitaine de dragons du régiment d'Orléans et chevalier de Saint-Lazare, demeurant à Mortagne, etc. ;

2° Jacques-Guillaume, qui suit.

III. JACQUES-GUILLAUME CHAGRAIN, écuyer, sieur de la Poudrière, des Noes, de la Bouverie, mousquetaire du Roi, seigneur et patron de Saint-Hilaire-sur-Rille, fut baptisé à Brullemail, le 7 janvier 1704.

11 acheta, en l'étude du Merlerault, le 24 mai 1735, de JérômeRichard Louvet, écuyer, sieur des Landes, gentilhomme de S. A. R. Madame, demeurant à Sées (2). « Un membre de fief, qualifié de huitième de fief de haubert appelé le fief de Brullemail, qui s'étend dans la dite paroisse de Brullemail, relevant nuement du Roi, à cause de son domaine et chatellenie d'Essay, auquel fief il y a cour, usage, domaine fieffé, hommes, hommages, justice et juridictions, dignités et prérogatives, circonstances et dépendances, corvées et faisances sur les hommes et vassaux au dit fief appartenant, lequel fief de Brullemail aurait été acquis par feu Robert des Essarts, écuyer, suivant l'édit du Roi donné à Fontainebleau, le 3 mars 1563, à l'aliénation qui se faisait des biens ecclésiastiques, comme dépendant alors le dit

(1) Lhermite : écartelé : aux 1 et 4 d'azur, à 3 gerbes d'or ; aux 2 et 3 d'argent, au rencontre de sable.

dette famille de Saint-Denis descendait de Tristan Lhermite, un des familiers de Louis XI. — La terre de Landres, par M. le Marquis de la Jonquière, (Bull, de la soc. hist. et arch. de l'Orne, Tome XIV p. 20 n).

(2) Jérôme-Richard Louvet, écuyer, sieur des Landes, major au régiment de Souvré, avait épousé D'11* Suzanne d'Antignat, dont : Jérôme-AntoineCharles, nommé à Ferrière, le 5 août 1702, par Nicolas-Antoine Louvet, chanoine de Sées.

8.


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fief du prieuré de Planches, ledit prieuré dépendant de SaintPère-en-Vallée-les-Chartres, suivant l'adjudication qui lui en aurait été faite par devant M. le Bailli d'Alençon ou M. son lieutenant au siège d'Essai, le 3 octobre 1564, et sur lequel fief de Brullemail est située et assise l'église paroissiale dudit lieu de Brullemail et cimetière d'icelle et les maisons proches de ladite église anciennement et de tout temps immémorial dont le patronage est alternatif comme dépendant icelui fief de la dite abbaye de Saint-Père-en-Vallée avec le seigneur marquis de Courtomer, suivant que le tout est plus amplement exprimé tant dans les actes d'adjudication que par l'aveu rendu en la Chambre des Domaines par ledit feu Robert des Essarts, le 19 mai 1581, et par les autres aveux postérieurs et par celui rendu par ledit sieur vendeur en la Chambre des Comptes, le 25 juin 1715 ».

A la suite de cetteacquisition, le sieur delà Poudrière crut, naturellement, être en droit de se qualifier seigneur principal et patron de Brullemail, mais ce double titre lui fut dénié par le marquis de Courtomer. Un procès, qui dura plusieurs années, s'engagea entre les deux seigneurs ; des extraits furent tirés du cartulaire de l'abbaye de Saint-Père-en-Vallée pendant que le marquis de Courtomer sortait les vieux parchemins de son superbe chartrier. Nous n'analyserons pas les pièces de ce procès, qui fournissent les plus petits détails de l'histoire ancienne de Brullemail, nous réservant de le faire dans la notice que nous comptons publier sur le marquisat de Courtomer et ses divers fiefs. Qu'il nous suffise de dire, pour le moment, que le seigneur de Courtomer sortit vainqueur de ce débat rîistorique et juridique, et que lui seul put prendre désormais les titres de seigneur principal et de patron de la paroisse de Brullemail.

Jacques-Guillaume Chagrain, mourut à Saint-Hilaire-surRille, le 15 mars 1779 (1). Il avait épousé DeIle Marie-Françoise de Bennes. Celte dame mourut à l'âge de 32 ans et fut inhumée, le 3 novembre 1747, dans l'église de Brullemail.

Sept enfants étaient nés de ce mariage :

1° Jacques-François-Charles Chagrain, écuyer, sieur de la

(1) La maison de maître de la Poudrière, aujourd'hui occupée par le fermier, a été construite en 1752.


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Poudrière, seigneur et patron de Saint-Hilaire-sur-Rille, officier des mousquetaires du Roi, chevalier de Saint-Louis, né à Brullemail, le 5 septembre 1735, mort à Saint-Hilaire, le 15 octobre 1779 ;

2° Noëlle-Eulalie-Marie-Charlotte Chagrain , baptisée à Brullemail, le 5 août 1736, et inhumée le 31 juillet 1786 dans la même paroisse ;

3° Une autre fille, morte en bas âge, et inhumée à Brullemail, le 6 juillet 1737 ;

4° Jacques-François-René Chagrain, baptisé à Brullemail, le 14 juillet 1738 ;

5° Jacques-Alexandre-Richard Chagrain, seigneur et patron de Saint-Hilaire, après le décès de son frère aîné, officier de la garde du Roi, chevalier de Saint-Louis, fut baptisé à Brullemail, le 6 novembre 1739, et mourut à Saint-Hilaire, le 24 mars 1789. De son mariage avec Delle Charlotte-Antoinette-LouiseNicole de Guéroult{\) étaient venus deux fils nés à Saint-Hilaire : 1° Alexandre-Charles Chagrain, né le 13 août 1784 et nommé le même jour par Eléonore-Charlotte-Marie-Madeleine du Merle, épouse de Jean-Antoine de Guéroult, chevalier de Saint-Louis, demeurant à Saint-Martin-d'Ecublei ; 2° Louis-Constantin Chagrain, né le 15 octobre 1786.

6° Marie-Charlotte-Jacqueline Chagrain, baptisée à Brullemail, le 30 août 1741 ;

7° Charles-Guillaume Chagrain, qui suit.

Cette branche est aujourd'hui représentée par le général de Saint-Hilaire.

IV. CHARLES-GUILLAUME CHAGRAIN, chevalier, sieur de la Poudrière, seigneur de Brullemail, mousquetaire du Roi, chevalier de Saint-Louis, fut baptisé à Brullemail, le 25 mars 1743, et épousa Delle Barbe Labbé, née le 13 octobre 1756, fille d'Antoine, chevalier, seigneur du Mesnil, seigneur et patron de SaintAgnan-sur-Sarthe, ancien colonel du régiment de Saintonge,

(1) Guéroult : d'argent, au chevron de gueules, accompagné de 3 glands tiges et feuilles de sinople, ceux du chef affrontés (Magny).


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chevalier de Saint-Louis, et de Marie-Madeleine du Buat, dont deux enfants :

1° Jacques Chagrain, qui suit ;

2° Eulalie-Justine CTiagram, baptisée à Brullemail,le26 juillet 1785, mariée à Anselme-Auguste de Kaerbout (1) et décédée le 15 juillet 1813.

Madame Charles-Guillaume Chagrain de Brullemail est morte à Sées, le 12 Vendémiaire an VIII.

V. JACQUES CHAGRAIN DE BRULLEMAIL, baptisé à Brullemail, le 4 octobre 1783, député de l'Orne sous Charles X, et maire de Sées, mourut au château d'Aché, commune de Congé, le 31 mai 1839. Il avait épousé,le 10 décembre 1810, à Mortagne, Melle Constance-Françoise de Morel d'Aché, fille de l'eu Louis, et de Marie-Louise-Alexandrine d'Avesgo de Coulonges, dont le lils qui suit.

VI. ALFRED-JOSEPH-ALEXANDRE CHAGRAIN DE BRULLEMAIL, né à Mortagne, le 27 décembre 1819, est décédé à SaintDenis (Loir-et-Cher), le 28 décembre 1881. Il avait épousé, en 1851, Me"e Marie-Louise-Caroline du Temple de Rougemont (2), fille d'Adolphe, comte du Temple de Rougemont, et de Cécilia Arlault d'Affomille.

De ce mariage sont issues :

1° Marie-Louise-Marthe Chagrain de Brullemail, née à Chartres, le 1er avril 1852, mariée à Louis-Élysée, comte de Monspey (3), fils d'Anselme, comte de Monspey, et de Melle Lé a de Beaucorps-Créqui ;

2° Marie-Françoise-Marguerite Chagrain de Brullemail, née le 15 juin 1854, mariée, le 25 juin 1879, à René-Charles Savary de Beauregard (i), fils d'Edmond-Gabriel, et de Léonie de la Roche Saint-André.

(1) Kaerbout : de gueules, à trois fermaux d'argent (Potier de CourcyJ.

(2) Temple de Rougemont : Écartelé, aux 1 et 4, d'azur, au chevron d'or, accompagné de trois étoiles de même, qui est du Temple ; aux 2 et 3, d'hermines plein, qui est de Paris du Boisrouvray (La Science des Armoiries, par de Magny).

(3) Monspey : d'argent, à deux chevrons de sable ; au chef d'azur. — Cimier : un lévrier d'argent. Supports : deux lévriers d'argent, colletés d'azur. Devise : J'en rejoindrai les pièces (Dict. de la Noblesse).

(41 Savary de Beauregard : d'argent, à la tête de More, surmontée d'un lauibel de cinq pendants de gueules (Bachelin-Deflorenne).


FAMILLE LE COUSTELLIER D'argent, à trois hures de sanglier arrachées de sable.

Bourse, quart de fief de haubert relevant du Roi à cause de sa châtellenie de Sainte-Scolasse, appartenait dès le XVe siècle à la famille Le Coustellier (1).

I, PIERRE LE COUTELLIER, écuyer , épousa en- secondes noces Delle Isabeau Le Roulier, dont il eût :

1° Innocent Le Coustellier, qui suit :

2° Guillaume Le Coustellier, sieur d'Ozé, d'abord greffier du Conseil du Duc d'Alençon, puis vice-président en la Chambre des Comptes, marié en premières noces à Guillonne Loret, fille de Pierre, garde des sceaux aux obligations de la châtellenie d'Alençon, et en secondes noces à Catherine Le Gué, dame de Saint-Pater. Il eut de cette dernière : 1° Thomas, sieur du Puy de Baret ; 2° François, sieur d'Ozé et de Saint-Pater, licencié es 'ois, pourvu, à l'occasion de son mariage avec Marie du Moulinet, de la charge de maître des requêtes ordinaire de l'hôtel de Marguerite de France, soeur unique du Roi et duchesse d'Alençon. D'après un inventaire des litres de cette maison, M. et Mell° d'Ozé et de Saint-Pater reçurent plusieurs lettres d'Henri IV qui les invitaient à tenir le prêche des protestants dans leur maison ; 3° Jeanne, mariée à Jean de Frotté, sieur de Couterne ;

3° Jean Le Coustellier, apothicaire à Alençon.

II. INNOCENT LE COUSTELLIER , chevalier , seigneur de Bourse, conseiller ordinaire des Roi et Reine de Navarre, duc

(1) Une branche de cette famille était fixée dans la généralité de Caen au moment de la Recherche de 1666.


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et duchesse d'Alençon (1539), épousa Péronne Patrice. Il mourut vers 1549 laissant trois enfants :

1° Léon Le Coustellier, qui suit ;

2° Jean Le Coustellier, qui mourut sans postérité ;

3° Marguerite Le Coustellier, mariée par contrat du 14 août 1519, à noble homme Galois de Montagu, sieur du lieu et d'Aunai.

III. LÉON LE COUSTELLIER, écuyer, seigneur de Bourse, vicomte d'Alençon, en 1555.

IV. GUILLAUME LE COUSTELLIER , écuyer , seigneur de Bourse, vivant en 1598 et en 1611.

V. SAMSON LE COUSTELLIER, écuyer, seigneur de Bourse, marié à De,Ie Antoinette de Courtin, de laquelle il eut plusieurs enfants, notamment une fille, Louise, baptisée à Ferrière au mois d'avril 1627, lesquels enfants, à la mort de leur père, survenue vers l'an 1633, furent placés sous la tutelle de Mre Marin de Neufville, chevalier, sieur de Clairay.

Vers la même époque, la seigneurie de Bourse passa dans la maison des Johannes, sieurs du Menil-Obton, en Beauce.

Françoise Le Coustellier, épousa Pierre de Surmont (1), dont une fille, Françoise de Surmont, mariée par contrat du 10 novembre 1686, avec Claude de Piffaut, écuyer, sieur de la Houssaye, fils de Nicoles, et de Françoise-Lucrèce Gouhier. Leur fils, Claude de Piffaut, écuyer, seigneur de la Houssaye et des Essarts, épousa par contrat du 22 mars 1726, Madeleine Le Barbier, veuve de Jacques Le Villain, écuyer, sieur de Beaumesnil, dont : François-Claude de Piffaut, né le 25 mai 1727.

(1) Surmout : d'or, au chevron de gueules, accompagné en chef de deux roses de même, et en pointe d'une montagne de sinoplc (Bachelin-Deflorenne).


FAMILLE DE JOHANNES

D'azur, à une tête de bélier d'argent, accompagnée en pointe de 2 besans d'or, et un chef cousu de sable chargé d'une chaîne alaisée d'argent (Armoiries données d'office à J'Armoriai général de 1696).

Cette famille est originaire du comté de Montfort-l'Amaury, au pays de Beauce.

I. PIERRE DE JOHAXXES, chevalier, seigneur de la Bretonnière, épouse Catherine de Sabrevois (1), dont :

II. PIERRE DE JOHAXXES, chevalier, seigneur du MesnilObton, paroisse de . Saint-Projet, et de Bourse en Ferrière-laVerrerie, qui épousa par contrat du 18 novembre 1637 Madeleine de Hazeville (2), fille de Gédéon, chevalier, seigneur de Haze ville, les Essarts et autres lieux, et de feue Jeanne de Boulard. Il mourut vers l'an 1645 laissant un fils unique, qui suit.

III. GÉDÉOX-PIERRE DE JOHAXXES, écuyer, seigneur du Mesnil-Obton et de Bourse, fut maintenu dans sa noblesse par arrêt du Conseil d'Etat du 8 octobre 1668.

Il épousa : 1° Marie Le Bret (3), morte avant le 19 janvier 1672, dont un lils, Julien, chevalier, seigneur de Morainville, baptisé dans l'église de Saint-Paul, à Paris, le 7 décembre 1671 ; 90 rjeiie Rachel-Suzanne de Larsonnier, dont il eut :

1° Pierre de Johannes, qui suit ;

(1) Sabrevois : d'argent, à la fasee de gueules, accompagnée de 6 roses rangées du même. (Rech. de 1666).

(2) Hazeville : d'azur, à la fasce d'argent, chargée de trois quintefeuilles d'azur (id.).

(3) Le Bret : d'azur au chevron d'or (id.).


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2° Henri de Johannes, chevalier, seigneur de Morainville, né le 22 octobre 1676 ;

3° Alain-Jean-Baptiste de Johannes, né le 27 mars 1679, écuyer, sieur de Serville, demeurant à la Queue-de-Louvières, en Mahéru, marié par contrat du 15 janvier 1716, à Delle Charlotte-Catherine de Launay, fille d'Alexandre, sieur de Cochet, et de Catherine-Jacqueline Le Brun, dont plusieurs enfants, notamment : 1° Catherine-Jacqueline de Johannes, née vers 1720, mariée le 22 juin 1745 à Jacques de Laval (1), écuyer, âgé de 35 ans, fils de feu Mre de Laval, écuyer, et de Madeleine de Brasde-Fer, de la paroisse de Merry ; 2° Jeanne-Catherine de Johannes, mariée le 15 janvier 1749 à Guillaume d'Orville (2), fils de Richard, sieur de la Bourdonnière, et de Marie-Françoise des Portes ; 3° Marie-Thérèse de Johannes, mariée le 20 novembre 1755 à Jean-Richard d'Orville, écuyer, seigneur de la Bourdonnière, capitaine au bataillon de milice de Mortagne, fils de feu Richard et de Marie-Françoise des Portes, de la paroisse de Mahéru ;

4° Nicolas-Gédéon de Johannes, né le 16 mai 1682 à SaintProjet, chevalier du Mesnil, lieutenant de cavalerie, marié le 14 janvier 1709 à Louise-Elisabeth de Boisjeuffroy, fille de feu Claude Jeuffroy, seigneur des Pinthières et d'Anne de Sailly ;

5° Suzanne de Johannes, née à Saint-Projet, le 3 mars 1685.

II. PIERBE DE JOHANNES, écuyer, seigneur de Bourse et du Mesnil-Obton en partie, né le 11 octobre 1674, vendit, le 16 octobre 1722, à Haut et Puissant seigneur messire Jacques-Antoine de Saint-Simon, chevalier, marquis de Courtomer, « le fief et seigneurie de Bourse en toutes circonstances et dépendances, dont le chef est assis en la paroisse de Ferrières et s'étend en icelle et aux environs, auquel fief il y a droit de juridictions, pièges et gages-pièges, hommes et vassaux, hommages, droit de provosté, reliefs, treizièmes, aides, féaux et coustumiers et tous autres droits appartenant à fief noble, suivant la coustume, à l'exception de ce qui est retenu par le dit sieur vendeur, sçavoir :

(1) Laval, sieur de Gournay : d'or, à une croix de gueules, chargée de 5 coquilles d'argent, accompagnée de 16 alérions d'azur (Arm. Gén.)

(2) Orville : d'azur, au lion rampant d'argent, armé et lampassé de gueules (Rech. de 1666.)


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le droit de coulombier, la liberté pour luy et celle de ses enfants malles qui lui succéderont en la possession de la terre de Bourse, de chasser leur vie durant sur ledit fief, la séance dans le banc qui leur apartient et sépulture en , la nef de l'église de Ferrières pour luy et sa famille pendant qu'ils feront leur demeure audit lieu de Bourse, plus le droit de bannalité du moulin qui n'est du compris de la présente vente, non plus que le domaine non fieffé de la dite terre de Bourse, ensemble le droit de verte moulte sur les vassaux du dit fief. » Prix : 2,000 livres.

Un autre acte, daté du 26 juin 1740, montre que Pierre de Johannes, écuyer, sieur de Bourse, céda pour 140 livres à la marquise douairière de Courtomer, les droits seigneuriaux qu'il s'était réservés.

Pierre de Johannes avait épousé Catherine-Nicole de Bédée(i), laquelle mourut après lui, le 27 janvier 1776, à l'âge d'environ 92 ans, et fut inhumée le lendemain dans l'église de Ferrière.

De ce mariage étaient issus dix enfants, tous baptisés à Ferrière :

1° Marie-Catherine-Suzanne de Johannes, baptisée le 19 juillet 1707, mariée : 1° à Jean-Baptiste de Carpentin (2), chevalier, seigneur du Parc, de Charencey, des Hayes et autres lieux, capitaine de cavalerie, chevalier de Saint-Louis, dont une fille, Catherine-Henriette, mariée par contrat du 20 novembre 1772 à Charles-Guillaume Gouhier des Champeaux, chevalier, seigneur de Petiteville ; 2° le 11 février 1738, à Charles-Nicolas de SaintAignan, écuyer, sieur de la Lutumière, fils de feu Nicolas, sieur de Boisrevert, et de feue Anne de Foulongne ;

2° Madeleine-Julie-Henriette de Johannes, baptisée le 23 juillet 1708 ;

3° Pierre-Jacques de Johannes, baptisé le 5 juin 1709, inhumé dans l'église le 10 juin de la même année ;

4° Jeanne-Marie de Johannes, baptisée le 2 juillet 1710, mariée le 31 janvier 1747 à Jacques-Auguste de la Haye, écuyer, fils de feu René, et de Jacqueline-Marthe Moinet, de la paroisse de Champeaux ;

(1) Bedée : d'argent, à trois tètes de cerf coupées et semées de gueules, 2 et 1 (de Maude).

(2) Carpentin : d'argent, à 3 fleurs de lis nourries de gueules.


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5° Pierre-Gédéon de Johannes, baptisé le 16 août 1711, inhumé le 3 septembre 1720 ;

6° Marie-Jacqueline de Johannes, baptisée le 6 janvier 1713(1);

7° Jean-Nicolas de Johannes, qui suit ;

8° Henri-Pierre de Johannes, baptisé le 25 avril 1719, sieur de Ricordanne, marié à D8"" Marie-Louise de Fréville (2), dont : 1° Marie-Françoise-Catherine, née le 12 janvier 1748, inhumée le 18 janvier suivant ; 2° François, baptisé le 4 février 1749 ; 3° Pierre-Richard, sieur de Ricordanne ; 4° Nicolas-Jacques, né à Ronxous, le 2 Janvier 1757, lequel devint sieur de Bourse après la mort de son oncle, Jean-Nicolas de Johannes ;

9° Pierre-Joseph de Johannes, baptisé le 29 janvier 1725 ;

10° Françoise-Elisabeth de Johannes, née en 1727, inhumée dans l'église de Ferrière, le 19 août 1732.

III. JEAN-NICOLAS DE JOHANNES, écuyer, sieur de Bourse, baptisé à Ferrière, le 19 janvier 1715, épousa le 6 septembre 1745 Marguerite Gouhier, fille d'Etienne, sieur de la Faucherie, et de Gabrielle Lizot. Il mourut, le 3 juin 1782, ayant eu de son mariage :

1° Jeanne-Catherine de Johannes, baptisée le 1" juin 1746, mariée le 22 juillet 1783 à Pierre Gondouin, du Merlerault ;

2° Marguerite-Henriette-Catherine de Johannes, née le 10 janvier 1749 ;

3° Marie-Madeleine de Johannes, née le 11 janvier 1750 ;

4° Pierre-Jacques-Nicolas de Johannes, né le 20 mars 1753 ;

5° Marie-Jeanne-Marguerite-Louise de Johannes, née le 4 juillet 1755 ;

6° Jean-Nicolas de Johannes, baptisé le 24 mars 1759 ;

7° Jean-Mary-Ignace de Johannes, né le 31 janvier 1762 et inhumé le 25 mars suivant ;

8° Anne-Marguerite de Johannes, née le 21 septembre 1763 et inhumée le 20 août 1767.

(1) 27 janvier 1715. Inhumation d'une petite fille de Pierre de Johannes et de D'"* de Bedée.

(2) Fréville : d'argent, à trois flèches rangées en pal de gueules, surmontées de 3 flèches de même, ou : d'azur, à deux roses d'or en chef et un fer de pique d'argent en pointe (Arin. Gén),


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IV. NICOLAS-JACQUES DE JOHANNES, écuyer, devint propriétaire de la terre de Bourse après le décès de Jean-Nicolas de Johannes. Il mourut à Ferrière, le 16 août 1840. Trois enfants étaient nés de son mariage avec Louise-Angélique Poret :

1° Nicolas-Pierre, dit Pascal de Johannes, né à Ferrière, le 17 vendémiaire an V, marié le 22 novembre 1841, à RenéeRosalie Lavigne, originaire de Champeaux, et décédé à Ferrière, le 5 avril 1875.

2° Nicolas, dit Henri de Johannes, qui suit ;

3° Jacques de Johannes, décédé Je 26 pluviôse an VII.

Tous deux nés à Ferrière, le 19 Pluviôse an VIL

V. NICOLAS, dit HENRI DE JOHANNES, né à Ferrière, le 19 pluviôse an VII, maire de cette commune de 1846 à 1865, épousa le 21 juillet 1840, Joséphine-Félicité Levesque , née à Ferrière, le 3 octobre 1817, fille de Jean-Adrien et de Rosè-FélicitéNotre-Amy.

. Il est mort le 9 mai 1877, laissant une fille, Louise-AngéliquéVitaline de Johannes, née à Ferrière, le 5 décembre 1843, mariée le 20 novembre 1860, à Antoine-Françoise Davigneau, né à Dame-Marie, le 27 mai 1836.


FAMILLE DES ESSARTS De gueules, à trois croissants d'or

Celte ancienne maison tirait son nom de la terre des Essarts, située au bailliage d'Évreux, et avait pour premier auteur, Pierre des Essarts, argentier du Roi en 1320.

Dénis des Essarts, époux de Robine de Ré, rendit aveu, le 17 mai 1457, de plusieurs héritages qu'il tenait sous la seigneurie de Saint-Vandrille.

Le 27 décembre 1510, Antoinette des Essarts, veuve de Robert Louet, écuyer, vendit à Jean de la Vove, seigneur de SaintVandrille, une partie de la terre des Landes, la moitié de la seigneurie d'Échauffour et le fief des Portes.

Des Bénédictins, prieurs des Planches, le fief de Brullemail passa à Robert des Essarts, qui en devint adjudicataire en 1564.

Le 23 mai 1576, Catherine des Essarts, fille de Robert des Essarts, sieur des Landes, du Pommier et de Brullemail, et de Marie Érard, épousa Marin de Trémont, écuyer, sieur de Boistorel, en Beaufai.

En 1569, Claude des Essarts, sieur de la Mussoire, était prieur commendataire du prieuré de N.-D. de la Genevraie. Denis des Essarts, Richard, son fils, et Guillaume, son petit-fils, furent inhumés au xvie siècle dans le cimetière du dit prieuré.

Le 29 mai 1620, Marie de la Vove, veuve de René Langan, fit une fieffé à Félix des Essarts, écuyer, sieur de Brullemail.

En 1666, François des Essarts, de Perrière, et Robert des Essarts, sieur du Pommier, à la Genevraie, firent leurs preuves de noblesse devant M. de Marie, intendant de la généralité d'Alençon.

Le 4 novembre 1654, le même François des Essarts acheta de


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César de Langan, marquis de Boisfévrier « la vavassorie, terre et métairie des Landes, une pièce de terre en cour ouche, terre labourable, deux corps de logis clos à fossés » et autres héritages situés aux environs. A la date du 15 juillet 1689, on trouve un aveu de cette vavassorie rendu par Antoine des Essarls.

Le dit François, écuyer, sieur des Essarts, épousa Geneviève du Val-Poutrel (1), dont il eut quatre enfants, baptisés à Ferrière :

1° Geneviève, baptisée le 23 juin 1661 ;

2° François, baptisé le 2 juillet 1667 ;

3° Françoise, baptisée le 24 octobre 1669 ;

4° Jacqueline, baptisée le 28 février 1672.

François des Essarts, écuyer, seigneur du Pommier, mourut à Ferrière et fut inhumé à la Mussoire, le 18 avril 1746. Il avait épousé Marguerite Choul, de laquelle il n'eut qu'une fille, MarieFrançoise-Catherine des Essarts, mariée par contrat du 4 juin 1711, à Louis-Thomas Gouhier (2), écuyer, seigneur de la Chapelle, de Cerisay et du Chesnay, fils de François et de Marie Poullain. De ce mariage sont venus : 1° François Gouhier, écuyer, seigneur et patron de Saint-Cénery, du Chesnay, etc., mort à Falaise au mois d'octobre 1768. Il avait épousé RenéeFélicité Le Coeffrel, fille de Claude, écuyer, seigneur de Trémont, et de Catherine-Renée du Four, dont une fille : Louise-Françoise-Élisabeth Gouhier du Chesnay, mariée en 1781 à JacquesAlexandre-Reine de Beaurepaire, comte de Louvagny, capitaine de cavalerie, chevalier de Saint-Louis; 2° Joseph - Urbain Gouhier, écuyer, baptisé le 25 mai 1737, capitaine au régiment provincial d'Alençon, nommé aide-major à Berg, le 31 mars 1776, chevalier de Saint-Louis, le 26 décembre 1784 ; 3° Olivier-Louis Gouhier, écuyer, marié par contrat du 6 septembre 1763 avec Jeanne Léger de Dreux. Il mourut à Sées, le 24 septembre 1787, laissant une fille, Louise-Julie, mariée à M. Guyon de Vauloger et morte à Sées, le 27 janvier 1822 ; 4° François-Louis-René Gouhier ; 5° Marie-Françoise-Catherine Gouhier, mariée avec Nicolas-Alexandre de Belhomme, écuyer, seigneur de Grandlay, morte à Sées, le 22 janvier 1782.

(1) Val-Poutrel : de sable, au chevron d'argent, accompagné de trois têtes de brochet du même, 2 et 1 (Rech. 1666).

(2) Gouhier : de gueules, à trois roses d'argent.


ÉGLISE

L'église de Ferrière, qui date de la fin du xve siècle ou des premières années du siècle suivant, présente peu d'intérêt au point de vue archéologique. On n'y remarque guère, comme antiquités, qu'une statue de pierre représentant La Vierge à la Chaise et la statue de saint Roch, beaucoup moins ancienne, celle-là même, selon la tradition, qui fut enlevée aux habitants de Courtomer.

Au siècle dernier, M. l'abbé Coffîn, curé de Ferrière, dota l'église d'une chaire à prêcher (1743), construisit à ses frais la sacristie (1752) et remplaça le plancher de la tour (1760).

On verra plus loin les déprédations qui furent commises dans le Temple sous le règne de la Terreur.

En octobre 1835, M. l'abbé Guérin fit fondre les deux petites cloches actuelles, qui sont du poids de 541 et 743 livres. Quant à la grosse cloche, qui pèse 1,200 livres, elle a été refondue sous le ministère du curé actuel.

M. l'abbé Turpin a restauré son église avec beaucoup de goût : dallage de la nef, vitraux à sujets peints par Le, Dien, deux autels latéraux, style Renaissance, dédiés l'un à la Sainte-Vierge et l'autre à saint Roch.

L'église possède un calice et un baiser-de-paix d'une assez grande valeur. Une inscription gravée sur chacun de ces objets nous apprend qu'ils ont été offerts par Duval (?) : « Ex dono Duval ».

Madame Boucicaut, propriétaire des Magasins du BonMarché à Paris, a également offert à l'église un bon tableau, acheté à Cannes, représentant saint Antoine de Padoue (1).

Le presbytère a été construit en 1863.

(1) Ne sortons pas du cimetière, qui entoure l'église, sans relever sur une tombe, datant de 1872, celte curieuse épitaphe :

« Ne tremble pas, Chauvin, quand je songe à toi mort, Je pense qu'être pauvre, bêlas ! fut ton seul tort. Va donc en paix au ciel, car sa porte aux petits Dieu l'ouvre et leur sourit ; c'est moi qui te le dis.


CURÉS DE PERRIÈRE (Par date de nomination^

I. Robert Saulier. Il rendit aveu, le 14 janvier 1466, à la seigneurie de Saint-Vandrille.

II. 23 juin 1476. Etienne Chéradame, curé de la Bellière, par permutation avec Robert Saulier (aliàs Faulein).

III. 8 mars 1478. Pierre Després, par la résignation d'Etienne Chéradame. Il mourut en 1518.

IV. 17 octobre 1518. Simon Henry, sur la présentation de la prieure de Chaise-Dieu. Il n'est pas certain que ce prêtre ait été mis en possession du bénéfice.

V. 10 octobre 1519. Jean Marguerite, sur la présentation de la prieure de Chaise-Dieu « per cessionem juris », de Simon Henry.

Jean de la Vove, écuyer, seigneur de Saint-Vandrille, ayant renouvelé les anciennes prétentions de sa maison sur le patronage de l'église de Ferrière et présenté Jean Souefve pour succéder à Pierre Després, les religieuses de Chaise-Dieu l'appelèrent devant Innocent Le Coustellier, bailli de Gasprée, et obtinrent gain de cause le 17 décembre 1520.

VI. 24 septembre 1534. Jacques Marguerite, sur la présentation de la prieure de Chaise-Dieu, et par la résignation de Jean Marguerite, son frère. -

VII. 4 janvier 1535. Pascal ou Jacques Le Tessier, par permutation avec Jacques Marguerite. Il mourut en 1546.


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VIII. 8 septembre 1546. Etienne Bruneau, sur la présentation de la prieure de Chaise-Dieu. Démissionnaire en 1561.

IX. 24 mars 1561. Noël Loison, sur la présentation de la prieure de Chaise-Dieu. Décédé en 1575.

X. 15 août 1575. Philippe Bréard, sur la même présentation. Démissionnaire en 1577.

XI. 22 avril 1577. Pascal Legras, sur la même présentation. Démissionnaire en 1578.

XII. 4 janvier 1578. Jean Graindorge, sur la même présentation. Décédé en 1595.

XIII. 18 décembre 1595. Michel Loison, sur la même présentation.

René de Langan, chevalier, seigneur de Boisfévrier, époux de Marie de la Vove, dame de Saint-Vandrille, voulut faire revivre les droits des seigneurs de Saint-Vandrille, nonobstant leur abandon, et fit même donner la collation du bénéfice curial de Perrière, le 12 juin 1596, à Nicolas Herbelin, en remplacement de Jean Graindorge. Un procès s'engagea entre les parties et par arrêt du Parlement de Rouen, en date du 15 octobre 1597, les religieuses lurent maintenues dans leur droit entier de présentation.

Michel Loison donna sa démission en 1617.

XIV. 29 octobre 1617. Denis Loison.

XV. 13 février 1644. Jacques Lenetz, maître es arts en l'Université de Paris, par permutation avec Denis Loison.

XVI. 31 août 1650. Etienne Fauvel, par permutation avec Jacques Lenetz.

XVII. 10 mai 1651. Jacques Lenetz, par nouvelle permutation avec Etienne Fauvel.

XVIII. 19 janvier 1674. Robert Collas, par la résignation de Jacques Lenetz (1). Décédé en 1682.

(1) 23 février 1678. Inhumation de Françpis Gouhier, diacre.


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XIX. 9 avril 1683. Germain de Liste, originaire de Vimoutiers, en remplacement de Robert Collas, décédé, sur la présentation de la prieure de Chaise-Dieu.

Mais le 4 octobre suivant, un prêtre, François Havard, prit possession de la cure de Ferrière en vertu d'un bref papal du 3 juin 1683 et d'une autorisation du bailli d'Alençon du 3 octobre de la même année. Il fut installé par René Pinel, curé du Plantis et doyen de la Marche.

Un procès eut lieu entre les deux curés de Ferrière, et Germain de Lisle fut maintenu dans son bénéfice.

Germain de Lisle fut inhumé dans le choeur de l'église de Ferrière, le 20 avril 1700 (1).

XX. 24 janvier 1701. Clément Mesnel, en remplacement de Germain de Lisle, décédé, sur la présentation du Roi, en raison du litige existant pour le patronage entre la prieure de ChaiseDieu et le marquis de Courlomer. La prieure avait présenté, le 19 avril 1700, l'abbé Claude Forget, tandis que le seigneur de Courtomer demandait, le 13 mai 1700, la collation du bénéfice en faveur de Clément Mesnel.

Clément Mesnel prit possession de la cure de Ferrière, le 31 janvier 1701, ainsi qu'il est prouvé par l'acte suivant que nous reproduisons in extenso :

Devant nous, Pierre du Frou, l'un des nottaires royaux et apostoliques au diocèse et ville de Sées, reçu au bailliage d'Essai et officialité dud. Sées, résidant en lad. ville soubzsigné, le lundy dernier jour de janvier mil sept cent un, avant midy au-devant de la grande et principale porte de l'église de Sainct-Aignan de Ferrières aud. diocèze, s'est présenté Me Clément Mesnel, prestre du diocèse de Lizieux, gradué, nommé et deubment qualifié et en cette quallitté pourveu dud. bénéfice de Ferrières, dont il a cy-devant desjà pris possession par acte de nous dit notaire depuis lequel il auroit mesme obtenu brevet de Sa Majesté, auquel le droit de présenter apartient à cause du litige d'entre les présentateurs de ladite cure, sçavoir : les religieuses de Notre-Dame de Chese-Dieu et le seigneur marquis de Courthomer, ainsy qu'il en est fait mention dans la seconde et nouvelle collation que led. sieur Mesnel en auroit ensuitte prise de Monseigneur l'Illustrissime et Révérendissime évesque de Sées, en vertu de laquelle, en datte du vingt-quatriesme de ce mois, signée du Mesnil, Chasteauthierry et de Mannoury, et plus bas : Michel, et scellée des armes, icelui sieur

(1) 3 mai 1684. Inhumation de Jacques Coudre, prêtre

9.


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Mesnel, à l'assistance de vénérable et discrette personne, René Pinel, prestre, curé du Plantis, doyen de la Marche, dans l'étendue duquel ledit bénéfice de Ferrières est situé, déclaré prendre, comme en effet il a prins et apréhendé en personne, la possession corporelle, réelle et actuelle d'iceluy et tous fruits, revenus, circonstances et dépendances, sans aucune réserve ; et ce par la libre entrée dans la dite église, prenant de l'eau béniste, aspergeant d'icelle les assistants, se prosternant devant le crucifix et principal autel, baisant iceluy, touchant le missel et ornements destinez au service divin, prenant séance dans la place affectée au sieur curé et dans celle où l'on doibt ordinairement faire le prosne, tousohant les fonds baptismaux, sonnant les cloches, faisant monstrée et lecture de la dite collation du vingt-quatriesme de ce mois. En présence de Ch. Rosey, prestre, vicaire desservant le bénéfice, Antoine Descorches, diacre de la paroisse des Genettes> Michel Delnporte, clerc de la paroisse de Saint-André d'Échauffou, Georges de Launay, écuyer, sieur de Cohardon, François Blanchon, etc.

Clément Mesnel mourut à Ferrière et fut inhumé dans le choeur de l'église, le 21 mai 1710.

XXI. 21 juin 1710. Germain Mouley, sur la présentation de la prieure de Chaise-Dieu.

Ce prêtre fut inhumé dans le choeur de l'église de Ferrière, le 8 juillet 1735, par l'abbé Guillemin, curé de Ronxous et doyen de la Marche (1).

XXII. 9 juillet 1735. Jean Goffln, sur la présentation de la prieure de Chaise-Dieu. Il fut nommé doyen de la Marche, le 16 janvier 1740, et résigna ses fonctions en 1779 (2).

XXIII. 13 février 1779. Jacques-Hilaire Locard, originaire de Ferrière, mort dans sa commune natale, le 22 janvier 1812.

(1) 3 mars 1714. Inhumation de Charles Rozey, vicaire de Ferrière.

(2) La nièce de l'abbé Coffln, M" 11" Anne-Marguerite Boissière, fille de feu Charles et de feue Marguerite Coffin, de la paroisse d'Angerville-la-Campagne, et demeurant à Ferrière, épousa le 28 mai 1754, Pierre Renault, sieur de Grandpré, chirurgien, fils de feu Jean et de feue Marie Guérin, des Authieux, dont une fille : Marie-Anne Renaud de Grandpré, religieuse Bénédictine professe au couvent de Chaise-Dieu (1789).

Un beau portrait de l'abbé Coffin, peint par le chevalier Sint, ayant appartenu à Jacques-Louis Renault de Grandpré, écuyer, sieur de la Renaudière, gendarme de la garde du Roi, est aujourd'hui conservé au château de la Lande-de-Lougé, par M. Gustave Le Vavasseur, petit-fils de ce dernier.


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XXIV. 1er avril 1812. Pierre-Jean Langlois, ancien desservant de Sainte-Céronne-les-Mortagne ; démissionnaire le 1er octobre 1823.

XXV. 1er octobre 1823. Jean-Baptiste Guérin, né à Fiers, le 23 février 1789, ancien desservant de Sainte-Croix-sur-Orne, décédé à Ferrière, le 17 février 1860.

XXVI. 18 février 1859. Fortuné-Tranquille Germond, né à Courcerault, le 25 mars 1826, ordonné prêtre le 25 mars 1851 et nommé vicaire à Saint-CIair-de-Halouse, puis enfin vicaire administrateur et curé de Ferrière. L'abbé Germond a été nommé curé du Sap, le 11 mars 1866, chanoine honoraire, le 14 mai 1884,.et est décédé au Sap, le 20 avril 1895.

XXVII. 18 janvier 1866. Pierre-Marie-Jules Turpin, né à' Sées, le 18 juin 1830, ordonné prêtre le 9 juillet 1854, nommé vicaire à la Sauvagère, le 1er septembre 1854 et à Beauchêne, le 1er juillet 1860, curé du Chalange, le 30 juillet 1864, d'où il a été appelé à la cure de Ferrière (en fonctions).

M. l'abbé Turpin a fait réimprimer, en 1872, une ancienne vie de saint Roch qu'il avait trouvée dans les archives de l'église et portant ce titre : La Vie de saint Roch, confesseur, second patron de l'église paroissiale de Saint-Aignan-de-Ferriêre au diocèse de Sées (in-12, 24 pages). -


CHAPELLE DE LA MORANDIÈRE

La chapelle, dédiée à Saint-Jacques, et édifiée près du joli château de la Morandière, fut fondée et dotée le dimanche 8 octobre 1606, par Jacques des Moutis, seigneur de la Morandière. Le siège épiscopal de Sées étant alors vacant, par la mort de Mgr Claude de Morennes, la chapelle fut consacrée par Jean de Vieux-Pont, évêque de Meaux (1602-1623), ancien chanoine et chantre de la cathédrale de Sées. Il y mit des reliques de Saint-Biaise qui furent conservées jusqu'à la Révolution.

Cette chapelle ne paraît pas avoir été décrétée dès l'origine puisque le 1er décembre 1712 l'évêque de Sées permit d'y célébrer la messe mais pour un an seulement, au bout duquel elle resterait interdite.

Le Pouillé du diocèse de Sées, manuscrit conservé aux Archives de l'Evêché, ne donne les noms que de cinq prêtres titulaires de cette chapelle.

I. 5 août 1676. Robert Le Hayer, archidiacre du Corbonnais, sur la présentation du seigneur de la Morandière.

II. 10 juillet 1700. Gervais Tirfort, par la démission de Robert Le Hayer, sur la présentation de Mrc des Moutis, seigneur de la Morandière.

III. Jean Meurger, curé de Gasprée (lrc portion) en 1719, décédé en 1747.

IV. 14 juin 1754. Louis-François Delaville, en remplacement de Jean Meurger, décédé, sur la présentation d'Adrien-Pierre des Moutis.

L'abbé Delaville fut nommé curé de Tellières le 13 avril 1781.


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V. 12 juillet 1789. Rolland-Joseph-François-Jacques des Moutis de Boisgautier, sur la présentation de Louis-JacquesAntoine des Moutis.

Il mourut à Sées, chanoine de la cathédrale, le 26 septembre 1807.

Cette chapelle existe encore et sert de remise. Les croix de consécration sont encore très visibles sur les murailles.

(A suivre). Gh. VÉREL.


UN ÉLÈVE DU COLLÈGE DE SÉES

Aux élèves du Collège de Sées, dont M. l'abbé Barret cite les noms, dans l'excellente Étude qu'il a consacrée à cet établissement (1), joignons ici le comte Joseph de Puisaye.

Il était né à Mortagne, dans l'ancienne province du Perche, le 26 mars 1755. Cadet de famille, ses parents, par un abus alors trop commun, le destinèrent dès l'enfance à l'état ecclésiastique. Il reçut la tonsure à sept ans.

A neuf ans, son père l'envoya au Collège de Laval.

Cependant, l'Évèque de Sées, Mgr Néel-de-Christot, ayant vu M. de Puisaye, lui dit : « Que devient mon petit tonsuré ? Je désirerais l'avoir auprès de moi, pour connaître ses dispositions et suivre la marche de ses études ».

Se rendant au voeu de l'Évèque, le père plaça son fds au Collège de Sées.

Avant sa quatorzième année, Joseph de Puisaye achevait, d'une façon brillante, ses humanités et sa rhétorique.

Entré au Séminaire (2), il étudia, sous la direction de Messieurs de Saint-Sulpice, la philosophie scolastique et la théologie. Mais, tout en rendant le meilleur témoignage à sa conduite et à sa rare intelligence, ses directeurs déclarèrent qu'ils ne lui trouvaient pas de vocation pour le sacerdoce.

Revenu dans sa famille à l'âge de dix-sept ans, il embrassa le parti des armes pour lequel il s'était toujours senti une inclination marquée. Sa grand'mère maternelle, Mme de Corméry, liée d'amitié avec plusieurs maréchaux de France, lui obtint une

(1) La fondation du Collège de Sées el son administration, jusqu'à la Révolution. — Bulletin de la Société historique de l'Orne, t. XIV.

(2) Il s'agit, pensons-nous, du Séminaire de Saint-Sulpice, à Paris.


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sous-lieutenance dans le régiment de cavalerie du comle de La Marche, depuis comte de Conti.

Soldat, il se forma à l'art militaire, sans négliger pendant ce temps de se perfectionner dans l'étude des langues anciennes et modernes.

Rentré à Mortagne, en 1781, il y passa de quatre à cinq ans qu'il appelle le temps le plus heureux de sa vie.

L'année 1788 fut celle de son mariage avec la fille et unique héritière du marquis de Ménille. Il vint alors habiter le riche domaine de sa femme près de Pacy-sur-Eure.

En 1789, la noblesse du Perche le nomma son représentant aux Étals-Généraux. Après le serment du Jeu de Paume, il s'associa aux travaux de l'Assemblée Constituante et vota avec la fraction constitutionnelle.

Au lendemain de la prise de la Bastille et du meurtre des infortunés Berthier et Foulon (14 juillet 1789), il fit partie d'une commission nommée par l'Assemblée Nationale et chargée de reconnaître la situation de Paris.

S'étant rendus au quartier général de l'émeute triomphante, les envoyés de la Constituante trouvèrent des hommes couchés sur des bancs, pris d'ivresse, vaincus par le sommeil et la fatigue. Plus tard, Joseph de Puisaye écrivait dans Ses Mémoires : « En cette nuit du 16 juillet, où je contemplai les vainqueurs de « la Bastille, je n'ai pu me refuser à croire que mille, ou tout au « plus deux mille hommes déterminés et bien conduits, ne « fussent parvenus à s'emparer de Paris, dans cette nuit-là « même, et n'eussent mis, sinon un terme, du moins une « mesure, à la Révolution ».

Le soulèvement fédéraliste en Normandie, la chouannerie bretonne, Quiberon, tout ce à quoi Joseph de Puisaye a mis la main, semble avoir été en germe dans cette pensée qui s'était emparée de son âme : que pour combattre efficacement la Révolution, il ne fallait ni la craindre, ni la fuir, mais la braver et lui résister en face.

J. ROMBAULT.


PIÈGE JUSTIFICATIVE

Acte de Baptême de Joseph - Geneviève de PUISAYE (Extrait des registres de la Mairie de Mortagne (Orne).

Le six de mars 1755, par moy, prêtre desservant soussigné, a été baptisé Joseph-Geneviève, né du dit jour et du légitime mariage d'entre haut et puissant seigneur messire André-Louis-Charles de Puisaye, chevallier, marquis de la Coudrelle, vicomte, haut châtelain de la Ferrière-au-Valgermont, haut justicier de Longpont et de Courtoulain, seigneur de la Ménière, La Forestrie, Lormoye, Baumont, Théval, Surmont, Milan et autres lieux, conseiller du Roy en ses Conseils, Grand Bailli, chef de la Noblesse et de la Justice de la province du Perche, chevallier de l'Ordre royal et militaire de Saint-Louis, ancien capitaine de cavallerie au régiment de Berry ; et de haute et puissante dame, dame Marthe-Françoise Biberon de Cormes. Le parrain messire Jean-Joseph Le Boindre, chevallier, baron de la Buneiche, seigneur de Grohenay, Buffle, Vaux-Guyon et autres lieux, conseiller du Roy en sa cour de Parlement ; représenté par messire André-JacquesFrançois de Puisaye, chevallier, marquis de la Menière, son fondé de procuration cy-après dattée. La marraine, haute et puissante dame Geneviève-Charlotte Lenoir, veuve de haut et puissant seigneur René de Maupou, chevallier, conseiller <lu Roy en ses conseils, président en la première Chambre des Enquêtes du Parlement de Paris, représentée par Marie-Marthe-Andrée de Puisaye, demoiselle, aussi sa fondée de procuration passée devant les conseillers du Roy, notaire au Châtelet de Paris, le quinze de février de la présente année, dûment scellée. Les dits parrain et marraine demeurant dans la ville de Paris, paroisses de Saint-Jacques du Haut-Pas et Saint-Benoist. Laquelle procuration est demeurée attachée aux registres, le père présent, qui ont tous signés avec nous, à l'exception du dit seigneur de la Ménière (1) qui a déclaré ne sçavoir signer, de ce interpellé, à cause de son bas âge. — Signatures : 1° DE PUISAYE DE LA COUDRELLE ; 2° DE PUISAYE DE LA COUDRELLE ; 3° COSNARD, desservant de Notre-Dame de Mortagne.

(1) Le Marquis de la Ménière précité.


UN GOUTTEUX CONTENT DE L'ETRE

LE PERE BALTHAZAR DE BELLEME

CAPUCIN

Trouver un goutteux content de son sort, et, qui mieux est, embouchant la trompette pour chanter les excellences de la goutte, très précieux don de Dieu aux hommes, le fait est assez rare pour mériter que l'on s'y arrête. Que mes confrères de la Société Historique de l'Orne me permettent de leur présenter ce goutteux extraordinaire, dans la personne du Révérend Père Balthazar de Bellême, Capucin (1).

Le nom de la capitale du Perche, ajouté à celui que portait en religion notre héros, pourrait le faire croire originaire de Bellême ou des environs. Il n'en est rien cependant, lé P. Balthazar était né à Beaumont-le-Vicomte, en 1603 ; lui-même nous l'apprend dans le manuscrit qu'il nous a laissé et dont nous parlerons tout à l'heure. Bien que né à Beaumont, notre Capucin pouvait appartenir à une famille de Bellême et nous le croyons facilement à cause de son nom en religion et des quelques notes concernant ce pays que nous trouvons dans sa chronique. La disparition des registres de baptême de Beaumont-le-Vicomte pour cette date empêche toute recherche et il est à croire que nous ne connaîtrons jamais la famille du P. Balthazar. Le seul détail qu'il nous ait conservé est la mention d'un frère plus jeune que lui,

(1) La Revue Normande et Percheronne a déjà publié quelques pages sur le P. Balthazar de Bellême (Tome II, p. 173 et suiv.) sans répéter ce qu'elle a dit d'une façon fort intéressante, nous désirons le compléter par les notés que nous publions ici.


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qui entra chez les Chartreux du Val-Dieu en 1627, à l'âge de vingt-et-un ans, y vécut sous le nom de Fr. Michel et y mourut le 30 juin 1657.

La même année que son cadet, notre inconnu entrait au Couvent des Capucins du Mans et recevait l'habit monastique des mains du P. Michel d'Angers, Gardien et Maître des novices, « dont Dieu en soit béni et remercié à jamais. » C'était le 9 janvier 1627.

La vie du P. Balthazar reste pour nous assez obscure, elle s'écoula tranquille dans les murs de son cloître car il résulte des listes qu'il a dressées qu'il n'était pas du nombre des prédicateurs. Nous savons seulement qu'il employait ses loisirs à des travaux manuels dans lesquels il était assez habile. Ainsi en 1628 au mois de mai, il aidait le P. Epiphane d'Orléans à faire l'oratoire, à Saint-Julien du Mans (1) ; il faisait de môme en 1636. En 1648 il faisait présenter au P. Général de l'Ordre « une carte des deux Provinces (religieuses) de Touraine et de Bretagne. »

Le manuscrit du P. Balthazar, auquel il est temps d'arriver, nous a conservé quelques-uns de ses travaux en ce genre. Il est orné,dit le Catalogue Général des Manuscrits des Bibliothèques publiques de France (2), de « grandes peintures représentant un Capucin en oraison, l'Agneau Pascal, le Soleil de Justice, la Croix, etc. » Sans être d'une parfaite exécution ces enluminures ne manquent cependant point d'un certain cachet original, et leur sens mystique est expliqué par les sentences qui les accompagnent.

Recueil un peu confus, ce manuscrit renferme surtout des documents intéressants pour l'histoire des Provinces monasti(1)

monasti(1) suppose qu'il s'agit ici des décorations de l'autel pour l'exposition du Saint-Sacrement, ou les Quarante-Heures, dont les Capucins furent en France, comme partout, les zélés propagateurs,

(2) Tome XXIV, Manuscrits de la Bibliothèque de Rennes. 275 (167). La description de ce manuscrit occupe une page et demie que je crois inutile de reproduire ici. Outre l'article déjà cité de la Revue Normande et Percheronne, consulter la brochure du P. Emmanuel de Lanmodez, capucin, Le Manuscrit 776 de la Bibliothèque publique de la ville de Rennes, Paris 1895. Mon confrère y décrit plusieurs peintures de ce recueil et reproduit quelques poésies et la liste des mille premiers capucins donnée par le P. Balthazar. — Voilà dix ans, le regretté abbé Esnault du Mans, profitait de ce manuscrit pour une monographie de l'ancien Couvent des Capucins du Mans, publiée par la Semaine du Fidèle. (Novembre 1885 à février 1886).


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gués des Capucins de Touraine et de Bretagne avec quelques notes d'histoire locale, le tout entremêlé de poésies dans le goût d« l'époque, dont quelques-unes ne sont point sans grâce, par exemple la prière dédicatoire A Marie, Mère de Dieu et.des Frères Mineurs, dont voici trois strophes :

O beau soleil, très clair et lumineux, Mère de Dieu, qui ravis tous les cieux, Ecoute-nous ; dans ce val ténébreux Délivre-nous du monde malheureux. O Marie.

Tout ici-bas n'est que poussière et vent Où nous vivons en continuel tourment, Conduisez-nous, Marie, au firmament, Avec Jésus, vostre Fils très clément. O Marie.

Conservez-bien, Vierge, Mère d'honneur, De l'ennemy ce mien petit labeur, Et excitez tout juste Supérieur D'en estre aussi le zélé Protecteur O Marie.

C'est pareillement l'Ange Gardien et Tutêlaire de laProvince Séraphique de Bretagne, que le P. Balthasar prie de proléger son manuscrit :

Aye sans cesse ici ton oeil dardé, Pour conserver ce labeur non fardé.

Sa prière a été exaucée et son manuscrit, dédié aux Supérieurs de la Province de Bretagne élus au Chapitre de 1662, fut, après sa mort, déposé aux Archives Provinciales au Couvent de Rennes, d'où il est entré à la Bibliothèque de la ville.

Mais, me dira-t-on, et le goutteux extraordinaire. Le . voici : Dans sa chronique l'auteur rapporte que le Chapitre de la Province de Bretagne fut célébré en 1657, le 11 janvier, « lorsque le F. Balthazar de Bellesme estoit malade à mort des gouttes, l'hiver estant fort violent. » Ce fut pour s'encourager à supporter patiemment son mal que le P. Balthazar composa ses « Confor-


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tatifs très doux pour les gouttes les plus picquantes, où l'on voit les excellences de la goutte, très précieux don de Dieu aux hommes, pour les épurer comme l'or fin dans ce sacré creuset et les rendre dignes d'orner et embellir le palais céleste et divin pendant l'éternité bien heureuse. » Purement mystique, le remède de notre Capucin n'est point à la portée de tous les goutteux, car écrit-il, « pour bien comprendre le bonheur des gouttes et autres maux ou afflictions de celte vie, il faut savoir que ce monde est un énigme donné de Dieu aux hommes pour expliquer. » Il propose ensuite des explications également mystiques et termine par un poème de deux cent quatre-vingt-seize vers, sur les excellences de la goutte et dont voici des fragments :

Aux goutteux patients et dévots, humble salut. Poésie toute nouvelle d'un goutteux.

J'épuiserois plus tôt l'Océan de ses eaux, Je compterois plus tôt les étoiles brillantes, Le sable de la mer, les plumes des oiseaux, Que les riches trésors des gouttes mordicantes.

Jésus-Christ est le Prince et le Roi des Goutteux, Lorsqu'aux pieds et es mains pour nous tous il endure Des douleurs et des maux si violents et fascheux Qu'il ne s'en est point vu de pareille nature.

Le vrai chemin du ciel est vraiment épineux, On n'y peut pas entrer en flattant la nature ; Mais qui la flatte moins que les maux douloureux D'un goutteux affligé sans aucune mesure ?

L'homme bien sain des pieds aime la promenade, Où souvent il se perd par des crimes mortels ; Mais le goutteux couché sur son lict bien malade Élève son esprit es plaisirs éternels.

Ceux qui courent plus fort, n'attrapent pas le lièvre, Un bon chien au relais au passage le prend.


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Ainsi les grands coureurs n'attrapent que la fièvre Et le goutteux au lict ravit le firmament.

Si les hommes savaient le bonheur d'un goutteux, Ils donneroient tout l'or de la riche Amérique, Pour ici posséder ce titre précieux, Qui selon Dieu vaut mieux que tous les biens d'Afrique.

Que vert est le poreau sur lequel la gelée N'a point fait son effort ; ainsi le jouvenceau Qui n'est point mortifié de la goutte nouée Est rude en son discours et fade comme l'eau.

Mon Dieu, disait un Saint, que n'avais-je la goutte Quand mes pieds m'ont porté dans ces lieux scandaleux, Où j'ai noirci mon coeur, ne faisant aucun doute D'acquérir un enfer pour un plaisir vicieux.

Toutes les consolations du P. Balthazar ne sont pas aussi mystiques. Il compare son mal à d'autres et le préfère par exemple à celui d'

un pauvre homme attaché à sa femme Insolente et hautaine et sans aucun respect.

Si elle est injurieuse, elle est un feu sauvage Plus brûlant que la goutte et pire qu'un aspic.

Jamais Tobie et Job n'eurent si grands tourments Dans leurs afflictions que de leurs propres femmes. Un goutteux qui n'en a, n'a que des passe-temps ; Mais celui qui en a est toujours dans les flammes.

Qu'une mauvaise femme est fâcheuse à un homme ! Goutteux tu n'en sais rien, si tu n'est point marié. Tes gouttes sont des fleurs aux doux fruits de l'automne Comparées aux tourments de cet homme engarié.


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Si vous souffrez de la goutte et que vous en croyiez le P. Balthazar, inutile de recourir à la Faculté car

Les médecins n'ont pu après l'avoir promis La ravir aux goutteux pour le bien qu'elle apporte.

Les yeux des médecins, à la fièvre et la goutte Ne voient goutte du tout ; faut recourir à Dieu L'unique médecin qui la dissipe toute. Si ce n'est ici-bas, c'est au céleste lieu.

Notre Capucin cependant propose un remède ienitifetconfortatif à la goutte plus picquante. Le voici :

Le remède assuré à la goutte picquante C'est de semer souvent dans son petit jardin De la patience longue, et de façùn fréquente En prendre à bon escient, tant au soir qu'au matin.

Mais un meilleur remède est de jetter les yeux Sur Jésus crucifié et d'une âme attentive Goutter ce qu'il endure en ce tourment fâcheux. C'est ce qui adoucit la goutte la plus vive.

Goutteux mangez bien peu, buvez encore moins, Soyez bien continents, fréquentez la prière, Invoquez bien souvent Jésus et tous les Saints, Et en peu vous serez affranchi de misère.

Le P. Balthazar était aussi chroniqueur :J?La Revue Arormande et Percheronne, a reproduit un certain nombre de notes de son manuscrit, mais elle en a omis deux qui font voir que l'auteur était au courant de ce qui se passait à Bellême et concernait ce pays dont il avait pris le nom. A l'année 1657 il écrit : « Le lundi 26 novembre est mort subitement M. le Vicomte de Bellesme. » Cette note est assez peu importante il est vrai, mais la suivante est très intéressante pour l'histoire de l'émigration percheronne au Canada, la voici telle que je l'ai relevée sur une copie du manuscrit du P. Balthazar : « Le mercredi 31 mai 1651, M" du Plessis-Kerboudot, avec sa femme, ses enfans, ses deux belles-soeurs et environ 60 soldats entre lesquels estoient Jean et François Les Peuvrots, Srs de Mergoutier et Menneu de


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Bellesme, partirent d'Auray pour le Canada où alla aussi M. de Loson, conseiller d'État, avec son fils le Chevalier, M. de Longueil, page du Roi et le Sr Fournier, parisien. » Ne faudrait-il point lire Peuvrets au lieu de Peuvrots ? Alors ces émigrants percherons pourraient bien appartenir à la famille de « Isaye Peuvret, avocat et procureur du Roy aux Eaux et Forests de ■ Bellesme, » qui figure dans l'Armoriai Général, du Cabinet des Titres, comme portant de Gueule à une bande d'or, accompagnée de deux lions passants de même. C'est une supposition que j'abandonne à ceux de mes confrères que la question intéresse et je reviens au P. Balthazar de Beilème. La fin de sa vie est également mystérieuse et l'on ne sait pas quand il mourut. Il est probable que ce fut au couvent du Mans après l'année 1667, à laquelle il écrivait encore dans son manuscrit.

Nous lui devons le souvenir des mille premiers capucins de la Province de Bretagne ; il ne s'est trouvé personne pour consigner sur ce précieux régi sire la mort de son compilateur. Consolonsnous de cette injustice en pensant avec lui que les « gros oignons » dont étaient chargés ses pieds et ses mains sont maintenant au ciel changés « en diamants et rubis! »

P. EDOUARD, d'Alençon. Archiviste de l'Ordre des Capucins.


L'AGE DE PIERRE

DANS LES ENVIRONS DE SEÈS

L'âge de pierre dans l'histoire de l'humanité est cette période de temps, pendant laquelle certaines peuplades, ignorant l'usage commun du fer et des autres métaux, se sont servi de pierres pour confectionner leurs armes et leurs outils. Elle précède dans nos pays l'ère nouvelle de 400 à 600 ans.

Alors une population déjà nombreuse, vivant d'une vie plus ou moins nomade, habita nos contrées et y a laissé de nombreuses traces de son séjour. Les monuments druidiques que nous possédons, en sont la preuve.

Tous ces monuments, en raison de la masse énorme de leurs pierres de constructions, ont toujours été l'objet de curieuses observations et de croyances superstitieuses.

Il n'en est pas de môme des armes que cette même époque nous a laissées. Sans doute ces pierres étranges ont été jadis considérées comme ayant une origine céleste et les Cémunies ont été souvent recueillies sous les noms de pierres de tonnerre, de pierres de foudre. Puis les légendes du Moyen-Age ayant cessé de s'en occuper, elles ont été oubliées pendant longtemps. De Jussieu chez nous fut, en 1723, un des premiers à en soupçonner la vraie origine (1) et depuis elles ont toujours été ramassées avec soin. Aussi chaque musée en possède-t-il aujourd'hui des spécimens dans les rayons de ses curiosités.

(1) ANTOINE DE JUSSIEU : De l'origine et des usages de la pierre de Foudre : mémoires de l'Académie des Sciences, 1723, p. 7.


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Les savants ont particulièrement étudié les haches de pierre, et notant des différences essentielles dans leur forme et leur taille, ils ont divisé en plusieurs époques l'archéologie préhistorique.

L'âge archéolithique, c'est-à-dire, de la pierre taillée, non polie.

L'âge néolithique c'est-à-dire, de la pierre polie.

L'âge de bronze.

L'âge de fer.

Ensuite, tenant compte des terrains où on a découvert des silex travaillés en contact avec des crânes humains, on a assigné une période de durée à chacun de ces âges.

Enfin, en étudiant les quelques crânes que le hasard a fait trouver auprèsdes silex, on a été amené àjuger d'après ces crânes de la grandeur physique et des capacités intellectuelles des hommes qui ont vécu à chacun des âges imaginés ci-dessus.

Dans le centre du département de l'Orne, à Sées et en ses environs, nous avons souvent eu l'occasion de découvrir des silex travaillés. Aucune preuve géologique ne nous a permis de les assigner à un âge de l'humanité hien éloigné. Ils sont tous au niveau du sol dans l'humus ameubli que la charrue du cultivateur remue chaque année, et le sous-sol est le terrain Callovien qui appartient à l'étage inférieur de YOolythe ou Crétacé inférieur.

Ces outils sont :

2 Haches de silex taillé en forme d'amandes, comparables aux types de Saint-Acheul,

Ces haches semblent avoir été dégrossies pour supporter ensuite un polissage qu'elles n'ont point reçu.

2 Haches en silex, -poli simplement vers un bout et larges à peine de 4 centimètres.

12 Haches polies en silex.

15 Haches ovoïdes ou plates en grès noir, en diorite de dimensions souvent considérables, les unes terminées en forme de masses, les autres coupantes comme des coins et plus renflées au milieu

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18 fragments de haches polies.

2 masses en grès poli, percées d'un trou pour passer un manche, telles qu'en possède une, à Athis, M. Pelletier, maître d'usine.

Des couteaux semblables aux types de Solutré.

Des pointes de flèche.

Des perçoirs.

Des disques.

Des pointes de pieu.

Des grattoirs qui ont supporté de nombreuses retouches et dont l'arrête médiane, du côté opposé au bulbe de percussion, a été adoucie par une série de petits traits délicats.

Un marteau à plusieurs pans.

Des polissoirs en grès.

Et de nombreuses pierres de fronde en silex faites parfois avec des fragments de haches polies.

Enfin, au milieu de tous ces objets, des fragments de poteries noires ou rouges, parfois semées de pailleltes de mica comme les poleries Gauloises.

Ces fragments de poteries ont permis d'assigner àtous ces silex une époque qui nous est connue et dont les dolmens et les menhirs sont les monuments.

Mais comment ces silex furent-ils abandonnés là où nous les trouvons en si grand nombre ?

Dans toute la plaine de Sées on en découvre généralement, et de beaux spécimens ont été rencontrés dans les champs voisins de la ville.

A Fontaine-Riant.

Au Buot.

A Saint-Sauveur.

A Belfonds.

A Trémont.

Au camp de Blanche-Lande sur Monlmerrey.

Mais au nord de la ville de Sées, dans la section cadastrée sous la lettre V, aux champs dits Les Ernées, ces pierres curieuses existent en beaucoup plus grand nombre, et c'est là que nous avons faitnos plus intéressantes découvertes, associant à nos recherches, pour en confirmer l'exactitude, M. Letellier, conservateur du musée à'Alençon et M. l'abbé Barret, membre de


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la Société historique de l'Orne, appréciateurs expérimentés en cette matière.

A environ 3 kilomètres de Sées les silex taillés ou polis se découvrent dans un espace assez restreint. Et toutes nos observations touchant leur position nous feraient supposer qu'ils y ont été abandonnés à la suite d'un combat. Cette assertion peut toutefois rencontrer de sérieuses contradictions et M. Letellier pense, peut-être justement contre nous, que le point où se trouvent ces silex, a été un lieu d'habitation. Nous ajoutons môme à l'appui de son opinion que le terrain où ils se rencontrent présente l'aspect d'une terre jadis calcinée par des foyers, et que plusieurs silex ont été éclatés par le feu. Mais voici sur quels fondements nous établissons notre supposition.

1° Nous avons constaté qu'en une ligne de terrain allant de l'Est à l'Ouest on rencontre de nombreuses pointes de flèche. Déjà, avant nous, M. l'abbé Beudin, de Fiers, en avait recueilli des centaines et ce sont ses premières trouvailles qui ont déterminé nos recherches ;

2° En arrière de cette ligne, mais dans une légère inclinaison vers l'Ouest, le sol renferme des pierres de fronde silex ronds, non polis, souvent revêtus de patine, fragments arrondis de haches brisées ;

3° Plus au nord entin et à 50 mètres environ de la ligne occupée par les pointes de flèches se trouvent les haches et les grattoirs. C'est l'endroit où l'on se battit corps à corps sur un espace de terrain de 50 mètres environ.

Et ce qui nous confirme dans notre idée, c'est :

1° Que les haches sont presque toutes cassées sans cause intentionnelles de retouches et de perfectionnements ;

2° Qu'elles appartiennent à deux types fort distincts, les unes sont en silex, presque toujours polies ; et c'est le type que nous trouvons communément dans le reste de la plaine de Sées, les autres sont en grès noir, polies et semblables à celles qui se rencontrent dans la commune de Macé au nord de la ligne que nous avons observée.

Ces deux types correspondent naturellement par leur nature et leur forme, à deux peuplades d'armes différentes suivant les terrains où elles s'en étaient approvisionnées et qui ne sont point les terrains du pays ;


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3° Les fragments de poterie sont la conséquence nécessaire d'un choc dans lequel la peuplade vaincue perdit son matériel et les autres outils en silex qui n'ont pas leur raison d'être sur un lieu de combat.

Voilà nos observations. Encore peuvent-elles facilement se concilier avec l'opinion contraire en supposant que la peuplade qui habitait le terrain en question, a été attaquée par une tribu voisine.

Nous nous sommes laissé dire par les gens du pays, que ces champs où nous avons fait nos trouvailles, se nommaient jadis Les Champs du Dolmen. Mais de Dolmen nous n'en avons trouvé nulle trace, malheureusement, car la constatation d'un monument mégalithique en ce môme endroit aurait donné à nos découvertes un intérêt beaucoup plus grand.

Emettons en terminant le voeu suivant : puisse la ville de Sées, qui, souvent déjà, a été le centre d'observations intéressantes et de découvertes curieuses, fonder un musée où se trouveront réunis tous ces objets anciens. Ils aideront les savants dans leurs recherches et instruiront les visiteurs.

GATRY


MME G. DESPIERRES

La mort de Mme G. Despierres a ajouté une perle nouvelle a celles que le département de l'Orne a faites depuis un an. Louis Blanchetière et Léon de La Sicotière, du moins, après une longue et glorieuse carrière, avaient franchi insensiblement le seuil de la vieillesse, et le cercle de leurs travaux sans être complet, car aucune vie d'homme, quelque pleine qu'elle soit, ne réalise entièrement le programme entrevu dans la jeunesse, avait pu embrasser un espace assez vaste pour satisfaire entièrement sur certains points, le besoin de connaître qui fait le tourment et charme de la vie intellectuelle.

Mme G. Despierres et le Dr Arthur Legallois ont été enlevés en pleine maturité, au moment où ils allaient pouvoir jouir librement de cette pleine possession de soi-même à laquelle l'homme le mieux doué ne parvient souvent que par une série d'efforts et de tâtonnements.

Le développement du sentiment artistique et du goût de l'érudition chez une femme est un fait psychologique qui, lorsqu'il se produit dans des conditions particulières, comme chez Mme Despierres, vaut la peine d'être remarqué.

BONNAIRE (Éléonore-Aglaé-Marie), dame DESPIERRES, était née à Alençon, le 16 janvier 1843. M. Despierres (LucienVincent-Gérasime), qu'elle épousa le 31 juillet 1867, était né dans la même ville le 4 janvier 1830. M. Despierres, qui avait très longtemps habité Paris et qui avait eu pour camarade Poulet-Malassis, l'imprimeur érudit, possédait des connaissances scientifiques et artistiques aussi solides qu'étendues qui font défaut à la plupart des collectionneurs et des amateurs d'objets d'art. Il avait formé en grande partie, avec l'aide de Mme G. Des-


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pierres, de remarquables collections de tableaux, portraits, gravures, faïences de Rouen, de Saint-Denis-sur-Sarthon, de Delft, de Nevers, de Strasbourg, porcelaines de Sèvres et de Vincennes, biscuits, bustes, médaillons, ivoires, bronzes, antiquités mexicaines, armes, dentelles, guipures, point d'Alençon et d'Argentan, objets d'art de 1oute espèce, meubles anciens et tapisseries, manuscrits et livres précieux.

Dans un pareil milieu, Je goût artistique qui existe chez toute femme, au moins à l'état virtuel, se développa rapidement chez Mme Despieires. La naissance de deux enfants jumeaux, LucienFrédéric et Albert-Léon, le 19 avril 1868, loin d'èlre un embarras pour le ménage, y apporta la gaieté et l'espérance. Mrae G. Despierres A'oulut se faire le répétiteur de ses enfants, et en les suivant dans l'étude des premiers éléments des langues anciennes, elle s'y initia elle-même.

La part qu'elle prit aux travaux de son mari est considérable. M. Despierres trouva en elle une collaboratrice assidue, un auxiliaire infatigable. S'agissait-il de conquérir, quelquefois au poids de l'or, une pièce inédite ou manquant à la collection déjà formée? M. et Mme Despierres n'épargnaient ni démarches ni voyages pour y parvenir. Alençon et les environs étaient riches alors en produits de nos anciennes industries artistiques. On sait quels trésors renfermaient les cabinets du docteur Léger, de M. Hupier, conseiller de préfecture de l'Orne, de M. le Dr Libert, de M. L. de La Sicotière, de M. Lebouc, inspecteur des enfants assistés de l'Orne, de M. Auguste Dupont, de M. Mousseron de la Chaussée, de M. Deville, trésorier receveur général, etc.

Les collections de M. et de Mme Despierres ne le cédèrent bientôt à aucune de celles que nous venons de citer, surtout au point de vue de la céramique. Mais ce qui dislingue du simple collectionneur le véritable savant, c'est que celui-ci après avoir classé méthodiquement chaque pièce ne se contente pas de la jouissance que lui procure la vue des produits artistiques étalés sous ses yeux. Il analyse ses sensations, il les co-ordonne, il cherche à obtenir des vues d'ensemble et à remonter aux causes. Dans ce but, M. et Mrae Despierres se firent paléographes, déchiffreurs de parchemins, l'un prêtant ses yeux, sa patience, sa ténacité, l'autre son expérience et sa connaissance des termes et des formules. Mmc Despierres eut le courage de passer ainsi


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des journées entières aux Archives départementales, aux Archives municipales et surtout dans le minutier du tabellionage d'Alençon, dont les plus anciens registres remontent au temps de Charles VII et sont conservés dans un grenier, sous la tuile, exposés à la pluie, etc.

Les notes innombrables, recueillies par M. et M°" Despierres dans ce dépouillement gigantesque devant lequel un élève de l'École des Chartes eût pu reculer, fournirent la matière des publications que nous allons faire connaître et qui ne donnent qu'une faible idée du travail que M. et Mmc Despierres ont exécuté sur l'histoire d'Alençon.

Le premier en ligne de date est l'Histoire du Point d'Alençon, depuis son origine jusqu'à, nos jours, par Moee G. Despierres. Ouvrage orné de huit planches hors texte et de sept vignettes, (Paris, Renouard, H. Laurent, successeur; Alençon, chez l'auteur, 25, rue du Collège, et chez Loyer-Fontaine, libraire, 5, rue du Bercail; imprimerie commerciale A. Herpin, 1886, in-8°. VIII-276 p).

Cet important ouvrage avait été précédé par une plaquetle intitulée : Origine du Point d'Alençon, par Mme G. Despierres. (Alençon, A. Lepage, rue du Collège, 8, 1882, in-8°, 32 p.)

Quoique les publications ne portent que le nom de Mme G. Despierres, il est bien avéré que M. Despierres y eut la plus grande part. Ceci dit non point pour diminuer le mérite de Mme Despierres, mais pour indiquer au contraire la part que deux intelligences diversement formées, toutes deux dirigées vers l'idée du beau, ont eue dans une étude sur une industrie féminine par excellence, et environnée jusqu'alors de mystères et d'obscurités.

Pourquoi ne pas le rappeler ? Une émulation, qui tourna au profit de l'objet commun de nos études, s'éleva alors entre moi et M. et Mme Despierres. En même temps que ceux-ci préparaient leur grand ouvrage, l'archiviste de l'Orne, de son côté, ayant découvert dans les papiers du bailliage d'Alençon récemment versés aux Archives départementales, par ordre de M. Dufaure, ministre de la justice une série de pièces qui font connaître dans quelles conditions s'opéra la transformation de cette industrie, réunissait les éléments d'un mémoire qui, communiqué le 17 mars 1882 à la Société historique de l'Orne et lu


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en séance publique, a parti dans le Bulletin de cette Société sous ce titre : Documents pour servir à l'histoire du Point d'Alençon.

M. Gustave Le Vavasseur, intervenant à propos dans le débat, émit alors les conclusions suivantes :

« Mmc Despierres et M. Duval ont creusé leur sujet; mais comme il s'agit ici d'une matière neuve, ils ne l'ont point épuisé du premier coup. Il reste bien des petits faits à ajouter à ce chapitre d'histoire nationale au sujet duquel Mme Despierres et M. Duval ont fait de véritables Irouvailles. Mais il n'est si habile moissonneur qui ne laisse quelques glanes après lui. »

M. G. Le Vavasseur rappelle ensuite que, dans YAlmanach de l'Orne pour 1855, il a lui-même publié deux documents qui établissent l'antiquité de la fabrication de la dentelle dans la Basse-Normandie et dans le duché d'Alençon en particulier. Le premier est une délibération de l'Hôtel-Dieu d'Alençon, du 24 avril 1655, d'où il résulte que Françoise Lemarquand, native de Lisieux, s'était depuis quatre ans et plus « donnée à la Maison-Dieu de Sées pour gouverner et instruire les filles de la dite maison et leur apprendre à faire des dentelles et ouvrages et qu'on la fit venir à Alençon pour apprendre également aux filles les ouvrages de dentelles. Le second est un extrait des chroniques d'Argentan qui établit que, depuis 1640 environ, l'Hôtel-Dieu de cette ville fabriquait, avec bénéfice, des dentelles dont les maîtres et maîtresses étaient venus de Caen ».

Le compte-rendu de M. Le Vavasseur se terminait par ces mots encourageants :

« L'histoire des diverses espèces de dentelles avant Mme delà Perrière et la manufacture est tout entière à faire. Que Mme Despierres et M. Duval l'entreprennent ou qu'ils poursuivent l'histoire commencée dont ils nous promettent la suite, nous sommes de revue ; nous applaudissons à leurs efforts et, au besoin, nous joindrons, comme nous venons de le faire, nos observations et nos humbles découvertes à leurs véritables trouvailles (I). »

M. Le Vavasseur a tenu parole et après l'apparition de l'Histoire du Point d'Alençon, il donna sur ce sujet, au Cercle catholique d'Ouvriers d'Alençon, une brillante conférence dans

(1) Bulletin de la Société historique de l'Orne, t. I, p. 331-343.


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laquelle il rendit de nouveau pleine justice au mérite de M"" 5 Despierres, tout en encourageant les chercheurs à poursuivre jusque dans leurs détails encore obscurs, l'histoire de cette industrie.

En 1888, Mme Despierres lit paraître dans le Bulletin de la Société scientifique Flammarion un mémoire intitulé : Les Orgues de Notre-Dame d'Alençon (Argentan, imprimerie du Journal de l'Orne, 1888, 15 p., grand in-4°). M"" Despierres fit au Comité des Sociétés des Beaux-Art s plusieurs autres communications relatives à Notre-Dame d'Alençon : Documents concernant l'église Notre-Dame d'Alençon, Paris, E. Pion, 1890, 11'p., in-8° ; -* Portail et vitraux de l'église Notre-Dame d'Alençon, nomenclature des peintres-vitriers aux xve et xvi° siècles à Alençon, ibid., 1891, 24 p., in-8°.

Mme Despierres, sûr la proposition du Comité des Sociétés des Beaux-Arts, fut alors nommée officier d'Académie et correspondant du Ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts.

La mort d'un de leurs enfants qui donnait les plus belles espérances, Lucien-Frédéric Despierres, étudiant en médecine à la Faculté de Caen, décédé à Alençon, le 31 mars 1887, dans sa dix-neuvième année, fut pour M. et Mme Despierres une épreuve cruelle. M. Despierrès chercha dans le travail une diversion et fit paraître son Histoire de la Faïence de Saint-Denis-surSarthon, vingt planches coloriées a la main. — Paris, H. Laurent ; Alençon, imprimerie A. Herpin, VI-58 p., 20 planches.

M. Despierres est mort à Alençon, le 19 juin 1891, dans sa soixante-douzième année, après avoir reçu les secours de la religion. Un article nécrologique lui fut consacré dans Y Avenir de l'Orne, par l'auteur de la présente notice.

La première communication faite par Mme Despierres au Comité des Sociétés des Beaux-Arts date de 1890 et fait connaître les préliminaires d'un travail confié à des imagiers d'Alençon, Jean Julliotte et Guillaume Gruel, en 1531, consistant dans l'exécution d'une statue de pierre. Mme Despierres fit en même temps connaître les noms des sculpteurs, Jacques et Guillaume Pissot, qui, à la même époque, travaillèrent aux stalles de clôture du choeur de Notre-Dame.

En 1892, un nouveau mémoire de Mme Despierres nous permit d'apprécier le talent de Jean Lemoyne, maître de l'oeuvre de


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l'église Notre-Dame, et de Pierre Fourmentin qui, le 10 février 1530, se chargea d'exécuter bonne et suffisante vitre historiée de l'Assomption.

Mme Despierres communiqua au Comité, en 1892, deux mémoires : l'un intitulé Le Théâtre et les Comédiens à Alençon au xvie siècle ; l'autre Menuisiers, imagiers ou sculpteurs des xvi" et xvne siècles à Alençon.

Il résulte de la découverte de marchés faits en 1520 pour la construction d'un théâtre à Alençon que la représentation des Mystères eut une grande importance dans cette ville au moins jusqu'en 1544.

Mme Despierres put décrire, au moyen de "ces documents, l'architecture de cet édifice, notamment des scènes ou parloirs dont les dispositions vont à rencontre des hypothèses de plusieurs érudits. Après les peintres et imagiers qui durent prendre part à la décoration de ce théâtre, Mme Despierres fit connaître les acteurs, notamment Richard Auvray, prêtre de la paroisse Notre-Dame d'Alençon et plusieurs bourgeois ou échevins de la ville qui acceptèrent un rôle dans les pièces en préparation, parmi lesquelles Mme Despierres cite le Commencement du monde.

Mme Despierres, dans son second mémoire, avait groupé les notices biographiques de cent huit sculpteurs ou menuisiers imagiers d'Alençon, entre 1444 et 1698.

Le 5 avril 1893, Mme Despierres présenta au même Comité un mémoire intitulé : Le Château de Carrouges (Orne), sa. chapelle, ses sculptures au xvne siècle (Paris, E. Pion, 1893, in-8°, 30 p).

L'année suivante, le 25 mars, Mme Despierres nous ramena à Carrouges en nous faisant connaître la commande d'un tableau représentant une Descente de Croix par la fabrique de SainteMarguerite-de-Carrouges, en 1681 (1).

Dans l'intervalle, en 1893, Mme Despierres avait communiqué au Comité des Travaux historiques un mémoire intitulé : Établissement d'imprimeries à Alençon, de 4529 à i575, publié dans le Bulletin du Comité. Il en a été fait un tirage à part, avec vingt planches hors lexte (Paris, Ernest Leroux, 1894, in-8°, 30 p., plus 20 pi).

(1) Commande, au xvu* siècle, d'un tableau représentant une descente de croix.■— Paris, E. Pton, 1894, in-8°, 11 p.


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En 1895 enfin, Mme Despierres lut un mémoire sur l'origine normande des Gabriel, architectes, que MM. de Montaiglon et de Grandmaison avaient précédemment revendiqués pour la Touraine. Nous savions, en effet, que l'achèvement de l'église SaintGermain d'Argentan est dû aux Gabriel. M™" Despierres nous a rappelé de plus, qu'à Paris, le Pont-Royal est l'ouvrage de Jacques Gabriel, quatrième du nom. Ce mémoire, le dernier qu'ait produit Mme Despierres, vient d'être imprimé dans le compte rendu des lectures faites dans les séances du Comité des Sociétés des Beaux-Arts des départements (1).

Une mort prématurée, survenue presque subitement, le 9 novembre dernier, a interrompu la série des excellents travaux que Mme Despierres avait fait paraître ou qu'elle préparait encore. L'histoire de l'art et de l'industrie artistique en province, à laquelle elle s'était attachée, est une des branches les plus intéressantes des études qui peuvent être exécutées en province. C'est ce que le marquis de Chennevières a démontré depuis longtemps, et l'ancien directeur des Beaux-Arts ne peut que s'applaudir en voyant ses conseils si bien fructifier dans son pi'opre pays. Nous espérons que l'oeuvre entreprise par Mme Despierres sera continuée par quelqu'un de nos compatriotes.

Parmi les notices qui ont été consacrées à Mme Despierres, nous citerons celles de M. Henry Jouin, dans l'OEuvre d'art (20 novembre 1895) et celle de M. Florentin Loriot, parue dans le numéro de décembre de la Revue normande et jjercheronne illustrée.

Il est rare de voir des femmes se livrer à des recherches aussi ardues que celles dont on vient de donner l'analyse. Mais il suffit de parcourir le livre des Dames illustres, dédié en 1665 à Mademoiselle d'Alençon, par Jacquette Guillaume, pour se convaincre que les femmes ont pu souvent rivaliser avec les hommes même dans des travaux qui semblent être au-dessus de la faiblesse de leur sexe. La Marguerite des Marguerite, duchesse d'Alençon, en fut elle-même un exemple des plus remarquables.

Parmi les femmes de lettres, M. de La Sicotière nous a fait connaître Marthe Cosnard, de Sées, qui, en 1649, fit paraître et

(1) Les Gabriel. Recherches sur les origines provinciales de ces architectes. — Paris, E. Pion, 1895, in-8°, 54 p.


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dédia à la reine-régente sa tragédie des Chastes Martyrs, honorée d'une ëpître en vers de Pierre Corneille. Hortense de Villedieu des Jardins, née à Alençon, en 1632, a joui, de son temps, d'une grande réputation. Sa tragédie de Manlius Torquatus qui eut du succès fut suivie du Carrousel du Dauphin, non moins bien accueilli du public. Elle publia un grand nombre de romans, dont un intitulé Mademoiselle d'Alençon et des poésies. Elle faisait partie de la célèbre académie des Ricovrati. Elle mourut à Chinchemore, près d'Alençon, en 1683, et tout récemment encore M.«Le Vavasseur lui consacrait une notice insérée dans notre Bulletin.

Dans l'Histoire littéraire des femmes françaises, on trouve citée, avec éloges, M"e Esnaut, de Carrouges, en Normandie, auteur de quelques poésies contenant des compliments adressés à M. de la Louptière, que n'a pas connue M. le Comte de Contades. Mais parmi les femmes remarquables par leur érudition, LouiseMarie de Lanfernal du Bois de la Pierre, née au château de Courleilles-le-Gùérin, dame du Teil, le Chemoteux, etc., en la commune de la Chaise-Dieu-du-Tbeil, à deux lieues de Laigle, le 4 décembre 1663, mérite surtout d'être citée. Elle avait épousé François de l'Omosne, seigneur du Bois de la Pierre, à une lieue de Laigle, tué en 1709, à la bataille de Malplaquet. Partageant son temps entre la prière et l'élude, elle avait cultivé la poésie dès sa plus tendre jeunesse ; elle écrivait en prose avec une facilité, une élégance et une précision digne des meilleurs écrivains. On la consultait sur toutes sortes d'ouvrages et elle donnait toujours des avis pleins de justesse. Elle a composé une Histoire du monastère de la Chaise-Dieu, VHistoire de l'ancienne maison de Laigle. Elle avait de plus rassemblé plusieurs mémoires pour servir à l'histoire de Normandie. Elle était en relation avec Fontenelle, avec l'abbé Tallemant, de l'Académie française, avec dom Monlfaucon, à qui elle a communiqué bien des choses pour les Monuments de la monarchie française, et avec P. Simplicien, pour l'Histoire généalogique de la maison royale de France. Mme du Bois-de-la-Pierre mourut aii château de Courteilles, le 14 septembre 1730, après avoir donné l'exemple de la piété la plus solide et de toutes les vertus chrétiennes.

Renée-Françoise Doynel, comtesse de la Chaux, présente plus d'un trait de ressemblance avec Louise-Marie de Lanfernat. Les


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manuscrits conservés au chartrier de Rânes (Orne) sont au nombre d'environ cinquante. Quinze d'entre eux sont relatifs à l'histoire nobiliaire et féodale de la Normandie et du Maine. Ils sont du plus grand prix pour tous ceux qui s'intéressent au passé de ces deux provinces, au rapport de M. de Contades, qui a eu l'avantage de pouvoir en prendre connaissance. Le chanoine Le Paige y a eu souvent recours pour son Dictionnaire topographique, historique, généalogique et bibliographique de la province et du diocèse du Mans (Au Mans, Toutain, 1777,2 vol. in-8°).

Louis DUVAL.


BIBLIOGRAPHIE

Note sur les conifères et les arbres exotiques cultivés à Bagnoles-del'Orne ; par M. l'abbé A. L. LETACQ, aumônier des Petites-Soeurs des Pauvres d'Alençon. — Brochure in-8° de 24 p. 1896. Extrait du Bulletin de la Société d'Horticulture de l'Orne.

Celte brochure est la quatrième que publie M. l'abbé Letacq sur la flore des environs de Bagnoles. J'allais dire qu'il complète ainsi la série de ses études sur cette matière ; mais il faut se souvenir que la science ne livre jamais son dernier mot ; avec un observateur donc de la force de notre savant confrère, nous pouvons espérer de goûter plus d'une fois encore ses intéressantes communications. Celle qu'il nous présente aujourd'hui ne s'adresse pas uniquement aux savants de profession ; mais elle est de nature à plaire à tout le monde, notamment aux horticulteurs, aux propriétaires de parcs et de jardins, aux amateurs de la belle nature. Qui ne s'intéresserait à ces merveilles de la végétation, à ces arbres gigantesques et magnifiques la plupart originaires d'Amérique, dont les tiges s'élancent à 250 ou 300 pieds, et dont les troncs mesurent plus de 30 pieds de diamètre ? Ils n'atteignent pas encore ces dimensions chez nous ; mais qui nous dit qu'ils n'en approcheront pas un jour à venir, tant ils sont bien acclimatés dans le parc de la Madeleine, dont M. Letacq nous fait gracieusement les honneurs ? Il faut noter en effet que leur introduction dans notre pays ne remonte qu'à un nombre d'années assez restreint. Et s'ils réussissent si bien dans notre petit coin français et normand, pourquoi ne réussiraientils pas de même sur une foule d'autres points ? Avis donc aux amateurs et aux horticulteurs désireux d'enrichir leurs parcs de ces superbes espèces ; merci au propriétaire riche et intelli-


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gent, M. Goupil, qui a frayé une voie assez difficile sans doute à ouvrir, mais ensuite, une fois ouverte, beaucoup plus facile à poursuivre.

M. l'abbé Lelacq me permettra-t-il de lui signaler en terminant quelques négligences de style, qui, à mon avis, déparent un peu son étude ? Qu'il ait tenu à rester sur le terrain strictement scientifique, rien de mieux et je l'en félicite même, loin de lui en faire un reproche. Pour être entièrement satisfait, j'aurais voulu toutefois que sa note joignit davantage au mérite du fond les qualités moins essentielles, mais fort appréciables encore d'une forme irréprochable. Il est du reste bien d'autres auteurs à qui je n'aurais pas même songé à adresser cette légère critique; mais je sais qu'avec M. Letacq, on ne risque rien de se montrer exigeant.

H. BEAUDOUIN


COMPTES DE L'ANNEE 1895

RECETTES

En caisse au 31 décembre 1894 799fr.44

179 cotisations à 12 fr 2.148 »

Legs de M. de La Sicotière. 300 »

Intérêts de fonds à la Banque 44 65

Vente de volumes et de bulletins 87 »

Vente d'un exemplaire de Bélard............. 4 »

TOTAL DES RECETTES... 3.383fr.09

DÉPENSES

Impression et expédition de 4 bulletins 1.716 fr. 03

Impression de 8 feuilles de l'abbé Bélard, titres et

couvertures ; .. 472 »

Affranchissement de 123 exemplaires de cet ouvrage 61 50

Abonnement à diverses publications 30 50

Frais de recouvrement des cotisations ■ 69 08

Dépenses concernant la bibliothèque 39 70

Dépenses du secrétariat 27 80

Dépenses concernant la réunion à Fiers. 56 20

Location et entretien de la salle des séances 140 »

TOTAL DES DÉPENSES 2.612fr. 81

En caisse au 31 décembre 1895 770 fr. 28


PROCES-VERBAUX

Séance du 20 Mars 1896

PRÉSIDENCE DE M. EUGÈNE LECOINTRE

Appel et demande de concours fait par la Société archéologique d'Eure-et-Loir, en vue d'une Exposition des Arts rétrospectifs qui doit avoir lieu à Chartres, du 31 juin au 20 mai prochain.

Convocation et demande d'adhésion et de concours pour les Assises quinquennales de Caumont, qui doivent se tenir à Rouen, du 15 au 18 juin 1896.

Lettre de M. VIMONT, annonçant et. recommandant une nouvelle renie : Les Sciences populaires, dont il est le directeur. L'échange de cette Revue avec la nôtre est décidé par la Société.

Admission de M. l'abbé BLANDEL, curé d'Heugon.

Don par M. l'abbé BARRET, de la photographie d'une vieille chapelle avec grange (actuellement détruite) à côté, dépendant d'une ancienne maison de Templiers. Ces constructions, situées à Aunpu-sur-Orne, section de Fresneaux, doivent dater de la fin du xne siècle, ainsi qu'on en peut juger par le style et les motifs de l'architecture, mélange curieux du roman et du gothique, marquant bien la transition entre les deux époques.

Une discussion intéressante s'engage alors, au cours de laquelle M. BARRET est amené à raconter une vieille légende ayant trait à la grange et très répandue dans le pays.

11.


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Sur la demande de la Société, M. l'abbé BARBET veut bien s'engager à fixer dans une courte notice les principaux points de ia communication.

M. DE BEAUCHÊNE offre à la Société un exemplaire de l'Essai historique sur le château de Lassay, publié en 1876 par son père. Il profite de cette occasion pour inviter ses confrères de l'Orne à venir lui faire une visite à Lassay, à l'exemple de la Commission historique de la Mayenne, qui y a fait une excursion il y a quelques années. Les Membres présents remercient M. DE BEAUCHÊNE de son aimable invitation et espèrent qu'un ou deux d'entre eux y pourront répondre. La Société devrait donner un compte-rendu de l'Essai historique ; mais elle estime qu'il est préférable d'attendre quelques mois, afin que ce compterendu puisse être fait par un de ses Membres, qui aura été à même d'apprécier le grand intérêt archéologique qu'offre le monument.

Séance du 16 Avril 1896

PRÉSIDENCE DE M. EUGÈNE LECOINTRE

Admission de M. GILBERT, chef comptable de la Compagnie des Chemins de fer de l'Ouest.

Séance du 21 Mai 1896

PRÉSIDENCE DE M. LE Cle DE CONTADES

Prière à MM. le Cte DE CIIARENCEY, DUVAL et abbé LETACQ, de vouloir bien représenter la Société en qualité de délégués aux Assises de Caumont à Rouen, du 15 au 18 juin prochain.

Annonce d'un prix de 600 francs qui sera décerné, en 1897, par la Société libre d'Agriculture, Sciences, Arts et BellesLettres de l'Eure, au meilleur mémoire se rattachant à la Normandie.


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La Société exprime la volonté très formelle que les Bulletins paraissent exactement aux époques fixées, sans se laisser arrêter par les convenances particulières de quelques auteurs.

Le Bibliothécaire se plaint de l'inexactitude de quelques Membres à rendre les ouvrages qu'ils ont empruntés, et même de la perte de plusieurs volumes.

Des remercîments seront adressées à M. l'abbé PIEL, pour le don de son bel ouvrage en 5 volumes : Inventaire historique des Actes transcrits aux insinuations ecclésiastiques de l'ancien diocèse de Lisieux.

OUVRAGES REÇUS PAR LA SOCIÉTÉ, DU 16 JANVIER AU 21 MAI 1896

Don de M. DUVAL :

1° Rapports à la Convention et opinions des Députés à propos du jugement de Louis XVI (1702-1793), 9 pièces.

2° Cours à l'École centrale de l'Orne, 2 pièces.

3° Délibération du Directoire sur le service des nourrices, 25 messidor an IV.

4° Tarif du prix du pain à Alençon, en l'an XI.

5° Règlement de la Garde nationale de Domfront (1831).

6° Journaux de l'arrondissement de Mortagne, 1833-1847, 9 numéros.

7° Journaux de l'arrondissement de Domfront, 1839-1856 8 numéros.

8° Journées de Juillet ; Programme de la fête à Alençon, en 1846, 2 pièces.

9° Profession de foi Guérin, 1848.

10° Biographie du général Decaen, 1850.

11° Discours du Cle Duchâtel et de M. Rouher au Corps législatif et au Sénat, 6 brochures, 1847-1868.

12° Rapports au Ministre sur les Vaccinations en France, 1853 et 1863.

13° Compte-rendu de la Société de Secours mutuels dAlençon en 1857.

14° Notice sur Houtoude la Billardière,\>ar L.-R. LE CANU, 1867.


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15° Les Réunions électorales à Paris en mai 1869, par Auguste VITU.

16° Catalogue des livres rares et précieux de feu le Marquis de M...., 1871.

17° Histoire des amours de Biomberis de Gannes, prince gaulois, par Arsène LAISNÉ DE NÉEL, de Mesnil-Hubert-surOrne, 1876.

18° Mémoire adressé au Conseil municipal de Saint-Sulpicesur-Rille, par BOHAIN père, manufacturier à Laigle.

19° Notes pour servir à l'histoire de l'église de Montsort, par L. D., 1881.

20° Catalogue et prix du Concours régional agricole d'Alençon, 1881, 2 pièces.

21° Annuaire du Comice agricole de l'arrondissement de Domfront, 1887.

22° Catalogue des Mollusques de la Creuse, 1854, 3 exemplaires.

23° Les Inscriptions des bonnes milliaires de Saint-LégerMalazeix (Haute-Vienne), etc., 1867.

24° Bulletin de l'OEuvre expiatoire, 1889-1892, 19 numéros.

25° Conseil général de l'Orne. Session d'août 1895,1 vol. in-8°.

26° Inventaire-sommaire des Archives départementales antérieures à 1189, rédigé par M. Louis DUVAL, archiviste. — Orne, Archives ecclésiastiques, série H. (n 08 1921-3351), tome II. — Prieurés d'hommes, 1 vol. in-4° de XCII-266 p., 1894.

AUTRES OUVRAGES

Publications individuelles.

1° Inventaire historique des Actes transcrits aux insinuations ecclésiastiques de l'ancien diocèse de Lisieux, etc., par M. l'abbé PIEL. Grand in-8°, tomes IV et V, formant la fin de l'ouvrage.

2° G. Le Vavasseur, OEuvres complètes, t. V.

3° Le chef d'escadre marquis de la Jonquière, gouverneur général de la Nouvelle-France et le Canada, de Hk9 à 1752, par le M' 8 DE LA JONQUIÈRE, 1 vol. in-12.

4° Intègre, comédie en un acte, par M. DE LA SERVERIE, in-4°.


