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Titre : Revue française de psychanalyse : organe officiel de la Société psychanalytique de Paris

Auteur : Société psychanalytique de Paris. Auteur du texte

Éditeur : G. Doin et Cie (Paris)

Éditeur : Presses universitaires de FrancePresses universitaires de France (Paris)

Date d'édition : 1965-09-01

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34349182w

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb34349182w/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Format : Nombre total de vues : 73850

Description : 01 septembre 1965

Description : 1965/09/01 (T29,N5)-1965/12/31 (T29,N6).

Description : Collection numérique : Arts de la marionnette

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k54462471

Source : Bibliothèque Sigmund Freud, 8-T-1162

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 01/12/2010

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1965 PT.-DÉC. ,

REVUE FRANÇAISE DE

PSYCHANALYSE

PAGES

In memoriam : Michel CENAC 469

COLLOQUE 3

DE LA SOCIÉTÉ PSYCHANALYTIQUE DE PARIS

(Artigny — 7, 8 mars 1964)

LE NARCISSISME

D. BRAUNSCHWEIG. — Introduction 471

R. de SAUSSURE. — Les sources subjectives de la théorie du narcissisme chez Freud . 475

S. LEBOVICI. — A propos de la lecture des textes freudlens sur le

narcissisme 485

M. RENARD. — Le narcissisme primaire dans la théorie des Instincts 495

F. PASCHE. — L'anti-narcissisme 503

P. LUQUET. — Introduction à la discussion sur le narcissisme secondaire 519

S. NACHT. — Le narcissisme, gardien de la vie. 529

M. BÉNASSY. — Théorie du narcissisme de Federn 533. . ■:'

M. FAIN et P. MARTY. — A propos du narcissisme et de sa genèse . 561

B. GR.UNBEROER. — Etude sur le narcissisme ...., 573

D. BRAUNSCHWEIG. — Le narcissisme : aspects cliniques 589

Interventions 601

Conclusion 613

LES LIVRES — LES REVUES 619

INFORMATIONS 635


INSTITUT DE PSYCHANALYSE

167, Rue Saint-Jacques - PARIS PSYCHANALYSE

Tél. 633,33,38

REVUE BIMESTRIELLE

Organe officiel de la

Société Psychanalytique de Paris

Section française de l'Association Psychanalytique Internationale

COMITÉ DE DIRECTION

Marie BONAPARTE î - Maurice BOUVET t - Michel CENACI - René DIATKINE

Serge LEBOVICI - Pierre MÂLE - Pierre MARTY - S. NACHT - Francis PASCHE

R. DE SAUSSURE - Marc SCHLUMBERGER

Rédacteur en chef : Maurice BÉNASSY

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Rédacteurs : Jacques A. GENDROT - Jean MALLET - Henri SAUGUET

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Michel CENAC (1891-1965)


IN MEMORIAM

MICHEL CENAC

(1891-1965)

Nous n'entendrons plus la voix de Michel Cenac tour à tour chantante ou gonflée dans ses orages de violence simulée.

Né à Argelès-Gazost, en pays bigourdan, le 28 juin 1891, il s'est éteint à Paris en ce début d'été 1965, au terme d'une pénible maladie courageusement et lucidement supportée.

Sa disparition plonge dans la peine ses compagnons de toujours et ceux qui, après avoir été ses élèves, se sont inscrits au fil des années dans le cercle de sa chaleureuse amitié.

Après des études suivies à Toulouse jusqu'à la fin de son P.C.B., il vint faire sa médecine à Paris. Celle-ci fut interrompue par la guerre d'où Michel Cenac revint titulaire de la Croix de Guerre et de la Légion d'honneur.

Reçu au Concours des Asiles de la Seine en 1921, il fut à MaisonBlanche l'interne de Leroy puis de Sérieux, à Villejuif celui de Trénel puis de Roques de Fursac avant de devenir à Sainte-Anne le chef de clinique de Claude.

Sa thèse, consacrée aux «langages créés par les aliénés » et soutenue en 1928, constitue la première marque d'un intérêt pour les problèmes du langage qui ne devait pas diminuer jusqu'aux dernières années de sa vie. Établissant une distinction très marquée entre les glossolalies vraies et les glossomanies, il disait des malades qu'ils « jouent avec les sons comme ils joueraient avec des rubans de couleur », voulant souligner par là les facteurs ludiques si importants à son sens dans la pathologie mentale du langage.

Attiré par les théories freudiennes et la psychanalyse, il entra en 1929 à la Société Psychanalytique de Paris, dont il fut membre jusqu'à son dernier jour.

Son désir de propager les idées qu'il estimait indispensables à une meilleure compréhension des malades lui faisait écrire dès 1934 : Ce que tout médecin doit savoir de la psychanalyse.

Élargissant le domaine de ses travaux, il s'orienta ensuite vers la Criminologie, et fut nommé en 1940 Médecin expert de la Cour d'Appel

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de Paris en même temps qu'il devenait médecin de l'Infirmerie psychiatrique de la Préfecture de Police, 1945 le voit devenir médecin de la prison de la Santé, et 1954, médecin de la Direction de l'Hygiène mentale à la Préfecture de Police.

La même année, il commence les démarches qui devaient aboutir à la création de l'Annexe psychiatrique de la Santé, sans pourtant qu'il eût la joie de diriger lui-même un jour ce service qu'il avait eu tant de mal à arracher aux lenteurs administratives. En! 1955, enfin, il est nommé médecin-inspecteur des Hôpitaux Psychiatriques de la Seine.

Pendant toute cette période, il n'a cessé de se dépenser pour faire admettre les notions analytiques dans ce domaine de la criminologie où elles étaient encore inconnues.

En 1950, il publie une Introduction théorique aux fonctions de la psychanalyse en criminologie, en 1956 une Étude médico-légale et psychanalytique de la récidive des actes anti-sociaux, en 1961 Criminalité et psychanalyse, Réactions anti-sociales et délinquance juvénile, Psychologie et criminologie.

Son intérêt pour les anomalies de la parole n'avait pas diminué pour autant puisque, en cette même année 1961, il publiait un nouveau texte sur les Troubles du langage. Mais ses recherches n'étaient pas limitées à ces seuls domaines, et on lui doit également des études sur les troubles de la sexualité masculine, sur l'hystérie, sur la relaxation, sur les rapports de la psychanalyse et de la psychiatrie.

Parallèlement à son activité médicale, Michel Cenac conservait un goût très vif pour la vie de plein air et pour les joies de la nature ; celles de l'alpinisme lui étaient refusées depuis plusieurs années, mais il aimait les longs séjours à la campagne et leur existence reposante et enrichissante.

La maladie avait commencé de le frapper il y a longtemps déjà, l'obligeant à une retraite qui ne fut jamais que partielle, et il a poursuivi jusqu'à son ultime alitement son travail d'expert sur le plan national.

La croix de Chevalier de la Santé publique qui lui fut décernée est, certes, un témoignage de l'estime officielle, mais tous ceux qui l'ont approché savent quelle reconnaissance on lui doit pour le rôle qu'il a joué dans la propagation des théories analytiques dans le milieu judiciaire ainsi que pour son action en faveur d'une meilleure connaissance de l'homme délinquant.

Il fut un précurseur de la criminologie analytique qui reste profondément marquée de son action et de son influence.

Que Madame Cenac et sa famille veuillent bien trouver ici l'expression de nos condoléances attristées.

Y. ROUMAJON.


LE NARCISSISME

Introduction

par DENISE BRAUNSCHWEIG

Tenter de présenter les communications et les discussions d'Artigny sur le narcissisme suppose le souci d'introduire une certaine cohérence, une liaison entre les propos échangés ; et aussi l'ambition, ou en tout cas le désir, de dégager quelques aperçus, quelques conclusions théoriques et quelques implications cliniques (1).

Le sujet était vaste et s'est révélé (comme bien d'autres en psychanalyse quand un certain approfondissement est visé) susceptible de reposer des problèmes essentiels de la métapsychologie freudienne. C'est pourquoi les participants de ce colloque ont été amenés à développer des positions souvent personnelles qui ne coïncident pas nécessairement les unes avec les autres, et qui peuvent donner lieu à une réflexion d'autant plus stimulante et enrichissante que bien des questions sont, en fait, restées en suspens et nombre de développements sano véritable conclusion.

Les introductions au colloque présentées par R. de Saussure et S. Lebovici ne prêtaient guère à discussion. La première, en effet, apportait un éclairage nouveau, biographique et passionnant sur le génie de Freud dont « la mégalomanie » réduite à une réalité renfermait dans son dynamisme même un important ferment de guérison et un moteur puissant pour l'élaboration des doctrines freudiennes ; la seconde, remarquable effort pour présenter dans son ensemble la théorie freudienne du narcissisme (théorie dont la construction, les implications, les remaniements et la mise en place dans l'oeuvre de Freud ont porté sur près du quart de la vie de celui-ci) se voulait modestement limitée au marquage, à travers la lecture des textes freudiens, des principaux thèmes dont le développement devait revenir aux introducteurs de discussion suivants.

L'intérêt des participants s'est essentiellement centré sur l'élaboration des concepts théoriques. Pour cette raison et aussi pour des raisons méthodologiques nous présenterons à la fin de ce numéro l'exposé clinique de D. Braunschweig et les communications également cliniques de R. Barande, I. Barande, A. Clancier et Y. Dalibard. L'intérêt passionné pour les problèmes théoriques s'est révélé par la vivacité des échanges, l'importance des questions et des réponses. En effet, parler de narcissisme primaire et de narcissisme secondaire c'est d'une part mettre en cause les différentes topiques freudiennes, c'est d'autre part explorer la quasi-totalité du champ psychanalytique, du normal au pathologique (névroses, perversions, psychoses, troubles psychosomatiques) tout en posant

(1) Présentation et résumés des discussions sont faits sous mon entière responsabilité et je m'excuse si, involontairement, il a pu m'arriver de déformer la pensée des participants au Colloque. (D. B.)


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chemin faisant les problèmes : de l'opposition des instincts, de l'auto-érotisme, de la nature de la libido, du Moi, de l'Idéal du Moi, du Surmoi ; de la genèse et des vicissitudes de la relation objectale, etc.

Le terme même de narcissisme « primaire » est à mon sens à l'origine de confusions ; car s'il est vrai que le nouveau-né dans les toutes premières semaines de sa vie paraît indifférent au monde extérieur des stimuli duquel il est comme protégé, il semble vraiment hasardeux de prétendre qu'il s'aime, qu'il s'investit ou même qu'il jouit d'un bonheur élationnel ou fusionnel sans mélange. Il ne paraît pas possible de parler d'amour (investissement libidinal) et même d'amour de soi avant qu'un sentiment de soi existe. Il existe sans doute une unité biologique et des instincts, peut-être même une dualité d'instincts, mais il n'y a investissement de cette unité que par la mère ou un substitut maternel (par le narcissisme maternel...) ; Pasche dira que la mère est, jusqu'à un certain point au début du développement, l'âme de ce corps et il voit là le prototype de l'aliénation psychotique ; et Fain dira que l'instinct maternel est le complément d'origine instinctuelle sans lequel il est difficile de concevoir le narcissisme.

Pour M. Renard le narcissisme primaire, reconstruit par Freud à partir des formes du narcissisme secondaire, et dont nous n'avons qu'un seul exemple clinique : le sommeil profond, sans rêves, doit être entendu comme l'investissement primitif du corps et du Moi psychique dès les premiers stades du développement de celui-ci. L'auto-érotisme serait l'activité sexuelle de cette phase narcissique. Seule la troisième théorie des instincts, si l'on veut intégrer les conceptions de Freud dans la continuité de son oeuvre, permettrait de comprendre à la fois : l'opposition instincts du Moi — instincts sexuels, l'opposition libido narcissique — libido objectale ainsi que le sadisme, le masochisme et la haine. Les deux tendances opposées à l'union et à la séparation régiraient les processus biologiques avant de régir les processus psychiques et le narcissisme primordial serait l'expression de la tendance à l'union (Éros).

L'existence de cette unité psychique originellement auto-investie et secondairement étendue à la totalité du corps (Tausk) permettrait d'expliquer la répudiation ultérieure du corps, propre à certaines psychoses, quand l'attraction exercée par l'objet devient une menace pour l'intégrité narcissique du Moi (conflit entre libido narcissique et libido objectale). En développant ainsi une pensée théorique fondée sur l'expérience, M. Renard met bien en évidence l'utilité du concept de narcissisme primaire dans la compréhension des psychoses. Freud déjà avait été amené à s'en servir en étudiant le mécanisme de celles-ci et de certains états psycho-pathologiques (névroses narcissiques). Mais M. Renard n'en élimine pas pour autant le concept de narcissisme secondaire, puisqu'il fait jouer à l'identification processus caractéristique de celui-ci, un rôle capital de mécanisme régulateur dans l'équilibre entre l'investissement objectai, dont l'identification assure la permanence malgré la perte de l'objet, et le maintien de l'investissement narcissique, en dépit de l'attirance exercée par l'objet.

F. Pasche, dont la perspective est identique, prend pourtant une position théorique originale qui me paraît écarter la nécessité d'introduire le concept de narcissisme secondaire. En effet, tout en présentant un point de vue, me semble-t-il, des plus féconds sur la distinction entre les psychoses et les névroses narcissiques (états dépressifs, manie) il pense pouvoir unir les intuitions et les observations des « champions » du narcissisme primaire (Federn, Tausk,


INTRODUCTION 473

Grunberger...) à celles des « champions » de l'amour primaire (Balint, Bowlby...) en créant le concept de l'anti-narcissisme. F. Pasche pose qu'il existe d'emblée un investissement centripète direct qui correspond au narcissisme des premiers, et un investissement centrifuge dont la division des organismes monocellulaires serait l'expression biologique la plus claire sur le plan psychique, ce serait l'anti-narcissisme, tendance à se dessaisir de soi-même, de sa propre substance, du stock d'amour dont on dispose, qui montrerait la voie aux investissements objectaux. Pour F. Pasche, si l'investissement narcissique comme l'investissement anti-narcissique participent d'Éros dans leur tendance à l'union, à la cohésion, tous deux participent également de Thanatos : le premier en ce qu'il rompt avec l'objet gui est toujours déjà là, le second en ce qu'il tend à la limite à aliéner le sujet de lui-même. « L'unité naturelle n'est pas le Je mais le Je avec l'autre. »

En somme pour F. Pasche il ne semble pas y avoir un narcissisme primaire et un narcissisme secondaire mais d'emblée, originellement, un narcissisme et un anti-narcissisme qui s'opposent, se complètent, subissent une évolution normale, comprenant en particulier l'identification primaire, ou pathologique, mais sans véritable discontinuité.

Là position de Grunberger à ce sujet est bien connue déjà : le narcissisme existe avant la naissance, les pulsions le troublent parce qu'elles exigent autrui pour se satisfaire mais le confirment quand la satisfaction est obtenue ; il se retrouve dans la mort. Nacht, bien qu'admettant l'avènement du narcissisme secondaire pense aussi que le narcissisme primaire persiste toute la vie inchangé en tant que « gardien de vie, complément libidinal de l'instinct de conservation » ; mais il semble bien, d'après ses propres termes, que sans passage par la relation objectale ce narcissisme-là conduirait à la mort car là réponse destructrice aux frustrations « s'étalerait sur place » (« masochisme primaire organique »).

Si, pour des raisons de fécondité explicative, ou parce qu'il semble rendre compte d'un plus grand nombre de faits observés en clinique, l'on tient à conserver le double concept de narcissisme primaire et secondaire, la question n'en reste pas moins posée : quand et comment se forme cet investissement tout entier-concentré sur le Soi, quand et comment se transforme-t-il, en un mot quel est son destin ?

Comme l'a dit Freud, et Lebovici nous le rappelle, l'évolution se fait parce que tout individu traverse une période « où, impuissant à s'aider lui-même, les soins d'autrui lui sont indispensables ». Le choix anaclitique de l'objet en matière amoureuse témoigne à l'état adulte de cette étape de l'évolution narcissique ; ce dont A. Green va nous parler à propos de l'étayage des pulsions sexuelles sur les pulsions du Moi (1). Pulsions sexuelles qui ne sont qu'un leurre dans la mesure où elles peuvent se déplacer, se combiner, se décharger de façon spéciale, etc. et qui restent de ce fait soumises au principe de plaisir.

P. Luquet insistera sur le détour de la libido par l'objet qui fonde avec toutes ses conséquences le narcissisme secondaire. M. Bénassy, d'une part, M. Fain et P. Marty, d'autre part, introduiront à leur tour de nouveaux points de vue, susceptibles d'amener une compréhension plus large et plus dynamique

(1) Nous nous excusons de ne pas pouvoir présenter ce texte qui n'a pas été remis en temps utile' à la rédaction. (N. d. R.)


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du problème, le premier en nous présentant ses réflexions à partir de l'étude du narcissisme selon Federn, les seconds en nous ouvrant la perspective psychosomatique.

En attendant, je me rallierai personnellement volontiers à l'opinion exprimée par R. Diatkine au cours de ce colloque : parler en termes rigoureux de la période qui précède le narcissisme secondaire est source de confusionnisme : quand Moi et objet sont fondés, tout ce qui précède prend une signification à partir de cet état nouveau. Le narcissisme primaire correspond à un vécu ineffable, secondairement imaginé, une asymptote qui n'existe pas et sans laquelle pourtant tout le reste est incompréhensible.

Ce besoin d'imaginer la béatitude narcissique primaire, si bien décrite par Grumberger comme une réalité, correspond sans doute à l'intolérable dépendance dans laquelle nous nous trouvons sur le plan libidinal par rapport à nos objets qui peuvent tout à la fois nous imposer la satisfaction et la souffrance.

Certes, le mécanisme très primitif d'introjection-projection qui va permettre la séparation du Moi et du non-Moi, suppose l'amour de ce qui est bon et apporte du plaisir (en Soi), et la haine de ce qui apporte du déplaisir, excitations internes ou externes (hors de Soi), mais nous sommes là déjà dans la dimension relationnelle qui fonde l'investissement du monde extérieur et sa perception.

En fait, nommer pareillement narcissiques deux états évolutifs aussi différents que ceux recouverts par les qualificatifs de primaire et secondaire me paraît quand même à l'origine de bien des incompréhensions ; car, si on ne suppose pas la relation objectale établie d'emblée (du sujet vers l'autre et non l'inverse qui existe en effet et dont l'importance capitale est parfois un peu négligée), il faut bien admettre que l'établissement de cette relation change radicalement la nature de tout investissement et en particulier de l'investissement de Soi, même si une partie de la libido du Moi dite narcissique n'est jamais dirigée vers l'objet. C'est là que réside selon Diatkine et je partage ce point de vue, un des aspects de l'hétérogénéité structurale qui rend difficile de parler dans les mêmes termes de ce qui se passe aux différentes étapes de l'évolution.

Dans cette présentation je me suis bornée à essayer de définir la difficulté liée à la dualité du concept de narcissisme, dualité qui me paraissait susceptible d'obscurcir les données de la discussion ; et j'ai voulu montrer comment certains d'entre nous avaient, à mon avis, tourné ou résolu cette difficulté.

En résumant certains échanges j'aurai l'occasion par la suite de tenter de préciser d'autres points épineux ou laissés en suspens.


Les sources subjectives

de la théorie du narcissisme

chez Freud

par RAYMOND DE SAUSSURE (Genève)

Dans le peu de temps qui m'est départi, je ne puis qu'indiquer quelques aspects de la vie de Freud qui ont pu le guider dans l'élaboration de sa théorie sur le narcissisme.

Aussi me limiterai-je à deux aspects : I° Les raisons personnelles pour lesquelles Freud dans son auto-analyse a été conduit à attacher une importance particulière au narcissisme ;

2° L'entrelacement de nécessités psychiques et théoriques qui l'ont conduit à développer la théorie du narcissisme telle qu'elle se dégage de l'article de 1914 et des écrits qui le suivent immédiatement.

Je m'excuse des éléments spéculatifs qui, forcément, entrent dans un travail de ce genre, mais j'espère qu'ils permettront une discussion.

Rappelons que si nous devons procéder essentiellement par déductions hypothétiques, c'est que Freud a à deux reprises (en 1884 avant son mariage et en 1907 lors de son déménagement) brûlé tous les documents personnels qu'il avait — soit des lettres, des fragments de journaux, son auto-analyse.

Nous savons aussi avec quelle réticence il a accepté que Marie Bonaparte rachète les lettres adressées à Fliess, lettres qui concernaient une époque où il s'était mal dégagé de ses éléments névrotiques. Bernfeld a montré que plusieurs articles, comme le souvenir écran, sont autobiographiques, mais Freud avait pris grand soin de voiler qu'il s'agissait de ses propres souvenirs.

Je voudrais commencer par situer trois périodes de la vie de Freud qui, par leurs contrastes, nous forcent à réfléchir sur l'évolution de sa personnalité. En psychanalyse, il serait naturel de commencer par sa petite enfance, mais nous n'avons que trop peu de matériel sur cette période et nous ne pouvons y faire allusion qu'en passant.


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Le père de Freud s'était remarié à un âge avancé avec une jeune femme plus proche d'âge de Sigmund que de son mari. De plus, le petit Sigmund avait un demi-frère qui aurait pu être le mari de sa mère et un neveu qui avait un an de plus que lui.

Cette situation idéale pour éveiller et renforcer tout le drame oedipien, devait en même temps le conduire à idéaliser le frère aîné et créer en lui un état affectif complexe fait d'admiration et d'hostilité. On sait combien cette image idéalisée permet de développer le narcissisme d'un individu. Cette attitude narcissique homosexuelle vis-à-vis de son frère d'abord, puis vis-à-vis de son beau-frère Éli Bernay et enfin vis-à-vis de ses maîtres ne le quittera vraiment qu'au moment de son mariage, époque qui correspond à sa démission du laboratoire de Brücke. Il faut remarquer que cette jeune mère sûrement très bénéfique avait donné une richesse particulière d'images avant que vienne la période de refoulement et d'inhibition.

En pleine adolescence nous trouvons Freud doué d'une intelligence exceptionnelle, mais vivant dans une famille pauvre et de plus une famille juive dans un milieu antisémite.

Il a le privilège d'être exempté des examens de fin d'année à cause de ses succès scolaires au cours des derniers semestres. Il est mis à part et son imagination le porte à s'identifier aux hommes exceptionnels qui ont dominé d'une façon ou d'une autre leurs contemporains. Il admire Napoléon, fait le projet de devenir un ministre et de jouer un rôle politique. Puis ce sont les génies de l'esprit qui l'attirent. Il lit et relit Goethe qui restera un modèle sa vie durant, enfin c'est Darwin qui le fascine, cet homme qui a bouleversé la façon de penser de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, cet homme qui a réduit ses contemporains à se considérer comme les humbles descendants ou collatéraux des singes. Toutes ces idées révolutionnaires le hantent et il se demande s'il ne pourrait devenir un de ces géants de la science.

Alors qu'il est en proie à cette mégalomanie d'adolescent à 16 ans, il retourne, et ceci pour la seule et dernière fois, à Freiberg où il avait passé les quatre premières années de sa vie. C'est là qu'il retrouve Gisella Fluss, la fillette du « souvenir écran », le premier objet sur lequel il avait déplacé, avec toute l'idéalisation que cela comportait, ses sentiments oedipiens.

Il est fasciné, mais au lieu de pouvoir lui parler, il est saisi de panique et se retire dans les bois rêvant à ce qu'aurait été sa vie si son père était resté à Freiberg au lieu de venir à Vienne. C'est l'amour platonique dans toute sa beauté avec ce qu'il implique d'introversion, de narcis-


SOURCES DE LA THÉORIE DU NARCISSISME CHEZ FREUD 477

sisme, de repliement, de déception, de phobie et sur le plan libidinal probablement de masturbation, de fantaisies et de culpabilité. Freud, dans ses premiers travaux, a été fasciné par le problème de la masturbation, problème dont il vit la solution dans les rapports réguliers qu'il eut plus tard avec sa femme. De 16 à 28 ans, âge de son mariage, il ne connut presque pas de femmes. (Le « presque pas », qui vient de lui, veut peut-être même dire pas du tout.)

Examinons maintenant une seconde période de sa vie; les premières années de sa maturité de 20 à 28 ans. Ce garçon si intelligent, qui avait bercé sa jeunesse de rêves grandioses ne termine pas ses études, il les fait traîner, il doit être poussé par la banqueroute de son père, par les remontrances de son maître Brücke pour achever sa médecine et faire les stages qui, éventuellement, lui permettront de pratiquer. Pourtant, depuis l'âge de 24 ans il est follement amoureux et amoureux jaloux. Il ne peut supporter que sa fiancée soit financièrement dépendante de son frère aîné. Il la supplie de rompre avec celui-ci et pourtant il ne trouve pas d'autre moyen que d'emprunter de l'argent pour vivre. La place de sous-assistant qu'il occupe chez Brücke n'est même pas rétribuée.

Cependant, s'il se montre exigeant envers sa fiancée, il ne paraît pas malheureux dans son travail. Isolé sur des cerveaux et des moelles qu'il dissèque, il est à l'abri des contacts humains, il ne voit que quelques amis plus ou moins liés à son travail ou à ses études et toute son hétérosexualité s'envole en longues épîtres passionnées et jalouses adressées à sa bien-aimée qui a quitté Vienne pour Hambourg.

Ce travail obsessionnel qu'il fait en passant des heures à disséquer dans un laboratoire lui apporte certaines joies, celles de découvertes mineures qui facilitent son identification à deux idoles, ses deux maîtres Brücke et Breuer.

Brücke, qui enseigne une physiologie dynamique avec nombre d'interprétations sur les rapports des processus physiologiques cérébraux et des processus psychologiques, le fascine. Il rêve de lui succéder et se voit déjà à sa place, trouvant quelque idée révolutionnaire qui le placerait à la tête des découvertes modernes. Dans son autobiographie, traduite par Marie Bonaparte sous le titre de Ma vie et la psychanalyse, il commence la relation de son séjour à Paris (1884, 28 ans) ainsi : « J'entrai comme élève à la Salpêtrière, mais j'y fus au début perdu parmi tous les élèves accourus de l'étranger, donc peu considéré. » Je souligne le donc peu considéré, qui montre que, d'une part, à Vienne dans les laboratoires de Brücke et Meynert, Freud s'était attiré une certaine


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estime par ses travaux de neurologie et, d'autre part, que cette estime lui était nécessaire et lui paraissait due. Dans son Histoire de la psychanalyse, il écrit qu'il était sur le point de quitter Paris lorsqu'il eut l'occasion de se proposer comme traducteur des leçons de Charcot. Ceci lui a certainement permis de surmonter une situation phobique et de faire une identification avec son nouveau maître de neurologie.

Je n'ai pas besoin de rappeler la célèbre conversation CharcotBrouardel qui le mit sur la piste du rôle que jouait la sexualité dans les névroses. Il me semble avoir lu quelque part qu'immédiatement Freud se mit à rechercher sur les hystériques de la Salpêtrière dans quelle mesure l'affirmation de Charcot pouvait être vraie et d'avoir marqué un certain étonnement de ce que Charcot affirmait une chose en conversation privée mais n'en parlait jamais dans ses cours. La réponse immédiate à cette curiosité me paraîtrait naturelle d'autant plus que Breuer, en 1882, lui avait déjà parlé à plusieurs reprises de la méthode cathartique sous hypnose et qu'il écrit à ce propos dans son autobiographie : « Il me lut à diverses reprises des fragments de l'histoire de sa malade et j'en reçus l'impression que jamais n'avait encore été accompli un tel pas dans la compréhension de la névrose. »

Dans l'Histoire de la psychanalyse (Collected Papers, p. 294) il dit, parlant des allusions que Breuer, Chrobak et Charcot avaient faites à la sexualité : « Ces trois opinions identiques que j'avais entendues sans les comprendre sont restées latentes dans mon esprit pendant des années jusqu'au jour où elles revinrent à mon esprit apparemment comme une idée originale. »

Faut-il déduire de cela que Freud ne pouvait se saisir vraiment d'une idée qu'à partir du moment où elle avait pris une valeur narcissique pour lui, c'est-à-dire à partir du moment où il pouvait l'insérer dans un système qui lui permettait de s'identifier à un des géants de la science ? Je laisse la question ouverte. On sait en effet que ce n'est pas seulement pour la sexualité mais aussi pour le refoulement que Freud a parlé de cryptomnésie. Les oeuvres de Schopenhauer et de Nietzsche tout comme les oeuvres des psychologues français (je pense particulièrement à Alfred Maury qui était très lu du temps de Charcot) font de nombreuses allusions au refoulement qu'ils appellent déjà de ce nom et Freud déclare ne jamais avoir été frappé par le terme. Ce n'est que lorsqu'il l'a inséré dans un système probablement objectivement et subjectivement dynamique qu'il l'a assimilé. On sait aussi que Freud a été un grand admirateur de Ludwig Borne, lequel avait écrit : « Un opuscule sur l'art de devenir un écrivain original en trois jours. »


SOURCES DE LA THÉORIE DU NARCISSISME CHEZ FREUD 479

Écrit dans lequel il recommande d'écrire tout ce qui vient à l'esprit, dans quelque domaine que ce soit, pendant trois jours de suite. Or, Freud ne le cite pas comme source de la méthode des associations d'idées.

Freud a insisté sur les deux façons de lire : l'une subjective et narcissique, l'autre objective. Il est probable qu'avant son auto-analyse, Freud lisait surtout selon le mode narcissique.

Faut-il souligner aussi certaines paroles qui, avant l'auto-analyse, vont dans le sens de ce besoin de puissance. Je n'en citerai que brièvement deux : Dans l'autobiographie (p. 24) Freud écrit : « D'ailleurs le travail au moyen de l'hypnose était fascinant. On éprouvait pour la première fois (je souligne pour là première fois qui me semble une victoire sur les attitudes phobiques) le sentiment d'avoir surmonté sa propre impuissance, le renom d'être un thaumaturge était très flatteur. »

En parlant de la cocaïne, Freud, qui l'un des premiers avait mis en lumière son action stimulante, dit avec fierté avoir trouvé « une médication magique ». On pourrait donc caractériser cette seconde période de la vie de Freud par un échec sur le plan pratique et par des attachements homosexuels ambivalents accompagnés d'un haut degré d'idéalisation et de mégalomanie.

En contraste avec l'adolescence narcissique et les premières années de sa vie d'adulte, nous voyons Freud prendre une attitude, différente' après 1900. Son père et ses principaux maîtres sont morts (Brücke, Charcot, Meynert), il s'est brouillé avec Breuer : il se sent libre d'affirmer ses découvertes, bien plus, il sent dans leur caractère révolutionnaire le triomphe qu'il avait espéré dans ses années de jeunesse.

Briicke lui avait inculqué une grande foi dans la science, Freud avait consacré plusieurs années à son auto-analyse. Il en avait comparé les résultats avec ses observations cliniques, il était sûr que ce qu'il avançait sur la sexualité infantile, sur le refoulement, sur les processus de formation des symptômes, les rêves, les lapsus, les mots d'esprit était juste. Grâce à cela il avait surmonté sa phobie et affirmé avec autorité ses découvertes. Ses contradicteurs ne font que le stimuler, il a vaincu ses inhibitions. Il a réalisé son rêve d'être un de ces génies qui dominent un siècle entier par leur pensée. Il connait parfaitement l'étendue de ses découvertes et le bouleversement qu'il apporte dans la pensée contemporaine. Il devient de moins en moins dogmatique, de moins en moins systématique dans ses conceptions, de plus en plus tolérant vis-à-vis d'autrui.

Mais on dirait que demeure longtemps en lui le besoin d'avoir tout découvert par lui-même.


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Est-il bien vrai, par exemple, qu'il y ait eu cette discontinuité de pensée entre les conversations de Charcot et l'importance qu'il a attachée à la sexualité ? Les Lettres à Fliess ne sont-elles pas là pour prouver le contraire ?

Bien sûr qu'il y a un monde entre la pensée jetée à la cantonade par Charcot et le système élaboré que Freud proposera pour expliquer l'origine des névroses, mais dans sa rationalisation de la cryptomnésie n'y a-t-il pas aussi un rejet de l'influence subie par le maître français. Non ! diront certains historiens car, dans sa nécrologie de Charcot, Freud n'a-t-il pas rendu un magnifique hommage au neurologue de la Salpêtrière ? Oui, à la personne, mais il ne lui a donné aucun crédit dans l'élaboration de sa doctrine qui est un magnifique compromis entre ses besoins narcissiques (qui ont servi de moteur à sa création) et la vérité scientifique.

De ce point de vue, il est intéressant de relire l'introduction historique à l'interprétation des rêves. Freud y cite bien des précurseurs, mais presque toujours pour les repousser.

Prenons l'exemple de Maury (p. 68). Il souligne bien que l'auteur observe qu'en rêve nous sommes le jouet des passions que nous réfoulons à l'état de veille mais il ajoute que Maury diminue la valeur de ces remarques en attribuant ces phénomènes à l'automatisme de la pensée.

Cette façon de traiter ses prédécesseurs revient à dire qu'ils ont passé à côté de son système et que, par conséquent, ils n'ont guère pu l'influencer. On pourrait aussi dire que toute idée non incorporée dans son système n'avait pas de force de revalorisation narcissique.

L'exemple, à mon avis, le plus frappant est celui de l'ouvrage : Au-delà du principe du plaisir où Freud reprend plusieurs idées de Brücke (à noter que ce livre a été écrit l'année où se célébrait le centenaire de la naissance du grand physiologiste viennois) et ne cite pas une fois Brücke au cours de son livre, mais par contre dans son ouvrage suivant sur La psychanalyse et les médecins, il dira que l'homme qui a eu sur lui l'influence la plus déterminante était Brücke. Chose curieuse, Freud n'a écrit aucune nécrologie de Brücke alors qu'il est évident qu'il y a une filiation entre la physiologie dynamique de son maître du reste pleine d'allusions aux phénomènes psychologiques et le système dynamique de la psychanalyse. On le voit, il peut rendre hommage à ses maîtres, voire à ses prédécesseurs, mais il a besoin d'isoler son système en tant qu'une oeuvre purement personnelle.

Il en sera largement ainsi dans la suite où, pour conserver la pureté de sa doctrine, il acceptera la suggestion de Ferenczi d'organiser une


SOURCES DE LA THÉORIE DU NARCISSISME CHEZ FREUD 481

Association internationale de Psychanalyse. Il est facile de trouver des motifs rationnels à cette organisation, il n'en reste pas moins que les autres sciences se développent généralement sur un mode de plus grande liberté. Il faudrait ajouter ici ce détail que dans les Congrès de Psychanalyse, les travaux de Freud n'étaient jamais suivis d'une discussion alors que ceux de ses collaborateurs faisaient l'objet d'une discussion.

Bien que l'on puisse dire encore beaucoup à ce sujet, je voudrais arrêter là la description des trois étapes de la vie de Freud et leur rapport avec son narcissisme.

Je tiens cependant à préciser que tout ce que j'ai dit concernant le narcissisme de Freud n'avait dans mon esprit aucune intention péjorative. Nous avons tous, comme Freud lui-même l'a montré, une composante narcissique. Chez les uns elle reste stérile, chez d'autres, comme je viens de le montrer, elle peut être une source dynamique de grande valeur et servir à la création artistique ou scientifique et par son évolution devenir facteur dé développement et se transformer progressivement en libido objectale.

Ma communication est branchée sur deux directions, d'une part, sur certains aspects du narcissisme de Freud, d'autre part, je voudrais vous montrer pourquoi, à un moment de son existence du moins, il a été poussé à créer un système narcissico-scientifique avec lequel il pouvait s'identifier, il a été contraint en quelque sorte à en venir à sa théorie de la libido narcissique et de la libido objectale. Je n'entrerai pas dans l'exposé de cette doctrine qui sera abondamment décrite et commentée dans ce symposium, mon seul but est de déceler quelques motifs subjectifs qui l'ont acheminé à cette conception.

Si Breuer et les expériences qui se poursuivaient sur l'hypnose vers 1884, aussi bien à Vienne qu'à Paris ou Nancy, avaient jeté une première lumière sur les processus de formation des névroses, Freud avait, comme ses contemporains, une certaine aversion à expliquer tout par les seuls concepts psychologiques de conscient et de l'inconscient. Bien qu'il les ait acceptés et défendus pour des raisons pratiques, il avait vite compris que la physiologie dynamique de Brûcke pouvait lui permettre d'aller bien plus loin dans l'explication de ces processus.

Aussi l'information que des troubles sexuels jouent toujours un rôle dans la formation des névroses fut-elle pour lui une double révélation : celle du rôle de la sexualité et celle que les instincts (concept à cheval sur l'organique et le psychologique) pouvaient être les forces en jeu dans les névroses. Il avait ainsi trouvé une pièce majeure de son système. Cela lui permettait de sortir l'étude des névroses, d'une part,


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de la psychologie, science très décriée à son époque et, d'autre part, de spéculations neurologiques stériles. Il allait se maintenir sur le champ de la biologie, cette science qui, à plusieurs reprises, l'avait passionné.

Aidé par son esprit systématique, il s'est d'abord attaché à étudier l'instinct sexuel dont il a découvert les différentes étapes et s'est contenté de parler des instincts du Moi qui s'y opposaient, ceux-ci étaient vaguement désignés comme les instincts de défense et de la faim.

Si on lit les classifications des instincts données de la fin du XIXe à 1925 par exemple, on peut se rendre compte dans quel guêpier Freud s'était lancé et combien peu d'aide il allait trouver en étudiant ce que ses contemporains avaient écrit à ce sujet. Mais l'étude même que Freud avait faite de la sexualité n'allait pas lui faciliter la suite du développement de sa pièce majeure : La névrose est un conflit biologique entre deux groupes d'instincts. En effet, ayant décrit à chaque instinct un but, une source, des zones érogènes, le développement naturel de ce système eût été de faire de chaque fonction biologique un instinct et de parler d'un instinct de respiration, d'un instinct de nutrition, etc., mais comment, dans ce système, montrer que les instincts étaient en lutte les uns avec les autres ?

S'aventurer dans cette direction, c'était perdre tout le côté dynamique du système auquel l'esprit de découverte et le narcissisme de Freud étaient si profondément attachés.

Pour sauver le système, il restait deux autres solutions que Freud a brillamment exploitées : l'une, que les différentes phases de la sexualité pouvaient entrer en conflit les unes avec les autres, que les fixations à certains stades pouvaient s'opposer à des stades suivants ; l'autre, créer un système moniste, affirmer qu'il n'existe qu'une libido, mais que celle-ci se divise en deux : une partie reste narcissique, l'autre investit des objets.

Ainsi Freud restait sur le terrain solide de la biologie et l'idée maîtresse qui devait réaliser ses rêves d'adolescent prenait corps. Avec son intelligence, avec la fécondité de son imagination tempérée par son don d'observation, il allait donner à ses hypothèses une ampleur qui devait révolutionner non seulement la psychopathologie de son temps, mais encore bouleverser les conceptions morales et sociales de son époque. Le rêve narcissique était réalisé, la paix intérieure trouvée et dès lors il pouvait plus librement s'aventurer dans d'autres hypothèses qui ne cadraient plus forcément avec l'idée maîtresse.

On retrouve cependant ce souci de rester fidèle à un conflit essentiellement instinctuel dans sa description du Surmoi. Cette instance est


SOURCES DE LA THÉORIE DU NARCISSISME CHEZ FREUD 483

avant tout un relais libidinal, résidu des investissements oedipiens. Elle fait partie de ce système qui fut pour Freud à la fois une grande construction narcissique et une découverte capitale.

Dans ce cadre, il est évident que le Moi doit aussi être interprété uniquement dans son aspect dynamique, c'est-à-dire dans la conception que Nacht a défendue contre Hartmann et ses collaborateurs.

Mesdames et Messieurs, j'ai contrôlé le cas d'un de mes élèves qui était physicien, il s'occupait de cristallographie, chaque fois qu'il découvrait le point de cristallisation d'un corps, il faisait en même temps une prise de conscience importante, l'inverse était aussi vrai. Son ambition scientifique était très grande. Ce que j'ai voulu montrer, c'est que la réduction d'une mégalomanie à une réalité pouvait, par le dynamisme même qu'elle renferme, être un important ferment de guérison. Il me semble que ce phénomène a joué un rôle important dans l'élaboration des doctrines freudiennes.



A propos

de la lecture des textes freudiens

sur le narcissisme

par S. LEBOVICI

Quelle que soit l'importance de l'Introduction au narcissisme, trop de textes freudiens font allusion à ce problème pour qu'on n'essaye pas de se faire une idée sur l'évolution de la pensée du fondateur de la psychanalyse à travers l'ensemble de ses textes.

Pour reprendre le mot de Federn cité par de Saussure au début de nos journées de travail, je souhaiterais que nous évitions d'investir de notre propre narcissisme la lecture des textes freudiens : nous pouvons nous contenter de commenter un texte de Freud à un moment d'évolution de sa pensée. Il paraît préférable de saisir l'évolution du concept et de la théorie du narcissisme à travers la complexité de la pensée freudienne.

L'élaboration de la théorie freudienne du narcissisme s'est probablement faite dans les vingt-cinq premières années de ce siècle, encore que l'intérêt de Freud se soit prolongé très tard, puisqu'il est question du narcissisme dans l'Abrégé de psychanalyse. C'est probablement dans les Trois essais sur la théorie de la sexualité qu'apparaît pour la première fois le mot narcissisme. Il est évidemment difficile de se référer à des dates à propos d'un texte qui a été si souvent remanié dans des éditions successives, comme en fait foi l'édition Laplanche, si utile à consulter. Dans cet ouvrage, nous trouvons deux allusions au narcissisme : dans le premier chapitre consacré à l'étude des aberrations sexuelles et tout particulièrement de l'homosexualité, dans l'édition de 1910, il est spécifiquement question du narcissisme que Freud décrit comme la composante essentielle de l'homosexualité, c'est-à-dire la perversion qui a pour but l'amour de soi-même, dont le but est de retrouver dans les autres un semblable à soi, ce qui permet de s'aimer soi-même.

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L'édition de 1915, dans une note, insiste sur l'importance du choix narcissique dans l'homosexualité. On pourrait peut-être situer là une des origines de la pensée de Grunberger, puisque Freud établit luimême un lien fondamental entre le choix d'objet narcissique et l'importance érotique attribuée à la zone anale. Dans cette note, comme c'est souvent le cas dans la pensée freudienne, nous prenons connaissance d'un développement de quelques lignes qui va faire l'objet d'une élaboration, poursuivie pendant de longues années, pour apparaître sous sa forme définitive bien des années plus tard, puisque c'est la première référence qui établit un lien entre homosexualité, érotisme anal et narcissisme.

En fait, à ce carrefour des années 1905, en tenant compte des notes dont il vient d'être question, Freud a établi des rapports entre l'homosexualité et le narcissisme. Mais pour comprendre la pensée de Freud à cette époque, il faut tenir compte du troisième chapitre des Trois essais, de celui qui est consacré aux transformations de la sexualité au moment de la puberté. Freud donne ici une définition de la libido qu'il caractérise non seulement par des phénomènes énergétiques, mais par les qualités mêmes de ces phénomènes énergétiques, c'est-à-dire par leurs qualités sexuelles. En d'autres termes, dès cette époque, Freud estime qu'on ne connaîtra jamais le narcissisme par lui-même, en particulier par ce fait que nous ne pouvons connaître, sur le plan clinique et technique, que les névroses de transfert, c'est-à-dire les maladies des investissements objectaux. La libido du Moi ou narcissique n'apparaît comme un concept théorique que dans l'étude économique de l'organisation des névroses et des psychoses.

On pourrait probablement situer ici la naissance du concept de narcissisme secondaire ; Freud dit en effet que la libido objectalisée peut se replier sur le Moi et on est alors capable d'en saisir quelques aspects. Bien qu'il ne soit pas alors question de narcissisme secondaire, il est pourtant probable que la théorie du réinvestissement de la libido narcissique sur le Moi est à l'origine de ce concept.

La lecture des Trois essais sur la théorie de la sexualité nous permet donc de conclure que Freud avait surtout insisté sur les rapports entre la libido narcissique et l'homosexualité et qu'en décrivant les qualités spécifiques de la libido il pressentait l'importance de l'étude du narcissisme secondaire, alors que la libido du Moi ou libido narcissique ne pouvait être conçue sur le plan théorique que par l'étude économique des névroses et des psychoses.

L' Introduction au narcissisme date de 1914. C'est évidemment un


LECTURE DES TEXTES FREUDIENS SUR LE NARCISSISME 487

texte fondamental dont il est difficile de présenter un résumé succinct.

Freud part de l'étude des névroses narcissiques, des cas que nous plaçons actuellement dans les psychoses. Il montre dans ces cas l'absence d'intérêt pour le monde extérieur et le surinvestissement mégalomaniaque qu'il rapproche d'une situation mégalomaniaque du nouveau-né, telle qu'elle apparaît dans les hypothèses métapsychologiques. Dans d'autres textes et en particulier dans le Président Schreber, Freud est revenu sur la contiguïté entre le narcissisme et les psychoses. La page 350 de l'édition française (1935) mérite d'être ici citée : « Dans les Trois essais sur la théorie de la sexualité, j'ai exprimé l'opinion que chacun des stades que la psychosexualité parcourt dans son évolution, implique une possibilité de fixation et par là fournit les bases d'une prédisposition ultérieure à l'une ou l'autre psychonévrose. Les personnes qui ne se sont pas entièrement libérées du stade du narcissisme et qui, par suite, ayant une fixation pouvant agir à titre de prédisposition pathogène, ces personnes sont exposées au danger qu'un flot particulièrement puissant de libido, lorsqu'il ne trouve pas d'autre issue pour s'écouler, sexualise leurs instincts sociaux et ainsi annihile les sublimations acquises au cours de l'évolution psychique. Tout ce qui provoque un courant rétrograde de la libido peut produire ce résultat : d'une part, qu'un renforcement collatéral de la libido homosexuelle soit amené du fait qu'on est déçu par la femme, ou bien que la libido homosexuelle soit directement endiguée par un échec par ses rapports sociaux avec les hommes — ce sont là deux cas de frustration — d'autre part, qu'une exaltation générale de la libido vienne à se produire, exaltation trop intense pour que la libido puisse alors trouver à s'écouler par les voies déjà ouvertes, ce qui l'amène à rompre les digues au point faible de l'édifice. Comme nous le voyons dans nos analyses, les paranoïaques cherchent à se défendre d'une telle sexualisation de leurs investissements instinctuels sociaux. Nous sommes forcé d'en conclure que le point faible de leur évolution doit se trouver quelque part au stade de l'auto-érotisme, du narcissisme et de l'homosexualité... »

De cette note deux références importantes doivent être, à mon avis, retenues : la première faisant allusion à la nature homosexuelle de la libido narcissique nous montre la lutte intense que ces sujets doivent mener contre la sexualisation de toutes les relations sociales. La seconde référence situe le narcissisme à un carrefour qui trouve sa place historique entre l'auto-érotisme et le choix objectal, homosexuel en particulier. Cette place du narcissisme n'a pas toujours été retenue par Freud, comme nous aurons l'occasion de le constater.


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L'Introduction au narcissisme contient encore d'importants développements, bien classiques, sur les rapports entre le sommeil et le narcissisme ainsi que sur les rapports entre l'hypochondrie et le narcissisme.

L'opposition entre le choix anaclitique et le choix narcissique est bien connu. Dans le choix anaclitique, il y a une relation de dépendance vis-à-vis de l'objet investi. C'est le choix qu'on observe le plus souvent chez l'homme. Le choix narcissique est celui de la femme qui a besoin d'être aimée, mais aussi celui de l'homosexuel. Ce choix ne se réfère pas à la mère, mais au sujet lui-même qui fait l'objet d'une surestimation narcissique. Bien que cette opposition puisse paraître discutable et probablement moins nette qu'on ne le croirait à la lecture attentive du texte de Freud, il n'en est pas moins vrai que c'est dans le choix narcissique de l'objet que se situe le concept de narcissisme primaire.

La surestimation narcissique amène à parler des rapports entre le narcissisme primaire et l'Idéal du Moi.

« Le narcissisme semble s'être maintenant déplacé sur le nouvel Idéal du Moi qui, pour le Moi infantile se juge lui-même possesseur de toutes les perfections. Nous ne serions pas surpris de découvrir une instance spéciale dont la tâche serait de vérifier si la satisfaction narcissique est bien assurée, en fonction de l'Idéal du Moi et qui, dans ce but, surveille constamment le Moi réel et le compare à cet Idéal. Si une telle instance existe, il ne peut probablement pas s'agir de quelque chose que nous n'avons pas encore découvert. Nous avons seulement besoin de la reconnaître à ces caractères et c'est ce que nous appelons conscience morale. »

Ce texte est probablement à l'origine d'erreurs multiples, puisqu'il fait allusion à l'Idéal du Moi et à ce qui sera plus tard le Surmoi ; instance qui sera décrite au moment de la deuxième topique. Dans de nombreuses discussions, tant en France qu'à l'Étranger, on se demande si Freud a bien voulu faire de l'Idéal du Moi une instance. La distinction qu'il fait dans ce texte entre Idéal du Moi et conscience morale, ou ce qui sera plus tard le Surmoi, n'est probablement pas très nette il serait peut-être aussi malhonnête d'attribuer dans ce texte au terme d'instance la signification de fonction autonome que Freud lui donnera au moment de la deuxième topique. On comprend bien pourtant que certains auteurs comme Grunberger aient pu faire du narcissisme une quatrième instance, donc que les psychanalystes généticiens, et en particulier l'école de Hartmann, Kris et Loewenstein, aient fait de la représentation de soi investi par le narcissisme primaire une quatrième instance qui


LECTURE DES TEXTES FREUDIENS SUR LE NARCISSISME 489

joue un rôle extrêmement important dans les mécanismes de sublimation.

C'est encore dans ce texte qu'on comprend la théorie de la conflictualisation du narcissisme primaire. Dans Les deux principes du fonctionnement mental, Freud explique que la libido du Moi (ou libido narcissique), quitte le Moi pour les objets, l'investissement du Moi n'étant pas assez gratinant. Autrement dit la conflictualisation du narcissisme primaire est contemporaine du passage du principe du plaisir au principe de réalité. Là encore on saisit le passage des mécanismes primaires aux mécanismes secondaires mais la conflictualisation du narcissisme primaire nous amène à insister de nouveau sur ce qu'avait évoqué Freud dans les Trois essais, à savoir la nature homosexuelle de la libido et le rattachement du narcissisme primaire aux tendances passives et au désir d'être aimé.

Dans le texte intitulé Les instincts et leurs vicissitudes et qui date de 1915, j'ai trouvé des références qui m'ont paru des plus précieuses dans l'étude du narcissisme. Il me paraît nécessaire de citer quelques lignes qui ont une grande importance pour la compréhension de la genèse de la relation objectale : « A l'origine, au tout commencement de la vie, le Moi est investi par les pulsions et dans une certaine mesure capable de les satisfaire sur lui-même. Nous appelons cet état narcissisme et ce moyen d'obtenir satisfaction auto-érotique. » Comme on le voit ici, dans cette acception la plus courante du narcissisme, il n'y a plus de différence radicale, au moins dans les temps évolutifs, entre narcissisme et auto-érotisme.

« Le monde extérieur n'est pas investi de l'intérêt à ce moment et est indifférent à la satisfaction. Ainsi le Moi-sujet (1) coïncide avec ce qui peut donner du plaisir et le monde extérieur avec ce qui est indifférent (ou peut-être avec ce qui est source de non-plaisir, étant une source de stimulation). »

Je voudrais citer encore une note qui me paraît essentielle : « Quelques pulsions sexuelles sont, nous le savons, capables de cette satisfaction auto-érotique et sont adaptées à être un véhicule pour le développement sous la domination du principe du plaisir, comme cela va être décrit. Les pulsions sexuelles qui dès le début requièrent un objet et les besoins de l'instinct du Moi, qui ne sont jamais capables d'une satisfaction auto-érotique, compliquent naturellement ce stade du narcissisme primaire et ouvrent le chemin à une évolution compliquée à partir de ce stade. Oui, la condition narcissique primaire n'aurait pas

(1) Souligné par nous.


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été capable d'un tel développement, si chaque individu ne passait pas par un état de besoins et de dépendance, durant lequel ces besoins urgents sont satisfaits par ce qui lui est extérieur et ne deviennent donc pas insupportables. »

Dans l'édition de Freud annotée par Strachey, on insiste également sur l'importance de cette note qui est ainsi comprise par cet auteur : « Dans son article sur les deux principes du fonctionnement mental, Freud a introduit l'idée de la transformation du Moi-plaisir en Moiréalité. Dans ce passage il décrit en fait un Moi-réalité précoce. Celui-ci, au lieu de devenir directement le Moi-réalité final est placé sous l'influence du principe du plaisir par le Moi-plaisir. La note souligne des facteurs qui favorisent cette évolution et ceux qui travaillent contre elle. L'existence de pulsions libidinales auto-érotiques encourage le Moi-plaisir tandis que les pulsions libidinales non-auto-érotiques tendraient à la prédominance directe du Moi-réalité final de l'adulte. Cette dernière situation favoriserait le narcissisme primaire, s'il n'existait pas de soins maternels pour le nourrisson qui tendent à maintenir le Moi-plaisir. »

Une remarque de Freud explique pourquoi quelques-uns d'entre nous avons pu parler de relation narcissique dans les premiers moments de la relation pré-objectale. Mais en même temps la persistance du narcissisme primaire dans un système qui ne peut être que conceptualisé, obéissant au principe du plaisir, conduirait à la mort. Il me semble qu'on saisit bien ici ce qui va conduire Freud a décrire la bipolarité des instincts et à hypostasier l'existence d'une pulsion de mort. En fait, dès ce texte de 1915, la nécessité de la description de l'instinct de mort peut apparaître comme implicite. Soit dit en passant, c'est aussi de cette référence que naît l'idée de la composante narcissique du masochisme.

