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Titre : Bulletin de la Société d'ethnographie : compte rendu des séances, notices scientifiques, discours, rapports et instructions / publiés par le ... secrétaire-général

Auteur : Gallois, Edme. Auteur du texte

Auteur : Société d'ethnographie de Paris. Auteur du texte

Auteur : Alliance scientifique universelle. Auteur du texte

Éditeur : Société d'ethnographie (Paris)

Date d'édition : 1892-02-01

Contributeur : Verrier, Eugène (1824-1910). Directeur de publication

Contributeur : Prêt, Célestin-Aimé (1852-....). Directeur de publication

Contributeur : Lawton, Frederick. Directeur de publication

Contributeur : Barclay, Georges. Directeur de publication

Contributeur : Mantel, Arsène. Directeur de publication

Contributeur : Bourgoint-Lagrange. Directeur de publication

Contributeur : Peuvrier, Achille. Directeur de publication

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb343569561

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb343569561/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Format : Nombre total de vues : 8305

Description : 01 février 1892

Description : 1892/02/01 (A34,SER2,N62)-1892/02/28.

Description : Collection numérique : France-Japon

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k5441298s

Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 8-G-557

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 03/12/2008

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Notices, Rapports et Documents scientifiques

LA PHILOSOPHIE DE LAO-TSE

devant la pensée contemporaine

par LÉON DE ROSIN'Y.

[Nous sommes heureux de donner la primeur de la très remarquable introduction que M. Léon de Rosny a placée en tête d'un nouveau livre intitulé le Taoisme qui vient de paraître chez Ernest Leroux, éditeur. On trouve, dans cet important document, l'exposé rudimentaire des théories philosophiques professées à la Sorbonne par notre éminent président.— FB. L.]

Parmi toutes les doctrines spéculatives et religieuses du monde asiatique, il n'en est peut-être aucune, si on en excepte le Bouddhisme, qui ait témoigné d'une puissance •d'aperception égale à celle du philosophe Lao-tse. Nulle part, «du moins, dans les temps antérieurs à notre ère, on n'a formulé d'une manière plus saisissante et en même temps plus sobre et plus réfléchie la loi suprême de l'univers, et nulle part, on n'a su mieux la dégager de tout attribut anthropomorphique. Cette doctrine cependant ne devait occuper qu'une place à peu près insigniBanle dans l'histoire intellectuelle de


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l'humanité. Non -seulement elle n'était pas appelée à mûrir par le travail et la culture des nombreuses générations de penseurs qui se sont succédés en Chine depuis le siècle où. elle est éclose ; mais, en quelque sorte atrophiée dans son germe, il ne lui était réservé d'autre avenir que de donner un nom, —j'allais dire une étiquette commerciale, — à l'une des croyances les plus grossières qui se soient jamais répandues dans le genre humain.

Le livre de Lao-tse, dont on a rarement contesté le caractère authentique, n'est parvenu jusqu'à nous qu'après avoir subi les plus fâcheuses altérations. Il est, en outre, peu étendu, de sorte que la théorie sur laquelle il repose n'a pas été développée d'une manière suffisante pour exclure bien des doutes sur sa signification réelle et sa portée. Le style de l'auteur enfin, concis à l'excès, souvent alambiqué et décousu, est énigmatique en bien des cas, entaché de mysticisme ; son principal défaut est d'ouvrir sans cesse la porte aux interprétations les plus discordantes.

Une doctrine spéculative, il est vrai, a plutôt à gagner qu'à perdre, surtout lorsqu'elle est fort ancienne, à n'être transmise aux âges postérieurs que sous une forme vague et mutilée. Pour peu que les lambeaux épargnés par les siècles laissent entrevoir des traces d'une grande idée, il y a bien des chances pour que cette idée, réelle ou supposée, soit un jour recueillie avec enthousiasme et inscrite dans les annales du monde pensant comme une haute manifestation de l'esprit humain. Rien de tel, pour un livre canonique, par exemple, que de prêter largement à l'essor de l'exégèse et de l'interprétation. Des théories énoncées d'une façon trop précise sont souvent fatales à l'oeuvre d'un instituteur religieux : elles sont marquées visiblement du sceau de la faiblesse humaine ; le besoin de surnaturel, si enraciné dans le coeur des masses, n'y trouve pas son compte. Les fondateurs de religions, qui n'ont rien écrit par eux-mêmes, ont toujours eu, pour ce motif, un avenir plus brillant et plus durable que les autres : nul n'est admis à leur imputer des fautes ou des erreurs dont


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leurs disciples ou leurs apôtres sont seuls responsables.

Loin de ma pensée, cependant, de soutenir que les grandes aperceptions dont on trouve des vestiges dans certains livres de l'antiquité n'y existent que par le fait de notre complaisance ; et je crois qu'on ne saurait trop révérer les écrits des anciens sages où nous rencontrons des endroits qu'il est possible d'associer aux théories Jes plus sûres et les plusavancées de la philosophie moderne.

L'ouvrage de Lao-tse est de ce nombre ; et, pendant longtemps encore les hommes préoccupés de découvrir les aïeux de la pensée humaine y trouveront plus qu'à glaner. Cet ouvrage, néanmoins, ne se présente pas dans des conditions analogues à celles des autres textes canoniques ou philosophiques qui nous ont été transmis par l'antiquité. La plupart de ces textes ont servi de base à la fondation d'une secte ou d'une école : ils ont été continués d'âge en âge. Le Tao-teh King, au contraire, est demeuré pendant plus de vingt siècles à l'état d'oeuvre isolée, sans lien effectif avec le travail des générations, j'allais dire à l'état d'oeuvre mort-née ou incompromise. Cette étonnante production de l'esprit Chinois, qui remonte à l'époque delà captivité de Babylone, a joui, il est vrai, d'une certaine fortune à plusieurs époques ; mais il n'y a aucun doute que cette fortune, elle la doit à des circonstances étrangères à sa valeur philosophique. La réaction contre le Confucéisme, sous le règne mémorable de Chi Hoang-ti (IIIe siècle avant notre ère), suffirait au besoin pour expliquer le succès d'une doctrine si différente, parfois môme si contraire à celle de l'École des Lettrés.

En dehors des intérêts politiques qui ont fait supplanter sous certains règnes l'enseignement de Confucius par celuide Laotse, l'histoire nous apprend que les idées de ce dernier ont réuni dans diverses contrées de l'Extrôme-Oricnt, en Corée et môme au Japon, des partisans nombreux et enthousiastes. Il est toutefois vraisemblable que le succès de son livre ne provient point des théories taoïstes dont nous sommes enclins a admirer aujourd'hui l'expression rudimenlaire, et qu'il


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faut attribuer bien plutôt la vogue dont il a été l'objet ailleurs qu'en Chine aux contes merveilleux et à la brillante mise en scène du culte des taosséistes. La pensée capitale du Tao-tehKing, déjà sensiblement altérée dans les écrits des successeurs immédiats de Lao-tse, n'existe plus qu'à l'état de travestissement dans la masse de la population qui a fait un petit Dieu de son auteur faute d'avoir compris qu'il était un grand philosophe.