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5° L. RÉGNIER. L'Architecture religieuse dans les anciens diocèses d'Amiens et de Boulogne et l'ouvrage de M. Camille Eulard.

6° Les origines de l'Architecture gothique.

7° Hiatus et lacune ; Vestiges de la période de transition dans la grotte du Mas-d'Azil, par M. Ed. PIETTE.

8° Laffray. Extrait du Bulletin de la Société d'Anthropologie de Paris.

9° Ch. DU HAYS : Arofre Saint-Germain.

10° Ch. DU HAYS : Le chemin d'intérêt local n° 12.

11° L. DUVAL : Colons Bas-Normands et Créoles de SaintDomingue.

12° L. DUVAL : Avranchins et Créoles.

13° FLORENTIN LORIOT : En souvenir de Mme Gérasime Despierres.

14° H. CARNOY : Hippolyte Sauvage.

15° Abbé LETACQ : Notice sur les Conifères et les Arbres exotiques cultivés à Bagnoles.

16° Abbé LETACQ : Matériaux pour servir a la faune des Vertébrés du département de l'Orne.

17° L'Horticulture dans les cinq parties du monde. Rapport présenté à la Société d'Horticulture de l'sOrne, par M. LEMÉE.

18° Aux Paysans, confidences et conseils.

19° Eug. VIMONT : Almanach du Poiré et du Cidre, années 1893, 1894, 1895, 1896. 4 vol. in-18°.

10° Almanach du Bon Français, publié par la Société bibliographique, à Paris.

Publications périodiques.

1° Congrès archéologique à Abbeville en 1803. 1 vol.

2" Mémoires de la Société d'Archéologie d'Avranches et Mortain, 1894 et 1895, 1 vol.

3° Revue de l'Avranchin, 1896, n° 1.

4° Bulletin de la Société linnéenne de Normandie, année 1895, 1 vol.

5° Mémoires de l'Académie nationale des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Caen, année 1895, 1 vol.

6° Bulletin et Mémoires de la Société archéologique et historique de la Charente, année 1895, 1 vol.


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7° Bulletin de la. Société archéologique d'Eure-et-Loir. Janvier, février et mars 1896.

8° Revue catholique de Normandie. Janvier, mars et mai 1896.

9° Bulletin de la, Société polymatique du Morbihan, années 1893 et 1894, 3 volumes.

10° Bulletin de (a Société de l'Histoire de Normandie, 2 livraisons.

11° Société normande de Géographie. Novembre-décembre 1895 et janvier-février 1896.

12° Bulletin de la Société de l'Histoire de Paris. Janvier, février et mars 1896.

13' Actes de la Société philologique, année 1895, 1 vol.

14° Bulletin de la Société des Antiquaires de l'Ouest, 3e et 4e trimestre 1895, plus un volume supplémentaire et un volume de Mémoires pour 1895.

15° Documents sur la province du Perche. Janvier 1896.

16° Bulletin de la Société des Amis des Sciences de Rochechouart. Novembre 1895 et janvier 1896.

17° Bulletin de la Société de Géographie de Rochefort, 4e trimestre 1895.

18° Bulletin de la Société polymatique vosgienne, années 1895 et 1896, 1 vol.

19° Annales de l'Archiconfrérie de Notre-Dame des Champs. Février, mars, avril et mai 1896.

20° La Croix de l'Orne, du 9 janvier au 17 mai 1896.

21° Le Cidre et le Poiré. Janvier-mai 1896.

22° Les Sciences populaires. N° 1, 15 janvier 1896.

23° Analecta Bollandiana. 1er fascicule de 1896.

24° Annual report of public muséum of the city of milhaukee. Octobre 1895.


FERRIERE-LA-VERRERIE

(Suite et fin).

CHAPELLE DE SAINT-OUEN-DE-BOURSE

En l'an 1418, Henri V, Roi d'Angleterre et Duc de Normandie, donna à Jean Juget la chapelle de Saint-Ouen, édifiée sur le fief de Bourse, laquelle fut réunie au monastère de ChaiseDieu, le 23 mai 1502, par le Cardinal d'Amboise, légat du SaintSiège. Dans l'acte de réunion, qui figure au chartrier, le revenu de la chapelle était estimé à 16 ducats d'or au plus.

On voit dans les baux des dîmes réunies de Ferrière et de la chapelle de Bourse, notamment dans celui passé le 4 décembre 1680, en l'étude du notaire d'Echauffour, que le fermier était tenu d'entretenir la chapelle en bon état et d'y faire célébrer une messe chaque semaine.

La chapelle fut réparée et bénite de nouveau en l'an 1737 et convenablement restaurée en 1767.

CHAPELAINS

— 1418. Jean Juget.

— 14... Guillaume Letourneur.

— 26 mai 1466. Jean Le Tourneur, par le décès de Guillaume Le Tourneur, sur la présentation des religieuses de Chaise-Dieu.

— 4 juillet 1500. Jean Loys, en remplacement de Jean Le Tourneur, décédé, sur la présentation d'Innocent Le Coustellier, seigneur des fief et terre nobles de Bourse.

— 1502. Jean Gérouin ;

— 17 avril 1539. Michel Guillaume, nommé par l'évêque de Sées, à cause de la négligence du présentateur ordinaire.

— 16... Etienne Amiot.

— 4 mars 1625. Elie Penot, par le décès d'Etienne Amiot, sur la présentation de la prieure de Chaise-Dieu.


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— En 1767, deux prêtres furent présentés au bénéfice de Bourse : Charles Ja/ian, moine de Saint-Evroult, et Jacques Mangon.

— L'abbé Malassis était titulaire de cette chapelle en 1778.

Après avoir servi de grange pendant de longues années aux fermiers de la Poudrière, la chapelle Saint-Ouen fut démolie vers 1850. Elle était située près .d'une fontaine convertie depuis en abreuvoir.


LOUVIGNY

La terre seigneuriale de Louvigny dépendait de l'ancienne ■ commanderie du Temple, située à Fresneaux en la paroisse 'd'Aunou-sur-Orne; elle fut comprise dans les biens des Templiers attribués en 1311, par le Concile de Vienne, aux chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem et réunie environ trois siècles plus tard à la commanderie de Villedieu-le-Bailleul (1).

La maison de Fresneaux devait son origine à un seigneur du lieu, du nom de Hugues de Fresneaux. Son fils, Enguerran de Fresnals, par ses lettres du mois'de mars.1206, ratifia et confirma, pour le salut de son âme, à Dieu et aux frères de la chevalerie du Temple de Salomon, la libre possession de la terre que Hugues de Fresneaux leur avait accordée pour l'établissement de leur maison.

Le même Enguerran, par d'autres lettres de l'année 1209 confirma, toujours en sa qualité de seigneuridominant, et amortit la donation faite aux Templiers par Guillaume et Hubert, de Monlhioux, de Monte-Tiout, de douze acres et demi de terre dans la paroisse d'Aunou, in parochiâ. de Alnou, situés entre l'église du lieu et l'Orme de Monthioux (2).

L'année suivante; en 1210, il fut encore donné par Enguerran aux Templiers, des terres dans la même paroisse, situées partie à la Fauvelière, ad Fa.teleria.rn (3), partie touchant à la maison du Temple de Fresneaux, justa. domurn Templi a.pud Fresnals.

Une charte de l'évêque de Séez, de l'année 1211, confirma en

(1) Voir : Les Commanderies du Grand-Prieuré de France, d'après les documents inédits conservés aux archives nationales à Paris, par Ê. Mannier. Paris, Aubry et Dumoulin, 1892, gr. in. 8" XXXVI et 808 pages.

(2) Monthioux, commune d'Aunou-sur-Orne.

(3) La Fauvelière, entré Aunou et Fresneaux ; carte de Cassini.


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faveur des frères du Temple, la donation qu'un seigneur, Guillaume de Neuville, de Nova, villa, leur avait faite de terres sur le territoire dudit Neuville, près de la Mare-Harpin, à Orgevalet à la vallée de Jean, apud vallem Johanis.

En 1274, nous trouvons un chevalier nommé Olivier de Moulins, de Molins, à qui appartenait le fief de Fresneaux dans le diocèse de Sées, feodum de Fresnellis sagiensis diocesis, confirmer aux Templiers tous les biens qu'ils possédaient dans son fief, avec droit par eux d'y acquérir tous ceux qu'ils voudraient par la suite.

Un mesurage que les Templiers firent faire en' 1288 de leur domaine de Fresneaux, constate qu'il comprenait 194 acres de terre, en plusieurs parties, aux lieux dits : près du Temple, au Bois-Cornet, à la Glissière, à la Mare David, au chemin de Sées, au-dessous du Moulin, dans la Vallée, au chemin de Monthioux, à Polesgrue, à Leffengerez, aux Undréiz, aux Longues-Races, aux Uslèiz, aux Mares-Jumelles (ad Maras Jemellas) à l'Ormeau-Fouché, au Pré-Bernail, à la Vallée-Jean, à la MareHarpin, à Orgeval, au Buat, à la Mare-Jeannet, à la Jouchie, au chemin de Formens, à Senele, à l'Ormeau (apud Lormel) et à la Grippe.

La maison de Fresneaux était située sur le chemin qui conduisait au Gué-Preuvost. Elle avait une chapelle qui était sous l'invocation de saint Marc et de saint Barthélémy.

Le Commandeur avait, dans son domaine de Fresneaux, la haute, moyenne et basse justice. Il jouissait alternativement avec le marquis de Courtomer, du droit de présentation à la cure de Saint-Victor de Brullemail.

La terre de Fresneaux rapportait, en 1517, 30 livres ; en 1629, 240 livres ; en 1757,1.000 livres ; en 1783,1.600 livres (1).

M. Mannier, auquel nous empruntons ce chapitre, rapporte que le seul titre concernant la terre seigneuriale de Louvigny est une charte de 1258, par laquelle les nommés Herbert et Jean Cham, Raoul Hurel et autres, vendirent aux frères de la chevalerie du Temple de Salomon, un bois qu'ils avaient dans la paroisse de Ferrières, in parochiâ. Ferrariis, lequel bois se

(1) Anciens commandeurs de Fresneaux : 1372, Fr. Guillaume Lefebvre ; 1376, Fr. Nicole Thomas.


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nommait le Bois-Auborne, touchant à celui du Roi, appelé les Chyeses, et tenant au chemin conduisant de la Haie des Forges au Bois d'Héduin de Beuverie, de Beueria, en s'étendant depuis les Chyeses jusqu'au ruisseau de la Haie des Forges et jusqu'à la Haie du bois de Saint-Vandrille.

La terre de Louvigny comprenait une maison à usage de ferme sur le grand chemin de Mortagne au Merlerault, et 170 acres de terre en labour et bois en plusieurs parties, nommées le Parc de Louvigny, le Plessis, les Saucières et les Grands-Champs, traversés par quatre chemins : celui de Moulins à Gasprée ; le second, de Courtomer à Ghauffour ; le troisième, de Ferrière au Merlerault; et le quatrième, de Saint-Vandrille à Brullemail.

Le Commandeur avait toute justice, haute, moyenne et basse dans sa terre de Louvigny, dont le revenu était, en 1771, de 650 livres ; et en 1783, de 700 livres.

En 1789, le Grand-Prieuré de France possédait 53 commanderies, parmi lesquelles Villedieu-les-Bailleul et ses membres Fresnéaux et Louvigny. La Révolution s'en empara. L'île de Malte tomba elle-même au pouvoir de Bonaparte lorsque ses armées se rendaient en Egypte.


CONFRÉRIE DE LA CHARITÉ (1)

Par contrat passé devant les notaires garde-notes tabellions royaux et greffiers des Conventions du siège et ressort d'Essai, en date du 12 octobre 1670, M" Samson de Fontaines, prêtre, écuyer, sieur de Beauvais, donna une rente de cinquante livres pour l'érection d'une confrérie du Saint-Sacrement dans l'église de Ferrière, et nomma pour l'exécution de ses dernières volontés « Vénérable et discrète personne M* René Pinel, curé du Plantis et doyen de la Marche, Me Chagrain, curé de Brullemail, et Me Charles Lespy, curé de Tellières. »

Après le décès de Samson de Fontaines, ses trois exécuteurs testamentaires firent des démarches auprès du Saint-Siège et obtinrent du Pape Innocent XI, le jour des Ides de juillet 1680, une bulle qui autorisait la fondation d'une confrérie du SaintSacrement à Ferrière.

L'abbé Robert Collas, pour lors curé de la paroisse, élabora des statuts qui furent approuvés par Mgr Jean Forcoal, évêque de Sées, et obtint, peu de temps après, la permission de faire porter aux frères servants « une robe blanche avec un chaperon aux jours d'offices et autres cérémonies dans l'église de la paroisse et autres lieux. »

Enfin, le 15 février 1690, l'abbé Germain de Lisle, curé de Ferrière, Michel Le Clerc, chapelain, et Jean Bricon, receveur de la confrérie, « croyant ne pouvoir faire une chose plus agréable à Dieu, plus honorable à l'église et plus utile aux peuples des paroisses voisines », supplièrent les Grands-Vicaires du Chapitre de l'église cathédrale de Sées, « le siège épiscopal étant

(1) Voir notre Essai sur l'histoire et les chants des confréries de charité normandes et percheronnes. Bull, de la soc. hist. et arch de l'Orne, Tome XIII. p. 96.


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vacant », d'autoriser les membres servants de la Confrérie à remplir les lonctions ordinaires des Frères de Charité. Ils disaient dans leur supplique que la Charité, dont ils demandaient l'érection, possédait déjà quarante livres de rentes, non compris les cent livres qui composaient le revenu de la Confrérie du Saint-Sacrement.

Leur demande fut accueillie avec faveur, et les Statuts de la Charité de Ferrière furent approuvés, le 31 mai 1690 par Bernard, du Pré, et Le Roy, archidiacre d'Exmois, secrétaire ordinaire du Chapitre de Sées.

Règles et statuts de la Confrairie du Saint-Sacrement, fondée et establie en l'église de Saint-Aignan-de-Ferrières, nou^ vellement érigée en Charité, présentez à MM. les grands vicaires du vénérable Chapitre de Sées, le siège èpiscopal vacant, pour estre par eux authorisez et omologuez (1).

1

Premièrement on recevra à la Charité tous ceux et celles qui demanderont d'y estre reçeus, pourveu qu'ils soient de bonne vie et moeurs, qu'ils ne soient liez d'aucune censure, et qu'ils soient en estât de s'acquiter de leur devoir.

2

Et comme la Charité a pour principale fin la sépulture des morts, on choisira entre ceux qui seront inscripts au livre de la Charité quatorze personnes au-dessus de l'âge de vingt ans, irréprochables dans leurs moeurs,qu'onappellera frères servants, pour assister aux inhumations des défuncts et aux services faits à leur intention au temps désigné cy-après, et pour faire les autres fonctions ordinaires des charitez.

3

Entre les quatorze frères, le premier s'appellera Eschevin, le second Provost, le troisième et quatrième Frères de mémoire, et les autres se nommeront Frères servants.

(1) Communication de M. l'abbé Turpin, curé de Ferrière.


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4

Tous les dits frères tant aux inhumations qu'offices d'obligation seront revestusd'une robbe blanche, d'un chaperon et d'une ceinture rouge, et au milieu du chaperon un image du SaintSacrement, d'un bonnet carré noir, et des bas blancs, et qu'ils auront soin de tenir propres et nets, et faire blanchir de quatre mois en quatre mois, le tout à leurs frais, et sous peine de trois sols d'amende pour chaque manquement.

5

Les dits auront soin d'avoir deux clochettes, une croix, une bannière, quatorze torches, des cierges, une boete, un livre ou martyrologe, un drap mortuaire, et autres ornements nécessaires, le tout aux despens de la Charité.

6

Il sera esleu un clerc sage et modeste, tant pour servir à l'autel et aux offices de la Charité que pour sonner la cloche dans les temps nécessaires, lequel advertira en partant les frères servants pour aller inhumer les corps, de prier Dieu pour les trépassez en sonnant quelques coups de sa clochette auparavant, ainsy qu'il est practiqué aux autres charitez.

7

Le sieur Curé de Saint-Aignan-de-Ferrières et ses successeurs, ou en leur place ceux qui en feront les fonctions curiales, seront toujours directeurs et premiers chapelains de la Charité et en cette qualité choisiront avec l'Eschevin un chapelain, ou plusieurs si besoin est, pour dire et célébrer les messes et services et faire l'office de la dite Charité.

8

Le sieur Curé veillera sur le bien spirituel et temporel de la Charité, et afin que les règles en soient ponctuellement observées, il assistera aux messes et offices de la dicte Charité, ou à son défaut son vicaire, dont ils seront payez selon l'usage du diocèse s'il n'est autrement réglé par les fondations particulières.


— 175 —

9

Le sieur Chapelain sera obligé de dire et célébrer tous les dimanches et festes une messe à l'issue de la première, à l'intention de tous les confrères et soeurs de la Charité, tant vivants que trépassez en général, et fera après le Credo d'icelle l'offertoire, où il recommandera les dits confrères et soeurs, et, en outre, ceux qui seront décédez dans la semaine précédente dira à leur intention un De profundis, laquelle prière il répétera à l'issue de la dite messe sous le crucifix, le tout à voix basse.

10

Il célébrera aussy une messe basse à l'intention de chaque défunct inscript au livre de la dite Charité, soit que l'on aye assisté à son inhumation ou non, pourvu qu'on en sçache la mort, laquelle messe sera dite haute pour les S" Curez, chapelains et frères qui auront servy, le tout aux despens de la Charité.

11

11 sera en outre obligé d'assister aux inhumations s'il n'a cause raisonnable qui l'en dispense, et à cette fin il se trouvera à l'église au temps désigné par le son de la cloche d'où, après avoir dit l'antienne de la Sainte-Vierge propre au temps, il ira avec les frères en corps à la maison du défunct, chantant s'il se peut ou du moins sans confabulalions.

12

Le dit sieur Chapelain, estant arrivé au lieu où sera le corps, il entrera dans la maison accompagné de cinq ou six des dits frères, où il dira, à l'intention de la personne décédée, le De profundis, avec l'oraison propre, aspergeant le dit corps d'eau béniste, devant et après le dit De profundis.

13

En portant le corps à l'église où se doit faire l'inhumation, le dit Chapelain dira dévotement ou aidera à chanter l'office des morts, suivant l'usage du diocèse, auquel il assistera jusques après l'inhumation faite, poura néanmoins si la commodité le


— 176 —

permet dire la messe qu'il est obligé de dire pour chaque confrère ou soeur décédez, au lieu de celle qui devrait dire pour la

dite inhumation.

14

Le sieur Chapelain se fera approuver des supérieurs ordi-'

naires pour confesser les frères servants lorsqu'ils l'en requèreront,

requèreront, particulièrement aux jours des festes solennelles, il

poura aussy confesser les autres paroissiens de Saint-Aignande-Ferrières

Saint-Aignande-Ferrières en sera requis par le sieur Curé et non

autrement.

15

Le dit Chapelain aura aussy soin le dimanche de prévoir les charges dont on doit s'acquiter la semaine suivante, tant messes qu'autres offices, afin de les recommander à la messe qu'il dira si les fondations le requèrent.

16

Les sieurs Curez et Chapelains auront soin de faire garder autant qu'ils pouront, tant aux inhumations qu'autres offices, l'ordre et la modestie parmy les frères.

17

On lera tous les ans l'élection d'un Eschevin, de bonjie vie et moeurs et de bien suffisant pour répondre de la gestion et revenu de la dite Charité, qui sera du nombre des quatorze frères servants, à laquelle ils procéderont en âme et conscience et à la pluralité des voix qui seront recueillies par le sieur Curé, qui présidera à la dite élection et lequel y aura deux voix et, en cas d'absence dudil curé, son vicaire ou le dit chapelain, mais la dite élection sera approuvée par le dit curé le dimanche immédiatement après l'octave du Saint-Sacrement, qui sera le jour du change des frères servants.

18

S'il arrive que le dit Eschevin ou provost ou tous deux ensemble fussent absents des offices et inhumations où ils doivent assister, le premier frère de mémoire en chef, ou en son absence le second, prendra leur place pour en faire les fonctions et ainsy


— 177 —

successivement; et en cas qu'il y ait des commis préposez, ils prendront les derniers rangs selon ceux qu'ils représentent en qualité de frères.

19

Le dit Eschevin ne manquera, de trois mois en trois mois, de lire les règles de la dite Charité, en présence de tous les frères servants, à peine de dix sols d'amende.

20

Il portera la boete fermante à deux clefs, dont l'une luy demeurera qu'il ne confira à personne, non plus que la dite boete, à moins qu'il n'ait un commis fidèle et dont il répondra, et donnera l'autre clef au dit sieur Curé.

21

Le dit Eschevin sortant de charge rendra son compte à l'entrant, en présence du sieur Curé ou de son vicaire, en son absence du sieur Chapelain, et des quatorze frères,le dimanche d'après le change pour tout délay, et mettra en mesme temps les filtres et ornements de la dite Charité, entre les mains de l'Eschevin entrant par inventaire duquel il retirera un récépissé ; il aura aussy soin de payer au sieur Chapelain, au clerc et autres officiers les gages qui leur sont promis et qui ont coustume d'estre payez, et ce de trois mois en trois mois, dont il tirera acquit pour luy estre passé en compte.

22

Le dit Eschevin n'entreprendra aucune affaire, soit en demandant ou défendant ou de quelque manière que ce soit, concernant le bien et revenu de la dite Charité, sous peine de l'amende arbitraire, qu'il n'ait demandé et obtenu auparavant l'advis et consentement du dit sieur Curé, Eschevin et autre frère, à peine de répondre du dommage qui en pourrait arriver.

23

Il ne pourra faire aucune fieffé, eschange, amortissements, ny autres aliénations des biens de la dite Charité, ny mesme recevoir aucun contrat de fondation, que par l'advis et du consente12

consente12


— 178 —

ment du dit sieur curé, afin d'examiner les charges et prendre les précautions nécessaires pour conserver le bien de la dite Charité.

24

Il taxera tous les premiers dimanches du mois les amandes qui auront esté encourues le mois précédent, et ce avec le Provost, en présence de tous les frères, dont il fera le registre, poulies faire payer de trois mois en trois mois, à peine de dix sols d'amande contre luy pour chaque contravention.

25

S'il arrive qu'on doive inhumer un pauvre, il acheptera un drap pour l'ensevelir, ce qu'il fera aussy en temps de contagion, et pour cet effect il fera provision de linceuls, le tout aux frais de la dite Charité, sous peine d'amande qui sera arbitraire par le dit sieur curé et frères de la dite Charité.

26

S'il arrive que l'Eschevin et Provost méritent une amande, ils la payeront double de celle des autres frères.

27

Le dit Eschevin aura aussi soin d'advertir les dits sieurs curé et chapelain quand il aura des amandes arbitraires à juger afin d'estre présents lorsqu'on les taxera pour faire garder et observer la justice selon les règles de la dite Charité.

28

L'Eschevin prendra le soin de faire aprester un disner seulement le jour du change, qui sera fait à frais communs de tous les frères tant anciens que nouveaux, où il ne se passera aucun excès ny immodestie ; et s'il arrive qu'aucun des frères commet te aucune faute, soit par excès ou autrement, il payera une amande arbitraire. Le reste du dit repas sera donné aux pauvres par le soin du dit Eschevin et du sieur Curé.

29

Le Provost sera obligé de porter partout où la Charité ira en


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corps le livre fermant à clef, qui sera gardée par l'Echevin, afin d'esciïre les noms des frères et soeurs entrants en la dite Charité aussy bien que les obils et aumosnes dont ledit Provostrecevra l'argent, qu'il mettra en la boete portée par le dit Eschevin.

30

Les dits Eschevin et Provost ne se serviront d'aucuns commis qui ne sçachent lire et qu'auparavant ils ne soient approuvez et jugez capables par les sieurs curé, chapelain et frères servants.

31

Le Provost aura soin que le livre soit apporté à l'église au retour des inhumations pour y avoir recours en cas de besoin à peine de dix sols d'amande contre luy.

32

Les deux frères de mémoire, qui seront toujours ceux d'après l'Eschevin et Provost, auront soin de remarquer les fautes des autres frères et particulièrement celles qui sont sujettes à amande pour en faire leur raport tous les dimanches à l'issue de la messe de la Charité, et à leur absence, leurs commis auront le mesme soin, et s'ils y manquent, ils payeront en leur propre et privé les amandes des défaillants. Le premier sera obligé de quester dans l'église à la messe de la Charité tous les dimanches et festes, à peine de deux sols d'amande.

33

Le premier frère de mémoire portera le drap mortuaire aux inhumalions et le second les deux cierges, ou en leur absence leurs commis, sous peine de trois sols d'amande.

34

Le reste des frères auront soin de porter et rapporter le biard aux inhumations chacun à leur tour, excepté les deux derniers, dont l'un, sçavoir le traizième, portera la croix et l'autre la bannière, sous peine de trois sols d'amande.

35

Le clerc qui sera gagé aux frais de la Charité aura soin de


— 180 -

sonner la cloche pour advertir qu'on vienne aux messes où les frères servants sont obligez d'assister, et y assistera luy-mesme revestu d'un surplis et d'un chaperon qui luy seront fournis aux despens de la Charité. Il disposera toutes les choses nécessaires pour la messe et service divin, allumant les cierges et torches et les esteindra si besoin est.

36

Quand le clerc de la Charité sera adverty que le corps de la Charité sera convié d'aller inhumer un corps, il aura soin de se rendre à l'église à heure convenable pour sonner la plus grosse cloche, laquelle il sonnera l'espace d'une heure entière, sçavoir : un quart d'heure en vol ; après lequel il tirera quatorze coups de la mesme cloche distants les uns des autres de viron un Pater et Ave, puis après il sonnera encore l'espace d'un quart d'heure en vol ; après quoy, il sonnera des appels de temps en temps, en sorte que, depuis le commencement que la cloche aura sonné jusques à la partie, il y ait une heure de distance (1).

37

Il partira conjointement avec tous les frères revestu de son surplis et chaperon et sonnera de temps en temps deux ou trois coups de sa clochette qu'il portera pour advertir de prier Dieu pour les trépassez et notamment pour le défunct.

38

Estant arrivé au lieu où sera le corps, tous les frères disposez

par ordre devant la porte de la maison, il entrera le premier,

prendra l'aspersoir, lequel il présentera au chapelain en disant

l'antienne Si iniquitates, puis reprendra le dit aspersoir, le

donnera au premier frère de ceux qui seront entrez et le recevra

du dernier, pour le représenter de rechef au chapelain après le

pseaume De Profundis finy et l'antienne répétée, puis après il

aspergera le corps.

39

Toutes les choses estant ainsy disposées, le corps sera levé par quelques-uns des dits frères et transporté à l'église en chantant comme est dit cy-dessus, où estant arrivé le dit clerc sera obligé

(1) Le manuscrit a été rectifié ; au lieu d'une heure on a mis : deux heures.


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d'allumer les cierges et torches, et s'il contrevient à quelquesunes des obligations cy-dessus il payera deux sols d'amande.

40

Tout le corps de la Charité estant adverty au son de la cloche pour aller inhumer un corps, il se rendra à l'église, d'où après avoir assisté à l'antienne et oraison de la Sainte-Vierge, qui sera dite par le dit chapelain, ils partiront en habit décent pour aile'' au lieu où sera le corps du dit défunct avec grande modestie. Et lorsqu'ils seront prests d'arriver, ils se mettront par ordre alin d'arriver en corps à la maison du défunct et défuncte, ils y entreront l'un après l'autre en aspergeant de l'eau béniste sur le corps, l'Eschevin le premier et tous les autres frères selon leurs degrés. S'ils sont seuls l'Eschevin et Provost lèveront le corps qu'ils donneront aux deux frères de mémoire à porter, qui seront relevez par deux autres frères de temps en temps, suivant leurs rangs, et, s'il se trouve d'autres charitez, ils ne contesteront les honneurs à personne et céderont les premières places à ceux qui les demanderont.

41

Ils auront soin de saluer, tant à la maison d'où l'on doit lever le corps qu'en revenant à l'église, toutes les grandes croix en se découvrants sous peine d'un sol d'amande.

42

Estans arrivez à l'église, ils poseront le corps et l'aspergeront tous comme à la levée faite à la maison, et le clerc aura soin d'allumer les cierges et torches que porteront les quatorze frères précédant le porte-croix et porte-bannière.

43

S'il faut inhumer un frère qui ait servy, ou la femme, les huiderniers frères porteront chacun une torche et tous les frères leurs bonnetz carrez, et, si tost qu'on sera adverty d'assister à leur inhumation, le clerc aura soin d'apporter à la maison du défunct ou défuncte la croix, la bannière et un chaperon sur le corps.


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44

Le premier frère de mémoire, après avoir donné de l'eau béniste au corps, sonnera la cloche, qui sera relevé par le frère suivant, et ainsy alternativement les uns après les autres pendant vigile.

45

Lorsqu'on fera l'inhumation, les quatorze frères se mettront aux deux costez du corps, les quatre torches allumées et la croix et bannière où elles doivent estre suivant la coustume, après l'Eschevin et Provost prendront le corps et le mettront dans la fosse, et les quatre porte-torches tiendront le drap mortuaire. Sur le corps, pendant qu'on l'enterrera, après que le curé de la paroisse aura fait les cérémonies requises, ils enterreront le corps en jetant la terre les uns après les autres sur iceluy posé en la fosse.

46

L'inhumation estant faite, les dits quatorze frères assisteront au convoy qui se fera des parents quand le défunct aura servy? ou qu'il sera mort leur curé ou chapelain, on y chantera le Miserere mei Deus et un De Profundis, à l'intention du défunct, les frères marchants en ordre avec la croix et la bannière pendant qu'on chantera ainsy que dessus, ce qui se pratiquera aussy aux inhumations des femmes dont les marys auront servy de frères dans la dite Charité.

47

Les dits frères ne manqueront de se trouver à l'inhumation des pauvres lorsqu'ils en seront, requis en la paroisse de SaintAignan-de-Ferrières seulement, quand mesme ils ne seraient pas de la Charité, et s'ils sont requis d'aller inhumer un corps qui ne soit pas de la Charité ils seront obligez d'y aller, pourveu que ce soit en la banlieue de la dite paroisse, auquel cas la dite Charité se poura faire payer des droits qui luy sont deus et accoustumez d'estre payez aux autres Charitez.

48 Aucun des frères ne boira à la maison des personnes décédez,


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si elle n'est éloignée de plus d'une lieue, et si quelqu'un en avoit besoin dans des lieux de moindre estendue il communiquera sa nécessité au sieur chapelain pour en obtenir permission, à peine de cinq sols d'amande.

49

Si aucun des [frères] manque d'estre présent à la levée d'un corps, il payera deux sols six deniers d'amande ; ceux qui ne partiront point en corps un sol chacun, ceux qui n'assisteront à une inhumation entière payeront cinq sols, et si quelqu'un d'entre eux estoit convaincu, par deux ou trois tesmoins, de d'avoir pas voulu assister à une inhumation en ayant connoissance, il sera condamné à une amande arbitraire.

50

Les dits quatorze frères assisteront en habit décent aux messes qui se diront pour les sieurs curez-directeurs, chapelains et frères servants décédez, à peine de cinq sols d'amande.

51

Les dits quatorze frères assisteront en corps à la grande messe, laudes, vespres et compiles, et aux processions qui se feront aux jours et festes de la Sainte-Trinité, Circoncision, des Roys, du dimanche des Rameaux, Pasque, Ascension, Pentecoste, Toussaint, Noël, Assomption de la Sainte-Vierge, de la Nativité, de la Conception, Purification et Annontiation, Sainl-Aignan et de la translation, de saint Jean-Baptiste, saint Roch, saint Gervais et saint Prothais, la Dédicace de l'Eglise, jour du Saint-Sacrement, le dimanche dans l'Octave, le jour saint Sébastien et autres qui seront ordonnez par les supérieurs, à peine de cinq sols d'amande.

52

Les dits quatorze frères assisteront en outre en corps et en habit décent aux processions qui se feront par le sieur Curé de la dite paroisse au jour de saint Marc, Rogations et SaintSacrement ; ils assisteront aussy aux messes qui se diront aux dits jours, en outre à toutes les processions qui se feront hors la paroisse et qui seront annoncées au prosne de la grande messe, à peine de cinq sols d'amande.


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53

Les dits frères assistants à leur messe de charité seront toujours à genou, et seront seulement debout à l'Evangile comme aussy pendant la préface, à peine d'un sol d'amande, mais pour les grandes messes, ils se pouront seoir pendant que les prestres seront assis et se mettront à genou à ces mots du Credo : Et homo factus est ; chacun d'eux pareillement ira à l'offerte en son rang et avec modestie, à peine d'un sol d'amande.

54

Les dits frères assisteront en corps aux messes que le sieur chapelain dira pour la Charité aux premiers dimanches du mois, et s'il arrive aux dils jours quelques inhumations à faire, ils y assisteront, à moins qu'ils n'ayent des causes qui les en dispensent, auquel cas ils les communiqueront au sieur curé et chapelain pour en estre dispensez, à peine de cinq sols d'amande.

55

Les quatorze frères assisteront aux Libéra et De Profundis que dira le sieur chapelain sous le crucifix à l'issue de la messe de la Charité tous les dimanches et festes, et assisteront aussy à la messe entière en habit décent, à peine de cinq sols d'amande ; ceux mesme qui ne seront point à l'Evangile payeront deux sols six deniers d'amande.

56

Les frères servants ne s'entretiendront d'aucune chose, à moins qu'elle ne regarde la charge d'un chacun en particulier, par tout où ils assisteront en corps, et ne se nommeront dans ce temps que de noms de frères, à peine d'un sol d'amande.

75

Aucun frère ne fera servir pour luy que ceux qui seront de la Charité, et ce, en cas d'absence et de légitime empeschement qui sera déclaré au dit sieur curé ou chapelain, à peine de cinq sols d'amande.

58

Si quelqu'un des dits frères assiste aux messes, inhumations


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ou autres offices sans bas blancs ou sans collet, il payera un sol d'amande, particulièrement quand le corps est assemblé.

59

Le lundy de Pasque, les frères qui voudront sortir de la dite Charité feront leur déclaration en présence du sieur chapelain et de tous les frères, afin que l'on se pourvoie d'autres qui seront éleus par les sieurs curé, chapelain, eschevin et provost. On donnera des billets à ceux qui seront éleus pour les advertir de se fournir au jour du change de ce qui est nécessaire pour servir de frères à la dite charité.

60

Quand les dits frères auront passé par les deux places de frère de mémoire s'ils veulent servir davantage, ils descendront en bas et précéderont seulement les frères entrants s'ils ne sont pas éleus eschevins.

61

Le jour du change estant venu, tous les dits frères tant anciens que nouveaux assisteront à tout l'office, qui se fera le dit jour dans la dite église de Saint-Aignan-de-Ferrières, les anciens avec leurs torches et les nouveaux avec des cierges et des chaperons sur leurs bras, puis, après vespres, on fera le change, en la manière qui ensuit : l'Eschevin sortant de charge, et qui doit estre provost l'année suivante, prendra chaque frère par la main et le conduira dans la place qui luy appartiendra et ainsy de degrez en degrez, en sorte que tous sçachent le rang qu'ils doivent garder ; il mettra aussi les chaperons aux frères entrants en la manière accoustumée.

62

Les dits frères entrants tireront au billet pour les places, et s'il arrive qu'il y entrât quelque frère qui y eust déjà servy, il ne tirera point au billet parce qu'il sera le premier de tous les entrants.

63

Le change estant fait, le sieur curé ou chapelain fera lecture des frères et soeurs décédez dans l'année, les recommandant aux


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prières de tous les assistants, puis après il chantera le répons de l'office des morts Ne recorderis, et ensuite l'oraison, après quoy on chantera le Te Deum faisant la procession autour de l'église à laquelle les dits frères sortants de charge marcheront immédiatement après la croix et la bannière, portants un cierge en main et leur chaperon sur leur bras.

64

Tous les frères auront soin de vivre d'une vie exemplaire en évitant le cabaret, les compagnies et lieux scandaleux, et s'abstenants aussy de tous les jeux de hasard.

65

S'il arrive que le sieur Chapelain ou quelqu'un des frères tombent dans quelque péché public ou scandaleux, le sieur curé poura le déposer après en avoir pris l'advis de Mgr l'Evesque ou de messieurs les grands vicaires, mais auparavant il advertira le dit frère de se retirer de luy-mesme quand il jugera la faute digne de telle punition.

66

Aucun des dits frères n'intentera procès contre un autre frère qu'auparavant il n'en ait adverty les sieurs curé et chapelain qui tascheront de terminer leur différent, et en cas qu'ils plaident ensemble ils ne serviront ny l'un ny l'autre, mais feront servir leurs commis jusqu'à fin de procès, et cela sous peine d'une amande arbitraire.

67

Les dits frères ne feront aucune assemblée concernant les affaires de la Charité qu'auparavant ils n'en ayent adverty le sieur Curé ou son vicaire, à peine de dix sols d'amande pour tous ceux qui y auront assisté, et de nullité de ce qu'ils auront [fait] en leur absence.

68

Tous les frères auront soin de fréquenter souvent les sacrements ; ils seront mesme tenus de communier et se confesser les jours des festes de la Circoncision et dimanche dans l'octave du Saint-Sacrement, s'ils n'ont des causes qui les en dispensent,


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auquel cas ils en communiqueront au dit sieur curé ou chapelain à peine de dix sols d'amande.

69

Celuy d'entre les quatorze frères qui sera éleu Provost aura soin du revenu de la confrairie du Saint-Sacrement, et des titres qui la concernent, dont il rendra compte au sieur curé en présence du sieur chapelain et de deux frères de la Charité, huit jours après la rendition du compte de la dite Charité, sans que le revenu de la dite confrairie soit meslé en rien avec celui de la dite Charité, mais sera employé suivant les termes des contracts de donation parce que aussy le dit Provost aura soin d'en faire faire les charges.

70

Ceux ou celles qui voudront se faire inscrire au livre de la dite Charité et s'y associer sont exhortez de donner en entrant deux sols et faire de rente chacun an, leur vie durant, un sol six deniers, à moins qu'ils ne donnent en se faisant inscrire la somme de trente sols, une fois payée, pour s'affranchir, ce qu'ils pouront faire toutes fois et qualités qu'ils voudront en payant ce qui est deu de leur rente avec la dite somme de trente sols. Le jour de leur entrée, ils diront à l'intention de tous les confrères et soeurs de la dite Charité, tant vivants que trépassez, une fois leur chapelet, et lorsqu'ils apprendront la mort d'un des frères ou soeurs diront cinq fois Pater Noster et Ave Maria, à leur intention et pour le repos de leur âme.

71

Si la personne qu'on doit inscrire au livre est un homme, auparavant que de l'inscrire on lu y fera promettre de servir à la dite Charité à son tour et rang, après quoy se mettant à genou on luy fera adorer la croix comme aussy à tous ceux et celles qui se feront inscrire au Livre.

72

Comme les dits quatorze frères ne sont pas seulement obligez aux sépultures et inhumations des corps, mais aussy de contribuer au repos des âmes des trépassez, ils auront soin de prier


- 188 —

Dieu pour les défuncts autant de fois qu'ils se trouveront obligez d'assister à quelque inhumations ou offices faits à leur intention, et s'abstiendront d'y parler et causer à moins que la nécessité ne les y engage, à peine d'un sol d'amande.

73

Toutes les amandes cy-dessus seront employées, sçavoir : un tiers au bénéfice de la Charité et les deux autres tiers pour la despense qui sera faite par les dits quatorze frères lorsqu'ils seront obligez par nécessité de faire quelque repas, à cause de l'éloignement de leurs maisons et demeures.

Les présents statuts et règlement ont esté arrestez devant moy, soussigné, curé de Saint-Aignan-de-Ferrières, premier directeur de la confrérie et de la prétendue Charité érigée en la dite paroisse, et en présence de M" Michel Le Clerc, prestre vicaire, second directeur de la dite confrairie érigée au dit lieu, en l'honneur du Saint-Sacrement de l'autel, et des frères servants à icelle, c'est à sçavoir : Jean Bricon,qui en est le receveur, Pierre Gouhier, Estienne Roger, Alexandre Le Febvre, Alphonse Laisné, François Gouhier, Pierre Le François, Thomas Fournier, Jean Fleury, Jean Levesque fils Jean, Aignan Bouvier, Georges Le Villain, Pierre Gouhier fils Fleurent, et Alexandre Daupelay, lesquels ont promis pour eux et leurs successeurs garder et observer ponctuellement à toujours et à jamais ce qu'ils ont signé et marqué ce jourdhuy, dix neufième février mil six

cent quatre-vingt dix. »

(Suivent les signatures).

Au commencement de l'année 1794, la Charité de Ferrière possédait :

1° Environ cent cinq livres de rentes sur divers particuliers ; 2° Deux prés situés à Tellières, savoir :

Le Pré des Closes, contenant environ cinq vergées, borné d'un côté et d'un bout par M. d'Ennecey d'Echassey, d'autre côté par les émigrés de la Rimblière, d'autre bout le chemin du Gué d'Orgueil à Tellières.

Le Pré-att-Baron, contenant environ un acre, borné d'un côté et d'un bout par le chemin d'Orgueil à Tellières, d'autre


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côté par le ruisseau du Gué d'Orgueil au Plessis et d'autre bout par M. d'Ennecey d'Echassey.

Réorganisée peu de temps après la Révolution, la Charité de Ferrière ne fut officiellement reconnue que le 25 avril 1841 par Mgr Mellon-Joly, évoque de Sées.


ÉPHÉMÉRIDES RÉVOLUTIONNAIRES

(1789-1803.)

Cahier de doléances de la paroisse de Ferrière-la-Verrerie.

L'an mil sept cent quatre-vingt-neuf, le dimanche premier jour de mars, par-devant nous syndic de la paroisse de Ferrière, comparaissant en leurs personnes les habitants de la paroisse, lesquels, suivant le mandement à eux envoyé par le roy, publié en l'église de notre dile paroisse, au prône de notre messe paroissiale, par M. le curé, suivant la commission à lui adressée par M. le bailli d'Alençon, ont élu pour y satisfaire les personnes de François Levesque et Etienne Porier, auxquels nous avons donné pouvoir et puissance de comparoître en l'assemblée qui se fera le lundi deux de mars, par devant M. le bailli d'Alençon, et d'y déclarer, conformément aux instructions et pouvoirs cyaprès :

Que les dits habitants ne sont accablés d'impôts que parce que les ministres et leurs agents, tant en l'administration que dans les finances, sans égard aux lois du royaume, qui veulent que les Français ne puissent être taxés que de leur consentement, ont insensiblement écarté ou renversé tous les obstacles, et augmenté jusqu'à l'excès, par l'effet de leurs seules volontés, la charge du peuple, dont ils ont dissipé le produit.

Que pour s'assurer à l'avenir la jouissance de leurs biens, ils désirent :

Premièrement qu'aucune partie de leurs propriétés ne puisse leur être enlevée par des impôts , s'ils n'ont été préalablement consentis par les États-généraux du royaume, composés ainsi que le veulent la raison et le roy des députés élus par tous les cantons, sans aucune exception, et chargés de leurs pouvoirs.


— 191 —

2° Que suivant les intentions du roy, manifestées dans le résultat dé son Conseil du 27 décembre mil sept cent quatre-vingthuit, les ministres soient à l'avenir responsables de l'emploi de toutes les sommes levées sur le peuple.

3° Qu'attendu que les impôts consentis n'ont été payés jusqu'ici que par la crainte des emprisonnements arbitraires qui ont arrêté toutes les réclamations, lesdits habitants désirent que personne ne puisse être emprisonné et détenu qu'en vertu des lois du royaume.

Seront tenus lesdits députés de faire insérer ladite réclamation des volontés desdits habitants dans le Cahier du bailliage d'Alençon ; et chargent spécialement lesdits habitants ceux qui seront élus par l'assemblée dudit bailliage d'Alençon, de la faire valoir aux États-généraux, et de ne consentir à la levée ou prorogation d'aucun subside, avant que ladite déclaration ait été adoptée par eux et solennellement proclamée.

4° Leur donnent néanmoins pouvoir, sous la condition cidessus, et non autrement, de consentir à l'établissement ou prorogation des subsides que les États-généraux jugeront indispensablement nécessaires au besoin de l'État, toutes dépenses préalablement retranchées, pourvu toutefois que les impôts qui distinguent les ordres, soient suprimés et remplacés par des subsides également repartis entre tous les citoyens sans distinction ni privilèges, à raison seulement de leurs propriétés.

Chargent en outre les dits habitants les dits députés de représenter à l'Assemblée du bailliage d'Alençon que nous demandons qu'il n'y ait qu'un seul impôt pour tous et que toutes les terres, sans distinction, payassent suivant leur valeur.

Un des plus grands abus encore est la subjeclion aux moulins. Laloy accorde aux meuniers la seizième partie, mais il y en a qui prennent jusqu'à un boisseau sur quatre ; et si on les quitte ils font des proceds et forcent de venir à leurs moulins. Nous demandons la liberté de faire moudre où on jugerait à propos.

Un autre abus encore sont les treizièmes, perçus par des seigneurs qui, autrefois, ne prenoient qu'une médiocre somme (1). A présent ils ne font aucunes remises, ce qui fait que le vendeur

(1) En vertu des art. 171, 174, 182 et 575 de la Coutume, le treizième du de prix de vente était dû au seigneur par le vendeur.


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ne peut percevoir justement le prix de son bien ; si ce droitn'étoit point perçu il se feroit beaucoup plus de mutations, ce qui occasionneroit bien du produit pour sa Majesté.

Un autre abus encore sont des rentes seigneuriales ordinairement (illisible) et quelquefois d'une médiocre valeur, occasionnent des proceds considérables entre les familles. Nous demandons qu'il fut permis de les amortir au denier vingt.

Il se trouve des garennes très peuplées de lapins qui détrissent (détruisent) entièrement des récoltes des voisins, joint les pigeons qui désemencent les terres et qui occasionnent beaucoup de perte au public. Nous demandons que les lapins soient furetés et les pigeons arrestés, et qu'il soit permis d'en avoir qu'à ceux qui en auront le pouvoir des États-généraux.

Nous payons le sel à 12 s. 9 d. la livre, pendant que, dans d'autres provinces, il est d'un très-médiocre prix. Nous demandons qu'il fût taxé à un môme prix et permis de le délivrer au grenier que nous jugerions à propos et pour le mieux qu'il fust marchand. Il y a aussi des droits considérables sur les boissons et tabacs, ce qui occasionne que le propriétaire ne peut retirer autant de produit de ses boissons, et même on est obligé de boire de très mauvaises boissons à l'auberge, à cause d'une multitude de commis de toutes espèces, nous demandons qu'ils soient abattus.

Nous désirons qu'il n'y eût qu'un collecteur par paroisse qui fût obligé de porter l'argent dans les trésors du roy, au moyen d'une rétribution qu'il plairoit à Sa Majesté accorder, et ce aux dépens des débiteurs.

Qu'on paye les dixmes en argent, au lieu d'en essence. Il y a des décimateurs qui vendent leurs dixmes tous les ans, après la Saint-Jean-Baptisle, pour se soustraire les impositions dont le Tiers-État en demeure chargé. Il y en a même qui ont des chapelles qui chargent un autre prêtre d'acquitter quelque fois une messe la semaine, et en un jour ouvrable, sans qu'il se mette en devoir de faire aucunes largesses, tant pour les réparations de l'église que pour les besoins des pauvres de la paroisse. Ces messieurs-là sont à charge au royaume. Si on continue de payer les dixmes en essence, qu'il soit permis de coucher des terres et de les relever sans payer de novalles (1) et que les pailles fussent

(1) Dîme due à cause des terres nouvellement mises en culture.


— 193 —

taxées à tant la livre pesant ; que les gros décimateurs contribuassent au paiement des vicaires et aux maîtres d'écoles pour les pauvres. Mais si on payoit les dîmes en argent, cela encourageroit les cultivateurs pour les terres labourables, et cela épargneroit bien de la dépense, tant pour les décimateurs que pour les propriétaires et beaucoup de procès.

Qu'il y eût des brigades de marécbaussée plus fréquentes ; que le bailliage de Moulins-la-Marche soit rétabli en sa première forme, pour la commodité des paroisses voisines.

Qu'il n'y eût qu'un poids et une môme mesure, partout une même coutume dans tout le royaume.

Que les notaires soient obligés de marquer sur tous les actes qu'ils délivrent, les rétributions qu'ils perçoivent.

De diminuer la taxe des priseurs vendeurs.

Nous demandons encore qu'il soit deffendu aux seigneurs de clamer (1) les fonds vendus, à moins qu'ils ne soient véritablement lignagers.

Nous demandons aussi que les différents qui se commettent entre les particuliers, quand ils sont d'une médiocre conséquence, soient jugés sans appel et à la première audience.

Ce dit jour et an.

Auxquels députés lesdits habitants ont donné pouvoir et puissance de présenter et faire valoir les articles cy-dessus et autres qu'ils jugeront bon être par raison, et même d'élire telles personnes suffisantes et capables, avec les autres paroisses et juridictions dépendantes du bailliage d'Alençon et autres, pour assister auxdits Étals-généraux du royaume de France, qui se tiendront en la ville de Versailles, le vingt-sept avril mil sept cent quatre-vingt-neuf.

Fait sous le seingts de nous, syndic et habitants, les jour et an que dessus.

(Signé) : P. Levesque, J. Blancbon, François Gérard, Renaud de Grandpré, J. Locard, L. Gouhier, Etienne Delaporle, Pierre Gouhier, Pierre Delaporte, P. Besnard, Adrien Rogier, Chaisnel, J. Lepeltier, F. Levesque, J. Joignaut, syndic, Poirier.

(1) Revendiquer à titre de droit de retrait féodal ou lignager.

13


— 194 —

— 21 février 1790. Etienne Poirier est élu maire de Ferrière.

— 29 août 1790. Sur les neuf heures du soir, des malfaiteurs brisent des barrières, lices et échaliers au préjudice de François Gouhier, Thomas Laisnay, de Launay du Jardin, JacquesHilaire Lefrançois, meunier, Michel Égasse, du village des Vignes, et des Moutis de la Morandière. Les coupables sont bientôt découverts et condamnés à réparer les dommages qu'ils ont causés.

— 12 octobre 1790. Le Conseil de la commune décide de tenir désormais ses séances dans la maison de Jacques Lemêle, occupée par les Frères de la Charité.

— 12 décembre 1790. Prestation de serment par Jean-Pierre Renault, sieur de Grandprey, habitant de Ferrière, élu juge de paix du canton par l'Assemblée primaire tenue à Courlomer, les 29, 30, 31 octobre et 2 novembre 1790. Il est réélu juge de paix, à la fin de 1792, à cause « de son civisme et de ses rares vertus » (1).

Avant la Révolution, Renault de Grandprey, né aux Authieux, en 1759, était vicomte de Moulins-la-Marche, charge qu'il avait achetée en 1780, conseiller du Roy et de Monsieur, lieutenant général de police, juge civil et criminel de la maîtrise des eauxet-forêls de Moulins, Bonmoulins, Laigle et Verneuil.

— 5 janvier 1791. La commune est divisée en quatre sections : 1° La Vieille-Brière ; 2° La Mare; 3° La Feuilletière ; 4° La Chapelle.

— G février 1791. Jacques Locard, curé de Ferrière, prête serment en ces termes :

« Je jure et promets de veiller avec soin sur le troupeau qui m'a été confié, d'être fidèle à la Nation, à la Loi et au Roy, de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par le Roy, persuadé que Messieurs les Députés de l'Assemblée nationale n'ont eu en vue que le bien de l'État et seraient fâchés de rien entreprendre qui fût contraire à la religion catholique, apostolique et romaine, dans laquelle seule il veut vivre et mourir et dont ils se sont déclarés eux-mêmes les protecteurs. »

(1) Renault de Grandprey est mort à Sées.


— 195 —

Môme serment par Jacques Chéron, vicaire de Ferrière. Malgré son serment, l'abbé Locard accepta la constitution civile du Clergé, après l'installation, le 15 mai 1791, du citoyen Le Fessier, curé de Bérus, nommé évoque de Sées.

— 23 octobre 1791. Le Conseil de la commune décide de faire réparer l'allée de l'église, mais sans loucher aux pierres tombales (1).

— 13 novembre 1791. Etienne Poirier est élu maire pour la seconde lois.

— 26 janvier 1792. Réunion générale des habitants de Ferrière, à l'effet de procéder à l'organisation de la Garde nationale, conformément aux prescriptions de la loi du 14 octobre 1791.

Parmi les 237 hommes formant l'effectif de la garde, on remarque les noms suivants : Jacques Locard, curé constitutionnel ; Augustin-Gabriel Allée, son vicaire; Jean-Pierre Renault, juge de paix ; Louis-Antoine des Moutis, etc.

— 4 mars 1792. Le procureur delà commune expose « qu'il existe dans le public une fermentation tendante à sortir les bancs de l'église ». Le Conseil prend des mesures pour éviter le retour des désordres qui ont eu lieu, le dimanche précédent, à l'occasion des bancs réservés aux divers seigneurs résidant dans la paroisse.

— 9 avril 1792. Les habitants réunis décident que la Garde nationale de Ferrière comprendra deux compagnies.

— 15 et 22 avril, 6 mai 1792. Élections des chefs de la Garde nationale.

Sont nommés :

Capitaines : Jean Laisnay et Gilles Leroy. Ce dernier, n'acceptant pas, est remplacé par François Gérard.

Lieutenants : Jacques Marin et François Levesque fils.

Sous-lieutenants : Jérôme Blanchon, Charles Bourgeois Nicolas Tempied et Jean Locard.

Sergents : Augustin Quéru, Etienne Gouhier, Noël Gérard et Jacques Bouvier.

(1) Il ne reste aucuns vestiges de pierres tombales dans l'église de Ferrière.


— 196 —

Caporaux : Philippe Benard, Pierre Delaporte, Georges Duval, Jacques Gouhier, André Roger, Jean Morand, François Gouhier, (du Jardin) Jean Gouhier.

— 5 octobre 1792. Le directoire de l'Orne dresse la liste des biens situés dans la commune de Ferrière, appartenant à des particuliers qui n'ont pas justifié de leur résidence dans le Royaume, conformément à l'art. IX de la Loi du 8 avril 1792, relative aux biens des émigrés :

Le sieur Jean-Alexis de Launay-Cochet :

La terre de Cochet, non affermée ;

Le fils du sieur de Launay-Hallier :

La terre de Launay, affermée à Louis Gouhier ;

Le sieur François Lemelle, fils de famille :

Pour mémoire ;

Le sieur Montagu fils :

La terre d'Orgueil, affermée à Joseph Deshayes, de SaintLh orner ;

Le sieur de Frotté de la Rimblière :

La portion qui lui appartient dans la terre de Boistertre, affermée à la veuve Jean Levesque ;

Le sieur de Fontaines :

La portion qui lui appartient dans la terre du Moncel, affermée à Pierre et François Gouhier.

— 7 octobre 1792. Nouveau serment par Jacques Locard, curé constitutionnel de Ferrière : « Je jure, dit-il, d'être fidèle à la Nation et de maintenir la Liberté et l'Égalité, ou de mourir en les défendant ».

Plus tard, après l'exécution de Louis XVI (arrivée le 21 janvier 1793), l'abbé Locard prèle serment de haine à la royauté, de fidélité à la République et à la Constitution de l'an III.

— 11 décembre 1792. Le Conseil de la commune nomme deux délégués pour assister à la vente des terre et bois de Louvigny, appartenant à la Commanderie de l'Ordre de Malte de Villedieules-Bailleul. Sont nommés : Jacques-Philippe Nolramy, fermier de Louvigny, et François Gérard, fermier de la Poudrière.


— 197 -

— 13 janvier 1793. Conformément aux lois en vigueur, les fermiers de terres appartenant à des émigrés, se présentent à la mairie pour faire la déclaration du montant de leurs termes de Noël 1792 :

1° François Levêquc, fermier de la terre de la Guyon, appartenant au sieur de Launay de Cohardon. Location annuelle : 3,000 livres.

2° Sébastien Roger, fermier des terres de la Brière et de la Vieille-Brière, appartenant au sieur de Launay, de Cohardon. Location annuelle : 2,100 livres pour la Brière et 1,000 livres pour la Vieille-Brière.

3° Jean et Georges Laisnay frères, fermiers de la terre de la Croix, appartenant au sieur de Launay de Cohardon. Location annuelle : 1,200 livres.

4° Louis Gouhier, fermier de la terre de Launay, appartenant aux héritiers de Launay-Hallier, qui sont au nombre de cinq, dont deux émigrés. Location annuelle : 1,000 livres.

5° François Gouhier, fermier de la terre du Moncel, appartenant au sieur de Boisjosse. Location annuelle : 2,200 livres.

6° Jean Locard, fermier de la terre du Pommier, appartenant au sieur de Launay de Cohardon. Location annuelle : 1,200 livres.

Aucune déclaration n'est faite pour la terre d'Orgueil appartenant au sieur de Montagu et pour la terre de Cochet, occupée par la femme du sieur de Launay de Cochet, émigré.

— 20 mars 1793. La commune de Ferrière, devant fournir douze hommes pour la défense de la Patrie, ouvre une souscription à l'effet d'acheter douze remplaçants.

Elle réunit une somme de 5,142 livres et la répartit le 27 suivant entre douze volontaires venus des communes voisines.

— 18 mai 1793. Perquisition au domicile de M. de LaunayCochet, émigré.

En faisant des fouilles dans le jardin, la municipalité trouve, près d'une couche à melons, à environ deux pieds de profondeur, 122 pièces de vaisselle dont 4 en étain et. 118 en faïence.

— 26 mai 1793. Un jeune homme de Mortagne consent à remplacer le conscrit de Ferrière appelé à servir dans les Dragons de la Manche.


— 198 —

— 16 juin 1793. Jacques Locard et Philippe Notramysont élus capitaines de la Garde nationale.

— 4 août 1793. Madeleine-Adélaïde de Châteauthicrry, épouse de l'émigré de Launay-Cochet, Marie Vasnier et Françoise Cosnard, ses servantes, demandent à la municipalité un certificat de résidence.

■— 4 août 1793. Le Conseil de la commune décide de célébrer la fête du 10 août, anniversaire de la déchéance de Louis XVI :

« Sur et d'après la réquisition du Procureur de la commune ;

« Considérant que le jour du dix de ce mois est d'autant plus remarquable et précieux aux Français qu'il réunit la fùte du 14 juillet, établie en mémoire de notre glorieuse Révolution et que, ce jour-là, des députés envoyés à Paris par loules les communes de la République française, exprimeront leur voeu unanime et leur acceptation libre d'un gouvernement qui doit faire notre bonheur ;

« Arrête : Que les capitaines des deux compagnies de la garde nationale de cette commune seront requis d'assembler leurs compagnies le dit jour dix de ce mois, pour assister aux offices que le citoyen curé voudra bien célébrer dans l'église de la dite commune, avec toute la solennité qu'exige la circonstance, et ensuite se rendre autour de l'arbre de la Liberté pour y partager avec tous les citoyens de l'un et l'autre sexe la joie qui régnera dans tous les coeurs. »

— 15 septembre 1793. Election du Comité de surveillance révolutionnaire de Ferrière.

— 15 et 16 septembre 1793. Le Conseil de la commune recommande au Comité révolutionnaire d'exercer une étroite surveillance sur les personnes suivantes, considérées comme hostiles a la nouvelle Constitution républicaine :

1 et 2. Madeleine-Adélaïde de Châteauthicrry, femme de Launay-Cochet, émigré, et son fils aîné.

3. La citoyenne des Moutis de Boisgautier, épouse des Moutis de la Morandière ;

4. La femme de Jacques Besnard, mercier ; 5 et 6. Marie et Marguerite Besnard ;

7, 8 et 9. Les trois filles Blanehon, ci-devant hospitalières ;


— 199 —

10 et 11. Les deux servantes de la femme de Launay-Cochet ;

12. Marie Tempied, femme de Jacques Lemesle ;

13. Anne Bourgeois, femme de Jean Bouillie ;

14. Louise Bouvry ;

15 et 16. Nicolas Boucret et sa femme ;

17. La fille aînée de Jean Quéru ;

18. Françoise Joigneaux ;

19. Alphonse Laînay fils ;

20. Henriette Huet ;

21. Marie Tempied, fille de Thomas; 22 et 23. Pierre Gouhier et sa femme ; 24. Anne Levillain ;

25 et 26. Marie Levillain et sa fille ;

27. Marie Tempied, fille de Pierre ;

28. Marguerite Gouhier ;

29. Catherine Grenier ;

30. Barbe Guernon ;

Soit : 4 hommes et 26 femmes.

— 22 septembre 1793. Terrifiées par les massacres qui avaien eu lieu dans les prisons de Paris au commencement du mois, les personnes mises en suspicion se présentent à la municipalité où elles prêtent serment « de maintenir de tout leur pouvoir la Constitution républicaine et de répandre jusqu'à la dernière goutte de leur sang pour la défendre ».

Mmo de Launay-Cochet, déjà en arrestation, n'assiste pas à la séance, de même que son fils aîné, dont il n'est plus question.

Cependant, trois femmes restent intrépides devant le danger et refusent catégoriquement de prononcer le serment qui leur est demandé. Ce sont MMIlcs Marie et Marguerite Besnard, et Mme Jeanne Fritel, épouse de Jacques Besnard, mercier, toutes trois parentes d'un prêtre insermenté.

Malgré ce petit échec, le Conseil ne se sent pas de joie, et, dans son allégresse, « le citoyen Maire, au nom de toute la commune, donne l'accolade fraternelle à tous les cy-dessus assermentés », sans oublier les femmes, bien entendu. Non seulement les trois dissidentes sontprivées de cette inestimable faveur, mais il est arrêté qu'elles demeureront au nombre des personnes suspectes « et qu'il sera pris à leur égard tel parti qu'il appartiendra ».


— 200 -

— 29 septembre 1793. Le Comité de surveillance révolutionnaire de Fenïère, élu le 15 septembre, tient sa première séance et prend le jour môme cette délibération :

« Considérant que Madeleine-Adélaïde Cbâteauthierry, cidevant noble et femme de Launay-Cochet, émigré, n'a jamais montré que des sentiments de haine pour la Constitution, etc ; qu'enfin elle n'a pu obtenir de certificat de civisme ;

« Considérant aussi que le Conseil général de cette commune ayant ce jourd'hui convoqué les habitants à l'effet de proposer l'acceptation de la Constitution républicaine à ceux qui ne s'étaient pas présentés aux assemblées primaires, Marie et Marguerite Besnard, soeurs du prêtre Besnard, émigré, l'une cidevant soeur converse au couvent de Chaise-Dieu, district de Laigle, auraient prêté serment de maintenir la Constitution avec ces restrictions que leur frère et tous les prêtres fanatiques, exportés et émigrés, avaient coutume d'employer ; considérant que le fanatisme religieux est tellement inculqué dans leur esprit que quoique l'une d'elles n'eût d'autres occupations que de suivre les offices de l'église, et que l'autre les suivait avec la plus grande exactitude sans être dans une communauté, cependant toutes deux se sont depuis la Révolution abstenues d'entrer dans l'église de la dite commune ; considérant enfin qu'elles n'ont point obtenu de certificat de civisme ;

« Les membres du Comité ci-dessus ont, à l'unanimité, arrêté de déclarer les dites Cbâteauthierry et Besnard suspectes. Pourquoi, elles seront incessamment transférées en la ci-devant abbaye d'Essai, maison désignée par le département de l'Orne pour renfermer les personnes suspectes. »

Le Comité révolutionnaire de Ferrière a tenu quinze autres séances entièrement consacrées, on à peu de choses près, au renouvellement bi-mensuel de son bureau ; la dernière eut lieu le 27 août 1794 (1).

— 13 octobre 1793. François Goulard, ci-devant trésorier de la Fabrique, rend ses comptes du 9 septembre 1788 au 9 septembre 1793.

(1) lie registre de délibérations du Comité révolutionnaire de Ferrière est conservé aux archives de la préfecture de l'Orne.


— 20i —

Les recettes atteignent la somme de 574 1. 17 s. et les dépenses celle de 348 1. 15 s.

Des cloches furent fondues durant cette période quinquennale.

— 27 octobre 1793. Vente, au profit de l'Etat, des coupes à effectuer dans les bois de la Bruyère, appartenant à M. Launay de Gohardon, émigré.

— La seconde cloche de la tour de l'église est descendue, pour servir à la fabrication des canons nécessaires aux armées.

— 22 décembre 1793. La municipalité décide de procéder à la saisie des archives du château de la Brière, appartenant à l'émigré de Launay de Gohardon, pour les brûler ensuite « au pied de l'arbre de la Liberté le jour de la prochaine décade. »

— 30 décembre 1793. Les titres et papiers de M. de Launay de Cohardon sont brûlés devant l'arbre de la Liberté, vers onze heures du matin, en présence d'un nombre considérable d'habitants de la commune « qui ont. exprimé en criant : Vive la. République ! toute la joie qu'ils ressentaient de voir livrer aux flammes les monuments de leur servage » -

— 6 janvier 1794. M. Pierre-Antoine Cotrel, de Ferrière, déclare au Conseil de la commune, conformément aux lois, « que le citoyen Panthou, ci-devant curé du Ménil-Bérard (1), exporté, a demeuré chez lui l'espace d'onze mois », et qu'à son départ il lui a laissé des meubles, dont inventaire.

— 19 janvier 1794. Même déclaration par Jacques Besnard, dont le frère, François Besnard, prêtre et suspecté d'émigration, a résidé chez lui pendant un an.

— 27 janvier 1794. Pillage de l'église :

« Sont comparus devant le conseil de la commune les citoyens X... et Z..., nommés par la société populaire des Sans-Culottes de Courlomer, aux fins de faire inventaire de tous les effets tant en argent, cuivre et plomb, qui pourraient se trouver dans l'église de Ferrière, lesquels conjointement avec nous soussignés, membres de la Municipalité, avons trouvé :

(1) Pierre-Joseph Panthou avait été nommé curé du Ménil-Bérard, le 7 mars 1789, sur la présentation de Joseph-Antoine de Reynaud, chanoine prébende du Ménil-Bérard,


— 202 —

« Deux calices et deux patènes, un soleil, un ciboire, un bassin et deux burettes, le tout en argent, dont la pesanteur est de treize marcs ;

« Un drap mortuaire garni en argent ;

« Dix-huit plats de torches, trois plats à quêter, un bénitier, quatre croix, un encensoir, une navette, six croix avec dix chandelliers, le tout en cuivre pesant cent livres et demie ;

« Cinq clochettes en métal pesant neuf livres, plus trente et une livres de plomb et étain en différents vases ». Etc.

Les objets en mêlai : argent, cuivre, plomb et étain sont saisis par les Sans-Culottes de Courlomer, transmis au Directoire d'Alençon, et de là à la Convention nationale.

Les chasubles, linges, etc., sont mis sous scellés dans la sacristie.

— 12 février 1794. Le Conseil nomme des Commissaires ayant pour mission de saisir chez les particuliers les parchemins, livres, papiers et manuscrits qui pourraient blesser les principes de la Révolution.

— 23 février 1794. Les habitants de Ferrière, réunis dans l'église, chargent Pierre Delaporte et Thomas Levesque de se rendre devant le Représentant du Peuple « aux fins de le supplier d'accorder à la commune la libre ouverture de leur église », conformément à la Loi du 18 Frimaire qui proclame la liberté des cultes.

— 2 mars 1794. Le Conseil général de la commune et le Comité révolutionnaire de Ferrière appuient la demande des habitants et consentent à ce que le citoyen Locard, leur curé, fasse et célèbre dans l'église les offices comme par le passé, et dispose des ornements mis sous scellés dans la sacristie.

— 23 mars 1794. M. Locard remet sa démission de curé constitutionnel :

« Est comparu le citoyen Jacques Locard, ex-curé de notre commune, lequel nous a déclaré que, croyant pour le maintien de la tranquilité publique, auquel il a été de tout temps dévoué, estre obligé d'abandonner ses fonctions curiales, à ce moment il déclare renoncer à ses dites fonctions, et a déposé entre nos mains ses titres d'ordre et de prêtrise. Il nous a également dé-


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claré que ses intentions n'ont jamais été autres que d'être utile à la République, et pour en assurer la preuve il a fait dès cet instant don et remise du traitement décrété au bénéfice des prêtres qui ont abdiqué ou qui abdiqueront, ne demandant pour tout traitement qu'un logement et un jardin dans la commune pour finir sa carrière parmi sa famille, et dans une commune qu'il doit adopter eu égard à la paix qui y règne et la tranquililé qu'il y a toujours eue, et dont il se fera jusqu'à la un le plus scrupuleux devoir de mériter, et a requis que copie du présent, ainsi que de ses lettres d'ordre et de prêtrise, soient adressées incessamment aux citoyens administrateurs du district d'Alençon pour, par ces derniers, être dit et statué de ce que dessus ce qu'il appartiendra ».

— 15 avril 1794. Vu l'effroyable disette qui sévit depuis plusieurs mois, il est fait défense aux tenants des moulins d'Orgueil et du Pommier, d'élever des volailles ou des porcs et de percevoir des droits de mouture.

— 19 avril 1794. Jacques Locard, « voulant être utile à la Patrie », donne à l'église les objets suivants, à lui appartenant et non compris dans l'inventaire des ornements de l'église : une cbasuble, deux étoles, un manipule, un encensoir et un bénitier.

— 31 mai 1794. La municipalité, d'après les instructions du Directoire de l'Orne, donne l'ordre de faire disparaître les calvaires édifiés dans l'étendue de la commune, ainsi que tous les signes de royauté et de féodalité.

— 4 juin 1794. Les émigrés de Ferrière s'élèvent, à ce jour, au nombre de six.

— 8 juillet 1794. Jean Laisnay et François Gérard sont élus capitaines de la Garde nationale.

Fixation du salaire des moissonneurs pour l'année 1794 : Hommes : 25 sols et nourris, depuis la première jusqu'à la dernière gerbe (au lieu de 15 ou 16 sols en 1790); les femmes : 22 sols (au lieu de 14 sols); les voitures 9 1. par jour, plus la nourriture des chevaux ; les chevaux de somme : 25 sols et nourris.

— 18 juillet 1794. Jean Leguay, qui exerce depuis quelque temps les fonctions de maître d'école, est nommé instituteur' de Ferrière par le Conseil de la commune.


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— Le Conseil décide de faire enlever du Temple de la Raison tous les débris restés dans le choeur et dans la nef lors du pillage de l'église.

— 6 septembre 1794. Pour obéir aux ordres du district d'Alençon, M. des Moutis de la Morandière dépose à la mairie « un calice avec sa patène et son étui, un missel, trois bourses, trois chasubles, trois étoles, trois manipules et deux voiles, le tout servant à dire la messe en sa chapelle ».

— 1er et 3 novembre 1794. Vente du mobilier de l'église, à l'exception des objets suivants retenus par la municipalité : le comptoir de la sacristie, les stalles, les bancs du choeur, de la sacristie et de la chapelle des Frères, le banc de Fabrique et le drap mortuaire.

Le produit de la vente atteint la somme de 1,478 1. 18 s.

— 10 décembre 1794. Envoi à Courtomerde linges et de divers objets de fer, provenant de l'église de Ferrière : 8 nappes de toile fine, 5 pièces ayant servi aux purifications ; 436 livres de fer.

— 27 mars 1795. L'Agent national de Ferrière se transporte devant le Conseil de la commune :

« Citoyens, dit-il, des gens vendus pour faire le mal, et môme tuer s'ils le pouvaient la République entière, ont osé lever leur main parricide sur l'arbre que vous aviez si solennellement planté en mémoire de la Liberté que la France a recouvrée. Des malveillants de ce genre sont coupables d'un grand crime, puisqu'ils osent attaquer notre liberté et môme celle de la République enlière ; ce qui me donne lieu de requérir de votre patriotisme, Citoyens, que, sur-le-champ, l'administration du district d'Alençon en soit informée, et par elle prises les mesures sages et nécessaires en pareil cas ».

Le Conseil décide « qu'il sera, par les- bons citoyens de la commune, planté un nouvel arbre revêtu de ses racines, pour être a. jamais la marque de la Révolution, qui a rendu à l'homme et sa liberté et ses droits ».

— 29 avril 1795. « Est comparu à la municipalité le citoyen des Moutis de la Morandière, lequel nous a exposé qu'ayant fait dépôt des ornements de sa chapelle entre nos mains et que ses armes l'ayant été également, nous a requis de lui remettre les


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objets suscités, vu que principalement ses armes lui sont en ce moment des plus préjudiciables, à cause des brigandages qui s'exercent dans plusieurs communes et qui pourraient s'exercer dans celle-ci. Sur ce délibérant, la municipalité susdite a arrêté, l'Agent national entendu, que les meubles ou ornements lui seront incessamment rendus, excepté un fusil qui, comme les autres de la commune, est déposé au district d'Alençon, aux conditions et parce que dans le cas où la Nation prétendrait qu'elle lui appartienne, ou qui doit être séquestré, le dit des Moulis passe sa soumission de les représenter toutes fois et quantes, comme d'en donner récépissé. »

— 21 juin 1795. Jacques Locard, ancien curé de Ferrière, déclare à la municipalité, conformément à la loi du 11 Prairial « qu'il désire faire ses fonctions ordinaires dans l'église de la commune. A cet effet, il fait sa soumission de vivre sous les lois de la République, qu'il respecte, se réservant de vivre et mourir dans la religion catholique, apostolique et romaine, qu'il a toujours professée ».

— 30 août 1795. Jacques Lelard, prêtre de Mahéru, déclaré vouloir exercer le culte catholique dans l'église de Ferrière.

— 27 septembre 1795. Jacques Locard, ex-curé, retracte formellement son serment touchant la Constitution civile du clergé.

— 9 avril 1796. François Gérard est élu capitaine de la Garde nationale, laquelle ne semble plus former, à cette date, qu'une compagnie.

Il est réélu les 19 avril et 3 décembre 1797.

— 15 septembre 1798. Philippe Nolramy est nommé capitaine de la Garde nationale. Réélu le 30 juin 1799.

— 23 septembre 1800. Fête de la République : Banquet, divertissements et « chansons analogues à la circonstance ».

— 9 juillet 1801. François Gérard est élu capitaine de la Garde nationale. Réélu le 9 juillet 1802.

— 14 juillet 1801. Fête du 14 juillet et de la Paix continentale « célébrée avec toute la pompe et magnificence que la localité permettait ».

— 2 juillet 1802. L'ancien curé de Ferrière, nommé desservant provisoire, prêle serment en ces termes : « Je, soussigné, Jac-


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ques Locard, promets à Dieu sur les Saints-Évangiles de garder obéissance et fidélité au gouvernement établi par la Constitution de la République française. Je promets aussi de n'avoir aucune intelligence, de n'assister à aucun conseil, ni d'entretenir aucune ligue, soit au-dedans, soit au dehors, qui soit contraire à la tranquillité publique, et si, dans ma commune, j'apprends qu'il se trouve quelque chose au préjudice de l'État, je le ferai savoir au Gouvernement ».

— 5 mars 1803. Conformément à l'arrêté préfectoral du 24 Pluviôse dernier, le maire de Ferrière dresse l'inventaire des meubles que la Révolution a laissés dans l'église, savoir :

Dans la tour : une cloche, garnie d'une corde ; Dans la nef : deux selles pour porter les corps morts ; Dans le choeur : trois tabourets, un lutrin, une croix et quatre chandeliers de bois.

— 20 mars 1803. Rétablissement du culte catholique :

« Nous, maire de la commune de Ferrière, sommes transporté au lieu de l'église paroissiale de notre commune, accompagné de la Garde nalionale. S'est présenté le citoyen JacquesHilaire Locard, desservant pour notre commune, lequel nous a justifié de l'extrait du procès-verbal de sa prestation de serment du 15 de ce mois. En conséquence, nous lui avons remis l'église paroissiale, ainsi que les clefs d'icelle.

« Signe : GOUIHER, maire. »


MAIRES DE PERRIÈRE

1. Etienne Poirier, maire 21 février 1790—1795

2. François Gouhier, agent-municipal (1), 6 nov. 1795—1798

3. Robert Gouhier, agent-municipal 1er avril 1798—1799

4. François Gérard, agent-municipal... 1er avril 1799

5. Robert Gouhier, agent-municipal, puis maire.. 1799—1816

6. Jean-Alphonse Laisney 1816—1822

7. François Mercier..... 1822—1826

8. Charles-Alexandre Guyon de Quigny . 1826—1832

9. Alphonse Laisney 1832—1843

10. Louis Sauvage 1843—1846

11. Nicolas de Johannes 1846—1865

12. Raoul des Moutis de Boisgautier 1865—1873

13. Louis Morand. 1873—1874

14. Irénée de Rouil 1874—1889

15. Richard de Foulques.. 1890—1892

16. Louis Blanchon (en fonctions) 1892

(1) Pendant la durée des Administrations cantonales, les Maires portaient le titre d'Agents-municipaux.


INSTRUCTION PRIMAIRE

Loi du 18 juin 1833.

INSTITUTEURS

1. François Besnard.

Cet instituteur, qui exerçait sans titre universitaire depuis l'année]1810, obtint le brevet de capacité après la promulgation de la Loi de 1833. Il est mort, encore en fonctions, en l'année 1838.

2. Nicolas Boucher 1838—1846

3. Jean Garnier 1846—1848

4. Eugène Parfait 1848—1857

5. Ch.-Philippe Chevalier 1857—1860

6. François Lemasson 1860—1865

7. Vital-Alphonse Besnard ■ ■ •. 1865—1874

8. Fèlix-Prosper Dujarrier (en fonctions). ...... 1874

INSTITUTRICES

1. Mc"° Louise Besnard, soeur du premier instituteur de Perrière.

Perrière. exerça sans brevet ... 1810—1839

2. Melle Victoire Lecomte 1839—1844

3. Soeur Saint-Ansbert (Désirée Boulanger), religieuse

religieuse . 1844—1867

4. Soeur Alphonsine Colletée, religieuse de la

Providence de Sées 1867—1872

5. Soeur Céline Lebreton, id . 1872—1873

6. Soeur Armandine Viette, id 1873—1875

7. Soeur Marie Vesdie, id 1875—1880

8. Me,le Marie Fouquet 1877—1880


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9. M"" Marie Bodè 1880—1887

10. Melle Eugénie Chemin 1887—1893

11. M" 11" Marie Vinette (en fonctions) 1893

En terminant, disons que c'est à Perrière qu'est né, le 8 février 1852, M. Louis-Céneri-Édouard Morand, peintre-paysagiste dont les tableaux à l'huile et les dessins à la plume ont été admis et remarqués aux Expositions artistiques de Paris ; savoir, pour la peinture :

SALON DES CHAMPS-ELYSÉES

1880 Environs de Tellières-le-Plessis.

1881 Matinée d'Août.

1882 Le Pré. — Fin d'automne,

1883 Une belle journée d'hiver. 1885 Paysage d'hiver à Fay.

1888 Le vieux nid.

1889 Paysage d'hiver à Etiolles (Seine-et-Oise).

SALON DU CHAMP-DE-MARS

1892 Hiver à Saint-Agnan-sur-Sarlhe.

M. Céneri Morand a également exposé en province : Pau et Tours en 1882, Caen en 1883, Reims en 1892 et Rouen en 1893. Ses tableaux ont été récompensés dans deux de ces villes, Tours et Caen.

CHARLES VÉREL. Nonant, 1895.

14.


L'OCCUPATION D'ALENÇON

P^!R LES PEUSSIBNS

EN 1871

'* (Suite et fin).

CHAPITRE V

PREMIÈRE OCCUPATION

De toutes les calamités qui peuvent frapper une grande nation, la plus dure peut-être est l'invasion étrangère. Tant que se prolonge la lutte, on souffre, on meurt, on est malheureux ; mais on a du moins l'espérance, et, à défaut de l'espérance, on aurait encore pour se soutenir l'énergie du désespoir et la résolution de vendre chèrement sa vie. Mais l'invasion, c'est la défaite dans ce qu'elle a de plus humiliant ; c'est l'impuissance devant l'ennemi; c'est la nécessité de l'avoir sans cesse sous les yeux, de tout souffrir de lui, sa bienveillance comme son orgueil, ses mauvais traitements comme sa pitié, de le nourrir, de le payer, de lui faire du bien, alors qu'on n'a dans l'âme que le désir de lui faire du mal ; c'est l'abaissement du citoyen ; bien plus, c'est l'abaissement de la patrie.

Telles sont les douleurs auxquelles nous condamnait fatalement l'issue du combat de la veille. J'ai pris la tâche de les raconter ; non pas que j'aie la prétention de rien apprendre à ceux qui les ont subies ; elles ont laissé dans la mémoire une tache noire que rien ne saurait effacer ; mais il est bon d'y revenir de temps en temps, ne fût-ce que pour en supprimer les causes et pour se mettre en état de les venger.

On a dit qu'AIençon devait, se féliciter d'être occupé par l'armée du Grand-Duc de Mecklembourg plutôt que par telle ou telle autre ; qu'à tout prendre, nous avons eu affaire à des hommes modérés, qui usaient de la victoire, mais lenaient à n'en pas abuser ; que bien des villes, le Mans, par exemple, n'eurent pas


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le même avantage et furent bien plus maltraitées que nous. Nos vainqueurs eux-mêmes nous répétaient qu'ils étaient Allemands, mais qu'ils n'étaient pas Prussiens ; qu'ils nous plaindraient si nous tombions entre les mains des Prussiens. Je veux bien croire que tout cela est vrai ; et pourtant, que de calamités et de tristesses dans l'occupation telle que nous l'avons subie !

Pendant que le préfet préparait à Carrouges ses bulletins de victoire, Alençon, aux prises avec la poignante réalité, attendait l'arrivée de l'ennemi. Jusqu'au petit jour, sauf, comme je l'ai dit, dans le quartier de Montsort, on n'avait encore rien vu, rien entendu, rien appris. Le drapeau de la société internationale indiquait les hôpitaux, les ambulances publiques ou particulières, les maisons des médecins et des pharmaciens ; la croix rouge ornait la coiffure et le bras de quiconque pouvait invoquer ce ce signe de préservation ; des drapeaux étrangers flottaient à bon nombre de fenèlres (on regardait comme une bonne fortune, au moins en ce moment, de cesser d'être Français); quelques militaires attardés erraient encore dans les rues, au risque d'être victimes de leur imprudence. Vers sept heures, des cavaliers allemands vinrent, par petits groupes, prendre possession de la ville ; les uns allèrent à la Poste aux lettres, d'autres à la Mairie. En passant, ils rencontrèrent près du Théâtre deux soldats de la ligne et leur crièrent de mettre bas les armes ; l'un se constitua immédiatement prisonnier ; mais l'autre ayant tenté de prendre la luile, fut tué raide d'un coup de fusil.

A partir de ce moment, on peut dire que la terreur s'installa dans la ville. On se demande comment ces ennemis contre lesquels, la veille encore, on était si irrité, osaient, au nombre de deux ou de quatre, parcourir tranquillement nos rues, sans paraître seulement se douter que quelques coups de fusil en auraient fait aisément justice? L'assurance de la victoire est-elle donc si puissante, et la défaite abat-elle à ce point les coeurs ?

Ce premier moment de l'occupation, une telle arrogance d'une part, une telle inaction de l'autre, est bien ce qu'on peut concevoir de plus humiliant. Pour moi, je dois avouer que je fus encore moins honteux, quelques heures plus tard, de voir nos rues encombrées par le nombre de nos ennemis, que de les entendre retentir du pas solitaire de quelques cavaliers isolés. Mais il le fallait. L'heure de la résistance était passée, celle de


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l'abaissement avait sonné. Alors le courage consistait à savoir souffrir et se taire. Chacun sentait que, dans la conjoncture présente, il portait la responsabilité de toute une ville ; qu'une imprudence, une vengeance particulière pouvaient avoir des conséquences incalculables. Heureux que, parmi les habitants, pas un n'ait failli à ce devoir de sagesse et de nécessité !

Vers huit heures, un officier suivi d'une escouade de cavaliers arrive à la Mairie, demande le Maire et l'invite à le suivre au quartier général (1).

Des diverses administrations, les unes, comme celles qui louchent à l'organisation militaire, et peut-être aussi la préfecture ne pouvaient rester sans danger ; d'autres, telles que le télégraphe, n'avaient plus rien à faire ou ne voulaient pas s'exposer à prêter leur concours à l'ennemi (2) ; d'autres enfin, comme la poste, avaient été saisies par lui. Le pouvoir municipal était le seul qui restât debout ; c'était d'ailleurs le seul avec lequel les Prussiens consentissent à traiter. Le conseil municipal, et plus spécialement le maire, se trouva ainsi l'unique pouvoir responsable de tout, l'intermédiaire nécessaire entre l'armée envahissante et le pays envahi. C'était un rôle difficile et délicat. Une impatience, une faiblesse, un oubli d'un moment pouvaient avoir des conséquences incalculables au point de vue de nos intérêts ou de notre honneur. M. Lecointre se montra le digne représentant de notre cité ; il fut constamment à la hauteur de sa mission, et les Prussiens eux-mêmes, malgré leur arrogance, furent obligés de rendre justice à la fermeté de son attitude et à la dignité de ses réponses. Ils sentaient, quoique vainqueurs, qu'il ne leur laissait pas le beau rôle.

Certes, il fut loin de gagner ce qu'il aurait désiré ; mais au moins la population reconnaissante lui rend cette justice que son

il) Conseil municipal, suite de la séance du 15 janvier.

(2j Le 15 janvier, vers cinq heures du soir, le directeur du télégraphe, M. Triger, voyant la partie perdue, se hâta de désorganiser le plus perfidement possible toutes les communications, sauf une seule, celle de Caen, et d'emporkT à Argentan le matériel et les documents, ne laissant à Alençon qu'un seul appareil, avec deux employés et un facteur. A dix heures, ces employés eux-mêmes furent forcés de se retirer, après avoir caché leur appareil en lieu sûr, de manière à reprendre clandestinement leur service aussitôt que les circonstances le permettraient.

La Télégraphie dans l'Orne pendant la guerre de 1870-1871. Brochure in-8", page 12.


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dévouement et son sang-froid lui obtinrent tout ce qu'il était possible d'obtenir et lui épargnèrent peut-être bien des malheurs.

Le maire avait été prévenu que le corps d'armée de Mecklembourg allait, prendre possession de la ville et que le Grand-Duc y devait entrer lui-même vers dix lieures. Pendant que le conseil municipal était en séance, de nouvelles masses arrivaient en effet sur la place : fantassins coiffés du casque à pointe, cuirassiers blancs, uhlans, hussards, artilleurs avec leurs pièces, caissons, fourgons, équipages de pont, voitures, la plupart volées chemin faisant ; c'était comme une avalanche humaine. Mais quel ordre, quel silence, quelle tenue ! Certes, à voir ces régiments s'avançant sans autre bruit que celui de leur musique, ces cavaliers si bien équipés et si bien montés, ces nombreuses pièces de canon attelées de six forts chevaux, tous ces soldats à faces larges et rubicondes, à l'air lourd mais bien portant, chaudement et solidement vêtus, d'une propreté presque irréprochable, malgré le dégel et la boue, on n'aurait pas dit qu'ils venaient de faire une campagne de six mois. Quel contraste avec nos mobiles ! Quel contraste aussi avec les nouvelles qu'on ne cessait de répandre sur leur état de délabrement et de misère !

Les habitants les regardaient passer à travers leurs fenêtres fermées,comprimant de leur mieux leur désespoir; pas un n'eût voulu les accompagner ; les bouliques étaient closes ; le deuil élait dans les âmes et dans les maisons, le triomphe dans la rue; encore une ou deux heures, et nos ennemis allaient venir jusqu'à notre foyer, mêler leur joie à nos tristesses.

Il fallait pourvoir au logement et à la nourriture de toute cette armée. Il y en eut pour tout le monde. Le Grand-Duc de Mecklembourg, arrivé vers midi avec son état-major, était descendu provisoirement au café de la Rotonde et, de là, avait indiqué sur une carte de la ville les quartiers à occuper par chaque corps. Pendant que les sergents allaient par les rues noter à la craie, sur les portes des maisons, la charge imposée à chacune, la musique continuait sur la place : musique instrumentale, rappelant assez celle de nos cirques par son timbre cuivré; musique vocale, moins tapageuse,mais plus du goût des Allemands, à en juger par les hurrahs qui terminaient chaque morceau.

Puis, sur l'ordre des vainqueurs, les armes de toute espèce


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étaient apportées sur la place par les habitants, brisées et jetées dans la Briante. A partir de ce moment, ce fut un crime que de posséder un sabre ou un fusil ; un galon, un liseré rouge ou bleu, tout ce qui, de près ou de loin, rappelait l'uniforme, pouvait devenir un danger. Le corps des pompiers fut néanmoins conservé comme service de ville et seulement désarmé. Un grand nombre d'habitants cachèrent pourtant leurs armes. Par bonheur, les Allemands ne firent pas de perquisitions.

C'en était fait ; nous étions sous la main de fer de nos ennemis. En attendant les faits, deux affiches apposées dans la journée nous édifièrent sur la profondeur de notre abaissement. Voici ces deux documents :

« Avis,

« Par ordre de Son Altesse le Grand-Duc de Meckembourg, « aucun habitant ne doit se trouver ici, dans les cafés ni dans les « rues après neuf heures du soir.

« Alençon, 16 janvier 1871. »

« Proclamation,

« Nous, Général Gouverneur de Reims,

« D'après les ordres de Sa Majesté, le Roi de Prusse, Com« mandant en chef des armées allemandes, avons arrêté et « arrêtons les dispositions suivantes, que nous porlons à la « connaissance du public :

« Ie La juridiction militaire est établie par la présente. Elle « sera appliquée dans l'étendue du territoire français occupé par « les troupes allemandes à toute action tendant à compromettre « la sécurité de nos troupes, à leur causer du dommage ou à « prêter assistance à l'ennemi.

« La juridiction militaire est réputée en vigueur et proclamée « pour toute l'étendue d'un arrondissement, aussitôt que cette « publication sera aifichée dans une des localités qui en font « partie.

« 2° Toutes les personnes qui ne font pas partie de l'armée « française et n'établiront pas leur qualité de soldat par des « signes extérieurs et qui :

« a) Serviront l'ennemi en qualité d'espions,


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« b) Égareront les troupes allemandes quand elles seront « chargées de leur servir de guides,

« c) Tueront, blesseront ou pilleront des personnes apparte« nant aux troupes allemandes ou faisant partie de leur suite,

« dj Détruiront des ponls ou des canaux, endommageront les « lignes télégraphiques ou les chemins de fer, rendront les « routes impraticables, incendieront des munitions, des provi« sions de guerre ou lés quartiers des troupes,

« c) Prendront les armes contre les troupes allemandes,

« Seront punies de la peine de mort.

« Dans chaque cas, l'officier ordonnant la procédure instituera « un conseil de guerre chargé d'instruire l'affaire et de prononcer « le jugement. Les conseils de guerre ne pourront condamner.à « une autre peine qu'à la peine de mort ; leurs jugements seront « exécutés immédiatement.

« Le Gouverneur général, Frédéric-François, Grand-Duc de « Mecklembourg - Schwerin, Commandant le XIIIe corps « d'armée. »

Ces ordres étaient bien de nature à jeter l'effroi dans les esprits. Cependant, comme personne ne paraissait tenté de les enfreindre, la peine de mort qu'ils stipulaient si généreusement resta à l'état de simple menace. Mais il n'était pas également possible de se soustraire aux exactions particulières et aux réquisitions publiques.

L'article réquisition a, dans le système prussien, une importance de premier ordre. Chez ce peuple froid et calculateur, presque tout se traduit en une question d'argent. S'enrichir soimême et appauvrir son ennemi, c'était double bénéfice. Pour un soldat tué, c'était tant, et tant, s'il n'était que blessé. Chaque ville prise devait payer sa contribution plus ou moins forte, selon sa population, sa richesse, les conditions dans lesquelles elle avait été prise. Du reste, on commençait par demander plus que moins, sauf à en rabattre ; il arriva souvent en effet que l'adresse et surtout la fermeté obtinrent des rabais considérables.

A peine arrivés, les fonctionnaires de l'armée allemande avaient notifié au maire que de grosses réquisitions en vivres, objets d'habillement et fournitures diverses allaient lui être adressées par écrit, et qu'il fallait absolument, malgré toutes les observations, qu'elles fussent remplies dans un délai de deux


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jours, si l'on ne voulait exposer la ville aux plus grands périls, même à celui du pillage autorisé.

D'un autre côté, il était difficile de laisser aux personnes pauvres ou peu aisées l'obligation de satisfaire aux exigences de logement et de nourriture qui allaient, leur être imposées.

Des charges considérables allaient donc incomber à la ville, et il pouvait arriver que les décisions dussent être tellement rapides que le conseil municipal se trouvât empêché de délibérer mûrement. Celui-ci, en conséquence, « plein de confiance « dans la A'igilance et le dévouement dont le maire, dans ces « douloureuses circonstances, ne cessait de multiplier les « preuves », lui délégua les pouvoirs les plus étendus, voulant que toute opération, réquisition, indemnité ordonnée ou autorisée par lui engageât la ville comme si le Conseil l'avait lui-même votée (1). Le maire du reste, considérant celte autorisation comme une mesure in extremis, n'en usa que peu ou point, et trouva presque toujours le temps et les moyens de consulter son conseil.

Disons-le d'ailleurs, le malheur qui quelquefois divise, unit plus souvent encore. Tous les motifs de dissentiment furent alors oubliés, et la parfaite intelligence qui régna constamment entre le maire et son conseil, et j'ajouterai même, entre les habitants et leur administration, fut, sans nul doute, notre plus grande consolation et peut-être notre unique force.

Plusieurs conseillers étaient, absents lors de l'entrée des Allemands. Il ne peut être question ici de M. Libert, que ses fonctions de médecin des Mobiles tenaient depuis longtemps éloigné d'une manière plus utile. M. de La Sicotière était en voyage ; à la nouvelle des calamités qui fondaient sur la ville, il s'empressa de revenir et arriva le 17, encore à temps pour prendre sa part du dévouement et des dangers communs. M. Grollier était et resta plusieurs jours occupé à rechercher les morts et les blessés. Quelque louable que soit cet office, on pouvait, regretter qu'un homme de son influence et de sa valeur abandonnât son poste de conseiller municipal pour remplir le rôle d'infirmier sur le champ de bataille.

Quant à M. Lherminier, l'ardent partisan de la défense, le

(1) Cons. mun., 16 janvier 1871.


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chef du parti républicain, il avait disparu avant l'arrivée des Allemands. Dès le dimanche, pendant le combat, sous prétexte de faire son service de garde national, il s'était séparé du conseil municipal.

Et le lendemain ? et les jours suivants ? et tout le temps que les Prussiens passèrent à Alençon ? M. Lherminier était à l'abri dans sa retraite de Saint-Cénery, loin de l'ennemi, loin surtout du conseil municipal (1).

Mais revenons aux réquisitions.

Tous les pays occupés étaient durement rançonnés ; c'était la loi ; Alençon ne pouvait faire exception. Sa résistance même le signalait spécialement à la rapacité du vainqueur. Mais on serait en vérité tenté de regarder la première liste de réquisitions, car il y en eut plusieurs, comme un prétexte au pillage plutôt que comme une demande sérieuse, tant elle était exorbitante. La voici :

« Sur l'ordre du général commandant le XIIIe corps d'armée, « la ville d'Alençon, pour éviter les suites dures et les punitions, « est imposée comme suit :

« 1° Fourniture des provisions de chemises de laine, de cale« çons et de bas existant dans les lieux de vente. Seulement la « vingtième partie peut être laissée aux propriétaires pour être « vendue à des militaires.

« 2° Fabrication de cent paires de longues bottes et de deux « cents pantalons militaires en drap chaque jour, sous le « contrôle d'un employé, en ce moment M. Fleischer.

« 3° Préparation des casernes et places respectives pour les « maîtres de quartier qui n'ont pas assez de provisions, et pour y « placer convenablement les hommes et les chevaux. Il faut « indiquer en outre au commandant où on peut fournir le bois « et la paille pour coucher dans les maisons abandonnées.

(1) Cela n'empêcha pas M. Lherminier d'être réélu conseiller municipal, puis député à l'Assemblée nationale, et enfin conseiller général en concurrence avec M. Lecointre. La conduite de M. Lecointre avait pourtant été sainement appréciée. Une adresse de remercîments signée d'un grand nombre d'habitants en ferait foi au besoin. Un peu plus tard, alors que M. Lecointre, profitant de sa popularité incontestée, aurait eu des chances sérieuses de succès aux élections législatives, il préféra deux fois ne pas diviser ce qu'on appelait alors le parti de l'ordre et donna par son abnégation de nouveaux gages aux intérêts du pays.


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« L'homme peut demander chaque jour au moins une livre et « demie de pain, une livre de viande, un quart de légumes, ou « une demi-livre de légumes secs, on trois livres de pommes de « terre, trente grammes de café en grain, un litre de vin on un « dixième de litre de cognac respectivement, eau-de-vie en « général de bonne qualité, comme enfin six cigares ou un « dixième de livre de tabac.

« La ration du cheval est de 12 livres d'avoine, 3 livres de foin, « 7 livres de paille.

« Dans le cas où les états-majors préféreraient diner en « commun dans une localité convenable, la ville doit indemniser « l'hôtelier.

« 4° La préparation et la surveillance du magasin qui doit

« contenir jusqu'au 17 janvier au soir :

« 60,000 livres de pain,

« 120,000 livres de farine de froment,

« 300 boeufs pesant vivanls au moins 800 livres,

« 20,000 livres de viande de porc ou lard salé,

« 12,000 litres de cognac,

« 20,000 livres de haricots ou pois,

« 10,000 livres de riz,

« 10,000 livres de café brûlé,

« 600,000 bons cigares ou 12,000 livres de tabac à fumer,

« 6,000 livres de sel,

« 600,000 livres d'avoines,

« 30,000 livres de foin,

« 50,000 livres de paille.

« 11 faut commencer la fourniture immédiatement, parce qu'on « a besoin déjà aujourd'hui de fourrages.

« Le contrôle est exercé spécialement par un employé de « l'intendance, à présent M. Bruhle, qui décidera aussi concer« nant les compléments ultérieurs.

« 5° Les petites réquisitions exigibles pour le quartier général « et les états-majors placés dans la ville seront réglées à part « par des employés de l'intendance.

