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Titre : Travaux de la Société d'histoire et d'archéologie de la province de Maurienne : bulletin

Auteur : Société d'histoire et d'archéologie de Maurienne. Auteur du texte

Éditeur : Société d'histoire et d'archéologie de la province de Maurienne (Chambéry)

Éditeur : Société d'histoire et d'archéologie de la province de MaurienneSociété d'histoire et d'archéologie de la province de Maurienne (St Jean de Maurienne)

Date d'édition : 1901

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32880469r

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb32880469r/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

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Description : 1901

Description : 1901 (SER2,T3,PART1).

Description : Collection numérique : Fonds régional : Rhône-Alpes

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k4871381

Source : Société d'histoire et d'archéologie de Maurienne

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 24/09/2008

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TRAVAUX Q DE L\ SOCIÉTÉ ^-–

D'HISTOIR); pf D'ARCH$OLOGII; D'HISTOIRE ET D ARCHEOLOGIE DE MAURIENNE

DEUXIÈME SÉRIE

TOME TROISIÈME PREMIÈRE PARTIE

SAINT-JEAN-DE-MAURIENNE

IMPRIMERIE VULLIERMET FILS

1901

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D'HISTOIRE ET D'ARCHÉOLOGIE DE MAURIENNE

SOCIÉTÉ


D'HISTOIRE ET D'ARCHÉOLOGIE

TRAVAUX

DE MAURIENNE

DEUXIÈME SÉRIE

TOME TROISIÈME PREMIÈRE PARTIE

SAINT- JEAN-DE-MAURIENNE

IMPRIMERIE VULLIERMET FILS

DE LA SOCIÉTÉ

1901


#Art. 16 du règlement:

La Société déclare laisser à chaque auteur la responsabilité des assertions et opinions émises dans son travail.

Cet article sera inséré en tête de chacune de ses publications.


TABLEAU DES MEMBRES DE LA SOCIÉTÉ

au lr Janvier 1901

'MEMBRES EFFECTIFS:

MM.

ALBERT Jean-Baptiste (l'abbé), curé-archiprêtre à Fontcouverte

ANSELME Jean-Baptiste, conducteur des Ponts et Chaussées, à St-Jean-de-Maurienne

ARNAUD Eugène, greffier du Tribunal, à St-Jean-de-Maurienne

Azario Emmanuel, pharmacien, à Modane

BONNET Alexandre, ancien avoué, à St-Jean-de-Maurienne BRIGANDO Louis, notaire, à St-Etienne-de-Cuines BRUNET Albert (l'abbé), chan. non., supérieur du Petit-Séminaire, à St-Jean-de-Maurienne

BRUNET Charles, avocat, à St-Jean-de-Maurienne; BUTTARD Paul, (l'abbé), chanoine, à St-Jean-de-Maurienne BUTTIN Félix, notaire, à St-Michel-de-Maurienne CARLE Ernest, juge au Tribunal, à St-Jean-de-Maurienne CHARVOZ Joseph (l'abbé), chan. non., aumônier des Sœurs de St. Joseph, à St-Jean-de-Maurienne

CORBIÈRE Joseph, ingénieur, directeur de la Société des Plâtrières de Savoie, à St-Avre

CUDET François, ancien capitaine de gendarmerie, à St-Jeande-Maurienne

Demaison Charles (l'abbé), chan. hon., curé-archiprêtre, à Modane

Ducloz François, imprimeur, à Moûtiers

Dufour Victor, à Faverges (Haute-Savoie)

FAYEN Remy, directeur de la Cil des Mines et Usines de StMichel et Sordière, à St-Michel-de-Maurienne

Fooeré Barnabé, médecin, à St-Jean-de-Maurienne FRANCOZ Jean (l'abbé), professeur au Petit-Séminaire, à StJean-de-Maurienne

FROMENT Claude (l'abbé), curé, à Argentine

GORRÉ Achille (l'abbé), professeur au Petit-Séminaire, à StJean-de-Maurienne

GRANGE François, à Randens

GRANGE Jean, médecin, à St-Jerm-ie-Maurienne


GRAVIER Emilien, médecin, conseiller général, maire de Modane

GRAVIER François, pharmacien, à St-Jean-de-Maurienne GRO'S Adolphe, (l'abbé), licencié ès-lettres, professeur au Petit-Séminaire, à St-Jean-de-Maurienne

Hermiraz Xavier (l'abbé), prévôt du Chapitre de la Cathédrale, vicaire général, supérieur du Grand-Séminaire, à StJean-de-Maurienne

Jorio Désiré, commissionnaire, à Modane

JOURDAIN Alexis (l'abbé), curé, à Orelle

LAPORTE Maurice, juge au Tribunal, à St-Jean-de-Maurieune; LAYMOND Jean-Baptiste, avoué, à St-Jean-de-Maurienne LE MARANT DE KERDANIEL Edouard, juge au Tribunal, à St-Jean-de-Maurienne

MANECY Jules, sous-inspecteur des Douanes, à Bayonne (Basses-Pyrénées)

Comte DE MARESCHAL DE LUCIANE Clément, membre effectif de l'Académie de Savoie, à Billiéme

PACHOUD François (l'abbé), professeur au Petit-Séminaire, à St-Jean-de-Maurienne

PARET Jean-Pierre (l'abbé), professeur au Grand-Séminaire, à St-Jean-de-Maurienne

PASCAL Silvère, instituteur en retraite, aux Fourneaux PERRET Eloi, comptable, à Prémoct (Orelle)

PERRET Lucien Camille, chanoine, à St-Jean-de-Maurienne PIOT Charles, médecin, conseiller général, à Aiguebelle Pommet Simon (l'abbé), curé, à St-Jean-d'Arves RECHU Jean-Baptiste (l'abbé), curé, à Montvernier; RICHARD Edouard, médecin, à Termignon

RICHARD François (l'abbé), chan. hon ouré-archiprêtre à St-Jean-de-Maurienne

RIVET Victorin (l'abbé), curé à N.-D. du Villard (St-André) db SEYNES Louis, ingénieur, ancien directeur de la Société d'Electro-Chimie à Prémont (Orelle), à Versailles Comte DE SEYSSEL Marc, ehâteau de Musin près Belley (Ain); TRUCHET Florimond, pharmacien, conseiller général, maire de St-Jean-de-Maurienne

TRUCHET Saturnin (l'abbé), chanoine, membre effectif de l'Académie de Savoie, à St-Jean-de-Maurienne TURBIL Benoît, inspecteur primaire en retraite, à Lanslevillard

Viannay Jules (l'abbé), curé, à Termignon

Villet Jean, contrôleur des Mines, à St-Jean-de-Maurienne;


VULLIERMET Joseph, imprimeur, à St-Jean-de-Maurienne VULLIERMET Philibert, antiquaire, à St-Jean-de-Maurienne; WAiLLiF.zPaul Emile, vérificateur des Douanes au Hâvre (Seine-Inférieure).