Dans La métapsychologie la relation narcissique dont nous avons fait l'hypothèse est décrite par Freud : « Imaginez-vous dans la position d'un organisme vivant presque entièrement dépendant, encore pas orienté dans le monde et par rapport aux stimuli qui surviennent. Cet organisme deviendra vite capable de faire une première discrimination et une première orientation. D'une part, il détectera certains stimuli qui peuvent être évités par une action musculaire (fuite) et les assignera au monde extérieur. D'autre part, il fera connaissance avec des stimuli qui ne peuvent pas être évités de cette façon et qui deviendront les préliminaires du monde intérieur, la preuve des besoins instinctuels. La substance aperceptive des organismes vivants trouve dans l'efficacité


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de son activité musculaire le meilleur moyen de discriminer entre ce qui est extérieur et intérieur. »

Le chapitre consacré au narcissisme dans l'Introduction à la psychanalyse, texte datant de la fin de la première guerre mondiale, est une excellente mise au point des idées freudiennes de l'époque, à un moment où Freud saisit l'importance de l'étude théorique des psychoses. Freud y rectifie une erreur historique, celle qui attribue la description de la perversion à Näcke, alors que c'est Havelock Ellis qui a décrit la perversion narcissique. Cette erreur est d'ailleurs rectifiée dans l'édition de 1920 des Trois essais sur la sexualité. Freud étant toujours fidèle à l'analogie avec la biologie, prend l'exemple de l'amibe, de ses rétractations, de ses prolongements protoplasmiques à la conquête des objets et des retours ultérieurs. Cette analogie permet, selon lui, de comprendre le destin du narcissisme. Mais ici Freud fait une distinction intéressante entre le narcissisme et l'égoïsme, reprenant probablement ce qu'il avait dit d'une autre manière à propos de l'investissement sexuel des instincts sociaux dans le cas Schreber. Il fait de l'égoïsme un des aspects de l'organisation caractérielle, alors que les investissements narcissiques peuvent être extrêmement variables. Freud évoque encore la survalorisation de l'objet par investissement de la libido narcissique ; il souligne les rapports entre l'hypochondrie et l'investissement des organes par le narcissisme secondaire. Il montre l'importance du narcissisme primaire et des fixations narcissiques primitives dans la démence précoce. A propos de la paranoïa, il insiste sur ses rapports avec l'homosexualité et le choix narcissique de l'objet. La conception nouvelle qui apparaît dans ce texte est celle de l'identification narcissique qui sera reprise dans les textes intitulés Deuil et mélancolie : le mélancolique accable l'objet qui l'a abandonné. « Le mélancolique a retiré sa libido de l'objet. Cet objet se trouve reporté dans le Moi, comme projeté sur lui, à la suite d'un processus auquel on peut donner le nom d'identification narcissique... le Moi est alors traité comme l'objet abandonné et il supporte toutes les agressions et manifestations de vengeance qu'il attribue à l'objet. »

Dans les Cinq essais et en particulier dans Au-delà du principe du plaisir (1920), Freud revient sur la libido et ses origines. Selon lui le Moi est le réservoir de la libido : « A travers l'étude du développement libidinal de l'enfant, dans les périodes les plus précoces, il est apparu clairement que le Moi est le vrai réservoir original de la libido qui s'étend à l'objet uniquement à partir de celui-ci. Le Moi tient place de l'un des premiers objets sexuels et fut immédiatement reconnu


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comme le plus choisi d'entre eux. Quand la libido s'attache à lui, on l'appelle narcissique. » Ainsi les instincts de conservation ou narcissiques appartiendront-ils au groupe des instincts de l'Ëros.

Comme on le sait ce texte est à l'origine d'importantes controverses sur le narcissisme primaire qu'ont illustrées beaucoup de discussions de la Société Anglaise de Psychanalyse. Balint d'un côté qui estime qu'il existe une relation objectale d'emblée ou relation primaire, Bowlby qui insiste également sur les liens d'attachement primaire, d'origine instinctuelle, refusent le concept de narcissisme primaire et n'admettent que le narcissisme secondaire. De leur côté Willi Hosser et Anna Freud, en soulignant la nécessité du recours métapsychologique, ont montré que le concept de narcissisme était indispensable à l'élaboration de la théorie psychanalytique, car s'il est bien vrai que l'objet investi fonde le Moi, il est indispensable de comprendre que l'investissement libidinal du Moi ou des limites du Moi, selon les conceptions de Federn, fonde également l'objet.

En 1922, Freud écrivit le Moi et le Ça. Ici les conceptions sur le narcissisme sont plus difficiles à déchiffrer et à interpréter. Freud parle de l'énergie désexualisée, au moment de l'intrication ou de la défusion des pulsions. Cette énergie désexualisée, probablement très analogue au narcissisme a bien pour origine le Moi, tandis que la libido a pour réservoir le Ça. Freud pourra dire que la libido investit l'objet, mais que le Moi s'offre au Ça comme objet d'amour. C'est le narcissisme secondaire où la libido se retire de l'objet.

Puis ce sont les derniers textes freudiens où la référence au narcissisme peut être encore trouvée. Dans les Nouvelles lectures introductives qui datent de 1932, le Moi est de nouveau conçu comme la source de l'investissement objectai et la répartition de la libido définit le narcissisme et la libido objectale. C'est un retour aux conceptions initiales du narcissisme primaire, conception qui est probablement celle qui domine l' Abrégé de psychanalyse, partiellement rédigé en 1938, puisque Freud dit que le Moi emmagasine toute la libido et que cet état caractérise le narcissisme primaire. Ainsi de nouveau Freud conçoit la libido comme une, lorsqu'elle investit le Moi elle est dite narcissique ; lorsqu'elle investit l'objet elle est dite objectale.

Cette revue trop courte des textes freudiens sur le narcissisme montre à la fois la continuité d'une pensée qui a très tôt reconnu la nécessité d'une référence métapsychologique, mais aussi certaines contradictions apparentes, en particulier sur la nature des instincts, sur leur description et sur l'organisation topique. Il est impossible


LECTURE DES TEXTES FREUDIENS SUR LE NARCISSISME 493

d'admettre qu'une référence vaut plus qu'une autre et il me semble nécessaire de saisir la pensée freudienne dans toute sa continuité. A ce point de vue le concept de narcissisme primaire est indispensable en métapsychologie. J'ai cru pouvoir montrer qu'il impliquait, avant même qu'il ne soit question d'instinct de mort, la référence à la bipolarité instinctuelle. C'est là peut-être l'intérêt de cette revue trop rapide, bien incomplète et évidemment orientée par les intérêts de celui qui l'a rédigée. Ce concept s'intègre parfaitement dans les théories génétiques et nous verrons qu'un stade narcissique doit être forcément pris en considération pour comprendre l'existence même de l'investissement. objectai.

L'importance actuelle de la théorie du narcissisme en psychanalyse, les développements que lui ont consacrés de nombreux auteurs (en particulier en France Grunberger, moi-même, etc.) posent pourtant le problème de la valeur- de la reconstruction en psychanalyse : on peut en effet se demander comment le stade narcissique " pourrait se ^ reconstruire dans le cadre de l'évolution d'une cure psychanalytique, si les psychanalystes actuels n'attachaient une importance essentielle à l'étude économique de l'organisation des névroses, des psychoses, des troubles psychosomatiques, etc., qu'ils ont l'occasion d'examiner et de traiter. Cet avis restrictif ne serait sans doute pas partagé par Grunberger qui décrit volontiers la continuité entre l'anobjectalité de l'oralité et le narcissisme. De son côté, Freud à partir du moment où il distingua le narcissisme primaire et le narcissisme secondaire, considéra qu'on pouvait parler de régression au stade narcissique primaire dans le sommeil, dans certaines catégories de l'homosexualité masculine et dans des maladies mentales qu'on appellerait actuellement la schizophrénie.

Cette discussion devra évidemment être reprise le jour où l'étude de la psychanalyse génétique sera soumise à une analyse critique.



Le narcissisme primaire dans la théorie des instincts

par MICHEL RENARD

Lebovici nous a dit ce matin que la pensée de Freud, si nous voulons la cerner, devait être suivie dans sa continuité historique et étudiée dans son ensemble. En effet, les points de vue successifs que Freud développe dans son oeuvre s'ajoutent les uns aux autres, s'étayent et se complètent.

Sans doute la juxtaposition de ses divers points de vue sur les mêmes problèmes, à des périodes différentes, permet-elle de mettre en évidence certaines divergences. Mais celles-ci se révèlent plus apparentes que réelles et, outre le fait qu'à aucun moment Freud n'a renié l'une de ses théories antérieures (si l'on excepte la notion de la séduction chez les hystériques), il est remarquable qu'à travers les fluctuations de sa pensée, on puisse aisément trouver la marque d'une fidélité à des positions profondes. Il n'est pas rare, en effet, de discerner dans les toutes premières publications les germes des développements futurs.

Il en est ainsi de la conception du narcissisme primaire. Si l'on prend Freud au pied de la lettre, le narcissisme primaire ne figure pas dans les premiers travaux. Ce n'est qu'en 1914, dans l'Introduction du narcissisme qu'il étudie et qu'il nous décrit le narcissisme comme première position libidinale. Il faut d'ailleurs noter que les faits cliniques qui lui imposent cette conception (mégalomanie des enfants, douleur physique, schizophrénie...), concernent des états dans lesquels les manifestations narcissiques sont apparues tardivement ou en tout cas bien après les premiers investissements objectaux. C'est donc à partir des formes de narcissisme secondaire que Freud reconstruit le narcissisme primaire. Fidèle à sa croyance en la viscosité de la libido qui n'abandonne jamais tout à fait ses premières positions et qui, même, dans la mesure où elle les a quittées, a tendance à y revenir par une régression, il infère qu'il ne s'agit pas d'un état nouveau mais d'un


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retour au passé. Seul le sommeil, parmi les exemples cliniques qu'il donne, représente le narcissisme primitif.

Cependant, dès 1905, sa première conception des zones érogènes de l'érogénéité du corps tout entier et de l'auto-érotisme, telle qu'il l'expose dans les premières éditions des Trois essais sur une théorie de la sexualité, annonçait déjà le narcissisme primaire. Je cite ces lignes bien connues : « La sexualité se développe en s'étayant sur une fonction physiologique essentielle à la vie, elle ne connaît pas encore d'objet sexuel, elle est auto-érotique et son but est déterminé par l'activité d'une zone érogène. » La notion d'une érogénéité primitive du corps et d'une capacité d'activité sexuelle dont l'objet ne ferait que provoquer la manifestation, s'éclaire et se complète par la théorie de la libido (1914-1915). Freud dans celle-ci ajoute en effet trois points essentiels à la théorie des instincts :

1) Alors qu'il n'y a pas encore, à proprement parler d'objet perçu et reconnu comme tel, le Moi-corps est lui-même investi de libido ;

2) Une partie de cet investissement se porte sur le Moi proprement dit dès que celui-ci se développe ;

3) Le narcissisme n'est jamais abandonné alors même que les investissements objectaux atteignent leur plus haut degré.

Le narcissisme primaire doit être entendu alors comme l'investissement primitif du corps et du Moi psychique dès les premiers stades de développement de celui-ci et l'auto-érotisme comme l'activité sexuelle de la phase narcissique.

Quelques années auparavant (1911) (Président Schreber), Freud avait situé le « narcissisme » à. un stade relativement tardif : après la phase auto-érotique, le décrivant comme résultant, en somme, de la confluence des diverses zones érogènes indépendantes. Il ne s'est pas expliqué sur les divergences de ces deux descriptions qui, selon nous, ne s'opposent nullement. Dans la plus ancienne, le terme narcissisme est employé pour caractériser l'investissement du sujet comme une unité ; alors que dans celle de l'Introduction du narcissisme le même terme s'applique aux tout premiers auto-investissements du sujet encore morcelé. Il est probable que ce report du narcissisme à une période antérieure annonce ses premières découvertes sur les stades précoces de développement du Moi.

La question se pose alors des rapports de ce narcissisme fondamental avec l'instinct de conservation.

Sur ce point Freud reste, à cette période, incertain ainsi qu'en témoignent les nuances que l'on relève dans la Métapsychologie, l'Introduction du narcissisme, l'Introduction à la psychanalyse. Il tient à


LE NARCISSISME PRIMAIRE DANS LA THÉORIE DES INSTINCTS 497

maintenir une distinction entre instincts sexuels et instincts du Moi, distinction qui lui paraît conforme à certains faits cliniques et sur laquelle repose sa première théorie des instincts ; par ailleurs, il note que revenue sur le sujet, la libido, lorsque se reconstitue l'état primitif, ne peut plus alors être distinguée des « instincts » de conservation. (Ainsi dans la douleur physique ; il en serait de même dans le sommeil, où l'activité instinctuelle se réduit, si aucun rêve ne vient le troubler à - l'exercice des fonctions végétatives.) finalement, le narcissisme est défini comme le complément libidinal de « l'instinct » de conservation (égoïsme) et il ressort que si la libido et l'instinct de conservation peuvent être en opposition au stade des tendances objectales, cette opposition ne se retrouve pas au stade précoce du narcissisme. Freud va jusqu'à présenter, sans l'exclure, l'hypothèse d'une, énergie commune à l'investissement narcissique et à l'instinct de conservation et bien entendu à l'investissement objectal. Le narcissisme primaire met donc en danger le dualisme de la première théorie des instincts. Freud lui adjoint alors la théorie des deux libidos. La distinction selon la direction des investissements vert le sujet ou vers l'objet, s'impose seule. Elle se révèle extrêmement fructueuse en ce sens qu'elle permet de rattacher un certain nombre de manifestations normales ou pathologiques, à un conflit entre le narcissisme et les tendances objectales. Il faut rappeler pour comprendre la perplexité de Freud quant à la nature réelle du narcissisme et de ses rapports avec les instincts du Moi, qu'il était à ce moment ébranlé par la tendance moniste de Jung qui essayait de faire de la libido la seule énergie psychique. Mais la croyance profonde de Freud dans la nature conflictuelle de la psyché ne lui permettait pas d'accepter cette simplification de sa théorie. Il fallait donc, soit trouver des tendances au moins distinctes quant à leur qualité de la libido, d'où son effort pour conserver l'égoïsme en face du narcissisme, soit opposer la libido à elle-même. Or, un conflit entre deux énergies de même nature qui peuvent se confondre, n'est plus un véritable conflit ; d'autre part, toutes sortes de faits cliniques ou intervenait l'agressivité ne pouvaient être expliqués. D'où la nécessité d'une troisième théorie qui puisse intégrer à la fois l'opposition instincts du Moi-instincts sexuels, libido objectale-libido narcissique ainsi que le sadisme, le masochisme et la haine. Dans cette théorie, il oppose les deux tendances fondamentales, la tendance à l'union, à la cohésion et la tendance à la séparation, à la diyision. Ces deux forces primordiales, présentes à tous les niveaux, régissent les phénomènes biologiques avant de régir la formation et les manifestations de la psyché.


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Le narcissisme, défini par un investissement libidinal du sujet par lui-même, doit donc être rattaché à l'Éros. Sa première manifestation est au niveau cellulaire et l'on peut dire que la cohésion d'une unité organique est la force qui maintient ses cellules soudées entre elles. (Au-delà du principe de plaisir.)

Le narcissisme primaire tel qu'il était entendu précédemment n'est pas infirmé et c'est dans Le Moi et le Soi que le rôle du narcissisme dans l'édification du Moi sera développé. A ce moment, il ne s'agira plus du seul conflit entre le narcissisme et l'amour objectai, mais également des investissements agressifs à la fois dirigés vers le sujet lui-même et vers le monde extérieur.

Il est étonnant que, dans ces textes, il ne soit pas fait mention, soit pour s'en servir, soit seulement pour le citer, du travail, cependant profond et d'une richesse encore partiellement inexplorée, de Tausk. Ce travail apparaît bien être dans la ligne de pensée de Freud et comme son prolongement.

Tausk, quelques années après l' Introduction du narcissisme avait poussé plus loin l'étude des investissements narcissiques primaires et celle des premiers stades de développement du Moi : se fondant sur la subtile interprétation d'un cas clinique, il décrit une unité psychique qui est originellement auto-investie. Ce n'est qu'ensuite et progressivement que cet investissement s'étend à la totalité du corps, conquête marquée du sceau narcissique. La distinction de ces deux phases lui permet d'expliquer la répudiation ultérieure du corps, propre à certaines psychoses, quand l'attraction exercée par l'objet est devenue une menace pour l'intégrité narcissique du Moi. On trouve ici l'application 4e la notion si féconde d'un conflit entre la libido narcissique et la libido objectale.

Le concept de narcissisme primaire n'a pas été accepté par tous les psychanalystes. On se sert habituellement pour l'attaquer de l'apparente discordance des diverses positions de Freud sur ce problème. La critique d'un de ses adversaires les plus farouches permet de montrer que celles-ci sont en réalité tout à fait compatibles et d'ailleurs doivent être prises ensemble pour rendre compte de l'expérience clinique.

Balint, pour défendre sa théorie d'un narcissisme exclusivement secondaire, s'est servi de la première formulation de Freud sur le narcissisme pour l'opposer aux deux autres tout en négligeant certains points essentiels (telle la nécessité de voir dans la conservation, sous toutes ses formes, une manifestation libidinale). Il attribue cette contradiction à l'impossibilité de faire coïncider la théorie et les faits


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cliniques auxquels Freud cependant ne voulait pas renoncer, et se sert, pour soutenir sa thèse, du caractère quelque peu extensible de la terminologie freudienne.

Sans doute, dans les Trois essais est-il écrit aussi que l'enfant perd, au moment de la découverte de la personne totale de la mère, son premier objet sexuel : le sein, et que la sexualité devient alors autoérotique. Mais il est évident qu'ici Freud décrit le mouvement libidinal qui, de la mère, revient en partie au sujet à une période relativement tardive, pendant la phase érotique anale et retourne ensuite à la mère après la période de latence. Il est évident aussi que Freud ne méconnaît pas ici la précocité de l'auto-érotisme qu'il situe, ailleurs dans le texte, dès les premiers moments de la phase orale.

Balint se sert aussi de la contradiction frappante entre les deux affirmations de Freud qui donne successivement le Moi puis le Ça comme réservoir de la libido ; il repousse l'explication fournie par Hartmann, pourtant tout à fait justifiée, selon laquelle le Moi chez Freud peut signifier non seulement le Moi psychique proprement dit mais aussi le sujet tout entier et il conclut à une hésitation de Freud d'attribuer au narcissisme une origine primaire. Prenant dans leur sens le plus étroit les termes auxquels Freud, à dessein, donnait le sens le plus étendu pour laisser la plus grande marge à des découvertes et à des élaborations futures, Balint rejette les exemples devenus classiques en faveur du narcissisme primaire : le sommeil, la mégalomanie infantile, la schizophrénie. Il fait ressortir que l'attachement aux objets est perceptible dans ces divers états dont il néglige l'aspect narcissique pour affirmer qu'ils ne traduisent qu'une régression à une phase de dépendance plus étroite encore du monde extérieur ; dans le sommeil, l'investissement des choses en contact avec la peau, substituts du corps de la mère, constituent l'essentiel de l'aménagement libidinal. L' « amour » objectai est partout et il n'y a que lui puisque le narcissisme secondaire lui-même semble finalement contesté.

Cette théorie a soulevé de vives discussions. Pour ce qui nous intéresse, nous constaterons seulement qu'elle est en opposition avec la théorie du narcissisme, même dans sa première version dont cependant elle se réclame. L'ambiguïté de Freud qui, ici, donne l'auto-érotisme comme première manifestation sexuelle et, là, nous présente la relation au sein comme le prototype de la relation objectale achevée à la personne totale de la mère, a permis, à Van der Vaals par exemple, d'interpréter le même texte d'une façon opposée à celle de Balint.

Freud, en fait, semble avoir toujours reconnu à l'instinct, dès le


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début de la vie, un double courant dirigé vers le sujet lui-même et vers le monde extérieur. S'il paraît en 1914 donner une sorte d'antériorité à l'investissement narcissique du sujet qu'il exprime dans l'image de l'amibe rétractée sur elle-même, il nous décrit aussi et en même temps, les deux libido côte à côte et indistinctes, la libido objectale étant en somme prête à servir. Plus tard, dans Au-delà du principe de plaisir, il reporte ce dualisme, cette fois jusqu'aux bases de l'organisation biologique, au niveau cellulaire, la cohésion étant due à l'action de la libido de cellule à cellule, action d'ailleurs variable en intensité, certaines cellules, dit-il, remplissant leur mission jusqu'au sacrifice et d'autres faisant preuve au contraire, d'un narcissisme absolu.

La notion de ce double mouvement implique l'existence d'un mécanisme régulateur assurant l'équilibre entre ces deux forces de telle façon que le sujet et l'objet aient chacun leur part de libido ; cet équilibre, sans cesse rompu par les frustrations ou, au contraire, par les sollicitations par les objets, doit être à tout moment rétabli. L'identification en est un exemple.

Celle-ci, telle que Freud nous la décrit, apparaît clairement comme un processus à double fin. Elle assure, on le sait, la permanence de l'investissement objectai en dépit de la perte de l'objet puisque celle-ci est compensée par la prise en soi de ce même objet. Sa deuxième fonction n'est pas moins importante. Présent dès le début de la vie et concomitant aux investissements objectaux, le mécanisme qui aboutit à l'identification, soit qu'il soit précoce (identification primaire), ou tardif (tel le modelage, par exemple, d'un des éléments d'un couple sur l'autre ou d'un subordonné à son chef), assure le maintien de l'investissement narcissique. C'est en somme un moyen primitif, le seul, peut-être, au début, à la disposition du Moi pour que celui-ci puisse garder pour lui les « faveurs du Soi » en dépit de l'attirance exercée par l'objet.

Il est probable que ce mécanisme régulateur dont les variantes seront de plus en plus nombreuses et de plus en plus subtiles suivant les progrès du développement et se perfectionneront encore, même à l'âge adulte (Grunberger nous a donné une illustration clinique dans la perspective du rétablissement narcissique), est extrêmement rudimentaire au début de la vie et qu'il se réduit à ce moment à l'identification primaire. S'il fait partiellement défaut ou s'il se révèle insuffisant, les conditions d'une situation conflictuelle entre un narcissisme primaire utilisant toute la libido et des investissements objectaux massifs seraient réalisées. Nous pensons exprimer ainsi fidèlement la pensée de Freud qui plaçait au coeur de la deuxième théorie des instincts, le conflit


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libido narcissique-libido objectale. Cette opposition doit être reportée aux premiers moments de la vie.

La théorie du narcissisme n'exclut pas la notion d'un investissement périphérique primitif. Les travaux de Bowlby comme ceux de Spitz et les études de Lebovici et de Diatkine apportent sur ce sujet des documents très précieux. Les confirmations qui sont données ainsi aux intuitions de Freud quant aux investissements primaires d'objets, doivent nous garder, tout aussi bien, de faire du narcissisme le seul moteur de la vie psychique.

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L'anti-narcissisme

par F. PASCHE

« Si vous vouliez, pour vous, je ne serais rien, ou qu'une trace. »

André BRETON (Nadja).

Si l'intérêt d'une théorie est de permettre la mise en ordre et en relation des phénomènes observés, la dernière théorie freudienne des instincts, à mesure que le temps passe, se révèle comme aussi heuristique qu'elle pouvait, à sa naissance, le laisser espérer.

On sait le conflit qui oppose les champions du « narcissisme primaire » (Federn, Grunberger...) et ceux de l' « amour primaire » (Balint, Bowlby...), selon ceux-ci tout part de l'amour pour la mère et y revient, selon les autres c'est l'amour de soi-même qui est l'alpha et l'omega de l'affectivité.

Dans la mesure où leurs théories s'excluent on peut penser qu'ils ont également tort, mais si, au heu de les renvoyer dos à dos, on réunit leurs intuitions et leurs observations on devra admettre qu'ils ont les uns et les autres partiellement raison.

Balint a raison d'insister sur l'obligation de supposer à l'origine un investissement du milieu (même si cet investissement n'a de sens que biologique) ; Bowlby a raison de supposer un investissement à orientation objectale d'emblée ; mais Grunberger a raison de soutenir l'ubiquité du narcissisme. Chacun d'eux a tort de minimiser et parfois même de nier la destination libidinale inverse de celle qu'il exalte.

Freud, lui, comme Michel Renard vient de le montrer, a soutenu tranquillement les deux thèses et, selon nous, sa dernière théorie lui aurait permis, s'il en avait eu le temps, de justifier cette apparente contradiction, ce que nous nous proposons de faire tout au long de cet exposé.

Nous croyons en effet que, s'il est admis qu'Éros et Thanatos régissent l'unité somatopsychique du nouveau-né comme ils ont régi celle du foetus, il faut supposer d'emblée :

— Un investissement centripète direct, c'est le narcissisme que


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Tausk et Federn après lui ont décrit et celui que Grunberger postule dans ses travaux.

— Un investissement réellement centrifuge dont la division des organismes monocellulaires serait l'expression biologique la plus claire. Le sujet tend à se dessaisir de lui-même, à se priver de sa propre substance ou du stock d'amour dont il dispose et cela indépendamment des facteurs économiques. C'est bien une manifestation de Thanatos puisqu'il y a séparation et dispersion mais il ne s'agit pas d'agressivité.

La tendance originelle du sujet à se détruire (qu'il détournera secondairement de lui en attaquant les autres) doit être en effet distinguée de cette tendance, plus originelle peut-être, à se déprendre littéralement de lui-même, à céder de sa libido au profit éventuel de ce qui est au dehors. Ainsi, autrui pouvant bénéficier de cet apport, les buts d'Éros sont également, sinon toujours atteints, du moins visés.

Le sujet tend donc à la fois à se détruire et à se conserver, d'une part et, d'autre part, à s'appauvrir en faveur de l'objet en même temps qu'à s'imprégner de l'amour dont autrui dispose.

Cet exposé a pour but de mettre en lumière l'existence de cette tendance par laquelle le sujet renonce à une partie de lui-même. Nous proposons de désigner cette tendance par le terme d'anti-narcissisme, au sens où l'on dit anti-matière. La dernière théorie des instincts, si nettement dualiste, en exige selon nous l'individualisation car elle est à la fois corrélative du narcissisme primaire et son complément ; nous essaierons de montrer que la clinique ne l'exige pas moins. Enfin si l'amour objectai est, comme nous en sommes convaincus, autre chose que du narcissisme différé, elle en est le fondement.

Trois conséquences découlent à notre avis de ces propositions :

— Ce ne serait donc pas la faim seulement qui montrerait à l'amour la voie vers le dehors (Freud), cette orientation viendrait de plus loin.

— Ce ne serait pas seulement la présence du milieu externe nourricier (Balint), ni seulement une tendance vers l'objet en tant que tel (Bowlby) qui rendraient raison de l'amour primaire.

— Le masochisme ne serait pas seulement de l'agressivité (rebroussée, ou retrouvant sa destination primitive) additionnée de libido narcissique ; l'anti-narcissisme y aurait sa part.

Ainsi le mode de manifestation le plus essentiel du Je aurait une double polarité simultanée. Ce serait là la nature du Je. Federn a fait ingénieusement correspondre son narcissisme nodal aux expressions telles que : je suis, je vis, je crois (des verbes intransitifs : être, vivre, croître). Eh bien, nous pensons que ces expressions concernent en


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réalité le tout du sujet qui est à la fois cohérence active et dissociation, narcissisme et anti-narcissisme ; ces verbes ne sont pas tout à fait intransitifs. Est-il nécessaire de souligner que si le sujet n'existe comme tel que par ce double mouvement, la thèse d'un noyau aconflictuel du Moi (Hartmann) est erronée ?

Pour nous, les pulsions qualifiées selon leurs organes et leurs fonctions (orales, anales, etc.) ont toutes pour origine cette double tendance fondamentale du sujet et elles n'en sont que les diverses spécifications ; alors que pour Grunberger l'ensemble des pulsions s'oppose au seul narcissisme.

Quant à l'agressivité proprement dite, si son apparition semble plus tardive, en ce qu'elle est liée à l'achèvement du dispositif neuromusculaire et à l'unification du Moi, la pulsion destructrice qui la sous-tend n'est pas moins primitive que le narcissisme et son antagoniste ; elle se manifeste en effet dès le niveau intracellulaire (catabolisme).

Tout est régi par Éros et Thanatos, la dyade narcissisme antinarcissisme en est sans doute la première expression sur le plan psychique (elle correspondrait à la première phase orale d'Abraham), néanmoins l'auto-destruction et l'hétéro-destruction s'exercent déjà sur le plan somatique en même temps que la croissance se poursuit.

En tout cas, sur le plan psychique, c'est l'anti-narcissisme qui montre la voie aux investissements tant libidinaux qu'agressifs, et au besoin.

Mais présenter tout d'abord la définition d'un concept, même développée, n'est-ce pas commencer par la fin ? Nous n'avons procédé ainsi que pour être plus clairs sans oublier qu'un concept naît, ou devrait naître, de l'observation du concret, du pré-réflexif, du réel en un mot et c'est bien en considérant ce réel selon une certaine perspective que nous est apparu ce concept, ce mythe, à intégrer dans le système théorique que Freud lui-même a appelé sa mythologie. Justement cette perspective nous a été donnée il y a plusieurs décades dans Le narcissisme, une introduction et dans Psychologie collective et analyse du moi.

Freud, en effet, y décrit l'amour objectai par opposition à l'amour narcissique comme une sorte de vidage libidinal du sujet dans l'objet qui est ainsi survalorisé, alors que le sujet se trouve diminué, rabaissé d'autant, jusqu'à ce que l'objet l'investisse en retour et lui redonne


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ainsi quelque valeur. Ce ravalement est douloureusement ressenti si la déperdition est trop forte, si l'objet tarde à répondre à l'amour qui lui est témoigné. Le sujet peut souffrir de la perte de sa libido comme il peut souffrir de son trop plein et c'est là, selon Freud, le fondement du conflit entre libido objectale et libido narcissique. Ainsi se trouve posée l'éventualité d'un investissement à fonds perdu, ou qui risque de le rester ; ne sera-t-il pas question dans Au-delà du principe du plaisir de « certaines cellules pouvant pousser jusqu'au sacrifice d'elles-mêmes l'accomplissement de cette fonction libidinale »?

Tausk, en 1919, comme par une application anticipée de cette phrase de Freud « l'objet absorbe, dévore pour ainsi dire le Moi », a émis l'hypothèse que, dans les psychoses, le contre-investissement de l'objet et du corps projeté était dû à la crainte d'une perte irréparable en libido, le malade ayant l'impression d'être en quelque sorte aspiré, vampirisé par l'objet. Cette notion nous paraît tout à fait essentielle depuis que Michel Renard en a montré toute l'importance (1). Ainsi l'objet n'est pas seulement redoutable en ce qu'il peut être ressenti comme destructeur et destructible mais aussi parce qu'il peut être ressenti, par sa présence même dans l'horizon affectif du sujet, comme soutireur de forces vives, videur d'énergie. Ceci implique évidemment une tendance correspondante chez le sujet, que des dispositions intérieures et des facteurs extérieurs peuvent exagérer.

Mais si l'état amoureux et la psychose rendent manifeste cette effusion permanente du Je que nous appelons l'anti-narcissisme, celui-ci est à l'oeuvre dans toutes nos relations au monde tant réel qu'intériorisé. Si le philosophe a raison qui affirme que « la perception du point O est au point O », il faut donc que, d'une certaine manière, le sujet s'y transporte tout en restant où il est. L'ek-stase et le « pro-jet » des existentialistes sont des notions qui peuvent fort bien être intégrées dans notre métapsychologie, à condition toutefois de redonner du corps à ce Je qu'ils identifient au néant. Justement parce que le sujet n'est pas qu'un trou, n'est pas vide, n'est pas creux, n'est pas rien, il ne peut donner aux objets quelque chose de lui-même sans le soustraire de soi. Si regarder c'est prendre et même parfois dévorer, c'est aussi et tout d'abord atteindre à partir de soi ce qui est à regarder, puis s'y arrêter, s'y fixer et pour cela détacher de soi et laisser en place cette portion d'intérêt sien, de libido sienne sur l'objet. Même après que nous en soyons détournés, il reste pour nous comme étant toujours là, comme

(1) Dans Le Narcissisme, in Traité de psychanalyse (à paraître).


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existant au dehors (il en est ainsi du monde en général), ou, s'il s'agit d'un objet changé ou détruit, comme ayant existé. Nous ne sommes certains de la subsistance dû monde que parce que nous l'irriguons continuellement de notre propre sang. Il reste investi, comme on dit, cela signifie que nous y laissons quelque chose de nous-même dont nous ne disposons plus tant que dure l'investissement. L'accès au monde n'est pas gratuit.

La notion d'expansion narcissique est donc à critiquer en ce qu'elle implique souvent dans l'usage qu'on en fait une conception mystique de la libido assimilée à une substance dilatable à l'infini sans rien perdre de sa concentration. Or si le Je est le centre d'un noyau énergétique contenant une certaine quantité de libido, celle-ci peut-elle atteindre les lointains sans s'étirer, s'étendre sans se diluer, se partager entre de multiples objets sans se diviser, diffuser sans diminuer ; si cette libido qui émane de lui n'est pas rien, le Je ne s'en prive-t-il pas par cette émanation même ? Le point de vue économique cesserait-il d'être applicable à l'extérieur de l'unité somatopsychique ?

Cela ne signifie pas, bien entendu, que l'on pourrait détecter et mesurer la quantité de libido répandue sur les êtres et les choses qui nous intéressent (1), mais cela signifie que nous leur sommes voués, que nous les visons avec une intensité proportionnelle à l'importance qu'ils ont pour nous et aux obstacles qui nous en séparent. Disons que l'anti-narcissisme se définit par la destination extérieure plus ou moins lointaine de la libido. Cela ne signifie pas non plus un appauvrissement global de l'énergie impartie à chacun mais une répartition nouvelle de cette énergie doublement orientée dans une aire psychique d'étendue variable dont le Moi, avec son corps et les autres instances, n'est que le centre.

La métaphore de l'amibe doit être utilisée avec circonspection pour ne pas glisser dans une sorte de pan-narcissisme qui ferait croire que celle-ci ne projette ses pseudopodes que pour ramener à elle et en elle tout ce qu'elle a pu saisir afin de le digérer.

Cela n'est vrai en effet que de l'introjection qui aboutit à l'identification dans le Moi (encore cela n'exclut-il pas la possibilité de l'établissement d'une distance intérieure entre cette nouvelle identification

(1) Néanmoins l'objet-sujet, s'il perçoit l'investissement qui lui est destiné, reçoit quelque chose. Il peut en être angoissé ou rabaissé ou au contraire assouvi ou valorisé. L'amour d'autrui ressenti, s'il est d'une certaine qualité, est capable de refusionner les tendances désintriquées du sujet, de lui rendre ou d'augmenter sa propre estime. L'objet n'est pas seulement efficace par son absence et ses mauvais procédés.


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et les autres) (1), mais cela est faux de toutes les autres introjèctions, car en réalité l'objet installé au-dedans, quoique réduit à son image, garde son statut d'objet et se maintient à « distance » du Je.

L'univers psychique doit donc rester étendu et conserver ses deux pôles, cela contredit l'hypothèse d'une orientation unique de la libido que les seuls facteurs externes contraindraient à quelques détours. L'écartèlement permanent du sujet jusqu'aux confins objectaux est la preuve de la mise en oeuvre simultanée de deux tendances de même niveau, de même nature, dérivées chacune d'Éros et de Thanatos mais d'orientation opposée : le narcissisme et l'anti-narcissisme.

Mais si les relations normales avec le monde semblent nous donner raison, l'existence même des psychoses ne réfute-t-elle pas en bloc notre théorie en ce qu'elles sont traditionnellement considérées au moins dans leur première phase, soit comme la preuve de la toutepuissance du narcissisme, soit comme la conséquence d'un appauvrissement narcissique localisé (Federn) et non d'un jeu de tendances contraires ?

Or, il en est tout autrement. Quand l'objet paraît véritablement abandonné au profit du Moi et que les investissements retournés ne se fixent sur aucune image, le Je n'hésite pas à se scinder pour rétablir une distance et recréer un objet-sujet ; le vassal ensorcelé de la mégalomanie, l'organe hypocondriaque et, a fortiori, le persécuteur témoignent de l'irréductibilité de l'anti-narcissisme. L'explication de ce besoin de sortir de soi à tout prix pour élire un objet par le malaise dû à la surcharge n'est que descriptive et économique (2), elle est provisoire et réclame une élaboration qui permette de l'intégrer à la métapsychologie. Bien plus, une analyse du sentiment d'emprise magique, sous-tendu par l'impression d'être vidé de sa substance par un autrui maléfique, nous permettra de mieux fonder notre concept et de le préciser.

On sait que le problème des psychoses est dans l'incertitude constante du Je quant à son autonomie. Il ne s'agit pas, comme dans la dépression, d'être, ou non, « quelqu'un », ni, comme dans le syndrome

(1) D'ailleurs, s'identifier (en dehors évidemment de l'identification narcissique) ce n'est pas seulement prendre en soi l'objet, c'est aussi, et du même coup, hériter les objets de l'objet. C'est, par exemple, pour un fils, aimer désormais la mère à la façon du père, investir un nouvel aspect de la mère. C'est aussi tenter de se faire aimer par le Ça, par le Surmoi.

(2) Le narcissisme, une introduction.


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de culpabilité, d'être, ou non, coupable, mais simplement d'être en tant que sujet séparé et un, d'être un pour-soi. L'aliénation psychotique correspond subjectivement à cette impression d'être soumis à une volonté étrangère, à un autre sujet, non pas à la façon de qui, intérieurement libre, doit obéir à des ordres mais, dit le malade, à la façon d'un possédé, d'un envoûté ; nous dirons, nous, à la façon d'un organe du corps mû par la volonté de l'âme de ce corps. Quand le malade emploie des métaphores de causalité physique ce n'est que pour rendre plus naturelle cette emprise magique qui l'angoisse. La situation d'ailleurs peut être inversée ; au début et à la fin du processus en particulier, on se sent exercer sur autrui un pouvoir tout aussi exorbitant que celui que l'on va subir ou vient de subir, c'est la mégalomanie. Mais dans tous les cas le psychotique se mesure avec un autre ressenti comme situé au dehors ou provenant du dehors et c'est le caractère d'altérité et d'extériorité de cet autre affirmé par le sujet (alors que tout se passe sur le modèle des relations existant à l'intérieur d'un organisme) qui donne à ce pouvoir exercé ou subi la signification d'une tyrannie surnaturelle.

Il est légitime de rechercher l'origine de cette « conscience aliénée » dans la prime enfance (1), c'est, vous le savez, ce que Tausk a fait avec une profondeur inégalée depuis (« la machine à influencer »). Insistant sur l'importance du morcellement physiologique du nouveau-né dû à la non-myélinisation, il suggère avec une grande vraisemblance que les mouvements de celui-ci et les causes de ses sensations intéroceptives ayant été appréhendés tout d'abord comme lui étant extérieurs, leur progressive appropriation par le Je donne lieu à des impressions ambiguës de maîtrise et de sujétion mêlées que le psychotique revit, mais cette fois avec angoisse. Or, cette conquête projective à partir du Je ne s'arrête pas à la périphérie du corps. Que peut-on supposer du mode primitif d'investissement de la mère ?

Il est certain que non seulement l'apport de nourriture et les actes de la mère sur l'enfant de quelques semaines à quelques mois, mais les mimiques et les gestes de celle-ci en tant qu'exprimant des sentiments, même quand ils ne lui sont pas adressés, ont un effet direct sans médiation soit en agissant sur son état cénesthésique, ses sens et sa motricité, c'est-à-dire sur les ébauches constituant l'infrastructure du moi, soit en imprimant des schèmes d'imitation. Freud a fait remarquer

(1) A condition de ne pas projeter dans cette prime enfance des désirs élaborés, des représentations et des affects tous imperceptibles et d'ailleurs incompatibles avec le degré de maturation du nouveau-né.


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que les paroles que l'enfant prononce quand il commence à parler lui ont été tout d'abord véritablement mises dans la tête. Au début, il est effectivement mû par la mère dans nombre de ses actes, il ne peut en effet ni choisir ses réponses, ni les suspendre, ou à un faible degré, alors que plus tard l'on devra l'inciter, le solliciter puis le commander ou le prier. Sa sensibilité est également livrée à la mère et il ne peut se soustraire à l'empreinte du style de comportement et des sentiments de celle-ci. A cet égard cet enfant n'est pas moins aliéné que l'adulte qui souffre d'un délire d'influence, mais l'angoisse est en moins. Tausk l'a bien vu.

Ces réflexions ne préjugent pas l'importance du patrimoine génétique et de la spontanéité motrice mais tendent à faire sa part à l'induction parentale précoce indépendamment du nourrissage. Enfant et mère constituent à eux deux une unité complexe, où la mère est le centre annexe, mais essentiel et même dominant de la vie somatopsychique de l'enfant, vie qu'elle entretient, coordonne et modèle. C'est dire que le terme même d'unité que nous employons n'implique pas seulement une contiguïté spatiale plus ou moins étroite et d'importants services physiques mutuellement rendus, mais un investissement réciproque qu'il faut préciser.

Certes, il est utile de rappeler que si l'enfant est passif, dépendant, effectivement suspendu à la mère, cette passivité n'est pas simple inertie, elle est active, orientée vers ce qu'il est convenu d'appeler le pré-objet. La périphérie du corps est le siège d'une tension qui appelle, recherche les excitations comme par une sorte de turgescence. Si l'enfant était exclusivement narcissique il n'aspirerait à rien, il manquerait de quelque chose, ce qui est différent, les excitations du dehors ne l'atteindraient pas, ou à la façon de traumatismes. C'est ce qu'exprime l'expression « appétit de stimuli ». Mais cette tension n'a-t-elle pour but que d'amener l'objet au contact et finalement à l'intérieur du sujet ? Est-ce le besoin, identifié à la faim, qui fait tout d'abord sortir de soi et commande l'accès au monde extérieur ? Cela n'est plus soutenable depuis Au-delà du principe de plaisir, le besoin est devenu, en effet, comme tout autre investissement, l'une des formes de combinaison des deux instincts. Ceci implique que les premiers investissements ne seraient pas seulement de fusion et d'interpénétration mais aussi de distinction et de séparation ce qui a pour résultat de faire apparaître à côté du désir de rejection et de celui d'absorption un désir de confirmer en quelque sorte l'objet dans son statut et à sa place.

R. Spitz a fait remarquer que le nourrisson, dès qu'il voit, tète en


L'ANTI-NARCISSISME 5II

fixant son regard sur le visage de sa mère. Est-ce une sorte de captation par les yeux analogue et de même sens que la succion du sein, ou en est-ce la contrepartie ? La deuxième éventualité ne doit pas, selon nous, être écartée. Si le nourrisson boit sa mère des yeux, il l'intronise aussi, et du même regard, dans sa réalité et dans son ascendant sur lui. Ce serait par cette oblation libidinale dont le regard n'est que le mode le plus manifeste que serait conféré à la mère ce pouvoir régulateur et formateur que la prématuration en elle-même permet mais qu'elle n'exige pas.

Il ne s'agit pas de supprimer le plus tôt possible une tension mais de se livrer à l'Autre en l'investissant d'une puissance à laquelle on se soumet. Naturellement, il ne peut être question pour le nourrisson d'investir une « valeur » qu'il se représenterait pour la bonne raison qu'on ne peut lui supposer aucune représentation de ce genre, néanmoins il n'investit pas seulement la mère nourriture, il investit aussi cette mère en ce qu'elle forme effectivement son Moi (1), ce qui ne signifie pas qu'il la perçoit.

Ainsi l'enfant est situé d'emblée dans une hiérarchie somatique alors qu'il s'agira plus tard d'une hiérarchie familiale et, plus tard encore, sociale, mais à ce début de développement la mère est jusqu'à un certain point l'âme du corps de l'enfant. Ceci se situe bien avant le stade du miroir, où intervient le rôle inducteur de sa propre image, et précède immédiatement le rôle inducteur de l'image parentale dans sa totalité, il les préfigure comme il préfigure ce que nous décrirons comme admiration primaire et l'état amoureux. Voilà pour ce qui s'ensuit. Quant à l'origine de cette relation nous nous référons à la thèse freudienne de l'hérédité des caractères acquis reprise récemment par les biologistes cybernéticiens. Nous croyons en effet que l'enfant est héréditairement voué à un investissement ascendant en même temps que pourvu de schèmes objectaux potentiels que l'acquisition de l'activité sensorielle et l'aspect de la mère actualiseraient et spécifieraient.

Le sujet ne peut donc être considéré à part de l'objet, il lui est « promis » de fondation, il en apporte avec lui les rudiments en venant au monde. La monade par où rien ne peut entrer ni sortir est un fantasme narcissique, même si l'on accorde qu'elle peut s'entrouvrir pour se refermer à la fin. C'est pourquoi l'investissement narcissique participe de Thanatos en ce qu'il rompt avec l'objet qui est toujours

(1) C'est pourquoi le terme de dyade mère-enfant est difficile à maintenir, car l'un des pôles est dédoublé, en tant que la mère formatrice est le prédécesseur du père, elle lui garde sa place qui est ainsi déjà marquée et qu'il occupera comme exemple et conscience de l'enfant.


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déjà là, et c'est pourquoi l'investissement anti-narcissique en participe aussi en ce qu'il tend, à la limite, à aliéner le sujet de soi-même. L'unité naturelle n'est pas le Je mais le Je avec l'Autre, ce qui justifie la notion de nostalgie de l'objet perdu, elle ne pourrait être justifiée autrement.

La question surgit aussitôt de se demander pourquoi le psychotique s5efforce de nier la réalité des relations objectales élaborées pour revenir à la situation infantile d'emprise sans médiation, qu'il ressent comme si angoissante. L'examen clinique nous semble montrer que le phénomène basai des états psychotiques est l'impression de se vider de sa force vitale, d'être « vampirisé » : on lui vole sa pensée, sa virilité, on lui prend sa personnalité, on le contraint à des actes épuisants (masturbation, surmenage...). Tout cela traduit une dépense libidinale qui n'est pas tolérée par le Je parce qu'elle l'appauvrit en libido narcissique et libère l'activité de l'Instinct de Mort. Tout se passe comme si le Je ne parvenait pas à régler et à limiter la quantité d'investissement dévolue à l'objet, ou comme s'il était dans l'impossibilité de recevoir en échange l'amour de cet objet. Il en résulte l'affect d'angoisse désintégrante dite psychotique.

Quelle peut être la cause lointaine de cette incontinence ? Est-elle congénitale, organique et acquise, ou liée au manque d'amour ou d'expressivité de la mère au début de la vie ? Probablement ne doit-on pas s'en tenir à une cause univoque et, de plus, faire la part des traumatismes plus tardifs. En tout cas le sujet fuit l'objet et ses images et, pour les contre-investir, se surinvestit, il rassemble en lui tout l'amour dont il dispose, on sait que ceci est également générateur d'angoisse ce à quoi il s'efforce de remédier par la mégalomanie, l'hypocondrie et finalement la projection. Trois procédés qui rétablissent l'antinarcissisme dans sa fonction, donc la distance, mais au prix d'une scission du Je, c'est là la spaltung fondamentale. Ainsi la projection n'est pas une simple trajectoire de boomerang, il faut qu'un sujet second, ici cellule-fille du premier, renvoie la balle. Le mégalomane psychotique à l'encontre du maniaque, exerce à la façon du moteur immobile d'Aristote sa puissance sur « autrui », l'hypocondriaque donne à tel de ses organes un statut d' « autrui », le persécuté schizophrène crée de toutes pièces son double. Or, celui-ci a les caractères de la mère du premier âge, le malade est assujetti à son persécuteur comme un membre l'est au système nerveux central, son langage ne peut plus être que d'organe, ce sont des esprits animaux qui circulent entre eux sans solution de continuité, l'expression de Minkowski, « l'espace


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sombre », exprime admirablement cette situation. La mégalomanie n'est que la forme inversée de cette relation.

La psychose (1) qui est la reviviscence affirmée d'une certaine altérité et d'une certaine extériorité (la mère est à côté de l'enfant), se déroule néanmoins à l'intérieur d'un seul champ psychobiologique. C'est là son paradoxe. Une seule tendance libidinale (le narcissisme), même assaisonnée d'agressivité, ne peut en rendre raison.

Bien différente, et survenant après la subordination « organique » à la mère telle que nous venons de la décrire, est l'attitude fascinée de l'enfant en présence de l'adulte ou du grand aîné au moment où celui-ci lui apparaît prestigieux, au moment où l'enfant est capable de ressentir et d'exprimer l'admiration. Sidéré, avec une perte manifeste du sentiment de soi, il est hors de lui, tout entier dans l'objet de sa contemplation et comme anéanti par elle, car il ne s'y ajoute pas nécessairement de participation à la puissance de l'objet. Il est dessaisi de sa libido en faveur de celui-ci, mais ce n'est plus un pouvoir magique qui serait exercé sur lui qu'il investit, mais un prestige, une force, et non un sortilège.

Eh bien, l'identification primaire mégalomaniaque nous paraît dialectiquement liée à cet état qui l'annonce et dont elle procède. Ce que nous appellerons l'admiration primaire est le premier temps d'un processus qui aboutit à cette identification. Or les états dépressifs se rattachent à ce processus, alors que les psychoses se rattachent à la première relation mère-enfant et ceci fonde à notre avis la distinction de Freud, tardive mais, nous semble-t-il, inévitable, entre ce qu'il appelle les « névroses narcissiques » (la mélancolie et les syndromes voisins), et les psychoses. C'est que la différence de structure est ici globale, nous avons affaire à une autre « forme ». Si, en effet, dans la mélancolie le Je reconnaît la loi du Surmoi à laquelle il ne se soumet que trop, s'il en approuve le verdict, pas un instant il ne met en doute son autonomie par rapport à ce juge qu'il sait pourtant être intérieur. Ce sentiment d'autonomie est d'ailleurs la condition même de la reconnaissance d'une loi. Par ailleurs, il se désintéresse complètement des autres en tant que Je extérieur.

Rien de semblable à la psychose définie par le contre-investissement

(1) Ce que nous disons ici vaut tout autant pour la paranoïa et la psychose hallucinatoire qui nous paraissent être des schizophrénies plus ou moins maîtrisées.


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obstiné du dehors, l'affirmation erronée de l'extériorité de l'objet, le sentiment d'emprise magique, définie aussi comme résultant d'un vidage libidinal poursuivi jusqu'à la scission du Je inclusivement. Dans la mélancolie tout se passe à l'intérieur d'un sujet dont le Je reste un et ne commet aucune erreur topique, de plus il ne nie pas autrui, il s'en détourne ; le délire dans lequel versent certains mélancoliques, le syndrome de Cottard sont contingents, la clinique en fait foi. Lé maniaque ne met pas en cause non plus l'existence d'autruis distincts, il les « domine » par des actes et par des mots qui gardent leur signification habituelle ; sa fuite des idées, son agitation et la multiplicité, la précipitation, la labilité de ses entreprises témoignent d'une conscience profonde de la réalité d'un monde immense et résistant, monde que le schizophrène croit pénétrer et mouvoir sans bouger ni même penser.

Quant au phénomène normal d'admiration primaire, s'il y a vidage libidinal, il est en faveur d'un objet dont la puissance est naturelle et peut s'exercer sur les tiers et sur les choses autant que sur lui. Tout aussi naturelle est la toute-puissance de l'identification primaire mégalomaniaque.

En un mot, qu'il s'agisse du syndrome maniaque dépressif ou de sa préfiguration normale nous sommes déjà sous le règne du principe de réalité. Cela est lié sans doute à la prise en considération du père en tant que tel. La distinction entre ce type d'investissement (admiration primaire et identification primaire) et les autres investissements fonde, en effet, du côté des instincts le triangle pré-oedipien. Le père et la mère réels n'occupent pas nécessairement chacun l'un des angles de ce triangle, ou ne l'occupent pas nécessairement chacun à la place de son sexe et de ses titres ; en tout cas il apparaît alors une bipartition des attitudes de l'enfant entre celles qui appellent l'assouvissement, l' « avoir », et celles qui sont liées à l'apprentissage (c'est essentiellement la mère qui est en cause), d'une part, et, d'autre part, celles qui magnifient tel parent (dans l'évolution normale la mère d'abord, puis le père) et soi-même. Auparavant, il y avait le pôle du sujet et le pôle dédoublé d'un même objet : la mère, maintenant la triade est constituée.

Il est vraisemblable que ces deux types d'investissement sont en relation économique et dynamique. Michel Renard a déjà émis l'hypothèse que les frustrations orales matérielles normales seraient par une sorte de compensation psychique à l'origine de la mégalomanie infantile normale et que les mêmes frustrations excessives seraient la cause de l'hypertrophie de celle-ci et de sa persistance chez les prédisposés à la dépression ? Freud fonde cette hypothèse par cette notion rarement


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reprise depuis, selon laquelle la libido issue d'un objet peut « neutraliser », au moins partiellement, l'instinct de mort (c'est-à-dire les processus qui en dérivent) du sujet. Or, l'anti-narcissisme à l'oeuvre dans l'admiration primaire relève de Thanatos en ce que le sujet se sépare de sa libido. Il s'ensuit qu'un apport libidinal excessif pourrait bloquer ou entraver le processus de l'admiration primaire donc de l'identification alors qu'un apport libidinal insuffisant exagérerait ce processus. Et, comme le Surmoi et l'Idéal du Moi dérivent de l'identification primaire mégalomaniaque on peut trouver là une justification théorique des faits d'observation bien connus que certains enfants précocement trop gâtés édifient plus tard un Surmoi débile et un idéal du Moi assez bas situé, alors que certains autres qui ont été précocement trop frustrés (1) sont promis à un Surmoi sévère et à un Idéal du Moi trop élevé.

Naturellement, la fréquence et la qualité des contacts « physiques » avec la mère, de son sourire, de son regard, avec les sentiments qu'ils traduisent ont très tôt une importance aussi grande (mais est-elle de même sens ?) que la quantité, la composition, le goût de la nourriture. En particulier l'admiration primaire peut-elle s'établir sans excès ni défaut, si l'enfant n'est pas assez admiré ou trop ?

En tout cas, quelles que soient les conditions qui règlent l'effusion libidinale en faveur de l'objet admiré, du Surmoi, ou de l'Idéal du Moi elle ne peut être expliquée en elle-même par le narcissisme. Cette résignation du Je, allant d'ailleurs parfois jusqu'à l'abnégation, ne peut être comprise sans faire intervenir un second concept ; ce ne peut être par narcissisme que l'on renonce à son narcissisme fût-ce partiellement, fût-ce provisoirement. Le Je, certes, doit composer avec la réalité et en particulier être amené sous la pression de celle-ci à renoncer à sa mégalomanie en faveur d'un idéal mais, justement, il renonce, et il faut rendre compte de cette disposition à renoncer.

Nous nous sommes proposé dans ce travail de compléter la symétrie du Narcissisme, une introduction à la lumière de la dernière théorie des instincts et de fonder ainsi l'amour obj ectal en face de l'amour narcissique sans qu'aucun des deux n'ait le pas sur l'autre.