« Pour toutes les réquisitions fournies dans la voie régulière, « il doit être remis reçu.

« Quartier général, Alençon, 16 janvier 1871, 4 heures après

« midi.

« Signé : SCHWEDLER, intendant militaire

« du XIIIe corps » (1). (1) Conseil municipal, 16 janvier, 7 heures du soir.


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Et ce n'était pas tout : chaque général, chaque intendant réclamait pour sa division ou pour lui-même. C'étaient, pour la table du Grand-Duc, des veaux, des dindons, des oies, des sardines, du chocolat des saucissons, par douzaines ou par centaines ; c'étaient, pour d'autres, des bottes, des pantalons, des fournitures de toute sorte, et jusqu'à de l'huile de baleine.

L'embarras était grand au conseil. Repousser les exigences prussiennes était compromettre, la ville ; y accéder était simplement impossible. Alençon ne possédait peut-être pas la moitié des quantités exigées. On se trouvait dans la plus pénible position, en présence de ces officiers à l'air froid et arrogant, répondant aux observations et aux réclamations ces seuls mots : il le faut. Et cela non pas une fois, mais sans cesse pendant quatre longs jours. Jusqu'au vendredi, le conseil resta presque constamment en permanence ; le maire surtout n'eut pas une minute de liberté ni de tranquillité. M. Lion lui-même, professeur d'allemand, qui remplit les fondions d'interprète, put à peine quitter la mairie. Son rôle ne se borna pas du reste à une simple traduction de paroles ; toutes les fois que sa connaissance de l'allemand le mit à même de servir les intérêts de la ville, son patriotisme ne recula jamais. Il fut d'ailleurs largement secondé par M. Gautier. La ville leur doit un juste tribut de reconnaissance.

Dès le premier jour donc, la situation se dessinait d'une façon inquiétante. L'impossibilité de satisfaire aux réquisitions suggéra l'idée de s'adresser directement au Grand-Duc. C'était froisser les intendants et les généraux ; l'un d'eux ne se gêna pas pour en dire brutalement sa pensée au maire et en renouveler ses menaces ; mais on espérait que le général en chef serait moins dur que ses lieutenants. Le Grand-Duc, en effet, dans l'entrevue qu'il eut avec le maire, déclara formellement qu'il regardait le pillage comme un acte de barberie et que jamais il ne le permettrait à son année. Que la ville, dit-il, fasse son possible; on ne pouvait lui demander davantage. C'était une bonne parole et M. Lecoinlre revenait presque satisfait ; mais à peine avait-il rendu compte de sa mission, qu'il recevait la notification que la ville, en punition de la part qu'elle avait prise à la défense, était imposée à la somme de 300,000 francs, contribution qu'on avait, disait-on, abaissée à un taux aussi modéré en considération des


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objets en nature exigés antérieurement. Cette somme de 300,000 francs devait être versée dès le lendemain matin, avant 8 heures. La même lettre contenait une réquisition de chevaux. Enfin, comme il n'y a plus de raison pour s'arrêter quand on est lancé dans la voie de l'arbitraire, on prétendait imposer au maire l'obligation de faire réparer dans un délai de quarante-huit heures toutes les coupures de routes faites à l'intérieur du département, sans se préoccuper de savoir s'il avait l'autorité et les moyens de faire exécuter ces travaux. C'était ridicule ; mais c'était aussi un moyen ajouté à tant d'autres de battre monnaie à nos dépens.

M. Lecointre écrivit au Grand-Duc pour lui exposer ses raisons, faire appel à sa modération et à sa justice. Sa lettre parvint-elle jusqu'à lui ? On l'ignore ; mais peu après, une réponse émanant d'un chef d'état-major maintenait les 300,000 francs, en exigeait le paiement dans le délai indiqué, et en cas d'inexécution, ajoutait aux menaces précédentes celle de l'arrestation en qualités d'otages et de la transportation en Allemagne du maire et de douze notables (I).

Plus d'un membre du conseil penchait à attendre. Cependant comme il y eût eu imprudence évidente à résister à la force, on s'arrêta au parti le plus sage ; un emprunt à 6 % fut voté et les conseillers se partageant les quartiers de la ville, allèrent de maison en maison pour le faire couvrir. Malgré leur diligence, on fut obligé de demander un sursis. Enfin les 300,000 francs furent versés dans les caisses prussiennes.

Cette contribution, toute considérable qu'elle est, ne dispensait pas la ville des réquisitions en nature. Mieux vaut, disait un intendant prussien, que vous mouriez de faim plutôt que nous. A voir leurs faces rubicondes, il était facile de s'assurer qu'ils n'avaient rien à craindre à cet égard. Des commissaires furent nommés dans le conseil municipal, pour veiller à la fourniture des objets exigés. Dire toute la peine qu'ils eurent serait chose impossible. Les réquisitions se succédant sans fin, on ne se figure pas les difficultés qu'ils eurent pour les réunir; sans compter celles, non moins grandes, qu'ils avaient pour les faire accepter. Tantôt, comme pour les demandes de pantalons et de

(1) Cons. munie. 17 janv.


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Lottes, les quantités étaient telles que les ouvriers d'Alençon n'avaient ni les fournitures ni le temps nécessaires pour y satisfaire ; quelquefois les denrées exigées n'étaient pas dans la ville, et pour aller les chercher, il fallait des laisser-passer et des voitures qu'on ne rougissait pas de refuser. Il arriva aussi, comme pour une certaine réquisition de 300 boeufs et de 40 chevaux, qu'on ordonna d'en réunir un plus grand nombre sur la Place, afin de choisir plus à l'aise ; ou bien on commandait directement les fournisseurs et l'on payait en un bon sur la mairie. Je laisse à penser les désordres et les pertes qu'occasionaient des procédés aussi peu réguliers.

Mais ce n'était encore là que la moindre partie des charges que nous imposa l'occupation. Que serait-ce si l'on pénétrait dans chaque maison pour connaître les dommages et les vexations que les particuliers eurent à subir. Le nombre des troupes allemandes qui passèrent à Alençon, du lundi au vendredi, n'est pas évalué à moins de vingt-cinq à trente mille hommes. Une quinzaine de mille y séjournèrent ; les autres se répandirent dans les campagnes environnantes. Ces soldats arrivaient à toutes les heures, par masses plus ou moins compactes ; malgré leur organisation, il était impossible qu'une répartition quelque peu équitable des charges fût établie ; c'était d'ailleurs le moindre de leurs soucis. Ils tenaient à ne relever que d'eux-mêmes, se logeaient à leur gré ou au hasard, chassaient les habitants de leurs chambres ou même de leurs lits, et plus d'une fois, semblèrent prendre une sorte de plaisir à surcharger les personnes les moins aisées, et jusqu'à des pauvres. Plusieurs habitants réclamèrent, rarement on écouta les plaintes. Les maisons d'éducation furent en général exemptées ; cependant la communauté de l'Adoration eut à loger jusqu'à 140 soldats. On pourrait citer telle maison de médiocre grandeur qui en eut à la fois une soixantaine. On les entassait comme on pouvait, à mesure qu'ils arrivaient, dans le salon et dans les autres pièces. Quand ils partaient, c'était un autre travail ; il s'agissait de nettoyer leurs ordures. Car autant ils se montraient propres et bien tenus sous les armes et dans les rues, autant ils étaient sales dans l'intérieur des maisons : la discipline qui avait transformé le soldat, avait laissé l'homme à ses défauts.

Leur saleté n'avait d'égale que leur gourmandise. Ils étaient


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censés se nourrir à leurs frais, et leur intendance en effet leur fournissait largement (c'était au compte de la ville) du pain, de la viande, etc., mais que de suppléments ils exigeaient, et en quelle abondance ! On s'étonne, en vérité, de leur puissance absorbante. Ils avaient pour principe que la viande et le vin font les hommes forts. La plupart sortaient de leurs campagnes, où ils étaient misérables ; aussi les fatigues de la guerre qui amaigrissent les autres n'avaient-elles fait que de les rendre plus gros et plus gras. Ce n'était pas une petite charge pour chacun que de les rassasier, surtout si on y joint le bois qu'ils entassaient pour se chauffer. Les bûchers se vidaient comme par enchantement et jamais on n'avait vu pareil nombre de feux de cheminée. Encore heureux s'ils n'avaient pris que ce que leur estomac pouvait porter ; mais ils ne se gênaient pas pour charger leurs sacs, et quelquefois leurs fourgons, de nos dépouilles. Tout leur était bon, et quoiqu'ils donnassent la préférence aux objets dont ils avaient un besoin immédiat, ils ne négligeaient pas les autres : ce qui ne pouvait pas leur servir pourrait, en Allemagne, être utile à leurs femmes et à leurs enfants. Les tabacs avaient été écoulés sur d'autres villes ; les débits étaient donc peu garnis ; mais dès l'après-midi du premier jour, il eût été impossible de trouver dans aucun de quoi faire une cigarette. Les armuriers avaient aussi pris leurs précautions et avaient laissé peu de chose à piller. Les cafetiers n'avaient pas eu la môme prudence. Espéraient-ils griser et empoisonner les Prussiens, comme ils le faisaient la veille encore de nos soldats ? Toujours est-il que leurs caves furent bientôt à sec. Leur vin surtout fut 1res goûté par leurs nouveaux clients ; mais pas un ne sortit ivre. Ils aimaient mieux emporter les bouteilles dans leurs poches que de boire outre mesure. Les épiciers, les boulangers, les pâtissiers, les couteliers, les marchands de chaussures furent également l'objet des préférences de messieurs les Allemands. On en vit des compagnies entières faisant la chaîne pour se passer de main en main les chaussures d'hommes, de femmes et d'enfants d'un magasin. On peut juger si les rayons furent bientôt vides.

Le premier jour, on était abasourdi ; on laissait faire. Les jours suivants, des marchands voulurent se plaindre et défendre leur bien ; autant aurait valu ne rien dire. Quelques-uns cependant obtinrent des reçus des marchandises prises, ou furent


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payés en bons de réquisition sur la mairie. Quant aux particuliers, il en est peu qui n'aient constaté quelque déficit dans leur mobilier après le départ de leurs hôtes. Ceux-ci prenaient sans scrupule ce qui était à leur convenance ; mais comme leurs sacs n'étaient pas indéfiniment extensibles, ils laissaient souvent d'autres objets, qu'ils ne pouvaient emporter. C'était un mode de compensation peu goûté par nos Alençonnais.

Les chefs savaient tout cela. Us avaient la prétention (pas toujours justifiée) de payer tout ce qu'ils prenaient eux-mêmes, mais se préoccupaient fort peu de semblables peccadilles de la part de leurs hommes. L'absence, loin d'être un moyen de préserver les maisons, les exposait à une violation presque certaine, et la présence de simples domestiques fut trop souvent une protection insuffisante. Témoin ce domestique qu'une troupe de pillards endormit, empoisonna presque, avec un mélange d'eaude-vie et de jusquiame, afin de procéder plus à l'aise à la visite des appartements et des meubles. Ajoutons cependant que les perquisition et les fouilles furent toujours l'exception et n'eurent guère lieu qu'à la campagne, là où l'éloignement et le relâchement de l'autorité assuraient au brigandage une plus grande facilité et une impunité plus certaine.

Ces déprédations commises par les soldats laisaient que, dans beaucoup de maisons aisées, on se regardait comme relativement heureux d'avoir des officiers. Cela coûtait plus cher; car on était tenu de les nourrir, et de les bien nourrir; mais on les trouvait moins sales, moins pillards, moins grossiers. Le Grand-Duc avait été s'installer à la Préfecture avec deux ou trois de ses généraux ; il mangeait au Grand-Cerf avec son état-major. Les autres officiers s'étaient partagé les familles riches. On leur avait fait, un peu légèrement à mon avis, la réputation d'hommes bien élevés. Les fonctions d'officier étant fermées dans l'armée prussienne aux simples soldats et aux sous-officiers, leur origine et leur instruction étaient, disait-on, des garanties de leur bonne éducation. Beaucoup semblèrent prendre à tâche de justifier l'opinion avantageuse qu'on avait d'eux ; mais qu'il arriva bien plus souvent que leur bonne éducation était tout simplement de l'adresse doublée d'arrogance. Ils préféraient obtenir de bonne grâce ce qu'ils étaient toujours prêts à exiger par la force ; et d'un autre côté, l'habitant, qui n'avait pas le droit de se montrer diffi-


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cile, se trouvait presque flatté de la politesse facile de son vainqueur et s'empressait de la payer en prévenances et en soins beaucoup plus coûteux pour la bourse et surtout pour l'amourpropre.

L'officier allemand se présentait donc poliment ; quelquefois il allait jusqu'à s'excuser des dures nécessités de la guerre. Il choisissait son logement et avait d'ordinaire la discrétion de ne pas prendre celui de la maîtresse de maison. Il allait ensuite offrir ses hommages à Madame et, s'il n'aimait mieux faire table à part, lui demandait l'heure du repas. Souvent elle aurait désiré le faire servir à sa chambre (la présence d'un ennemi est chose peu agréable), mais il était trop bien élevé pour lui causer ce dérangement. Insistait-elle; c'était alors qu'il exigeait. Aux repas, il avait la politesse de se contenter d'une table bien servie ; mais s'il ne la trouvait pas à son gré, il ne se gênait pas pour commander quelque supplément. Invitait-il des amis, il allait lui-même à la cuisine ordonner un dîner convenable, ni trop, ni trop peu, toujours au compte de son hôte, et il poussait la délicatesse jusqu'à y inviter le maître de la maison ; même jusqu'à lui laisser la liberté de refuser. Voyait-il un piano dans le salon, il l'ouvrait ; quoi de plus aimable que de faire de la musique ? Mais la famille est dans la tristesse ; le fils est prisonnier, mort peut-être. Qu'importe ? il ne jouera que des airs graves ; et il fallait que la malheureuse mère se soumît à ses caprices, trop souvent et bien mal à propos honorés du nom de gracieusetés et d'éducation distinguée. Les Allemands avaientils besoin d'une église pour y faire quelque office ou y chanter quelque Te Deum, ils la demandaient doucement au curé, en ayant soin d'insinuer qu'un refus ne servirait qu'à lui attirer des désagréments inutiles, et le curé en était réduit à se soumettre, sauf à protester contre la profanation de son église par un culte hérétique. Ce fut l'église de Notre-Dame qui, comme la plus grande et la plus belle, servit habituellement pour les offices protestants ; celle de Monsort fut affectée de préférence au culte catholique ; celle de Saint-Léonard fut entièrement préservée.

Telles sont en résumé les tristesses des quatre longs jours, on pourrait dire des quatre siècles que nous avons passés sous le joug des Allemands. Le jeudi, ils commencèrent leur mouvement d'évacuation par les routes de Mortagne, Laigle, Rouen etCaen.


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Leurs fourgons, les voitures de réquisition, chargées en grande partie de nos dépouilles et de celles des environs, ne mirent pas moins de deux heures à défiler. Le vendredi matin, la cavalerie se repliant dans la direction du Mans, se cantonnait à Fresnay, à Beaumont, à Ballon etc. (1) La ville était délivrée de la souillure de l'occupation étrangère.

La tristesse était profonde, les dommages matériels incalculables, mais l'honneur était sauf; et pour ne citer qu'un détail qui n'est certes pas à négliger, pas une affiche, pas un ordre allemand n'avait été contresigné par une aiitorité française ; et aussi, pas un moment le drapeau national n'avait cessé de flotter sur la mairie et les édifices publics.

Le maire donna immédiatement avis de la bonne nouvelle ; mais il recommanda en même temps de laisser circuler sans les inquiéter les patrouilles allemandes qui pourraient traverser nos rues. Ce n'était certes pas une petite douleur que de supporter en silence le passage de soldats ou de traînards isolés, quelquefois sans armes ; mais la nécessité le voulait ainsi.

Les Prussiens nous avaient laissé, avec le souvenir de leurs injures et le désir de les venger, l'exemple de leur discipline. C'était, sans contredit, chose admirable que l'ordre qui régnait dans leur armée, et même qu'ils faisaient régner autour d'eux. On a peine à se figurer le calme de ces quatre jours, malgré les mouvements de troupes, l'ivresse de la victoire, le désespoir des habitants ; malgré enfin les mille causes de trouble et de bruit que devait produire la guerre. Peut-être aurait-on pu dire, au moins en ce qui nous concernait, que cet ordre et ce silence n'étaient que le silence de la mort, l'ordre par la terreur ; mais ils n'eurent pas moins pour résultat certain de nous éviter bien des malheurs. N'était-ce rien aussi que ce respect pour les femmes que nos ennemis professèrent presque constamment ? C'est à peine si l'on pourrait citer quelques oublis à ce sujet. Les Allemands étaient arrogants, exigeants, pillards, mais leurs exigences mêmes et leurs pillages se faisaient méthodiquement et étaient, en quelque sorte, organisés. C'était plus odieux, dans un sens ; c'était assurément moins préjudiciable. Alençon fut malheureux, profondément malheureux ; il a le droit d'en accuser

(1) Grand État-major AlJem., p. 877.

15.


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ses ennemis ; c'est son rôle ; ne devrait-il pas plutôt encore en accuser la guerre ? D'autres nations, à la place des Allemands, auraient fait autrement ; auraient-elles fait mieux ?

Quoi qu'il en soit, il fallait se réorganiser sans retard. On avait vécu enfermé chez soi, comme des reclus ; on se reconnut ; on se visita ; on se raconta ses petites aventures ou ses traverses ; on supputa ses pertes ; on rouvrit les magasins; on remit la propreté partout, ce qui n'était pas une petite affaire. Jamais pareils monceaux d'immondices n'avaient souillé nos rues ; jamais telle quantité d'ordures n'avait rempli nos maisons.'Longtemps après, une odeur particulière, que j'ai entendue appeler l'odeur du Prussien, s'en exhalait encore.

De son côté, .la mairie avait à remettre de l'ordre partout. Quelques vols avaient été commis à la caserne des Capucins ; des objets appartenant à l'État avaient été donnés par les Allemands ou pris par des particuliers ; il était à propos d'en poursuivre la restitution. Il était urgent de pourvoir à l'alimentation de la ville et d'assurer le transport des denrées. Il y avait à régler avec les particuliers de nombreux comptes de réquisitions, la plupart faites par l'autorité allemande; d'autres aussi que les autorités françaises avaient été forcées de faire. Des propriétaires avaient abandonné ou mis en dépôt à l'abattoir des chevaux, des boeufs ou des Aaches; il fallait les mettre en demeure de venir les réclamer, s'ils ne voulaient les laisser vendre à leur compte. Enfin on découvrit avec effroi un autre fléau que les Prussiens laissaient presque partout derrière eux, le typhus des bêtes à cornes. On sait que, depuis plusieurs années, cette maladie, la ruine de l'agriculture, sévissait en Allemagne. Le contact des animaux allemands avec les nôtres ne pouvait manquer de propager la contagion. C'est en effet ce qui arriva. Des précautions minutieuses, des arrêtés sévères furent pris. On réussit à atténuer le mal ; mais on ne put empêcher qu'il ne causât dans tout le pays des pertes énormes.

Le 22 jr.nvier, les journaux de la localité recommencèrent à paraître. On savait que les administrations ne pouvaient de sitôt reprendre leur service ; il en est une pourtant, celle de la poste dont on attendait le rétablissement avec une grande impatience. Au moment où les destinées de la France se décidaient peut-être à Paris et dans nos armées, l'absence de nouvelles était un véritable supplice.


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Nous pûmes enfin apprendre alors, non seulement les grands événements qui se déroulaient au loin, mais aussi les faits infiniment moins importants qui venaient de se passer à notre porte : Les Prussiens s'étant répandus dans tout le pays, avaient porté partout avec eux la dévastation. Peut-être même que les campagnes, soumises à une surveillance moins sévère et aune discipline moins exacte, avaient été encore plus éprouvées que la ville. Non content de consommer et de voler dans les maisons, non content d'enlever les grains, les fourrages, les bestiaux, les provisions de toute sorte, d'ajouter aux réquisitions en nature de lourdes contributions en argent, l'ennemi n'avait-il pas été jusqu'à forcer les paysans à être les propres exécuteurs de leur ruine et à amener les objets réquisitionnés soit à- Alençon, soit même plus loin, avec leurs chevaux et leurs voitures.

Une contribution de 60,000 francs avait été imposée à la ville de Beaumont. Cette somme n'ayant pas été réalisée assez tôt, trois otages avaient été amenés à Alençon et n'avaient été relâchés qu'après le paiement intégral de la contribution.

Arsonnay devait naturellement payer cher l'honneur d'avoir eu le combat sur son territoire. Il avait été dévasté le 15 janvier, c'était inévitable ; mais comme s'il n'avait pas été assez éprouvé, il fut frappé d'une contribution de 12,000 francs ; il n'en put payer que 3,000.

Saint-Pater qui avait été aussi le théâtre de la lutte, avait été également privilégié pour la dévastation. Son château notamment avait été indignement souillé ; le caveau, contenant 3,000 bouteilles de vin, avait été mis à sec.

Dès le lundi, des uhlans poursuivant nos mobilisés, avaient eu un des leurs tué à la Boissière. Ses camarades, ne sachant d'où le coup était parti, rebroussent chemin pour chercher du renfort, et à leur retour, arrêtent deux individus sans défense, prétendant que ce sont eux qui ont tué leur camarade. Ces malheureux, après avoir été fort maltraités et avoir reçu plusieurs coups de sabre, sont traînés jusqu'en face de Verveine, où l'un d'eux est fusillé. Son compagnon emmené prisonnier, réussit à s'évader (1).

D'autres faits analogues étaient signalés sur d'autres points.

500 Prussiens avaient occupé Moulins-le-Carbonnel et y avaient exercé leurs réquisitions.

(1) Lettre du maire de Condé-sur-Sarthe au juge de paix.


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Lonrai avait eu particulièrement à souffrir. 2,000 fantassins et 200 lanciers en avaient occupé toutes les maisons et tous les lits, forçant les habitants à coucher sur la paille, sans même respecters les vieillards et les malades. Les communications avaient été interrompues ; le vol à main armée organisé. Divisés en quatre bandes de trois ou quatre hommes, dont un officier, les envahisseurs n'avaient pas rougi d'aller de maison en maison réclamer de chaque habitant une contribution de 20 francs. Et comme la plupart étaient hors d'état de payer, ils ne se retiraient qu'après avoir fouillé bourses, porte-monnaies et armoires. L'adjoint luimême, en l'absence du maire, s'était vu obligé d'accompagner une de ces bandes. Leurs rapines s'étaient exercées de préférence sur le château ; ils y avaient dévoré les provisions, bu le vin, brisé les meubles, enlevé tout ce qui tentait leur rapacité ; enfin comme souvenir de leur passage, ils avaient mis le feu en partant à un magnifique hangar (1).

Valframbert, Cerise, Forges, Vingt-Hanaps, Colombiers, Saint-Germain, Condé, Radon, Hèloup, toutes les communes des environs d'Alençon avaient eu à subir des visites, des réquisitions, et souvent aussi des contributions et des vols analogues. A Damigny, le maire leur avait dit carrément : « Vous pouvez « me fusiller, si vous le voulez, mais je vous déclare que je ne « vous donnerai pas un sou » et le maire ne fut pas fusillé.

En parlant d'Alençon, les Allemands s'étaient dirigés sur le Mesle, Essay et Sées. Le préfet Dubost avait pris à la vérité les mesures les plus énergiques pour leur barrer le chemin. « Tenez-Arous prêt, avait-il écrit au sous-préfet d'Argentan et au « maire de Sées, à donner l'ordre le plus formel de couper la « ligne de chemin de fer et les routes depuis Argentan jusqu'à « Alençon et le plus loin possible, et à faire sauter tous les ponts « depuis Argentan jusqu'à Alençon sur les chemins de fer.

« Employez-y toute votre population, si cela est nécessaire »

Et le lendemain : « Extrême urgence. — Faites sauter sur-le« champ toutes les communications, tous les ponts, soit de la « voie ferrée, soit des routes ordinaires entre Argentan et Alen« çon, le plus loin possible. Prenez tous les moyens, requérez « les outils, requérez la population ; faites venir par train spécial

(1) Lettre de l'adjoint au juge de paix.


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« et rapide de Caen tout ce qui peut vous manquer. Travaillez « jour et nuit. Si les populations refusent le travail, forcez-les-y, « le revolver à la main. C'est une grande mission, et urgente. « Ne perdez pas un instant, je télégraphie moi-même à Caen ; « mais télégraphiez aussi ». — El le même jour 17 janvier : « Il faut de toute nécessité, écrivait-il au colonel Lipowski, « défendre la ligne d'Argentan à Alençon. Ce soir, général « Gérard sera à Argentan avec batteries d'artillerie. Jetez-vous « vivement sur les flancs de l'ennemi, à hauteur de Sées. Je « compte, mon cher colonel, que vous ordonnez aujourd'hui « même le mouvement ; c'est urgent » (1).

Hélas ! ces recommandations si pressantes furent bien inutiles. Reçurent-elles seulement un commencement d'exécution ? En tout cas, elles n'arrêtèrent pas un instant le mouvement des ennemis. Arrivés à Sées sans coup férir, ils occupèrent la ville au nombre de trois ou quatre mille et lui imposèrent des réquisitions et une contribution de 60,000 francs ; firent, comme à Alençon, des dégâts à la gare et dans quelques maisons ; rompirent, le long de la route, les fils télégraphiques et firent sauter quelques ponts. Le château de la Chapelle-près-Sées fut soumis à toute sorte de déprédations ; le propriétaire, M. d'Auger ne fut pas sans courir des dangers sérieux.

Quelques alertes eurent lieu sur d'autres points du département. Mortagne fut occupé. Le préfet avait représenté cette ville comme ayant opposé une résistance des plus honorables ; la vérité est qu'elle n'avait pas bougé et que les pertes des Prussians s'étaient bornées à un cavalier blessé d'une chute de cheval. Le récit du préfet n'en faillit pas moins occasionner à la ville de Mortagne les plus grands désagréments.

Dans la Mayenne, du côté de Sougé, Champfremont, laPooté, Gesvres, etc., les habitants et les gardes nationaux faisaient subir aux ennemis isolés ou courant le pays par petites troupes, des pertes légères, mais répétées. Etait-ce un moyen suffisant de réhabiliter leurs mobilisés ?

Les nouvelles des pays plus éloignés de nous étaient naturelle(1)

naturelle(1) parlementaire sur les actes du Gouvernement de la défense nationale. Dépêches télégraphiques officielles. In-4°, 1875, tome I", pages 521 et 522. Dépèches du 16 et du 17 janvier 1871 au sous-préfet d'Argentan et au maire de Sées — et du 17 janvier au colonel Lipowski.


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ment encore plus incertaines que les autres. Le bombardement de Paris continuait ; voilà tout ce qu'on savait. Quant à la résistance des Parisiens et à ce qui se passait dans nos armées, même dans celle de Chanzy, qui était à nos portes, ce n'était que contradictions.

Les quelques renseignements et les quelques journaux que nous pouvions nous procurer, nous venaient par la voie de Domfront, quand toutefois la voiture n'était pas empêchée de faire son service. Mais de ce côté, les obstacles furent amenés en partie par une cause que nous étions loin de soupçonner, par nos propres troupes. Des mobilisés de la Mayenne occupaient la forêt de Pail. Leur colonel ne s'avisa-t-il pas de retenir prisonniers deux voyageurs alençonnais, M. Sanson allant à Caen pour ses affaires, et M. Jules Bonnet, chargé par le maire d'Alençon de remettre à la poste à Domfront un télégramme et une lettre à la double adresse du général Chanzy et de la délégation de Bordeaux.

Si ces pièces étaient tombées entre les mains des Prussiens, elles auraient bien pu coûter la vie à celui qui les avait signées et à celui qui se dévouait à les porter.

Elles avaient pour but de faire connaître au général Chanzy et au ministre de la guerre la force et la composition de l'armée du grand-duc de Mecklembourg, la direction qu'elle avait prise vers Rouen en quittant Alençon ; tandis que tout le monde était convaincu jusque-là qu'elle marchait sur la Bretagne.

Deux membres du conseil municipal, MM. de la Sicotière et Vivario allèrent réclamer la liberté des deux prisonniers ; mais déjà le colonel Bournel les avait expédiés avec leurs dépèches au général commandant le XXIe corps à Mayenne. C'était, paraîtil, un malentendu provenant de l'état d'exaltation du colonel ; mais comment de telles erreurs pouvaient-elles se produire, et n'aA'ions-nous pas assez des Prussiens pour nous faire la guerre ?

II y avait à peine quatre jours que nous étions délivrés des Allemands quand une autre visite, que je n'oserais appeler aussi malencontreuse, vint remettre l'alarme dans les esprits, ce fut celle de notre préfet, M. Antonin Dubost.

S'il n'avait pas connaissance de la lettre dans laquelle le maire déclarait au gouvernement que le préfet ne pouva


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revenir à Alençon et qu'il était impossible de répondre de l'exaspération de la population, au cas où il y remettrait le pied, il se doutait au moins du peu de sympathie qu'il inspirait et craignait un accueil peu flatteur ; car ce fut au milieu d'un appareil militaire presque effrayant qu'il reparut parmi nous. Il était à cheval, escorté du lieutenant-colonel Raulin et de quatre ou cinq francs-tireurs et gendarmes, la carabine au poing. Une compagnie de francs-tireurs le précédait ; d'autres troupes, avec des pièces d'artillerie, le suivaient. Ainsi protégé et accompagné, il alla prendre possession de la préfecture, sans négliger de conserver, jour et nuit, auprès de lui et jusqu'à la porte de son appartement, une garde respectable de francstireurs.

Que venait-il faire ? Qu'avait à faire en ce moment à Alençon cette force armée d'un millier d'hommes, alors que nos ennemis étaient les maîtres et que nous n'étions protégés contre leur retour que par une sorte de capitulation tacite ? On parlait sur la Place de protester contre la présence du préfet, de l'inviter, de l'obliger même à partir. Le conseil municipal hésitait, comme de juste, à. se mettre en opposition ouverte contre son autorité.

Cependant, sans élever de conflit, sans outrepasser ses attributions et ses droits, ne lui était-il pas possible d'intervenir ? On pouvait demander des explications à M. Dubost ; on pouvait lui démontrer les dangers auxquels il exposait inutilement la ville ; on pouvait surtout adresser des plaintes à l'autorité supérieure. M. Lherminier, de retour depuis que les Prussiens ne sont plus là, et M. Crocquefer, reçurent immédiatement une mission, à laquelle, par parenthèse, ils devaient, peu de temps après, trouver moyen de se soustraire, celle d'aller à Bordeaux présenter la situation et les doléances de la ville. M. Lherminier, mandé par le préfet, revint bientôt, promettant de sa part une lettre très prochaine pour le maire, et se fit l'interprète auprès du conseil de ses explications qui n'expliquaient pas grand'chose. M. Dubost, dit-il, a tout simplement repris possession de son poste et le colonel Tardy nommé en remplacement du général de Malherbe, est venu à Alençon avec sa troupe, sans doute parce qu'il y avait affaire. Il ignorait et devait ignorer ses motifs (1).

(1) Conseil municipal, séance du 24 janvier .


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En attendant la communication préfectorale, on obtenait des commandants militaires la promesse de reporter leurs postes à deux ou trois kilomètres et d'éviter un conflit en ville Mais une nouvelle complication était en train de surgir. Les communications ayant été interceptées, l'entrée en ville interdite par les troupes, Alençon allait se trouver exposé à la famine. Tous ces mobiles et ces francs-tireurs qui affamaient si allègrement la ville, ne pouvaient-ils donc songer qu'eux-mêmes étaient autant de bouches de plus à nourrir et qu'ils n'entendaient pas plus que les habitants, se résigner à mourir de faim ? Ce fut encore là un nouveau sujet de conférences. Enfin le préfet se décida à envoyer sa lettre.

Il commençait par s'indigner des accusations portées contre lui. Tout en déclarant que c'était un devoir pour chaque ville, pour chaque bourgade, pour chaque hameau de se détendre les armes à la main, il voulait bien regarder la résistance d'Alençon comme suffisante. Notre ville, par un engagement au dehors, avait réussi à retarder efficacement la marche de l'ennemi ; c'était peu ; il eût été à désirer qu'on eût fait davantage ; mais à la ligueur, on pouvait s'en contenter. Il continuait à considérer Alençon comme un point militaire de premier ordre, qu'il était de la plus grande importance de préserver de l'atteinte de l'ennemi. Il alléguait, comme par le passé, les prétendus ordres énergiques qu'il avait reçus et dont il n'était que le fidèle exécuteur. « Miner des ponts, disait-il, dresser des barricades, cré« neler des murs sont des travaux qui émeuvent une popula« tion, qui ont ému celle d'Alençon. Mais peut-être, M. le Maire, « n'avez-vous pas suffisamment rendue publique la déclaration « que je vous ai faite, à vous et au Conseil municipal, c'est à « savoir que nous ne devions nous servir de ces moyens de « défense qu'à la condition qu'ils seraient absolument et étroite« ment indispensables au salut de notre petite armée, qui devait « combattre en avant d'Alençon.

« Si chacun avait connu cette déclaration "et en avait pesé « l'importance, on se serait facilement convaincu que le Préfet, « soucieux des intérêts de la défense nationale savait aussi sau« vegarder dans la mesure du possible les intérêts purement « locaux » (1).

(1) Lettre du préfet.


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Mais ce qu'on aurait voulu obtenir du préfet, c'était moins des explications sur le passé que des engagements pour l'avenir. On craignait toujours ses imprudences. Aujourd'hui, comme par le passé, on était disposé à tous les sacrifices utiles au pays, mais à la condition qu'ils lui soient véritablement utiles. Le préfet pouvait-il être le juge ou l'exécuteur de mesures militaires de quelque importance ? Inspirait-il une confiance suffisante à cet effet ? On jugea pourtant, à propos, en désespoir de cause, de lui envoyer une députation. Trois points furent traités avec lui : D'abord, la question militaire ; il se montra très circonspect à ce sujet. Il aurait pu se prévaloir de certaines dépêches, dans lesquelles le général Chanzy le chargeait de faire suivre par des agents sûrs les mouvements de l'ennemi, lui demandait des renseignements fréquents, prompts et exacts et finalement l'engageait à réoccuper Alençon (1) ; il préféra rester dans les généralités et se contenta de dire que notre ville était toujours exposée à devenir le théâtre de la guerre ; qu'il ne demanderait pas mieux que de lui éviter des sacrifices trop pénibles ; mais qu'il ne pouvait rien promettre et exécuterait toutes les mesures qui lui paraîtraient commandées par l'intérêt général. Sur le secend point, celui des postes de francs-tireurs «t de mobilisés, il déclina toute discussion et dit que cette question étant de la compétence de l'autorité militaire, il n'avait point à y intervenir. Enfin, en ce qui concernaitles subsistances, il donna des assurances plus formelles.

Mais tandis qu'on passait le temps en délibérations et en pourparlers, les événements allaient leur train, et deux jours n'étaient pas passés depuis l'arrivée du préfet, qu'on put s'assurer que les craintes qu'inspirait sa présence n'étaient que trop fondées.

M. Dubost ne pouvait résister à l'envie de jouer au général. Il était arrivé le mardi ; dès le mercredi, ses troupes allaient en grand'gardes ou par compagnies sur les routes que devaient, parcourir les patrouilles prussiennes. (2) Des coups de fusil furent échangés ; un cavalier allemand fut blessé sur le territoire d'Arsonnay. Rien de mieux, si l'on eût été en état de soutenir cette provocation. Le lendemain jeudi, un petit corps de cinq ou

(1) Lettre du préfet, télégramme du 22 janvier.

(2) Grand Etat-Major Allemand, p. 877,


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six cents ennemis, avec deux pièces de canon, faisait irruption jusque dans la ville, pour en demander raison.

Le préfet avait mille à onze cents hommes. On aurait pu croire, d'après ses antécédents et sa rage de combattre, qu'il se serait empressé d'accepter le cartel. 11 n'en fut rien, et pendant que les Prussiens entraient par la route du Mans, il filait avec les siens par celle de Sées, abandonnant ainsi la ville au danger, après l'y avoir exposée lui-même. C'était au fond ce qu'il pouvait faire de mieux ; car aux cinq cents hommes qui entraient, en auraient succédé promptement des milliers, s'il l'eût fallu. Mais s'il ne se sentait pas de force à résister, pourquoi cette provocation ; et s'il la jugeait opportune, pourquoi s'enfuyait - il à la première alerte ?

On redoutait les effets de la témérité du préfet, on vit qu'une simple équipée était bien plus à sa portée. Si seulement il en avait payé les frais, mais il aimait bien mieux laisser ce soin aux autres. Les Prussiens nous prirent deux voitures de munitions et de bagages ; le mal n'était pas grand ; mais ce qui était plus fâcheux, c'est que des mobilisés, surpris à l'improviste, n'eurent pas le temps de se mettre en sûreté. On eut beau les recueillir dans les maisons, on ne put empêcher que trois ou quatre ne lussent faits prisonniers. Il est vrai que les Allemands consentirent à les relâcher dès le soir, mais non sans compensation, et de nouveau il nous fallut fournir des réquisitions et payer une contribution de 5,000 francs.

Les Prussiens auraient bien voulu mettre la main sur le prélet. Il était déjà loin quand ils fouillèrent son hôtel, Une escouade de lanciers le poursuivit et même, dit-on, l'atteignit : mais le trouvant trop bien escorté, elle rebroussa chemin. Le lendemain, nouvelle perquisition, qui n'eut pas plus de succès ; M. Dubost était alors à Sées, où les mobilisés faillirent lui faire un mauvais parti en punition de sa ridicule conduite.

Quant aux Alençonnais, ils étaient furieux contre lui. Peutêtre lui aurait-on pardonné les malheurs de l'occupation, et quelques personnes auraient-elles consenti à les attribuer à une aberration d'esprit qui n'était pas sans grandeur ; mais l'humiliation gratuite qu'il venait de nous imposer dépassait toute mesure. Les plus sages réclamaient hautement une enquête sur sa conduite ; on ne manquait pas de gens qui auraient voulu le


•==■ 235 Ttenir

Ttenir le livrer aux Prussiens. Une lettre au maire, publiée par le Courrier de l'Ouest et vivement critiquée par le préfet comme une sorte de dénonciation à l'ennemi, se proposa d'ouvrir les yeux sur la situation ; il n'en était pas besoin. Que venaient faire, disait-on, ces nouveaux défenseurs qui, pour la satisfaction d'abattre quelques hommes à l'ennemi à la faveur de l'abri que leur prêtaient nos maisons, exposaient à la ruine une ville de 20,000 âmes ? Ce n'est pas la France, la vraie France qui exigeait en pure perte de pareilles catastrophes. La France, au contraire, aurait le droit de nous demander compte de notre légèreté à prendre d'aussi calamiteuses déterminations (1).

Mais si la population était exaspérée, le conseil municipal, avec des formes polies, ne l'était guère moins ; seulement l'embarras était de trouver le remède à apporter au mal. Quel moyen surtout avait-on de se prémunir contre un nouveau retour du haut fonctionnaire ? Le respect de la loi et des convenances, la nécessité de ne pas mêler les Prussiens comme témoins, peutêtre même comme acteurs, dans des conflits entre Français, compliquaient singulièrement la question. MM. Lherminier et Crocquefer n'étaient pas encore partis pour Bordeaux ; c'était le cas de hâter leur départ ; mais M. Lherminier, le seul alençonnais peut-être qui fût resté jusqu'à un certain point le partisan du préfet, déclara qu'il ne serait pas l'interprète fidèle des sentiments de la majorité et déclina sa mission ; M. Crocquefer imita son refus. L'affaire en serait restée là encore une fois, si deux membres dévoués, MM. Baudry et Romet, ne s'étaient rendus officieusement, sur l'invitation du maire, auprès du général Chanzy.

Le général écouta avec bienveillance et intérêt les doléances de nos délégués et ne leur cacha point ce qu'il pensait de M. Dubost. Il était ennuyé de ses communications, ne lui avait conféré aucune autorité militaire et ne lui avait adressé aucune dépêche sans l'envoyer également au général. Il s'était déjà plaint au ministre de ses anticipations et aurait demandé sa révocation, s'il en avait eu une connaissance officielle plus précise. Enfin il allait écrire au général Dargent, chargé spéciale(1)

spéciale(1) de l'Ouest, 26 et 27 janvier. — Lettre du préfet.


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ment des opérations dans l'Orne, de n'obéir à aucun ordre émanant de lui. C'était catégorique et peu flatteur pour le préfet ; mais quand ces messieurs firent leur rapport au conseil, il n'avait déjà plus qu'un intérêt rétrospectif ; de nouveaux événements étaient survenus à Alençon. (1).

(1) Conseil municipal, 24, 25, 26, 29 et 31 janvier.


CHAPITRE VI

SECONDE OCCUPATION

Quand le Prussien a mis le pied dans un pays, il ne le quitte pas facilement. Alençon devait donc, de gré ou de force, se résigner à vivre dans un triste contact avec ses ennemis. Il entendait chaque nuit les patrouilles de uhlans traverser ses rues ; il regardait en silence les traînards rejoindre leurs corps ; il lui fallait dévorer sa honte. Il savait qu'un acte d'agression eût attiré sur la ville les plus grands malheurs. D'un autre côté, le général Chanzy continuait à exercer une surveillance active sur notre pays, et sa cavalerie faisait des reconnaissances jusque dans la ville. (1) Les deux armées se trouvaient à quelques lieues de distance ; celle des Prussiens s'avançant jusqu'à Beaumont, la nôtre, jusqu'à Carrouges, Briouze, Argentan, etc., et Alençon, juste entre les deux, obligé par sa faiblesse de garder une sorte de neutralité de fait ; destiné peut-être, comme le Mans l'avait été quelques jours auparavant, comme le préfet le faisait pressentir, à devenir le théâtre d'un choc terrible. Serait-ce près de son territoire que la victoire nous rendrait enfin ses faveurs ? Pour comble d'anxiété, les nouvelles qui annonçaient une grande sortie tentée le 19 par l'armée de Paris, continuaient à laisser le résultat dans l'incertitude.

Telles étaient les circonstances, quand le matin du 30 janvier, les habitants, en se réveillant, aperçurent de tous côtés le casque à pointe, virent toutes les issues de la ville gardées, et, sur le Pont Neuf, deux canons braqués, tout prêts à faire feu au premier signal. Etait-ce un mouvement en avant de l'ennemi ? ou bien un général avait-il encore quelque méfait de patriotisme à nous reprocher et à nous faire payer ?

(1) La Deuxième Armée de la Loire, p. 61(i.


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La cause de celte nouvelle occupation était toute autre et, en apparence, d'une nature moins alarmante. Un armistice venait d'être signé, du moins à ce que nous disaient nos ennemis ; la Briante formait la limite des lignes prussiennes, et les Allemands, désireux de jouir autant que possible des agréments de la ville, venaient satisfaire leur fantaisie à nos dépens et nous imposer, à partir du lendemain, une garnison de trois à quatre mille hommes. (1).

A ces nouvelles jusqu'à un certain point rassurantes, qui permettaient à la France d'élire une assemblée nationale et de se donner enfin un gouvernement régulier, s'en joignaient d'autres de la nature la plus attristante : la grande sortie de Paris repoussée et sans résultat ; la Capitale réduite par la famine, forcée à la plus triste capitulation ; les forts entre les mains de l'ennemi ; Bourbaki vaincu et obligé, pour éviter un désastre, de se réfugier avec 80,000 hommes, sur le territoire suisse ; la France enfin pour ainsi dire écrasée sous le poids de ses infortunes. On parlait bien avec cela de paix ; mais que pouvait être la paix dans ces conditions, sinon une nouvelle calamité ?

Nous aurions bien voulu, à Alençon, nous délivrer du malheur qui fondait sur nous pour la seconde fois. Il était difficile de s'expliquer autrement que par une violation de l'armistice le mouvement en avant de l'armée ennemie et l'envahissement de la ville au milieu de la nuit. On discuta, un peu dans le vide, car le texte de la convention nous restait inconnu, et son existence même n'était annoncée que par les Prussiens. Le maire leur demanda des explications ; on réclama, on protesta ; mais en fin de compte, il fallut bien se résigner (2).

La seconde occupation se distingue par des différences assez notables pour qu'il soit besoin de la raconter à part. La première

(1) Alençon se trouva être précisément d'un côté le point extrême de l'occupation. Le cours de la Briante, qui se réunit-à la Sarthe dans Alençon même, près du pont de Fresnay. fut en effet désigné comme ligne de séparation entre les deux armées. De cette façon, les quelques rues situées sur la rive droite du ruisseau : rues de la Barre, Candie, des Promenades, Marguerite de Navarre, une partie des rues Jullien, de Bretagne, etc., ne furent point souillées par la présence de l'ennemi. C'était en somme un dixième environ de la ville qui était en dehors de ce que j'appellerai le fléau allemand, tandis que les neuf autres dixièmes eurent à subir toutes les tristesses et les rigueurs de la défaite.

(2) Conseil municipal, 30 et 31 janvier... ...


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lois, les Allemands étaient venus en passant, uniquement par le droit de la conquête et de la force, afin de se reposer pendant quelques jours avant de se diriger sur Rouen ; de cette fois; ils se présentaient avec l'intentien d'occuper la ville d'une façon permanente (1), en vertu d'un traité convenu entre les deux gouvernements. Nous allons voir le cas qu'ils firent de leurs engagements.

Commençons par dire que, sauf les premiers jours, où l'on était peu fixé sur les droits et les obligations des deux parties, ils respectèrent les limites qui leur étaient assignées. Ils eurent soin de placer aux ponts de la Briante des sentinelles chargées d'empêcher leurs soldats de les traverser ; chargées aussi, par la même occasion, d'arrêter nos militaires malades qui auraient été tentés de retourner sur le territoire français. De plus, après force hésitations et pourparlers, au lieu de se loger à leur fantaisie, ils se laissèrent délivrer par l'autorité municipale, à dater du 3 février, des billets de logement qui eurent pour résultat d'égaliser les charges ; enfin les obligations des habitants furent plus déterminées.

D'après les principes qui régissent la matière des armistices, l'armée ennemie aurait dû pourvoir elle-même, à ses frais, à ses besoins. De là, de nouvelles protestations, aussi inutiles que les précédentes ; de rechef il fallut s'incliner devant la force : les soldats reçurent chaque jour leur ration de pain et de viande fournie par la ville, et les habitants durent y joindre les légumes, les assaisonnements, le café, et souvent quelque supplément, que réclamait leur insatiable gloutonnerie. Quand à MM. les officiers, ils purent continuer leur exigences ; ils firent les aimables, se dirent modérés, le furent quelquefois, mais trop souvent aussi se montrèrent despotes et arrogants. On sait d'ailleurs ce que sont leurs grâces et leur parfait usage du monde.

Mais leur amabilité, pas plus que leur arrogance, ne leur gagna les faveurs de notre population. Le patriotisme était froissé. Beaucoup, à la vérité, cherchèrent à se rendre la présence de leurs hôtes forcés la moins désagréable possible ; on les admit à la table de la famille ; on se plia à leurs habitudes ; on fit beaucoup, on fit trop peut-être, pour avoir la paix chez

(1) Grand Etat-Major allemand. T. iv, p. 878 et 955.


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soi ; mais au dehors, on se montra digne et froid. Ils étaient arrivés, suivant leur habitude, avec une certaine pompe, musique en tête ; c'est à peine si quelques gamins les accompagnèrent; ils continuèrent à faire de la musique tous les jours; on passait à côté, sans seulement s'arrêter ; ils en firent à l'Alcazar ; l'Alcazar resta désert. On eût rougi de leur parler dans la rue ou de leur serrer la main ; les boutiques se fermaient ; la tristesse était générale ; c'était un deuil public.

Alençon, en tant que ville presque tout entière occupée, était donc condamné à vivre sous la domination allemande. Dès le premier jour, toutes les administrations françaises avaient été ou chassées ou suspendues. Le télégraphe, la poste, le chemin de fer étaient au pouvoir des Allemands ; les communications étaient interrompues et nous en étions réduits aux nouvelles qu'il plaisait à nos vainqueurs de nous donner ou de nous laisser savoir ; la mairie seule continua à fonctionner; le 4 février, on y joignit une petite succursale de la poste, dans la partie de la ville restée française. Plusieurs généraux, intendants, officiers généraux occupèrent les principales maisons de la ville. Quelques jours après, un général de division, représentant suprême du pouvoir., vint avec son état-major s'installer à la préfecture, la trouva peu à son gré, mais se contenta d'exiger qu'on finît de la mettre en état. (1) Plus tard, on nous gratifia d'un sous-préfet, et enfin de toute une administration préfectorale, préfet, secrétaire général, trésorier, etc. (2).

Les imprimeries furent l'objet d'une surveillance particulièrement étroite. Chaque pièce des ateliers resta occupée militairement, dans le double but d'empêcher les publications intempestives et d'obtenir promptement et fidèlement celles, affiches ou autres, dont pouvait avoir besoin l'administration allemande. Chaque numéro des journaux devait, au préalable, être porté au général commandant et né pouvait paraître qu'après avoir subi son visa et parfois ses coups de crayon. Le directeur aurait pu sans doute serrer ses formes ; mais, par une petite malice bien innocente, il n'avait jamais le temps de le faire, ou plutôt il n'était pas fâché que les parties blanches du journal remplaçant

(1) Conseil municipal, 6 février.

(2) Journal d'Alençon, 28 février.


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les articles ou lés paragraphes supprimés montrassent à tout le monde les endroits où s'était exercée la censure.

La première pensée, aussitôt qu'il fut possible de se reconnaître, fut donnée aux élections. La difficulté des communications ne laissait pas que d'être un embarras. La poste, même la poste prussienne, ne fonctionnait pas ou fonctionnait mal. Les lettres à destination de la ville subissaient un relard de plusieurs jours ; celles qui étaient adressées dans les campagnes couraient le risque de n'arriver pas du tout ; les particuliers ne pouvaient s'absenter que munis de saufs-conduits. Avec le scrulin par département, les hésitations et les lenteurs du premier moment, il était difficile de faire parvenir seulement les noms des candidats jusqu'au fond des communes éloignées.

L'entrave la plus gênante ne devait pourtant pas venir de la part des étrangers. On sait les décrets d'exclusion de la délégation de Bordeaux, acte suprême du délire aux abois et des contradictions révolutionnaires. Le Gouvernement eut la sagesse de les casser, et Gambetta en fut, cette fois, pour une vaine tentative de despotisme.

Notre préfet, comme on doit s'y attendre, se prononça énergiquement en faveur de Gambetta, contre le gouvernement de Paris. « Tous gens de bon sens, télégraphia-t-il à Bordeaux, « applaudissent à votre proclamation. En dehors de l'idée qu'elle « exprime, il n'y a pas de parti politique ; il n'y a qu'une foule « abjecte. — Mesures prescrites seront conduites avec vi« gueur » (1).

Le préfet, d'ailleurs, regardant comme impossible de conserver, pendant les élections, les juges de paix de l'Orne, ne demandait rien moins que leur révocation en bloc, par dépêche (2).

Nous devons, au contraire, rendre aux Allemands la justice qu'ils se montrèrent d'une discrétion parfaite en ce qui concernait les élections et ne pesèrent d'aucune façon, ni directement, ni indirectement, sur les opérations. On en fut quitte pour ne connaître que par les journaux le furieux appel aux armes de Gambetta : le maire avait refusé nettement et par écrit de laisser

(1) Enquête parlementaire sur les Actes du Gouvernement de la Défense nationale, p. 524, dépêche du 1" février 1871.

(2) Idem, dépèche du 4 février.

16.


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afficher cette proclamation, comme pouvant constituer un danger pour la ville (1). Il est probable que c'est aussi à la présence des Prussiens que nous dûmes d'être privés de clubs pendant cette période si tumultueuse d'ordinaire. On se passa facilement de leur tutelle, et l'on ne s'en crut pas moins libres, pour n'avoir pas à suivre le mot d'ordre d'un comité quelconque. Pas de candidatures imposées ; pas de candidatures officielles ; pas môme de professions de foi : Dans les circonstances graves où l'on se trouvait, les fonctions de député étaient une charge qu'il eût été outrecuidant de solliciter et peu patriotique de refuser,. En somme, jamais élections ne furent plus libres.

Une liste de candidats avait été proposée plusieurs mois auparavant par le Conseil général. Elle portait les noms de MM. d'Audiffret-Pasquier, de La Sicotière, Gévelot, Grollier, Christophle, Beau, Thiers, Duporlail. M. d'Audiffret eut plus de. 60,000 voix; M. Duportail en eut près de 50,000. Malgré les gênes du vote au canton, malgré la présence des Allemands, qui retint un certain nombre d'électeurs à la maison, on avait rarement vu dans notre département une telle majorité et un tel concours d'électeurs.

Jusques-là, et sauf les ennuis inévitables de l'invasion, le temps s'était passé à peu près le moins mal possible. C'était toujours la même discipline, la discipline allemande, avec des motifs de plus de la maintenir exactement ; c'étaient, avec quelques égards de plus, les mêmes réquisitions dans les campagnes ; c'était, chaque dimanche, la même profanation de l'église de Notre-Dame par un office hérétique. Le 6 février, ordre fut donné de recevoir en paiement le thaler prussien. Un autre fléau, du également à l'invasion, le typhus des bêtes à cornes, continuait à faire des ravages effrayants et nécessita pendant longtemps des mesures de répression énergiques.

Mais des actes plus graves de cette rapacité savante et régulière qui distinguait le haut fonctionnaire allemand ne tardèrent pas à augmenter encore et à justifier de plus en plus la haine de l'étranger qui fermentait dans tous les coeurs.

Aux termes de la convention, nos ennemis avaient le droit, à ce qu'il parait, de percevoir les impôts pendant le temps que

(1) Enquête parlementaire, 2 février 1871.


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durait leur occupation. C'était, pour deux mois au maximum et pour les trois quarts de la ville, une cinquantaine de mille francs ; mais qu'est-ce que cinquante ou soixante mille francs pour ces glorieux vainqueurs, qui se croyaient tout permis et ne supposaient pas que quelqu'un osât leur résister ?

Un jour donc, au moment où l'on s'y attendait le moins, il leur prit fantaisie de régler la contribution qui leur était due, et naturellement, ils la réglèrent suivant leur méthode ordinaire, c'est-à-dire de la façon la plus onéreuse pour leurs débiteurs, la plus avantageuse pour eux-mêmes. « Cette contribution extraor« dinaire et uniforme, ordonnée par S. M. l'Empereur d'Alle« magne, devait être levée au profit personnel de tous les offi« ciers, médecins et employés supérieurs des armées alleman« des actuellement en France, de manière à ce que la part d'un « chacun par jour soit de 15 francs, à partir et y compris le « 29 janvier, jusqu'à expiration de l'armistice ». Ce détail explique du reste l'âpreté qu'ils mirent à leurs exigences. De plus, il résultait de la môme ordonnance que « l'entretien des « hommes et des chevaux qui, jusqu'ici, s'était fait au moyen « des ressources des magasins et des caisses (des caisses fran« çaises, bien entendu), devraient s'effectuer également pour « toute la durée de la suspension par voie de contribution ». Suivait le compte, qu'on pourrait nommer un modèle d'iniquité. Rien n'y était oublié de ce qui pouvait profiter à nos ennemis, pas même l'augmentation du prix des denrées occasionnée par le ravitaillement de Paris. Du 29 janvier au 19 février, 200 officiers à 15 francs par jour ; 3,800 hommes et 4,200 chevaux à des prix variant suivant les époques entre 2 fr. 50 et 3 fr. 75, cela formait un total de 623,650 francs. Les deux tiers en devaient être payés le 15 février, c'est-à-dire le surlendemain, l'autre tiers le 17. Toutefois, cet impôt comprenant le département tout entier, le maire d'Alençon, qui n'en était que le percepteur obligé, avait la faculté d'exercer son recours contre les autres communes (1).

C'était simplement absurde. Sur quelle base était établi cet impôt? Quel droit et quels moyens avait le maire d'opérer des recouvrements hors de son territoire? Ce qu'il pouvait faire,.

(1) Archives de la mairie. Conseil municipal, 13 février.


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tout au plus, c'était de prier le directeur des contributions de faire la répartition par communes, afin de mettre les Allemands à même d'exercer par leurs propres mains leurs droits, s'ils en avaient. Us parurent eux-mêmes le comprendre. D'un autre côté, ils avaient, non sans dessein assurément, laissé plus d'un point dans l'ombre ; ou plutôt, tout n'y était que trop clair pour quiconque connaissait leur duplicité. Ainsi la ville serait-elle délivrée dorénavant des charges de la nourriture et de l'entretien des troupes ? Lui serait-il tenu compte de tout ce qu'elle avait payé pour cet objet depuis quinze jours ? Et même, pour prendre la chose à un point de vue radical, l'armistice conférait-il à l'Allemagne le droit de lever des contributions ? Car si, lors de la première occupation, nous avions été traités en ville conquise et livrés sans défense aux caprices de nos vainqueurs, aujourd'hui, nous avions une loi que nous pouvions invoquer. Au lieu donc d'entrer dans la voie dangereuse des concessions et de nous soumettre à l'arbitraire, une autre route nous était naturellement indiquée • Consulter le gouvernement et l'autorité militaire sur l'étendue des droits de chacun. En conséquence, MM. Baudry et Léveillé furent envoyés à Argentan, où devait résider le général Gougeard, et d'où ils pourraient adresser leurs réclamations au Gouvernement.

En attendant, M. Lherminier, qui, comme je l'ai dit précédemment, s'était presque dérobé lors de la première occupation, tint à honneur de faire oublier son singulier fiasco. Prenant lui-même l'initiative de la résistance, il montra dans celte affaire et jusqu'à la fin la plus grande fermeté, se déclarant opposé à toute concession et prêt à accepter pour lui et pour la ville toutes les conséquences d'un refus catégorique (1).

De son côté, l'autorité allemande, qui, sans doute, jugeait de son intérêt de ne pas attendre un recours qui pourrait ne pas lui être favorable, remettait au maire le soir même la communication suivante :

« Comme la répartition de la contribution imposée par « S. M. l'Empereur d'Allemagne, malgré des avertissements « incessants, n'a pas été déposée à 9 heures du soir, heure indi« quée, je me suis cru obligé d'organiser la répartition moi(1)

moi(1) municipal, 13 février. ,


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« même. La ville d'Alençon est imposée pour 400,000 francs; « les deux tiers à payer le 15 de ce mois à 7 heures du soir ; « l'autre tiers, le 17 de ce mois à midi, à l'Intendance royale de a la 4e division de cavalerie.

« J'ai chargé de l'exécution de cet ordre le commandant de la « 9me brigade de cavalerie et lui ai adjoint le secrétaire d'inten« dance Graupner et le fournisseur en chef de l'armée en cam« pagne Gerlach.

« J'attends de la ville l'exécution immédiate de l'ordre que je « lui donne, étant résolu, dans le cas contraire, d'agir suivant « les ordres formels que j'ai reçus et d'employer tous les moyens « de rigueur possible ».

Ainsi, malgré la diligence des employés des contributions qui étaient en train de passer les nuits afin de satisfaire MM. les Prussiens, ceux-ci osaient se prévaloir de l'impossibilité dans laquelle ils nous plaçaient pour nous écraser davantage. Ils avaient l'iniquité d'imposer à la ville les deux tiers de la contribution du département ; ce qui ne les empêchait pas d'exercer sur d'autres points de semblables rigueurs. Ils pouvaient arriver ainsi à tripler ou à quadrupler leur somme.

Il n'était pas possible de délibérer sur de telles bases. Et pourtant il fallait répondre. Après un long débat, le conseil, à l'unanimité, venait d'affirmer son refus de payer les 400,000 fr., quand le retour de MM. Baudry et Léveillé apporta quelques éléments nouveaux à la discussion.

Ces messieurs n'avaient point encore de réponse du Gouvernement; mais le général Gougeard conseillait de refuser le paiement d'une contribution ainsi imposée au mépris du droit des gens. C'est en effet le parti auquel s'arrêta le conseil. Mais tandis que MM. Félix Hommey et Baudry, retirés dans une pièce voisine, préparent une réponse écrite, deux officiers entrent, apprennent la décision du conseil et, sans attendre la communication qu'on va leur remettre pour leur général, déclarent que ce n'est plus 400,000 francs qu'ils exigent, mais qu'ils viennent de recevoir l'ordre de substituer à leur demande précédente une contribution de cinq millions frappant toute la partie envahie du département et dans laquelle la ville d'Alençon, déduction faite des 300,000 francs payés au grand-duc de Mecklembourg, est portée pour 680,000 francs. Quant aux moyens de se faire payer,


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ils sont simples, la violence, toujours la violence ; ce sont des enlèvements d'otages et de marchandises.

Les pourparlers devenaient superflus. Le maire n'avait qu'une chose à faire, refuser. On lui fit sentir sans tarder, les conséquences de son refus : le sous-préfet, en se retirant, déclara le conseil municipal prisonnier et plaça des factionnaires aux fenêtres de la salle des délibérations (1). Mais cette violation de la liberté du conseil municipal ne pouvait modifier ses sentiments et sa réponse. Elle fut ferme et digne.

Cette pièce est un peu longue pour être rapportée en entier. J'en veux pourtant citer quelques extraits :

« Le conseil municipal de la ville d'Alençon , considérant

« qu'il est de l'essence de tout traité d'armistice et qu'il est « reconnu par le droit public qui régit les rapports internatio« naux qu'aussitôt l'armistice ouvert, les parties belligérantes « entre lesquelles il a été convenu doivent s'interdire mutuelle« ment tout acte qui aurait pour but de modifier leur situation « respective.

« Que, par conséquent, toute contribution de guerre nouvelle « à prendre sur les populations protégées par l'armistice ne « peut être décrétée en droit parce que cette contribution de « guerre «st une charge qui affecte les ressources de la partie « imposée, et cela dans des proportions qui peuvent équivaloir « à la ruine et à l'anéantissement de ses forces

« Considérant que le fait, aussi bien que le droit, se réunis« sent pour protéger la ville d'Alençon contre les deux réquisi« tions ci-dessus énoncées, et dont la seconde, en tout cas, « impose à la ville une somme hors de proportion équitable « avec ce qu'une répartition fondée sur l'assiette de l'impôt res« pectif des communes pourrait lui faire supporter dans la « somme de 623,650 francs formulés en la première réquisition.

« Proteste en principe au nom du droit contre les réquisitions « formulées le 13 février 1871 ; — au nom de la vérité, contre les « motifs allégués tant dans la première que dans la seconde « réquisition ; — au nom de l'équité, contre la part fixée à « 400,000 francs que la dernière réquisition fait peser sur la ville « d'Alençon.

(1) Note de M. Gautier sur les négociations pour la continuation de la guerrei


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« Dit en conséquence qu'il ne peut être fait droit aux dites « réquisitions ;

« Et décide que copie de la présente protestation sera, par les « les soins de M. le maire, transmise à M. le général comman« dant la 4e division de cavalerie et au Gouvernement de la « défense nationale.

« Alençon, le 15 février 1871. »

Cette protestation fut signée séance tenante par tous les membres et portée à 4 heures, par M. Gautier, au général de Bredow.

« Vers cinq heures, de nouveaux officiers prussiens, entre « autres le commandant de place, pénètrent dans la salle de délice hérations. Ils sont accompagnés du sous-préfet. Ce dernier « demande au conseil s'il entend persister dans son refus et lui « fait connaître que des mesures dirigées contre les personnes « et les choses en pourront être la conséquence.

« M. le maire déclare alors, au nom du conseil, que sa déci« sion est irrévocable et qu'il est décidé à subir les conséquences « de son refus.

« M. le sous-préfet dresse procès-verbal des faits ci-dessus et « invite le maire et les conseillers à. y apposer leurs signatures. « Ceux-ci s'y refusent (1). »

Cette formalité remplie, le sous-préfet déclare que le maire et dix conseillers municipaux vont être arrêtés et, sur le refus des conseillers de désigner les notables devant servir d'otages, eh choisit lui-même dix parmi eux. Ce sont avec le maire, MM. Lherminier, Baudry, Saillant, Tixier, Hommey, Prévost, Romet, Geslin, Sanson, Poupet.

Ceux-ci sont immédiatement conduits sous la garde de soldats prussiens dans les appartements de la mairie composant le logement du président des Assises (2).

• Pendant que ces choses se passaient à l'intérieur de la mairie, la population, anxieuse, attendait sur la Place. Chacun se sentait frappé dans la personne de ses représentants. Des nouvelles alarmantes circulaient ; il n'était question que de pillage. Nombre de personnes cachaient leurs objets les plus précieux ;

(1) Archives de la mairie.

{2) Conseil municipal, 14 et 15 février.


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plusieurs même opéraient leur déménagement dans la partie de la ville restée française ; des hommes honorables, susceptibles d'être arrêtés comme otages, allaient, quelquefois sur l'avis des Allemands qu'ils avaient à loger, se mettre à l'abri hors de la ville ou au-delà de la Briante. Mais disons à la louange des habitants d'Alençon que tous approuvaient la conduite des élus de la cité et semblaient prêts à subir les plus dures extrémités plutôt que de les désavouer.

Le sort de nos conseillers ne tarda pas à être réglé. Dès le lendemain 1G, à midi, deux voitures vinrent avec grand déploiement de forces, en chercher cinq, pour leur faire prendre, sous l'escorte d'un piquet de lanciers, le chemin de l'Allemagne. Ce sont MM. Lecointre, Hommey, Lherminier, Saillant et Poupet. Les autres restèrent prisonniers.

Le départ des otages eut lieu au milieu de l'émotion générale, aux cris de : Vive la France, Vive le Conseil municipal ! On voyait ce qu'on devait attendre de la modération prussienne. Associons-nous à l'indignation de la population Alençonnaise et à l'hommage que les conseillers restés libres rendirent à leur collègues prisonniers, en prenant la résolution de ne rien décider en leur absence, en dehors des affaires courantes.

Mais cela ne suffisait pas encore aux Prussiens : il leur fallait à tout prix vaincre la résistance qu'ils éprouvaient. Les arrestations continuèrent donc ; et tandis qu'ils rendaient à la liberté MM. Prévost et Geslin, ils réduisaient en captivité un certain nombre de notables : MM. Hatey et Mariette, notaires ; — Richard, banquier ; — Boulard , Coquereau , Deschamps, Dubois, Malet, négociants ; — Barbey-Delisle, Camus, Lesage, Valframbert, horlogers. Dans im moment, tous les notaires étaient détenus ; l'un d'eux, mandé auprès d'un mourant pour faire son testament, ne put s'y rendre que sous l'escorte de deux soldats. En même temps, les scellés étaient apposés sur plusieurs magasins, principalement sur ceux des bijoutiers et des marchands de nouveautés.

Ainsi les Prussiens se trouvaient progressivement amenés à user des violences les plus révoltantes. Ils n'en auraient pas été lâchés, s'ils avaient eu seulement quelque apparence de droit ; mais, malgré leur arrogance, ils devaient voir qu'ils s'engageaient dans une affaire dont ils auraient de la peine à se tirer à leur


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honneur. L'enlèvement d'otages est déjà chose très grave ; le pillage en plein armistice aurait été plus difficile encore. Ce n'était donc que peu-à-peu qu'ils sortaient de leur système d'intimidation pour entrer dans les voies de fait. Peut-être aussi espéraient-ils pousser à bout la population, afin de se ménager un moyen de sévir plus à leur aise.

Quoi qu'il en soit, dès le soir, ils semblèrent pris d'hésitation, et M. Gautier vint faire part au conseil d'une conversation qu'il avait eue avec le commandant de place, et de laquelle il résultait que celui-ci ne serait pas éloigné d'un accommodement. Le seul accommodement possible, c'était la part proportionnelle, de la ville dans les 600,000 francs de la première réquisition, soit, environ 60,000 francs ; et encore, le conseil, jusqu'au retour de ses collègues détenus ou emmenés comme otages, refusait-il de prendre une résolution ferme. C'eût été d'ailleurs une peine bien inutile, car tandis que le Gouvernement français, avec sa faiblesse et son indécision ordinaires, donnait une réponse dilatoire, le général de Bredow déclarait formellement persister dans sa demande de cinq millions et ne consentait qu'à grande peine à surseoir à un second envoi d'otages et à l'enlèvement des marchandises placées sous les scellés.

Mais c'est en vain que le général espérait, à force de menaces, pousser le conseil à sortir de sa réserve. Les membres restants, jaloux de continuer la voie où ils avaient si bien marché jusquelà avaient pris le parti de se renfermer dans le silence le plus complet. Malheureusement, tout le monde n'eut pas la même fermeté, et un certain nombre d'hommes honorables, effrayés des prétentions prussiennes, effrayés surtout à la vue des scellés et des sentinelles qui gardaient les magasins, craignant à chaque instant le pillage, ou tout au moins une exécution militaire, prenant peut-être l'abstention calculée du conseil pour un abandon des intérêts de la ville, voulurent pourvoir à leur manière à ces intérêts. Des réunions, en partie spontanées, en partie provoquées par le préfet allemand (un nouveau venu) eurent lieu. Lui-même y assista et y renouvela les mêmes exigences, mais sous une forme plus équitable, selon lui, et qu'il qualifia de démocratique. Elle consistait à faire payer par chaque habitant, dans le délai de quarante huit heures, trois années de ses contributions. Décidément, il n'y avait pas moyen


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de s'entendre. Le désir d'arriver à une solution fil pourtant ■indiquer deux autres réunions, plus nombreuses que la première. M. des Provotières fut porté au fauteuil ; on discuta sous l'inspiration de la peur ; on formula des projets, et sans songer qu'on n'était qu'une réunion de hasard, sans convocation régulière, sans droits, sans titres, on se fonda sur la nécessité pour adopler des résolutions.

Il se trouva cependant qu'une circonstance favorable se produisit à ce moment. Le ministre des affaires étrangères se décidait enfin à donner de ses nouvelles : Il avait reçu des plaintes de tous les côtés ; il avait réclamé auprès de M. de Bismarck ; l'ennemi pouvait exiger la nourriture, le logement, l'impôt par douzièmes, rien de plus : Il fallait en conséquence gagner du temps, s'opposer, protester, mais céder à la force plutôt que d'engager un conflit (1).

• Fondé sur cette dépêche, le conseil municipal, sûr d'avance de l'assentiment de ses collègues, se départit de sa réserve et mit à la disposition de l'autorité allemande une somme de 60,000 francs, chiffre rond et supérieur à celui de l'impôt exigible pour deux mois. M. Chambay, accompagné de MM. Gougeul, Leguay, des Provotières et Verdier, alla formuler cette offre. Mais le général de Bredow ne sait rien, n'a reçu aucune instruction de son gouvernement et ne demande qu'une chose, son argent. Déjà, une quarantaine de fourgons du train, amenés, dit-on, par des juifs, stationnent sur la Place, tout prêts à recevoir les marchandises saisies. Le général redouble ses menaces. L'affiche suivante est placardée sur les murs :

AVIS

« Une contribution de guerre, infligée par ordre du quartier « général de S. M. l'Empereur d'Allemagne, Roi de Prusse, à « tous les territoires de la France occupés par les troupes « allemandes a été fixée pour la ville d'Alençon, à la somme de « 980.000 francs. Les 305,000 francs versés au mois de janvier « en seront soustraits ; de sorte que la ville aura à payer encore « la somme de 675,000 francs.

« Le Conseil municipal ayant refusé le concours que le devoir

(1) Dépêche du ministre des affaires étrangères, du 17 février, confirmée par une autre du 20, du- ministre de l'intérieur.


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« lui prescrivait, pour prévenir aux rigueurs beaucoup plus « dures, mais inévitables sans son assistance, l'autorité militaire a a dû procéder seule.

« Des arrestations de conseillers municipaux et d'otages ont « eu lieu.

« La clôture et la saisie d'un certain nombre de magasins ont « procuré une valeur correspondant à la somme désignée. Les « conséquences fâcheuses qui en résultent pour un nombre « relativement petit des bourgeois sont évidentes.

« C'est dans l'intérêt de cette minorité et de l'équité que « l'éloignement des marchandises saisies a été différé, pour « donner aux habitants de la ville la possibilité de prévenir la « ruine de quelques-uns de leurs concitoyens.

« La somme payable est équivalente au triple du budget des « recettes ordinaires de la ville d'Alençon.

« Les habitants imposés sont invités à verser dans les qua« rante-huit heures trois années du montant de leur conlri« bution.

« Une commission recevra aujourd'hui, 19 février, de 9 heures « du malin à 6 heures du soir, et demain 20, de 8 heures du « matin à midi, les versements à la mairie, en échange de « quittances légalisées et timbrées.

« Les impositions sont calculées de façon à arriver à la somme « de 675,000 francs, et les marchandises saisies et destinées « pour l'Allemagne seront rendues à mesure et dans la propor« lion des versements faits.

« La mise en liberté des conseillers municipaux et des otages « dépendra de même du résultat satisfaisant des versements.

« Dans le cas où, par cette voie, la contribution devrait ne pas « être versée, on continuerait immédiatement, sans délai et sans « égards, dans l'exécution des mesures rigoureuses entreprises.

« Le Général commandant la 4e division de cavalerie,

« Signé : de BREDOW.

Mais tout le monde resta sourd à ce bel appel. ;

Les dix mille qiiittances imprimées la veille étant donc demeurées sans emploi, un second commandement, non moins menaçant que le premier, fut jugé nécessaire. Il ne fut pas mieux écouté ;


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« Aux habitants de la ville d'Alençon.

« Dans l'intérêt des habitants de la ville d'Alençon, je leur « fais savoir que le délai accordé par l'autorité militaire, pour le « paiement des trois années de contribution, expire aujourd'hui « à midi.

« Dans le cas où, à l'heure dite, les versements n'auraient pas « été faits, les autorités militaires seraient chargées, non seule« ment de l'enlèvement des marchandises, mais encore de « mesures de rigueur de nature à inspirer de grandes inquié« tudes aux habitants.

« J'invite donc instamment ceux-ci d'éviter, par le versement

« des trois années de leurs contributions, des malheurs dont le

« bien-être de beaucoup de citoyens, et le bonheur de nom«

nom« familles honorables se trouveraient nécessairement

« atteints ; d'autant plus que ce mode de contribution se trouve

« être le plus en harmonie avec les principes de justice et

« d'égalité.

a Le Préfet impérial allemand par intérim.

« Signé : SPLKTTGERBER.

Nos ennemis avaient pris d'ailleurs un procédé plus expédif que les affiches, et depuis la veille, sans seulement attendre l'expiration du délai fixé par eux-mêmes., ils saisissaient, suivant inventaire, pour 300,000 francs environ de marchandises dans les magasins de MM. Romet, Mauger, Bourgeteau, Bunel, etc, les entassaient dans leurs fourgons et s'apprêtaient à prendre, avec leur butin, le chemin de l'Allemagne. Pour la troisième fois, un enlèvement d'otages se préparait ; mais encore un coup, les voitures venues pour les arrêter s'en retournèrent à Yide.

Alors les notables, dans une réunion plus nombreuse que les précédentes, ne sachant plus à quel parti s'arrêter et se croyant suffisamment autorisés par la nécessité, finirent par décider qu'aux 60,000 francs comptants offerts par la ville, ils ajouteraient 140,000 francs de valeurs à terme. Mais cette proposition, portée par MM. de la Cussonnière, de la Garenne, Gougeul et Rageot eut le sort des précédentes et, comme elles, fut rejetée. Le conseil d'ailleurs eut soin dès le principe de répudier toute solidarité dans cet engagement et en laissa la responsabilité à


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ses auteurs. Il se borna à donner acte de ses propres offres à l'intendant. Ce ne fut pas sans peine toutefois qu'il fut reçu à lui verser des à comptes. On a grand tort, dit à ce sujet le général de Bredow, de me rendre responsable de l'impôt dont la ville est frappée. Les ordres viennent d'en haut ; je suis militaire ; je sais obéir.

Mais, qu'il agisse ou non de lui-même, il devenait évident que les choses prenaient une meilleure tournure et que les Allemands ne se regardaient plus comme aussi sûrs de leur fait. On était loin maintenant des 680,000 francs de la première réquisition. Le général en était réduit à faire des menaces pour le prompt versement des 60,000 francs proposés par le conseil municipal, et consentait, moyennant le paiement intégral de cette somme, à relâcher les prisonniers, à rappeler les otages, à lever les scellés apposés sur les magasins, à rendre les marchandises enlevées. Dans ces conditions, il y aurait eu danger inutile à prolonger davantage la résistance ; le complément de la somme fut donc versé le 21 février.

On croyait l'affaire terminée ; mais l'Allemand n'abandonne pas facilement sa proie. Dès le lendemain, l'intendant paraissait fort étonné qu'on ne lui eût pas encore versé les 140,000 francs proposés par les notables, Il ne comprenait pas, disait-il, la distinction qu'on prétendait établir entre le conseil municipal et les notables et n'admettait pas que ceux-ci aient pu, sans qualité et sans mission, lui faire une offre de cette importance.

MM. Chambay, Romet et Mathieu, au nom du conseil, eurent beau décliner toute solidarité avec les notables, ils n'obtinrent de lui que des injures et des menaces : — Il avait rempli exactement toutes ses obligations ; il avait bien voulu relâcher les prisonniers, rappeler les otages, rendre les marchandises ; mais les scellés qui fermaient encore plusieurs magasins et les sentinelles qui les gardaient, prouvaient bien qu'il ne se tenait pas pour satisfait. Or, dût-il mettre cent hommes dans chaque maison de conseiller et de notable ; dût-il recommencer l'emballage et user de toutes les rigueurs, il obtiendrait satisfaction.

Les notables, qui se voyaient dans une position des plus fausses, auraient bien voulu se décharger sur lé conseil municipal. MM. de la Garenne, de la Cussonnière, Thorel et Rageot


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firent plus d'une tentative pour y parvenir, mais le conseil fut sourd à leurs demandes, aussi bien qu'à celles de l'autorité allemande et tint à leur laisser le soin de régler seuls des engagements auxquels il n'avait point participé. Toutefois, comrre chacun avait agi pour le mieux sans doute, la plupart des conseillers, sans vouloir engager la ville, consentirent, par une condescendance à laquelle il ne faut qu'applaudir, à signer, sous leur responsabilité personnelle, les billets des notables. Il eût, du reste, été difficile au conseil de se fâcher contre les notables ; car, sans prétendre que la majorité du conseil eût siégé dans leurs assemblées, il se trouvait que bon nombre de conseillers avaient participé aux deux sortes de réunions. Ce dédoublement des mômes personnes en deux rôles très différents avait l'avantage de faciliter l'entente ; mais, d'un autre côté, n'avait-il pas l'inconvénient de rendre la situation moins nette ?

De cette fois enfin, en va-t-on finir ? Les notables présentent leur engagement à l'intendance. Ils paieront à trois mois la somme de 140,000 francs. Toutefois leur obligation deviendrait nulle et sans effet dans le cas ou il serait démontré que, pendant la suspension d'armes, les Allemands n'avaient pas le droit de lever des contributions. C'était une condition de bonne foi ; elle ne fut pas du goût de l'intendant. 11 tenait, disait-il, à traiter avec les représentants autorisés de la cité. N'était-il pas plutôt fixé sur la valeur de son droit, et n'avait-il pas, comme on l'a prétendu, reçu des instructions de son gouvernement ?

Quoi qu'il en soit, sans opposer un refus formel, il modifia ses prétentions et voulut imputer sur les 140,000 francs proposés par les notables des fournitures d'avoines, eaux-de-vie, café, etc., qui, d'après lui, devaient être remboursées à l'intendance. Le conseil allait-il donc se trouver encore une fois aux prises avec les chicanes allemandes ? Quelques comptes en effet pouvaient rester à régler ; mais on était loin des 70,000 francs réclamés par les Prussiens. L'eau-dc-vie et le café leur avaient été largement fournis par les habitants ; et quant aux fournitures d'avoines, elles étaient amplement compensées par l'excédent des 60,000 francs payés sur ce qui était véritablement dû. Les impôts en effet étaient loin de s'élever à cette somme ; surtout si l'on considère d'une part que leur perception devant se faire


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par jour et non par douzièmes, c'était quinze jours à; retrancher de ce chef ; et d'autre part, que les transactions étant nulles, les impôts indirects (en supposant qu'ils fussent dus), se réduisaient à presque rien. .

On était au 25 février, les otages étaient de retour, l'armistice, déjà deux fois prorogé, touchait à son terme : la paix, si elle se signait, allait aplanir bien des difficultés ; il était important de gagner du temps. Enfin, comme conclusion, le conseil manoeuvra de façon à ne rien payer en plus de ses 00,000 francs.

Ainsi la ville se libérait de sa prétendue dette de 680,000 francs au moyen de 60,000 francs, montant présumé de sa contribution de deux mois. C'était, on peut le dire, un véritable triomphe pour elle. 11 ne restait plus des suites de toute cetle affaire que quelques scellés chez des commerçants. C'était un dernier moyen de peser sur les notables ; mais ceux-ci s'étant exécutés à peu près au gré de l'intendance prussienne, elle consentit à se dessaisir complètement de son gage, et les' derniers scellés furent levés le dimanche 27, chez M. Romet.

Du reste, il était dit que celte affaire tournerait toute entière à: la honte des Prussiens. Alors que tout paraissait terminé, des instructions de leur gouvernement signifièrent en effet au général qu'il avait agi sans droit et lui intimèrent l'ordre de rendre aux potables leurs billets. C'était s'en tirer beaucoup mieux qu'ils n'auraient osé l'espérer. Peut-être furent-ils un peu confus d'avoir fait des offres si inconsidérées que leurs ennemis se trouvèrent réduits à les refuser ; mais leur profit dut les consoler aisément de cette petite confusion.

On doit penser que l'intervention de nos députés de l'Orne ne fut pas étrangère au règlement avantageux de cette grave affaire. Le 20 février, ils avaient été trouver le ministre des Affaires étrangères^ et lui avaient laissé une note collective de réclamation. « J'ai la confiance, répondait le ministre, que l'ambassadeur d'Angleterre (chargé à cette époque de la protection des « intérêts français auprès du Cabinet de Berlin) consentira à « nous prêtersesbons offices pour faire cesser les actes que vous « signalez, et en particulier pour faire mettre en liberté les. « membres du conseil municipal d'Alençon qui ont été « arrêtés (1).

(1) Journal d'Alençon, 10 mars 1871.


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Quelques jours auparavant, notre préfet, M. Àntonin Dubost, avait adressé de son côté une protestation très énergique au général allemand ; mais, comme il le dit lui-même, ce n'est pas sur sa lettre qu'il fondait de grandes espérances. Je le crois sans peine ; telle en était la forme, en effet, qu'on peut supposer que le préfet avait simplement voulu se donner le plaisir de dire quelques dures vérités à nos vainqueurs (1).

Un autre acte d'inquisition tyrannique signala encore cette période de l'occupation. Une affiche en date du 26 février enjoignit aux propriétaires de maisons, gérants, concierges et à toutes personnes appartenant à cette catégorie d'habitants de donner avis au bureau du commandant de la place de l'arrivée de tout étranger et de toute pesonne qui, quoique ayant son domicile à Alençon, se serait absentée depuis plus de huit jours. Cet avis devrait être fait par écrit et comprendre le nom, la profession du nouvel arrivant, ainsi que le motif de sa présence et la durée probable de son séjour.

Toute infraction à cet ordre devrait être punie d'une amende de cent francs ou d'un emprisonnement de quinze jours.

Hélas ! personne ne songea à faire la déclaration ordonnée. Il commençait à se faire tard pour sévir. L'arrêté n'eut pas de suite.

L'ordre des événements m'a fait omettre quelques faits intéressants. Le principal fut le retour de nos otages. Ils furent accueillis comme ils le méritaient : il ne faut pas demander si le conseil fut heureux de les recevoir dans son sein.

Ils n'avaient pas eu à se plaindre de leur escorte jusqu'au Mans. Le lendemain, ils furent dirigés sur Chartres. Un train de voyageurs allait partir ; l'autorité allemande ne voulut pas les y placer, et, au mépris des égards dus à des otages, les fit entrer dans un wagon écurie, sans sièges, et qu'on ne prit pas môme le soin de nettoyer. Ce ne fut que sur les observations et les murmures des agents français de la compagnie, qu'on les transborda dans un wagon de seconde classe.

Arrivés à Chartres, ils furent, sur l'ordre du commandant de place, conduits au violon de l'Hôtel de Ville et y restèrent plu(1)

plu(1) du préfet, en date du 12 février, et lettre d'envoi, en date du 16, aux membres du conseil municipal d'Alençon. (Archives de la Mairie).


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sieurs heures ; mais les deux adjoints, en l'absence du maire, obtinrent du commandant que l'Hôtel de Ville leur serait donné comme prison, et ils furent, tout le temps de lem séjour, l'objet des attentions les plus délicates.

Leur mise en liberté avait eu lieu le 22, sur un ordre émané de Versailles et provoqué par le ministre des affaires étrangères et nos députés de l'Orne ; mais les difficultés du retour ne leur avait permis de rentrer à Alençon que le 24 au soir (1).

Il n'est pas bien utile de rapporter les embarras de nourriture et de logement qui se présentaient à tout moment : ils nous sont connus par la première occupation. Des fournisseurs, en petit nombre, il est vrai, ne rougirent pas de spéculer sur nos malheurs et d'abuser de leur position ou de leurs fonctions pour accroître leurs gains. D'autres, comme les bouchers, voulurent se prévaloir de marchés antérieurs, pour faire des bénéfices, sinon illicites, au moins peu convenables. Ils le sentirent du reste bientôt eux-mêmes.

L'absence de nouvelles était toujours une cause d'inquiétudes et souvent de difficultés. Le conseil ignorant lui-même sous quel régime on vivait, dut envoyer à Argentan pour prendre des informations au sujet de l'armistice (2).

Cependant sa prorogation du 20 au 24, puis au 26 février, donnait chaque jour, malgré quelques notes guerrières, plus de consistance aux bruits de paix. La France tout entière, principalement la partie occupée par l'ennemi, était dans l'anxiété. Enfin le 25, les préliminaires furent signés entre M. Thiers et M. de Bismark. L'Assemblée avait jusqu'au 3 mars pour les ratifier ou les rejeter, et l'armistice était, à cet effet, prorogé jusqu'au 12 mars. Ces nouvelles nous arrivèrent à Alençon le 27 par voie prussienne, et seulement le 28 par un télégramme français. Quant aux conditions, elles restaient inconnues. On aurait dû savoir qu'elles ne pouvaient être que désastreuses. Les officiers ennemis ne nous ménageaient d'ailleurs ni leurs appréciations, ni leurs prétentions ; ce qui n'empêchait pas les journaux de se donner carrière et d'apporter les informations les plus contradictoires. Ce ne fut que deux jours plus lard que nous

(1) Conseil municipal, 25 février 1871.

(2) Conseil municipal, 26 et 27 février. ,

17.


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connûmes enfin l'étendue de notre malheur. La cession de l'Alsace et du département de la Moselle, cinq milliards d'indemnité, l'occupation partielle du territoire pendant des années, tels furent les fruits de cette triste guerre.

L'Assemblée appelée à liquider une detle qu'elle n'avait pas contractée, à régulariser une situation qu'elle n'avait pas faite, se vit obligée, la douleur dans l'âme, de ratifier les dures conditions qui nous étaient imposées. C'était une nécessité, la guerre était devenue impossible. Tous les députés de l'Orne votèrent pour la ratification du traité.

La paix une fois conclue, les Prussiens n'avaient 'plus qu'à quitter notre ville. Le département de l'Orne devait être des premiers évacués, et Alençon se trouvait à l'extrême limite de l'occupation. Mais, nouvel étonnement ! nouvelle inquiétude ! c'est ce moment, qu'on saluait comme celui de la délivance, que S. M. l'Empereur d'Allemagne choisit pour nous donner un préfet, le comte Eherhand Linden, chambellan du roi de Wurtemberg, un secrétaire général, un trésorier delà préfecture, un contrôleur de la caisse. Serions-nous donc destinés à une occupation prolongée ? la conclusion de la paix ne serait-elle, ainsi que s'obstinent à le dire quelques pessimistes, qu'une mystification ? A en juger en effet par la proclamation du nouveau préfet, sa mission ne semble rien moins que provisoire. Elle doit consister « à rétablir l'ordre dans l'administration, à répartir « les charges de la guerre à justes proportions sur toute la « population des territoires de l'Orne et du Calvados occupés

« par les troupes allemandes Mon devoir le plus impérieux,

« dit-il, étant d'assister les autorités militaires et de maintenir « l'ordre dans le territoire soumis à mon administration, je « saurai assez sévèrement poursuivre ceux qui oseraient y « porter atteinte par agression directe ou indirecte.... Pour vous « être utile, j'ai besoin', ajoutait-il, de votre confiance et de « votre aide. Si vous voulez me les accorder, vous trouverez en « moi un fonctionnaire non seulement énergique, mais aussi « consciencieux que désireux de concilier ses devoirs avec vos « intérêts (1).

Heureusement, les craintes que nous avions conçues étaient

(1) Journal d'Alençon, 3 mars 1871.


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sans fondement. Le lundi 6 et le mardi 7 mars, les troupes allemandes évacuaient définitivement notre ville, après une occupation de sept semaines. Nous sommes délivrés ! Combien d'autres, hélas ! vont subir pendant de longs mois encore les tristesses auxquelles nous échappons en ce jour !

Le soir même du départ des Prussiens, une première colonne de.mobilisés de l'Orne et de francs-tireurs entrait dans notre ville. Elle fut bientôt suivie de plusieurs autres. Puis vinrent des mobiles, des prisonniers, des soldats de tous les corps et de toutes les armes. Chacun cherchait à reprendre sa place. La guerre était terminée.


CHAPITRE VII

LES SUITES DE L'OCCUPATION LES AMBULANCES — PERTES MATÉRIELLES — CONCLUSION

Malgré le soin que j'ai apporté à raconter les événements à mesure qu'ils se produisaient, la rapidité avec laquelle ils se sont succédé m'a forcé à en négliger plusieurs ; il y faut revenir.

Ainsi c'est à peine si j'ai eu le loisir de dire en passant quelques mots de nos ambulances. Et pourtant, dans une guerre aussi malheureuse, avec les nécessités et les embarras résultant de l'improvisation des armées, avec l'imprévoyance et la maladresse de nos administrations, avec les privations et les maladies causées par une saison rigoureuse, je laisse à penser si nos ambulances ont dû avoir un rôle important.

Ont-elles répondu à ce qu'on devait attendre d'elles ? On est bien forcé de répondre non, si on ne songe qu'aux besoins. Ils étaient, hélas ! si grands, si multipliés, disons le mot, si impossibles à satisfaire ! Mais je crois qu'on doit répondre oui, si on considère les dévouements.

L'action des ambulances fut avant tout une action de charité. Le Gouvernement et les administrations y eurent assurément une large part ; ils fournirent leurs hôpitaux, leurs bâtiments, une grande partie des fonds ; mais ils ne manquaient pas d'occupation ailleurs et ils eurent le bon esprit de laisser la carrière libre à l'initiative privée. La Religion put se montrer là telle qu'elle est dans les grandes occasions, généreuse, patriotique, courageuse. Alors, comme toujours, elle fut la véritable inspiratrice des belles actions et des dévouements obscurs. Comment raconter tout ce que firent le catholicisme et les catholiques pour les ambulances ? Les Frères des Ecoles chrétiennes avaient commencé par aller relever les morts sur le champ de bataille ; les soeurs de tout ordre et de tout habit ajoutèrent au mérite d'une égale générosité celui d'une persévérance qui devait durer


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aussi longtemps que les besoins. Les prêtres, de leur côté, ne ménagèrent pas leurs soins, et il n'y eut pas jusqu'aux femmes chrétiennes qui ne voulussent avoir leur rôle dans cet admirable mouvement.

A la tète de la sainte phalange, se trouvent naturellement les soeurs de Saint-Vincent-de-Paul. C'est leur honneur ; je dirais presque, c'était leur droit. L'hospice, dont elles restèrent chargées, eut toujours le plus grand nombre de blessés. De plus, on y concentra presque tous les varioleux. Aux fatigues de leur profession vint ainsi s'ajouter pour elles le danger de la contagion.

J'ai dit qu'on avait évacué presque tous les pauvres et les malades civils, pour faire une plus large place aux militaires. Il y en eut pendant plus de cinq semaines, du 15 janvier au 20 février environ, de six à sept cents à la fois. C'est beaucoup plus que ne comportait le local ; on trouva pourtant moyen dans certains moments d'en entasser jusqu'à 900.

De 193 varioleux qui y furent admis, presque tous au mois de janvier, 160 moururent. Et pourtant, au milieu d'une telle infection, pas une religieuse ne contracta la maladie. Les soeurs de Saint-Vincent-de-Paul se croient par profession à l'abri de la contagion. Nous sommes faites, disent-elles, pour vivre au milieu des malades ; il y a pour nous des grâces d'état. Du reste, avec quelle joie elles consacraient à leurs chers militaires, non seulement leurs travaux et leurs soins, mais leur santé, et leur vie, s'il l'eût fallu.

Un jour, une soeur assistée de deux infirmiers étant en train d'ensevelir un varioleux, l'infection devint telle que ses aides se virent forcés de s'en aller. La religieuse se trouva donc seule pour continuer son pieux office ; mais le défaut d'air respirable ne tarda pas à la suffoquer. Elle fait alors comme le plongeur qui remonte un instant à la surface pour reprendre haleine et elle court à la fenêtre, afin d'amasser une nouvelle provision d'air, revient au varioleux, retourne à la fenêtre, et cela jusqu'à trois fois. L'aumônier qui confessait un mourant à quelques pas de là, voit que la soeur va se trouver mal ; il l'a renvoie, non sans peine ; mais ce n'est que pour peu de temps, et elle ne tarde pas à mener jusqu'au bout ce qu'elle regarde comme son devoir.


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On ne se figure pas en effet l'infection, et par suite le danger permanent qui résultait de l'encombrement. Assurément, rien n'avait été négligé pour rendre la moins mauvaise possible la situation des pauvres malades. Rien ne leur manquait, ni soins, ni médecins, ni médicaments, rien, excepté une seule chose, mais c'était la plus nécessaire, de l'air. Aussi, malgré toutes les précautions, l'entrée dans certaines salles était-elle regardée par les malades comme une sorte de vestibule de la mort. Quand on y pénétrait, surtout dans celle des varioleux, c'était une odeur tellement repoussante qu'on en était comme asphyxié et qu'on reculait malgré soi. Cet état de choses rendait les convalescences extrêmement difficiles, et il n'était pas rare de voir des varioleux qui semblaient guéris mourir subitement en quelques heures. Quelle tristesse de songer que tant de pauvres blessés, tant de malades, qui se seraient guéris ailleurs, venaient là mourir, faute d'un peu d'air.

Mais si, trop souvent, les efforts pour ramener ces malheureux à la vie furent impuissants, il est au moins un bienfait inappréciable qu'on prit tous les moyens de leur assurer, c'est celui d'une mort chrétienne. L'aumônier ordinaire M. l'abbé Lesimple, ne pouvant suffire seul à la tâche, M. l'abbé Poirier, missionnaire apostolique, s'offrit courageusement pour le seconder. Ils n'épargnèrent ni leurs peines, ni leurs sueurs. Tout le jour au chevet des malades, le soir interrompait à peine leurs travaux, et souvent ils furent obligés de se lever jusqu'à sept et huit fois par nuit. Mais aussi comme ils furent largement récompensés de leurs fatigues ! Chose incroyable, qui montre bien que la bénédiction de Dieu les protégeait : au milieu d'une aussi terrible mortalité, avec les morts presque subites qui se succédaient si fréquemment, pas un malade ne leur échappa. Les francs-tireurs eux-mêmes, souvent moins bien disposés d'abord, cédaient à la fin au doux entraînement de la religion.

Et ce n'étaient pas seulement les mourants qui recherchaient ou acceptaient son bienfaisant secours. D'octobre 1870 à Pâques 1871, treize retraites spirituelles furent prêchées à l'hospice, spécialement pour les militaires ; 2,010 communions, de nombreuses conversions, le baptême de cinq protestants furent les fruits de ces pieux efforts. Bien des scandales ont été donnés


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dans le cours de celte guerre ; mais aussi, que de sujets d'édification et de consolation n'y pourrait-on pas compter ! Non, la France, et principalement la France militaire, n'est pas aussi éloignée de Dieu qu'on voudrait le faire croire. Qui sait si plusieurs de ces hommes, qui sont venus mourir si chrétiennement dans un hôpital, n'auraient pas continué dans leurs pays une vie scandaleuse ? Ce qui paraissait un malheur aux yeux des hommes leur devenait devant Dieu un moyen de miséricorde et de salut.

Les autres ambulances, avec des ressources moindres, se rapprochaient le plus qu'elles pouvaient de celle de l'hôpital. Ce que j'ai dit de la première me dispense donc de m'étendre longuement sur les autres. Les ambulances réunies, tant celles qui étaient dans les bâtiments publics que celles qui étaient établies chez les particuliers, pouvaient contenir 1,800 à 2,000 lits. Dans toutes on trouvait le même zèle religieux ; le costume seul était changé. C'étaient les soeurs de la Miséricorde, si dévouées, si entendues auprès des malades ; c'étaient les religieuses de la Providence, de l'Adoration, de Saint-Joseph, les tourières de Sainte-Claire, qui abandonnaient leurs fonctions habituelles, pour se livrer à la sainte émulation de la charité et courir là où les besoins de leurs frères souffrants les réclamaient. C'étaient les prêtres, M. l'abbé Lebouc, M. l'abbé Damoiseau, quelquefois des prêtres des paroisses ; c'étaient les médecins qui, tous à l'envi, tenaient à n'être pas au-dessous de leur sainte mission. Plusieurs furent atteints de la contagion varioleuse, notamment M. l'abbé Lebouc et deux tourières de Sainte-Claire. Parmi les religieuses qui se distinguaient par leur intelligence, les médecins signalent la soeur Saint-Jean, de la communauté de SaintJoseph, et la soeur Prudence, de celle de la Providence ; mais si on ne tenait compte que des dévouements, il faudrait les signaler toutes. Les aides donnés aux médecins étaient d'ordinaire bien inexpérimentés et incapables de servir pour les grandes opérations ; c'était habituellement soeur Prudence qui les remplaçait à l'ambulance de la Sénatorerie. Souvent, lorsqu'elle tenait les membres dans les amputations, elle se trouvait tout inondée de sang ; mais jamais elle ne faillit à la tâche.