Les croyances que professent les prétendus adeptes du Tao diffèrent si profondément de l'esprit de Lao-tse qu'il m'a semblé impossible, non seulement de les associer à la doctrine du maître, mais même de les y rattacher par des liens étroits. C'est ce qui m'a décidé à faire usage de deux termes distincts : Taoïsme pour désigner la philosophie de Lao-tse et dans une certaine mesure celle des écrivains dits « naturalistes » de la Chine ancienne et moderne, et Taosséisme pour dénommer le culte des tao-sse ou« sectateurs du Tao », culte qui ne repose plus guère que sur des interprétations forcées ou cabalistiques du Yih-king et de quelques sentences du célèbre contemporain de Confucius. La valeur très distincte de ces deux termes désormais établie, je reviens à l'appréciation du Taoïsme en général et tout particulièrement à celle du Taoïsme, tel qu'il résulte de l'étude de son livre fondamental, le Tao-teh King.

Lao-tse ne nous a laissé à aucun titre un système complet de philosophie ; nous n'avons delui que des aphorismes décousus, présentés en désordre et sans développements. On doit cependant lui tenir compte des puissantes aperceptions qu'il a eues du problème de la Nature, dans un milieu en apparence aussi défavorable que celui où il vivait, à peu près à l'époque où, dans des conditions infiniment meilleures, on entendait retentir la parole touchante de Çâkya-mouni et les enseignements de Pythagore.

Parmi les aperceptions les plus remarquables de Lao-tse, il faut placer en première ligne sa manière de concevoir Dieu. On peut certainement engager des disputes sur l'identification


LA PHILOSOPHIE DE LAO-TSE. 33

de Dieu et du Tao ; mais ces disputes ne sauraient reposer que surla logomachie détestable qui pousse les esprits superficiels et paresseux à-.préférer les mots aux idées et qui, pour me servir d'une expression chinoise, jugent le ciel très étroit parce qu'ils sont descendus au fond d'un puits pour le contempler (1).

L'idée de Dieu, Lao-tse l'a traduite en des termes qui font à coup sûr le plus grand honneur a son génie ; il a su môme y associer, d'une façon trop vague sans doute mais cependant compréhensible, celle du motif de la création. Son oeuvre néanmoins ne compte pour rien ou à peu près pour rien sur le grand-livre de la pensée, par ce fait qu'elle n'a pas pesé d~un poids appréciable sur le progrès moral d'une période quelconque de l'histoire du monde : elle a touché brillamment au côté théorique, elle semble n'avoir pas même songé au côté pratique.

Le problème de la fin de l'homme, — et au fond celui de la création entière, — ne peut être envisagé avec fruit que si l'on s'efforce de déchiffrer parallèlement l'énigme de notre origine. Bien plus, la discussion de ce problème doit aboutir et elle aboutit à des résultats funestes dans la vie des peuples, si elle n'entraîne pas comme conséquence immédiate, nécessaire, la promulgation d'une loi morale effective assez puissante pour rectifier la conscience publique et améliorer les moeurs. Je professe l'opinion qu'une philosophie, surtout lorsqu'elle prétend s'élever à la hauteur d'une institution religieuse, .est une oeuvre néfaste si elle n'a pas pour effet de rendre les hommes meilleurs, plus sévères vis-à-vis d'eux-mêmes, plus indulgents vis-à-vis des autres, plus résolus â n'ambitionner en fin de compte qu'un seul résultat, l'amour ardent et désintéressé de l'idéal qui s'appelle le Bien, le Beau et le Vrai, dans le sens absolu de cette haute expression trinaire. L'esprit aryen qui a enfanté le Bouddhisme, et l'esprit sémitique qui a produit six siècles plus tard le Christianisme, ne consentiront jamais à renoncer pendant longtemps à cet idéal pour se vau(1)

vau(1) au mot Tao,


34 LÉON DE ROSNY.

trer dans les ornières malsaines de l'individualisme, du pessimisme et de l'indifférentisme. C'est faute, — non pas d'avoir méconnu cette vérité, — mais de ne pas s'être en quelque sorte identifié avec elle, que des doctrines marquées du sceau du génie, comme l'a été celle de Lao-tse, n'ont abouti en somme qu'à des manifestations intellectuelles éphémères et stériles pour l'avancement du genre humain. Examinons.

Lao-tse n'avait rien rêvé de mieux pour l'avenir de l'homme que le retour à la condition de nature ; et par condition de nature, il faut entendre un état qui est du domaine exclusif de l'instinct et ne s'élève pas à la sphère plus haute de l'action réfléchie, c'est-à-dire à la sphère où se manifeste le progrès par le fait de la liberté.

Soutenir l'avantage de rétrograder, pour revenir à la vie primitive, à la vie inculte, sous-entend que l'homme, dans sa condition originelle, était bon, et qu'il n'est devenu mauvais que par suite des raffinements d'un mode d'existence mal réglé et mal compris. Dans les religions, où Dieu est, si non anthropomorphisé, du moins conçu à l'image de l'homme ou d'une individualité quelconque, il est logique d'admettre que la créature était parfaite au début, puisqu'elle venait de sortir des mains de son Créateur ; mais une telle manière de voir est insuffisante, et son moindre défaut est d'énoncer un axiome capital sans prendre la peine de l'établir sur une base solide qui ne peut être autre que la loi du Devenir, dans ses rapports harmoniques avec les nécessités inéluctables de la « Perfection » divine.

La croyance que l'homme était bon à l'origine, exprimée, comme toutes celles que préconise le Tao-teh King, en termes vagues et alambiqués, ne tarde pas à paraître en Chine sous une forme nettement accusée dans l'oeuvre du philosophe Mencius. Chez celui-ci, plus de doute sur la valeur des termes : l'homme était bon tout d'abord; sa bonté s'est amoindrie à la longue, et la lutte pour l'existence a corrompu dans son coeur les instincts vertueux de son état primitif. Il appar-


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tient à l'éducation et à l'étude de le faire revenir à sa perfection naturelle. L'idéal consiste à retourner en arrière. — Voilà le fameux précepte qui, accueilli avec dévotion par le peuple chinois, a pesé, pendant plus de vingt siècles, d'un poids si lourd sur ses destinées. La Chine, il faut le reconnaître, lui doit une permanence, une durée politique et sociale dont on ne trouve aucun autre exemple dans l'histoire ; mais cette permanence, cette durée, sont celles d'un organisme pétrifié, assez dur pour résister tant bien que mal aux attaques du temps, mais incapable de s'accroître, de produire, rebelle à toute éventualité de réforme et de progrès. C'est le dogme brahmanique mal compris du retour en Dieu, — non pas par une marche en avant, mais par un recul en arrière !

Cette idée, comme toutes les idées fausses, ne devait pas tenir debout, survivre à son auteur, comme a survécu, par exemple, l'idée de Charité qui a franchi les âges et les révolutions sans jamais s'amoindrir. En Chine même elle a provoqué presque aussitôt d'ardentes disputes. Lao-tse, penseur infiniment plus profond que Confucius, a dû céder le pas à son orgueilleux ri val, parce que celui-ci, s'il n'avait pas su concevoir un idéal capable d'embrasser la Nature entière, avait du moins entrevu un idéal suffisant pour organiser la famille.

Un philosophe chinois appelé Siun-tse n'hésita pas à se mettre en révolte ouverte avec Mencius, en soutenant que la nature de l'homme était foncièrement mauvaise et qu'elle ne pouvait devenir bonne que par le secours de l'éducation (1). Puis, entre la doctrine optimiste de Mencius et la doctrine pessimiste de Siun-tse, se plaça une troisième doctrine, celle du Yang-tse, qui prétendit à son tour que le bien et le mal, dans des proportions variables, existaient à l'état latent chez l'homme et qu'il fallait chercher par l'étude les moyens de maintenir ou de développer la somme de bien, et en môme temps de diminuer ou de faire complètement disparaître la somme de mal.