Il nous est apparu alors indispensable de proposer un concept

(1) Tout ceci relativement aux exigences de l'enfant qui peuvent être exorbitante? sur certains plans, ou, au contraire, minimes. D'autres facteurs également innés sont déterminant. Enfin des événements ou des situations ultérieurs sont aussi à considérer.


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nouveau et de le désigner par un terme nouveau : l'anti-narcissisme.

Selon la dernière théorie des instincts (Au-delà du principe de plaisir) la vie est régie par la compulsion de répétition qui se manifeste selon deux modes : une tendance à la fusion, à l'organisation (Éros) et une tendance contraire à la dispersion, à la décomposition (Thanatos). Aucune de ces deux tendances ne peut être isolée, la forme la plus simple sous laquelle on puisse les saisir est l'angoisse, où elles sont intimement mêlées, et qui résulte justement de leur mélange (1).

Dès le niveau du narcissisme et de l'anti-narcissisme un plus grand degré de complexité est atteint, s'il existe, comme nous le croyons, une relation originelle sujet-objet ou, plus exactement, une prédétermination originelle de cette relation, chacun de ces deux courants libidinaux relève à la fois- d'Éros et de Thanatos en ce que l'investissement ne peut se diriger vers l'un des pôles (objet ou sujet) sans s'écarter de l'autre.

Ce double mouvement se montre dans sa plus grande pureté à la phase pré-ambivalente que, d'ailleurs, il caractérise. Naturellement l'équilibre entre ces deux tendances antagonistes n'est probablement jamais atteint, ou aussitôt rompu. Et ceci nous amène à poser le problème de l'agressivité dont nous nous sommes efforcés de ne pas parler jusqu'ici pour être plus clairs, mais qu'il faut situer par rapport aux investissements étudiés. Que l'effusion libidinale soit excessive relativement à l'apport extérieur, le narcissisme (la force de cohésion) s'en trouve appauvri et les forces de dissociation interne prédominent, mais elles prédominent aussi quand le Je reprend aux objets et à son profit la libido qui leur est destinée car la surcharge libidinale entraîne la désintrication pulsionnelle (le Moi et le Soi). Tout excès dans un sens ou dans l'autre est au profit de Thanatos. Cette dissociation a lieu à l'intérieur, elle n'est pas cette fois en faveur de l'objet, elle est ressentie, dans la mesure où elle entre en conflit avec la tendance contraire, comme affect d'angoisse. A la phase pré-ambivalente cette angoisse s'exprime et s'apaise par une décharge motrice incoordonnée ; quand le système volontaire strié sera mûr, il y sera mis fin par une conduite agressive. C'est seulement à ce moment-là que l'on peut parler d'agressivité ; celle-ci résulte, selon Freud, et nous adhérons entièrement à cette hypothèse, de la conversion du « masochisme primaire » en tendance destructrice dirigée vers le dehors par le Je qui ainsi s'épargne. Si l'agressivité n'est pas primaire, elle n'en est pas moins enracinée dans

(1) L'angoisse et la théorie freudienne des instincts, F. PASCHE.


L'ANTI-NARCISSISME 517

le sujet puisqu'elle dérive des instincts fondamentaux ; elle n'est pas engendrée ex nihilo par les violences du monde extérieur.

L'agressivité se combinera au courant libidinal centrifuge ou s'y substituera, mais c'est celui-ci qui lui aura montré la voie, il en sera de même de l'investissement de retour sur le sujet. Freud a-t-il dit le contraire (1) ? Nous ne le pensons pas. Il faut en effet distinguer entre l'objet investi et l'objet perçu, entre l'effet de l'objet (sur le sujet) en ce qu'il existe, et son effet en ce qu'il est reconnu par le sujet comme tel. L'opération la plus primitive de celui-ci qui a pour fin d'absorber l'objet dès qu'il est mis en sa présence pré-suppose une distance préalable et son franchissement par l'émission libidinale. Il n'est jamais question, dans les travaux psychanalytiques 1 modernes, que du mouvement de prise en soi et jamais de celui qui permet tout d'abord d'atteindre l'objet et de s'y arrêter ; les conséquences théoriques, et peut-être cliniques et techniques, de cette omission ne nous paraissent pas négligeables, c'est pourquoi nous avons cru nécessaire d'introduire la notion d'anti-narcissisme.

En résumé

Freud n'a pas eu le temps de tirer toutes les conséquences de sa dernière théorie des instincts, ni de reprendre certains de ses textes antérieurs à la lumière de cette théorie. Nous avons essayé de réexaminer dans cette perspective la notion de libido objectale qu'on a trop souvent et trop brillamment identifiée au narcissisme. Narcissisme dérangé, narcissisme différé mais narcissisme. A moins qu'on ne prenne le parti contraire de voir l'investissement objectai partout et qu'on n'admette que le narcissisme secondaire, ce qui revient à faire de celui-ci un simple avatar de l'investissement objectal.

Ces positions extrêmes résultent d'un rejet implicite ou déclaré de la dernière théorie des instincts. Si l'on s'en tient au contraire à celle-ci, il nous semble indispensable d'introduire la notion d'anti-narcissisme. Pourquoi ce mot nouveau ? Pour donner à cette tendance corrélative du narcissisme, de même niveau et de sens contraire, une dignité conceptuelle égale à celle de sa contrepartie ce qui doit nous prémunir contre le risque d'une subordination réductrice de l'une à l'autre.

Nous nous sommes efforcés de mettre en évidence l'anti-narcissisme dans la perception, puis nous avons abordé ce qui passe pour le bastion le plus solide du narcissisme : les psychoses, nous croyons y avoir mis

(1) Les pulsions et leur destin, La négation.

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en évidence son contraire et avons avancé à partir de là quelques hypothèses sur les modes d'investissement les plus précoces, enfin nous avons essayé d'éclaircir le problème de l'identification primaire mégalomaniaque et les conséquences pathologiques lointaines de ses ratés, c'est-à-dire le syndrome maniaque dépressif et ses formes atténuées. C'est par une mise en place rapide de l'anti-narcissisme par rapport aux instincts fondamentaux et à l'agressivité que nous avons conclu.


Introduction à la discussion sur le narcissisme secondaire

par P. LUQUET

Les difficultés de ce problème viennent non seulement de l'ensemble des questions théoriques qu'il pose, mais aussi de l'imprécision du concept qui ne peut cependant être supprimé étant donné son intérêt dans l'ensemble de la théorie psychanalytique. Une définition simple, couramment admise, se fait par exclusion : est considéré comme narcissisme secondaire tout ce qui n'est pas narcissisme primaire. Cette définition suppose un concept clair du narcissisme primaire ; or, nous avons vu la difficulté qu'il y a à cerner celui-ci d'une manière précise dans nos discussions antérieures. L'ambiguïté des articles traitant du narcissisme secondaire vient de ce que chaque auteur a une conception légèrement différente et, souvent, plusieurs conceptions successives. Il en était nécessairement ainsi au début des recherches, et l'on trouve dans Freud plusieurs définitions. S'il est difficile de parler du narcissisme secondaire, il est facile de parler « autour » de lui, si bien que le concept demeure maniable, même lorsqu'il a été mal défini.

Freud en parle pour la première fois à propos de l'investissement du corps chez la femme lors de la puberté.

Puis il donna sa première définition issue de l'étude des névroses narcissiques : le schizophrène désinvestit l'objet et retourne la libido sur le Moi. Il aboutit ainsi à une position mégalomaniaque.

On peut discuter cette définition qui ne distingue pas précisément la régression du Moi et la régression objectale. Dans une première conception qui correspond au cas cité, le Moi abandonne l'investissement de l'objet. Il abandonne un investissement objectai pour retourner au narcissisme primaire. Il s'agit donc d'une régression à une forme structurale antérieure. La clinique montre que dans ce cas c'est l'inconscient qui est réinvesti, c'est-à-dire dans ma terminologie, une forme primitive du Moi et non le Moi. Nous pouvons dire qu'il s'agit d'une désintégration, d'une déstructuration.

Une deuxième conception de ce phénomène est toute différente. Le Moi introjecte une imago sur laquelle a été antérieurement projeté le Moi narcissique. Le sujet possède à l'intérieur de lui-même une


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représentations objectale (mégalomaniaque) confondue avec lui-même, Annie Reich a insisté sur ce mécanisme.

La seconde définition freudienne est donnée dans Le Moi et le Ça : le Moi fait effort pour être aimé par le Ça en s'identifiant à l'objet. Il le remplace dans une identification narcissique. Il y aurait alors transformation de libido objectale en libido narcissique. Ce phénomène s'accompagnerait de désexualisation. Dans ce sens l'identification se rapproche de la sublimation. Une telle conception entraîne obligatoirement la notion de libido désexualisée. L'énergie qui anime le Moi et le Ça provient de la réserve de libido narcissique, c'est-à-dire désexualisée ; cette énergie est susceptible de déplacement ; elle travaille pour le principe du plaisir, elle crée un investissement dans le Ça pour un objet indifférencié, ce qui constitue en soi une théorie du transfert. On remarquera qu'ici Freud est obligé d'hypothétiser des phénomènes complexes à l'intérieur du Ça : Le Ça se modifie par l'identification ; le Moi s'approprie la libido du Ça et l'intègre dans les modifications qu'il présente alors ; il y a désexualisation ; le Moi accapare la libido du Ça et travaille dans un but opposé à Éros. Au départ toute la libido est dans le Ça, le Ça investit l'objet, puis le Moi naissant cherche à remplacer cet objet et s'impose au Ça comme seul objet d'attachement érotique. C'est ainsi que le narcissisme du Moi est un narcissisme secondaire dérobé aux objets.

Pour un certain nombre d'auteurs, dont Tausk et Alexander, il y a investissement narcissique secondaire lorsque le Moi s'investit en tant qu'unité psychique. Pour Tausk cela se fait par identification au corps unifié, après un stade où le corps est considéré comme extérieur et comme une série d'objets partiels. Pour Alexander, c'est l'union des pulsions auto-érotiques sortant du chaos qui définit cette recherche de l'unité du Moi. Le terme narcissisme secondaire, est ici utilisé en tant qu'investissement du Moi apparaissant secondairement.

Pour Van der Waals, c'est la disparition de la sensualité qui donne son caractère particulier à l'investissement de la libido. Que ce soit la fonction du Moi, l'Idéal du Moi ou la structure du caractère, l'accent est mis sur la désexualisation.

La question véritable est de savoir si les difficultés théoriques rencontrées sont réelles, ou si elles proviennent de l'imprécision et de l'inexactitude de nos concepts métapsychologiques. Ceci entraîne obligatoirement à rediscuter les notions d'instances, de libido, etc., en même


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temps que le narcissisme, et montre le caractère privilégié de ce problème.

Je proposerai une définition provisoire approximative : il y a narcissisme secondaire lorsque l'investissement a pris un caractère spécial à la suite de l'établissement de la relation objectale, cet investissement étant ainsi différencié de l'investissement narcissique primitif. Comme au sens strict freudien toute libido objectale est sexuelle, on doit admettre ou bien que tout investissement reste sexuel, ou bien que ce caractère est perdu, et il paraît difficile d'éviter d'aller jusqu'à la neutralisation. C'est le pas franchi par Hartmann, qui est partisan par ailleurs d'un Moi héréditairement chargé d'une énergie neutre, qui lui confère un large secteur autonome. Il est évident que cette notion aboutit à un affadissement de celle de libido. Freud admet une libido du Moi distincte de la libido génitale ; celle-ci, par moments séparée, est, à d'autres moments, confondue avec un investissement « égoïste » dont elle représenterait l'élément libidinal.

Nous proposerons différemment : si au lieu de parler de libido sexuelle on parle d'investissement par une énergie d'origine biologique comprenant à la fois ce que nous avons considéré comme narcissisme primaire, et aussi toutes les tendances à la décharge du surplus d'excitation, en d'autres termes si on réunit les instincts du Moi avec les autres instincts, et si on précise que le rôle principal du Moi est d'essayer de mettre en oeuvre, selon ses moyens, puis de canaliser cette réserve d'énergie, en d'autres termes de régler les investissements, on comprendra les difficultés du Moi et on trouvera moins de contradictions théoriques. Dans une telle conception, le Moi est défini par son aspect expansif au service de la décharge ; ce n'est que secondairement qu'il sera obligé de se limiter en forgeant des contre-investissements pour maintenir en dehors de sa fonction de conscience, les premières formes de lui-même porteuses des pulsions primitives tendant à se décharger vers l'objet : formes non intégrées. La notion de Ça correspondrait à la nécessité où se trouve la réserve d'investissement biologique et énergétique de passer par ces premières formes devenues inconscientes avant de pénétrer dans le Moi ; ce sont ces formes inconscientes qui cherchent sans cesse à réenvahir le Moi et à se décharger selon les modèles initiaux. Il me paraît en effet que l'ensemble des tendances instinctuelles tendant à une décharge et fournissant l'énergie à la partie du Moi refoulée correspond à peu près au Ça de la théorie des instances. Une telle conception explique ses caractères contradictoires, les lois du Ça n'étant que les lois des premières formes du Moi.

Dans ces conditions, le problème des investissements se pose un peu


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différemment. Il y a un fond d'investissement dans le sens où tout organe en fonction contribue à la décharge et s'investit par là-même. L'activité du Moi primitif s'intègre dans le cadre de « l'auto-érotisme » au sens large du terme. Rien ne permet de penser que cette libido primitive, prête à se déverser sur l'objet de la pulsion, soit d'une nature différente de celle qui accompagne la décharge. Mais si l'objet est défini comme une zone particulière qui s'isole de l'indifférencié par le fait même qu'il n'est pas à la disposition du Moi, si l'objet tire sa gestalt de l'alternance des gratifications (des restaurations) et des frustrations (des destructions), on comprend que l'investissement de cette zone prenne une tonalité particulière. Lorsque l'objet s'extériorise complètement, surtout lorsqu'il entre en conflit avec le Moi, celui-ci n'a que trois solutions : désinvestir l'objet, se désinvestir lui-même, ou aménager la relation. La troisième solution ne lui étant pas encore possible, il va réagir à ce que l'on peut appeler le traumatisme fondamental : le détour par l'objet vis-à-vis de qui le Moi se sent de plus en plus dépendant. La première et fondamentale réalité, la réalité objectale, crée un appauvrissement de l'investissement illimité du premier Moi. J'ai décrit le mécanisme introjectif comme réactionnel au besoin de récupérer l'objet à l'intérieur du système, en fait comme un besoin de récupérer l'investissement qui est de nouveau placé sur le Moi. L'objet étant ramené à l'intérieur du Moi, il n'y a pas abandon de l'investissement objectai, comme dans la régression psychotique, mais investissement soit du Moi confondu avec l'objet, soit de l'objet érigé à l'intérieur du Moi. Dans les deux cas, même lorsque la libido est revenue « sur le Moi », elle garde son caractère objectalisé (1). Dans l'hypothèse la meilleure, où objet et Moi peuvent coïncider, entre autre par la qualité particulière de l'objet ressenti comme bon, le Moi se perçoit comme l'objet investi avec ses caractères de réalité élémentaire dépourvu d'une partie des projections du narcissisme primaire.

Bien que l'énergie d'investissement ait la même origine, cette libido objectalisée ramenée sur le Moi a probablement modifié certains de ses caractères (2). Ce retour de l'investissement du Moi par voie orale, que j'ai appelé le mouvement oral du Moi, précède le maniement de l'objet investi, sa délimitation, la possibilité de régler l'intensité de l'investissement, les diverses formes de maîtrise de l'objet, qui sont de struc(1)

struc(1) parce qu'on est aimé par l'objet, pouvoir se nourrir parce qu'on est nourri, est différent de la possibilité infinie de décharge primitive qui nie l'objet (oralité psychotique).

(2) On pourrait dire plus précisément encore que la même énergie d'investissement est utilisée dans une forme d'amour différente.


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ture anale. C'est seulement alors, que la reconnaissance de l'extérieur, l'apprentissage de la qualité de cet extérieur permettront de combler les mortifications narcissiques : « être aimé » va remplacer peu à peu « s'épandre sur le monde ».

Il y a une sorte d'hémorragie libidinale dans l'investissement de l'objet tout-puissant (par son pouvoir de modification de la souffrance). Le soi souffrant dans l'état mauvais a tendance à se désinvestir au profit de l'objet réparateur. La perte de cet objet bénéfique est alors semblable à la perte du bon état. Le Moi va demander à l'objet son propre investissement, dans son aspect de satisfaction et de réparation, jusqu'au moment où il pourra récupérer l'objet en son sein en réinternalisant ses qualités anciennement narcissiques devenues objectales.

Comme on le voit, ce mécanisme identificatoire par introjection est différent du mécanisme décrit par Freud dans l'identification narcissique ; comme lui il s'adresse à la libido objectalisée et est bien une organisation narcissique secondaire passant par l'objet.

Nous pouvons maintenant séparer, nettement ce qui est caractéristique du Surmoi et de l'Idéal du Moi. L'introjection structurante amène une profonde modification interne aboutissant à la création des imagos et du Surmoi. Le mécanisme décrit par Freud paraît être la base d'identifications plus tardives aboutissant à la formation du Moi idéal, ou mieux d'une représentation idéalisée du Moi : lorsque le Moi se considère comme objet d'amour pour lui-même et pour ses imagos, il tend à se modifier et à prendre l'attitude et l'aspect de l'objet.

A) Si celui-ci n'est pas distinct du Moi et si le Moi essaie de fusionner complètement avec lui (1), on se trouve devant le mécanisme d'identification narcissique psychotique sur lequel Bornstein et Annie Reich ont attiré l'attention. Il s'agit d'un Moi tendant à abandonner sa forme propre et ses contre-investissements par régression psychotique et qui investit ses formes primitives inconscientes en se désinvestissant lui-même. La différence de ces mécanismes correspond à des niveaux de déstructuration, ou si on préfère à des niveaux d'intégration, différents.

B) S'il n'y a pas régression psychotique, l'identification narcissique aboutit à un résultat tout à fait différent. Le Moi conserve sa forme propre sans régression, il s'adapte à la situation en modifiant seulement sa représentation de lui-même. Le Moi idéalisé ainsi apparu reste une formation vivante comparable à l'image compensatrice de

(1) Il s'agit bien entendu d'un objet très primitif, ayant reçu les projections de toutepuissance narcissique initiale ; c'est en cela qu'on a pu parler d'un retour à une forme de narcissime primaire.


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l'objet (1) que nous avons décrite par ailleurs. Cette image de lui-même doit être, à tout moment, recréée mais elle peut se maintenir rigide, entre autres sous l'influence du Surmoi, ceci d'autant plus facilement qu'elle représente des désirs narcissiques permanents du Moi. Cet Idéal du Moi est partie conscient, partie inconscient (entre autre sous l'influence du Surmoi inconscient), l'imago obligeant le Moi à maintenir cette représentation de lui-même. Si la valeur dynamique de cette représentation du Moi est considérable dans l'économie psychique, elle est différente dans son origine et dans son fonctionnement du système imagoïque.

Nous avons vu que par le mécanisme de l'introjection assimilatrice de l'objet, le Moi s'investissait lui-même. En même temps, il investit une image de l'objet à l'intérieur de lui-même. L'investissement secondaire du Moi dans ce dernier cas est imparfait. Les relations pulsionnelles et conflictuelles avec l'imago interne continuent de conditionner l'investissement du Moi, et les fonctions du Moi demeurent liées aux relations objectales internes.

En résumé, il y aurait donc trois formes d'investissement narcissique secondaire :

1) Un investissement réussi par rassimilation introjective : les fonctions du Moi sont devenues autonomisées ;

2) Un investissement narcissique secondaire partiel par introjection imagoïque, les fonctions restant liées au sort des relations avec l'image interne (Surmoi) ;

3) Un investissement d'une représentation interne du moi formant l'Idéal du Moi proprement dit.

Ce dernier est une véritable formation réactionnelle (le terme est de Freud) qui sert souvent d'appui au Surmoi et aux résistances qui en découlent, d'autant plus qu'elle sera chargée narcissiquement, c'est-àdire d'autant plus que l'investissement du Moi autonomisé sera faible. A l'extrême, cet Idéal du Moi peut aboutir à une véritable dénégation de la réalité du Moi, réponse aux mortifications narcissiques. Il dépend non seulement des besoins narcissiques primitifs du Moi (manque d'amour et d'investissement narcissique secondaire) mais aussi des relations avec les images introjectées originaires du Surmoi, images particulièrement exigeantes et idéalisées. A l'inverse, si le Moi est richement investi, entre autre par le jeu de l'introjection assimilatrice, il s'aime comme il se sent aimé et son besoin de représentation idéalisée est beaucoup atténué.

(1) Sorte de positif conscient du négatif qui constitue l'image inconsciente.


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DISCUSSION

A la suite des exposés précédents la discussion que je résume ci-dessous, va porter essentiellement sur la nature de l'Idéal du Moi et sur les problèmes économiques du narcissisme.

1) L'Idéal du Moi. — PASCHE, à la suite de Lebovici, précise à nouveau la définition que donne Freud de l'Idéal du Moi dans l'Introduction du narcissisme, définition qui donne au Surmoi, instance distincte, la tâche de vérifier dans une surveillance constante du Moi si la satisfaction narcissique est bien assurée en fonction de l'Idéal du Moi. L'Idéal du Moi n'est pas une instance, pour Freud il est issu d'un déplacement du narcissisme primaire et se juge comme lui possesseur de toutes les perfections. Dans la ligne de l'anti-narcissisme qu'il vient de dégager, Pasche montre l'Idéal du Moi comme résultant de l'admiration primaire (vidage du Moi dans l'objet) à laquelle fait suite l'identification primaire. L'Idéal du Moi n'est pas une instance, c'est un modèle, une image, des images diverses, qui conditionnent certaines exigences du Surmoi.

Pour GRUNBERGER, dans une évolution normale Surmoi et Idéal du Moi ne sont en effet pas discernables mais leur origine reste profondément différente. Le Surmoi est d'origine pulsionnelle (complexe d'OEdipe), il est imposé du dehors (Surmoi collectif, éducation) ; l'Idéal du Moi est d'origine narcissique, il est essentiellement individualiste, expression de l'indépendance du dehors. Quand l'évolution n'est pas satisfaisante un conflit fondamental naît dans le Moi qui doit satisfaire à la fois les exigences opposées du Surmoi et de l'Idéal du Moi. C'est la prise en considération de ce conflit qui amène à faire de l'Idéal du Moi une instance.

GRUNBERGER, nous le savons, distingue toujours totalement le narcissisme du monde des pulsions. Reprenant le terme de mégalomanie employé par Green dans sa communication, il précise que mégalomanie n'est pas maîtrise et que le narcissisme veut justement une toute-puissance sans maîtrise, celle-ci étant méprisée comme élément du réel. De la même manière, la satisfaction pulsionnelle mécontente le Moi narcissique dans la mesure où son estime ne lui a pas suffi et où il n'a pas obtenu la toute-puissance comme il la voulait. A l'appui de sa thèse Grunberger cite le cas de chaque femme (et de chaque homme en un sens) dont le désir est d'être aimé pour soi-même et qui renonce éventuellement à toute satisfaction pulsionnelle proprement dite pourvu que ce désir d'être aimé pour sa personne, sans apport pulsionnel, soit satisfait. Un homme peut également investir une idée, une valeur qu'il n'est pas possible de ramener à une relation pulsionnelle et en ressentir une volupté interne, totale.

GREEN admet lui aussi chez le sujet narcissique une distinction entre la satisfaction libidinale érotique et la satisfaction narcissique qui échappe au désir aliénant. Le plaisir narcissique correspond à la volupté de se sentir au-dessus de « Ça », de n'avoir pas besoin d'obtenir quelque chose, de n'avoir pas besoin de triompher, d'être en dehors.


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Pour E. KESTEMBERG, à rencontre de Grunberger, narcissisme et libido objectale sont deux expressions d'un même courant pulsionnel et la satisfaction ou le plaisir qu'apporte l'estime de soi ne lui paraissent pas différents dans leur essence des satisfactions libidinales objectales. La divergence de ces deux derniers points de vue parait se comprendre en fonction d'une conception sans doute différente de l'Idéal du Moi qui, pour l'un, est d'origine narcissique, non pulsionnelle, et, pour l'autre, naît d'une identification primitive aux objets parentaux et à leurs valeurs, identification qui reste très différente bien entendu de celles qui concourent à la formation du Surmoi.

MISES remarque subtilement que la construction de l'Idéal du Moi lui paraît en effet procéder parfois d'une tendance à prouver en quelque sorte sa liberté et à refuser la soumission au Surmoi en se proposant des buts aussi éloignés que possible des idéaux des parents. Pourtant, dans le fonctionnement habituel, on constate que cette tentative pour gagner et conserver sa liberté aboutit, quels que soient les efforts faits, toujours, inévitablement à une soumission au Surmoi.

DIAKTINE tente, dans les termes suivants, de relancer le débat sur l'aspect métapsychologique de l'appréciation de soi-même. « Il est classique de considérer que le Surmoi est d'autant plus agresseur du Moi que celui-ci diffère de l'Idéal du Moi. Beaucoup de patients se sont longtemps supportés faibles et chatrés parce qu'ils admettaient qu'un jour viendrait où l'on saurait qui ils sont, où ils pourraient se révéler puissants et phalliques. Dans la vie humaine, des moments surviennent où ce rêve de devenir devient impossible, et où s'impose au sujet l'idée que les jeux sont faits. Le fantasme devient impossible, le sujet entre dans la dépression, car il sent ne jamais pouvoir posséder l'objet qui lui permettrait d'être aimé. Cette tendance dépressive peut entraîner par défense secondaire des remaniements structuraux relatifs provoquant le début apparent de la maladie — ou bien déclencher d'authentiques accès dépressifs allant jusqu'au suicide. »

2) Le point de vue économique de l'équilibre narcissique ainsi introduit, GRUNBERGER répond que dans les conditions normales il y a justement dans le narcissisme un élément qui met à l'abri d'une évolution aussi grave. Dans une certaine mesure nous sommes tous en dehors des contingences, de l'espace et du temps : nous ne survivons, malgé la précarité, la brièveté de la vie humaine que grâce à la notion inconsciente d'immortalité, ou à celle d'être, par certains aspects de notre psychisme, en dehors des conditions purement physiques, ou physiologiques de l'existence. L'individu narcissique, le déprimé par exemple, est toujours entre la micromanie et la mégalomanie, il n'accepte pas l'image qu'il a de lui-même. L'accepter est fonction d'une évolution au terme de laquelle le narcissisme permet, compte tenu du sens de la réalité, des exigences du monde extérieur, et de celles du Surmoi, d'être en quelque sorte l'étalon de sa propre valeur.

FAVREAU fait alors remarquer que dans l'équilibre entre la position dépressive et la position mégalomaniaque, il faut faire sa place au rôle du plaisir, sans oublier surtout que le plaisir c'est le désir du plaisir. « Je crois que dans le désir du


INTRODUCTION A LA DISCUSSION SUS LE NARCISSISME SECONDAIRE 527

plaisir, il y a une mise en action de telle ou telle zone érogène ou d'un ensemble de zones érogènes. A ce moment-là une angoisse apparaît, une peur, qui fait que le sujet renonce au plaisir pour revenir à une position narcissique et accentuer son narcissisme. Il me semble que nous sommes assez proches sur une notion, celle de la position phallique, d' « être phallique ». Je crois que, si on prend l'exemple banal de la fille, on peut aussi bien prendre l'exemple du garçon, mais le problème de l'angoisse devant la pénétration peut être plus facile et plus net à décrire au sujet d'une fille ; une fille, un être femelle, disons humain femelle, peu importe l'âge, en présence du pénis du Père, a pour ce pénis un désir. Ce désir met en jeu un certain nombre de zones érogènes mais aboutit, en fait, à un désir d'être pénétrée. Ce désir d'être pénétrée met en jeu une peur, peur plus ou moins forte, peur d'être détruite, qui aboutit à ce qu'elle refoule ce désir. Elle ne peut pas abandonner ce désir, elle le refoule mais elle ne peut pas l'abandonner, il prend une valeur énergétique, et, à ce moment-là, je crois que ce désir se transforme en désir d'être désirée, ce qui fait qu'elle tend vers une position consistant à ce que son corps ou à ce qu'une partie de son corps devienne objet du désir de l'autre. Elle jouit alors d'être l'objet du désir de l'autre. C'est un début de l'accentuation de sa position narcissique,, Mais comme le désir de l'autre lui inspire ou a tendance à lui inspirer un désir, lui rend son refoulement difficile et nécessite la mise en jeu de mécanismes de défense de plus en plus forts, à ce moment-là elle est obligée de refouler encore, de déplacer puis d'abandonner son désir d'être désirée et de transformer ce désir d'être désirée en désir d'être l'objet de l'intérêt, de manière à ce que justement le désir du plaisir érotique suscité par les zones érogènes n'existe plus dans sa conscience et ne provoque plus chez elle d'angoisse. C'est ainsi qu'elle devient un phallus, et qu'elle prend une position qui est une position phallique ; ce sera l'intelligence, ce sera le langage, ce sera un certain nombre de choses qui feront qu'elle deviendra objet d'intérêt. Elle cherchera à être objet d'un culte et c'est là, je crois, que la position du Narcisse devient délirante. Ce phénomène peut se produire à la quarantaine, à la ménopause, à n'importe quel âge, et nous le trouvons chez un certain nombre de patients mis dans certaines conditions ; effectivement, à ce moment-là ils se suicident. Mais ils ne se suicident pas, je crois, parce qu'il s'agit d'une réalité : la brièveté de la vie, la vanité des choses de ce monde, etc., mais parce qu'une position essentielle qui est le phallus ne tient plus, et qu'elle ne peut pas à cet instant être remplacée par justement la reprise, la remise en marche du désir de plaisir, chez ces sujetslà le désir du plaisir étant particulièrement angoissant. A ce point de vue je pense, Mme Braunschweig a donné ce matin un excellent exemple. La difficulté en effet dans ces analyses, c'est que nous ne pouvons pas laisser les patients avoir une expression libidinale, une prise de conscience de désir libidineux à notre égard, car ils sont alors trop mis en danger. »

FAVREAU, dans cette intervention, n'a, comme le fait remarquer Green, considéré que le destin libidinal érotique sans s'intéresser à la position narcissique pure, au plaisir élationnel décrit pas Grunberger, mais cette dernière question ayant été reprise après la communication de Grunberger je résumerai plus tard ce qui s'y rattache.

Pour conclure sur le problème économique du narcissisme, je cite Diaktine


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répondant plus directement à une question posée par Nodet à propos de l'investissement narcissique attaché à l'exercice même de tout investissement pulsionnel. « Nodet a posé une question fort intéressante, et j'aimerais qu'on y revienne. Investissement objectai et investissement narcissique constituent un équilibre sur lequel Freud a toujours insisté. Si l'un se renforce aux dépens de l'autre, l'un et l'autre s'étayent dans la mesure même où l'objet et le Moi se constituent et évoluent dans un mouvement contradictoire dont les composantes ne peuvent se concevoir isolément. L'investissement de l'objet implique un manque, une hallucination négative, fondement de l'introjection. Le passage de la discontinuité biologique à la continuité psychologique est marqué par le double investissement. La poussée instincruelle est continue. Quel que soit l'état physiologique, le sujet ne connaît plus l'état de Nirvana — où la tension pulsionnelle deviendrait nulle. La constance du désir fonde à la fois la permanence de l'objet et du Moi. Suivant la capacité plus ou moins grande du Moi à agir sur l'extérieur pour diminuer le déplaisir (principe de réalité), où à se protéger contre les conséquences des frustrations (contre-investissement narcissique), l'équilibre économique entre les investissements objectaux et narcissiques sera différent. Cette continuité donne au psychisme humain sa dimension spécifique ; elle polarise en fonction de l'opposition plaisir-déplaisir le perçu dans sa permanence, avant qu'il ne constitue le signifié par sa relation avec le signifiant dans le langage. Elle organise rétrospectivement — selon nous — le narcissisme primaire — fantasme de ce qui aurait existé virtuellement avant la frustration inhérente à l'investissement objectai et au principe de réalité — et qui leur est fondamentalement lié dans sa contradiction même. »


Le narcissisme, gardien de la vie

par S. NACHT

« J'aime, j'aime...

« Et qui donc peut aimer autre chose que soi-même ? »

Paul VALÉRY (Fragments du Narcisse.)

Le terme de narcissisme est, dans le vocabulaire psychanalytique, d'un emploi aussi fréquent qu'ambigu. En effet, le mot évoque d'abord, pour tout un chacun, l'amour de soi. Et pourtant nous voyons que l'amour dont s'aima Narcisse le conduisit à rechercher la mort. Étrange amour où le sujet détruit d'un coup ce qu'il aime, c'est-à-dire lui-même.

On nous dit de Narcisse « qu'il s'éprit de sa propre image en se regardant dans les eaux d'une fontaine au fond de laquelle il se précipita ».

Ce que nous savons aujourd'hui du narcissisme secondaire nous fait interpréter le mythe dans un sens qui lui enlève, certes, de sa poésie mais en complète la signification : dans la mort Narcisse se fondait à tout jamais avec lui-même — avec lui seul — excluant ainsi tout autre lien possible avec autrui.

Mais la conception freudienne du narcissisme, qu'il a appelé « narcissisme primaire », est bien différente du narcissisme secondaire, puisque au contraire Freud y voit une fonction protectrice de la vie. C'est pourquoi il semble regrettable que, dans la littérature psychanalytique et même dans les discussions entre psychanalystes il soit généralement question de « narcissisme » tout court sans tenir compte du caractère si différent de ces deux aspects qu'il importe de distinguer en narcissisme primaire et narcissisme secondaire.

Ce narcissisme primaire « gardien de la vie » exerce sa fonction protectrice dès la naissance et tout au long de la vie. Il est ce par quoi l'homme adhère à la vie et se maintient dans la durée, il est cette force de cohésion qui le pousse à exister, à croire à l'unité, pourtant fragile, de son corps. Peut-être cette forme de narcissisme est-elle même une des conditions essentielles de la vie. Elle est, en tout cas, une fonction commune à tout être humain.

Certains pourraient voir là une sorte de variante de l'instinct de conservation, mais le narcissisme en est cependant différent. D'autres seraient tentés de l'assimiler à ce que Freud a appelé ailleurs l'Instinct de vie, mais celui-ci, tel que Freud l'a défini, est animé par Éros, ce qui


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n'est pas le cas du narcissisme primaire. Disons cependant qu'il y a une parenté certaine entre l'instinct de vie, le narcissisme primaire et l'instinct de conservation, le narcissisme gardant toutefois un sens plus large et certains aspects qui lui sont propres.

Si l'on veut réduire le psychisme humain à ses structures essentielles, on le voit constamment attiré par l'un ou l'autre de deux pôles opposés : vivre-mourir, aimer-haïr, construire-détruire. Le « narcissisme primaire » tend à favoriser tout ce qui entretient en l'homme l'adhésion à la vie. S'il abdique, l'homme laisse se défaire tous les liens qui l'attachent à l'existence. Prenons, par exemple, le cas d'un homme en danger de se noyer. Il arrive qu'après avoir longtemps lutté contre les vagues, il finisse par couler parce que la lutte l'a épuisé. Des facteurs extérieurs à lui-même ont eu raison de lui. Mais il arrive aussi qu'un homme se trouvant dans les mêmes conditions ne lutte pas. Après quelques brasses, il se laisse couler. Ici l'épuisement n'est pas en cause. Tout se passe comme si l'homme ne s'aimait pas assez pour s'efforcer de se maintenir en vie. Le « gardien de la vie » semble avoir abdiqué, renoncé à sa fonction. Cet exemple grossit à dessein — et place à l'échelle du corps tout entier — un processus qui s'exerce peut-être de façon plus subtile au niveau des organes, des tissus, voire même de la cellule.

Ce que l'on appelle le terrain, la prédisposition — c'est-à-dire la réceptivité — à certaines maladies pourrait bien être l'effet d'une perturbation survenue dans la fonction du « narcissisme primaire », lequel laisserait alors s'ouvrir les brèches par lesquelles pénètrent dans l'organisme les ennemis qui peuvent le détruire. Disons que l'affaiblissement du narcissisme primaire semble rendre l'homme plus vulnérable à tout ce qui peut attaquer sa vie.

Par contre, un danger extérieur en tant que tel ne saurait porter atteinte au narcissisme primaire, n'a pas d'action directe sur lui, autrement dit ne peut couper l'homme de son besoin de vivre. Seul un manque, éprouvé intérieurement par l'individu comme essentiel, peut perturber le narcissisme primaire et saper les forces de ce gardien de la vie. Si quelque chose qu'il ressent comme essentiel lui manque, l'homme voit s'effriter cette cohésion nécessaire à l'existence. Il ne s'aime plus, il n'aime plus sa vie et cesse d'y adhérer. Le narcissisme primaire s'éteint en lui, ouvrant ainsi les portes à l'ennemi.

Or, l'observation nous montre que c'est au cours du stade préobjectal que le narcissisme primaire est le plus vulnérable. La relation mère-enfant est, en effet, à ce stade, si étroite qu'on peut la qualifier de fusionnelle. Il s'ensuit que si la mère fait défaut, si son amour est


LE NARCISSISME, GARDIEN DE LA VIE 531

insuffisant ou absent, tout manque, tout fait défaut à l'enfant, y compris le besoin de vivre. L'enfant s'aime comme sa mère l'aime, puisqu'il ne se sent pas encore distinct d'elle, et si elle ne l'aime pas il ne s'aime pas non plus. Il va sans dire que cet amour n'est pas ressenti exactement comme tel en ce début nébuleux de la vie, mais qu'il est plutôt éprouvé comme un « climat » absolument nécessaire, tout comme une plante a besoin d'air et de lumière pour pousser et s'épanouir : privée de l'un et de l'autre, elle meurt ; privé d'amour, le petit enfant ne peut s'enraciner solidement dans la vie.

Spitz a fort bien décrit le cas du tout petit enfant qui dépérit, frappé d'un mal qu'il a appelé « l'hospitalisme ». Il ne manque pourtant ni de nourriture ni de chaleur, il ne souffre ni de la faim ni de la soif mais d'un manque affectif fondamental auquel son équipement neurophysiologique ne lui donne pas encore les moyens de faire face.

C'est pourquoi tant que le stade objectai n'est pas atteint, c'est-àdire tant que la relation duelle sujet-objet ne peut s'établir, la réponse destructrice qu'appelle inévitablement toute frustration grave ne saurait se diriger contre l'autre puisque l'autre c'est encore, au stade pré-objectal, une partie de soi-même. Au lieu de s'extérioriser contre l'autre, cette réponse destructrice s'étale donc, en quelque sorte, sur place, se répand d'emblée à l'intérieur du psychisme de l'enfant, atteint les sources mêmes de sa vie. Car les forces narcissiques primaires participent d'un ensemble de forces qui animent et entretiennent la vie. Aussi sont-elles à l'oeuvre dès le tout début de l'existence, et toute perturbation qui les atteint est une menace pour la vie même. Tant que le petit enfant ne dispose pas encore d'une possibilité d'action motrice, musculaire, qui lui permette de se protéger à sa manière, d'aller vers l'objet ou de le fuir, de le saisir ou de le rejeter, on comprend que seul le narcissisme primaire lui soit une protection intérieure agissant au niveau des manifestations les plus subtiles de la vie, et sur le plan physiologique peut-être au niveau de la cellule même.

Tout autre est le rôle du narcissisme dit secondaire qui, lui, s'exerce comme une défense contre l'objet d'amour lorsque celui-ci est redouté en tant qu'objet — et plus spécialement en tant qu'objet du désir sexuel — suscitantune grande peur inconsciente localisée au sexe du sujet. Le narcissisme secondaire apparaît donc ici comme défenseur non de la vie mais du sexe, sur lequel, d'une façon tout à fait inconsciente, l'individu sent peser une menace. Ici, le narcissisme ne défend pas la vie, mais, dirons-nous, l'organe qui est lui-même source de vie. Par extension, toute atteinte à l'intégrité de l'ensemble du corps peut être ressentie de façon analogue.


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La crainte inspirée par l'objet d'amour ou de désir sexuel fait subir à ce désir une régression : il cherchera d'abord sa satisfaction dans l'auto-érotisme infantile et pourra prendre plus tard des formes diverses de perversion sexuelle. Chez de tels sujets, cependant, lorsque le besoin d'amour est éprouvé à un niveau plus évolué du développement de la personne, il arrive qu'un investissement objectai semble se produire, mais en fait ce n'est là qu'une illusion : l'objet apparaît en définitive comme un reflet du sujet lui-même, qui tel Narcisse n'aime en lui que sa propre image. Ce qui caractérise l'amour narcissique secondaire tel que nous venons de le décrire c'est précisément d'être vécu comme si l'autre, n'ayant pas d'existence propre pour l'inconscient du sujet, ne pouvait de ce fait être dangereux en aucune manière. Ne voyant en l'objet qu'un reflet de lui-même, comment pourrait-il le redouter ?

Les poètes ont souvent saisi et exprimé le langage de l'inconscient mieux que quiconque. Aussi lisons-nous dans le Narcisse de Valéry :

Nymphes ! si vous m'aimez il faut toujours dormir,

Votre sommeil importe à mon enchantement

Il craint jusqu'au frisson d'une plume qui plonge...

Pour Narcisse, l'enchantement ne peut naître que si l'autre — la femme — est rendue inoffensive et comme absente par le sommeil, car il craint, dit-il, « jusqu'au frisson d'une plume qui plonge ». Où trouver plus belle image de cette peur furtive, secrète, tenace de la castration ?

Il y a quelques années, me basant sur l'observation psychanalytique de l'adulte au cours du traitement, j'avais formulé l'hypothèse de l'existence d'un masochisme primaire organique dont les sources remonteraient au stade pré-objectal. Les observations directes faites par R. Spitz sur le tout petit enfant semblent apporter une confirmation de cette hypothèse, qui s'éclaire mieux encore si l'on y introduit le concept de narcissisme primaire, « gardien de la vie ».

Nous avons vu, en effet, les conséquences que peuvent avoir pour l'enfant, certaines frustrations graves, à ce stade pré-objectal où il se confond encore avec la mère dans une union indifférenciée. La réponse destructrice à la frustration, imprégnant alors l'enfant lui-même — faute de pouvoir se manifester contre un « autre » distinct de lui — devient précisément ce que j'appelais le masochisme primaire organique.

L'étude du narcissisme primaire nous permet d'ajouter ici que lorsque celle dont la vie dépend n'apporte pas l'amour dont l'enfant a besoin, lorsqu'elle se dérobe de manière excessive, l'animateur de la vie perd son souffle, le « gardien de la vie » abdique et s'éteint.


Théorie du narcissisme

de Federn (I) (Psychologie du Moi)

Les bases de sa théorie

1. SON EXPÉRIENCE DU TRAITEMENT DES PSYCHOSES. 2. SON OBSERVATION DE SOI-MÊME, DU RÊVE ET DES MALADES DÉPERSONNALISÉS ET ESTRANGÉS.

I. — LA CLINIQUE DU TRAITEMENT DES PSYCHOSES

I. Federn affirma que « c'est une véritable psychanalyse » alors qu'il décrit une technique profondément différente

Le malade et le médecin sont tous deux assis, l'attitude du médecin est systématiquement gratifiante, la collaboration de la famille ou d'un auxiliaire est indispensable, les heures de séance sont inhabituelles. On évitera les attentes exagérées, les honoraires trop élevés. Dans cette situation le médecin s'efforcera de reconstruire des résistances, de créer le refoulement.

2. Transfert et contre-transfert

C'est indirectement que Federn nous parle du contre-transfert, lorsqu'il nous dit : le transfert doit être gagné par la sincérité, la bonté, la compréhension et le respect de son malade. Le transfert doit être « nourri » par des gratifications orales au besoin. Le schizophrène a besoin d'une mère « pour qui le destin d'une autre personne est plus important que le sien propre ». C'est le fondement même du contretransfert dont l'observation princeps de Federn est l'exemple (il prend

(1) Ces notes ont été rédigées par M. Bénassy et distribuées avant le colloque afin de servir de base à la discussion des théories de Federn.

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sa malade chez lui à demeure). Son attitude profonde s'exprime incidemment dans quelques remarques : « Traiter un schizophrène c'est traiter plusieurs enfants », « le but du psychanalyste est d'éviter la mort de tout patient spécialement si sa mère est vivante ».

Le transfert doit être positif, c'est le seul utilisable, il faut toujours le maintenir, jamais le liquider. Tout malentendu doit être éclairci en fin de séance, mais le transfert ambivalent n'est pas une résultante (grâce à des formations réactionnelles) c'est un « déchirement ». Le transfert positif est donc instable et il est nécessaire de disposer d'une auxiliaire féminine pour le psychanalyste masculin afin de rétablir le contact par son intermédiaire.

Le transfert positif est utilisé pour refouler le matériel libéré, mais surtout il sert de point de départ.

« Le vécu d'un bon transfert est la principale réalité normale du psychotique, c'est en partant de ce vécu qu'on peut élucider les fausses interprétations récentes. »

On peut maintenant distinguer à travers les redites et les imbrications trois phénoménologies, celle de l'état psychotique, celle du début de la psychose, celle de la guérison.

3. L'état psychotique Il est caractérisé par :

a) la confusion du présent et du passé, une émotion réactive directement toutes les émotions semblables du passé ;

b) la confusion du symbole et de la chose symbolisée, de l'idée et de la réalité. La réalité prend valeur de mot, le mot valeur de réalité.

Pour décrire cet état, Federn fait intervenir le désinvestissement des limites du Moi, ainsi, ces limites disparaissant, les idées sont vécues comme réelles. Les processus mentaux qui ne sont plus contenus dans les limites du Moi sont appréhendés par le Moi corporel comme venant du dehors. Il en est de même dans le vécu. Et Federn fait allusion sans les décrire aux différences phénoménologiques subtiles qui existent entre des limites du Moi investies et des limites non investies.

4. Les débuts de la psychose

Il faut les chercher dans les conflits défensifs lointains et dans un épuisement de la Libido par des blessures narcissiques.

A l'affirmation de Freud, la perte de réalité libère les impulsions inconscientes, il oppose la sienne, la pensée gagnant en réalité, la réalité se perd. Il appuie son affirmation sur les arguments suivants :


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a) la perte de la réalité a toujours été précédée d'un sentiment d'étrangeté dû à un changement d'investissement libinal des limites du Moi ;

b) la première fausse réalité survient non pas à propos d'un événement mais à propos du souvenir d'un événement récent. Elle est due au retrait de tout l'investissement des limites du Moi.

Dès lors, toutes les pensées deviennent réelles, les faits objectifs sont interprétés en fonction de faits faussement réels, la réalité objective scotomisée.

La perte de la réalité ce n'est pas le premier pas, c'est le deuxième pas, mais vers la guérison.

Federn voit bien le rôle joué par l'image corporelle et trouve dans l'hypocondrie un exemple d'altération des limites du Moi : un organe surinvesti est vécu hors des limites du Moi, et cite Bibring. Les fausses perceptions paranoïdes du monde partent de l'extraterrioralité d'organes internes.

Il nous rappelle ailleurs (1947) que des changements de poids entraînent des troubles du Moi corporel et des symptômes hypocondriaques, que des médications hormonales modifiant les sensations proprioceptives du Moi peuvent être des causes déclenchantes de la psychose.

5. La guérison de la psychose

a) L'action du médecin :

Sa technique consiste à donner trois sortes d'explications. Les troubles du malade sont dus — à des blessures provenant du monde extérieur — à des retours à des états passés du Moi qu'il faut refouler ou reconnaître comme des souvenirs — l'étrangeté de l'état vécu par le malade est dû à des processus internes.

On s'attachera à rétablir les résistances en supprimant les associations libres, l'analyse du transfert positif, en évitant le transfert négatif grâce à l'attitude de l'analyste et par des explications, en évitant la psychose de transfert (on n'introduira pas la personne de l'analyste dans la relation) en évitant l'analyse des résistances de contre-investissement, on analysera seulement les résistances à la guérison. On acceptera le monde du malade pour montrer ensuite le lien entre frustration et falsification, la crainte, les modifications des limites du Moi et leur utilisation comme défense.


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6. Les processus de guérison

et non pas mécanisme pour rester dans l'esprit de Federn.

Le malade prend intérêt à ses perceptions nouvelles, il s'intéresse au fonctionnement de son Moi qui devient objet d'observation et de raisonnement. Il rétablit ainsi les limites de son Moi. L'introduction, dans le narcissisme, d'un intérêt objectif transforme l'investissement narcissique en investissement objectai. Il en résulte un intérêt pour l'analyste, pour le traitement, pour les activités antérieures.

COMMENTAIRE

1. C'est une psychanalyse :

On peut mettre en doute a priori qu'une technique complètement différente de la technique analytique s'appliquant à des malades différents puisse aboutir à une formulation théorique identique.

Nous pensons qu'en fait Federn aboutit à une formulation compatible avec celle de Freud.

2. Le vécu d'un bon transfert est la principale réalité normale du psychotique :

Cela implique la sincérité totale du contre-transfert et interdit toute attitude jouée, ainsi seulement le transfert qui y répond est réel. Un événement vécu, l'affect amoureux est réel pour les deux protagonistes.

3. Si les limites du Moi disparaissent les idées sont vécues comme réelles :

Cela peut se traduire par cette constatation simple que tout événement vécu doit pouvoir être attribué au Moi ou au Non-Moi.

4. Le gain de réalité de la pensée précède la perte de réalité du monde extérieur (discussion avec Freud) :

La même altération (perte de la distinction Moi Non-Moi) peut aussi bien être exprimée en gain de réalité de pensée qu'en perte de la réalité externe. Les arguments tirés du premier symptôme, sentiment d'étrangeté (perception inhabituelle) ou falsification d'un souvenir (le souvenir est modifié par le passage du temps) ne sont pas convaincants. On peut tout aussi bien dire que le monde est étranger parce qu'il a perdu sa réalité, que le souvenir de la perception est altéré parce que la perception n'était pas celle de la réalité. N'est-ce pas la perte du sentiment de la réalité corporelle de soi qui entraîne l'impossibilité de distinguer Moi de Non-Moi, et l'altération du


THÉORIE DU NARCISSISME 537

temps : évoquer un souvenir complet avec ses corrélations perceptives et émotionnelles rapportées au sentiment corporel n'est plus possible puisqu'il n'est plus de sentiment corporel, il n'est plus que des images supports d'impulsions, la perte du souvenir des postures corporelles ne permet plus de les classer dans le temps ? D'ailleurs une réalité qu'elle soit un sentiment de réalité ou un jugement de réalité ne peut être phénoménologiquement qu'une pensée.

5. Les trois types d'explications que donne le médecin

concernent le Non-Moi (monde extérieur), le temps (souvenir), le Moi (processus internes). Le médecin apprend ainsi au malade à accepter le Moi-Non-Moi du médecin dans une relation positive où sont discutées les perceptions de l'un par rapport à l'autre (n'oublions pas que les sentiments positifs du médecin pour le malade sont la seule réalité initiale). Après cette construction du Moi-Non-Moi, l'investissement de l'autre, du monde, de la relation au monde est possible.

II. — LA PSYCHOLOGIE DU MOI D'APRÈS AUTO-OBSERVATIONS

DÉPERSONNALISATION, ESTRANGEMENT

Federn affirme un sentiment du Moi, vécu, évident et montre comment le sentiment varie suivant les circonstances, l'état morbide, et dans le rêve. Il résume ses conclusions théoriques en une série de postulats qui constituent une théorie du Moi et que nous retrouverons dans la théorie du narcissisme.

Le sentiment du Moi : c'est le sentiment des relations corporelles et mentales en ce qui concerne le temps et le contenu (de la conscience). C'est une unité ininterrompue ou reconstituée. On peut aussi dire que c'est un événement vécu du Moi (egoexpérience, icher lebnis) ou le sentiment qui subsiste après soustraction du vécu idéàtionnel : une combinaison d'éléments changeants et invariants. Mais un tel sentiment n'est pas homogène, il est composite, on peut facilement distinguer par l'auto-observation, et les témoignages d'autrui, un Moi corporel et un Moi mental, en relation l'un avec l'autre. Le Surmoi apparaît comme un élément du Moi caractérisé par le fait qu'il n'est pas en relation avec le sentiment corporel, il peut seulement inhiber la motricité corporelle et non pas la mettre en action.

Au contraire le Moi a accès à la motricité et aux sensations corporelles.


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Le Moi corporel

Mais Federn insiste surtout sur l'importance du Moi corporel qu'il décrit comme la somme de souvenirs moteurs et sensoriels unifiés dans un investissement libidinal mais qui est différent de l'unité des perceptions correctes car celle-ci peut exister indépendamment de celle-là.

Proprioceptif, changeant avec les différentes postures, le Moi corporel n'est ni le schéma (connaissance mentale) ni l'image corporelle (représentation changeante du corps dans l'esprit).

Les faits à l'appui de cette affirmation sont les observations faites à propos de l'évanouissement où la distinction Moi mental-Moi corporel est claire, le sentiment du Moi corporel disparaît alors que subsiste le sentiment du Moi mental, de l'extase où l'on acquiert la conviction de l'existence séparée de l'âme et du corps, de l'endormissement lent où le principe de plaisir surmonte le principe de réalité puisque toute référence à la réalité trouble l'endormissement.

L'endormissement nous permet de dissocier le sentiment du Moi corporel en une série d'états différents que Federn appelle régressifs. On peut mettre en évidence :

1. Des distorsions corporelles qui sont considérées comme des pertes de limites du Moi corporel ;

2. Des stabilités persistantes qui sont en général le visage et la tête et les parties du corps en contact avec le lit.

Sont encore particulièrement stables les zones érotisées, différentes suivant les sujets.

3. Ces différents états sont modifiés par l'attention, par le mouvement.

Dans le rêve lui-même le Moi corporel est plus ou moins complet. On peut distinguer deux groupes de rêves.

Dans le premier, la participation personnelle, les affects, le sentiment corporel sont nets, mais le décor est flou.

Dans le second, le décor est vivant, les acteurs aussi, mais le sentiment corporel est absent.

On peut donner une signification à ces différents sentiments du Moi. A un sentiment du Moi actif et passif correspondent des fonctions actives et passives du corps. Un mouvement dans le rêve sans accompagnement de sentiment corporel signifie je peux, un sentiment corporel complet je veux.

