248 NAPOLÉON LE PETIT.
Si vous n'aviez fait que voler l'homme, vous auriez tort; tuez-le, vous avez raison.
Réussissez, tout est là.
Ah! ceci est redoutable.
Le jour où la conscience humaine se déconcerterait, le jour où le succès aurait raison devant elle, tout serait dit. La dernière lueur morale remonterait au ciel. Il ferait nuit dans l'intérieur de l'homme. Vous n'auriez plus qu'à vous dévorer entre vous, bêtes féroces!
A la dégradation morale se joint la dégradation politique. M. Bonaparte traite les gens de France en pays conquis. Il efface les inscriptions républicaines ; il coupe les arbres de la liberté et en fait des fagots. Il y avait, place Bourgogne, une statue de la République: il y met la pioche; il y avait sur les monnaies une figure de la République couronnée d'épis.: M. Bonaparte la remplace par le profil de M. Bonaparte. Il fait couronner et haranguer son buste dans les marchés comme le bailli Gessler faisait saluer son bonnet. Ces manants des faubourgs avaient l'habitude de chanter en choeur, le soir, en revenant du travail ; ils chantaient les grands chants républicains, la Marseillaise, le Chant du départ : injonction de se taire; le faubourien ne chantera plus ; il y a amnistie seulement pour les obscénités et les chansons d'ivrogne. Le triomphe est tel qu'on ne se gêne plus. Hier on se cachait encore, on fusillait la nuit; c'était de l'horreur, mais c'était aussi de la pudeur ; c'était un reste de respect pour le peuple; on semblait supposer qu'il était encore assez "vivant pour se révolter s'il voyait de telles choses. Aujourd'hui on se montre, on ne craint plus rien, on guillotine en plein jour. Qui guillotine-t-on? Qui? Les hommes de la loi! et la jus-