Partout, à la Sénatorerie, à l'Ecole normale, à la Gare, à l'ancienne Providence et jusque dans les ambulances que la


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charité ouvrait dans les maisons particulières, on retrouvait ces pieuses serrantes des pauvres blessés. Partout aussi, leur piété, peut-être autant que les exhortations du prêtre, gagnait les âmes à Dieu et obtenait les résultats religieux les plus précieux. Un seul malade, à la Sénatorerie, refusa de se confesser à la mort. On a pensé qu'il faisait partie de quelque société solidaire.

L'ambulance de la Gare était celle qui avait le plus son aspect particulier. Elle était établie à l'hôtel de la Gare et était plus spécialement entre les mains des dames de la ville. Elle ne renfermait guère qu'une cinquantaine de lits, mais elle avait beaucoup à compter sur l'imprévu II y régnait un grand mouvement de va et vient, et, à la différence des autres, elle ne servait souvent que de passage pour aller dans une ambulance de la ville, ou d'étape pour se diriger plus loin. Aussi y eut-il parfois à la Gare un encombrement des plus fâcheux.

Un jour, c'était au moment de la bataille du Mans, les Prussiens n'étaient pas encore à Alençon, arrivent plusieurs centaines de blessés. Les ambulances sont pleines ; les administrations et l'intendance sont, comme cela se renouvelait trop souvent, prises au dépourvu. On installe les malheureux, tant bien que mal, dans les magasins de la Gare. Mais les portes ne ferment pas, les vitres sont cassées, le froid est rigoureux ; beaucoup de blessés vont certainement périr dans la nuit, si l'on ne prend des précautions pour les préserver contre l'âpreté de la température. Personne ne paraissant s'occuper de ce soin, M. Coypel insiste auprès de l'intendance pour faire établir des poêles ; mais on n'a pas d'ordres ; impossible de rien faire, et c'est de son autorité et au risque de se voir obligé de payer luimême la dépense que M. Coypel se rend chez les poêliers de la ville et leur lait installer des poêles.

Je me suis étendu avec une certaine complaisance sur ce beau sujet des ambulances. L'aspect de la charilp fait du bien et délasse des horreurs etdes malheurs que j'ai eus presque constamment à raconter (1).

A mon sens, l'opinion publique a trop facilement détourné son

(1) Les renseignements sur les ambulances m'ont été fournis en grande partie par les aumôniers et les médecins.


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attention des morts et des blessés, pour la porter de préférence sur les dommages matériels. On ne disait pas, mais était-on bien loin de penser, qu'il faut laisser aux familles le soin de ■pleurer leurs morts, que les hommes se remplacent toujours et que la Patrie se préoccupe, avant tout, des dommages positifs, irréparables, de ceux qui affectent la fortune publique et amoindrissent la richesse nationale? Comme s'ily avait des dommages plus positifs que ceux qui détruisent des hommes, des pertes plus irréparables que la perte de la vie ; comme si la Patrie avait quelque chose de plus cher que ses enfants ; comme si la première richesse d'un pays n'était pas ses citoyens, son premier devoir, la reconnaissance pour ceux qui se sont sacrifiés à son salut ou à sa gloire. C'est pour cela que j'ai tenu à donner la première place, la place d'honneur, aux ambulances, ne laissant que la deuxième aux pertes matérielles. J'aurais honte, malgré l'exemple de bien des gens, de placer l'homme au-dessous de la chose.

La Prusse poursuivait un double but : détruire la force militaire de la France ; elle prétendait y réussir par les combats ; ruiner sa puissance financière ; elle employait à cet effet les contributions et les réquisitions. Non contente d'écraser l'Etat sous le poids d'indemnités sans précédent dans l'histoire, elle exei'çait également sa rapacité contre les communes et contre les particuliers. La ville d'Alençon, nous l'avons vu, ne fut pas ménagée. Quoique le calcul des pertes qu'elle eut à supporter soit assez difficile à établir, il est bon d'en donner, au moins, un aperçu.

D'après les ordres du Gouvernement, une commission d'enquête fut nommée pour les deux cantons d'Alençon. Elle avait pour objet de vérifier d'urgence l'exactitude des faits et des évaluations produits par les communes et les particuliers, au sujet des charges de l'occupation. Elle devait relever les contributions de guerre payées, les impôts perçus au profit du trésor allemand, les réquisitions en nature, les pertes par dégâts ou incendies, les objets mobiliers enlevés, les otages emmenés Ou incarcérés. M. Lecointre fut élu président de cette commission. Les comptes qu'il présenta, les seuls qui n'aient été ni critiqués ni sensiblement réduits, ne portaient pas à moins d'un million les pertes subies par la ville d'Alençon ou ses habitants. Sur


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celte énorme somme, 365,000 francs avaient été, comme nous l'avons vu, payés en espèces ; 285,000 fr., réduits à 278,601 fr. 51, lors du règlement définitif, l'étaient ou allaient l'être en réquisitions régulières autorisées par le conseil municipal; 33,000 fr. provenaient du fait des incendies du jour de la bataille et ne pourraient vraisemblablement pas être remboursés aux perdants. Restaient les réquisitions irrégulières, les frais de nourriture, les faits de vol ou de pillage ; le tout fut évalué à 317,000 francs, et devait également demeurer au compte des habitants.

Les réquisitions en nature au compte de la ville se décomposent ainsi : Vêtements, 9,727 fr. 90 ; — chaussures, 4,055 fr. 74 ; ■—épicerie, 11,819 fr. 97 ; — liquides, 16,430 fr. ; — chevaux, 11,200 fr. ; — boeufs, 58,423 fr. 50 ; — lard salé, 17,262 fr. 27 ; — nourriture, 90,836 fr. 97 ; — fourrages, 12,606 fr. 09 ; — grains, 13,085 fr. 02 ; — transports, 2,788 fr. 75 ; — légumes secs, 1,000 fr. ; — farines, 14,895 fr. 20 ; — fournitures diverses, 1,868 fr. 69 ; mémoires non encore réglés, 19,000 fr.

Les dommages individuels, assez difficiles à évaluer, seraient plus difficiles encore à répartir. On peut dire, d'une manière générale qu'ils consistaient en nourriture, liquides, fourrages, et quelquefois en marchandises. Les maîtres d'hôtel, les aubergistes, les cafetiers, en furent les principales victimes ; mais chaque habitant en eut sa part.

La campagne n'avait pas été plus épargnée que la ville. Les évaluations des maires portaient le total des pertes éprouvées par leurs communes à 342,666 fr. 95, dont 23,987 fr. 50 au compte des communes et 313,579 fr. 45 à celui des particuliers ; mais la commission réduisit ces estimations de 39,431 fr. Les communes les plus maltraitées étaient Lonrai, Valframbert, Condé, Vingt-! lanaps, Damigny, Cerise, Semallé, Hêloup, Radon, Colombiers, etc (1).

Là ne se bornent pas les pertes occasionnées par la guerre. Un mal en appelle ordinairement un autre. Jamais, depuis des siècles, une telle mortalité n'avait affligé le pays. Depuis bien longtemps aussi, une telle misère n'avait éprouvé les populations. Une mauvaise récolte, l'émigration des pays envahis, le

(1) Voir les séances de la commission, la lettre de M. Lecointre au préfet et autres pièces, à la Préfecture de l'Orne.


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départ pour l'armée des meilleurs soutiens des familles, les vicissitudes de la guerre, la perte des habitudes régulières et du travail suivi avaient multiplié le nombre des mendiants. Les villes en étaient remplies, les campagnes en étaient inondées. Et, par une sorte de fatalité dont on ne s'étonnera'pas, l'exemple du mendiant nécessiteux avait engendré le mendiant par paresse, par entraînement ou par métier. Une foule de gens s'aperçurent qu'en définitive la mendicité était une profession plus facile et plus lucrative que bien d'autres. C'était l'abaissement et la dégradation des caractères ; c'était la misère morale encore plus que la misère physique.

Joignons-y encore un autre genre de mendicité déguisée, l'atelier de charité. Le travail manquant parfois, il fallait que la ville y suppléât ; mais que d'abus à côté de l'usage ! Quelle fainéantise dans ces ateliers ! Aussi, quand l'ouvrage reprenait, combien préféraient au travail lucratif et sérieux la continuation d'une vie qui leur permettait de subvenir strictement à leurs besoins à peu près sans rien faire ! La ville ne payait pas cher, 75 centimes par jour en général, mais, à ne considérer que le produit qu'elle retirait, c'était encore deux fois trop.

La ville d'Alençon eut jusqu'à 700 ouvriers dans ses ateliers. Cette dépense, jointe à tous les frais de la guerre, pesait lourdement sur son budget. Deux chiffres suffiront à faire saisir l'augmentation de charges provenant de ce chef : les dépenses de l'Atelier de charité qui avaient été de 11,953 fr. 18 pendant l'année 1870, alors pourtant que la guerre était déjà commencée, se sont élevées en 1871 à 53,598 fr. 78.

Il serait facile de s'étendre sur ce sujet, mais je n'ai point à faire un traité des finances de la ville. Je dois cependant dire au moins quelques mots d'un point très sérieux et- qui devait vivement préoccuper le Conseil, c'est celui des voies et moyens. La ville contractait des dettes énormes ; comment parviendrait-elle à se libérer ?

Et d'abord l'Etat lui viendrait-il en aide et lui rembourseraitil, en tout ou en partie, les frais de la guerre et de l'occupation ? Cela ne pouvait faire de doute pour les 60,000 francs versés par anticipation aux Prussiens, en déduction des impôts que l'Etat s'était engagé à leur payer. A ne considérer que les lois de la simple équité, et abstraction faite des cas de force majeure et


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des nécessités créées à l'Etat par une situation, pour ainsi dire, sans précédents, cela paraissait encore juste pour le reste. Tous ces frais, en effet, étaient des dépenses nationales ; avaient pour but unique la défense nationale ; étaient les conséquences inévitables de cette défense et d'une guerre nationale. Quoi de plus juste que la Nation les prenne à sa charge, et n'était-ce pas le cas où jamais d'invoquer ces liens d'étroite solidarité que le patriotisme impose à tous les membres de la grande famille nationale. Mais cette question excédant évidemment la compétence du Conseil, ce qu'il avait de mieux à faire, c'était, après avoir sollicité la bienveillance du Gouvernement, de se mettre en mesure de parer à toutes les éventualités comme s'il devait être seul à supporter la charge.

Il obtint à cet effet du chef du pouvoir exécutif un arrêté, en date du 30 juillet 1871, autorisant la ville d'Alençon à emprunter au taux de six pour cent, 650,000 francs, en obligations de 500 francs, remboursables en 24 ans par tirage au sort et au moyen de 30 centimes ajoutés au principal des quatre contributions directes. Le produit annuel de ces 30 centimes était évalué à 52,500 francs environ.

Du reste, l'Assemblée nationale ayant admis le principe du remboursement par l'Etat des sommes que les communes avaient payées aux Allemands, pendant l'armistice, à titre d'imjoôt, la ville d'Alençon reçut en 1872 de ce chef 107,156 francs. D'autres indemnités étaient attendues et furent obtenues au-delà des espérances.

Il n'était donc plus nécessaire d'emprunter 650,000 francs et on pensa, comme la suite le prouva, que 500,000 francs seraient suffisants.

D'un autre côté, les conditions du crédit s'étaient singulièrement améliorées, et la ville put emprunter à la Caisse des dépôts et consignations 500,000 francs à cinq pour cent, remboursables en quinze années (1872-1886) au moyen d'uneannuité de 48,171 fr. 16, comprenant l'intérêt et l'amortissement, et gagée sur le produit des 30 centimes qu'elle était autorisée à percevoir.

Enfin, la ville fut entièrement remboursée par le département et par l'Etat des 66,995 francs qu'elle avait avancés pour acheter des fusils Chassepot (1).

(1) Comptes d'administration de la ville d'Alençon, 1870-71-72.


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La ville d'Alençon se trouve ainsi libérée de ses énormes charges ; les ambulances ont terminé leur oeuvre de dévouement, après avoir plus ou moins guéri leurs blessés et leurs malades ; les morts sont enterrés ; tout est-il fini, et ne reste-t-il plus qu'à tirer un trait et à passer à d'autres occupations ? Ne le croyons pas. Les événements que j'ai racontés ne sont pas de ceux qui s'oublient. On a pu, pendant près d'une année, suivre à la trace du sang et des ruines les progrès de l'invasion allemande ; mais il ne suffit pas, pour en faire disparaître les vestiges, qu'une nouvelle végétation ait recouvert le sang dont elle a inondé nos campagnes. Que de désastres qui ne se réparent pas! Que de fortunes qui ne se relèvent pas ! Que de deuils que rien ne saurait consoler !

D'un autre côté, ces calamités, toutes grandes qu'elles soient, ne portent-elles pas avec elles leurs enseignements, dont nous devons profiter, ne fût-ce que pour empêcher qu'elles ne se renouvellent ? On l'a dit, nos défaites ont été la juste punition de nos fautes. Sans entrer dans des considérations générales qui m'entraîneraient beaucoup trop loin ; sans surtout aborder les questions politiques, après les avoir évitées jusqu'ici ; il me sera bien permis de constater que, si un pays n'a d'ordinaire que le gouvernement qu'il mérite, une nation comme la France n'éprouve aussi dans les combats que les revers qu'elle s'est attirés.

Hélas ! qui n'a vu la démoralisation universelle ? Le culte de l'argent chez le riche, l'envie chez le pauvre, le sensualisme, l'amour du luxe et des jouissances partout ? Qui n'a senti la société ébranlée jusque dans ses fondements par le travail souterrain des sociétés secrètes et les attaques ouvertes de l'immoralité et de l'impiété ? Qui n'a été frappé de l'action de la Révolution ; qu'elle s'appelle Internationale, Socialisme, Césarisme, Communalisme, Franc-Maçonnerie ou de tout autre nom ? Qui pourrait compter le nombre de ces ouvriers de l'enfer ? N'est-ce pas à leurs excitations que nous sommes redevables de presque tous nos malheurs? Est-il besoin de rappeler les émeutes de la Capitale pendant le siège, les ligues du Midi, les grèves d'ouvriers, l'indiscipline des armées, la Commune de Paris, la violation de la souveraineté nationale, les pillages, les incendies, le massacre des otages ?


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Et dans la lutte, au sein même de ce qu'on appelait alors le grand parti de l'ordre, que de malentendus, que de défaillances, que de divisions politiques, sociales et religieuses ; que de causes de faiblesses dans tous ces fractionnements, qui se combattent, se paralysent et laissent, faute d'union, la victoire à l'ennemi commun !

Et l'on voudrait que la France fût forte, avec de telles faiblesses ! Est-il besoin d'aller chercher ailleurs le secret de nos humiliations ?

La morale, la sagesse, la force, la santé des corps comme des âmes, des nations comme des individus, viennent de Dieu. On a chassé Dieu de la France, de ses administrations, de ses armées, de ses institutions et de ses lois ; on ne veut plus de Dieu dans les affaires humaines ; et il lui a suffi, en effet, de se retirer pour que nous tombions à l'instant. Nous pouvons constater aujourd'hui ce que peut un peuple sans Dieu, même quand ce peuple s'appelle la France.

Mais, comme si ce n'était pas assez de ces causes de nos désastres, Dieu a voulu y joindre son action en quelque sorte visible et un concours inouï de circonstances qui tournait contre nous-mêmes nos dispositions les mieux concertées : une récolte faible, l'invasion d'une maladie, la petite vérole, que la science prétendait conjurée à jamais, un hiver exceptionnel ; afin qu'il soit bien manifeste qu'une nation ne saurait abandonner Dieu impunément, et qu'elle le retrouve comme vengeur toutes les fois qu'elle le repousse comme sauveur.

Cette intervention marquée de la Providence a dû étonner, si elle n'a pu convaincre, quiconque examine et raisonne. « Un « ensemble de coïncidences malheureuses, dit M. de Freycinet, « le lieutenant et le délégué de Gambetta, s'est donc joint à la « faiblesse organique de la France, pour déjouer tous ses efforts. « Et cet ensemble a été tel que, véritablement, quand on l'envi« sage, on est tenté de se demander s'il n'y a pas là quelque « raison supérieure aux causes physiques, une sorte d'expiation « de fautes nationales, ou le dur aiguillon pour un relèvement « nécessaire. En présence de si prodigieuses infortunes, on ne « s'étonne plus que les âmes religieuses aient pu dire : Digitus « Dei est hic, le doigt de Dieu est là. » (1)

(1) La Guerre en Province, par M. Ch. de Freycinet, p. 350.


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Faut-il donc se laisser aller au désespoir et se résigner à la décadence, en attendant la mort ? Loin de là ; profitons plutôt des avertissements qui nous sont donnés, et puisons, dans l'excès même de nos malheurs la force et les vertus nécessaires pour en conjurer le retour. « Souvenons-nous que pour les peuples, « comme pour les individus, le plus grand des malheurs est de « ne pas tirer profit du malheur et d'être retrouvés après « l'épreuve pires que l'épreuve ne les avait trouvés, selon que « saint Augustin le disait aux hommes de son temps, après la « première invasion des barbares : Perdidistis utilitatem cala« mitatis et miserrimi facti estis, et pessimi permansistis : « Vous avez perdu le fruit de la calamité, étant devenus très « malheureux et restés très mauvais (De Civilate Dei, 1. i, « ch. XXVIII.). Dans quelle proportion aura profité à la nation « française l'effroyable révolution qu'elle a subie ?» (1) Et aujourd'hui, après vingt-cinq ans écoulés, est-il possible de constater que l'épreuve nous a, en effet, été utile, que la régénération, achetée si cher, est en voie de s'accomplir? Ce serait sortir, douloureusement peut-être, de mon sujet que de m'étendre sur ce point trop actuel ; mais, au moins, me sera-t-il permis de le proposer aux méditations de quiconque aime la France et s'intéresse à sa prospérité et à son avenir.

H. BEAUDOUIN.

(1) Mgr Pie, Oraison funèbre de Dom Guéranger, 1875.


CHOUANNERIE NORMANDE

MÉMOIRES D'UN OFFICIER SUPÉRIEUR

Les mémoires dont nous allons donner quelques extraits ont été rédigés vers 1820. Us portent la modeste suscription : « A mes enfants bien aimés. »

Leur auteur, qui a fait la campagne avec les Vendéens depuis Mayenne jusqu'à Dol, avec de Frotté dans ses deux guerres de 1795-1796 et de 1799-1800, puis en 1815 avec le général d'And igné de Sainte-Gemmes, ne destinait pas son travail à la publicité.

Aussi a-t-il fallu des instances réitérées et les intérêts généraux de l'histoire pour obtenirdeses deux fils, qui vivent encore, l'autorisation d'en faire paraître les pages les plus intéressantes (1).

Engagé volontaire en 1793, à l'âge de 17 ans, après avoir exposé sa vie en cinquante-deux affaires à côté ou à la tête de braves gens qui voulaient défendre le trône et l'autel, Michel Guesdon nous a paru un témoin précieux de faits encore insuffisamment éclaircis.

Quand ceux qui parcourront ces lignes auront remarqué l'honorabilité parfaite de sa vie, l'énergie de son caractère, la délicatesse de ses sentiments et ses fortes convictions royalistes

(1) M. Alfred de Guesdon, fils aîné du vieux royaliste, est conseiller d'arrondissement du canton deCraon ; son frère, M. Edmond, est maire de Saint-Poix (Mayenne). Ces messieurs auraient confié le manuscrit de leur père à M. de la Sicotière, s'ils avaient connu en temps opportun ses travaux historiques sur la Chouannerie.


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et religieuses, ils se sentiront portés à accueillir avec confiance son témoignage et ses affirmations.

Bien que très en position d'exprimer sa pensée sur les tristes événements de la fin du siècle dernier auquel il avait été si gravement mêlé, il craignit d'avoir insciemment commis de légères inexactitudes. Aussi, avant de laisser à sa famille ses loyales et courtoises appréciations, il confia son cahier à l'un de ses chefs hiérarchiques, le colonel de Saint-Paul de Laingheard. Il en reçut, le 2 décembre 1820, une réponse dont nous détachons les passages suivants :

MONSIEUR ET CHER CAMARADE,

J'ai lu votre manuscrit avec un vif intérêt, je vous prie d'agréer mes sincères remerciements de me l'avoir confié

Cessons de parler de ce qui m'est particulier pour en revenir à l'intérêt de notre arme.

Je vous avoue, mon cher et digne camarade, que je regrette de voir dévoilés de si bonne heure encore, dans un temps où tant de têtes sont tourmentées du vertige révolutionnaire, les secrets de nos triomphes, nos ressources si fertiles en ruses de guerre, et jusque-là impénétrables à nos ennemis.

Le roi étant aujourd'hui mieux servi, la marche du gouvernement plus ferme et mieux éclairée sur les vrais intérêts du trône et de l'autel, tout porte à croire que les fidèles et purs royalistes de l'Ouest n'auront plus qu'à jouir du présent, et se rappeler avec orgueil le passé, sans s'inquiéter de l'avenir.

C'est dans ces sentiments que j'ai l'honneur d'être, avec le plus sincère attachement et la considération la plus distinguée, Monsieur et cher camarade,

Votre très humble et dévoué serviteur De Saint-Paul de Laingheard, colonel, chevalier de Saint-Louis (2 décembre 1820).

I. — MICHEL GUESDON

Michel Guesdon naquit à Mantilly (1) en 1775, d'une famille très honorable et assez fortunée. M. Achard des Hautes-Noës, « ancien officier de marine des guerres de Hanovre », se fit son conseiller et son prolecteur (2).

Dès son jeune âge, Michel étudia les belles-lettres et les sciences dans un collège voisin. Ses progrès étaient rapides, la Révolution vint les interrompre. Il fallut rentrer au domicile paternel.

(1) Commune du canton de Passais (Orne).

(2) Mémoires de Michel Guesdon.

18.


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La journée du 10 août, l'emprisonnement de Louis XVI et de la famille royale au Temple affligèrent son coeur, et dès lors, malgré sa jeunesse, il conçut le projet de se mettre au service de la cause monarchique.

En 1792, il s'enrôla dans la coalition du marquis de la Rouerie. La coalition du marquis ne réussit pas mieux que celle du Rosel de Beauraanoir à Caen.

Peu après, il se proposait d'entrer dans l'armée des fédérés Normands ; M. Achard l'en dissuada.

Cependant les Vendéens remplissaient la France du bruit de leur renommée. Cathelineau, Henri de La Roche-Jacquelein les conduisaient vigoureusement à la victoire. Les républicains affolés, ordonnèrent contre eux une levée en masse. Les Vendéens n'en continuaient pas moins leurs succès. Après avoir traversé la Loire et pris Laval, ils allaient arriver à Mayenne.

On s'émut dans le pays de Domfront. Les gardes nationaux reçurent l'ordre de partir et d'aller rejoindre l'armée que l'on avait concentrée du côté d'Ambrières.

Michel Guesdon fut conlraintd'accepterlecommandementdela compagnie de Mantilly. Il n'avait pas encore atteint ses dix-huit ans, mais son instruction, sa belle taille et son énergie le désignaient à l'attention de tous.

Il se dirigea sur Mayenne. Du côté des bleus régnait un désordre affreux : les soldats étaient indisciplinés, sans tenue, sans armes, sans munitions et sans bonne volonté. Les premiers bataillons des Vendéens suffirent pour les épouvanter et les mettre eh fuite.

Le vieux général qui était leur chef avait compris qu'il ne pourrait faire rien d'utile avec de si misérables éléments. Il donna l'ordre de battre en retraite sur Prez-en-Pail (1). La retraite fut une débandade.

II. — LES VENDÉENS.

Abandonné par les siens, Michel Guesdon prit la résolution de rejoindre les Vendéens dont M. Achard lui avait si souvent parlé. Le lendemain matin il arbora la cocarde blanche sur son costume de garde national qu'il n'avait pas la possibilité de remplacer.

(1) Michel Guesdon croit que ce général fut fusillé pour cet acte de prudence.


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A ce moment, l'enthousiasme débordait de son coeur. L'avantgarde des Vendéens dont il fit partie était bien composée et convenablement commandée. A Ernée, notre nouvel engagé tira ses premiers coups de feu ; l'affaire fut chaude, dangereuse pour tous et spécialement pour Michel. Dans la mêlée, son costume égara plus d'une fois les Vendéens qui le prirent pour un bleu ; sa grande taille et son activité le signalaient à tous, tandis que la cocarde blanche, qu'il avait sur la poitrine, ne pouvait être aperçue que d'un petit nombre. Il fallut prendre des précautions plus visibles pour ne pas se faire tuer par ceux de son parti, et il attacha un mouchoir blanc à sa coiffure.

Auboutdepeu de jours, Michel comprit que l'armée vendéenne était destinée à périr.

« La queue des colonnes étaitbondée de femmes, de vieillards, de blessés et d'enfants qui faisaient mal à voir. L'absence d'intendance et l'imprévoyance de plusieurs des chefs rendaient la vie presque impossible. L'avant-garde dévorait facilement les provisions d'un pays pauvre, le reste périssait de misère, beaucoup de soldats n'avaient pour vivre que les fruits qu'ils cueillaient dans les vergers. »

Michel fut souvent réduit à cette extrémité. Le siège de Granville fut mal conduit, poursuivi sans entente et sans énergie. La foule des traînards réclamait son Bocage : il fallut se retirer.

« Les républicains en profitèrent et nous poursuivirent avec violence. Les batailles de Pontorson et de Dol furent très sanglantes, des luttes à mort, des victoires pour les Vendéens, mais des victoires à la Pyrrhus : on n'essayait plus de profiter des avantages pour aller de l'avant et enfoncer les ennemis, mais pour reculer et regagner la Loire »,

Les républicains eurent beau jeu. Michel fit des prodiges de valeur. La faiblesse de sa vue et surtout le désordre qui régnait partout le jetèrent plusieurs fois dans de graves embarras au milieu des partis ennemis.-Sa présence d'esprit, sa bravoure et sa souplesse furent son salut.

Pendant que les Vendéens descendaient du côté d'Ancenis, le volontaire de 18 ans se trouva dans l'impossibilité de les suivre. Epuisé par la fièvre et la dyssenterie, atteint d'un fort mal de gorge et les pieds en ampoules, après avoir fait 80 lieues en neui


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jours, il fut recueilli mourant au bas des marches d'un escalier par des personnes charitables, et, sur les conseils de ses protecteurs et du médecin qui fut appelé, il rentra dans ses foyers en décembre 1793. Sa pâleur extrême, l'amaigrissement qui s'était produit et une toux persistante firent craindre pour sa poitrine. Cependant bientôt sa robuste constitution reprit le dessus.

III. — ANNÉE 1794.

A peine remis de ses fatigues, Michel ne put souffrir l'inaction. « Encouragé par l'exemple de la Roque-Cahan, il rassembla quelques jeunes gens de la réquisition », avec eux il sut effrayer « ceux qui terrorisaient le pays et persécutaient les honnêtes gens ». Il désarma plusieurs maisons et bourgs républicains. Il osa même attaquer les convois des bleus et en dispersa plusieurs.

Il fit un jour une belle capture sur une troupe qui se dirigeait vers Domfront. L'abondance de son butin et les sept boeufs gras qu'il fallut tuer attirèrent sur lui les soupçons et le dési - gnèrent à la vengeance nationale. Pris à Saint-Cyr (1) pendant l'hiver 1794, il fut conduit à Mortain et de Mortain à Domfront.

On lui fit subir là toute espèce de mauvais traitements. Fouilleul et Barabbé abusèrent de leur situation et de leur âge pour insulter grossièrement et faire insulter ce jeune homme dont ils connaissaient la famille.

Michel s'attendait à mourir. Le traité de la Mabilais (20 avril 1795), le rendit à la liberté.

« Après sa sortie de prison, Michel Guesdon ne demeura pas longtemps tranquille.

« Mes hommes, écrit-il dans ses Mémoires, plus exposés pendant les trêves que lorsqu'ils avaient les armes à la main, me sollicitèrent si vivement que je consentis à reprendre mon commandement. Bientôt j'en eus autour de moi une soixantaine, presque autant que Moulin, qui se battit à Montsecret contre Louvet, le 12 mars 1795 (2). Billard était également en mouve(1)

mouve(1) du département de la Manche.

(2) Moulin de Saint-Jean-des-Bois fut un royaliste énergique et intelligent. Il a dicté à sa fille de très intéressants mémoires que son gendre a eu le tort de dénaturer par un style un peu apprêté. Tous ceux qui ont écrit sur la Chouannerie se sont avantageusement servi du travail du Chouan basnormand.


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ment. A nous trois nous tenions lés républicains en respect dans tout ce coin de Basse-Normandie ».

IV, — M. DE FROTTÉ — lr 0 CAMPAGNE, 1795.

Sur ces entrefaites M. de Frotté nous arma en compagnie de Saint-Paul et de la Rozière (2). Je reçus l'ordre de rejoindre, avec dix dé mes meilleurs hommes. J'en pris douze et me rendis à Saint-Jean-des-Bois où se trouvait le général.

Qu'était ce général ? Quels étaient sa tactique et son tempérament ? Michel Guesdon va nous donner son sentiment.

« Louis-Marie, fils aîné du comte Henri de Frotté, de la famille de Coulerne, naquit près de Caen.

« Capitaine au régiment de colonel général, il redevint caporal à l'émigration ; puis de caporal il fut promu général en chef des armées royales de Normandie, comme il aimait à le redire en plaisantant. Après avoir reçu une blessure à l'armée de Condé, il vint en Angleterre solliciter du service dans son pays natal. Sa taille était de cinq pieds un pouce. Quand il commença la campagne de 1795, il était âgé de 33 ans. Il signait alors : « Commandant les royalistes de Basse-Normandie et lisière du Bas-Maine, chargé des pouvoirs du roi ». Ses yeux étaient extrêmement vifs et sa figure des plus expressives. Je n'ai pas connu d'homme dont le tact fût aussi fin. En quelques paroles et à la mine, il connaissait son monde. Il était impossible de dissimuler devant lui. Il avait l'habileté de mettre facilement tout en place. Par sa présence d'esprit admirable, il savait éviter un piège et profiter de la moindre occasion. Il se montrait plein de flegme quand les siens étaient ardents, et ferme quand ils chancelaient.

« Au premier coup de fusil, il était en tête. Il s'arrêtait pour prendre un point de vue, juger des mouvements et forces de l'ennemi.

« Instruit des ressources de chaque canton il devinait à peu près le nombre de ceux qui l'attaquaient et calculait combien il fallait de temps avant qu'ils ne pussent être secourus.

(2) M. de Saint-Paul a habité en Saint-Ouen-le-Brisoult (Orne) lé château de Monceau qui était à sa femme ; M. de la Rozière celui de Goupigny en la commune d'Airan (Calvados) ; il épousa la fille d'Ignace de la Haye d'Ommoy et de Marie-Jeanne de Bàraont.


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« Ses espions étaient les chouans du pays, hommes et femmes ordinairement pris dans la campagne. Il les payait généreusement et afin que leurs rapports pussent se contrôler facilement, il en envoyait deux pour chaque affaire en ayant bien soin de ne point les prévenir de cette habile précaution.

« Comme il savait que les républicains ne manquaient ni d'espions ni de gens dévoués, son premier soin, en arrivant dans une bourgade, était de compter les heures qu'il fallait à l'un d'eux pour courir au district.

« La garde était parfaitement montée. Le général s'en assurait en faisant lui-môme des rondes et grondait fort quand le service n'était pas régulier. Dès minuit, en été, les patrouilles étaient en activité, elles avaient la consigne d'écouter l'aboi des chiens.

« Quand le général était prévenu de quelques faits insolites, il nous plaçait en embuscade, et souvent les républicains qui voulaient nous surprendre l'étaient eux-mêmes.

« Après leur avoir donné la chasse, nous nous gardions bien de rester sur le lieu du combat. Immédiatement nous prenions une autre direction. Après trois ou quatre heures de marche et un prompt déjeuner dans un point militaire, nous repartions immédiatement après.

a II nous arrivait souvent de nous embusquer à nouveau le soir et d'attendre près des cantons les colonnes qui allaient rentrer. Nous avons eu quelquefois le bonheur d'en battre une le matin et l'autre le soir.

« En pays républicain où l'on sonnait le tocsin contre nous et où nous élions sans guides, nous avions recours à la carie de Cassini. Notre marche était militaire et éclairée. Les patrouilles étaient envoyées en avant et nous n'entreprenions rien d'important avant leur retour.

« De Frotté aimait beaucoup à se battre l'après-midi. Le matin il redoutait, et avec raison, la réunion de plusieurs colonnes.

« Quand il prévoyait une battue, il prenait ses précautions et l'évitait. Il nous faisait diriger vivement sur un point éloigné et il cherchait pour donner le change, à engager le combat avec une autre troupe. Après chaque affaire, nous avions toujours une marche forcée, et parce qu'il la voulait rapide, il préférait une colonne de trois cents à celle qui en aurait eu six.


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a La principale force de l'armée royale était dans de Frotté et dans son état-major. Les émigrés devenaient de bons officiers, et nous en avions grand besoin puisque nous opérions dans un pays qui était généralement républicain. Dans les affaires, nous perdions deux tiers d'officiers contre un tiers de soldats. Au commencement de la campagne, ces messieurs étaient obligés de payer de leur personne. Les officiers et les déserteurs se faisaient tuer beaucoup parce qu'ils ne savaient ou ne voulaient pas s'embusquer, et pourtant c'était par les embuscades que nous pouvions mettre beaucoup de républicains hors de combat.

« M. de Frotté connaissait cette tactique au suprême degré. Les républicains nous imitèrent bientôt, et il fallut les prendre en queue ou en flanc ».

Et dans une autre partie des Mémoires, nous lisons :

« Nous marchions le plus souvent la nuit. Lorsque, pendant le jour, le général voulait attaquer ou surprendre un cantonnement, nous sortions des fermes en nous cachant le long des haies, et avec de bons guides nous tombions comme une bombe au milieu des ennemis. Mais au moment où les forces républicaines se portaient sur le lieu que nous avions pris, nous avions déjà parcouru six à sept lieues, et en agissant de la même manière le lendemain, nous étions sortis du point central du rassemblement et en mesure de risquer une nouvelle attaque.

« Dans tous ces pays où il n'y avait que des réquisitionnaires cachés, on ne connaissait pas les chouans. On croyait que nous étions des émigrés et assez nombreux pour avoir formé plusieurs colonnes. On ne pensait pas que la même pût se multiplier ainsi.

« D'ailleurs, dès 1795, beaucoup pensaient que nous étions de trois à quatre cents chaque colonne. Le général s'ingéniait à maintenir les bleus dans cette illusion. Sur les hauteurs, nous marchions sur une file à dix pas les uns des autres, quelquefois nous tournions plusieurs fois autour d'une môme éminence, ou bien une partie des nôtres faisait face à un bourg pendant que les autres paraissaient se multiplier sur une colline à peu de distance. Enfin, voulant, empêcher qu'on nous comptât, le général forçait les villageois à fermer leurs portes. Dans les champs, on détachait quelqu'un des nôtres avec la mission de


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questionner les laboureurs pendant le défilé de la colonne, ce qui les gênait pour nous compter.

« M. de Frotté avait l'air de passer en revue le vaste pays de son commandement.

« Nos incursions sur quatre départements commencèrent à inquiéter les républicains dès l'été de 1795. Il y eut un moment où notre troupe fut relativement considérable et d'une organisation très solide. Cent déserteurs en formaient le noyau, et nous avions à côté beaucoup de chouans suffisamment aguerris. A l'affaire de Ger (1) par exemple, ce fut presque une bataille. Les républicains chantaient hautement la bravoure des chouans et la tactique des chefs. Ils dirent qu'il y avait Anglais et émigrés parmi nous. La manière de se battre prouvait que c'était de la troupe réglée et d'ailleurs ils avaient vu des habits rouges C'étaient les vestes des chouans de Fiers.

« Les gens de la campagne nous apportèrent, avec la plus grande satisfaction, pain, beurre et cidre quand ils surent que nous avions battu les bleus. Ils nous traitaient comme des libérateurs tant ils étaient excédés du pillage des républicains.

« Nous couchions dans les greniers à foin. M. de Frotté voulait rester en bas dans les étables ou sous les hangars.

« Nos chouans pouvaient se diviser en trois classes : celle des braves était supérieure aux bleus, la seconde était inférieure, la troisième, celle des vauriens, était nuisible.

« Les républicains avaient pour eux l'Etat, les villes et le nombre. Nos ressources consistaient dans la bonté de notre cause et dans les horreurs des républicains. Chez nous il était très difficile d'établir une discipline salutaire. Comme nous n'avions pas de prisons, nos punitions étaient nécessairement ou trop légères, ou trop sévères.

« La confiance au chef constituait la force d'une division ; un bon capitaine avait une bonne compagnie. Lui tué, le désarroi et le découragement se mettaient dans les rangs. Le successeur pouvait avoir plus de talent, mais il manquait toujours de connaissances ; il ne pouvait dire à chacun des siens ce mot intime qui relève et excite. Il n'avait plus les mômes relations avec les gens de la campagne ; il ne savait pas où étaient les caches, il était incapable d'inspirer la confiance.

(1) Canton de Barenton (Manche).


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« Les transfuges nous causaient un mal infini : caches, maisons amies, correspondances, tactiques et forces, tout était dénoncé par leur perfidie.

« Nos blessés étaient fort malheureux, puisque nous manquions de médecins et d'hôpitaux ; nos seules ressources étaient les caches.

« Les neiges et les gelées nous gênaient aussi considérablement. Nos marches étaient ainsi désignées et l'on pouvait nous poursuivre comme les braconniers poursuivent un lièvre.

« Les trêves nous étaient toujours funestes. Nous aurions dû rester sur pied de guerre. Ceux des nôtres qui rentraient isolément dans leurs quartiers étaient souvent dénoncés et pris, les assassinats se multipliaient sous le couvert plus ou moins voilé de la loi, et pendant les suspensions d'armes, nous perdions nos recrues, et nos amis se décourageaient. Les plus dévoués ne voulaient plus se mêler de rien ».

Ces notions générales nous ont paru très intéressantes et très instructives. Elles mettent le lecteur au courant des-procédés des chouans. De Saint-Paul en trouvait inopportune et dangereuse la révélation, et c'est probablement cette pensée qui a détourné les enfants du brave partisan de publier les mémoires dont nous nous occupons présentement.

Nous ne suivrons pas Michel Guesdon dans tout le détail des combats sur lesquels il a laissé des souvenirs et des impressions. Nous nous contenterons de relever au passage les faits et détails qui nous ont paru inédits.

Après l'affaire de Saint-Jean-des-Bois (1) où Michel était venu rejoindre, il y eut un conseil où les capitaines furent admis. « Le général nous communiqua son projet de commencer la guerre avec une poignée de braves, forts et vigoureux, qui pussent faire huit à dix lieues par jour. Au début, nous ne fûmes guère plus de 70 hommes. M. de Frotté me donna l'avantgarde à commander, nous marchions les nuits entières et nous dormions le jour. Nos vivres étaient achetés discrètement, et par ce moyen notre marche était inconnue.

« A Saint-Sever(2), l'on nous fit placer en embuscade. Nous y

(1) Commune du canton de Tinchebrây (Orne).

(2) Commune du canton de Vire (Calvados).


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étions depuis quelque temps déjà quand la voix du commandant des bleus fit entendre cet avis : « Citoyens, attention. » — « Ne crains-tu pas tes camarades chouans, lui répondit quelqu'un ? » Au même moment, de Frotté se lève et tue le commandant. Nous tirâmes si bien que tous furent tués ou blessés.

« Gejour-là, nous arrêtâmes la diligence ; un voyageur s'échappa, quoique blessé. On sut plus tard que c'était l'envoyé de Hoche qui portait à Paris la dépêche officielle de la prise de Quiberon.

« Une autre fois, en entrant au même bourg de Saint-Sever, après une vive escarmouche où j'étais des premiers, écrit Guesdon, un enfant de 14 à15 ans m'apporte une bissachée de cartouches en disant : « Tenez, Monsieur, un des vôtres l'a jetée dans une charrette au commencement de l'action ». Je la donnai à un soldat, et après avoir remercié l'enfant, je courus plus loin à l'attaque des fuyards.

« L'enfant voyant que je lui échappais, s'adressa au lieutenant de la compagnie des déserteurs en disant : « Monsieur, on m'a dit que M. de Frotté vous commandait. » L'officier qui n'était pas au courant de nos secrets ou qui ne voulait rien dire, répondit sèchement : « Non, c'est Blondel. »

« De grâce, dit l'enfant, les larmes dans les yeux et dans la voix, s'il est ici, faites-le moi parler, c'est mon frère. »

« A ce moment, l'officier regarda le jeune déguenillé avec colère et le traitant d'insolent le pria de se retirer.

« Heureusement le général vint à passer, et l'enfant entendit quelqu'un qui murmurait derrière lui : « Voilà le général ». A ce mot, il se retourna vivement et tendant les bras, il s'écria en pleurant : « Ah ! mon frère, que je suis heureux de te retrouver. » Le général surpris s'arrête comme pétrifié, et après avoir fixé cet inconnu pendant quelques instants, il s'avance et serre dans ses bras vigoureux le pauvre jeune homme en haillons. « Comment, c'est toi, mon cher Henri ! D'où viens-tu jamais dans cet accoutrement ? » Il répondit qu'il avait été mis en prison comme fils et frère d'émigrés avec sa mère, qu'il en était sorti pour entrer dans les mousses de la marine, et qu'il venait de déserter de Brest. Le général me le confia avec défense de m'occuper d'aucun service militaire. Ses souliers, liés avec des cordes, furent bientôt perdus. Il marcha toute la nuit les pieds


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nus. Le général en pleurait. Il le fit ensuite habiller et conduire à Caen, chez sa mère, par sa correspondance (1).

« Après le hardi coup de main de Saint-Sever, le général jugea prudent de nous éloigner de la contrée. Nous fîmes une tournée sur le Maine.

« A Loupfougères, près Mayenne, on nous avertit de la sortie des bleus. Le général nous mit en embuscade. C'était le jour ; mais le Maine, plus insurgé que la Normandie, nous permettait cette hardiesse.

« De Ger, où nous nous battîmes avec ardeur, nous gagnâmes, par des marches habiles, un autre pays, et nous eûmes le bonheur d'éviter des forces vingt fois supérieures aux nôtres. Toujours bien servi par ses correspondances et ses espions, le général savait éviter ou livrer un combat à propos.

« Dès lors, la guerre de Normandie devint ostensible, et M. de Frotté fut connu. Dès qu'on savait qu'il se portait sur un pays, les républicains avaient défense de sortir, doublaient leurs postes, expédiaient des courriers et se retranchaient. 11 nous fut bientôt difficile de les surprendre et même de les combattre. La rapidité de nos marches pouvait seule nous en procurer le moyen.

« A Mesnil-Toves (2) nous eûmes une affaire assez singulière contre la troupe du Gast (3). Nous étions dans un verger prêts à partir, les postes étaient même levés. Une décharge nous vient à l'improviste à quelques pas derrière la haie. Tout le monde se mit à fuir. Nous ne pouvions passer que par un ravin en dessous de la métairie. Personne ne se soucia de s'exposer à ce danger. Les uns gravirent la colline de droite, les autres escaladèrent celle de gauche. M. de Frotté se trouva sur la gauche. Dès qu'il put se faire remarquer il jeta son chapeau en l'air vers les bleus en criant : « Vive le Roi, en avant. » Plusieurs dragons et enfin une cinquantaine d'hommes qui étaient près de lui

(1) La correspondance des chouans se faisait de station en station par des hommes sûrs qui pouvaient prendre leurs renseignements et repos dans des maisons et auprès de personnes désignées par le général. Ce service était fort bien fait. La gendarmerie opère encore de la même manière.

(2) Commune située aux environs de Mortain, canton de Juvigny (Manche).

(3) Commune du canton de St-Sever (Calvados).


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font volte-face et courent sur les bleus avec la même vitesse qu'ils fuyaient la minute précédente. Il se produit une mêlée, on se bat à la baïonnette, à coups de crosse, corps à corps. Les bleus sont déconcertés par cette intrépidité et se mettent à fuir à leur tour. Mais sur le côté gauche, nous les prîmes en flanc et en fîmes une boucherie.

« La prise du Teilleul fut pour nous une fatale conquête; la compagnie des déserteurs fut criblée. M. de la Fresnaie, commandant en second de la lre division, fut tué. Il voulut mourir la face tournée à l'ennemi.

« A Montsûrs, sept déserteurs rejoignirent les bleus en disant qu'ils n'avaient pas la force de résister à une vie si active et si périlleuse. Ils ajoutèrent que la mort de tant des leurs les avait consternés, qu'ils regrettaient extraordinairement le général auquel ils adressaient de biens touchants adieux, que si l'occasion s'en présentait, ils étaient prêts à sacrifier leur vie pour lui, qu'ils ne feraient jamais de mal aux royalistes, et qu'ils allaient demander à rejoindre aux frontières.

« Ce fut un coup terrible pour M. de Frotté. 11 fit expédier des ordres afin d'empêcher la trahison. Je n'ai plus entendu parler d'eux. »

V. — ANNÉE 1796.

« L'hiver était avancé, le temps rigoureux et les mauvais chemins ne permettaient plus d'aller en grandes colonnes ; lé général fit rester ses divisions sur leurs terrains respectifs, et nous demanda de lever des recrues ». Michel Guesdon était heureux de prendre du repos.

« M. de Frotté passa une partie de l'hiver à inspecter ses divisions avec une escorte seulement. A son arrivée les royalistes s'assemblaient et le général sachant en profiter surprenait les bleus. Son passage était toujours signalé par quelque victoire.

« Il y avait beaucoup de réformes et améliorations à apporter dans nos divisions. Depuis le Teilleul (1), la belle compagnie des déserteurs avait perdu son éclat. Ceux d'entre eux qui avaient de l'éducation furent placés officiers ; ce qui en resta forma une compagnie d'environ quatre-vingts hommes, mais ce n'était plus

(1) Arrondissement de Mortain (Manche).


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le moral de l'année précédente. Quelques-uns avaient les vues des bleus. Il ne leur restait que la bravoure. Plusieurs fois, j'ai entendu dire au général que c'était des bleus dont il se servait pour détruire les autres.

« Les déserteurs furent toujours commandés par des émigrés d'une grande bravoure. Il convient de citer au premier rang le chevalier de Marguerie (Griffon), le baron de Mandat (la Balafre) et le chevalier de Mandat.

« Dans le même hiver, le général organisa la compagnie de la Couronne composée de jeunes nobles et notables bourgeois. Elle eut pour chef La Roque -Montsecret. Ceux d'entre eux qui étaient intelligents devenaient officiers aussitôt après leur formation.

a. Le général commença la campagne de très bonne heure. Il eut une affaire sanglante dans le cimetière de la Lande-Patry, une embuscade manquée à Landisacq, réussit à arrêter deux convois du côté de Vire, et le 19 février essaya de surprendre Mayenne. »

Michel Guesdon, qui n'était pas présent à cette dernière entreprise, en dit seulement deux mots :

« L'affaire de Mayenne fut dirigée par Saint-Paul qui osa cette attaque pour empêcher une battue qui l'eût beaucoup gêné. Il avait fait mettre chemise par dessus la culotte. Le mot d'ordre : « Jean foutre » ; la réponse : « Qui s'en dédit ». Cela réussit fort bien. Le poste fut enlevé avec beaucoup de munitions et de fusils. Le général resta peu de temps en ville. Mais si cette expédition nous lit honneur, il nous fut difficile, plus tard, de nous procurer là les ressources que nous en tirions précédemment. Les postes des républicains furent désormais trè<s rigoureusement gardés. »

De Saint-Paul, dans sa réponse à Guesdon, ne fait pas grand éclat de ce coup de main.

« Vous affirmez, écrit-il, que je pris, à mon retour en France, le commandement de la division d'Ambrières, comme si cette division eût déjà été organisée. Voici la vérité : A mon arrivée, il n'y avait pas trois hommes en armes, et Billard et Papouin étaient en prison. Je n'ai pu rallier une quinzaine d'hommes qu'en mars 1795. C'est avec eux que j'attaquai vingt-six soldats


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allemands qui allaient à Domfront. J'eus leurs munitions et leurs armes, et une partie des hommes qui se joignirent volontiers à nous.

« Au Pas (1), nous fîmes une grande perte en la personne de M. le Chevalier de JBlanchard. » (2)

Arrivant à l'affaire de Mayenne, il dit comme avec l'intention de corriger la note trop élogieuse de Guesdon :

« Quant à la prise de Mayenne, ce n'était qu'un coup de main avec un petit nombre d'élite. Le général voulait surprendre le poste et prévenir une sortie du cantonnement. » Et c'est tout.

Plus loin, nous allons voir comment de Saint-Paul raconte avec développement les deux affaires de Couterne et de Cossé où il joua un rôle décisif.

« Au printemps, les opérations devinrent très dangereuses. Le gouvernement employa contre nous des forces considérables, et par là même, il fut absolument difficile de tenir campagne en grand rassemblement. Les colonnes multipliaient les battues générales. Ils étaient très bien servis par les espions qu'ils avaient établis dans toute la contrée. Si nous étions en colonnes, les leurs ne sortaient pas, et bien vite, à l'aide d'estafettes vigilantes, ils pouvaient réunir des forces qui nous eussent facilement écrasés. Quand nous étions dispersés, ils faisaient marcher deux ou trois colonnes de cent cinquante à deux cents hommes et couvraient une certaine étendue. Ils fouillaient tout avec une scrupuleuse attention, et, à cause de l'exercice qu'ils avaient du métier, avec une habileté surprenante. Aussi il était difficile de leur échapper.

« Les caches étaient de beaucoup la meilleure ressource. Nous en avions heureusement de toutes façons. Le système révolutionnaire n'est pas assez détruit pour oser en donner la description.

« Cette"manière d'opérer était une véritable chasse à l'homme. Les républicains commirent mille horreurs. De leur côté les chouans, par représailles, fusillaient ceux qui avaient causé la mort d'un des leurs.

(1) Commune du canton d'Ambrières (Mayenne).

(2) Il était des environs de Falaise et sans doute le parent de Blanchard d'Amanville qui avait épousé Madeleine Langlois, dame de Joué-du-Bois, la Poterie etMont-Ormel.


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' « Alors il y eut terreur respective. Il faut convenir, ajoute Guesdon incidemment, que des chouans, à l'insu des chefs, se rendirent coupables d'actes arbitraires. »

Y en eut-il beaucoup ? Guesdon, ne le dit pas, et il ajoute :

« Après la reddition, quand nous eûmes déposé les armes et accepté la paix, il fut facile aux républicains de nous charger à plaisir. On passa sous silence les infamies et les brigandages des bleus, et par contre, on parla beaucoup des assassinats commis par les chouans. On en cacha et dénatura les causes. Les battus payèrent l'amende. »

Michel Guesdon est assez concis sur les opérations de 1796. II ne dit que quelques mots sur les douze affaires auxquelles il prit part.

Après Tinchebray, il fait cette courte réflexion :

« De Frotté prit la résolution de ne plus sommer de cantonnement. »

En juin, au moment de la pacification, Michel Guesdon se retrouvait dans son pays natal. Après avoir recueilli des bruits sur le désarmement, M. Achard, le conseiller habituel de Guesdon, écrivit, à de Placène pour demander des nouvelles de la reddition. Il répondit que les provinces se rendaient, et nous conseilla d'en faire autant.

« Ce fut un coup de foudre, écrit Guesdon, il fallut se résigner.

« Je m'entendis avec le général Digonnet et n'eus qu'à me louer de sa loyauté et modération. »

La première guerre était finie ; elle avait duré presque une année.

Guesdon souffrit beaucoup de son inaction ; il ne souffrit pas moins des attaques injustes que l'on publiait contre de Frotté et ses divisions. Ce loyal soldat ne parla jamais de ses chefs qu'avec un profond respect et grande admiration. C'est afin de les venger d'odieuses insinuations et rétablir la vérité qu'il ajoute dans ses Mémoires :

« Ce qui a le plus fait crier contre les chouans, ce ne furent ni leurs victoires, ni même les représailles qu'ils durent parfois exercer, mais bien les vols et brigandages des faux chouans, des chouans du bissac. C'étaient des gens mariés pour la plupart qui circulaient de nuit à travers la campagne, suivaient nos


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colonnes de plus ou moins loin et venaient voler dans les maisons que nous avions désarmées. D'autres étaient de véritables brigands qui, loin de nos colonnes, volaient et assassinaient. Nous en faisions des exemples, mais nous étions incapables de réprimer tout le mal qu'ils occasionnaient au pays et à nousmêmes.

« Dans d'autres circonstances, on a vu des républicains des villes s'habiller en chouans et dilapider la campagne pour nous rendre odieux. »

L'année 1796 passa. « En 1797, continue Guesdon, la France lasse de persécutions, semblait portée aux sentiments de modération. Les royalistes en profitèrent, revinrent d'émigration et se mêlèrent aux affaires. Les journaux engagèrent aux bonnes nominations de députés. M. de Frotté envoya de l'Angleterre où il s'était réfugié, le baron de Mandat qui donna des instructions. •Il parcourut la Normandie (1), engagea les honnêtes gens à accepter des places. Comme il fallait jurer haine à la royauté et à l'anarchie, il dit que le roi autorisait ce serment mis comme épouvantait . Il y avait déjà un tiers de bon dans la Chambre. L'élection nouvelle doubla ce tiers. De Frotté vint à Paris.

« Le 18 Fructidor brisa toutes nos espérances. Je me mis en cache (2). Cela dura jusqu'au printemps 1798.

« Je manquai souvent d'être pris. Billard m'invita à reprendre les armes. Je refusai son offre. Nous étions sans ordres.

(1) Il séjourna à Coupigny où les deux de Bàmont le rejoignirent.

(2| Michel Guesdon se retirait souvent dans une ferme des environs de Mantilly. Elle était tenue par un brave homme qui lui avait pratiqué avec des planches un endroit sur dans un de ses greniers à foin. Un dimanche matin le pauvre banni, après avoir écarté deux ardoises et s'être fait un réflecteur avec du papier blanc, disait pieusement sa messe lorsqu'il entendit les pas du fermier et peu après sa voix. Les bleus venaient d'apparaître au bout de la cour, le fermier se méprenant à dessein leur cria : eh ! eh ! Citoyens vous voilà à la chasse de bonne heure. — Oui.réponditsèchement le chef, à la chasse aux lièvres à deux pieds. Michel comprit, replaça doucement ses ardoises, enleva son réflecteur, se blottit dans sa cache et attendit les résultats de la perquisition.

Les bleus montèrent bientôt dans son grenier. L'un d'entre eux se mit à brocher son fusil armé de sa bayonnette à droite et à gauche à travers le foin. Une fois, Michel se crut perdu, la bayonnette après avoir glissé entre deux planches, lui passa sous l'aisselle du bras en lui effleurant la peau. Jl fut rassuré quand le soldat, à propos de la résistance qu'il rencontrait, dit à ses camarades : Il n'y a rien là, mon fusil va jusqu'au fond. Les soldats se retirèrent. Le chouan était sauvé.


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« Peu après, je me vis forcé de recevoir ceux de mes anciens soldats qui se présentaient. Mais parce que j'étais plus expérimenté, je résolus d'établir dans ma petite troupe une organisation forte et une discipline sévère. Je savais qu'avec un bon noyau on pouvait former des masses. Je n'admis aucun soldat suspect pour la probité ou l'opinion. Aussi bientôt on se piqua d'honneur d'entrer dans mes compagnies. J'eus bientôt quarante hommes. »

M. de Châteauneuf commença les hostilités à Veaucé (1), avec quatre-vingts chouans. Le grand Pierrot fut blessé près d'Ambrières par Mérille. Guesdon soutint un combat sur le territaire de Mantilly, et jugeant qu'il ne pouvait rien faire de bon avec sa poignée de soldats, il se réunit à Châteauneuf.

« Le chevalier de la Pivardière, mon chef de division, vint avec le baron de Comargue, chef de la division de Falaise. Ils admirèrent la belle discipline et la tenue irréprochable de mon monde et m'avouèrent que j'en avais autant qu'eux. M. de la Pivardière me reçut major (2). »

Dans l'affaire que Châteauneuf eut à Saint-Fraimbault, c'est Guesdon qui assura la victoire.

« Peu après je rejoignis ma division. J'avais appris que M. de Frotté était dans un château aux environs de Vire. Il nous blâma d'avoir repris les armes bien trop tôt, nous faisant remarquer que les puissances n'étaient pas encore engagées et que nous ne pouvions avoir aucun succès si nous étions seuls à lutter contre les républicains.

« Nous répondîmes que nous y avions été forcés par nos anciens compagnons d'armes qui n'étaient plus en sûreté, II n'accepta pas nos raisons. Il nous fit remarquer que les hostilités engagées et son affection pour nous l'avaient contraint de revenir plus tôt, et, par là même, d'engager la campagne dans des conditions défavorables. »

VI. — ANNÉE 1799.

La campagne de 1799 allait commencer. M. Guesdon nous indique l'organisation de la petite armée. « De Frotté, général en chef ; d'Olliamson en second. Il fut

(1) Arrondissement de Mayenne.

(2) Moulin dit dans ses Mémoires que cette nomination eut lieu plus tard.

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remplacé par de la Roque. De Brûlard devint major général après la mort d'OUiamson.

« M. de Frotté nomma plusieurs brigadiers qui commandèrent les divisions ou légions. Le chevalier de laPivardière fut nommé commandant des deux premières qui étaient celles de Saint-Jean et de Fiers. Le chevalier de Monceau eut le commandement de la nôtre. Moulin en était le second, moi le major (1).

« Le baron d'Hugon commanda celle de Fiers ; de Boissonnel devint son second et Le Tellier, major.

« La division d'Avranches forma une brigade sous M. de Ruays. Les divisions d'Ambrières et de Falaise formèrent brigade sous M. de Comargue. De Saint-Paul, qui commanda celle d'Ambrières, eût dû être à la place de Comargue comme plus ancien compagnon de Frotté. Mais de Comargue était colonel avant la Révolution. M. de Frotté assura de Saint-Paul que justice lui serait rendue et Saint-Paul eut le patriotisme et l'intelligence d'accepter le poste qui lui était assigné.

« Les autres divisions avaient aussi leur organisation. Leur état-major était fort bien composé. C'étaient des émigrés marquants et de bons officiers qui n'eurent que peu ou point de soldats. C'étaient des cadres plutôt que des divisions.

« Il n'y a eu à marcher avec de Frotté que les divisions de SaintJean, de Fiers, d'Ambrières, d'Avranches, du Cotentin et de Falaise, et encore ces deux dernières étaient si peu nombreuses qu'elles eussent pu passer chacune pour une compagnie. »

« Nous commençâmes les hostilités parle Cotentin.

« A Vire, nous étions deux cents ; des Rotours de Chaulieu eut ce jour-là le bras fracassé (2).

« A Saint-Poix (3), deux cents bleus vinrent à nous la crosse en l'air et en criant : « Vive le roi ! » Nous ne fûmes pas dupes de leur supercherie. « Tirez, mes amis, leur dit bravement de

(1) Le Major était le troisième chef d'une légion. Cette place, dit Moulin, était fort ambitionnée dans mon régiment. Je dis qu'elle serait donnée par le général à celui qui lui amènerait trois ou quatre cents hommes bien équipés. Ainsi fit Guesdon, capitaine de Mantilly, qui amena trois compagnies bien organisées. Je lui donnai quelques officiers et lui promit les munitions qu'il n'avait pu se procurer en quantité suffisante (de la Sicotière, II, 233).

(2) Sous-préfet de Cherbourg sous la Restauration.

(3) Arrondissement d'Avranches (Manche).


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•Frotté.'Ils tirèrent et se conduisirent avec une telle audace qu'ils nous délogèrent. Pendant la retraite, de Thoury cria : « Halte ! le général est blessé. » C'était d'Olliarason qui avait reçu une balle dans l'épaule et l'autre dans la semelle de sa botte. Nous étions cinq avec lui. « A vous deux, dit de Frottéen se tournant vers Thoury et moi, de faire l'arrière-garde. » Trente bleus nous suivaient de près. Nous les ajustions souvent afin de les retarder mais nous ne tirions pas. De Frotté, inquiet, priait le vicomte d'avancer sans que celui-ci n'en pût rien faire. Heureusement on battit le rappel du côté des bleus, et ceux qui nous poursuivaient nous quittèrent.

« Qu'était il arrivé ? Le Curé nous apprit que les bleus avaient été battus par ceux qui se trouvaient sur un point opposé. J'y fus envoyé en reconnaissance. Au premier abord on m'accueillit avec tristesse ; chacun lirait de mauvais présages en me voyant seul ; mais quand j'annonçai le quartier général, tout le poste sauta de joie. C'est de la Pivardière qui nous avait sauvés en faisant tuer par Bri... le commandant républicain.

« De ceux que les bleus voulaient prendre, je suis le seul survivant. D'Olliamson fut pris peu après en sortant de sa cache ; de Beaumont tué le lendemain ; Thoury, le dimanche suivant ; de Frotté, à la fin de la campagne. Du Vaiszeau, ancien officier de marine, passa à l'armée du Maine. »

L'on peut juger, par ces quelques lignes, combien dangereux était le métier de chouan, surtout pour les chefs. Cette guerre de guérillas imposait de continuelles privations et d'excessives fatigues. Il fallait braver la mort presque tous les jours.

« Les combats qui suivirent l'affaire de Saint-Poix furent tous meurtriers. Le centre de nos opérations avait été transporté dans la Manche sur le bord de la mer. Le but du général était de persuader que nous allions avoir un débarquement. Sa véritable intention était d'insurger le pays. Nous n'eûmes pas de débarquement et le pays demeura tranquille. Nous allâmes à Moncuit (1), où je vis la future femme de de Monceau qui reçut tout l'état-major.

« Seul des officiers supérieurs, je couchai dans un village avec deux cents hommes. Neuf cents républicains me furent annoncés.

(1) En la commune de Saint-Sauveur-Lendelin (Manche).


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Je me mis en embuscade sur l'ordre du général. J'eus la mauvaise chance de partir trop tôt, car les bleus arrivèrent au château au moment de mon départ. Notre situation devint bientôt très pénible et très compromise. Nous étions six cents contre au moins quinze cents républicains. Par bonheur, nous manoeuvrâmes assez habilement pour ne pas nous laisser entourer. Nos pertes lurent cruelles. Un de mes capitaines, Le Brocq, fut tué. M. de la Pivardière blessé avait pu se cacher dans un buisson. Un traître, qui avait remarqué sa croix de Saint-Louis, vint avertir les bleus qui s'empressèrent de l'entourer. De la Pivardière mourut en brave et tua les trois premiers qui voulurent le saisir.

« Après Sourdeval, chacun se retira sur son terrain afin de s'y reposer.

« Pendant ce temps-là, le 18 brumaire survint. Je fus cantonné à la Bérardière, en Saint-Bomer, puis à Saint-Auvieu, dans le Passais. On me chargea de la correspondance.

« De Frotté revint de Pouancé, le désespoir au coeur. A SaintJean, nous fûmes attaqués par un fort parti; la neige, qui était sur la terre, nous causa toute espèce de désagréments. Nous étions démoralisés et en partie-désorganisés. Je reçus l'ordre de me joindre à Châteauneuf. De Monceau et de Comargue devaient aller avec le général ; de Saint-Paul formait le centre et la partie forte de la colonne.

« Moi, j'allai attaquer Barenton (1) avec Châteauneuf; le bourg fut pris ; les républicains se retirèrent en l'église; je ne voulus pas qu'on y mit le feu.

« Le général m'écrivit, je me fis un devoir de le rejoindre, mais il se contenta de nous passer en revue et me renvoya. C'est la dernière fois que je l'ai vu ». Sur ces entrefaites eut lieu la prise de Couterne (16 octobre). M. de Saint-Paul va nous la raconter lui-même. Elle ne manque pas d'intérêt.

VII. — PBISE DE COUTERNE.

« Pour rendre hommage à la vérité, il faut convenir que la division d'Ambrières ne contribua pas une des moins aux faits d'armes de cette campagne. A Vire, elle perdit plusieurs hommes

(1) Arrondissement de Mortain (Manche).


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et eut un nombre de blessés considérable. La même semaine j elle figura en cinq combats avec la même intrépidité. Elle donna spécialement un autre jour à Couterne (1).

« Le cantonnement fut attaqué à sept heures du matin par ma division qui formait l'avant-garde. C'était en octobre 1799. Un nommé Radigue, capitaine de colonne mobile, qui se trouvait réuni à un fort détachement de troupes de ligne, les excitait sans: cesse pendant le combat, et par là même, les empêchait de se fendre (2). -

. « A trois heures d'après-midi, le poste tenait encore ferme et entretenait un feu soutenu et meurtrier de ses murs crénelés. .: . « Le général, sachant que plusieurs colonnes se préparaient à venir.au secours, me prévint qu'il allait sortir du bourg avec les divisions autres que la mienne pour prendre des positions et défendre l'approche. En même temps, il me donna l'ordre de poursuivre l'attaque et de réduire ce cantonnement comme je le. lui avais promis le malin.

« Le général m'ayant laissé carte blanche, je commençai par. faire enfumer le poste avec de la paille et du fumier afin de lesempêcher de nous découvrir et les intimider par la crainte du feu.

« Les habitants du bourg, effrayés de notre acharnement et surtout des préparatifs de feu que nous commencions, faisaient leur possible, mais en vain, pour engager cette troupe à se rendre.

« Heureusement, je remarquai que du clocher qui avoisinait leur caserne, on pouvait parfois les découvrir. J'y fis monter quelques bons tireurs. Lorsque quelques-uns des leurs eurent succombé de cette manière, l'officier commandant m'offrit enfin de se rendre en me présentant son épée à la seule condition que lui et les siens auraient la vie sauve.

« Je le leur promis sur ma croix de Saint-Louis.

« Au moment où j'entrais avec quelques braves dans le corps de garde, l'infâme Radigue blessa très grièvement d'un coup de feu l'un de mes officiers. A l'instant il fut arrêté. Les autres se rendirent à discrétion, le tambour seul trouva le moyen de.

(1) Canton de la Ferté-Macé, arrondissement de Domfront (Orne).

(2) Radigue dit le Grand Radigue, de Magny-le-Désert, était un bleu in7 trépide ; mais non un pourchasseur de prêtres. - !


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s'évader au moment du défilé. Armes, munitions, caisse : tout est tombé en notre pouvoir.

« Le général, instruit de ce qui se passait, gardait toujours ses positions. A 6 heures 1/2, j'eus la satisfaction de lui présenter mes prisonniers. Le général les rendit libres le soir, sur la parole que j'avais donnée, après qu'ils eurent pris l'engagement de ne point servir contre nous pendant un an et un jour.

« Le général leur distribua quelque argent tout en leur faisant sentir la lâcheté et l'ineptie de leurs camarades, qui s'étaient cachés en un petit bois et dans la chapelle de Lignou(l), d'où ils entendaient la fusillade et les cris de : Vive le Roi.

« Officiers et soldats étaient tellement indignés de cet abandon, que si le général avait voulu les admettre dans ses rangs, ils y seraient restés.

« Ils fondaient en larmes et admiraient notre générosité. Notre intrépidité excitait leur enthousiasme, car ils voyaient plusieurs des miens baignés dans leur sang. Le capitaine Radigue fut fusillé à la grande satisfaction de tout le pays dont il était le fléau.

VIII. — AFFAIRE DES FORGES DE COSSÉ.

« Je trouve enfin, dit de Saint-Paul en continuant ses réflexions sur les mémoires de Guesdon, que l'affaire de la Ferté-Macé, ou mieux de Cossé (2) puisque c'est à cet endroit distant de deux lieues de la ville, auprès de la forêt, qu'elle commença, est bien trop en raccourci ». . Voici comment il complète le récit de son camarade.

« Le combat de Cossé a été des plus honorables pour toute l'armée et spécialement pour ma division, j'ose l'ajouter.

« D'abord le général, toujours bien instruit, savait que depuis ses engagements au Cotentin, de nombreux rassemblements de bleus cherchaient à le suivre et à l'observer afin de le faire tomber en quelque piège.

« Comprenant leur manoeuvre, il se mit à longer les forêts, feignant de se porter sur Alençon où il avait en effet des intelligences.

(1) Chapelle dédiée à la Sainte-Vierge, commune de Couterne.

(2) Forges situées en la commune de Saint-Patrice-du-Désert, canton de Carrouges (Ornel.


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« Mais il était déterminé à profiter de la première occasion qui lui paraîtrait favorable, et, par une contre-marche habile de tomber sur une division de ses ennemis et de la châtier sévèrement.

« Effectivement, le 25 janvier 1800, à six heures du matin, M. de Frotté reçut des renseignements positifs qu'une colonne de plus de quinze cents hommes, commandée par l'adjudant général Bribes, presque tous les grenadiers avec un détache-; ment de gendarmerie, le tout venant de Caen, marchaient de près sur ses traces et étaient sur le point de l'atteindre. On lui apprit aussi qu'une autre colonne de pareil nombre au moins, commandée par le général Avril, qui depuis fut dit ne pas être Mars, suivait la première à une certaine distance.

« Immédiatement une idée fixe s'empara de l'esprit du général. Détaché ce jour à l'avant-garde, il m'envoya un de ses aides de camp avec un cheval, (car j'étais toujours à pied), avec ordre de me rendre de suite près de lui.

« Dans un clin d'oeil, l'état- major fut réuni. Après lui avoir exposé sa détermination de prévenir son ennemi, il fait ses dispositions d'attaque, me les communique, donne partout ses ordres, prévoit à tout et nous répète qu'il faut vaincre avant que nous eussions pour dire connaissance de la présence de l'ennemi.

a Chacun se rendit ensuite à ses positions assignées.

« Au même instant, nous voyons aussi l'ennemi se ranger en bataille dans une belle position opposée à la nôtre, ayant entre nous, dans le fond, un ravin marécageux.

« Le général donne le signal et profite du moment où l'ennemi, entièrement à découvert, devait ressentir l'effet terrible de notre première décharge. Nos coups partaient de nos retranchements naturels, les haies, où nous étions tous à couvert.

« Dans un instant, l'affaire devint générale. De part et d'autre, rien ne cède ; même acharnement ; on en vient corps à corps (1).

(1) La tradition du pays affirme que de Frotté poursuivit les bleus jusqu'à la mare de la Retaudière à une demi-lieue de la Ferté-Macé. Les coups de feu étaient continuels ; au hameau de la Mesnière, la lutte fut assez vive. Quelques fuyards, une trentaine environ se précipitèrent dans l'église. Quand ils voulurent monter à la tour ils en trouvèrent la porte


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« Dans la mêlée, l'adjudant général Bribes est démonté et ne doit son salut qu'à un grand champ de genêts (1) où il fui perdu.

« Plusieurs gendarmes à cheval furent chargés et sabrés par quelques-uns des cavaliers de l'escorte de M. de Frotté.

« Enfin la division d'Ambrières décida de la journée. Elle enfonce le centre de l'ennemi après avoir passé le ravin, dans l'eau jusqu'à la ceinture, et le poursuit tambour battant sous les murs de la Ferté après en avoir fait un grand carnage.

« Nous allions les y pourchasser lorsque notre général apprit que la colonne du général Avril qui, par prudence, n'avait pas marché ce jour-là au pas de charge, était prête à y entrer. Il fit battre le rappel et rallier tout son monde. »

Cette affaire brillante contre des ennemis supérieurs en nombre et qui se défendirent vaillamment, fut la dernière où figura M. le comte de Frotté.

A cette date, nous disent les Mémoires de Guesdon, chacun avait déjà fait sa paix, de Bourmont après Ballée (2) et Georges lui-même.

IX. — CAPTURE ET EXÉCUTION DE FROTTÉ. — SORT DE SES COMPAGNONS.

Bonaparte fit de belles propositions à de Frotté. Celui-ci crut devoir les refuser.

« Alors le consul, voyant que tout en Normandie se soutenait par le talent du général et de son état-major, employa contre eux la ruse et la perfidie.

« De Frotté avait envoyé trois de ses officiers à Chamberlac qui gouvernait Alençon. Ceux-ci furent dupes du bon accueil du général, et en sortant de l'entrevue, ils eurent l'aveugle imprubarricadée.

imprubarricadée. barricade, qui était l'oeuvre de deux enfants dont l'un était Gérard, grand-père du docteur Louvel de la Ferté-Macé, dut céder. Après le passage des Chouans ces bleus reçurent l'hospitalité et le reconfort dans le bourg de Magny.

Techenet et Velagnon, soldats de la 24e brigade d'infanterie légère, moururent à la Ferté, le 27 Pluviôse an vin, des suites de coups de feu qu'ils avaient sans nul doute reçus à ce combat de Cossé.

(1) Autrefois en Normandie l'on croyait faire reposer la terre en y laissant pousser des genêts. Ces genêts avaient souvent près de deux mètres d'élévation.

(2) Commune de l'arrondissement de Chàteau-Gontier (Mayenne).


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dence de s'en aller droit à la maison ou de Frotté était inco-s gnito.

« De Frotté comprit la faute et s'écria : « Ah ! Messieurs, que faites-vous ! vous consommez votre perte en me sacrifiant. Des espions vous auront certainement suivis ! Payons d'effronterie, faisons semblant de croire à la loyauté. »

« Ils furent arrêtés. Bonaparte les fit fusiller, à Verneuil, dans un champ de luzerne, après la formule d'un conseil de guerre;

« On voulut leur bander les yeux : « Nous n'avons jamais fléchi le genou devant nos ennemis, la mort ne nous fait pas peur, dit de Frotté. »

« Au dernier moment, ils s'embrassent, jettent leur argent au loin, crient : Vive le roi, se mettent en position, et de Frotté commande le feu.

« Après la mort de Frotté, on donna l'ordre de fusiller tous les officiers découverts. La Normandie fut mise hors la loi ; trois officiers de M. de Châteauneuf furent fusillés. Notre pays éprouva toutes les horreurs : on tuait les royalistes, on emprH sonnait leurs parents, on emportait à charretées le mobilier des fermes.

« Aux environs de Tinchebray, les bleus rencontrèrent un père de famille. Il avait neuf enfants. On lui demanda de dénoncer des chouans. On le menace, il hésite; les menaces sont plus fortes et plus pressantes et le pauvre homme, décontenancé,- finit par dévoiler les deux royalistes auxquels il avait donné l'hospitalité. L'un était capitaine, l'autre, ancien domestique de Frotté.

« On promit sa grâce à ce dernier s'il consentait à dénoncer ses camarades. L'infâme en dénonça cinq qu'on ne put trouver dans une autre cache, et il fut fusillé quand même.

« La majorité des officiers et soldats durent s'expatrier. Les uns ont été prisonniers d'Etat jusqu'à l'avènement de Louis XVIII, les autres ont été condamnés à l'échafaud et aux galères ».

« Je pourrais ajouter, écrivait Saint-Paul, pour ce qui me concerne et plusieurs officiers de ma division, que nous n'avions jamais, jusque-là, voulu profiter d'aucune amnistie, et que dans


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les temps de suspension, nous étions plus exposés qu'en temps de guerre.

« Même après l'assassinat de M. de Frotté.jefus plus de trois mois les armes à la main, et ce ne fut qu'au reçu d'un ordre exprès de M. le Chevalier de Brulard que je résolus ma reddition à Caen où un ordre particulier à moi me fut signifié de la part du premier consul, alors Bonaparte, de me rendre en surveillance à Auxerre. »

« Quant à moi, dit Guesdon à son tour, je fus trois mois dans une cache sous terre. C'était un trou pratiqué dans un cellier. L'entrée en était fermée par une trappe couverte de terre. Au dessus était une huche que l'on faisait mouvoir au moyen d'un levier.

« Nous y étions trois : un de mes sous-lieutenants et un soldat.

« L'un de nous était constamment en faction pour soulever la trappe et nous donner de l'air.

« Le soldat avait été admis par la fille de la maison qui l'aimait.

« Celui chez qui nous étions était républicain, mais brave homme.

« Le soldat fut un jour surpris en allant chez son père, métayer voisin. On allait le fusiller lorsque sa grâce lui fut promise s'il dénonce quelqu'un. Son arrière-pensée était ma personne. Il montre une haie, affirme une cache, fait semblant de chercher l'entrée, monte dessus et s'échappe. Je ne le laissai plus sortir.

« Après cette bourrasque, je vins en l'Anjou en l'été de 1800. »

X. — PENDANT L'EMPIRE.

Avec le charitable concours de ses amis, Michel Guesdon se procura le sauf-conduit sans lequel on ne voyageait pas à cette époque. Sa grande taille d'un mètre quatre-vingts, sa tournure distinguée et son air martial ne lui auraient pas permis de passer inaperçu. Il arriva en Anjou sous un faux nom et se présenta au château de Beauchêne, près Craon, chez M. du Boberil, auquel il était recommandé par M. de Fotté père.

M. du Boberil l'accueillit avec bienveillance ; mais que faire de ce grand jeune homme qu'il était prié de « traiter comme il aurait traité le général de Frotté lui-môme ? »


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L'on venait de fonder à Angers un collège libre (1) où affluaient les fils de la noblesse. M. du Boberil y avait placé les siens. Les bonnes relations qui en étaient résultées lui permirent d'y faire recevoir son protégé en qualité de professeur.

Michel Guesdon était dans sa vingt-sixième année, plein d'énergie, assez instruit et bien doué sous le rapport de l'intelligence et de la mémoire. Sa classe fut admirablement tenue ; ses élèves firent des progrès sensibles, et bientôt il eut conquis l'estime générale.

Malgré ce succès, la vie de professeur ne pouvait convenir à un homme si indépendant d'allure et de sentiments. Il lui en coûtait de servir, quoique très indirectement, celui qu'il avait combattu les armes à la main. D'ailleurs, l'on parlait beaucoup alors de l'organisation d'une Université qui devait absorber tout l'enseignement.

Afin de se procurer à bref délai une position plus conforme à ses goûts, Michel entreprit l'étude du droit. En travaillant beaucoup, il put mener à bien sa classe, le perfectionnement de ses humanités et la science plus aride qui fait les avocats et les juges.

Vers 1805, l'Empire mieux affermi devint moins farouche à l'égard des vieux chouans. Michel Guesdon essaya d'en profiter. Sa conduite avait été irréprochable, la politique semblait lui être indifférente. Tous l'honoraient dans la ville, et plusieurs étaient devenus ses amis. Il lui fut donc relativement facile de régulariser sa situation et de reprendre le nom de ses ancêtres.

Il vint à Craon. Ses opinions et ses nombreux faits d'armes lui conquirent facilement les sympathies d'un pays rempli de châteaux.

Tout près de Craon, au manoir de la Jacopière \2), vivait une

(1) Le collège Saint-Julien.

(2) La Jacopière appartient toujours à la famille de Bodard. En 1789, elle était la propriété de M. l'abbé de Frémond de la Merveillère, doyen du chapitre de Saint-Malo, et oncle des quatre frères de Bodard, qui émigrèrent au moment de la Révolution. Proscrit lui-même, il Jfut déporté en Espagne, où il se lia d'amitié avec l'évêque d'Angers, dont il devint, après le Concordat, le grand vicaire et supérieur du grand séminaire. Le frère et le neveu de cet ecclésiastique ont été de brillants officiers d'artillerie. Les neveux de Bodard ont eu des destinées différentes. Après deux ans d'exil, Louis rentra en Vendée avec des instructions que les Princes voulaient faire parvenir aux chefs de l'armée. Les instructions furent fidèle-


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famille des plus anciennes et des plus honorables. Quatre de ses membres avaient émigré pendant la Révolution. Michel Guesdon pensa qu'une de leurs soeurs convenait admirablement à un compagnon du général de Frotté.

ment remises, mais, peu de jours après, un combat meurtrier s'engagea entre les bleus et les royalistes, près de la bourgade de Saint-Michel et Chanveaux. Vers la fin de l'action, de Bodard eut le pied traversé par une balle. Deux soldats lui firent un brancard avec deux fusils qu'ils couvrirent de leurs vestes et le transportèrent vivement dans la chaumière d'uno humble fileuse qui habitait sur la bruyère de Chanveaux.

Cependant les bleus, qui avaient remarqué la conduite de nos Vendéens, se mirent, après leur victoire, à la recherche du blessé. Des traces de sang leur indiquèrent sa piste ; ils arrivèrent à la chaumière peu après le départ des deux soldats. Longtemps, les perquisitions furent vaines. La cache était bonne et la villageoise imperturbable. Les bleus allaient se retirer, lorsque l'un d'eux aperçut sur un des barreaux de l'échelle qui conduisait au grenier deux ou trois gouttes de sang.

Tout était perdu. Le chef et les soldats oublièrent toute réserve. La fileuse hospitalière fut grossièrement insultée. Chacun semblait tour à tour la couvrir de reproches et d'injures, et comme elle continuait de rester, muette et impassible, les mauvais traitements redoublèrent. Enfin, on lui ordonna de se mettre à genoux. Du fond de sa cachette, de Bodard entendit les fusils qui s'armaient. La générosité de son âme ne pouvait permettre un pareil forfait, et bientôt, d'une voix énergique et ferme, il cria aux bleus : Arrêtez, ne faites point de mal à cette femme, je me livre. Peu après, il apparaissait au haut de l'échelle qu'il descendit péniblement à cause de sa blessure. Deux soldats le saisirent par le col de sa veste, le traînèrent dehors et le terrassèrent devant la porte. Le reste de la bande mil un féroce plaisir à le larder à coup de bayonnettes.

Deux frères de Louis de Bodard firent partie de l'expédition de Quiberon. Après avoir eu le bonheur de s'échapper, ils éprouvèrent de nombreuses péripéties.

Le quatrième était à Toulon au moment du siège. Sa femme venait d'accoucher quand on lui apporta la nouvelle de la retraite des Anglais (19 décembre 1793). De Bodard, voulant connaître la vérité, se rendit au port. En revenant, il rencontra sa femme qui courait affolée, son jeune' enfant dans les bras. Elle ne voulut rien entendre. Après d'émouvantes péripéties dans un port rempli d'une foule terrifiée qui voulait fuir, les deux époux abordèrent un navire espagnol. Le capitaine les accueillit avec bonté, voulut être le parrain du nouveau né et les débarqua du côté de Gaèle.

En Italie, de Bodard perdit sa femme, étudia la médecine, les langues et surtout la botanique. Après plusieurs années de recherches, il découvrit dans certains végétaux du pays des propriétés équivalentes à celles des plantes étrangères, dont nous privait le blocus continental. Napoléon le sut' et de Bodard, rappelé d'exil, fut nommé professeur de botanique comparée.

A sa rentrée en France, de Bodard vint à Craon visiter sa famille et leur présenter son fils. C'est ce jeune homme que nous retrouverons au combat de Cossé-le-Vivien.

Une soeur de ces messieurs de Bodard est devenue supérieure de la Visitation de Poitiers.


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Sa demande fut accueillie avec faveur et Marguerite de Bodard vint se fixer à Craon.

Huit enfants naquirent de ce mariage. Les deux jeunes sont encore vivants.

En 1814, l'Empire sombra sous le poids des désastres de la fatale campagne de Russie. Napoléon fut relégué dans l'île d'Elbe. Le roi, pour lequel Michel Guesdon avait tant de fois exposé sa vie, était sur le trône.

Mais, quelques mois après, le terrible empereur débarquait à Cannes avec une poignée d'hommes. En arrivant à Paris, le 20 mars, cette poignée était devenue une armée. Louis XVIII reprit le chemin de l'exil.

XL — PRISE D'ARMES DES CENT JOURS

Michel Guesdon apprit cet événement avec une profonde tristesse. Il reçut bientôt des ordres positifs. Le général d'Andigné lui demandait de reprendre les armes et de soutenir la cause de son roi.

Va-t-il de gaieté de coeur compromettre ses intérêts et exposer à la fois sa tète et sa fortune ? Il a quarante ans. Deux de ses enfants sont morts en bas âge et sa femme est enceinte du troisième.

Avant de répondre au général et de prendre un engagement, Guesdon va trouver sa noble compagne et lui expose, avec beaucoup de ménagements, la délicatesse de la situation.

A cette heure, Marguerite de Bodard oublie tous les malheurs qui avaient déjà frappé les siens, et ne se préoccupant ni de ses affections, ni de son repos, elle répondit simplement : « Va, mon ami, où l'honneur et le devoir t'appellent. Dieu veillera sur l'épouse et sur l'enfant qu'elle porte en son sein. »

Michel Guesdon nous dira lui-même la suite des événements.

« Après le 20 mars, M. le chevalier d'Andigné de SainteGemmes, qui avait reçu les pouvoirs du duc de Bourbon pour commander les royalistes des déparlements de Maine-et-Loire, Mayenne, Sarthe et Ille-et-Vilaine, passa une nuit par Craon, nomma M. le comte de Narcé (1), commandant la deuxième légion d'Anjou, et moi, son major.

(1) M. de Narcé habitait le château de Champiré, commune de Grugél'Hôpitalj arrondissement de Segré.


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« M. Louis de La Roche-Jacquelein (1) débarqué dans la Vendée, avait fait reprendre les armes aux anciennes troupes de son frère. Afin de faire diversion, M. d'Andigné fut obligé de suivre ce mouvement.

« L'insurrection eut lieu le 23 mai 1815. Nous n'avions rien, ni argent, ni munitions, ni armes. Aucun de nous ne comptait se lever avant un mois. Le bon esprit des compagnies nous favorisa ; il nous fut possible de former une petite masse. Les officiers avaient des cartouches ; ils les distribuèrent à leurs meilleurs soldats, se contentant de charger les armes des recrues. Une seule affaire un peu longue aurait absorbé nos provisions.

« Hormis trois sommes d'argent données par des royalistes, chaque chef a entretenu ses soldats de ce qui leur était nécessaire. Les capitaines riches soutenaient leurs compagnies ; les officiers supérieurs pourvoyaient au reste.

« Aucune contribution ni réquisition n'a eu lieu contre les bonapartistes, à l'exception de quelques boeufs pour la nourriture.

« Nos rassemblements ne furent pas ce qu'avaient été les colonnes des autres guerres.

« Quinze ans d'inaction et d'humiliation avaient bien ramolli les braves. D'ailleurs, tous avaient femme et enfants. Nos recrues étaient des jeunes gens qui n'avaient pas tiré un coup de fusil. Le peu que nous avions de soldats de Bonaparte eussent été nos meilleurs.

« M. d'Andigné sentait tout cela. Aussi ne partageait-il pas l'opinion de ceux qui voulaient attaquer des villes. Son but était de faire croire que nous étions très nombreux et très redoutables pour gêner le départ des gardes nationales, arrêter la rentrée des impositions et empocher la troupe bonapartiste de se porter sur la Vendée. Nous étions à Cossé-le-Vivien le 27 mai. « Un employé des droits réunis eut ordre de payer le reliquat de ses comptes dû au Gouvernement; il dit ne le pouvoir et écrivit à son supérieur à Laval qui en instruisit les autorités. De leur côté, plusieurs habitants de Cossé (2), coururent au

(1) Le frère de Monsieur Henri, l'illustre chef des Vendéens.

(2) Chef-lieu de canton, arrondissement de Château-Gontier (Mayenne).


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chef-lieu dire que nous n'étions qu'un ramas de pâtres armés de bâtons et commandés par quelques nobles. Cent cinquante gendarmes ou gardes nationaux partirent à dix heures du soir et vinrent nous attaquer à trois heures du matin.

« Conduits par des habitants de Cossé, ils prirent un chemin détourné et passèrent entre le factionnaire qui était sur le pont et celui de devant les armes. Parce qu'ils connaissaient notre situation, ils s'attendaient à nous égorger et disperser comme un troupeau de moutons. Le poste, commandé par M. Ambroise d'Armaillé (1), fit parfaitement son devoir. Malgré la surprise des deux factionnaires qui furent tués, les gendarmes trouvèrent une telle résistance qu'ils furent arrêtés. On eut le temps d'arriver au secours. On les eût repoussés dès cet instant si l'on n'eût préféré sortir du bourg pour se mettre en bataille.

« Dans la rue où l'on ne pouvait se déployer, l'on tirait presque les uns sur les autres. Nous sortîmes par la route de Craon et prîmes nos positions.

« Les soldats, ne trouvant plus de résistance entrèrent dans le bourg. Ce fut dans cette occasion qu'ils massacrèrent plusieurs des nôtres sans armes au moment où ils sortaient des écuries avec leurs chevaux. Ils s'avancèrent jusqu'à l'entrée de la route de Craon. Dès qu'ils nous virent prêts à les recevoir, ils se retirèrent promptement. Nous les attendions, persuadés que c'était un régiment ou bataillon venu de la Bretagne pour Paris, et qu'ils allaient nous attaquer. Ne voyant rien, nous rentrâmes par la route de Cuillé (2) et de Château-Gontier et les poursuivîmes pendant quelque temps, mais le général nous fit faire halte.

« J'étais debout avant l'attaque parce que je savais qu'on devait partir de grand matin. Aussi je fus des premiers au feu. J'y trouvai le comte de la Potherie, alors général en second, aujourd'hui colonel au 4e régiment de la garde (3). Un maréchal des logis qui commandait un peloton de gendarmes à cheval nous

(1) M. Ambroise d'Armaillé habitait le château de la Douve, commune du Bourg d'Iré, arrondissement et canton de Ségré. C'est une de ses petites filles qui a épousé le prince de Broglie, député de la Mayenne.

(2) Arrondissement de Château-Gontier.

(3) Le comte Romain de la Potherie habitait le château de Chauvigny commune d'Othée, canton de Craon.


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crie : « Messieurs, rendez-vous, vous n'aurez pas de mal. '» M. de la Potherie, s'avançant, lui répondit : « Tiens, voilà comme je me rends ». Il avait un fusil double, il tira un côté dans lequel étaient trois balles qui lui firent dans la poitrine un trou où couler le poing.

« M. d'Espineux père prit son cheval par la bride, les autres gendarmes se retirèrent. Trois bonapartistes restèrent sur la place ; sept furent blessés ; dix des nôtres furent tués ; deux moururent des suites de leurs blessures à Livré. Nous n'en eûmes que cinq à six à périr au combat, les autres furent assassinés sans armes.

« M. de Saint-Sauveur (1), des environs de Caen, arrivé avec nous la surveille pour aller rejoindre dans la Vendée M. de la Roche-Jacquelein, fut pris sans armes, sa cravache en main, en sortant de l'écurie avec son cheval. Ils le fusillèrent. Comme il avait beaucoup d'or sur lui, on crut que c'était le caissier de l'armée. Il est possible qu'il en ait possédé plus que nous tous. Trois domestiques eurent le même sort.

« M. d'Andigné n'eut pas de mal, mais il fut tiré tout près ; son cheval reçut deux balles ; son aide de camp, M. de Caradeuc de la Chalotais (2) eut le collet de sa veste et de son gilet emporté. Le plus dangereusement blessé fut mon neveu, deBodard de la Jacopière, garde du corps, aujourd'hui capitaine portedrapeau au 4e régiment de la garde. Il reçut neuf blessures dangereuses, un coup de baïonnette lui avait entamé le poumon de plusieurs lignes. Il respirait par sa plaie. Deux fois, les bonapartistes le retournèrent sur la place où il était resté pour mort. Ils lui mirent deux fois la main sur le coeur pour sentir s'il respirait encore. A chaque fois, ils le lardèrent de plusieurs coups de baïonnette ; une ceinture de cuir, qu'il avait sous sa chemise et dans laquelle était son argent, en para plusieurs. Sa veste avait 15 trous.

« Les jaloux du général d'Andigné, faisant chorus avec les

(1) Henri de Grésille, baron de Saint-Sauveur, fils de Aglaé de Morell d'Aubigny, et de Claude Michel qui mourut en émigration près de Liège avait fait les guerres de la Vendée. Marié à Henriette de Guerpel, il en eût un fils en 1800. C'est sur les instances de sa mère et de M. le Gonidec de la Poupelière qu'il repartit pour la Vendée.

(2) Le château de Caradeuc est situé dans la commune de Becherel (Illeet-Vilaine).


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ennemis de la «âuse royale, l'ont grièvement accusé d'imprévoyance dans cette affaire. Je dois faire connaître ici la vérité.

« En ma présence, des femmes ont critiqué son plan militaire ; le respect dû à leur rang et à leur sexe m'a empêché de leur répondre que chacun doit se mêler de ce qui le regarde. Des militaires qui ont fait la guerre avec la troupe de ligne et jamais avec les chouans, m'ont adressé des objections plus sérieuses. Je leur réponds : « Une masse levée extraordinairement, composée d'anciens chouans, pères de famille qui n'ont pas manié le fusil depuis quinze ans, et de jeunes gens qui n'ont jamais tenu campagne, peut-elle être menée, comme la troupe de ligne qui est soldée, exercée et qui se trouve souvent à deux cents lieues du pays natal. Le peut-elle surtout quand elle reste sur son terrain avec de mauvaises armes, sans paie et sans munitions ?

« Chez nous, au moindre mécontentement, chacun pouvait rentrer chez lui; personne n'était encore proscrit. Il fallait donc ménager son monde, favoriser l'élan et ne pas rebuter. De plus, la veille à Graon, une alerte causée par la malveillance, qui avait fait courir le bruit qu'on allait venir de Château-Gontier nous attaquer, nous avait forcés à bivouaquer une grande partie de la nuit. Enfin les grandes chaleurs coopéraient avec les routes à rendre nos hommes moins ardents.

« Le brave colonel Menard (dit Sans-Peur) (1), avait bien proposé le soir au général, de mettre cent hommes en embuscade sur chaque route de Laval et de Château-Gontier, ajoutant que s'il eût eu la même agilité que dans les premières guerres, il s'en serait chargé. Le général, qui voulait reposer sa troupe, et qui savait la peur qu'on avait de nous, se contenta de gardes bien montées ; les patrouilles devaient partir peu de temps après que.nous fûmes attaqués et nous devions nous diriger de grand matin vers Château-Gontier.

« C'était moi qui avais donné au général les renseignements qui l'avaient déterminé à ce parti.

« En arrivant à Craon, j'avais envoyé à Château-Gontier l'un de mes métayers. Mis en prison et peu après rendu à la liberté,

(1) Menard était un des chefs les plus vaillants des premières guerres. Son peUts<-flls est l'homme d!affaires de la famille de Guesdon.

20.


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il m'apprit ia peur des Castrogontériens et des Lavallois chez qui l'on emballait avec précipitation les papiers de la préfecture.

« Je communiquai le tout à M. d'Andigné qui en éprouva de la satisfaction. Malheureusement, nous ne connûmes ni le départ des courriers de Cossé, ni la marche des gendarmes de Laval. Autrement il nous eût été facile d'aller à leur rencontre, de les reconduire chez eux et de partager leur déjeûner. . « Après Cossé, nous nous repliâmes sur Athée (1) et Livré (2). Le général rentra sur l'arrondissement de Segré avec la division « sans-peur » Je. fus laissé sur le Craonnais avec un bataillon, le deuxième.

«. A Chambellay (3), nous perdîmes le chevalier de Champagne qui voulut être, à l'action à cheval et le plumet blanc sur la tête (4). Il eut le sort des émigrés pendant la guerre des Chouans.

« Dans la forêt de Combrée (5), cinq cents gendarmes vinrent nous attaquer ; mais nous pûmes nous retirer sans pertes.

« A Vern (6), nous repoussâmes une escarmouche. Après cela aucun des bonapartistes ne chercha plus à nous rencontrer. Leurs sorties étaient toujours à l'opposé du lieu où ils savaient que nous étions. M. d'Andigné ne voulait, de son côté, que les tenir en haleine.

« Sur ces entrefaites nous arrivèrent quarante jeunes gens du collège de Château-Gontier. On en fit une compagnie pour laquelle on eut les égards que de Frotté avait eus pour celle de la Couronne.

« Nous allâmes à la Roche-Bernard (7) chercher des munilions ; au retour, la campagne était linie ; elle avait duré trois mois.

« On a voulu prouver l'inutilité de cette guerre et en faire considérer les services comme de peu de valeur, ajoutant môme

(1) Commune du canton de Craon (Mayenne).

(2) id. id.

(3) Chambellay, commune de l'arrondissement de Segré.

(4) M. Charles de Champagne était de Château-Gontier.

(5) Entre Segré et Pouancé.

(6) Canton du Lion-d'Angers.

(7) Ville du Morbihan ; les armes étaient envoyées par. les Princes.. .


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que nous avions agi par ambition pour avoir des places. Voici ma réponse :

« Les lois de l'honneur obligent un royaliste à faire son devoir en toute occasion. Qui le contesterait ? D'un autre côté, est-ce qu'un homme impartial ne réconnaîtra pas que l'insurrection a empêché deux millions de gardes nationales de marcher comme elles l'avaient fait en 1813 ? Enfin, sans elle, les impositions auraient été recouvrées, M. Foucher n'eut pas rédigé son beau rapport et les puissances, étrangères n'auraient pas eu la preuve que les Bourbons avaient des partisans en France. Et alors, notre malheureux pays aurait été démembré ou au moins pillé davantage.

« Quant au reproche d'avoir pris les armes par ambition et dans un moment où il n'y avait rien à craindre, je répondrai :

' « Quand nous avons quitté nos demeures le 22 mai, la bataille de Waterloo (19 juin) n'était pas perdue. Si Napoléon l'eût gagnée, pouvions-nous compter sur la clémence de l'assassin du duc d'Enghien et de Frotté? Ce qui nous attendait, c'étaient un décret de hors la loi et le séquestre de nos biens. Nos femmes, que fussent-elles devenues ? Celles qui, comme la mienne, étaient prêtes d'accoucher, n'auraient-elles pas couru toutes les aventures? »

Après cette courte expédition, Michel Guesdon rentra à Craon où sa considération augmenta de jour en jour. Au retour de Louis XVIII il fut nommé maire et plus tard administrateur de l'hospice et président de fabrique.

Pendant la Restauration, Michel Guesdon, que de Saint-Paul, de Monceau et autres chefs appelaient cher major, cher camarade et excellent ami, sollicita souvent des faveurs pour d'anciens compagnons d'armes ; pour lui il ne réclama jamais rien.

M. de Saint-Paul, dont nous avons vu précédemment la lettre, trouva étrange qu'on oubliât de la sorte un des plus braves et des plus loyaux serviteurs de la cause royale. Il alla lui-même porter au ministre de respectueuses observations. Le ministre les accueillit favorablement, et peu après Michel Guesdon reçut la croix de Saint-Louis.