De même le sentiment corporel d'effort malgré un obstacle, signifie je devrais, le sentiment de ne pouvoir agir, je voudrais bien mais. Ainsi


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les différents sentiments corporels expriment les modalités de l'action. Federn ajoute en 45 un argument nouveau en faveur de l'existence séparée d'un Moi mental et d'un Moi corporel : au sortir d'une anesthésie générale le Moi corporel ne pouvant s'éveiller, le Moi mental est extraordinairement libre.

Développement et nature du sentiment du Moi

Cette phénoménologie s'explique par :

A) Le développement du sentiment du Moi. Le Moi mental correspond aux perceptions internes qui sont vécues en premier par l'enfant. Le Moi corporel est lié aux perceptions corporelles qui surviennent graduellement.

Puis, peu après se différencient les représentations d'objet et les sentiments corporels.

Federn appelle point de fixation cette distinction Moi corporel et mental.

B) La nature du sentiment du Moi qui disparaît avec le sommeil. Tout stimulus qui éveille l'individu rétablit le sentiment du Moi. Car celui-ci « perpétue la sensation la plus primordiale de la nature vivante », « sa disparition est probablement une expression directe du sommeil des cellules ».

La conclusion s'impose : si le Moi est unité d'investissement cohérente et continue, on ne peut plus penser que le Moi acquiert lentement son unité, que des noyaux du Moi cristalliseront pour former le Moi.

Le Moi du petit enfant est une unité, la maturation consiste à apprendre à réagir avec une partie de son Moi. Ce sont également les relations sentiment du Moi corporel et sentiments du Moi mental qui permettent de décrire et d'expliquer le sentiment d'étrangeté que je me permettrai ici d'appeler estrangement.

Estrangement quand un sujet se sent seul, étranger. Il ne peut réinvestir en libido son Moi corporel et la perception d'un objet provoque un estrangement. C'est que les objets externes perçus par des organes non inclus dans le Moi corporel sont étrangers. Car cet objet frappe une limite du Moi non investie de Libido narcissique. Cet estrangement est donc provoqué par les variations du Moi corporel c'est-à-dire par le flux et reflux des investissements.

Ainsi Federn introduit dans la discussion théorique des termes qu'il n'a pas encore clairement définis, investissement et narcissique. Il oppose l'estrangement et la dépersonnalisation.

Dans l'estrangement, les sentiments sont différents, incertains et


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cependant temps, lieu, causalité restent intacts. C'est le monde extérieur qui est perçu comme étranger (et étrange).

Mais lorsque les sentiments de Soi, les affects, la pensée surtout sont ressentis comme étrangers on peut parler de dépersonnalisation. Mais il ne faudrait pas croire que c'est la perte de la libido objectale qui entraîne l'altération du monde extérieur et la perte de la libido narcissique qui entraîne l'altération du sentiment de Soi. Car toujours même dans l'altération du monde extérieur, le sentiment d'évidence du Moi tout entier, en particulier du Moi corporel est troublé. Les limites du Moi corporel ne coïncident plus avec le schéma corporel, et l'introspection exagérée et nécessaire qu'on rencontre chez ces malades, ne veut pas dire exagération du narcissisme.

Par ailleurs, c'est sur des faits observés différents que Federn s'appuie pour affirmer que le sentiment du Moi corporel est de nature libidinale. Son argument est le suivant : le sentiment du Moi est libidinal puisque les processus sexuels le modifient. Ainsi la masturbation rétablit provisoirement le sentiment de la totalité du Moi chez certains malades. Un lavement faisait disparaître chez l'Homme aux Loups le sentiment permanent d'étrangeté qui existait chez lui. C'est donc bien la libido qui construit le Moi.

Federn conclut que l'estrangement ou l'altération du sentiment corporel qui en est la cause sont aussi bien provoqués par l'épuisement des réserves de libido que par le désinvestissement des limites du Moi corporel par déplacement de la libido.

Cette interprétation lui permet de proposer l'exemple de l'angoisse où la conservation du narcissisme maintient les limites du Moi ; alors que dans le choc la perte de l'investissement narcissique entraîne la perte des limites du Moi et de conclure : _ C'est donc l'amour qui crée le Moi et le nourrit.

Federn alors passe en revue certains exemples de variations du sentiment du Moi et surtout ceux qui concernent les affects. Il arrive que ceux-ci ne soient plus ressentis comme authentiques. En effet, les affects sont des souvenirs d'événement passés et l'estrangement des affects est un trouble de la mémoire. On peut dire que les affects deviennent étrangers lorsqu'ils ne sont plus rapportés au Moi (unegolike). Le refoulement implique au contraire une conservation de l'investissement de la limite du Moi.

D'ailleurs bien des engrammes entrent dans l'inconscient sans refoulement, sous l'influence du sommeil le refoulement est effectué par le retrait d'investissement.


THÉORIE DU NARCISSISME 541

Mais en fait étrangeté des affects et refoulement protègent contre la prise de conscience d'un sentiment douloureux par des moyens différents.

Ajoutons que pour Federn, le sentiment de déjà vu implique l'existence d'une limite du Moi dirigée contre la perception du temps.

Voilà trop fortement résumés, mais je pense sans en omettre l'essentiel les arguments sur lesquels Federn, dans une série de travaux publiés de 1926 à 1933, se fonde pour construire sa théorie du Moi qu'il présente sous forme de postulats ou principes sur lesquels le lecteur doit tomber d'accord. Il donne du Moi trois définitions :

1. Une définition descriptive — c'est la continuité psychique durable ou renouvelée du corps et de l'esprit d'un individu en ce qui concerne le temps, l'espace, la causalité ;

2. Une définition phénoménologique — le Moi est senti et connu par l'individu comme une continuité durable ou renouvelée de la vie du corps et de l'esprit en ce qui concerne le temps, l'espace, la causalité» et il est senti et appréhendé par lui comme une unité ;

3. Une définition métapsychologique — la base du Moi est un état d'investissement psychique de certaines fonctions et contenus corporels et mentaux. Ces investissements en question étant simultanés, reliés et continus.

Ce Moi a une topographie, c'est-à-dire qu'il a des relations avec :

1. La conscience — c'est une des fonctions unifiées par le Moi, dans le Moi. Celui-ci est le véhicule et l'objet de la conscience. Sa capacité de véhiculer la conscience s'exprime dans les expressions « je, moimême », I, myself.

2. Le préconscient — les investissements multiples et en connection s'étendent au préconscient. Le Moi est donc surtout une unité potentielle qui devient actuelle quand fonctions et contenus sont investis et conscients. En nous éveillant, le Moi actuel du moment devient conscient, alors que le reste du Moi est placé en état de préparation à accomplir ses fonctions d'interconnection, il est préinvesti d'investissement du Moi.

Il faut modifier la théorie de Breuer (investissement diffus tonique de l'appareil psychique) en ajoutant qu'à l'intérieur de cet investissement il y a bien des fonctions et des contenus qui sont préinvestis, ils peuvent donc opérer simultanément et en interconnection.

3. Le monde extérieur — l'étendue de l'état d'investissement qui constitue le Moi varie. Sa limite à un moment donné est la limite du Moi et en tant que telle entre dans la conscience. Quand une limite du


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Moi est chargée d'un sentiment intense d'investissement libidinal sans contenu, c'est une extase. Quand elle est seulement appréhendée sans sentiment, c'est un état d'estrangement. Subjectivement nous distinguons un sentiment du Moi corporel et un sentiment du Moi mental, donc des limites du Moi mental et psychique. Une impression venant de l'extérieur qui frappe une limite mentale et corporelle du Moi a une pleine réalité. Cette réalité est évidente par elle-même.

Dans le rêve et les psychoses, ce sont les limites le plus récemment établies qui ont un défaut d'investissement.

Ce qui frappe une seule limite corporelle ou une seule limite mentale est étranger si l'expérience a conduit le sujet à anticiper un impact simultané sur plusieurs limites du Moi.

Enfin Federn ajoute (probablement par inadvertance) dans les relations du Moi avec le monde extérieur certains postulats qui ne me semblent concerner que le Moi lui-même : quand des limites du Moi mental, dit-il, investies libidinalement sont frappées, non par des objets, mais par d'autres limites du Moi investies libidinalement, il naît des affects. Leur qualité dépend de la nature des investissements libidinaux des limites du Moi en question.

COMMENTAIRE

1. Le Moi est un événement vécu :

La théorie du Moi est donc une phénoménologie.

2. Le Moi est une unité et il n'est pas homogène :

Cela implique qu'il a une structure encore que cela entraîne déjà une équivoque. Comment un événement vécu unifié peut-il être vécu structuré, ne s'agit-il pas des deux événements vécus rassemblés en une abstraction ?

3. Le sentiment du Moi est avant tout corporel :

C'est l'importance donnée au Moi corporel qui est probablement l'élément le plus fécond de la théorie du Moi de Federn.

4. Les différents sentiments du Moi corporel expriment les modalités de l'action. Je veux, je peux, etc.

Ne serait-il pas plus exact de dire que le langage exprime les variations du sentiment du Moi corporel dans l'action ? cf. Freud, La négation. De plus Federn oublie que le rêve exprime un désir.


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5. Le Moi mental correspond aux perceptions internes

qui sont vécues en premier par l'enfant, mais bien des remarques de Federn permettent de croire que pour lui le Moi mental est le Moi de la pensée.

Comment alors identifier le Moi hypothétique primitif des perceptions internes et le Moi de la pensée. On ne peut pratiquement distinguer le Moi mental, de la parole. Si on accepte la théorie de Federn on est amené à faire de la parole un fantasme primaire et non pas un code de communication avec autrui.

6. Le sentiment du Moi perpétue la sensation la plus primordiale de la nature vivante :

C'est une affirmation sans preuve, c'est projeter un événement vécu de l'adulte dans la nature. C'est abandonner toute phénoménologie. Et d'ailleurs il n'est pas de sommeil des cellules.

7. Les postulats de la théorie du Moi :

On peut en accepter le langage équivoque, à la fois phénoménologique, conceptuel et métaphorique. Mais il est plus difficile d'accepter que Federn qui définit le Moi par un événement vécu conscient postule des relations topographiques de ce Moi conscient avec la conscience.

III. — LA THÉORIE DU MOI DE 1949

Il faut compléter la théorie précédente par un certain nombre de précisions contenues dans trois conférences prononcées à Topeka par Federn l'année qui précéda sa mort.

Il ne justifie plus ses affirmations par des observations, il décrit une clinique magistrale dans le langage qu'il a élaboré 20 ans auparavant. Le cogito de Descartes, dit-il, est une prise de conscience du sentiment du Moi. Le Moi est le sentiment de lui-même. Il est de nature « moyenne » ni active, ni passive, moyen est ici employé dans le sens grammatical grec : la voie moyenne où le sujet est représenté à la fois comme l'agent et l'objet de l'action.

Les fonctions du Moi, les aspects, les contenus, les complexes du Moi ne formeraient pas un Moi s'ils ne participaient à l'existence permanente d'un investissement spécial et spécifique qui est de nature une unité totale. Federn élargit de plus en plus le Moi corporel, ce n'est pas seulement le sentiment du corps nu, mais celui du corps habillé, dans une posture, en même temps que sa chaise ou son lit


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ou tout autre support. Il comprend la pièce, la cité, le continent, le monde. Aussi les choses sont doublement présentes dans la conscience, en choses investies d'investissement objectai séparé, en parties de son Moi corporel élargi participant à l'investissement du Moi unifié.

Federn précise le sens de limite du Moi. Ce terme ne désigne pas une ligne de démarcation, mais signifie que le Moi est ressenti comme s'étendant aussi loin que le sentiment de l'unité du contenu du Moi s'étend.

Il introduit une théorie de la conscience qu'il rapproche et distingue de celle de Freud. Celui-ci, dit-il, a raison de comparer la conscience à un projecteur qui illumine le champ sombre du préconscient. Mais ceci n'est vrai que pour les associations courantes. Le champ de la conscience est très large, puisque non seulement le train des pensées actuelles, mais le Moi corporel et le Moi mental sont conscients. C'est ce que nous montre l'anecdote de Mozart écrivant en une soirée l'ouverture du don Giovanni. Il reprend la discussion de Freud qui dit « dans le sommeil tous les investissements sont retirés des objets et rentrés dans le Moi ». Ce n'est vrai, dit-il, que de l'aspect biologique ; dans le sommeil le Moi est dépourvu d'investissement. Il cite cependant comme un aspect mystérieux du Moi les investissements spécifiques (mère qu'éveille son enfant).

Les conférences qui portent sur le Moi dans la schizophrénie, dans la dépersonnalisation et l'étrangement décrivent dans le langage de Federn une remarquable clinique psychiatrique, mais elles ne tentent pas de fonder une théorie sur des faits d'observation.

Notons au passage :

L'investissement de son propre Moi est vécu comme énergie mentale à laquelle contribuent à la fois Libido et Destrudo ou Mortido, c'est la théorie de Freud. La brillante description en termes de limites du Moi chez schizophrènes et paranoïaques de :

1. Difficulté de distinguer pensée et objet ;

2. Fausses réalités des pensées ;

3. Fausse certitude des jugements et des conclusions ;

4. Fausse certitude et généralisation de la qualité des actions.

La maladie est décrite comme une lutte du Moi contre l'inconscient, dans laquelle le Moi est protégé grâce au jeu des investissements et contre-investissements des limites du Moi. Cette méthode nécessite un approvisionnement constant d'investissement. C'est le manque d'approvisionnement qui entraîne l'altération des limites du Moi.


THÉORIE DU NARCISSISME 545

Si la schizophrénie et la paranoïa sont dues à une perte d'investissements de Libido et de Mortido, la dépersonnalisation et l'estrangement sont provoqués par une perte de l'investissement libidinal, et de plus le Moi corporel y est davantage atteint.

Ce qui permet d'affirmer la diminution de l'investissement libidinal, c'est cette remarque de Freud qu'on peut reconnaître l'accession de la Libido à une fonction par son érotisation, et le sentiment de chaleur et de plaisir qui l'accompagne, et c'est justement ce sentiment qui manque chez ces malades. Expliquer l'estrangement par le retrait de la libido objectale, c'est partager l'erreur des patients et ne pas reconnaître la projection. Nunberg cependant a déjà reconnu que le malade a suspendu son amour narcissique.

Le retrait de la libido du Moi entraîne l'altération du temps, des identifications, de l'espace. Ici encore Federn nous montre qu'on peut considérer estrangement et dépersonnalisation comme des moyens de défense contre l'inconscient à condition de les décrire en termes d'investissement et de contre-investissement des limites du Moi. On peut d'ailleurs décrire de la même façon le refoulement.

COMMENTAIRE

1. La discussion de Freud sur l'étendue du champ de la conscience pose plusieurs questions. Federn confond-il préconscient et conscient ? Le préconscient est-il pour lui un événement vécu ? Ou, Freud faisant de la conscience un organe qui perçoit les qualités, Federn veut-il dire que la qualité est faite de Moi corporel et mental ?

2. Le Moi corporel est de plus en plus élargi, comme la conscience.

3. La définition de la limite du Moi décrit métaphoriquement l'événement vécu naïf « ceci est de moi », « ceci n'est pas de moi ».

4. La discussion de Freud (le sommeil est un investissement narcissique) reflète l'impossibilité d'un dialogue véritable entre une phénoménologie et le « Freudisme ». Federn définissant le Moi comme un événement vécu observable et variable ne peut imaginer le narcissisme du Moi autrement qu'en termes de conscience. Et le sommeil est inconscience. Freud dans sa conception du narcissisme se réfère à peine à la conscience puisqu'il en fait un état d'équilibre entre tendances soit hypothétiques soit inconscientes. D'ailleurs Federn le pressent puisqu'il écrit « narcissique désignera de moins en moins la direction de la libido et de plus en plus des liens psychiques qualitativement différents ». Autrement dit narcissique cessera de


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désigner une structure inconsciente mais désignera une modalité du vécu. 5. Tous les troubles de la pensée peuvent se décrire en termes d'investissement et de contre-investissement, c'est séduisant et peut passer pour une explication, mais lorsque l'investissement est défini comme une énergie mentale et un événement vécu, ce n'est pas nouveau et ne peut passer pour autre chose qu'une description.

A partir du moment où on décrit en terme d'investissement des limites du Moi, toutes les gradations, toutes les marges de conscience, préconscience et inconscience, les limites du Moi peuvent décrire toute phénoménologie normale et pathologique.

LA THÉORIE DU NARCISSISME

Elle décrit l'antithèse investissement du Moi, investissement de l'objet. Elle comporte :

A) Une conception essentiellement double du Moi. Les limites du Moi sont multiples, le Moi est cohérent, c'est une unité variable. Cette dualité est exigée par l'observation d'estrangement vis-à-vis du monde extérieur et vis-à-vis des processus mentaux.

B) Le sentiment du Moi ne contient pas la satisfaction de l'autoérotisme. Il est seulement une anticipation agréable de plaisir, mais sentiment du Moi, Libido du Moi, narcissisme sans objet sont des expressions équivalentes.

Origine du Moi Le Moi est présent dès le commencement car :

1. On peut observer un sentiment du Moi sans contenu.

2. Le sentiment du Moi est le dernier à disparaître dans l'endormissement.

3. Si les hormones libidinales agissent avant la naissance sur l'organisme pourquoi n'agiraient-elles pas aussi sur la psyché ?

Federn décrit :

Narcissisme primaire

Où chaque acquisition donne un plaisir auto-érotique, le corps entier étant source de plaisir.

Ce narcissisme primaire obscurcit le sentiment du Moi comme le contenu de la conscience l'obscurcit.

Chez le primitif, l'enfant, les changements du monde extérieur sont


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ressentis comme arrivés à eux-mêmes, même s'ils sont capables d'établir des représentations. Le sentiment primaire du Moi inclut donc le monde extérieur dont les représentations appartiennent au Moi.

Le narcissisme primaire perd sa validité quand l'enfant ressent lés distances du Moi à l'objet. Le sein investi de sentiment du Moi n'est pas externe au sentiment du Moi. Lorsqu'il est vécu comme étranger, retiré du sentiment du Moi, il reçoit un investissement objectai.

Dans le narcissisme primaire, tous les investissements objectaux sont investis de sentiment du Moi, ce qui cherche et obtient satisfaction est corporel. A ce niveau, le Moi est sujet.

C'est le développement des investissements objectaux en dehors du Moi qui met fin à la prédominance exclusive du narcissisme primaire.

Les investissements narcissiques se détachent des objets extérieurs, pensée et affectivité s'effectuent hors du sentiment du Moi. Mais dans un événement vécu, pensée et affectivité sont de nouveau comprises dans les limites du Moi.

Niveaux du Moi

On ne peut pas classer rationnellement les différentes limites du Moi, c'est-à-dire ce qui appartient au Moi, à l'objet, au corps, à l'esprit, au monde extérieur.

Mais on peut décrire des niveaux du Moi.

A la surface : on trouve un sentiment du Moi et un sentiment du monde extérieur, un Moi psychique et un Moi corporel.

Le monde extérieur est saisi égotistiquement à travers les investissements objectaux, c'est le principe de réalité de Freud.

Clandestinement : les représentations du monde extérieur sont investies narcissiquement de façon variable et mobile.

Le monde extérieur est saisi égocentriquement grâce aux investissements narcissiques, c'est le principe de plaisir purifié de Freud.

Profondément : le narcissisme primaire persiste. Le Moi narcissique a été refoulé. C'est un prolongement inconscient du Moi cosmique. C'est la découverte de Federn.

Dans l'événement vécu, on peut distinguer deux impressions. L'une teintée de narcissisme infantile (libido narcissique). L'autre facile à rectifier (libido objectale). La libido est d'autant mieux satisfaite que leurs contenus sont compatibles. L'observation montre que les deux représentations ne sont pas identiques. Mais le Moi cosmique doit être refoulé parce que réalité et représentation n'y sont pas différentes.


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C'est pourquoi un délire peut émerger alors que le patient s'adapte au monde réel avec ce qui lui reste de limite normale du Moi.

Quant au réveil du Moi primordial, il est équivalent à la régression historique et physiologique de Freud.

Limite Moi-Surmoi (chez le normal)

Le Surmoi n'est ni une formule ni une personne. C'est un événement vécu : on observe facilement une limite Moi-Surmoi.

Rappelons-nous que le narcissisme secondaire a pour objet des représentations du Moi et à propos du Moi, que dans l'investissement objectai la libido isolée est investie avec stabilité sur des représentations d'objet, que dans l'investissement narcissique l'investissement fort d'une limite du Moi est contigu à toute la libido de tout le Moi, que pour Federn le narcissisme primaire ne peut diriger la libido (c'est de la libido à la voix moyenne) la voix réflexive est atteinte tardivement.

(Alors que Freud fait de la relation du Moi avec lui-même (s'aimer) l'origine du narcissisme) Moi et Surmoi correspondent à deux unités de la Libido du Moi qui n'ont pas de contiguïté dans la conscience. L'identification du Surmoi remonte au Moi du narcissisme primaire. La personne qui ordonne est aussi investie du sentiment du Moi : une portion d'investissement narcissique primaire n'a pas été refoulée. C'est celle qui concerne les parents, surtout la mère, parce que cette position n'est pas contradictoire avec la réalité. Ainsi peut se produire une séparation entre le Moi qui laisse les parents en dehors du sentiment du Moi et le Moi qui a absorbé les parents.

Le Surmoi est antérieur au stade oedipien, sa puissance provient des deux parents et de l'omnipotence du narcissisme primaire.

Limite du Moi corporel et du Moi mental (chez le malade)

Dans l'estrangement un processus atteint le Moi sans être investi de sentiment du Moi.

Dans la dépersonnalisation ce sont les représentations du Moi qui perdent leur sentiment du Moi.

Le corps a une triple position : il est partie vécue du Moi. Il est entre le Moi et le monde extérieur. Il fait partie du monde extérieur.

Vocabulaire du narcissisme

Freud : s'aimer soi-même c'est la première vicissitude de l'instinct, le stade primaire.


THÉORIE DU NARCISSISME 549

Primaire et secondaire se rapportent à l'histoire du processus.

Federn : le narcissisme primaire est sans objet, prêt à trouver un objet. Tout investissement d'objet dans le narcissisme est secondaire. « Je me sépare de la terminologie de Freud, mais non pas de son point de vue. »

Originellement pour Federn :

1. Le narcissisme primaire est la libido du Moi. 2. Le narcissisme secondaire est la libido objectale.

Mais Freud appelle narcissisme secondaire le retour sur le Moi de la libido tournée vers un objet extérieur. Federn ne se sent pas le droit d'appeler secondaires les relations objectales dans le narcissisme.

Il dira donc :

1. Le sentiment du Moi est maintenu par la libido du Moi sans objet

(plaisir anticipé, forepleasure de la tendance) ; 2. Le narcissisme commence à la voix moyenne et devient libido

réflexive.

Narcissisme secondaire désigne un investissement différent, un passage de la libido objectale au narcissisme secondaire, qui consiste en :

1. Expression du sentiment du Moi qui absorbe la représentation de

l'objet (identification) ; 2. Retrait de l'identification, des investissements de l'objet, retour à

la libido du Moi.

Le narcissisme dés psychoses

Il est tout différent. C'est le Ça et non le Moi qui a retiré la libido des objets, et la libido du Moi est accrue après transformation dans l'inconscient de quantité de libido.

La psychanalyse est active si les modifications d'investissement viennent du Moi.

La psychanalyse est impuissante si le Ça a retiré la libido du monde extérieur.

Conclusions

1. Les limites du Moi et la dynamique du narcissisme décrivent la réalité.

2. L'équilibre des investissements de la limite du Moi et des représentations objectales est un élargissement de la théorie de Freud.

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COMMENTAIRE

1. La dualité du concept de Moi variable dans ses limites et totalité nous fait sortir de la phénoménologie comme on l'a déjà remarqué.

2. Le sentiment du Moi, anticipation de plaisir implique une histoire, un conditionnement.

3. Avec le sentiment de distance à l'objet, le narcissisme primaire perd sa validité. Ce changement n'est pas expliqué. Mais la discussion sur l'origine du Surmoi permet de comprendre que c'est la réalité qui fait passer du narcissisme primaire à l'investissement objectai. Comment cette affirmation est-elle compatible avec celle qui fait exister le sentiment du Moi « dès le commencement » ? Federn dirait que la réalité construit les limites du Moi, mais que c'est le Moi en tant qu'unité qui existe dès le commencement.

4. La triple position du corps n'est pas triplement vécue à la fois mais dans un vécu d'une position, le souvenir des autres vécus est toujours disponible.

5. Federn a raison de réserver l'adjectif secondaire pour le narcissisme défensif alors que son narcissisme objectai (qu'il appelait d'abord secondaire) est un narcissisme adaptatif.

6. L'accroissement de libido du Moi dans les psychoses est apparemment en contradiction avec d'autres passages où il insiste sur la diminution de libido d'investissement des limites du Moi dans les psychoses ; il résout la contradiction en affirmant qu'il n'y a pas assez de Libido pour nourrir à la fois l'investissement narcissique et l'investissement objectai.

NARCISSISME APPLIQUÉ

Avec le concept de narcissisme, le Moi de Freud est devenu un agent libidinalement investi. C'est le narcissisme qui est le moyen essentiel, qui maintient la cohérence du Moi vivant.

Le narcissisme se rencontre sous forme de caractère dont le type est Falstaff : assurance, activité, agression dirigée vers l'extérieur en sont les traits dominants.

Le narcissisme apparaît dans l'analyse :

Le psychanalyste y ressent une impression de normal ou de pathologique et la quantité de libido variant suivant les individus, la limite entre le normal et la pathologique sera différente suivant les individus.

L'analyse des résistances est dirigée contre ces états du Moi passés dans la mesure où ils sont pathogènes. Au moment de la découverte de


THÉORIE DU NARCISSISME 551

chaque stratification le patient participe narcissiquement à cette découverte et quelquefois de façon excessive, avec « sentimentalité » par exemple. Cette participation pathologique à la liquidation des affects aboutit à un accroissement de la subjectivité, à de fausses conceptions, et trouble les relations avec les personnes. Cette réaction pathologique se produit quand le niveau du préplaisir est très élevé. Le danger d'échec conduit à des efforts de restitution.

Les variations de la quantité de la libido

Elles jouent un rôle très important dans les psychoses où la quantité de libido est trop petite pour nourrir à la fois le narcissisme et la libido objectale.

L'augmentation de l'un provoque la diminution de l'autre. Mais les choses ne sont pas si simples.

L'augmentation de l'un peut provoquer la diminution de l'autre. D'autre par le contre-investissement peut être augmenté si l'un d'eux est augmenté, ou diminué si l'un d'eux est diminué. Mais on peut aussi trouver une diminution du contre-investissement si l'un d'eux est augmenté ou une augmentation si l'un d'eux est diminué. En somme, toutes les combinaisons sont possibles, mais ce sont les variations du sentiment du Moi et des limites du Moi qui permettent d'apprécier l'investissement narcissique. Nous retrouvons ces variations dans la constitution du caractère.

Le caractère

On peut le décrire en termes de limites du Moi. Cela ne veut pas dire que le Moi reçoit des excitations périphériques mais que certaines fonctions du Moi sont exclues de ou inclues dans la limite d'investissement.

L'uniformité du caractère est basée sur des états invariables du Moi dont les limites sont stables.

Les états atypiques individuels s'attachent sur des états stables et forts. Ceux-ci fortement chargés de libido narcissique sont des contreinvestissements qui permettent d'investir les objets avec stabilité et d'en supporter la frustration.

Le Moi sera faible s'il manque de contre-investissement narcissique. La labilité des limites est trop grande par rapport à leur stabilité.

D'ailleurs chez une même personne certaines limites sont souples, d'autres rigides.

On peut considérer également que le caractère du Moi lui permet


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une plus ou moins bonne intégration sociale. Le Moi en effet obtient le plaisir narcissique comme prime. Et c'est ce plaisir qui explique la capacité d'intégration sociale.

Aussi dans une société « primitive » le Moi investit les fonctions biologiques, les limites du Moi ne s'étendent pas au-delà du groupe familial.

Dans les sociétés plus évoluées, les limites du Moi s'étendent, des fonctions qui concernent les autres obtiennent l'investissement narcissique donc le plaisir narcissique, et les limites du Moi s'étendent bien au-delà du groupe familial.

Quant à la sublimation elle est l'investissement permis du narcissisme, sa solution, et elle est en même temps retour à l'objet car elle comporte la substitution de la libido du Moi à l'auto-érotisme.

Le problème des affects

Il pourra aussi être exprimé en termes de limites : ainsi les affects naissent au contact de deux limites.

Ainsi la honte naît du contact entre une limite investie d'exhibitionnisme et une limite investie par l'angoisse. Le chagrin lorsqu'une limite investie de mortido agit sur une limite investie de libido objectale. Quant à l'angoisse elle se développe dans le Moi et non pas à la limite. Freud dit que la peur a un objet, elle vient par-devant alors que l'angoisse est sans objet, elle vient par-derrière. Federn soutient que la peur envahit une limite du Moi alors que l'angoisse envahit tout le Moi, et remarque que bien des mots en paires tels que colère et rage expriment ce fait que Paffect envahit le Moi en partie ou en totalité.

Les fantasmes dit Federn peuvent être distingués en :

fantasme habituel qui unissent des buts narcissiques et des buts objectaux. On y trouve l'humeur du préplaisir (rêverie) dérivée de l'auto-érotisme infantile en même temps que le plaisir terminal du but atteint ;

et en fantasmes narcissiques et absurdes qui diffèrent des fantasmes précédents en ce qu'ils ne tiennent pas compte du temps et qui sont plus primitifs.

Toutes ces descriptions, remarque Federn, qui concernent la satisfaction ou la non-satisfaction du narcissisme impliquent une difficulté terminologique.

En effet, narcissisme implique une absence d'objet alors que


THEORIE DU NARCISSISME 553

satisfaction libidinale implique un objet. Or l'auto-érotisme est certes un plaisir anticipé, mais un plaisir qui aboutit à une satisfaction terminale sans objet, mais qui s'attache à une zone érogène. On pourra donc considérer le narcissisme comme un plaisir anticipé où la limite du Moi joue le rôle de la zone érogène. En tout cas, il faut se souvenir que la libido du Moi est toujours un préplaisir et que l'investissement narcissique n'atteint pas la satisfaction complète.

On peut alors résumer l'évolution du narcissisme vers le normal en termes d'investissement et de contre-investissement — en termes de Libido du Moi et de Libido objectale.

En termes d'investissement et contre-investissement.

Le narcissisme sain est un contre-investissement de l'effort d'investissement de l'objet.

Dans le narcissisme normal, les limites du Moi sont stables et résistantes.

Il en résulte que les affects ne sont pas réinvestis narcissiquement. Les objets réels sont investis. Le sujet atteint un équilibre entre l'intérêt pour la réalité et l'intérêt pour le sujet lui-même.

En termes de Libido du Moi et Libido objectale.

Économiquement, leur différence n'est que relative puisque toutes deux sont libidinales et s'opposent à mortido.

C'est topographiquement que leur différence est nette. La libido objectale investit des objets séparés. La libido du Moi investit un Moi unitaire.

Mais : 1. Le Moi investit de la libido objectale dans les objets représentés

en lui (égotisme) ; 2. Le Moi investit de la libido du Moi dans le Moi ou dans des parties

du Moi.

Dans les activités égotistiques, le Moi et l'objet ,se rencontrent immédiatement à la limite du Moi.

Dans les activités narcissiques, le Moi objet de narcissisme et sujet d'égotisme est inséré entre le Moi et l'objet. Ainsi la libido objectale est immédiatement en rapport avec le Moi, la libido narcissique indirectement en rapport avec l'objet.

On peut donc comprendre maintenant l'évolution vers le normal en se souvenant que ce n'est pas le narcissisme qui détermine la structure du Moi, mais la structure du Moi qui détermine ce qui est Libido objectale et Libido narcissique. Surmonter le narcissisme veut dire


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renoncer à l'interposition du Moi, et c'est en cela que consiste la maturation.

Certes la Libido du Moi est le contre-investissement de la Libido objectale, mais moins étroite leur liaison, plus normaux les investissements de l'une et de l'autre.

La mémoire inconsciente et préconsciente conserve deux sortes de traces du vécu. Les unes sont liées à la situation vécue où on a rencontré l'objet ; les limites du Moi y sont impliquées ; elles contiennent le Moi et l'objet. Les autres ne contiennent que l'objet. Plus pures seront ces représentations d'objet, plus objective sera notre pensée délivrée de la domination du Moi. Cette tâche n'est réussie que par la pensée consciente. C'est le narcissisme pathologique qui falsifie la réalité. C'est la conscience qui libère du narcissisme pathologique.

COMMENTAIRE

1. Le Moi est devenu un agent. Il a cessé d'être une marionnette tirée par les fils des tendances instinctuelles et du monde extérieur.

2. On peut rapprocher la phénoménologie de l'angoisse qui est dans le Moi et qui envahit tout le Moi de la discussion de Freud : nécessité de lier l'énergie libre pour pouvoir éprouver avec le Moi plaisir et déplaisir de l'angoisse.

3. Lorsque les limites du Moi sont stables, les affects ne sont pas réinvestis narcissiquement, c'est-à-dire que la prépondérance du sujet est évitée.

4. La libido du Moi investit un Moi unitaire. Cette formulation néglige l'autre aspect du Moi de Federn : les limites du Moi qui constituent l'aspect différencié du Moi.

5. Certaines traces mémorielles ne contiennent que l'objet. Comment imaginer une représentation, un souvenir, une trace qui ne contiennent que l'objet ? Cette « trace » de l'objet est une abstraction pure confondue avec le vécu, qui résulte du travail d'appauvrissement effectué par la conscience.


THÉORIE DU NARCISSISME 555

DISCUSSION

M. Bénassy ne reprend pas ici le résumé de son étude sur le narcissisme selon Federn (texte précédent) mais il propose ses commentaires à propos de la lecture de Federn, demandant leur avis aux participants du Colloque sur certains points (3 ou 4) qui lui ont paru mériter une discussion.

M. Bénassy considère que Federn est un grand clinicien auquel on rend mal hommage si on ne le lit pas tout entier. Bénassy l'a lu en essayant de s'identifier à lui, de suivre la marche de sa pensée et de communiquer ce qu'il en avait compris.

1. En premier lieu, il faut considérer le matériel sur lequel Federn travaillait et les difficultés que présente le travail sur ce type de patients, c'est-à-dire les psychotiques : aussi bien les schizophrènes, les paranoïaques, les mélancoliques, les dépersonnalisés, que ceux qui souffrent de sentiments d'étrangeté.

« Étrangement » traduit exactement l'idée de « rendre étranger », c'est-à-dire de ne plus avoir de communication avec, en quelque sorte : ne plus investir.

Federn, qui fait ce que nous appellerions de la psychothérapie de psychotiques, décrit une attitude contre-transférentielle qui nous paraît à nous tout à fait extraordinaire. Dans son observation princeps, il témoigne à sa malade une « bonté » (au sens de Nacht) telle qu'il va jusqu'à lui faire partager sa vie de famille. Nous sommes frappés d'autre part, par l'importance du rôle des auxiliaires médicales : sa collaboratrice par exemple devient un lui-même féminin dans le but de compléter la relation thérapeutique. Son extraordinaire dévouement a pourtant une contre-partie quand, par exemple, il n'hésite pas à proposer froidement la castration à certains patients, sujets à des crises, des rechutes, des recrudescences d'une activité sexuelle apparemment exagérée.

Une autre particularité frappe à la lecture de la première partie du travail de Federn, c'est l'importance donnée à son auto-observation minutieuse, et sa manière d'insister sur tout ce qu'il en a pu tirer, ce qui implique une attitude assez spéciale à l'égard de soi-même.

A ce sujet et afin d'éclairer la compréhension de la pensée de Federn, M. de Saussure signale que Federn avait un fils schizophrène qui habitait avec lui, fait qui dût avoir une notable influence sur le développement de sa démarche analytique.

L'expérience de Federn porte sur ces malades dont le fantasme personnel altère avec évidence la relation avec l'autre et la relation avec le monde.

Cette altération, le médecin n'a donc pas à la faire découvrir, ce n'est' pas dans l'inconscient que la relation est altérée, mais dans la conscience. Aussi la démarche de Federn n'est-elle pas exactement la démarche psychanalytique ; sa théorie est une phénoménologie de l'autre et une phénoménologie de Soi.

2. Bénassy aborde ensuite les points particuliers qui l'ont intéressé et qu'il voudrait voir discuter.

C'est d'abord l'importance capitale donnée par Federn au Moi corporel sur


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lequel se fondent sa théorie du narcissisme, sa phénoménologie et sa psychologie du Moi. Il y a un avantage clinique certain à prendre ce Moi corporel comme système de références ; c'est un moment important, fécond, mais difficile, de l'analyse, celui où l'on peut rapporter au corps ce qui est donné par le malade comme sa pensée. En fait, ce point de vue, que Bénassy partage avec Federn, a également une valeur théorique, car une grande partie de l'analyse, que nous le voulions ou non, que nous le sachions ou non repose sur cette référence au corps. Federn n'a p as utilisé directement les concepts de relation orale ou de relation anale, mais l'importance des orifices du corps (bouche, anus) ne lui a pas échappé. Ainsi, il remarque que chez le sadique l'organe de la cohabitation, dont il ne précise pas la nature (pénis, vagin ou rectum) est inclus dans l'image corporelle ; alors que chez le masochiste, il est exclu. Cette remarque permet peut-être de séparer, comme Bénassy et Favreau ont explicitement tendance à le faire, l'activité sadique centrée sur l'anus, de la passivité erotique également centrée sur l'anus, toutes deux ayant une valeur différente, masochique pour la seconde qui, à ce titre, pourrait motiver l'inacceptation de la zone anale dans l'image corporelle. Bénassy pense qu'à ce sujet les conceptions de Federn peuvent être rapprochées également de celles de Marty et Fain sur l'homosexualité structurante et de celles de Freud lui-même sur les résistances à la passivité chez l'homme et chez la femme.

FAVREAU précise son point de vue : « Je n'ai pas l'impression de faire une différence aussi marquée entre le sadisme et le masochisme ; en fait, j'ai plutôt tendance à les rapprocher l'un de l'autre, à en faire deux positions de l'une à l'autre desquelles on passe. L'identification est en cause dans ce passage, et les désirs pervers, sado-masochistes correspondent à un déplacement de l'érotisme anal, à un moyen de lier. Effectivement j'ai été frappé dans certains traitements par l'inexistence de toute la zone anale qui constitue une espèce de manque. A certains moments les tentatives de récupération narcissique aboutissent au contraire à des états de dépersonnalisation dans la mesure où le corps ne peut se récupérer parce qu'il y manque un élément, le sujet n'osant pas s'accepter comme masochiste. Peut-être en effet celui qui peut se considérer comme sadique a-t-il une image de son corps plus complète que celui ou celle qui craint de s'admettre masochiste, c'est-à-dire qui déplace ses désirs masochistes sur des formes de masochisme moral. »

Le deuxième point souligné par Bénassy concerne les concepts d'investissement et de contre-investissement ; en particulier celui d'investissement des limites du Moi qui rend compte de toutes les modalités normales et pathologiques de l'inconscient, du préconscient et du conscient. Pour Federn cette limite est une abstraction, une image spatiale qui permet de dire si tel contenu, telle fonction du Moi lui appartiennent ou appartiennent au non-Moi. Le mot traduit ici par limite est en anglais boundary, frontière, terme utilisé en topologie. Nous nous retrouvons ainsi directement dans le domaine du narcissisme car il y a pour Federn un lien capital entre l'investissement du Moi et l'investissement objectai, ils s'équilibrent même si l'investissement objectai se fait à travers le Moi. Les expériences de déprivation sensorielle (leçons scientifiques de l'interrogatoire) qui provoquent des dépersonnalisations viennent à l'appui de cette thèse de Federn. Au cours de ces expériences le sujet n'a rien à investir,


THÉORIE DU NARCISSISME 557

le seul objet, apparaissant irrégulièrement, est l'interrogateur, absolument neutre. Les effets sont les suivants : le sujet perd le sentiment de son image corporelle, celui de la distinction du Moi et du Non-Moi, ce qui donne lieu à un état d'angoisse, de dépersonnalisation dans lequel le sujet est tout prêt à reporter sur l'interrogateur l'investissement qui lui permettra de reconstruire son Moi. L'interrogateur se propose alors comme structurant et le sujet trahissant ses valeurs antérieures « (cerveau lavé) » adopte sans difficulté les valeurs de son interrogateur.

Si l'on rapproche de ces expériences les faits observés dans l'hospitalisme où les manques de l'environnement ne sont que partiels, on constate que, dans cet état, c'est autour de son auto-érotisme que le sujet essaie de se reconstruire puisqu'il ne peut le faire à partir d'une relation extérieure à lui-même. Ceci est donc vrai au début de la vie, mais les expériences de déprivation sensorielle ont au moins l'intérêt de montrer qu'à tout âge encore, sans investissement du monde extérieur il n'y a pas d'investissement du Moi. C'est le balancement entre l'intérêt pour Soi et l'intérêt pour l'objet (suite d'investissements et de contre-investissements) qui rend possible la distinction entre le Moi et le Non-Moi. Ne rejoint-on pas là, sur un plan en quelque sorte fonctionnel la conception de Pasche sur le narcissisme et l'anti-narcissisme ?

Pour Pasche le Moi primitif, tissé à la fois de pulsions centripètes et centrifuges est d'emblée et dans un même mouvement pour soi et contre soi. Il ne s'agit pas d'un masochisme primaire organique au sens où Nacht l'entend, faisant suite à une carence précoce de soins maternels ; mais d'une tendance à la scission, à la séparation, à la dissociation d'avec soi-même : le sujet abdique une partie de lui-même, s'en prive, s'en dessaisit ; il existe une sorte de vocation externe des investissements que l'on peut éventuellement situer au tout début de la vie, voire même dans l'oeuf, où la multiplication cellulaire en serait l'expression. Il s'agit d'un investissement pas seulement horizontal mais ascendant, vertical ou oblique en haut (peut-être en forme d'escalier) qui devient peu à peu chargé de pulsions objectales et aboutit à la phase d'admiration primaire. Le sujet se vide dans l'objet, position corrélative de la position exactement inverse où le sujet se remplit de l'objet.

Cette manière de comprendre ce qui se passe aux tout premiers stades de l'évolution de l'individu semble bien permettre de fonder la différence entre les psychoses et la mélancolie, telle que l'ont proposée Pasche et Renard dans leurs introductions. Toutefois, il ne faut pas oublier que quelles que soient la valeur, l'importance, les conséquences de ce qui précède l'établissement de la relation objectale, en parler en termes métapsychologiques constitue une erreur méthodologique qui risque de n'introduire que confusion.

Diatkine ajoute : « Les psychoses, qu'elles soient paranoïaques ou schizophréniques, peuvent s'ordonner en fonction de la mélancolie. La position centrale d'incapacité d'investissement libidinal sur un objet extérieur, et d'introjection destructrice d'un mauvais objet menace à chaque moment la psychothérapie de tels malades. Il peut être facile de priver un schizophrène de ses hallucinations et de rendre à son Moi une relative cohérence, mais on a parfois à regretter de tels progrès, car il est infiniment plus difficile de restaurer sa capacité d'aimer et de s'accepter, c'est-à-dire de lui faire retrouver un équilibre possible entre ses investissements objectaux et narcissiques. »


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E. KESTEMBERG fait remarquer qu'il y a quelque chose de gênant à parler du Moi comme d'un contenant qui se vide ou se remplit, c' est-à-dire en termes de spatialité. Au niveau humain la seule spatialité possible est celle du corps à partir duquel l'espace est construit. Le Moi ne serait-il pas alors une sorte de potentialité organisatrice de continuité (construction du temps) qui ne prend sa réalité qu'à travers le corps, c'est-à-dire à travers le Ça. Les pulsions corporelles (le Ça) seraient ainsi vécues au sens psychique par le Moi, et qui dit vécu dit fantasme inconscient, rapport d'unité entre Moi et Ça. Cette position me paraît très proche de celle que M. Fain va développer dans son introduction : à savoir que l'activité mentale à son émergence est liée aux zones érogènes.

GREEN développe le point de vue selon lequel dans l'expérience psychanalytique le corps est la source de tout ; mais il n'est même pas une forme, c'est une matière à partir de laquelle tout se structure. La pulsion n'est pas le corps, elle est le résultat du travail du corps, son sens est d'entrer en contact avec l'objet pour réaliser son but ; pour se signifier, elle a besoin de se représenter imaginairement et c'est à partir des représentations imaginaires que le langage peut s'élaborer. L'erreur de Federn est de concevoir la psychose comme si tout l'inconscient passait dans le conscient, selon lui la technique va donc viser à refouler, à l'inverse du but poursuivi dans les traitements des névroses.

Selon Bénassy la théorie de l'investissement aboutit à une théorie des valeurs; pour qui n'investit rien, rien n'a d'importance, il est « étranger ». Or, le problème des valeurs est celui du couple plaisir-déplaisir, celui-là même qui se trouve au centre de la théorie psychanalytique. Parler d'investissement objectai, d'investissement de soi, parler de narcissisme c'est parler de la comparaison que fait un individu entre ce qu'il y a de plus intéressant pour lui en lui et dans le monde extérieur. La compulsion de répétition, si elle est bien au-delà du principe de plaisir est par cela même au-delà du Moi, au-delà du conscient, au-delà des valeurs, elle appartient à un monde de l'automatisme, de l'inanimé vers lequel Freud dit qu'elle tend.

Ainsi Federn dans sa conception du Moi fait de celui-ci un agent et non plus un patient agi par le Ça et le monde extérieur comme dans la première théorie de Freud, le Moi a acquis son autonomie, ceci amène au concept d'unité et de structure qui est le même que celui de limites du Moi. Ses aspects, ses fonctions, son contenu participent dans le Moi d'un investissement spécial qui est une totalité. En résumé : la libido construirait dès le commencement un Moi unitaire dont les limites seraient établies par la réalité. Il y aurait donc en quelque sorte un Moi double :

— Moi unitaire qui existe dès le début ;

— Moi variable et structuré par la relation avec la réalité.

Une limite peut être investie si on exprime en termes de limite une structuration du Moi, et c'est l'investissement différent, objectai ou narcissique qui fonde l'existence d'une structure. Ainsi se trouve traduite en langage topologique une qualité des contenus de conscience tandis que l'unité du Moi peut se définir comme l'invariant au cours des transformations. Notre corps lui-même, en tant que système de références est un invariant. Moi et non-Moi ne sont pas des entités mais des adjectifs, des qualités d'un vécu, de nos vécus


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successifs ; les catégories du langage elles-mêmes se réfèrent à notre insu à des images corporelles : le « je pense donc je suis » de Descartes équivaut à « je travaille de la tête, je suis préoccupé donc je suis là, assis ou debout ». La difficulté de la phénoménologie apparaît cependant dans la nécessité où se trouve Federn de postuler l'existence d'un Moi dès le commencement, mais il s'en tire en imaginant un Moi double qui comporte à la fois une unité hors du temps et une structure construite dans le temps. Autrui est mis dans le Moi dès le départ en faisant du Moi narcissique un sujet et un objet. De cette façon on trouvera toujours dans la relation avec autrui ce qu'on a mis au départ dans le Moi lui-même.

Pour Diatkine comme pour Bénassy le Moi ne peut être compris que comme une structure qui s'organise à un certain moment de l'évolution. Il y a une opposition fondamentale entre la continuité de l'homme de la naissance à la mort et l'hétérogénéité structurale qu'il présente. Tout le narcissisme tient dans ce problème d'opposition.

La position de base de la psychanalyse, rappelle Green, est en effet la rencontre de la structure et de l'histoire. Le Moi est uniquement un ensemble de relations ; ce qui reste d'invariant, ce sont les relations. L'histoire résulte de l'opposition d'une homogénéité et d'une hétérogénéité et la structuration se fait toujours après coup. Tout événement qui se passe dans la vie d'un sujet n'est signifié qu'a posteriori, rétrospectivement, si bien qu'en fait les restructurations ne sont que des structurations.



A propos du narcissisme et de sa genèse

par MICHEL FAIN et PIERRE MARTY

Les psychanalystes s'intéressant à la psychosomatique ont souvent le sentiment d'être des gens à part. Que cette impression se fasse jour vis-à-vis de praticiens non analystes s'adressant, dans leur optique propre au même sujet, il n'y a rien d'étonnant, mais que ce sentiment soit tout autant vécu en compagnie de psychanalystes, exprime sans doute quelque chose qui mérite à son tour d'être analysé. Cette constatation nous mène tout droit à notre sujet d'aujourd'hui, le narcissisme.

En effet, dans la mesure où les psychosomaticiens ont l'impression d'avoir, au sein de leur groupe, un arrière-goût de corps étranger, leur présence contrarie l'investissement libidinal soudant le groupe. Il s'agit d'un de ces moments où quelque chose de nouveau s'éveille dans la masse, qui ne rencontre pas encore une représentation dans la figure idéale commune par laquelle le groupe trouve son ciment.

Si l'Idéal du Moi des psychanalystes se représente tout naturellement dans la majestueuse figure de l'homme qui a créé de toute pièce la psychanalyse, les psychanalystes doivent également avoir le culte de l'inconscient. Il existe un vertige narcissique incontestable à se sentir apte à faire écho, à laisser refléter dans le miroir que nous sommes les multiples facettes de cet inconscient à la fois indomptable et répétitif. Sa façon de se manifester dans le Moi, de créer des rêves, des symptômes, de s'imprimer dans le caractère, d'échapper à la réalité dans des constructions délirantes, place sans arrêt le psychanalyste dans une situation où son narcissisme trouve d'incontestables satisfactions. Nous parlons des psychanalystes qui ont conservé un Idéal du Moi valable et non de ceux qui, cédant à la pression sociale, se laissent entraîner dans le courant qui mène à la destruction de l'inconscient, à travers l'attaque aveugle des manifestations symptomatiques. Lorsque à l'intérêt porté à la libération des potentialités contenues dans le Ça, se substitue la


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recherche d'une normalité standard, le terme de blessure couramment utilisé en ce qui concerne le narcissisme ne suffit plus. On est alors en présence d'un véritable meurtre narcissique.

Mais revenons à la question des difficultés entre psychanalystes et psychosomaticiens. L'existence de manifestations psychosomatiques devrait être une offense au narcissisme de chacun en général, et des psychanalystes en particulier. Presque tous les troubles mentaux permettent de montrer, grâce à l'extension qui est donnée au terme de narcissisme, extension qui va d'ailleurs si bien avec lui, que ce dernier y trouve toujours son compte. Or, l'atteinte somatique en tant que solution de conflit se présente tout autrement. Son existence même, met en cause les principes avec lesquels les psychanalystes ont l'habitude de composer. L'inconscient semble, dans ces cas, brusquement privé de ses ressources originales. La littérature montre qu'existe un double mode de résistance : d'une part, une avalanche de faux diagnostics rattachant les troubles somatiques à des structures connues, à des profils caractériels soigneusement décrits, à des aspects prépsychotiques ; il a été conféré aux organes d'autre part, des possibilités d'exprimer de sombres drames. En croyant ouvrir à l'inconscient de nouveaux domaines, les psychanalystes ont rétabli leur narcissisme un instant menacé, et dans leur corps et dans leur esprit. Il n'en résulterait qu'une extension de la clinique psychanalytique classique. En fait nous venons de parler seulement des psychanalystes qui consentaient à s'approcher de la psychosomatique, car la grande majorité des nôtres ne s'intéresse pas du tout à la question, l'ignore même. Nous n'insisterons pas ici sur le phénomène symétrique, infiniment plus grave, qui consiste à étendre la simplicité apparente des mouvements psychosomatiques à la théorie psychanalytique, à psychosomatiser, pourrait-on dire, la psychanalyse.

Tout le monde est sensible à la différence de qualité qui préside à la formation d'un rêve, d'un symptôme névrotique, d'un délire ou d'un hyperfonctionnement gastrique. Comme il se trouve qu'on peut obtenir le même hyperfonctionnement gastrique en excitant par différents moyens physiques la zone encéphalique appropriée, et que la solution d'un conflit peut être ainsi reproduite par des moyens dénués des richesses de l'inconscient, par une énergie physique démunie de toute vie, non seulement le culte de l'inconscient peut s'en trouver altéré, d'une part, mais l'existence d'une force de dévitalisation mise en oeuvre dans certaines conditions peut s'en trouver démontrée d'autre part. Nous pouvons ainsi exprimer précocement ce qui sera notre


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conclusion : l'investissement libidinal erotique du corps ne se maintient qu'à condition qu'il trouve son prolongement dans un appareil mental topiquement constitué. L'unité narcissique primaire ne peut subsister que dans la mesure où s'ouvre une issue vers une mentalisation, normale ou pathologique, peu importe.

On ne peut donc, semble-t-il, parler de narcissisme qu'à propos des individus largement enrichis de leurs pulsions jusque dans le domaine mental, quel que soit le mode, habituel ou pathologique de cet enrichissement. Nous parlons ici des sujets qui approchent du stade génital idéal qu'a décrit M. Bouvet, comme des névrosés mentaux, comme des psychotiques atteints d'un délire durable dans le temps. Les objets extérieurs, comme les objets intérieurs au premier plan desquels nous plaçons les représentations fantasmatiques, sont à la fois alors perçus comme des valeurs conscientes et inconscientes, quel que soit le mode harmonieux ou dysharmonieux de relation de ces fonctions, peu importe.

De la même façon que les études génétiques portant sur la maturation pulsionnelle tendent à expliquer le mouvement synthétique qui aboutit à la génitalité, la clinique psychosomatique nous a conduit à envisager la genèse d'une première évolution dont le terme réside dans l'investissement narcissique psychosomatique. Ainsi s'établirait une unité psychosomatique protégeant le corps des vicissitudes qui peuvent entraîner une désintégration des forces psychiques, jusqu'en des formes se rapprochant de l'énergie physique, au sens le plus élémentaire du mot.

L'aspect philosophique de cette conception ne nous échappe pas et va dans le sens de certains romans de science fiction, dans lesquels les sources psycho-affectives qui créent l'individualité humaine sont remplacées par un courant scientifique organisé de l'extérieur. Nous avons en particulier à l'esprit le roman d'Aldous Huxley dont le thème symbolique est le retour de Shakespeare dans un monde de cette sorte. Notre hypothèse ne concorde cependant pas tout à fait avec ces romans car, à notre point de vue, cette évolution aboutirait à la disparition de l'espèce ayant ainsi évolué, et à la résurgence de peuples ayant conservé un certain animisme, et en conséquence directe un narcissisme psychosomatique intégré.

