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Titre : Limoges illustré : publication bi-mensuelle : artistique, scientifique et littéraire ["puis" annales limousines, revue artistique...]

Éditeur : [s.n.] (Limoges)

Date d'édition : 1907-02-01

Contributeur : Charbonnier, Pierre (Dr). Éditeur scientifique

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32808004b

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb32808004b/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Format : Nombre total de vues : 9226

Description : 01 février 1907

Description : 1907/02/01.

Description : Collection numérique : Fonds régional : Limousin

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k54285459

Source : Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, FOL-Z-878

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 06/12/2010

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LIMOGES ILLUSTRE

PUBLICATION BI-MENSUELLE

Directeur : Docteur Pierre CHARBONNIER (M)

SOMMAIRE du 1er février 1907

Quinzaine Limousine : E. LEMOVIKE. — M. Eyquem, procureur de la République à Limoges : Dr Pierre CHARBONNIER. — Où se trouve

le bonheur E. V Au hasard des faits et des jours. Rollinat et les bêtes : PRISAT-BEUJON. — Epitapho sur un toumbeu : PIERE DO

FAURE — Le futur pont Saint-Etienne : A. JUDICIS. — Feuille de chou. Les décorés : MARCUS. — Le deboueradour : Jean REBIER. — Sans culottes et barbichets. Ce que disent les vieux papiers : Edouard MICHAUD. — Avez-vous des diplômes ? (suite et fin) : E. DE RAVERLAS. — Chronique théâtrale : STRAPONTIN. — Bibliographie : LIMOGEOIS.

Illustrations. — M. Eyquem, procureur de la République à Limoges. — Le monument de Rollinat. — Le futur pont Saint-Etienne. — M. Decreus, 1er ténor d'opérette. — M. Edouard Bernard, 1re basse chantante.

Quinzaine Limousine

L'Amicale des employés en liquidés, de fondation toute récente, donnait samedi, 26 janvier, sa première fête, qui fut des plus réussies.

Notre excellent ami, M..Bur, y'interpréta avec le talent délicat qu'apprécient ses auditeurs la Chanson du Barbichet, du poète exquis qu'est notre collaborateur et ami Jean Rebier. M. Momot, violoncelliste de talent, Mme Laclôtre, dans Fleur de blé noir, de Botrel, le monologuiste limousin Paul et le comique Albert Léo eurent chacun une abondante moisson de bravos.

M. Georges Gérald, notre compatriote, député de Barbezieux, a publié dans la Revue politique et parlementaire du 10 janvier une remarquable élude : Notre commerce d'exportation.

Le statuaire limousin Henri Coutheillas, vice-président du Cercle d'études limousines, et M. Daumal, de l'Institut, président du Cercle des maçons et tailleurs de pierre, ont été nommés membres du Comité des Quatre-vingt-dix, l'un pour la sculpture et l'autre pour l'architecture.

M. Louis Boucheron, notre compatriote, a été nommé directeur de l'Ecole nationale des arts décoratifs d'Aubusson. M. Boucheron était déjà professeur à l'Ecole.

M. d'Arsonval vient d'acquérir encore un titre à la reconnaissance de ses. concitoyens par la découverte de la guérison désormais certaine d'un mal jusqu'ici réputé incurable, l'artériosclérose.

M. Théophile Sourilas, organiste de talent, compositeur de musique, l'auteur très apprécié de la musique du Barbichet, de Jean Rebier, et de tant d'autres inspirations musicales, est décédé à Paris, en son domicile, le 18 janvier. Nous exprimons à la famille du regretté maître nos vives condoléances.

M. Reilhac, professeur en retraite du Lycée de Limoges, vient d'être nommé professeur honoraire.

L'Union chorale de Limoges, le 18 janvier, a procédé au renouvellement de son bureau, ainsi composé pour 1907 :

Présidents d'honneur : MM. d'Abzac et Hersant: vice-président : M. Fargeas; directeur : M. Sarre; secrétaire : M. Lachaud; trésorier : M. E. Mathieu; commissaires : MM. Fagois, Virverlange, Malinvaud aîné, Fournier.

M. Anfos-Martin, inspecteur à Rochechouart, est en même temps qu'un pédagogue distingué un chercheur et érudit passionné des choses de l'archéologie et de l'histoire. Il a, ces jours

derniers, en une intéressante conférence, au siège de l'Université populaire du faubourg de Paris, traité de « l'Homme avant l'histoire ».

Le banquet annuel du Tourtou, association amicale des Corréziens habitant Limoges, avait lieu le 20 janvier à l'hôtel Vialle. Il fut des mieux servis et empreint de la plus franche cordialité. M. Rougier présidait, assisté de MM. Carrey et Coq, viceprésidents; Devillegoureix, conseiller municipal; Saint-Priest, Renaudie, Vialle, etc. Au dessert, M. Rougier présenta les excuses de M. Fage, président d'honneur, retenu à Paris, et des membres absents, puis il porta un toast spirituel à l'Association, à ses membres et à la presse.

Un concert, au cours duquel fut applaudi M. Alfred Sarre, termina la soirée.

Le bureau de l'Association corrézienne est ainsi constitué pour 1907 : président, M. Rougier; vice-présidents, MM. Carrey, Coq et Devillegoureix; trésorier, M. Plas; secrétaire général, M. SaintPriest; secrétaire adjoint, M. Chambernaud.

La propagation de l'Esperanto suit sa marche progressive. Le Groupe espérantiste limousin, déjà important par le nombre de ses membres, s'affirme aussi par les connaissances acquises en peu de temps grâce au zèle intelligent de quelques-uns de nos compatriotes.

Vendredi, 8 février, M. Ch. Duris, le distingué directeur de l'Institution Turgot, traitera avec la compétence d'un apôtre doublé d'un praticien l'attrayante question de la langue universelle en une conférence que présidera M. Eyquem, procureur de la République.

Nous devons à la gracieuse obligeance d'un ami de Limoges Illustré, M. Queuille, pharmacien à Niort, la communication d'un travail remarquable sur l'Espéranto.

A la distribution annuelle des récompenses décernées par l'Institut sténographique de France, les membres de l'Association sténographique du Limousin ont été particulièrement distingués. Citons MM. Troubat et Grosbras, médailles d'argent; Meyrat, médaille de bronze, et Fougères, lettre de félicitations.

Un de nos lecteurs nous envoie un article sur la découverte d'Yves Delage, concernant la fécondation artificielle. Des oeufs d'oursins fécondés, par procédés chimiques et l'emploi de substances minérales.

A l'Académie des Sciences, M. d'Arsonval résume un travail de M. Leduc, de Nantes, un nouvel exemple de cellules artificielles. M. Leduc a vu croître une sorte de plante affectant un caractère de constance. Comme les végétaux, ces plantes obte-


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nues sont sensibles aux anesthésiques ainsi qu'à certains poisons. En un mot, il a montré la possibilité des lois mécano-chimiques, de développement des formes organiques primordiales. -

M. Jules Claretie, à propos de l'exhumation par un comité international de la ville d'Herculanum, parle avec enthousiasme de l'oeuvre de Ferrero, qui voit en effet l'antiquité comme une histoire contemporaine, la vie contemporaine. Il reconnaît chez les Romains sous d'autres noms que ceux que nous prêtons aux formes sociales et politiques, les mêmes réalités qu'à l'heure présente.

Les agriculteurs du Limousin, sous l'instigation de M. Teisserenc de Bort, dit M. Rey, dans le Journal d'agriculture, ont amendé leur sol par l'importation de chaux et de phosphate quand ils ont voulu améliorer leur race de bétail.

M. d'Arsonval a présenté à l'Académie des Sciences une note de M. le Dr Lucien Penières, d'Ussel, professeur à la Faculté de médecine de Toulouse, sur l'action physiologique de la résine de l'euphorbe.

M. Léopold Mabilleau. président de la Fédération nationale de la Mutualité française, président des Républicains du Poitou et de la Charente, président de la France des DeuxSèvres est nommé président de la Fédération Nationale des Provinces; nos compatriotes de Beaurepaire, Froment, Charles Brun, ont pris une part active à la formation de ce groupement.

Notre collaborateur, M. le Dr Marquet, vient de se démettre de ses fonctions de maire de Rochechouart.

On annonce la mort de M. Georges de Luze, frère du sympathique consul d'Angleterre à Limoges, à qui nous adressons, ainsi qu'à sa famille, nos condoléances.

' Nous adressons à Mme et M. Grenat, à Mme et M. Breilloux, notre ami et collaborateur, le sympathique maire de Surdoux, nos compliments les meilleurs et nos bons souhaits à l'occasion de la naissance de leur fille et petite-fille Odette.

M. Baritaud, avocat, a été nommé juge suppléant, près le tribunal civil de Limoges et installé dans ces fonctions le 17 janvier.

Le groupe de dames mandolinistes, créé par Mme Lacoste sous le vocable de l'Aubépine, a renouvelé sa commission avec Mme Lacoste, fondatrice, président honoraire.

Une délégation de la Chambre de Commerce de la HauteVienne, accompagnée de M. le Préfet et des sénateurs et députés du département, a fait le 23 janvier, une démarche auprès des ministres des Travaux publics et du Commerce, pour protester à juste titre contre le non renouvellement du président de notre Chambre comme membre du Comité consultatif des chemins de fer.

Mercredi, 23 janvier, avait lieu l'installation du Tribunal de Commerce de Limoges. M. Guyonnaud, le sympatique président, dans un spirituel discours, constata la blâmable indifférence de trop nombreux électeurs consulaires.

Parmi les distinctions honorifiques récemment accordées à un certain nombre de nos compatriotes, nous relevons les noms du savant professeur au Collège de France, M. d'Arsonval, membre de l'Académie des sciences et de l'Académie de médecine, promu commandeur de la Légion d'honneur; M. le docteur Jacquet, M. du Chaylard, préfet du Morbihan, nommés chevaliers.

M. Gustave Bord, à qui le tsar vient de décerner la croix de Saint-Stanislas.

MM. Barthélemy Mayéras, sténographe du Sénat, Eyquem, procureur de la République et Drimon, inspecteur de l'assistance publique à Limoges, officiers de l'Instruction publique.

Mme de Luze (dite Jean de Verval, femme de lettres à Lermont (Gironde), Mme Demassias, professeur de musique à Limoges, M. Maximilien Faure, le collaborateur désintéressé de toutes les oeuvres de bienfaisance, nommés officiers d'Académie.