MEMBRES HONORAIRES & CORRESPONDANTS MM.

D'ARCOLLIÈREs Eugène, secrétaire perpétuel de l'Académie de Savoie, à Chambéry

Borson Francisque, général de division, ancien président de l'Académie de Savoie, à Chambéry

BOUCHAGE Léon (l'abbé), chan. hon., aumônier des Sœurs de St. Joseph, membre effectif de l'Académie de Savoie, à Chambéry

BOURGOIGNON Arthur, capitaine au 60' de ligne, à Besançon (Doubs)

DE CAZENOVE Raoul, à Lyon;

Duport Emile, président du syndicat agricole de Belleville, vice-président de la Société des Agriculteurs de France, à Lyon

FALCONNET Jean (l'abbé), curé, à Magland (Haute-Savoie) FONTENAILLE Philippe, inspecteur primaire, à Tulle (Corrèze)

GUILLAUME Paul (l'abbé), archiviste des Hautes-Alpes, à Gap;

Pérouse Gabriel, archiviste du département de la Savoie, à Chambéry

PERRIN André, libraire, membre effectif de l'Académie de Savoie, à Chambéry

RAMBAUD Alfred, sénateur, ancien ministre, à Paris RETOURNARD Charles, directeur des contributions directes en retraite, à Bruyères (Vosges)

RITTER Eugène, professeur à la Faculté des lettres, à Genève; TRILLON DE LA Bigottière Charles (l'abbé), à Paris.


BUREAU DE LA SOCIÉTÉ

ÉLU LE 5 MARS 1900

Président: M. le chanoine S. TRUCHET

Vice-Président: M. F. TRUCHET, maire;

Secrétaire M. l'abbé GROS

Archiviste-Bibliothécaire M. ARNAUD

Archiviste-Bibliothécaire et Secrétaire-Adjoint: M. l'abbé GORRÉ

Trésorier: M. A. BONNET.

NÉCROLOGIE

Depuis le 6 juin 1899, la Société a perdu trois de ses membres effectifs

M. le comte Amédée de Foras, ancien grand maréehal du palais du prince Ferdinand de Bulgarie né à Gênes le 5 août 1830 reçu membre de notre Société le 25 août 1880 décédé en son château de Thuiset, près Thonon-les-Bains (Haute-Savoie) le 31 décembre 1899.

M. Pierre Joseph Guille, ancien receveur des douanes à Modane; né à St-Jean-de-Maurienne le 8 décembre 1829 membre de la Société depuis le 6 juin 1892; décédé à St-Jean-de-Maurienne le 20 février 1900.

M. François Buttard, ancien receveur de l'Hospice; né à St-Jean-de-Maurienne le 26 février 1831 membre de la Société depuis le 9 mars 1891 et pendant longtemps son trésorier décédé à St-Jean-de-Maurienne le 27 novembre 1900.

La Société a aussi perdu un de ses membres honoraires les plus anciens, M. Alexis de Jussieu, ancien archiviste du département de la Savoie reçu le 9 octobre 1801; décédé à Aix-les-Bains le 11 octobre 1899


SOCIÉTÉS CORRESPONDANTES

v

Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts, à Chambéry (Savoie)

Société Savoisienne d'Histoire et d'Archéologie, à Chambéry

Société centrale d'Agriculture de la Savoie, à Chambéry

Société d'Histoire Naturelle de la Savoie, à Chambéry

Académie de la Val-d'Isère, à Moûtiers (Savoie) Société Florimontane, à Annecy (Haute-Savoie); Académie Salésienne, à Annecy

Académie Chablaisienne, àThonon-les-Bains(Haute-Savoie)

Académie Delphinale, à Grenoble (Isère)

Société de Statistique, des Sciences Naturelles et des Arts industriels du département de l'Isère, à Grenoble

Société d'Emulation, à Bourg-en-Bresse (Ain) Comité d'Histoire ecclésiastique et d'Archéologie religieuse des diocèses de Valence, Digne, Gap, Grenoble et Viviers, à Valence (Drôme).

Société d'Etudes, à Gap (Hautes-Alpes)

Société Littéraire, à Lyon (Rhône)

Bulletin du diocèse de Lyon

Société des Lettres, Sciences et Arts, à Nice (AlpesMaritimes)

Société des Sciences, à Toulon (Var)

Société dos Sciences naturelles et archéologiques, à Guéret (Creuse)

Société Archéologique, à Montauban (Tarn-et-Garonne)

Société Académique, à Brest (Finistère)

Société Académique, à Cherbourg (Manche)


Commission historique du département du Nord, à Lille

Société d'Histoire et d'Archéologie, à Ghâlon-surSaône (Saône-et-Loire)

Société Archéologique, à Rambouillet (Seine-etOise)

Académie de Nîmes (Gard)

Société des archives historiques de Saintonge et d'Aunis, à La Rochelle (Charente-Inférieure) Les Amis des Sciences et Arts, à Rochechouart (Haute-Vienne)

Musée Guimet, à Paris

Société d'Histoire et d'Archéologie, à Genève (Suisse)

Smithsonian Institution, à Washington (Etats-Unis d'Amérique).

Académie Royale des Belles-Lettres, Histoire et Antiquités, à Stockolm (Suède).


COMPTE-RENDU DES SÉANCES

DE LA

SOCIÉTÉ D'HISTOIRE ET D'ARCHÉOLOGIE

DE MAURIENNE

Séance du 6 novembre 1899.

Présidence de M. le chanoine Truchet, président. Le président exprime le vœu que la nouvelle session soit marquée par une activité studieuse et de nombreux travaux.

Il donne connaissance de ia décision du Conseil général faisant une réduction de moitié sur l'allocation annuelle de 200 fr. qu'il avait accordée jusqu'à présent à notre Société. C'est, assure-t-on, une pure mesure d'économie, en projet depuis plusieurs années, et elle a été appliquée aux autres Sociétés savantes de la Savoie.

En souvenir de la sympathique réception qui nous a été faite lors de notre excursion à Montvernier (7 juin 1898), à Pontamafrey, Ste-Marie et St-Etienne de Cuines (13 juin 1899), l'assemblée offre aux maires de ces communes un exemplaire du bulletin qui vient de paraître et où se trouvent de nombreuses communications intéressant ces localités.