(1) Voy. les curieuses remarques de Le Play, à l'appui de cette doctrine (La Réforme en Europe et le Salut en France, p. 59).


f*i.iv *■; r

.36 LÉON DE ROSNYCes

ROSNYCes divergentes, — et ce ne sont pas les seules qu'il serait possible de signaler en Chine, — décèlent de .fâcheuses lacunes dans l'esprit des philosophes asiatiques qui les ont énoncées. Elles sont cependant intéressantes à connaftre,parce qu'elles donnent à réfléchir,et qu'en faisant usage des ressources de la critique moderne elles permettent peutêtre de mieux poser le problème et, dans une certaine mesure, de le résoudre.

La conclusion à laquelle aboutissent tous ces penseurs chinois est au fond la même. Tous, en effet, arrivent à croire que la vertu chez l'homme dépend exclusivement de l'action des sages : Si l'homme est vertueux d'origine, ce sont leurs préceptes qui le maintiendront dans la bonne voie, en lui montrant les dangers d'en sortir ; si d'origine il est pervers, ce sont -encore leurs conseils qui le ramèneront au bien, en le persuadant des avantages de les suivre.

Mais alors une autre question, une question capitale, s'impose, et nos bons asiatiques n'ont pas songé à lui faire une place dans leurs disputes. D'où vient la supériorité des sages sur la foule, d'où vient la puissance de l'éducation ? En d'autres termes, d'où dérivent les principes salutaires qui donnent à l'éducation les moyens de maintenir le bien existant, ou de transformer le mal en bien ?

Il y a deux réponses possibles à cette question, mais j'estime .que l'aine est de beaucoup supérieure à l'autre. La moins bonne, la voici : Si l'on admet comme une règle que la nature •de l'homme est mauvaise, ainsi que le soutient Siun-tse, on n'est pas en présence d'une règle générale. Si, en effet, tout ,1e monde était méchant, qui eût jamais pu faire sortir de la méchanceté les germes du bien et détourner les méchants du •crime ? 11 faut qu'il y ait eu des exceptions dans l'humanité, «'est-à-dire des hommes dont le naturel était bon et qui ont tiré d'eux-mêmes le sentiment et le, mobile du bien, des hommes enfin qui différaient de leurs semblables d'une manière essentielle, quoique doués d'un même organisme et provenant de la même source que les autres.


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L'hypothèse de Mencius, suivant laquelle les hommes sont bons par nature, mais fragiles et corruptibles, ne résoud guère mieux le problème ; car elle suppose que des hommes d'une vertu chancelante ont profité de quelques éclaircies de conscience pour sauver ceux qui trébuchaient dans la vie, sauf à recourir ensuite à ceux qu'ils avaient délivré du mal pour se sauver à leur tour aux heures de défaillance.

La meilleure réponse me semble celle-ci : Le bien réel est un effort constant vers la perfection absolue et ne peut dériver du mal; donc le bien existe au début de l'existence, comme on doit le retrouver à la fin. Seulement il y a un bien originel et un bien final ; et le « bien originel » n'est pas la môme chose que le « bien final ».

Je vais essayer de définir cette théorie dont on peut à la rigueur trouver des traces dans la philosophie taoïste comme dans la philosophie brahmanique,mais des traces à tous égards insuffisantes si nous ne nous efforçons pas de les faire apparaître d'une façon plus nette, plus soutenue et plus accentuée.

A l'origine, — pour me servir d'un terme qui facilite renonciation de la pensée, mais qui est défectueux en ce sens qu'il provoque une question de temps inapplicable à la loi suprême de la Nature,— Dieu était unique, solitaire, dans l'e calme de son existence impassible. Tout existait en lui, immobile, improductif. Créateur, il l'avait été de toute éternité, car la création était une chose bonne, puisqu'elle émanait de lui ; et du moment où elle était bonne, il n'avait pu hésiter ni différer d'accomplir ce qui était bon. On ne saurait objecter sérieusement que, dans sa sagesse absolue, il avait découvert un moment particulièrement favorable pour créer, alors que d'autres moments ne l'auraient pas été. Il y aurait là une argutie sur laquelle je crois inutile de m'appesantir. Dieu a fait son oeuvre dans un instant sans durée, car sa toute puissance exclut rhypothèse d'un espace de temps plus ou moins long pour réaliser ce qu'il- avait tous les moyens de produire instantanément. Son oeuvre était, en outre,complète ; il n'y avait rien à ajouter, rien à y soustraire, car la supposi-


-38 LÉON DE ROSNY.

tion d'un oubli quelconque est incompatible avec la perfection divine. Tout était donc bien fait, définitivement fait, sans qu'il soit admissible qu'il restât quelque chose à faire.

Ce raisonnement sur le système de la création ne peut être considéré comme décisif, s'il n'est pas complété par l'adjonction d'une subséquence. Autrement l'absolue perfection,une fois l'oeuvre créatrice accomplie, n'aurait été rien autre chose que l'inactivité sans fin,— la mort éternelle, l'inutile à jamais ! La .subséquence nécessaire se trouve dans loi du Devenir. La loi du Devenir, qui est essentielle à la nature de Dieu et le complément inévitable de l'idée de perfection absolue, se manifeste par le principe de mouvement et de liberté : c'est, dans le langage de Platon ou dans celui du Védanta, la résultante de l'acte de Dieu voulant être « plusieurs * ; c'est, en d'autres termes, la puissance infinie produisant les êtres pour se compléter elle-même par la réabsorption continue, éternelle des éléments émanés de son sein, alors que ces éléments, rendus eux-mêmes parfaits par le travail et la pratique volontaire du bien, viendront lui apporter l'appoint sans lequel il ne saurait ,y avoir de perfection absolue.

Si j'ai réussi à bien faire saisir ma manière d'envisager l'idée que je cherche à approfondir, il en résulte, je crois, une explication plausible des phases d'évolution des êtres dans la nature :

La perfection créatrice fait sortir d'elle-même tous les êtres, par le fait de sa puissance fatale. De cette source de perfection jusque là virtuelle, les êtres naissent doués d'une réminiscence de leur divine origine ; et alors ils sont bons,mais bons d'une bonté spontanée, inconsciente, sans effort, et sans avoir eu à accomplir un acte de sélection entre le bien et le mal (c'est l'a Fidée fondamentale de Lao-tse, quand il prétend que le mal n'est apparu dans le monde que lorsque la notion du bien à commencé à s'y produire) , l'être était bon d'une bonté en quelque sorte mécanique, bon de la bonté instinctive. Mais il n'a pas seulement reçu de son créateur la bonté instinctive: il a reçu de lui la faculté du mouvement et la liberté. Bon par


!

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instinct et libre à la fois, il réfléchit à mesure que se développent en lui les effets de la loi du Devenir. Il réfléchit peu à peu, laborieusement, sur les conséquences de sa bonté instinctive : il critique ces conséquences, il les discute, il les met en parallèle, en opposition avec les intérêts de sa personnalité : la concurrence vitale vient à son heure contrecarrer les bonnes résolutions de sa volonté encore soumise à la puissance de l'instinct. Il hésite, il doute, il chancelle. La période où il se trouve engagé est la seconde dans le travail de son évolution émancipatrice ; il est dans la période transitoire.

