208 NAPOLÉON LE PETIT.
même proscription, ils se racontent leurs misères. Celui qui a de l'argent le partage avec ceux qui n'en ont pas, celui qui a de la fermeté en donne à ceux qui en manquent. On échange les souvenirs, les aspirations, les espérances. On se tourne, les bras tendus dans l'ombre, vers ce qu'on a laissé derrière soi. Oh! qu'ils soient heureux là-bas, ceux qui ne pensent plus à nous! Chacun souffre et par moments s'irrite. On grave dans toutes les mémoires les noms de tous les bourreaux. Chacun a quelque chose qu'il maudit, Mazas, le ponton, la casemate, le dénonciateur qui a trahi, l'espion qui a guetté, le gendarme qui a arrêté, Lambessa où l'on a un a'mi, Cayenne où l'on a un frère ; mais il y a une chose qu'ils bénissent tous, c'est toi, France!
Oh! une plainte, un mot contre toi,France! non, non, on n'a jamais plus de patrie dans le coeur que lorsqu'on est saisi.par l'exil.
Ils feront leur devoir entier avec un front tranquille et une persévérance inébranlable. Ne pas te revoir, c'est là leur tristesse; ne pas t'oublier, c'est là leur joie.
Ah! quel deuil! et après huit mois on a beau se dire que cela est, on a beau regarder autour de soi et voir la flèche de Saint-Michel au lieu du Panthéon, et voir Sainte-Gudule au lieu de Notre-Dame, on n'y croit pas!
Ainsi cela est vrai, on ne peut le nier, il faut en convenir, il faut le reconnaître, dût-on expirer d'humiliation et de désespoir, ce qui est là, à terre,' c'est le dixneuvième siècle, c'est la France!
Quoi ! c'est ce Bonaparte qui a fait cette ruine !
Quoi! c'est au centre du plus grand peuple de la terre; quoi! c'est au milieu du plus grand siècle de l'histoire que ce personnage s'est dressé debout et a