Elle fait bon accueil à la lettre de M. le Préfet de la Haute-Savoie demandant la collection de nos bulletins pour la salle de travail des archives départementales où, d'après un rapport de M. Max Bruchet,


archiviste, ils sont souvent demandés. Conformément à cette lettre, M. le Sous-Préfet de St-Jean-deMaurienne sera prié de lui faire parvenir cet envoi. Lecture de diverses circulaires relatives à l'exposition universelle de 1900, à laquelle les Sociétés savantes sont invitées à prendre part par l'envoi de leurs publications parues depuis 1889. Cet envoi sera fait incessamment, en même temps que celui des exemplaires destinés aux Sociétés correspondantes. M. le chanoine Truchet rapporte deux faits qui viennent à l'appui de ce qu'il a dit, dans la séance du 3 juin dernier (1), des maisons de la ville de St-Jean réduites en ruynes par les soldats de Lesdiguières en 1597 ils sont consignés dans les délibérations du conseil de la ville.

Le 4 novembre 1602, Philippe Chaix est poursuivi pour le payement de tailles « occasion de deux chas de maisonnement tombés en ruyne par l'ennemi. » II y a été condamné, à moins qu'il ne préférât « vuyder ses mains des dits maisonnements. » Il préfère abandonner ces masures à la ville.

EnlG08, le duc de Savoie Charles-Emmanuel V demande un subside de trois quartiers, c'est à dire équivalent aux trois quarts de la taille ordinaire, à l'occasion du mariage de ses filles. Le 18 janvier 1609, le Chapitre de la cathédrale présente au président de la Chambre des Comptes de Savoie un mémoire dans lequel il sollicite la réduction du subside à deux quartiers, « obstant sa pauvreté, la plus grande partie des maisons des chanoines réduite en ruyne par l'ennemy, ne pouvant estre restaurées et rebas ties. »

On ne sait pas où était située la maison de Philippe Chaix. Celles du Chapitre entouraient l'église Notre-Dame et la cathédrale elles comprenaient (1; Travaux de la Société. 2' série, t. 2, 2' part p. 23.


sur la grand'rue, les maisons Rambaud et Léger toutes celles de la rue du Cloître jusqu'à la maison Laymond inclusivement, et sur la place de la Cathédrale alors cimetière, le presbytère actueL les maisons Albrieux et Bonnet et celle qui les sépare. La plus grande partie de ces maisons avait donc été détruite, sans doute par le feu, et nous avons vu que la destruction s'était étendue plus loin, puisque la maison de la Confrérie du St-Eprit (maison Carloz) était aussi en ruine.

M. le chanoine Truchet donne encore la note suivante qui pourra mettre les chercheurs sur la piste d'une découverte plus importante.

« En cherchant, dit-il, dans le Recueil des Charles de l'abbaye de Cluny, un renseignement que je n'ai pas trouvé, j'ai rencontré un nom qui m'a rappelé un des points de la conférence que M. le curé de St-Julien nous a donnée à Pontamafrey le 13 juin dernier. Au mois de mars de l'année 951, le prêtre Amalfred, de concert avec son frère Girold et Anastasie, femme de celui-ci, fait donation de propriétés situées dans le district (in pago) de Lyon, à son neveu Amalfred, clerc, fils de Girold et d'Anastasie, avec clause de dévolution à Sisfred, frère du donataire. Le lr décembre 971, Amalfred, le neveu, devenu prêtre, donne à l'abbaye de Cluny l'église de Saint-Michel de Médon et d'autres propriétés aussi situées dans le district de Lyon. Un des' signataires est Girold ou Gérold, neveu du donateur et fils de Sisfred. L'année suivante, le 27 avril, Amalfred et Sisfred font acquisition d'un jardin (curtilum) au village de Méon, dans le district de Vienne. Il est probable qu'ils habitaient cette localité. Il l'est également que, selon la coutume, le nom d'Amalfred s'est transmis dans la famille d'oncle à neveu ou de père en fils.

« Un membre de cette famille, portant le nom


d'Amalfred, est-il venu en Maurienne en 1034 à la suite d'Humbert-aux-Blanches-Mains ? Y a-t-il, comme tant d'autres, obtenu des propriétés, des fiefs et est-il devenu la tige des Amalfred que, du XIIP au XV* siècle, nos chartes signalent à Pontamafrey, à Hermillon, à St-Jean-de-Maurienne, à St-Michel et à Modane, et qui auraient pris le nom de cet ancêtre comme nom patronymique, à l'instar des Martin, des Henri, des Anselme et de tant d'autres familles ? « Je ne puis que poser ces questions et souhaiter qu'on en trouve la solution qui contribuerait à élucider l'histoire si obscure de la Maurienne aux X* et XI' siècles. »

Le président dépose ensuite deux mémoires l'un sur Les deux royaumes de Bourgogne » l'autre en réponse à M. Pascalein, membre de l'Académie Florimontane d'Annecy, qui, dans un mémoire publié par cette Société, conteste que la souveraineté temporelle des évêques de Maurienne remonte au roi Gontran. Ces mémoires seront examinés par MM. Francoz, Gros et Gorré, professeurs au petit-séminaire.

M. le docteur Foderé remet un travail dont l'auteur se fera connaître prochainement, sur la campagne de 1792-93 en Maurienne. Il est soumis à une commission composée de MM. Le Marant de Kerdaniel, Arnaud et Brunet avocat.

Séance du 4 décembre 1899.

Présidence de M. le chanoine Truchet, président. Après la lecture de diverses lettres et circulaires, le président propose de dresser l'inventaire des meubles appartenant à la Société dans le local que la


municipalité lui concède gratuitement cette proposition est adoptée.

MM. Arnaud et Le Marant de Kerdaniel présentent, comme membre effectif, M. Maurice Laporte, juge d'instruction au tribunal de St-Jean-de-Maurienne le vote est renvoyé à la prochaine séance, qui est fixée au 8 janvier.

La plus grande partie de la séance est consacrée à la lecture du commencement du mémoire sur la campagne de 1792-93 en Maurienne. L'auteur y expose avec beaucoup de clarté les causes de la guerre entre la France et le roi de Sardaigne, les préparatifs, les forces respectives des belligérants et les premiers engagements.

M. le chanoine Truchet lit ensuite la première partie de son mémoire sur les deux royaumes de Bourgogne, l'empereur Conrad-le-Salique et la ville de StJean-de-Maurienne. Cette étude débrouille les origines assez obscures de ces deux royaumes, rectifie en plus d'un point les assertions de quelques historiens et fixe la situation politique de la Maurienne au X' et au XI' siècles.

Séance du 8 janvier 1900.

Présidence de M. le chanoine Truchet, président. Le président ouvre la séance et prononce en ces termes l'éloge funèbre de M. le comte Amédée de Foras, ancien grand maréchal du palais du prince Ferdinand de Bulgarie, membre effectif de l'Académie de Savoie et de notre Société.

« Messieurs. C'est avec une particulière affliction que je remplis ce soir le devoir que nos usages m'imposent à l'égard des confrères dont la mort nous sé-


pare. Vous savez que le dimanche 31 décembre dernier, elle a frappé inopinément le grand patriote savoyard, l'éminent historien non seulement de la noblesse, mais de la terre de Savoie, le travailleur acharné, vrai bénédictin laïque comme je l'ai entendu appeler, j'ajouterai le meilleur ami de notre Société hors de notre province, que fut M. le comte Amédée de Foras.