- 308 ~

Dé leur côté, lés membres de la noblesse du Craonnais firent une démarche collective et obtinrent à ce vaillant une récompense plus élevée. Sur leur prière, en 1821, Louis XVIII lui délivra des lettres patentes de noblesse (1).

A sa mort, arrivée en 1843, la noblesse et la population lui firent un imposant cortège.

C. MACÉ,

Curé-doyen d'Athis.

(1) Ces lettrés sont du 28 juin et portent là signature de H. de Serires, garde des sceaux.

Ses parrains furent pris dans les plus illustres familles de la contrée.

Malgré ce titre, si valeureusement gagné, MM. de Guesdon. ses fils, n'ont consenti à prendre la particule qu'au moment où le second Empire voulut sévir contre ceux qui s'attribuaient faussement des titres de noblesse. Il fallut cette circonstance et les instances de leur vénérable mère pour les faire se départir de leur humble réserve. La famille de Guesdon porte : d'azur au chef d'or, chargé d'une épèe de sable à la poignée d'argent. (De Bodard de la Jacopière ; Chroniques craonnaises, p. 656).


BIBLIOGRAPHIE

Recherche de la Noblesse dans la Généralité de Tours en 1666. — Procès-verbaux de comparution, publiés et annotés par l'abbé Ém.-Louis Chambois et Paul de Farcy, volume in-4° de VIII-806 p., avec 600 blasons gravés. Mamers, G. Fleury et A. Dangin, imprimeurs-éditeurs, 1895..

Le Maine a toujours été Une province riche de faits et de personnages historiques, peuplée d'esprits cultivés amis des Lettres et des Sciences. La Revue du Maine, l'une des aînées parmi les publications de ce genre, est remarquable par l'autorité et la science de ses collaborateurs, la valeur des travaux qu'elle renferme, la perfection de son impression et de ses illustrations. De plus, la Société dont elle est l'organe, au moyen de subventions accessoires, vient en aide à la publication de travaux importants, trop longs ou trop spéciaux pour figurer dans ses Bulletins. C'est ainsi que plusieurs Cartulaires ont pu être publiés. Il serait à souhaiter que quelques Mécènes généreux, dans notre contrée de l'Orne, pris d'une louable émulation, suscitassent des productions semblables.

C'est à Ce mouvement historique qu'est due l'impression du volumineux et important travail dont nous avons donné le titre. Le Clergé et la Noblesse se sont associés par deux de leurs représentants, M. l'abbé Em.-Louis Chambois et Paul de Farcy, pour assurer la durée, qu'imprime la presse, à de très précieux documents manuscrits connus seulement d'un bien petit nombre de curieux pour ne pas dire à peu près inconnus. M. l'abbé Chambois mérite bien qu'on signale avec de justes félicitations l'énorme labeur qu'il s'est imposé pour collationner, ordonner et copier les trois manuscrits qui ont fourni les matériaux de ce travail. MM. Fleury et Dangin, dignes héritiers de l'industrie du livre, ont apporté leur généreux et patriotique concours à cette oeuvre en s'en faisant les éditeurs.


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Beaucoup de familles nobles retrouveront dans ces pages leurs titres plus ou moins oubliés. A quoi bon, dira-t-on, dans notre courant démocratique aujourd'hui invincible,.rappeler des souvenirs inutiles sinon fâcheux de grandeurs et de privilèges ? Ce serait bien probablement tentative insensée de vouloir rétablir un ancien ordre de choses violemment renversé et âpremenl condamné par les masses. Mais la nature poursuit son cours à travers les éruptions volcaniques passagères qui peuvent un instant le déranger. De nos jours où la doctrine de l'atavisme est si en vogue, et appuyée, il faut l'avouer, par de nombreuses observations, ce serait s'aveugler de ne pas vouloir reconnaître que les familles nobles, par leurs longues traditions de civilisation et d'honneur, par le soin chez quelques-unes de la jalousa conservation du sang, par lés souvenirs du nom et l'influence de la propriété, sont l'une des réserves de la fortune de la France, Mais il faut que, comprenant et s'appliquânt l'apologue d'Antée, leurs descendants reviennent se retremper au sein de la terre nourricière qui leur a donné leur force et leur grandeur, renoncent au régime démoralisant et destructeur de l'absentéisme, et adaptent leurs forces vives aux fonctions sociales de notre temps par le développement de l'intelligence, de l'activité et du dévouement. ■ ' '.

- Assurément, c'est pour les habitants de la Touraine et de l'Anjou que ce beau volume offre le plus d'indications précieuses. .Cependant la Normandie et la contrée de l'Orne peuvent y revendiquer des noms qui leur appartiennent.

- I/ordre suivi est l'ordre alphabétique. C'est ainsi que le volume commence par le nom d'Aché. Quoi qu'en dise la noté 'ajoutée au bas de la déclaration, il nous est bien permis de réclamer pour le pays d'Alençon l'origine de celte noble famille, l'une des plus anciennes de Normandie, qui, dès le xm" siècle, avait déjà hérité en grande partie des biens des familles non •moins célèbres d'Ecures et de Larré. Un membre de cette famille, Hugues d'Aché, était abbé de Sainl-Martin de Sées, en 1110.

Je citerai parmi les autres noms que j'ai notés, en parcourant les pages : d'Andigné, de Beaumtmt, de Beauregard, Bellay, Berdin, Le Bouyer, du Breul, du Bailleul, de Brissac, de Broc, de la Broise, de Brossard, du Bu, Champin,- siemv de Gisnéy


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et de Champhaùt, de Clinchamps, "de Contades, Couvëy, originaire du Perche, de Farcy, de Giffard, du Goulet, Gouhion, dont l'un des représentants, Claude - Charles, était comte de Larchamps, baron de Macé ; La Grandière, sieur de Marcey, Grougnault, du Hallot, demeurant paroisse de la Chapelle, pays du Perche ; Guillaume des Jardins, «. sieur de Clinchemore, gentilhomme ordinaire de la grande fauconnerie du Roy, demeurant ordinairement en la ville d'Alençon », père de la fameuse Marie-Catherine des Jardins, dame de Villedieu, qui a fait' et signé elle-même la déclaration ; Le Jumeau, Labbé, de Lo.ré, Martel, de Morel, des Moutis, Le Mouton, famille illustrée aujourd'hui par le général de Boisdeffre ; de Quatrebarbes, de Roliard (Jacques, sieur de La Goguerie, demeurant paroisse de Saint-Luhin-Saint-Fonds, pays du Perche), Scarron (l'un d'eux fut abbé commendataire de Belle-Etoile), de Semallé, de Sissay, originaire du Perche, de Valtot, sieur du Plessis, paroisse de Marchemaisons, de Vanssay.

Voilà une liste-qui peut compter; d'autres plus versés dans les recherches héraldiques pourront y faire des additions, mais c'en est assurément assez pour faire voir l'importance de cette publication relativement à l'histoire de la noblesse de nos contrées.

Il y a fort peu à glaner dans ces déclarations, pour la.connaissance des événements généraux de l'époque ou l'appréciation de la vie et des moeurs. Comme incidents à signaler, je n'ai remarqué que la déclaration de René Desboys, sieur du Chastelet, conseiller au présidial de la Fièche. Il déclare « n'entendre maintenir la dite qualité d'escuier, non seulement à cause de l'Incommodité de sa maison chargée de huict enfants, mais encores à cause de ses debtes non acquittées, et causées principalement pour le payement de sa rançon quand il fut pris par des corsaires d'Alger, s'en allant en Portugal pour le service du deffunct Roy ».

On trouve en outre mentionné le nom « de Pierre de Voyer, vicomte d'Argenson, vice-roy en Canadas ». .. Les blasons, élégamment placés en marge des noms, ont été dessinés par M. Paul de Farcy, dont le talent artistique et la science historique et héraldique n'ont plus, tant la notoriété en est grande, d'éloges à recevoir.

On peut en. dire autant de la forme et de l'impression du


312 —

volume. II sort des presses de M. G. Fleury, de Mamers, qui est l'un de nos artistes contemporains dans le noble art de la typographie, dont il possède à la fois la science, l'expérience et l'amour.

P. BARRET,

Le Chemin d'Intérêt Commun, N° 12. Tel est le titre d'un nouvel opuscule que vient de publier notre confrère, M. Charles du Hays.

« La Normandie, dit-il, est moins louangée, dans les livres et les guides des Touristes, que ne le sont la Bretagne, la Touraine, l'Anjou, parce que le Normand parle peu de lui-même et s'inquiète peu de faire louanger son pays. Si, pourtant, un étranger, désireux de connaître cette province, suivait les routes qui la sillonnent et notamment le Chemin d'Intérêt commun n° 12 qui la coupe toute entière dans sa plus belle partie, il verrait, par ses yeux, ce que vaut la Normandie ».

Ce chemin fait suite à la route partant de Mamers et il aboutit à Dives... C'est, sur un parcours de trente-trois à trentequatre lieues, un enchantement perpétuel. Il traverse, l'une après l'autre, la vallée de la Sarthe et celles de Courtomer, Talonney, le Merlerault, Saint-Germain-de-Clairefeuille, Gisnay, Exmes, Survie, Osmond, Vimoutiers et Livarot; la vallée d'Auge, celle de Corbon, celle de Victot et celle de Beuvron, pour tomber, après un dédale de plantureuses prairies, arrosées par la rivière d'Ancre, sur le décor saisissant de la mer.

Cette nomenclature trace le plan du voyage que M. Du Hays propose à ses lecteurs.

Au sortir de cette lecture, un de nos confrères écrivait à l'auteur :

A parcourir avec vous le CHEMIN d'iNTÉRÊT COMMUN, N° 12, j'ai pris un intérêt qui, lui, n'est pas commun. Que de sites, que de logis et de châteaux, que de cours d'eau, que d'herbages chers à l'élevage normand; que de souvenirs et d'événements, que de personnages dignes de l'histoire vous m'avez fait rencontrer. J'ai salué les uns à titre d'anciennes connaissances; les autres comme des inconnus que, grâce à votiSj je n'ignorerai

plus.

J. R.


313

Le tome XII des Mémoires de la Société d'archéologie, littérature, sciences et arts des arrondissements d'Avranches et de Mortain contient un bon nombre d'excellents articles. M. Alfred de Tesson, président, y a publié une savante dissertation sur le Paillé et le Diapré héraldique ; 2° la Généalogie des frères Tesson, guillotinés à Granville en l'an II ; 3° la Pancarte armoriée des défenseurs du Mont Saint-Michel. Nous y avons remarqué encore deux états, l'un de l'argenterie des églises du district d'Avranches, l'autre des effets d'or et d'argent du district de Mortain. Ce dernier état a été communiqué par M. Hippolyte Sauvage, le premier a été retrouvé par M. l'abbé Laveille, dans les papiers de Fin.

L'étude sur les étymologies des noms de lieux et des noms de familles, non signée, mais que l'on peut considérer comme une oeuvre posthume de M. Edouard Le Héricher, renferme des recherches curieuses, mais d'une valeur scientifique contestable. Séez vient-il de Saxones, Saxons, tandis que Se aurait pour racine Sée, rivière.

Vimoutiers signifie-t-il « moutier sur le gué » ?

Alençon, ville située dans une plaine entourée de forêts, de halliers ?

Soligny, de Solinum, mesure agraire ?

Almenôches, habitation d'Allemands ?

Chapelle-Souef, chapelle ombragée ?

Cerceaux, Cercueil, village de la pierre dure ?

Batilly, bastille ? — Avrilly, petit ruisseau ?

Cui, mont ? — Damigny, habitation de la vallée ?

Le Mage, Magus, habitation ? — Radon, coteau de la rivière.

Fiers, flacteria, lieu humide ? — Messei, de Messio, terre dont les tenants avaient à payer une redevance à l'occasion de leurs récoltes.

L'auteur lui-même reconnaît d'ailleurs, dans ses observations préliminaires, que plusieurs de ces étymologies sont seulement plus ou moins probables, que d'autres peuvent être fausses et quelques-unes seulement certaines.

En présence de cet aveu, la critique la plus sévère se trouve désarmée et elle doit se montrer indulgente pour des erreurs qui s'expliquent d'elles-mêmes et dont une étude aussi périlleuse ne pouvait être exempte.

Louis DUVAL.

21.


314 —

Matériaux pour servir à la faune des vertébrés du département de l'Orne, par M. l'abbé LETACQ, aumônier des Petites-Soeurs des Pauvres d'Alençon. In-8°, 66 p. Caen, H. Delesques. — Extrait de \'Annuaire normand, année 1896,

Dans cette nouvelle brochure, M. l'abbé Letacq est resté fidèle à ses études de prédilection, l'histoire naturelle ; et il nous prouve une fois de plus que toutes les branches de cette belle science lui sont également familières. Comme il le dit, la géologie, la botanique de notre pays sont connues.... plus ou moins? On trouve, en tout cas, des amateurs, quelques savants même, qui s'en occupent ; mais qui est-ce qui s'avise d'étudier notre faune ? En dehors du paysan qui soigne ses bêtes, de l'enfant qui fait la guerre aux oiseaux, du chasseur et du pêcheur qui veulent bien faire au gibier et au poisson l'honneur de leur coup de fusil ou de leur coup de filet, tous gens peu savants d'ordinaire, qui s'intéresse aux trois cents et quelques espèces de vertébrés qui peuplent nos champs, nos forêts et jusqu'à nos maisons ? Le sujet qu'a choisi M. l'abbé Letacq était donc tout neuf; ce sont d'ailleurs ceux qu'il préfère. Aussi, loin d'être arrêté ou découragé par la difficulté, n'y a-t-il vu qu'un stimulant de plus et une occasion d'ouvrir une mine presque inexplorée, sauf, dans l'avenir, à laisser à d'autres, s'il ne s'en charge luimême, le soin plus facile de la creuser davantage.

M. l'abbé Letacq ne s'est pas borné du reste à donner dans sa brochure une sèche nomenclature de genres et d'espèces. Les notes historiques qu'il a mises en tète de son travail intéresseront le savant et lui permettront d'établir d'utiles références. D'un autre côté, les noms vulgaires des animaux, les époques de passage de ceux qui ne sont pas sédentaires dans notre pays, l'indication des espèces utiles ou nuisibles, rares ou communes, sont autant de renseignements précieux, fruit sans doute de longues éludes et d'observations répétées. Les agriculteurs ne manqueront pas d'en faire leur profit. On peut, en tout cas, donner à l'auteur le témoignage qu'en s'y livrant il n'a pas perdu sa peine et son temps.

H. BEAUDOUIN.


DEUX TABLES DES MATIÈRES

i.

Un regret, plusieurs fois exprimé par M. Léon de la Sicotière de docte et vénérable mémoire, était de ne pas voir la Semaine Catholique de Séez, pourvue d'une TABLE DES MATIÈRES.

— « Que de choses précieuses, disait-il, pour l'histoire du diocèse de Séez, dans ces Bulletins de la Semaine qui consignent périodiquement les événements religieux de nos Paroisses : Le passé, à qui notre région doit plusieurs ouvrages, manuscrits ou imprimés, assurément d'une très grande valeur historique, ne nous a légué rien sous cette forme, » —

De quel prix, en particulier, ne serait pas pour nous le Bulletin des Episcopats de Pierre Duval, qui siégea au Concile de Trente ; de Louis du Moulinet, Claude de Morenne, Jean Bertaut, hommes de Lettres et hommes d'Eglise, témoins des luttes de la Ligue et de la pacification due à l'habileté de Henri IV, leur ami ?

La suite renfermerait l'histoire de notre diocèse pendant le grand siècle, avec le P. Eudes, né à Ry près d'Argentan; avec Bossuet, visitant l'abbé de Rancé, à la Trappe et prêchant le 24 août 1684, à la bénédiction de Mme de la Chétardie, installée abbesse des Augustines d'Essai.

Ces annales, écrites au jour le jour, étaient réservées à notre époque. Elles datent chez nous de 1866 et sont dans leur 30° année.

Dès leur début, on comprit que les faits juxtaposés qu'elles renferment auraient besoin d'un Index. M. l'abbé Maunoury, qui devait être l'ouvrier le plus actif et le plus éminent de cette oeuvre, donna la Table des deux premières années. Que n'a-t-on continué ?


— 316 —

Quoique tardivement, il semble que la rédaction de la Semaine se ravise, et nous l'en félicitons.

Le n° du 20 mars dernier porte en tète de sa première page : Table des Matières ; « 29e année, 1895. » — Dix pages bien fournies permettent de se reporter aux faits que renferme le 29e volume de nos annales diocésaines.

A l'auteur de ce travail, nous disons merci et lui souhaitons de continuer son oeuvre si heureusement commencée.

II.

Une autreTabledes Matières, sortie des presses de M. RenautDe Broise, à Alençon, forme un Index précieux pour les douze premiers volumes du Bulletin de la SOCIÉTÉ HISTORIQUE ET ARCHÉOLOGIQUE DE L'ORNE.

M. de Broise, à qui revient l'honneur de cette entreprise, indique les sujets traités et le nom de leurs auteurs.

Index Rerum et Nominum, c'est la façon des anciens Bénédictins , dont les Tables, qui enrichissent leurs in-folios, restent les modèles du genre.

La Table de M. de Broise ajoute un nouveau prix à la collection des douze volumes que l'on peut se procurer, à Alençon, chez le trésorier et le bibliothécaire de la SOCIÉTÉ.

J. ROMBAULT.


PROCÈS-VERBAL

Séance du 23 Juillet 1896

PRÉSIDENCE DE M. LE C1C DE CONTADES

Lettres de M. le Ministre de l'Instruction publique annonçant la session des Sociétés savantes et des Sociétés des Beaux-Arts des départements pour le 20 avril 1897. Les mémoires devront être envoyés le 30 janvier 1897 au plus tard.

M. l'abbé LETACQ, qui a assisté aux Assises de Caumont à Rouen, est prié de rendre compte de son voyage en quelques lignes.

M. l'abbé BARRET veut bien, sur l'invitation de M. le Président, s'engager à donner un compte-rendu succinct des livraisons reçues dans l'année des Sociétés qui sont en relations d'échange avec la nôtre.

La Société de l'Histoire littéraire de la France se recommande aux Membres de la Société.

La Société s'occupe ensuite du choix de la ville où elle tiendra sa réunion générale annuelle.

Après une assez longue discussion, la ville de Vimoutiers obtient la préférence à la presque unanimité.

M. le Président voudra bien s'entendre avec M. le Maire de Vimoutiers et avec les membres de la Société qui habitent le

22.


— 318 —

pays, notamment avec M. Paul Harel, pour assurer la bonne organisation de la séance. Le^jour en est dès actuellement fixé au jeudi 1er octobre, sauf à revenir sur cette détermination, s'il y avait ce jour-là quelque empêchement.

M. le Président fait appel aux Membres présents et se réserve d'en parler à d'autres encore, pour fournir des lectures intéressant, s'il est possible, le pays qui nous donnera l'hospitalité.

Dans le but d'apporter une plus grande variété à la séance, il exprime le désir que les lectures soient assez nombreuses ; mais alors, pour ne pas la prolonger outre-mesure, il est important qu'elles soient courtes.

Tous les Membres présents s'associent à ces observations et déclarent d'un commun accord que, sous aucun prétexte, nulle lecture ne devra durer plus d'un quart d'heure. Le Secrétaire est chargé de porter à la connaissance de tous les Membres, par le moyen du procès-verbal imprimé, cette volonté formelle de la Société.

OUVRAGES REÇUS DEPUIS LA SÉANCE DU 21 MAI

Publications individuelles.

1° Conseil général de l'Orne, année 1872.

2° Alma.na.ch de l'Orne, années 1868, 1869 et 1870. Don de M. PERROTTE.

3° Programme du Congrès des Sociétés savantes des départements en 1891 (10 exemplaires). Discours prononcés à la séance générale du Congrès de 1896, par M. GRANDDIDIER, de l'Académie des Sciences, et par M. le Ministre de l'Instruction publique.

4° Les Monuments de la ville et des environs de Se'es, par M. l'abbé BARRET. Extrait du magnifique ouvrage in-folio illustré, La Normandie monumentale. Don de l'auteur.

5° A la mémoire des officiers et soldats français morts aux deux combats de la Fourche, le 21 novembre 1810 et le 6 janvier 1811. Éloge funèbre prononcé par M. l'abbé DUMAINE, curé de la Calhédrale de Sées.


— 319 —

6° Notice sur Eugène-Auguste-Rodolphe de Villermin,mort à Alençon. le 3 avril 1815, par M. l'abbé DUMAINE.

7° Bibliographie dé la France, année 1895.

8° Bibliographie historique de l'Eure, pour l'année 1895, par M. Louis RÉGNIER.

9° Rapport du R. P. de la Croix, S. L, au Comité des travaux historiques et au sous-préfet de Loches, sur la découverte gallo-romaine l'Iseure. Broch. in-4°.

10° Nouveau guide de la Presse. Numéro spécimen du 15 juin 1896.

Publications collectives.

1° Almanach du Bon Français pour 1896. Publié par la Société bibliographique.

2° Mémoires de la Société d'Agriculture, Sciences et Arts d'Angers. Année 1895.

3° Le Cidre et le Poiré (Argentan). Juillet 1896.

4° Revue de l'Avranchin. 2e trimestre 1896.

5° Mémoires de la Société académique du Cotentin. T. XI, 1895.

6° Bulletin de la Société archéologique d'Eure-et-Loir. Juin 1896.

7° La Croix de l'Orne. 31 mai à 19 juillet 1896.

8° Bulletin de la Commission historique et archéologique de la Mayenne. 2e trimestre 1896.

9° Bulletin de la Société archéologique de Nantes. Année 1895.

10° Le Cidre (publication Vimont, à Paris). Juin et juillet

1896.

11° Documents sur la province du Perche. Avril 189G.

12° Bulletin de la Société des Antiquaires de l'Ouest. 1er trimestre 1896.

13° Bulletin de la Société des Amis des Sciences et des Arts de Rochechouart. Mars 1896.


— 320 —

14° Bulletin de la Société de Géographie de Rochefort. 1er trimestre 1896.

15° Bulletin de la Société d'Agriculture, Sciences et Arts de la Sarlhe. 3e fascicule 1896.

16° Bulletin de la. Société des Antiquités de la Seine-Inférieure. T. X, lrc liv. de 1895.

17° Annales de l'Archiconfrérie de Notre-Dame des Champs. Juin et juillet 1896.

18° Analecia Bollandiana. T. XV, fasc. 2 et 3.

19° Bulletin de la Société Neuchateloise de Géographie. T. VIII (1894-1895).

20° Starohrvatsha prosvjeto gracilo, etc., u Krinu. 1896.


ESSAI

DE

TOPOGRAPHIE, DE STATISTIQUE ET D'HISTOIRE

DE LA

COMMUNE DE NEUVILLE-SUR-TOUQUES (1)

I

Dans le pouillé primitif de l'ancien évèché de Lisieux, Neuville-sur-Touques est désigné sous le nom de Novavilla, et Novilla d'après une charte de Henri Ier, roi d'Angleterre, en faveur de Saint-Pierre-sur-Dives (2).

Comme son nom l'indique, cette commune est située sur la Touques, et s'étend à l'occident jusqu'aux hauteurs qui séparent le bassin de cette rivière de celui de la Vie ; à l'orient, son territoire touche pour ainsi dire aux magnifiques plaines du Lieuvin. Son sol sillonné de nombreux vallons, qui aboutissent à la Touques, est partout montueux et accidenté. Sur les côtes qui dominent la rivière, le spectateur jouit de magnifiques points de vue : vallées aux vertes prairies, pentes abruptes, maigres labours, hauteurs boisées ; rien ne manque à ce charmant tableau pour captiver les regards.

Les principaux lieux habités sont : l'Angleschère, l'Auberdière ; la Bassière, la Berrière, la Bersotière, la Boudière, la Bretonnière, les Burets, la Butte-des-Vignes, la Cauchinière,

(1) Canton de Gacé (Orne).

(21 De Formeville. Histoire de l'ancien évéché-comlé de Lisieux.


— 322 —

la Catulière, la Dannetière, la Fosse, la Germanière, la Grégère, la Hachetière, le Hamel, la Jaunière, la Haute-Jaunière, la Lifartière, le Bas-Manoir, le Haut-Manoir, la Monnerie, les Moulins, la Prevôtière et la Vallée.

La commune de Neuville appartient en entier au bassin de la Touques. Cette rivière prend sa source à Champ-Haut, baigne Lignères, Gacé, Mardilli ; traverse le territoire qui nous occupe, sur une longueur de 4,400 mètres ; passe à Orville, Ticheville, Pontchardon, Canapville ; entre dans le Calvados où elle arrose les villes de Lisieux et de Pont-l'Évêque, et se jette dans la Manche à Trouville, après un parcours de 108 kilomètres, dont 28 dans l'Orne.

Sur Neuville, elle reçoit : à droite, 1° La petite rivière de Chaumont, formée de deux forts ruisseaux ; l'un le principal prend sa source près de l'église de Chaumont ; l'autre bien moins important sort de l'étang du Val-Gaillard ; enfin cette rivière se jette dans la Touques un peu au-dessous de l'église de Neuville, après un cours de 5,600 mètres. 2° Le ruisseau de la Jaunière, d'une longueur d'environ 800 mètres. 3° La rivière des Tanneries, venant de Sap-Mesle ; sa longueur n'atteint pas plus de 2,500 mètres.

A gauche, la Touques ne reçoit que quelques minces filets d'eau.

II

La superficie totale de la commune est de 1,534 hectares 76 ares 80 centiares, qui se divisaient ainsi qu'il suit vers 1830 : labours, 767 hectares ; prairies et pâtures, 539 hectares ; taillis et futaies, 157 hectares ; friches, 9 hectares ; jardins, 12 hectares ; routes et chemins, 36 hectares ; rivières, 4 hectares. Le surplus était occupé par l'emplacement des bâtiments, mares, places publiques, etc.

Le revenu imposable s'élevait à l'époque ci-dessus à la somme de 34,889 fr. 60. Il y avait un moulin à blé et 272 maisons.

Le principal des quatre contributions directes s'élève à la somme de 8,858 francs.

L'an IX de la République, la commune était imposée de la manière suivante :

Foncière, 12,343 fr. 97 ; personnelle-mobilière, 393 fr. 60 :


— 323 —

portes et fenêtres, 518 fr. 69; patentes, 252 fr. 53; total, 13,508 fr. 79.

Comme dans la plupart de nos communes rurales, la population a beaucoup diminué à Neuville-sur-Touques : en 1816, on y comptait 798 habitants ; 990 en 1841 ; 735 en 1866 et 631 en 1891. En comparant le recensement de 1841 à celui de 1891, nous trouvons donc une diminution de 359 habitants dans l'espace d'un demi-siècle, ou environ 36,30 %• En divisant le chiffre de la superficie par celui de la population, nous obtiendront la densité de cette dernière, soit 2 hectares 44 ares par habitant ou 41 habitants par kilomètre carré ou 100 hectares.

Il y a à peine trente ans, Neuville-sur-Touques était un pays perdu tant ses côtes et ses vallées aux chemins impraticables étaient difficiles à parcourir avec des voitures ; il n'y avait de carrossable que la route nationale n° 179, d'Alençon à Honfleur ; mais comme elle ne faisait que d'effleurer son territoire et passait sur la hauteur, elle ne rendait pas tous les services désirables. Depuis lôrs, plusieurs voies de communication ont été ouvertes ; ce fut d'abord le chemin de grande communication n° 33, de Lisieux à Gacé, qui suit le cours de la Touques ; un autre chemin de petite communication s'embranche dans le chemin que nous venons de citer, pour aller déboucher sur la route nationale n° 138 de Bordeaux à Rouen, en passant par les églises de Neuville et de Ghaumont.

Le chemin de fer de Sainte-Gauburge à Ménil-Mauger, dont l'exploitation commença à la fin de l'année 1881 (1), traverse aussi la commune du sud au nord en suivant le cours de la Touques ; une des haltes de cette voie ferrée est désignée sous le nom de Neuville-sur-Touques.

La commune de Neuville est desservie par un des facteurs du bureau-de poste du Sap.

Elle est le chef-lieu d'une perception d'où dépendent les communes suivantes : Neuville-sur-Touques, Chaumont, la Fresnaie-Fayel, Mardilli, Ménil-Hubert, Sainl-Évroult-de-Montfort et le Sap-André.

La distance aux chefs-lieux est de : canton, 10 kilomètres ; d'arrondissement, 38 kilomètres; de département, 57 kilomètres.

(1) Son inauguration eut lieu à Tichsville, le dimanche 9 octobre 1881.


— 324 —

III

A l'époque de la Révolution française, la paroisse de Neuvillesur-Touques faisait partie de la généralité d'Alençon et de l'élection de Lisieux, au point de vue administratif et financier, pour la justice elle dépendait du bailliage et de la vicomte d'Orbec.

Lors de la division de la France en départements, elle fit partie du district de Laigle et du canton du Sap ; mais vers 1800, le district de Laigle et du canton du Sap furent supprimés ; les municipalités, dont ils étaient composés, vinrent donc à faire partie de d'autres circonscriptions. Neuville fut alors uni au canton de Gacé, dont il a toujours dépendu depuis.

Voici la liste des maires de Neuville à partir du commencement du siècle :

1800-1802 Desmares.

1802-1816 Saint-Clair (François-Joseph de).

1816-1830 Burgault (Jacques-Athanase de).

1830-1846 Goubin (Pierre).

1846-1868 Burgault (Marie-Auguste de).

1868-1881 Galle (Jules).

1881-1887 Burgault (Emilien-Auguste de).

1887- Boudin (Pierre-Edmond),

IV

Avant 1789, la paroisse de Neuville-sur-Touques dépendait de l'évèché de Lisieux, archidiaconé de Gacé, doyenné de Vimoutiers.

La taxe des décimes jugée en Cour de Rome s'élevait à la somme de XL livres (1).

La cure, à la présentation des religieux de Saint-Pierre-surDives, était un bénéfice de 1,200 livres (2).

Nous nous demandons quel seigneur avait donné le patronage de Neuville à la puissante abbaye de Saint-Pierre ? Dans le

(1) H. de Formeville. Histoire de l'ancien évéché-comté de Lisieux.

(2) Idem.


— 325 —

recueil des chartes publié par Léchaudé d'Anisy, au tome VII des Mémoires des Antiquaires de Normandie, année 1834, nous n'avons trouvé aucun acte ayant rapport à Neuville ; car les chartes de fondation et celles des premières donations faites à cette abbaye ont été probablement détruites ; du reste, elles n'existent pas aux archives du Calvados.

Grâce aux archives de la commune et aux insinuations du diocèse de Lisieux, nous pourrons donner la liste des curés du bénéfice-cure depuis l'année 1622 :

1622-1650 Lamy (Noël).

1650-1672 Lamy (Simon).

1672-1679 Gravelle (Jacques), inhumé dans le choeur de l'église de Neuville, le 29 septembre 1679.

1681-1713 Prouverre (René), sieur de la Cressonnière, doyen de Vimoutiers, inhumé dans le choeur de l'église de Neuville, sous la tombe qui est vis-à-vis du tabernacle, le 10 février 1713.

1713-1735 Lecomte (Jacques-Laurent).

Le 12 février 1713, la nomination à la cure de Neuville-surTouques, appartenant aux religieux de Saint-Pierre-sur-Dives, à cause de leur mense conventuelle, dom Pierre Eudes, prieur, et les religieux de la dite abbaye nomment à cette cure vacante par la mort de Me René Prouverre, prêtre, dernier titulaire, la personne de Me Jacques-Laurent Lecomte, prêtre du diocèse de Lisieux.

Le 15 février 1713, Me de Matignon, vicaire général, donne audit sieur Lecomte la collation dudit bénéfice.

Le 16 février 1713, le sieur Lecomte, vicaire de Rezenlieu, prend possession de la cure de Neuville, en présence de Me Jacques Louvet, prêtre, vicaire de la dite paroisse ; Mro Gilles de Saint-Clair, sieur du lieu ; Mre Jean Choisne, sieur du Longpré, tous de la dite paroisse.

1735-1756. Le Rouillé de Préaux (Antoine-François). Le 12 septembre 1735, la nomination à la cure de Saint-Germain de Neuville, appartenant aux religieux de Saint-Pierre-sur-Dives, à cause de leur mense conventuelle, dom René Sohier, prieur et tous les religieux dudit monastère, nomment à la dite cure, vacante par la mort de Me Jacques-Laurent Lecomte, prêtre, dernier titulaire, la personne de Me Antoine-François Le Rouillé de Préaux, prêtre du diocèse de Sées.


— 326 —

Le 15 septembre 1735, le seigneur évèque donne au sieur Le Rouillé la collation du dit bénéfice. Le même jour, celui-ci prend possession de la cure de Neuville, en présence de Me JeanBaptiste Lefebvre, prêtre, vicaire de la dite paroisse, Mc Charles Marie, prêtre de Gacé, et autres témoins.

Le 4 avril 1748, Me Michel Duperche, prêtre, prieur du prieuré simple de N.-D. d'Alençon, demeurant en la dite ville, et Mre Antoine-François Le Rouillé de Préaux, prêtre, curé de Neuville-sur-Touques, donnent leur procuration pour résigner leurs bénéfices entre les mains de N. S. P. le Pape, en faveur de l'un et de l'autre, pour cause de mutuelle permutation. Fait et passé à Lisieux, en l'étude du notaire apostolique.

Le 18 avril 1748, ledit sieur Duperche révoque la susdite procuration et déclare qu'il entend qu'elle demeure nulle et non avenue. Le même jour, le notaire apostolique signifie cette révocation au sieur de Préaux, en son manoir presbytéral de Neuville.

1756-1766. Burgault de la Germanière (Jacques-Thomas de). Le 18 octobre 1756, Me Antoine-François Le Rouillé de Préaux, prêtre, curé de Saint-Germain de Neuville, et, depuis, pourvu du canonicat de Raine en la cathédrale de Sées (valeur de 180 livres de revenu), donne sa procuration pour résigner la dite cure entre les mains de N. S. P. le Pape, en faveur de Me Jacques-Thomas Burgault de la Germanière, prêtre, curé de SaintNicolas-des-Lettiers. 11 se réserve toutefois une pension viagère de 400 livres à prendre sur les revenus du dit bénéfice.

Le 9 novembre 1756, le sieur Burgault obtient en Cour de Rome des lettres de provision du dit bénéfice.

Le 30 décembre suivant, le seigneur évêque donne son visa aux dites lettres de provision.

Le 21 avril 1757, le sieur Burgault prend possession de la cure de Neuville, en présence de plusieurs habitants de la paroisse.

Il mourut à Neuville, le 9 octobre 1766, âgé de 40 ans.

1766-1793. Hugot (Jacques). Le 12 octobre 1766, la nomma-' tion à la cure de Neuville-sur-Touques, appartenant aux religieux de Saint-Pierre-sur-Dives, Fr. Michel-François Blondeau, prieur de ce monastère, et les autres religieux nomment à la dite cure, vacante par la mort de Me Jacques-Antoine Burgault


- 327 —

de la Germanière, dernier titulaire, la personne de Me Jacques Hugot, prêtre du diocèse de Bayeux, maître ès-arts en l'Université de Caen.

Le 15 octobre 1766, le seigneur évèque donne au sieur Hugot la collation dudit bénéfice. Le 17 octobre suivant, le sieur Hugot prend possession de la cure de Neuville, en présence de Me Philippe Desvaux, prêtre, desservant de la dite paroisse et autres témoins (1).

DESSERVANTS DEPUIS LE CONCORDAT

1802-1830 Morand.

1830-1838 Maurey.

1838-1867 Lamelle (Pierre-Michel-Désiré).

1868-1875 Larue.

1875-1882 Fretté.

1882-.... Lavolé.

V

Assise sur le versant oriental du promontoire qui sépare les bassins de la Touques et du ruisseau de Chaumont, l'église de Neuville est peu intéressante au point de vue de l'art et de l'archéologie, mais sa position sur une côte escarpée, lui donne un aspect à la fois grandiose et pittoresque.

La nef nous présente un rectangle de 22 mètres de longueur, sur 10 mètres de largeur. Le choeur mesure 16 mètres de long sur 7 m. 75 de large.

Le pignon occidental d'une grande épaisseur (1 m. 45), est masqué par une mauvaise construction, partie en bois avec hourdis d'argile et partie en briques ; dont le rez-de-chaussée tient lieu de porche, tandis que l'étage supérieur sert de salle de mairie. La porte principale qui est pratiquée dans cette partie de l'édifice, est une large baie cintrée, dont le seul ornement est

(Il Jacques Hugot prêta serment en 1791 à la Constitution civile du clergé et resta en qualité de curé constitutionnel de Neuville. Le 17 thermidor an II, cédant au mauvais état de sa santé et à la volonté du législateur, il renonça aux fonctions ecclésiastiques, mais il ne quitta pas la paroisse : il avait 70 ans. A cette époque, l'officier public envoya au Directoire un certificat attestant le patriotisme de M. Hugot (L'abbé Piel. Insinuations ecclésiastiques).


— 328 —

un chanfrein. Les murs latéraux aussi très épais (i m. 15), sont construits en blocage de silex ; il est probable qu'ils remontent à l'époque romane ; cependant rien ne peut l'attester d'une manière certaine. Toutes les ouvertures primitives ont disparu et ont été remplacées au xvmc siècle par de larges fenêtres cintrées, bordées de briques ; l'une d'elles au nord porte la date de 1716 ; une autre du même côté a pour millésime la date de 1786. Les contreforts qui appuient ces murs sont peu caractérisés, et plusieurs au midi semblent appartenir au xvie siècle. D'autres au nord sont peu épais, mais leur largeur trop restreinte pour remonter à l'époque romane. D'un côté comme de l'autre on remarque les traces d'une litre funèbre.

Le choeur est fortement en retrait sur la nef, surtout au nord, lia dû être reconstruit au commencement du xvne siècle. Du reste, nous avons remarqué la date de 1609, gravée sur une pierre au midi, qui paraît parfaitement se rapporter avec le genre d'architecture de cette partie de l'édifice. L'appareil consiste en fortes pièces de moellon, rangées par assises. Les murs sont terminés par une doucine qui tient lieu d'entablement. Le chevet forme un demi-hexagone.

Cette construction a dû être greffée sur une plus ancienne ; car nous avons remarqué au midi un beau contrefort roman tronqué dans sa partie supérieure mesurant lm33 de largeur sur 0m35 d'épaisseur, qui, probablement aura été conservé lors de la réédification du choeur de l'église.

Toutes les toitures sont recouvertes d'ardoises. Le clocher â base quadrangulaire, surmontée d'une élégante llèche à huit pans, est placé à cheval sur la travée occidentale de la nef ; il renferme trois cloches dont voici les inscriptions en commençant par la plus ancienne :

LAN 1760 IAI ETE BENITE PAR MESSIRE IACQVES THOMAS BVRGAVLT DE LA

GERMANIÈRE CVRE DE SAINT GERMAIN DE NEVVILLE SVR TOVQVE ET NOM

MÉE MARIE MAGDELAINE PAR NOBLE DAME MARIE MAGDELAINE DE

DE BARDOV DE BVRGAVLT DAME DE SAINT LHONARD ET DE MONFORT EN PAR

TIE ET PAR CHARLES PERRIER CHEVALIER SE1GNEVR DE LA GENEVRAYE

ET CARNETTES ET EN PARTIE DE LA FONTAINE GRENNES PA

PROTTE ET LE PLESSIS TOVS DEVX PARRAIN ET MARRAINE

PETIT FOVR ET PIERRE NOVS ONT FAITE


— 329 —

L'AN 1846 J'AI ETE DONNEE PAR LA GENERALITE DES HABITANTS DE

LA COMMUNE DE NEUVILLE BENITE PAR MR PIERRE MICHEL DÉSIRÉ LA

RUELLE CURÉ DE CETTE COMMUNE ET NOMMEE MARIE LEOPOLDINE

EMILIENNE PAR MR LE CHEVALIER DE CHOISNE DE TRIQUEVILLE LEOPOLD

ÉLIACIM ET MADAME DE BVRGAVLT NEE MARIE EMILIENNE DE MIRE

COLLARD ET ROBERT FONDEURS A FALAISE

L'AN 1854 J'AI ÉTÉ BÉNITE PAR MONSEIGNEUR CH. FRED. ROUSSELET ÉVÊQUE

DE SÉES ET NOMMÉE MARIE HÉLÈNE PAR MESSIRE FERDINAND ANTOINE DE

CHOISNE DE TRIQUEVILLE ET NOBLE DAME HÉLÈNE CÉCILE DE CHOISNE

DE TRIQUEVILLE ÉPOUSE EN PREMIÈRE NOCE DE MESSIRE JEAN DE LA

MARIOUZE BARON DE MONTBRAY ET EN DEUXIÈME NOCE DE MESSIRE

JACQUES PHILIPPE DE CHATELAIN DE CRÉCY — J'AY ÉTÉ DONNÉE PAR LA

FABRIQUE PAR LA CONFRÉRIE DU S' SACREMENT PAR LA FAMILLE DE

TRIQUEVILLE ET PAR MR LARUELLE CURÉ DE CETTE PAROISSE.

F. COLLARD FONDEUR A FALAISE

A l'intérieur tout a été modernisé ; les charpentes apparentes ont disparu ; des peintures assurément plus brillantes que solides ont été appliquées sur les voûtes et sur les murs. L'autel supérieur de forme cubique est surmonté d'un haut rétable, dont les quatre colonnes enroulées de pampres dans leurs tiers inférieurs, et rudentées dans leurs deux tiers supérieurs, sont couronnées de charmants chapiteaux corinthiens. Dans l'entrecolonnement, à droite se trouve la statue de Saint-Germain, évoque d'Auxerre à qui l'église est dédiée. Au centre on remarque un tableau déjà ancien qui a pour sujet Jésus au milieu des Docteurs. Le tabernacle est surmonté d'une splendide exposition dont l'ornementation se compose d'épis de blé, de roses et de soleils, le tout d'un travail soigné.

Dans le choeur sont vingt stalles en vieux chêne, avec accoudoirs perlés. Quoique ces stalles ne soient pas très anciennes, elles présentent cependant un certain intérêt.

La chaire placée contre le mur latéral nord de la nef, forme un riche cul-de-lampe, dont les sculptures sont d'un heureux effet.

Dans le cimetière au midi de l'église, nous avons remarqué plusieurs tombes des châtelains de Neuville et de laGermanière, voici l'inscription de quelques-unes :


— 330 —

Ici

Repose le corps

De Messire Frédéric Auguste

De Choisne de Triqueville

Décédé en son château de Neuville-sur-Touques

Le 23 août 1821

Agé de 70 ans

Ici

Repose le corps

De Messire

Gabriel de Choisne de Triqueville

Né le 12 janvier 1789

Décédé le 9 août 1844

En son château de Neuville-sur-Touques

Sur ces deux tombes sont gravées les armes de la famille de Choisne de Triqueville : d'hermines, au lambel de sable.

Ici

Repose aussi le corps

De noble dame

Hél ène-Victoire-Félicité

De Mallevoue d'Aulnay

Son épouse

Décédée le 19 mars 1842

Dans sa 85e année

Sur cette tombe sont gravées les armes de la famille de Mallevoue d'Aulnay : de gueules, à trois canettes de sable, deux et une.

Ici

Repose le corps

De noble dame

Antoinette de Choisne de Triqueville

Veuve de Messire

Nicolas-Bernard Neveu de Champrel

Chevalier de Saint-Louis

Décédée à Saint-Jacques de Lisieux, le 8 juin 1862

Agée de 69 ans


— 331 —

Sur cette tombe sont gravés deux écus accolés, le premier : d'azur, à deux épées d'argent, posées en sautoir, au chef de gueules, chargé de trois roses d'or, qui est de Neveu de Champrel ; le second, d'hermines au lambel de sable, qui est de Choisne de Triqueville.

Ici

Repose le corps

De

Mlle Alexandrine-Victoire-Antoinette

Neveu de Champrel

Décédée à Saint-Jacques de Lisieux

Le 12 novembre 1865

Dans sa 54e année

Ici

Repose Monsieur

Constantin-Frédéric

Neveu de Champrel

Décédé dans sa 65e année

Le 21 février

1879

Ces tombes placées sur une ligne droite, sont en pierre blanche ; une plaque de marbre qui y est incrustée, porte les inscriptions et les armoiries que nous venons de citer.

Sur deux autres monuments funèbres, nous avons remarqué les inscriptions suivantes :

M. Marie-Auguste

De Burgault

Né à Neuville-sur-Touques

Le 29 novembre 1805

Décédé en cette commune

Le 12 janvier 1868

M. Emilien-Auguste

De Burgault

Né à Neuville-sur-Touques

Le 16 janvier 1839

Décédé en cette commune

Le 4 septbreJ1887


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VI

Ordéric-Vital dans son histoire de Normandie, cite unRichard de Neuville. Ce personnage qui vivait au xic siècle, était fils de Baudric le Teuton, à qui Gislebert, comte de Brionne, neveu de Richard, duc de Normandie, avait donné sa nièce en mariage (1). Ce Richard se rapporte bien probablement à notre Neuville, puisqu'on y voit encore les Bois-Richard, et qu'un de ses frères, Foulques d'Aunou possédait dans les environs les terres de Chaumont (2) et de Saint-Aubin-de-Bonneval (3).

Dans l'état des fiefs de la vicomte d'Orbec, dressé en 1320, nous trouvons pour Neuville que Mestre Guillaume de Proz, tenait du roi, un quart de fief, prisé à VIII livres de rente.

Cette même année 1320, Monseigneur Richard de Neuville, tenait du seigneur des Hayes les deux tiers d'un membre, prisés à LX livres.

A cette époque Neuville faisait partie de la sergenterie duSap. Le roi y avait la haute justice et le fouage sur 152 feux, et la basse justice et le fouage sur 42 feux, soit au total 194 feux (4).

Au xvie siècle, Neuville-sur-Touque s possédait plusieurs fiefs nobles ; car nous voyons que : 1° Jehan Choisne, écuyer, seigneur des Moulins, était taxé en 1562, à IV livres pour l'arrièreban. 2° Que Maistre Jehan Gruel, advocat, seigneur de Neuville-sur-Touques était aussi la môme année taxé pour le même motif à la somme de IV livres. 3° Que Gilles Bouchard, écuyer, seigneur de Neuville-sur-Touques, était aussi taxé cette année 1562, pour le même motif que les précédents, à la somme de XXIV livres (5).

La communauté des Onze-Barons de la cathédrale de Lisieux possédait à Neuville-sur-Touques, de domaine fief et seigneurie du Val-Courgeon (6). Aveu leur avait été rendu de cette terre, le 18 février 1518 ; mais ils l'échangèrent le 28 juin 1596, avec

(1) Ordéric-Vital, traduction Guizot. Torn. II p. 70.

(2) Titres de la forêt, note communiquée par M. Gustave Choisne.

(3) Léchaudé d'Anisy ; recueil des chartes de St-André-en-Gouflern.

(4) H. de Formeville. Histoire de l'ancien êvêchê-comtè de Lisieux.

(5) Abbé Lebeurrier. Rôle des taxes de l'arrière-ban, vicomte d'Orbec.

(6) H. de Formeville. Histoire de l'ancien évéché-comté de Lisieux, T. I.


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Guillaume Bouchard, sieur de la Varende, moyennant 63 écus et 70 sols de rente. Ce fief qui relevait du roi était possédé par eux de temps immémorial.

Lors des recherches de la noblesse faites par Montfaut en 1463, Jean Le Bouteiller de Neuville-sur-Touques, ne fut pas trouvé noble (1).

En 1540, quand les élus de Lisieux firent la recherche des nobles de leur élection, ils trouvèrent à Neuville-sur-Touques :

1° Jacques Mauclerc, dénommé noble, accusé de dérogeance pour tenir à ferme an présent, la coutume de Saint-Laurent-duBoscrenoult, a été représenté pour défaillant. Ce non-obstant, vu le rapport contre lui fait, le procureur du roy a requis qu'il soit assis.

2° Gilles Bouchard, pour lui et son frère, a dit être issu d'ancienne noblesse, dont il a baillé sa généalogie commençante à Jean Bouchard, père de Renoul, lequel épousa demoiselle Jeanne de Granval, joute une lettre de l'an 1482, laquelle avec plusieurs autres qui justifient sa descente du dit Renoul, a été par lui produite; et. la copie d'icelle est demeurée au greffe.

3° Jean de Panthou s'est aidé de semblables lettres et écritures que le sieur de Folval, sur la paroisse de Tiégeville.

4° Jean Gruel a produit l'extrait d'un arrêt de la cour de nos sieurs les généraux, donné le 23 décembre 1523, contre les habitants de Hiesmes, à l'entente de Nicolas Gruel, son frère, sur le fait de leur noblesse fondée sur les francs-fiefs.

5° Pierre, Jean, Jacques et François, dits Mauclerc, qu'ils ont dit être leur ayeul, pour trente écus payés, joute la quittance, plus l'extrait d'un arrêt de nos sieurs les généraux, donné en 1518, à leur entente contre le procureur général (2).

Aux deux derniers siècles les titres de noblesse étaient enviés, on se les disputait avec frénésie, et il n'était pas rare de voir de nombreuses usurpations. Mais aussi à plusieurs reprises on mit un frein à cet abus.

C'est ainsi que Louis XIV en 1655, ordonnait une perquisition des faux nobles dans toute l'étendue de la Normandie.

Les recherches de la noblesse qui commencèrent en 1666 et

(1) Labbey de la Roque. Recherches de Monfant.

(2) Labbey de la Roque. Recherches des élus de Lisieux.

23.


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qui durèrent plus de cinquante ans, furent généralement rigoureuses ; l'on peut même dire qu'elles se firent avec sévérité dans la généralité d'Alençon ; il fallut aux gentilshommes, pour conserver leur noblesse, présenter leurs titres originaux; beaucoup succombèrent à cette épreuve et devinrent de simples roturiers ; mais pour ceux qui furent maintenus, leur noblesse devint inattaquable; car ils étaient dispensés de preuves nouvelles à l'avenir ; il leur suffisait seulement de prouver qu'ils descendaient de nobles maintenus.

Toutes les familles nobles que nous avons vues jusqu'ici à Neuville avaient probablement disparu lors de la célèbre recherche de 1666 ; car nous n'en voyons aucune de mentionnée.

Une autre famille, les de Saint-Clair, qui y était établie depuis peu d'années fut maintenue le 3 octobre 1669, en la personne de François de Saint-Clair, écuyer, sieur de Lucinel ; il portait : D'argent, à la croix de sable dentelée.

VII

Philippe de Saint-Clair, sieur d'Orville et Jacques son fils, qui était curé du Sap en 1650, sont cités sur les registres paroissiaux de Neuville dès l'année 1633.

En 1646, nous trouvons Jehan de Saint-Clair, écuyer.

Ensuite vient François de Saint-Clair, écuyer, sieur de Lucinel, qui, comme nous venons de le voir, fut maintenu noble, en 1669. Il mourut en 1675. De son mariage avec Marie Le Choisne, décédée en août 1668, plusieurs enfants naquirent à Neuville : — 1° Le 16 mai 1647, Catherine de Saint-Clair, nommée par Antoine de Guerpel, écuyer, sieur de la Corbette, et Catherine Bouchard. — 2° En juin 1648, André de Saint-Clair. — 3° Le 20 septembre 1653, Gilles de Saint-Clair, nommé par Gilles de Longlay et Anne de Neuville. — 4° En 1654, Guillaume de Saint-Clair qui fut curé de Touquettes.

En 1670, on trouve Henri de Saint-Clair, sieur de la Cauchinière. En 1676, un autre Henri de Saint-Clair, ou peut-être le même personnage, se disait sieur de Lucinel ; il eut de son mariage avec noble Damoiselle Anne Douëzi : — 1° Le 7 juin 1678, François de Saint-Clair. — 2° René-Henri de Saint-Clair,


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né le 12 décembre 1686. — 3° Henri-Pierre de Saint-Clair, né le 5 avril 1690. Il fut curé de Saint-Pierre-la-Rivière, mourut à l'âge de 35 ans, et fut inhumé dans le choeur de l'église de Neuville le 23 septembre 1724.

Gilles de Saint-Clair, sieur de Lucinel, officier au régiment de Piémont, né comme on vient de le voir le 20 septembre 1653, mourut le 29 novembre 1734. De son mariage avec Marie de Laumosne, fille de Jean, il eut : — Jacques-François de SaintClair, écuyer, marié 1° en 1742, à noble damoiselle FleurenceCatherine de Fouques,fille de feu Me Jacques de Fouques,écuyer, ancien lieutenant des dragons, et de noble dame Catherine du Bois de la paroisse de Granval. 2° En 1760, à noble damoiselle Marie de Vigan, fille de François-Félix-Joachim de Vigan, écuyer, sieur de Pulneley, et de noble dame Marguerite-Marie Bréant de la paroisse de Saint-Martin-de-Fresnai. De ce dernier mariage naquit le 14 janvier 1764, François-Félix de SaintClair, qui fut maire de Neuville au commencement de notre siècle, peu de temps après son retour de l'émigration.

Les Saint-Clair vendirent ce qu'ils avaient encore à Neuville vers 181.., et allèrent habiter Granval, puis Gacé où le dernier de la famille est mort sans postérité.

11 nous semble à peu près certain que les diverses branches de la famille de Saint-Clair ont habité à Neuville-sur-Touques les modestes demeures de la Cauchinière et des Moulins.

VIII

Bien d'autres familles importantes sans être d'une noblesse certaine, ont habité Neuville aux deux derniers siècles ; nous nous contenterons d'en citer quelques-unes, puis nous nous étendrons un peu plus sur deux autres, dont l'une habite encore Neuville , et l'autre qui l'a quitté depuis peu, y possède encore de vastes propriétés.

Citons parmi les premières : — Les de la Porte, qui habitaient l'Auberdière dès 1630 ; un de ses membres fut notaire à Saint-Pierre-la-Rivière. — Les de Longlay. — Les de Grieu. — Les de Boutron, qui habitaient les Burets. — Les de la Fosse. — Les Douëzi, anoblis sous Louis XII. — Les de la Ville,


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1630-1680.— Les de la Couture 1600-1800. — Les Gravelle, famille importante et très ancienne à Neuville et de là à Roiville. Les Gravelle avaient des titres des sieuries de la Chesnaye, du Chauvin, de Grandmond et de la Landonnière. Plusieurs furent prêtres, dont un fut curé de Neuville. Un autre fut officier en la Grande-Fauconnerie du Roi. N. Gravelle, sieur du Chauvin, épousa demoiselle Le Blanc de Folval, dont la fille GenevièveAngélique Le Blanc de Folval épousa Jacques - Léonor de Choisne, — Les Bassière, qui possédaient la Germanière, et qui se qualifiaient sieurs de la Germanière et des Isles. — Les Alexandre des Saulx, une des plus anciennes familles de Neuville, mais qui l'a quitté vers 1860 ; elle habitait la Grégère, où elle faisait fabriquer de la Toile. — Les Aubrée, sieurs du Plessis et de l'Aunoy en 1640. Cette famille a quitté Neuville pour aller habiter la ville de Rouen.

FAMILLE CHOISNE (Alias LE CHOISNE).

La famille Choisne ou Le Choisne est une des plus importantes de Neuville surtout au sujet du nombre de ses branches. Il ne nous appartient pas de décider, si toutes sont sorties de la même souche, mais cependant nous le croyons. On a vu cidessus Jehan Choisne, porté au rôle de l'arrière-ban en 1562, il était seigneur des Moulins. D'autres se disaient sieur de la Jaunière ; en effet nous trouvons à la date du 6 octobre 1642, honorable homme Charles Le Choisne, sieur de la Jaunière. — En 1682, Jacques Le Choisne, sieur de la Jaunière, qui fut parrain à Neuville d'une demoiselle de Saint-Clair. — Le 14 novembre 1682, Jacques Choisne, sieur de la Jaunière, fut parrain à Neuville avec Anne Douëzi, épouse de M. de SaintClair. En 1687, Pierre Bruneaux, fut écrasé sous la roue d'un moulin à tan, appartenant à M. de la Jaunière, situé paroisse de Chaumont. L'année suivante, le dimanche 28 avril, un autre individu nommé Pierre Joreaux, fut également écrasé sous la roue du moulin à tan de M. de la Jaunière.

Le 1er septembre 1704, est parrain à Neuville, Jacques Le Choisne, écuyer, sieur de la Jaunière, Conseiller du Roi en l'élection de Lisieux. Il mourut à Neuville, le 12 avril 1716, âgé de 83 ans. 11 faut voir probablement son fils en la personne de


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Jacques-Léonor de Choisne, sieur de Tercey, né en 1675, qui épousa le 12 mars 1701, Julie Letellier, fille unique de Jacques Le Tellier, seigneur de Triqueville, du Grand et du Petit-Val, et de Barbe Baillard, de la paroisse de Triqueville. Cette dame apporta à son mari la terre de Triqueville, dont il prit le nom, et que ses descendants ont conservé depuis. Jacques-Léonor de Choisne, écuyer, sieur de Tercey, d'après une note qui est entre nos mains, fut maintenu dans sa noblesse, par Lettres-Patentes, sur arrêt en Conseil d'Etat, le 11 juillet 1719. D'après deMagny, N. Le Choisne, sieur de Torcy, gendarme de la garde de Sa Majesté, n'aurait pas été maintenu dans sa noblesse ; mais seulement anobli le 6 juillet 1719.

Il laissa entre-autres enfants, Jacques-Léonor de Choisne de Triqueville, écuyer, garde du corps du Roi Louis XV, seigneur de Grand-Val et Petit-Val, de TriqueA'ille, de Neuville-surTouques en partie et autres lieux. Il épousa le 5 février 1744, Geneviève-Marie-Angélique Le Blanc de Folval, fille de MichelLuc Le Blanc, sieur de Folval, et de Geneviève Gravelle du Chauvin. De ce mariage naquit Frédéric-Auguste de Choisne de Triqueville, qui devint propriétaire du domaine de Neuville. De son mariage avec Hélène-Victoire-Félicité de Mallevoue d'Aulnay naquirent quatre enfants :

1° Hélène-Cécile de Choisne de Triqueville, née en 1782 ; elle épousa en premières noces, le 26 mai 1812, Jean-Achille de la Mariouze de Montbray, propriétaire à Montabard; et en secondes noces, Jacques Le Châtelain de Crécy ;

• 2° Gabriel de Choisne de Triqueville, né à Neuville, le 12 janvier 1789, décédé dans cette même commune, sans avoir été marié, le 9 août 1844 ;

3° Antoinette de Choisne de Triqueville, née en 1792 ; elle épousa le 29 avril 1812, Bernard-Nicolas Neveu de Champrel ;

4° Léopold-Eliacim de Choisne de Triqueville, né à Neuville, le 21 janvier 1797. Il avait épousé vers 1828, demoiselle Anne de Jupilles qui l'a rendu père d'un grand nombre d'enfants. L'un d'eux M. Ferdinand-Marie-Louis-Antoine de Choisne de Triqueville, habite actuellement Neuville-sur-Touques dans sa villa de Marencourt.

A la mort de Frédéric-Auguste de Choisne de Triqueville, ses


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biens furent partagés entre ses quatre enfants, l'aîné des fils Gabriel eut le château (1) de Neuville ou autrement dit de la Jaunière ; celui-ci étant mort le 9 août 1844, l'ancienne demeure de la famille de Triqueville, passa à M, de Saint-Agnan par sa femme, Léocadie-Esther de la Mariouze de Montbray. Madame de Saint-Agnan étant morte sans laisser de postérité, la terre de Neuville a passé à sa soeur, Adolphine-Eléonore de la Mariouze de Montbray, mariée au baron de Laval de qui elle n'a pas d'enfants : ils habitent le château de Raveton à Montabard.

D'autres branches de la famille Choisne ou Le Choisne, se disaient les uns sieurs des Hauts-Prés ; les autres sieurs des Longs-Prés. Nous trouvons les premiers à Neuville dès 1622 ; plusieurs furent maîtres de forge, soit à Chaumont ou à Orville. Quant aux seconds, nous ne les trouvons que rarement ; l'un deux, Jean Le Choisne, sieur des Longs-Prés, qui avait épousé Anne de Saint-Martin, mourut à Neuville en 1725, âgé de près de 90 ans.

On trouve encore à Neuville plusieurs membres de la famille Choisne, qui sont honorablement connus ; qu'il nous soit permis ici de remercier particulièrement l'un d'eux, M. Gustave Choisne, qui nous a procuré avec une amabilité et un désintéressement digne de tout éloge, une partie des notes qui ont servi à rédiger ce travail.

FAMILLE BURGAULT OU DE BURGAULT

Cette famille vint s'établir à Neuville après l'an 1685, dans le domaine de la Germanière qu'elle avait acquis des Bassière, sieurs du dit lieu.

Le premier que nous trouvons à Neuville, est Anthoine Burgault, maître d'hôtel de Monseigneur de Lisieux ; il avait épousé Marie Lecomte dont il eut :

Jacques-Anthoine Burgault, sieur de la Germanière, avocat au Conseil, officier de S. A. Royale Madame la duchesse d'Orléans. Ayant épousé le 20 mars 1714, demoiselle Anne Sauvalle, il en eut :

(1) Nous en parlerons au chapitre consacré aux monuments civils de Neuville.


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1° Jacques-Thomas Burgault, baptisé le 17 mars 1722 ; 2° César Burgault, né le 11 janvier 1734.

Un Jacques Burgault de la Germanière, qui avait épousé Marie Guiton en eut :

Le 1762, Anne-Jacques-Athanase de Burgault,

capitaine des gardes avant la Révolution ; après avoir émigré, il fit partie de la division du Pays-d'Auge sous Picot et Le Prévost de La Moissounière. De son mariage avec N. de Gyémare, il eut :

Marie-Auguste de Burgault, qui allié à Marie-Emilien né de Mire en eut :

Emilien-Auguste de Burgault, né à Neuville-sur-Touques, le 16 janvier 1839, décédé dans la même commune le 4 septembre 1887. De son mariage avec Octavie Leponé, sont nés deux enfants :

1° Joseph-Marie de Burgault, né en 1870, qui a épousé en 1872, Marthe-Marie-Philomène Deschamps de Bois-Hébert ; 2° Marie-Émilienne de Burgault, religieuse à Argentan.

La famille de Burgault de la Germanière a rendu de réels services à la commune de Neuville ; comme nous l'avons vu plus haut l'un de ses membres fut curé de cette paroisse avant la Révolution ; trois autres en ont été maires depuis ; et pourraiton dire le nombre des malheureux qu'a soulagés son inépuisable charité !

Avant de terminer ce chapitre, nous devons citer encore plusieurs familles qui ont habité Neuville-sur-Touques ou qui y ont possédé de grands biens.

Louys Bouchard, écuyer, sieur du Haut-Manoir est cité en 1622 ; il avait épousé Françoise d'Orvjlle.

Gilles Bouchard, écuyer, seigneur du Val-Courgeon et des lieux de Monfort et de la Varende, cité de 1562 à 1610. Il laissa deux filles dont l'une Catherine, fut mariée à noble homme Guillaume de la Pallu ; et l'autre Marguerite, à Jacques de Vigan, écuyer, sieur de la Boulaye. La famille Bouchard ou de Bouchard quitta Neuville vers 1610 pour aller habiter le Sap, au manoir de la Saussaye ; elle portait : d'argent à la bande d'azur chargée de trois annelets d'or, et au milieu de chacun un bezan du même, au chef d'azur.


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Les de Gruel n'ont probablement pas habité Neuville dont ils prenaient le titre. Nous trouvons de 1517 à 1562, noble homme Jehan Gruël, advocat sieur de Neuville ; puis noble homme André Gruël, curé de Chaumont, seigneur de Neuville, qui mourut en 1629.

Le 7 février 1609, noble homme Jehan Gruël, de la paroisse de Chaumont, fait bail à ferme à Germain Touroude, de sa métairie de la Jaunière, située à Neuville-sur-Touques.

Les de Gruël portaient : d'azur à trois grues d'argent 2 et 1.

La seigneurie de Neuville devait être divisée en plusieurs parties dans la deuxième moitié du xvme siècle, comme on le voit par la pièce suivante : « Par devant Jacques Girette, « seul notaire garde notes pour le roy héréditaire aux baillages « d'Exmes et d'Argentan, pour le siège de Vimoutiers, « Regnouard et autres paroisses qui en dépendent. Du tren« tième jour de juillet 1764, à Vimoutiers en l'étude devant « midi , fut présent le sieur Jacques Henneval, laboureur, « demeurant en la paroisse de Canapville, de laquelle réqui« sition de Messire Lézard de Vaumesle, escuyer , sieur « d'Enneval, iseigneur en partie de Lisores, la Fontaine, Pape « rotte, Grennes et autres lieux et autres terres et seigneuries, « ayant épousé noble dame Marie-Anne de Grieu, fille « héritière en partie de Messire-François-Charles de Grieu, « écuyer, seigneur de la Fontaine, Paperolte, Grennes, de « Neuville-sur-Touques en partie, et de noble dame Marie« Anne de Gislain demeurant en sa terre de la Gosselinaye, « paroisse de Vimouliers, être envers lui à cause de la dame « son épouse, et envers Messire Charles Perrier, seigneur de la <■'. Genevraye, ayant épousé noble dame Marie-Elisabeth, fille « héritière en partie du dit sieur de Grieu et de dame Gislain. »

En 1768, la famille Le Filleul était en possession de la seigneurie de Neuville, ou du moins en partie, comme on va le voir par ce qui va suivre : « Le 6 août 1768, la nomination à la « cure de N.-D. de la Chapelle-Gautier, appartenant auseigneur « du lieu, Messire-Alexandre-François-Marie Le Filleul, che« valier, marquis de Montreuil, seigneur et patron de la Cha« pelle-Gautier, Saint-Jean-duThennay , Saint-Laurent-des« Grèz, Neuville-sur-Touques et autres lieux, officier sous-aide « major au régiment des gardes françaises, demeurant à Paris,


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« rue Sainte-Apolline, paroisse Saint-Laurent, nommé à la dite « cure, etc. » (1)

IX

Dans la vallée de la Touques, sur la rive droite de cette rivière, en face du manoir de la Germanière. au milieu d'un vaste herbage nommé les Mottes, se trouve en effet une énorme motte qui a servi de piédestal à une de nos anciennes forteresses féodales, Cette motte de forme circulaire qui mesure au moins 105 mètres de circonférence, et environ 4 mètres d'élévation, était entourée de plusieurs enceintes de fossés, dont il est encore facile de reconnaître les traces.

L'histoire comme la légende sont absolument muettes, sur ce que fut cette ancienne forteresse ; ni l'une ni l'autre n'a pas plus conservé les noms de ceux qui l'ont élevée que de ceux qui l'ont détruite. (2) '

Le Bas-Manoir est situé en pleine vallée, entre la rivière la Touques et la voie ferrée de Sainte-Gauburge à Mesnil-Mauger, qui n'en passe qu'à quelques mètres. C'est une construction de forme rectangulaire , dont la façade est tournée au midi. La partie orientale était anciennement occupée par une chapelle, qui est actuellement coupée dans son élévation par un plancher. De la partie inférieure on en a fait une cuisine de ferme ; la partie supérieure qui se trouve sous les combles, a été convertie en grenier, dans lequel on remarque encore les entraits et les poinçons de la charpente ; puis la voûte ogivale étoilée d'or, sur fond d'azur, construite en merrain avec couvre-joints. Les sablières en encorbellement indiquent suffisamment que cette charpente appartient au xve ou au xvie siècle. Sur l'enduit des murs sont des peintures à fresques, ornées de nombreux personnages.

Dans une des salles du rez-de-chaussée, on remarque une belle cheminée de style grec, ornée de peintures ocrées jaune et rouge avec figures. Ce sont surtout deux tètes de femmes aux

(1) Abbé Piel. Insinuations ecclésiastiques du diocèse de Lisieux, registre XXXII.

(2) D'après une noie communiquée par M. Louis de Neuville de SaintMichel-de-Livet, Roger de Bois-Bénard, sieur de Neuville-sur-Touques, aurait rendu aveu en 1404 du fief de la Motte et de plusieurs autres terres.


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longs cheveux frisés qui méritent de fixer l'attention ; elles doivent remonter au siècle de Louis xiv.

On dit à Neuville «[ue le Bas-Manoir appartenait vers le xvie siècle, à une princesse d'Auvergne ; mais nous n'avons pu nous procurer aucuns documents à cet égard.

Le château de Neuville-sur-Touques ou autrement dit de la Jaunière. a dû être construit dans la première moitié du XVIII" siècle, par les soins de Léonor de Choisne. C'était une vaste construction de forme rectangulaire, dont la façade principale tournée au midi, présentait à son centre un léger avancement, surmonté d'un fronton triangulaire. A chaque extrémité se trouvait une aile en forme de pavillon qui formait une assez forte saillie.

L'élévation se composait du rez-de-chaussée, d'un étage et des combles.

Le vestibule était surtout remarquable, ainsi que la salle à manger toute lambrissée en vieux chêne.

Au midi se trouvait la cour d'honneur flanquée de deux magnifiques colombiers. La façade nord donnait sur un spacieux jardin légumier. Des quatres façades du château partaient des lignes droites ou avenues bordées d'arbres de différentes essences. Aux alentours s'élevaient des futaies centenaires.

Depuis 1844, la plus grande partie de ces plantations a disparu, le château môme n'a pu trouver grâce, car en 1859, on a abattu toute la partie occidentale, y compris le fronton central, de sorte qu'il ne reste plus guère que le pavillon oriental.

Le manoir de la Germanière, est situé entre la rivière de Touques et le ruisseau de Chaumont presque à leur confluent et à bien peu de distance de la route de Lisieux à Gacé. C'est une construction très modeste, qui possède quelques fragments de l'architecture de la. fin du xve siècle.

On remarque surtout une fenêtre de cette époque qui esl protégée par une grille annelée.

Deux autres demeures conservent encore des vestiges des temps passés ; une nommée la Cauchinière n'est pas habitée ; l'autre située au lieu dit les Moulins est presque entièrement modernisée.

Saint-Aubin-de-Bonneval, ce 12 novembre 1895.

A. DALLET


BIBLIOGRAPHIE BU DÉPARTEMENT DE L'ORNE

PENDANT L'ANNÉE 1895

La Bibliographie n'est pas la science ; mais elle est le vestibule piir où il faut nécessairement passer pour arriver à la science.

DOM PIOLIX.

ALMANACH DE LA CROIX DE L'ORNE. Jn-18, 160 p. Fiers, Imprimerie Catholique.

ALMANACH DE L'ESPÉRANCE, organe de l'OEuvre expiatoire pour 1896. Grand in-8°, 96 p. La Chapelle-Montligeon, imprimerie de l'OEuvre expiatoire.

ALMANACH DE LA FERME, DU POIRÉ ET DU CIDRE. In-12, 240 p., au bureau de la Revue Le Cidre, 15, rue Lebrun, à Paris (Gobelins).

ALMANACH DE L'ORNE. In-16, 160 p. avec grav. Alençon, Renaut-De Broise.

ANNUAIRE DE L'ORNE pour l'année 1895. In-12, 620 p. Alençon, Guy.

ANNUAIRE des cinq départements de la Normandie, publié par l'Association normande pour les progrès de l'agriculture, de l'industrie, des sciences et des arts. 62e Congrès, session de 1894 tenue à Alençon du mercredi 25 au dimanche 29 juillet 1894. In-8°, LXXXVII-379 p. Caen, Delesques.

ANNUAIRE du Comice agricole de l'arrondissement d'Alençon. In-8°, 68 p. Alençon, Renaut-De Broise.

ANNUAIRE administratif, statistique, industriel et commercial


— 344 —

d'Argentan et de son arrondissement pour 1895. In -8°, 122XXV p. Imp. du Journa.1 de l'Orne.

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— L'église Saint-Germain et la sépulture seigneuriale. Bulletin de la Société historique de l'Orne.

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ARTHEZ (Danielle D').

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ASSOCIATION AMICALE des anciens élèves de Sainte-Marie de Tinchebray (Bulletin de V). In-8°, 80 p. Tinchebray, Imprimerie commerciale.

BADER (Clarisse).

— Les Princes d'Orléans à la Trappe en 1188. Journal de voyage du duc de Montpensier (inédit), publié par Clarisse Bader. In-8°, 24 p. La Chapelle-Montligeon.

BARRABÉ (A.).

• — De la cure des phlébites par les eaux minero-thermales de Bagnoles-de-l'Orne. In-18, 55 p. Domfront, Gaigé.

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Documents sur la Province du Perche, nos 14 à 25.

— La Fondation du Collège de Sées et son administration jusqu'à la Révolution. In-8°, 38 p. Alençon, Renaut-De Broise.

Bull, de la Soc. hist. de l'Orne. — V. H. BEAUDOUIN.


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BARBET (abbé) et Louis DUVAL.

— Intermèdes de la séance tenue à Fiers par la Société historique de l'Orne.

Revue normande et percheronne.

BEAUDOUIN (Edouard), professeur agrégé à la Faculté de Droit de Grenoble.

—• Articles critiques sur les ouvrages suivants :

Guiraud : La propriété foncière en Grèce jusqu'à la conquête romaine. Revue des questions historiques. Gsell : Le règne du Domitien. Revue historique de Droit. Boissier : L'Afrique romaine. Bulletin critique.

Victor Duruy (Étude historique). Revue historique de Droit.

BEAUDOUIN (Henri).

— Articles de bibliographie. Bull, de la Soc. hisl. de l'Orne.

BEAUDOUIN (Henri) et abbé P. BARRET.

— Bibliographie du département de l'Orne pendant l'année 189k.

Même revue.

BEAUREPAIRE (Eugène DE ROBILLARD DE), directeur de l'Association normande.

— Visite au domaine de Bois-Roussel. Annuaire normand.

BELARD (P.).

— Inventaire des titres, papiers et enseignements concernant la cure d'Alençon en 1720. Publié par la Société historique et archéologique de l'Orne. In-8, 278 p. et portrait. Alençon, Renaut-De Broise.

BERNIER (P. D.), docteur ès-lettres, prêtre de Sainte-Marie de Tinchebray.


— 346 —

— L. Annoei Senecoe ad Lucilium epistoloe morales. 1-XVI, avec introduction, arguments analytiques et notes grammaticales, historiques et philosophiques. Grand in-18, 115 p. Paris, Poussielgue.

— Voix de tombes normandes. Almanach de l'Espérance.

— Souvenirs d'un confesseur de la loi : Jacques-François Garnier, déporté à la Guyane (1797-1800/, mort curé du MesnilCiboult (Orne).

Même publication.

BERTHOUT (Léon).

— Avisions et. apparitions en Bretagne et en Normandie. Revue norm. et perch.

BEUDIN (abhé).

— Articles dans la « Croix de l'Orne ».

BIGOT, professeur de géologique à la Faculté des Sciences de Caen.

— Observations à la note de M. Letellier sur la Constitution géologique de l'arrondissement d'Alençon. In-8°, 15 p. Caen, E. Lanier.

— Les organismes du Précambrien. Fossiles trouvés à Rouperroux.

Bulletin de la Société Linnéenne de Normandie.

BISSON (Alexandre).

— Un lycée de jeunes filles. Vaudeville-opérette en trois actes et quatre tableaux. In-16, 89 p. Paris, librairie Gregh.

BISSON (Alexandre) et Fabrice CARRÉ.

— Monsieur le Directeur. Comédie en trois actes. In-18 Jésus 199 p. Paris, Tresse et Stock.

BISSON (A.) et SYLVANE.

— Un coup de tête. Comédie en 3 actes. In-18 Jésus, 162 p. Paris, Tresse et Stock.

— Disparu ! Vaudeville en 3 actes joué au Théâtre du Gymnase, à Paris.


— 347 —

BOUCHET DE BARBUTS (abbé), aumônier de l'Orphelinat de Soligny-la-Trappe.

— Vie mortelle du Christ, vengée des attaques de feu Renan, In-8°, 104 p. Paris, Téqui.

BOUQUEREL (abbé), directeur de la Croix de l'Orne, à Fiers.

— Nombreux articles dans la « Croix de l'Orne ». BOULET (M"e L.).

— Au bord de la mer. Mélodie pour voix de mezzo-soprano, paroles et musique avec accompagnement de piano. Paris.

— Hymne à l'espérance. Mélodie pour mezzo-soprano, etc.

— Le Papillon. Bluette.

— Ma Muse. Mélodie.

BOURDON, inspecteur général de l'Université.

— Éléments d'Algèbre. 18e édit. revue et annotée par M. E. Prouhet, professeur à l'École polytechnique. In-8°, XII-657 p. avec fig. Paris, Gauthier-Villars.

BRÉBISSON (R. DE).

— Le Kaolin des environs d'Alençon. Annuaire normand.

BROC (vicomte DE).

— La Vie en France sous le premier Empire. In-8°, 528 p. Paris, Pion et Nourrit.

— La Révocation de l'Édit de Nantes jugée par les Contemporains.

La Quinzaine.

BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ DES ANTIQUAIRES DE NORMANDIE. T. 16. Année 1895. In-8°, 529 p. Caen, Delesques.

BUREL (abbé), curé de la Lande-Patry.

— L'Église de la Lande-Patry. Bull de la Soc. hist. de l'Orne.

CALENDRIER DU DIOCÈSE DE SÉES, à l'usage des fidèles, pour l'année 1895. In-32, 64 p. Sées, Montauzé.

CARLEZ (J.).


— 348 —

— Catel. Étude biographique et Critique. In-8°, 39 p. Caen, Delesques.

CENSIER (D'j.

— Études sur Bagnoles-de-l'Orne. In-12, 200 p. Clermont (Oise), Daix.

CÉRÉMONIAL du Couronnement de Notre-Dame de l'Immaculée-Conception à Séez (11 juin 1895). In-8", VUI-32 p. Paris, Poussielgue.

CHALLEMEL (Wilfrid).

— Nouvelles artistiques et littéraires. Revue norm. et percli.

— Le Logis de l'Orsonnière. Poésie. Bull, de la Soc. liisl. de l'Orne.

CHAPLIN (C).

— La Leçon de lecture, d'après un tableau de C. Chaplin. Supplément à la Revue Maine, n° 7. Tours, A. Marne.

CHARAVAY (Etienne).

— Le général Alexis Le Veneur. Le héros de Namur et le maître de Hoche (17'J6-1833). In-8°, 115 p., avec autographe. Paris, Imp. Nationale.

CHARENCEY (C,e DE).

— Recherches lexicographiques sur la langue basque. In-8, 12 p. Chartres, Durand.

— Nouvelles artistiques et littéraires. Reçue norm. et percli.

— Étymologies orientales de quelques termes du vocabulaire basque.

Mémoires de l'Acad. nat. des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Caen.

— Histoire de l'abbaye de la Grande-Trappe. Documents sur la Province du Perche. CHARPENTIER.

Voir RENAUDIN. CHARTIER (Charles). Voir MÉROUVEL.


— 349 —

CHENU (abbé H.), curé de Saint-Évroult-N.-D.-des-Bois.

— Petite notice sur l'archiconfrérie de la. Charité perpétuelle érigée dans la chapelle de Saint-Évroult-N -D.-desBois (Orne). In-12, 10 p. Fiers, Imp. Catholique.

CHEVALIEB (A.), étudiant à Caen, originaire de Domfront.

— Herborisations aux environs d'Argentan en 1895. Bull, de la Soc. Linn. de Norm. et tirage à part. Caen, E. Lanier.

— Quelques plantes nouvelles pour la Normandie. Même revue et tirage à part. Caen, E. Lanier.

— Louis Blanchetière, sa vie, son oeuvre. Placard in-fol. Extrait du Journal de Domfront. CHÉGUILLAUME.

— De près. Poésie. Bévue norm. et perch. CHENNEVIÈRES (Henri de).

— Courrier de Lourdes. La Quinzaine. CHOLLET (Albert).

— Chauffour-sous-Exmes. Bull, de la Soc. hist. de l'Orne.

COMPTE-RENDU DES CONFÉRENCES ECCLÉSIASTIQUES DE L'ANNÉE 1894. In-8°, 86 p. Sées, Leguernay-Montauzé.

CONSEIL GÉNÉRAL DE L'ORNE; session d'août 1895. In-8°, 450-250 p. Alençon, Guy.

CONTADES (comte G. de)

— Emigrés et Chouans. In-18 jésus, 380 p. Paris, Perrin.

— Les Gentilshommes poètes de l'armée de Condé.

Le Correspondant.

— Fiers, souvenir littéraire. Tirage à part du Compte-rendu des travaux de la Société historique et archéologique de l'Orne pendantl'année 1894-95. In-8°, 16 p. Alençon, Renaut-De Broise.

— Armand de Châteaubriant. La Quinzaine.

24.


— 350 —

CORBIÈRE (Louis), professeur de sciences naturelles au lycée de Cherbourg.

— Additions et rectifications à la Nouvelle Flore de Normandie. ln-8°, 40 p. Caen, Lanier.

Extrait du Bull, de la Soc. Linn. de Norm.

— Le Desmatodon Gasilieni et. les Poltia du littoral. Revue bryologique.

COURTIN (René).

— Histoire du Perche, publiée et annotée par le Ve de Romanet ot M. Henri ïournoûer (voir ces noms).

Documents sur la Province du Perche.

COURVAL.

— Histoire du moyen-âge à l'usage de la jeunesse, 15e édition. In-16, 475 p. Paris, Poussielgue.

— Histoire moderne, 11e édition. In-16, 493 p. Paris, Poussielgue.

CROisÉ (Paul), secrétaire-adjoint de la Société d'Horticulture de l'Orne.

— Rapport sur l'Exposition d'Horticulture d'Angers. Bulletin de la Société d'Horticulture de l'Orne, 1er semestre.

— Rapport sur la visite faite aux vignes de la Chine et du Japon cultivées chez M. Caplat, à Dainigny (Orne).

Même revue, 2e semestre.

— Rapport, sur le Concours pomologique de Laval. Même revue, 2e semestre.

DALLET (A.)

— Trois jours à travers les plaines du pays d'Ouche. Communication faite à la Société libre d'agriculture de l'Eure.

Le Brionnais, 10 novembre 1895.

— La H&lboudi'ere.

Bull, de la. Soc. hist. de l'Orne.

DÉDICACE (La), 30 août 1895. In-8°, 8 p. Impr. de la GrandeTrappe.

DELAPORTE (P.-V.) S.-J.


— 351 —

Un patron chrétien et apôtre. Alfred du Tilleul (d'Armentières). In-8°, 64 p. Paris, Retaux. Extrait des Etudes des Jésuites.

— De l'enseignement de la philosophie dans les collèges catholiques. In-8°, 12 p. Paris, Levé.

— Extraits d'auteurs français prescrits pour les classes de 3e, seconde et rhétorique. In-18 jésus, 314 p. Tours, Marne.

— Gresset, l'homme, le poète. Eludes et notes inédites, à propos d'un ouvrage récent.

Etudes religieuses des Jésuites.

— Lacordaire, par le Cle d'Haussonville. Même revue, partie bibliographique.

— L'Alouette, par Félix Brun. Même revue.

— Jeanne d'Arc à Rouen, par L. Picherit. Même revue, partie bibliographique.

— Du Guesclin dans la poésie, au théâtre. A propos de Messire du Guesclin.

Même revue.

DÉMISSION (La) DE M. ALBERT CHRISTOPHE. In-8°, 32 p. La Ferté-Macé, H. Fenard.

DESPIERRES (Mme Gerasime).

— Les Gabriel. Recherches sur les origines provinciales de ces architectes. Mémoire lu à laréuniondes Sociétés des beauxarts des départements le 18 avril 1895. In-8°, 54 p., 3 planches. Paris, Pion et Nourrit.

DESVAUX (Abbé Albert).

— Excursion arcliéologique k Saint-Céneri-le-Géret (Orne). In-8°, 33 p. Caen, Delesques.

Extrait de l'Annuaire normand.

DEUX (Les) COLLÈGES ECCLÉSIASTIQUES DE TINCHEBRAY. Discours prononcé le jeudi 16 juillet 1895 par un élèAre de philosophie, à la distribution des prix de l'Institution Sainte-Marie. ln-8°, 23 p. Tinchebray, imprimerie commerciale.


— 352 —

DUBOS (Adrien), architecte.

— Félix Ruault, architecte. Notice sur ses études, sa vie et ses travaux. Lecture faite à la Société des Architectes de l'Anjou le 4 avril 1896. Grand in-8°. 7 p. Angers, Lachèse.

Du HAYS (C.)

— Dictionnaire de la race pure, pour remonter à l'origine des chevaux et juments de pur sang anglais qui ont été intro-. duits en France, 2e édition. In-8°, 500 p. Alençon, Herpin. Paris, 11, rue du Faubourg-Montmartre.

— Notre Saint-Germain. Récits du coin du feu. In-12, 40 p. Alençon, Herpin.

DUMAINE (L.), Curé-Archiprêtre de la cathédrale de Séez, directeur de l'archiconfrérie de N.-D. des Champs.

— La Vie aux Champs. ln-8°, 69 p. Imp. de Montligeon.

— Eugène-Auguste-Rodolphe de Willermin [Éloge funèbre de). In-8°, 16 p. Sées, Ve Leguernez-Montauzé.

DUPONT (abbé).

— Géographie physique, historique, ethnographique, politique et économique de l'Europe. Cours supérieur, 3e édition, revue et mise à jour. In-18jésus, VIII-280 p. Paris, Poussielgue.

DUPONT (A.), curé de Montmerrey.

— Vie abrégée d'un saint de chaquemois. Annales de l'Archiconfrérie de N.-D. des Champs.

— Géographie entomologique. L'Ami des Sciences naturelles.

DURANDIÈRES (A. de la).

— Note sur un gisement d'ostrélite à St-Barthélemy (Orne).

Bull, de la Société française de Minéralogie.

DUVAL (Louis), Archiviste du département de l'Orne.

— Inventaire sommaire des Archives du département de l'Orne antérieures à 1789. Série H. Tome 2, XCII-265p. Paris, Imp. nationale.

— Rapport sur les Archives de l'Orne. In-8°, 14 p. Alençon, Guy.

Extrait des Rapports présentés au Conseil général.


— 353 —

— Guitton de Surosne, principal du collège d'Argentan, an XIII-1816, 1823-1830.

Annuaire d'Argentan.

— Un historien de la, Vendée militaire. Léon de la Sicotière. In-8°, 18 p. et portrait. Vannes, Lafolye.

Extrait de la Revue du Bas-Poitou.

— Colons Bas-Normands et Créoles de Saint-Domingue. Bull, de la Soc. hist. de l'Orne.

— Phénomènes météorologiques et variations atmosphériques.

Même revue.

— Nombreux articles dans la Revue Normande et Percheronne illustrée :

Les premiers paratonnerres érigés en Normandie. — Le Grand Chapelet de Saint-Léonard-des-Bois. — Le Croup en Normandie. — Louis Blanchetière. — Une ancienne industrie Alençonnaise (Les chapeaux de paille d'Italie). — La Médecine populaire dans l'Orne, ses origines. — Portraits divers de Mme de Guise, duchesse d'Alençon. — Les deux dames de Joyeuse. — L'apothéose et la chute du Père Duchêne. — Le Chien Moustache. — Trois colons de Saint-Domingue : Dureau de la Malle et Martin des Pallières. — Nouvelles artistiques et littéraires (4 articles). — Les incendies du Bocage Normand en 1836. — Les discours de distributions de prix. — Arthur Legallois. — Les loges maçonniques d'Alençon. — La Normandie et le Perche à l'Institut.

Voir aussi abbé BARRET et René DE LA NOE.

EDOUARD D'ALENÇON (R.-P.) (LECORNEY François), Archiviste général des Frères Mineurs Capucins, à Rome.

— Correspondance de Rome, article mensuel dans les Annales franciscaines. Paris, Poussielgue.

— OEuvres de Saint-François-de-Sales, édition complète et définitive. T. VI. Annecy, 1895 (article bibliographique).

Analecta ecclesiastica. Janvier 1896.

— L'Apôtre de la T.-S. Trinité, le B. Diego Joseph de Cadix, de l'ordre des FF. Mineurs Capucins.

Bulletin de l'Ordre de la T. S. Trinité pour le rachat des captifs. Rome, décembre 1894-décembre 1895.


— 354 —

— Une supplique de Bossuet. La Vérité, 10 mai 1895.

— La Venerabile serva cil Dio Maria. Lorenza Longo, Cenno biograftco inedito, scritto prima del 1600 da.1 P. MattiaBellintani, da Salo capuccino, etc. In-8°, 30 p.Napoli-Roma, Andréa e Sal. Festa.

EDOM, recteur honoraire.

— Précis d'histoire sainte, accompagne d'explications à l'usage de la jeunesse. Depuis la Création du monde jusqu'à la Naissance de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Nouvelle édition, ornée de jolies vignettes sur bois, ln-32, 216 p. Ploermel, procure principale des Frères de l'instruction chrétienne.

ENGERAND (Fernand).

— Oriens, poésies de Ch. Florentin Loriot (article bibliographique).

La Quinzaine.

— Confession d'un Révolutionnaire. Interview du Montagnard Vadier sur les causes et les faits de la Révolution.

Même revue.

EPJNETTE (Th.), secrétaire-adjoint de la Société d'Horticulture de l'Orne.

— Rapport sur l'Exposition d'Horticulture d'Yvetot. Bull, de la Soc. d'Hort. de l'Orne, 2e semestre.

— Rapport sur l'Exposition d'Horticulture de Caen. Même revue, 2° semestre.

FERRAND (abbé P.)

— Manuel de l'archiconfrèrie de Notre-Dame des Victoires, précédé d'une biographie de M. des Genettes. Nouvelle édition, revue par M. Chevojon, curé de Notre-Dame des Victoires. In-18 XLVI-344 p. avec gravures. Paris, au bureau de l'archiconfrèrie de Notre-Dame des Victoires.

FLEURV (Gabriel).

— Les Confréries de Charité à Mortagne. Bull, de la Soc. Iiisl. de l'Orne.


— 355 —

FLORENTIN LORIOT (Charles).

— Calvaire près des Flots, sonnet. La Quinzaine.

— Fouilles à Saint-Sulpice (Haute-Vienne). Courrier du Centre, du 5 novembre 1895.

— En souvenir de Madame Gérasime Despierres. In-4°, 8 p. Alençon, Herpin.

— Pitié de la Dame. Poésie. Revue norm. et perch.

— Faut-il ramener un édifice à l'état primitif. Même revue.

— Consommatum est. Poésie. In-8°, 12 p. Alençon, RenautDe Broise.

Extrait du Bull, de la Soc. hist. de l'Orne.

—• Louis Blanchetière.

Même revue.

FOUCAULT (Eugène), de Fiers.

— Le Polissoir de Saint-Cyr du Bailleul. Bévue normande et percheronne.

FRÉCOURT (abbé), Directeur de la Croix de l'Orne, à Fiers.

— Nombreux articles dans la Croix de l'Orne. FRET (abbé L.-J.)

— Les Avocats de Village, ou scène de moeurs percheronnes, par l'abbé L.-J. Fret. Revue et annotée par l'abbé A.-P. Gaulier, 2e édition. In-18, 90 p. La Chapelle-Montligeon, imp. de l'OEuvre expiatoire.

GADEAU DE KERVILLE (H.)

— Les Vieux arbres de la Normandie. Etude botanique et historique.

Extrait, du Bull, de la Soc. des Amis des Sciences naturelles de Bouen.

. GASTÉ (DE).

— Courses au trot et au galop pour chevaux de trois quarts sang. In-16, 19 p. Alençon, Renaut-De Broise.


— 356 —

GASTÉ, professeur à la faculté de Caen.

— Les Confréries laïques et ecclésiastiques établies avant la Révolution dans l'église Notre-Dame de Vire et particulièrement la confrérie dite de l'Angevine, d'après les manuscrits de Daniel Polinière, conservés à la bibliothèque de Vire. In-8° 16 p. Paris, Imp. nationale.

Extrait du Bull. hist. et phil. (1894).

— Correspondance de P.-D. Huet et du P. Martin. Revue catholique de Normandie (1895 et 1896).

GAULIER (A.-P.) Voir FRET (L.-J.). GERMAIN-LACOUR (J.)

— L'autre Armature. La Quinzaine.

— Le Grand Bazar de la Charité. Même revue.

GLOUVET (Jules DE). (Pseudonyme de QUESNAY DE BEAUREPAIRE).

— Les Trois Deniers du baron de Laigle.

Revue norm. et perch.

GOMOND (E.), secrétaire général de la Société d'Horticulture de l'Orne.

— Rapport sur l'Exposition qui a eu lieu à Alençon du 20 au 24 novembre 189à.

Bull, de la Soc. d'Hort. de l'Orne, 2' semestre.

GOURDEL (abbé), curé de Saint-Hilaire-de-BriOuze.

— Sainl-Hilaire-de-Briouze.

Bull, de la Soc. hist. de l'Orne (Voir le commencement aux années 1893 et 1894 de la même Revue).

GUÉRIN (René), aumônier des Sainte-Claire d'Alençon.

— Articles dans l'Indépendant de l'Orne.

GUIDE DE THÉRAPEUTIQUE GÉNÉRALE ET SPÉCIALE, par MM. Auvrard..... Desnos, etc., 2e édition, revue et corrigée. In-18 jésus, 719 p. Paris, Doin.


- 357 —

GUILLOUARD (L.), Professeur de droit civil à la Faculté de Caen.

— Traité du contrat de mariage, Liv. III. Titre. V du Code civil, 3e édition. T. II. In-8° 518 p. Paris, Pedone.

— Traité du contrat de mariage, Liv. III, Titre V du Codé civil, 3e édition. T. III. In-8°, 584 p. Paris, Pedone.

— Traité du nantissement et du droit de rétention, Liv. III, Titre XVII du Code civil. In-8°, VIII-496 p. Paris, Pedone.

HAREL (Paul).

— La Voix de la glèbe. Illustrations de Gaston Latouche, C. Morand, etc. In-8°, 155 p. Paris, libr. Lemerre.

— Le Vagabond. Poésie. La Quinzaine.

— A Ernest Millet. Poésie. Revue norm. et perch.

HAYS (Ernest).

— Deux pages d'album. Même revue.

HÉRIOT (abbé).

— Articles dans la Revue Gethséniani et le Monde dont M. Hériot était le directeur.

HERTRÉ (Pierre DE), (pseudonyme de M. Ch. VÉREL).

— Les Fêtes du Merlerault, pendant la Révolution. Annuaire de l'arrondissement d'Argentan, pour 1895.

— Annales Révolutionnaires du Merlerault. L'Avenir de l'Orne, juin et juillet 1895.

— Notes sur le Pape de Mort&gné. Id., octobre 1895.

— Chansons populaires de l'arrondissement d'Alençôri. Annuaire normand.

— Les Contes de ma Voisine ; l'abbé Martin. Revue norm. et perch.

HISTOIRE POPULAIRE ILLUSTRÉE DE L'ABBAYE DE MAISON-


— 358 —

DIEU (N.-D. de la Grande-Trappe), par un religieux de ce monastère. In-8°, 285 p. avec gravures. Poitiers, Oudin.

HUSNOT (T).

— Articles dans la Revue bryologique dont M. Husnot est le directeur.

— La Vipère et la Couleuvre.

La Croix de l'Orne.

— Communications diverses adressées à la Croix de l'Orne et au Journal d'Alençon.

LA JONQUIÈRE (marquis DE).

—■ La Propriété territoriale dans le Perche. La terre de Landres.

Bull, de la Soc. Iiist. de l'Orne.

— Le Chef d'Escadre Mis de la Jonquière, gouverneur général de la Nouvelle France et le Canada, de 1749 à 1152. In-12, 284~p., Paris, Garnier.

LA NOE (René DE), pseudonyme de M. Louis Duval.

— Les Annuaires de l'Orne. Revue norm. et percli.

LA SERVERIE (DE), pseudonyme de M. Le Neuf de Neufville.

— Intègre. Comédie en un acte. In-4°, 26p. Alençon, Herpin. Extrait de la même revue.

LA SICOTIÈRE (LÉON DE), sénateur de l'Orne.

— Histoire et Légende d'un livre, In-8° 14 p. et planches Caen, Delesques.

Extrait de Y Annuaire normand.

LEBOUCHER (J). pharmacien à Alençon.

— Catalogue des Mollusques testacés trouvés aux environs d'Alençon.

Même revue.

LECLÈRE (Adhémar),

— Contes Cambodgiens. Les deux Oies et la Tortue. Revue norm. et perc/i.


— 359 —

LECOEUR (E), pharmacien de ire classe, à Vimoutiers.

— Articles divers.

Le Cidre et le Poiré (Argentan).

LE COURTOIS DU MANOIR,

— Le Manoir de Canapville. In-8°, 16 p. Le Havre, imp. du Commerce.

LEFRANC (Abel), secrétaire du Collège de France.

— Les dernières poésies de Marguerite de Navarre avec portrait de Marguerite de Navarre d'après un crayon des collections de Chantilly. ln-8°, CXXV1I. 461 p. Paris, Armand Collin.

LEJARD (J.) ancien supérieur du Petit Séminaire de Sées.

— Le Conseiller de la jeunesse. Réflexions et Histoires. In-12, 340 p. Paris, Poussielgue.

— Nouveau traité de prosodie latine, contenant les règles de la quantité, de la versification, de l'accent tonique ; des notions sur l'histoire de la métrique ancienne, et des exercices prosodiques. 4e édition. In-18 Jésus, VIII. 200 p. Paris, Poussielgue.

— Flores sanctorum, seu de claris ecclesise viris. 2e édition. In-18, 198 p. Paris, Poussielgue.

LEMARQUANT (H).

— Articles divers dans la revue. Le Cidre et le Poiré (Argentan).

LEMÉE (E.), bibliothécaire de la Société d'Horticulture de l'Orne.

— Rapport sur le livre de M. Baltet : l'Horticulture dans les cinq parties du Monde. In-12, 20 p. Alençon, Renaut-De Broise.

Extrait du Bull, de la Soc. d'Hort. de l'Orne.

— Rapport sur l'Exposition d'Horticulture de Rennes. Bull, de la Soc. d'Hort. de l'Orne, 1er semestre.

— Rapport sur la visite du potager, du fleuriste et du parc du château de Vervaine par la commission des visites de la Société d'horticulture de l'Orne.

Même revue, 2e semestre.


— 360 —

LEMÉE-ROCHERON, horticulteur à Alençon.

— Rapport sur l'Exposition d'Horticulture de SaintPierre-sur-Dives.