A cette période,— toujours en raison de la loi du Devenir, — succède une autre période,Iapériodede réaction conscientielle, c'est-à-dire la période durant laquelle l'étrelutte et triomphe de ses instincts égoïstes parles ressources de son organisation intime, de sa réflexion et par l'usagedésormais réglé de sa liberté.

Mais comme dans la nature rien ne s'opère par soubresaut, natura nonfacit saltus, suivant la maxime due au génie de Linné, comme tout s'y enchaîne, comme il n'y existe d'autres divisions que celles que notre esprit relatif y introduit pour feciliter le classement des idées et des notions acquises, les trois périodes — celle de la bonté instinctive, de la concurrence vitale, et de la réaction conscientielle, — sont connexes et continues. Le Devenir suit sa voie: il n'est rien autre chose que l'éternel progrès, et l'éternel progrès est la formule complémentaire de l'idée de Dieu.

C'est en tirant de l'étude des anciens philosophes des déductions de ce genre que je crois utile de soumettre leurs oeuvres au travail de l'exégèse et de la critique. Autrement, j'ai bien peur que l'esprit humain ait peu à tirer des longues et pénibles explorations qu'il entreprend dans le domaine chaque jour plus étendu de la vieille science spéculative. Le livre de Lao-tse, par exemple, s'il n'était pas abordé suivant une méthode de ce genre, ne nous offrirait rien que des occasions de lui attribuer gratuitement une foule d'idées aussi incertaines que divergentes, aussi obscures qu'infécondes. La tâche du philosophe ne dépasserait guère celle du linguiste : elle se


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réduirait le plus souvent à des discussions de mots. Il n'est pas sans intérêt d'examiner des mots et de feuilleter des grammaires ; mais cette occupation poussée trop loin peut être funeste à la culture des idées. Lao-tse a déjà trouvé quatre ou cinq traducteurs plus ou moins autorisés ; moi-même, j'ai refait la traduction de son livre dans l'intérêt de mes études. Si letravail des uns et des autres ne doit pas avoir pour résultat de provoquer des idées nouvelles, —j'oserai dire des idées pratiques, — il est fort à craindre qu'en notre âme et conscience nous soyons obligés de dire comme un illustre écrivain latin à propos du Timée : « Bien que je l'aie traduit, j e ne le comprends pas. »

Je viens de discuter quelques-unes des théories que l'on rencontre à l'état embryonnaire dans le Tao-teh King et qui sont à coup sûr au nombre des plus hautes préoccupations del'esprit humain. Le Vieux-Philosophe en avait aperçu la portée. Profondément honnête, il aimait la vérité au point de se révolter à la seule pensée qu'on puisse la faire voir aux hommes travestie sous un accoutrement quelconque. Comme Senèque-le-Philosophe, il méprisait l'éloquence et condamnait le culte de la forme, soit dans la parole, soit dans le style. Il enseignait que l'art de parler avec charme était l'apanage deshommes qui ont à répandre des idées fausses, à propager des mensonges qu'il n'est possible de faire accepter qu'en endormant l'esprit par une mélodie malsaine et trompeuse. Il était aussi sincère que convaincu.

D'où vient donc que, dans des conditions si excellentes, l'oeuvre de son génie ait été une oeuvre inféconde,sans avenir ? — Il y manquait l'idée d'amour, l'idée d'amour sans borne, d'amour sans restriction qui, a l'époque même où vivait Laotse transforma le monde indien en surgissant dans le bassin du Gange, comme elle devait apparaître six siècles plus tard et émanciper le monde occidental par son éclosion dans la vallée du Jourdain. Cette idée, si le Vieux-Philosophe l'avait pressentie, il n'a du moins pas su la produire d'une façon pratique, la montrer à tous avec ses larges et splendides consé-


LA DÉPOPULATION DE LA FRANCE. 41

quences ; il n'a pas compris enfin que, dans l'état relatif et insuffisant de la créature, la discussion des grands problèmes de l'existence est non seulement gratuite mais néfaste, si elle n'a pas pour corollaire essentiel, comme dans le Bouddhisme indien, d'amener l'homme à comprendre que son premier devoir est d'aimer les siens et, suivant la belle parole de Cicéron, de considérer tous les êtres comme siens, cum suis omnesque naturâ conjunctos Cl). Il en résulte qu'à vrai dire, il n'existe pas de morale taoïste, comme il existe une morale bouddhique ou une morale chrétienne. Les sectateurs de Laotsenesesontpas môme aperçus commelesEsséniens que,sansla base de l'amour, il est ici-bas des sciences inutiles. La science du Tao-teh King était une science inutile : elle ne pouvait conduire les Chinois à autre chose qu'à* la plus misérable des idolâtries.

LA DEPOPULATION DE LA FRANCE. Extrait d'une communication faite à la SOCIÉTÉ D'ETHNOGRAPHIE par AMÉDÉE SIMONIN, M. T.

I.

La question de la population est devenue chez nous, depuis ■quelques années, une question palpitante d'intérêt ; par les données supérieures qu'elle embrasse, par celles qui, en particulier, concernent les forces vives de notre pays et l'avenir de la France, on peut dire qu'elle est devenue la question brûlante du moment. Elle est d'une nature délicate à traiter et, surtout, difficile à résoudre.

Les rapports qui peuvent exister entre la population (considérée comme le facteur le plus important de la chose appelée société) et le problème social, ne sont pas encore déterminés, en dépit du contenu d'un livre célèbre, en dépit des dis(1)

dis(1) De Legibus 1, 22.


42 AMÉDÉE SIMONIN.

eussions fréquentes qui ont eu lieu dans les séances de nos Académies et de nos Corps savants, en dépit des efforts spéciaux et nombreux des plus illustres Économistes. La population, comme catégorie sociale, n'est pas encore arrivée à l'état vrai d'un problème philosophique ; elle est encore à l'état de proposition, ou de thèse, sur laquelle les penseurs ont le droit de reprendre la question ab ovo.

II.

La population, comme thèse ou comme question, est embarrassante et complexe. L'idée sociale qu'elle renferme a été embrouillée'et observée par ceux-là mêmes qui ont voulu l'éclairer. Ce fait provient d'un immense malentendu qu'il est temps d'expliquer et de détruire.

Les erreurs officielles ne sont jamais avouées. L'autorité laïque, en France, a la prétention d'être aussi infaillible que l'autorité spirituelle de la papauté.

C'est dans cet océan de choses mal conçues et mal coordonnées que l'on a eu la fâcheuse idée d'introduire la catégorie sociale de la population. Nous voici sur le terrain brûlant.

SiMalthus, n'avait pas écrit son livre, la France n'aurait pas vu diminuer d'une façon si alarmante l'accroissement de sa population. Disons, en passant, que les différences arithmétique et géométrique dans l'accroissement des ressources alimentaires et du nombre des humains, ne sont que des mots à effet auxquels l'expérience acquise pendant notre siècle a donné un démenti formel.

Le mal existe ; il produit des ravages effrayants ; c'est, aa fond, une idée démoralisatrice, corruptrice et destructive des grands principes de la morale humaine éternelle et universelle, et des notions les plus élevées sur la famille et la dignité de l'homme. Il sera â jamais regrettable que l'Académie des Sciences morales et politiques ait adopté la doctrine de Malthus ; encore aujourd'hui, un des membres de cette docte Assemblée, M. Frédéric Passy, l'a défendue dans les séances


LA DÉPOPULATION DE LA FRANCE. 43

du 5 janvier et du 27 septembre de cette année 1890. C'est ce faitqui rend si difficile la recherche du remède au mal de la diminution de l'accroissement de notre population.