« Fils du général comte de Foras et de Mlle Vichard de St-Réal, nièce de Joseph et Xavier de Maistre, il naquit à Gênes le 3 août 1830. Un accident qui lui arriva dans sa jeunesse l'empêcha d'être soldat, comme ses deux frères, le colonel Charles et le capitaine Alphonse de Foras, celui-ci blessé à San-Martino en 1859 et mort il y a quelques années. Ce fut pour lui un chagrin dont il ne se consola jamais, car il avait le tempérament essentiellement militaire. « Retiré en son chateau solitaire de Thuyset près Thonon, il s'adonna à la paléographie et au blason, où il devint un maître consommé, et dès avant sa trentième année, il entreprit l'ouvrage monumental unique en son genre, auquel il donna le titre d'Armoriai et Nobiliaire de Savoie. Il annonça cinq volumes, dont trois sont publiés; mais si l'auteur a pu utiliser toutes les richesses qui lui sont venues de partout, ce chiffre sera certainement dépassé. Il consacra à cet ouvrage tout le reste de sa vie, même les loisirs que lui laissèrent les fonctions de grand maréchal du palais du prince Ferdinand de Bulgarie, fonctions qu'il remplit pendant quelques années et qu'il abandonna quand la politique dicta au prince un acte d'apostasie.

« C'est la plume à la main, dans ce cabinet aux murs couverts d'étagères, à cette longue table chargée de parchemins, où il passait ses journées et souvent une partie de ses nuits, qu'une brusque attaque de la


maladie de cœur dont il souffrait depuis quelque temps, l'a foudroyé à dix heures du soir. Mort inopinée, mais non imprévue. Il y avait longtemps qu'il avait la conviction qu'il ne verrait pas la fin de l'impression de Y Armoriai. Au mois de juillet dernier, il m'écrivait: « Je lui donne plus que jamais tout mon temps. Je sens que je ne le terminerai pas mais je voudrais que la publication puisse être continuée quand je n'y serai plus. » Espérons que ce vœu sera réalisé.

« M. de Foras a publié plusieurs brochures, dont la plus intéressante pour nous a pour titre Le comte Humbert I" aux Blanches-Mains, d'après M. le baron Carutti di Cantogno, un traité du Blason en forme de dictionnaire, et un livre sur ce Droit du Seigneur (1) qui a donné lieu à de si abominables calomnies contre l'Eglise et le Moyen-Age. Je recommande surtout les chapitres X, XI et XII à ceux qui veulent avoir des notions exactes sur certaines lois ecclésiastiques anciennes, sur les droits féodaux et la situation économique du Moyen-Age. M. de Foras n'était pas un fanatique de cette époque tant décriée par ceux qui ne l'ont pas étudiée dans les sources. Il en reconnaissait les abus il était de son temps. mais pour le mal comme pour le bien, il n'admettait que ce dont il avait la preuve authentique. Il m'assurait en 1881 que déjà plus de trente mille chartes avait été par lui étudiées à la loupe.

« La note suivante, que je trouve à la p. 219, a ici sa place naturelle. « On voudra bien me permettre de ne pas prendre au sérieux une infecte petite brochure d'un nommé J.-B. Al. attribuant, dans mon propre pays, la pratique du Droit du Seigneur, par les évêques de Maurienne, à St-Jean-d'Arves. On n'en avait jamais entendu parler avant 1848, et je ne dai(1) 1886. Chambéry. André Perrin, éditeur.


gne vraiment pas prendre la peine de la démentir. L'auteur, condamné comme faussaire peu d'années après, est tout aussi faussaire en pseudo-histoire. Les prétendues traditions existant en Maurienne reposent sur des données fantastiques absolument insaisissables. »

« Je suis en mesure d'affirmer que dans aucune de nos chartes, doléances, franchises, etc., il n'y a un seul mot qui sente l'infection dont nous parlons. Donc pure invention du faussaire.

« M. le comte Amédée de Foras a été reçu membre effectif de notre Société le 25 août 1880. Il s'intéressait à ses progrès, lisait soigneusement ses bulletins et il nous a plus d'une fois envoyé des notes que nous avons publiées.

Pour moi, je vous demande, Messieurs, la permission de dire ce mot personnel, il fut un ami depuis le jour où, en 1862, étant venu à St-Jean pour les besoins de l'Armorial, il me fut adressé par Mgr. Vibert. En 1881, sur son appel, j'ai passé quelques semaines à Thuyset. C'est alors surtout que j'ai apprécié la fermeté de ses principes, la loyauté de son Caractère, un peu rude, un peu original, un peu caustique. « Je n'ai pas le temps de couper mes épines, me disait-il ». Il fallait le connaitre et user avec lui de la même rondeur; j'en ai eu quelquefois l'occasion et j'en ai profité, plus que je n'aurais osé le faire avec d'autres amis.

« Le nom d'Amédée de Foras restera aux premiers rangs des hommes de science et de patriotisme dont la Savoie se glorifie. Je suis sûr d'être l'interprète de tous les membres de la Société, et particulièrement t de ceux qui l'ont connu, en lui adressant l'hommage respectueux de nos vifs regrets, à Madame la comtesse de Foras et à ses enfants l'expression de nos plus sincères sympathies. »


A propos de l'inventaire qu'on a décidé de faire des meubles appartenant à la Société, M. Bonnet a observé qu'il serait bon de les garantir par une assurance contre les risques d'un incendie on approuve la mesure proposée.

M. le chanoine Truchet continue la lecture du mémoire dont il nous avait donné les premières pages < à la dernière séance. Il passe en revue et discute les relations diverses des historiens au sujet de la destruction de St-Jean il cite le texte de la bulle de l'empereur Conrad-le-Salique ordonnant la réunion du diocèse de Maurienne à celui de Turin il explique pourquoi cette bulle resta sans exécution. On décide que le mémoire et la bulle seront insérés dans le prochain bulletin (1).

Cette lecture est suivie de celle du mémoire sur la campagne de 1792-1793 en Maurienne l'auteur nous fait connaître les cantonnements des troupes françaises et ceux de l'armée austro-sarde pendant l'hiver de 1792-1793.

M. Maurice Laporte est reçu membre effectif de la Société. On renvoie à la séance de février le vote sur la candidature de M.,Cudet, ancien capitaine de gendarmerie, présenté par M. le chanoine Truchet et M. Villet.

Séance du 5 février 1900.

Présidence de M. le chanoine Truchet.