Même revue, 2e semestre.

LE NEUF DE NEUFVILLE, ancien magistrat.

Voir DE LA SERVERIE.

LETACQ (abbé), aumônier des Petites-Soeurs des Pauvres à Alençon.

— Considérations sur la Géographie botanique de l'Orne. In-8°, 44 p. Caen, Delesques.

Extrait de l'Annuaire normand.

■— Notice sur la flore populaire des environs d'Alençon et de Carrouges (Orne). In-8°, 17 p. Caen, Delesques. Id., ibid.

— Matériaux pour servir à la faune des vertébrés du département de l'Orne. ln-8°, 66 p. Caen Delesques.

Id., ibid.

— Note sur la Belette Vison (Mustela lutreola L.) et sur ses stations dans le déjjartement de l'Orne.

Bull, de la Soc. Linn. de Norm.

— Note sur la découverte du lézard des souches [Lacerta stirpium Daud.) à Bagnoles et sur lès espèces du genre Lacerta observées dans le département de l'Orne.

Même revue.

— Les Ormes de Verneusses (Eure). L'Ami des Sciences naturelles.

— Le aliène du Tertre à Tellière-le-Plessis (Orne). Revue norm. et perc/i.

— Les Ifs de la Lande-Pa.try (Orne). In-8°, 10 p. Alençon, Renaut-De Broise.

Extrait du Bull, de la Soc. hist. de l'Orne.

— Note sur les conifères et les arbres exotiques cultivés à Bagnoles-de-l'Ome. In-12°, 24 p. Alençon, Renaut-De Broise.

Extrait du Bull, de la Soc d'Hort. de l'Orne.


- 361 —

— Curiosités végétales du département de l'Orne. (En voie de publication).

Même revue.

— Le Hanneton. — La Testacelle. Articles publiés dans l'Indépendant de l'Orne.

— Note sur la dispersion du Polypodium Phegopteris L.

aux environs de Domfront (Orne).

Le'Monde des Plantes, 1er décembre. Voir aussi BEAUDOUIN (Henri).

LETELLIER (conservateur du musée d'histoire naturelle d'Alençon.

— Constitution géologique de l'arrondissement d'Alençon. In-8°, 34 p. Caen, Delesques.

Extrait de l'Annuaire normand.

— Lettre à M. Bigot, professeur de géologie à la Faculté des Sciences de Caen. Réponse à ses observations à la note de M. Letellier sur la constitution géologique de l'arrondissement d'Alençon. In-8°. Alençon, Renaut-De Broise

— La Butte Chaumont. Revue norm. et percli.

— Le Sol d'Alençon. Même revue.

— Hache polie en diabase trouvée a Brianle. Bull, de la Soc. hist. de l'Orne.

LE VAVASSEUR (Gustave).

— L'abbé Souquet de la Tour. Même revue.

— Procès verbaux et résumés de travaux et d'enquêtes agricoles, industrielles, scientifiques, artistiques.

Annuaire normand.

■— Léon de la Sicotière, [trois articles nécrologiques).

Bull, de la Soc. hist. de l'Orne. — La Quinzaine. — Revue norm. et perch.

— Les Expositions : Exposition du Champ-de-Mars et du Salon des Champs-Elysées.

La Quinzaine.


— 362 —

— Causerie littéraire : Poètes Ornais et Percherons. Revue norm. et perch.

— Causerie. Même revue.

— Causerie littéraire. Même revue.

— Juillet (poésie). Même revue.

— Simon Pierre (poésie). Revue catholique de Normandie.

— Dans les Herbages. Feuilleton de l'Indépendant de l'Orne.

— Août (poésie).

Mém. de la Soc. des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Caen LOREL(L.).

— Nouveau recueil des quatre cent vingt-cinq épreuves écrites donnés en 1895 dans l'Orne, le Calvados, la Mayenne et la Manche aux examens du certificat d'études primaires, etc. Publié par L. Lorel, instituteur. In-8°, 74 p. Alençon, Herpin.

MACÉ (C.) curé doyen d'Athis.

— Joué-du-Bois (paroisse, fiefs, commune) du XVe siècle à la. fin du XVIIIe. In-8, 232 p. Alençon, Renaut-De Broise.

Extrait du Bull, de la Soc. Jiist. de l'Orne.

— La Chapelle de la Raitière, en la joaroisse de Joué-duBois, S. L. In-16, 278 p. et une gravure sur bois par M. W. Challemel.

MACKAU (DE), député de l'Orne.

— Souvenirs. La Quinzaine.

MAHEU (J.)

— Sur une nouvelle plante fossile du Cambrien trouvée à Rouperroux (Orne).

Bull, de la Soc. géologique de France.

MARCÈRE (DE), sénateur de l'Orne.


— 363 —

— Discours prononcé a la réunion générale annuelle, à Fiers, de la Société historique et archéologique de l'Orne.

Bull, de la Soc. hist. de l'Orne.

MARCÈRE (Edouard DE), sous-préfet d'Abbeville.

— La Décentralisation. Projet de réforme de la loi municipale du 5 avril I88'i. In-8°, 135 p. Paris, Larose.

MAROLLES (Victor DE).

— Socialisme et Athéisme. La Quinzaine.

MARTONNE (R. DE).

— Quelques figures d'émigrés. Reçue norm. et perc/i.

— Cambodge, contes et légendes. Même revue.

— Deux romans. Même revue.

MAUNOURY (A. F.). Chanoine de la cathédrale de Sées.

— Eléments de la grammaire latine, d'après Lhomond. 7e édition. In-18 jésus, 283 p. Paris, Poussielgue.

MÉROUVEL (C), pseudonyme de M. Charles Chartier.

— Rochenoire, 2 volume. In-18 Jésus. Paris, Dentu.

— Riches et Pauvres. Le Rameau d'olivier. In-18 jésus, 568 p. Paris, Dentu.

MESSAGER (LE) de la Beauce et du Perche. In-18, 180 p. Chartres, Langlois.

MEYNAERTS (L.).

— Mémoires d'un enfant de choeur. 2e édition. In-8°, 48 p. Argentan. Roussel-Davoust.

(Contient en outre Les Germinades et Un Maire de Village).

MILLET (Stanislas).

—. L'Oral de Castagnon.

Revue norm. et perch.

MONTEGUT (Emile).


— 364 —

— Le Maréchal Davoust, son caractère et son génie. — La Duchesse et le Duc de Newcastle. In-16, XV-354 p. Paris, Hachette.

MOTEY (Vle DU).

— Les Officiers bas-normands de la Vénerie du Grand Roi. Bull, de la Soc. hist. de l'Orne.

— Consultation pour les Fabriques. Indépendant de l'Orne et tirages à part.

— Nombreux articles dans V « Indépendant de l'Orne ». MOUCHERON (comte DE).

— Le Morne. Poésie. Revue norm. et perch.

— Les derniers cadrans solaires du Perche. Même revue.

— La Sainte-Cécile. Toast en patois ornais. Même revue.

MULLER (F.), directeur de la Revue le Cidre et le Poiré à Argentan.

— Articles divers.

Le Cidre et le Poiré, à Argentan.

NANTEUIL (Mme P. DE).

— Alain le baleinier. In-8°, 283 p., avec vignettes. Paris, Hachette.

NEUFVILLE (M. LE NEUF DE).

Voir DE LA SERVERIE.

ORDO divini officii recitandi, etc. ad usum dioecesis sagiensis, pro anno Domini 1896. In-16, 175 p. Sées, Montauzé.

PATRIE (Léon), chef de gare à Vaunoise.

— Adolphe Vard. In-4°, 8 p. Alençon, Herpin. Extrait de la Revue norm. et perch.

— Le Portrait de Florentin Loriot et la Critique d'Oriens. Même revue.


— 365 —

PECCATE (Louis).

— Heureux vieillards. Même revue.

PITOU (Charles).

— Souvenirs d'enfance. L'Allumette. Même revue.

PITRAY (vicomtesse DE).

— Vie populaire de Jeanne d'Arc pour la jeunesse française. In-8°, 237 p., avec grav. Paris et Lille, Taftln-Leforl.

— Voyages abracadabrants. In-12. Paris, Gaume.

— Mémoires d'un sergent de ville. In-12. Halon. PONTGHALON (Colonel Henri DE).

— Indo-Chine, souvenirs de voyage et de campagne.

POSTILLON (Le). Almanach-annuaire du Perche (Orne, Sarthe, Eure-et-Loir, Eure) pour 1896. In-16, 160 p. Mortagne, Bigot.

POULAIN (Dr Ernest), ancien interne des infirmeries de la Santé.

— Étude sur les propriétés physiques et thérapeutiques des eaux thermales de Bagnoles-de-l'Orne, leur efficacité dans la cure des phlébites. In-8°, 65 p. La Ferté-Macé, Fenard.

PRUNIER (abbé V.), supérieur du Grand Séminaire de Sées.

— Leçon élémentaire de Sociologie. In-18, 132 p. Abbeville, Paillart.

— Couronnement de Notre-Dame de l'Immaculée-Conception (11 juin 1895).

Semaine catholique de Séez et tirage à part.

QUESNAY DE BEAUREPAIRE. Voir Jules DE GLOUVET.

RAGAINE (Élie).

— Articles divers.

Le Cidre et le Poiré (Argentan).

RAMEAU DE SAINT-PÈRE.

— Mémoires sur les chartes censives du xr siècle dans

25.


— 366 —

quatre châtellenies (Oise, Cher, Aube et Orne). In-8°, 19 p.

Paris, Imp. Nationale.

Extrait du Bulletin des Sciences économiques et sociales du comité des travaux historiques et scientifiques (Année 1895).

RÉGNIER (L.).

M. de La Sicotière. Notice biographique. An/maire normand.

RENAUDIN et CHARPENTIER.

— Petite Géographie du département de l'Orne. -9e édit. In-18, 64 p. et carte. Paris, Larousse.

— Cours élémentaire d'Histoire de France depuis les origines jusqu'à nos jours, avec leçons ou résumés, récits, questionnaires. 2e édition. In-12, 100 p. Paris, Larousse.

ROMANET (vicomte DE).

— Chartes servant de pièces justificatives à la Géographie du Perche. N 08 14 à 38.

Documents sur la Province du Perche. — Voir le commencement à l'année 1894. Voir CouRTiN.

ROMANET (vicomte DE) et Henri TOURNOUER.

— Histoire du Perche par Courlin. publiée et annotée par le Ve de Romanet et M. H. Tournouer.

Documents sur la Province du Perche. ROMBAULT (abbé), curé de Messey.

— Redern et Saint-Simon. Bull, de la Soc. hist. de l'Orne.

ROTOURS (baron Jules ANGOT DES).

— Llmjjôt sur le Revenu. La Quinzaine.

— Le Mouvement social. Même revue.

— La Réaction individuelle. Même revue.

— Le Clergé d'autrefois. Revue catholique de Normandie.


— 367 —

ROTOURS (J. ANGOT DES) et Henri TOURNOUER.

— Les Périodiques de l'Orne. Même revue.

SÉGUR (Mgr DE).

— Histoires vraies. In-8°, 229 p. Tours, Marne.

— Les Enfants de Paris (Esquisses d'après nature). Grand in-8°, 239 p., avec gravures. Même librairie.

— Y a-t-il un Dieu qui s'occupe de nous. 34e édit. In-32, 36 p. Paris, Tolra.

— La Rome de Pie IX. Portraits et Souvenirs. Nouv. édit. Grand in-8°, 366 p., avec grav., d'après les aquarelles et dessins de Mgr de Ségur. Paris et Lille, Taffin-Lefort.

— Soldats. Un vol. in-4. Tours, Marne.

— Album de Mgr de Ségur. 19 dessins en portefeuille in-4°. Gaume.

SÉGUR (comte DE).

— Le Maréclial de Ségur (172k-1801), ministre de la guerre sous Loxds XVI. In-8°, VIII-399 p. et 2 portraits. Paris, Pion et Nourrit.

SÉGUR (Mme DE).

— Quel amour d'enfant! Nouvelle édition, in-16, 396 p., avec 79 grav. par Bayard. Paris, Hachette.

— Diloy le chemineau. Nouv. édit., in-16, 358 p., avec 90 vignettes par H. Castelli. Paris, Hachetle.

— Jean qui grogne et Jean qui rit. Nouvelle édition. In-16, 468 p., avec 70 vignettes par H. Castelli. Paris, Hachette.

— Pauvre Biaise. Nouv. édit. In-16, 342 p., avec 65 vignettes par H. Castelli. Paris, Hachette.

— L'Auberge de l'Ange-Gardien. Nouv. édit. In-16, 379 p., avec 75 vignettes par Foulquier. Paris, Hachette.

— Mémoires d'un Ane. Nouv. édit. In-16, 383 p., avec vignettes par H. Castelli. Paris, Hachette.

SERVIN (Eugène).

— Onzième Concours général et douzième Congrès de


— 368 —

l'Association pomologique de l'Ouest, a Laigle (et autres articles). Le Cidre et le Poiré (Argentan).

SOCIÉTÉ HISTORIQUE ET ARCHÉOLOGIQUE DE L'ORNE. Séance générale du 10 octobre 1895. Petit in-4°, 10 p. Fiers, Follope.

SOUANCÉ (vicomte DE).

— Sigillographie des anciens comtes du Perche Documents sur la Province du Perche.

SURBLED (Docteur).

— La Lutte contre l'Alcoolisme. La Quinzaine.

TASCHER DE LA PAGERIE (C,esse Stéphanie).

— Mon séjour aux Tuileries. 3e série, 1866-1871. In-18 Jésus, 326 p. Paris, Ollendorff.

THOMIN (Lucien).

— Le Secret fatal ou le Pacte des régicides. 2! édit. In-18 jésus, 288 p. Paris, Tecpii.

TELLIER, horticulteur à Alençon.

— Rapport sur l'Exposition d'horticulture de Pont-l'Évêque. Bull, de la Soc. d'horticulture de l'Orne, 2e semestre. TOURNOUER (Henri).

— Bibliographie et Iconographie de la Maison-Dieu NotreDame de la Trappe (Suite).

Documents sur la Province du Perche.

— Af. de La Sicotière. Notice biographique. Même publication.

•— Les Artistes ornais aux Champs-Elysées.

Revue norm. et perch.

Voir DE ROMANET et DES ROTOURS.

TOUROUDE (l'abbé), aumônier des religieuses de l'Adoration d'Alençon.

— Une visite au maréchal Canrobert. Supplément à la Croix de Paris, 26 février 1895, reproduit dans les Annales des SacrésCoeurs.


— 369 —

TRÉGARO (Mgr), évoque de Sées.

— Lettre pastorale et Mandement -pour le Carême de Van de grâce 1895. In-8°, 18 p. Sées, Ve Leguerney-Montauzé.

— Lettre circulaire pour le Couronnement de N.-D. de VImmaculée-Conception, à Sées. In-4°, 8 p. Sées, Ve Leguerney-Montauzé.

— Choix de lettres, allocutions et mandements de Mgr Trégaro, ëvêque de Sées. In-8°, 177 p. avec portrait. La Chapelle-Montligeon, imp. de l'OEuvre expiatoire.

VÉREL (Charles).

Voir HERTRÉ (Pierre DE).

VIMONT (Eugène), directeur de la Revue le Cidre et de la Revue les Sciences populaires, 15, rue Lebrun, Paris (Gobelins).

— Almanach de la ferme, du poiré et du cidre pour 1806, In-18 Jésus, 260 p. Paris, au siège de la Revue le Cidre, 15, rue Lebrun.

— Le Monde céleste (1 fig.). Merveilles à observer pendant Je mois de février 1896.

Les Sciences populaires.

— Nombreux articles dans la Revue « le Cidre ».

— Sciences populaires (Les). Revue mensuelle internationale d'Astronomie, de Météorologie et des Sciences d'observation, publiée par Eugène Vimont, avec le concours des principaux observateurs français et étrangers (Revue parvenue à sa 10e année et passée sous la direction de M. Vimont). Grand in-8°. Paris, 15, rue Lebrun (Gobelins).

— Le Cidre. Revue mensuelle, internationale, agricole et horticole du Poiré et du Cidre. In-8°, Paris, 15, rue Lebrun (Gobelins).

JOURNAUX ET REVUES

ALENÇON.

— Journal d'Alençon et du département de l'Orne, paraissant les mardi, jeudi et samedi. In-folio. Alençon, Ë. Renaiilde Broise.


— 370 —

— L'Avenir de l'Orne et de la Mayenne, Echo du Maine et du Perche, paraissant les mercredi, vendredi et dimanche. In-folio. Alençon, Guy.

— L'Indépendant de l'Orne, Dieu et la. France., journal hebdomadaire. In-folio, E. Renaut-de Broise. — Le premier numéro a paru le dimanche 19 mai 1895. A partir du 19 mars 1896, l'Indépendant agrandit son format et paraît le jeudi.

— Bulletin de la Société historique et archéologique de l'Orne. Publié par livraisons trimestrielles. In-8°, Alençon, E. Renaut-de Broise,

— Bulletin de la Société d'Horticulture de l'Orne. Parait par semestre. In-8°, Alençon, E. Renaut-de Broise.

— Revue Normande et Percheronne illustrée, sciences, littérature, beaux-arts. Paraît tous les deux mois par livraisons de 64 p. grand in-8°. Alençon, Herpin.

— Bulletin du Syndicat des agriculteurs de l'Orne, Mensuel. In-8°, Alençon.

— Bulletin de l'Instruction primaire. Publié sous la direction de l'inspecteur d'Académie. Département de l'Orne. In-8°, Alençon, imprimerie de la Préfecture.

— Les Affiches Alençonnaises, journal d'annonces et de réclames, paraissant le jeudi ; le 1er numéro a paru le i juillet 1895. In-folio, Alençon, Herpin.

— Recueil des actes a,dministratifs de la préfecture de l'Orne. In-8°, Alençon. Guy.

— Bulletin de l'Instruction primaire. In-8°, Alençon, Guy.

— Le Courrier Normand, paraissant le dimanche. In-folio. Alençon, Guy (8° année).

— Le Foyer Républicain, journal indépendant de l'Ouest, paraissant le samedi. In-folio. Argentan, Cagnant. (9e année).

— Le Bonhomme Normand. Journal des événements, bruits et nouvelles de l'Orne, paraissant le samedi. In-folio. (Edition spéciale) publié à Caen.


— 371 —

SÉES.

— Journal de Sées et de Courtomer. Feuille d'informations administratives et locales, des questions économiques, agricoles et littéraires, paraissant le samedi. In-folio, Alençon, Guy.

— V. C. J. S. La Semaine Catholique du diocèse de Séez : revue paraissant tous les vendredi, publiée sous le patronage de Mgr l'Evêque. In-8°, 16 p. Séez, Montauzé.

— Annales de l'Archiconfrérie de Notre-Dame-des-Champs, patronne des agriculteurs et protectrice de l'agriculture, érigée dans la basilique cathédrale Notre-Dame de Séez. — Livraisons mensuelles d'un nombre indéterminé de pages. In-8°. Sées, Montauzé.

— Eglise de l'Immaculée-Conception de Séez (Orne), construite et décorée à l'aide des offrandes du clergé et des fidèles de tous les diocèses. Bulletin ou compte-rendu des grâces obtenues. Paraît irrégulièrement par livraisons de 8 p. In-32. Paris, Goupil.

— Bulletin du couronnement de Noire-Dame de Seès, paraissant tous les deux mois au petit séminaire de Séez n° 1, juillet 1894. Montauzé.

CARROUGES.

— L'Echo de Carrouges, journal de Carrouges et de l'arrondissement d'Alençon. In-folio. La Ferlé-Macé, veuve Bouquerel. — Tirage spécial de l'Echo de la Ferté-Macé.

ARGENTAN.

Journal d'Argentan et de l'Union Républicaine de l'Orne, politique, littéraire, agricole commercial, paraissant le samedi. In-folio, Argentan, Cagnant.

— Les Echos de la Région de l'Ouest, paraissant le samedi directeur L. Triolet. In-folio.

— Le Journal de l'Orne, paraissant le jeudi, directeur X... In-folio.

— Courrier d'Argentan, Virnoutiers, Trun et de l'awondissement d'Argentan, paraissant le dimanche. Fiers, Impr. Mitre, Deslandelles et Sottano.


— 372 —

— Journal de Briouze, Putanges, Ecouché et de l'arrondissement d'Argentan.

— Journal du Merlerault, Exmes, Mortrèe et de l'arrondissement d'Argentan.

— Journal du Sap, Gacé, la Ferté-Fresnel et de l'arrondissement d'Argentan.

Ces trois derniers journaux ne sont que la reproduction avec titre spécial du Courrier d'Argentan, Vimoutiers, Trun, etc.

— L'Echo de Briouze et de Putanges, journal de l'arrondissement d'Argentan, la Ferté-Macé, imp. veuve Bouquerel. Tir. spécial de l'Echo de la Ferté-Macé.

— Le Cidre et le Poiré. Les Prairies et les Herbages, revue mensuelle des intérêts pomologiques. In-8°, Argentan, imp. du Journal de l'Orne. Directeur F. Muller.

LES TOURAILLES!

— Le Val-Marie. Bulletin Mensuel du pèlerinage de NotreDame de Recouvrance. In-8°. Fiers, imp. catholique.

VIMOUTIERS.

— Le Réveil de Vimoutiers et de la Vallée d'Auge. Journal hebdomadaire, politique et d'annonces, littéraire, industriel, commercial et agricole. In-folio, Argentan, imp. Triolet.

DOMFRONT.

— Le Publicateur de l'Orne et de la Mayenne, journal des arrondissements de Domfront et de Mayenne, paraissant le dimanche. In-folio. Bureaux à Domfront, Grande-Rue, imp. Gaigé.

— Le Journal de Domfront et de l'arrondissement, politique, littéraire, industriel et agricole. Paraissant le dimanche. In-folio. Domfront, imp. Renaut.

FLERS.

— La Croix de l'Orne. Journal départemental avec supplément politique et agricole. Paraissant le dimanche. In-folio. Fiers, imp. catholique.


— 373 —

La Croix de l'Orne a deux éditions. Tirage : 11,200 exemplaires .

L'Avenir du Pays, Normandie, Maine et Perche, Journal des intérêts du travail, paraissant le jeudi. In-folio. Fiers, imp. catholique.

L'Avenir de Fiers, paraissant le mercredi. Fiers, imp. catholique. (Reproduction du précédent avec titre spécial).

— L'Avenir d'Alençon, etc., Fiers, imp. catholique, 1er n° octobre 1894 ; a cessé de paraître en 1895.

— L'Avenir du Mans, etc. Fiers, imp. catholique, 1er n° 1894 ; a cessé de paraître en 1895.

— Le Courrier de Fiers et des arrondissements de Domfront et d'Argentan, paraissantle dimanche. In-folio. Fiers,imp.

— Journal de Fiers et de l'arrondissement de Domfront, paraissant le mercredi. In-folio, Fiers, imp. Mitre, Deslandelles et Sottano.

— Le Patriote Normand, journal du dimanche. In-folio. Fiers, imp. Mitre, Deslandelles et Sottano.

— Le Petit Flérien.

ATHIS.

— Le Courrier dAthis. Journal du canton d'Athis, politique, littéraire, commercial, industriel et agricole, hebdomadaire. In-folio. Fiers, imp.

TINCHEBRAY.

— Le Journal de Tinchebray, paraissant tous les dimanches, politique agricole, commercial, industriel et d'annonces.

LA FERTÉ-MACÉ.

— h'Ecko de la Ferté-Macé, journal de l'arrondissement de Domfront, paraissant le dimanche. In-folio , imp. veuve Bouquerel, La Ferté-Macé.

— Journal de la Ferté-Macé, de Juvigny et de l'arrondissement de Domfront, paraissant le dimanche. In-folio. La Ferté-Macé.


374

BAGNOLES.

— Bagnoles-Thermal. Journal hebdomadaire pendant la saison et mensuel pendant toute l'année. Rédacteur en chef : Jehan d'Herbenville, Paris, 12, rue Lamennais, ln-4", imp. veuve Bouquerel à la Ferté-Macé.

(Nouvelle série de Bagnoles-Thermal dont le format est agrandi).

CAHAN.

— Revue bryologique, recueil trimestriel consacré à l'étude des mousses et des hépatiques, directeur T. Husnot, à Cahan par Athis. In-8°. Caen, imp. E. Lanier.

MORTAGNE.

— L'Echo de l'Orne, feuille d'annonces légales des cantons de l'arrondissement de Mortagne, paraissant le jeudi. In-folio, Mortagne, imp. Daupeley.

— Le Bonhomme Percheron, paraissant le dimanche. Infolio, Mortagne, imp. Daupley.

— Le Perche, journal de l'arrondissement de Mortagne, de la vallée de l'Huisne et des cantons de Courtomer et du Meslesur-Sartlie, paraissant le dima'nche. In-folio, Mortagne, imp. Richard.

— Documents sur la province du Perche, publiés par le vicomte de Romanet et M. H. Tournouér, réunis par fascicules trimestriels. In-8°, Mortagne, Georges Meaux, imprimeuréditeur.

BELLÈME.

— Le Bellêmois, journal du Perche, paraissant le jeudi. In-folio, Bellème, imp, Levayer.

— Le Bien Public, journal républicain de Bellème et de l'arrondissement de Mortagne. In-folio, Bellème, imp. Ginoux.

LAIGLE.

— Le Glaneur de l'Orne et de l'Eure, paraissant le jeudi, journal politique, littéraire agricole commercial et d'annonces. In-folio, Laigle.


— 375 —

— Le Nouvelliste de l'Orne, journal républicain, paraissant le dimanche. In-folio, Laigle.

LA CHAPELLE-MONTLIGEON.

— Bulletin de l'OEuvre expiatoire établie à la ChapelleMontligeon, diocèse de Sées, pour la délivrance des âmes délaissées du Purgatoire. Cahiers in-8° de 16 p. mensuel ; imp. de l'OEuvre expiatoire.

Traduction anglaise : Bulletin of the OEuvre expiatoire for the délivrance of the forsaken soûls in Purgatory. Published monlhly. Subscription : 1/6 per annum. — Le Bulletin d'avril 1896 est le n° 50.

Traduction allemande : Bulletin des OEuvres expiatoire zur erlosung der verlassenen seelen im Fegfeuer. Erscheint jeden monat. Abonnements preis fur 1 Iahr — 1 Mark. 40 Pfennig. Nach OEsterreich 70 kr. Le bulletin d'avril 1896 est le n° 43.

Traduction espagnole : Boletin de la obra expiaioria para el rescate de las aimas mas abandonadas del purgatorio. El abono para un aiïo 1 p. 80. — Bulletin de mars 1896 n° 35.

Traduction italienne : Bolletino mensile délia opéra espintoria per la liberazione délie anime abbandonate del purgatorio. L'abbonamento è di L. 1,75 l'anno. — Bulletin d'avril 1896 n° 14.

Traduction flamande : Maandschrift van het genootschaptot verlossing der verlatene zielen des vagevuurs. Prijs van het abonnement 1 fr. — Bulletin de décembre 1895, n° 13.

— Bulletin trimestriel de l'église de Notre-Dame de Montligeon. Cahiers in-8°, 16 p. n° 5, janvier 1896.

Traduction anglaise : Quaterly bulletin of the Church of Notre-Dame de Montligeon : n° 3, août 1895.

Traduction allemande : Bulletin der Kirche zu ehren insérer lieben Frau von Montligeon, erscheint aile drei Monale. n° 3, octobre 1895.

Traduction espagnole : Boletin trimestral de la iglesia de nuestra senora de Montligeon, n° 1, janvier 1895.

— Bulletin-bimensuel du pain quotidien des pauvres. OEuvre


— 376 —

de Saint-Antoine de Padoue. Directeur : K. P. Léonard d'Argentan, gardien du couvent de Saint-Antoine, 8, rue de Puteaux Paris. — Cahiers in-8°, 16 p. Prix de l'abonnement 5 fr. par an ; n° 27, 10 janvier 1896.

— L'Agriculture en Syrie. Bulletin agricole de Terre sainte, paraissant tous les trois mois, lre année, n° 2. — Mars, avril, mai 1896. — Directeur : R. P. Ludovic missionnaire, directeur de l'orphelinat agricole d'Al-Koussaïr, à Gédaidat-Margyon, par Beyrouth (Syrie).

— La Quinzaine. Revue littéraire, artistique et scientifique ; paraît le 1er et le 15 de chaque mois, par livraisons. In-8° 144 p. de texte. Bureaux de la Quinzaine, 62, rue de Miromesnil à Paris. — n° 1 : novembre 1894.

— La Grande-Trappe de Mortagne (Orne). Revue historique illustrée, paraissant tous les trois mois. In-8°, 16 p. de texte. Directeur : M. l'abbé A. P. Gaulier. Bureaux à La ChapelleMontligeon.

H. BEAUDOUIN, A. RICHER, A.-L. LETACQ.


BIBLIOGRAPHIE

Inventaire sommaire des archives départementales antérieures à 1790, rédigé par M. Louis Duval, archiviste du département de l'Orne. Archives ecclésiastiques. Tom. II. Prieurés d'hommes.

Notre honorable et infatigable confrère, M. Duval, vient de publier le tome second de l'inventaire des archives départementales. En vulgarisant ainsi pour le public d'élite qui s'intéresse aux choses du passé les petits trésors enfouis sous la poussière du dépôt des archives, M. Duval s'est non seulement loyalement acquitté de sa tâche officielle, il a bien mérité de son pays. Il est bon, il est juste surtout que ceux de ses compatriotes qui se plaisent à l'étude de l'archéologie et de l'histoire lui adressent leurs sincères félicitations. Ils lui tiennent compte de la vulgarisation des pièces cataloguées, et surtout ils le louent hautement de son travail personnel, de l'effort de son esprit pour interpréter la lettre et en tirer l'utile et bonne leçon contenue dans les quatre-vingt-douze pages de son introduction. C'est la moelle de l'os.

Pour employer une autre comparaison, c'est le bon grain trié et vanné après que la gerbe a été moissonnée et battue sur l'aire ; il faut l'envoyer au moulin et en pétrir un gâteau avec « oeufs, beurre, safran et épices », comme pour un regard de mariage.

La « fleur » de farine cueillie, la galette de noces mangée, le maître du champ permettra-t-il à un passant de glaner quelques épis de maigre mouture ? Qui sait si, à défaut de brioche, un boulanger de campagne n'en pourra pas tirer une miette de miche « de couvent » ou un quignon de « pain de masson >■> ?


— 378 —

L'inventaire des pièces contenues dans le chartrier du prieuré de Saint-Martin-du-Vieux-Bellême ne contient pas moins de 90 pages.

Par ci par là, à propos d'actes d'une importance relative médiocre, mais documentairement précieuse, apparaissent des figures historiques.

En 1090, en pleine chasse dans la forêt de Bourse, Robert-leDiable rendait la justice comme Saint-Louis, sub tegmine fagi. Il rendait une sentence contre son prévôt chrétien, au lieu même où il venait de prendre un grand sanglier et faisait constater à la fois sur beau parchemin son impartialité et son succès cynégétique.

Le prieuré de Saint-Léonard et son église avaient de nombreux privilèges. Le prieur possédait les droits de doyenné, de sang versé et de crimes dans le cimetière et le bourg de SaintMartin moyennant la redevance d'une livre d'encens et d'une livre de poivre. Aussi voulut-il connaître d'un adultère double et se tit-il confirmer dans son droit par Serlon d'Orgères qui se trouvait à Saint-Frogent. Rien de plus juste sans doute que la sentence et la petite aubaine pour le prieur que « le boeuf, la vache et la génisse » données en caution par la femme coupable « pour éviter que pareil crime ne se renouvelât ».

Un partage de succession nous donne les noms en 1631 des membres de la famile de Bry de la Clergerie.

On y rencontre une fois le nom de l'abbé de Rancé à propos d'un vignoble.

On y peut lire l'histoire de la vigne percheronne. Très curieuse, éparse mais quasi complète en la cherchant dans les nombreuses ventes et donations signalées par l'inventaire.

— Vers 1050, Hugues de R,océ donne aux religieux de SaintMartin-du-Vieux-Bellème, deux arpents de vigne.

Son valet Béraud, un arpent de vigne, moins un quartier.

Béraud Minterne et Hugues, arrière-vassal de Béraud, en donnant un arpent tout entier.

Ingelband de Courli(j)out, un « excellent » arpent de vignes à Crépon.

1254 et 1261. —Vente de la vigne des Clos, sise au fief du seigneur de Vaunoise, et autres.


— 379 —

1258. — Vente d'une vigne aboutissant au pâtis des Clos. — Obligations des Closiers, concernant les vignes de Vaunoise.

1262-1264. — Vente de nombreuses vignes à Vaunoise.

1269. — Guillaume Achard vend à Guillaume Chalopin une portion d'obole assise sur une vigne située en la vallée de Bellême.

1281. — Mention d'une vigne située dans la paroisse de Saint-Martin-du-Vieux-Bellême. — Accord au sujet d'une pièce de vigne à Vaunoise.

1290. — Hémery de Vaunoise vend aux religieux du prieuré de Bellême les héritages de Raoul le Loup, consistant en partie en vignes situées à Vaunoise et dans son fief près des vignes du prieur de Chartrage, des vignes de Mathieu Pinçon et de celles de feu Hernand Aye et des moines de la Trappe, aboutissant à la vigne de Robert de Mare. — Autre vente d'une pièce de vigne à Vaunoise dans le fief d'Hémery, joignant à la vigne de feu Geoffroy de Périgny et à celle d'Eudes des Bones et de Gervais Trovet, boutant à la vigne du prêtre de Colonard. — Vente de la vigne des Clos à Vaunoise. — Autre près des vignes du prieur de Chartrage. — Autres.

1296. — Vente d'une rente de 2 sols à prendre sur une vigne sise au Vieux-Bellême en la censive du prieur tenant aux vignes de Mathieu Bergerie et d'autre à celle d'Etienne Le Friloux.

1300. — Vente d'une vigne sise à Vaunoise (le Clos). — Accord entre Jean de Dancé et le prieur du Vieux-Bellême au sujet du pressurage des vins et des droits de pressoir. — Vente d'une planche de vigne à Origny-le-Butin.

1304. — Rachat d'une vigne à la Péraudière.

1315. — Vente par Heugot et sa femme à Raoul Rongnon de 10 livres, représentant la part à eux appartenant en une vigne sise au Vieux-Bellême, au fief du prieur, joignant la vigne à Macé de la Balle.

1346. — Le prévôt fieffé des religieux réclamait, avec force injures, son prétendu droit à 1 miche blanche, 4 bises et un boisseau de pois, chaque fois qu'il allait en vendange.

1378. — Bail d'une vigne sise au fief de Vaunoise.

1391. — Baillée avec réserve de vignes situées à Saint-Martindu-Vieux-Bellême.


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1402. — Bail de 9 ans de 1' « Enfuit et • cueillette » de deux pièces de vigne à Vaunoise.

1403. — Donation d'une vigne par Jeanne Eliot.

1406. — Prise de possession par les religieux de Saint-Martindu-Vieux-Bellême, d'un clos de vigne sis à Saint-Martin. Service de 11 vendangeurs.

1502. — Accord au sujet du droit de coutume d'une pipe de vin de Vaunoise dû par les habitants de la Perrée près Crappon.

1515. — Dîmes des vignes de Vaunoise et de Saint-Martin-duVieux-Bellême.

1531. — Attribution à Georges Bouvier et à sa femme Thiénelle Bry, soeur puînée de François Bry de la Clergerie. de la métairie de Bonnes, contenant terres, vignes, prés situés en la paroisse de Sure.

1548. — Accord entre le prieur du Val-Dieu et Louis Basset, au sujet d'une pipe de vin provenant des vignes que le couvent possède à Vaunoise.

1625. — Les religieux de la Trappe reconnaissent tenir du prieur de Saint-Martin-du-Vieux-Bellême, en la paroisse de ce nom, des vignes dépendant de la métairie qu'ils possèdent à Origny-le-Butin.

1644. — Echange de vignes à Vaunoise entre Pierre du Châtel, prieur de Chartrage, et frère Gervais Hubert, sacristain de Saint-Léonard.

1693. — L'abbé de Rancé reconnaît une redevance due pour la jouissance d'une vigne nommée Les Bretèches.

1743. — Bail pour huit années par Charles Le Marié, fermier du Vieux-Bellême à Jean Mouton, d'une pièce de vigne située près de Haute-Loge.

II est donc certain que l'on cultivai! la vigne à Saint-Martin - du-Vieux-Bellême vers la moitié du xie siècle, comme on le faisait aux environs d'Argentan, en 1221, pour permettre au curé de Fontenay-sur-Orne de payer à son présentateur une somme de vin au temps de la vendange. On a vendangé abondamment dans le pays pendant le xine et xivc siècle et les derniers ceps de vigne n'étaient pas encore arrachés au xvne et au xvme. Le vin du « Clos » de Vaunoise et 1' « excellent » vin de Crépon étaient les crûs les plus renommés. Est-il permis de douter de l'excellence du vin de Vaunoise ?


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En feuilletant le chartrier du Val-Dieu, presqu'aussi considérable que celui de Saint-Martin, on apprend que les caves des Chartreux étaient, assez bien approvisionnées. Au xnie siècle, la dame de Beaumont-sur-Sarthe leur avait constitué une rente de sept sommes de vin à prendre tous les ans in prisionibus suis de Bellemonte ; ils possédaient quelques vignobles, notamment au pays chartrain ; ils avaient droit de potelage dans toute l'étendue de la seigneurie de Soligny où certain tavernier vendait en 1569, de son propre aveu, 552 pots, 3 pintes, 3 chopines et demie de vin ; ils tiraient au tonneau en perce la rasade qu'ils versaient à leurs pauvres pensionnaires à « Nouél, à Pasque et à la Penthecouste », mais on réservait le vin de Vaunoise pour la messe, s'il faut en croire le testament de Robert Durand, vicaire du Pin-la-Garenne, qui lègue à son église en 1516, une rente de de 7 sols et demi pour le pain et le vin de Pâques et deux planches de vigne à Vaunoise pour servir à la fourniture du vin de messe.

Très curieux, le testament de Robert Durand.

C'est comme un inventaire du modeste mobilier que possédait en 1516 un vicaire du Pin-la-Garenne. Sa literie, son linge et sa vaisselle y sont distribués par le menu aux parents et amis. Il lègue à Jean Hubert, prôlre, son cousin, « son cheval, couleur de fleur de pêcher, qui lui sert de monture ordinaire » ; à Jeanne Le Tourneur, « 10 livres pour lui aider à construire une maison » ; à Denise Durant, un lit garni, un coffre fermant, à clef et 10 livres pour lui aider à se marier » ; à Jeanne Lemoyne, les mêmes objets et 100 sols à la même fin, 100 sols à une fille « non mariée » ; à Jean Le Moyne, clerc, « pour lui aider à se faire prêtre, une maison sise au bourg du Pin, 100 sols, un lit garni, un coffre fermant à clef, quatre écuelles et un plat d'étain, sa grande lunique fourrée d'agneau blanc, ses bréviaires et ses autres livres ». La dernière clause du testament en est le complément charitable et chrétien; elle fait au nom du testateur remise « à tous ses débiteurs pauvres de toutes leurs deltes, afin qu'ils prient Dieu pour lui et, à ceux qui sont à leur aise, — du tiers ».

Cette sollicitude pour les filles à marier était générale dans les bonnes âmes de Normandie, même à côté de l'absence de dot et de l'exclusion d'héritage. Les commentateurs de notre coutume

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discutent pour savoir quelles obligations pécuniaires au moins morales avait le père de famille envers une fille majeure dédaignée. Nos bons percherons du Val-Dieu étaient normands en ce point. Le 10 janvier 1510, le cartulaire du Val-Dieu fait mention d'une somme de « 45 sols tournois que les religieux et procureur ont solue et païée en charité et aumosne pour subvenir et ayder à la veufve Prévost à marier une sienne fille qu'elle disoit être fiancée ».

Comme seigneurs de Soligny, les chanoines du Val-Dieu avaient du reste intérêt à marier leurs vassales, puisqu'ils jouissaient de « Regard de Mariage ». Vassaux, arrière-vassaux des fiefs et arrière-fiefs de Soligny leur devaient en se mariant une galette de noces consistant « en un gâteau d'un boisseau de froment; paitri avec oeufs, beurre, safran et épices, un brichet de boeuf, une jambe de porc et un galon de vin ou deux pois ».

Si on compare le nombre de pièces que contient le cartulaire des Trinitaires de Saint-Éloi-lès-Mortagne, avec les cartulaires de Saint-Martin-du-Vieux-Bellème et du Val-Dieu, il est beaucoup moins important. Il emprunte son intérêt particulier au rédacteur du registre dont la personnalité, mal contenue par l'impartialité du secrétaire, a semé çà et là des remarques piquantes, touchantes et instructives qui permettent d'entrevoir certains détails de moeurs et quelques côtés de la vie extérieure. Le prieur des Trinitaires renouvelle un bail en 1766. Le registre des recettes mentionne l'acte avec cette réflexion : « Il faut se mettre en garde contre les demandes de ce fermier qui est rusé et qui, ainsi que la plupart des autres, sollicite toujours de nouvelles dépenses pour la ferme ».

Si quelque locataire déménage « à la cloche de bois », il n'emportera pas sa dette en purgatoire sans que le créancier lui attache un grelot. En 1778, « le locataire de la maison du faubourg Saint-Éloi s'en est allé nuitamment avec sa femme et ses enfants, sans laisser aucun meuble et nous a fait perdre 294 livres ».

Le locataire de la rue du Fort (1749-1783) ne vaut guère mieux. Avertissement à ceux qui ont recommandé les fîeffataires à la légère : « Ce n'est que par considération pour Monsieur le subdélégué que je n'ai pas expulsé le tenant. On peut le faire quand on voudra ».


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L'administrateur des biens du couvent est un bon régisseur qui veille aux intérêts de la maison ; il a d'honorables scrupules. Son domestique demande renouvellement, à son profit, d'un bail, au prix de l'ancien. Il écrit, sur son registre : « Je n'ai pas voulu le faire par délicatesse, mais ce domestique, qui a bien servi, demande considération et je prie mon successeur de l'avoir pour recommandé ».

Les chanoines de l'ordre du rachat des captifs sont doublement obligés à l'exercice de la vertu de charité. Ils ont leurs jours privilégiés de commisération et de pitié. Le bon prieur en rappelle avec soin la mémoire. Une maison de la rue de la Haute-Folie leur a déjcà coûté 40 livres perdues par la fuite d'un ancien locataire, le nouveau est en mauvaises affaires, nouvelles pertes probables. On ne parle pas de le poursuivre, « il est misérable ».

Les religieux possèdent un petit jardin vers le faubourg SaintLangis : « J'ai abandonné ce jardin », écrit le prieur, « pour le faire valoir à son profit seulement à une pauvre femme qui a huit enfants ». Le registre des dépenses témoigne de charités de toute sorte. Ce sont des comptes de boulanger pour les distributions quotidiennes, de fréquentes aumônes pour les pauvres honteux : « En décembre 1763, donné à un pauvre gentilhomme pour lequel on faisait la quête, — 2 s. 8 d. — Janvier 1764, à un étudiant malade qui n'avait pas de quoi se conduire, — 3 1. » — Février, mars, id. — A des prêtres passanls, à des passants, à des pauvres honteux, diverses sommes. — « À une pauvre femme dont le fils a été mordu par un chien, — 11. — En avril, à un pauvre garçon hydropique pour lui aider à payer son voyage à l'Hôtel-Dieu de Paris, — 11. — A une pauvre dame pour laquelle on quêtait et à deux pauvres honteux. — 3 1. — A un gentilhomme passant, — 11. — etc., etc....

Le registre du Val-Dieu signalait déjà des dépenses analogues, par exemple : Juillet 1743, année d'un grand incendie à Poligny, — pour un pauvre incendié, — 3 1. — Février 1754, pour habiller 2 pauvres, — 8 1.; — pour un pauvre incendié, 6 1. — Décembre, pour une pauvre religieuse, — 12 1. ; — pour aider une personne à entrer en religion, 12 1.

On trouve dans les registres de dépense des couvents d'autres traces que celle des petits embarras administratifs etdesdisposi


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lions charitables des religieux ; ils nous donnent de précieux renseignements sur le prix des choses à certaines époques.

Le registre du Prieur de Saint-Eloi nous apprend qu'au retour d'un voyage à Paris en 1750, il paya pour les places au carosse et la dépense pendant le voyage, — 40 livres, — à Léger, son domestique, pour deux années de ses gages à raison de 60 livres par an, — 120 livres, — à Tirouet, son barbier, une année, — 24 livres. — Perruquier et barbier étaient deux professions distinctes même à Mortagne en 1751. C'étaient comme médecin et chirurgien. Une perruque coûtait 10 livres chez Tisonnet, perruquier. Faute de chrétiens sans doute on s'adressait aux Juifs et on leur achetait le damas, le drap d'or et le galon des ornements d'église ; celui qui vendit aux Trinitaires le 1er juillet 1751 l'étoffe de deux chasubles emporta de chez eux la somme ronde de 231 livres. — En 1752, trois pipes de gros cidre valaient 40 livres et deux pipes de poiré, 26. — En 1753, le nez était plus cher à chatouiller que la luette, on n'avait pas pour rien du bon tabac dans sa tabatière. On payait trois livres de tabac d'Espagne, 67 livres 4 sols. Les gourmets du prieuré de Ghartrage se régalaient à meilleur compte en 1789 ; la livre de tabac, d'inférieure qualité sans doute, valait 3 livres 14 sols. — En 1758, le café est compté au Val-Dieu à 45 sols la livre, en 1789 à Ghartrage 20 sols. En revanche le cidre et l'eau-de-vie étaient infiniment plus chers que trente ans auparavant. — 1 pipe de cidre, 69 livres.— pour un baril d'eau-de-vie de 30 pots, 39 livres (11 deniers le pot au Val-Dieu en 1758). — En 1757, on fabriquait ou l'on fournissait à la Trappe de la bière à 21 livres le poinçon. — Le carnet de dépense du Val-Dieu ne nous apprend rien de bien nouveau en ouvant un crédit de 10 livres pour acheter un exemplaire de l'Histoire des Variations de Bossuet, mais quel était cet abonnement ou plutôt quelle était cettte « lecture » des Gazette de France et de Hollande pour laquelle le prieur de Saint-Eloi paye 5 livres en mai 1753 ? En janvier 1789, le prieur de Ghartrage avait acquis deux volumes de l'Histoire naturelle de Buffon et en décembre il payait son abonnement au Point du jour — 15 livres. —

On peut glaner dans le Chartrier des Dominicains d'Argentan. Les friands de scandales y peuvent laire des études de moeurs heureusement disparues et de rivalités oubliées. Le temps des


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Thomas Poullain (1560-1573) et de ses hontes est passé pour toujours et les Jésuites d'aujourd'hui sont deplusaccommodante et de plus pacifique humeur que ne l'étaient en 1750 le P. Sandre et le P. Irlande. Les Evoques et les Ordinaires sont aussi plus tolérants envers les frères prêcheurs que ne l'étaient Gilles de Laval en 1432 et moins entreprenants que le curé Mahot vers 1634. Les procès ne traînent plus en longueur et ne durent plus 90 ans comme celui de là fondation Jean Hérouard (1508-1597).

11 m'était réservé d'y faire une trouvaille inattendue.

Aux pages LXXIII et LXXIV de son introduction, M. Duval cite une épitaphe dédiée à l'heureuse mémoire de RR. P. et F. Du Mesnil et Jacques du Rost, signée : M. NICOLAS CHRESTIEN, curé de Champ-Cernin (sic) et il ajoute en note : l'auteur A'Ainnon et Thamar.

On lit à la page 220 : « Pierre Legoux dit Basprey, héritier de Nicolas Chrestien, sieur des Croix et curé de Champ-Larron (sic), diocèse d'Avranches, bourgeois d'Argentan a donné 4 livres de rente sur une maison des trois Croix le 12 février 1620 ». Et à la page 223 : « Le 12 novembre 1620 Ch. Pierre Le Goux a fondé deux grandes messes par an, pourquoi il a légué 4 livres de rente. » Plus ample explication est donnée à la page 234. On y lit sous la rubrique de l'année 1620 : « Donation par Nicolas Chrestien, prêtre, sieur des Croix, maitre-ès-arts, curé de Champervan (sic) diocèse d'Avranches, bourgeois d'Argentan, aux dominicains de cette ville, pour être participant aux prières et oraisons qui se font en leur couvent, d'une rente de 4 livres à prendre sur une maison de la rue des 3 croix ». Et plus bas, avec la date 1694 : « Reconnaissance de la dite rente par Pierre Le Goux, fils de Charles Le Goux, héritier de feu Marie Picot, héritière de feu Nicolas Chrestien, sieur des Croix ».

Il résulte de ces petits documents épars que notre dramaturge Nicolas Chrestien est mort prêtre et curé au diocèse d'Avranches. Peu importe l'orthographe du nom de la paroisse qu'il desservait. Elle ne figure que sur un legs charitable et n'a rien de commun avec le renom littéraire du bénéficiaire. Aucune de ses pièces ne porte avec le nom de l'auteur la mention de sa qualité sacerdotale. Bien que les Portugais infortunés soient dédiés au R. P. en Dieu, Claude de Bellay, abbé de Sayigny, bien que


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malgré ses énormes libertés, Amnon et Thamar soit une pièce biblique, bien que la Rosemonde demande au Mecène-Uoynel de couvrir « de l'ombre de ses vertus la plupart des vices qui la rendraient odieuse », on ne se figure pas ces oeuvres « destinées à ensanglanter les théâtres » composées par un prêtre ; encore moins le Ravissement de Céphale signé par un curé de campagne. Et pourtant La Rosemonde est de 1602, sous l'épiscopat de Claude de Morenne et les quatre premières pièces de Chrétien ont été imprimées chez Reinsart à Rouen en 1608. C'étaitl'année même où Bertaut prenait possession de l'Evêché de Séez. Toute licence poétique pouvait trouver indulgence sous ces deux aimables prélats prêts à pardonner et même à absoudre leurs propres peccadilles. Chrétien des « Trois-Croix » était-il prêtre en 1618? L'était-il même quand il composa son cantique au Dauphin et quand il publia la grande Pastorelle chez Raphaël du Petit-val en 1613? Rien n'indique le caractère sacré que l'auteur eût pu avouer en toute sûreté de conscience, s'il en eût été revêtu Quand et pourquoi alla-t-il exercer le ministère dans le diocèse d'Avranches ? Fut-il pourvu d'un bénéfice par quelqu'un de ses protecteurs ou exilé de son diocèse par la sévérité du successeur de Bertaut qui ne voyait pas les poètes du même oeil que ses prédécesseurs.

Une note que nous devons à l'obligeance de notre savant collègue et ami Eugène de Beaurepaire permet de. répondre en partie à ces questions.

Champcervin, alias Champservin est une petite commune de l'arrondissement d'Avranches, canton de la Haye-Pesnel. Campus servinis est le véritable nom latin de cette localité queLouis du Bois, dans son itinéraire de la Normandie appelle Cliampiervon et que les actes de l'inventaire nomment Champervan, Champcernon ou Cliamplarron. L'église dépendait de l'abbaye de Savigny-les-Etangs. La cure valait 300 livres.

Le bénéfice était mince, mais il résulte de la communication précédente que Nicolas Chrestien des Croix était prêtre et curé de Champservin, au diocèse d'Avranches quand il mourut en 1620, en léguant une rente de 4 sols assise sur son fief des trois Croix pour avoir part aux prières des Dominicains. La cure de Champservin étant à la nomination de l'abbé de Savigny, Chrestien devait tenir ce bénéfice de son R. P. en


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Dieu Claude du Bellay, auquel il dédiait les Portugais infortunés, en les faisant imprimer chez Th. Reinsart, en 1608.

Quant à la famille de Nicolas Chrestien, les pièces de l'inventaire nous apprennent qu'il ne laissait probablement point après lui de proches parents de son nom, puisque son héritage, en 1694 était déjà passé des mains de l'héritière primitive Marie Picot, aux mains de Charles Le Goux et à celles de son fils Pierre Le Goux-Basprey.

— Les dix-huit liasses du prieuré de Rouvrou contiennent beaucoup de détails de fondations, de contestations et d'affaires particulières au prieuré.

Un contrat de vente passé en 1462 le 5 avril avant Pâques nous donne le nom d'une pomme à cidre et d'un cru renommé : « Jean Ledoy et sa femme Martine » vendent à Richard Le Tellier « tous les héritages qu'ils possèdent en la terre de la Pommeraye de Rouvrou pour la somme de 31 1. 10 s. t. et cent boisseaux de pommes franches, Bérou-franc (bérard ?) et 30 s. de vin. »

— Une quarantaine de liasses concernant le prieuré de SaintMartin-de-Goulet provient de l'abbaye de Troarn.

Bien qu'assez richement doté en apparence le prieuré de Goulet ne paraît pas avoir procuré à ses moines, surtout au xvie siècle, une existence bien confortable. Le vestiaire était fourni à regret par l'abbaye de Troarn. En 1558, il fut reconnu que la somme annuelle de 8 livres allouée aux prêtres profès et celle de 4 1. aux profès non prêtres pour leur entretien était insuffisante, que le drap et les fournitures ayant enchéri, « ung religieux ne pourroit s'entretenir selon son estât de vêtements, et, si remède n'y estoit donné pour l'advenir, telle chose pourroit tourner en opprobre du monastère », En conséquence, Mathurin de Harville, abbé de Troarn, modifia l'ancien règlement et ordonna « que un chacun des religieux, presbtres, profès, non bénéficiers résidant en l'abbaye auraient 12 1. t. pour leur vestiaire par chascun an et les non presbtres, 6 1. seulement, ce non compris le prieur claustral qui aura par chascun an, 24 1. pour son dit vestiaire ».

L'amour du clocher a de tout temps entraîné avec lui celui des cloches. L'ambition des paroissiens les poussait déjà il y a deux cents ans à des dépenses de métal au-delà de leurs


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ressources. En 1680, les habitants de Goulet voulurent refondre leurs cloches. Ils s'adressèrent pour cette opération à Antoine Chapelle, lorrain de nation, fondeur de cloches à Caen. On lui paya 33 1. pour son travail. L'année suivante il fallut vendre une vergée et demie de pré pour refondre la petite cloche et acheter d'un marchand « quincailleur » de Caen 240 1. de métal pour la renforcer et en faire une grosse.

Les habitants de Goulet n'étaient pourtant pas lendres pour les acquéreurs de leurs biens communaux et quelque vingt ans auparavant, Mademoiselle de la Chaise, ayant fait labourer plusieurs pièces de lerre à elle cédées pour extinction d'une dette communale, « les particuliers de la paroisse de Goulet, indignés de ce que les plus entendus avaient vendu leurs communs firent manger l'avoine en herbe par leurs bestiaux de jour et de nuit, si bien qu'il n'y eut aucune récolte et que ladite demoiselle dut laisser la dite terre sans la faire labourer jusqu'en l'année 1667 où l'on ne recueillit encore sur la pièce que deux charretées d'avoine ».

Peut-être quelques sceptiques pensaient-ils qu'au lieu de donner en 164h, 450 1. à Rouxel de Mare pour « divertir le logement » de sa compagnie de cavalerie, il n'y avait qu'à attendre l'arrivée de M. de Chambois, — Mare vidit et fugit.

1712. — Le sarrasin esl-il une plante fourragère ou une céréale ? « Si on s'en rapporte à l'opinion du sieur Lefèvre (curé de Goulet) le sarrasin est verdage et la dîme des verdages lui appartient. Si au contraire on consulte le dernier commentaire de la coutume, quantité d'arrêts sur l'article (et le sens commun) le sarrasin ou blé noir est compté entre les grains sujets à la grosse dîme, parce que le sarrasin est un bled dont on fait du pain. »

— Rien de nouveau sous le soleil. Au mois de janvier dernier, un arrêt que ne manqueront pas d'invoquer les avocats en pareille cause déboutait de sa demande endommages-intérêts le propriétaire d'un chat fusillé par un garde et surpris en flagrant délit de braconnage. En 1777, Dom Bunel écrivait au baron de Goulet : « Lamy, votre garde-chasse a tué un des chats de ma ferme, au pied de mon mur.... Je ne puis me persuader que vous ayez donné des ordres de tuer tousmeschats, à ma. porte. » Le baron répondit : « Il est bien vrai que je lui ai


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donné ordre de tuer tous les chats qu'il trouvèrent dans la campagne, étant ordinairement ces animaux-là qui détruisent le plus de gibier... c'était pour la conservation de votre gibier et du mien, etc. >•

En achevant l'introduction de son volume renfermant l'inventaire des archives des couvents d'hommes, M. Duval nous promet un prochain volume et l'inventaire des couvents de femmes, nous l'attendons avec impatience. Si l'intérêt du moissonneur est moins sollicité que dans le volume précédent, la curiosité du glaneur est autrement excitée. Il se propose de recommencer sa petite promenade dans le champ nouveau, avec l'espoir d'une plus abondante picorée.

GUSTAVE LE VAVASSEUR.

LES SCIENCES POPULAIRES. Revue mensuelle internationale d'Astronomie, de Météorologie et des Sciences d'Observation publiée pap Eugène Vimont. Abonnement 10 fr. par an, aux bureaux des Sciences populaires, 15, rue Lebrun, 15(Gobelins), 1er numéro, 15janvierl895.

« Les Sciences populaires, dit M. Vimont dans son premier article, ne sont pas un nouveau journal. C'est la continuation sur un plus vaste terrain de la Revue mensuelle d'une Société astronomique Flammarion, que j'avais fondée en 1882 à Argentan (Orne), alors que j'étais professeur de sciences au collège de cette ville.

Dans les Sciences populaires, ce sera l'Astronomie puis la Météorologie qui occuperont le premier rang. Voici, d'ailleurs, notre programme :

Indication détaillée des diverses observations astronomiques à faire pendant le mois suivant.

Publication des observations et communications faites par les abonnés.

Etudes photographiques.

Météorologie. — Probabilités du temps d'après les principaux météorologistes.

Tremblements de terre, trombes, éruptions volcaniques.

Marée de chaque jour pour les ports de l'Europe.

27.


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Curiosités mathématiques, physiques, naturelles, chimiques, etc., etc. Inventions et découvertes de toutes sortes. Applications diverses de l'Electricité. »

Comme on le voit, la Revue de M. Vimont, s'adressant à tous les amis des sciences d'observation, embrasse les sujets les plus variés, traite des matières les plus diverses et tient le lecteur au courant du mouvement scientifique.

Le directeur, qui appartient au département de l'Orne par sa naissance et une partie de sa carrière, est depuis longtemps membre de notre Société et les mémoires documentés qu'il a donnés au Bulletin sur les camps de Bierre et de Goult font vivement désirer les nouveaux articles qu'il veut bien nous promettre après une trop longue interruption.

On sait d'ailleurs le succès qu'ont obtenu chez nous les ouvrages de M. Vimont et surtout la Revue Flammarion, sorte de recueil encyclopédique, dont la publication, grâce à son zèle et à sa persévérance, s'est poursuivie pendant près de huit ans et qui contient sur l'histoire, l'archéologie, les traditions populaires, la faune, la flore, l'agriculture et l'industrie de la région toute une série de documents, que les travailleurs locaux ne sauraient négliger.

Les Sciences populaires, qui ont reçu partout l'accueil le plus favorable, continuent dignement la tradition de leur aînée. Il faut donc savoir gré à M. Vimont de sa nouvelle entreprise et l'aider de notre cotisation et surtout de nos travaux ; il demande à ses abonnés d'être ses collaborateurs et veut faire avant tout une oeuvre de vulgarisation, en restant à la portée de toutes les personnes qui ne possèdent qu'une instruction élémentaire, et en publiant tous les faits nouveaux qui lui seront communiqués par ses correspondants. C'est là, à notre avis, le plus grand avantage et la raison du succès de cette Revue.

Il ne faut pas l'oublier, en effet : dans l'observation scientifique, rien n'est petit, rien n'est inutile; un fait minime en apparence est souvent le premier pas vers une grandedécouverte. Observons donc, notons et publions ce que nous avons vu, le plus humble des chroniqueurs apportera ainsi son contingent à la science.

A.-L. LETACQ.


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Notice sur la Constitution géologique et la flore des étangs du Mortier et des Rablais (Sarthe), par M. l'abbé Letacq. [Bulletin de la Société d'Agriculture. Sciences et Arts de la Sarthe, 1er trimestre de 1896).

Celte notice sera particulièrement goûtée par les naturalistes alençonnais. Constitution géologique et flore; rien que ces deux mots accolés l'un à l'autre sont toute une révélation. On ne songe

Eas suffisamment en effet aux liens qui unissent la géologie et la otanique. On sait bien que les plantes ont leurs terrains d'affection ; que telle espèce ne pousse que sur le calcaire, telle autre sur les grès ou les granités ; trop souvent, c'est à peine si l'on s'en préoccupe dans la pratique. Les différences profondes qui existent entre la flore de nos deux étangs, si voisins et si ressemblants par les autres côtés, du Mortier et des Rablais, montrent bien l'importance de la question.

Ces deux localités, les plus anciennement connues et les plus visitées sans doute des environs d'Alençon, nous donnent l'occasion de faire encore une autre remarque ; c'est qu'il n'est pas de station, si bien explorée qu'elle soit, qui ne puisse ménager des surprises au chercheur attentif et soigneux. C'est ainsi que, sans préciser, ce qui d'ailleurs serait difficile, la part contributive de nos vieux botanistes dans les découvertes faites autour de nos deux étangs, M. l'abbé Letacq n'y a pas trouvé moins de trois espèces nouvelles, que personne n'y avait signalées avant lui : le Nitella batrachosperma, le Cyperus flavescens et l'Erica ciliaris.

En somme, la Notice de M. Letacq n'est pas une simple énumération d'espèces plus ou moins rares ; elle abonde aussi en vues générales et en indications précieuses sur l'histoire de la botanique et des botanistes du pays d'Alençon, et un peu aussi de la Sarthe.

H. BEAUDOUIN.

Aperçu sur la More de l'arrondissement d'Alençon (Plianérogames et Muscinées), par M. l'abbé A.-L. LETACQ. — Mémoire lu aux Assises de Caumont, Congrès de Rouen, le 18 juin 1896 (Extrait du Bulletin de la Société d'Horticulture de l'Orne, 1er semestre de 1896).

Il n'est certes pas donné à tout le monde de modifier, si peu que ce soit, les habitudes des savants ; et pourtant les travaux de M. l'abbé Letacq sur l'histoire naturelle, et plus spécialemenl sur la botanique de notre pays, ont de plus en plus pour effet de donner à nos études locales une direction assurément meilleure que par le passé. « Le botaniste herborisant, dit-il, ne doit pas


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se contenter de former un herbier; mais aussi se rendre un compte exact des faits qu'il observe, car en l'absence d'une idée philosophique qui les illumine, ces faits particuliers restent sans valeur scientifique ».

Fidèle à ce programme, M. l'abbé Letacq, dans son'dernier mémoire, s'est appliqué à montrer l'influence du climat et des diverses sortes de terrains sur la diffusion des espèces. L'arrondissement d'Alençon, par sa situation géographique juste sur la ligne de faîte entre les bassins de la Seine et de la Loire, par la variété de son sol, composé presque également de terrains éruptifs et de calcaires, se prêtait admirablement à ces sortes de recherches. Aussi les observations personnelles de M. Letacq, jointes à celles qui avaient été faites avant lui, lui ont-elles permis d'arriver à des conclusions très intéressantes et môme quelque peu inattendues.

Ainsi les terrains primaires et secondaires offrent, comme on sait, les oppositions les plus marquées, mais il est bon de s'en tenir là et de ne pas pousser plus loin la comparaison. On se convaincrait en effet que, si les terrains siliceux, par exemple, considérés dans leur ensemble, ont une végétation très spéciale, les diverses formations siliceuses, granités, schistes, grès, porphyres, etc. n'offrent entre elles pour ainsi dire aucune différence ; et de même pour les plantes qui réclament l'élément calcaire.

Ainsi encore, en s'atlachant à ne comparer que des terrains semblables d'ailleurs, « les différences très sensibles des flores de Sées et d'Alençon, avec un degré et demi seulement d'écart dans la température moyenne annuelle, font voir combien les végétaux sont sensibles à l'action du climat et montrent la grande influence des collines de Normandie sur la dispersion des plantes dans notre région ».

D'après ces données, Sées, qui est situé sur le versant de la Manche, appartiendrait à la flore du Nord de la France, tandis qu'Alençon qui est sur le versant de l'Océan devrait être classé, relativement du moins, dans la région du Midi. Les anciens botanistes, de Candolle entre autres, faisaient passer par le Mans les limites entre les régions végélales du Nord et du Midi de la France ; M. l'abbé Letacq, après une étude détaillée des plantes de notre pays, les fait passer par Alençon ; nous croyons qu'il a parfaitement raison.

Que M. l'abbé Letacq donc continue dans la voie ofi il s'engage si heureusement. Les résultats qu'il a déjà obtenus sont pour ses lecteurs un motif de le désirer : pour lui-même, ils doivent être un réel encouragement.

H. BEAUDOUIN.


PROCÈS-VERBAL

Réunion générale annuelle du 29 octobre, à Vimoutiers

PRÉSIDENCE DE M. LE COMTE DE CONTADES

La réunion annuelle de la Société historique et archéologique de l'Orne, fixée au 1er octobre, n'a eu lieu que le 29, à cause de la mort de son Secrétaire général, M. Gustave LE VAVASSEUR, arrivée le 9 septembre.

Présents : MM. APPERT, Abbé BARRET, Auguste CANIVET, Conseiller général de l'Orne, Officiel- d'Académie, Wilfrid CHALLEMEL, Abbé FRÉBET, FOULON, GERMAI.N-LACOUR, Paul HAREL, Abbé LETACQ, LORIOT, DE MALLEVOUE, PERROTTE, Abbé ROMBAULT, Abbé SAFFRAY, DE VAUCELLES.

Excusés : MM. Henri BEAUDOUIN, DE NEUFVILLE, Abbé HOSIMEY, Abbé Gatry.

A 11 heures, à l'arrivée du train d'Alençon, la Société très gracieusement reçue à la gare par M. PERNELLE, maire de Vimoutiers, visite les monuments de la ville, entre autres une maison du xvie siècle, située à l'extrémité de la rue du Perré, les restes de l'ancien monastère des Bénédictines, la vieille église et sa tour si curieuse, la maison du Pont-Vautier, la cour de l'ancien hôtel del'Écu, la maison sculptée du temps de Henri III sur la place de la cour aux Moines, aujourd'hui l'Hôtel de la Poste, et enfin la nouvelle église, dont M. l'abbé BISSON, curé-doyen de Vimoutiers, veut bien nous faire les honneurs.

Le compte-rendu de l'excursion archéologique de la Société sera publié dans le Bulletin.

A midi, déjeuner à l'hôtel du Soleil d'Or.

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A une heure, séance administrative dans la salle de la Mairie.

Le procès-verbal de la séance précédente est lu et adopté.

Élections : M. le Vicomte DE BROC, Vice-Président depuis trois ans cl par conséquent rééligible, est réélu ; M. le Comte DE CIIARENCEY, aussi Vice-Président, arrivé au terme de la seconde période de son mandat et non rééligible, est remplacé par M. Henri TOURNOUER.

M. Henri BEAUDOUIN, Secrétaire, est élu Secrétaire général, et M. le Vicomte DU MOTEY, Secrétaire.

MM. DUPUY, DESCOUTURES, LETACQ, RICHER, ROMBAULT et le Comte DE VIGNERAL sont maintenus Membres de la Commission de Publication.

Admission comme Membres de la Société de : MM. PERNELLE, maire de Vimouliers ; BISSON, curé-doyen; Hippolyte FORTIN, ancien maire ; JAECK, banquier, chevalier de l'Ordre du Christ du Portugal; LECOEUR, pharmacien de lre classe, lauréat de l'École des Hautes-Études ; JULLIEN ; Dr BOULARD, médecin à Vimoutiers ; NOIRE , curé de Chambois ; LEBON , curé de Camembert; CHANU, curé du Renouard ; LELIÈVRE, curé de Croutfes ; LANDE, LAIGRE, MARTEL, vicaires à Vimoutiers.

Plusieurs Membres insistent pour que les lettres d'invitation à la réunion annuelle ne soient plus désormais adressées sous bande, mais sous enveloppe portant le timbre de la Société. La confusion trop facile avec les nombreuses circulaires envoyées sous bande nécessite cette mesure.

Demande d'échanges de publications avec la Société archéologique de la Touraine et la Société historique de l'Oise. Accordé.

A deux heures, séance publique.

M. LE PRÉSIDENT invite MM. PERNELLE, maire, BISSON, curé-doyen, CANIVET, conseiller général, LANIEL, conseiller d'arrondissement, à prendre place au bureau.

Plus de cent personnes, parmi lesquelles un grand nombre de dames, présentes à la séance, témoignent de leur sympathie pour la Société historique de l'Orne et de l'intérêt qu'elles pren-


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nent à ses Iravaux. Cette nombreuse assistance rappelle l'accueil empressé que reçurent à Vimoutiers l'Association normande, en 1884, et. la Société Linnéenne, en 1885.

Nous remarquons, en outre des Membres énumérés plus haut : MM. PIEL, curé du Mesnil-Mauger (Calvados), le savant auteur de l'Inventaire des insinuations ecclésiastiques de Lisieux, 5 vol. in-8°, qui a fait hommage à la Société de son bel ouvrage ; LAMELET, instituteur au Renouard, officier de l'Instruction publique ; PLOMEL, instituteur à Ticheville, officier d'Académie.

Au début de la séance, M. PERNELLE prend la parole pour souhaiter la bienvenue à la Société historique de l'Orne, qui, cette année, a choisi Vimoutiers comme lieu de sa réunion annuelle, et M. DE CONTADES remercie M. le Maire de ses paroles bienveillantes :

Les lectures sont faites dans l'ordre suivant :

1° Discours de M. le Comte DE CONTADES : Une famille de soldats : La maison de Boisdeffre.

2° Compte - rendu des travaux de l'année, par M. Henri BEAUDOUIN, lu par M. l'abbé LETACQ.

3° Un épisode des guerres de la Ligue : Défaite des Gantiers dans les environs de Vimoutiers, par M. l'abbé GATRY, lu par M. l'abbé BARRET.

4° Poésie, par M. Wilfrid CHALLEMEL.

5° M. Gillet, naturaliste : Notice biographique par M. l'abbé LETACQ.

6° Sainl-Êvroult aux xie et xne siècles, par M. l'abbé ROMBAULT.

7° Poésie, par M. FLORENTIN-LORIOT.

8° Le Prieuî'é de la Cochère, par M. Henri TOURNOUER.

9° Poésie, par M. GERMAIN-LACOUR.

W L'Expédition d'Alain III, duc de Bretagne, contre Montgommery. Sa mort tragique à Vimoutiers (1er octobre lOkO), par M. l'abbé BARRET.

11° Les Montgommery, par M. JAECK.

12° Poésie, par M. Paul HAREL.

Tous ces morceaux seront publiés dans le Bulletin, sauf le mémoire de M. JAECK, qui, devant paraître dans un autre périodique, ne peut être inséré dans le nôtre.


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La Société historique de l'Orne n'avait pas encore eu un aussi grand nombre de lectures à ses réunions annuelles, mais si le programme pouvait paraître trop chargé, il y avait par compensation beaucoup de variété dans les sujets ; en outre chacun des auteurs a su très discrètement se limiter au quart d'heure réglementaire ; aussi notre séance littéraire de Vimoutiers a-t-elle été des plus intéressantes et des plus goûtées, et dans une ville où nous étions à peine connus, puisque nous n'y comptions pas un seul membre, 14 sociétaires nouveaux sont venus nous promettre leur collaboration.

Ces travaux sur les sujets les plus divers, où l'homme de guerre figure à côté du savant, où le récit des luttes intestines de nos vieilles provinces contraste avec l'histoire de l'antique monastère adonné dans la paix à l'étude et à la prière, montrent bien que notre Société a souci de l'honneur du présent non moins que des gloires du passé. Elle voudrait d'ailleurs que rien de ce qui intéresse les Annales de notre pays ne lui fût. étranger, et pour remplir son but, elle désire que tous ses Membres lui communiquent les résultats de leurs recherches. Si le dépôt des Archives de la Préfecture reste toujours le trésor des érudits, on trouve pourtant souvent dans l'humble mairie du village le plus ignoré des pièces importantes; la plupart de nos petites églises renferment quelques curiosités archéologiques ; plusieurs localités ont donné naissance à des personnages devenus célèbres ; partout il y a des traditions, des souvenirs, des légendes ; notre Association ne demande qu'à recueillir ces documents et à les publier. « C'est, » disait, il y a quelques années, M. Georges Picot, de l'Institut, « le mérite de l'Histoire d'accepter sans les « dédaigner les efforts de tous. De notre temps, l'Histoire ne se « montre ni farouche, ni exclusive, elle appelle tous les dévoue«

dévoue« toutes les bonnes volontés Au curieux voué à des

« recherches locales, elle offrira les archives d'une ville ; s'il est

« moins ambitieux encore du plus obscur village Dans le

« champ de l'Histoire, tous sont admis à moissonner et on ne « tient pas pour les moins bien venus ceux qui glanent » (1).

A.-L. LETACQ.

(1) Discours à l'assemblée générale de la Société de l'Histoire de Normandie, 1886.


VIMOUTIERS

VISITE AUX MONUMENTS

I

Les nuages passaient en grande hâte, accompagnés de la plainte des souffles, sur le bois d'or et de rouille qu'ils effleuraient comme des ombres gémissantes, lorsque ces explorateurs du passé (i) tinrent leurs assises au pays des herbes, dans le creux vallon fécondé par les moines de Jumièges, et d'où s'élève encore un beffroi jaune, à mi corps imbriqué de sombre ardoise. Bientôt parurent les vieilles maisons de Vimoutiers, d'aspect taciturne et résigné, qui, si doucement, comme de vieilles amies, s'entrecommuniquent ce qu'elles savent encore de l'affreux sort des Gauliers et d'autres aventures du temps passé, ouvrant toutes à demi d'un air peu confidentiel l'oeil de leurs lucarnes. Elles avaient vu bien des choses avec cet oeil-là. Elles n'en disaient pas davantage. Elles étaient discrètes ; il fallait, l'histoire en main, les contraindre d'avouer leur origine abbatiale. Elles avaient beau se taire, il restait au logis des Bénédictines quelque chose de la coquetterie dont ces nonnes s'étaient départies. Des bossages ovoïdes agréablement allongés en forme de virgule soutenaient comme une élégante corbeille le premier étage tout de tuiles colorées, cloisonnées en des pièces de bois d'une géométrie norvégienne, parfois modelées à l'italienne, parfois sculptées de médaillons d'après les triomphes de Pétrarque. Sur les fenêtrages aux petits carreaux verts, le grand toit, d'où

(1) La Société historique et archéologique de l'Orne.


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les pluies ruisselaient en franges cristallines, ne tardait pas à projeter ses ombres. Il était percé de regardoirs pourvus d'oeillères et de capuchons semblables à des cornettes de religieuses, superposés sur la déclivité des tuiles et jusqu'au sommet, où c'était merveille qu'une maison accroupie et tournant si vite à la cloche, donnât si haut encore un dernier signe de méfiance et de vie. La toiture s'achevait en épis de faïence, terminés en colombes couveuses, d'où le nom de colombages prêté à ces légères voliges, calfeutrées de tuile ou de pisé, et qui servaient de clôtures aux oiselles gémissantes de saint. Benoît. Il n'était point de bourgeois qui n'en fut charmé, qui ne voulut posséder un logis de ce style imité des abbesses, et ce ne sont dans Vimoutiers que maisons encorbellées, que greniers à lucarnes, qu'escaliers ajourés qui, parfois, derrière un mur plein, s'accolent à la maison, parfois en des tours ouvertes par le haut, laissent voir une dernière fois ceux qui montent, et donnent, à l'heure du bonsoir, un rappel de leur personne, à Heur des toits.

II

Je ne crois pas qu'il faille hésiter à dire que l'architecture en colombage constitue un mode particulier, au môme titre que le roman, le gothique, les ordres grecs, les pastiches de la Renaissance, le style mégalithique, l'architecture Kmer : ce mode est à proprement parler le style normand. Il est sans analogue.

L'origine de ces maisons de bois est nautique, c'est le pays des ftords, c'est la carène et la mâture (i). et si l'on veut comparer l'effet de leur architecture à quelqu'autre effet du même genre,

(1) Los Normands, dit Violet le Duc (Dicl. au mot « Pan de bois »), employèrent, des bois de grande longueur et des bois courbés si fréquemment usités dans la charpenterie navale ; ils adoptèrent certains assemblages dont les coupes ont une puissance extraordinaire comme pour résister aux chocs et aux ébranlements auxquels sont soumis les navires. Il ne faudrait pas croire, ajoute le môme auteur, que le défaut de pierre en un pays portât seul à construire des maisons de. bois. Ce genre de construction permettait de gagner de la place dans les étages encorbellés. « Il était économique et sain, car, à épaisseur égale, un pan de bois garantit mieux les habitants d'une maison des variations de la température extérieure qu'un mur de brique ou do pierre ».


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on ne le peut qu'au style « perpendiculaire » de la Grande-Bretagne.

Les colombages droits et noirs s'élèvent symétriquement autour des cours carrées. Leur ascension à travers les briques obliques et roses, régulièrement imbriquées dans les interstices des voliges, n'est pas sans élever les yeux et l'âme, vers ce carré de ciel bleu qu'encadrent les toits, et qui est la seule voûte, située à l'infini, mais où tendent tant de lignes rapprochées et parallèles.

Quand on entre dans les cours closes, on croit entrer en des églises aux colonnettes grêles, nombreuses, montant de fond, aux fenêtres striées d'interminables meneaux qui rivalisent d'essor avec les colonnettes, aux longs tuyaux d'orgues groupés en faisceaux, qui, montant dans la même direction, obéissent à l'unanime exaltation de toutes les parties de l'édifice.

Il est vrai que dans les cours closes, les murs n'ont pas la pâleur de la pierre. Les parois ont un coloris harmonieux, ou le pisé jaune ou blanc, se mêle et s'unit à la brique, à la tuile diversicolores.

On comprend, dans les cours intérieures des vieux logis, quel sentiment, quel besoin de coloris possède et sollicite les races septentrionales.

Elles apprécient d'autant mieux le charme des tons, qu'elles habitent sous des cieux où le soleil n'efface point Irop de sa lumière la couleur propre des choses, sous des cieux qui faisaient peindre Rembrandt et Ruysdael, et dire à Shakespeare : « Je n'ai jamais vu de jour si sombre et si beau ». Toute Ja ville montait ainsi, dans une atmosphère favorable à la couleur, comme une jeune plantation d'innombrables arborescences, comme une pépinière étrange de sigillaires et de calamités striant des parois de carmin, comme une forêt de ramures, où des coeurs sains, où des esprits droits avaient établi dans l'honneur, et suspendu sous la tuile et le bois, le nid de leurs familles. Il n'était rien de mieux orchestré, ni de plus vibrant, de plus ardemment dardé vers le ciel, où la grande lucarne traversée de meneaux inégaux, arborait encore, sur ses carreaux glauques, une gigantesque image de la Croix.


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III

Le plus pittoresque restait à Aroir à Vimoutiers : c'était cette longue place qui porte à ses extrémités deux églises, l'une vieille et l'autre jeune, double attrait. L'église neuve est si pâle et si « bleutée », qu'elle est à peine distincte du ciel d'automne, elle s'en détache en un relief léger comme un décor fantastique, et pour sur, elle est fée.

Le granit bleuâtre, alternant avec la pierre blanche sur sa claire façade, y figure je ne sais quelles échelles de Jacob : à l'origine des flèches, il s'ajoure, il se spiritualise, et si celte lourde pierre prend de si légers essors, à plus forte raison l'âme humaine, spirituelle de nature, doil elle en face de cette transcendance d'une chose inerte, se souvenir qu'elle-même a des ailes. L'Église intérieure orne la couronne de ses colonnes de Heurs de pierre blanche cueillies pour le ciseau dans les campagnes normandes.

Les améthystes de ses verrières s'atténuent et se corrigent dans son pavé de mosaïque en d'harmonieux reflets. Le miroir du dallage fait penser à des transparences de marbres, à des diaphanéilés d'albâtres.

Ce monument enchanté est aussi, dans sa belle nouveauté, comme une expression de la science moderne du passé, c'est-àdire de l'archéologie. N'est-ce point à l'aide de cette science que le maître de l'oeuvre (1) a tenté de reproduire quelqu'ancienne cathédrale, telle qu'elle était en sa blancheur première. N'était-ce point ainsi qu'elle apparût à l'enthousiasme des peuples comme la candide et liante formule de leurs premiers sursum corda ? N'était-ce point là, qu'après les fatigues de la journée, au sortir des rues fangeuses, l'ouvrier des vieilles corporations venait chercher la tranquillité de l'ordre le plus régulier ?

Aux quatre angles de la croisée, sous les grandes voûtes, sont disposées comme en attente quatre piédestaux de statues : qui les occupera? qui ne voudrait y voir Evroult, Giroie, Anselme et Lanfranc si puissants d'oeuvre et de paroles, si calmes de philosophie, vrais supports de la chrétienté normande ? Voilà bien la cathédrale alors que nul passant ne l'a souillée de son vain nom,

(1) M. Frangeul, de Saint-Malo.


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que nul vil couteau n'a rayé le poli de ses murs, que nulle mousse n'a rongé ses marbres, alors que nulle révolution ne l'a violée, que nulle restauration ne l'a dégradée, que nulle excroissance parasite n'a gâté l'orthodoxe intégrité de ses lignes. Elle est comme une première communiante qui, dans une pureté baptismale, sous les voiles de tulle, à travers les nuages de l'encens, marche vers l'époux de son âme ; elle est comme une fiancée qui, dans le satin argenté, s'avance vers l'autel et se croit déjà mère heureuse au milieu de ses enfants ; ses voûtes se gonflent comme sous le souffle des multitudes, ses verrières magnifient le Très Haut, ses orgues louent l'Éternel de tout leur souffle et disent qu'il est doux pour des frères d'habiter ensemble ; ses carillons sèment au dehors, sur la cité, la joie en perles sonores, le dogme est écrit dans ses murs, l'espérance bourdonne dans ses tours et la charité est sculptée sur ses portes.

IV

A l'autre extrémité de la place publique, du côté de l'Orient qui est le côté des origines, la vieille église de Vimoutiers se pose et s'affirme avec le relief un peu cru d'un bloc de sombre maçonnerie sur le ciel clair. Réaliste autant que l'autre église était idéaliste, elle voudrait être peinte par un Milet, comme l'autre par un Puvis. L'autre était d'albâtre, celle-ci est de bronze, si tant est qu'on exagère pour spécifier. C'était par l'unité que la nouvelle église manifestait quelque chose du beau. Mais le beau n'est pas seulement unité, il est variété, et si le vieil édifice le manifeste, on peut dire que c'est surtout par la multiplicité de cent particularités pittoresques. Là tout détail a son effet, toute note chante sa partie, tout profil a son caractère, toute couleur sa valeur sentimentale. Voici des pierres sablonneuses, rares dans le pays, corrodées par les hivers et que délitent les vents d'Ouest alors qu'ils passent, l'hiver, avec bruit sur la place ; voilà des filets et des ornements soulignés par des mousses et des herbes. Là, tout un semis de taches d'or, produites par des lichens, rappelle la longue assiduité des anciens soleils.

Ici, la couleur parle : Le bleu sombre des ardoises s'harmonise à l'oranger sombre des murs, comme un acier rouillé près d'un airain bruni.


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Là, c'est la forme qui suggère : l'Eglise est géométrique. Le clocher est carré, c'est un beffroi. Il est clos, hanté de quelque vieille cloche de bronze dont nous pourrions ouïr la voix fêlée, si elle allait s'éveiller d'un long dormir. Il a, sur sa mante ardoisée, des ouïes, des yeux, des lucarnes, une girouette pendante, des épis de plomb, des reliefs bizarres, des aspérités comme celles des crustacés. On se croirait en Norwège en lace des vieux toits qu'habita primitivement le génie nautique et sombre des hommes du Nord.

Cette église, c'est la tradition, c'est le xve, c'est le xvic et le xviie siècle ; c'est chacun de ces âges disposant la pierre en vue d'un but éternel selon la forme éphémère de ses préférences.

La Société archéologique de l'Orne a d'un voeu unanime demandé la conservation de ce témoignage lapidaire rendu par la petile cité de Vimoutiers au goût antérieur de ces grands siècles que nulle révolution ne saurait faire oublier à la France, qui s'oublierait elle-même en les oubliant !

Cette église est comme une aïeule qui rêve, sous l'ardoise silencieuse, à d'anciennes amours, aux extrémités endeuillées de la joie ; elle est comme une ancêtre au coeur vigilant, dont la mémoire est pleine de trépassés comme l'église elle-même est pavée de tombeaux, et qui se console en méditant l'indestructible fécondité de ce fonds chrétien d'où surgit auprès d'elle une église nouvelle, une fille plus belle que sa mère , pour idéaliser dans la candeur des pierres immaculées tout ce que gardait la mémoire de l'aïeule, tout ce dont témoignait la vétusté de la première église.

FLORENTIN-LORIOT.

LE BANQUET

La fête s'est terminée par un banquet à l'hôtel du Soleil d'Or. M. Paul Harel en avait choisi le menu, et ses ordres ont été exécutés fort à souhait pour l'agrément des quarante convives.

M. de Conlades présidait.


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Au Champagne, il a porté avec cordialité et reconnaissance la santé de M. Pernelle, maire de Vimoutiers, qui recevait luimême les archéologues avec tant de courtoisie et de honne grâce.

Un succès fort inattendu a clos la soirée : Le bon curé d'Orville M. l'abbé Boulant, a fait aux invités la surprise d'une chanson, qui dans un pays que la pomme aveugle de richesse et trop souvent perd d'ivresse, était fort de mise puisqu'elle avait pour titre : le Cabaret ; voici le premier couplet :

Entre la chopine et la pinte

Je voudrais comme un bon garçon

Faire une joyeuse chanson

Mais je ne trouve qu'une complainte,

Car tout's leurs satanées liqueurs

Ne laiss'nt que le cliagrin dans les coeurs.


SONNET

Lu au banquet du Soleil d'Or, à Vimoutiers, lors de la réunion de la Société Archéologique de l'Orne.

A GUSTAVE LE VAVASSEUR

Honorant ta mémoire, à l'ombre de tes bois J'irai, Le Vavasseur, te lire sous tes hêtres Ou bien au pied rugueux de tes chênes, ancêtres Des vers cornéliens dont lu savais les lois,

Et là, j'aurai l'orgueil d'être Normand deux fois, Normand de par la terre où mon sort fut de naître, Normand de par ton art qui me la fit connaître, Normand, deux fois Normand, mais d'autant plus Gaidois,

Car au goût mesuré de ta plaisanterie J'ai reconnu l'esprit des Gaules ta patrie, Leur franchise hardie a parlé par ton vers

Qui, beau de caractère et simple d'apparence. Par une oeuvre normande édifiait la France, Par une oeuvre française enchantait l'univers.

FLORENTIN-LORIOT.




UNE FAMILLE DE SOLDATS

LA MAISON

DE BOISDEFFRE

Discours lu à Vimoutiers, le 2g Octobre i8g6.

MESSIEURS,

Je ne saurais, pour la première fois, prendre place au milieu des membres de la Société historique et archéologique de l'Orne, sans les remercier encore d'un témoignage d'amitié, que justifient seuls peut-être les souvenirs de quinze ans d'efforts, de travaux communs. Souvenirs aussi de joyeuses et cordiales excursions à travers l'Orne, auxquels viendra se joindre, avec un singulier charme, celui de notre visite d'aujourd'hui à Vimoutiers. Nous n'oublierons certes ni le très aimable accueil que nous y avons reçu, ni les sensations que nous y avons éprouvées près de ces vieilles maisons, poétiques vestiges de notre ancienne Normandie ; près de cette superbe église, rattachée au passé par l'art le plus délicat et le plus tidèle, mais qui n'en affirme pas moins la vitalité et la puissance de notre Normandie moderne. Ne convient-il pas que nous exprimions ici, avant d'ajouter à notre carnet de route de si précieux feuillets, et notre plaisir très vif et notre gratitude très sincère ?

Mais si nous sommes unis, Messieurs, par d'agréables souvenirs, il en est de douloureux qui nous lient les uns aux autres plus étroitement encore. L'an dernier, j'adressais un hommage suprême à l'un des fondateurs, au premier des présidents de notre Société, M. Léon de La Sicotière, le plus érudit et le plus bienveillant des maîtres. Cette année, nous avons à déplorer la


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perte de M. Gustave Le Vavasseur, son successeur regrelté, qui avait, comme lui, donné à notre Société, et son coeur et son esprit, — un merveilleux esprit dont la lueur scintillera toujours en notre mémoire. En voyant — il y a deux ans à peine — nos deux vétérans parmi nous, pleins d'activité et de vie, nous nous doutions peu que nous aurions aujourd'hui à rapprocher leurs noms dans nos regrets et à diriger vers deux tombes noire lidèle pensée.

Nous n'avons pas à juger ici — car il était trop des nôtres — l'oeuvre littéraire de M. Gustave Le Vavasseur. La grande critique d'ailleurs a commencé à le faire et cela de façon à nous rendre fiers (I). Mais nous pouvons dire tout ce que nous devons à celui que nous serions tenté d'appeler notre -poète, s'il n'avait su pour nous, en un dualisme très rare, abandonner les rêves pour les textes, chercher des documents pour nous parler de Mézeray et retrouver, pour chanter la. Dame des Tourailles, les flammes du plus beau, du plus pur enthousiasme.

Il comptait — et ce fut. l'un de ses derniers désirs — assister aujourd'hui à cette réunion. Il serait venu vers nous de Roiville, de sa maison de bois, vers laquelle je ne saurais m'empôcher de vous mener un peu vers lui :

«...Elle n'est pas d'hier cette brave chaumière,

Dont la brique fleurit sur le flanc du coteau.

Elle tient de la hutte autant que du château,

Et son toit, que le vent discrètement essuie,

Pleure longtemps, longtemps encore après la pluie.

En regardant tomber les gouttes sur le seuil,

Le poète en prison, songe à quelque ancien deuil.

La verdure est funèbre et, sous les pommiers sombres,

Des défunts oubliés, il voit passer les ombres,

Spectres doux, revenants sous leurs voiles épais,

Comme des messagers de l'éternelle paix. (2) »

(1) Voy. dans le Temps(n° du 17 septembre 1896), l'article de M. Jules Clare. tie : « Le jour où l'on voudra publier une complète anthologie de la poésie française, on ne pourra oublier Gustave Le Vavasseur... qui, en sa jeunesse verdoyante, comme les haies de son pays normand..., avait chanté ce que Flaubert a décrit. » Voyez aussi les articles publiés dans le Soleil (14 septembre 1896), le Figaro (18 septembre 1896), l'Autorité (20 octobre 1896), etc., etc.

(2) Gustave Le Vavasseur, Poésies complètes, (T. V. p. 77).


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Mciis, grâce à Dion, il est des défunts (jiii ne seronl pas oubliés tant que nous aurons vie ; il est de très chères ombres, de doux spectres que l'affection rappelle et ranime en notre mémoire et, tant que les travailleurs ornais prolongeront sur le sol normand le sillon ouvert par le maître de Roiville, le nom de Gustave Le Vavasseur restera toujours vivant !

C'est véritablement de ces demeures anciennes, de ces logis provinciaux que vient, pour vivifier nos études, corps formé de la poudre des parchemins, ce que j'appellerai l'âme de notre pays. Cette âme, nous venons de la rencontrer dans une maison en deuil ; nous allons la retrouver dans une maison en joie, tout éclairée d'une lueur patriotique. C'est le manoir de Boisdeffre, pittoresquement enfoui dans la verdure, à l'extrémité de la plaine d'Alençon. (1).

(1) Le château de Boisdeffre est bien situé dans la commune de Bénis (Sarthe), mais nous n'en regardons pas moins la maison de Boisdeffre comme appartenant à la Normandie, en raison de son origine et de ses séjours habituels à Alençon, où elle a toujours possédé une résidence d'hiver et où sont nés la plupart de ses membres.


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Il n'y a peut-être pas de nom qui soit prononcé en France avec plus de fierté et de sympathie, que celui de M. le général de Boisdeffre, chef d'état-major général de l'armée. D'abord parce que tout l'avenir militaire de notre pays est placé entre ses mains, puis parce qu'il a, aux fêtes de Moscou, représenté la France près du souverain de la nation la plus aimée et que, hier encore, nous le voyions attaché à S. M. le Tsar aux fêtes de Paris. Mais, si tous connaissent aujourd'hui son nom, tous ne savent pas que ce nom de Boisdeffre a été porté avant lui par de très vaillants soldats et que l'écusson d'argent à trois gibecières de sable, boutonnées et houppées d'or, qui hlasonnait les voitures françaises au sacre de S. M. Nicolas II, appartient à l'une des plus anciennes et des meilleures maisons de Basse-Normandie. (1).

Il n'est donc pas sans intérêt d'en parler en ce moment et de regarder le manoir de Boisdeffre où, vers la lin de XVIII 0 siècle, vint se retirer un vieil officier, brigadier des armées du roi. Il s'appelait René-Jean Le Mouton, seigneur de Boisdeffre, et était issu d'une ancienne maison normande, maintenue dans sa noblesse dès la recherche de Monlfaul (1463), et dont les divers rameaux s'étaient étendus sur la Normandie, la Bretagne et le Maine.

Sur toutes planait, en raison d'une tradition de famille, le glorieux souvenir du maréchalde Blainville, JeandeMauquenchy. sorte de Duguesclin normand, surnommé Mouton, comme son lils était appelé Moutonnet. Moutons et moutonnets qui, sous Charles VI, se transformaient très rapidement en lions dès qu'il s'agissait de défendre la patrie (2).

(1) Nous avons reçu, pour ce travail consacré à la maison de Boisdeffre, les plus utiles communications de MM. L. Duval ; Jules Cochon, inspecteur des forêts à Saint-Claude, l'abbé Richer et l'abbé Letacq. M. Paul de Farcy a bien voulu nous faire part de très précieuses notes relatives aux origines de la famille Le Mouton de Boisdeffre.

(2i Les diverses branches de la maison Le Mouton étaient fières, d'après une constante tradition de la famille, du souvenir du maréchal de Blainville, Jean de Mauquenchy, surnommé Mouton. Il importe, en effet, de remarquer que, si les généalogies de la maison Mauquenchy de Blainville ne justifient pas entièrement cette tradition, la branche de la maison Le Mouton, établie dans la généralité de Rouen et maintenue dans sa noblesse en 1665, portait avec quelques légères variantes les armoiries des Blainville : d'azur, à la croix d'argent cantonnée de seize croisettes recroisettées d'or; à la coticc de gueules brochant sur le tout. Celles des Mauquenchy de Blainville étaient : d'azur, à la croix d'argent cantonnée de


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La branche de la maison Le Moulon, à laquelle appartenait M. de Boisdeffre — on le nommait ainsi selon l'usage du pays — était venue du Cotentin, où elle avait possédé primitivement la terre de la Motte dans la paroisse d'Angoville. Puis elle était venue, à la suite d'une alliance avec la maison Leclerc, dans la paroisse de Bernay-au-Maine où elle résidait au manoir de la Jeossière. Enfin, à la suite du mariage de Nicolas Le Mouton avec Marie d'Alleaume qui lui avait apporté la terre de Boisdeffre, elle s'était établie dans la paroisse de Bérus. Le domaine de Boisdeffre, situé sur les confins de la Normandie et du Maine, relevait du fief de la Rivière-en-Cherizay (1).

M. de Boisdeffre était un fils de soldat. Son père, RenéNicolas, maréchal des logis des deux cents chevau-légers de la garde ordinaire du roi, avec rang de mestre de camp de cavalerie, avait été blessé à la bataille de Hochstedt et à celle de Malplaquet, dans laquelle le maréchal de Boufflers avait fait si vaillamment donner la garde du roi. Nicolas de Boisdeffre, qui avait épousé, en première noces, Anne-Glotilde de Boufflers, et en secondes, Marie de Chabot, s'était retiré à Boisdeffre et y était mort en 1735.

René-Jean avait brillamment servi lui-même. Lieutenantcolonel du régiment Dauphin-cavalerie (1779) et brigadier des armées du roi (1781), il venait d'être admis à la retraite. Le vieux chevalier de Saint-Louis avait fidèlement transmis à ses fils la tradition militaire de sa maison. Il n'en avait pas eu moins de sept, de son mariage avec Geneviève-Victoire Philippe de SaintNicolas. Deux étaient entrés dans les ordres, mais les cinq autres étaient allés à l'armée, et quand leur père en revint et se fut retiré à Boisdeffre, il put, parfois, compter cinq officiers à sa table de famille.

L'aîné, Louis-René, venait d'être nommé major au régiment de Bourgogne. Il avait servi, depuis 1760, dans le régiment étranger Dauphin-cavalerie et y avait exercé successivement les

vingt croisettes recroisettées au pied fiché d'or, cinq à chaque canton. Une telle similitude d'armoiries ne semble-t-elle pas expliquer et confirmer la tradition de quelque alliance entre les deux maisons ?

(1) Voy. Fief et seigneurie de Maleffre en Arçonnay, par M. Moulard (Bulletin de la Société d'Agriculture, Sciences et Arts de la Sarthe, t. XXXV, p. 187).

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fonctions de sous-aide major et d'aide-major. Une correspondance remplie d'entrain et de verve et qui restitue avec un singulier relief la vie militaire au xvine siècle, a récemment été publiée dans le Carnet de la Sa.brela.che (1). Elle montre quels étaient l'esprit et la bonne humeur de Louis-René de Boisdeffre et de ses correspondants, MM. de Valmaletle, de Réveillasc, Turpin de Crissé, de Béthune. Ce sont de piquantes lettres, remplies de détails curieux et de menues nouvelles, où l'on parle de tout, de fourrages et de recrues, du vin de Thionville et des dames de Saint-Avold, de Bagatelle, où le comte d'Artois va donner une fête à la reine, et de Paris, où « le bruit public annonce des révolutions prochaines (2) ».

