^L'Ô^NION PUBLIQUE EN FRANCE ET LA jt </ %\ SOCIÉTÉ DES NATIONS /"J^x
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On ne peut comprendre quel est actuellement l'état de l'opinion publique en France, par rapport à la Société des nations, que si on remonte dans le passé au moins jusqu à la Révolution de 1789 et au mouvement d'idées d'où elle est sortie. Je vais donc d'abord parler brièvement, de l'opinion française dans le passé et ensuite, avec le plus de précision possible, de l'opinion française dans le présent, c'est à-dire depuis la fin de la dernière guerre.
I. L'OPINION FRANÇAISE DANS LE PASSE.
En France, l'idée de la Société des nations fait partie d'une tradition, non seulement chrétienne, mais gréco-romaine.
La France avait eu conscience d'être un membre de cette civitas christiana, de cette république chrétienne, où le monde chrétien était censé ne former qu'une seule famille, une cité réglée par les conciles, présidée par le pape, gouvernée par l'empereur et par les rois, avec une langue officielle commune, le latin. La " Republique chrétienne" est encore invoquée en 1525, dans le traité de Madrid, entre François 1er et Charles-Quint. Cette unité de la République chrétienne commença à s'affaiblir quand les langues indigènes commencèrent à supplanter le latin. C'est alors que se formèrent des nations, des patries, reposant sur d'autres fondements que la religion, par un commencement de sécularisation. La cité chrétienne fut rompue par la Réforme, et les traités de Westphalie, en 1648, consacrèrent cette rupture en accordant le droit d'exister à des Etats non catholiques, en admettant des États protestants.
En France, depuis la Renaissance, l'idée se répand d'une cité humaine plus large que la cité chrétienne, l'idée d'une cité humaine telle que l'avaient conçue ou entrevue les penseurs grecs et les penseurs romains. Les Français du XVIème siècle, en retrouvant et en étudiant les livres des anciens, virent que les stoïciens avaient rêvé une république universelle, où toutes les nations se seraient fondues en une seule société. Ils admirèrent Cicéron professant l'amour du genre humain, ce qu'il appelait caritas generis humani. Le plus grand des écrivains français de cette époque, Montaigne, écrivit dans ses Essais: "Non parce que Socrates l'a dit, mais parce qu'en vérité c'est mon humeur, et à l'aventure non sans quelque tort, j'estime tous les hommes mes compatriotes et embrasse un Polonois comme un François, postposant cette lyaison nationale à l'universelle et commune."