Le président ouvre la séance et nous fait part de la mort de M. Alexis de Jussieu, dont il parle en ces termes « J'ai appris bien tardivement la mort du plus ancien des membres honoraires de notre Société. Envoyé en Savoie comme archiviste du département aussitôt après l'annexion, M. Alexis de Jussieu n'a (1) V. Mémoires. Documents 1.


plus quitté notre pays et il est mort à Aix-les-Bains le 11 octobre 1899. On lui doit une histoire de l'Instruction primaire en Savoie. Il était membre effectif résident de l'Académie de Savoie et a publié dans les Mémoires de cette compagnie une Histoire de la Sainte Chapelle de Chambéry, et un inventaire raisonné des archives de la préfecture de la Savoie. Sa réception dans notre Société remonte au 9 octobre 1861. »

M. le président lit ensuite la lettre par laquelle M. Lucien Jacquot, juge au tribunal de Thonon, donne sa démission de membre de la Société.

On vote l'admission de M. Cudet, et on renvoie à la séance de mars le vote sur la candidature de M. François Gravier, pharmacien à St-Jean-Maurienne, présenté par MM: Arnaud et Bonnet.

M. l'abbé Martin, directeur du bulletin historique du diocèse de Lyon, ayant proposé l'échange de publications avec notre Société, cette offre est acceptée. En répondant à M. l'abbé Martin, on le priera de communiquer à la Société les renseignements que le comité lyonnais pourrait rencontrer sur le père Guigues de la Botière (St-Pancrace), curé de St-Georges à Lyon avant le XIV siècle, dont il a été parlé dans un précédent bulletin (1).

Après la communication de quelques autres correspondances, on achève la lecture du mémoire sur les campagnes de 1792 et 1793 en Savoie. C'est la partie la plus intéressante de ce travail elle raconte en tous ses détails l'échec de la tentative faite par les Piémontais, au mois d'août 1793, pour réoccuper la Savoie, et leur refoulement sur le plateau du Montcenis, d'où ils ne furent débusqués et rejetés en Piémont que le 14 mai 1794. Mais l'auteur arrête son récit à l'année 1793.

(1) i* série, t. 6, p. 289.


Avant de voter l'impression de ce mémoire, la Société prie M. le docteur Foderé de demander à l'auteur de faire connaitre son nom, d'introduire une légère modification dans la forme générale et d'indiquer, au moins sommairement, les sources auxquelles il a puisé.

Séance du 5 mars 1900.

Présidence de M. le chanoine Truchet, président. L'assemblée est exceptionnellement nombreuse. En ouvrant la séance, le président se fait en ces termes l'interprête des sentiments qu'a inspirés à tous la mort récente de M. Pierre-Joseph Guille. « Messieurs. Voici notre troisième réunion de l'année et pour la troisième fois je dois ouvrir la séance par de tristes paroles. Un vide s'est encore fait dans nos rangs, vide plus sensible cette fois, parce que le confrère disparu était un des plus assidus à nos séances, attentif à toutes nos communications et aimant à les lire encore dans nos bulletins. Il nous était venu tard, il n'avait pas été préparé par sa carrière à prendre autrement part à nos travaux, mais il avait conservé toujours un vif amour de la patrie mauriennaise. Il était aussi resté fidèle aux amitiés d'enfance. En remontant à ces lointaines années, je revois un petit groupe d'inséparables dont nous faisions partie. Depuis bien des années, il n'y avait plus que nous deux; nous aimions à parler de ceux qui étaient partis j'ai eu la douleur d'assister à la mort de mon plus vieil ami.

« M. Pierre Joseph Guille est né à St-Jean-de-Maurienne le 8 décembre 1829. Après sa réthorique, il entra, en qualité de surnuméraire, dans l'administration des douanes sardes, puis fut nommé commis


à Arona, sur les frontières de la Lombardie. L'an. nexion le ramena en Savoie et il fut successivement commis principal à Lanslebourg en 1840 et à St-Michel en 1868, vérificateur à Modane en 1871, contrôleur principal à Annecy en 1884, enfin receveur au bureau de Modane en 1886. Au commencement de 1892, un changement de résidence, dont la nature et les motifs n'avaient rien que d'honorable, mais qu'il ne put se résoudre à accepter, le détermina à solliciter sa mise à la retraite. Il revint habiter à St-Jean et presque aussitôt il fut, sur sa demande, reçu membre de la Société. La mort de sa femme, au mois d'avril 189S, fut un coup terrible dont il ne se releva pas. Il s'est éteint doucement le 20 février. Nous déciderons tout à l'heure à quelle époque il confient de fixer le service religieux prescrit par le règlement. En attendant, nous renouvelons à sa famille, et particulièrement à Madame Jorio, sa fille, et à M. Jorio, notre confrère, l'expression des sympathiques regrets dont nous avons déjà donné un public témoignage à ses funérailles. »

Le président donne ensuite la parole à M. le comte Marc de Seyssel-Cressieu, qui n'a pas reculé devant la fatigue d'un long voyage pour venir assister à une de nos séances et donner à la Société cette nouvelle preuve de son attachement. Dans un préambule plein de délicatesse, M. le comte remercie de nouveau la Société de l'avoir admis, il y a deux ans, au nombre de ses membres effectifs et lui offre la primeur d'un chapitre d'un important ouvrage sur l'illustre famille de Seyssel, auquel il met la dernière main et qui sortira cette année des presses de M. Allier de Grenoble. On sait quelle place considérable les de Seyssel occupent dans l'histoire de Savoie. La branche qui, en 14Ô4, hérita de la seigneurie de La Chambre, appartient à la Maurienne. C'est donc une page de notre


histoire mauriennaise que nous lit M. le comte de Seyssel, en nous faisant le récit, où les détails particuliers sont habilement encadrés dans l'histoire générale, de la vie agitée de Louis de Seyssel-La Chambre, qui joua un grand rôle pendant la régence et après la mort de la duchesse Iolande, ?œur du roi Louis XI. Cet ouvrage ne sera pas mis dans le commerce mais l'auteur veut bien en promettre un exemplaire à la Société et l'un de nous sera heureux d'en rendre compte pour les lecteurs de nos bulletins. Le président exprime à M. le comte de Seyssel les remerciements de la Société pour le double plaisir qn'il lui a procuré aujourd'hui.

L'assemblée vote l'admission, comme membre effectif, de M. François Gravier, pharmacien à SaintJean-de-Maurienne.

Conformément aux statuts, on procède au renouvellement triennal du bureau. M. le chanoine Truchet est élu président; M. FI. Truchet, vice-président; M. Bonnet, trésorier; M. Arnaud, archiviste-bibliothécaire M. Gros, secrétaire M. Gorré, secrétaire et archiviste-adjoint.

La reddition du compte du trésorier est renvoyée à la séance d'avril.

Séance du 2 avril 1900.

Présidence de M. le chanoine Truchet.