Nous avons déjà montré à plusieurs reprises combien le mythe d'une réponse unitaire psychosomatique chez les malades présentant des troubles psychosomatiques était totalement inexacte, sur le plan clinique. Bien au contraire, l'observation clinique montre un Moi


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présentant vis-à-vis de son soma un degré plus ou moins grand de déconnexion. Cette affirmation moniste que l'on retrouve sous la plume de la plupart des psychosomaticiens, psychanalystes ou non, reste une des manifestations de la résistance dont nous parlions plus haut.

Ce morcellement psychosomatique nous conduit tout naturellement à examiner les fantasmes de morcellement décrits par les psychanalystes d'enfants. Un grand mérite de Lebovici et de Diatkine est d'avoir montré que ces fantasmes sont des créations postérieures à l'époque où les zones érogènes opéraient isolément chacune pour leur propre compte. C'est leur reviviscence régressive à partir de certaines peurs qui leur confère cette valeur de morcellement, notion ne pouvant apparaître qu'après l'investissement de l'image du corps. La question peut se poser : Pourquoi ne pas voir dans ces peurs fantasmatiques l'origine du morcellement psychosomatique que nous venons de souligner ? Tout simplement parce que nous postulons que l'existence des peurs fantasmatiques même, est incompatible avec le trouble psychosomatique. Les hypothèses génétiques telles que les ont formulées Federn et Glover sont, à ce sujet, d'un précieux enseignement. A partir du stade narcissique primaire, des zones érogènes se différencient qui, à leur début, constituent des îlots dans la masse narcissique, îlots où s'ébauchent des échanges sans que l'impression d'unité primitive soit rompue. Spitz a bien décrit ce phénomène dans son article sur la cavité primitive. Bien que l'unité primitive persiste, ces îlots restent sans communication entre eux, conservant une certaine autonomie. En voici un exemple : une personne qui se repose au soleil dans un beau paysage perçoit au début la sécheresse de sa gorge comme une aspiration isolée, non intégrée aux sensations agréables qui continuent à la fondre avec le décor. L'hallucination d'une bouteille bien fraîche connue comme étant à portée de la main, viendra même renforcer le plaisir global.

Il doit cependant exister de façon transitoire des périodes où la fusion narcissique se dissout au-delà d'un certain degré de tension instinctuelle. Que la sécheresse de la gorge devienne un besoin physiologique impérieux sans espoir d'être promptement satisfait, et le beau paysage estival deviendra un désert abominable. Cette impression désastreuse peut cependant devenir à son tour le prélude à la satisfaction rétablissant l'unité narcissique. Alors s'ensuivra la séquence freudienne classique, fusion narcissique, îlot érogène, satisfaction hallucinée, rétablissant la fusion narcissique, accentuation du besoin dépassant les possibilités auto-érotiques mais devenu cependant signal d'une satis-


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faction proche, etc., avec investissement narcissique renforcé de la zone érogène. Nous approchons ainsi d'une perspective économique du maintien, de l'approvisionnement, de la dissolution de la libido narcissique, et de son équilibre avec l'investissement des zones érogènes.

L'observation et la clinique montrent que la déprivation narcissique peut être à l'origine de l'abandon des possibilités objectales qui naissaient par le canal des zones érogènes, comme à l'origine du désinvestissement de ces zones érogènes. Cette déprivation narcissique peut aboutir au contraire à une valorisation de ces zones érogènes pour compenser le manque par des satisfactions auto-érotiques.

De ce fait, nous pouvons envisager plusieurs éventualités :

1) La défaillance de l'investissement narcissique par carence du milieu est compensée par une accentuation de l'investissement des zones érogènes avec repli sur un « corps-Moi » mal différencié et franchement coupé de la libido objectale, ou pré-objectale attachée à ces zones érogènes. Ceci nous apparaît sur le plan clinique comme un élément essentiel séparant les troubles psychosomatiques des troubles mentaux.

Dans les troubles mentaux auxquels s'attache la clinique psychanalytique on retrouve toujours un équilibre économique sur le plan du narcissisme. La dévalorisation narcissique vécue par le Moi dans sa faillite fonctionnelle est récupérée par le narcissisme inconscient attaché aux symptômes. Dans ces troubles primaires de l'investissement narcissique, nous retrouvons au moins partiellement, ce que Freud a décrit de la formation du Moi : le rétablissement du narcissisme primitif frustré par la carence, au moyen de l'auto-érotisme attaché aux zones érogènes, est en quelque sorte un narcissisme secondaire trop précoce dans son apparition ou du moins dans sa façon globale d'apparaître. Il ne sert pas, comme plus tard, à édifier des identifications concourant à la formation du Moi, mais nous nous excusons de l'usage que nous allons faire du terme, à s'identifier au narcissisme primaire défaillant. Le déséquilibre maximum, d'observation clinique rare, se rencontre dans les psychoses précoces de l'enfance, dans lesquelles on ne peut parler de Moi, mais d'îlots auto-érotiques sans aucun contact avec le monde ambiant. Dans la pratique courante, nous observons surtout un déséquilibre entre les investissements auto-érotiques qui constituent des points de fixation, et l'investissement narcissique primaire insuffisant.

Il convient de signaler ici une modalité clinique fréquente qui, dans son devenir, aboutit à une pathologie toute différente : une défaillance narcissique provenant d'une défaillance de l'amour maternel

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est compensée par une attitude de la mère nattant un auto-érotisme de l'enfant.

2) La mère par des soins trop fréquents, témoignant de son angoisse de castration, empêche l'investissement des zones érogènes. L'enfant deviendra pusillanime, hypocondriaque de son corps et de son esprit, recherchant continuellement un approvisionnement narcissique de la part des autres.

3) De nombreuses études ont été faites sur les frustrations précoces. Il n'était pas fait de différence quant à leur issue : troubles graves du comportement, troubles mentaux ou psychosomatiques. A travers la littérature, il apparaît cependant de légères différences. Les psychanalystes d'enfants parlent plus volontiers d'attitudes viciées de la mère, alors que les psychosomaticiens parlent plus souvent de troubles somatiques de la petite enfance. A première vue, peu de différences. En effet, les praticiens qui veulent une différence entre situation réelle et situation fantasmatique ne font que montrer un système de défense qui leur est personnel : le refus de voir que le monde conceptuel de leur enfance était loin de coïncider avec leur pensée adulte. Une maladie grave de la petite enfance entraîne un état de malaise chronique que le milieu est incapable de soulager rapidement. Le personnage de la mère, de ce fait, est très frustrant. Si la mère et le milieu familial sont convenables, il se créera par la suite une dissociation entre les impressions premières et ultérieures. Ce fait constitue déjà, en lui-même, une situation particulière.

Il existe une façon théorique toute différente d'aborder le problème et d'examiner les hypothèses qui en découlent. Que se passe-t-il habituellement au cours d'un trouble organique ? Un désinvestissement des objets s'opère, ainsi qu'un repli sur le Moi de la libido qui, d'objectale devient ainsi secondairement narcissique. Pour le tout-petit enfant, il est difficile de replier une libido déjà resserrée sur lui, d'autant que le malaise interne qui s'ensuit, entraîne, par sa persistance, le sentiment d'une absence de la mère, donc d'une perte en libido narcissique. Le repli ne peut donc porter que sur la libido attachée aux zones érogènes.

La clinique psychosomatique nous conduit à penser qu'il peut se produire différentes sortes de phénomènes : d'une façon générale, le repli narcissique de la libido à la suite du trouble psychosomatique n'est pas cliniquement décelable. Le patient semble donc se trouver dans la même situation que le bébé. Mais, suivant les cas, on peut observer soit un renforcement d'un comportement qui pourrait être


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assimilé à une conduite auto-erotique, ainsi qu'il est courant de le constater dans les ulcères de l'estomac, ou dans la tuberculose pulmonaire, soit une disparition totale des manifestations affectives à travers un syndrome de dépression sans objet. Le trouble somatique grave de la petite enfance semble donc entraîner une dissolution de la libido narcissique, et une régression à un dynamisme purement organique. Nous pensons qu'il s'ensuit une extrême labilité des investissements libidinaux, suivant des mécanismes qui font l'objet de nos études, et des possibilités de régression portant sur la qualité de l'énergie qui sous-tend la libido. Mais tous les cas que nous avons examinés, présentant des troubles somatiques d'origine conflictuelle, n'ont pas forcément traversé, dans leur enfance, un épisode de trouble organique grave. Nous sommes donc amenés à envisager les perturbations qui pourraient conduire au même résultat. Mais les enfants qui ont souffert d'un trouble grave ont été soignés : la déshydratation a été corrigée par des sérums adéquats, l'agitation combattue par les thérapeutiques calmantes. En résumé, à la relation libidinale, on a substitué une mécanisation de la relation. Il nous apparaît que ce type de relation constitue le dénominateur commun, qui peut se manifester sous de multiples formes, allant d'une mère mécanique, des crèches et des garderies, des machineries dispensant les soins suivant les derniers principes, jusqu'aux médicaments réformant le comportement.

Tous ces faits ont encore un caractère hypothétique et sont appelés à être précisés ou infirmés. Cependant, il faut bien dire que nous commençons à douter du paradis intra-utérin. Il ne le devient vraiment qu'à partir du moment où il est fantasiné a posteriori. N'est-il pas un lieu où les besoins sont réglés relativement mécaniquement ? Nous ne sommes pas persuadés que l'amour maternel diffuse à travers le placenta, et il nous semble de plus en plus difficile de concevoir le narcissisme sans ce complément d'origine instinctuelle, l'instinct maternel. Par contre, qu'à la mécanisation de la relation, l'organisme réponde suivant un mode prévalent in utero, c'est-à-dire suivant un mode somatique, est une hypothèse qui nous semble tout aussi plausible que celle du paradis.

En somme, à partir de certaines circonstances que nous avons résumées sous le nom de mécanisation de la relation, le narcissisme disparaît du système qui contient, en lui-même, la mentalisation, et les conflits ultérieurs activeront un mode d'expression plus proche d'une énergétique mécanique, que de manifestations mentales. En dépit du caractère extrêmement hypothétique de ces assertions, il n'en


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demeure pas moins que la clinique psychosomatique appelle une révision des données classiques concernant le narcissisme.

Le but de cet exposé n'étant pas à proprement parler clinique, nous en resterons là pour aujourd'hui.

Revenons maintenant à notre sujet. En insistant sur la compensation narcissique qui existe dans les troubles mentaux, nous avons assimilé ce phénomène à l'existence d'une activité mentale inconsciente suffisante. Il est classique de dire que les besoins narcissiques du petit de l'homme sont d'autant plus élevés qu'il naît prématuré, et que sa vie dépend totalement de son milieu. On pourrait ajouter à cette vérité : « Et qu'il a rapidement les moyens de s'en rendre compte. » Aussi prématuré que soit le petit humain par rapport à ses frères inférieurs, il a cependant d'emblée, sur le plan mental, des possibilités que ces derniers n'atteindront jamais. L'homme naît sous le signe de la latence. Il sait, à sa façon, avant de pouvoir, et cela fait partie de l'activité auto-érotique de compensation.

En 1953, dans notre travail sur le rôle de la motricité dans la relation d'objet, nous avons insisté sur l'importance de l'existence de satisfactions sensorio-motrices dans l'élaboration du processus hallucinatoire primaire. Seul ce type de satisfactions nous semblait apte à fournir une activité hallucinée pouvant compenser, par substitution, un manque profond d'origine organique, tel que peut être vécue la faim du nourrisson. Nous restons fidèles à ce point de vue, tout en critiquant maintenant son origine trop objective. Nous ne croyons plus qu'il est possible de superposer un bon équilibre homéostatique à la satisfaction narcissique de fond. La qualité de l'apport narcissique s'ajoute à l'équilibre homéostatique et vient de l'amour maternel. Par ailleurs, en 1953, nous avions mis trop à égalité les satisfactions cutanées, proprioceptives, auditives, visuelles, avec celles qui se manifestent à partir des zones érogènes, bouche, anus, organes génitaux. La peau, les organes des sens servent à entretenir le tonus narcissique de base, alors que les zones érogènes ont une capacité d'auto-production de sensations plaisantes, en même temps qu'une capacité d'élaborations mentales indépendantes, échappant totalement à la pression qu'exerce très tôt la pensée uniforme des adultes.

L'évolution de nos idées est le fruit d'observations, mais aussi de l'assimilation des importants apports de J. Favreau sur les zones érogènes. Les possibilités hallucinatoires dans notre nouvelle conception proviennent ainsi de deux sources distinctes : 1) des sensations réellement expérimentées au contact de la mère — elles sont à l'origine de


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l'appréhension de la future réalité, de la personnation comme dirait Racamier ; 2) d'une activité auto-érotique des zones érogènes créant des fantasmagories échappant totalement au milieu ambiant dans leur élaboration, bien que dépendant de lui quantitativement et qualitativement dans leur production. Cette évolution de notre pensée correspond à la description faite avec Christian David de la bipartition première du processus primaire. Nous avons déjà parlé des possibilités de perturbation entre ces deux sources d'activité mentale. Cet aspect précoce de l'équilibre narcissique, par un abord différent, avait déjà été signalé par Janine Chasseguet et Racamier lorsqu'ils parlaient du télescopage des stades évolutifs à partir de frustrations précoces. D'ailleurs, Freud n'a-t-il pas écrit que l'absence de la mère entraînait un surcroît d'excitations, et décrit le mode auto-érotique utilisé pour se défendre contre une telle absence ?

En résumé, la possibilité d'édifier une activité mentale directement en relation avec les zones érogènes, au fur et à mesure qu'elles se différencient, est à la base de ce qui constitue l'individualité humaine. Celle-ci ne peut s'épanouir dans toute sa beauté que soutenue par un tonus narcissique de fond suffisamment présent, mais aussi suffisamment absent pour ne pas nuire à l'éclosion de l'originalité. C'est ce que Freud a écrit depuis longtemps sous une autre forme dans Les pulsions et leur destin. De même l'idée qu'une surcharge de type narcissique primaire peut empêcher l'évolution satisfaisante qui découle des zones érogènes, n'est-elle pas implicitement contenue dans l'assertion de Freud, selon laquelle l'impuissant répand sur tout son corps la libido qu'il retire de son pénis, et nourrit ainsi des fantasmes de retour au corps maternel ?

Chez les sujets somatiques, il n'est pas question de cet équilibre narcissique de base. La personnalité apparaît coupée en deux : d'une part, un Ça irreprésentable qui ne s'est pas dégagé, ou qui est retourné à ses origines somatiques tout en conservant sa valeur énergétique, et d'autre part, un ensemble de conduites souvent d'apparence stable et solide qui peuvent faire croire à un Moi puissant. Ces personnalités pourraient souvent, dans certains cas extrêmes, être pris pour des modèles sociaux. Leur comportement tend à faire croire à l'influence d'un Surmoi très fort. Mais il ne s'agit pas d'un Surmoi au sens classique du terme. Il se présente ici comme un ensemble de règles sociales avec toutes les variantes qui existent selon les milieux, et cela sans qu'on y rencontre l'originalité des identifications du Surmoi classique. Il s'agit plutôt d'une véritable structuration énergétique de l'action, dans un


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sens social qui aboutit à la vie opératoire décrite avec M. de M'Uzan. Dans ce cas les objets sont vécus, comme nous l'avons dit, sous forme d'une reduplication projecrive. Les représentations intérieures ne constituent qu'un projet immédiat, qu'un accompagnement, ou qu'une révision de l'action. La pensée se centre ainsi étroitement, spatialement et temporellement, autour de l'action. S'ils n'existent pas sous forme de représentations fantasmatiques, des objets intérieurs, en apparence du moins, peuvent quelquefois se rencontrer. On trouve par exemple un foyer corporel douloureux ou traumatisé mais qui, en réalité, est vécu par le sujet comme étranger à lui-même. Les manifestations hypocondriaques sont, en ce cas faibles et limitées à de simples descriptions symptomatiques, pouvant être accompagnées d'une intellectualisation autour des inconvénients pratiques que la maladie entraîne. Ceci reste opposé à l'hypocondrie classique qui vient troubler le repli narcissique nécessaire à la guérison, de la même façon que le rêve vient troubler le sommeil, ou pour reprendre la comparaison avec le thème développé plus haut, comme une zone érogène sur un fond narcissique. Chez le délirant cette hypocondrie peut constituer le trouble à lui seul, chez le névrosé une occasion de montrer l'activité de son inconscient.

Dans le cas extrême du psychosomatique décrit plus haut, par cas extrême nous voulons dire que, décrit schématiquement comme nous le faisons, nous lui retirons en fait toute possibilité de vie, le narcissisme semble se réduire à une espèce d'intégration fonctionnelle au groupe, et l'activité liée aux zones érogènes à un dysfonctionnement somatique. Or, cette activité fonctionnelle qui n'a pas la valeur d'une formation réactionnelle n'apporte pas, en fait, l'apport narcissique obtenu au prix du renoncement de l'activité érogène, comme chez les mentaux, et, l'activité somatique qui n'a pas reçu ou qui a perdu, par son indifférenciation primitive ou régressive, sa valeur libidinale n'apporte aucune compensation. Il s'agit d'un autre registre. Il semble s'être creusé un écart entre une évolution psycho-motrice correcte au sens neurologique du terme, et une absence d'investissement de l'image du corps. La perte ou la non-apparition de l'activité mentale liée aux zones érogènes du moins à son émergence première, aboutit à la non-reconnaissance du symbole personnel comme le dirait Pasche et à l'apparition du Moi autonome. Ce qui apparaît aux yeux de Hartmann, Kriss et Loewenstein comme un phénomène normal, nous apparaît comme un stigmate de la dégénérescence de l'homme. Il est aussi pathologique de percevoir le Moi autonome que de percevoir le squelette d'un individu. Avec le Moi autonome nous retrouvons Aldous Huxley et le meilleur des mondes,


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dans lequel Shakespeare est aliéné. Ce meilleur des mondes est composé d'individus qui n'ont jamais connu le contact d'une mère aimante ou réjectrice, ou d'une mère sachant doser amour et réjection, et qui n'ont jamais complété, en dépit d'un équilibre homéostatique plus que parfait, leur surface corporelle par des sentiments humains bons et mauvais.

Nous écartons aujourd'hui délibérément, dans la perspective que nous avons abordée aujourd'hui, les relations entre Éros et Thanatos, bien qu'à la lumière de ce que nous avons tenté d'exposer le concept de narcissisme nous semble incompréhensible si l'on ne tient pas compte de ces relations. Nous irons même plus loin, en matière psychosomatique, l'instinct de mort est une réalité clinique. C'est actuellement l'un des premiers objets de nos études. Nous avons déjà laissé entrevoir qu'au désinvestissement narcissique premier, succède le trouble altérant l'organisme.

En fait, si nous voulons être complets dans cette étude économique des états narcissiques précoces, il nous faut compliquer le problème. L'expérience clinique nous montre que des individus qui ont présenté des névroses mentales ou des attitudes richement investies peuvent se décompenser vers l'âge de 40 ou 50 ans et présenter des troubles psychosomatiques. Ce phénomène peut s'observer également chez des gens plus jeunes à la suite de conflits issus de difficultés sociales, familiales, médicales, voire même psychothérapiques : toute une couverture souvent d'apparence obsessionnelle s'effondre pour faire place à des troubles somatiques graves. Sans rentrer dans une étude complète de ces cas, nous sommes amenés à penser que chacun possède en soi un secteur mécanisé, opératoire, désaffectivé. Nous rejoignons encore, à notre façon, l'opinion de Hartmann sur le Moi autonome. Une partie de chacun de nous a tendance à se séparer de l'inconscient et à trouver un comportement opératoire, tandis que la partie désaffectivée entretient des perturbations somatiques.

Il doit donc exister, aux périodes précoces de l'enfance des mouvements étroitement en rapport avec les conditions d'ambiance et en particulier avec la qualité de l'instinct maternel, mouvements déplaçant l'énergie de sa qualité libidinale, qu'elle soit narcissique primaire ou secondaire, vers une excitation somatique, et, vice versa. Certains individus semblent conserver, par la suite, cette labilité première, ou la voient réapparaître après certains mouvements d'allure régressive.

Avant de terminer, nous voulons encore préciser qu'il ne s'agit pas pour nous de jouer les Otto Rank. Notre intervention n'a porté


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que sur cette époque du prélude à la mentalisation, et, si nous avons fait de fréquents appels à une clinique mettant en avant des situations en fait plus complexes, c'était davantage pour montrer comment notre pensée s'est précisée, que pour illustrer notre théorie.

En conclusion, nous dirons qu'à travers nos études psychosomatiques, le narcissisme ne nous est pas apparu comme ce roc solide et inaltérable qui est décrit dans les livres, mais comme quelque chose de fragile, facilement altéré, voire détruit dans ce qu'il a de spécifiquement humain. Souvent, au cours de la rédaction de cet exposé l'image des premiers mouvements de la vie tels que les a décrits Freud nous est revenue à l'esprit : au milieu d'une nature soudain favorable, la vie naissait et avec elle une forme nouvelle, puis l'adversité se présentant les forces physiques reprenaient le dessus et réimposaient leurs lois mortes.


Étude sur le narcissisme

par B. GRUNBERGER

I

« Toi, non restreint par des liens serrés, d'accord avec ta propre volonté (dans le pouvoir de laquelle je t'ai placé) tu dois définir ta nature toi-même. Je ne t'ai fait ni céleste ni terrestre, ni mortel ni immortel, afin que toi, étant pour ainsi dire ton propre faiseur et mouleur, tu te façonnes de la façon que tu préfères. »

PIC DE LA MIRANDOLE, Oration de la dignité de l'homme.

Je suis censé présenter ici une étude synthétique sur le narcissisme ; or, comme j'ai publié, échelonnées sur un certain nombre d'années, une série d'études sur la question (1, 2, 3, 4, 5, 6, 7) il me serait difficile d'éviter des redites, inconvénient que je tiens autant que possible à éviter. Aussi ai-je opté pour la formule suivante : je vais d'abord vous lire quelques passages d'un travail de séminaire de Mme ChasseguetSmirgel concernant mes conceptions sur le sujet, pour reprendre ensuite quelques aspects particuliers de la question telle que je l'envisage.

Je me permettrai enfin d'attirer, chemin faisant, votre attention sur quelques détails sur lesquels je n'ai pas encore eu l'occasion de m'étendre.

Après avoir, dans une première partie rappelé mes conceptions sur la situation analytique et ses rapports avec le narcissisme que je considère comme le moteur de la cure et comme conférant au processus analytique sa dynamique propre, Janine Chasseguét-Smirgel dégage, dans une

(1) Rapport au XIXe Congrès, Essai sur la sit. analytiq. et le proc. de guérison, Rev. Fr. de Psychan., 1957, III.

(2) Préliminaires à une étude topique du narcissisme, Rev. Fr. de Psychan., 1958, III.

(3) Considérations sur l'oralité et la relation objectale anale, Rev. Fr. de Psychan., 1959, II.

(4) Étude sur la relation objectale anale, Rev. Fr. de Psychan., 1960, II.

(5) Considérations sur le clivage entre le narcissisme et la maturation pulsionnelle, Rev. Fr. de Psychan., 1962, II et III.

(6) De l'image phallique, Rev. Fr. de Psychan., 1964, II.

(7) Étude sur la dépression, Rev. Fr. de psychan., 1965, II et III.


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deuxième partie ce qu'elle appelle « le narcissisme et son destin » (je la cite) :

Le narcissisme plonge ses racines dans le vécu prénatal. Le foetus dans le sein de sa mère connaît un état de complétude parfaite, où il n'y a ni sujet, ni objet, ni conflit, ses besoins recevant une satisfaction immédiate et absolue et ne pouvant, de ce fait, se constituer comme tels. L'univers du foetus est illimité dans le temps et dans l'espace. On peut supposer que cet état confère au foetus un sentiment élationnel, inconscient, puisqu'on ne peut concevoir qu'il puisse le saisir comme tel ni se saisir dans son existence même.

Cette hypothèse n'est pas indispensable, elle constitue simplement un modèle à la régression narcissique, mais elle semble corroborée par certains mythes collectifs tel celui du Paradis perdu ou de l' Age d'or, de la vie future qui serait une nouvelle rencontre, après la mort, avec l'univers paradisiaque.

L'homme conserverait donc, dans l'inconscient, le souvenir ineffable et nostalgique de cette béatitude qu'il tenterait de retrouver sur divers modes tout au long de sa vie, dans le sommeil, l'ivresse, l'extase, le « sentiment océanique », la sublimation, l'art, la création, l'amour, l'orgasme et enfin l'analyse.

La vie quotidienne, la réalité elle-même n'est supportable et accessible même, qu'à travers l'écran d'un narcissisme individuel qui, si on l'examine de près, contient des traits quasi délirants.

La psyché collective, garde l'empreinte de l'élément narcissique. Ainsi l'idée de l'Être (« Je suis celui qui suis ») de l'Éternel qui a une existence unique, sans commencement ni fin, possédant le don d'ubiquité, omniscient et omnipotent, se réfère sans nul doute au modèle narcissique du vécu foetal, au narcissisme primaire.

Que Dieu se réfère en même temps au père éclaire la projection narcissique

que l'enfant fait sur son père, érigé en Idéal du Moi. Quant à la toute-puissance,

nous savons que la vie individuelle, collective et sociale est emplie de sa recherche.

Le narcissisme n'est pas simplement la direction des pulsions ; il est une énergie

autonome et investit les pulsions, même lorsque celles-ci sont dirigées vers les

objets.

Cette conception du narcissisme a la double particularité d'envisager cette force comme une énergie autonome, qui fonctionne comme une instance, et d'insister sur son aspect dynamique (par opposition à un « état narcissique » qui impliquerait un état statique).

Cette double polarité nous amène à envisager le développement humain sous l'angle du narcissisme.

En effet, l'état parfait de fusion narcissique de la vie prénatale est tôt rompu. Tout d'abord à la naissance comme l'indiquent les travaux de Rank et Ferenczi. En tout cas le destin de l'homme est marqué par le fait qu'il naît néoténique et prématuré. C'est là le prototype du trauma narcissique ou blessure narcissique qu'il s'agira pour l'enfant de réparer afin de rétablir la complétude narcissique perdue. Mais ce rétablissement narcissique ne visera pas à reconstituer purement et simplement l'état prénatal, il s'effectuera sur différents modes propres à chaque étape de la maturation pulsionnelle.

Il s'agit donc bien d'une conception évolutive et dynamique du narcissisme. Nous sommes dans une perspective étroitement liée à l'aspect maturationnel de


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la personnalité dans toutes ses données (biologiques, physiologiques, pulsionnelles, etc.), car chacune de ces vues tient compte du moment du développement auquel l'étude se situe.

Le phallus sera le symbole de chaque accès à la complétude, au rétablissement narcissique, à chaque stade de développement.

La castration, c'est-à-dire le phallus châtré en signera l'échec. « Chaque stade de l'évolution offre à l'homme des modalités multiples et spécifiques de rétablissement narcissique, pour peu qu'il aboutisse à un achèvement de l'intégration des pulsions propres à chaque stade et qui sont l'objet d'un investissement narcissique adéquat. » Ainsi par exemple le destin du sentiment de toutepuissance au stade anal deviendra désir de pouvoir en s'enrichissant des composantes pulsionnelles propres au stade sadique-anal, c'est-à-dire de la maîtrise objectale. Certes, par rapport à la fusion prénatale, le pouvoir constitue un rétrécissement de l'univers illimité dans lequel s'inscrit la toute-puissance et, vu dans une perspective statique, le passage de la toute-puissance au pouvoir s'effectue par une castration, mais si l'on se place dans une perspective dynamique il s'agit d'un accès à une complétude d'un autre ordre, d'un rétablissement narcissique obtenu par l'utilisation des capacités nouvellement acquises. Il y a là un mouvement dialectique qui consiste à abandonner partiellement seulement une modalité de rétablissement narcissique au bénéfice d'une modalité nouvelle. Il ne faut pas oublier que maintenir un enfant dans un état de satisfaction totale de tous ses besoins ne serait pas lui conférer la complétude narcissique mais équivaudrait à partir d'un certain moment à le châtrer. En effet, ■nous constatons une tendance naturelle à la maturation, tendance évidente sur le plan du développement biologique et physiologique. Aussi bien la meillleure forme de l'éducation — la moins pathogène — ne serait-elle pas celle qui suivrait au plus près la ligne de la maturation spontanée, ne la retardant ni ne la devançant, les deux tendances conduisant à des traumas narcissiques, donc à la castration ?

L'objectalité elle-même n'est pas en opposition avec le narcissisme, toutes les pulsions devant recevoir un investissement narcissique, qu'elles soient ou non dirigées vers l'objet. Si bien qu'une certaine continuité, liée à la constance de l'investissement narcissique de l'objectalité même, semble inhérente à la perspective propre de cet exposé.

La conception qui en découle, quant à la cure analytique, serait celle d'un recommencement de l'évolution individuelle (Balint se plaçant dans la perspective de la « relation objectale primaire » parle de « Neubeginn ») avec l'intégration nécessaire de toutes les phases de la maturation pulsionnelle, investies narcissiquement de façon adéquate.

Il ressort de ces vues que le narcissisme serait un « élan vital ».

Ceci étant dit, je reviendrai tout d'abord sur la question de l'origine prénatale du narcissisme pour vous rappeler certains textes classiques sur lesquels je m'appuie et qui d'ailleurs ont été évoqués ici hier par d'autres ; je pense avant tout à Tausk (1) qui postule l'existence d'un

(1) Sur l'origine de la « machine à influencer » chez les schizophrènes.


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Moi psychique à investissement narcissique dès la vie foetale (« narcissisme inné ») et à Federn (1) pour qui le Moi, narcissiquement investi est donné d'emblée comme une totalité. Freud (2) enfin parle du foetus comme d' « un être complètement narcissique » et ajoute : « La continuité entre la vie intra-utérine et la première enfance est beaucoup plus importante que l'impressionnante césure de la naissance nous permettrait de le supposer. »

Quant à la survivance de l'état narcissique primitif, pour Tausk, « il se conserve tout au long de la vie et reste toujours attaché aux organes et à leur fonctionnement ». Freud parle à ce sujet (3) d' « un état primitif réalisé pendant la première enfance et qui demeure derrière les émanations ultérieures de la libido (objectale) qui risquent de le camoufler ». Je mentionne encore un passage pris dans Deuil et mélancolie qui va dans le même sens (« l'oralité est encore narcissique ») sans parler des « intérêts narcissiques » (« les pulsions et leur destin ») du temps où les deux instincts (instinct de vie et sexualité) sont inextricablement mêlés, nuance qui — à mon sens — nous autorise à en déduire l'existence d'une différence fondamentale quant aux dimensions psychiques dont ces deux entités (intérêts narcissiques et pulsions) relèvent.

La notion d'un état narcissique primitif prénatal comporte celle de la frustration obligatoire de cet état constituant une « blessure narcissique » et c'est bien ainsi que l'entendent les auteurs comme par exemple Lou Andréas-Salomé (4), Stärcke (5) et Hélène Deutsch (6) qui décrit la blessure narcissique primitive comme « la nécessité de renoncer à l'état de continuité du Moi et du monde extérieur et l'isolement incompréhensible qui s'ensuit ».

Deutsch relève le sentiment d'une identité du Moi et du monde extérieur qui rétablit « le bonheur de la personne ».

II

« C'est un malheur de n'être pas aimé, c'est une honte de ne l'être plus. »

P.-A. CARON DE BEAUMARCHAIS.

Nous avons fait état plus haut des théories du Moi de Federn et de Tausk pour qui le Moi primitif et sa charge narcissique se confondent

(1) La psychologie du Moi et les psychoses.

(2) Inhibition, symptôme, angoisse.

(3) Le narcissisme : une introduction.

(4) Narzissismus als Doppelrichtung (De la double signification du narcissisme), Imago, 1921.

(5) Le complexe de castration, Internat. Zeitschr. f. Psych., 1921.

(6) De la satisfaction, du bonheur et de l'extase, Internat. Zeitsch. f. Psychoan., 1927.


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pour ainsi dire. Or le narcissisme étant à mon sens une force ou une énergie qualitativement différente des pulsions qui structurent le Moi, et comme je confère au narcissisme la dignité d'une, instance, je ne pourrai éviter d'apporter ici quelques précisions terminologiques : quand je parlerai ainsi du Moi, j'entendrai par ce terme le Moi freudien proprement dit (centre de la perception, directeur de la motricité, agent central de coordination et de réalisation, etc.) et nous savons qu'envisagé sous cet angle, le Moi n'existe pas comme tel au début de la vie et doit se construire petit à petit. Ce qui existe par contre, c'est un état narcissique aconflictuel et élationnel correspondant au narcissisme primaire de Freud. Cette précision est importante, car si l'évolution de la composante narcissique se déroule parallèlement à celle du Moi proprement dit, ce parallélisme peut être perturbé, voire céder la place (par suite de certaines interférences entre les deux) à des situations dialectiques.

J'ai souligné ailleurs la nécessité d'un clivage théorique entre le narcissisme et les facteurs pulsionnels et montré que — malgré une évolution en principe parallèle et qui normalement doit aboutir à la fusion des deux — il importe de suivre séparément les destinées du Surmoi (à base pulsionnelle) et celles de l'Idéal du Moi dont l'origine est narcissique.

J'ai insisté finalement sur l'intérêt que nous avions à faire la part dans le développement psychosexuel de l'individu, des motivations pulsionnelles et de celles qui relèvent du narcissisme.

J'ai montré ainsi lors de mon exposé sur la dépression le rôle que joue la honte dans ce trouble, c'est-à-dire l'écrasement douloureux du Moi devant les exigences de l'Idéal du Moi.

J'ai tenté ainsi de dégager l'une des différences entre les deux dimensions psychiques (pulsionnelles et narcissiques) en précisant que i le monde pulsionnel engendrerait en se connictualisant de la culpabilité et de l'angoisse, alors que la dimension narcissique produisait dans les mêmes circonstances de la honte et de la dépression. Ces notions sommaires peuvent d'ailleurs être complétées et nous pourrons ainsi noter en passant que si le pendant positif de la culpabilité est la satisfaction pulsionnelle parfaite, de même le négatif de la honte est le contentement et le triomphe narcissique, la fierté.

Nous passons ainsi de l'univers de la satisfaction pulsionnelle à celui de l'estime (de soi-même et des autres), étant estimable ce qui représente une valeur, c'est-à-dire ce qui rehausse l'amour de soi, un aspect de la personne justifiant un investissement particulier et dont on


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est fier. Je rappelle ici — et ceci nous fournit encore un argument supplémentaire pour soutenir la thèse d'une nécessaire indépendance conceptuelle entre narcissisme et pulsions — le fait qu'on peut investir narcissiquement n'importe quoi et en particulier les manifestations de l'analité alors que par ailleurs, nous distinguons entre phase narcissique et phase sadique-anale et que nous avons décrit une situation dialectique fondamentale entre narcissisme et analité. Les éducateurs connaissent empiriquement ce problème et nous savons l'intérêt qu'il y a à ce que l'enfant investisse narcissiquement le produit de sa fonction excrétoire indépendamment du rejet surmoïque de ces produits.

Ces considérations prennent de l'importance si nous nous rappelons que la notion de valeur nous conduit à admettre l'existence d'un amour sans support pulsionnel, un amour « pur » auquel la présence du facteur pulsionnel est plutôt un obstacle. Quand Freud parle d'un « courant tendre » comme étant le résidu de l'investissement libidinal de la mère par le garçon lorsque l'OEdipe a « éclaté » au moment du complexe de castration et de l'installation de la barrière de l'inceste par formation du Surmoi, il se réfère, à mon avis, au retour vers un investissement narcissique, projeté sur l'objet, dépourvu d'éléments sexuels proprement dits. Symétriquement il existe — et Freud l'a montré — une prévalence du désir d'être aimé, indépendamment des gratifications sexuelles, ceci étant particulièrement marqué chez la femme.

Je me souviens ainsi de cette femme dotée d'un embonpoint assez prononcé mais qui ne voulait rien entreprendre pour mettre fin à cette légère disgrâce. L'analyse approfondie des différentes couches superposées de motivations inconscientes de ce comportement n'a pas pu l'entamer et il fallait nous rendre à l'évidence : nous nous trouvions en face d'un mur, mur de sa motivation narcissique spécifique : « Je suis ainsi — disait-elle — et celui qui m'aimera devra m'accepter telle que je suis » (je renonce volontiers à la satisfaction pulsionnelle car ce que je recherche avant tout, c'est la satisfaction narcissique »).

L'existence de « l'aimance » narcissique (pour reprendre l'expression de Pichon) prouve que non seulement il y a de l'amour exempt de tout élément sexuel proprement dit, ce qui est propre à modifier notre perspective en face de certaines relations interhumaines réputées d'origine homosexuelle, mais nous incite également à repenser certains aspects de la théorie de la libido. Sans approfondir ce sujet à cette occasion je préciserai cependant que lorsque je me sers du concept de narcissisme, j'utilise la notion de libido non « desexualisée » comme disait Freud mais asexuée, c'est-à-dire narcissique, le narcissisme en tant qu'amour


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de soi, voire sous sa forme objectale, pouvant être dépourvu de tout élément pulsionnel (nous verrons plus loin la situation où tout en coexistant, les deux éléments interfèrent, de même que le cas du narcissisme-perversion où le sujet n'est pas seulement son propre objet narcissique mais sexuel). Toutefois il est nécessaire de ne pas perdre de vue que toute satisfaction pulsionnelle obtenue augmente l'estime de soi, que la capacité d'obtenir des satisfactions à tous les niveaux et des satisfactions génitales pleines est nécessaire au sentiment de valeur personnelle. Au contraire, les conflits entravent non seulement la décharge pulsionnelle mais encore, de ce fait abaissent l'estime de soi. L'analyse, en démantelant les défenses à bon escient, constitue par là même une libération narcissique.

III

« Le faire est entaché d'un vice originel dont l'être semble exempt. »

E. M. CIORAN, Désir et horreur de la gloire.

« Les passions ne sont que les divers goûts de l'amour-propre. »

LA ROCHEFOUCAULD.

Si les différentes phases prégénitales et les pulsions partielles doivent être narcissiquement investies, et ceci à chaque stade de l'évolution psychosexuelle et inversement (le narcissisme ayant besoin pour se manifester, d'un support pulsionnel) nous savons que cette interaction double a des avatars compliqués et que nous assistons tout le long de l'évolution à une succession de situations dialectiques diverses, dont les protagonistes sont les deux facteurs, narcissisme et prégénitalité et en particulier la composante anale. Cette opposition dialectique revêt un aspect, particulièrement riche en relief, et provoque quelquefois un véritable choc lors des activités excrétoires. En effet, l'excrément retenu dans le corps est encore narcissiquement investi sur un mode inconscient primitif alors qu'une fois dehors — s'il reste propre à satisfaire un certain érotisme anal et à accomplir ainsi un rôle pulsionnel — cet objet qui faisait partie du Moi avant l'exonération devient subitement anti-narcissique car transformé en déchet et c'est pourquoi les activités excrétrices (et, dans un certain sens les activités anales en général) sont en elles-mêmes antinarcissiques, c'est-à-dire objets de honte. L'excrément est le premier objet dont l'origine est l' « altérisation » d'une partie du Moi, point de départ d'une série de situations dialec-


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tiques, de l'ambivalence, etc. Aussi bien constatons-nous l'existence d'un antagonisme entre le narcissisme et l'analité, mais aussi entre le narcissisme et les pulsions en général et ceci indépendamment de l'éducation et du Surmoi. Car si selon la morale judéo-chrétienne « la chair, c'est l'ennemi » et le héros, celui qui triomphe du Dragon, c'est-à-dire de ses pulsions, c'est déjà le résultat de motivations inconscientes profondes, plus profondes que l'OEdipe qui cristallise par sa barrière des tensions plus archaïques et bien plus profondes.

Ferenczi parle de la contrainte que subit l'enfant de la part de ses instincts (la contrainte s'appelle « besoin ») et qu'il vit cette contrainte comme une humiliation, c'est-à-dire comme une blessure narcissique. Dans le défi anal qu'il lance, en se retenant, à la fois à l'instinct et à l'éducateur, il obtient une gratification narcissique en investissant narcissiquement son analité même, c'est-à-dire un aspect de celle-ci qui est la maîtrise.

Mais nous savons que ce domaine est saturé de sources de conflits et que très souvent un narcissisme fragile empêche la moindre intégration de ce conflit d'où de très graves perturbations de l'évolution psychique en général.

Il semble bien, et Pasche en a brillamment parlé hier, qu'il existe dans l'homme une attitude naturelle opposée aux pulsions et même à tout le « sensorium » en général, probablement pour les raisons que nous avons invoquées ailleurs, je veux parler de la révolte de la toutepuissance et de relation originelle prénatale contre la modalité pulsionnelle qui prétend les remplacer, en particulier par des gratifications relevant de l'analité.

Henri Michaux (Tel quel, 1962) décrit la sensation qu'il avait quand — après une fracture avec immobilisation — il a recommencé à se servir de son bras cassé, c'est-à-dire quand son narcissisme a dû de nouveau avoir recours à cet outil corporel, ce qui équivaut dans un sens à la reviviscence, et ceci sur un mode parfaitement conscient, propre à être enregistré, de l'intégration de l'aspect pulsionnel du Moi. Or, les mots qu'il retrouve dans ses notes concernant les sensations ressenties à cette occasion sont : « immonde, ignominieux »..., « un grand « indé« fini » m'était soustrait que mangeait la commençante guérison ». « Je perdais cette étendue illimitée sui generis qui est un potentiel, une réserve, un inemploi. Il fallait passer du virtuel à l'actuel, de l'abstrait au concret, du latent à l'immédiat (comme on tombe du dégagement à l'engagement, de la liberté au mariage, du métaphysique dans le physique). Déchéance...


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« J'étais en plein organique. Un odieux, pressant organique, etc. » (1).

On ne saurait mieux illustrer la dialectique narcissique — anale, jusqu'à la révolte contre le besoin organique pressant dont parlait Ferenczi.

Je reprends ici le texte de l'exposé de Janine Chasseguet-Smirgel. En effet, si, pour moi, le narcissisme est un « élan vital », il n'en est pas moins aussi — je la cite — « un état sans objet, sans besoins, sans tensions, homéostatique, analogue à la mort... Certes, si l'on considère le narcissisme primaire comme un état, il contient en lui la mort, conçue non comme une fin mais comme la fusion parfaite, l' « éternel repos ». Par contre, si le narcissisme est conçu comme une énergie dynamique, sujette à des métamorphoses, à des vicissitudes venant s'intriquer aux pulsions et poursuivant la complétude sur les modes en rapport avec la maturation pulsionnelle et biologique, de plus en plus évoluée, nous voyons qu'il devient le moteur de la vie et, partant, de la cure analytique.

« Le narcissisme ne deviendrait mortel que lorsqu'il y a eu défusion entre lui et les pulsions. C'est alors, au reste, qu'il apparaît aux yeux de l'observateur, c'est-à-dire sous une forme toujours plus ou moins pathologique. Son investissement adéquat des pulsions le rendrait quasi invisible, sa discrétion étant le garant d'une bonne santé mentale et physique. »

J'ajouterai personnellement que le narcissisme peut conduire à la mort non seulement lorsqu'il recherche un état homéostatique, mais parfois aussi lorsqu'il est gouverné par l'élan dynamique dont on a parlé plus haut. Je pense, par exemple à ceux qui se font tuer pour leur Idéal du Moi dans une régression narcissique élationnelle et je néglige bien entendu, à dessein, tous les autres aspects d'une pareille position (OEdipe culpabilisé, attachement homosexuel, etc.). Le résultat qui est la mort n'est pas visé en tant que tel et est au reste nié dans l'Inconscient mais au contraire est recherchée une vie plus pleine, plus riche, plus triomphante, conforme à l'Idéal narcissique du sujet.

Au sujet de la motivation masochique qui a été avancée hier soir, j'ajouterai que je ne considère comme masochique que celui qui tire parti du mécanisme utilisé, le « masochisme moral » qui n'en récolte

(1) Un certain matériel clinique me permet de considérer sous le même éclairage un aspect du vécu dramatique qui se rattache à la « scène initiale » et que certains sujets ont accompagné d'une exonération incoercible ; il me semble, en effet, qu'on peut rattacher cette réaction, au moins partiellement, non pas à l'excitation régressive sexuelle, ni même à un acte agressif, mais au contraire à un renoncement à la composante pulsionnelle sexuelle sous l'effet d'un certain refus narcissique de la sexualité purement pulsionnelle dont l'enfant ne gardera d'ailleurs que l'aspect sadique-anal pur pour mieux la rejeter. Fonctionnellement parlant — comme je l'ai déjà souligné au sujet de la diarrhée causée par la peur — il ne s'agit pas là d'une défécation, mais d'une « vidange » de l'intestin, c'est-à-dire d'un rejet de l'analité en tant que composante sexuelle, mécanisme que nous découvrons également dans certains vomissements qui n'ont rien d'agressif et visent uniquement le rejet de l'objet pour échapper à la nécessité de le digérer c'est-à-dire d'exercer sur lui son analité.

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que la souffrance étant au vrai masochisme ce que le névrosé est au pervers. Derrière le « masochisme moral » on retrouve en effet la névrose pure dont la structuration s'apparente à celle du déprimé.

IV

« Se préférer — voilà la faute. »

GIDE, Le traité de Narcisse.

Il serait superflu d'insister ici sur la culpabilité qu'éveille le narcissisme. Nous connaissons en effet tous cette culpabilité spécifique qui empêche souvent le sujet de s'engager dans l'analyse ; dans un très grand nombre de cas, l'analyse a pour but de rendre le sujet capable de s'aimer, c'est-à-dire de ne plus entraver son épanouissement et de devenir ce qu'il est.

Cette question demanderait une étude plus approfondie et nous ne toucherons ici qu'un de ses aspects, celui qui la relie précisément à ce qui vient d'être dit de la dialectique narcissisme-pulsion.

Si nous reprenons en effet le mythe de Narcisse (pour plus de simplicité nous choisirons la version d'Ovide qui est la plus connue) nous remarquerons que Narcisse ne s'aimait pas d'un amour asexué. Il a refusé la nymphe Écho mais aussi toutes les femmes et tous les hommes qui s'offraient à lui comme objets sexuels pour se choisir mais sans doute en tant qu'objet sexuel complet sur un mode objectai pervers. Son crime dont il fut puni par la mort n'était pas de s'aimer mais de s'aimer mal, mêlant à l'amour purement narcissique une composante sexuelle perverse. Cette façon de comprendre le mythe de Narcisse est confirmée par une autre version du même mythe et qui nous ramène à l'histoire de la Genèse : d'après les gnostiques, le premier narcissique était en effet Adam dont il est dit (1)

Il s'était miré dans une surface d'eau et s'était amouraché de sa propre image ce qui lui a valu la perte de sa nature divine.

Ainsi, Narcisse serait un ange déchu comme Adam et comme Satan et nous pouvons noter que ce qui est la cause de la déchéance de Satan c'est le défi qu'il lance à la Divinité non seulement en investissant narcissiquement sa gratification pulsionnelle, mais en en faisant un mérite et une véritable religion (Satan et ses messes noires). Nous savons que si le Diable s'offre tous les plaisirs, il reçoit surtout les projections de la composante anale de ces plaisirs (sans parler de l'enfer

(1) W. MENZEL, Die vorchristliche Unsterblichkeitlehre (Leipzig, 1870).


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qui semble être la projection du milieu et de la combustion intestinale : le Diable est noir, ce qui est la couleur de la mort et de l'analité. En général, il apparaît dans un halo de vapeurs soufrées et lors d'un cérémonial particulièrement riche de symboles anaux, il offre son derrière à baiser). Mais en même temps, il est en mesure de tout procurer à celui dont il a acheté l'âme. Il est, comme Dieu, tout-puissant donc satisfait à la fois la pulsion et l'idéal narcissique. Si l'on réussissait à faire comme lui, je pense qu'on ne se sentirait pas coupable mais la tentative ne peut jamais réussir complètement et il reste donc à l'homme de projeter sur le Diable la caricature de la réussite ratée et de conserver une culpabilité vis-à-vis de ses propres velléités narcissiques.

V

« A tel point le doute sur soi travaille les êtres que, pour y remédier, ils ont inventé l'amour, pacte tacite entre deux malheureux pour se surestimer, pour se louanger sans vergogne. »

CIORAN,

Désir et horreur de la gloire.

j'ai traité ailleurs de la nécessité dans laquelle se trouve l'enfant d'être « confirmé narcissiquement ».

Ses désirs dépassent en effet ses propres possibilités d'intégration narcissique parce qu'il dépend de sa mère, il est obligé de projeter son narcissisme sur le parent et c'est son narcissisme originel qui lui revient sous forme de confirmation narcissique. Il y a une sorte d'identification réciproque dans laquelle les limites entre la mère et l'enfant se confondent. C'est une « union symbiotique » et la mère non seulement fournit à l'enfant un coefficient erotique à ses gratifications pulsionnelles mais se confond avec lui dans ces mêmes gratifications.

Tout le monde connaît le jeu « une cuillerée pour maman, une pour papa, etc. », et ceci n'est pas un amusement gratuit mais nécessaire pour que l'enfant puisse intégrer narcissiquement ses gratifications pulsionnelles. On retrouve d'ailleurs ce mécanisme dans le comportement sexuel de l'adulte qui n'est capable de prendre son plaisir que si son partenaire jouit aussi, si possible en même temps. Ou bien sur le mode oral, celui qui ne peut manger qu'en partageant sa nourriture avec quelqu'un et je me souviens d'un de mes malades qui ne pouvait croquer ses marrons autrement qu'avec sa femme et qui disait, en mêlant ses motivations inconscientes à des interprétations puisées dans sa propre analyse : « Je ne peux jouir du sein de ma mère que si


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elle-même jouit en même temps du fait de m'allaiter » (à ce sujet, j'aurais bien voulu que toutes les mères l'entendent). Un autre de mes analysés faisait cela avec une force absolument compulsionnelle, chaque fois qu'il sortait pour acheter un pain ou une tranche de jambon, il était absolument obligé d'en acheter deux, les interprétations d'une culpabilité conflictuelle historique n'ayant pas pu emporter sa conviction ni le libérer, bien entendu, de cette contrainte.

Ceci nous permet d'envisager un aspect important de la relation objectale en général et qui semble basé sur cette confusion sujet-objet ou encore, passage de la libido narcissique par l'objet pour revenir au sujet, retrouvant ainsi son origine narcissique.

Je rappelle à ce sujet Michael Balint (1) qui porte l'accent sur la relation objectale primaire et qui s'appuie sur des textes de Freud où il est question non pas de choisir l'objet mais de le retrouver.

Nous postulons donc que la relation objectale évoluée (et que l'on peut appeler « génitale ») est basée sur l'intégration parfaite par le sujet de sa propre libido narcissique. Je m'explique : l'enfant projette son narcissisme sur le parent et reçoit ce même narcissisme en retour sous la forme de confirmation narcissique. Il peut désormais — grâce à son narcissisme intégré — se prendre pour objet et s'aimer (narcissisme secondaire sain). Il pourra de même « émettre ses pseudopodes », pour reprendre la comparaison de Freud, vers les représentants du monde objectai et les introduire tout d'abord dans son Moi (chaque relation objectale commence par une introjection) (2), cette introjection provoquant une modification correspondante du Moi.

Si la possession de son propre Moi en tant qu'objet a pu se faire sur un mode plus ou moins aconflictuel (c'est-à-dire avec un investissement narcissique adéquat qui est fourni soit par le parent soit par le sujet lui-même, car il en devient capable à un certain degré de son évolution) la relation objectale elle-même se fera également relativement sans difficultés. Comme la relation objectale aura dans ce cas une base narcissique solide elle pourra avoir tendance à rester unique et permanente, exactement comme le narcissisme lui-même est basé sur l'unicité et la pérennité, étant présent de l'état prénatal jusqu'à la mort et au-delà — sans commencement ni fin — comme tous les croyants et tous les amoureux le savent. (Dans le cas d'un narcissisme conflictuel,

(1) A Primary Narcissism and Primary Love, dans The Psychoanalytic Quaterly, 1960, I.

(2) Les objets qui se présentent pour autant qu'ils sont des sources de plaisir, sont absorbés par le Moi, introduits en lui (« introjectés » selon le terme de Ferenczi) Freud, Les instincts et leurs vicissitudes.


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ceci se passera différemment car la modification du Moi sous l'impact objectai se fera sur un mode défectueux et l'introjection ne pourra se faire, ne durera pas où se transformera au contraire dans une « fixation au mauvais objet », toutes éventualités que nous ne pourrons pas envisager ici dans leurs détails). Bien entendu, je n'entends pas épuiser ici l'étude du rôle du narcissisme dans les relations objectales qui ont de très nombreuses variantes. Ce que je voulais souligner simplement, c'est l'importance de l'investissement sain de soi-même dans la relation avec autrui. C'est en s'investissant soi-même tel qu'on est qu'on pourra aimer l'objet tel qu'il est, avec ses défauts, c'est par une évolution adéquate de son propre investissement narcissique au cours de la vie qu'on pourra accepter sans dommage pour la relation objectale, les modifications tant mentales que physiques de l'objet.

Ceci dit, nous pourrions maintenant tenter d'entrevoir les différentes modalités de l'évolution du facteur narcissique.

1° Le narcissisme s'intègre spontanément (et reste par conséquent muet et pour ainsi dire invisible) grâce à une confirmation narcissique spontanée et sans histoires. C'est la solution normale ;

2° La solution névrotique intervient en cas d'une confirmation narcissique défectueuse (le degré de cette défectuosité oscillant entre deux limites extrêmes quantitativement et qualitativement définies) ;

3° La solution perverse par investissement narcissique de la pulsion partielle prégénitale ; et enfin

4° La solution psychotique par une confirmation narcissique régressive et délirante.

Quant à la théorie de la libido et son intégration réciproque avec le narcissisme, on pourrait tenter une ébauche de systématisation comme suit :

a) La libido est toujours narcissique, ce narcissisme pouvant être homobjectal (investissement du Moi en tant qu'objet) ou « hétérobjectal », son objet se situant en dehors du Moi ; dans ce dernier cas, la libido sera modifiée par l'inclusion d'éléments pulsionnels nécessitée par le passage vers l' « objectalité ».

b) Si, à la libido narcissique s'ajoute un élément sexuel, ce contenu spécifique transformera l'investissement libidinal en amour (s'il est hétérobjectal) ou en « perversion narcissique » s'il est homobjectal.


