84 LA FONTAINE.
Le bon poète ! comme on sent qu'il aurait voulu rendre riches les honnêtes gens malheureux, et donner des cognées d'or à tout le monde !
Mais quoi! La nature est ainsi faite que les forts y régnent en maîtres, que les gros y prennent la nourriture des petits et les mangent souvent eux-mêmes. Cette pensée préoccupe incessamment l'esprit de notre fabuliste. Il y revient toujours, et quand il l'exprime, c'est toujours avec un ton d'amertume qui est bien sensible et frappant chez un homme si gai de son naturel, et qui semblait si insouciant. Ecoutez comme il nous montre le pauvre agneau victime du loup, qui personnifie cette détestable raison du plus fort.
LE LOUP ET L'AGNEAU.
La raison du plus fort est toujours la meilleure (1) : Nous l'allons montrer tout à l'heure. Un agneau se désaltérait Dans le courant d'une onde pure.
Un loup survient, à jeun, qui cherchait aventure, Et que la faim en ces lieux attirait.
" Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ? Dit cet animal plein de rage.
Tu seras châtié de ta témérité.
— Sire, répond l'agneau, que Votre Majesté
(1) Ce qui signifie que trop souvent la force remporte sur la raison et qu'elle prime le droit.