Les Gerbes
P.-E. Colin
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Le jeu des grâces
Le frère et la soeur : lui, beau comme un dieu virginal ; forte comme un homme, elle, virilement femme, belle en demi-déesse.
Ils se ressemblent de traits et de couleurs ; mais ils n'ont ni le même modelé, ni la moindre expression commune.
Tous deux, outillés de fourches, sont attentifs à la même besogne, mais leurs deux rôles prêtent à de beaux gestes frères qui ne se ressemblent en rien :
Lui, le plus frêle, juché sur la haute charrettée de gerbes à peine entamée, pique et lance.
La plus forte, elle 1 reçoit debout sur une marche, à mi-chemin de la grange"où elle rejette les balles de blé.
Tantôt les fourches mordent à belles dents ; tantôt grignotent les épis, semant de miettes blondes l'escalier gris où picorent les poules aux crêtes de corail.
Déjà se marque, dans leur double travail, une différence de caractère.
Elle a moins d'ardeur que lui, et moins d'adresse ; elle cherche à tromper l'effort et laisse tomber la balle qu'il faut ensuite repêcher. Ses seins la gênent. 'Les lourds épis noirs de ses tresses relevées sont fauchés soudain sous une avalanche mal parée, et s'écroulent mêlés de barbes d'or. Et c'est alors une lutte incessante avec ces deux serpents qui s'enroulent, étouffant sa force, aux muscles mouvants de ses bras.
Mais je pense qu'elle .a bravement assumé il a tâche la plus dure. Je voudrais bien voir à sa place, son frère Téphèbe, aise et rieur !