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DISCUSSION

Les dernières discussions portent : d'une part, sur l'opposition fondamentale qui apparaît entre certains points de vue métapsychologiques de Fain et de Grunberger ; d'autre part, sur les rapports entre le narcissisme et les zones érogènes ; enfin sur le narcissisme et la mort.

1. GRUNBERGER fait dériver le désir d'indépendance par rapport aux objets de la nostalgie, liée au rappel, en quelque sorte, du séjour dans le milieu utérin. Ce qui fait du narcissisme prénatal un bonheur élationnel parfait c'est qu'il ne dépend pas du tout de l'amour ou des soins de la mère. La blessure narcissique originelle est pour l'enfant de naître prématuré et d'être ainsi plongé dans un univers tout opposé à celui qu'il vient de quitter, univers où il ne peut subsister sans les soins maternels. Alors que pour Fain c'est d'une certaine frustration du narcissisme primitif que naît le développement des zones érogènes, fondement de l'individualité.

L'opposition de ces deux auteurs apparaît encore au sujet de la « confirmation narcissique ». Grunberger pense que les patients qui souffrent d'un équilibre narcissique défaillant ont manqué d'amour réellement, dans leur enfance ou en tout cas n'ont pas été confirmés de manière adéquate au moment de leurs progrès dans l'évolution du fonctionnement de leur Moi. Au début de l'analyse, ils sont avec l'analyste de tout petits enfants et même si l'analyste reste neutre tout en apportant un certain soutien, ils trouvent dans la situation analytique cette confirmation narcissique qui leur a manqué et qui leur permet de supporter la frustration donc de grandir ; à partir d'un certain stade, la confirmation prend, en effet, une valeur de castration. Pour Fain, très précocement, une zone érogène qui se développe ne peut garder sa valeur que dans la mesure où elle n'est pas confirmée narcissiquement. La pensée de l'enfant, aussi embryonnaire soit-elle, échappe complètement à la pensée de l'adulte et ne conserve son originalité que dans la mesure où elle n'est pas confirmée. L'Idéal du Moi qui se développe à partir de cette activité originale, au lieu de rester fixé au passé pat la nostalgie, se projette verbalement vers l'avenir, vers la vie.

2. DAVID, de M'UZAN, GREEN, FAIN, apportent quelques brefs exemples cliniques qui tendent à montrer qu'à la suite d'un traumatisme, d'une blessure narcissique des troubles psycho-somatiques peuvent se trouver déclenchés.

Le passage par une phase plus ou moins hypocondriaque marque un bénéfice sur le plan de l'économie du narcissisme, bénéfice lié à la production de symptômes, témoins de la mentalisation du trouble dans l'assimilation de l'organe qui souffre à une zone érogène. On touche ici à la nature de la différence entre les troubles psycho-somatiques et les troubles mentaux, dans les premiers, la blessure narcissique liée à la faillite du Moi ne peut pas être compensée par la symptomatologie mentale. A partir de cette différence on pourrait explorer tout un éventail clinique. Lebovici cite le cas de certains enfants psychotiques pouvant être décrits comme à la recherche de symptômes susceptibles de leur fournir une dimension spatiale, temporelle. Il en est ainsi de comportements


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moteurs observés chez des enfants « autistes » qui par exemple se précipitent par terre ou sur les murs, les touchent, s'y cognent la tête, ont parfois des gestes très proches de ceux des auto-mutilateurs. A ce stade, leur investissement narcissique semble seul mis en cause et l'unique mode d'évolution serait de trouver le symptôme, c'est-à-dire une structure inscrite dans l'espace et dans le temps.

FAVREAU répète qu'à son avis ce qui met en danger le narcissisme c'est le désir du plaisir et il développe sa conception à partir de l'opposition entre une position phallique narcissique et le pénis en tant que zone érogène, c'est-à-dire, schématiquement, me conception de l'analité : « J'ai aperçu dans ce que Grunberger nous a dit, alors que je croyais comme Fain tout à l'heure sur des points différents, être plus proche de lui par bien des côtés, j'ai aperçu, peut-être, certaines différences liées à des positions que je tends à prendre et en particulier à ce que j'ai commencé à exposer hier, c'est-à-dire le lien entre la position phallique et le narcissisme en ayant tendance à l'opposer au pénis en tant que zone érogène. Et justement, là, dans ta réponse, à un moment donné, tu as dit « Castration du phallus » or, je crois justement que pendant longtemps j'ai au fond mélangé les deux notions, celle de phallus et celle de pénis, parlant par exemple du phallus maternel en disant qu'il était plus gros. En réalité celui-ci est devenu tout à fait pour moi un pénis anal, en me basant sur cette phrase de Freud, à laquelle d'ailleurs tu m'as fait penser lorsque tu as parlé de la défécation d'une façon très intéressante, faisant la différence entre l'objet fécal à l'intérieur et à l'extérieur, mais tu as sauté l'élément qui me paraît, à moi, le plus important c'est-à-dire justement le passage de l'intérieur à l'extérieur par excitation d'une zone érogène.

Freud a dit à peu près ceci : « le pénis, le bâton fécal et l'enfant sont des corps durs qui, par leur entrée ou leur sortie, excitent un canal muqueux » ; cette phrase m'a amené à me poser la question suivante qui m'a paru d'abord un peu naïve, celle de la taille respective du pénis et du phallus. J'ai trouvé que la différence de taille tient exactement dans celle de l'enfant en train de naître. L'enfant en train de naître est un pénis, il excite un canal muqueux et il peut être encore objet de désir, la caractéristique d'un pénis, d'une image, d'une représentation de pénis est qu'une zone érogène passive peut désirer être pénétrée par ce pénis, tandis que le phallus est tellement gros qu'il ne peut être que l'objet d'un culte et qu'il ne peut pas, sauf position tout à fait psychotique, inspirer un désir passif de pénétration. Effectivement l'enfant, tant qu'il est à l'intérieur, et au moment où il sort, est vécu comme un pénis, tandis que, à partir du moment où il est né et où il est à l'extérieur, à ce moment là il devient l'objet d'un culte. C'est ainsi je crois que l'enfant se vit et que sa mère le vit, comme un phallus ; et c'est pourquoi cette relation entre l'enfant et la mère prend tellement d'importance. Ce que je veux, c'est insister sur la différence entre la position phallique, ou le culte du phallus, et le pénis qui excite un désir avec tout ce que cela présente de danger, en effet, pour la position narcissique. Je crois qu'on pourrait au fond résumer cette discussion en une phrase : « Le narcissisme, nous en avons besoin, un besoin absolu, ce narcissisme a besoin de nos zones érogènes, mais à chaque instant nos zones érogènes mettent en danger notre narcissisme. »


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3. PASCHE fait remarquer que ce qui caractérise, à son sens, la métapsychologie de Grunberger par rapport à celle de Freud, c'est un recours presque exclusif à la compulsion de répétition : ce qui empêcherait qu'une bienheureuse mort ne se poursuive du début à la fin de l'existence, ce seraient le traumatisme de la naissance, les mauvais traitements de la mère, les incitations du monde extérieur... Pour Freud, la compulsion de répétition sous-tend les deux instincts mais elle est constamment contrariée, scindée, dissociée, en deux courants intérieurs Éros et Thanatos ; c'est ce qui caractérise la trajectoire de l'existence. Pour Grunberger, d'après Pasche, le conflit se situerait au dehors, entre un sujet qui pourrait être heureux dans sa mort narcissique et des incitations venues de l'extérieur, ce qui aboutirait à nier le conflit psychique. Green, poursuivant la réflexion de Pasche, pense que lorsque Grunberger parle de la mort il se réfère au suicide ou à la fusion ou au sommeil mais pas vraiment à la mort, car, entre relation et la mort se situe la désintégration. Le plaisir élationnel n'est qu'un niveau qui permet d'échapper aux vicissitudes de la relation objectale, à la dépendance à l'égard de son désir, mais si relation se prolonge et parvient à un certain stade, elle s'accompagne d'une angoisse de morcellement et d'une déstructuration qui rejoint l'expérience psychotique. La mort dont parle Grunberger, ce serait donc le suicide, une façon de rejoindre l'objet d'une façon toute puissante.

GRUNBERGER soutient alors que les précisions qu'il a fournies montrent bien que les états élationnels dont il a parlé sont exactement l'opposé de la mort et qu'ils doivent être compris au contraire comme l'approche d'une dimension psychique où la mort n'existe pas, où il n'y a que le processus primaire, à un niveau régressif extrêmement profond. Le conflit lui, se perpétue toute la vie entre le désir de retrouver la félicité prénatale perdue et les instances ou le monde extérieur. Il n'y a pas de différence entre ce qui s'oppose de l'intérieur ou de l'extérieur au désir narcissique.

Le narcissisme est une force qui peut être utilisée à investir n'importe quoi, par exemple deux pulsions différentes qui peuvent très bien entrer en situation dialectique. « Toutes les pulsions, pour être érotisées, doivent être investies narcissiquement ainsi que tout élément nécessaire au fonctionnement adéquat du Moi. »


Le narcissisme : aspects cliniques

par D. BRAUNSCHWEIG

I

Ne pouvant envisager tous les multiples aspects du narcissisme en clinique, j'ai décidé de centrer mon étude sur des aspects particuliers à la relation psychanalytique. Quelques remarques préliminaires m'ont paru prudentes. Elles ne sont pas sans rapport avec notre sujet puisque, aussi bien, elles mettent en cause, parmi bien d'autres éléments, le narcissisme des psychanalystes eux-mêmes. Dans notre pratique, en effet, nous sommes tous amenés naturellement à vouloir comprendre ce que nous faisons avec nos patients. Pour des raisons propres à chacun de nous, et qui peuvent d'ailleurs varier dans le temps, nous sommes plus ou moins frappés par tel ou tel aspect qui nous paraît émerger de la complexité du processus analytique et nous avons tendance à lui attribuer une importance prévalente. A partir de là deux dangers peuvent se présenter : soit que, jouissant mégalomaniaquement de notre propre pouvoir de compréhension, nous ayons tendance à repenser (croyons-nous) tout ou partie de la théorie de la cure en fonction de l'optique particulière qui a pu nous apparaître, et risquions de hâtives et douteuses généralisations ; soit que, nous méfiant de ce même pouvoir, nous nous perdions dans un besoin excessif de vérification et de références qui peuvent venir obscurcir un nouvel éclairage, partiel certes, mais peut-être utile.

Les faits observés en clinique psychanalytique se prêtent le plus souvent avec une facilité inquiétante à une manipulation telle que, dans certaines limites bien entendu, nous pouvons les utiliser à étayer la démonstration de points de vue très différents. Ceux-ci ne s'excluent pas nécessairement et c'est tout l'intérêt, je crois, de réunions comme celle-ci que de permettre la confrontation, l'assouplissement, la correction ou l'enrichissement de positions parfois pourtant très investies de libido narcissique.

C'est en réfléchissant justement à la difficulté d'illustrer cliniquement et de façon concrète, par des extraits de séance ou par des séquences de matériel, ce que je ressentais de l'importance des variations de l'inves-


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tissement narcissique dans l'économie et dans la dynamique de la cure, que ces quelques pensées me sont venues. Or l'une des causes de cette difficulté me paraît résider dans le fait que, à travers l'analyse et la liquidation de ses conflits dans le transfert, l'évolution d'un patient vers l'équilibre narcissique (qui consiste à se sentir exister et exister avec plaisir), met constamment en jeu de subtils mouvements dans la relation patient-thérapeute, thérapeute-patient. Ces mouvements pourraient se situer dans une dimension parallèle à celle du dialogue analytique et le complétant ; participant du transfert au sens large chez l'analysé, infra-contre-transférentielle le plus souvent chez l'analyste. Je reviendrai sur ces deux points après avoir essayé de poser le problème à partir du résumé d'une observation.

II

Il s'agit d'un homme. Agé de 37 ans quand je l'ai vu pour la première fois, il était suivi depuis plusieurs mois déjà, en raison de son anxiété et de petits états de dépersonnalisation, par un neuropsychiatre qui lui administrait des tranquillisants et quelques bonnes paroles. L'un de ses enfants ayant dû être mis en psychanalyse pour des troubles sévères, ce lui fut l'occasion de prendre conscience de ses propres difficultés affectives et de se convaincre qu'un tel traitement pouvait être indiqué pour lui-même. Il me dit d'emblée que depuis longtemps il ressentait un grand besoin de parler de lui, de s'épancher, de se faire prendre en charge par quelqu'un, mais qu'en même temps il craignait d'être ridicule et jugé par moi défavorablement.

Sa femme s'était suicidée deux ans auparavant et il s'en sentait extrêmement coupable, il maintenait avec cette morte une relation intériorisée intense dans laquelle il l'idéalisait et à la fois lui reprochait son abandon, s'accusant lui-même pour finir d'avoir été un salaud et un incapable. Refusant après son veuvage la solution qui aurait consisté à revenir vivre auprès de sa mère, il lui avait confié, comme pour le remplacer, son plus jeune fils psychotique. Il craignait sans cesse de détruire sa mère, avec laquelle ses relations étaient très tendues, se sentant responsable des fatigues que lui causait l'enfant, et réagissant agressivement quand il retrouvait dans le comportement de la grandmère l'ancien comportement maternel.. Nombre de ses angoisses avaient pour contenu l'évocation d'une éventualité de mort de sa mère.

Sa vie sexuelle qui se résumait à des visites compulsives chez des prostituées et à des masturbations ayant le même caractère n'était pas que culpabilisée, il la vivait comme une infirmité honteuse dont il avait


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le plus grand mal à parler. Il était socialement très isolé, se forçant bien à rencontrer quelques amis, mais sans satisfaction car ne s'aimant et ne s'estimant pas lui-même, il ne pouvait se croire ni aimé ni estimé, ni aimer les autres, sauf un seul auquel il était homosexuellement attaché, et qu'il voyait de loin en loin, se croyant méprisé et abandonné par lui. Sa vie professionnelle, alors stabilisée à un niveau inférieur à ses capacités, avait été agitée de conflits l'opposant à ses patrons et aboutissant à des ruptures successives. Les petits accès de dépersonnalisation qu'il appelait ses « coups de pompe » et qu'il avait d'abord attribués à des causes physiques avaient fait leur apparition bien des années auparavant à l'occasion de ces dernières difficultés. Ils se produisaient encore de temps à autre en relation avec certaines obligations professionnelles qui devaient le mettre en contact avec des hommes.

Pendant plusieurs mois son traitement fut caractérisé par deux aspects bien différents : tantôt il apportait des récits ou un matériel authentiquement vécus dans une chaude émotion, tantôt, et dans la même séance, il manifestait une attitude de séduction intellectuelle, de bluff, de crânerie, qu'il critiquait ensuite sévèrement. En fait, il avait constamment besoin de me faire jouer le rôle d'un Surmoi particulièrement rigoureux, et l'utilisation défensive de cette projection m'apparut bientôt.

Le patient avait vécu la fin de son enfance et sa très longue adolescence dans une union narcissique prolongée avec sa mère. Leur unité, leur identité s'exprimait dans la phrase suivante : nous, nous sommes des types bien, les autres sont des imbéciles, et lui dépendait entièrement de cette appréciation ; ses seules manifestations d'autonomie étaient la masturbation qu'il craignait très anxieusement de voir découvrir par elle — ou par n'importe qui — et quelques sorties au cinéma qu'il lui cachait. Avec elle, il « palabrait » pendant des heures tandis qu'elle l'approuvait et l'admirait. Ses études, qu'il réussissait pourtant, ne lui avaient laissé que le souvenir angoissant des interrogations et des examens. Il s'était trouvé marié presque sans s'en apercevoir de par l'initiative de sa femme, très amoureuse de lui ; la mère et l'épouse se débrouillèrent tant bien que mal ensemble sans qu'il en souffrît et peu à peu la seconde en vint à jouer le rôle narcissique entier de la première, grâce à quoi sa femme et lui étaient ensemble des « types bien ». La seule différence avec le passé était qu'avec sa femme il avait des rapports sexuels, se montrant même, d'après lui, sur ce plan-là, très exigeant, possessif et destructeur. En même temps ses relations pénibles,


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angoissées et finalement maladroitement agressives avec ses patrons successifs le conduisaient d'échec en échec professionnels. Ses parents avaient divorcé quand il était tout petit et pendant longtemps son père lui apparut comme n'ayant pas eu la moindre importance dans sa vie. Ce furent pourtant les conflits avec les hommes de type paternel qui, ayant toujours mis en péril son fallacieux équilibre narcissique, finirent par le saper, le suicide de sa femme consomma la débâcle.

On voit pourquoi, craignant par-dessus tout ce qu'il désirait le plus profondément, c'est-à-dire me séduire, rétablir avec moi l'union narcissique perdue, il lui fallait à tout prix maintenir la conviction que — juge froid et impassible — je le condamnais et le méprisais comme il se condamnait et se méprisait.

Très intelligent et très intuitif, il apportait un matériel riche et abondant qu'il sut vite utiliser lui-même, mais l'angoisse de castration, pourtant considérable en présence d'hommes détenant une quelconque autorité, paraissait toujours sans contenu oedipien, en tout cas historiquement, et sur le plan du transfert.

Une aventure incomplète et assez brève avec une femme mariée marqua cependant une certaine évolution dans la mesure où pour la première fois apparaissait une possibilité d'investissement libidinal hors de la relation thérapeutique et aussi un rival dont il avait d'ailleurs très peur. Avec moi, rien ne bougeait vraiment, mais un jour, à la fin d'une séance où il s'était à nouveau plaint de sa solitude, de son incapacité, et de se sentir jugé par moi bien qu'il sût raisonnablement que je ne devais pas le juger, je lui fis remarquer qu'il ne semblait pas pouvoir imaginer être aimé et estimé par moi. Il me quitta très troublé, sans me répondre, et m'accusa la fois suivante de l'avoir mis dans un état épouvantable. En sortant de chez moi, il avait été pris d'un accès de dépersonnalisation tel qu'il n'en avait jamais connu. Incapable de se reprendre et de bouger, il était resté assis sur un banc de l'avenue pendant un temps impossible à déterminer. Enfin, à grand-peine, il avait pu se traîner jusqu'au domicile d'une tante habitant le voisinage (sa tante « bien » comme il l'appelait, et qui faisait elle aussi office de Surmoi depuis longtemps). Elle lui avait parlé de choses banales et lentement il avait pu reprendre contact avec la réalité, mais depuis il se sentait sans arrêt au bord d'un nouvel accès et il espérait bien que je n'allais pas recommencer à le rendre aussi malade, Il dit qu'il n'avait pas supporté la pensée que je pouvais être sensible, éprouver quelque chose à son égard, c'est-à-dire attendre quelque chose de lui et être susceptible de subir des dommages par sa faute. Il s'en était suivi un


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désinvestissement passager mais total et de moi, et de lui, et de la réalité tout entière.

Cet épisode de la cure fut suivi d'une période très difficile, de séances silencieuses et angoissées, une fois même il partit au bout de quelques minutes sans avoir parlé. A l'extérieur, il allait très mal et s'inquiétait beaucoup de son état mais, peu à peu, constatant, me dit-il, que je paraissais tout à fait calme et tranquille à son sujet, et me le reprochant à la fois, il se calma et l'analyse prit un cours tout différent de celui du passé. Les thèmes prégénitaux longuement évoqués jusque-là prirent leur signification dans un transfert de type surtout maternel ; puis le père apparut, avec la remémoration soudaine et très surprenante pour le malade de la présence de son père à la maison, présence assez épisodique certes, mais longuement prolongée après le divorce de ses parents.

Parallèlement, sa vie sociale s'enrichissait tandis qu'il tirait des satisfactions croissantes de son propre rôle paternel ; mais, d'une part sa relation réelle avec sa mère restait très angoissante, sa vie sexuelle très pauvre, et d'autre part il continuait, en dépit de témoignages d'estime reçus du dehors, à souffrir beaucoup de sa propre dévalorisation. Ce ne fut qu'après le passage par une longue phase oedipienne vécue dans le transfert entre moi et le seul ami que la distance établie entre eux lui avait permis de continuer à estimer, mais qui trouvait (comme le père du malade) méprisable de s'intéresser aux femmes, ce ne fut donc qu'après cette longue phase qu'il put se rétablir narcissiquement et devenir capable d'un investissement objectai, génitalisé, satisfaisant.

Si j'ai cité trop longuement, et aussi bien sûr trop superficiellement, cet exemple, c'est qu'il m'a paru assez apte à mettre en évidence, en raison de la nature particulière du cas, les aspects cliniques du narcissisme que je voulais souligner.

En effet, il me paraît assez rare que vienne nous trouver un individu bien doué, ayant maintenu jusqu'à l'âge adulte une telle unité narcissique avec la mère ou le substitut maternel. Ce sont à mon avis les conséquences intriquées du suicide de sa femme qui ont amené ce patient à se faire traiter.

1° Ce suicide confirmait l'insuffisante protection de l'équilibre narcissique par la dépendance à l'objet maternel, donc aussi la blessure narcissique que constituait l'incapacité à vivre autonome ;

2° Il faisait apparaître les fantasmes destructeurs, l'ambivalence fondamentale que maintenait l'étroitesse de la relation narcissique ;


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en même temps que resurgissait l'influence du Surmoi précoce, prégénital, sadique, non modifié par une oedipification suffisante ;

3° Il entraînait un appauvrissement considérable en libido narcissique, lié à la perte de l'investissement libidinal par la mère, ainsi qu'une chute catastrophique de l'estime de soi par l'effondrement d'un Idéal du Moi infantile que la prolongation tardive de l'unité mèreenfant avait maintenu dans sa forme primitive.

III

Ces différents éléments font que chez ce patient les aspects du narcissisme en clinique apparaissent nettement, mais il est possible je crois de les retrouver à des degrés divers dans toute analyse et spécialement dans la cure de malades dont la structure est surtout prégénitale.

1) L'analyste. Idéal du Moi.

Tout patient qui commence une analyse s'avoue à lui-même un échec, une impuissance ; au minimum, il reconnaît qu'il n'est pas heureux. Ce ne sont pas seulement « les analyses imposées du dehors... qui vont d'emblée à l'encontre du narcissisme du sujet », celle qu'il s'impose à lui-même y va aussi. Même s'il rationalise sa décision de s'adresser à nous (et celui dont les défenses narcissiques sont trop grandes, le Moi trop faible, ne peut même pas la prendre), il commence à se douter que quelque chose pourrait changer pour lui si, au lieu de s'accuser ou d'accuser les autres de son insatisfaction, il se modifiait lui-même pour tenter de satisfaire leurs besoins ou leurs désirs, s'il reconnaissait l'existence d'autrui en dehors de lui et non en fonction de lui.

Ce premier pas implique donc au moins le début d'un renoncement à l'illusion d'autonomie que le sujet essayait de maintenir ; il lui faut accepter d'être malade et incomplet alors que nous sommes supposés sains et entiers, condition sans laquelle à ses yeux nous ne saurions le guérir. Pour accepter nos soins il a besoin de projeter sur nous, avec l'espoir de le partager, son propre Idéal du Moi de perfection et de toute-puissance, mais tout se passe comme si ces qualités qu'il nous prête nous les lui enlevions à lui-même. (Le phallus, symbole de l'intégrité narcissique, est unique, sa possession par l'un semble exclusive de sa possession par l'autre — ou alors il faut se fondre avec ce dernier, comme notre patient, ou comme le nourrisson avec sa mère, et renoncer à exister pour soi.)

Beaucoup de patients expriment ce malaise au début d'un traite-


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ment : notre survalorisation, fondement de leur espoir, s'opposant à la liberté de leurs associations. Cette difficulté sans doute relève d'une protestation de leur Surmoi auquel nous en substituons un autre avec nous (la règle fondamentale), mais aussi de la blessure narcissique qu'ils ressentent et qui tout en paraissant ainsi s'opposer au processus analytique, en déclenche la dynamique. Le nouvel Idéal du Moi est conflictuel comme l'ancien ; bons et réparateurs, nous sommes aussi frustrants et mauvais.

L'élation narcissique observée dans les débuts de traitement, et plus nettement encore les moments fusionnels lorsqu'ils se produisent, seraient donc plutôt des tentatives pour stopper le mouvement. Défense utile parfois et provisoirement nécessaire, ils créent l'illusion d'une participation à la toute-puissance supposée de l'analyste. En ce sens, ils constituent une négation de l'ambivalence qui a présidé autrefois à la différenciation d'avec la mère, c'est-à-dire à la séparation du Moi et du Non-Moi, à l'établissement de la première relation objectale ; ils nient la haine qui a précédé l'amour.

Pour le malade prégénital dont je vous ai parlé, la barrière défensive fusionnelle ou élationnelle devant des pulsions libidinales et agressives très primitives, n'était pas utilisable en raison de la révélation traumatique dans la vie réelle de ce qu'elle était destinée à empêcher : la destruction de la mère. Mais pour beaucoup d'autres patients, cette confusion dans l'Idéal du Moi est un moyen efficace de lutter contre les pulsions agressives et leur projection sur l'analyste quand la tension risque de devenir insupportable. Cette défense narcissique, comme toute autre défense, doit être acceptée et respectée tant qu'elle est économiquement nécessaire au malade qui n'a pas, pour le moment, d'autre moyen à sa disposition de trouver du plaisir, ou tant que ses besoins ne l'en font pas sortir.

La projection sur nous du Surmoi du patient, déterminée certes par de multiples raisons, répond également au besoin de nous préserver en tant qu'Idéal du Moi dont la puissance et la perfection, indispensables à sa réparation, doivent rester provisoirement à l'abri de ses pulsions destructrices.

De la même façon, des critiques de l'analyste, formulées par des tiers, mettent en danger son propre espoir de complétude narcissique et d'intempestives tentatives de valorisation, venant de nous, à son endroit, n'auraient d'autre effet que de le déprimer ou de l'angoisser en nous dévalorisant nous-mêmes. Valeur du Surmoi en tant qu'intermédiaire avec l'Idéal du Moi.


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2) Nous allons considérer maintenant :

L'analyste objet-significatif et objet narcissique, ainsi que le rôle du Surmoi du patient et des interventions du psychanalyste.

La projection du Surmoi de l'analysé d'une part, l'activité interprétative de l'analyste d'autre part, me paraissent assurer la continuité et l'efficacité de la cure psychanalytique qui, sur le plan de la restauration narcissique, passe par l'utilisation de l'analyste en tant qu'objet narcissique.

Entre parenthèses, je ne crois pas qu'il soit juste de séparer l'évolution narcissique de l'évolution pulsionnelle. Si l'une peut s'exprimer en termes de possession du phallus ou d'incomplétude et l'autre en termes de possession du pénis ou de castration, il ne s'agit en tout cas que des variations d'équilibre entre les satisfactions libidinales et les frustrations. Si pour des raisons externes ou internes, et plus ou moins précocement, les pulsions se heurtent à un degré trop grand d'insatisfaction, l'investissement libidinal du Moi, résultant des premières introjections et des identifications successives, ne s'effectue pas ou plutôt s'effectue mal et entraîne un déficit narcissique plus ou moins grand. Ce déficit se manifeste dans la vie de nos malades, et dans le traitement, par une relation de dépendance à l'égard de leurs objets qui, lorsque échouent les aménagements névrotiques, laisse apparaître une pauvreté narcissique douloureuse, voire intolérable. La conquête de l'autonomie ne peut se faire que grâce à l'investissement narcissique du Moi et l'identification de celui-ci à un objet qu'il peut introjecter sans ambivalence conditionne cet investissement. Nous ne tenons volontairement pas compte dans cette étude de la qualité partielle ou totale de l'objet introjecté.

Au cours de l'évolution normale, de par la triangulation qui commence dès les stades prégénitaux par l'oedipification, l'enfant a la disposition intérieure de deux objets. Ceci lui permet d'en avoir toujours un bon en lui, projetant l'autre à l'extérieur avec la charge des pulsions agressives. Les mouvements de l'un à l'autre peuvent être incessants et les objets d'identification se multiplier avec l'enrichissement des relations objectales. Le dépassement du conflit oedipien confirme en ce sens l'établissement d'un solide investissement du Moi qui correspond au narcissisme secondaire. L'Idéal du Moi et le Surmoi évoluent parallèlement et corrélativement.

L'analyse consiste dans la correction de cette évolution quand elle s'est mal faite ; mais le sujet qui nous est confié n'est plus un tout-


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petit enfant, et, si les conflits internalisés concernent bien les images parentales transférées sur nous, l'objet actuel à introduire dans le Moi, au fur et à mesure que la liquidation des conflits le permet, c'est bien le psychanalyste dans la réalité de sa fonction.

Nous constatons quotidiennement que la plupart de nos interventions, sinon toutes pendant longtemps, sont vécues comme des reproches ou des interdictions par le patient. Celui-ci sait pourtant, de façon consciente, que nous sommes là pour l'aider et non pour le critiquer et le juger. Cette projection surmoïque se produit avant même que la névrose de transfert nous fasse ressentir comme un parent et je crois qu'elle joue un rôle utile. Nous savons bien en fait que la projection du Ça sur l'analyste est à l'inverse dangereuse et qu'elle n'est pas à favoriser.

Dans le cas résumé tout à l'heure, le patient s'est défendu très longtemps, par cette projection du Surmoi, de la reconnaissance d'une relation transférentielle plus chaude qui s'établissait sous son couvert et en partie à travers elle. Cette protection était sans doute ici particulièrement nécessaire mais, dans la plupart des cas, elle me paraît aussi durablement utile. Le Surmoi s'adoucit peu à peu quand nous pouvons montrer au patient, mais sans plus, que les jugements qu'il nous prête viennent de lui. S'il avait besoin en effet de nous préserver en tant qu'Idéal du Moi, il lui est également nécessaire de se protéger de la force de son désir d'être pris par nous comme objet ; désir qui le conduit inévitablement à faire de nous un objet significatif au risque de nous perdre comme objet narcissique.

Que s'est-il passé au moment où, avec mon malade, j'ai cru pouvoir dépasser cette défense.? Son matériel, bien que non vécu comme tel dans le transfert, prenait alors une vague teinte oedipienne. Mon intervention, lui proposant d'imaginer que je pouvais l'aimer et l'estimer, a fait brusquement de moi un objet significatif. Pour lui, je pouvais dès lors éprouver quelque chose à son égard, attendre une satisfaction pulsionnelle, avoir avec lui une relation libidinale et agressive terriblement dangereuse de part et d'autre. Tandis qu'à l'abri de sa projection surmoïque, si aucun changement notable n'affectait son Moi, du moins entretenait-il avec un objet narcissique encore extérieur — son analyste — une relation qui, lui apportant un certain plaisir, le fortifiait. Imaginer une relation nouvelle qui lui faisait craindre et l'anéantissement au niveau prégénital et la castration au niveau oedipien, l'obligeait à me désinvestir et à me perdre, d'où l'accès de dépersonnalisation.

Tout autre malade, au décours d'une névrose de transfert banale

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sans trop de conflits prégénitaux ou alors que ceux-ci sont plus ou moins liquidés, nous imagine lui aussi, de façon répétée, comme attendant de lui quelque satisfaction pulsionnelle, erotique par exemple, pour notre propre compte. Dans un premier temps il se sent extrêmement valorisé narcissiquement, il réalise l'Idéal du Moi, l'omnipotence et la complétude narcissiques primaires peuvent être rétablies, nous sommes encore un objet narcissique et, de plus, un objet oedipien : être aimé par nous signifie le triomphe sur le rival oedipien et sur le Surmoi.

Dans un deuxième temps, plus ou moins rapproché, si le psychanalyste n'intervient pas, ses deux fonctions réparatrices sont plus ou moins perdues. D'une part, en effet, si le patient l'imagine un peu trop longuement comme ayant besoin de lui pour se satisfaire, donc pour se compléter narcissiquement, il perd son caractère d'Idéal du Moi ; d'autre part, il cesse d'être l'objet narcissique sans visée pulsionnelle propre qui n'existe que pour le sujet pendant l'heure d'analyse, n'attend rien de lui, dont il peut faire fantasmatiquement ce qu'il veut. Le psychanalyste redevient l'objet significatif ambivalent vraiment frustrant ou vraiment susceptible de l'être et sans contrepartie, les parents eux, au moins, offraient quelques satisfactions libidinales réelles, sinon sexuelles ; il est interdit au surplus par le Surmoi. La régression à partir de là, l'agressivité et sa projection conduisent à le perdre avec toutes les conséquences que cela entraîne : passage à l'acte, dépression, autopunition, etc. (Dans l'analyse du matériel prégénital, le problème se pose de la même façon, compte tenu de l'importance capitale dans le traitement du temps de l'introjection anale de l'objet narcissique.)

La tâche du psychanalyste consiste donc à laisser se dérouler ces mouvements transférentiels, ou même à les induire s'ils ne se produisent pas assez spontanément comme dans les cas de résistance au transfert. Il suffit parfois d'évoquer concrètement un contenu émotionnel ou une zone érogène pour que le patient prête au thérapeute son propre désir de satisfaire une pulsion liée à cette zone ; mais il faut savoir que si les projections déterminées par le transfert sont indispensables au déroulement de la cure, elles blessent en même temps le narcissisme du malade. Il y a donc un moment — privilégié — où il faut intervenir, sinon la perte de l'objet narcissique peut avoir de graves et lointaines conséquences ; et nous touchons là à l'influence possible de ces nuances infra-contre-transférentielles que j'évoquais au commencement et dont je reparlerai pour finir.

Dans cette perspective, la véritable interprétation, curative et dynamisante, est celle qui, intervenant au bon moment, fait, explici-


LE NARCISSISME : ASPECTS CLINIQUES 599

tement ou non, référence au transfert et opère la réduction d'une résistance ou d'une tension liée à la représentation conflictuelle transférée sur l'analyste, en clivant de cette représentation l'objet narcissique réel qu'est le psychanalyste dans sa fonction. Tout au long du traitement, une fois la névrose de transfert installée, notre activité consisterait donc à la liquider sans relâche en détruisant les projections que nous laissons d'abord se produire, nous rétablissant sans cesse en tant qu'objet narcissique non ambivalent. Au niveau prégénital nous pourrons enfin être introjectés sans dommage, objet partiel ou total selon le degré d'évolution ; si le niveau oedipien est atteint le Moi du sujet pourra s'identifier à nous pour s'aimer. Ce n'est qu'alors que l'objet-narcissique-analyste cessera d'être extérieurement utile. Idéalement, il est enfin sublimé dans sa fonction, il permet l'utilisation de l'acquis analytique, la poursuite de l'auto-analyse, l'autonomie par rapport à lui, des satisfactions pulsionnelles dans la réalité extérieure, soit l'équivalent d'une évolution oedipienne achevée.

IV. — LA NEUTRALITÉ DE L'ANALYSTE

Tout ce qui précède nous paraît impliquer l'importance de la neutralité du psychanalyste, condition essentielle de la réussite de la cure. C'est pourquoi, même si elles doivent paraître sottement banales, je risquerai quelques réflexions.

Les premières et peut-être toutes touchent plus ou moins au narcissisme, ou à l'Idéal du Moi, du psychanalyste lui-même. En effet, il ne saurait s'agir ici de manifestations contre-transférentielles grossières par lesquelles le thérapeute satisferait sur son patient ses pulsions libidinales ou agressives, mais de nuances.

L'une de celles-ci me paraît consister dans le danger d'être satisfait en soi par les progrès du patient, ou découragé par l'inverse ; le patient ne peut pas ne pas le sentir et de nouveau il ne se croira aimé par nous, comme autrefois par ses parents, que pour ce qu'il devient ou réalise et non pour ce qu'il est à chaque instant avec nous.

Le désir de guérir du médecin, lié à l'influence de son propre Idéal du Moi et sans doute au besoin de se restaurer lui-même ou de restaurer ses objets, va à l'encontre de la restauration narcissique du patient. Être son objet narcissique, et non lui le nôtre, c'est lui permettre de nous utiliser fantasmatiquement à quelque fin que ce soit, notre travail est seulement de lui montrer quand et comment il se l'interdit.

La misère relationnelle d'un patient peut nous amener à être sans trop le savoir, gratifiant à l'excès. Cela peut passer dans une intervention


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qui ne se justifie pas tout à fait, dans un certain ton, dans notre manière de l'accueillir ou de le quitter. A juste titre, puisque notre mouvement est réel, le patient peut le ressentir comme une pitié qui l'humilie, une tendresse qui lui interdit toute revendication et le fixe dans l'immaturité. Même si dans le traitement la régression fait de lui un enfant, il est physiquement au moins un adulte, et le plaisir que nous lui donnons d'abord est à double tranchant. La bonté en un mot, au sens le plus courant, lorsque nous l'agissons avec un patient, correspond aussi à une satisfaction narcissique, libidinale, que nous nous offrons à nousmêmes, au besoin d'augmenter notre self-estime ; pour l'autre, le sujet, elle peut bien être ressentie ainsi, lui nous servant d'objet narcissique, mais encore elle peut lui apparaître et être réellement d'ailleurs une manoeuvre de séduction. En tant que telle, si elle entraîne d'abord soulagement et euphorie, elle risque ensuite de précipiter la perte de l'objet. Le seul vrai besoin de tout patient, névrosé s'entend, est que nous ne mettions rien de nous-mêmes, en dehors de notre fonction, dans notre relation avec lui — que nous soyions là, présents, permanents, impavides, intangibles, ce qui ne veut pas dire figés, inhumains.

L'autre écueil, déjà souligné tout à l'heure, tient au moment de l'interprétation. Il nous est facile de nous cacher que tel but pulsionnel, libidinal ou agressif que nous prête le patient, souvent de façon déguisée ou masquée par une résistance, nous fait plaisir. Alors nous laissons passer le moment d'opérer le clivage entre la projection transférentielle et notre réalité analytique. Une situation chaotique, liée à la frustration supplémentaire que nous imposons ainsi s'ensuit. Interpréter trop tôt par plaisir narcissique de tout comprendre aurait le même résultat.

Le psychanalyste a tout de même droit à quelques satisfactions libidinales qui ne vont pas à l'encontre du narcissisme de ses patients, au contraire. Il existe ainsi un plaisir narcissique lié à l'exercice de ce qui est devenu chez lui une fonction du Moi : connaître et reconnaître les mouvements de l'inconscient (du sien, de celui des malades). On peut y ajouter le contact constamment renouvelé avec le courant pulsionnel. Les bénéfices matériels qu'il tire de l'exercice de sa profession ne sont pas non plus indifférents.

Certaine de n'avoir pas épuisé, et de loin, mon sujet, j'espère que d'autres le compléteront. Je m'excuse de n'avoir cité personne mais il aurait fallu non seulement m'en référer à Freud et à ses successeurs, mais à la plupart d'entre vous ici, dont les travaux et les discussions me permettent chaque jour d'apprendre mon métier.


Intervention de R. BARANDE

Remarques sur le narcissisme dans le mouvement de la cure

Que si les psychanalystes « aiment l'Inconscient » selon la formule engagée de Fain, ils « aiment » autant Le Narcissisme, ont pu nous en convaincre l'éloquence, la finesse, la subtilité que chacun a apportées à préciser sa pensée théorique, durant ces deux passionnantes journées. Nous savons cependant que la place réduite faite à la clinique du narcissisme ne peut laisser croire que Mme Braunschweig, après Grunberger, serait la seule à « aimer » le narcissisme de ses patients et que nous ne l'apprécierions guère ! J'ai cru néanmoins utile, dans la mesure où la discussion du très remarquable exposé de Mme Braunschweig a du fait des circonstances finalement tourné court, de réorienter nos débats sur la confrontation du psychanalyste avec ce narcissisme des patients (1).

Pour présenter ces notes succinctes sur le narcissisme dans le cadre de la cure analytique, je partirai de la question qui paraît centrale à cet égard : la situation analytique est-elle frustrante ou gratifiante ? Sans doute sommes-nous tous d'accord pour admettre que si elle est frustrante sur le plan objectai, elle n'en est pas moins gratifiante sur le plan narcissique. Mais nous le sommes déjà moins lorsque nous essayons de préciser dans quelle mesure les interférences particulières de ces deux aspects rendent compte de' la dynamique de la cure.

Il apparaît d'abord que les mêmes données peuvent être interprétées de façon contradictoire. Ainsi en est-il, parmi les conditions mêmes de la situation analytique, du mode d'être du psychanalyste : on pourra le valoriser comme constitutif du caractère gratifiant narcissique de la cure, en mettant l'accent sur sa neutralité bienveillante, sa disponibilité, son accueil et sa tolérance à la totale liberté d'expression de soi-même offerte au patient, etc., ou à l'inverse, comme frustrant sur le plan objectai, si l'on insiste sur l'impavidité, la non-réponse aux demandes instinctuelles le respect même d'une liberté d'expression sollicitée par la règle de libre association, puisque de cette liberté qui renvoie le sujet à lui-même celui-ci n'en a précisément pas encore le... libre usage.

On trouve la même divergence d'appréciation en ce qui concerne la position narcissique du patient engagé dans la cure. Que l'on insiste, comme il est habituel, sur la nécessité de respecter les défenses narcissiques ou, plus particulièrement,

(1 ) Les circonstances ont également fait que la présente communication n'a pu être discutée !


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comme Grunberger, sur celle de faciliter relation narcissique conçue comme moteur du processus de guérison = ces deux attitudes techniques ne pourraient être qu'artificiellement définies comme identiques en les affadissant à leur minimum théorique commun (d'abord ne pas nuire, donc ne pas contrevenir au narcissisme des patients).

En effet, il est déjà difficile de considérer qu'un infléchissement de l'attitude interprétative ne résulte pas du maniement de chacune de ces deux positions contretransférentielles. Et de fait, sur un plan théorique, dans le premier cas le narcissisme n'est-il pas appréhendé comme obstacle, corps étranger à la relation (prévalence implicite du versant objectal), dans l'autre cas comme atout fondamental de l'analyste (valorisation du versant « gratification narcissique » de la relation) ?

Sans doute pour faciliter la discussion, ai-je ainsi schématisé des positions extrêmes dans lesquelles personne ne peut heureusement se reconnaître, plus spécialement au terme de ce Colloque qui s'est surtout efforcé de dégager les lignes d'accord théorique.

Pour ma part, j'ai situé ces remarques sur le rôle du narcissisme dans le mouvement de la cure, dans la perspective du couple particulier mis en forme par la situation analytique, par référence à la relation amoureuse dans le couple qui cherche à se constituer.

Bien entendu, il y a autant de modes de relations amoureuses que de couples constitués et autant de couples analytiques qu'il y a de cures. Aussi cette comparaison se limitera à leur seul aspect narcissique commun, dans ses caractéristiques générales. Je m'expose ainsi à ne donner qu'un point de vue très partiel et gauchi dans la mesure où je néglige les nuances des réalités cliniques particulières. C'est-àdire qu'à enfoncer certaines portes ouvertes, j'en refermerai nécessairement d'autres contiguës. Néanmoins, dans le cadre de cette communication, je négligerai délibérément celles-ci pour m'en tenir à la portée générale de mon propos sur le narcissisme dans la cure-type.

Comme nous l'avons développé ailleurs avec Favreau (1), la relation à deux de l'analyse est une relation amoureuse impossible « l'impossible » tenant essentiellement au caractère asymétrique de l'échange. En effet si le patient vit toujours pleinement et en direct ses imago, et ceci quelle que soit la qualité du transfert, ce qui caractérise l'engagement de l'analyste est au contraire l'attachement dans le détachement.

A la différence d'un couple constitué, l'absence de satisfactions objectales concrètes ferait ici du patient un partenaire bien malheureux, si précisément les relations objectales transférentielles ne saturaient à chaque instant et à leur juste mesure chacune des modulations de sa demande. Néanmoins la nonobjectivation de la participation de l'analyste à ces demandes donne à la relation un caractère d'irréciprocité dont nous savons qu'il est la condition de l'évolution de la cure. En cela d'ailleurs le couple analytique ressemblerait plutôt au couple amoureux non encore constitué.

Si j'ai insisté sur l'asymétrie et l'irréciprocité dans cette relation amoureuse, ce n'est pas pour constater simplement l'évidence de la frustration objectale qu'elles entraînent.

Il m'a semblé en effet qu'en deçà de cette apparente frustration, concomi(1)

concomi(1) de Psychanalyse, fasc. III, à paraître.


LE NARCISSISME DANS LE MOUVEMENT DE LA CURE 603

tamment à cette dernière, asymétrie et irréciprocité constituent en fait les instruments essentiels de la restauration narcissique. En effet, au contraire de l' « hémorragie narcissique » subie par le Moi dans la relation amoureuse banale, du fait de l'idéalisation de l'objet (processus décrit par Freud dans l'Introduction au narcissisme), la situation analytique ne constitue-t-elle pas une « perfusion narcissique continue » si je puis ainsi développer l'image de Freud ? Ce qui évite l'hémorragie narcissique dans cette relation à deux et assure au contraire la récupération narcissique n'est-ce pas l'asymétrie et l'irréciprocité qui permettent par le ricochet des projections transférentielles, du fait de notre non-participation objective, le retour au Moi de l'énergie libidinale, transitoirement investie sur l'analyste ?

De quelle énergie libidinale s'agit-il ? A la fois narcissique et objectale me semble-t-il.

1. D'une part, qu'on le veuille ou non, à certains égards, la relation analytique, comme tout couple, réalise un narcissisme à deux.

J'exclus évidemment les malencontreuses satisfactions narcissiques contretransférentielles, étant admis que l'analyste est, dans ce couple, le partenaire qui n'y assouvit pas de désirs.

Mais, non seulement par sa fonction de thérapeute, nécessairement vécue comme réparatrice sur le plan narcissique, mais aussi par les caractéristiques de sa présence que j'ai déjà signalées, l'analyste est toujours ressenti, en deçà du plan transférentiel et de son registre verbal, comme source d'apport narcissique. C'est là une donnée de fait, inhérente à la situation analytique et indépendante en quelque sorte de l'investissement narcissique de l'analyste par le patient dans la mesure où elle le précède, et en est l'indispensable prélude. En quelque sorte tout se passe comme s'il y avait un engagement narcissique primaire préalable à tout investissement narcissique secondaire.

Ainsi, comme dans la relation amoureuse du couple constitué existe-t-il dans l'analyse un double courant narcissique ; sans doute celui qui part de l'analyste, à son « corps défendant », si l'on peut dire, par le fait même de sa présence et indépendant de son désir, réfère-t-il par là même plus au substrat narcissique de toute relation amicale qu'à celui de la relation amoureuse. Aussi bien ce qui nous autorise à qualifier d'amoureuse la relation analytique tient-il au vécu des patients et non à celui de l'analyste.

La constatation de ce narcissisme en quelque sorte endogène à l'échange analytique apparaît certes banale par son évidence. N'est-ce pas ce que nous voulons dire tous, lorsque nous affirmons que la situation analytique est gratifiante ? Certes, cependant il m'a semblé que souvent cette considération en reste là. Chez la plupart des auteurs qui ont étudié le narcissisme dans la relation analytique il n'est pas évident que soit réellement intégré dans leur élaboration théorique cet état d'objet narcissique passif conféré au psychanalyste, en quelque sorte subi par lui, puisque à la limite il ne serait pas nécessaire qu'il l'assume réellement pour que cet état soit constitutif de la relation, comme l'a remarquablement décrit Grunberger. Cet « état » extra-transférentiel et paraobjectal au sens strict de la relation d'objet puisque l'analyste n'y a pas une valeur d'objet distinct, s'avère en effet différent de ce que nous pourrions dès lors appeler la fonction narcissique du psychanalyste exercée dans le transfert : qu'il s'agisse de son respect du narcissisme du patient dans la forme de ses


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interventions, dans son attitude à l'égard des défenses dites narcissiques ou même dans son accueil à relation narcissique.

Cet état d'objet narcissique inhérent à la présence du psychanalyste m'a semblé mériter d'être souligné afin de permettre de mieux dégager ce qui lui revient dans le mouvement de la cure. Outre qu'il sera le support du courant narcissique que d'emblée le patient va établir sur nous et qui infiltrera en permanence la relation transférentielle jusqu'à sa fin ; il s'avère en même temps comme le pôle réflecteur de la libido du Moi qui sera secondairement investie sur nous. J'ai déjà dit que ce courant permettra ainsi au Moi d'éviter l'hémorragie narcissique, décrite par Freud dans le couple amoureux, en conditionnant le retour de cette libido au Moi.

C'est dans ce processus que pour ma part je verrais l'explication que le Moi du patient puisse être l'allié de l'analyste. Voir cette alliance dans le seul exercice des fonctions du Moi dites autonomes, ne peut avoir à mon sens d'autre valeur que descriptive. Encore faut-il alors que l'on élude le problème de la levée des résistances qui s'opposent précisément à l'exercice de ces fonctions. Il me semble que la condition d'une telle alliance qui, loin d'être fortuite, est en fait permanente (assurant la continuité de l'initiative prise par le patient à faire son traitement) réside dans ce pacte narcissique non verbalisé et longtemps tacite. Celui-ci constitue par la coulée immédiate, dès la première entrevue, de la libido du Moi du patient dans le moule de l'analyste — en-sonétat-d'objet-narcissique.

Concevoir ainsi la nature de cette alliance patient-psychanalyste, me semble permettre de reconsidérer les notions de « défense narcissique » et de « blessure narcissique ».

Le pacte narcissique qui assure l'engagement dans la cure, enlève à la notion de défense narcissique son caractère en quelque sorte tabou. Qu'auraient en effet à défendre et contre qui ? ces dites défenses qui s'avèrent en fait recouvrir ce qui chez le patient est notre meilleur allié : le ciment de la relation qu'il importera précisément de modeler dans un cadre objectai.

Sans doute l'expression de « défense narcissique » est-elle discutable. Car enfin, au sens strict, elle implique que « le Moi du patient se défendrait avec son narcissisme » et que le narcissisme serait une défense, ce qui au point de vue métapsychologique apparaît d'une signification aussi douteuse que de considérer le Moi comme essentiellement défensif. Le Moi ne peut avoir « à se défendre avec son narcissisme » : il est narcissique. Peut-on imaginer un Moi sans libido propre ? Considérer qu'il puisse y avoir des défenses narcissiques et qu'elles soient un obstacle ne confine-t-il pas à nier l'existence du patient ? Aussi bien que « l'analyse serait belle s'il n'y avait pas de patient ».

Quant à la notion de blessure narcissique, comment la situer ? Pour simplifier à l'extrême et par référence à ce qui précède, je serais tenté de dire que dans l'analyse ainsi engagée et faite par un psychanalyste, il ne peut y avoir de « blessure narcissique ». Je ne parle bien entendu ici que du patient et non du psychanalyste, je reviendrai sur ce point. Ceci en ce sens qu'une blessure, une agression ne peut être reçue par le patient sur un plan narcissique : d'une part, en raison de l'alliance aveugle impliquée dans son engagement ; cet aveuglement empêchera de percevoir comme tel ce qui ne pourrait être ressenti comme une blessure mettant en danger l'existence du Moi que pour l'obser-


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vateur non engagé ; d'autre part, le vécu narcissique du fait de son empreinte infantile, n'échappe-t-il pas au registre verbal aussi bien par essence que par expérience si l'on peut dire par référence à l'ontogenèse.

La pratique me semble confirmer que les manifestations de la présence du psychanalyste lorsqu'elles sont ressenties comme agressives par le patient, ne peuvent être verbalisées, ne peuvent accéder au langage que sur le mode de la castration : soit au niveau des relations objectales élaborées qu'il s'agisse de l'échange d'objets partiels ou d'une angoisse de morcellement. En fait, sans doute est-ce ce même impact narcissique de la relation dans lequel est englué le Moi du patient qui est responsable de la perte de sens que subissent nos interventions, pendant longtemps dans la cure ; c'est lui qui tend à épurer nos manifestations de leur aspect fantasmatiquement agressif, au profit de leur valeur de gratification narcissique.

Ainsi pourrait-on dire sans paradoxe que l'aptitude à ressentir des blessures narcissiques ne sera acquise qu'au terme de la cure lorsque le Moi aura assez de souplesse pour pouvoir « regarder... son narcissisme ». On pourrait voir une confirmation de cette hypothèse dans l'acuité que peuvent prendre parfois les conflits entre psychanalystes qui ont été tous comme l'on dit, bien analysés.

Ces remarques sur le plan technique nous ont montré que l'alliance narcissique s'exerce au double bénéfice du patient et de l'analyse pour la sauvegarde de la relation.

2. Nous allons voir maintenant que sur le plan objectai, à s'appliquer avec nous contre le Ça, elle n'en tourne pas moins à l'avantage du Moi.

La libido du Moi n'est-elle pas notre alliée naturelle contre les pulsions sexuelles qui sont doublement frustrées : d'une part, dans la mesure où elles réévoquent leur passé de frustration ; d'autre part, malgré son ajustement transférentiel permanent, la demande objectale n'accédera que rarement à la satisfaction réelle et toujours avec un certain décalage dans le temps ?

Je passe ici sur cette apparente non-satisfaction immédiate du point de vue objectai, sur cet écart maintenu entre le désir et son assouvissement qui constitue l'un des moteurs essentiels de la cure (comme sans doute de la vie de l'homme). J'insisterai plutôt sur l'apport narcissique qui résulte pourtant de ces investissements transférentiels de la libido objectale et concomitant à sa frustration manifeste.

En effet, même dans le transfert, dit négatif, ne manque pas de se réaliser, ce qui est plus évident dans le transfert positif : à savoir l'exacte satisfaction des désirs anachroniques assouvis dans la reviviscence transférentielle. Cette satisfaction est obtenue en deçà de ce qui aux yeux de l'observateur non engagé pourrait apparaître comme frustration objectale, et le plus souvent aux yeux mêmes du patient abusé par sa propre verbalisation qui est toujours expression d'un manque (nous savons en effet que ce n'est qu'en fin de cure que sa parole cessera d'être mensonge qui cache au Surmoi ses exigences, comme les plaisirs du Ça). Cette satisfaction sous-jacente à la pseudo-frustration objectale est bien de nature narcissique. N'apporte-t-elle pas au patient dans l'expérience de la permanence de ses désirs et par là même de leur toute-puissance, la vérification de la survie et de la continuité de son Moi infantile, narcissique ?

Cet apport narcissique fourni par les investissements transférentiels de la libido objectale, s'il a été permis par l'alliance narcissique, va la renforcer en


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retour. On pourrait dès lors objecter que l'aboutissement du processus analytique ne saurait être que dans une hypertrophie narcissique monstrueuse, empirant la mégalomanie infantile à n'en plus pouvoir. Ce qui bien évidemment est controuvé par les fins d'analyse que chacun a pu observer.