Le président lit la liste des publications reçues depuis le 8 janvier. Il signale, à propos des Annales de la Société d'Emulation et d'Agriculture de l'Ain, un passage d'un très intéressant mémoire de M. Philipon sur le second royaume de Bourgogne (1). M. Foray, dans sa monographie d'Aiguebelle [(2), dit, d'a(f) 4" trimestre de 1899, p. 286 et 817.

(2) Travaux de la Société. 1. série, t. 1., p. 85.


près Chorier, que, sous le règne d'Adélaïde de Suse, on battait monnaie à Aiguebelle que cette monnaie était connue sous le nom de solidi maurianenses qu'elle avait cours dans toute la province ecclésiastique de Vienne que Leudegaire, archevêque de Vienne, ayant fait des représentations au sujet des faussaires qui fabriquaient de la monnaie de Vienne Aiguebelle, les fils d'Adélaïde promirent, par traité .de 1073, de faire cesser cet abus.

C'est ce même fait que raconte M. Philipon, mais avec plus de détails et il fait suivre son récit du texte de la charte où il l'a puisé. « Au temps du marquis Odon, dit-il, il s'était établi à Aiguebelle, dans le comté de Maurienne, un atelier monétaire l'on falsifiait la monnaie de Saint-Maurice de Vienne. Aussitôt qu'il en fut avisé, Odon fit fermer cet atelier; mais il se rouvrit après la mort du marquis. Voyant cela, l'archevêque Léger se rendit en Italie, en 1053, auprès de la marquise Adélaïde et en obtint la promesse qu'elle ferait cesser la fabrication monétaire d'Aiguebelle. Léger alla ensuite trouver, à Ravenne, le pape Léon IX qui, à sa demande, excommunia le faux monnayeur Trapésita Léger était à peine de retour dans son diocèse que la frappe d'Aiguebelle recommençait de plus belle. Nouvelles plaintes de l'archevêque qui obtint d'Adélaïde la promesse solennelle de ne plus permettre ni la contrefaçon, ni la falsification de la monnaie viennoise dans ses états. Cet engagement fut pris par la marquise de Suse, non pas en son nom personnel, puisqu'elle n'avait aucun droit sur les comtés qui avaient appartenu à son mari Odon, mais au nom de ses fils Pierre, Amédée et Odon qui étaient alors de tout jeunes enfants. » D'après M. Philipon, Adélaïde se serait engagée à faire cesser la fabrication monétaire d'Aiguebelle. Le texte italien indique un engagement plus restreint


Adélaïde promit seulement que dans toutes ses terres on ne talsifierait plus la monnaie de Vienne, que l'on ne fabriquerait plus, ni vraie, ni fausse, aucune monnaie faite à Vienne ».

Quelle est la date de cette convention qui intéres&e notre histoire? Le texte de la charte est très obscur. M. Philipon le traduit par le 30 novembre 1054 et il place à l'année précédente la mort du comte Odon. D'autres datent la convention de 1065, de 1007. M. de Foras croit qu'Odon mourut en 1060 (1). Je laisse ces questions en l'état.

Parmi les ouvrages reçus par la Société et dont le président donne la liste, il y en a deux qui ont été envoyés par notre compatriote, M. Jules Manecy, sous-inspecteur des Douanes à Bayonne « Le Nil Blanc et le Soudan, par Brun-Rollet b et « Le véritable Père Joseph, capucin », pamphlet contre ce célèbre confident de Richelieu, supposé imprimé à StJean-de-Maurienne en 1704, chez Butler. On sait que Brun-Rollet est né à St-Jean-de-Maurienne. Quant à l'imprimeur Butler, il n'a jamais existé.

M. Manecy, qui de tout temps nous a été uni par son attachement pour la petite patrie de Maurienne et qui a pris part à notre excursion du 13 juin 1899 à St-Etienne-de-Cuines, a exprimé le désir d'appartenir à la Société comme membre effectif et est présenté par MM. Arnaud et Ph. Vulliermet. Le vote aura lieu à la prochaine séance.

Le trésorier élu le 5 mars, M. Bonnet, qui depuis le 1er janvier avait bien voulu suppléer M. Buttard indisposé, présente le compte de l'exercice de mars 1899 à mars 1900, rédigé par son prédécesseur jusqu'en fin décembre 1899 et complété par lui-même. La Société a la satisfaction de constater que l'encaisse est suffisante pour permettre l'impression d'un bulletin aus(1) Le comte Humbertl" p. 35.


sitôt que les travaux en cours seront terminés et adoptés, et que cette fois encore il sera possible de ne pas attendre le terme de deux ans depuis la publication du dernier bulletin, qui déjà a été avancée d'une année.

Elle remercie M. Bonnet de sa gestion par intérim, approuve le compte, décharge M. Buttard de toute responsabilité et lui exprime ses remerciements pour le soin scrupuleux qu'il a mis à gérer nos petites finances elle regrette que son état de santé qui, nous l'espérons, ne tardera pas à s'améliorer, ne lui ait pas permis de continuer ses fonctions de trésorier. M. le président invite les membres de la Société à assister au service religieux qui doit être fait le lendemain pour notre regretté confrère M. Guille. M. l'abbé Gros et M. l'abbé Gorré, tous les deux professeurs au petit Séminaire, déposent, le premier, une courte notice sur « Les Amblevins dans les vignes de St-Julien » le second, un « Mémoire sur l'établissement d'une manufacture pour occuper des pauvres à St-Jean, de 1768 à 1789 ».

M. le chanoine Truchet lit son mémoire sur l' « 0rigine de la souveraineté temporelle des évêques de Maurienne ». Il discute et réfute à l'occasion les opinions de M. Pascalein, membre de la Florimontane d'Annecy, auteur d'une étude récente et originale, mais uniquement appuyée sur des conjectures. Ou vote l'impression du travail de M. le chanoine Truchet (1).

Séance du 7 mai 1900.

Présidence de M. le chanoine Truchet. L'assemblée vote l'admission de M. Manecy, et, (1) V. Mémoires 2. Documents 2.


selon l'usage, renvoie à la séance de juin le vote sur la candidature de M. Ernest Carle, juge au tribunal de St-Jean-de-Maurienne, présenté par MM. Laporte et Le Marant de Kerdaniel.