L'Exposition internationale organisée à Paris et à Chelles par l'Académie du. Progrès, a été couronnée de succès.

La distribution des récompenses était présidée par un ami de la France, le cheick égyptien Abou-Naddara, assisté des délégués du ministère et de M. Doucet de Clermont, commissaire général.

Sur le palmarès, nous relevons :

M.Emile Fusade, notre collaborateur, publiciste à Limoges, à' qui est décernée une médaille d'argent, pour son traité de géographie générale à l'usage des aveugles.

M. Eugène Berger, industriel, inventeur, à Bersac (HauteVienne), délégué régional, un grand diplôme de mérite pour son dévouement à l'oeuvre et son utile collaboration. M. Delotte,.industriel à Limoges, un diplôme et médaille d'or pour ses inventions industrielles et son allume-feu Lucifer.

M. Eugène Mismes, usine des Barils, à Bessines (Haute-Vienne), diplôme de médaille d'argent, pour ses laines cardées et filées et son installation d'usine.

M. Firmin Lefort, fabricant de savons à Folles (Haute-Vienne), diplôme de médaille de bronze, pour ses savons blancs en barres,

Mlle Joséphine-Angèle Planet, à Limoges, diplôme de médaille de bronze., pour ses broderies à la main.

En février prochain, l'Académie du Progrès organisera son exposition internationale à Bruxelles (Belgique).

M. Eugène Berger, industriel, délégué régional; à Bersac (HauteVienne), reçoit dès à présent les adhésions pour la région et répond aux demandes de renseignements.

M. le Dr Turquet, notre compatriote', publie deux chapitres intéressants dans le Français au Pôle Sud.

Le Limousin de Paris a, dans son numéro du 6 janvier, consacré une notice à l'idiome marchois considérée dans ses origines celtiques.

Nombreuses revues s'occupent de la question de la pelade, La doctrine trophonévrotique qui est l'oeuvre de notre savant compatriote, le Dr Jacquet, n'est que le résultat logique d'un effort persévérant et coordonné et fait déclasser la pelade des maladies contagieuses.

Au Palais des Papes, à Avignon, longtemps aménagé en caserne et récemment cédé par l'administration de la guerre à la ville, d'importants travaux de restauration ont été entrepris sous l'intelligente direction du maire, M.Guigou.

La remise en état d'une salle ayant servi de chambre à coucher' au pape limousin, Clément VI, a amené la mise au jour de peintures anciennes recouvertes de plusieurs couches de badigeon et représentant des scènes de la vie. champêtre. Les décorations de la chapelle Saint-Martial qui avaient été en partie respectées, notamment les fresques représentant des scènes de là vie de saint Martial, apôtre d'Aquitaine, évêque de Limoges, font l'objet de recherches et d'études. On ne sait à quel artiste les attribuer.

Il faut lire au sujet de ces fresques l'article que leur a consacré M. René Fage, dans le Bibliophile limousin de janvier 1906.

Le Bulletin de la Société préhistorique de France a publié une intéressante relation de M. Ph. Lalande, de Brive, vice-président de la Société archéologique de la Corrèze, sur les puits funéraires de Saint-Jean-Ligoure.

La Renaissance Provinciale, a résolu de réunir les fervents de la terre natale en un dîner mensuel, le dîner du Terroir, qui sera consacré à chaque province à tour de rôle. Le premier dîner' a eu lieu lé samedi 19 janvier, à la Brasserie Dumesnil, 73, boulevard Montparnasse, sous la présidence de M. André Theuriet, de l'Académie française.

E. LEMOVlKE.


LIMOGES-ILLUSTRE 2353.

M;Eyquem

Mon grand-père paternel, dans sa robuste et naïve simplicité, tenait toujours un langage sentencieux. Il avait à l'endroit d'un procureur une conception étrange et que partage encore un public restreint de nos campagnes. Je l'entends nous dire :

Un trezor n'ei re di n'e ta Sei lou trobai, l'honeteta, , Vau mier muri que s'en a jaire Entre la ma d'un percuraire (1)..

M. EYQUEM, Procureur de la République à Limoges

Comme si un procureur chargé de poursuivre les.infractions aux lois n'avait pour mission que d'avoir commerce Avec les coupables qu'il a pour fonction de punir. Son rôle est autrement élevé. Confident des misères humaines, il est le défenseur des humbles et le conseiller désintéressé de justes et de nobles causes. Ce qui, bien entendu, ne l'empêche pas d'être un homme du monde, très souvent doublé d'un savant.

Limoges-Illustré a signalé récemment la découverte faite par M. Eyquem, procureur de la République à Limoges. Incessamment un de nos collaborateurs exposera dïdactiquement la nouvelle méthode d'écriture pour la musique, dont un solfège va paraître prochainement chez André, imprimeuréditeur à Alençon (Orne). Aussi, nous a-t-il paru intéressant de présenter à nos lecteurs, sur le sympathique inventeur, une courte notice biographique.-

issu d'une vieille famille républicaine, dont les tendances s'étaient fait remarquer dès 1793, M. Eyquem (Daniel-PierreFrançois) est né à Bordeaux le 11 mars 1852. Après avoir brillamment terminé ses études classiques par l'obtention des baccalauréats ès-sciences et ès-lettres, il se consacre à l'élude de la jurisprudence; et conquiert le titre de docteur

docteur droit. Avocat stagiaire au barreau de Bordeaux, il est élu par ses collègues, qui voient en lui un sujet d'avenir, secrétaire de la conférence, distinction très enviée et fort honorable. C'est à ce titre que M. Eyquem prononce le panégyrique éloquent de M. Edouard Faye, célèbre avocat du barreau de Bordeaux.

Il plaidait depuis six ans, lorsque, le Gouvernement l'appelle, en 1880, dans la magistrature. Substitut à Périgueux, le nouveau magistrat parcourt une carrière brillante et rapide, et il occupe tour à tour avec distinction les fonctions de procureur à Nontron, substitut a Bordeaux, procureur à Angoulême et avocat général à Agen. Dans. ces divers postes, il a notamment l'occasion de prononcer deux discours de rentrée fort remarquables : l'un sur le Vagabondage et, la, mendicité, et l'autre sur la Liberté de la pressé. Ce dernier nous intéresse plus particulièrement. Nombre de nos représentants à la Chambre et au.Sénat s'en émeuvent. C'est une élude vraie et une critique logique de la soi disante loi sur la liberté de la presse II montre surabondamment que cette mesure législative crée tout simplement un favoritisme. Elle permet un chantage éhonté à l'adresse des gens les plus honorables, avec possibilité de recours illusoires aux tribunaux. La plus grosse diffamation écrite, n'expose son auteur qu'à la condamnation possible

possible gérant irresponsable, souvent même

l'hôte habituel de nos correctionnelles.

" La loi crée des privilèges, l'expérience démontrera qu'elle ne peut subsister » (1).

M. Eyquem est avocat général à Agen quand il reçoit sa nomination comme procureur de la République à Limoges, dans un moment où les grèves succèdent aux grèves et se terminent par les douloureux événements d'avril 1905.

Les absorbantes fonctions qu'il remplit avec le tact et le

(1) Quelque soit la profession, un trésor n'est rien sans le travail et l'honnêteté. Il vaut mieux mourir que de se mettre entre les mains d'un procureur.

(1) Cour d'appel d'Agen, discours de rentrée, 1899.

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LIMOGES-ILLUSTRÉ

dévouement que tout le monde se plaît à lui reconnaître n'empêchent pas à ses rares moments de loisirs M. Eyquem de s'occuper d'oeuvres de bienfaisance, d'éducation, de se livrer à l'élude des sciences et des arts.

Fondateur de la Société Saint-Louis de Bordeaux, société pour la protection des enfants abandonnés, il a le bonheur de constater la prospérité croissante de cette oeuvre qui jouit aujourd'hui de puissants moyens et dont les bienfaits ne se comptent plus.

M. Eyquem s'est toujours intéressé aux oeuvres scolaires; membre de la Ligue de l'enseignement, secrétaire général de la Société philomatique, vice-président de la Société d'éducation populaire à Agen, il est membre honoraire ou bienfaiteur de la plupart des Sociétés dont le but vise l'éducation ou l'instruction des peuples. C'est un partisan enthousiaste de la nouvelle langue universelle l'Espéranto.

La difficulté des études musicales l'a frappé. Les études du solfège exigent même des professionnels de longues années, une application incessante et une contention d'esprit absorbante. Les simplifier c'est rendre un grand service à l'humanité. La musique adoucit les moeurs ; elle impressionne agréablement tout le monde et produit des merveilles auprès des déments et de certains malades qui échappent à l'influence des soins médicaux ou pharmaceutiques. - Dès l'époque la plus reculée, elle est le charme de l'existence. Chez les anciens, notamment chez les Grecs, la musique se mêle à toutes les manifestations de la vie. Que seraient nos fêtes sans elle? Elle berce l'enfant et je ne connais rien de plus impressionant que le chant liturgique de l'office des morts. La musique des cloches, la musique des champs élèvent l'âme. Elles sont un.baume consolateur et un dérivatif à nos épreuves de chaque jour, un énergique et doux stimulant dans nos; défaillances. Je n'imagine guère un peuple sans musique et sans poésie, deux soeurs qui pour moi ne font qu'une. Dans mes naïfs écrits en langue limousine, qu'on me pardonne cet a parte, une sorte de musique cadencée me dicte les vers, et je soupçonne fort que pareille chose se produit chez nos grands poètes.

Dans le carnet d'un solitaire je cueille: cette phrase de H. Devillers (1) :

Je me délecte de plus en plus du mot qui chatoie, des rares phrases qui sont des caresses à l'âme, d'un vers du regretté Rodenbach, vers entendu par les yeux, qui s'infiltre dans mon être, s'y répand, telle une larme interne, inaperçue, non pleurée, et dont toute l'amertume aimée me possède :

« Quelque chose de moi meurt déjà dans les cloches. »

En résumé, la musique est un art des plus utiles. Rendre son élude facile est un bienfait.

