138 NAPOLÉON LE PETIT.
Les habitants s'abordaient tout pâles et s'interrogeaient : Avez-vous vu ce qui est dans la place? — Oui. — Pour qui?
C'était pour Charlet.
La sentence de mort avait été déférée à M. Bonaparte; elle avait longtemps dormi à l'Elysée; on avait d'autres affaires; mais un beau matin, après sept mois,personne ne songeant plus ni à l'engagement de Seyssel, ni au douanier tué, ni à Charlet, M. Bonaparte, ayant probablement besoin de mettre quelque chose entre la fête du 10 mai et la fête du 15 août, avait signé l'ordre d'exécution.
Le 29 juin donc, il y a quelques jours à peine, Charlet fut extrait de sa prison. On lui dit qu'il allait mourir. Il resta calme. Un homme qui est avec la justice ne craint pas la mort, car il sent qu'il y a deux choses en lui, l'une, son corps, qu'on peut tuer, l'autre, la justice, à laquelle on ne lie pas les bras et dont la tête ne tombe pas sous le couteau.
On voulut faire monter Charlet en charrette. — Non, dit-il aux gendarmes, j'irai à pied, je puis marcher, je n'ai pas.peur.
La foule était grande sur son passage. Tout le monde le connaissait dans la ville et l'aimait; ses amis cherchaient son regard. Charlet, les bras attachés derrière le dos, saluait de la tête à droite et à gauche. — Adieu, Jacques! adieu. Pierre, disait-il, et il souriait.—Adieu, Charlet, répondaient-ils, et tous pleuraient. La gendarmerie et la troupe de ligne entouraient l'échafaud. Il y monta d'un pas lent et ferme. Quand on le vit debout sur l'échafaud, la foule eut un long frémissement; les femmesjetaientdes cris, les hommes crispaient le poing.