Une telle objection ne serait d'ailleurs possible qu'en éludant l'aspect essentiel du mouvement de réaffirmation narcissique que nous avons décrit, soit le double passage par l'objet : d'une part, l'analyste saisi d'emblée comme objet narcissique passif, incorporé en fait comme partie du Moi du sujet ; d'autre part, au cours de la relation transférentielle, l'analyste, objet narcissique, ressenti comme activement gratifiant. Sans doute ceci refère-t-il à l' « objectalisation narcissique » ou « narcissisation objectale » décrite par Grunberger.

Nous parlerions plus volontiers pour qualifier ce mouvement d'un affinement, d'un assouplissement de la libido du Moi par intégration ou intrication dans les investissements de la libido objectale, grâce aux tâtonnements de l'expérience analytique.

Ce qui était position narcissique perturbant la possibilité de relations objectales élaborées devient ainsi disposition, ou plus exactement disponibilité narcissique au plaisir objectai (soit : l'aptitude à modeler l'indispensable narcissisme dans les relations d'objet, en les enrichissant). Ce qui était enkysté en auto-érotisme fermé devient une modalité ouverte, une qualité personnelle du plaisir à aimer les autres aussi bien qu'à en être aimé. A la différence de la mégalomanie infantile qui est méconnue par le sujet et ne peut être que vécue aveuglément, cette disponibilité narcissique est précisément reconnue comme telle par le sujet avant même tout vécu et indépendamment de lui.

Je serais ainsi tenté de dire que le narcissisme très élaboré auquel aboutit la fin de la cure dans les cas heureux (mais peut-on encore appeler narcissisme la souplesse et la disponibilité du plaisir que nous venons de décrire), est du type de celui décrit par Freud dans l'humour : où la faiblesse que l'on se reconnaît consacre la force que l'on a à se reconnaître.

Force et faiblesse appartenant au même individu en un couple interne : adulte ironisant sur un autre soi-même enfant. Dans ce couple se réconcilie l'enfant terrible narcissique que nous portons en nous avec les parents enfin reconnus et acceptés dans leur aspect gratifiant et protecteur du narcissisme, en un Surmoi bienveillant et humoriste.

Il peut paraître léger d'en venir finalement à définir l'assomption à l'humour sur soi comme un des critères internes de la fin d'analyse. Serait-ce moins « sérieux » que de retenir précisément l'aptitude à l'humour d'un candidat à la cure, comme chacun de nous peut le faire pour confirmer l'indication, dans certains cas limites et sans doute moins consciemment dans les autres. (Au mieux il peut s'agir de l'humour aux dépens d'autrui ; s'il est certes des cas où l'humour sur soi est spontanément très développé, je pense que ce trait rendrait plutôt circonspect quant à l'indication !)

Il n'est d'ailleurs que de considérer que l'analyse est aussi une façon de s'intéresser à soi, d'apprendre à se regarder comme on regarde autrui, d'acquérir une distance entre soi et soi-même à travers l'expérience qu'en apporte le psychanalyste au patient dans ce couple impossible où en même temps que l'analyste s'identifie, il reste néanmoins un être séparé.

C'est par l'expérience de cette asymétrie du couple que le patient accède à


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l'asymétrie de l'humour... Après avoir reporté le sentiment de force et de grandeur sur celui qui le contemple et qui devient ainsi conscient de l'enfant qu'il est (sans se confondre avec lui comme dans la mégalomanie infantile) finalement le patient du haut de son identification au psychanalyste se contemple lui-même. Dès lors, au fur et à mesure de cet assouplissement narcissique la situation analytique apparaîtra réellement frustrante ; ainsi le patient devra-t-il trouver à l'extérieur un autre objet qui lui permette d'établir une relation avec l'enfant terrible que cet autre a aussi en lui et que l'analyste ne lui montre jamais, sauf faute technique grave.

Intervention de I. BARANDE

Dans le cadre de ce Colloque, j'ai pensé qu'il était peut-être intéressant d'examiner brièvement de quels patients nous parlons lorsque nous sommes particulièrement prêts à dire d'eux qu'ils sont « narcissiques ».

En 1919, dans D'une forme de résistance particulière à la cure psychanalytique, Abraham envisage précisément ces patients « les plus narcissiques » qu'il connaisse — qui s'opposent d'une façon particulière et tenace à la règle psychanalytique de base. Au fil de son écrit, il relève les « motivations erotiques anales » et leurs expressions dans le transfert. Les traits de caractère anaux prévalents dans sa description nous sont familiers chez certains de nos analysés et constituent certes l'obstacle majeur au déroulement de la cure. (Abraham soulignait que ces patients appartiennent au cadre de la névrose obsessionnelle.)

Freud (1916) (1) avait évoqué cette persévération narcissique à l'érotisme anal et l'utilisation de ce dernier qui s'exprime « par l'obstination, réaction remarquable du Moi aux exigences d'autrui ».

Dans la situation analytique, on assiste, à assez brève échéance, à une chronicité de la régression sadique-anale, jusque-là peut-être plus diluée dans la vie du patient.

La projection de la mégalomanie infantile permettant de vivre une relation analytique reste inexprimée sauf par éclairs vite annulés. Toute en sourdine qu'elle demeure, elle s'impose, ne serait-ce que pour comprendre le fait que les patients poursuivent leur cure et les améliorations passées dont ils feront état... à l'occasion d'un mal-être. Leur opposition par contre, qui dénonce un Surmoi inaltérable à l'image des traits de caractère qui ont épongé les émois pulsionnels, sont à l'ordre du jour constant des séances. Cette opposition est maintenue ou réétablie avec une véhémence qui permet de mesurer l'angoisse qu'elle sert à éviter, angoisse de la relation souhaitée, passive, ressentie comme une séduction destructrice. A la longue, on découvre qu'elle écarte l'angoisse du patient à se reconnaître comme bénéficiant d'un tel partage depuis le début de la cure, c'est-à-dire comme assouvissant avec nous des aspirations d'autant plus tenaces qu'en elles la satisfaction et l'absence d'issue les plus totales se confondent. Si dans l'opposition-dénégation du patient il y a une reconnaissance, le « il ne sera pas dit que » oblitère la situation analytique.

En dehors d'un éventuel « renforcement constitutionnel de l'érotisme anal »,

(1) Uber Triebumsetzungen, insbesondere der Anderotik Gesam Werke, vol. 10, in R. F. Y A. 1928 (trad. Ed. PICHON et M. HOESLI).


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il semble que la stagnation à cette forme de relation procède d'autres aspects plus offerts à notre investigation. Le « quand je veux, comme je veux, autant que je veux » (Abraham) suppose l'autre jusqu'à le solliciter pour mieux l'écarter. C'est un triomphe dont le soubassement est bien érotique-anal mais qui tient sa plénitude de la présence d'autrui, activement évincé. Il me semble que l'aspect perversion érogène cède le pas ici à la perversité : un narcissisme puissant récupéré grâce à la présence d'autrui simultanément tenu à l'écart ce dévorateur, ce vampire, ce thésaurisateur, au minimum ce castrateur ou cet inexistant... Le patient paie en temps et en argent pour montrer qu'il ne donne rien, n'est infiltré par rien, ne perd rien et vice versa qu'il n'a rien obtenu, reçu.

Ce narcissisme est bien différent de celui si captivant que Freud reconnaît à certaines femmes, aux grands fauves, etc. La provocation monotone, la rétivité de ces patients loin d'enchanter exigent une impavidité, peut-être une rêverie préservant l'intérêt. Il est vrai que la dépression du patient, lorsqu'il fait un projet plus précis d'interruption de cure ou autour d'une absence du thérapeute, permettent de situer certaines vérités du transfert.

De ces patients, nous disons qu'ils sont narcissiques, en résumant ainsi la qualité particulière, univoque, par longues périodes inaccessible de leur transfert (1).

J'ai été amenée à concevoir le type de relation qu'ils entretiennent comme le fait de l'engrènement d'une perversion anale et d'une perversité narcissique. Pour imager, ce narcissisme serait le plaisir pris par le patient à convier son partenaire à assister avec lui à ses propres satisfactions auto-érotiques, satisfactions qui excluent ce partenaire mais exigent son regard pour être.

Intervention de Y. DALIBARD

Je n'insisterai pas dans cette courte intervention sur les difficultés terminologiques que pose le problème du narcissisme, voulant seulement faire quelques remarques à partir d'un certain aspect de la question. Je me suis inspiré pour cela de la distinction entre fantasmes unissant buts narcissiques et buts objectaux, par opposition aux fantasmes narcissiques plus ou moins absurdes que Bénassy nous a très bien expliqués dans son texte sur Federn.

Le narcissisme est assimilé dans le premier cas à un pré-plaisir, à un plaisir anticipé et dans cette perspective, on pourrait peut-être dire que la notion d'estime de soi peut être étendue au sens d'évaluation pratiquement commerciale de la valeur de soi et pas seulement dans le sens d'une évaluation vague du Moi. Le Moi évalue sa propre possibilité, sa valeur, pour supputer un échange valable ; c'est le premier temps du troc ou de l'échange. Mais dans le langage courant, ne dit-on pas que l'on estime quelque chose ou quelqu'un à sa juste valeur (comme on calcule une distance), c'est-à-dire que dans cette anticipation il faut qu'il y ait une mesure, un calcul qui serait une des sources de l'estime de soi, qui déterminera la valeur du commerce que l'on aura avec quelqu'un.

Ce temps de jugement, d'appréciation de soi est une façon de jauger ce qu'apportera l'autre en fonction de la loi du troc et de l'échange.

(1) (De même, je crois qu'on peut les considérer comme des névroses de caractère — ou considérer leur attitude dans l'analyse comme une résistance par le transfert.)


LE NARCISSISME DANS LE MOUVEMENT DE LA CURE 609

Le narcissisme pathologique voudrait peut-être dire que le sujet reste immobilisé sur le premier temps de cette démarche, un peu comme quelqu'un qui, ayant quelque chose à échanger, resterait arrêté sur le temps de l'appréciation de l'objet à échanger et perdrait de vue la suite de l'opération. Mais cette démarche peut être arrêtée parce que, justement, l'estime de soi ne se fait pas, le prix n'étant pas fixé pourrait-on dire, le sujet ne compte pas (il compte pour rien) et ii ne peut faire cas de l'autre puisqu'il ne sait pas ce qu'il vaut lui-même.

Le malade dont nous parle Mme Braunschweig est inquiet qu'elle puisse l'estimer ou l'aimer. Cela peut vouloir dire dans un certain sens qu'il ne sait pas ce que l'analyste attend de lui et qu'il risque de le perdre à le méconnaître. Il est comme un marchand qui verrait un amateur, mais ne sachant pas la valeur de ses objets, serait sûr de le perdre dans son hésitation.

Tout ceci peut peut-être expliquer que les personnalités importantes soient plutôt narcissiques, si, en revanche, les personnalités narcissiques ne sont pas toutes importantes. En effet, dans cette estime de soi se situe justement l'ambition d'obtenir beaucoup pour pouvoir également donner à sa mesure selon son prix et ne pas donner, selon l'expression populaire, des perles à des pourceaux, ce qui bloquerait la valeur des échanges (un peu comme l'introduction de fausses monnaies).

En conclusion, je voudrais ramener une partie du narcissisme « estime de soi » à une fonction du Moi de sens courant qui consiste à voir, estimer, apprécier, donner un prix, voire un chiffre, à ce qui sera créé dans le circuit des échanges objectaux. Car ce n'est jamais qu'un commerce que l'on entretient avec quelqu'un et je voudrais ajouter au point de vue thérapeutique que les malades doivent se sentir suffisamment « appréciés » (1) (surtout au début de la cure) pour supporter le travail analytique.

Intervention de A. CLANCIER

Je vais relater un cas qui confirme ce que nous disait M. de Saussure à propos du renforcement de l'investissement narcissique.

Il ne s'agit pas d'un de mes patients. C'est un cas dans lequel j'ai eu à intervenir par hasard. Il s'agit du mari d'une de mes amies, un homme que je connaissais depuis très longtemps et qui me paraissait avoir un caractère phallique narcissique.

J'avais été très frappée par la relation qu'il avait avec sa plus jeune fille, alors qu'il rejetait sa fille aînée : il était très lié avec la seconde qui était comme une image de lui-même. Cette fille ne pouvait rien faire sans son père, et lui ne pouvait rien faire sans elle. En vacances, ils partaient souvent tous les deux, laissant la mère et la fille aînée à la maison ; ils avaient les mêmes centres d'intérêt intellectuels, ils pratiquaient les mêmes sports.

Un jour, cet homme qui de temps en temps me parlait de ses soucis professionnels ou familiaux me dit brusquement au cours d'une conversation : « J'ai rompu avec ma fille. Un soir, aux sports d'hiver, j'avais beaucoup bu ; je dansais avec elle, et j'ai eu peur d'une catastrophe. Je ne me le pardonnerais

(1) Appréciés dans tous les sens du mot.


610 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1965

pas. Alors j'ai décidé que nous ne voyagerions plus ensemble, et que je me tiendrais dorénavant à distance d'elle. »

Sans aucun doute, sa fille ressentit vivement cette attitude : elle se mit à sortir avec un jeune homme, ce qu'elle n'avait jamais fait auparavant et quelque temps après, elle annonça à ses parents sa détermination d'épouser ce garçon.

Le père réagit d'abord par une violente colère. Il trouvait ce jeune homme indigne d'épouser sa fille (ce qui était injustifié) ; il prédit à cette dernière tous les malheurs possibles ; celle-ci ne cédant pas, il usa alors de menaces : il la déshériterait, il ne la reverrait plus.

Quand il comprit que tous ses efforts seraient vains, que la résolution de sa fille ne changerait pas, il se déprima : il resta chez lui, sans travailler, ne voulant voir personne, taciturne, triste. J'eus l'occasion de le voir à cette période, alertée par sa femme, mais il refusa tout traitement, toute aide psychothérapique qu'il aurait pu trouver auprès d'un collègue que je lui proposais de voir ; il manifesta même un vif mécontentement du fait que j'avais été prévenue de son état.

Quelques semaines plus tard, une nuit, je reçus un coup de téléphone de sa femme me suppliant de venir tout de suite, car son mari, de plus en plus déprimé, venait de lui dire dans une crise de désespoir qu'il ne se sentait plus capable de lutter contre ses idées de suicide, et qu'il allait certainement se tuer avant le lendemain.

Je vins immédiatement, et je trouvai cet homme dans un état de tristesse et d'anxiété intense. Il' m'expliqua en pleurant que la vie sans la présence de sa fille n'avait plus de sens pour lui, et qu'il ne se sentait pas le courage de continuer à vivre dans cet état d'abandon intolérable.

Je cherchais par quel moyen je pourrais l'aider rapidement. J'avais remarqué que cet homme, qui avait réussi très brillamment dans une carrière artistique, était extrêmement sensible aux réactions du public. Si une de ses expositions avait moins de succès que les précédentes, il présentait pendant quelque temps un petit syndrome dépressif; il était découragé, et ne pouvait plus travailler jusqu'à ce qu'un article élogieux, une manifestation à l'étranger ou quelque événement de ce genre lui permit une reprise d'activité.

Tout en l'écoutant, il me vint une idée : « Pour le sauver de sa dépression, il faut que je lui fournisse une raison de s'admirer. »

Je lui dis alors :

« Mais ce n'est pas votre fille qui vous a abandonné, c'est vous qui l'avez abandonnée. Vous m'avez dit, il y a quelques mois, que vous aviez rompu avec elle : c'est par dépit qu'elle s'est mise immédiatement à fréquenter ce garçon.

— Vous ai-je dit cela ? Je ne m'en souviens pas. En êtes-vous absolument sûre ? » dit-il.

J'en étais sûre, et je continuai l'entretien en lui expliquant que c'était pour des motifs moraux qu'il s'était sacrifié, ne voulant pas devenir un père abusif, que son amour pour sa fille avait été plus fort que son égoïsme, etc.

Pendant que je parlais, je le voyais devenir rêveur; l'expression de son visage changea peu à peu, et je sentis qu'une détermination se formait en lui. Après un moment de silence, il se mit à me parler d'une oeuvre qu'il avait entreprise et à laquelle il n'avait pas travaillé depuis des mois.

Je pensais alors que je pouvais le quitter sans risque.


LE NARCISSISME DANS LE MOUVEMENT DE LA CURE 611

Le lendemain, sa femme m'a téléphoné en me disant : « Je me demande ce que vous lui avez dit cette nuit : il n'est plus le même, il me semble guéri. Je n'arrive pas à croire à un changement aussi brusque ! »

Cette guérison s'est révélée durable. Cet homme a repris ses activités professionnelles auxquelles il a adjoint une fonction sociale importante qui semble lui donner beaucoup de satisfaction.

J'ai pensé que cette guérison rapide pouvait être attribuée à deux facteurs. D'une part, j'ai donné à cet homme la possibilité de déplacer sur moi, dans une relation transférentielle, ses pulsions oedipiennes envers sa fille, ce qui a provoqué une déculpabilisation ; d'autre part, le narcissisme ayant infiltré le niveau oedipien, l'Idéal du Moi que je lui ai proposé lui a permis un investissement narcissique plus fort. Il en est résulté une intégration pulsionnelle grâce à laquelle il a pu retrouver un contact avec un objet perdu et effectuer une sublimation.



Conclusion

par D. BRAUNSCHWEIG

La vie mentale suppose une activité psychique de représentation. Celle-ci, comme viennent de nous le rappeler Marty et Fain, naît des frustrations et se développe à partir des zones érogènes. Au point de vue du narcissisme, deux situations extrêmes peuvent se produire : 1) Il y a un excès de frustration (hospitalisme, expériences de déprivation sensorielle citées par Bénassy...), les zones érogènes sont alors isolées et surinvesties, l'union des auto-érotismes, correspondant à l'une des définitions freudiennes du stade narcissique, ne se fait pas, ni l'objet ni le Soi ne sont investis en tant que tels; 2) Il n'y a pas assez de frustrations, la satisfaction trop constante des besoins s'oppose à l'activité mentale de compensation à partir des zones érogènes et par suite à l'établissement des mécanismes d'introjection et de projection qui fondent à la fois le Moi et la relation objectale.

En pratique, frustrations et gratifications sont généralement moyennes ; et la satisfaction des besoins qui ne peuvent se satisfaire auto-érotiquement intervient d'une manière discontinue. Moi psychique et objet sont fondés quand une représentation continue du second (indépendamment de ses apparitions et de ses disparitions) existe à l'intérieur du premier. Ceci n'est sans doute qu'une vérité première, elle me paraît confirmée par les échanges de ce colloque. Dans ces conditions, l'investissement narcissique du Moi peut-il se concevoir séparément de celui des objets qui concourent ou qui ont concouru à sa constitution (objets internes) ? Peser l'équilibre narcissique, c'est-à-dire l'équilibre libido narcissique/libido objectale, reviendrait alors schématiquement à peser l'équilibre libido attachée aux objets internes/libido attachée aux objets externes ; et la qualité de cet équilibre, garant de la santé mentale, dépendrait à la fois de la qualité des objets internes, c'est-à-dire des conditions de leur internalisation, et du choix des objets externes, ce deuxième facteur dépendant lui-même du premier.

Il me paraît inutile de revenir sur le problème des identifications précoces dans la structuration et la restructuration du Moi qui ont été largement étudiées par P. Luquet dans son rapport au XXIIe Congrès des Psychanalystes de Langues Romanes, ou sur la genèse des fantasmes chez l'enfant qui a fait l'objet d'un rapport de S. Lebovici et R. Diatkine à la XVIe Conférence des Psychanalystes de Langues Romanes. Par contre, si l'identification primaire, corollaire de l'établissement du narcissisme secondaire, a fait l'objet d'une large discussion au cours de ce colloque, il me semble que la valeur de l'introjection anale de l'objet, en fonction de l'équilibre narcissique, a été quelque peu négligée. Si l'on se souvient par exemple, comme Lebovici l'a d'ailleurs rappelé, que Freud, tant

REV. FR. PSYCHANAL. 40


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dans les Trois Essais... que dans l'Introduction du narcissisme, que dans le Président Schreber, a insisté sur la nature homosexuelle de la libido narcissique, sur le choix objectai narcissique de l'homosexuel, sur les rapports de l'érotisme anal avec la libido narcissique, on peut peut-être s'étonner qu'il n'ait pas davantage été fait allusion à l'homosexualité. Grunberger et Favreau, en particulier, ont certes parlé de l'importance pour l'évolution narcissique de l'intégration de la pulsion anale, et Bénassy, à propos de Federn, a bien posé le problème de l'exclusion de la zone anale dans certains cas ; mais il peut sembler regrettable que n'aient pas été reprises, sous l'angle global du narcissisme, les opinions, partagées par nombre d'auteurs, de Bouvet, de Fain et Marty, de C. J. Luquet. de Lebovici, etc., sur la valeur structurante de l'investissement homosexuel, N'aurait-on pas alors pu soulever l'hypothèse, qu'au moins dans certains cas, le choix objectai de l'homosexuel témoigne d'un trouble ou d'un déficit narcissique lié, pour une raison ou pour une autre, à l'impossibilité d'introjecter l'objet (ou plutôt certaines qualités de l'objet) dans des fantasmes anaux; comme si l'homosexuel manifeste courait ainsi, tout en se l'interdisant par le passage à l'acte, après une chance fuyante de s'auto-investir et de se structurer qui lui aurait toujours été refusée ?

Ne retrouve-t-on pas, en effet, dans les identifications qui concourent à la formation du Surmoi et qui assurent le dépassement du conflit oedipien (dans la mesure où celui-ci peut être dépassé) cette identification partielle au rival oedipien, à certaines de ses qualités, qui permettrait la désexualisation (Nunberg) ? Et ce processus n'a-t-il pas besoin pour s'effectuer favorablement d'avoir été précédé par l'introjection discriminative, caractéristique de la pulsion anale ? Il reste bien entendu que parler d'objets internes, d'objets fantasmatiques, introjectés ou auxquels on s'est identifié, c'est parler d'objets perdus, absents momentanément ou définitivement, auxquels on a sexuellement renoncé.

Quoi qu'il en soit, l'équilibre narcissique peut donc se définir entre le plaisir et les satisfactions obtenus à partir des objets externes, d'une part, et l'autonomie assurée par la relation à l'intérieur du Moi avec de bons objets internes, d'autre part. Pour Grunberger cet équilibre serait assuré par l'existence chez les sujets qui ont été « confirmés » narcissiquement en temps utile et de façon adéquate, par un plaisir narcissique pur, élationnel. Pour d'autres, le plaisir tiré des objets doit être suffisant et il est clair que ceux-ci sont indispensables à la satisfaction des pulsions. En résumé : les pulsions viennent du corps, du Ça, le Moi dès qu'il est constitué devient leur support, et, à ce titre, « le réservoir de la libido ». Quand le Moi sous la pression pulsionnelle investit quelque chose à l'extérieur, il s'appauvrit et devient dépendant ; la satisfaction libidinale venant de l'extérieur l'enrichit et augmente sa propre estime. Ce bénéfice narcissique dépend donc essentiellement de deux conditions : 1) le Moi doit être capable d'engager les premiers frais, c'est-à-dire se sentir assez richement investi par sa propre libido, attachée aux objets internes, pour se permettre d'aimer, de désirer ; 2) le Moi doit pouvoir supporter la dépendance qu'implique le fait d'attendre d'autrui la satisfaction de ses pulsions, soit : de vouloir être aimé. Cette deuxième condition qui suppose l'acceptation de la passivité, de la castration dans les deux sexes (à rapprocher du texte de Freud : Analyse terminée analyse interminable) fait courir au Moi le danger de blessure narcissique et l'amène parfois à se détourner de l'objet qui donne du plaisir ou à l'attaquer. Certaines relations


CONCLUSION 615

sado-masochiques se rattachent sans doute à une telle défense narcissique.

C'est l'évidence même qu'une économie libidinale convenable ne peut se concevoir sans intégration narcissique et pulsionnelle correcte, elle exige donc la liquidation des principaux conflits, et du conflit oedipien avec sa culpabilité en particulier. La clinique du narcissisme est essentiellement celle de la dépression, des psychoses, de la dépersonnalisation, et, semble-t-il bien aussi (Fain et Marty), des états psycho-somatiques, autrement dit la clinique du désinvestissement objectai. D'une manière générale le névrosé n'abandonne pas ses investissements objectaux, mais il n'en tire ni la satisfaction ni le bénéfice narcissique souhaitables parce que ses relations objectales sont altérées par des objets internes dont, plus qu'un autre, il projette les mauvaises qualités à l'extérieur. Le traiter peut donc se ramener en gros à obtenir une modification des objets qui ont concouru à la constitution progressive de son Moi, et l'on conçoit que cela demande du temps. Les exposés cliniques nous en ont tous, je pense, convaincus. Le psychotique, lui, ne peut conserver aucun objet à l'intérieur, il le projette immédiatement à l'extérieur et, pour cette raison, il n'a, au pire, de relations ni avec des objets internes, ni avec des objets externes. Le traiter c'est tenter de se faire reconnaître comme objet par lui, lui permettre de s'investir en nous investissant. Quant au malade psychosomatique, il semble n'avoir de relation qu'avec des objets externes dont il est de ce fait totalement dépendant, et c'est en ce sens, je crois, que Fain et Marty le décrivent comme le plus tragiquement démuni sur le plan du narcissisme. Le traiter devient alors une tentative de lui ouvrir la voie fantasmatique, en lui offrant la possibilité de disposer d'objets à l'intérieur de lui et de les métaboliser pour créer une protection narcissique contre l'impact des traumatismes qui l'assaillent.

En forme de plaisanterie plus ou moins, Grunberger nous a rappelé au cours de ce colloque que « pour ne pas être déprimé en considérant la brièveté et la précarité de l'existence il fallait être délirant ». Ceci est bien entendu vrai pour le déprimé et nous ne reviendrons pas sur son cas car il a fait l'objet de plusieurs études récentes. Il est certain pourtant que nul n'est tout à fait à l'abri de frustrations graves (deuils, ruptures, maladies, etc.) et que le narcissisme de chacun demeure constamment remis en cause par l'éventualité des pertes d'objet qui jalonnent la vie mentale.


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(1) Une partie de ces références bibliographiques est empruntée à l'article récent de H. LICHTENSTEIN, The role of narcissism in the emergence and maintenance of a primary identity, in The International Journal of Psycho-Analysis, 1964, 45.


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LES LIVRES

Erika FROMM and Thomas FRENCH, Dream Interpretation. A new Approach, New York, London, Basic Books, 1964, 224 p.

Abandonnant l'hypothèse fondamentale selon laquelle le rêve serait l'expression d'un désir inconscient, Erika Fromm et Thomas French nous proposent un nouveau mode d'appréhension du matériel onirique. Le rêve va être considéré ici comme une tentative faite par le rêveur de résoudre un problème fondamental, par le truchement d'un problème écran.

Les textes de rêves nombreux et variés, littéralement et intégralement rapportés, permettent de suivre et d'étayer la pensée et les hypothèses de travail des auteurs dont la tentative ne manquera pas de susciter d'intéressantes et fructueuses controverses.

LES REVUES

THE PSYCHOANALYTIC QUARTERLY (vol. XXXIII, 1964, n° 1)

Victor H. ROSEN. — Some effects of artistic talent on character style (Quelques

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psychoanalysis (La supervision. Une méthode d'enseigner la psychanalyse),

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(1) Victor H. ROSEN, M.D. (New York), Quelques effets du talent artistique sur le genre du caractère, Psychoanalytic quarterly, 1964, n° 1.

Il existe souvent chez les artistes une résistance aux jugements de groupe. Et ceci particulièrement dans le domaine des valeurs esthétiques où les questions d'illusion de choix subjectif et de préférence produisent une tension spéciale entre les expériences cognitives dérivées de la pression culturelle et l'expérience perceptuelle de l'individu. L'artiste considère souvent la vue conventionnelle des choses comme l'illusion de la majorité.


620 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1965

L'auteur suggère que ce comportement provient de différences constitutionnelles quant à la réaction sensitive aux stimuli perceptuels.

Cette tendance se développe pendant la prime enfance quand la séparation d'avec la mère et l'attachement à certains jouets sont les problèmes majeurs.

Les jouets tendent à avoir une importance particulière pour les enfants doués et leur valeur d'objets extérieurs renforçant l'illusion augmente la probabilité que ces objets transitionnels deviennent des fétiches infantiles.

Cet attachement particulier à certains jouets influence à son tour de nombreux aspects de la relation parent-enfant. Il peut aussi susciter des défenses précoces et solides contre l'influence parentale, en ce qui concerne les jugements de valeur et plus tard une résistance similaire au conformisme culturel.

Ce trait de la prédisposition artistique devient un atout pour le talent créateur aussi bien qu'un élément des relations objectales de l'artiste et de ses conflits intérieurs.

Finalement cette évolution contribue à la fois au succès de l'individu doué qui devient un artiste original et à des possibilités sociales généralement médiocres.

Cet ouvrage traite d'un problème dont l'importance est fondamentale : le développement de la passivité.

L'auteur en relate le cheminement durant les premiers mois de la vie et au cours de l'enfance.

Elle attire l'attention sur les voies spécifiques qu'emprunte la passivité, pour agir sur la formation du caractère et de la névrose. Deux psychanalyses d'enfant y sont présentées en détail, l'accent étant particulièrement mis sur la compréhension de la passivité à travers l'interprétation du matériel hypnagogique.

Un point de vue théorique concernant les relations entre les stades de développement psychosexuel et la névrose chez l'enfant, se dégage de la discussion clinique.

L'auteur propose une série d'hypothèses, qui permettront sans doute de jeter quelque lumière sur les déterminants de la passivité dans les premières années de l'enfance.

L. DREYFUS.

PSYCHOANALYTIC QUARTERLY

(vol. XXXIII, 1964, n° 3)

Burness E. MOORE. — Frigidity : a review of Psychoanalytic littérature (La

frigidité : une revue de la littérature psychanalytique), p. 323. Sydney HALPERN. — A classical error in Freud's : the interprétation of dreams

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Project (Homologue chimique du modèle présenté dans le « Projet » de Freud),

P- 357Sidney LEVIN (1). — Mastery of fear in Psychoanalysis (La maîtrise de la peur

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(Le contre-transfert dans le maniement des phobies scolaires), p. 411.


LES REVUES 621

(1) Sidney LEVIN M.D. (Brookline Mass.). — La maîtrise de la peur en psychanalyse.

Des craintes névrotiques peuvent pousser les malades à éviter diverses activités, telles qu'essayer de renoncer à des mauvaises habitudes, acheter leurs habits, se livrer à l'expérimentation sexuelle qui se produit dans un développement normal.

L'analyste doit s'efforcer de souligner ces particularités qui paraissent normales au malade, et l'aider à analyser les craintes qui les provoquent.

Une telle analyse permet au malade de s'essayer à l'activité évitée jusque-là, d'acquérir ainsi une maîtrise plus grande de ses craintes et d'accorder de nouveaux moyens de satisfaction à ses pulsions libidinales et agressives.

(2) Vivian JARVIS M.A. (Freeport, New York). — Le contre-transfert dans le maniement des phobies scolaires.

Le contre-transfert hostile manifesté par une partie du personnel de l'école envers les enfants qui ont une phobie scolaire est provoqué par les pulsions sexuelles et agressives à peine déguisées de l'enfant.

Ces personnes sont poussées par leurs propres tendances sado-masochistes à recréer dans le milieu scolaire les aspects sado-masochistes de la relation mère-enfant.

La réponse hostile à l'enfant atteint d'une phobie scolaire, réponse qui consiste à lui imposer la situation qu'il craint, sous prétexte de réalisme, ne fait qu'empêcher un traitement adéquat des processus inconscients pathologiques de l'enfant.

L. DREYFUS.

PSYCHOANALYTIC QUARTERLY

vol. XXXIII, 1964, n° 4)

Albert J. SOLNIT. — A tribute to Heinz Hartmann (Hommage à Heinz Hartmann), p. 475.

David KAIRYS. — The training analysis. A critical reviezo of the literature and a controversial proposai (L'analyse didactique. Une revue critique de la littérature et une contre-proposition), p. 485.

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Henry EDELHEIT. — Jung's memories, dreams reflections (Souvenirs, rêves et réflexions de Jung), p. 561.

Stanley A. LEAVY. — A footnote to Jung's « memories » (Appendice aux « souvenirs » de Jung), p. 567.

(1) SEYMOUR C. POST, M.D., New York. — La réévocation de l'anxiété par l'absence d'anxiété.

Un malade se plaignait de devenir de plus en plus anxieux quand il avait tendance à se sentir sans anxiété.

L'analyse révéla que l'anxiété lui donnait un sentiment de proximité avec la mère. Cette identification obtenue au moyen de l'anxiété qu'il partageait


622 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1965

avec sa mère le protégeait contre le danger de la perte de l'objet et la peur inconsciente d'avoir châtré sa mère en l'abandonnant.

Dans le même temps, l'identification réactivait d'une façon régressive des souhaits primitifs de symbiose qui, à leur tour, provoquaient la crainte secondaire d'être dévoré par elle. Les moyens par lesquels il cherchait à écarter le danger de la perte de l'objet provoquaient donc l'apparition d'un autre danger tout aussi menaçant.

(2) Richard V. YAZMAJIAN, M.D. New York. — Premiers rêves représentant d'emblée l'analyste.

L'auteur rapporte un cas où le premier rêve, au cours de l'analyse, contenait une représentation non déguisée de l'analyste.

Des modifications postérieures de ce rêve, associées aux vicissitudes du transfert et à d'autres faits analytiques contribuèrent à l'élucidation de ce premier rêve.

Cette représentation non déguisée de l'analyste était une tentative de le traiter comme une personne « réelle » et ainsi d'éviter de l'investir d'une importance symbolique ; en fait, c'était une résistance au transfert. La défense principale de cette malade, dans ses rêves sur le divan et dans la vie était la fuite dans la réalité. Quand l'analyste fut devenu un objet de transfert, il disparut des rêves.

La fuite dans la réalité fut ramenée à la négation de la réalité du pénis paternel. S'occuper des réalités présentes servait à masquer des événements infantiles concernant l'exhibitionnisme du père.

La littérature antérieure traitant du sujet considère que ces rêves expriment

des résistances du Ça et l'incapacité ou le refus des malades de différencier

l'analyste et les personnages importants de l'enfance mais fournit peu de

matériel clinique à l'appui de cette thèse — et l'auteur pense que c'est son

interprétation qui est la bonne. ,

L. DREYFUS.

AMERICAN JOURNAL OF ORTHOPSYCHIATRY XXXIV, n° 4, juillet 1964

De FRIES (Z.), JENKINS (S.) et WILLIAMS (E. C). — Treatment of disturbed children in foster care (Traitement d'enfants perturbés dans des familles adoptives), p. 615-624 (1).

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LES REVUES - 623

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LEVENTHAL (Th.) et SILLS (M.)- — Self-image in school phobia (l'image de soi dans les phobies scolaires), p. 685-695 (6).

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722729 SONIS (M.) et BRACKEN (C). — Comprehensive diagnosis and disposition : a

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P- 730-740 (10). CAIN (A. C), FAST (I.) et ERIKSON (M. E.). — Children's disturbed reactions to

the death of a sibling (Réactions perturbées des enfants à la mort d'un membre

de la fratrie), p. 741-752 (11). VIGLIANO (A.), WAYNE HART (L.) et SINGER (F.). — Psychiatrie sequeles of

old bourns in children and their parents (Séquelles psychiatriques d'anciennes

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p. 768-777.

(1) De FRIES (Z.), JENKINS (S.) et WILLIAMS (E. C). — Traitement d'enfants perturbés en placement familial.

Un programme de recherches s'étendant sur trois ans a comparé des enfants perturbés et placés dans des familles, les uns recevant les soins habituels, les autres bénéficiant d'aides variées (psychothérapie, entrevues avec l'école, aide aux parents adoptifs, etc.). Si les résultats ne semblent pas mettre en évidence de grandes différences entre les deux groupes d'enfants, ils montrent néanmoins la nécessité de réenvisager l'utilité du placement familial dans le cas des enfants très perturbés, et amènent les auteurs à se poser diverses autres questions théoriques.

(2) FISCH (M.) et MAC DONALD (L.). — Traitement de la schizophrénie centré sur la communauté.

Souvent, les schizophrènes sont traités à l'hôpital et ne sont pas suivis à leur sortie ou, s'ils sont encore aidés, il n'y a pas de liaison entre les deux équipes thérapeutiques, cette situation ayant souvent des résultats décevants pour les uns et les autres.

Les auteurs décrivent donc l'expérience d'un centre psychiatrique univer-


624 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1965

sitaire qui consacre une partie de son personnel et de ses ressources à suivre les patients à l'extérieur de l'hôpital, dans la communauté : psychothérapie ; liaison avec les services sociaux, services d'embauché, etc. ; travail à l'extérieur et nuits à l'hôpital, etc.

(3) SPEERS (W. R.) et LANSING (C). — Psychothérapie de groupe avec des enfants d'âge préscolaire et thérapie de groupe collatérale pour leurs parents.

L'article décrit l'évolution de la psychothérapie d'un groupe d'enfants psychotiques d'âge pré-scolaire et la commente de la façon théorique suivante : l'autisme est une défense contre la perte du partenaire symbiotique. Le groupe pénètre cette défense et forme un « Moi de groupe » qui constitue un pôle d'une nouvelle symbiose thérapeutique à partir de laquelle peut se produire un mécanisme d'individuation-séparation.

(4) BOWER (E. M.). — Modification, médiation et utilisation des stress pendant les années scolaires.

Généralement, le stress est défini de façon pathologique. Il y aurait cependant intérêt à élargir cette conception et à le considérer comme une force neutre qui peut être utilisée pour la croissance et la santé. S'appuyant sur cette théorie, l'auteur propose diverses expériences tendant à employer les stress normaux de transition de l'âge scolaire (entrée à l'école, passage de la latence à l'adolescence, etc.) pour fortifier le Moi.

(5) COOLIDGE (J. C), BRODIE (R. D.) et FEENEY (B.). —Étude, dix ans plus tard, de 66 enfants atteints de phobie scolaire.

La recherche porte sur la fréquentation scolaire, l'adaptation, le développement, les attitudes lors de l'adolescence envers la famille, l'hétérosexualité et l'indépendance ; également sur l'évolution de la personnalité des parents.

Les sujets se divisent en trois groupes : ceux qui ne sont pas limités, ceux qui le sont modérément, ceux dont le développement subséquent a été sévèrement limité.

(6) LEVENTHAL (Th.) et SlLLS (M.). — Image de soi dans les phobies scolaires.

L'explication de la phobie scolaire le plus généralement avancée, est qu'il s'agit en fait de la crainte de quitter la mère plutôt que d'aller à l'école et que le problème principal est celui de la séparation.

Les auteurs élèvent cependant plusieurs objections à cette théorie et proposent une explication différente, basée sur la description de cas cliniques et l'évolution de leur psychothérapie : pour eux, ces enfants sur-estiment euxmêmes et leurs réalisations, et essayent de maintenir cette image de soi non réaliste. Lorsque leur « puissance » est menacée dans la situation scolaire, ils éprouvent de l'angoisse, évitent la menace, et tentent de maintenir leurs fictions de soi narcissiques. Fréquemment, une mère narcissique sert de refuge.

(7) BISGYER (J. L.), KAHN (C. L.) et FRAZEE (V. F.). — Classes spéciales pour enfants perturbés.

Ces classes ont été organisées, dans des écoles primaires, conjointement par une clinique de guidance infantile et par les autorités scolaires ; elles sont destinées à de petits groupes (5 à 7) d'enfants trop troublés pour s'adapter à l'enseignement normal.

Les élèves sont sélectionnés par la clinique et par les autorités scolaires ; ils doivent pouvoir répondre positivement à l'expérience thérapeutique d'une relation avec des professeurs soigneusement choisis pour leur capacité d'accep-


LES REVUES 625

ter de tels enfants, tout en les limitant continuellement. En un ou deux ans, ils peuvent réintégrer une école normale. La sélection des professeurs est très importante, ainsi que la coordination clinique — école, et les rapports avec les parents. Les plus jeunes enfants profitent le plus rapidement et le plus complètement d'un tel programme. Comparer avec l'article suivant qui expose une autre expérience de même type.

(8) NYCHTERN (S.), DONAHUE (J. T.) et coll. — Un programme éducatif pour l'enfant à troubles émotifs.

Tout comme l'article précédent, celui-ci expose une expérience d'éducation scolaire avec des enfants gravement atteints sur le plan émotionnel. Il est intéressant de faire la comparaison. Ici, il s'agit de professeurs volontaires, de simples mères, soigneusement sélectionnées, qui s'occupent à deux alternativement d'un seul enfant avec lequel elles établissent une relation de un à un, aidées de supervisions psychiatriques et scolaires de matériel spécial, etc.

(9) RAEGRANT (Q. A.) et STRINGER (L. A.). — Projet pour une nouvelle discipline en orthopsychiatrie.

L'article retrace le développement d'un programme scolaire de santé mentale, en décrivant les phases successives, les difficultés rencontrées et le point où il en est actuellement ; tout d'abord, la lente et pénible installation d'une collaboration entre les éducateurs et le personnel du programme ; ensuite, le développement parmi cette équipe du sentiment d'une nouvelle identité. Et finalement, l'insuffisance du résultat actuel, où l'on s'aperçoit que le travail effectué se rapproche plus de la thérapie, de la cure, que de la prévention. Le désir de se rapprocher de ce dernier but amène à poser de nombreuses questions car on ne sait guère encore ce qu'est la santé mentale, quels sont les moyens de la préserver, etc. Quelques propositions dans ce sens sont avancées.

(10) SONIS (M.) et BRACKEN (C). — Diagnostic et dispositions adaptés : un programme pilote.

De plus en plus nombreux sont les cas difficiles et jamais résolus qui sont rejetés, insatisfaits, de cliniques en services sociaux, de dispensaire en agences diverses, pesant lourdement et inutilement sur les possibilités de temps, d'aide et d'argent, de la communauté et de l'État.

C'est pour pallier cette situation qu'a été instauré le Centre pilote décrit ici, qui établit un diagnostic complet grâce à une équipe nombreuse (psychiatre, pédiatre, neurologue, psychologue, service social, laboratoires, etc.) et grâce à la collaboration des divers organismes s'occupant d'enfants, de quelque façon que ce soit, qui lui envoient leurs cas insolubles.

L'article décrit les méthodes de travail, la clientèle, les solutions proposées, les problèmes rencontrés par ce centre, son intérêt et les résultats atteints.

(11) CAIN (A. C), FAST (I.) et ERIKSON (M. E.). —Réactions perturbées d'enfants, à la mort d'un membre de la fratrie.

La seule réaction notée dans les trop rares études sur la mort d'un frère ou d'une soeur est une manifestation de culpabilité. L'étude de nombreux enfants principalement perturbés à la suite d'un tel événement, montre que la situation n'est pas si simple, et si, dans la plupart des cas, on note au premier plan, en effet, des réactions de culpabilité, on trouve souvent entremêlées de nombreuses autres réactions parmi lesquelles on peut citer : des concepts perturbés de la maladie et de la mort ; attitudes troublées envers les docteurs, les hôpitaux, la religion ; des comparaisons, des mauvaises identifications à l'enfant mort ;


626 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1965

des réactions inadéquates aux changements de la structure familiale ; et des réactions au travail de deuil des parents. Ces constatations conduisent à la notion de prévention où les médecins, notamment les pédiatres, peuvent jouer un grand rôle.

(12) VIGLIANO (A.), WAYNE HART (L.) et SINGER (F.). — Séquelles psychiatriques d'anciennes brûlures chez des enfants et leurs parents.

L'étude de dix enfants depuis longtemps remis de brûlures graves, et de leurs mères, révèle l'existence de désadaptations émotionnelles durables chez les enfants et aussi chez leurs mères, en grande partie liées au traumatisme de la brûlure et qui justifieraient une consultation en clinique de guidance. Les auteurs en tirent des conclusions au point de vue des mesures de prévention applicables par le chirurgien.

J. MASSOUBRE.

AMERICAN JOURNAL OF ORTHOPSYCHIATRY XXXIV, n° 5, octobre 1964

BERLIN (I. N.). — New directions in AOA. One view (Nouvelles directions de

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santé mentale), p. 822-833 (1)- BROWN (B. S.), CAIN (H. P.). — The many meanings of « comprehensive » :

underlying issues in implementing the community mental health center program

(Les nombreuses significations de « compréhensif »), p. 834-839. JAMES (G.). — Adapting urban mental health services to our aging population

(L'adaptation des services de santé mentale à la population âgée), p. 840851

840851 BIRCH (H. G.) et BELMONT (L.). — Auditory-visual integration in normal and

retarded readers (Intégration audio-visuelle chez les lecteurs retardés et

normaux), p. 852-861 (3). MILLER (W. R.). The acquisition of formai features of language (Acquisition des

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(La fratrie des schizophrénies infantiles), p. 868-874. GROSSER (G. H.) et PAUL (N. L.). — Ethical issues in family group therapy

(Problèmes d'éthique en thérapie du groupe familial), p. 875-884 (4). ELBERT (S.), ROSMAN (B.), MINUCHIN (S.) et GUERNEY (B.). — A method for

the clinical study of family interaction (Une méthode pour l'étude clinique des

interactions familiales), p. 885-894. BURGESS (M. E.). — Some implications of social change for dependency among

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(1) HOBBS (N.). — La troisième révolution en santé mentale.

On peut considérer que le domaine de la santé mentale traverse actuellement sa troisième révolution. La première, conduite en France par Pinel, a introduit un intérêt humain dans les soins donnés au malade mental ; la seconde, avec Freud en tête, a provoqué un intérêt passionné pour la vie intrapsychique de l'homme. La troisième révolution, actuelle, sans qu'on puisse lui attacher un nom, consiste en un effort vers un élargissement des thérapeutiques afin de promouvoir des programmes de santé mentale publique. On ne peut continuer à se contenter de considérer la psychiatrie comme un ensemble de soins distribués longuement à quelques individus privilégiés par des spécialistes ayant reçu une formation approfondie. L'auteur envisage les conséquences d'une telle évolution ; par exemple, l'emploi de thérapeutes moins qualifiés supervisés par des spécialistes ; ou bien l'accent portant sur la prévention, c'est-à-dire sur les soins aux jeunes, etc.

(2) JAMES (G.). — Adaptation des services urbains de santé mentale à la population âgée.

La population âgée croît sans cesse en nombre et en âge, et on constate un tendance à se déplacer de la campagne vers les villes. Et, vraisemblablement, ce mouvement concerne surtout les personnes qui nécessitent le plus de soins médicaux. Ces données montrent le besoin de modifier l'organisation actuelle des soins (physiques et mentaux) si l'on veut leur fournir une aide efficace. Les services de santé mentale doivent faire partie des soins médicaux dans leur ensemble, et se déplacer vers les personnes qui en ont besoin, par exemple, à domicile. Il importe de maintenir intacte la demeure des patients si l'on veut conserver leur santé physique et mentale.

(3) BIRCH et BELMONT. — Intégration audio-visuelle chez les lecteurs normaux et retardés.

On a généralement mis l'accent, dans les difficultés de lecture, sur les raisons d'ordre affectif et les troubles de latéralisation. Sans nier ces explications, les auteurs mettent en évidence une autre cause, au moyen de tests appliqués à un groupe d'élèves ayant un retard de la lecture et à un groupe de contrôle : il s'agit de la capacité d'intégrer les stimuli d'ordre visuel et auditif, qui existe indépendamment du niveau mental.

(4) GROSSER et PAUL. — Problèmes d'éthiques en thérapie du groupe familial.

Thérapie du groupe familial, c'est-à-dire des parents et des enfants, quel que soit le patient. L'auteur étudie les objections faites à ce type de traitement et les divise en deux catégories : celles qui concernent les effets sur la solidarité fami-


628 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1965

liale et les relations intrafamiliales (exposition de sentiments de haine en présence d'un étranger ; respect diminué envers les parents et amoindrissement de leur autorité devant l'exposé de leurs échecs ; discussion de détails personnels de la vie sexuelle, etc.) et, d'autre part, la forme spéciale que prend la relation médecin-patient dans cette situation. L'auteur conclut que ces objections ne sont pas fondées et masquent l'angoisse devant un processus thérapeutique nouveau ainsi que le contre-transfert envers le patient et le passé familial personnel du thérapeute.

J. MASSOUBRE.

THE PSYCHO-ANALYTIC REVIEW 1963, vol. 50, n° 1

MALMQUIST (C. P.). — Problems of methodology and theory construction in psychoanalysis (Les problèmes méthodologiques dans la construction de la théorie psychanalytique), p. 3-23 (1).

KAUFMAN (F.). — Myopia seen psychoanalytically (Point de vue psychanalytique sur la myopie), p. 24-39 (2).

DEUTSCH (F.). — Analytic posturology and synesthesiology : some important theoretical and clinical aspects (Postures et cénesthésies au cours de l'analyse : à propos de quelques aspects théoriques et cliniques importants), p. 40-67 (3).

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MEERLOO (J. A. M.). — The first vioman on the couch : reflections on the archaic roots of the word love (La première femme couchée : réflexions sur les racines archaïques du mot amour), p. 81-85.

SHERMAN (M. H.). — Play-fantasy and gratification in psychotherapy (Fantasme ludique et gratification en psychothérapie), p. 86-93.

MICHAUX (M. H.), MICHAUX (W. W.). — Psychodiagnostic follow-up of a juvenile sex murderer ; Robert Lindner's « Charles » thirteen years later (Un cas de meurtre sexuel chez un enfant ; observation psychologiques treize ans après), p. 94-112.

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FERENCZI (S.). — Spiritism, p. 139-144.

(1) MALMQUIST (Cari P). — Problems of methodology and theory construction in psychoanalysis (Les problèmes méthodologiques dans la construction de la théorie psychanalytique), p. 3-23.

La construction de la théorie psychanalytique doit être l'objet d'une réflexion méthodologique selon les critères valables pour l'établissement de toute théorie scientifique. L'auteur dénonce d'abord le mécanisme d'isolation, et la phobie des hypothèses qui font que certains analystes concilient difficilement le travail théorique et la pratique.

La construction d'une théorie repose sur :

1) L'étude critique des concepts fondamentaux :

— l'inconscient, utilisé avec 16 sens différents ;

— l'instinct et la libido, la sexualité infantile, et la détermination pulsionnelle du comportement ;

— l'énergie psychique et les concepts corollaires de processus primaire et secondaire.


LES REVUES 629

2) La discussion de la valeur de la théorie dans sa fonction de description, d'explication et de prédiction, dans le cadre d'une science empirique. Les concepts permettent d'organiser les faits d'observation et le danger est l'anthropomorphisme et la réification des termes ; le comportement est surdéterminé, et l'explication psychanalytique est d'abord orientée vers les multiples composantes génétiques et historiques.

3) La confirmation et la validation des concepts théoriques par :

— le processus thérapeutique ;

— les techniques expérimentales ;

— les théories de l'apprentissage ;

— l'approche génétique.

Mais seule la situation clinique permet l'étude du comportement humain en situation expérimentale.

(2) KAUFMAN (F.). — Myopia seen psychoanalytically (Point de vue psychanalytique sur la myopie).

L'auteur se réfère aux travaux de Jelliffe et Bâtes sur la myopie considérée comme un trouble fonctionnel et traitée par une rééducation de la motilité oculaire. Il y aurait là un champ d'application de la psychanalyse en collaboration avec l'orthoptiste et l'ophtalmologiste.

L'oeil est un organe érogène par le plaisir de voir et la participation à la recherche de l'objet ; il est utilisé dans l'expression émotionnelle. Freud a montré les liens profonds qui unissent la scoptophilie, la cécité hystérique, et la punition de l'inceste illustrée par le mythe d'OEdipe.

Le myope, pour l'auteur, est avant tout un déprimé avec ralentissement psychomoteur. Le début de la myopie et ses phases évolutives coïncident avec les grandes crises psychologiques du développement de l'enfant (résolution de l'OEdipe et puberté).

(3) DEUTSCH (F.). — Analytic posturology and sinesthesiology : some important theoretical and clinical aspects (Postures et cénesthésies au cours de l'analyse : à propos de quelques aspects théoriques et cliniques importants).

L'expression posturale et la sensibilité aux stimulations sensorielles varient en cours d'analyse ou de psychothérapie en fonction des demandes instinctuelles et des processus psychodynamiques sous-jacents.

L'auteur expose sa méthode de recherche et d'analyse du comportement postural :

— systématisation des postures qui sont notées durant la séance ;

— classification des postures, après la séance, pour établir un posturogramme, évaluation du comportement selon les critères suivants : position des membres, du tronc et de la tête, variations des segments du corps les uns par rapport aux autres, sensations exprimées, etc.

Le comportement postural est étudié selon plusieurs points de vue :

— son origine : formation et modification d'une posture, relation avec le contenu symbolique, relation de chaque partie du corps aux autres selon le mode de relations aux objets que la posture symbolise ;

— sa dynamique : postures statiques, ou mobilisées selon un rythme, coordonnées avec les processus psychodynamiques, organisations dynamiques spécifiques ;

— sa genèse : c'est le problème difficile des postures de base, inconscientes, immuables, automatisées et reliées entre elles cénesthésiquement, et dont la modification réveille l'angoisse ;

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630 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1965

— sa valeur pronostique et thérapeutique : la surveillance des postures permet de suivre l'évolution du processus analytique et fournit des indications sur l'achèvement du traitement.

Les modifications de postures sont des perceptions sensorielles métamorphosées ; éveil des sensations et postures se substitue à des contenus inconscients réprimés, insuffisamment verbalisés. Il est possible d'identifier une véritable chaîne des associations posturales, reliée à celle des associations verbales ; l'expression posturale précède souvent l'expression verbale et permet de connaître le niveau des processus et leur dynamique : manifestation de désirs oraux, conflit masculin-féminin, activité-passivité. Chaque sujet a une posture de base et un pattern associatif de configurations posturales et le but de l'analyse est d'établir une nouvelle chaîne posturale plus souple. La persistance de postures prégénitales caractéristiques témoigne d'une faiblesse du Moi.

Dr GIRARD.