M. le procureur Eyquem a donc complété son oeuvre de bienfaisance sociale en dirigeant ses efforts vers ce but.

Certes les professionnels pourront s'émouvoir. Ils craindront de perdre une partie du fruit de leurs longues études. Les pontifes décrieront probablement, c'est dans leurs habitudes. On a bien vu l'Ecole polytechnique faire repousser à Napoléon 1er l'invention des chemins de fer ; l'Académie des sciences, en 4823, traiter de folie l'idée de donner de l'eau

aux Parisiens dans leurs maisons jusqu'au cinquième étage; en 1836, la Commission consultative. d'un ministre français repousser l'invention du télégraphe! et, qui ne se rappelle la fameuse séance de l'Académie des sciences où le professeur Bouillaud saisit à la gorge Edison apportant son phonographe en le traitant de ventriloque.

Le public simpliste y trouvera son compte, applaudira et imposera aux officiels centripètes(1) la découverte d'un provincial. Nous sommes avec ce public et je ne crois pas m'aventurer en disant : si mon grand-père et ceux qui partageaient sa manière,de voir avaient connu M. le procureur Eyquem, ils lui auraient donné un bravo enthousiaste sans se faire un épouvantait de cet aimable fonctionnaire.

Le gouvernement de la République vient de conférer à M. Eyquem la rosette d'officier de l'Instruction publique. Nulle distinction ne pouvait être mieux placée.

Dr Pierre CHARBONNIER.

Où se trouve le bonheur.......

On est si bien chez soi, au sein de sa famille,

Entre une femme aimée et des enfants chéris.

Qu'importe les plaisirs, les attraits de la ville :

Il faut quitter son home, où l'on vit sans soucis ! ;

Les professeurs diront « Mais ce sont des sauvages; » Ils ne vont nulle part et sont toujours chez eux.. » Dédaignons cet avis, nous serons les plus sages ; Laissons parler les gens, si nous sommes heureux !

Oui, le bonheur est là; son aile-noûs caresse; Il est fait d'affection, d'espérance;et d'amour; Il est dans toute chose, et le coeur, chaque jour, Butine un peu partout sa délicieuse ivresse !

Il est dans le bonjour des enfants au réveil ;

Il est dans leur sourire, dans leur franche gaieté;

Il est dans leur candeur, dans leur naïveté,

Dans leurs bruyants ébats, dans leur calme sommeil

Il est dans leur travail, il est dans leurs succès

De rêves d'avenir, nous formons une gerbe :

Nous les voyons déjà des bacheliers... en herbe,

Des hommes droits, honnêtes, enfin de bons Français!

Il est dans la tendresse dont nous sommes choyés; Il est dans le bonheur que nous donnons aux nôtres; Il est dans la Famille; il est là... au Foyer — Et le chercher ailleurs... Laissons ce soin à d'autres !

E. V.

21 janvier 1907.

(1) L'Hermine revue littéraire et artistique de Bretagne; directeur, Louis Tiercelin.

(1) Lamennais, sur la Centralisation, avait un mot que les événe. ne justifient que trop :

« L'apoplexie au centre et la paralysie aux extrémités »


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Au hasard des faits et des jours

Rollinat et les bêtes

A midi, ayant, à sa coutume, déjeuné au lit de deux oeufs à la coque et d'une tasse de thé, Rollinat s'était levé et avait procédé à cette méticuleuse toilette de chaque matin, où l'eau de Cologne et les frictions à l'eau de Cologne jouaient le principal rôle. La pluie, pendant toute la matinée, était tombée avec violence et fui interdisait toute idée de sortie et de promenade. Il s'était donc assis dans sa salle à manger, près de la cheminée, en face de la fenêtre. Et là, à un bon feu de bois flambant, il se chauffait rêveur, tête nue, en robe de chambre, les pieds posés sur ses chenêts de fer, regardant jouer dans ses jambes deux bêtes exceptionnellement joueuses, et à cause de cela inséparables, qui étaient Tigreteau, un chat pas encore adulte, et Pistolet, une façon de lévrier fauve, mâtiné de chien de bergère.

Il les regardait, et le.spectacle l'intéressait.

D'un côté, ce petit paquet nerveux et vif, de poils gris zébrés ■de noir; cette tête fine à grands yeux verts, espiègles, au-dessous desquels s'ouvrait, pour mordiller, une bouche rosée dont on pouvait compter les perles aiguës, tandis qu'au-dessus, deux oreilles en avant pointées témoignaient d'un grand sérieux dans l'enjouement. De l'autre,.ce sec et long museau camu aux prises trop lentes et maladroites, ces mouvements raides, patauds et bons garçons d'animal lourd qui joue gauchement sa comédie de défense et d'attaque. Tout cela, pour lui, n'était pas seulement sujet de distraction, c'était.une occasion d'étude. Il s'étonnait de ce que des créatures appartenant à deux espèces si naturellement ennemies, chat et chien, vécussent en pareille bonne intelligence et eussent eutre elles cette très réelle.et très grande amitié qu'à différentes reprises il avait constatée et que, la veille encore, il avait vu se manifester.

La veille, le chat s'étant fait marcher sur la patte, le chien, accouru à son cri de douleur, avait tourné autour en grand émoi, l'avait léché, s'était couché en face de lui et l'avait regardé un long moment de ses bons gros yeux attentifs et apitoyés qui ne reprirent leur calme expression habituelle que lorsque le blessé, ne souffrant plus, s'était mis à ronronner sous ses caresses.

Le chat, évidemment, montrait moins d'expansivité ; mais il aimait à sa manière, et les absences de l'ami l'inquiétaient, l'alour_ dissaient pour ainsi dire, tandis que ses retours lui rendaient son humeur joueuse-et sa légèreté. S'il ne l'aimait vraiment, il se plaisait en sa compagnie, s'y plaisait beaucoup plus" qu'en la compagnie de ses congénères, et là, pour Rollinat, qui projetait alors son volume sur les bêtes, était la cause de son étonnement et la source de ses réflexions.

Quelle puissance de sociabilité est donc en l'homme, se demandait-il, pour qu'il en puisse ainsi communiquer à un petit être que la nature en a si manifestement dépourvu ?

Pour l'instant, il ne songeait pas à le contester (1). Le chat, très égoïste, est essentiellement insociable, et sans son adoption, à lui, des. deux ensemble, sans l'état d'intime communauté de subsistance et de logis où sa volonté les faisait vivre, Tigreteau eut fui Pistolet avec horreur où eut cherché à le mettre en fuite, ce à quoi il eut réussi peut-être, car le chat est un animal courageux et très bien armé pour la lutte.

Rollinat se rappelait, à ce propos, le chat de Barlow qui précipita à terre, en l'aveuglant, l'aigle qui l'avait enlevé, et aussi les exploits de certains matous qu'il avait vus, lui, accepter le combat avec des molosses et rester maîtres du terrain. Et il est vrai qu'alors ce n'étaient plus de bêtes, mais plutôt des catapultes hérissées et griffues qu'on n'eût pas mieux su par où prendre qu'une bogue de châtaignier émue de colère et douée d'adresse et de mouvement. C'était à s'étonner que les anciens Nubiens fussent parvenus à s'emparer de lui et ensuite à le domestiquer. Quel but, d'ailleurs, ou quel mobile avaient-ils eu en cette affaire? Nul parti a. tirer d'un animal si paresseux et si indépendant; impropre à tout, sauf à voler; de moeurs plutôt parasitaires et qui, tout compte fait, n'aime,bien la société de ses maîtres que pour les attentions, les soins, les prévenances, les caresses qu'il en désire ou en obtient.

Qu'il soit amusant et gentil, on ne le saurait nier. Mais étaientce là de suffisantes raisons pour ces hommes de l'arrière-antiquité niliaque qui, sur l'idée qu'ils s'en faisait, devaient plus être préoccupés de nourriture que de dresser des bêtes par passe-temps ?

Rollinat ne le pensait point et ne pouvait alors le penser, car il était dans un de ces moments où l'homme oublie qu'il porte en

lui d'autres motifs d'agir que les motifs utilitaires ; mais il fallut fort peu de chose pour le conduire à plus de justesse et plus de vérité, et ce peu lui vint de ses deux animaux qui n'avaient pas cessé de jouer tandis qu'il restait absorbé et qui tout d'un coup l'éveillèrent.

Tout d'un coup, en effet, de furtifs et rapides tapotements sur ses doigts toujours croisés, le heurt, du corps poilu et lourd contre ses jambes, ramenèrent sur eux son regard et le firent se reprendre à observer leurs simulations de combat. Ils y étaient l'un et l'autre fort appliqués. Le chat, tapi sur les genoux du maître, l'oeil attentif derrière les mains qui lui servaient d'abri, surveillait Pistolet, qui, à l'affût.lui aussi, gueule ouverte et queue remuante, trépignait d'impatience et attendait une oecasion de saisir son adversaire et de lui faire expier les bénins, mais nombreux coups de patte qu'il en recevait sans presque pouvoir y répondre.

Deux circonstances faisaient son infériorité : sa lourdeur rela(1)

rela(1) p 27.

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Le monument de Rollinat Dessin de Roly


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dévouement que tout le monde se plaît à lui reconnaître n'empêchent pas à ses rares moments de loisirs M. Eyquem de s'occuper d'oeuvres de bienfaisance, d'éducation, de se livrer à l'élude des sciences et des arts.

Fondateur de la Société Saint-Louis de Bordeaux, société pour la protection des enfants abandonnés, il a le bonheur de constater la' prospérité croissante de cette oeuvre qui jouit aujourd'hui de puissants moyens et dont les bienfaits ne se comptent plus.

M. Eyquem s'est toujours intéressé aux oeuvres scolaires; membre de la Ligue de l'enseignement, secrétaire général de la Société philomatique, vice-président de la Société d'éducation populaire à Agen, il est membre honoraire ou bienfaiteur de la plupart des Sociétés dont le but vise l'éducation ou l'instruction des peuples. C'est un partisan enthousiaste de la nouvelle langue universelle l'Espéranto.

La difficulté des études musicales l'a frappé. Les études du solfège exigent même des professionnels de longues années, une application incessante et une contention d'esprit absorbante. Les simplifier c'est rendre un grand service à l'humanité. La musique adoucit les moeurs ; elle impressionne agréablement tout le monde et produit des merveilles auprès des déments et de certains malades qui échappent à l'influence des soins médicaux ou pharmaceutiques.

