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Ce peuple en larmes, triste, et que la faim déchire, Doit être satisfait, puisqu'il vous entend rire Et qu'il vous voit danser.
Qu'importe ! Allons, emplis ton coffre, emplis ta poche. Chantez, le verre en main, Troplong, Sibour, Baroche !
Ce tableau nous manquait. Regorgez, quand la faim tient le peuple en sa serre, Et faites, au-dessus de l'immense misère,
Un immense banquet!
IV
Ils marchent sur toi, peuple ! ô barricade sombre, Si haute hier, dressant dans les assauts sans nombre
Ton front de sang lavé, Sous la roue emportée, étincelante et folle, De leur coupé joyeux qui rayonne et qui vole,
Tu redeviens pavé !
A César ton argent, peuple ; à toi la famine. N'es-tu pas le chien vil qu'on bat et qui chemine
Derrière son seigneur ? A lui la pourpre ; à toi la hotte et les guenilles. Peuple, à lui la beauté de ces femmes, tes filles,
A toi leur déshonneur.
V
Ah ! Quelqu'un parlera. La muse, c'est l'histoire. Quelqu'un élèvera la voix dans la nuit noire,
Riez, bourreaux bouffons ! Quelqu'un te vengera, pauvre France abattue, Ma mère ! et l'on verra la parole qui tue
Sortir des cieux profonds.
Ces gueux, pires brigands que ceux des vieilles races, Rongeant le pauvre peuple avec leurs dents voraces,
Sans pitié, sans merci, Vils, n'ayant pas de coeur, mais ayant deux visages, Disent : — Bah ! le poète ! Il est dans les nuages ! —
Soit. Le tonnerre aussi.
Jersey, janvier 1853