CE QU'EST LA FABLE. 57
Des raisins, mûrs apparemment (1), Et couverts d'une peau vermeille.
Le galant en eût fait volontiers un repas ;
Mais comme il n'y pouvait atteindre :
" Ils sont trop verts, dit-il, et bons pour des goujats (2). "
Fit-il pas mieux que de se plaindre ?
Eh bien! voilà une fable. La fable consiste à peindre les travers des hommes sous la figure des animaux qui leur ressemblent, et c'est précisément ce qu'a fait La Fontaine. Grands et petits, forts et faibles, sots et hommes d'esprit, il nous a déguisés en bêtes, si adroitement et avec une telle perfection, qu'on ne peut pas, en le lisant, voir la bête sans songer à l'homme et qu'on les voit tous deux ensemble, comme mêlés, l'avocat avec un nez de renard, le lion avec un manteau de roi.
En prenant les choses ainsi, vous voyez ce qu'un homme comme La Fontaine a devant lui pour en faire des fables. Il a le monde tout entier, rien de moins ; le monde tout entier, c'est-à-dire la société humaine, avec ses bons, ses méchants, ses simples, ses fourbes, ses orgueilleux, ses timides, ses trompeurs, ses trompés, et.le reste, tous gens qu'il nous représente sous les traits
(1) Mûrs apparemment, mûrs en apparence.
(2) Goujats : gens de rien.
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