Dès l'époque la plus reculée, elle est le charme de l'existence. Chez les anciens, notamment chez les Grecs, la musique se mêle à toutes les manifestations de la vie. Que seraient nos fêtes sans elle? Elle berce l'enfant et je ne connais rien de plus impressionant que le chant liturgique de l'office des morts. La musique des cloches, la musique des champs élèvent l'âme. Elles sont un baume consolateur et un dérivatif à nos épreuves de chaque jour, un énergique et doux stimulant dans nos; défaillances. Je n'imagine guère un peuple sans musique et sans poésie, deux soeurs qui pour moi ne font qu'une. Dans mes naïfs écrits en langue limousine, qu'on me pardonne cet a parte, une sorte de musique cadencée me dicte les vers, et je soupçonne fort que pareille chose se produit chez nos grands poètes.

Dans le carnet d'un solitaire je cueille; cette phrase de H. Devillers (1) :

Je me délecte de plus en plus du mot qui chatoie, des rares phrases qui sont des caresses à l'âme, d'un vers du regretté Rodenbach, vers entendu par les yeux, qui s'infiltre dans mon être, s'y répand, telle une larme interne, inaperçue, non pleurée, et dont toute l'amertume aimée me possède :

« Quelque chose de moi meurt déjà dans les cloches. «

En résumé, la musique est un art des plus utiles. Rendre son étude facile est un bienfait.

M. le procureur Eyquem a donc complété son oeuvre de bienfaisance sociale en dirigeant ses efforts vers ce but.

Certes les professionnels pourront s'émouvoir. Ils craindront de perdre une partie du fruit de leurs longues éludes. Les pontifes décrieront probablement, c'est dans leurs habitudes. On a bien vu l'Ecole polytechnique faire repousser à Napoléon 1er l'invention des chemins de fer; l'Académie des sciences, en 1823, traiter de folie l'idée de donner de l'eau

(1) L'Hermine revue littéraire et artistique de Bretagne; directeur, Louis Tiercelin.

aux Parisiens dans leurs maisons jusqu'au cinquième étage ; en 1836, la Commission consultative d'un ministre français repousser l'invention du télégraphe! et, qui ne se rappelle la fameuse séance de l'Académie des sciences où le professeur Bouillaud saisit à la gorge Edison apportant son phonographe en le traitant de ventriloque.

Le public simpliste y trouvera son compte, applaudira et imposera aux officiels centripètes (1) la découverte d'un provincial. Nous sommes avec ce public et je ne crois pas m'aventurer en disant : si mon grand-père et ceux qui partageaient sa manière,de voir avaient connu M. le procureur Eyquem, ils lui auraient donné un bravo enthousiaste sans se faire un épouvantail de cet aimable fonctionnaire.

*

Le gouvernement de la République vient de conférer à M.Eyquem la roselte d'officier de l'Instruction publique. Nulle distinction ne pouvait être mieux placée.

Dr Pierre CHARBONNIER.

Où se trouve le bonheur....

On est si bien chez soi, au sein de sa famille, Entre une femme aimée et dés enfants chéris... Qu'importe les plaisirs, les attraits de la ville :

Il faut quitter son home, où l'on vit sans soucis !

Les professeurs- diront : « Mais ce sont des sauvages ; » Ils ne vont nulle part et sont toujours chez eux... » Dédaignons cet avis, nous serons les.plus sages; Laissons parler les gens, si nous sommes heureux !

Oui, le bonheur est là; son aile nous caresse; Il est fait d'affection, d'espérance, et d'amour ; Il est dans toute chose, et le coeur, chaque jour, Butine un peu partout sa délicieuse ivresse !

Il est dans le bonjour des enfants au réveil;

Il est dans leur sourire, dans leur franche gaieté ;

Il est dans leur candeur, dans leur naïveté,

Dans leurs bruyants ébats, dans leur calme sommeil !

Il est dans leur travail, il est dans leurs succès... De rêves d'avenir, nous formons une gerbe : Nous les voyons déjà des bacheliers... en herbe, Des hommes droits, honnêtes, enfin de bons Français!

Il est dans la tendresse dont nous sommes choyés ; Il est dans le bonheur que nous donnons aux nôtres; Il est dans la Famille; il est là... au Foyer — Et le chercher ailleurs... Laissons ce soin à d'autres !

E. V.

21 janvier 1907.

, (1) Lamennais, sur la Centralisation, avait un mot que les événene justifient que trop :

« L'apoplexie au centre et la paralysie aux extrémités »


LIMOGES-ILLUSTRÉ 2355

lu hasard des faits et des jours

Rollinat et les bêtes

A midi, ayant, à sa coutume, déjeuné au lit de deux oeufs à la coque et d'une tasse de thé, Rollinat s'était levé et avait procédé à cette méticuleuse toilette de chaque matin, où l'eau de Cologne et les frictions à l'eau de Cologne jouaient le principal rôle. La pluie, pendant toute la matinée, était tombée avec violence et lui interdisait toute idée de sortie et de promenade. Il s'était donc assis dans sa salle à manger, près de la cheminée, en face de la fenêtre.. Et là, à un bon.feu de bois flambant, il se chauffait rêveur, tête-nue, en robe de chambre, les pieds posés sur ses chenêts de fer, regardant jouer dans ses jambes deux bêtes exceptionnellement joueuses, et à cause de cela inséparables, qui étaient Tigreteau, un chat pas encore adulte, et Pistolet, une façon de lévrier fauve, mâtiné de chien de bergère.

Illes regardait.et le.spectacle l'intéressait.

D'un côté, ce petit paquet nerveux et vif, de poils gris zébrés de noir; cette tête fine à grands yeux verts, espiègles, au-dessous desquels s'ouvrait, pour mordiller, une bouche rosée dont on pouvait compter les perles aiguës, tandis qu'au-dessus, deux oreilles en avant pointées témoignaient d'un grand sérieux dans l'enjouement. De l'autre, ce sec et long museau camu aux prises trop lentes et maladroites, ces mouvements raides, patauds et bons garçons d'animal lourd qui joue gauchement sa comédie de défense et d'attaque. Tout cela, pour lui, n'était pas seulement sujet de distraction, c'était.une occasion d'étude. Il s'étonnait de ce que des créatures appartenant à deux espèces si naturellement ennemies, chat et chien, vécussent en pareille bonne intelligence et eussent eutre elles cette très réelle et très grande amitié qu'à différentes reprises il avait constatée et que, la veille encore, il avait vu se manifester.

La veille, le chat s'étant fait marcher sur la patte, le chien, accouru à son cri de douleur, avait tourné autour en grand émoi, l'avait léché, s'était couché en face de lui et l'avait regardé un long moment de ses bons gros yeux attentifs et apitoyés qui ne reprirent leur calme expression habituelle que lorsque le blessé, ne souffrant plus, s'était mis à ronronner sous ses caresses.

Le chat, évidemment, montrait moins d'expansivité ; mais il aimait à sa manière, et les absences de l'ami l'inquiétaient, L'alour_ dissaient pour ainsi dire, tandis que ses retours lui rendaient son humeur joueuse et sa légèreté. S'il ne l'aimait vraiment, il-se plaisait en sa compagnie, s'y plaisait beaucoup plus" qu'en là compagnie de ses congénères, et là, pour Rollinat, qui projetait alors son volume sur- les bêtes, était la cause de son étonnement et la source de ses réflexions.

Quelle puissance de sociabilité est donc en l'homme, se demandait-il, pour qu'il en puisse ainsi communiquer à un petit être que la nature en a si manifestement dépourvu?

Pour l'instant, il ne songeait pas à le contester (1). Le chat, très égoïste, est essentiellement insociable, et sans son adoption, à lui, des. deux ensemble, sans l'état d'intime communauté de subsistance et de logis où sa volonté les faisait vivre, Tigreteau eut fui Pistolet avec horreur où eut cherché à le mettre en fuite, ce à quoi il eut réussi peut-être, car le chat est un animal courageux et très bien armé pour la lutte.

Rollinat se rappelait, à ce propos, le chat de Barlow qui précipita à terre, en l'aveuglant, l'aigle qui l'avait enlevé, et aussi les exploits de certains matous qu'il avait vus, lui, accepter le combat avec des molosses et rester maîtres du terrain. Et il est vrai qu'alors ce n'étaient plus de bêtes, mais plutôt des catapultes hérissées et griffues qu'on n'eût pas mieux su par où prendre qu'une bogue de châtaignier émue de colère et douée d'adresse et de mouvement. C'était à s'étonner que les anciens Nubiens fussent parvenus à s'emparer de lui et ensuite à le domestiquer. Quel but, d'ailleurs, ou quel mobile avaient-ils eu en cette affaire? Nul parti à tirer d'un animal si paresseux et si indépendant; impropre à tout, sauf à voler; de moeurs plutôt parasitaires et qui, tout compte fait, n'aime.bien la société de ses maîtres que pour les attentions, les soins, les prévenances, les caresses qu'il en désire ou en obtient.

Qu'il soit amusant et gentil, on ne le saurait nier. Mais étaientce là de suffisantes raisons pour ces hommes de l'arrière-antiquité niliaque qui, sur l'idée qu'ils s'en faisait, devaient plus être préoccupés de nourriture que de dresser des bêtes par passe-temps ?

Rollinat ne le pensait point et ne pouvait alors le penser, car il était dans un de ces moments où l'homme oublie qu'il porte en

lui d'autres motifs d'agir que les motifs utilitaires ; mais il fallut fort peu de chose pour le conduire à plus de justesse.et plus de vérité, et ce peu lui vint de ses deux animaux qui n'avaient pas cessé de jouer tandis qu'il restait absorbé et qui tout d'un coup l'éveillèrent.

Tout d'un coup, en effet, de furtifs et rapides tapotements sur ses doigts toujours croisés, le heurt du corps poilu et lourd contre ses jambes, ramenèrent sur eux son regard et le firent se reprendre à observer leurs simulations de. combat. Ils y étaient l'un et l'autre fort appliqués. Le chat, tapi sur les genoux du maître, l'oeil attentif derrière les mains qui lui servaient d'abri, surveillait Pistolet, qui, à l'affût.lui aussi, gueule ouverte et queue remuante, trépignait d'impatience et attendait une occasion de saisir son adversaire et de lui faire expier les bénins, mais nombreux coups de patte qu'il en recevait sans presque pouvoir y répondre.

Deux circonstances faisaient son infériorité : sa lourdeur rela(1)

rela(1) p 271.

4

Le monument de Rollinat Dessin de Roly


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tive et son respect des genoux sacrés où l'autre s'était réfugié et où il n'osait l'aller prendre.

