190 LA FONTAINE.
J'attrape le bout de l'année ; Chaque jour amène son pain.
— Eh bien ! que gagnez-vous, dites-moi, par journée ?
— Tantôt plus, tantôt moins : le mal est que toujours (Et sans cela nos gains seraient assez honnêtes),
Le mal est que dans l'an s'entremêlent des jours
Qu'il faut chômer ; on nous ruine en fêtes : L'une fait tort à l'autre ; et monsieur le curé De quelque nouveau saint charge toujours son prône " Le financier, riant de sa naïveté,
Lui dit : « Je vous veux mettre aujourd'hui sur le trône. Prenez ces cent écus ; gardez-les avec soin,
Pour vous en servir au besoin. » Le savetier crut voir tout l'argent que la terre
Avait, depuis plus de cent ans,
Produit pour l'usage des gens. Il retourne chez lui : dans sa cave il enserre
L'argent, et sa joie à la fois.
Plus de chant : il perdit la voix Du moment qu'il gagna ce qui cause nos peines.
Le sommeil quitta son logis :
Il eut pour hôtes les soucis,
Les soupçons, les alarmes vaines. Tout le jour, il avait l'oeil au guet ; et la nuit,
Si quelque chat faisait du bruit, Le chat prenait l'argent. A la fin le pauvre homme S'en courut chez celui qu'il ne réveillait plus : « Rendez-moi, lui dit-il, mes chansons et mon somme,
Et reprenez vos cent écus. "