M. Levasseur a calculé que l'accroissement annuel de la population, par 1000 habitants, est de : 1.19 en France ; 13.7 en Angleterre ; 12.09 en Russie ; de 11.95 en Allemagne. Cela prouve que dans les trois derniers pays que nous venons de citer la population s'accroît 10 à 11 fois plus rapidement qu'en France.

Des savants courageux, entre autres MM. Lagneau et Courcelles-Seneuil (surtout le premier), osent dire la vérité, ce dont on doit les féliciter sincèrement, et cherchent les remèdes capables de guérir le mal dont souffre la société française.

M. Lagneau n'a pas craint de dévoiler les plaies gangreneuses qui existent dans les âmes, principalement dans la classe bourgeoise, et les moyens hideux employés pour introduire dans la famille la stérilité volontaire. Ceux qui voudraient connaître les remèdes ou les expédients conseillés par le Dr Lagneau pour enrayer ou pallier le mal, les trouveront énumérés dans les Comptes rendus des séances de l'Académie de médecine des 22 janvier, 15 et 22 juillet, 23 et 30 septembre, et 4 octobre de cette année 1890. Tous les remèdes indiqués sont des moyens législatifs. On ne peut douter que s'ilsétaient employés ils diminueraient les ravages dans une certaine mesure. Mais, hélas ! ces remèdes sont des voeux platoniques pour la plupart ; ils ne seront pas appliqués : car, qui voudra consentir à supprimer le militarisme et à réduire le fonctionnarisme à son minimum d'utilité ou de nécessité ?

C'est ici la place d'affirmer qu'il y a trois sortes d'économie.

La première est l'économie domestique, qui s'applique à l'ordre et à la régularité de la tenue du ménage, d'où la prodigalité doit être exclue, et où l'on doit visera l'épargne.

La deuxième est locale, c'est-à-dire, communale, ou départementale ou nationale : il y a là des intérêts communs, ceux des contribuables, qui doivent être administrés honnêtement.

La troisième coneerne les intérêts du globe lui-même et


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44 AMÉDÉE SIMONIN.

ceux de tous les habitants de notre planète ; c'est pourquoi elle est appelée Économie sociale. Elle ne peut rien avoir de politique. Elle ne connaît ni barrières ni frontières. Elle doit veiller à l'édilité de toute la surface de la terre, tuer les maladies épidémiques dans leurs germes ou les arrêter dans leur marche, etc., etc •

L'immense malentendu a été d'abord de confondre ces trois fonctions ou catégories sociales, et ensuite de ne pas comprendre que la question de population ne peut concerner directement que la statistique et la philosophie.

Tout cela sera traité à fond dans l'ouvrage que nous sommes en train de rédiger.

V.

La population entière est malade.

Toutes les forces sociales d'autrefois sont ou transformées, ou viciées ou épuisées. Les rouages qui constituaient le mécanisme de la société fonctionnent mal ou ont cessé de fonctionner ; tout crie, tout grince, tout craque. Toutes les croyances morales et religieuses du passé sont disparues ; leur évanouissement a laissé dans les âmes un vide sans lumière. Ce vide rend les mécréants inquiets,leur procure un malaise indéfinissable et leur cause un tourment intime qui les fait se fuir euxmêmes ; ils deviennent ce que l'on appelle maintenant des agités ; ils éprouvent le vague saisissement d'horreur que doit créer un séjour dans l'antichambre du néant. Tout cela explique le nombre croissant de gens qui ont perdu la faculté de.penser, avec les notions de tous les devoirs, et qui ont besoin de perpétuelles distractions objectives. On ne reconnaît plus que la déesse Matière; on adore le veau d'or et on rend un culte ferventà l'enchanteresse Circô. Tous les pouvoirs publics sont les complices de cette lamentable décadence de notre société. Les hommes du jour ont peur de leur ombre, peur de leur progéniture, peur de se reproduire. La virilité de nos ancêtres tendrait-elle à disparaître ? Ne serions-nous plus que


LA DÉPOPULATION DE LA FRANCE. 45

leurs bâtards ou leur caricature ?En présence des faits actuels toutes les suppositions, môme les plus ridicules, sont permises. Et ce qu'il y a de plus menaçant pour la sécurité de notre race et de notre patrie, c'est que les exemples de corruption viennent d'en haut,viennent des classes dirigeantes : quo usque tandem

VI.

11 est indispensable, absolument, de voir les choses comme elles sont.

Nos législateurs descendraient-ils des Mentor et des Sol on— et ce n'est pas le cas — que par de sages lois ils seraient dans l'impossibilité de guérir le mal qui menace l'existence même de notre race et l'avenir de la France. Que l'on emploie, par le moyen législatif, les remèdes indiqués par le Dr Lagneau, j'applaudirai des deux mains. Mais si un remède efficace peut se trouver, ce n'est pas dans lasagesse des politiciens du PalaisBourbon.

11 y a un demi-siècle, environ, que j'ai senti et compris qu'un remède que Ton ne cherchait pas, auquel nul ne pensait, était le seul capable d'agir efficacement sur les âmes : il consiste à éclairer la lanterne humaine, c'est-à-dire l'esprit et le cerveau de l'homme.

On a ignoré jusqu'à ce jour et les vraies facultés de l'âme, et les vraies fonctions des pièces internes du cerveau, et les corrélations qui existent entre les fonctions des facultés mentales et celles des pièces de l'encéphale. Or, la découverte de toutes ces choses est un fait accompli : il ne s'agit plus que d'opérer la diffusion des lois delà science psychique.

Quand ces lois auront été enseignées pendant deux ou trois générations ; que l'homme se connaîtra enfin lui-môme ;que l'on saura que le mètre moral (expression de M. Thiers) existe qui permette do mesurer la valeur morale et intellectuelle de chaque individu ; quand toutes ces choses auront été répandues dans le domaine public,il naîtra dans les âmes cette con-t viction, savoir : que l'homme a un centuple intérêt, à tous


46 D. MARCKRON.

les points de vue — voire à celui des jouissances matérielles si chères au troupeau d'Epicure—à rester honnête quand même. Alors les lois de la population suivront leur cours naturel, et il n'y aura plus ni avortementni infanticide. Alors le temple de Janus se fermera pour toujours. Alors les gonds des portes des prisons tomberont d'elles-mêmes pour n'être jamais remplacées.

DE L'INTRODUCTION DE L'IMPRIMERIE

CHEZ LES DIFFÉRENTS PEUPLES, Par ». MAttCEItOV.