Et Tigreteau en profitait. Léger, petit, grimpeur irrespectueux, se gênant peu pour se jucher jusque sur les épaules de l'homme ami, il trouvait partout un refuge dans le danger, partout un poste avancé pour l'attaque. Et en avant, dès lors, les coups hardis, prestement suivis de reculs salutaires. Parfois, pourtant, il arrivait que calculant mal son élan, il tombait sur le tapis, des hauteurs de sa forteresse, et le chien avait sa revanche. Saisi alors à pleine gueule, roulé mordu, houspillé, froissé, le chat n'avait de ressource que de regrimper au plus vite et de recommencer, faisant le gros dos et se léchant les lèvres d'un air furieux, son jeu subtil de brusques avancées suivies de reculs. Et Rollinat admirait sa souplesse et sa grâce. Il le prit dans ses deux mains; il l'y pressa doucement et éprouva un vrai plaisir à le sentir si chaud, si doux au palper, si soyeux; puis, comme le chat répondait à ces caresses par un très agréable ronronnement et lui passait à plusieurs reprises sa langue râpeuse sur les doigts, il en eût comme une discrète et particulière sensation dé volupté; il l'éleva en l'air, à hauteur de son front, et dit dans une sorte de transport attendri ces paroles que l'autre écouta avec ses yeux tout grands ouverts : « Oh ! si vraiment les vieux Nubiens avaient d'autres raisons que des raisons d'utilité lorsqu'ils apprivoisèrent ce gentil animal qui est aimant quoi qu'on on en dise (1), et sinon aimant très aimable. L'homme a la curiosité et l'amour instinctif des bêtes. Il sent en elles des soeurs en mystérieuse destinée (2). Et c'est pour lui comme un besoin de se les approprier et attacher. Là fut le mobile de ces apprivoiseurs. Un jour, ils surprirent celui-ci au gîte, la mère tuée ou absente, Ils eurent plaisir comme moi à le voir et à le toucher. Ils l'emportèrent dans leur maison de bois ou de feuillage. Ils relevèrent et en firent ce que le voici, le familier de leurs genoux, la volupté de leurs mains, - la distraction de leurs esprits dans leurs heures de loisir. Il perdit son humeur sauvage, mais il resta fier, réservé, soupçonneux et indépendant. C'est peut-être ce qui acheva de le rendre cher à ses éducateurs, fiers comme lui, indépendants comme lui, de plus chasseurs et carnassiers comme lui encore.

» L'homme a l'amour des bêtes, mais il les aime diversement. Et tandis qu'il fait ses meilleurs compagnons et les commensaux de son logis du chat et du chien, naturellement sanguinaires, il loge à part, sous des toits éloignés du sien, les utiles et les inoffensifs, tels le mouton, la chèvre, le boeuf et le cheval.

« Inconséquence peut-être, ingratitude !" ou plutôt non, effet d'humaine nature, car nous sommes ainsi faits que, contrairement à ce que je pensais tout-à-1'heure, l'utile n'est pas ce qui nous préoccupe et nous attache le plus, mais l'agréable. Nous cultivons avec attention, intérêt, àpreté, nous estimons ce qui nous sert dans nos besoins; mais ce qui nous sert dans nos plaisirs, nous ne nous contentons pas de l'estimer et de le cultiver; nous le soignons avec tendresse et nous l'élevons avec amour et désintéressement. C'est pour nous chose précieuse et au-dessus de toute estimation marchande. Témoin ce chat, que j'aime de tout mon coeur, que je perdrais avec regret, et qui pourtant est un animal bien inutile. — Parfaitement, monsieur, un inutile, ce qui n'empêche qu'on vous aime de tout son coeur, tandis que vous... De quoi? des griffes ! Vous osez contre nous sortir vos griffes !.., »

En effet, Tigreteau toujours suspendu et toujours enfermé dans le réseau des mains commençait à s'impatienter, d'autant que certain bruit de casseroles obstinément raclées dans la cuisine paraissait lui promettre quelque chose à laper de l'autre côté de 1s cloison. Il cherchait à se dégager et regardait peu aux moyens.

Pistolet, particulièrement, l'inquiétait. Il" le voyait, attiré lui aussi par le bruit, gratter tantôt rageusement, tantôt plaintivement à la porte, et il semblait se demander-si ce gourmand-là ne prendrait pas tout, lui seul. Il ne ronronnait plus, certes; il miaulottait, comme par petits cris, la figure hérissée, les yeux agrandis, féroces; il accrochait une patte par ci, une patte par là, et tant pis pour l'endroit touché ; habit ou chair, la griffe entrait et se cramponnait. Force fut bien alors de le lâcher et de le voir bondir vers cette terrible porte qui, à présent, ne voulait plus s'ouvrir.

« Voyons, maître, te lèveras-tu ? »

Et il miaulait, le chien jappait; deux paires d'yeux se tournaient vers l'être puissant et adroit à qui obéissent les portes; deux museaux se collaient à terre afin de voir par en dessous l'huis. C'était un grattement, un cliquetis, un battement de pattes et d'ongles, une allée et venue de la porte à Rollinat et de Rollinat à la porte. Force fut donc bien au poète de se lever, d'ouvrir et de voir passer les deux bêtes qui bondirent, ne songeant guère à remercier. Pourquoi remercier ? Ce n'était pas nécessaire; l'homme est naturellement concierge et serviteur des bêtes. Ainsi du moins le pensa notre philosophe naturiste qui se rassit et regarda dehors, en haut de la fenêtre, le gris et transparent brouillard qui commençait à remplacer la pluie.

PRISAT-BEUJON.

ÉPITAPHO SUR UN TOUNBEU ( 1)

Passan que chercha a culi

Cauco nuvel' en permenado,

Viza, soun qui ensebeli :

Fi e fenna, fillo einado,

Pai e gendre e bello mai,

Lo sor, lo quito nor' eimado,

Lo bello-sor et lou beu-frai,

Lou frai, lo mai et lo neço,

Lo tanti l'ounclie, lou nebou; -

Pertan, sei vou juga de peço,

Dessou gno ma trei cor en tou.

Piere DO FAURE.

(1) Ce tombeau, si tant qu'il ait jamais existé, se trouvait près de Saint-Martin, en Limousin (?). Un grand-oncle à mon père racontait en charade et ne manquait jamais d'ajouter : « Ce tombeau se trouvait près de Saint-Martin !»

Divers auteurs le localisent à Hollement, près d'Abbeville. Dans la Revue du Nord 1893 (pp. 422-423), on y l'épitaphe suivante :

Cy-gît le fils, cy-gît la mère,

Cy-gît la fille avec le père,

Cy-gît la soeur, cy-git le frère,

Cy-gît la femme et le mari

Et il n'y a que trois corps ici.

Cette hitoire, comme l'établit la Tradition (septembre-octobre 1906), n'est rapportée par aucun historien digne de foi ; mais cette épitaphe se trouve dans plusieurs églises de France. On les doit considérer plutôt comme des énigmes que comme la relation d'un fait véritable et même monstrueux.

ÉPITAPHE SUR UN TOMBEAU (traduction)

Passants qui cherchez à récolter quelque nouvelle dans vos pérégrinations, regardez, là sont ensevelis : le fils et les femmes, a fille aînée, le père, le gendre, la belle-mère, la soeur, même' la brue aimée, le frère, la mère, la nièce, la tante, l'oncle, le neveu; pourtant, sans vous mentir, il n'y a là que trois corps en tout.

(1) Ruminations, 271.

(2) Ibid., 293.


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te Mur Pont Saint-Etienne

La construction d'un pont sur la Vienne en amont du - vieux pont Saint-Etienne aujourd'hui classé comme monument historique, a toujours préoccupé les esprits. Nous avons pensé que nos lecteurs ne liraient pas sans intérêt un excellent travail de M. Judicis sur cette question (1). Ce travail est accompagné d'un plan qui facilite beaucoup l'intelligence du projet. N. D. L.

La question du pont Saint-Etienne est passée par des phases diverses. Un court historique ne sera donc pas inutile.

C'est en 1888 que, sur la demande du Comité d'initiative constitué dans la 4e section (2) et présidé par M. Raynaud, conseiller municipal, nous avons étudié cette affaire pour la première fois. Dans un rapport daté du 10 novembre de cette année (3), nous faisions ressortir que la déchéance commerciale et industrielle dont souffre depuis de Iongues années la région du : pont Saint-Etienne était due pour une large part à ce fait que,, dans la répartition des travaux destinés à faire pénétrer dans les vieux quartiers le confort de la vie moderne, cette région avait été totalement délaissée.

Après une étude très détaillée des mesures propres à remédier à cet état de choses nous préconisions l'ouverture de - voies nouvelles et Lamélioration de certaines autres. -

En premier lieu, nous demandions un exhaussement et un élargissement du tablier du pont Saint-Etienne, permettant d'atténuer dans une certaine mesure la déclivité exagérée des voies d'accès qui desservent ce pont.

Dans notre système, ce tablier, dont les extrémités sont aux cotes 222 et 222,85, devait être relevé à la cote uniforme 226 (le milieu du pont est à la cote 224,86). La pente de la rue du Pont-Saint-Etienne eut été ainsi ramenée de om 135 à omo 85 et celle du boulevard SaintMaurice de omo83 à om046.

Une pétition, couverte de plusieurs milliers de signatures, fut adressée au Conseil municipal pour lui demander la prise en considération de ce projet. Toutefois, c'est seulement au bout de dix ans que l'administration municipale, dirigée par M. La bussière, résolut de le mettre à exécution.

Un projet, conforme dans ses grandes lignes à celui dont nous avions fait l'étude préliminaire, fut élaboré par le service des travaux publies.

Il semblait donc que les. habitants du quartier fussent à la veille de voir la réalisation de leurs voeux : il n'en était .

rien.

Sous le prétexte mal justifié que les piles du pont Saint-Etienne ne pouvaient supporter une surcharge, l'administration modifiait encore ses plans, proposait au Conseil la démolition et la reconstruction du pont et, bientôt, classait ce projet nouveau dans une série de grands travaux, pour lesquels elle demandait au Conseil d'Etat l'autorisation de contracter un emprunt.

Mais alors, les amis du pittoresque, les artistes, les archéologues, les touristes même, s'émurent. Ils avaient

(1) Publié dans l'Almanach limousin de 1907.