M. le chanoine Truchet lit le projet de programme de notre prochaine excursion à Epierre. Ce projet est adopté et MM. Arnaud et Bonnet, qui dans nos précédentes excursions ont été chargés de l'organisation matérielle et ont rempli leurs fonctions à la satisfaction de tous, reçoivent encore -la même commission. M. l'abbé Gros donne lecture de son mémoire sur Les amblevins dans lesvignobles de St-Julien. Après avoir rappelé les divers incidents du procès intenté en 1545 à ces insectes, il ajoute quelques détails inédits sur la lutte plusieurs fois séculaire soutenue par les habitants de St-Julien contre les maudites bêtes. On vote l'impression de ce travail (1). M. le Président donne ensuite la parole à M. l'abbé Gorré pour la lecture de son important mémoire sur l'Etablissement d'une manufacture pour occuper les pauvres à St-Jean-de-Maurienne, de 1768 à 1789. L'auteur nous raconte la naissance de cette œuvre éminemment sociale conçue par Mgr. de Martiniana en vue de remplacer l'aumône du Carême qui entraînait biendes abus l'exécution de l'entreprise confiée à M. Bonafous; l'installation des ateliers dans la maison Michaelis, aujourd'hui maison Saintis, au sud du Collège.

Séance du 5 juin 1900.

Présidence de M. le chanoine Truchet, président. M. le Président ouvre la séance, la dernière avant le mois de novembre, et on vote l'admission de deux (1) V. Mémoires 3.


nouveaux membres effectifs M. Ernest Carle, présenté à la séance du 7 mai, et M. l'abbé Rivet Victorin, curé de N. D. du Villard, licencié en théologie et en droit canonique, dont la présentation est faite par M. le docteur Gravier et par M. l'abbé Gros. Après avoir arrêté les dernières dispositions relatives à l'excursion d'Epierre, M. le Président donne la parole à M. l'abbé Gorré pour la lecture de son mémoire sur la manufacture établie à St-Jean-deMaurienne pour occuper les pauvres. L'auteur expose les embarras que cet établissement a traversés, les difficultés de l'administration avec les entrepreneurs qui se sont succédé Bonafous, de Turin Bertrand, de St-Michel Jean-Conrad Grégouz, de Bâle. Ce travail sera inséré dans le prochain volume, ainsi que le mémoire sur les campagnes de 1792 et 1793 en Maurienne, dû à la collaboration de M. Azario, pharmacien à Modane, et de M. Charles Roumégou, capitaine au 13e chasseurs (1).

Séance du 5 novembre 1900.

Présidence de M. Truchet Florimond, vice-président M. Truchet Florimond ouvre la séance èt exprime les regrets de l'assemblée d'être privée de la présence de M. le chanoine Trnchet, qu'une indisposition a empêché de venir occuper le fauteuil présidentiel. Il donne ensuite la liste des publications envoyées à la Société pendant nos trois mois de vacances et signale particulièrement les volumes que l'Académie de Savoie, à la demande de notre Président, nous a adressés pour compléter la précieuse collection de ses travaux.

Au nom de M. le chanoine Truchet, il présente, (1) V. Mémoires 4 et 5.


comme membres honoraires, M. le chanoine Bouchage, aumônier des Sœurs de St. Joseph de Chambéry M. André Perrin, libraire dans cette même ville et M. Pérouse, archiviste du département de la Savoie. L'assemblée est heureuse d'accueillir comme confrères des candidats que tant de titres recommandent à notre sympathie et à nos suffrages. M. Léon Bouchage est un écrivain élégant et a publié, entre autres ouvrages, Glanes Rumiliennes; La Révérende Mère Marie-Félicité, née Veyrat Le Saint Suaire de Chambéry La Salle d'asile de Chambéry (discours de réception prononcé à l'Académie de Savoie le 14 décembre 1893). Numismate distingué, M. André Perrin a dressé le catalogue du Médailler de Savoie du Musée de Chambéry, ainsi que celui du Musée d'Annecy. Nous lui devons encore un certain nombre d'études d'histoire locale, telles que Les Moines, l'Abbaye de la Basoche et les Compagnies de tir de la Savoie; Histoire de la vallée et du Prieuré cle Chamonix. Cette année même, il a fait paraître un résumé de l'Histoire de Savoie des origines à 1860, ouvrage où il a utilisé les nombreux docu7~C~ ouvrage où il a utilisé les nombreux docu- ments mis au jour par les sociétés savantes des deux départements. Quant à M. Pérouse, ses fonctions le placent dans une atmosphère essentiellement archéologique. Nous serons heureux de trouver un confrère quand le besoin de faire quelques recherches conduira nos pas aux archives départementales. MM. les chanoines Truchet et Buttard présentent, comme membre effectif, M. l'abbé Albert Jean-Baptiste, curé-archiprêtre de Fontcouverte, qui est reçu dans cette même séance.

M. Truchet Florimond donne communication de deux notes de M. le chanoine Truchet. Voici la première qui est une critique d'un ouvrage italien intitulé I Reali d'Italia


« Dans la séance du 6 juin 1897(1), M. F. Buttard a donné communication à la Société d'une copie, envoyée par M. François Gilardi, sculpteur, d'un chapitre d'un livre de M. Carlo Dionisotti sur « Les familles célèbres de la Haute-Italie au Moyen-Age. » Le chapitre traite de l'éternelle question de l'origine de la Maison de Savoie et aux innombrables opinions mises en circulation depuis que l'on n'a plus voulu du saxon Bérold, l'auteur ne manque pas d'ajouter la sienne, tout aussi probable, mais pas mieux prouvée que les autres Humbert I" aux Blanches-Mains ou, d'après M. Dionisotti, aux Blanches-^Murailles, serait le fils d'un seignenr de la vallée d'Aoste nommé Anselme.

« M. Gilardi envoie pour la Société un second livre du même auteur intitulé I reali d'Italia d'origine nazionale antichi et nuooî, 1893, et publié à l'occasion des noces d'argent du roi Humbert et de la reine Marguerite. Le livre se divise en deux parties, les rois anciens et les rois nouveaux. Les anciens commençent à Bérenger élu en 881 et finissent à Arduin, mort en 1015; entre eux deux il y a Louis de Provence, Rodolphe de Bourgogne, Hugues son frère, les Othon empereurs d'Allemagne, tous d'origine peu nationale, c'est a dire peu italienne. Les nouveaux c'est la Maison de Savoie, après neuf siècles d'attente. On voit la nécessité de lui faire une origine italienne.L'auteur reproduit son système avec un légère variante, Humbert Ier n'est plus fils d'Anselme d'Aoste, mais du comte Aimon de Pierre-Forte, fils du marquis Anselme, fils d'Anselme comte de Nyon et d'Aoste. Blanche-Muraille tait suite naturelle à Pierre-Forte.

e Mais la preuve ? Je ne trouve guère que ceci (p. 10G) il existe une donation faite à l'église de Cluny (1) Travaux 2* série, t. 2, !• part., p. 20.