THE PSYCHOANALYTIC REVIEW vol. 50, n° 2, 1963

SHERMAN (M. H.). — Introduction : in the tradition of Theodor Reik (Introduction : dans la tradition de Theodor Reik), p. 3-7. REIK (Th.). — A booth away from the house (Une hutte à côté de la maison),

p. 7-26. HOFFS (J. A.). — Anthropophagy (cannibalism) : its relation to the oral stage of

development (Anthropophagie (cannibalisme) : ses rapports avec le stade

oral du développement), p. 27-54 (1). NYDES (J.). — The paranoid-masochistic character (Le caractère paranoïaquemasochique),

paranoïaquemasochique), 55-91 (2). KATZ (J.). — The Joseph dreams anew (Les rêves de Joseph), p. 92-118. FODOR (Nandor). — Jung, Freud and a newly discovered letter on the poltergeist

thème (Jung, Freud et une lettre de 1909 récemment découverte, sur le thème

de l'esprit frappeur), p. 119-128 (3). RUBENSTEIN (R. L.). — The significance of castration anxiety in rabbinic mythology

mythology signification de l'angoisse de castration dans la mythologie rabbinique),

p. 129-153. FELDMAN (A. B.). ■— Animal magnetism and the mother of Christian science (Le

magnétisme animal et la mère de la « Science chrétienne »,), p. 154-160. GRINSTEIN (A.). — Profile of a « doll »-a feinale character type (Profil d'une

« poupée » : un type de caractère féminin), p. 161-174. BECK(S. J.). —Abraham's ordeal: création of anew reality (L' épreuve d'Abraham :

la création d'une nouvelle réalité), p. 175-189.

(1) HOFFS (J. A.). — Anthropophagy (cannibalism) : its relation to the oral stage of development (L'anthropophagie (cannibalisme) : ses rapports avec le stade oral du développement), p. 27-54 (Bibl.).

L'auteur expose les connaissances actuelles sur le cannibalisme et décrit son déclin et ses dérivés chez le civilisé.

Le cannibalisme actuel peut avoir diverses fonctions :

— cannibalisme pour la nutrition : pratique universelle mais facteur non prévalent (famines, guerre...) ;

— cannibalisme par « goût » : certaines parties du corps humain sont recherchées pour leur finesse ;

— cannibalisme par agression et vengeance : on tue l'ennemi et on le mange


LES REVUES 631

pour l'humilier, souvent après des tortures ; ce peut être un cannibalisme légal (assassins condamné à être dévorés) ;

— cannibalisme par magie : la forme la plus fréquente. On mange la chair humaine dans le but de s'attribuer les forces de l'âme de la victime par un phénomène d'incorporation. En sont dérivés le cannibalisme thérapeutique et le cannibalisme honorifique ;

— cannibalisme associé aux pratiques religieuses ; sacrifices humains, recherche de la purification, repas sacrificiels ;

— cannibalisme associé aux pratiques sociales et politiques : rites de couronnement, de fraternités (sang mêlé et bu). ,

Les pratiques cannibales sont fréquemment sujettes à des restrictions et des tabous qui les restreignent (exclusion des femmes et des enfants).

Le cannibalisme peut ne pas être réalisé mais remplacé par des dérivés : fêtes de funérailles avec repas ; mythes (Chronos, géants, ogres), contes de fées, chansons d'enfants, littérature, religion, rêves, maladies mentales, fantaisies, comportements de la vie quotidienne qui témoignent d'une attitude positive ou hostile envers le cannibalisme.

Il existe de nombreuses analogies entre le cannibalisme du primitif et celui de l'enfant au stade oral. Des dérivés du cannibalisme sont retrouvés dans la vie mentale de l'adulte. Prohibitions et restrictions de la pratique ont par ailleurs canalisé cette pratique dans les institutions sociales, religieuses et politiques (prérogatives du prêtre et du roi, puis valeur symbolique).

(2) NYDES (J.). — The paranoid-masochistic character (Le caractère paranoïaquemasochique), p. 55-91.

Dans cet article l'auteur complète l'étude de Reik sur le masochisme. Il étudie les relations entre les structures caractérielles paranoïaques et masochiques. Ce sont deux structures proches si on les conçoit comme deux stratégies dans le conflit pour le contrôle de la toute-puissance : « Le caractère masochique renonce à la force pour sauver l'amour, le caractère paranoïaque renonce à l'amour pour sauver la force », étant entendu que l'amour en question est l'amour pré-oedipien dépendant, qui affirme la faiblesse et demande protection, et que la force est l'omnipotence infantile.

L'auteur définit la différence entre l'agression sadique et l'agression paranoïaque. L'identification à l'agresseur est plus dans la note sadique, tandis que le mécanisme projectif, typique de l'orientation paranoïaque est essentiellement défensif contre un sentiment de faute. La force du paranoïaque est une contreattaque contre un accusateur présumé ; et accepter l'amour, c'est se soumettre à la castration et à la dégradation homosexuelle. Les caractères paranoïaques et masochiques sont deux modes de l'OEdipe non résolu, l'identification valable avec le parent du même sexe ne peut se faire car il est toujours tout-puissant.

L'auteur reprend, à travers l'étude du cas Schreber, l'étude des relations entre paranoïa et homosexualité, puis avec des exemples cliniques décrit finement les caractères paranoïaque et masochique. Il insiste sur certains aspects : la jalousie, la dépression, le contexte familial, pour terminer sur des considérations thérapeutiques.

(3) FODOE (Nandor). — Jung, Freud and a newly discovered letter on the poltergeist theme (Jung, Freud et une lettre de 1909 récemment découverte sur le thème de l'esprit frappeur), p. 119-128.

L'auteur traduit une lettre de Freud à Jung, lettre peu connue et qui éclaire certains aspects de leurs relations et des conditions de leur rupture tout en montrant le mode d'approche par Freud des problèmes « parapsychologiques ».

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632 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1965

THE PSYCHOANALYTIC REVIEW vol. 50, n° 3, 1963

HESSE (H.). — Artist and psychoanalyst (L'artiste et le psychanaliste), p. 5. NELSON (B.). — Hesse and Jung : Two newly recovered letters (Hesse et Jung

deux lettres récemment découvertes), p. 11-16. GOODMAN (P.). — The psychological révolution and the writer's life-view (La

révolution psychologique et la vision du monde de l'écrivain), p. 17-24 (1). BURKE (K.). — The thinking of the body. Comments on the imagery of catharsis

in littérature (L'expression corporelle : commentaires sur l'illustration de la

« catharsis » dans la littérature), p. 25-68. HALPERN (S.). — Free association in 423 B.C. : Socrates in « The Clouds » of

Aristophanes (La libre association en 423 avant J.-C. : Socrate dans « Les

Nuées » d'Aristophane), p. 69-86. FINGAKETTE (H.). — Orestes : paradigm hero and central motif of contemporary

ego psychology (Oreste : Hero et motif central de la psychologie contemporaine

du Moi), p. 87-111. WEISS (D.). — D. H. Lawrence's great circle : From « Sons and Lovers » to « Lady

Chatterley » (Le grand périple de D. H. Lawrence : de « Fils et amants » à

« L'amant de Lady Chatterley »), p. 112-138. TAYLOR (J. B.). — The case of William Blake : Creation regression and pathology

(Le cas de W. Blake : Création, régression et pathologie), p. 139-154. NELSON (B.). — Sartre, Genet, Freud, p. 155-171.

(1) GOODMAN (P.). — The psychological révolution and the writer's life view. (La révolution psychologique et la vision du monde de l'écrivain), p. 17-24.

Le rôle de l'écrivain est de présenter sa propre vision du monde, plutôt que de construire une théorie psychologique, mais il ne peut pas, dans l'époque actuelle ne pas être influencé par les conceptions de Freud, Sullivan, Abraham, etc.

L'auteur analyse trois formes de relations entre la psychanalyse et la littérature :

1) Exploration de la signification psychologique des oeuvres et des motivations inconscientes des auteurs : travail de détective de Th. Reik ; découverte des archétypes des Jungiens. En réalité un travail littéraire réussi révèle directement sa signification, et cette « signification » est avant tout notre propre ré-expérience de l'oeuvre. Les autres méthodes de critique littéraire (analyse structurale, historique, linguistique, critique de texte) permettent une exploration plus efficace de l'oeuvre. L'analyse psychanalytique a un rôle original lorsqu'elle permet de révéler dans certaines oeuvres ce qu'elles ont d'inquiétant ou de fascinant.

2) L'investigation psychologique peut être une forme littéraire et les observations de Freud sont de vraies nouvelles, des récits d'aventure où la situation évolue lorsque le patient apparaît ; à l'inverse toute histoire ou il y a quelque chose de caché, d'inconnu des protagonistes, et qui va se révéler, est une investigation psychologique.

3) Les connaissances psychologiques ont un effet sur la trame du discours et le style. Certains thèmes sont ainsi prévalents dans la littérature actuelle : importance de l'enfance, et continuité de l'expérience vitale, effet de la constellation familiale, retours en arrière, représentation de l'inconscient, importance des rêves, du fantastique, de la sexualité.

Dr GIRARD.


LES REVUES 633

THE PSYCHOANALYTIC REVIEW vol. 50, n° 4, 1963

NOLAN (D. C), LEWIS — Some theriomorphic symbolisms and mechanisms in ancient litterature and dreams. I-Cat, dog, and horse dreams (Le symbolisme dans la littérature ancienne et les rêves : rêves de chat, chien et cheval), p. 5-26.

WITTKOWER (E. D.), AUFREITER (J.). — Psychosomatic concepts in psychoanalytic éducation (Les concepts psychosomatiques et leur enseignement au psychanalyste p. 27-42.

BRUCH (H.). — Psychotherapeutic problems in eating disorders (Les problèmes psychothérapiques dans les troubles alimentaires), p. 43-57 (1).

WEISS (E.). — Vicissitudes of internalized objects in paranoid-schizophrenia and manic-depressive states (Les vicissitudes des objets internalisés dans la schizophrénie paranoïde et les états maniaco-dépressifs), p. 58-73.

FRIEDENBERG (F. S.). — Backward fixation, forward fixation and neurotic acting out (Fixation régressive, fixation progressive et passage à l'acte névrotique), p. 74-80 (2).

SPOTNITZ (H.). — The toxoid response (La réponse immunisante), p. 81-95.

BENDER (L.). — Genesis of hostility in children (La genèse de l'agressivité chez l'enfant), p. 95-102.

MASSERMAN (J. H.). — The contributions of expérimental psychiatry to the art of healing (Les contributions de la psychiatrie expérimentale à l'art de la guérison), p. 103-132.

JOHNSTON MCCLAIN. — Features of orality in an hysterical character (Traits d'oralité dans un caractère hystérique), p. 133-152.

KORNGOLD (M.). — L.S.D. and the créative experience (L.S.D. et expérience créatrice), p. 152-155.

(1) BRUCH (H.). — Psychotherapeutic problems in eating disorders (Les problèmes psychothérapiques dans les troubles alimentaires), p. 43-57.

L'auteur expose les modifications qu'elle a dû apporter à sa technique psychothérapique au cours de son expérience des traitements de jeunes obèses, anorexies mentales et instabilités pondérales. Ce sont des traitements difficiles, car la psychothérapie est abordée comme la nourriture. L'insight est très difficile à développer et l'acting out dans la boulimie ou l'anorexie est souvent la seule défense contre l'anxiété que réveille le début du traitement ; or, pour beaucoup, le début du traitement est souvent la première expérience d'une sensation forte d'anxiété.

Le but est de stimuler la prise en charge du traitement par le sujet. En général ces patients aux besoins de dépendance et de symbiose excessifs ont le sentiment que « la mère sait toujours ce qu'ils sentent » et les interprétations classiques reproduisent cette expérience douloureuse. Il faut établir une relation très serrée entre le malade et le thérapeute afin de lui montrer les moindres divergences et confusions dans le récit de son passé, sa réaction aux événements qu'il perçoit mal ; ce qu'ils ont à dire est jugé important et on leur apprend à reconnaître les contradictions dans les versions de leur propre vécu. Les mots signifient alors quelque chose de différent de leur usage habituel et reconnaître ce facteur et le corriger est un pas important dans la thérapeutique. Il faut aider le malade à acquérir l'initiative dans ses pensées, ses sentiments et son comportement.

Ces sujets sont proches des border-lines par les distorsions de l'image du corps et les troubles profonds de la relation maternelle.


634 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1965

(2) FRIEDENBERG (F. S.). — Backward fixation, forward fixation and neurotic acting out (Fixation régressive, fixation progressive et passage à l'acte névrotique), p. 74-80.

La recherche du tout premier souvenir, chez un malade, durant le premier entretien peut avoir un grand intérêt et une valeur thérapeutique, car ce peut être un souvenir écran dont les distorsions servent de dénégation aux événements traumatiques de l'enfance.

Si on demande par ailleurs au patient de décrire comment il se représente son futur, il peut décrire une fantaisie écran qui peut être utile pour comprendre son comportement et servir à comprendre et interpréter le souvenir écran. Ces deux formations écrans peuvent délimiter les zones de fixation dans le développement de la personnalité. Elles concernent la période de latence, dont la progression a pu être entravée par la fixation ou la réactivation des traumatismes précoces.

Dr GIRARD.


INFORMATIONS

Lors du XXIVe Congrès international de Psychanalyse qui s'est tenu à Amsterdam, du 25 au 30 juillet 1965, l'Association psychanalytique de France, dont le président est le Pr D. Lagache et dont le siège social est 36, rue de Fleuras (Paris, VIe), a été élue comme société affiliée à titre définitif à l'Association psychanalytique internationale.

« LIVRE BLANC DE LA PSYCHIATRIE FRANÇAISE »

JOURNÉES PSYCHIATRIQUES

(19 et 20 juin 1965)

Les journées psychiatriques, organisées par la Société L'évolution psychiatrique dans le but de publier un « Livre blanc de la Psychiatrie française », ont eu lieu sous la présidence du Dr Henri EY, les 19 et 20 juin 1965, à la salle des Arts et Métiers à Paris.

M. les Ministres de la Santé publique, de la Justice et de l'Éducation Nationale étaient respectivement représentés par M. PEYSSARD, inspecteur général, M. le conseiller GERTHOFFER et M. le Pr PICHOT.

Avaient été invités à ces Journées outre les membres de l'Évolution psychiatrique, les représentants des Sociétés et Organisations professionnelles, les professeurs de Psychiatrie et de Neurologie, etc.

Ces Journées ont permis d'entendre et de discuter les rapports présentés par les divers Groupes d'Études qui avaient pour mission en s'adressant aux diverses Sociétés, Groupements et Personnalités, de réunir l'information et de provoquer les discussions nécessaires à l'établissement du « Livre blanc de la Psychiatrie française ».

— Pour le 1er Groupe d'Études (Formation du Psychiatre et Enseignement de la Psychiatrie), un rapport a été présenté par le Dr GREEN, le Dr Dric MARTIN et le Pr SIVADON.

— Pour le 2e Groupe d'Études (Psychiatrie institutionnelle et Organisation des Services publics d'adultes et d'enfants), des rapports ont été présentés par le Dr AUDISIO, le Dr BARON, le Dr MIGNOT et le Dr MISES.

— Pour le 3e Groupe d'Études (Pratique et institutions privées), un rapport a été présenté par le Dr SEMPE.

— Pour le 4e Groupe d'Études (Rapports de la Psychiatrie et de la Médecine. Psychiatrie et Neurologie), des rapports ont été présentés par le Dr ANGELERGUES, le Dr BRISSET, le Dr GENDROT et le Dr LOSSERAND.

— Pour le 5 e Groupe d'Études (Les thérapeutiques psychiatriques. Thérapeutiques biologiques, Psychothérapie (Relations avec la Psychanalyse, Thérapeutiques institutionnelles), des rapports ont été présentés par Mme le Dr ANDRAU, le Dr BONNAFE, le Dr KOUPERNIK et le Dr MISES.

— Pour le 6e Groupe d'Études (Recherches, Publications, Sociétés savantes, etc.), des rapports ont été présentés par le Dr BERTHELIER, le Dr BLANC, le Dr GEIER et le Dr SEGUIER.

— Pour le 7e Groupe d'Études (Rapports avec l'Administration et la Sécurité sociale), des rapports ont été présentés par le Dr BAILLY-SALIN, le Dr THÉVENOT et le Dr VEIL.

A propos de chacun de ces rapports, des discussions très animées ont eu lieu auxquelles ont pris part : le Dr CAHEN-SALABEL, le Dr CHERTOK, le Dr DENIKER, le Pr GARCIN, M. le conseiller GERTHOFFER, le Dr GUYOTAT, le Dr HELD, le Pr KAMMERER, le Dr LABOUCARIE, le Pr LAGACHE, le Pr LHERMITTE, le Pr MICHAUX, le Dr ROUART, le Dr SADOUN, le Dr TOSQUELLES, etc.


636 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1965

Les comptes rendus de ces Journées formeront le t. I du « Livre blanc » et paraîtront en supplément de L'évolution psychiatrique approximativement en octobre 1965. Les discussions qui s'en sont suivi et toutes celles qui auront lieu au cours des prochains mois dans les divers Groupes d'Études (discussions auxquelles sont conviés tous les Psychiatres) formeront le t. II. Enfin, de nouvelles « Journées psychiatriques » seront organisées au début de 1966 pour permettre de dégager les orientations, les options et les modalités d'action nécessaires à une meilleure organisation des ressources de notre pays.

N. B. — Tous les médecins intéressés individuellement ou collectivement à prendre part à ces discussions dans les divers Groupes d'Études, sont priés de se mettre en rapport avec le Dr Henri EY, secrétaire général de L'évolution Psychiatrique, et de lui envoyer éventuellement un document écrit.

L'ÉCOLE DES PARENTS

PROGRAMME

Faculté de Médecine : A partir de janvier 1966, le mercredi à 21 heures, 15, rue de l'École-de-Médecine, Paris (6e).

Présentation et discussion de films de l'École des Parents.

Programme radiophonique : A partir de décembre 1965, sur France-Culture, heure de culture française, 8 h 45 ; repris le dimanche sur France IV à 9 h 45.

Cercle de Parents : A partir du 15 octobre 1965, le lundi à 15 heures au siège de l'École des Parents, 4, rue Brunel, Paris (17e), GALvani 29-00.

Les parents sont invités à venir discuter librement des problèmes familiaux qui les intéressent.

Faculté des Lettres et des Sciences humaines de Paris : A partir de février 1966, le lundi à 11 heures (dates précisées ultérieurement).

Aspects de l'Homme : 6 conférences qui feront suite à celles qui ont été prononcées en 1965 sur les Aspects de la Femme.

Le VIe Congrès international de Psychiatrie infantile aura lieu à Edimbourg. Ecosse, du 24 au 29 juillet 1966. Il aura pour thème « Puberté et adolescence », Ceux qui désireraient présenter une communication (2 000 mots) sont priés de soumettre un résumé en dix lignes au Dr Cyrille KOUPERNIK, 57, avenue Montaigne, Paris (8e). Dernier délai : 1er février 1966. Pour les renseignements et inscriptions, adresser la correspondance à l'adresse suivante :

The Organising Secretary, Dr James B. McWhinnie, Department of Psychological Medicine. Royal Hospital for Sick Children. Edinburgh 9-Ecosse.

NÉCROLOGIE

Nous avons le regret de vous annoncer le décès, survenu le 2 juillet 1965, du Pr Théo CHENTRIER, membre à vie de la Société canadienne de Psychanalyse et membre affilié de la Société psychanalytique de Paris.

Le symposium de l'Association américaine de Psychopathologie se tiendra les 18, 19 et 20 février 1966 au « Park Sheraton Hôtel » à New York. Le thème en sera : Psychopathologie du développement mental.

Pour tous renseignements, s'adresser à : Dr Fritz A. FREYHAN, Secretary American Psychopathological Association National Institute of Mental Health c/o Saint Elizabeths Hospital, Washington, D. C 20032.


SOCIÉTÉ PSYCHANALYTIQUE DE PARIS

I. — MEMBRES TITULAIRES

Dr BARANDE Robert, 4, rue Marbeuf, Paris (8e), 359.76.36.

Dr BÉNASSY Maurice, 4, rue de l'Odéon, Paris (6e), 033.88.52.

Mme le Dr BRAUNSCHWEIG (Denise, 60 bis, avenue de Breteuil, Paris (7e),

306.94.54. Mme CHASSEGUET-SMIRGEL J., 52, rue de l'Université, Paris (7e), 222.48.55. Dr DAVID Christian, 77, rue de Lille, Paris (7e), 222.27.12. Dr DIATKINE René, 6, rue de Bièvre, Paris (5e), 633.72.04. Dr FAIN Michel, 32, rue Caumartin, Paris (9e), 073.00.56. Dr FAVREAU Jean, 227, boulevard Saint-Germain, Paris (7e), 468.38.05. Dr FINKELSTEIN Jacques, 2, rue du Colonel-Renard, Paris (17e), 380.46.37. Dr GREEN André, 6, rue du Val-de-Grâce, Paris (5e), 326.60.56. Dr GRUNBERGER Bêla, 30, rue de Bourgogne, Paris (7e), 468.79.89. Dr HELD René, 157, rue de l' université, Paris (7e), 705.43.54. Mme KESTEMBERG Evelyne, 6 rue Friant, Paris (14e), 532.65. 32. Dr KESTEMBERG Jean, 6, rue Friant, Paris (14e), 532.65.32. Dr LEBOVICI Serge, 3, avenue du Président-Wilson, Paris (16e), 553.17.16. Dr LUQUET Pierre, 54, rue. de la Bienfaisance, Paris (8e), 522.66.85. Mme le Dr LUQUET-PARAT C. J., 19, rue Clapeyron, Paris, 387.52.48. Dr MALE Pierre, 6, rue de Bellechasse, Paris (7e), 468.65.59. Dr MALLET Jean, 8, rue Charles-Divry, Paris (14e), 783.29.67. Dr MARTY Pierre, 179, boulevard Saint-Germain, Paris (7e), 548.07.07. Mme MCDOUGALL Joyce, 4, rue Monge, Paris (5e), 033.22.38. Dr MISES Roger, 21, rue Barbet-de-Jouy, Paris (7e), 468.33.62. Dr de M'UZAN Michel, 4, cité d'Hauteville, Paris (10e), 770.84.19 ; 22, villa

Seurat, Paris (14e), 402.91.65. Dr NACHT S., 80, rue Spontini, Paris (16e), 553.35.15. Dr NODET Charles H., Hôpital psychiatrique Saint-Georges, Bourg-en-Bresse,

3.88. Dr PASCHE Francis, 1, rue de Prony, Paris (17e), 924.00.30. Dr RACAMIER P. C, Les Rives-de-Prangins, Prangins (Vaud), Suisse, 61.21.01. Dr RENARD Michel, 1, place des Victoires, Paris (2e), 488.34.08. Dr ROUART Julien, 40, rue Paul-Valéry, Paris (16e), 727.64.84. Dr SAUGUET Henri, 65 bis, rue Galande, Paris (5e), 033. 05.05. Dr SCHLUMBERGER Marc, 17, avenue Théophile-Gautier, Paris (16e), 288.74.92. Dr STEIN Conrad, 27, rue de Choiseul, Paris (2e), 742.68.05. Dr VIDERMAN Serge, 15, rue des Beaux-Arts, Paris (6e), 033.64.30.

II. — MEMBRES ADHÉRENTS

Mme BACKES Madeleine, 47, rue Saint-Louis-en-l'Isle, Paris (4e).

Mme le Dr BARANDE Ilse, 4, rue Marbeuf, Paris (8e), 359.76.36.

Dr BAYET Roland, 234, rue J.-B.-Charcot, Courbevoie (Seine), 333.14.92.

Mlle BERMAN Anne, 50, rue Pergolèse, Paris (16e), 553.91.37.

Dr BIGRAS Julien, 3104, rue Brighton, Montréal, 26 (Canada).


638 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1965

Mlle BREUER Elsa, 5, rue d'Arcole, Paris (4e), 326. 86.59.

Mme COSNIER Janine, 19, rue Curie, Lyon (Rhône), 24.39.60.

Dr COURCHET Jean-Louis, 70, rue des Saints-Pères, Paris (7e), 222.58.66.

Dr CROUZATIER André, 64, avenue de La Bourdonnais, Paris (7e), 468.76.37.

Dr DALIBARD Yves, 134, rue de Grenelle, Paris (7e), 468.76.64.

Dr DANON-BOILEAU Henri, 34, quai de Béthune, Paris (4e), 033.17.46 ; le

matin : 702.26.68. Mme le Dr. DAUPHIN Andrée, 24, rue Gay-Lussac, Paris (5e), 326.59.30. Pr DEVEREUX Georges, Résidence La Fontaine, bâtiment G. 2, 186, avenue

Aristide-Briand, Antony (Seine). Mme le Dr DREYFUS-MOREAU Jeanine, 16, rue de Sèvres, Paris (7e), 548.96.44. Mme le Dr ELIET J. Edwige, 53, rue de la Tour, Paris (16e), 870.67.58. M. FAVEZ Georges, 29, rue Descartes, Paris (5e), 326.98.77. Mme FEIBEL Charlotte, 7, West, 96th Street, New York 25, N. Y. (U.S.A.). Dr GARCIA BADARACCO Jorge, Juncal 1082, Buenos Aires (Argentine). Dr GEAHCHAN Dominique, 11, avenue Ferdinand-Buisson, Paris (16e),

825.33.18. Dr GENDROT J. A., 10, rue Coutureau, Saint-Cloud (S.-et-O.), 605.41.88. Mme JONES Lucie, 22, rue Delambre, Paris (14e), 033.51.40. Mme le Dr KLEIN Franchie, 55, rue du Cherche-Midi, Paris (6e), 548.47.26. Dr KOURETAS D., 19, rue Solonos, Athènes (Grèce).

Mme LEBOVICI Ruth, 3, avenue du Président-Wilson, Paris (16e), 553.17.16. Mme le Dr LEULIER Hélène, 7, allée des Bocages, Le Vésinet (S.-et-O.),

966.00.12. Mme le Dr LUBTCHANSKY Jacqueline, 7, rue de Verneuil, Paris (7e), 222.33.66. M. MAUCO Georges, 1, square Alfred-Capus, Paris (16e), 288.47.96. Dr MENDEL Gérard, 7, rue Edmond-Valentin, Paris (7e), 468.98.38. Mme MINOR Nata, 204, boulevard Saint-Germain, Paris (7e), 222.47.69. Dr QUIJADA Hornan, Quintà Los Pinos, avenue Caroni, Colinas de Bello

Monte, Caracas (Venezuela). M. SAMI Ali, 32, rue Saint-Louis-en-l'Ile, Paris (4e), 633.20.41. Dr SCHMITZ Bernard, 54, rue Saint-Placide, Paris (6e), 548.88.16. M. SHENTOUB S. A., 24, rue Raynouard, Paris (16e), 527.62.28. Dr SOULÉ Michel, 13, rue de l'Estrapade, Paris (5e), 326.72.74. Mme TOROK Maria, 16, rue Vézelay, Paris (8e), 522.90.60. Mme WILLIAMS M. C, 1, villa d'Eylau, Paris (16e), 704.39.28. Mme le Dr ZAMORA DE PELLICER, Monte Esquinza 42, Madrid (Espagne). Dr ZIWAR M., 20, rue Saray-el-Gesira, Zamalek, Le Caire (Egypte). Mgr LE PRINCE de GRÈCE.

III. — MEMBRES AFFILIÉS

Dr BARAJAS CASTRO R., Insurgentes 300.1120, Mexico, 7. D.F. (Mexique). Dr BERGE André, 110, avenue du Roule, Neuilly-sur-Seine (Seine), 624.29.91. Dr BOULANGER J. B., 2156 Ouest, rue Sherbrooke, Montréal, 25 (Canada),

tél. : WE 2.4562. Dr CARCAMO C. E., Callao 1565, Buenos Aires (Argentine). Mme GUEX G., 54, avenue de Beaumont, Lausanne (Suisse). Mlle le Dr JACOBS VAN MERLEN Th., 124, rue Berkendaël, Bruxelles (Belgique),

tél. : 43-16.55. Mme LECHAT F., 137, avenue Albert, Bruxelles (Belgique), tél. : 44.07.03. Dr SOCARRAS J. F., Calle 35, 17-39, Bogota (Colombie). Dr ZAVITZIANOS G., 22 Cypress Street, Tenafly, N.J. (U.S.A.).


INDEX ALPHABÉTIQUE(1)

Agressivité : P.I.P. (2) et —, 337-340.

Allusions : interprétatives dans la pratique psychanalytique (voir Interprétation par allusion), 85-104.

Andropause (voir P.I.P.) : 250.

Association Psychanalytique Internationale : 425-434 ; CXXIVe Bulletin de l'—, 435-463.

BADAL (Daniel W.) : 202-204,215-218.

BARANDE (I.) : (trad. KEMPER), 84103 ; (anal. Die Familie et Jahrbuch der Psychoanalyse), 159, 607-608.

BARANDE (Robert) : 281-303, 601-607.

BARANDE (I.) et BARANDE (R.) : 416422.

BARROUX (M.) : (trad. GRINBERG), 191-201 ; (trad. BICUDO), 219-230 ; (trad. WEINBERGER), 257-263.

BÉNASSY (Maurice) : 31-40 ; (anal. SEGAL), 415-419 ; (anal. FEDERN), 533-554» 555-556, 558-559BEREZIN

558-559BEREZIN : 230-232.

BICUDO (Virginia Leone) : 219-230.

Biologie : réflexions sur les rapports de la psychanalyse et de la —, 11-15.

BONAPARTE (Marie) : 1-2, 3-6, 7-10.

BOONS-GRAFÉ (M. C.) : 29.

BRAUNSCHWEIG (Denise) : (voir Institut de Psychanalyse), 109-140, 471474, 589-600, 613-615.

CENAC (Michel) : 469-470. CHAMBON : (trad. SCOTT), 205-214. CHAPE (M.) : (anal. LEMAIRE), 422-424. CHASSEGUET-SMIRGEL (Janine) : 1728

1728 (trad. GEHL), 233-255, 396406,

396406, 410-413. CHENTRIER (Théo) : 636. CLANCIER (A.) : (voir dépression),

183-184, 609-611. Claustrophobie : dépression et —, 233255-

233255-

Communications : muettes (voir Interprétation par allusion), 88 ; — d'ambiance, 96-97.

Compatibilité : des méthodes et de leurs domaines (voir Méthodes), 109-135 ; des formations, 136-149.

Congrès :

des Psychanalystes de Langue romane (XXIVe —, 1963), 1-462. International de Psychanalyse (XXIIIe —, 1963), 191-280, 323355, 425-463International de Psychanalyse

(XXIVe —, 1965), 635. International de Psychiatrie infantile (VIe —, 1966), 636.

Consultation : psychanalytique (voir P.I.P.), 296-297.

Contre-transfert : psychothérapie et psychanalyse : choix ou — (voir P.I.P.), 406-412.

COSNIER (J.) : (anal. MANNONI), 305310.

Créateur(s) : actes —, 17-29 ; culpabilité attachée à l'acte — (voir Culpabilité), 21-23.

Création : processus de la — littéraire, 43-77Culpabilité

43-77Culpabilité attachée à l'acte créateur, 21-23 ; deux sortes de —, 191-204 ; — persécutoire et dépressive, 192196 ; — persécutoire et restrictions du Moi, 219-232; — féminine, 410-413.

Cyclothyme(s) : Moi — aux caractères obsessionnels (voir P.I.P.), 272-274.

DALIBARD (Y.) : 436-438, 608-609. DAVID (Christian) : 72-74, 42-44, 219223, 408, 586.

(1) Les folios en italiques renvoient au numéro spécial consacré au XXIVe Congrès des Psychanalystes de Langues romanes.

(2) Psychothérapies d'inspiration psychanalytique.


640

REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE

5-6-1965

DECOBERT (S.) : (voir Homosexualité), 367-369 ; (voir OEdipe féminin),

377-378

DELTEIL : 45.

Dépression : états dépressifs (voir P.I.P.), 304-312 ; étude sur la —, 163-190 ; caractérisation d'une position prédépressive (voir Culpabilité et restrictions du Moi), 219-232 ; — et claustrophobie, 233255 ; silence, masochisme et —, 259-269.

Deuil : lié à la perte de l'objet et à la perte de parties du Moi, 196-201 ; — et manie, 205-218.

DEVEREUX (G.) : 392-393.

Dialogue : de sourds (note clinique), 105-108.

DIATKINE (R.) : 526-528, 557, 559.

Dichotomie : et intégration, 5-8.

Divan : dialectique — fauteuil et fauteuil-fauteuil (voir P.I.P.), 282293.

Dream interprétation : 619.

École des Parents (L' ) : 636. Enfant : arriéré et sa mère (voir

MANNONI), 305-310. EYSENCK : 141.

FAIN (Michel) : 71-72, 105-108, 110112,

110112, 45, 398-406, 184, 561572,

561572, Familie (Die) : 159. Fantasme(s) : (voir FEDERN), 552-553. FAVREAU (Jean) : 378-3835 556, 587. FEDERN : 533-559. FINKELSTEIN (J.) : (trad. KEMPER), 84103.

84103. (Anna) : 1-2. FREUD (Sigmund) : 420-422, 526-527. Frigidité : (voir P.I.P.), 255. FROMM (Erika) et FRENCH (Thomas) :

619.

GARMA (Angel) : 5-25,36-38,41,43-45.

GEAHCHAN (D.) : 369-373.

GEHL (Raymond H.) : (trad. CHASSEGUET-SMIRGEL),

CHASSEGUET-SMIRGEL), Génital : maladies organiques et

comportement —, 9-15. GILLESPIE (W. H.) : (trad. N. H. MONGRAIN),

MONGRAIN),

323-335GILLIBERT : (anal. FREUD), 420422.

GITELSON (Maxwell) : 322.

GREEN (André) : 68-70, 374-375, 393396, 525, 558, 586.

GREENSON (Ralph. R.) : (trad. N. H. MONGRAIN), 343-348.

GRESSOT (Michel) : 41-211, 447-460.

GRINBERG (Léon) : (trad. M. BARROUX), 191-201.

GRUNBERGER (Bela) : 163-181, 186190, 390-392, 408-410, 525-526, 573-585, 586-588.

HAWORTH (Mary R.) : 159-160. HELD (René), 27-28, 42, 44-45, 225375,

225375, Homme : inachèvement de l'—

comme structure de son temps, 281303.

281303. : 323-336 ; étiologie de l'— 337-342 ; — et identité sexuelle, 343-348 ; structure et étiologie de l'— masculine, 349376; — féminine, 357-376.

Impuissance : (voir P.I.P.), 252, 319321.

319321. personnelles : 150164.

150164. symptôme et angoisse :

(voir FREUD), 420-422. Insight : possibilités d'— autonome,

99-100. Insomnie : névrotique (voir P.I.P.),

321-324. Institut de Psychanalyse : 109-140,

312, 315, 465-468. Intégration : (voir Silence), 271-280. Interprétation : par allusion, 85-104 ;

interventions et —, 109-140 ; —

dynamique en P.I.P., 335-336. Interventions et interprétations : 109140.

109140.

Jahrbuch der Psychoanalyse : 159.

KEMPER (Kustrin A.) : 85-103. KESTEMBERG (Evelyne) : 383-388, 526,

558. KESTEMBERG (Jean) : (voir M'UZAN),

65-66 J (voir Institut de Psychanalyse),

109-140.


INDEX

641

KLEIN (Melanie) : (voir SEGAL), 415.

LACOMBE (Pierre) : 79-84.

Langage : stades de développement du — (voir Interprétation par allusion), 87.

LEBOVICI (S.) : 373-374.

LEMAIRE (J. G.) : 422-424, 485-493, 519-524.

LOEWENSTEIN (Rudolph M.) : 7-10.

LUQUET (C.J.): 217-218, 388-390, 410.

LUQUET (Pierre) : 39, 44, 406-412.

MCDOUGALL (Joyce) : 357-366, 375376, 414-415Maladies

414-415Maladies : et comportement génital, 9-15 ; traitement psychanalytique des —, 23-25 ;

— psychosomatiques (voir P.I.P.), 258-262, 324-330.

MALE (Pierre) : 393-396.

MANNONI (Maud) : 305-310.

MARTY (Pierre) : 66-68,76-77,561-572.

Masochisme : silence, — et dépression, 257-269.

Masturbation(s) : aveu et interdiction des — (voir P.I.P.), 359.

Ménopause : (voir P.I.P.), 250.

Méthodes : compatibilité des — et de leurs domaines, 109-135.

MILLER (Derek) : 160.

MISES (R.) : 386-392, 526.

Moi : faiblesse particulière du —, 9394 ; — narcissiques (voir P.I.P.), 262-263 ; — rigides (voir P.I.P.), 270-272 ; pesée du — (voir P.I.P.), 274-281 ; écarts techniques et organisation « insuffisamment névrotique » du — (voir P.I.P.), 396398 ; restrictions du — (voir Culpabilité), 219-232 ; idéal du —, 525526 ; psychologie du —, 533-559 ;

— corporel, sentiment du —, 538543 ; théorie du — de Federn, 543546.

MONGRAIN (N. H.) : (trad. GILLESPIE), 323-335 ; (trad. WIEDERMAN), 337341 ; (trad. GREENSON), 343-348.

Motricité : 100-102.

Mur : (voir P.I.P.), 358-359.

M'UZAN (Michel de) : 43-64, 28-34, 41, 44-45, 586.

Mythologie : masculine touchant la féminité, 408.

NACHT (S.) : 3-6, 11-15, 215-217,

385-386, 271-280, 322, 529-532. Narcisses : oraux (voir P.I.P.), 263. Narcissique(s) : craintes (voir P.I.P.),

286-287. Narcissisme : sources subjectives de la

théorie du — chez Freud, 475-483 ;

textes freudiens sur le —, 485-493 ;

— primaire dans la théorie des instincts, 495-501 ; anti—, 503518; — secondaire, 519-528; — gardien de la vie, 529-532 ; — de Federn, 533-559 ; — et sa genèse, 561-572 ; étude sur le —, 573-588 ;

— : aspects cliniques, 589-600 ;

— dans le mouvement de la cure, 601-611.

Névroses : (voir P.I.P.), 312-319;

— de transfert, 386-392. NODET (Ch.) : 425-436.

OEdipe féminin : certains aspects

spécifiques de l'—, 377-406. Oro-analité : (voir P.I.P.), 268-270.

PASCHE (Francis) : 185-186, 349-355,

503-518, 525, 557, 588. Pervers-oraux : et parapsychotiques

(voir P.I.P.), 267-268. Perversions : et P.I.P., 256-257. Peur : (voir P.I.P.), 286. PLATA-MUSICA : 27. Pleurer : mécanisme particulier de

— pathologique, 79-84. Points de référence :-98-99. Position diagonale : ambiance et —,

94-95.

Processus : d'amplification et d'élucidation, 95-102.

Psychanalyse(s) : didactiques et expériences religieuses (voir Religieux), 31-41 ; — et psychothérapie, leur commensalisme, 47-223 ; éclectisme et pureté en —, 93-108 ; — ou phantasmothérapie, 124-135 ; la — et son champ d'expansion, 165192.

Psychiatrie (« Livre blanc de la—française »), 635-636.

Psychopharmacologie : (voir P.I.P.), 350-355.

Psychose(s) : clinique du traitement des — (voir FEDERN), 533-537.


642

REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE

5-6-1965

Psychosocial : traitement — de la jeunesse allemande (voir MILLER), 160.

Psychosomatique (s) intégration, 5-45; désintégration — transférentielle, 16-22; maladies — (voir P.I.P.), 258-262.

Psychothérapie(s) : effets de la — (voir EYSENCK), 141-145 ; — d'enfants (voir HAWORTH), 159-160 ; psychanalyse et—, 47-223; — différentielles et — intégrale, 69-92 ; . exercice de la — et hygiène mentale du psychanalyste, 193-211 ; remarques sur les —, 399-406 ; — et psychanalyse : choix ou contre-transfert, 406-412 ; — psychanalytiques, 412-436 ; limites de la —, 436-438.

Psychothérapie d'inspiration psychanalytique freudienne (P.I.P.), 225445 (travaux de langue française, 237-240 ; travaux anglo-saxons, 240246) ; indications et contre-indications, aspects cliniques, 294-333 ; aspects techniques, 334-366;—postpsychanalytique, 344-349 ; — et cure-type, 367-375 ; aspects de la —, 393-396.

RACAMIER (P.-C.) : 70-71, 412-416.

Régression : (voir P.I.P.), 349-350.

Relaxation : (voir P.I.P.), 362 ; (voir LEMAIRE), 422-424.

Religieux (ses) : psychanalyses didactiques et expériences —, 31-41.

RENARD (Michel) : 495-501.

Réparation : réflexions sur le concept de —, 17-29.

Rêves : utilisation des — (voir P.I.P.), 355-358.

ROUART (J.) : 396-398. ROUMAJON (Y.) : 469-470.

SAUGUET (Henri) : 112.

SAUSSURE (Raymond de) : 27, 218-219, 475-483.

SCHOSSBERGER (J.) : 422-425.

SCOTT (W. Clifford M.) : (trad. CHAMBON), 205-214. /

SEGAL (Hanna) : 415-149.

Sexualité : troubles de la — (voir P.I.P.), 252-256 ; recherches psychanalytiques nouvelles sur la — féminine, 407-415.

SHENTOUB (A.) : (anal. EYSENCK et Journal international de Psychiatrie), 141-142.

Silence : masochisme et dépression, 257-269 ; — facteur d'intégration, 271-280.

SOCARRAS (J.) : 35-36.

Société Psychanalytique de Paris : 463, 637-638.

Soutien : vrai ou fiction, 215-217.

STEIN (C.) : 74-76.

Structural : noyau — commun aux créateurs, 26-28.

TOROK (Maria) : 413-414. Toxicomanies et P.I.P. : 257-258. Transfert (s) : et contre-transferts en P.I.P., 340-344.

VALENSTEIN (Arthur) : 266-269.

WEINBERGER (Jérôme L.) : (trad.

M. BARROUX), 257-263. WIEDERMAN (George H.) (trad.

N. H. MONTGRAIN), 337-341.


TABLE DES MATIÈRES

DU TOME XXIX

CONTRIBUTIONS SCIENTIFIQUES. PAGES

BADAL (Daniel W.). — Voir Congrès 202, 215

BARANDE (Use). — Voir Colloque 607

BARANDE (Robert). — L'inachèvement de l'homme comme structure

de son temps 281

Voir Colloque 601

BARANDE (Use) et BARANDE (Robert). — Voir Congrès 416

BÉNASSY (Maurice). — Voir Hommage à Marie Bonaparte 31

Voir Colloque 533, 555

BENEZIN (Martin). — Voir Congrès 230

BICUDO (Virginia Leone). — Voir Congrès 219

BOONS-GRAFÉ (M. C.) — Voir Hommage à Marie Bonaparte 29

BRAUNSCHWEIG (Denise). — Voir Colloque , 417, 589, 613

CHASSEGUET-SMIRGEL (Janine). — Voir Hommage à Marie Bonaparte 17

De certains aspects spécifiques de l'OEdipe féminin, 410.

Discussion résumée par S. DECOBERT, 377.

Interventions de : J. FAVREAU, 378 ; E. KESTEMBERG, 383 ; C.-J. LUQUET, 388 ; B. GRUNBERGER, 390 ; G. DEVEREUX, 392 ; A. GREEN,

393Réponse aux interventions par J. CHASSEGUET-SMIRGEL, 396.

CLANCIER (A.). — Voir GRUNBERGER , 183

Voir Colloque 609

DALIBARD (Y.). — Voir Congrès 436

Voir Colloque 608

DAVID (C). — Voir M'UZAN ■.. 72

Voir Congrès 219

Voir Colloque 586

DECOBERT (S.). — Voir MCDOUGALL 367

Voir CHASSEGUET-SMIRGEL 377

DEVEREUX (G.). — Voir CHASSEGUET-SMIRGEL 392

DIATKINE (R.). — Voir Colloque 526, 557

FAIN (Michel). — Voir M'UZAN 71

Le dialogue de sourds 105

Voir GRUNBERGER 184

Voir Congrès 398

Voir Colloque 561, 586

Les folios en italique renvoient au numéro spécial consacré au XXIVe Congrès des Psychanalystes de Langues romanes.


644 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1965

PAGES

FAVREAU (Jean). — Voir CHASSEGUET-SMIRGEL 378

Voir Colloque 527, 556, 587

FREUD (Anna). — Voir Hommage à Marie Bonaparte 1

GARMA (Angel). — Voir Congrès 536

GEAHCHAN (D.). — Voir MCDOUGALL 369

GEHL (Raymond H.). — Voir Congrès 283

GILLESPIE (W. H.). — Voir Congrès 323

GREEN (André). — Voir M'UZAN 68

Voir MCDOUGALL 374

Voir CHASSEGUET-SMIRGEL 393

Voir Colloque 525, 558, 586

GREENSON (Ralph R.). — Voir Congrès 343

GRESSOT (Michel). — Voir Congrès 47, 447

GRINBERG (Léon). — Voir Congrès 191

GRUNBERGER (Bela). — Etude sur la dépression 163

Résumé de la discussion par A. CLANCIER, 183.

Interventions de M. FAIN, 184 ; de F. PASCHE, 185.

Réponse de B. GRUNBERGER, 186.

Voir CHASSEGUET-SMIRGEL 390

Voir Colloque 525, 573, 586, 588

HELD (René). — Voir Congrès 27, 225, 439

KEMPER (Kutrin A.). — L'interprétation par allusion. Ses rapports

avec les relations et les perceptions préverbales 85

KESTEMBERG (Evelyne). — Voir CHASSEGUET-SMIRGEL 383

Voir Colloque 526, 558

KESTEMBERG (Jean). — Voir M'UZAN 65

LACOMBE (Pierre). — Un mécanisme particulier de pleurer pathologique 79

LEBOVICI (Serge). — Voir Colloque 485

LOEWENSTEIN (Rudolph M.). — Voir Hommage à Marie Bonaparte 7

LUQUET (C.-J.). — Voir CHASSEGUET-SMIRGEL 388

Voir Congrès 217

LUQUET (Pierre). — Voir Colloque 519

Voir Congrès 406

MCDOUGALL (Joyce). — Introduction à un colloque sur l'homosexualité

féminine 357

Résumé de la discussion par S. DECOBERT, 367.

Interventions de D. GEAHCHAN, 369 ; S. LEBOVICI, 373 ; A. GREEN,

374Réponse de J. MCDOUGALL, 375.

MALE (Pierre). — Voir Congrès 393

Voir M'UZAN 66

Voir Colloque 561

MARTY (P.). — Voir M'UZAN 66

Voir Colloque 561

MISES (Roger). — Voir Congrès 386

Voir Colloque 526


TABLE DES MATIÈRES 645

PAGES

M'UZAN (Michel de). — Aperçus sur le processus de la création littéraire 43

Résumé de la discussion par J. KESTEMBERG, 65.

Interventions de : P. MARTY, 66 ; A. GREEN, 68 ; P.-C. RACAMIER,

70 ; M. FAIN, 71 ; C. DAVID, 72 ; C. STEIN, 74. Réponse de M. de M'UZAN, 76.

Voir Colloque 586

Voir Congrès 28

NACHT (S.). — Voir Hommage à Marie Bonaparte 3, 11

Voir Congrès 215, 385, 271

In Memoriam Maxwell Gitelson 322

Voir Colloque 529

NODET (Ch.). — Voir Congrès 425

PASCHE (Francis). — Voir GRUNBERGER 185

Voir Congrès 349

Voir Colloque 503, 525, 557, 588

PLATA MUSICA. — Voir Congrès 27

RACAMIER (P.-C). — Voir M'UZAN 70

Voir Congrès 412

RENARD (Michel). — Voir Colloque 495

ROUART (J.). — Voir Congrès 396

ROUMAJON (Y.). — In Memoriam Michel Cenac 469

SAUSSURE (Raymond de). — Voir Colloque 475

Voir Congrès 27, 218

SCHOSSBERGER (J.). — Voir Congrès 442

SCOTT (W. Clifford M.). — Voir Congrès 205

SOCARRAS (J.). — Voir Congrès 35

STEIN (C). — Voir M'UZAN 74

VALENSTEIN (Arthur). — Voir Congrès 266

WIEDERMAN (George H.). — Voir Congrès 337

CONGRÈS.

XXIVe Congrès des Psychanalystes de Langues Romanes (Paris, 20-21-22-23 juillet 1963)

Table des matières 461

XXIIIe Congrès International de Psychanalyse (Stockholm, juillet-août 1963)

Deux sortes de culpabilité : leurs relations avec les aspects du deuil normal et pathologique, par Léon GRINBERG 191

Discussion : intervention de D. W. BADAL, 202.

Deuil et manie, par W. CLIFFORD M. SCOTT 205

Discussion : intervention de D. W. BADAL, 215.


646 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1965

PAGES

Culpabilité persécutoire et restrictions du Moi. Caractérisation d'une

position prédépressive, par Virginia Leone BICUDO 219

Intervention de Martin BEREZIN, 230.

Dépression et claustrophobie, par Raymond H. GEHL 233

Une triade du silence : silence, masochisme et dépression, par Jérôme

L. WEINBERGER 257

Discussion, 263 ; intervention d'Arthur VALENSTEIN, 266.

Le silence, facteur d'intégration, par S. NACHT 271

Homosexualité, par W. H. GILLESPIE 323

Quelques remarques sur l'étiologie de l'homosexualité, par George

H. WlEDERMAN 337

Homosexualité et identité sexuelle, par Ralph R. GREENSON 343

Notes sur la structure et l'étiologie de l'homosexualité masculine, par

F. PASCHE 349

Statuts et règlements intérieurs de l'Association Psychanalytique

Internationale 425

CXXIVe Bulletin de l'Association Psychanalytique Internationale,

Rapport du XXIIIe Congrès International de Psychanalyse 435

COLLOQUES.

Colloque sur le Narcissisme (Artigny, 7 et 8 mars 1964)

Introduction, par Denise BRAUNSCHWEIG 471

Les sources subjectives de la théorie du narcissisme chez Freud, par

Raymond de SAUSSURE 475

A propos de la lecture des textes freudiens sur le narcissisme, par

S. LEBOVICI 485

Le narcissisme primaire dans la théorie des instincts, par Michel RENARD. 495

L'anti-narcissisme, par F. PASCHE 503

Introduction sur le narcissisme secondaire, par P. LUQUET 519

Résumé de la discussion 525

Interventions de F. PASCHE, GRUNBERGER, GREEN, E. KESTEMBERG, MISES, DIATKINE, FAVREAU.

Le narcissisme, gardien de la vie, par S. NACHT 529

Théorie du narcissisme de Federn (psychologie du Moi), notes rédigées

par M. BÉNASSY 533

Discussion conduite par M. BÉNASSY, 555 ; interventions de FAVREAU, PASCHE, DIATKINE, E. KESTEMBERG, GREEN.

A propos du narcissisme et de sa genèse, par Michel FAIN et

Pierre MARTY 561

Étude sur le narcissisme, par B. GRUNBERGER 573

Discussion sur les exposés de FAIN et GRUNBERGER 586

Interventions de DAVID, de M'UZAN, GREEN, FAIN, FAVREAU, PASCHE, 586-588.

Le narcissisme : aspects cliniques par Denise BRAUNSCHWEIG 589

Interventions de : R. BARANDE, remarques sur le narcissisme dans le mouvement de la cure, 601 ; I. BARANDE ; Y. DALIBART, 608 ; A. CLANCIER, 609.


TABLE DES MATIÈRES 647

PAGES

Conclusion, par D. BRAUNSCHWEIG 613

Bibliographie 617

HOMMAGE A MARIE BONAPARTE (journée consacrée à son souvenir, au Congrès des Psychanalystes de Langues Romanes, Paris, juillet 1963).

FREUD (Anna). — A la mémoire de Marie Bonaparte 1

NACHT (S.). — Marie Bonaparte 3

LOEWENSTEIN (Rudolph M.). — Hommage à la mémoire de Marie

Bonaparte 7

NACHT (S.). — Réflexions sur les rapports de la psychanalyse et de la

biologie 10

CHASSEGUET-SMIRGEL (Janine). — Réflexions sur le concept de « réparation » et la hiérarchie des actes créateurs 17

Intervention de M. C. BOONS-GRAFÉ 29

BÉNASSY (M.). —Psychanalyses didactiques et expériences religieuses... 31

NÉCROLOGIE.

Maxwell GITELSON 322

Michel CENAC 469

Théo CHENTRIER 636

LES LIVRES.

Die Familie. Tiefenpsychalogisch Gesehen (I. BARANDE) 159

Jahrbuch der Psychoanalyse. Behrage zur Theorie und Praxis (I. BARANDE) 159 HAWORTH (Mary R.). — Child psychotherapy, theory and practice ... 159 MILLER (Derek). — Growih to Freedom, the psychosocial treatment of

delinquent youth 160

MANNONI (Maud). — L'enfant arriéré et sa mère. Etude psychanalytique

(J. COSNIER) 305

CHASSEGUET-SMIRGEL (J.), LUQUET-PARAT (C.-J.), GRUNBERGER (B.),

MCDOUGALL (J.), TOROK (M.), DAVID (C). —Recherches psychanalytiques

psychanalytiques sur la sexualité féminine 407

SEGAL (Hanna). — Introduction to the work of Melanie Klein

(M. BÉNASSY) 415

FREUD (Sigmund). —Inhibition, symptôme et angoisse, nouv. trad. par

Michel TORT (J. GILLIBERT) 420

LEMAIRE (J.-G.). — La relaxation et la rééducation psychotonique

(M. CHAPE) 422

FROMM (Erika) et FRENCH (Thomas). — Dream interpretation. A new

approach 619

LES REVUES 141, 619 à 634

SOCIÉTÉ PSYCHANALYTIQUE DE PARIS.

Compte rendu des activités scientifiques (1964) 311

Liste des membres 319, 636

Additif à la liste des membres 463


648 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1965

INSTITUT DE PSYCHANALYSE. PAGES

VIe Séminaire de perfectionnement 109

Programme de l'Enseignement 1965-1966 465

Séminaires ouverts, 465.

Conférences, Colloques, Séminaires, 466.

Bibliothèque 468

Liste des nouveautés 312

INFORMATIONS 317, 425, 635

INDEX ALPHABÉTIQUE 639

Le gérant : Maurice BÉNASSY.

1966. — Imprimerie des Presses Universitaires de France. — Vendôme (France) ÉDIT. N° 28454 Dépôt légal : 4-1965 TMP. N° 19 236

IMPRIMÉ EN FRANCE