(2) La ville de Limoges était alors, au point de vue municipal, divisée en six sections électorales. ]

(3) Rapport adressé au Comité d'initiative pour l'exécution - des travaux de voirie dans la 4° section. — Chatras et Cie 1889.


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accueilli sans hostilité le projet de restauration qui conservait à notre cité l'un de ses plus anciens monuments, faisant partie intégrante du magnifique panorama qu'offre la vallée de la Vienne au pied de la colline du Sablard Dès qu'il fut question de le démolir, les protestations s'élevèrent d'autant plus énergiques qu'on ne cachait pas trop que l'un des motifs pour lesquels on voulait le détruire c'était la haine de tout ce qui rappelle le passé. Ces protestations dépassèrent bientôt les limites de nos murailles; un grand nombre d'associations sportives, artistiques ou archéologiques unirent leurs voix à celles de Limoges. La Commission des monuments historiques envoya une commission sur place, et, au vu de son rapport, proposa le. classement du vieux pont parmi les monuments historiques.

Ce "témoin de notre passé paraît être sauvé une fois encore, et tout porte à croire que de longs jours lui sont assurés; mais la nécessité d'en avoir un autre, capable d'assurer le débouché nécessaire au mouvement industriel et commercial, apparaît de jour en jour plus évidente.

Où faut-il construire ce nouveau pont?

Nous avons déjà traité cette question en 1888. Nous proposions alors de l'établir dans le prolongement de la partie haute du faubourg des Casseaux qui, depuis lors, a reçu le nom de rue Vacquand. Nous avons encore défendu cette opinion dans les notes techniques faisant suite à la savante étude écrite en 1903 par le regretté. Louis Guibert (1).

■ L'an dernier, M. Camille Jouhannaud reprenait cette idée dans l'Almanach limousin de 1906(2).

Notre conviction n'a pas varié depuis lors, et c'est pour mettre l'opinion à même de se prononcer que nous publions aujourd'hui le dessin annexé à ces notes et qui donne le plan du pont futur avec ses abords.

Cet ouvrage serait établi à la cote 227,80 pour chacune de ses extrémités, à la cote 228,20, pour le milieu du tablier. Il se raccorde sur la rive droite avec l'extrémité de l'avenue des Bénédictins par une voie de 20 mètres de largeur, ayant une pente uniforme de 36 m/m par mètre et qui se raccorderait elle-même avec le faubourg des Casseaux d'une part, la rue du Masgoulet d'autre part. :

Sur la rive gauche,' une avenue, légèrement sinueuse, irait rejoindre l'avenue du Sablard au carrefour du chemin de Panazol, où l'on tracerait un rond-point de 50 mètres de diamètre. Cette avenue aurait une pente de 60 m/m par mètre. C'est un peu roide, mais non pas excessif. On pourrait d'ailleurs réduire cette déclivité en élevant un peu la hauteur du pont qui serait, d'après nos cotes et au milieu du tablier,.de 8m85 au-dessus des eaux moyennes.

Cette opération pourrait, si l'on ne tarde pas trop, être exécutée sans de trop grosses dépenses. Il n'y aurait que quatre ou cinq immeubles atteints par l'alignement ; la plupart des terrains sont nus, et, comme les propriétés riveraines acquerraient du coup une plus-value considérable, on peut croire que l'acquisition s'en ferait à bon compte. Quant au prix de revient du pont, il se rapprocherait sensiblement de celui du pont National.

Il nous paraît inutile d'insister sur l'importance que l'exécution de ce projet aurait pour toute la région basse de notre ville, région populeuse et industrielle par excellence et, nous le redisons, trop négligée jusqu'à ce. jour.

Les charrois partant de la gare des marchandises pour la rive gauche et ceux qui en viennent, y trouveraient particulièrement

leur compte. Les sacrifices consentis par la ville seraient bientôtlargement récupérés en raison du surcroît d'activité que les voies nouvelles sèmeraient sur leur passage.

Enfin, nous rappelons que les quais de la Vienne enfin aménagés, plantés, fleuris avec cet art que nos horticulteurs savent mettre dans leurs oeuvres, reliés d'une part à l'avenue de la Révolution, de l'autre à l'avenue des Bénédictins, constitueraient dans cet ensemble de 2,300 mètres de longueur, le plus précieux agrément de notre ville.

Ainsi que nous le disions en 1888 (1), Limoges aurait acquis l'une des plus belles promenades publiques du centre de la France.

À. JUDICIS.

FEUILLE DE CHOU

Les décorés

Les jours derniers, il est tombé sur le pays une pluie de décorations. Cela n'a rien de particulièrement drôle si l'on songe que nos aïeux 'ont vu des pluies de sang, voire même des pluies de' grenouilles... Le phénomène qui nous occupe se reproduit deux fois par an : à l'occasion du 1er janvier et du 14 juillet, avec, parfois, quelques retards dus à des causes météorologiques.qui échappent au vulgaire.

Décorez, décorez, c'est très bien; mais n'oubliez pas que l'excès en tout est un défaut et qu'il ne faut pas abuser même des meilleures choses.

Pourquoi décore-t-on un bipède?... Pour le distinguer de ses congénères... Remarquez alors 'que les décorés ne seront distingués et qu'on attribuera une valeur spéciale à leur personne qu'autant que 'leur nombre n'excèdera pas celui des autres bipèdes non décorés. :

Admettez 'que, sur 100 individus, on en décore 80. Quels sont ceux qui seront remarqués; sur quelle portion s'arrêtera l'attention?... Assurément sur les 20 qui n'auront rien reçu, car vous n'ignorez pas qu'un élément a d'autant plus de valeur qu'il est plus rare. - -

L'an dernier, un de nos savants les plus éminents qui, malgré sa valeur, en était réduit à orner sa boutonnière d'un pissenlit, conçut l'idée de fonder la ligue des « Sans Ruban». Cette ligue avait précisément pour but de désigner à l'attention publique les mortels qu'aucune distinction n'avait touchés.

Un bureau fut constitué, et chaque jour, de 9 à 11 heures et de 2 à 4 heures, les candidats furent admis à présenter leurs titres.

Je me précipitai le jour de l'ouverture et remarquai que ceux qui passaient avant" moi quittaient le guichet avec la note « refusé ». J'étais perplexe. Enfin, mon tour arriva. Le Président, un. monsieur très chic, me toisa, et, après vérification de mon identité, me dit : « Etes-vous. décoré? " Un non sec fut ma réponse.. — « Désirez-vous l'être? » continua mon.interlocuteur. Je répondis encore... non, mais avec moins d'assurance, et, enfin, à la troisième question : " Si l'on Vous décore, refuserez-vous la distinction qui vous, sera attribuée? » j'hésitai pour de bon, cette fois, me faisant cette réflexion : " Ce serait tout de même bête de,- refuser.», et, sans m'écouter, je répondis : «Je ne sais pas!.... »

(1) Voir Bulletin de la Société archéologique du Limousin, tome 51. — Limoges, Ducourtieux et Gout, éditeurs.

(2) La question du pont Saint-Etienne à Limoges, par Camille Jouhannaud.

(1) Voir rapport précité, page 10.


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Là-dessus, je fus éconduit avec la mention « refusé», comme, d'ailleurs, tous ceux qui se présentèrent.

La ligue, en conséquence, ne put être constituée. Le promoteur, en récompense de son dévouement, reçut les palmes à la dernière distribution, et les mauvaises langues racontent qu'il met aujourd'hui des rubans violets jusque sur ses flanelles. — Voyez, cousins et cousines, ce que c'est que de nous !...

MARCUS.

Le deboueradour

Dès l'aube, devant notre porte, Sans souci des bises d'hiver, Chaque jour la servante apporte, Plein d'eau chaude, un toupi de fer;

Et les châtaignes dépouillées Par les bonnes gens du logis, Durant les joyeuses veillées, Garnissent ses flancs arrondis.

Puis, avec un bruit qui rappelle Les longs roulements d'un tambour, Parmi les pulpes qu'il repèle S'agite le débouéradour.

Sous la main vaillante il se presse, J'entends son rythme familier, Et, dans mon lit où je paresse, Je rêve au lieu de m'éveiller ;

Et je vois déjà sur la table

Dans la corbeille d'osier blanc

— Fruits d'or aux parfum délectable —

Le bon déjeûner qui m'attend.

Jean REBIER.

SANS CULOTTES & BARBICHETS

VIII

Ce que disent les vieux papiers

advint, l'année que les protestants se durent rendre à La Rochelle et pendant que ma famille et moi fêtions l'Epiphanie, qu'on frappa à notre porte, du côté de la rue dédiée à Sainte-Marthe. La chambrière accourut prévenir qu'un homme nous désirait parler, qu'il avait une figure assez honnête, mais qu'elle le tenait pour étranger à la ville et le soupçonnait fort de faire partie d'une bande de comédiens, arrivée la veille. Ces comédiens, au dire la chambrière, devaient interprêter le saint mystère de la Nativité. Je répondis qu'elle le menât incontinent, ce qu'elle fit. Et nous vîmes un grand diable d'homme, maigre comme un chat d'avant carême, qui nous salua de respectueuse façon. Il était vêtu d'un pourpoint sombre et chaussé de méchantes bottes et serrait en sa dextre un feutre à longue plume. Son visage au nez sec se barrait de moustaches retombantes et

une royale grisonnante dessinait une ombre étroite sur sa douteuse collerette. L'oeil s'ouvrait franc et large et la bouche indiquait quelque amertume. Je l'invitai à s'asseoir, ce dont il s'excusa, et l'engageai à s'expliquer.

— Vous voudrez bien m'excuser, dit-il, de me présenter à pareille heure et dans un tel moment. Mais il y a grand hâte. Je suis un des comédiens qui doivent demain vous divertir et ma femme est en gésine. Or nous manquons de tout et j'ai frappé à la première porte venue,.la vôtre, pensant que vous nous auriez en pitié.

Le siècle se montre dur aux bateleurs, à tous ceux qui s'affublent d'oripeaux pour la joie grande du peuple qui les paye de mépris. On les traite comme des chiens vils, on leur refuse la sépulture et j'ai toujours pensé qu'il y avait là fâcheuse injustice et qu'un chrétien en valait un autre. Je réconfortai donc cet homme de mon mieux, l'assurai que ma maison était hospitalière et lui dis :

— Soyez le bienvenu et disposez de nous ainsi que vous le jugerez à propos.