AVANT-PROPOS. D'après les théories les plus récentes, l'Ethnographie ayant pour but d'étudier l'évolution intellectuelle et morale des sociétés humaines, la recherche des caractères de civilisation doit servir de base au classement des différents groupes humains. Suivant un système de classification proposé par M- Léon de Rosny et accepté par la plupart des membres du Congrès International des Sciences ethnographiques, (Paris 1889), il y a d'abord lieu d'établir trois grandes divisions comprenant: i° les sociétés sauvages, 2° les sociétés barbares, 3° les sociétés instruites ou civilisées. M. de Rosny a proposé de considérer la possession de l'écriture comme le caractère le meilleur pour distinguer les sociétés civilisées des sociétés barbares. Il propose ensuite, d'admettre plusieurs subdivisions dans la classe des sociétés civilisées. Le fait de posséder l'art de l'Imprimerie et de le mettre en pratique effective constitue une de ces subdivisions. C'est certainement beaucoup pour un peuple de savoir écrire et lire, mais il est bien évident que sa civilisation gagne considérablement en importance, lorsqu'il peut, au moyen de l'imprimerie, répandre aisément ses idées et leur donner en quelque sorte, un caractère universel. , En raison de ce principe appliq ué à la classification ethnograj


DE L'INTRODUCTION DE L'IMPRIMERIE. "47

phique, il est du plus grand intérêt desavoir à quelle époque et dans quelles circonstances l'imprimerie a été introduite dans une nation. 11 y aura ensuite lieu de rechercher quand et comment s'est établie la presse périodique et particulièrement la presse quotidienne qui joue un rôle considérable dans le développement intellectuel des peuples en vue de la classification projetée. C'est un aperçu de ce travail que je viens .offrir à la Société d'Ethnographie sans me dissimuler combien il renferme de lacunes regrettables.

J'aurai cru faire cependant une chose utile à la science en provoquant la recherche des données historiques de nature à combler ces lacunes qu'il ne m'aura pas été possible de combler.

Lamartine a écrit: t L'Imprimerie est le télescope de l'âme.» En effet, comme cet instrument qui rapproche de la vue et les corps célestes et les atomes de l'univers visible, de même l'imprimerie rapproche et met en communication soutenue, la pensée de l'homme livré à lui-môme avec toutes les pensées du monde invisible dans le passé, dans le présent et dans l'avenir. Si la vapeur et l'électricité ont supprimé les distances, on peut, ce nous semble,' dire, à aussi juste titre, que l'imprimerie a supprimé le temps, car, grâce à elle, nous sommes contemporains, aujourd'hui, d'Homère et de Cicéron, et les Homères et les Cicérons de l'avenir, des siècles futurs, converseront également avec nous. Il ne sort pas seulement de la presse, du papier, des caractères, des chiffres et des lettres tombant sous nos sens, mais il en sort encore les émanations pures et belles de la pensée, du sentiment, de la morale, de la religion, en un mot, une portion de l'âme humaine.

L'imprimerie est encore l'agent fidèle de la parole, et avant la parole donnée, trouvée ou inventée, il y avait encore de nombreux siècles à traverser pour l'humanité avant d'arriver à ce splendide phénomène : renfermer la pensée, immatérielle et invisible, dans des signes visibles et matériels. Ce phénomène, c'est l'écriture ; mais l'écriture, malgré la multitude de • .mains employées à la.produire, ne suffisait pas à l'extension,


V

4S ■ D. MARCERON".

à l'expansion de la pensée, aux progrès immenses et non interrompus de la civilisation, jusqu'aux confins du monde alors connu. Partout, c'était la main de l'homme qui était la seule machine de r&spjdt ; Rome, les grandes villes de la Grèce, étaient les grands fournisseurs des livres manuscrits mais toute leur activité ne pouvait suffire.

Dans les monastères, les moines, copistes volontaires, se consacraient à la multiplication de milliers sur milliers d'exemplaires de la Bible, de l'Évangile et des auteurs illustres de l'antiquité, à la renaissance des lettres. Néanmoins, ce mode de production de la parole écrite avait toujours deux immenses infériorités sur l'imprimerie ; il était lent et coûteux et comme nous l'avons déjà observé, il ne suffisait pas aux besoins d'une consommation indéfinie par les lecteurs. Ce qui faisait aussi que, par les prix élevés, le riche seul pouvait avoir une bibliothèque et le pauvre restait dans l'ignorance, l'obscurité d'esprit et sans développement intellectuel. La tête des peuples était dans la lumière, les pieds dans l'ombre.

Tel était,en 1400, l'état de la parole humaine. Une révolution de la mécanique prépara les innombrables révolutions de la pensée. Révolutions que la Providence se réservait d'accomplir dans l'humanité, par les mains d'un mécanicien obscur, et cet obscur artisan, Gutenberg, n'opéra pas ce prodige par hasard ou par cupidité, comme beaucoup d'autres inventeurs, mais avec la simple passion de la conscience pressentie sur ce qu'il voulait accomplir, et avec une sorte d'intuition, de prescience, de ce que l'avenir réservait a son invention pour la civilisation, le progrès moral et intellectuel des générations présentes et futures.

Cet homme de génie, de prescience, eut un rêve qui le troubla au plus profond de son âme et qui lui fit entrevoir les deux côtés de sa découverte ; l'un le génie du bien, fautre, le génie du mal..

« J'entendis deux voix, dît-il ; deux voix inconnues et d'un timbre différent qui me parlaient alternativement dans l'âme. L'une me dit'; Réjouis-toi, Jean, tu es immortel ! Désor-


DE L'INTRODUCTION DE L'IMPRIMERIE. 49

mais toute lumière se répandra par toi dans le monde ! Les peuples qui vivent à des milliers de lieues de toi, étrangers aux pensées de notre pays, liront et comprendront toutes les pensées aujourd'hui muettes, répandues et multipliées comme sous la réverbération du feu par toi, par ton oeuvre ! Réjouistoi, car tu es l'interprète qu'attendaient les nations pour converser entre elles ! Ta découverte va donner la vie perpétuelle aux génies qui seraient mort-nés sans toi, et qui tous, te proclameront à leur tour immortel parce que ton génie,ton labeur aura servi aussi à les immortaliser. »

L'autre voix lui dit : « Oui JeaD, tu est immortel ! Mais à quel prix ? Les pensées de tes semblables seront-elles aussi pures que les tiennes et assez saintes pour mériter d'être livrées aux oreilles et aux yeux du genre humain, et le plus grand nombre, peut-être, mériteraient mille fois plus d'être anéanties et étouffées que répétées et multipliées dans le monde. Des hommes naîtront dont l'esprit sera puissant et séducteur, mais dont le coeur est superbe et corrupteur, qui, sans toi, seraient restés dans l'ombre. Ils n'auraient porté malheur qu'à leurs proches et à leurs jours ; par toi, par ton génie, ils porteront vertige, malheur et crime à tous les hommes et à tous les âges. . «Vois ces milliers d'âmes corrompues de la corruption d'une seule ! Vois ces jeunes hommes pervertis par des livres qui distillent les poisons de l'esprit. "Vois ces jeunes filles devenues immodestes, infidèles et dures aux pauvres par la lecture de ces pages qui leur versent les poisons du coeur ! Ces mères pleurant leurs fils ! Ces pères rougissant de leurs filles !

« Jean, l'immortalité qui coûte tant de larmes, n'est-elle pas trop chèrement payée ? Envies-tu la gloire à ce prix ? N'es-tu .point épouvanté de la responsabilité que cette gloire fera passer sur ton âme? »

Cependant,malgré ses anxiétés, Gutenberg poursuivit l'exécution de sa découverte, embrassant, d'un seul coup d'oeil, l!immense portée morale et industrielle de cette découverte. L'historique .de ses .résultats n'est plus à faire. Nous voyons en effet l'imprimerie se répandre rapidement,â peu près, chez


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50 ACTES ET COMPTES-RENDUS SOMMAIRES.

toutes les nations et malgré tous les reproches qui peuvent lui être faits, les crimes même, que lui sont imputés, nous la verrons apportant aussi avec les fautes, le palliatif,le remède infiniment supérieur d'un travail moral et civilisateur, sans parler de sa participation aux travaux scientifiques, dominant les masses et les conduisant, malgré tout, vers le progrès moral et émancipateur qui doit être la base de toute société constituée. Pendant les quelques années de paix que lui laissèrent ses ennemis, Gutenberg imprima son « Mécène » à Nassau où l'Électeur lui avait donné asile ; il y mourut à l'âge de 69 ans, laissant au monde l'empire de l'esprit humain découvert et conquis par un artisan. (A suivre).