François-René (3), le second fils de M. de Boisdeffre, était un merveilleux écuyer. Son père, d'ailleurs, était réputé pour se connaître fort bien en chevaux et il avait fait avec succès plusieurs remontes. Le chevalier de Boisdeffre — on appelait ainsi François-René — élève de l'école militaire, puis de celle de la Flèche, s'était consacré à l'art de l'équitation pour lequel il avait une aptitude toute spéciale. Dans des notes d'inspection, dès 1765, son rare mérite avait été reconnu. « M. de Boisdeffre, fils — y est-il dit — est fort instruit dans la partie de l'équitation et s'y rend fort utile au régiment (4). » Il était à Saumur, en 1775, lieutenant dans les carabiniers du comte de Provence, lorsqu'il fut attaché par le baron de Livron, major de la brigade, à l'enseignement d'équitation du corps. Il songeait à Boisdeffre, dans ses loisirs, à fixer en de remarquables Principes d'équitation et de cavalerie cet enseignement dont il devait un

(1) Voy. dans le Carnet de la Sabretache, n° 39 (p. 113-127) et n° 42 p. 295-312) celte très intéressante correspondance, publiée par les soins

de M. le général Vanson.

(2) Lettre de M. de Béthune au chevalier de Boisdeffre (archives de la maison de Boisdeffre). Voy. au sujet de la fête de Bagatelle, Correspondance secrète inédite sur Louis XVI, Marie-Antoinette, etc., publiée par M. de Lescure, T.-i, p. 343.

(31 D'après son acte de baptême (archives de l'Orne), il s'appelait JeanFrançois-René et peut-être Jean-Baptiste comme son parrain. Sur le tiire de la seconde édition des Principes d'équitation, il prend le nom de J.-B. Boisdeffre. Nous l'avons toutefois appelé François-René, comme il paraît l'avoir été dans sa famille et pour le distinguer de son frère, BendJean-Baptiste-Michel, le maréchal de camp (archives de l'Orne).

(4) Notes d'inspection relevées par M. le général Vanson. Inspection de 1769.


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jour être chargé, en qualité de sous-gouverneur, près des pages de la chambre du roi.

Le troisième fils du châtelain de Boisdeffre, René-Alexandre, servait dans les carabiniers, et le quatrième, René-Nicolas, dans le régiment Dauphin-cavalerie, que les officiers de sa famille paraissent avoir particulièrement affectionné. Jean-Baptiste, le plus jeune, était alors capitaine dans le Royal-Comtois.

Ce château de Boisdeffre, où, près des cinq officiers, se rencontraient des pi'étres intelligents (François, grand-vicaire du diocèse du Mans, et René-Raphaël, chanoine de Saint-Pierre-laCour) et de très charmantes filles dont l'une avait été demoiselle de Saint-Cyr, inspirait à tout le pays un sentiment de respect, tant il fournissait d'exemples de vaillance, d'honneur et de désintéressement. « M. de Boisdeffre, — lisons-nous dans les souvenirs d'un de ses contemporains (1) — est homme de bonne condition ; il a plusieurs enfants au service et il n'est pas bien riche (2). »

Puis vint la Révolution, qui dispersa les habitants du manoir

(1) Voy. Mémoires de René-Pierre Nepvcu de la Manouillère, chanoine de l'église du Mans, publiés par M. l'abbé Esnaull (T. n, p. 43).

(2] Nous lisons dans une Liste des biens situés dans le territoire du département de l'Orne, appartenant à des parliculiei's qui n'ont pas justifié de leur résidence dans le Royaume, conformément à l'article IX de la loi du 8 avril 1792, relative aux biens des émigrés (Alençon, Malassis le jeune, 1792, in-4°, 19 p.l : « Municipalité d'Alençon : les fils et héritiers du feu sieur Mouton de Boisdeffre, à l'exception de l'aîné : Une maison, cour et dépendances, situées rue du Bercail. Une autre maison attenante à celle ci-dessus, remise et cour sises dans la même rue. » Louis-René semble, en effet, avoir rempli avec le plus grand soin toutes les formalités requises pour éviter d'être porté sur la liste des émigrés. L'on trouve aux archives de l'Orne (série E) un certificat du 12 décembre 1792, délivré par les maire et officiers municipaux de Bérus, district de Fresnay (Sarthe), attestant que « le citoyen Louis-René Le Mouton (connu sous le nom de Boisdeffre l'aînéi, ci-devant colonel du 17' régiment de cavalerie en garnison à Rouen, actuellement maréchal de camp en résidence depuis plus de six mois en France, n'en est pas sorti depuis la Révolution, conformément au certificat de la municipalité de Rouen, que le dit citoyen a présenté en personne depuis son retour à Bérus, où il fait sa résidence actuelle. » Le 16 pluviôse an XI, le maire d'Alençon ayant demandé au citoyen Mouton-Boisdeffre, général de brigade, divers renseignements, entres autres ses « profession et état depuis la Révolution », Louis-René de Boisdeffre lui répondit : « Mes services militaires depuis la Révolution sont d'avoir, depuis 1789 jusqu'en 1792, commandé le régiment de Bourgogne, employé tant à Meaux-en-Brie qu'à Rouen pour protéger la circulation des subsistances et la tranquillité publique dans les environs de Paris (Archives de la famille) ».


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de Boisdeffre. Le brigadier des armées du Roi, qui avait signé, en 1789, à Alençon, le cahier de l'ordre de la noblesse, y mourut, dans son hôtel de la rue du Bercail, le 29 avril 1791.

Louis-René, son lils aîné, nommé maréchal de camp, le 22 juillet 1792, était auparavant colonel du Royal-Bourgogne et avait employé son régiment à Meaux et à Rouen , « pour protéger la circulation des subsistances et la tranquillité publique. » Il se retira à Alençon, où il reçut, en 1805, du comte Roederer, sénateur de l'Empire, un témoignage d'honneur et de considération rédigé presque dans les mômes termes que celui que nous avons vu accorder, avant la Révolution, à son père. « Il y a à Alençon, lisons-nous dans un rapport adressé à l'Empereur, un propriétaire nommé M. de Boisdeffre, autrefois major et ensuite colonel du régiment de Bourgogne-cavalerie. Mais sa fortune est très bornée, ce qui n'empêche pas que ce ne soit un des hommes les plus considérés de la Aille et d'une famille fort influente. Bien plus, dans une conversation entre l'empereur et lui, immédiatement écrite, le comte Roederer, le 29 mai 1811, confirme ainsi ce témoignage :

« L'Empereur. — Vous connaissez le pays ?

Roederer. — Oui, Sire ; surtout la ville.

L'Empereur. — Quel est l'homme le plus considérable du pays ?

Roederer. — M. Le Veneur.

L'Empereur. — De la ville ?

Roederer. — M. de Boisdeffre... M. de Boisdeffre est un ancien militaire, fils, petit-fils, anïère-petit-lïls de militaires et père d'un jeune homme tué au service de Votre Majesté (1). C'est une famille qui a toujours servi (2). » Louis-René de Boisdeffre mourut à Alençon, le 26 mai 1814, dans son hôtel de la rue des GrandesPoteries. Cet hôtel appartient encore à l'un de ses descendants. M. Lyonnel de Boisdeffre qui, ayant servi lui-même, a le culte légitime des souvenirs militaires de sa maison.

François-René, qui, lieutenant dans les carabiniers avec commission de capitaine avait été en garnison à Metz, de 1784 à 1787, puis était revenu à Saumur, était, en 1789, sous-gouverneur des

(1) Auguste de Boisdeffre. Voy. ci-dessous p. 414.

(2) Voy. OEuvres du comte de Roederer, T. m, p. 483,


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pages de la chambre du roi (1). Il avait, en 1788, publié un Traité d'équitation et de cavalerie (2). En 1792, après les journées de septembre, il s'était réfugié à Goulommiers. Puis, ayant émigré, il fit appel à son esprit et tenta, à Leipzig, de vivre desa plume, en publiant divers pamphlets, entre autres un curieux Tableau historique de la France révolutionnaire et de Courtes Réflexions sur les mémoires du général Dumouriez. Revenu en France, il donna en 1803. une nouvelle édition des Principes d'équitation et de cavalerie. On le retrouve écuyer à l'Ecole de Saint-Cyr en 1811, 1812, 1813. Puis il se fixa à Versailles, et, après y avoir mélancoliquement parlé en une dernière brochure Du temps passé et du temps présent (3), il s'y éteignit, en 1827, près du manège royal vide de chevaux et des terrasses à jamais abandonnées par les pages. René-Nicolas de Boisdefl're qui, comme lui, avait émigré, était mort à Alençon, en l'an XI, peu après son retour en France. René-Alexandre, capitaine de carabiniers, était décédé, le 8 mai 1792, à Strasbourg, où sa tombe se trouve dans le cimetière de Saint-Urbain-hors-les-Murs. Le dernier des fils du châtelain de Boisdefl're, Jean-Baptiste, l'ut plus mêlé que ses frères aînés aux événements de l'époque révolutionnaire. Il était capitaine commandant de grenadiers, quand, en 1791, après le voyage de Varennes, un serment fut exigé des officiers militaires. Les uns refusèrent de le prêter et furent, sur-le-champ, destitués de leurs emplois ; les autres y consentirent, sentant bien qu'il fallait entourer le roi de quelques hommes dévoués et prêts à mourir pour lui. Un rapide avancement leur fut aussitôt offert et, le 20 août 1791, JeanBaptiste de Boisdefl're reçut une lettre ministérielle lui annonçant sa nomination de lieutenant-colonel dans le régiment d'Auvergne (4). Son mérite eut d'ailleurs justifié celle nomination, car

(1) Voy. VEquitalion en France, ses écoles et ses maîtres, par M. Charles Duplessis (p. 587).

(2) Principes de cavalerie. Paris, Didot fils, in-12, iv, 210 p

(3) Principes d'équitation et de cavalerie. Paris, Magimel, an xi, in-12, 212 p. Tableau historique de la France révolutionnaire, Leipzig, Macklot et Gebhardt, 1794, in-8°. Courtes réflexions sur les mémoires du général Dumouriez s. I. n. d. 1794, in-8\ Du temps passé et du temps présentVersailles, Jalabert, 1826, in-8% 68 p.

(41 Notes manuscrites de Jean-Baptiste de Boisdefl're, écrites sur les marges d'un volume des Entretiens de Phocion, traduits par Mably, en la possession de M. le général de BoisdefTre.


il était alors membre du comité militaire, rédacteur des ordonnances. Mais dès qu'il eut reçu sa nomination, M. de Boisdeffre se rendit chez M. Duportail, ministre de la guerre. Il lui remit la lettre qu'il avait reçue, lui observant que, dans la situation actuelle du roi, il ne pouvait recevoir aucun grade. Huit jours après, il recevait l'ordre de rejoindre le régiment de RoyalComtois, dans lequel il était employé, et cessait de faire partie du comité militaire.

Mais cela ne l'empêcha point de faire réclamer pour lui, par un de ses amis, une place sur la liste des oflîciers ayant refusé des grades dans de semblables conditions. Nous lisons en effet, dans la Gazette de Paris, à la date du 20 octobre 1791 : « Vous seriez fâché, Monsieur, d'oublier dans la liste des officiers à qui leur délicatesse n'a permis de recevoir qu'avec indignation la proposition de remplacer ceux que le refus d'un serment a destitués de leurs emplois, M. de Boisdeffre, ancien élève de l'Ecole royale militaire. Cet officier... promu à la lieufenance colonelle d'un régiment d'infanterie, a cru devoir oublier qu'il est cadet d'une famille nombreuse toute consacrée au roi et peu favorisée de la fortune pour ne se souvenir que de sa reconnaissance et de son dévouement à son roi... Ce refus lui a valu la perte de sa place au comité, il s'en console avec sa conscience.

Signé : LE BARON DE PELISSIER-VIONS »

Cette fière attitude mérita sans doute à Jean-Baptiste de Boisdeffre sa nomination de lieutenant-colonel dans la garde constitutionnelle du roi, où l'on essayait de faire entrer quelques officiers dévoués au malheureux prince. Cette garde, commandée par le chevaleresque comte d'Hervilly, devint très promptement suspecte à ceux qui préparaient la chute de la monarchie et elle fut licenciée le 31 mars 1792. Cela n'empêcha pas Jean-Baptisle de Boisdeffre de se trouver aux Tuileries, près de M. d'Hervilly, quand l'honneur l'y appelait, le 20 juin et le 10 août.

En juillet 1795, nous le retrouvons à Quiberon, servant dans le régiment Royal-Louis, toujours sous le même chef. Au combat du 16, où M. d'Hervilly tomba mortellement blessé, M. de Boisdeffre fut atteint d'un coup de feu à la joue droite. Puis, après de longues années passées à Londres, Jean-Baptiste de Boisdeffre revint en France avec le roi Louis XVIII et fut


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nommé maréchal de camp, le 17 juillet 1816. Il ne mourut qu'en 1836.

Mais ce n'est pas à la branche du lieutenant-colonel de la garde constitutionnelle de Louis XVI qu'appartient le chef de l'état-major général de l'armée. Il descend directement de l'aîné des cinq frères soldats, réunis à Boisdeffre, du maréchal de camp Louis-René, dont il est le petit-fils. Des deux fils de Louis-René de Boisdeffre, l'aîné, Auguste, lieutenant de cavalerie, fut, le 21 mars 1807, tué de plusieurs coups de lance au combat de Villemberg ; le second, Adolphe, servit, en 1813 et en 1814, dans les gardes d'honneur du général de Ségur, corps qui se signala par son intrépidité au combat de Montmirail et, particulièrement, à l'affaire de Reims.

Le général de Boisdeffre est le fils de ce dernier. Nous n'avons pas à rapporter ici sa carrière, quelque brillante qu'elle soit. Mais tous se rappellent que, capitaine, après un séjour en Afrique, il se Irouvait à Paris pendant le siège et que le général Trochu le chargea d'aller exposer au général Chanzy la véritable siluation de Paris. Il partit en ballon, descendit à Beaufort-enVallée et put aller rendre compte de sa mission au commandant de l'armée de la Loire. Le général Chanzy l'attacha à sa personne et lui accorda, comme le fit plus tard le général de Miribel, et sa pleine confiance et son entière amitié. C'est par ces grandes ombres que le général de Boisdeffre a été désigné pour avoir la garde de l'armée et de la patrie. Conseiller d'État et général de division depuis 1892, il a donc très justement élé choisi pour représenter, à Moscou comme ambassadeur extraordinaire de la République, la nation française, au sacre de S. M. le Tsar Nicolas II.

Nous avons donc ressenti une légitime fierté, en le voyant, ces jours derniers, dans des fêtes où le patriotisme français s'est manifesté d'une façon inoubliable, représenter pour ainsi dire notre Normandie près de l'auguste ami de notre nation. L'on se figure trop volontiers que les membres de Sociétés historiques, fixés au passé sur des in-folios poudreux, ferment les yeux à la lueur des feux de joie et les oreilles au bruit des vivats. Eh bien, Messieurs, je vous l'assure, en cette grande semaine d'enthousiasme national, nos vieux coeurs d'archéologues ont battu à l'unisson des coeurs les plus jeunes et les plus chauds. Et nous


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avons éprouvé une véritable joie à inscrire sur noire programme le nom de Boisdeffre, parce qu'il est l'orgueil de notre province et l'espoir de notre patrie, parce que, surtout, il nous semble le symbole de cette heureuse alliance, de cette précieuse confraternité d'armes qui nous permettent d'espérer, pour la France, le retour de ces temps de splendeur et de gloire dont le reflet vient dorer les pages de nos livres.

C,e G. DE CONTADES.


COMPTE RENDU

DES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ PENDANT L'ANNÉE Par M. Henri BEAUDOUIN

MESSIEURS ET CHERS CONFRÈRES,

Le premier mot que vous attendez de moi est un mot de tristesse et de deuil. Celui que vous vous prépariez à applaudir aujourd'hui, notre vénérable Secrétaire général, M. Gustave Le Vavasseur, a été emporté par la mort, le 9 septembre dernier. Je n'ai point à vous faire ici son éloge ; vous venez d'entendre les termes émus par lesquels notre Président vous a informés de la douloureuse nouvelle ; vous en entendrez d'autres assurément.

Appelé à vous donner à sa place le compte-rendu des travaux de la Société pendant l'année qui finit aujourd'hui, je sens d'autant mieux mon insuffisance que je ne puis m'empêcher de me comparer à celui que je dois suppléer ; aussi, ai-je besoin de toute votre indulgence.

MESDAMES, MESSIEURS,

Avant de songer à nous et à notre modeste Société historique, permettez-moi de répéter avec quiconque visite et admire pour la première fois votre superbe église, ce cri que vous avez entendu le jour de l'inauguration du monument : « Gloire à vous, habi« tants de Vimoutiers, qui avez, de nos jours, renouvelé les « prodiges des beaux âges de la foi ».

Maintenant, j'ai à me demander et à vous dire ce que, dans la Société historique, nous avons fait depuis un an. Mais... nous avons vécu. Par ce temps troublé et peu favorable aux travaux


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de la pensée, c'est déjà quelque chose. Puis-je ajouter que nous avons bien vécu ? Oui, sans doute, si l'on entend par là l'existence simple et honnête d'hommes qui, sans s'élever bien haut, prétendent remplir leurs devoirs de bons citoyens et de braves gens, soucieux d'accomplir leur tâche quotidienne ; mais, hélas ! quelle oeuvre marquante dans le domaine de la science, de l'histoire, de la littérature, de l'art ou de la poésie avons-nous à notre actif ? Qui sait? peut-être qu'en cherchant un peu, nous découvrirons quelque chose.

Deux sources principales d'informations nous sont offertes pour connaître ce qu'a fait la Société historique : ses Bulletins trimestriels, et les oeuvres que ses Membres ont publiées dans d'autres recueils ou dans des volumes spéciaux ; ses Bulletins, qui sont absolument à elle et comme l'expression de sa vie intérieure ; les autres oeuvres, qui sont à elle aussi, quoique d'une façon moins absolue, et qu'on pourrait appeler l'expansion de sa vie extérieure.

Je commence par les Bulletins.

Le 4e et dernier Bulletin de 1895 reproduit les lectures faites à la séance publique annuelle du 10 octobre, à Fiers. Le compte rendu de l'an dernier n'ayant pu les mentionner, elles appartiennent bien à l'histoire de cette année.

J'y trouve en premier lieu le discours d'ouverture du Président, qui était alors M. G. Le Vavasseur, sur L'abbé Souquet de Latouv. Que ne puis-je vous donner au moins le résumé de la délicale étude que notre regretté Président a consacrée à son ancien compatriote, né au pays de Briouze, mort, en 1850, curé de Saint-Thomas d'Aquin, à Paris ; de ce prêtre aimable, pieux, courageux en face de la Révolution ; qui charmait, dans la compagnie des poètes latins, les ennuis de sa prison ; qui, nous dit son biographe, « fui, jusqu'à sa dernière heure, l'exemple du « sacerdoce, le modèle des curés et le plus humble, le plus « tenace, le plus passionné des érudils ».

M. de Marcère, sénateur, et, j'aime à le redire ici, notre confrère, a bien voulu, dans une trop courte improvisation, nous adresser quelques paroles d'éloges et d'encouragement.

Vous êtes, nous a-t-il dit, des continuateurs de l'histoire de France, chargés de rattacher le passé avec le présent. Vous êtes aussi des décentralisateurs, qui, sans nuire le moins du monde


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à l'unité de la France, travaillez, à la suite des Guizot, des Augustin Thierry, des Montalembert, plus près de nous, des de Caumont, et parmi nous-mêmes, des de La Sicotière, à conserver aux divers membres du corps social leur part d'initiative et d'activité.

Je n'ai qu'un mot à dire du Compte rendu des travaux de l'année précédente; l'auteur est M. le C,c de Contades, notre Président actuel. Son nom seul me dispense de tout autre éloge ; et d'ailleurs, comment donner le compte rendu d'un compte rendu ?

Non content toutefois de redire ce que nous avions fait depuis un an, il a voulu résumer pour nous, en quelques pages, toute l'histoire littéraire de Fiers. Seul peut-être, il était en mesure de faire cette esquisse, où l'on retrouve ses qualités habituelles de curieux bibliophile, de fin critique et d'érudit ; parce que nul plus que lui ne s'intéresse au mouvement littéraire du pays, et que nul autre que lui sans doute, dans la Société, ne possède tel ou tel des rarissimes volumes dont il avait à nous parler.

Dans son étude sur Redern et Saint-Simon, M. l'abbé Rombault a appris à bon nombre de ses auditeurs, parmi lesquels peut-être plus d'un habitant de Fiers, que le château et la terre de Fiers ont été, pendant une douzaine d'années, la propriété d'un certain comte prussien enrichi dans les acquisitions de biens nationaux, ami intime et bailleur de fonds du père des Sainl-Simoniens. Sujet plein d'intérêt, dont l'auteur a su tirer un excellent parti, par les détails passablement inattendus qu'il a révélés sur la vie de ses deux héros.

L'étude de M. Duval, sous le titre de : Colons bas-normands et Créoles de Saint-Domingue, est surtout la biographie de la famille Martin des Pallières. Il la prend, pour commencer, en 1762, au moment où son chef, Charles-Bon Martin des Pallières, fut mis par Louis XV à la tête de notre colonie de SaintDomingue ; il la suit, après son retour au sein de la mère-patrie, dans nos assemblées politiques, dans les administrations, dans l'armée, dans la marine, dans les ambassades, et toujours il la trouve sur le chemin de l'honneur, du devoir, du dévouement à la patrie.

Une pieuse pensée a inspiré la courte communication de M. Appert. La vieille église de Saint-Germain, à Fiers, contient


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les corps de bon nombre d'habitants, notamment des Pellevé. Quand l'église sera désaffectée, ce qui, probablement, tardera peu, n'est-il pas d'une urgente nécessité, pour sauver ces dépouilles de la profanation, de les transporter dans des cryptes ménagées sous la nouvelle église ? Une telle proposition ne se discute pas ; elle s'impose.

M. le vicomte du Motey, dans son article sur les Officiers bas-normands de la. Vénerie du grand Roi, donne des détails fort intéressants sur les chasses d'autrefois et sur l'empressement avec lequel, au xvn 0 siècle, nos braves ruraux des pays d'Argentan, Courtomer, Nonant, Gacé, etc., couraient après les charges de vénerie auprès des hauts seigneurs de la Cour, heureux de Irouver dans ces emplois le double plaisir de goûter un exercice dont ils étaient passionnés et de satisfaire leur vanité.

La séance n'aurait pas été complète, si elle n'avait été embellie par la poésie. M. Wilfrid Challemel et M. Loriot ont pris pour eux cette partie du programme.

Le premieiyresté fidèle à sa bonne ville de Fiers, a chanté une de ses vieilles maisons, livrée dernièrement au marteau des démolisseurs, le Logis de l'Orsonnière. Les vers de M. W. Challemel, pimpants et alertes, sont encore une page, et combien intéressante, de l'histoire de la ville qui nous donnait l'hospitalité.

Dans une pièce de haut vol : Consummalum est. M. Loriot célèbre les grandeurs de l'homme. Il nous le montre, dans sa marche à travers les siècles, s'élevant, par étapes successives, à des hauteurs de plus en plus grandes, mais toujours travaillé du désir de monter, de monter encore ; trouvant une première satisfaction de ce besoin dans la pratique de la justice et les sublimités du martyre ; mais n'atteignant le summum de sa grandeur que sur les hauteurs du Golgotha et dans la consommation du sacrifice de l'IIomme-Dieu.

J'aurais dû parler plus tôt de deux visites que la Société avait faites dès le malin. Profitant en effet de quelques heures de liberté dont elle pouvait disposer avant la séance, elle avait été d'abord au château de Fiers, dont elle avait admiré les richesses : tableaux, meubles, tapisseries, chartrier, etc. ; et, en second lieu, à l'église et aux fameux ifs de la Lande-Patry. « L'église


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« est, a-t-on dit, tout à la fois un modèle de restauration et un « monument historique » ; M. le Curé, non content de nous en expliquer de vive voix les beautés, a bien voulu fixer, dans une notice insérée au Bulletin, les principaux traits de sa communication. Quant aux ifs, M. l'abbé Letacq était tout désigné pour en faire les honneurs.

J'ai hâte d'arriver au premier Bulletin de 1896. Il s'ouvre par un long récit de l'Occupation d'Alençon par les Prussiens en 1811. Je me suis aidé pour le faire (car l'auteur n'est autre que moi-même), non seulement de mes souvenirs personnels, mais aussi des renseignements et rapports de source française ou étrangère, principalement des documents allemands qu'il m'a été possible de consulter. J'ai cru qu'il était salutaire de garder au fond de notre mémoire nos douleurs d'alors : elles sont une page essentielle de notre histoire nationale ; elles doivent être surtout une leçon pour l'avenir.

Nous devons à M. Ch. Vérel une monographie très savante et très complète de la commune de Ferrière-la-Verrerie.

M. l'abbé Rombault s'est borné à citer, en deux pages, une des illustrations du collège de Sées,le Comte Joseph de Puisaye. Espérons que quelque jour il complétera cette intéressante notice, qui lui donnera l'occasion de parler des événements auxquels a été mêlé le comte de Puisaye : la prise de la Bastille, le soulèvement fédéraliste en Normandie, la Chouannerie bretonne, Quiberon, etc.

Dans Un goutteux content de l'être, le R. P. Edouard nous montre une fois de plus, par l'exemple et par les poésies du capucin goutteux, le P. Balthazar de Bellème, que la plus sûre des félicités est encore dans la conformité à la volonté de Dieu. Les vers du P. Balthazar ne sont pas toujours irréprochables au point de vue de la forme ; mais le fond en est, comme il dit, si lénitif et confortatif.

« Le remède assuré à la goutte jncquante,

« C'est de semer souvent dans son petit jardin

« De la joalience longue, et de façon fréquente,

« En prendre, à bon escient, tant au soir qu'au matin. »

M. l'abbé Gatry a trouvé aux environs de Sées de nombreux spécimens de haches, couteaux, grattoirs et autres instruments


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remontant à l'âge de pierre dans notre pays. Tout en proposant ses explications, il convient qu'elles ne sont pas à l'abri de certaines objections. Associons-nous, en tous cas, au voeu qu'il émet en terminant, que la ville de Sées fonde un musée où elle réunisse tous ces objets, afin qu'ils puissent aider les savants dans leurs recherches et instruire les visiteurs.

Madame Gérasime Despierres a sa place marquée parmi les collectionneurs, les archéologues et les artistes d'Alençon. Elle est connue par un bon nombre de brochures fécondes en découvertes de toute espèce. La notice nécrologique que M. Durai lui a consacrée est à la fois l'oeuvre d'un ami et d'un savant.

Les Mémoires de Michel Guesdon, dont M. l'abbé Macé donne des extraits dans son article sur la Chouannerie normande, sont remplis de détails inédits ou peu connus sur cette guerre qui ne ressemble à aucune autre. Grâce au brave Michel Guesdon, qui en fut un des héros, et non des moindres, on la suit, pour ainsi dire, de commune en commune ; on peut l'étudier dans ses procédés, dans ses ressources, dans ses succès, et aussi dans ses revers et dans les côtés faibles de son organisation.

Tout à l'heure, je parlais de M. Vérel et de sa monographie de Ferrière-la-Verrerie ; M. Dallet a fait pour la commune de Neuville-sur-Touques un travail analogue.

Que chacun, comme M. Vérel et M. Dallet, écrive la monographie de sa commune ou de quelque commune voisine, et nous ne tarderons pas à posséder une histoire complète du département. Plusieurs de nos confrères l'ont déjà fait ; c'est un exemple qui ne demande qu'à être suivi.

La Société s'est toujours intéressée à la bibliographie. Outre de nombreux comptes rendus des livres qui lui sont offerts, elle insère chaque année dans un de ses Bulletins la liste des publications concernant le département qui ont paru dans le cours de l'année précédente. Celle de 1895 est signée : H. Beaudouin. A. Richer, A.-L. Letacq. Elle comprend, pour la première fois, la liste des journaux classés par arrondissements.

J'en ai fini avec nos Bulletins. Par la rapide revue que j'en ai faite, vous pouvez juger quelle somme de travail ils représentent, quelle foule de documents ils mettent en lumière, quelles facilités ils offrent pour l'étude. N'y eût-il que la certitude de Irouver des renseignements précis auprès de tel ou tel confrère qui a creusé


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un sujet, que ce serait déjà un avantage fort appréciable et une preuve que la Société historique de l'Orne a largement son utilité et sa raison d'être.

Je dois signaler aussi, comme appartenant bien en propre à la Société, un volume qu'elle a édité et distribué cette année à tous ses Membres : « L'inventaire des titres, papiers et ensei« gnemens concernant la cure d'Alençon, avec un mémoire « précis de titres antiens et modernes de toutes choses, en 1120; « par Messire Pierre Belard, prestre, docteur de Sorbonne et « curé d'Alençon ». Cet ouvrage, très précieux pour l'histoire d'Alençon, a été imprimé, par les soins de M. Lecointre, sur le manuscrit autographe de Belard, conservé b la Bibliothèque d'Alençon.

Je voudrais avoir le temps de vous parler de nos séances ordinaires ; peut-être y découvririez-vous encore, à la condition de n'être pas rebutés par la sécheresse d'un procès-verbal, des richesses dignes de fixer votre attention. Outre les communications suggestives que vous y pourriez saisir au passage, quoi de plus propre à exciter l'émulation et à favoriser le travail que les rapports d'amitié, le secours mutuel, en quelque sorte, et même les discussions courtoises entre hommes voués aux mêmes études ; toutes choses qui constituent comme le fond de nos réunions ?

En parcourant la bibliographie du département pour l'année 1895, j'ai été surpris et presque effrayé du nombre de publications qu'elle comprend. La liste ne s'élève pas à moins de trois ou quatre cents numéros, non compris 71 journaux ou revues. Une telle abondance est-elle un bien? est-elle un mal? Je ne me permets pas de trancher la question. La seule lecture des titres durerait plus d'une heure. Rassurez-vous, Messieurs, je ne commettrai pas l'indiscrétion de vous l'imposer.

Mais au moins dois-je citer les Membres de la Société qui ont publié des travaux importants dans l'année : M. le C,e de Charencey, dont les études sur les traditions antiques et sur les langues sont toujours recherchées par les spécialistes et par les savants ; — le R. P. Delaporte, poète et littérateur, si compétent sur toutes les questions qui concernent les lettres et les hommes de lettres ; — M. Duval, à qui tous les recoins de l'histoire sont familiers et qui, non content de publier ses inventaires et ses


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rapports sur les Archives du département, donne à diverses revues, principalement à celle dont il est le directeur, une foule d'articles sur toutes sortes de sujets ; — M. l'abbé Gontier, curé de Saint-Martin de Laigle, qui vient de faire paraître une histoire très complète et très intéressante de sa paroisse ; — M. Guillouard, le savant professeur de la Faculté de Caen, qui, à peu près chaque année, publie un nouveau volume sur le droit ; — M. Harel, le poète normand et ornais par excellence, qui, je me plais à le redire, vient d'être de nouveau honoré d'un prix par l'Académie française ; — M. le M!s de la Jonquière, qui n'a pas besoin de sortir de sa famille pour trouver ses sujets historiques et ses héros ; — M. l'abbé Letacq, à qui l'histoire naturelle, principalement l'histoire naturelle du pays, est redevable de tant d'excellents travaux de découvertes et de vulgarisation. Dans le cours de l'année, M. l'abbé Letacq n'a pas publié moins de dix notices sur les diverses branches de la belle science dont il s'occupe ; — et notre vénérable et regretté M. Le Vavasseur, qui, toujours aimable, toujours complaisant, n'a jamais su refuser un article ou une pièce de vers à ses nombreux amis, directeurs de revues ou de journaux ; — et M. le C,e de Moucheron, qui, comme fruit de ses voyages dans la Péninsule, vient de donner au public une superbe histoire de Ste-Élisabeth d'Aragon, reine de Portugal ; — et MM. de Romanet, Tournouér, de Souancé, etc., toute la phalange des Documents sur la Province du Perche, qui, en vrais et bons décentralisateurs, mettent au service de leur petit coin de patrie les trésors de leur érudition ; — et M. des Rolours, dont la compétence en économie politique est connue ; — et le directeur de la Revue des Sciences poimlaires et du journal le Cidre, M. Vimont, dont l'activité et le talent de vulgarisateur n'ont pas trop de deux revues mensuelles pour s'exercer. Combien d'autres ne pourrais-je pas citer, si le temps me le permettait.

Il est pourtant encore une publication à laquelle vous me reprocheriez avec raison de ne pas donner une mention spéciale, tant elle se recommande par sa beauté et son importance, c'est la Normandie monumentale. Trois volumes, comprenant les départements de la Seine-Inférieure, du Calvados et de l'Eure, ont déjà paru. Le département de l'Orne est en cours de publication, et je dois constater, à l'honneur de la Société historique,


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que c'est en général à ses membres qu'on s'adresse pour en composer les diverses parties.

Je m'étais proposé d'abord de vous donner au moins la nomenclature des membres de la Société qui ont collaboré à l'oeuvre, avec les titres de leurs articles ; mais comment vous citer vingtdeux noms d'auteurs et plus de cent notices différentes ?

J'aurais encore beaucoup de choses à dire sur notre Société historique. Ce rapport, tout incomplet qu'il soit, peut néanmoins vous donner une idée de ce qu'elle est et de ce qu'elle fait. Puisse-t-il inspirer, à quelques-unes des personnes qui m'entendent, la pensée d'en faire partie !

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UN

ÉPISODE DES GUERRES DE LA LIGUE

Défaite des GAUTIERS dans les environs de Yimoutiers

22 AVRIL 1589.

On ne peut avoir toutes les gloires. La ville de Vimoutiers possède sa page glorieuse dans l'histoire de la France industrielle. Paul Creton, dont la vie est restée entourée de mystères malgré les recherches des chroniqueurs, lui a donné une célébrité universelle et après lui les Belle-Cour-de-Long-champs, les Rogère-la-Fontaine, les Dupuis-Berthelot, les Vivier, les Tailfer et aujourd'hui les Laniel ont maintenu sa renommée. Ces familles ont plus fait pour le bonheur de leurs concitoyens que d'illustres guerriers pour d'autres villes. Les habitants de Vimoutiers, en fêlant, le 1er septembre dernier, l'ouverture de leur nouvelle Église, ont compris en effet que les avantages de la fortune commerciale deviennent un bienfait pour une ville où cette fortune est généreusement employée.

Mais Vimoutiers n'a pas d'histoire militaire. Son château, qui paraît avoir été situé dans une cour herbue entourée des tilleuls des promenades, n'était pas un château de défense considérable. — Dans un instant, nous entendrons savamment parler d'un fait d'armes suivi d'un dénoûment fatal, qui s'y accomplit en 1040. Ce château ou manoir fut donné, en 1026, à l'abbaye de Jumièges, par Richard Ier de Normandie (1), et il existait encore en 1363 (2).

(1) Guilmcth. Histoire de Vimoutiers.

(2) Suivant un traité conclu par Charles, roi de Navarre, le 6 mars 13C3, et ratifié à Pampelune, au mois de mai suivant, d'après lequel il s'oblige à remettre ou faire remettre au roi Jean, son beau-père : « les châteaux de Tuboeuf, Cisay, Livarot, Chamboy, Vimoutiers et autres places.

J.-P.-F. Baillent, collecteur des impôts. — Etat des paroisses de l'élection d'Argentan. Mss. du château de Beauvain, note communiquée par M. l'abbé Saflïay.

Gailmeth. Histoire de Vimoutiers.


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Sous la domination des Anglais (1418 à 1450), Vimoutiers eut à subir les désastres de la guerre. Entre les années 1434 et 1450 la ville fut brûlée et la moitié des habitations détruite, y compris l'église (1).

Le troisième fait militaire, à l'occasion duquel l'histoire de Vimoutiers se trouve mêlée à l'histoire générale du pays, eut lieu en 1589. C'est de ce fait que nous voulons faire la narration.

La France souffrait à cette époque ; d'où venait son mal ? Un souffle nouveau, l'esprit du Protestantisme venait de passer et, sous son influence, le prestige de l'autorité royale se trouvait affaibli, les finances désorganisées et la tranquillité perdue. D'autre part, l'ascendant néfaste de Catherine de Mêdieis sur Henri II (1559-1563) avait fait dans le royaume des mécontents et (1563-1574) les Huguenots, excités à la révolte par les écrits de Chandieu, traitant dans un esprit de rébellion de Vempire libre des Français, se soulevèrent, la Ligue se forma et la guerre civile éclata. Elle troubla la paix de la nation sous Henri H, et Henri III ne sut pas arrêter ces désordres. Sous son règne, la Basse-Normandie avait pour gouverneur le jeune François d'O (2), seigneur de Mortrée, qui cumulait en même temps les fonctions de surintendant des finances et de capitaine des gardes du Roi. Tout occupé des plaisirs de son maître, il administra mal sa province.

« Alors, écrit Guilmeth (3), un des meilleurs historiens de « Vimoutiers, tour-à-tour rançonnés par les compagnies de « soldats qui venaient piller et saccager leurs maisons et par les « huissiers des tailles qui arrivaient saisir et vendre ce que « n'avaient pu prendre les gens de guerre, les malheureux culti« valeurs de nos contrées, poussés par l'exaspération et le déses(1)

déses(1) rue Sadi-Carnot, auparavant nommée la Grande-Rue et jadis la rue Arse, portait en cette ancienne dénomination le souvenir de celle catastrophe.

(2) Abbé Barret. Dans la Normandie monumentale, de la librairie Lemasle, du Havre. Canton de Mortrée : le Château-d'O. — En voie de publication.

(3) Guilmeth (Alexandre-Auguste), archéologue, né à Brionne. (Eure), le 2 décembre 1807, auteur d'une Notice historique sur la ville de Vimoutiers. In-12 de 44 p.

Abbé Letacq. Essai de Bibliographie cantonale. Canton de Vimoutiers p. 76.

Guilmeth a également écrit des notices historiques sur Èvreux, le bourg de Gaillon, le Château-Gaillard, le bourg à'Écouis près Les Andelys; il est l'auteur d'une histoire de la ville et du canton d'Elbeuf.


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« poir, durent trouver dans la révolte un remède à leur affreuse « situation. » Ce soulèvement commença, en 1584, au bourg de la Chapelle-Gauthier, près Bernay (1), où des actes de violence commis par des soldats animèrent d'abord les habitants d'un village « à ne plus souffrir de semblables vexations. Le déses« poir lit prendre la même résolution aux bourgades voisines et « puis à tout le plat pays d'alentour, de sorte qu'ils ne se trouvè« rent pas moins de seize mille hommes » (2).

Comment Vimoutiers prit-il part à ce soulèvement du plat pays de Bernay et d'Orbec? Nous en avons la raison dans une lettre du gouverneur d'Argentan, M. de Fonteinnes, accompagnant le iils de M. de Challou, receveur des tailles. Il écrit en parlant des difficultés qu'il rencontre :

« Si on demande où est cest ennemy (le parti Huguenot), je « répondray que je l'ay continuellement sur les bras, et dans le « pais. Je ne parle pas de M. de Tavannes que nous avons à six « ou sept lieues de çeste ville ; il y avoit la Coquardyère[3), qui, « avant qu'il feust tué, se retyroyt à Vymoustyer, qui a faict « que, commodément on n'en peu tyrer plus de deuxmilleescus, « sur ce qu'ilz doibvent là-dedans, et depuis sa mort, ils onj « esté si mal traités du régiment de Saint-Denys-Mailloc qu'ils « ont tous quitté et abandonné leurs maisons, et ne se trouve « plus que les plus pauvres (4) ».

Les Gautiers s'assemblaient au son du tocsin et au commen(1)

commen(1) Chapelle-Gauthier, 518 habitants, canton de Broglie, arrondissement de Bernay.

Adolphe Joanne. Géographie de l'Eure.

(2) Mémoires de la Ligue, par le duc de Montpensier. Bibliothèque nationale Guilmeth. Notice historique sur Vimoutiers.

Mézeray. Histoire de France, tome 15" de la Bibliothèque d'Alençon.

De La Sicolière. L'Orne archéologique, p. 213.

De Masseville. Histoire de la Normandie, t. V, p. 268.

Itoberl d'Estaintot. La Ligue en Normandie, p. 22.

Jobey. Histoire manuscrite d'Orbec, de la succession de M. l'abbé. Le Dien, d'Argentan, publiée dans les Échos du Calvados, année 1893.

Germain. Histoire d'Argentan, p. 395.

Mémoires de Sully, duc de Bélhune, publiés par l'abbé de l'Écluse, 1745, t. I. p. 195.

De Thou. Histoire de son temps, livre 95.

Inventaire des Histoires de Normandie, c. VIII, p. 193.

Courmaseul. Histoire de Vimoutiers. Mss.

(3| La Cocardière, gentilhommière située près de Vimoutiers dans la commune de Guerquesalles.

(4) La Ligue en Normandie, par le vicomte Robert d'Estaintot.


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cément, écrit l'historien Mézeray, ils n'avaient point d'autres chefs que leurs curés et les coqs de paroisse (syndics et marguillers). De vieux soldats leur apprenaient l'exercice des armes et à faire des retranchements et des barricades dans les occasions. Aussi avaient-ils peu à peu acquis de la sorte une discipline militaire. Le sieur Vaurnartel était leur sergent-major général.

Tout alla pour le mieux et leur réussit d'abord, disent les chroniqueurs du temps ; jouissant d'une paix armée, ils repoussaient également les pillards de tous les partis, « quand la « noblesse les voyant puissants, s'insinua parmi eux, ce qui fut « cause de leur malheur (1) ». Les barons d'Echauffour et de Mailloc, d'Escambosq sieur de Boisroger, Longchamps gouverneur de Lisieux, de Beaulieu, de Tuboeuf se firent donc leurs capitaines et obligèrent ces pauvres gens à se mêler de leurs affaires de la Ligue (2). Ils devinrent un parti.

Or au commencement de l'année 1589 1e comte Charles de Cossé-Brissac, chassé d'Angers par les Huguenots et alors nommé par le duc de Mayenne, gouverneur de Falaise, battait le pays pour le compte de la Ligue. Voyant dans les Gautiers un auxiliaire puissant, il se hâta de profiter de leur concours, car il avait fort, à guerroyer dans la contrée contre les troupes d'HenrilII et du Béarnais, qui n'étaient pas sympathiques aux Normands. Dans le but de se les attacher, écrit Guilmeth, le chroniqueur de Vimoutiers, « il leur persuada que tous leurs maux « venaient d'Henri IV et de ses agents et ajouta que, en se « réunissant à la Ligue, pour combattre ce prince Huguenot, « non seulement ils rendraient un signalé service à la Religion « catholique qui était la leur, comme elle était celle de leurs « pères, de leurs femmes et de leurs enfants, mais encore se « trouveraient débarrassés du môme coup et des huissiers et des « gens de guerre. » (3) Séduits par de telles promesses cinq ou six mille Gautiers se réunirent au comte de Brissac (4).

A la nouvelle de ces préparatifs des ligueurs, François de Bourbon, duc de Montpensier et lieutenant d'Henri IV accou(ll

accou(ll Documents pour servir à l'histoire ù'Orbec.

(2) Mézeray. Histoire de France, t. 15°.

(3) Guilmeth. Histoire de Vimoutiers.

(4) Mézeray suppose que le nombre des Gautiers qui s'unirent à de Cossê-Brissac ne fut que de quatre ou cinq mille.


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rut en Normandie le 30 mars 1589, et réunit une armée à Alençon. René de Bouillay-Créance, Jean de Dreux-Morainville, Claude Gruelle de la Frette, Girard d'Angeau, Alexandre Vieuxpont, Neubourg, Herlré et d'Ouillères lui amenèrent leur contingent. Il partit d'Alençonle 4 avril et passa par Séez où il trouva cinq cents chevaux sous le commandement de Hallot, Crève-Coeur, François de Martel-Bacqueville, les deux Montmorency et Nicolas de Grimonville-Larchant, maître de camp. De Séez, en évitant Argentan où commandait Boisinoze, compatriote de Brissac, il alla se reposer à Ecouché, tailla en pièces sous les murs de Falaise deux cents chevaux de la garnison de la ville, dont il lit les capitaines prisonniers {Touchet, Herclez et Normandière) et gagna la ville de Caen, où les deux frères Séguier, du parlement de Paris, soutenaient avec peine l'autorité d'Henri IV. Plusieurs gentilshommes joignirent en celte ville leur fortune à la sienne : Matignon de Gacé, comte de Torigny, Montgommery, Pierre de Harcourt-Beuvron, Coulombières, Bougy, de Vigues, Jean Hemery-de-Villers, lui amenèrent quinze cents hommes. Avec ces renforts il vint assiéger Falaise (1).

Falaise était un point stratégique important : son château passait pour le plus fort de la Normandie après celui de Caen (2). En l'absence de de Cossé-Brissac, occupé alors à recruter les Gantiers dans le pays d'Auge, Philippe de la Boderie (3) y commandait la garnison et Henri de Pellevé, comte de Fiers, avec son fils Jean en faisait le blocus. Montpensier y arriva le 18 avril.

Dès le lendemain, son artillerie composée de deux canons et d'une couleuvrine avait ouvert une double brèche dans les tours du château et ses soldats préparaient des fascines et des sacs de terre pour combler les fossés afin de donner l'assaut le 20 avril, quand le chevalier de Brossard, envoyé en éclaireur vint le prévenir de l'approche des ligueurs.

(1) Odolanl-Desnos. Histoire du comté d'Alencon, lome II. L'abbé Langevin. Recherches historiques sur Falaise, p. 3U3. Alfred de Caix. Histoire du bourg à!Ecouché, p. 13. Amédée Mériel. Histoire de Falaise, p. 200, 201.

(2) Jobeij, histoire d'Orbec, mss.

(3) Philippe de la Boderie, fut tué en 1590, au siège de Ponl-Audemer Mériel, histoire do Falaise, p. 203.


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De Cossé-Brissac à la tète des Gautiers venait en effet pour faire lever le blocus et dégager la place. A cet effet, écrit Guilmeth, il avait partagé son armée en deux corps, dont l'un, toujours sous ses ordres, s'était établi à Pierrefitte-les-Vaux (1). et l'autre, sous les ordres du major-général Va.urna.rtel, gagna le village de Villers près Montabart, où il s'arrêta pour prendre quelque repos dans un lieu appelé le Bois de la Tour au Gras, près du .château du même nom, qui appartenait à M. Raventde-Sérans, partisan avoué du roi de Navarre, et occupé en ce moment môme au siège de Falaise.

Le duc de Montpensier comprit facilement l'avantage qu'il pourrait retirer de la position qu'occupait de Cossé-Brissac suites bruyères d'un pays plat où sa cavalerie avait chance de l'écraser.

' 11 réunit ses capitaines, et, ayant pris leur avis et leva immédiatement le blocus de Falaise. Avec cinq mille hommes de pied et ses dix-huit cents chevaux, qui se fatiguaient déjà dans l'inaction d'un siège ; il se lança au devant des ligueurs. Vaumartel, apprenant de son côté l'approche de l'ennemi, arriva à Pierrefitte et rangea comme il put, sur les bruyères son corps d'armée qui, à part les chefs, ne se composait guère que des paysans des environs de Vimoutiers, de la Chapelle et à&Bernay. Il en abrita quatre cents (2), derrière de mauvaises barricades pour faire face à l'ennemi et de Brissac avec trois cents chevaux, se tint sur la pente de la colline qui descend vers la plaine. Montpensier avait avec lui tous les hommes d'armes : Emery-deVillers commandait son infanferie, Bacqueville la cavalerie, Matignon de Torigny avait l'avant-garde, le comte de Montgommery tenait l'arrière-garde. Il disposa ainsi ses troupes : Torigny, Bacqueville et Grimoutt-Larchant à gauche, Pierre d'Harcourt, de Vicques et Longaunay à droite, et lui au

(1) Guilmeth confond Pierrefille-Maisons-Rouges près Falaise avec Pierrefilte-eii-Cinglais, canton et arrondissement de Pont-l'Evêqae. Mais M. Amédée Mériel, dans son Histoire de Falaise, p. 205. M. Dubois, dans celle deLisieux, rétabhsseiitéiPicrreflUe-Maisons-Rouges le lieu du combat. D'ailleurs le point topographique où se trouve ce village, près de Falaise et dans le voisinage de Villers, Com.rn.eaax el Clinchamps où est actuellement la gare de Monlabart, ne laisse aucun doute à ce sujet.

(2) Ce chiffre de 400 , nous parait trop restreint, vu le nombre d'hommes qui prirent part à l'action. C'est 4,000 qu'il fallait écrire. Il y a là sans doute une faute de co piste.


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front. Dans les rangs de son armée étaient les seigneurs des environs de Vimoutiers : Jean et Romain de Billard-de-Champeaux, Pierre Le François de la Plesse, tous de St-Germainde-Montgommery, Jacques Collet sieur Deshommes, etc. (1).

Le combat commença au grand dommage des pauvres Gantiers. C'était le 22 avril 1589. (2).

« Ils soutinrent, écrit l'historien Mézeray, les premières « charges avec toute la fermeté qu'eussent pu avoir des troupes « bien aguerries ; leur multitude leur donnait courage contre le « petit nombre de leurs adversaires. Mais quand la cavalerie de « de Montpensier se fut ouverte pour donner voie à deux pièces « de campagne qui n'avaient point paru, ce choc inespéré, qui « pourtant ne fit pas grand échec, les étonna de telle sorte, qu'ils « lâchèrent le pied et se jetèrent en confusion dans le village. « Sur ce désordre Matignon, comte de Torigny, les presse et « enfonce les barricades. Vaumartel, presque le seul qui don« nait coeur et mouvement à l'action, est frappé d'un coup de « mousquet, et meurt en soutenant ce choc les armes à la main. « En vain ses soldats appellent de la voix et du geste la cava« lerie de Brissac, qui tourne bride vers Villers. L'épouvante « les saisit, ils ne rendent plus aucune défense. On les assomme « par monceaux, comme des bêtes et on brûle les autres dans « les maisons du village. Montpensier poursuit jusqu'à Vil« lers (3), ceux qui s'échappent : ils sont aussi malmenés qu'à « Pierrefitte. » (4).

Cependant de Brissac n'attend pas la lin du combat : il se retire au grand trot avec sa cavalerie à Argentan, d'où, par un

(1) Letouillard, Elude historique sur la cavalcade de Vimoutiers, le l'J avril 1896.

(2) Guilmeth, dans son histoire de Vimoutiers, assigne à ce combat la dale du 20 juillet et le fait précéder de l'incendie du château de M. Raventde-Sérans que les Gantiers pillèrent et brûlèrent. « Ce fut môme, écrit-il, « les tourbillons de fumée de cet incendie qui trahirent au duc de Mont« pensier l'approche des Ligueurs. »

Mais M. Amédée Mériel, en son Histoire de Falaise, p. 206, écrit avec plus de certitude que col incendie, qui eut bien lieu le 20 juillet, fut causé par les dernières bandes des Gautiers qui cherchaient ainsi à tirer vengeance sur un partisan des Huguenots, du désastre qu'ils avaient subi à Pierrefitte et Villers. Le jugement rendu , le 5 octobre suivant, par le parlement de Rouen contre les bourgeois de Falaise rendus responsables de cette violence, confirme suffisamment son opinion.

(3) Ce fut à Villers, aujourd'hui réuni à Montabart, que la bataille se continua et non à ViUers-Canivet, comme le suppose Guilmeth, l'historien de Vimoutiers. On raconte que dans le village les gens du pays en terrassant et en labourant, ont trouvé de nombreux ossements et des excavations renfermant de la cendre et des ustensiles de ménage.

Amédée Mériel, Histoire de Falaise, 1889, p. 205-206. ('i) Mézeray, histoire de France.


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autre chemin, se félicitant de sa ruse ou du hazard qui semble le servir à souhait, il se jette dans Falaise avec le corps de troupes qu'il s'était réservé et qui se composait en très forte majorité de soldats aguerris (1).

Tel lut le combat de Pierrefitte, au sujet duquel Mézeray assure que, durant toutes les guerres de la Ligue il n'y eut point semblable occasion où il se fit un si grand carnage. Il fut tué plus de trois mille hommes en ces deux endroits, parmi lesquels plusieurs prêtres et trente gentils hommes. Les villages de Pierrefitte et Villers furent brûlés, « et rien ne fut pitoyable « comme de voir au soir de ce combat les malheureux, dont pince sieurs avaient la tète fendue ou les boyaux traînants, les « autres tout rôtis et sans forme de visage humain, rampans « dans le sang et dans la cendre et invoquant la mort par de « longs gémissements » (2).

Cependant la nuit avait mis fin au carnage et sauvé les Grutiers réunis dans le bourg de Commeaux (3). Au soir de cette bataille, Montpensier alla se reposer à Ecouché. Alors un sentiment de pilié le saisit : navré du massacre de tant de pauvres innocents, dont beaucoup avait été engagés dans cette guerre, sans savoir où on les menait et puis abandonnés à la boucherie par leur chef, il ne voulut pas qu'on les chargeât davantage, mais leur envoya sommation de se rendre. De Beaulieu. qui les commandait, ayant été retenu en allant parlementer en leur nom auprès du duc, sans avoir pris suffisamment de sûretés, ils se rendirent à discrétion sans attendre son retour. Ils étaient environ douze cents qui furent présentés à de Montpensier le lendemain. Le duc en retint trois cents pour travailler aux fossés d'Ecouc/ie, les autres furent renvoyés en liberté ; les gentilshommes mis à rançon.

Le lieutenant d'Henri IV apprit sur ces entrefaites que de Brissac était entré dans Falaise. Furieux de s'être vu enlever cette place, sans avoir soupçonné le piège que lui avait tendu son adversaire, il entra dans une grande colère et, de peur que de Brissac ne tirât une autre fois secours des Gantiers avec

(1) Guilmeth, histoire de YiniouUers. Mériel, histoire de Falaise.

(2) Mézeray, histoire de France.

(3) Commeaux, 246 habitants, canton et arrondissement d'Argentan. — On voit dans l'église des tableaux de liubens et de Ribera.

Adolphe Joanne. Géographie de l'Orne.


lesquels il lui eut fait bien du mal, s'il eût su les ménager et les mêler parmi ses troupes, il s'élança à leur poursuite (1).

Les Gautiers fuyaient dans la direction de Vimoutiers où ceux d'entr'eux qui n'avaient pas pris part à l'expédition formaient la garde comme aux beaux jours de leur soulèvemeut. Il les atteignit sur les bruyères de Crouptes « en occizant tant et « autant qu'il en treuva soulz sa main, disent les chroniques de « l'époque (2). »

Un boulet découvert en 1878 près de la Chapelle-Sa.int-Ma.rc sur le Pont-de-Vie est resté entre nos mains comme preuve de ce combat qui se continua jusques dans Vimoutiers.

Battu en brèche par l'artillerie dont les boulets se retrouvent encore dans la section du Pont-V&utier, Vimoutiers ne put résister longtemps. Le massacre recommença : il y en eut plus de mille de tués (3) et les autres furent faits prisonniers. Montpensier les remit toutefois en liberté après leur avoir fait jurer qu'ils ne porteraient plus les armes contre le Roi et qu'ils reprendraient leur métier de laboureurs.

Bernay et la Chapelle-Gautier subirent le même sort, « et il « ne resta plus, écrit Mézeray, aucun vestige de celte faction qui « eût sans doute causé un grand désordre dans la province. »

Telle est la part que Vimoutiers eut dans le soulèvement des Gautiers, tel est le dernier fait de son histoire militaire. Nous l'avons exposée en nous efforçant de faire concorder les événements avec les dates, qui, suivant la diversité desauteurs, ne coïncident pas toujours ; nous nous sommes rattaché de préférence au grand historien Mèzeray qui, né dans les environs d'Argentan, peu après ce soulèvement, s'est trouvé plus à même d'en préciser l'époque et d'en raconter les divers incidents (4).

Macé, 28 octobre 1896.

GATRY.

(1) Mézeray, histoire de France.

(2) Guilmclh, histoire de Vimoutiers.

(3) Massevillc, histoire de Normandie, v. p. 220. Louis de Mois, p. 172.

(4) La défaite des Gautiers servit dans le pays la cause des Huguenots et favorisa l'extension de la secte. Des registres paroissiaux nous apprennent en effet que les de Notlet, sieurs de Camembert, et les de Calmenil, seigneurs A'Orval, avec leurs gens de service et vassaux, les Lecomte, Bourgel, lloiiel, Germain, Simon, Parnel et Herpon embrassèrent la Réforme. Ils revinrent à la religion romaine en 1685 à la suite d'une mission prêchée par les P. P. Capucins de Lisieux.

Registres de l'Eglise de Camembert, rotes recueillies par M. l'abbé Stanislas Giet mort aumônier de l'Hospice de Vimouliers.


Notice biographique sur C.-C. GILLET

ET

LISTE DE SES TRAVAUX SCIENTIFIQUES

Le doyen des naturalistes ornais, M. Gillet, vient de s'éteindre à l'âge de 90 ans, après une carrière des plus honorables et des mieux remplies. Sa vie n'a été qu'un long travail et l'on pourrait presque dire de lui, comme d'un savant dont Fontenelle a fait l'éloge, qu'il ne cessa de travailler qu'en cessant de vivre, car jusqu'à ses derniers jours, il voulut, dans la limite de ses forces, observer, dessiner et décrire. Les insectes, les minéraux, les plantes l'occupèrent tour à tour ; il en avait réuni de très belles collections, mais c'est surtout par des travaux de botanique, en particulier sur les Champignons, qu'il s'est fait connaître dans le monde savant, et qu'il a assuré à son nom un souvenir impérissable et glorieux.

Les fonctions de vétérinaire de l'armée avaient appelé M. Gillet à Alençon, il y a près d'un demi-siècle ; admis plus tard à la retraite il avait voulu se fixer définitivement dans notre ville, où il s'était acquis d'honorables amitiés par l'amabilité de son caractère, la distinction de son esprit et la parfaite dignité de sa vie. C'est aussi chez nous qu'il a composé ses ouvrages les plus importants.

La Société historique de l'Orne devait donc enregistrer dans ses Annales le nom de M. Gillet et rendre hommage à sa mémoire. Des relations amicales, j'allais dire intimes, tant était grande la bienveillance du Maître, et qui datent de près de vingt années, me faisaient pour ainsi dire un devoir de répondre à l'invitation de mes excellents collègues en consacrant quelques pages à sa vie et à ses travaux.

Né à Dormans (Marne),le 19 mai 1806, Claude-Casimir Gillet, après de bonnes études classiques, entrait comme élève-militaire


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à l'école d'Alforl en 1823. Son ardeur pour l'étude secondée par une vive intelligence le fit bientôt remarquer de ses maîtres, et ceux-ci, témoins de ses premiers succès, pouvaient dès lors lui présager un brillant avenir (1). Les sciences naturelles, qui formaient une des parties principales du programme, avaient le plus grand attrait pour son esprit méthodique, investigateur, curieux de toute recherche, patient et judicieux dans l'observation ; elles étaient déjà pour lui, comme il l'écrira plus tard, une source constante de bonheur et de plaisirs toujours nouveaux. Il avait aussi pour le dessin un goût particulier que justifiait une très grande habileté et, dès cette époque, il se révéla véritablement artiste.

A Alfort, M. Gillet eut pour condisciple et pour ami et plus tard en Afrique pour compagnon d'armes Richard (du Cantal) mort à Paris, il y a quelques années, et qui lui aussi s'est fait une notoriété comme écrivain scientifique par songrand Dictionnaire de l'Agriculture et ses innombrables publications sur l'économie rurale, fruit d'une longue expérience et d'un travail que rien n'effrayait (2).

Après avoir passé, en sortant de l'Ecole d'Alfort, quelque temps à Joigny, où il s'occupait de géologie et de botanique avec un jeune ecclésiastique professeur au collège de cette ville, M. Gillet, nommé en 1830 vétérinaire à la 2e compagnie du train des équipages militaires, fut attaché en cette qualité au corps expéditionnaire d'Afrique. Il assista à la prised'Algeret séjourna quatre ans dans notre colonie.

Ce temps ne fut pas perdu pour la science ; il profitait de ses excursions à l'intérieur du pays pour en étudier l'histoire naturelle, collectionner des plantes et des insectes, et compléter ainsi les recherches faites par Desfontaines un demi-siècle auparavant.

(1) Voici une lettre écrite le 30 août 1826 au père de M. Gillet par le Dr Girard, membre de l'Académie de Médecine et directeur de l'Ecole d'Alfort: « C'est avec une bien grande satisfaction que je vous informe des nouveaux « succès obtenus par M. votre fils ; élève militaire à cette Ecole, il a remit porté le second prix de la 3" année d'étude et a brillé dans les examens. « Votre jeune homme deviendra un sujet précieux et il m'est bien agréable « d'avoir contribué à son admission à cetle Ecole. »

M. Gillet père avait été lui-même vétérinaire de l'armée et décoré de la Légion d'honneur, en 1825.

(2) Cfr. Louis Figuier : L'Année scientifique pour 1891, p. 591.


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Là encore il put se familiariser avec la faune et la flore de la région méditerranéenne, si remarquables par l'analogie qu'elles présentent sur les côtes d'Algérie, d'Italie, de France et d'Espagne et qui montre qu'au début de l'époque géologique actuelle l'Europe et l'Afrique étaient encore reliées par la terre ferme.

M. Gillet avait gardé un très vif souvenir de l'expédition d'Alger, et jusque dans son extrême vieillesse il aimait à s'en entretenir et à raconter les épisodes parfois dramatiques de ses voyages.

Rentré en France, il fut envoyé en garnison à Lyon et pendant plusieurs années, il fit avec Mulsant une étude spéciale des Coléoptères. L'abbé Latreille, cet humble curé de campagne devenu membre de l'Académie des Sciences et professeur au Muséum, où il eut pour préparateur Boisduval,notre compatriote, et qui était alors, suivant le mot de Cuvier, l'homme de l'Europe connaissant le mieux les insectes, avait par ses ouvrages élémentaires, modèles d'exactitude et de clarté, mis l'entomologie à la mode et lui avait gagné en France de nombreux adeptes. Mulsant et Gillet comptaient parmi les plus ardents. Ils s'attachèrent tout d'abord à bien connaître la faune lyonnaise : des excursions suivies et méthodiquement dirigées dans les vallées du Rhône et de la Saône, sur les montagnes du Jura et des Alpes leur permirent d'observer nombre d'espèces rares ou inconnues, de recueillir quantité de faits intéressants sur la structure, les métamorphoses, les moeurs et les industries de ces petits êtres. Sans négliger ses devoirs professionnels pour lesquels il se montrait toujours assidu et dévoué, M. Gillet employait tous ses loisirs à recueillir, classer et surtout dessiner des insectes ; on trouve dans ces premiers essais les qualités maîtresses du naturaliste descripteur, l'exactitude, la précision, la juste perception des caractères spécifiques.

Encore quelques années d'étude et une Histoire des Coléoptères aurait paru sans doute en collaboration, mais en changeant de résidence à la suite de son régiment, M. Gillet fut obligé de renoncer à poursuivre ses travaux. De 1840 à 1848, il habita successivement Saint-Germain-en-Laye, Verdun, Sedan, Valenciennes, Thionville.

Plusieurs Rapports sur des questions spéciales à l'art vétérinaire rédigés durant cet intervalle donnèrent de nouvelles


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preuves de son remarquable talent d'observation et de son tact médical ; ils furent très appréciés au Ministère de la guerre, et en 1847 la croix de la Légion d'honneur récompensait les services rendus à la science et au pays.

L'année suivante M. Gillet venait habiter notre ville, et à partir de ce moment il semble se consacrer presque sans réserve à la botanique. Il y fut déterminé sans doute par la flore si variée de la région alençonnaise, située sur le versant méridional des collines de Normandie, à la limite des terrains de cristallisation, du silurien et du jurassique, et qui, par suite des influences du sol et du climat, peut fournir à l'observateur près des trois quarts des plantes de la province ; de là le charme et l'intérêt de nos excursions. Et n'est-ce pas chez nous que l'auteur du poème des Plantes, Castel, réfugié pendant la Révolution au modeste presbytère d'Hauterive, chantait ainsi la joie du botaniste herborisant ?

Parmi ces végétaux Les uns vous sont connus, d'autres vous sont nouveaux ; Vous voyez les premiers avec reconnaissance, Vous voyez les seconds des yeux de l'espérance; L'un est un viel ami, qu'on aime à retrouver, L'autre est un inconnu que Von doit éprouver.

Au moment où M. Gillet vint à Alençon, l'Histoire naturelle y comptait plusieurs représentants distingués : c'étaient Labillardière, ancien préparateur de Thénard au Collège de France et correspondant de l'Académie de Médecine, qui appliquait à 1'horliculture ses connaissances approfondies de physiologie végétale; le Dr Prévost, dont les premières recherches révélaient déjà un observateur plein de sagacité ; M. Letellier, aujourd'hui conservateur du Musée, si connu par ses patientes études sur la géologie régionale, et notre savant confrère M. Henri Beaudouin. qui, jeune encore, commençait à réunir les matériaux de sa belle collection de plantes tant admirée des visiteurs.

Est-il besoin de dire que M. Gillet fut accueilli dans ce petit cercle de travailleurs avec la plus vive sympathie ? Il prit part à toutes les herborisations et visita nos localités classiques, les étangs du Mortier et des Rablais, les argiles oxfordiennes de Champfleur, la belle colline calcaire de Chaumiton si riche en


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Orchidées, les granités de Condé et de Saint-Germain, les syénites de Saint-Céneri, les grès quartzeux d'Écouves, les porphyres de Fontenay-les-Louvets, les marais de Gandelain et de la Lacelle, les étangs de Saint-Denis et de la Poôlé, et comme nulle part la nature ne livre tous ses secrets et qu'il reste toujours à glaner même dans le champ le plus attentivement parcouru, il eut la bonne fortune de recueillir plusieurs espèces échappées à ses prédécesseurs. Les cryptogames elles-mêmes, négligées depuis les travaux de De Bi'ébisson, en 1826, furent aussi observées par lui et ses recherches sur les Mousses, les Algues et les Lichens contribuèrent à montrer la richesse et la A'ariété de notre tapis végétal (1).

C'est alors qu'il entreprit de publier un ouvrage sur la flore de France. Son séjour dans les régions de l'Est et du Nord, sur les bords de la Méditerranée et enfin dans nos contrées du Nord-Ouest, l'avaient mis à même de connaître les plantes de toutes les altitudes, de tous les climats, d'observer les variations de l'espèce depuis les plaines jusqu'au sommet des montagnes, d'étudier la géographie botanique et d'amasser ainsi des matériaux considérables, qu'il était à propos de mettre en oeuvre.

En 1853, M. Gillet, nommé vétérinaire principal, titre assez difficile à mériter, puisqu'il n'y en avait alors que cinq en France, fut appelé à Paris pour remplir au Ministère de la Guerre les fonctions de secrétaire de la Commission d'hygiène hippique. Toujours exact et consciencieux dans l'accomplissement de ses devoirs, il passait la journée à son bureau, puisj le soir venu, il rentrait chez lui pour reprendre dans le silence de la nuit ses travaux scientifiques et préparer son ouvrage.

Il fut publié en 1861 sous le titre de Nouvelle Flore française et devint presque aussitôt le Vade Mecurn des botanistes ; ses nombreuses planches chargées de dessins, qui se recommandent à la fois par l'élégance de l'exécution et par l'exactitude des détails anatomiques, ses descriptions concises, qui mettent en relief les caractères spécifiques les plus saillants, leur disposition en clés dichotomiques, l'indication des propriétés et des

(1) Quelques-unes de ses découvertes sont mentionnées dans la quatrième et cinquième édition de la Flore de Normandie, la Nouvelle Flore, de M. Corbière, et la Flore des Mousses du Nord-Ouest, par M. Husnot.


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principaux usages des végétaux, des notes sur leur distribution géographique, l'étymologie des noms, et tout cela condensé dans un volume de 7 à 800 pages, lui gagnèrent bientôt lous les suffrages.

Ce livre, il faut le dire encore, venait à son heure. On possédait les grands ouvrages descriptifs de Duby, Lamarck et de Candolle; Grenier et Godron, tous deux membres de l'Institut, venaient de publier une Flore de France en trois gros volumes in-8°, qui, malgré tous les essais tentés depuis lors dans cette direction, n'a pu être surpassée ni pour l'ordre méthodique ni pour la notion exacte et la bonne description des espèces et des variétés, mais le Manuel analytique et dichotomique était encore à l'état de projet. La Nouvelle Flore française réalisait donc un desideratum et comblait une lacune. Aussi est-elle aujourd'hui classique et son succès ne fait que s'affirmer de jour en jour : les sept éditions qui se sont suivies à de courts intervalles, témoignent hautement la faveur qu'elle a reçue du public et sont la meilleure preuve de sa valeur et de son utilité (1).

Quand elle parut, l'auteur était rentré à Alençon depuis quelque temps déjà. Sa santé, qui fut toujours délicate et ne se maintenait que par une sobriété constante et un régime sévère, se trouva gravement compromise par sa vie trop sédentaire et laborieuse à l'excès. Une douloureuse maladie, qui le privait presqu'entièrement de l'usage de ses membres, l'avait forcé de demander sa retraite avant l'âge réglementaire. Grâce aux soins assidus qui l'entouraient, il put, après plusieurs années de souffrance et d'inaction, obtenir une guérison inespérée et recouvrer ses forces, mais ce ne fut que pour revenir au travail. Nunquam otiosus, telle était la devise de Linné ; telle était, semble-t-il, aussi celle de M. Gillet. Il se mit alors à l'étude des Champignons, qui devait l'occuper pendant les trente dernières années de sa vie.

Ces végétaux, qui forment une classe si nombreuse et si importante par le rôle qu'ils jouent dans la nature, croissant partout à l'intérieur du sol comme à sa surface, se nourrissant

(1) M. Gillel a eu pour collaborateur à cet ouvrage J.-H. Magne, professeur de botanique à l'École d'Alforl, membre de l'Académie de Médecine, décédé en 1885. — Il est juste de dire pourtant que la part la plus grande revient à M. Gillet.


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exclusivement de substances organiques, sont, depuis un siècle, en France, au point de vue systématique, l'objet de travaux et de recherches multipliés : chaque année amène son tribut d'observations et de découvertes ; de nouveaux matériaux s'accumulent de jour en jour ; le nombre des espèces connues grandit avec le zèle et la sagacité des chercheurs. Bientôt les premières méthodes devenues insuffisantes ont besoin d'être revisées, les descriptions demandent à être plus complètes, des faits, jusque-là inaperçus, doivent être mis en lumière, les progrès de la chimie nous font apprécier plus sûrement les espèces utiles et nuisibles. Aussi le magnifique ouvrage de Bulliard, dont la réputation fut universelle autrefois, et à qui les gravures coloriées donnent aujourd'hui encore un prix inestimable, n'était plus en rapport avec nos connaissances scientifiques ; une nouvelle, étude d'ensemble sur la Flore mycologique française s'imposait aux botanistes.

Vers la même époque, Elias Fries, professeur à l'Université d'Upsal, déjà connu par ses recherches sur la classification des Champignons, qui ont servi de base aux travaux modernes, venait de terminer sa monographie des Hymenomycètes Scandinaves et son grand ouvrage iconographique sur les espèces comestibles et vénéreuses (1).

M. Gillet entreprit de compléter l'oeuvre de Bulliard, en faisant pour la France ce que Fries avait fait pour la Suède..« Aujour« d'hui, » disait-il en exposant le but et le plan de son livre, « aujourd'hui que la botanique semble intéresser toutes les « classes de la Société et que cette branche si attrayante de « l'histoire naturelle n'est plus comme autrefois le domaine « seulement de quelques privilégiés, nous croyons remplir un « véritable devoir

« en donnant aux personnes désireuses de se livrer à l'étude de « cette immense quantité de végétaux que le Créateur a répandus « autour de nous avec tant de profusion, un guide propre à en « faciliter l'intelligence et surtout à en rendre les abords moins « difficiles. « Dans ce but donc, profitant des travaux de nos prédéces(1)

prédéces(1) Hymenomycetum Suecioe. 1857-63, 2 vol. ; Sveriges atliga och giftiga Svampar, 1861, 1 vol. ; Icônes Hymenomycetum selectw et nondum delineatorum, 1867.

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« seurs, nous donnerons, dans un ordre dichotomique à peu « près semblable à celui suivi dans la Nouvelle Flore française, « une description aussi complète que possible des Champignons, « qui croissent sur le sol de la France el nous nous attacherons u surtout à bien l'aire connaître et les espèces qui sont alimen« taires et celles qui sont réputées vénéneuses, lesquelles ayant « souvent avec les premières les plus grands rapports, donnent « si fréquemment naissance à de très graves accidents.

« Pour diminuer le travail des commençants, nous

« ajouterons à nos descriptions des dessins aussi nombreux « que nous le pourrons. Ces dessins, appelés à faciliter « l'intelligence du texte, aplaniront, nous en sommes certain, « bien des dilficultéset écarteront tout ce qui pourrait décourager « l'élève désireux de s'instruire. »

C'est qu'en effet, lorsqu'il s'agit d'étudier des végétaux aussi polymorphes, aussi variables dans leur aspect, leurs dimensions et leur structure, aussi peu différents en apparence les uns des autres que les Champignons, une description si exacte, si précise et si claire qu'on la suppose ne saurait suppléer à l'absence de dessins coloriés reproduisant avec fidélité les caractères spécifiques. Mais pour mener à bonne fin un pareil travail, le mérite artistique ne suffit pas ; il faut joindre à l'habileté du dessinateur et du peintre le coup d'oeil exercé du naturaliste : aussi les huit cents planches, dont se compose l'album de M. Gillel. ont-elles été dessinées et coloriées à la main d'après nature par l'auteur lui-môme, et de l'aveu de tous les spécialistes, ce sont des modèles pour la beauté, la finesse et la parfaite exactitude des détails de l'organisation et du coloris. Voilà ce qui a fait le succès du livre en France, en Allemagne, en Angleterre et en Amérique. Un grand nombre de publications sur le même sujet, celles surtout qu'on dit écrites pour les gens du monde, ne contiennent que des figures plus ou moins fantaisistes ou imaginaires, qui causent parfois aux amateurs de si funestes méprises et trompent les botanistes môme les plus habiles, tandis qu'avec l'album de M. Gillet on peut presque toujours nommer l'espèce à la seule inspection des planches ; le texte ne vient ensuite que pour confirmer la détermination.

Ce texte a, d'ailleurs, été rédigé avec le plus grand soin : la classification et la synonymie adoptées sont celles de Fries ; une


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clé analytique facilite les recherches; dans les descriptions, l'auteur insiste particulièrement sur les caractères faciles à observer, visibles à l'oeil nu ou à l'aide d'une simple loupe. Des détails sur les stations préférées de chaque espèce, l'époque de sa croissance, ses propriétés et, s'il est nécessaire, ses usages dans l'économie domestique complètent les premières indications. Aussi, bien que l'ouvrage de M. Gillet ne comprenne que les deux premiers ordres de la classe des Champignons, on peut l'appeler, sans crainte d'exagération, un monument élevé à la mycologie française.

Pour réunir les matériaux de cette importante publication, l'auteur s'était assuré le concours de correspondants de toutes les parties de la France. Je ne puis écrire sans émotion le nom du plus laborieux, du plus assidu, qui vécut à ses côtés, travailla sous sa direction et à qui il dédia plusieurs espèces, mon ami si regretté Paul Alexandre, qu'une mort prématurée a enlevé à la science (1).

Une étude qui occupa M. Gillet jusque dans ses dernières années parallèlement aux Champignons, ce fut celle du genre Rubus, dans lequel l'espèce est si diversement appréciée par les auteurs ; il s'était passionné pour ce travail et avait recueilli un grand nombre de variétés de Ronces aux environs d'Alençon; il fut un des membres les plus actifs de l'Association rubologique de France fondée par M. l'abbé Boulay, dans le but de décrire toutes les formes qui présentent entre elles les différences même les plus légères et d'arriver par cette minutieuse comparaison des détails à des généralisations utiles et à des vues d'ensemble d'une réelle portée (2).

M. Gillet a mené une existence tranquille, calme et un peu retirée, comme l'est ordinairement celle des hommes d'étude ; les luttes stériles de la politique le laissaient indifférent, il leur préférait la paix fructueuse des laboratoires et des bibliothèques. Son temps était partagé entre le culte des sciences, les joies de la famille et ses relations amicales.

(1) Cfr. : Notice sur Paul Alexandre, par M. l'abbé Letacq : Bulletin de la Société scientifique d'Argentan, t. I" (1883), p. 133.

(2) L'Association rubologique publie chaque année un fascicule d'exsiccata et un bulletin lithographie. — Le directeur, M. l'abbé Boulay, est doyen de la Faculté catholique des Sciences de Lille.


Wi

II vivait dans l'union la plus parfaite avec sa femme et sa tille (1), qui n'avait jamais voulu se séparer de lui, et c'était un spectacle vraiment digne d'admiration que cet intérieur de simplicité, d'amabilité, de paix et de travail. MeIle Clémence Gillet fut non seulement pour ses parents la tille la plus dévouée, mais encore la collaboratrice intelligente des ouvrages de son père ; très habile elle-même dans le dessin et la peinture, elle l'aida pour toutes ses publications et une bonne part lui revient du soin et du goût dont témoignent les fascicules de l'album.

Les rapports de M. Gillet avec ses amis étaient empreints de la plus parfaite cordialité. Le calme de son âme, sa modestie, sa droiture, son extrême bonté, l'aménité de ses manières lui assuraient l'estime de tous ceux qui l'entouraient. Sa conversation toujours exempte d'âpreté et d'ironie montrait que l'indulgence, qui est le partage des esprits supérieurs, était bien sa vertu favorite.

Les jeunes naturalistes qui allaient chercher près de lui, lumières et conseils le trouvaient affectueux et plein d'obligeance; son bonheur était d'encourager leurs débuts, de guider leurs premiers pas. On écoutait avec une attention respectueuse la parole grave, mesurée, réfléchie de ce vétéran de la science qui indiquait des points obscurs à élucider, proposait des problèmes à résoudre, parfois môme traçait un programme d'études, et au sortir de l'entretien on se sentait plus ardent au travail, plus décidé à la persévérance dans la recherche et l'observation. Chez lui point de rivalités jalouses : il avait le coeur grand et l'âme haute : tous les succès de ses confrères le rendaient heureux.

Pour M. Gillet commepourlesnaturalistesvraiment dignes de ce nom, la création était avant tout un hymne au Créateur. Les insectes les plus petits, les végétaux les plus humbles excitaient son admiration par l'élégance de leurs formes, la richesse de leurs tissus, l'harmonie si bien comprise entre les organes et

(1) M. Gillet s'était marié à Joigny en 1834 ; M™* Gillet est décédée au commencement de l'année 1895, à l'âge de 87 ans. — De ce mariage sont nés deux enfants, M*"" Clémence Gillet et M. Gustave Gillet. Celui-ci, qui habite aujourd'hui Moslaganem, a suivi les traditions de la famille; élève distingué de l'École d'Alfort, il a embrassé la carrière militaire et ses brillants états de service pendant la campagne d'Italie et en Afrique lui ont mérité la Croix de la Légion d'honneur.


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les fonctions, l'habile agencement des espèces. Quand le Prince de la Botanique au XVIIIme siècle commence à décrire, dans l'ordre admirable imaginé par son génie, les trois règnes de la nature, sa pensée s'élève d'abord vers l'Auteur de tant de merveilles. « Lorsque je me suis éveillé, s'écrie Linné au début « du Sijstema. na.turoe, Dieu tout-puissant éternel, immense, « connaissant tout, venait de passer, je l'ai vu de loin, et je suis « resté plongé dans l'admiration. J'ai suivi les traces de ses pas, « en contemplant ses ouvrages et partout même dans les choses « si petites qu'elles semblent n'être pas , quelle puissance , « quelle sagesse, quelle inexplicable perfection. » (1). Nul n'était plus pénétré de ces grandes idées que M. Gillet, personne mieux que lui ne comprenait ces vues profondes que Linné cherchait dans les sciences. Il voyait l'empreinte de la main du Divin Artiste dans la structure si savante des êtres organisés ; les prodiges semés à profusion dans l'infiniment petit lui redisaient sans cesse la toute-puissance, la gloire, la majesté de l'infiniment grand.

Dieu a secouru dans ses derniers jours cette âme simple et droite, et la mort ne l'a pas prise au dépourvu. M. Gillet s'y est préparé en homme qui sait d'où il vient el. où il va : sentant ses forces décliner et voyant sa fin approcher, il demanda lui-même les prières et les sacrements de l'Église et quelques semaines après il rendait le dernier soupir dans les sentiments de la foi la plus vive ; consolation suprême pour sa famille et ses amis ! (2)

La science est un édifice que l'esprit humain élève péniblement; il est l'oeuvre du temps et des siècles ; chaque ouvrier apporte sa pierre, chaque génération construit son assise, mais parmi les travailleurs, il en est quelques-uns auxquels leur habileté consommée mérite le titre de Maître. M. Gillet fut un de ces hommes, et notre pays, qui a donné des noms célèbres à l'Histoire naturelle, inscrira le sien à côté des Brébisson, des Boisduval, des Lenormand sur le livre d'or de nos gloires scientifiques.

(1) Cfr. CHARLES DE LINNÉ, PAR TH FRIES : Notice biographique traduite du Suédois et annotée par l'abbé Letacq. Le Mans, Monnoyer, 1894, in-8", p. 4. Extrait du Monde des Plantes. H. DE BLAINVILLE : Histoire des sciences de l'organisation et de leurs progrès comme base de la philosophie. T. II, art. Linné, p. 364.

(2} Il est mort le 1" septembre dernier au n° 31 de la rue du Pont-Neuf, qu'il habitait depuis 7 à 8 ans. Il avait demeuré auparavant rues de Bretagne, de l'Adoration el de l'Asile.


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LISTE DES OUVRAGES DE M. GILLET BOTANIQUE

— Nouvelle flore française. Descriptions succinctes et rangées par tableaux dichotomiques des plantes qui croissent spontanément en France et de celles qu'on y cultive en grand avec l'indication de leurs propriétés et de leurs usages en médecine, en hygiène vétérinaire, dans les arts et dans l'économie domestique. Ouvrage suivi d'une table générale des espèces et de leurs synonymes, par MM. Gillet et J.-H. Magne Paris, Garnier frères, libraires-éditeurs , rue des Saints-Pères , 6. 1887 , septième édition in-12 de 782 p. Date de la lre édition : 1861.

— Note sur l'Agaric délicieux et sur une espèce voisine qui, sans doute, a jusqu'ici été confondue avec lui. Bulletin de la Société Linnéenne de Normandie, 1868-69, p. 247-256.

Ce travailaétéluà la séance publique de la Société Linnéenne, à Alençon, le dimanche 4 juillet 1869.

— Communication de M. Gillet sur cinq espèces d'Agaricinées : Amanita Godeyi C. Gill , Clitocybe insignis C. Gill.. Collibia foetidissima C. Gill, Crepidotus squarrosipes C. Gill., Paxillus Alexandri C. Gill. Ibid, 1873, p. 154.

— Les Champignons (Fungi, Hymenomycètes) qui croissent en France. Alençon Ch. Thomas, 1 vol., in-8° de 828 p. et un allas de 133 pi. coloriées; la lre livraison a paru en 1874 et la dernière en 1878. — Les 17 séries de planches supplémentaires comprennent 568 pi. coloriées.

— Description de Y Amanita vernalis C. Gill. Revue mycologique, juillet 1880.

— Tableaux analytiques des Hymenomycètes. Alençon, typ. A. Lepage, rue du Collège, 1884, in-8° de 199 p.

— Les Dyscomycètes. Alençon, typ. A. Lepage, 1 vol. in-8 de 230 p. avec 101 pi. noires et coloriées ; la première livraison a paru en 1879 et la dernière en 1887. — Les 3 séries de planches supplémentaires comprennent 36 pi. coloriées.

— Les Gasteromycètes. Alençon, A. Herpin. 1890, 48 pi. coloriées. — Le texte n'a pas paru.


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ART VÉTÉRINAIRE

— Mémoire sur le farcin. Recueil de mémoires et observations sur l'hygiène et la médecine vétérinaires militaires. T. i., p. 75-236 avec 7 pi. en couleur, 1»47. — Médaille d'or au concours de 1845.

— Mémoire sur les affections typhoïdes. Ibid. T. n, p. 145229, 1849. — Médaille d'argent au concours de 1846.

— Notice sur les chevaux du département, de l'Orne. Ibid, T. m, p. 298-361 avec 1 carte et 9 planches, 1851. — Concours de 1848.

— Des tares osseuses des membres du Cheval. I. Exostoses toujours adhérentes à la surface des os. II. Exostoses n'adhérant très souvent aux os que quelque temps après leur apparition. Ibid. — Concours de 1850.

V. A.-L. LETACQ : Essai sur la bibliographie botanique de l'Orne. Bulletin de la Société Linnéenne de Normandie, 1888, p. 273. — Notices sur M. Gillet, par M. Cyprien Alexandre dans l'Indépendant de l'Orne, 10 septembre 1896, par M. Eugène Niel dans le Bulletin de la Société des Amis des Sciences naturelles de Rouen (séance du 1" octobre 1896), par M. l'abbé Letacq dans le Monde des Plantes (1" décembre), et le Bulletin de la Société Linnéenne de Normandie.

A.-L. LETACQ.


SAINT-EVROULT

AUX XIe ET XIP SIÈCLES

Vimoutiers, qui reçoit, en ce moment, la Société historique de l'Orne, avec une si parfaite bienveillance (1), son nom latin Wi-monaslerium (2), son monastère bénédictin d'autrefois (3), le Patronage de sa cure concédé, par le duc Richard II, à l'abbaye de Jumièges, tous ces titres, Messieurs, si opportunément évoqués lors de la Bénédiction de votre merveilleuse église, appelaient dans le programme de cette séance une Etude monastique.

Nous en avons emprunté le sujet au pays d'Ouche, votre voisin, renfermé, comme votre portion du pays d'Auge, dans l'ancien archidiaconé de Gacé (4;.

A partir du vne siècle, le Pagus Uticensis fut le grand centre monastique de cette contrée.

Evroult, qui appartenait à la plus haute noblesse de Bayeux, y vint chercher la solitude.

Clovis II, roi de Neustrie, l'avait attiré à sa cour et associé à l'administration de son royaume. Mais ni les dignités, ni la fortune ne purent le retenir dans le monde. Voulant appartenir uniquement à Dieu, il suivit le conseil de l'Evangile, vendit son bien et le donna aux pauvres.

Son épouse, avertie de son dessein, le précéda dans la voie du renoncement, en recevant le voile.

Accompagné de trois religieux, Evroult s'arrêta d'abord en un

(1) Ce travail a été lu, en séance publique, à Vimoutiers, le jeudi 29 octobre 1896.

(2) WI-MONASTERIUM : Le Géographe d'Anville déclare avoir trouvé ce nom dans de vieux manuscrits : Ex vetastis paginis deprompsit d'Anville Geographus Rcgins.

(31 Voir une Notice sur ce monastère, à la suite de notre étude sur Saint-Kvroult. Nous devons cette intéressante communication à la bienveillance de M. Pernelle, maire de Vimoutiers.

(4) Voir la carte topographique du diocèse de Lisieux, dressée au xvm* siècle, par ordre de Messire Henri-Ignace de Brancas, évoque et comte de Lisieux.


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lieu planté de grands arbres, nommé Monlfort (1) ; mais craignant que la proximité des villes d'Exmes et de Gacé ne troublât, ses méditations, il pénétra plus avant dans la forêt d'Ouche. Il s'y associa de nombreux disciples, qui lui venaient de tous les rangs de la société.

Quand il mourut, vers la fin du vnc siècle ou, selon quelques auteurs, au commencement du vmc (707), son oeuvre s'était multipliée. Dans l'espace de 22 ans, il avait créé 15 monastères.

Celui d'Ouche fut épargné lors des invasions normandes ; mais, l'an946, des bandes gallo-frankes le pillèrent. Chartes, vases sacrés, reliques, le corps d'Evroult lui-même, tout ce qui avait du prix fut emporté.

La plupart des moines se mirent à la suite des restes de leur Bienheureux Père, dans l'espérance de les recouvrer. Quelques religieux seulement, entre autres le prieur Ascelin et Guibert de Gacé, restèrent parmi les ruines du monastère qu'ils tentèrent en vain de relever. — Ils moururent à la peine.

Cette restauration, qui fait le fond de notre Etude, fut l'oeuvre de deux jeunes seigneurs, Hugues et Robert de Grentemesnil. Leur père ayant été tué dans une bataille, leur avait laissé son château de Norrei, près de Falaise, et ses autres domaines.

Les deux frères, en possession de biens considérables, songèrent à bâtir un couvent de moines à Norrei. Ils en furent détournés par leur oncle maternel, Guillaume II Giroie qui, après s'être distingué dans la guerre et l'administration, s'était retiré à l'abbaye du Bec (2).

Guillaume de Jumièges (3), au Liv. III de son Histoire des Normands, raconte ainsi l'entrevue de l'oncle et des neveux :

« Guillaume, fils de Giroie, quittant sa retraite du Bec, vint trouver Robert et Hugues et leur parla en ces termes : « J'ap« prends, mes très-chers neveux, que vous êtes remplis de « ferveur pour le service de Dieu, et que même vous désirez « construire un couvent de moines. Je m'en réjouis et, de plus, « je vous promets de vous assister dans celte oeuvre.

(1) Aujourd'hui Saint-Evroult-de-Monlforl.

(2) Abbaye de bénédictins, fondée en 1034 ; aujourd'hui le Bec-Hélouin, département de l'Eure, arrondissement de Bernay.

(3) Guillaume de Jumièges, ou Calculas, écrivain du xie siècle. — Jumièges, département de la Seine-Inférieure ; abbaye fondée vers l'an 654, par saint Philibert.


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« Mais, dites-moi, quel lieu avez-vous choisi pour cet établis« sèment ? — Ils répondirent que c'était Norrei.

« Saint Benoît, instituteur des Moines, reprit Guillaume, « ordonne de construire un monastère de façon qu'il y ait, dans « son enceinte, les choses nécessaires : de l'eau, un moulin, un « pétrin, un jardin et tout ce qui dispense les religieux d'errer « au dehors, ce qui est contraire au salut de leurs âmes. A Nor« rei, si la campagne est fertile, l'eau et le bois sont fort éloi«

éloi« Si vous voulez écouler mes avis, je vous indiquerai

« un endroit plus convenable. — Il y a dans le pays d'Ouche « une solitude où autrefois habita un ami de Dieu, le Bienheu« reux abbé Evroult. Il y réunit une grande troupe de moines, « et, après avoir fait de nombreux miracles, il passa de cette « vie dans le sein du Christ. Restaurez donc son couvent « qui a été détruit. Vous trouverez là de l'eau en abondance. Je « possède dans le voisinage une forêt, d'où il sera facile de tirer « ce qui est nécessaire à la construction de l'église, venez et « voyez ce lieu. S'il vous plaît, élevons-y en commun une maison « à Dieu, réunissons-y des hommes fidèles qui intercèdent pour « nous, donnons-leur de nos biens et de nos revenus en suffi« sance, pour qu'ils puissent vaquer librement à célébrer les « louanges de Dieu. »

Ce projet plut aux deux frères qui le tirent agréer de Guillaume, duc de Normandie.

« En conséquence, ajoute Guillaume de Jumièges, l'an 1050 de l'Incarnation du Seigneur, le Pape Léon IX occupant le siège apostolique, Henri II empereur très-chrétien, duc des Saxons, étant sur le trône, le monastère de Saint-Evroult fut rétabli au pays d'Ouche (1). » Ce qu'il faut entendre d'un commencement de restauration, car les travaux ne se terminèrent que plus tard.

« C'était, en effet, dit Orderic Vital, chose difficile d'élever au pays d'Ouche, un édifice en pierre, parce que les carrières du Merlerault, d'où l'on tire la pierre de taille, sont à une distance de six milles (2). »

(1) Hist. des Normands Liv. VII.

(2) ^dificium de lapidibus apud U lieu m condere valde lalioiiorum est, quia Iapidicina Merulensis, unde quadrati lapides advehuntur,ad sex millia longe est (Hist. Eccl. Lib. III). D'après Auguste Leprevost le mille dont il s'agit dans ce passage, aurait été de quinze cents toises, ou de trois quarts de lieues de poste.


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Quelques-unes de ces carrières étaient voûtées et formèrent L k longue de spacieuses galeries qui existent encore aujourd'hui.

Les pierres qu'on en tirait se détachaient par blocs considérables, et « c'était à grand'peine que l'on parvenait à réunir les chevaux, les boeufs, les voitures nécessaires au transport des matériaux qu'exigeait le relèvement de l'oeuvre du Bienheureux Evroult. »

Six abbés : Thierri-de-Mathonville, Robert de Grentemesnil, Osbern, Mainier, Serlon, qui devint évoque de Séez, Roger du Sap, se succédèrent, depuis le commencement des travaux, jusqu'à leur achèvemeut et à la consécration de l'église.

Celui des abbés, qui eut la plus grande part dans cette restauration, fut Mainier, fils de Goncelin d'Echauffour. Pendant les vingt-trois années de sa gestion (1066-1089), il termina l'église, le cloître, la salle du chapitre, le dortoir, le réfectoire, la cuisine, le cellier, ainsi que les autres pièces appropriées à l'usage des moines.

Parmi ceux qui aidèrent à la réalisation de cette grande entreprise figure Lanfranc, autrefois moine de Saint-Evroult, puis prieur du Bec et premier abbé de Saint-Etienne de Caen. Guillaume le Conquérant l'avait emmené en Angleterre et nommé archevêque de Canlorbéry. Etant revenu en Normandie, pour assister à la consécration de l'église de Saint-Etienne de Caen (1077), il remit à l'abbé Mainier quarante-quatre livres de monnaie anglaise et deux marcs d'or. Il lui envoya ensuite quarante livres sterlings. Ce fut avec ces dons que l'on construisit la tour de l'église et le dortoir du couvent.

Tandis que la reconstruction matérielle de Saint-Evroult était ainsi menée à bonne fin, l'oeuvre monastique se fondait à nouveau.

Lorsque saint Evroult arriva dans la forêt d'Ouche, un voleur armé d'une lance se présenta à lui, en criant : — Que venezvous faire ici ? — Prier et pleurer répondit le saint.

C'était indiquer d'un mot le fond et le but de la vie monastique. Le travail incessant de tout homme qui entre dans un cloître, « c'est, dit M. de Montalembert (1), la lutte permanente « de la liberté morale contre les servitudes de la chair, c'est « l'effort constant de la volonté consacrée à la poursuite et à la

(1) Les Moines d'Occident.


4.V2

« conquête de la vertu chrétienne, c'est l'essor victorieux de « l'âme dans ces régions suprêmes, où elle retrouve sa vra\e « grandeur. »

Pour atteindre à ces sommets, les plus purs auxquels l'homme déchu puisse aspirer, Evroult joignit la prière aux larmes de la pénitence.

Cet élément de la prière, comme force morale, n'a pas été compris uniquement par les ascètes du moyen âge.

Un de nos contemporains, dont la science historique déplore la perte, M. Siméon Luce, de l'Institut, lui a rendu cet hommage : « Prier, nous ne disons pas des lèvres, ceux qui prient ainsi sont quelquefois les pires des hommes, mais prier dans toute la sincérité de son coeur, c'est se créer une source inépuisable de force et de richesse morale. Et, en parlant ainsi, nous nous plaçons purement et simplement au point de vue du naturaliste qui, pour apprécier un fait, n'a égard qu'aux données de l'observation et de l'expérience. C'est que toute prière, digne de ce nom, est un acte de foi ou du moins de résignation... Et qui sait si cette résignation ne constitue pas le plus haut degré de sagesse pratique que puisse atteindre notre pauvre humanité (1). «

Qu'on n'objecte pas que les prières et les austérités du moine sont un bien personnel et un égoïsme où il se renferme. Loin de là, les actes de sa vie cachée en Dieu, comme son action au dehors, ont un caractère éminemment social. Il jeûne, il prie pour ses frères, comme il travaille pour les intérêts les plus hauts de l'humanité.

« Une maison religieuse, a dit le cardinal Pie, n'est point un asile de somnolence (2). » Cette parole est vraie avant tout pour ces abbayes, où les fils de saint Benoît mettaient les forêts et les déserts en culture, en même temps qu'ils sauvaient les lettres des déprédations de la barbarie.

Ainsi en a-t-il été à Saint-Evroult, dans ce monastère relevé de ses ruines et qui dans quelques années se repeuple d'agriculteurs et de savants.

Ses prieurs et ses abbés, au xie et au xn° siècle, sont euxmêmes savants, ou du moins impriment autour d'eux un essor à la science.

(1) Jeanne d'Arc à Domrémy.

(2) Éloge funèbre de doni Guéranger, abbé de Solesmes,


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Lanfranc, originaire de la Lombardie, vient en première ligne. Il est illustre par sa famille et plus illustre par son savoir. Sa présence à Saint-Evroult est pour le jeune monastère une gloire sans prix. Guillaume de Malmesbury dit « qu'il imporla les arts libéraux de l'Italie dans les Gaules, où ils étaient dédaignés depuis longtemps, et les perfectionna par la pénétration de son esprit : Lanfrancus... libérales artes, qua? jamdudum sorduerant, a Latio ad Galliam vocans, acumine expolivit. »

Tbierry de Matthonville, avant d'être placé, en 1050, à la tête de l'abbaye d'Ouche, avait exercé la charge d'écolâtre à Jumièges. Devenu abbé, il s'était entouré de savants. Afin de les exciter à livrer aux autres les connaissances qu'ils possédaient, il se chargea lui-même de l'instructien des commençants. On le représente entouré de jeunes enfants heureusement doués, auxquels il enseignait la lecture, le chant, l'écriture et qu'il formait, dit Ordéric Vital, aux bonnes études qui conviennent aux serviteurs de Dieu désireux d'acquérir la vraie science. »

Osberne, successeur de Thierry, animait ses moines à transcrire les manuscrits, en passant ses heures de loisir à fabriquer des écritoires et à préparer des tablettes enduites de cire. Sous son administration, il se fit à Saint-Evroult des copies et des enluminures que l'on admirait comme des chefs-d'oeuvre.