Notre table s'offrait luisante des plats d'argent qu'on avait tirés des armoires, comme c'est la coutume pour les fêtes joyeuses, et lourde de mets odorants et choisis. Les coupes étincelaient, pleines d'un vin vieux de nos vignes, et ma femme s'était évertuée à pétrir le gâteau où gisait la fête traditionnelle et qui dessinait sur la nappe blanche comme une couronne de cuivre fin. Je crus devoir inviter notre hôte, quelque presse qu'il manifestât.

— Un coup de vin, voulez-vous, et cette cuisse d'oie qui vous donnera le coeur nécessaire? Car c'est toujours douloureux spectacle qu'une femme en gésine.

Il me remercia, une larme brusque au coin de l'oeil, et consentit à accepter le coup de vin proposé, ajoutant que le temps lui manquait pour le reste et appelant vers nous les complaisances du ciel. Après quoi, nous nous mimes en quête de linge, de remèdes appropriés. Mon fils se saisit d'une bouteille, ma bru d'un poulet qui venait de quitter la broche. Ma femme y joignit un pain et le tout fut remis au bateleur avec recommandation expresse de nous prévenir dès la naissance de l'enfant. Il nous quitta en jurant qu'il ne saurait jamais nous oublier et que nous nous étions, en ces lieux hostiles, une présence réelle de la divine Providence.

Notre repas s'acheva, aux chandelles, plus allègre du bien qu'il nous avait été dévolu de faire. Il me souvient que la fève m'échut et que ma bru fut sacrée reine par le baiser qu'aux applaudissements de la compagnie je lui donnai. Et belle reine, en vérité : blonde et la lèvre fleurie — trop belle, sans doute, puisqu'elle mourut un matin de cloches réjouies, à la prime d'été, et qu'elle repose en la chapelle du couvent de Peyrusse. Mais laissons cela.

La dixième heure retentissait quand notre bateleur fut introduit de nouveau. Il nous dit que sa femme n'avait pas trop souffert et qu'un mâle lui était né, vigoureux et de poil fauve. Sa femme était rousse.

— Par Dieu, lui répondis-je, nous allons l'aller voir, ce marmot. Il me représenta alors que la nuit planait dure, que le vent vif

soufflait et qu'il nous déplairait peut-être d'affronter ses habituels amis.

— Vous les trouverez, fit-il, costumés étrangement, occupés qu'ils étaient à répéter le rôle qu'ils doivent tenir demain.

— Il nous importe peu, insistai-je, votre petit rousseau m'intéresse.

Et nous voilà dehors. Le bateleur avait raison. Les astres brillaient comme des fleurs de givre, d'un éclat bref, et la terre sonnait de passants rares,' cassés en deux dans leur manteau. La


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rue Sainte-Marthe franchie où devant l'image de la sainte agonisait une clarté chétive, nous arrivâmes au carrefour de l'ArbrePeint. C'est là que péril d'un coup de dague messire Larivey de Poulaillère, sans qu'on ait jamais pu savoir quel malandrin l'avait occis.

Contre la maison du syndic des « crochadours », qui s'entend faiseurs de crochets à peser, nous distinguâmes, touchés de lune, plusieurs chariots couverts. Trois bidets somnolaient, étiques, en un retrait de murs. En avant des chariots, une estrade s'élevait, avec un simulacre d'étable et des branches- de sapin fichées qui figuraient des arbres et limitaient des chemins. Un aboi de chien gronda à notre approche, vite apaisé du bateleur, et nous fûmes - conduits au chariot le plus large, très éclairé du dedans à en juger par les menus rayons qui poudroyaient aux fentes.

Notre homme appela :

— Ohé ! dame Pernelle.

Et une grosse femme apparut.

— Ces messieurs et ces dames, dit simplement le bateleur. La femme s'inclina. Nous gravîmes quelques degrés de bois et

un spectacle vraiment extraordinaire s'offrit à nos regards. Au fond du chariot, sur un lit sommaire, une rousse, toute blanche en sa toison répandue, souriait. Elle tenait un poupon qu'elle considérait de façon amoureuse et elle lui donnait des noms délicieux, l'appelant son précieux enfantelet, sa chair merveilleuse. Autour, costumés ainsi que le bateleur nous l'avait fait prévoir, un saint Joseph rêvait dans sa barbe frisée, bleu et rouge, le bâton du voyageur entre les bras ; deux bergers, qu'on devinait être des femmes à leur visage délicat, se tenaient à croupetons, les épaules couvertes de peaux d'ouailles jadis nettes; et trois rois mages formaient un groupe admiratif et conquis. Les mages avaient dû oublier leurs présents, coffrets pareils à des châsses, urnes frêles d'un somptueux travail, car leurs mains étaient vides, et les chameaux indispensables manquaient. Mais il n'est présent qui vaille une figure que l'extase possède et, pour les bêtes, on les pouvait imaginer arrêtées à quelque distance, sous le ciel mystérieux. Et n'était le cadre : entassement d'objets sans nom, meubles disparates, ficelles lourdes de gousses, parmi les crudités dorées d'un primitif luminaire, on eut chanté puissant miracle et l'on se fut agenouillé.

Un mouvement de recul marqua notre arrivée. Les rois mages vêtus de brocatelle ancienne, bagués de rubis larges, le chef coiffé.de couronnes à trois cercles espacés d'émeraude, se rangèrent contre la paroi de droite, les bergers se dressèrent et saint Joseph quitta son attitude méditative. Pour la rousse, elle me tendit le poupon et me dit :

— Nous vous devons tant!

• Je lui répondis qu'elle ne me devait rien, que je n'avais rien fait qui ne soit naturel. Ma bru contempla l'enfant et lui passa au col une chaînette qu'une médaille bénite terminait. Après quoi, elle me le prit, le baisa doucement et le rendit à sa mère.

— Placez-le bien contre vous, ma mie. C'est fragile un enfançon, dit-elle.

Un roi mage s'enhardit alors, me toucha le bras et, confidentiel :

— Vous avez dû grandement souffrir. Et comme je restais interloqué.:

— Je ne vous demande point de confidences et m'excuse si j'ai manqué au respect que votre conduite appelle. Mais vous êtes une exception, à notre exemple, et l'exception entraîne le haro de la généralité.

Je comprenais de moins en moins et répondis par politesse :

— L'humanité est race moutonnière.

— Je vous ai donc deviné, monsieur. Le souvenir vit en vous,

sans nul doute, des persécutions barbares, des bûchers jamais éteints et des potences toujours prêtes.

Je pensai un persécuté qui. rêve à l'état de veille, et je prononçai sans conviction :

— Certes.

Le roi mage reprit : -

— On vous inquiète parfois, j'imagine ? Je répliquai pour ne pas contredire :

— C'est selon.

— Ah ! l'époque est mauvaise et il faut une beauté d'âme peu commune quand on en appelle au. seul témoignage de sa conscience ! Vous avez contre vous les papistes et nous avons tout le monde en vous exceptant.

Il me parut à propos d'affirmer :

— Mais je suis papiste. L'homme ouvrit des yeux immenses.

— Papiste ! Vous êtes papiste ? Sur ma part de paradis, je vous croyais calviniste.juré. Il n'est que l'infortune qui s'intéresse à l'infortune et je pensais que l'unique douleur pouvait enfanter la compassion. Ainsi vous m'apparaissez comme une nature peu banale. Car je n'ai jamais rencontré homme jouissant de l'estime de tous, ses principes ne: le séparant pas de la communauté, qui veuille s'intéresser à des malheureux que celte communauté réprouve.

Je m'amusai de la méprise et ma bru insinua :

— On le baptisera, ce petit?

— Tenez-le pour certain, madame, fit la rousse. J'ajoutai :

— Je serai son parrain, si vous le permettez,

— Et moi votre commère, dit ma bru. Et elle sourit.

La compagnie eut un murmure d'étonnement approbateur. Le père m'assura qu'il ne méritait pas un honneur pareil et la mère se montra tout heureuse.

— Notre Seigneur Jésus se déclare l'universel refuge et il n'est point de bourgeois et de comédiens pour lui. Les uns valent les autres.

Telle fut ma conclusion. J'abandonnai ma bourse aux mains des bateleurs et nous partîmes chargés de bénédictions.

Je mentionne ici cette aventure, sans importance en ellemême, parce qu'elle me paraît singulière et que le fait d'une restitution orientale en un obscur carrefour, le hasard seul complice, me. semble devoir être retenu. Et je. ne sais pourquoi, entre mille souvenirs de magnificences réelles et qui me sont actuellement confuses — 'passages de princes, processions merveilleuses — brillent encore dans ma mémoire les factices splendeurs éparses aux manteaux des Rois, les faux rubis qui flambaient à leurs bagues et les émeraudes sans valeur qui gemmaient leurs couronnes ironiques.

Edouard MICHAUD! .

Avez-vous des diplômes ?

(SUITE ET FIN)

Gomme correspondant du grand organe anglais j'explore et traverse l'Afrique, du Sud au Nord, à l'issue de la guerre arigloboër; L'année suivante je suis au Groenland, en Laponie, toujours comme explorateur. De.ces régions polaires je passe, par la


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Sibérie, dans l'Inde, où je trafique le coton. J'y gagne vingt mille livres en trois ans. Je réalise mon avoir et m'embarque de nouveau pour l'Amérique. Je fais naufrage et touche à Buénos-Ayres sans le sou. Peu après je rentre en France aussi pauvre beaucoup plus pauvre même, puisque beaucoup moins jeune, aussi pauvre qu'à mon départ, ayant fait trois fois le tour du monde, l'étudiant de visu sur les continents, dans les livres sur mer, devenant ainsi capable de parler, d'écrire sur la cosmographie en dix langues, comme il n'y a peut-être pas deux êtres humains dans l'univers.

L'ébahissement du maître a cru jusqu'à ces dernières lignes. Il croit rêver.

— Vous avez fait là, à vous en croire, bien des choses, Monsieur. Les nombreux chapitres de votre vie errante rempliraient l'existence d'un nombre respectable d'individus actifs et constitueraient de jolis mémoires... Mais cela ne me dit pourtant pas autant que des diplômes. Ceux-ci sont les assises de l'édifice intellectuel et moral que sera, que peut être l'individu ; ils affermissent ce qu'il fut, ce qu'il est, suivant les carrières suivies.