Actes et Comptes-Rendus sommaires

Séance du 29 février 1892. Présidence M. LÉON DE ROSNY.

Election de membres libres. — La Société procède à l'élection d'un membre libre résident et de deux membres libres non résidents. Le dépouillement du scrutin donne les résultats suivants :

Élus. — M. Emile Delaurier, à Paris, à la place de M. Ad. Franck, élu membre titulaire ; M. A. Bastian, à Berlin, à la place de M. Mich. Amari, décédé ; Mme la comtesse Ouvaroff, à Moscou, à la place de M. José Triana, décédé.

Ethnographie des Carancahuas. —M. Amédée JOURDAIN litune étude sur les Carancahuas d'après les documents recueillis par M. Albert S. Galschet.

Le Taoïsme. — Le secrétaire général dépose sur le bureau un exemplairedu nouvel ouvrage que vient de publier M. Léon de Rosny sur le Taoïsme et qui forme le tome XVII des publications de la Section Orientale de la Société d'Ethnographie.

José Triana. — M. Désiré PECTOR, consul de Nicaragua, à Paris, litune notice historique sur le docteur José Triana, consul général de Colombie,à Paris, et membre libre de la Société. d'Ethnographie.


SÉANCE DU 29 FÉVRIER 1892. 51

.L'Église anglicane. — M. Prêt fait une communication au sujet de la conférence sur l'église anglicane lue par M. Lawton dans une séance précédente.

M. PRÊT, fait observer qu'une des questions touchées par l'honorable conférencier,celle du disestablishment de l'Église anglicane, divise profondément les politiques anglais. C'est, d'une manière plus générale, la question de la liberté de conscience et de l'égalité religieuse, autrement dit de la séparation des Églises et de l'État. Il croit, avec le conférencier, que la séparation triomphera définitivement en Angleterre. Il croit, de plus, qu'elle finira par s'imposer tour à tour à toutes les nations civilisées.

M. Prêt voudrait résumer Thistoire des efforts faits, au sein de la grande race anglo-saxonne, pour arriver à la séparation, et indiquer très brièvement le mouvement législatif qui s'est produit sur ce point, en Angleterre, dans les dernières années.

Cette question de la séparation, les Américains du Nord l'ont résolue depuis longtemps dans le sens libéral, et la séparation des Églises et de l'État y est depuis longtemps un fait accompli. Aujourd'hui, il n'existe, dans aucun des États de l'Union américaine, un seul culte établi par la loi, et, chose qui ne manquera pas de paraître bizarre en Europe et tout particulièrement en France, il ne se trouverait pas un Américain pour demander qu'il en fût autrement. Les épiscopaliens môme sont de cet avis, et un évêque anglican de NewYork a écrit : « Je remercie Dieu pour mon pays de ce qu'il est impossible d'y instituer une religion d'Etat ».

Depuis longtemps des expériences législatives ont été tentées, sur tous les points de l'immense empire britannique, pour le désétablissement de l'Église : au Canada, en 1854 ; dans les colonies australiennes, à partir de 1849 ; puis, dans les possessions du sud de l'Afrique, à la Jamaïque et dans les îles des Indes occidentales. Et partout, à la Jamaïque comme au Canada, les évoques anglicans proclament la supériorité du régime de liberté sur celui du privilège.

Le premier pas fait dans cette voie en Angleterre l'a été par


52 ACTES ET COMPTES-RENDUS SOMMAIRES.

la loi du 26 juillet 1869 [Irish Church Act), qui porte, suivant l'expression consacrée, disestablishment de l'Église d'Irlande. Dans ce dernier pays, tous, évoques, pasteurs et fidèles, sont unanimes à proclamer les avantages de la séparation. En voici, entre bien d'autres, un témoignage, emprunté à un article de la Gasette ecclésiastique irlandaise(Irish ecclesiastical Gazette) du 10 décembre 1881 : « L'Église d'Irlande a réalisé dans ces dix dernières années plus de progrès que durant plusieurs siècles avant la séparation : des cathédrales ont été élevées ou restaurées ; des églises ont été bâties, rebâties ou décorées ; des presbytères ont été érigés sur tous les points de la contrée ».

Le mouvement pour la séparation n'a pas cessé en Angleterre depuis une vingtaine d'années. Une association a été fondée dans ce but sous le titre de Société pour soustraire la religion au patronage et au contrôle de l'État [Society for ihe libération of religion from State patronage and control.

On a demandé successivement le désétablissemenl de l'Eglise pour l'Ecosse, où l'Église établie est l'Église presbytérienne, pour le Pays de Galles, et Ton a même commencé à attaquer Y establishment de l'Église anglicane en Angleterre, en proposant la suppression du patronage ecclésiastique.

M. Prêt résume ensuite le mouvement législatif de ces dernières années, en Angleterre, sur la séparation de l'Église et de l'État.

L'Ecclesiasticalassessment bill (modifications à l'assiette de l'impôt en Ecosse), présenté par M. Campbell, a été rejeté en 2e lecture, pendant la session de 1884. Mais plusieurs orateurs qui ont combattu le projet ont déclaré que ce qu'ils réclamaient, ce n'était pas une insignifiante réforme de l'impôt, mais sa suppression et le désétablissement de l'Église d'Ecosse.

La question de la séparation de l'Église et de l'État fut une de celles qui furent principalement agitées en Angleterre, lors des élections générales de 1885. Le pays, ayant envoyé à la Chambre un grand nombre de disestablishers, la session législative qui suivit vit éclore différents projetssurlaséparation.


SÉANCE DU, 29 FÉVRIER 1892. 53

En 1886, le rejet, en 2° lecture, du Church o/Scotland MU fut aussi dû en partie aux voix des membres qui, partisans du désétablissement de l'Église, ne voulaient pas d'Église d'État.

Cette même année (30 mars), le Dr Cameron ayant proposé une motion en faveur du désétablissement de l'Église d'Ecosse, un membre proposa un amendement demandant qu'il fût sursis à l'examen de la question jusqu'à ce qu'on se fût assuré du sentiment des populations d'Ecosse. Motion et amendement furent rejetés à une grande majorité (237 voix contre 125). Mais, en 1888 (22 juin), une motion du môme Dr Cameron ne fut plus rejetée par la Chambre des Communes que par 260 voix contre 208. Une autre motion, qui tendait indirectement au même but (on demandait que les impôts levés en Ecosse fussent employés à encourager l'éducation secondaire) était rejetée par 148 voix contre 111. La Chambre adopta un amendement annonçant qu'elle se refusait à accueillir un amendement tendant à séculariser ainsi l'emploi des impôts.