Mainier d'Echauffour était poète, artiste et savant. Un de ses moines, Guillaume du Merlerault, dans le codex de ses Homélies, qui se voit à la Biblothèque d'Alençon (Ms. n° 149), le prie en ces termes d'examiner et au besoin de corriger son travail : — Tue benevolentie erit, magister illustris, fons inventionis, lux judicii, religionis apex, mortalis vitse dulcedo, singula diligenter examinare.... Et si quid rationi contrarium reprehenderis mox id corrigendum insinuare. Erit vero cautele ipsum opus non exponere indiscussum, ne cursus ejus aliquo jrropediatur errore et malevolis justa sit occasio insultandi....

Guillaume de Jumièges donne à Serlon l'épithète d'élégant, d'habile écrivain et d'orateur puissant : Uticensis abbatioe regimen, elegantissimo Serloni, peritia scripturarum et eloquentia pollenti, reliquit Meaerius.

Sous de telles directions, on ne peut s'étonner des transcriptions et des ouvrages qui, à cette époque, sortirent de la main des moines de Saint-Evroult. Longtemps leur bibliothèque attira


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les savants. Mabillon, au xvnc siècle, en vint reconnaître les richesses et, de nos jours, malgré les pertes essuyées pendant la Révolution, M. Léopold Delisle a consacré ses soins à dresser le catalogue des manuscrils de Saint-Evroult qui se trouvent tant à laBibliothèque nationale qu'à celle d'Alençon.

« Une circonstance, dit-il, qui donne un prix particulier à l'ancien catalogue de la bibliothèque de Saint-Evroult, c'est qu'on y voit figurer un nombre considérable d'ouvrages composés par des religieux de cette abbaye dans le courant du xie et du xne siècles. »

Un autre genre d'activité chez les moines de Saint-Evroull, à celte époque, fut l'amour de l'enseignement des lettres. Latinistes émérites, ils donnent des professeurs aux écoles épiscopales ou monastiques. Plusieurs colonies de religieux s'en vont peupler les monastères italiens de Saint-Euphémie, de Vénose et de Mélito. Us y portent, avec les traditions de leur maison, les règles musicales insérées dans un précieux manuscrit qu'un moine de Solesmes, voilà quelques années, était heureux, nous présent, de retrouver à la Bibliothèque d'Alençon.

D'autres moines de l'abbaye d'Ouche passent en Angleterre. Si l'on en croit une tradition reçue par les Allemands (ces maîtres de l'érudition et de la critique), la création de l'Université de Cambridge serait due à cinq d'entre eux.

« Vingt à trente années, dit l'Allemand Fritz, après les furieuses guerres des Danois, qui avaient porté un si rude coup à la culture littéraire et aux institutions scientifiques de l'Angleterre, vers la fin du onzième siècle, cinq maîtres de l'école monastique de Saint-Evroult, en France, vinrent s'établir dans le village de Cotenham. Ils se rendaient chaque jour de là à Cambridge, qui en était peu éloigné, et où Sigebert, roi des Ostangles, avait érigé une école dans laquelle ils donnaient des leçons.

« Ils attirèrent un si grand concours d'auditeurs que, au bout de deux ans à peine, un grenier qu'ils avaient loué ne suffit plus et que l'église elle-même fut bientôt trop petite. Le matin de bonne heure, un des cinq maîtres donnait l'instruction aux garçons les plus jeunes, dans la grammaire de Priscien ; en môme temps, un autre professait, pour des jeunes gens plus avancés, la logique d'Aristote ; plus tard, dans la journée, il y avait des cours de rhétorique d'après Quintilien etCicéron; enfin il y avait des cours


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de théologie pour les prêtres et pour ceux qui avaient étudié les sciences préparatoires : l'éthique ou le trivium, c'est-à-dire la grammaire, la rhétorique et la dialectique, la physique ; ou le quadrivium, c'est-à-dire l'arithmétique, la géométrie, la musique et l'astronomie. Ces commencements eurent un tel succès, attirèrent tellement les maîtres et les auditeurs qu'avant la fin du xne siècle Cambridge fournissait des professeurs à toute l'Angleterre. »

Parmi les gloires de l'Abbaye d'Ouche, à cette époque, Ordéric Vital brille au premier rang et mérite une place à part dans notre Étude.

Il était né en Angleterre, le 16 février 1075. Son père, homme de grande foi, voulut que son fils se consacrât à Dieu. A l'âge de dix ans, il le confia à un religieux, nommé Renaud, pour le conduire en Normandie, au monastère de Saint Évroult. L'Abbé Mainier le reçut, parmi ses moines, le 21 octobre 1085, et le tonsura.

L'enfant grandit dans l'étude et dans la prière, méditant la Règle de S. Benoît et se préparant aux ordres.

Comme lui-même l'a consigné dans ses écrits, — Gilbert, évêque de Lisieux, l'ordonna sous-diacre, le 15 mars 1091 ; Serlon, évêque de Séez, lui conféra le diaconat, le 25 mars 1093; quatorze ans plus tard, le 21 décembre 1107, Guillaume, archevêque de Rouen, lui donna la prêtrise. — Ordéric Vital consacra, par une pièce de vers, le souvenir de cette cérémonie qui fut des plus solennelles : on y comptait environ sept cents ordinands.

Ordéric s'était, de longue main, formé à l'art d'écrire. Cédant, aux instances de ses supérieurs, Roger du Sap et Guérin des Essarts, il composa son Histoire ecclésiastique. Cet ouvrage est incontestablement le plus considérable qui, au xne siècle, soit sorti de l'Abbaye d'Ouche.

Tel que nous l'avons et que la Société de l'Histoire de France l'a très savamment édité, avec la collaboration de MM. Auguste Le Prévost et Léopold Delisle, il se divise en treize Livres.

Le Ier renferme la Vie de Jésus-Christ et un Abrégé de l'Histoire universelle, jusqu'à l'année 1141, date où Ordéric Vital, âgé d'environ 66 ans, paraît avoir cessé d'écrire.

Le IIe Livre traite de la Vie des Apôtres, des disciples et de S. Martial.


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Les quatre Livres suivants résument les principaux faits arrivés en Normandie et s'étendent tout particulièrement sur l'Histoire de l'Abbaye d'Ouche, sur la Vie de son fondateur et de ses Abbés.

Les autres Livres sont consacrés à l'Histoire des Carlovingiens et des premiers Capétiens.

Les événements ayant trait à la Religion et à l'Ordre monastique figurent, pour une large part, dans les récits d'Ordéric Vilal.

Les principales sources, où il a puisé, sont : Les Livres de la Sainte-Écriture, l'Histoire ecclésiastique d'Eusèbe, Anastase, le Bibliothécaire (Vies des Papes), dont le manuscrit est catalogué, sous le n° 18, à la Bibliothèque d'Alençon, Paul Diacre, le Vénérable Bède : de sex setatibus mundi. Il lui fut facile de consulter les écrivains de l'antiquité profane, qui se trouvaient en grand nombre dans le monastère de Saint-Évroult.

Aux connaissances acquises par l'étude se joignaient les récits oraux et les légendes populaires qu'il recueillait et mettait par écrit.

Avec l'agrément de ses supérieurs, il entreprit plusieurs voyages. Ce mode d'instruction était fort en usage au moyen âge. « En 1115, dit M. Léopold Delisle, il alla passer cinq semaines dans l'abbaye de Croiland (Angleterre), qui était gouvernée par un ancien moine de Saint-Évroult, Geoffroi d'Orléans. Dans un voyage postérieur, il vit, à Worcester, un manuscrit de la Chronique de Marianus Scotus. A Cambrai, on lui montra un manuscrit de Sigeberl.... Le 20 mars 1132, il assista dans la basilique de Cluni, à une réunion de 1.212 religieux de l'Ordre, auquel l'Abbaye de Saint-Évroult était affiliée. Le 9 août 1134, il se trouvait au Merlerault ». Henri Ier, roi d'Angleterre, avait concédé, en l'année 1113, aux moines de Saint-Évroult, le Patronage de l'église de Saint-Martin du Merlerault, avec la dîme de la même ville et de la terre pour nourrir quatre boeufs.

Que autem concedo abbatie sancti Ebrulfi ac monachis suis haec sunt : ... Ecclesia sancti Martini de Merula cum omni décima ejusdem ville atque terra ad quatuor boves et in cemeterio duo hospites.

Les deux logements, concédés par l'acte de donation, permettaient aux moines de Saint-Évroult de séjourner au Merlerault et d'y surveiller leurs intérêts.

On voit encore, sur l'emplacement de l'ancien cimetière, une


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maison, tonte voisine de la grange dîmeresse des moines. Elle date au plus lard du xvie siècle. Au fond du foyer de la cheminée principale est une plaque représentant le prophète Élie, endormi dans le désert sous un genévrier. Un ange le réveille et lui présente une cruche d'eau et un pain cuit sous la cendre. C'est le fait biblique connu (IIP Liv. des Rois, ch. 19). Le point curieux consiste dans le vêtement du prophète. On lui a donné la robe, le scapulaire, le capuchon, la ceinture de cuir des Bénédictins. Ne peut-on pas en inférer que là était le pied-à-terre des moines de Saint-Évroult et que la maison qui existe remplace celle où résida Ordéric Vital ?

Il y rédigea plusieurs récits, qui figurent au XIIIe Livre de son Histoire, entre autres la description d'un orage et de plusieurs accidents causés par la foudre.

« Au mois d'août, dit-il, en la vigile de Saint Laurent, après None (1), il s'éleva un tourbillon qui fut suivi, vers le soir, de violents coups de tonnerre accompagnés d'une prodigieuse inondation de pluie. Alors la foudre éclata avec un grand fracas et tua plusieurs personnes en divers lieux....

« Au village de Planches, situé aux confins des évêchés de Lisieux et de Séez, un jeune homme nommé Guillaume Blanchard, ramenait du champ voisin sa charrette sur laquelle était sa soeur avec des gerbes d'avoine. Comme ce jeune homme, effrayé de la pluie qui tombait avec une excessive véhémence, se hâtait de gagner la demeure de sa mère, située non loin du lieu où il se trouvait, la foudre tomba tout-à-coup sur la croupe de la jument qui traînait la voiture, tua en même temps cet animal, sa pouliche qui la suivait en liberté et la jeune fille assise dans la voiture. Quant au jeune homme qui était sur la selle et conduisait la jument par la bride, il fut saisi de frayeur et précipité à terre. Toutefois, par la miséricorde Dieu, il s'en tira sain et sauf. Malgré les flots de pluie, le feu allumé par la foudre consuma la voiture et les gerbes. Je vis, le lendemain, les débris de l'incendie ainsi que le corps inanimé de la jeune fille placé dans la bière ; car me trouvant au Merlerault (2), je me rendis à

(1) Le neuf août, après trois heures de relevée.

(2) Merulx consistent. Dans la collection des Mémoires relatifs à l'Histoire de France, l'expression Merulx consistens est traduite par « me rendant au Merlerault ». C'est un contre-sens. Le latin dit : étant ou séjournant au Merlerault, je me rendis à Planches, illuc, idesl Planchas, perrexi. — (Planches, commune de 560 habitants, à 6 kilomètres du Merlerault). 32


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Planches, afin de vérifier l'événement et d'en laisser la narrai ion fidèle à la postérité. »

Nous citons ce récit à dessein. C'est un de ces hors-d'oeuvre que quelques-uns reprochent à Ordéric Vilal, comme encombrant la marche de son Histoire et nuisant à l'Unité de son oeuvre. D'autres le louent « du soin minutieux avec lequel il a recueilli des faits dédaignés de la plupart des chroniqueurs et qui classent son livre parmi les ouvrages les plus originaux de la littérature du moyen âge (1).

Voici ce que M. Guizot en a écrit : Après avoir fait ses réserves sur l'ordre et l'enchaînement des faits, il ajoute : « Aucun livre ne contient, sur l'histoire du onzième et. du douzième siècles, sur l'état politique civil et religieux de la société en Occident, sur les moeurs féodales, monastiques et populaires, tant et de si précieux renseignements ».

J. ROMBAULT. (1) M. Léopold Delisle.


APPENDICE

LE MONASTÈRE DES BÉNÉDICTINES DE VIMOUTIERS

La fondation du Monastère des Bénédictines de Vimoutiers date de l'année 1650. On la doit à Messire Nicolas de James, seigneur de Meilleraye, maître d'hôtel chez le Roi.

Cette maison fut d'abord établie à Livarot, au diocèse de Lisieux, suivant contrat de dotation passé le 24 octobre 1650, au profit de Catherine de James de Saint-Jores et de Marguerite-Catherine de James, filles du dit seigneur de Meilleraye, alors religieuses professes en l'abbaye de Vignats, de l'Ordre de saint Benoît, au diocèse de Séez (1).

Le monastère de Sainte-Margueritte-de-Vignats, voisin de l'abbaye cistercienne de Saint-André-de-Gouffern, avait été fondé, en l'année 1130, par Guillaume Talvas. Il fut longtemps un simple prieuré ; mais, grâce aux mérites et à la bonne gestion de sa prieure, Anne de Médavy, que l'on jugeait digne d'obtenir le rang d'abbesse, il fut érigé en abbaye (1617-1655). C'était alors une pépinière de ferventes religieuses. Leur régularité et leur piété étaient si notoires qu'on leur demandait des sujets pour l'édification des autres communautés.

Ce fut une faveur signalée pour la fondation de Nicolas de James, d'avoir, pour premières supérieures, des religieuses sortant de pareille souche.

Leur établissement à Livarot ne fut qu'un passage : bientôt elles se fixèrent à Vimoutiers, de l'aveu et permission de l'Ordinaire et du fondateur. On y voit encore plusieurs constructions ayant appartenu au monastère et les deux valves de la porte-cochère qui en dosait l'entrée principale.

Le 24 janvier 1651, Léonor Ier de Matignon, évêque de Lisieux, agréa cet établissement et en consentit l'érection, à la charge, pour les religieuses, de demeurer toujours sous sa pleine et entière juridiction, et sous celle de ses successeurs. Il statua, en outre, qu'elles suivraient les constitutions des religieuses de Montivilliers. C'était une très ancienne abbaye royale de Bénédictines, datant du vne siècle (2). Quelques-uns pensent qu'elle fut gouvernée, vers ses débuts, par saint Philibert, premier abbé de Jumièges.

Tout en acceptant les décisions de l'évêque de Lisieux, la communauté bénédictine de Vimoutiers avait fait insérer, dans ses statuts : que, selon la volonté du fondateur, ses deux filles Catherine et Marguerite seraient successivement supérieures, à perpétuité.

(1) Vignats, arrondissement de Falaise, appartenait au diocèse de Séez, avant la Révolution ; depuis le Concordat de 1801, il fait partie du diocèse de Bayeux.

(2) Montivilliers, chef-lieu de canton, appartient à l'arrondissement du Havre.


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Dans la suite, la nomination des Supérieures amena des difficultés très sérieuses. Plusieurs de ces élections furent attaquées comme n'étant pas conformes aux règles de la maison.

Liste des Supérieures, d'après les dates de leurs décès

Dates de décès

Catherine de James de Saint-.Tores 1650-1666. 11 février.

Barbe Gautier de Saint-Basile 1666-1708,17 décembre.

Geneviève de James de Saint-Jores 1708-1711, 15 mars.

Elisabeth de James de la Meilleraye .... 1711-1719, 28 août.

Marie-Anne Deshayes de Gassard 1719-1742, 15 octobre.

Catherine de Marescot de Montmirel .... 1742-1744, 8 novembre.

Anne Deshayes 1744-1749, 14 février.

Elisabeth Vaumesle d'Enneval 1749-1752, 11 avril.

Angélique Le Prévost 1752.

A la suite de ces noms et de ces dates, M. le Maire de Vimoutiers consigne cette observation :

« J'ai eu sous la main une grande partie des pièces notariées et autres appartenant au couvent. Du dépouillement de ces documents, il résulte que le tableau ci-dessus doit être inexact ou tout au moins incomplet, car, dans l'ordre chronologique, voici les noms des religieuses qui ont signé successivement, en qualité de Supérieure :

Catherine de James de Saint-Jores (Sr Sainte-Trinité).

Marguerite de James de la Meilleraye (Sr Sainte-Félicité).

Barbe Gautier de Saint-Basile (Sr Sainte-Marie de Jésus).

Geneviève de James de Saint-Jores (Sr Sainte-Marie).

Elisabeth de James de la Meilleraye.

Marie-Marthe de Courseulles.

Marie-Anne Deshayes de Launay de Gassard (Sr Saint-Joseph).

Catherine de Marescot de Montmirel (Sr Sainte-Cécile).

Anne Deshayes.

Elisabeth Vaumesle d'Enneval.

Marie-Charlotte de Liée de Bellau.

Angélique Le Prévost.

de Fonteny.

Scholastique Le Prévost. Marie Deshayes (Sr Sainte-Victoire). Marie-Rivière de Baudrieux (Sr Sainte-Marie). Anne Lemonnier (Sr Sainte-Anne).

Nous trouvons une autre liste au tome IIIe de l'important ouvrage de M. l'abbé Piel, curé du Mesnil-Mauger : Inventaire historique des Actes trancrits aux INSINUATIONS ECCLÉSIASTIQUES de l'ancien diocèse de Lisieux :

« Extrait d'une déclaration fournie, le 20 décembre 1727, par dame Marie-Anne Deshayes de Launay-Gassart, supérieure des Bénédictines de Vimoutiers ».


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Noms des Religieuses qui ont fait profession au dit Monastère, depuis 1691, et qui sont encore vivantes, en l'année 1727 :

S 1' François Leriche a fait profession en l'année 1692.

S 1' Anne Cambette de la Noe, 1694.

Sr Marguerite de Mannoury, 1694.

Sr Charlotte de Liée de Belleau, 1694,

Sr Catherine de Lespiney de Campigny, 1697.

Sp Marie-Anne Deshayes, 1698.

Sr Catherine Desmares de Montmirel, 1698.

Sr Catherine Ozou, 1698.

Sr Anne Dufour de Caudemonne, 1698.

S'- Elisabeth du Houlley, 1700.

Sr Elisabeth de Mailloc, 1704.

Sr Chartotte-Angélique Deshayes, 1704.

Sr Anne de Morchêne, 1708.

S 1' Thérèse des Brières, 1708.

Sr Elisabeth-Thérèse de Vaumesle, 1716.

S 1' Marie-Magdeleine de Vaumesle, 1716.

Sr Barbe-Françoise Deshayes, 1716.

S 1' Agathe-Apoline Louchard, 1716.

Sr Marie-Magdeleine-Françoise Deshayes, 1716.

S 1' Louise-Angélique Le Prévost, 1720.

Sr Elisabeth Cavey, 1724.

S 1' Elisabeth-Louise de Nollent, 1725.

Sr Marie-Marthe de Nollent, 1726.

La vente du Couvent et pièces de terre en dépendant furent estimées 135.200 livres ; elles furent adjugées, le 21 Ventôse an II, au citoyen Jean Forget, pour le prix de 50.500 livres, dont un dixième payable comptant, et le surplus en neuf annuités avec intérêts à 5 °/o, le tout payable à la caisse de l'Extraordinaire, ou en celle du district d'Argentan.


TROIS

POÉSIES ARMÉNIENNES

LA CHAPELLE ARMÉNIENNE DE SAINTE-HÉLÈNE

AU SAINT-SÉPULCRE (1)

Sous le dôme de fer de cette Eglise ronde, Ou l'Éternel naquit de la tombe inféconde, Les peuples assemblés, élevaient leur clameur Qui toujours agonise et qui jamais ne meurt. Les moines de l'Athos, ceux de l'Adiabène, Les dominicains blancs et les capucins roux, Les Abyssiniens sous la mitre d'ébène, Sous les tiares d'or les Coptes à genoux,

(1) Les poésies qu'on va lire sont dédiées au R. P. Charmetant, directeur général de l'OEuvre des écoles d'Orient, et lui parviendront accompagnées des paroles suivantes :

Mon révérend père.

Je vous donne ces vers comme à l'ami du grand cardinal dont vous prolongez l'apostolat, et qui, bien que disparu de la terre qu'il eût voulu donner tout entière à Jésus-Christ, agit encore en Orient par la continuité de votre zèle.

Malgré le silence acheté de la presse vous avez eu l'honneur d'intéresser l'Europe à la cause des Arméniens, vous avez appelé son attention sur le péril du Panislamisme, et sans vous en apercevoir suscité dans l'ombre d'une province, cette protestation destinée a venger notre pays d'un reproche immérité : celui d'être indiirérent à l'infortune de ceux qui espèrent en lui.

Je m'assure donc que votre Révérence agréera l'hommage de ces chants, pour l'amour qu'elle a des opprimés. Je vous supplie de recevoir ces vers d'une aussi bonne main que s'ils vous étaient apportés de l'Arménie ellemême, source de tant de larmes, et que peut seule surpasser par ses malheurs l'étendue de nos compassions.

Je suis avec un profond respect, mon révérend père, votre très humble et très dévoué serviteur.

Fi,.-L.


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Les Grecs, illuminant de feux l'or des icônes, Les Francs, sur la poitrine arborant une croix, Priaient, et par moment, l'éclat strident des voix Interrompait les sons mineurs et monotones Du psaume continu, qui bourdonne en ce lieu : Et l'Ange des douleurs disait dans les ténèbres : Peuples qui prolongez ces murmures funèbres, Qui de vous le premier va mourir pour son Dieu ?

Mais l'avenir dormait dans son prudent mystère ;

Et dans le clair obscur des corridors anciens,

Je vis de longs degrés, qui descendaient sous terre,

Rude escalier, par où vont les Arméniens

Dans leur crypte dormante, aux aspects de citerne,

Aux chapiteaux, sculptés dans des temps très lointains,

Et qui, vermiculés d'entrelacs bysantins,

Portaient un dôme bleu, d'où clignotte un jour terne

Et comme par dessous des neiges s'infiltrant ;

L'ombre y noyait le fil où pendait en guirlande

L'oeuf d'autruche, où s'allume une veilleuse, offrande

Des petits, se donnant eux-mêmes en souffrant !

Des cierges, sur les ais vermoulus des rétables

Élevaient la maigreur de cires lamentables ;

De la lampe d'étain, aux chandeliers de bois

La poussière étendait les tons fanés des tombes ;

Et de là, comme en rêve, il s'élevait des voix

Telles qu'il en sortait du fond des catacombes,

Et des enroulements de sons mélodieux

Qui vous liaient le coeur, et vous fais'aient descendre

Marche à marche et jusqu'à ces seuils harmonieux


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Où l'Arménie en pleurs dans la poudre et la cendre Derrière elle, traînait, comme un sanglant lambeau, Des Kyrie mourant d'une telle agonie Qu'ils rappelaient l'Absent céleste en son tombeau :

« Nous t'invoquons disait la lente cantilène Nous t'invoquons seigneur miséricordieux De l'abîme où, captive au sol injurieux La croix se releva sur un geste d'Hélène : D'Hélène, Impératrice en qui nous eûmes foi, « Là, dit-elle, où la croix gisait dans la poussière « Là vous édifierez trente marches de pierre « Pour que la race humaine y descende après moi. » Nous attendons le Monde, en ce lieu solitaire, Par l'indigence et l'ombre humiliés deux fois, Et là, nous témoignons dans les flancs de la terre Du stage inglorieux qu'y supporta la croix. Bientôt, précipitant leurs pas du haut des rampes Ceux dont le poignard brille au feu des saintes lampes Les janissaires turcs, vont peut-être en ce lieu, Empourpre/ de nos sangs les vestiges de Dieu : Prends tes fils éprouvés, à l'heure des alarmes Sous ton aile, ô seigneur miséricordieux.... »

Et dans les profondeurs où cliquetaient des armes Les échos répétaient : miséricordieux !...

Le dôme assombrissait son jour mystérieux.

Disjoints et salpêtres buvant de lourdes larmes Les pavés par endroits laissaient voir le rocher,


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Et toujours le doux chant me disait d'approcher Et murmurait :

« Je suis la vétusté qui chante ! Je suis la Pauvreté que l'espérance enchante, L'antique dénuement que'Jésus conseilla, La résignation de la douce Arménie Aux futures douleurs qu'augure l'harmonie Quand ses flots en roulant percent les au-delà!... Des peuples qu'un Dieu mort unit près de sa tombe Si quelqu'un doit mourir, volontaire hécatombe, Mourir pour Jésus-Christ, nous serons celui-là. »


LE SONGE

Serait-il vrai qu'un songe, ô proscrit d'Arménie, Un songe, iradié de la gloire infinie, T'ai visité, lorsque dans ton pays lointain Entre vivre et mourir tu flottais incertain ?

— Vous l'avez dit, à l'heure où s'alignaient dans l'ombre

Les grands monts, tombeaux noirs, des massacrés sans nombre,

Un songe, issu des cieux, où Dieu jamais ne dort,

M'a transporté soudain sous la coupole sourde

D'Arabyssus, donjon, de qui la herse lourde

Tomba derrière Jean l'évêque aux lèvres d'or ;

Et j'étais dans la salle où se gardaient encore

Sous la gemme et le cèdre en des écrins bien clos

Les écrits de Korène et ceux de Diodore

De Narsès, de Grégoire et d'Agathangelos,

Livres sans prix, dont l'un, que j'ouvris d'aventure,

Au velin de sa page avait une peinture :

J'admirais qu'à ses bords festonnés d'un trait pur

L'artiste, ou l'ange, au gré de ses mains imagères,

Eût contourné l'acanthe en volutes légères,

Puis en ce cadre exquis, fait sur un champ d'azur,

Trois femmes s'avancer... L'une, le front baissé,

Triste, du chaste adieu des belles résignées,


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Qu'appelle une patrie où leurs âmes sont nées, Qui passent, et déjà se voient dans le passé ;

Une autre, la seconde, aux grands yeux de victime, Sans pleurs, et les sourcils froncés d'angoisse intime, Ouvrait la bouche à peine à ces cris que retient La souffrance pudique et l'honneur du maintien.

D'un coeur épanoui, les traits de la troisième Tiraient l'achèvement d'une beauté suprême, Quelque chose affleurait de son âme à ses yeux, Qui battait comme une aile à quelqu'extase heureuse, Mais, l'immobile aspect de biens mystérieux Apaisait sa beauté d'immortelle amoureuse.

Toutes les trois passaient au cadre de carmin Sous leurs peplos très pâle au tons de cyclamen : Telles marchaient Agnès, Laure, Irène ou Praxède...

Mais je lus à leurs pieds : La Douleur : elle fuit. La Résignation, très-calme, la précède, La Consolation, très-sereine, la suit.


LES SUPPLIANTES

In gloria quies aut in verilate.

Par les bois, par les monts, par la steppe infinie, Passait le défilé des vierges d'Arménie, Les bras au ciel, la fange aux pieds, le regard fou, Elles allaient vers l'ombre et ne savaient pas où...

Où courez-vous ainsi, touchantes fugitives, Déchirant votre voile aux ronces des halliers, Dissipant, au hazard de vos routes furtives, Les piécettes d'argent de vos anciens colliers ?

Elles ont dit : puisque la France nous renonce, Puisque le Tzar a peur de nous serrer la main, Nous allons implorer, du roc et de la ronce Un peu de la pitié qui manque au coeur humain. Nous allons vers les monts d'où sortit notre race...

Y trouverons-nous l'arche, ou du moins quelqu'abri. Quelque caverne, ouverte aux proscrits, dans la place Où Noë fut sauvé, quand le monde a péri ?


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Reviens, ô Patriarche ! et vous qu'en beaux cortèges, Des hauteurs où blanchit l'éternité des neiges Il menait puissamment vers les vallons fangeux, Redescendez pour nous de l'abside des cieux ! Mais, fantôme évoqué du fond des vieux désastres L'arche s'est dissipée aux frontières du ciel, Et Noë, centenaire, a, par delà les astres, Dans l'Infini béant rejoint l'antique Abel. Nous l'appelons en vain... Il est loin de la terre. Les hurlements des loups dans la nuit solitaire Seuls répondront aux cris de nos coeurs anxieux. Peut-être allons-nous voir tel qu'un vieux cimeterre Mis au rebut, sanglant et rouillé dans les cieux, Tomber dans la mer Noire un croissant qui décline. Symbole humilié de l'Islam en ruine... Vaine apparence, hélas !....

Alors Noë parla :

Quand mon prudent labeur n'eût pas dompté les ondes,

Quand j'eusse été couché sous les vagues profondes,

Le Seigneur eût bien pu me retirer de là.

S'il est vrai que longtemps égarés par leurs scribes,

Les Français n'aient pour vous, que des pleurs trop timides.

Croyez-vous que leur Dieu ne soit assez puissant

Pour suppléer au don de leur généreux sang ?

Regardez l'occident ! — Il s'éclaire... il s'irise...

Elle avance, enfonçant les portes de l'Enfer.

La proue incoercible, à l'éperon de fer,

La nef adamantine et stellaire : l'Eglise,

L'Arche, arborant l'espoir du salut qui vient tard.

Sur la porte éclatante, est debout un vieillard,


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Sur son front, où des deux la sagesse est enclose, L'or, en cercle étage, trois fois se superpose ; Et comme je tenais la colombe en ma main, Il tient la paix promise à tout le genre humain. Aux martyrs d'Arménie il porte la couronne, Aux survivants, le dogme en son intégrité, Et de son large "coeur, clément à tous, il donne Le repos dans la gloire ou dans la vérité.

IN GLORIA QUIES AUT IN VERITATE !

FLORENTIN-LORIOT.


NOTES

SUR

LE PRIEURÉ DE LA COCHÈRE

AU XXVIe ET XVIIe SIÈCLES D'après des documents inédits

MESSIEURS,

Je voudrais simplement ajouter aux intéressants travaux que vous venez d'entendre quelques notes relatives à un monastère qui a eu sa place dans l'histoire des maisons religieuses de votre région et dont le nom, je crois, est à peu près tombé dans l'oubli (1).

Percheron, plus que Normand, je dois l'avouer, je me demandais en visitant mes cartons de vieux papiers, ce que je pourrais bien vous apporter qui vous touchât plus particulièrement et qui fût du nouveau pour vous, lorsque j'eus la bonne chance d'exhumer un dossier assez volumineux, poussiéreux, vous n'en doutez pas, que, depuis la fin du siècle dernier, nulle main n'avait compulsé, nul curieux n'avait pénétré ; les pièces étaient nombreuses, parchemin ou papier, rédigées en français ou en latin : il s'agissait du prieuré de N.-D. la Cochère. Ce nom, certes, ne vous est pas inconnu, car vous savez qu'entre Almenèches et Le Pin, dans le canton d'Exmes, un bourg subsiste encore, qui le porte, mais ce qu'il vous était permis d'ignorer, c'est que sur cette paroisse existait dès le xne siècle, une maison religieuse, de l'ordre de Saint-Augustin, fondée par Guillaume Talvas, seigneur de Bellême et d'Alençon, comte de Ponthieu, grand bienfaiteur de l'Église qui lui doit aussi l'abbaye de Perseigne, celle de Vignas, le prieuré de Mamers et bien d'autres. Me voici donc

(1 ) En effet, dans aucun écrit, je n'ai trouvé trace de ce prieuré.


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avec lui un peu dans le Perche et en même temps sur votre terrain ; ce trait d'union m'a séduit et nous allons, si vous le voulez bien, dépouiller ensemble, et rapidement, ces titres qui pourront peut-être senir quelque jour à une monographie plus étudiée.

Le prieuré de la Cochère, qui aurait succédé, croit-on, à un ermitage bâti en ce lieu par saint Evroult, fut donné par son fondateur au prieuré de Saint-Barbe-en-Auge ou de SaintMartin-d'Ecajeul, au diocèse de Lisieux, lequel avait été établi par le seigneur de l'endroit, Odon Stigaud qui y apporta vers 1068 des reliques de Sainte-Barbe. A la vue de ces précieux restes, son fils Maurice, recouvra la santé et ce fut en mémoire de cette guérison qu'Odon édifia le monastère (1).

La pièce la plus ancienne de mon dossier est du 25 novembre 1470. C'est une ordonnance du lieutenant d'Argentan et d'Exmes, maître enquêteur et général réformateur des eaux et forêts, qui enjoint au verdier de Gouffern et de la Haie d'Exmes de permettre aux religieux et au prieur de la Cochère de prendre en la dite forêt de Gouffern « grand nombre de pieds de chênes pour faire tout de neuf en le clos du dit prieuré une maison manable au lieu où soulloit être l'ancienne » en leur recommandant de les chercher « au lieu plus aisé et moins domaigeulx ». C'était perpétuer un usage fort ancien qui leur donnait, pour leurs bêtes porcines, dont ils faisaient un important élevage, le droit d'herbage et de passage en cette forêt et en la Haie d'Exmes et qui les autorisait à se munir de bois tant pour le chauffage du prieur que pour les réparations ou édifications nécessaires sur le domaine. Richard Coeur de Lion avait confirmé ces droits existants dès l'origine, Saint Louis les avait renouvelés en 1223, et plus récemment, Jean, duc d'Alençon, en 1450. Il leur suffisait donc d'une simple demande pour les maintenir.

En 1470, comme nous le voyons, sous le prieur Landry Estousouppe, la maison manable était à refaire, demeure peu considérable sans doute, à en juger par les états que nous avons, mais le domaine en lui-même était important, le prieur étant aussi seigneur du lieu. En 1552, un aveu au Roi du prieur de Sainte-Barbe pour la Cochère nous apprend qu'il y avait : un

(1) Bibl. Nat'-. fr. 14543.


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fief tenu noblement en « aumosne à court et usaige » s'élendant sur les paroisses de la Rocque, Nonant, Almenèches, le Chastel d'Almenèches, Chahagny, le Pin, Sourvye et Exmes ; un autre fief noble « à court et usaige » en basse justice, en la paroisse de Nonant ; un autre noble aussi « à court et usaige » en la paroisse de Neauphe ; plus une vavassorerie en celle de Crouttes et encore un fief noble sur les paroisses de Silly, Tournay et Terteuf; enfin plusieurs rentes et possessions en diverses paroisses environnantes, la coutume de prendre à Nourey en la grange des religieux de Saint-Evroult « un muy de blé » et plusieurs aumônes de dîmes, patronages d'églises, dignités, libertés, franchises, seigneuries, etc.

Comme constructions principales sur ces terres et notamment à la Cochère même, étaient l'église paroissiale, la chapelle, le manoir avec cour, plusieurs maisons, sortes de dépendances; le colombier et le moulin sur la rivière où était la « pescherie ».

Si vous voulez avoir maintenant quelque idée sur l'installation mobilière du prieuré, nous n'avons qu'à lire une déclaration des biens en 1517, fort succincte il est vrai, car il s'agit d'objets confiés à la garde du frère Pierre Auvray, de Sainte-Barbe, et qui peut nous laisser supposer que le personnel religieux de la Cochère était assez restreint. Entre autres choses nous y trouvons donc : « deux litz fourniz, deux oreilliers, quattre taies à oreillier, deux douzaines de draps, six chemises, six augustins, six nappes et deux douzaines de serviettes ; item, troys robes doublées, deux perez de chaussez, ung bonnet, une cornette, ung domino et ung mantel ; item, un bréviaire complect, ung landier, ung livre nommé la flour des commandemens et aultres petits livres en papier ; item, ung cheval en hernaiche, ungne père de houscaulx, ungz espérons » et aussi « trente livrez tant en or que en monnoye »,

Quant au prieur, qui était choisi par le prieur de SainteBarbe et toujours dans son abbaye, il était tenu d'entretenir l'église paroissiale en toutes réparations, comme maçonnerie, couverture et vitres et de fournir le linge, les cierges, les livres et ornements et toutes autres choses requises pour le service divin, de nourrir le curé de Saint-Sauveur de la Cochère et le curé de la Roche, leurs clercs et leurs chevaux, de payer aux religieux de Silly neuf septiers de grain, froment, orge et avoine,

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d'entretenir le pont du Buisson, de dire une messe tous les lundis de l'an pour le prince et les fondateurs et de comparaître aux Aauts Jours à Argentan sous peine de grosse amende.

A ces « pieds des haults jours et parnages » le prieur n'avait garde de manquer et nous trouvons toujours son nom, sur le registre des présences de 1568 à 1583. Ils étaient tenus alors par Guillaume de Launay, écuier, licencié en lois, lieutenant de M. lebailly d'Alençon aux vicomtes d" Argentan et Exmes,ell'on y voyait le baron d'Aunou, les sieurs de Bailleul, du Pin, de Tournay, l'abbé de Jumièges, les abbés de Saint-Pierre-surDives, de Saint-André-en-Gouffern, de Saint-Jean près Falaise, de Silly, le prieur de Goullet, le maître des eaux et forêts, le verdier des dites vicomtes ; mais la plupart d'entre eux trouvaient une raison pour n'y pas paraître et s'y faisaient représenter par procureur, l'un parcequ'il était en la garde du Roi, l'autre parce qu'il se trouvait dispensé comme chevalier de l'ordre du Roi, d'autres aussi préféraient l'amende à l'excuse.

Pour cette époque, c'est-à-dire pour la fin du du xve siècle et tout le xvie, nous pouvons reconstituer assez facilement et d'une manière à peu près complète la liste des prieurs de la Cochère(l). En 1470, nous avons vu Landry Estousouppe, en 1486, c'est Richard Herber, puis en 1507 Guillaume Chevron qui a le tilre d'évêque de Porphyre et qui démissionne le 26 juin 1513. Jean Byard qui lui avait succédé, se retire aussi et ses successeurs sont Pierre Adam nommé le 7 novembre 1522, Raoul de Launey, 1535, Jean Lemelle, 1537, Gabriel le Boullenger, 1550, Jean Manchon, 1556, Guillaume Briant, démissionnaire le 26 mai 1566 ; il cède la place à Etienne Fouquet, devenu prieur le 27 juin suivant, qui a joué un rôle assez important dans l'histoire du monastère pour que nous nous arrêtions un instant à lui.

En effet, Etienne Fouquet permutait et transférait son prieuré à Michel Michon, prêtre du diocèse de Paris, contre le prieuré

(1) M. Louis Duval dans son Introduction au Tome II de l'Inventai)' sommaire des Archives de l'Orne, série H, p. xxxvn a déjà dressé une list de ces prieurs. Nous pouvons, grâce à nos documents, y ajouter quelques noms nouveaux. Nous ne donnons comme exactes que les dates précisées par le quantième et le mois ; les autres ne sont que celles des actes les plus anciens où figurent ces noms.


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de Saint-Nicolas-des-Bois, au diocèse de Lisieux, avec l'agrément de l'évêque de Sées, Louis du Moulinet, et cela au préjudice des droits anciens que prétendaient y avoir de tous temps les religieux de Sainle-Barbe ; d'où procès au Grand Conseil du Roi qui rend le 10 février 1583 et le 1er juillet 1585 deux arrêts favorables au dit Miehon représenté par Jean Bariot, sieur de Macqueville. La cause est alors portée par le prieur de SainteBarbe devant l'oflicial de Sées et. renvoyée à la Cour métropolitaire de Rouen et l'affaire se termine le 3 octobre 1588 par une transaction qui ne laisse à Etienne Fouquet que la jouissance du prieuré avec ses fruits, profits et rentes pour sa vie durant, le sieur Miehon jouira, lui, du fief de la Cochôre avec court, usage, reliefs, oeufs, oiseaux, dignités y appartenant ; il aura son habitation dans le prieuré même qu'il devra entretenir à ses frais el devra payer leurs pensions au curé et à l'abbé de Silly. A sa mort les religieux de Sainte-Barbe reprendront possession du fief. Cependant, en 1603, nous trouvons Claude Bouthillier prieur du lieu; il prétendait sans doute aux droits du dit Miehon (1) et fut maintenu en ce titre par arrêt du Grand Conseil du 30 septembre. Le prieur de Saint-Barbe, Robert de la Ménardière fait de nouveau opposition à ces prétentions en nommant le 14 août 1605 Richard Noël à la place d'Etienne Fouquet qui venait de mourir, et le conflit recommence. Malgré tout, soutenu par le Grand Conseil qui rend toujours des arrêts en sa faveur, Claude Bouthillier fait acte de prieur jusqu'au moment où l'abbaye de Sainte-Barbe et par conséquent le prieuré de la Cochère deviennent la possession des jésuites de Caen. Ce dernier prieur avait pour frères, Sébastien Bouthillier, évêque d'Aire, qui fut son procureur en ce litige, Victor, archevêque de Tours, et Denis, conseiller d'Etat, père de l'abbé de Rancé, réformateur de la Trappe ; c'est encore là un rapprochement entre la Normandie et le Perche que nous sommes heureux de souligner.

Par suite d'un accord, notre prieuré passait entre les mains du collège de la Compagnie de Jésus à Caen ; une ordonnance en consacrait définitivement l'union le 11 mars 1633, après des pourparlers qui avaient duré plus de vingt-cinq ans (2).

(1) Nous avons ici une lacune dans nos documents.

(21 Brevet du Roi pour l'union du prieuré de Sainte-Barbe au collège des


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Les nouveaux possesseurs trouvaient les bâtiments en fort mauvais état, les maisons, manoir et moulin tombaient en ruine, l'escalier était pourri, le pressoir détérioré, le clocher de la chapelle menaçait de s'écrouler, le pont lui-même jeté sur les fossés et qui menait à la cour, était rompu, tout pouvait disparaître d'un moment à l'autre, ce qui eût été, dit la visite, un « dommage inestimable ». Quarante et un arbres étaient nécessaires pour parer à ces menaces, qui pouvaient valoir 500 livres ; ce fut encore la forêt de Gouffern qui y pourvut et le domaine, relevé, put être de nouveau occupé et affermé pendant de longues années.

Nous arrivons ainsi à 1674, époque qui marque la fin de nos recherches ; les archives du Calvados et de l'Orne les auraient assurément complétées si je n'avais craint d'allonger ce travail ; je laisse ce soin à quelque chercheur normand qui saura parfaire et modeler ce qui n'est qu'une simple ébauche (1).

Nous avons dans nos dépôts publics, si soigneusement inventoriés, matière à bien des travaux et solution à bien des questions qui nous occupent, mais ce que nous ne devons pas négliger par dessus tout, ce sont ces documents que la Providence nous envoie inopinément qui peuvent se transmettre de main en main et disparaître sans laisser de trace si nous ne les saisissons au passage. Souvenons-nous que nos vieux châteaux, que nos vieilles abbayes conservaient jadis religieusement leurs

Jésuites de Gaen, 30 septembre 1607. — Accord entre les religieux de Sainte-Barbe et les Jésuites pour la cession de leur prieuré, 6 juillet 1609. — Bulles d'union du prieuré de la Cochère, novembre 1625. — Lettres patentes de S. M., 12 mai 1626. — Consentement de Pierre Tiret, chanoine du prieuré de Sainte-Barbe et des habitants de la Cochère à l'union, 23 et 30 juillet 1626. — Ordonnance définitive, 11 mars 1633.

(1) La ferme actuelle de la Cochère a été construite en 1835, à peu près sur l'emplacement de l'ancien prieuré. La chapelle qui a dû être démolie à l'époque de la révolution était près de la maison et n'en était séparée que par un canal existant encore aujourd'hui ; la cloche, dit-on, fut descendue au fond d'un puits. On entrait au prieuré, situé à peu de dislance du confluent de la Dieuge et de l'Ure, par un porche. Un canal de dérivation faisait veniiyl'eau au moulin, démoli vers 1850. L'ancien pressoir a été vendu et démoli vers 1863. Le domaine du monastère fut vendu au commencement du siècle à M. Guérard, qui possédait des papiers relatifs au Gué d'Amour, situé à un kilomètre de là et où la tradition veut qu'un traité de paix ait été signé. Il ne reste donc plus aujourd'hui que le souvenir d'une maison religieuse à la Cochère. (Communication de M. l'abbé Chichou, doyen d'Exmes, et de MM. Lefron et Brière, de la Cochère.


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titres dans leurs chartriers, comme des joyaux de prix qui quittent rarement leur écrin, et qu'il est de notre devoir de recueillir un à un leurs débris dispersés en de mauvais jours pour transmettre à l'avenir les gloires passées de notre pays.

Le département de l'Orne vient de faire deux pertes bien sensibles et noire Société, en particulier, a été cruellement éprouvée par la disparition, à si peu de distance, de deux de ses anciens présidents qui tenaient la tête du mouvement historique et littéraire dans notre contrée. Leurs noms, associés si longtemps pour la divulgation des études fortes appuyées sur les sources, et pour le culte des traditions et des légendes conservées par la poésie, resteront unis aussi dans notre souvenir comme ceux d'hommes de grande foi et de grand coeur, et lorsque l'on parlera de Frotté ou de la. Dame des Toura,illes, on saluera dans les deux amis, aujourd'hui inséparables, deux vrais et sincères patriotes.

H. TOURNOÏJER


A GUSTAVE LE VAVASSEUR

Maître, d'autres viendront vous apporter les palmes. J'entends des pas, dans un tumulte de drapeaux; L'élite arrive au lieu de gloire et de repos Où le labeur fini vous fait des soirs plus calmes.

Moi, j'arrive avant eux, qui seront là demain ; Et, précédant la foule et ses apothéoses, Les porteurs de lilas et les porteurs de roses, Je n'ai que des bleuets cueillis sur le chemin.

Mais nés de notre sol, frais de notre rosée,

Vous les accepterez, ô Maître de chez nous !

Sur la tombe pieuse, où l'on prie à genoux,

L'âme des printemps morts — vivante — s'est posée

Calices parfumés et bleus du Souvenir, Dont au souffle divin de l'Art la tige tremble ; Rêves couleur de ciel où l'on errait ensemble. C'est vous les fleurs qu'aucun hiver ne peut ternir.

O Maître, votre tombe était déjà fleurie ! Votre incessant labeur vous devait du printemps ! Vous travailliez si fort et depuis si longtemps ! Vous aviez le jardin, le bois et la prairie !


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Et vous étiez encore un moissonneur de blé. Jardinier délicat et bon semeur des plaines, Vos jardins sont fleuris et vos granges sont pleines. Qui part ayant fait tant n'a point le coeur troublé !

Comme vous méprisiez cet art de serre chaude Des poètes nouveaux qui peinent, loin du ciel, A produire le rare et l'artificiel •! Chez eux une odeur lourde et malfaisante rôde !

Leur rêve est accompli s'ils ont fait naitre un jourf Pour un jour, l'orchidée énorme et fabuleuse,

La fleur inquiétante, énervante et frileuse

Comme vous aimiez mieux le plein air du labour !

Le plein air de chez nous, l'air libre qui circule Et met un grand jeu d'orgue au front des peupliers ! Vous aimiez le village et ses bruits familiers, Et les cloches, dans la douceur du crépuscule.

Le chez nous d'aujourd'hui, d'hier et de demain, Vous l'aimiez. Vous aimiez nos légendes fleuries. Et puis, quand vous sortiez des longues rêveries, Vous saluiez la croix au détour du chemin.

La croix vous gardera ses douceurs éternelles ! La bouche des chrétiens seule sait dire adieu ;

Le même espoir unit nos âmes fraternelles

Silence aux mots, trop vains pour la gloire de Dieu !

J. GERMAIN-LACOUR.


EXPÉDITION D'ALAIN III

DUC DE BRETAGNE

CONTRE MONTGOMMERI

Sa mort tragique à Vimoutiers

(1er OCTOBRE 10401.

La nature ne semble pas avoir préparé Vimoutiers pour les rudes assauts de la guerre. Baigné par les eaux de sa gracieuse rivière, où se mirent de coquettes maisons, resserré entre les gorges rapprochées de fertiles vallons, qui lui font, à droite et à gauche, un rideau contre les vents et les tempêtes, c'est un lieu paisible où l'on aime à goûter les joies du repos.

Les premiers ducs de Normandie s'en étaient réservé le domaine, ce qui semble indiquer sa réunion, avant la conquête, au fisc royal. Après qu'il eut donné, en récompense de services militaires, une partie du territoire de cette paroisse au Danois Osmonet Gelth, le duc Richard Ier n'en continua pas moins d'y avoir son manoir, sorte de maison de campagne, de ferme princière. Vous savez comment Richard II en fit don avec d'autres riches aumônes, aux moines de Jumièges (1). L'histoire de Vimoutiers a été l'objet dans ces derniers .temps, de savantes recherches dues à la plume de ses plus notables habitants (2). J'ai été heureux de m'en inspirer.

(1) Guillaume de Jumièges, supplément à l'Histoire des Normands,?. 316, édition Guizot.

|2) Discours de M. Pernelle, maire de Vimoutiers, apud Bénédiction solennelle de l'église N.-D. de Vimoutiers, p. 16. Voyez aussi Vieilles maisons à Vimoutiers, par M. A. Montier, Normandie monumentale et pittoresque, Orne, t. II. p. 83. Histoire de Vimoutiers, par A. Guilraeth.


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L'auteur des notices sur les cantons d'Argentan écrivait, il y a quelques années, que votre chef-lieu et les communes de son ressort « paraissent avoir subi le passage des siècles sans enrichir les annales de faits dignes d'y être consignés.... Là, en effet, point d'antiquités celtiques ou romaines, point de ruines du moyen âge, qui trop souvent racontent les malheurs plus ou moins glorieux des anciennes générations, mais qui, aussi, jettent de l'intérêt dans les récits de l'historien » (1). Ce jugement est peu engageant pour les archéologues, et je le crois trop absolu. Ne serait-ce pas plutôt les archéologues qui auraient manqué aux monuments ?

Votre contrée a été le théâtre d'une occupation romaine très importante ; il n'est pas besoin d'autre preuve que la présence de trois camps romains, placés en alignement entre le MénilBacley et Mittois (2). Beaucoup de noms ont une désinence qui indique la présence et le séjour des conquérants de la Gaule. Serait-il d'ailleurs possible de croire que les contemporains d'Auguste, ces raffinés d'une civilisation luxueuse, eussent méprisé les sites pittoresques, les campagnes verdoyantes et fécondes de votre inépuisable sol. De nombreuses mottes circulaires, restes de postes de défense, échelonnées le long du cours de la Touques, semblent se rapporter à l'époque de l'invasion normande. Mais chez vous, les tombes des siècles sont inviolées sous le vert manteau qui les recouvre et se renouvelle toujours. Bien rarement se peuvent produire ces hasards heureux qui, par l'effort du pic ou dans le sillon de la charrue, ramènent au jour les débris ensevelis du passé.

A d'autres, à des enfants du pays, conviennent l'ambition et l'honneur de ces recherches. Le modeste dessein, que je me propose aujourd'hui, est d'étudier un fait historique, impérissable dans les souvenirs de Vimoutiers, afin d'en mieux préciser, s'il est possible, le caractère et le milieu.

Vous avez dans votre ville, une rue Alain, une cour de l'Ecu, à laquelle se rattache la légende de la mort d'un puissant prince (3). Est-il vrai que cet Alain vint à Vimoutiers pour châ|1)

châ|1) sur le canton de Vimoutiers, Annuaire de l'Orne pour 1851, p. 160.

|2| Carte d'Etat-Major.

(3) Bibliographie du canton de Vimoutiers, par M. le comte Gérard de Gontades et l'abbé A.-L. Letacq, p. 167.


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lier la révolte de Roger de Montgommeri, et faire le siège de son château ? Peut-on prouver qu'il y mourut empoisonné, le 1er octobre 1040, ainsi que continue de l'affirmer la tradition locale ?

Le duc de Normandie, Robert II, le Magnifique, poussé, au dire des chroniqueurs, par de sérieux motifs de pénitence (on l'accusait d'avoir empoisonné son frère pour régner à sa place), avait donc résolu d'aller en pèlerinage à Jérusalem. Ni les supplications, ni les alarmes de ses barons, qui prévoyaient l'étal d'anarchie où allait tomber la Normandie, abandonnée par lui sans héritier valide, n'ont eu la puissance de le retenir.

Il leur fait reconnaître pour son successeur un enfant de cinq ans, dont la naissance est contestée, le petit Guillaume. Puis, d'après le récit du vieux trouvère du XIIe siècle, le moine Benoit : « Il fait mander le comte Alain (t), cousin germain du jeune duc ; il lui confie toute sa terre, et lui recommande l'héritage de son fils. Alain y consent, prête hommage et fait serment d'être fidèle et de se comporter loyalement envers son jeune pupille » (2).

Robert II avait auparavant conduit l'enfant à Paris, pour qu'il

(1) Allain III, fils de Geoffroi, qui le premier prit le titre de due de Bretagne, et de Hawise, fille de Richard I" et scrur de Richard II, « succéda en bas âge à Geoffroy, son père, sous la tutelle de Hawise, sa mère, qu'il perdit en 1034. Il mourut lui-même le 1" octobre 1040, et fut inhumé dans le chapitre de Fécamp. Il laissa de Berlhe, sa femme, un fils âgé seulement de trois mois, et une fille, nommée Hawise, femme d'Hoél, qui devint duc de Bretagne.

Chronique des ducs de Normandie, par Benoît, trouvère anglo-normand, du xii" siècle, publiée par Francisque Michel, t. II, p. 418.

('2| Puis fit mander li quens Alain, Qui ert al duc cosins germains, Tôle la terre li laissa Et l'eir son fiz li commanda; Et cil le reçut bonnement, Faisant bornage et serement Fei à tenir et à porter Et leaument vers lui ovrer.

Ibidem, t. II, p. 573.


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fit hommage lige au Roi de France, en qualité d'héritier reconnu du duché de Normandie (1).

Jusqu'à ce jour, les Rois de France, d'un côté, suzerains jaloux et toujours disposés à resaisir le riche territoire de la Normandie, les Bretons, d'autre part, vassaux insoumis et toujours prêts à la révolte et aux incursions, n'avaient pas cessé d'inquiéter les héritiers de Rollon. Robert, en les obligeant d'accepter la charge de défendre un enfant, crut peut-être avoir assuré suffisamment la transmission paisible de sa succession, au cas où il ne reviendrait pas de son lointain voyage.

Dans tous les temps, les régences ont été des périodes favorables aux coalitions et aux révoltes. Chez les Normands, encore tout bouillants des ardeurs de l'invasion, mal façonnés au respect héréditaire, habitués à ne voir dans les ducs que des chefs électifs, conduisant au combat des compagnons d'armes, la mort du prince fut le signal d'un soulèvement effroyable. Le prétexte était tout trouvé, c'était la naissance illégitime de l'héritier. Quinze ans durant, l'on abritera derrière cette accusation, les ambitions personnelles et les haines particulières. Une partie des parents du jeune duc et, tout particulièrement la tribu des Gonnorides, paraissent les fauteurs de l'opposition. Il est question de remplacer le fils de la Falaisienne Herlève par l'un des descendants de la fameuse comtesse. Un des premiers barons normands, Roger de Toëni, se fait tout d'abord le héraut de ces récriminations et de ces projets.

« Ce serait, dit-il, une action trop honteuse et inconvenante de faire un duc de l'enfant d'une indigne mère. Faut-il donc que nous autres Normands, nous soyons devenus assez vils et assez lâches pour que, du giron d'Herlève, fille de Robert Le Pelletier, bourgeois de Falaise, pauvre concubine de basse extraction, nous recevions un seigneur en Normandie. Ainsi, n'y consentirai-je jamais ! Il y a d'autres descendants vaillants et pieux, fils

(1| Au roi de France fu menez. Là est li dux Robert alez Gongié prendre de son seignor, Qui mult le teneil cher al jor ; Le vaslet tôt al son plaisir A fait son home devenir De Normandie entièrement Et del honor qui i apent. Chronique des ducs de Normandie, par Benoît, t. II, p. 572.


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et neveux du sang ducal. Qu'on en prenne un pour notre duc. Il sérail en vérité trop vilain, honteux et outrageant de se soumettre sans résistance à un bâtard de rien (1). »

Pour tenir tête à ces clameurs, à ces fureurs de révolte, il y avait un enfant de huit ans, une mère diffamée, sans famille, et sans appui, et deux tuteurs aux dispositions très douteuses qui n'eussent pas été tâchés, chacun de leur côté, de recueillir l'héritage de leur pupille.

La reconnaissance jurée, la foi promise, sont presque partout mises en oubli. A peine la nouvelle s'est-elle répandue du trépas du duc Robert, mort à Nicéc, au retour de son pèlerinage, que beaucoup des barons comblés des faveurs du père, s'élèvent contre le fils.

« Combien en rencontra-t-il de cruels à son égard, de déloyaux, parjures et félons. Us méprisèrent son autorité et mirent à mal la Normandie. Forteresses et hérissons, mottes fortifiées et donjons, s'élèvent en plus de deux cents localités. Le pays devient un lieu d'exil et de douleurs, où il n'y a plus de droit, plus de bras pour maintenir la justice. C'était, en toute vérité, une terre sans seigneur » (2).

(1) Laide ovre est et desavenent Que dux fust fiz d'une soignant, Fait-il : « Vil sûmes et ouvert Si d'Alluieve fille Robert Pelelier borgeis de Faleise, E fille et née de borgeise, Avom seignor en Normendie. Mais eissi ne l'olrei-je mie. Autres i a vaillant et proz, Del lignage fiz et nevoz. Si en seit uns pris et dux faiz, Kar vil chose erl et honte el. laiz Si de neient nos sosmetom A un neenlel bastardon.

Ibidem, t. III, p. 8.

Tant presierent sa seignorie Qu'à dolor mistrent Normandie. Forteleces et hériçons Et moles hautes cl danjons Firent en dous cenz leus pleisors, Qui à eissil et à dolors Mistrent la terre et le païs.

Ibidem, t. III, p. 3.

(2) Chroniques des ducs de Normandie, par Iienoit, t. III, p. 4. Vill-Gemmetic, lib. XII, cap. II (du Chesne, 268 Ai. Id. lib. XII. cap, XXXVIII (Ibid. 288, A). Roman de liou, II, 2. Orderic Vital (Edit-Ieprevost), t. I, 180, II, 370. Hujus (monasterii Bernaii) custodes fuerunt Rodulfus, abbas Sancti


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Les pays d'Exmes, d'Argenlan et de Falaise, les régions de Vimoutiers, Glos et Bernai, furent bouleversés par ces discordes civiles. Jamais animosité pareille ne se vit entre combattants. Deux ricbes seigneurs de cette contrée, Gauquelin de Ferrières et Hugues de Montfort, se haïssaient à mort. Biensouvent, dans leurs courses, ils avaient ravagé sans pitié les terres l'un de l'autre. Un jour ils se rencontrent en face. Soudain, la visière baissée, la lance au poing, ils se provoquent en un duel sanglant et implacable. Les lances brisées, c'est à grands coups d'épées qu'ils se mesurent avec fureur, jusqu'à ce qu'ils tombent tous les deux expirants sur le sol (1).

Il y avait là du moins un combat en règle. Mais, par ailleurs, l'on ne se faisait pas scrupule de recourir à la perfidie et à la ruse ; l'on ne reculait pas devant de véritables assassinats. Il convient de nous borner à l'épisode tragique dont Vimoutiers fut en ce temps le théâtre.

A quelque distance de l'ancien bourg, dans la direction du N. 0., se trouvait le chef-lieu des domaines de l'un des plus puissants barons normands, Roger de Montgommeri. Il était seigneur dès paroisses de Saint-Germain et de Sainte-Foy de Montgommeri, qui donnèrent le nom à sa maison, de la Chapelle Haute-Grue. Thierry, gouverneur de l'abbaye de Bernai, donna au père de Roger II de Montgommeri, une partie de ce bourg, à la charge de subvenir à ses dépenses, quand il y viendrait. C'était en outre un moyen de s'assurer sa protection.

On trouve pareillement la famille de Montgommeri, aussi loin

Michaelis, et post ipsum Theodericus Gemmeticensis, quorum prior dédit Uticura et Bellum Montellum Hunfrido de Vetulis, sequens vero medictatem burgi Bernaii patri Rogerii de Monte Gommerici, qui erat propinquus ejus, ut inde se procuraret quando Bernaium venisset.

Robert de Torigny. — De abbatibus et abbatiis Normannerum. — Edit. L. Delisle, t. II, p. 194.

« La partie donnée au père de Roger de Montgommeri étant échue par héritage au comte d'Alençon, reçut le nom de La Comté, et les biens qui étaient restés à l'abbaye formèrent La Baronnie de Bernay. La Comté de Bernay comprenait toute la partie Ouest du bourg, c'est-à-dire tout ce qui forme encore aujourd'hui la paroisse de la Couture ».

(1) Histoire de Bernay, par A. Goujon, p. 54.


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qu'il est possible de remonter, en possession des fiefs de Trun, du Thuit, de Saint-Silvain, etc.

Roger de Montgommeri eut assez de crédit auprès des ducs de Normandie, pour obtenir, en faveur de l'un de ses fils, Hugues, la main de Josceline, fille de Touroude, seigneur de Pont-Audemer et de Uvère de Crespon, soeur de la comtesse Gonnor, femme de Richard Ier (1).

Guillaume de Jumièges nous apprend que le fils issu de ce mariage, Roger II de Montgommeri, « eut du chef de sa mère, d'immenses possessions dans diverses parties de la Normandie (2). On peut citer entre autres Troarn, Touffreville, Sannerville, Janville, etc. (3). Cette union dut avoir lieu dans les premières années du XIe siècle.

Roger se trouva par là même entraîné dans la coalition qui voulait supplanler le jeune Guillaume, pour faire passer sa succession à l'un des descendants de Richard Ier et de la comtesse Gonnor. Il devint, pour la contrée, le chef de la révolte, fit appel au ban et à l'arrière-ban de ses vassaux, fortifia ses places, et fil tous ses préparatifs pour une résistance désespérée.

Le tuteur du jeune Guillaume, le duc de Bretagne, Allain III, s'émut enfin de cette levée de boucliers, et marcha contre les rebelles. Quel fut le point de départ de l'expédition ? Avec quelles troupes fut-elle conduite ? Les détails manquent là dessus.

Par la voie de Falaise, qu'une ancienne route paraît avoir relié directement avec Vimoutiers, ou par la ligne de Bretagne, le corps expéditionnaire devait passer aux abords de la bruyère de Cressy. La tradition consignée dans l'histoire de M. Guilmelh (4),

(Il Histoire de Harcourt, t. I, ch. 27.

(2) Guillaume de Jumièges, édit. Guizot, p. 299.

(3) Charte de fondation de l'abbaye de Troarn (traduction). Archives de l'Orne. Fonds du comté de Montgommeri. Roger II le fondateur donne

gour cette fondation « Trouart lui-môme tout entier et aussy tout l'alleu de ures... Tonfreville, Salnerville, Saint-Paterne, Janville, Ràbehomme, etc., qui sont, dit-il, « une portion considérable du patrimoine que je possède en propre, ...ainsy que mon père d'abord et moy après lui, je les ai possédés ».

(4) Histoire de Vimoutiers, par M. A. Guilmeth (Copie communiquée par M. l'abbé Gatry).

« Le chef de ce comté est assis es paroisses de Sainle-Foy de Montgommery, de Saint-Germain du dit lieu, et la Chapelle-Haute-Grue, et le dit comté s'étend es villes et baronnies de Vignats, le Mesle-sur-Sarthe, Saint-Silvin et autres lieux ». — Archives de l'Orne, Fds Montgommeri. Aveux : Liasse n° 3.

« Us avoienl aussi anciennement un château très fort, scilué dans la


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d'après laquelle un combat aurait été livré en cet endroit, n'a donc rien d'improbable.

Roger de Montgommeri ne tint pas longtemps la campagne. Il jugea plus prudent de se renfermer clans l'enceinte de son château-fort. Où était-il situé ? Dans quelles conditions était-il établi ? C'est le problème qui s'impose actuellement à nos recherches et que je m'efforcerai de résoudre.

Évidemment, il faut en chercher l'assiette dans le voisinage de Vimoutiers, au chef-lieu même des propriétés du belliqueux baron (1). Mais il nous reste mieux que des suppositions. La motte fortifiée, qui a fait la principale défense de ce château, s'est admirablement conservée jusqu'à nos jours ; et, malgré quelques objections que j'ai entendu formuler, je ne crois pas qu'il puisse y avoir de doutes sérieux sur cette identification.

Lorsqu'on sort de Vimoutiers par la Grand'Rue, nommée autrefois la rue Arse ou Brûlée, aujourd'hui rue Sadi-Carnot, l'on trouve à droite, au bout d'un kilomètre, un vieux chemin se dirigeant par la hauteur vers Sainte-Foy de Montgommeri. Après l'avoir suivi durant 1,500 mètres, le voyageur aperçoit, au sommet du coteau, une enceinte circulaire dont l'ancienne destination est évidente. C'est une forteresse en terre établie de main d'homme, un type admirablement conservé de la motte féodale normande.

Avec un rayon d'environ quarante-cinq mètres, l'on a tracé sur le plateau, entre le Champ de la Croix et le Champ de la Ville, une circonférence tangente au vieux chemin qui, lui-même, à cet endroit, suit la courbe de la forteresse. Suivant les contours de cette circonférence, l'on a creusé des fossés à talus, très profonds, dont l'on a rejeté les terres vers le centre, pour former une butte artificielle. Sur le sommet a été établi le donjon, le refuge, défendu lui-même par un talus ou vallum en terre.

paroisse Saint-Germain-de-Montgommery, dont Allain, duc de Bretagne fit le siège en 1039, qui y périt. Roger, comte de Montgommery soutint le siège très vaillamment. Il n'en reste plus qu'une motte d'une largeur et hauteur considérable à la place de cet ancien château, qui fait partie du domaine non fieffé des seigneurs comtes de Montgommery. »

Extrait du Mémoire à consulter pour Madame la marquis/; de Thiboutol, comtesse de Montgommery... etc. (1751).

(1) Archives de l'Orne, Fds Montgommeri, M S.


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Le sommet présente aujourd'hui une aire plane, qui a même été mise en culture, et dont les diamètres à peu près égaux mesurent cinquante-quatre mètres. Le talus, faisant escarpe à l'intérieur de la place, a trois mètres environ de hauteur, avec une crête large de quatre à cinq mètres. De cette crête au fond des fossés, l'on ne compte pas moins, aujourd'hui encore, de sept à huit mètres ; et cependant ces fossés ont dû être en partie comblés par les éboulements de terre. La contrescarpe, du côlé du plateau, peut avoir quatre mètres, en moyenne. Le fossé était continu et l'on devait, dans le principe, pénétrer à l'intérieur par un pont-levis. Un abaissement du talus supérieur, fortifié à droite et à gauche par deux éperons, paraît indiquer l'entrée.

Cette forteresse figure dans les aveux et dans l'Atlas du comté de Montgommeri, exécuté vers la première moitié du xvme siècle, sous le nom très caractéristique d'ancien château. Dans l'Atlas, le centre de la motte est teinté en vert, pour indiquer qu'il était alors planté d'arbres ; il n'en reste plus que sur les talus des fossés (1).

Le maître et le fondateur de l'archéologie normande, M. de Caumont, avait déjà signalé et décrit cette vieille fortification, contemporaine, d'après lui, de celle de Conches ; il y rattache le fait historique du siège entrepris par le duc Alain (2).

Les titres de famille, la tradition constante du pays, l'état des lieux, tout concourt à démontrer l'exactitude de cette assertion. L'objection tirée de l'absence de débris de constructions est facile à résoudre. Nous savons par les contemporains que les travaux de défense entrepris par les seigneurs révoltés furent faits à la hâte ; cette circonstance s'applique, on ne peut mieux, à des ouvrages en terre.

De plus, au commencement du xie siècle, l'habitude s'était conservée de faire les constructions en bois ; ce n'est que dans la seconde moitié du siècle que l'usage des murailles en pierre se propagea, grâce surtout à l'impulsion donnée par les seigneurs de Bellème. Comment pourrait-on, dans ce pays de Vimoutiers, patrie classique des maisons en charpente, où les carrières de pierre sont si rares, demander, à cette époque, des donjons aux murs massifs ?

(1) Archives de l'Orne, Fds Montgommeri.

(2) Architecture militaire au moyen-âge, par M. de Caumont, p. 407.


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L'on sait d'ailleurs positiA'ement qu'ici la fureur cl'une femme s'est unie aux ravages du temps pour tout détruire. Après le supplice de Gabriel de Montgommeri, la reine Catherine de Médicis fit raser son château et ses maisons d'habilation.

Malgré la largeur et la profondeur des fossés, et la vigoureuse défense des assiégés, il paraîtrait que le château de Montgommeri ne put tenir longtemps contre l'investissement et les assauts des troupes d'Alain. L'Histoire générale des ducs de Bretagne affirme que le tuteur du jeune Guillaume prit Roger de Montgommeri « dans l'une de ses places et l'exila de la province » (1). A l'occasion d'un fait d'une date postérieure, Guillaume de Jumièges nous apprend en effet que ce seigneur élait exilé à Paris « à cause de sa perfidie » (2). L'explication la plus probable est qu'il avait été obligé de se rendre et de quitter le pays.

Tout cédait donc devant Alain ; il n'avait plus qu'à jouir de son triomphe en présentant à son pupille les trophées de sa victoire.

Mais dans les derniers jours du siège, ou immédiatement après, un complot est tramé contre lui. Quels en furent les instigateurs ? De quel prétexte osa-t-on couvrir cet assassinat, plus odieux encore lorsqu'il se produit au milieu des camps, comme si le glaive n'était pas un ouvrier suffisant de la mort ?

Le fait certain est qu'Alain fut empoisonné. L'effet du poison ne fut pas immédiat, et la légende conservée à Vimoutiers indique encore, dans la Cour de l'Écu, l'étage où il fut transporté et l'escalier du haut duquel il se serait précipité, dans un accès de rage causé par la violence des douleurs internes. Si la légende dit vrai, l'habitation paraîtrait bien pauvre aujourd'hui pour un prince. Mais rien n'oblige à croire qu'elle n'ait pas, malgré sa vieillesse, changé de forme depuis huit cent cinquantesix ans. Les chroniques de Saint-Méen, de Saint-Michel et de Quimperlé marquent en effet la mort d'Alain au 1er octobre 1040; cette date a été acceptée par les critiques d'histoire les plus érudits et. les plus compétents.

Quant aux circonstances principales de l'empoisonnement, le fils d'Alain s'est chargé lui-même, pour son malheur, de nous les fournir. Vingt-six ans après cet événement, lorsque déjà tous

(1) Histoire générale de la Bretagne, E. Jollier, édit, t. II, p. 57-58.

(2) Guillaume de Jumièges, édit. Gùizot, liv. VII, chap. II, p. 168.

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les préparatifs du duc Guillaume étaient faits pour la descente en Angleterre, l'audacieux duc Conan lui envoie, au lieu du secours espéré, une députation pour le menacer et l'effrayer.

« J'apprends, lui fait-il dire, que tu veux maintenant aller au-delà de la mer et conquérir pour toi le royaume d'Angleterre. Or, Robert, duc de Normandie, que tu feins de regarder comme ton père, au moment de partir pour Jérusalem, remit tout son héritage à Alain, mon père et son cousin. Mais toi et les complices, vous avez tué mon père par le poison à Vimoutiers en Normandie. Puis, tu as envahi son territoire parce que j'étais encore trop jeune pour pouvoir le défendre, et contre toute justice, attendu que tu es bâtard, tu l'as retenu jusqu'à ce jour. Maintenant donc, ou rends-moi cette Normandie, ou je te ferai la guerre avec toutes mes forces » (1).

A supposer que le fils fût bien instruit des intentions du père, cela en dit long sur les prétentions d'Alain. Conan voulait donc reprendre, à son profit, le projet de la conquête de la Normandie. Il ne réussit qu'à s'attirer une fin absolument semblable.

Le messager, qui avait porté à Guillaume l'ultimatum insolent du prince breton, revint près de son maître avec les apparences d'un serviteur loyal et dévoué. Mais le traître avait été gagné. « Il frotta intérieurement de poison le cor de Conan, les rênes de son cheval et ses gants. Le duc assiégeait alors ChâteauGontier. Ayant mis imprudemment ses gants et touché aux rênes de son cheval, il porta la main à son visage, et, cet attouchement l'ayant infecté de poison, il mourut peu après » (2).

Les terribles opérateurs de ce temps avaient-ils donc devancé les découvertes de la science moderne, et pratiquaient-ils le procédé des inoculations mortelles ? On serait tenté de le croire. Le duc Guillaume en profitait toujours, et le poison eut pour lui des complaisances singulières.

Après la mort d'Alain, les habitants de Vimoutiers, sans aucun doute étrangers à ces pratiques criminelles, donnèrent pieusement l'hospitalité au corps du duc Alain, dans leur église de Saint-Sauveur. La dépouille mortelle du prince breton n'y resta pas longCi) Guillaume de Jumièges, liv. VII, cliap. XXXIII (édit. Guizot), p. 223. (2) Guillaume de Jumièges, ibidem. Chronique des ducs de Normandie, par Benoît, t. II, p.'186-188.


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temps. Elle fui transportée à Fécamp, dont l'abbaye était devenue le lieu de sépulture des derniers ducs de Normandie. On lui éleva un tombeau, conservé jusqu'à nos jours, sur lequel fut gravée son épitaphe en vers latins. Suivant l'usage, elle contenait un pompeux éloge de la noblesse de sa race, de sa vigueur corporelle, de son audace dans les combats, de sa piété (1).

Après l'empoisonnement d'Alain, la Normandie fut plus que jamais livrée à toutes les convulsions de la guerre civile et aux atrocités des vengeances particulières. Celte malheureuse terre, au dire du trouvère Benoît, sans loi, sans crainte, sans justice, semblait abandonnée à l'esprit du mal.

Roger, seigneur de Toeni et de Conches, ravage les terres d'Onfroi de Vieilles, qui, trop âgé pour se défendre lui-même, envoie contre l'agresseur son fils, Roger de Beaumont. Dans le combat que se livrent les deux barons, Roger de Toëni est lue avec ses deux fils, Helbert et Hélinance. Robert de Grandménil est mortellement blessé dans la même rencontre (2).

Turchetil, précepteur du jeune duc, est assassiné. Osbern de Crépon, son majordome, se trouvait une nuit au Vaudreuil, couché dans le môme lit que son jeune maître. Guillaume, l'un des fils de Montgommeri pénètre furtivement, avec plusieurs complices, dans l'appartement, et ils poignardent le serviteur aux côtés de l'enfant. Peu de jours après, Guillaume de Montgommeri périssait à son tour avec plusieurs de ses compagnons sous les coups de Barnon de Glos (3).

Le comte Gislebert (4), qui avait succédé à Alain dans la

(1) Sanguine proeclarus, facie speciosus, in arma Proeceps, diffusus munere, corde pius, Alanus fuit isle cornes, Britonumque levamen, Oui divina manus propitietur. Amen.

Annuaire de l'Association normande pour 1885, p. 193 et suiv. Voy. Gallia Christiana, t. XI.

(2) Guillaume de Jumièges (édit. Guizol), liv. VII, chap. III, p. 169.

(3) Ibidem, chap. II, p. 167. Guillaume de Jumièges nous fait connaître à cette occasion les cinq fils de Robert I" de Montgommeri : Hugues, Robert, Roger, Guillaume et Gilbert. Chronique, des ducs de Normandie, par Benoît, t. III, p. 6, et Table analytique, par Francisque Michel, t. III, p. 661.

(i) Gilbert est appelé Comte d'Eu, fils du comte Godefroi, par Guillaume


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charge de gouverneur du jeune duc, invité amicalement à une entrevue par Joscelin de Pont-Échanffrey, son voisin, s'y rend sans armes et sans défiance, en compagnie de Foulques, fils de Giroie. Ils sont, tous les deux, lâchement massacrésLe roi de France lui-même, Henri Ier, envahit la Normandie, ravage tout le pays d'Exmes et brûle Argentan (1).

Cependant le jeune Guillaume, de plus en plus menacé, mettait à la tôle de sa maison et de ses troupes Raoul de Gacé, fameux par sa vaillance plus que par sa fidélité antérieure. Il put, avec son appui, châtier la trahison de Toustain Goz, vicomte d'Exmes, qui essaya de lui enlever le château de Falaise (2). Peu après, il échappait, comme par miracle, à la conjuration de Guy de Bourgogne, son cousin,qu'il avait comblé de bienfaits. Puis, avec le secours du roi de France, dont il était allé implorer le secours à Poissy, il remportait sur les barons normands, enrôlés dans le parti de la révolte, la célèbre victoire du Val-des-Dunes. Elle fut gagnée l'an 1047 et fit prévaloir l'autorité et la puissance de Guillaume qui atteignait alors sa vingtième année.

Cependant la famille de Montgommeri parait avoir, dès cette époque, fait sa paix et être rentrée en grâce avec le jeune duci sans doute par l'appui du nouveau gouverneur, Raoul de Gacé. Il y a lieu de présumer que, à la suite de la disgrâce de Toustain Goz, Hugues de Montgommeri, cousin de Guillaume par sa femme, reçut la vicomte d'Exmes qu'il transmettra bientôt à son fils Roger II de Montgommeri. Celui-ci épousa, en premières noces, Mabile de Bellème, héritière des riches domaines et seigneuries de cette maison.

Roger II de Montgommeri devient alors l'inséparable compagnon et l'un des confidents préférés du duc Guillaume. On le trouve partout à ses côtés. Il le suivit en Angleterre, où il

do Jumièges (liv. VII, chap. II, p. 168) ; il est nommé Gisleberl, comte de Brionne, par M. Leprévosl (Ordéric Vital, l. I, p. 180) ; seul, le trouvère Benoît en fait un comte d'Exmes :

« C'erl li quens d'Uismes Gilberz ». Chronique des ducs, t. III, p. 5.

(1) Chronique des ducs, etc., par Benoît, l. III, p. 12-19. Guillaume de Jumièges, 1. VII, ch. V, p. 172.

(2) Guillaume de Jumièges, ibid., cli. VI, p. 173. Chronique des ducs, par Benoit, t. III, p. 12-19.


— 493 —

reçut, pour sa part de la conquête, trois comtés et d'immenses propriétés.

Mais le récit des vicissitudes de celle puissante maison dans ses fortunes diverses nous entraînerait trop loin de Vimoutiers. Qu'il nous suffise pour aujourd'hui d'avoir indiqué sommairement ces conséquences d'un drame tragique qui doit être considéré comme le fait militaire le plus grave et le plus important dont les annales de votre ville aient gardé le souvenir.

P. BARRET.


LES ROUTES

L'effort de l'homme au flanc des monts les a tordues. Lorsque l'ombre a quitté leurs arides sillons, Le matin clair emporte, avec de vifs rayons, Leur ligne, droite et blanche, au fond des étendues.

L'été morne, au sommet de leurs pentes ardues, A de brusques réveils et de chauds tourbillons Et l'âpre vent d'hiver y fouette les haillons Des gueux, que l'on voit fuir en bandes éperdues.

Les routes s'en allaient vers le deuil et l'amour, Mystérieuses, nonchalantes, quand un jour Le pas brutal des régiments les a grondées.

Elles portaient hier et montreront demain, Avec ses fils, ses chars, ses troupeaux, ses idées L'homme, éternel passant d'un éternel chemin.


ERRANTS

Nous sommes les Errants du monde, Que les haltes ne gardent pas. Nous sentons la terre profonde Comme habituée à nos pas.

Nous sommes les fils de la route, Nés sur elle, marchant dessus ; Les voyageurs que l'on redoute Mal abrités et mal reçus

Par l'étable ou par la chaumière. Bah ! Un coucher sous les maisons ! Nous repartons dans la lumière Magnétique des horizons.

Nos guenilles comme des plumes Sont légères. Par les temps gris Nous sentons le manteau des brumes Peser sur nos corps amaigris.

Et le tas des gueux sert de cible Aux grêlons qui percent la peau. Qu'importe ! La route inflexible S'allonge et commande au troupeau,


— 496 —

La grand'route aux lointains féeriques k Soutient l'effort de nos pieds lourds, Car nous sommes les chimériques, Les sans but qui marchent toujours.

Loin des cités, hors du servage Nous vivons. Joyeux ou plaintifs, Nos cris gardent l'accent sauvage Des miséreux, des primitifs,

Des mendiants à l'âme altière Dont le troupeau, jamais conquis, A vu la terre tout entière Et rançonné tous les pays.

Nos vieillards ont quitté la vie, Des fils quelconques nous sont nés, Mais de l'âpre route suivie Ils ne nous ont pas détournés.

Prenant les enfants aux mamelles Les hommes ont courbé le dos Et frappé plus fort des semelles Pour mieux soulever leurs fardeaux.

Les vieux, aux heures d'agonie, Obéissant à des instincts, Devant quelque route infinie Ont arrêté leurs yeux éteints.


— 497 —

Dans leur défroque mortuaire Nous les avons bientôt roulés Et rendus au grand ossuaire. Puis, nous nous sommes en allés.

Sur nos défunts ni croix ni marbres, Aucun nom, personne à genoux. Mais, là-bas, le vent tord les arbres : On dirait qu'il hurle avec nous !

35


ANGELUS DU SOIR

Un char qui roule, un toît qui fume, Une fenêtre qui s'allume D'un beau reflet d'or du couchant. Puis, là-bas, au bord de la route, Le clocher solitaire. Ecoute ! Il dit un chant.

C'est l'Angélus, voix de la terre, Echo lointain du grand mystère Qu'annonça l'ange Gabriel. Hymme des monts et des vallées, Qui, par les routes étoilées, Fuit vers le ciel.

Il reviendra dans chaque aurore, Il vibrera longtemps encore Dans l'air embrasé des midis. Salut d'en haut, prière humaine, Que ta douce vertu nous mène Au Paradis.

Voici les étoiles sans nombre, Les pleurs de feu de la nuit sombre, Rentrons, ma soeur, ne parlons plus. Et sur la route où nous passâmes Ecoutons chanter dans nos âmes Les Angélus !

PAUL HAREL.


DES MATIÈRES CONTENUES DANS CE VOLUME

1er Bulletin

PAGES

Procès-verbaux des séances de la Société I

Bureau et Commission de publication. — Liste des Membres

de la Société V

L'occupation d'Alençon par les Prussiens, en 1871, par M. HENRI

BEAUDOUIN l

Ferrière-la-Verrerie, par M. CHARLES VÉREL 64

Un élève du Collège de Sées, par M. l'abbé J. ROMBAULT... 134 Un goutteux content de l'être (Le Père Baltazar de Bellême,

capucin;, par le P. EDOUARD, d'Alençon 137

L'âge de pierre dans les environs de Sées, par M. l'abbé GATRY 144

Mme G. Despierres, par M. Louis DUVAL 149

Bibliographie : Notes sur les Conifères et les Arbres exotiques cultivés à Bagnoles-de-1'Orne (M. l'abbé A.-L. Letacq, aumônier des Petites-Soeurs des Pauvres d'Alençon), par M. H.

BEAUDOUIN 158

Comptes de l'année 1895 160

2e Bulletin

Procès-verbaux des séances de la Société 161

Ferrière-la-Verrerie (suite et fin), par M. CHARLES VÉREL 167

L'occupation d'Alençon par les Prussiens, en 1871 (suite et fin),

par M. HENRI BEAUDOUIN 210

Chouannerie normande (Mémoires d'un officier supérieur), par

M. l'abbé M ACE. 272

Bibliographie : Recherches de la Noblesse dans la Généralité de Tours, en 1666. — Procès-verbaux de comparution (publiés et annotés par MM. l'abbé Em.-Louis Chambois et Paul de Farcy), par

M. l'abbé BARRET 309

Le chemin d'intérêt commun n° 12 (M. Charles

du Hays), par M. l'abbé J. ROMBAULT 312

Le tome XII des Mémoires de la Société d'archéologie, littéraire, sciences et arts des arrondissements d'Avranches et de Mortain,

par M. Louis DUVAL 313

Matériaux pour servir à la faune des vertébrés du département de l'Orne (M. l'abbé A.-L. Letacq , aumônier des Petites - Soeurs des Pauvres d'Alençon). par M. H. BEAUDOUIN 314 Deux tables des Matières (Semaine Catholique de Séez. — Société Historique et Archéologique de l'Orne), par M. l'abbé J. ROMBAULT. 316


500 —

3° Bulletin

PAGES

Procès-verbal de la séance du 23 juillet 1896 317

Essai de topographie, de statistique et d'histoire de la commune

de Neuville-sur-Touques, par M. A. DALLET 321

Bibliographie du département de l'Orne pendant l'année 1895,

par MM. H. BEAUUOUIN, A. RICHER et A.-L. LETACQ.. 343 Bibliographie : Inventaire sommaire des Archives départementales antérieures à 1790 (rédigé par M. Louis Duval, archiviste du département de l'Orne), Archives ecclésiastiques, t, II, par M. GUSTAVE

LE VAVASSEUR 377

Les sciences populaires. Revue mensuelle internationale d'Astronomie, de Météorologie et des Sciences d'observation (publiée par Eugène

Vimont), par M. l'abbé A.-L. LETACQ 389

Notice sur la constitution géologique et la flore des étangs du Mortier et des Rablais (Sarthe], (M. l'abbé A.-L. Letacq), par H. BEAUDOUIN

BEAUDOUIN

Aperçu sur la flore de l'arrondissement d'Alençon (Phanérogames et Muscinées), (M. l'abbé A.-L. Letacq), par M. H. BEAUDOUIN 391

4e Bulletin

Procès-verbal de la reunion générale annuelle du 29 octobre, à

Vimoutiers 393

Vimoutiers (Visite aux monuments), par M. FLORENTINLORIOT 397

Une famille de soldats. — La maison de Boisdeflre (Discours lu à Vimoutiers, le 29 octobre 1896), par M. le comte G. DE CONTADES 405

Compte rendu des travaux de la Société pendant l'année, par M. HENRI BEAUDOUIN 417

Un épisode des guerres de la Ligue. — Défaite des Gautiers dans les environs de Vimoutiers, 22 avril 1589, par M. l'abbé GATRY 426

Notice biographique sur C.-C. Gillet et liste de ses travaux scientifiques, par M. l'abbé A.-L. LETACQ 435

Saint-Évroult aux xie et xnc siècles, par M. l'abbé ROMBAULT 448

Trois poésies Arméniennes, par M. FLORENTIN-LORIOT.... 462

Notes sur le Prieuré de la Cochère aux xvie et xvnc siècles, d'après des documents inédits, par M. H. TOURNOUER 471

Poésie : A Gustave Le Vavasseur, par M. GERMAIN - LACOUR 478

Expédition d'Alain III, duc de Bretagne, contre Montgommeri. Sa mort tragique à Vimoutiers. 1er octobre 1040, par M. l'abbé BARRET 480

Poésie : Les routes. — Errants. — Angélus du soir, par M. PAUI, HAREL 494

Alenoon. — E. RENAUT-L)E UROISE, Imprimeur et Lithographe


Les prochaines Livraisons contiendront les articles suivants :

L'OCCUPATION D'ALENÇON PAR LES PRUSSIENS EN 1871 (Suite), par M. Henri BEAUDOUIN.

FERRIÈRE-LA-VERRERIE (Suite), par M. Charles VÉREL.

CHOUANNERIE NORMANDE, par M. l'abbé MACÉ.

ESSAI DE TOPOGRAPHIE, DE STATISTIQUE ET D'HISTOIRE DE LA COMMUNE DE NEUVILLE-SUR-TOUQUES, par A. DALLET.

BIBLIOGRAPHIE DU DÉPARTEMENT DE L'ORNE, PENDANT L'ANNÉE 1895.

CHRONIQUE ET BIBLIOGRAPHIE, par M. l'Abbé BARRET.

ETC., ETC.

Ceux de nos confrères qui posséderaient des documents relatifs aux questions traitées dans ces articles, sont priés d'en donner connaissance au Secrétaire de la Société, rue des Promenades, 22, à Alençon, ou à l'un des Membres du Bureau.

La Société possède un grand nombre de volumes de VAnnuaire de la Normandie, de VAnnuaire de l'Orne et de VAimanach de l'Orne. Klle a le désir de compléter ces collections et adresse un appel à ceux de ses membres qui pourraient l'aider à le l'aire. Les années qui manquent sont les suivantes :

1° Pour l'Annuaire de la Normandie : 1839, 1842, 1840, "1852, 1855, 1850, 1857, 1381 et suivantes.

2» Pour l'Annuaire de l'Orne : 1810 à 1842, 1844 à 1800,1804 à 1879, 1881, 1883.

3° Pour VAimanach de l'Orne : 1852 à 1801, 1803, 1864, 1808, 1809, 1870. ______

« Les opinions émises dans les publications de la Société, sont exclusivement propres à leurs ailleurs; la Société n'entend nullement en assumer la responsabilité. »

AVIS DU BIBLIOTHÉCAIRE

Les livres faisant partie de la bibliothèque de la Société ne pourront , être délivrés à l'avenir que par le Bibliothécaire, le Secrétaire ou le Sacré- ' taire-adjoint.

(Décision do la Sncièté, en date du ?3 juin 1892).

AVIS TRES IMPORTANT

Plusieurs, livres, faisant partie de la bibliothèque de la Société, sont égarés. Les Membres qui en auraient emporté chez eux, sans s'inscrire sur le registre des prêts, sont instamment priés de vouloir bien les rapporter, ou au moins d'en donner l'indication et la liste au secrétaire.



• BULLETIN

DE LA SOCIÉTÉ

HISTORIQUE ET ARCHÉOLOGIQUE

DE L'ORNE

TOME XV. — Deuxième Bulletin.

ALENÇON

TYPOGRAPHIE EENAUT-DE BKOI8E

PLACE D'ARMES

1896.


SOMMAIRE

1. Procès-verbaux des séances de la Société.

2. Ferrière-la-Verrerie, par M. Charles VÉREL. (Suite et fin).

3. L'occupation d'Alcnçon par les Prussiens en 1871, par

M. Henri BEAUDOUIN. (Suite et fin).

4. La Chouannerie Normande, par M. l'abbé MACÉ.

5. Bibliographie.

(> Deux Tables de Matières.

7/ sera rendu compte dans le BULLETIN de tous les ouvrages dont Deux Exemplaires auront été adretsés à la Société.


Les prochaines Livraisons contiendront les articles suivants :

ESSAI DE TOPOGRAPHIE, DE STATISTIQUE ET D'HISTOIRE DE LA COMMUNE DE NEUVILLE-SUR-TOUQUES, par M. A. DALLET.

BIBLIOGRAPHIE DU DÉPARTEMENT DE L'ORNE, PENDANT L'ANNÉE 18lJ5, par MM. H. BEAUDOU1N et l'abbé LETACQ.

BIBLIOGRAPHIE, par M. GUSTAVE LE VAVASSEUR.

ETC., ETC.

Ceux de nos confrères qui posséderaient des documents relatifs aux questions traitées dans ces articles, sont priés d'en donner connaissance au Secrétaire de la Société, rue des Promenades, 22, à Alençon, ou à l"un des Membres du Bureau.

La Sociélé possède un grand nombre de volumes de VAnnuaire de la Normandie; de Y Annuaire de l'Orne et de Y Almanach de l'Orne. Elle a le désir de compléter ces collections et adresse un appel à ceux de ses membres qui pourraient l'aider à le faire. Les années qui manquent sont les suivantes :

1" Pour Y Annuaire de la Normandie : 1839, 1842, 1846, 1852, 1855, 1856, 1857, 1881 et suivantes.

2» Pour Y Annuaire de l'Orne : 1810 à 1842, 1844 à 1860,1864 à 1879, 1881,1883.

3" Pour YAlmanach de l'Orne : 1852 à 1861, 1863, 1864.

a Les opinions émises dans les publicalions de la Société, sont exclusivement propres à leurs auteurs; la Sociélé 11'enlend nullement en assumer la responsabilité. »

AVIS DU BIBLIOTHÉCAIRE

Les livres faisant partie de la bibliothèque de la Sociélé ne pourront être délivrés à l'avenir que par le Bibliothécaire, le Sociétaire ou le Secrétaire-adjoint.

(Décision de la Société, en date du Î3 juin 1892).

AVIS TRES IMPORTANT

Plusieurs, livres, faisant partie de la bibliothèque de la Société, sont égarés. Les Membres qui en auraient emporté chez eux, sans s'inscrire sur le registre des prêts, sont instamment priés de vouloir bien les rapporter, ou au moins d'en donner l'indication et la liste au secrétaire.



BULLETIN

DE LA SOCIÉTÉ

HISTORIQUE ET ARCHÉOLOGIQUE

DE L'ORNE

TOME XV. — Troisième Bulletin.

ALENÇON

TYPOGRAPHIE RENAUT-DE BROISE

PLACE D'ARMES

1896


SOMMAIRE

1. Procès-verbal de la séance du 23 Juillet 1896.

2. Essai de Topographie, de statistique et d'histoire de la commune

commune Ncuville-sur-Touques.

3. Bibliographie du département de l'Orne pendant l'année 1895. i. Bibliographie.

Il sera rendu compte dans le BULLETIN de tous les ouvrages dont Deux Exemplaires auront été adratsés à la Société.


Les prochaines Livraisons contiendront les articles suivants :

COMPTE-RENDU DE LA SÉANCE ANNUELLE DE LA SOCIÉTÉ

HISTORIQUE ET ARCHÉOLOGIQUE DE L'ORNE. ETC., ETC.

Ceux de nos confrères qui posséderaient des documents relatifs aux questions traitées dans ces articles, sont priés d'en donner connaissance au Secrétaire de la Société, rue des Promenades, 22, à Alençon, ou à l'un des Membres du Bureau.

La Société possède un grand nombre de volumes de VAnnuaire de la Normandie, de ['Annuaire de l'Orne et de VAlmanach de l'Orne. Elle a le désir de compléter ces collections et adresse un appel à ceux de ses membres qui pourraient l'aider à le faire. Les années qui manquent sont les suivantes :

•1° Pour l'Annuaire de la Normandie : 1839, 4842, 1846, 1852, 1855, 1856, 1857, 1881 et suivantes.

2» Pour VAnnuaire de l'Orne : 1810 à 1842, 1844 à 1860,1864 à 1879, 1881, 1883.

3" Pour VAlmanach de l'Orne : 1852 à 1861, 1863, 1864.

« Les opinions émises dans les publications de la Société, sont exclusivement propres à leurs auteurs; la Société n'entend nullement en assumer la responsabilité. »

AVIS DU BIBLIOTHÉCAIRE

Les livres faisant partie de la bibliothèque de la Société ne pourront être délivrés à l'avenir que par le Bibliothécaire, le Secrétaire ou le Secrétaire-adjoint.

(Décision de la Société, en date du "3 juin 1892).

; AVIS TRES IMPORTANT

Plusieurs, livres, faisant partie de la bibliothèque de la Société, sont égarés. Les Membres qui en auraient emporté chez eux, sans s'inscrire sur le registre des prêts, sont instamment priés de vouloir bien les rapporter, ou au moins d'en donner l'indication et la liste au secrétaire.



BULLETIN

DE LA SOCIÉTÉ

HISTORIQUE ET ARCHÉOLOGIQUE

DE L'ORNE

TOME XV. — Quatrième Bulletin.

ALENÇON

TYPOGRAPHIE RENAUT-DE BROISE

PLACE D'ARMES

1896


SOMMAIRE

I. Procès-verbal de la réunion générale annuelle du 29 octobre 1896, à Vimoutiers.

•2. Vimoutiers ^Visite aux monuments , par M. FLORENTINLORIOT.

.'?. Une i'amille de soldats. —La Maison de Boisdelïrc, Discours lu à Vimoutiers, le 29 Octobre 1896, jDar M. le comte G. DE CONTADES.

i. Compte rendu des travaux de la Société pendant l'année, par M. HENRI BEAUÛOUIN.

0. Un Épisode des guerres de la Ligue. — Défaite des Gantiers dans les environs de Vimoutiers, 22 avril 1Ô79, par M. l'abbé GATRY.

6. Notice biographique sur C.-C. Gillet et liste de ses travaux

scientifiques, par M. l'abbé A.-L. LETACQ.

7. Saint-Évroult aux xr et xnc siècles, par M. l'abbé ROMBAULT.

ROMBAULT.

8. Trois poésies Arméniennes, par M. FLORENTIN-LORIOT.

9. Notes sur le Prieuré de la Cochère aux xvie et xvne siècles,

d'après des documents inédits, par M. H. TOURNOUER.

H) Poésie : A Gustave Le Vavasseur, par M. GERMAIN-LACOUR.

11. Expédition d'Alain III, duc de Bretagne, contre Montgnmmeri. Sa mort tragique à Vimoutiers , 1" Octobre I0k>, par M. l'abbé BARRET.

12 Poésie : Les Routes. — Errants. — Angélus du soir, par M. PAIL IIAREL.

Il sera rendu compte dans le BULLETIN de tous les ouvrages dont Deux Exemplaires auront été adressés à la Société.


Les prochaines Livraisons contiendront les articles suivants :

UN INTENDANT DES FINANCES AU XVII" SIÈCLE, par M. le Marquis DE LA JONQUIÈRE.

SOUVENIRS DE GRÈCE, par M. N. DE NEUFVILLE.

AVERNES-SOUS-EXMES, par M. Albert CIIOLbET.

ETC. ETC.

Ceux 8e nos confrères qui posséderaient des documents relatifs aux questions traitées dans ces articles, sont priés d'en donner connaissance au 4 Secrétaire de la Société, rue Saint-Biaise, 44, à Alençon,>ou A l'un des Membres du Bureau.

La Sociélé possède un grand nombre de volumes do ['Annuaire de la Normandie, de l'Annuaire de l'Orne et de VAlmanach de l'Orne. Elle a le désir de compléter ces collections et adresse un appel à ceux de ses membres qui pourraient l'aider à le faire. Les années qui manquent sont les suivantes :

1» Pour Y Annuaire de la Normandie : 1839, 1842, 1846, 1852, 1855, 1856, 1857, 1881 et suivantes.

2" Pour ['Annuaire de l'Orne : 1810 à 1842, 1844 à 1860,1864 à 1879, 1881, 1883.

3° Pour VAlmanach de l'Orne : 1852 à 1861, 1863, 1864.

« Les opinions émises dans les publications de la Société, sont exclusivement propres à leurs auteurs: la Société n'entend nullement en assumer la responsabilité. »

AVIS DU BIBLIOTHÉCAIRE

Les livres faisant partie de la bibliothèque de la Société ne pourront être délivrés à l'avenir que par le Bibliothécaire, le Secrétaire ou le Secrétaire-adjoint.

(Décision de lu Sociélé, en date du J3 juin 189-.').

AVIS TRÈS IMPORTANT

Plusieurs, livres, faisant partie de la bibliothèque de la Société, sont égarés. Les Membres qui en auraient emporté chez eux, sans s'inscrire sur le registre des prêts, sont instamment priés de vouloir bien les rapporter, ou au moins d'en donner l'indication et la liste au secrétaire.