— Mais, Monsieur, si je ne puis vous montrer de diplômes, je puis vous donner un ample aperçu de mes dires, des connaissances que j'ai acquises. Veuillez donc m'interroger. Prenez tel livre que vous voudrez. Posez-moi telles questions qu'il vous plaira sur les Lettres, les Sciences, les Arts... Je ne demande pas mieux que de vous convaincre.

— Hum! vous interroger...

Le maître paraît vraiment embarassé, bien qu'il lutte pour n'en rien laisser paraître. Il tire de sa poche une boîte en or remplie de. poudre de Virginie, hume lentement, avec précaution, tapote son jabot d'une impeccable reluisance et répète : -

— Vous interroger... demande du temps... Et puis cela ne me plaît... car me poser en examinateur... devant un homme de votre âge... - ;

— Qu'à cela ne tienne, Monsieur... II n'y a pas encore' dix ans que j'avais l'honneur de professer la littérature "française au National Lyceum de Stockolm et de prendre part aux examens de sortie... Voulez-vous me.permettre de vous poser quelques interrogations? Vous pourrez juger par celles-ci de mon fond intellectuel.

Le maître paraît amusé de cette désinvolte idée et ne trouve pas de réponse pour l'acceptation ou le refus, alors que l'homme ne lui donne long temps à réflexion, continue : — Vous permettez cette interversion des rôles? Oh ! deux minutes seulement... Me diriez-vous la cause réelle de la guerre de Cent ans ?

— Oh ! c'est enfantin.

— Les chefs qui prirent part aux triomphes de César ?... L'influence sur. les moeurs anglaises de la guerre des Deux-Roses ? Quels furents les résultats immédiats de là mort de Cromwel?... Le véritable instigateur de la fortune de Guillaume. d'Orange, plus tard roi d'Angleterre?... La raison réelle du crime de Catherine, faisant périr son mari, Paul III?... Ce qui fit, après Pierre le Grand, la fortune, plus tard compromise, de l'empire moscovite?...

moscovite?... causés du morcellement de l'empire allemand, de la décadence de l'Espagne?... Savez-vous qui a fait la fortune des Anglais aux Indes?... Assigneriez-vous une prééminence à la civilisation chinoise sur la civilisation égyptienne et grecque?... ■ Sur quels faits historiques, archéologiques, littéraires, scientifiques appuieriez-vous votre assertion?... Quelle est la famille régnante en Chine, au Japon?... Citeriez-vous quelques articles de la Constitution nipponne de 1869?... Expliqueriez-vous ce qui a fait la fortune des républiques Nord et Sud-Américaines, ce qui a provoqué la fédération libérale des Etats du Nord?... Pourquoi

Pourquoi s'acharna si durement sur les Espagnols dans leurs colonies si rudement gérées?..; Entre quels méridiens placez-vous le chemin de fer dont le tracé va du Cap au Caire?... Où prend sa source le Volga?... l'Obi?... l'Indus?... le Niger?... l'Amazone?... le Mississipi?... le Tage?... Où s'étendent les monts Grampians, la chaîne de Riensen Geb?... les Alpes carniques?... les monts Katoun?... le Davalaghiri?... les Fusi-Yama ?... le mont Brown?...

Le maître se frotte le front où perlent des gouttes de sueur; mais le solliciteur, qui ne semble pas s'en apercevoir, continue :

— Diriez-vous quelles religions sont professées en Turquie d'Asie?... aux îles nipponnes?... dans la Terre de Feu?... au Canada?... en Lapouie?... L'industrie première de la Perse?... de la Mongolie?... du Thibet?... des îles de la Sonde?... du Chili?... de la république d'Andorre?... de la Roumanie?... de l'Islande?...

Me donneriez-vous le nom de l'architecte-roi qui fit édifier la plus grande des pyramides d'Egypte?... Par qui fut fondée la Thèbes aux cent portes?... Quel fut le protecteur de Phidias?... l'ami de Sophocle?... la compagne de Solon?... le conseiller de Caton l'Ancien?... l'architecte du Parthénon? celui de l'Acropole d'Athènes?... du Capitole de Rome?... des arènes de Nîmes?... Comment se nomme l'Assemblée légiférante de la Suède?... de la Prusse?... de la Hongrie?... de l'Espagne?... du Brésil?... du Canada?... de l'Australie?... du Cap?... de la Serbie?... Sur quels principes reposent la téléphonie sans fil, la téléphotographie, la transmission des ondes sonores sous l'eau?...

Voilà, au courant de la pensée, autant de demandes auxquelles je peux répondre aussitôt, autant de sujets sur lesquels je peux faire tout de suite tels articles qu'il vous plaira.

Vous voyez, Monsieur, quel précieux auxiliaire vous pouvez trouver en moi, cela dit sans intention malveillante à l'égard dés personnes qui sollicitent votre collaboration.

Le maître poussa un soupir de soulagement nuancé de satisfaction; et, prenant hâtivement une nouvelle prise :

— Je vous accepte, Monsieur ; je vous accepte, répéta-t-il vivement. Nous commencerons demain. Quant au traitement, je vous donnerai... cent cinquante francs par mois et le petit déjeuner de neuf heures. Cela vous va ?

— Parfaitement, Monsieur, c'est convenu. A qui ai-je l'honneur de parler?

— A M. Despalmes, membre de l'Académie française.

— Je commençais à m'en douter, Monsieur. Cela est parfait. Vous pourrez, sans frais, utiliser les communications qui me sont régulièrement faites, mais me touchant fréquemment fort tard, vu mon peu de stabilité, de toutes les grandes académies de l'univers.

— Ah!... Et cela?

— Parce que je suis correspondant ou membre actif de toutes ces académies.

Ahurissement croissant de l'académicien qui s'est levé sur la prise de congé fort discrète du futur secrétaire, le saluant.

— A demain, cher Maître.

— Non, pas à demain, mais à... mercredi.

— Soit. A mercredi. Votre serviteur.

Le mercredi matin, à la même heure, les deux lettres-ci étaient lues par leur destinataire :

" A Monsieur Hyacinthe Despalmes, membre de l'Académie française, rue du Helder, 8, Paris.

» Un câblogramme de Vénézuéla m'annonce que Castro est à toute extrémité.


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» Je m'embarque demain pour l'Amérique. Je ne puis donc vous prêter ma collaboration.

» Mille regrets qu'atténuent amplement mille projets agréables d'avenir.

» Jean LIMOUSIN. »

« A Monsieur Jean Limousin, explorateur, rue Monge, 75, Paris.

» La direction de la Revue des Deux-Hémisphères qui m'avait été promise étant donnée à un intrigant, votre collaboration me devient inutile.

« Avec ma contrariété, tous mes remerciements.

» Hyacinthe DESPALMES, » Académicien. »

E. DE RAVERLAS.

Chronique théâtrale

Après quelques excellentes reprises de la Belle. Hélène, des Filles de Jackson et de Surcouf, où nos artistes d'opérette se sont montrés ce que nous les avons déjà vus depuis le début de la saison, c'est-à-dire excellents, M. Coste, le jeune directeur de notre scène municipale, vient de commencer sa saison d'opéracomique par Lakmé, bientôt suivi des Dragons de Villars, de Carmen et de Manon.

Nous n'apporterons pas un jugement définitif sur les interprétations de ces opéras-comiques, où les nouveaux pensionnaires se sont montrés cependant assez bons artistes.

Nous donnons ci-dessous quelques notes biographiques sur M. Decreus, le sympathique ténor d'opérette, et sur M. Bernard, 1re basse chantante d'opéra comique.

M. DECREUS, 1er ténor d'opérette

M. Decreus est né à Lille en 1880. Il commença ses études.de chant au Conservatoire de Lille et se perfectionna à Paris sous la direction des maîtres Mauguière et Ismardon, de l'Opéra-Comique. Après s'être-fait applaudir à la Sorbonne, au Trocadéro et dans les grands concerts classiques Lamoureux et Berlioz, il se décide à aborder le théâtre et ne s'en plaint pas.

Ses débuts à Avignon furent remarquables : il y fut reçu à l'unanimité.. Il triomphe cet,hiver à Montpellier d'abord, dans l'opéra et l'ôpéra-comique, et au Gymnase de Marseille comme ténor d'opérette, où il obtint un succès sans cesse grandissant et fut ovationné presque chaque soir. En sommme, M. Decreus, quoique très jeune, a déjà à son actif plusieurs saisons notoires qu'il a remplies avec grand succès.

M. Edouard BERNARD, 1re basse chantante

M. Bernard est né à Namur (Belgique) le 13 mars 1867. Elève du Conservatoire royal d'Anvers, il débute au Théâtre royal de la même ville en 1893. Réengagé pour la saison suivante, il quitte son pays natal pour passer dans les grandes villes de France et de l'étranger: Nice, Paris, Nantes, Genève, Le Caire, Carcassonne, Besançon, Nîmes, Amiens, Le Hâvre, Brest, Bruxelles, Liège, Tunis, La Réunion, Saïgon. Dans cette dernière ville, son directeur ayant été destitué de son mandat, M. Bernard est désigné pour lui succéder par le Conseil municipal. M. Bernard a fait un grand nombre de créations : le Jongleur de Notre-Dame, au Grand Théâtre d'Alger; Thaïs, rôle d'Athanaïl, à Besançon et Amiens; rôle de Simon, opéra Sombreval de Grelinger, Amiens; rôle de Spendius, Salambô, opéra de Nice. M. Bernard a remporté des premiers prix de piano, de solfège et de chant. Compositeur distingué, il travaille en ce moment à un opéra-comique en 4 actes : Lucie, l'enfant maudite.

STRAPONTIN.

BIBLIOGRAPHIE

Notre érudit collaborateur Nonce Casanova publie chez Ambert son nouveau roman si attendu : La Vache.

C'est une oeuvre puissante d'une sincérité trop rude peut-être, mais d'un rare bonheur de poésie âpre et d'observation-précise.

C'est une oeuvre où la Vie circule, impétueuse souveraine, fixant à chaque page ses nuances émues, sa réalité poignante, sa violence sublime, et créant avec sa propre sève cette inoubliable figure de Bouffe-Bouses qui demeurera dans le vaste champ dès passions humaines.

LIMOGEOIS.

Droits de reproduction et de traduction-réservés.

Le Gérant : E. FUSADE.

Limoges. — Imprimerie Ducourtieux et Gout.