Si, de l'Ecosse nous venons à l'Angleterre, nous voyons que, le 9 mars 1886, M. Dillwyn a proposé une motion en faveur du désétablissement de l'Église anglicane dans le Pays de Galles, où la grande majorité des habitants est non-conformiste. L'auteur de la motion faisait observe^ avec grande raison, qu'il est souverainement injuste de maintenir une Église d'État pour une infime minorité. Il faut dire, en effet, que, sur 1,574,000 habitants, chiffre de la population du Pays de Galles, en 1881, on estimait à 1.110.000 le nombre des nonconformistes, de sorte que les membres de l'Église établie ne représentaient qu'un septième de la population galloise. C'est pour une telle minorité que l'on entretient une Église qui Coûte paraît-il, de 270 à 280.000 livres sterling (G.750.000 à 7 millions) par an. Un membre de la Chambre, M. Grey, présenta un amendement tendant au maintien de l'Église établie^ mais avec l'introduction de certaines réformes. Le chancelier de l'Échiquier s'est refusé à séparer le sort de l'Église établie dans le Pays de Galles du sort de l'Église en Angleterre, et, quant au désétablissement, ainsi envisagé d'une manière gêné-


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54 ACTES ET COMPTES-RENDUS SOMMAIRES.

raie, il a déclaré que le gouvernement ne pouvait y songer, en présence du manifeste de M. Gladstone lors des dernières élections. Malgré l'opposition du gouvernement et des conservateurs réunis, la motion Dillwyn n'a été rejetée qu'à la très faible majorité de 12 voix (241 contre 229). Mais une nouvelle motion, également présentée par M. Dillwyn,et tendant comme la précédente, au désétablissement, dans le Pays de Galles, de l'Eglise établie, a été rejetée par la Chambre, en 1889 (séance du 14 mai), par 284 voix contre 231.

Enfin, le 20 février dernier, M. Pritchard-Morgan a proposé, à la Chambre des Communes, le désétablissement de l'Eglise dans le Pays de Galles. Comme M. Dillwyn, il a soutenu, à l'appui de sa thèse, que les adhérents de l'Église établie y formaient une infime minorité. A l'heure actuelle, dans les North-Wales, l'Église établie compterait 87.438 fidèles contre 317.078 non-conformistes ; dans les South-Wales, 89.017 contre 468.931. Il y aurait des paroisses comprenant huit, sept, ou même deux personnes ; dans une certaine paroisse, il n'y en aurait mèmequ'une seule.Dans la paroisse de Saint-Asaph, c'est l'un des exemples qui a été cité, un clergymann jouit d'un revenu de 750 liv. sterl. (18.750 francs) pour desservir 750 paroissiens. Dans un grand discours, M. Gladstone a retracé l'histoire de l'Église établie dans la principauté ; il a constaté que, toute vivante et active que soit cette Église, le sentiment général lui est opposé. Il y aurait donc lieu, d'après lui, de la traiter comme l'a été l'Église d'Irlande. M. Raikes, au nom du gouvernement, a combattu le bill, qui a été finalement repoussé par 235 voix contre 203.

Tels sont les renseignements que M. Prêt peut fournir à la Société sur le mouvement en faveur du désélablissement de l'Église dans la Grande-Bretagne. Tout fait prévoir, selon lui, que ce résultat ne tardera pas à y être atteint. La séparation de l'Église et de l'État se fera plus tôt en Angleterre qu'en France ; mais, là aussi, malgré toutes les oppositions, elle finira bientôt, sans doute, par se faire.

M. Prêt se proposait aussi de demander à M. Lawton ce qui


CHRONIQUE BU PERSONNEL. 55

lui fait croire à la perpétuité du sentiment religieux dans l'humanité ; et, s'il croit, d'autre part, à l'universalité de ce sentiment. Mais il ne voudrait pas éterniser la discussion, d'autant plus que, si ses souvenirs sont fidèles, la question a déjà été plusieurs fois sérieusement débattue, par des voix autorisées, au sein de la Société d'Ethnographie.

Fréd. LAWTON, Secrétaire général.

Chronique du personnel

NOTICES BIOGRAPHIQUES

ELIAS LOENNROTT

Ce célèbre philologue finlandais, que la Société d'Ethnographie a eu l'honneur de compter parmi ses membres, naquit le 9 avril 1802 dans le village de Sammati (partie occidentale du gouvernement de Nylande, district d'Helsingfors). Son père, qui était tailleur d'habits dans ce village, malgré sa modeste position, le fit admettre dans une école secondaire; mais ne pouvant, faute de moyens, lui faire poursuivre ses études, le jeune homme fut réduit, en 1820, à entrer dans une pharmacie. Malgré cette pénible situation, il n'en continua pas moins ses éludes, et avec tant de volonté et de courage que vers l'automne de 1822, il fut reçu et entra comme élève à l'Université d'Abo où 5 années après il remporta les grades de maître-èsarts, de candidat et de docteur en médecine. Il reçut ce dernier titre à Helsingfors où l'Université venait d'être transférée par suite de l'incendie des bâtiments de celle d'Abo. En 1832, il fut nommé médecin du district de Kajana, petite ville de la partie septentrionale de la Finlande, non loin de la frontière russe. Une grande partie de sa vie fut consacrée à parcourir la Finlande dans le but de recueillir des paysans les anciens chants finnois et de concourir à la restauration de l'idiome national. Ce fut en 1828 que Loennrott commença à parcourir les diverses localités du Grand-Duché. Au bout de huit ans de recherches incessantes dans les villages abandonnés de la Karélie, Loennrott se trouva en état de constituer, au moins dans ses trente principaux et les plus saillants, son premier ouvrage, la grande épopée du Kalevala,dont la première édition fut imprimée à Helsingfors (1835), sous les auspices de la Société de Littérature Finnoise, dont la fondation datait de 1832. (Helsingfors 1835, 2" édition 1849; traduit en français par M. Léouzon Leduc, Paris, 1845, 2 vol. in-8°). Cette publication fut bientôt suivie de celles des chants lyriques intitulés :


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ELIAS LOENNROTT.

Kantélêtar, c'est-à-dire: « La fille du Kantelé ou Harpe nationale ». Helsingfors, 1841, 3 v.) ne contenant pas moins de 652 légendes ou ballades fort anciennes. (Traduction allemande, Helsingfors, 1852.) Le Kalevala est une collection de 32 pièces qui forment une sorte d'épopée fabuleuse sur l'Orphée finnois Waïnamoïnen, le dieu de la Poésie et sur ses aventures avec le forgeron Ilmarinen. Après ces deux ouvrages, Loennrott publia un recueil ûeproverbes finnois (Suomen-Kansan Sanalaskuja, 1842) au nombre de 7000 et une collection d'énigmes

d'énigmes dans la Finlande et l'Esthonie (Suomen-Kansan arvoituksia, 1844; 2° édition 1852). Plus tard, en 1880, Loennrott fit sortir une collection de chants magiques. On a encore de lui un Dictionnaire, un Manuel de la Conversation suédois-finnois-allemand (Helsingfors, 1847), et un ouvrage sur la langue desTchoudes septentrionaux (Helsingfors, 1853). Il a rédigé le Mehélinen, journal populaire mensuel, de 183G à 1840 et a donné des mémoires au recueil de l'Académie des Sciences de Finlande dont il fut président en 1854. Lorsque la mort le frappa, le 19 mars L884, à l'âge de 82 ans, dans sa ville natale, il était président honoraire de la Société de Littérature Finnoise. D. MARCERON.

Clermont (Oise). — Imprimerie DAIX frères.

ELIAS LOENNROTT