110 NAPOLÉON LE PETIT.
VII
« La tuerie terminée, — c'est-à-dire à la nuit noire, — on avait commencé en plein jour, — on n'enleva pas les cadavres; ils étaient tellement pressés que rien que devant une seule boutique, la boutique de Barbedienne, on en compta trente-trois. Chaque carré de terre découpé dans l'asphalte au pied des arbres du boulevard était un réservoir de sang. « Les morts, dit un témoin, « étaient entassés en monceaux, les uns sur les autres, « vieillards, enfants, blouses et paletots réunis dans un « indescriptible pêle-mêle, têtes, bras, jambes con« fondus. »
« Un autre témoin décrit ainsi un groupe de trois individus : « Deux étaient renversés sur le dos; un troi« sième, s'étant embarrassé entre leurs jambes, était « tombé sur eux. » Les cadavres isolés étaient rares, on les remarquait plus que les autres. Un jeune homme bien vêtu était assis, adossé à un mur, les jambes écartées, les bras à demi croisés, un jonc de Verdier dan la main droite, et semblait regarder; il était mort. Un peu plus loin les balles avaient cloué contre une boutique un adolescent en pantalon de velours de coton qui tenait à la main des épreuves d'imprimerie. Le vent agitait ces feuilles sanglantes sur lesquelles le poignet du mort s'était crispé. Un pauvre vieux, à cheveux blancs, était étendu au milieu de la chaussée, avec son parapluie à côté de lui. Il touchait presque du coude un jeune homme en bottes vernies et en gants jaunes qui gisait ayant encore le lorgnon dans l'oeil. A quelques pas était couchée, la tête sur le trottoir, les pieds sur le pavé, une femme