par le comte Aimon Pierre-Forte, sous la signature de Humbert comte, Amédée son fils. Cibrario pense qu'Humbert était parent d'Aimon Carutti croit qu'il était son frère à mon avis, dit Dionisotti, il était son fils. Faute de mieux, il faut nous contenter de cet argument, corroboré par une autorité, très haute sans doute, mais aussi inattendue qu'incompétente en cette affaire et qui certainement ne songeait pas à y être invoquée. Je traduis textuellement (p. 138) « Victor-Emmanuel II eut l'œil plus perspicace que tous les archéologues et les historiens, à rechercher le lieu d'origine de sa Maison, quand il fit acquisition dans cette vallée (d'Aoste) de vastes territoires de chasse, rentrant ainsi en possession des fiefs de ses ancêtres. » Ce trait doit clore toute discussion. « M. Dionisotti parle de la Maurienne, qu'il neconnaît guère. Je traduis encore cet alinéa « En face de St-Jean-de-Maurienne (1), existe toujours un château appelé Charbonnier (Charbonnières), situé au sortir d'Aiguebelle sur un rocher, qui semble destiné à fermer le passage. De même près de St-Rémy, à dix kilomètres au nord de St-Jean-de-Maurienne, sur une montagne appelée Mons Aymonis (Montaimon ) s'élève un château possédé il n'y a pas longtemps par la noble famille La Pérouse, et ainsi appelé dans s un acte d'union de l'église épiscopale de Maurienne à celle de Turin en 1039. » Pour compléter ce salmigondis historique et géographique, l'auteur dit en note que « Le vulgaire attribue la construction de ce château de Montaimon (!) au légendaire Bérold, qu'il a été possédé par les seigneurs de Chambé y ( 1 1 1 ) et qu'il porte toujours le nom de Bérold.» « MettreAiguebelleenfacede St-Jean et Montaimon près de St-Rémy, confondre la curtis (1) que les évêques ont possédée à Montaimon avec la maison-forte (I) Travaux de la Société, 2" Série, t. 2, Ie part., p. 75.


que les de La Pérouse ont possédée à St-Rémy (1), en faire un château, le donner aux seigneurs de Chambéry et supposer une tradition qui n'a jamais existé, c'est beaucoup mettons d'inexactitudes en quelques lignes et je m'arrête là. »

La seconde note est relative à un emprunt de Philibert II le Beau. Nous la reproduisons également in extenso

« En l'année 1501, le duc de Savoie Philibert II le Beau, devant épouser Marguerite d'Autriche, fille de l'empereur Maximilien Ier, demanda à ses sujets un prêt de quatre gros par feu (2). Cet impôt déguisé ne devait atteindre que les riches et les marchands. Mais les commissaires ducaux, chargés de le recouvrer, prétendirent y soumettre toutes les familles sans distinction et, les habitants du Châtel, de Montvernier et de Montpascal ne l'ayant pas payé, égrège Jean Lenoir les frappa d'une amende et les cita à comparaître à Chambéry. Ils adressèrent une supplique au duc, le priant de les protéger contre les injustes exigences de ses commissaires, « car, disaientils, à cause de la stérilité du sol ils sont si pauvres qu'ils ont à peine de quoi vivre et ils ne peuvent croire qu'il soit dans l'intention du prince qu'on les moleste ainsi. »

« Philibert rendit une première ordonnance, datée de Genève le 14 décembre 1501, dans laquelle il défendit à ses officiers, sous peine de cinquante marcs d'argent, de rien exiger des suppliants, soit pour le prêt lui-même, soit pour les amendes qu'on leur avait infligées, de les citer ou molester de quelque manière que ce fut.

(1) Ibid., t. 1, 1- part., p 67.

(2) Gros, denier gros ou sou, 12 deniers. En pouvoir d'argent, on peut admettre que le gros de 1505 vaudrait aujourd'hui environ 40 centimes.


« Par undécret rendu à Cuine le 20 du même mois, Pierre de Châteaumartin, secrétaire ducal et lieutenant de Claude Bernard, juge de Maurienne, en présence de Pierre Deschamps mistral, d'égrège François Gavens curial de Pontamafrey, et de Pierre Bordon sergent général (huissier), enregistra ces lettres et enjoignit à tous les officiers ducaux de s'y conformer.

« Mais ceux-ci étaient tenaces, beaucoup moins pour l'intérêt du prince que pour leur intérêt personnel; car l'argent passait par leur caisse avant d'arriver au trésor ducal et tout ne franchissait pas la premièreétape, surtout 'ce qui était perçu illégalement. Pour leur faire lâcher prise, il fallut de nouvelles lettres ducales, les menaçant cette fois de cent livres fortes d'amende. Elles sont aussi datées de Genève le 5 mars 1502.

« Ces quatre pièces existent dans les archives de la cure de Montvernier. Elles sont intéressantes à plusieurs titres et je propose d'en publier le texte dans le prochain bulletin. »

M. Villet, ingénieur des mines, communique un livre de raison découvert à Bessans et donnant des renseignements inédits sur l'histoire de cette commune. Le travail de M. Villet, conformément au règlement de la Société, est soumis à une commission de censure composée de MM. Bonnet, Foderé et Gorré. M. Villet présente encore un plan d'Epierre et de ses environs, destiné à servir d'illustration aux conférences faites dans notre excursion du 12 juin. Ce plan sera reproduit dans le prochain volume. La séance se termine sur une note gaie M. Truchet Florimond nous lit deux chansons satiriques en patois. Elles seront imprimées, car il importe de conserver les monuments de nos idiomes locaux qui tendent à disparaître, supplantés par le français ou


plutôt par un jargon qui n'est ni du français ni du patois (1).

Ces vieilles chansons patoises, il y en avait partout, faisaient la joie des longues veillées d'hiver où l'on se réunissait dans les étables les plus vastes. Les thèmes les plus communs étaient les faits locaux un peu cocasses et les petits travers des communes voisines avec lesquelles il y avait toujours quelque antagonisme. La seconde de nos deux chansons appartient à la seconde catégorie elle est du canton de St-Jean. La première est de Bessans; elle chante les difficultés, vraies ou supposées, que réncontra le mariage désopilant, quoique bien assorti, de deux vieillards. La première se reconnait à divers signes pour dater du XVIIIe siècle, la seconde doit être plus récente.

A propos de la chanson de Bessans, M. le chanoine Truchet a donné dans une séance postérieure, dont le compte-rendu appartient au bulletin suivant, une note que nous insérons ici.

J'ai eu, a-t-il dit, la curiosité de rechercher si les registres paroissiaux ne fourniraient pas quelques renseignements sur les héros et sur les auteurs de cette pièce, et je crois avoir trouvé. Notons d'abord qu'il y est parlé du châtelain, ce qui nous reporte à une époque antérieure à l'année 1770, date de la cession de la seigneurie de Bessans et Lanslevillard au roi de Sardaigne par l'abbé de Saint-Michel de la Cluse. Or le 7 février 1719, Rd Mathieu Buisson, curé de Bessans, bénit le mariage de Jean-Baptiste Grosset l'ancien (senior) et de Rose Vincendet Ferrier. Les deux époux se convenaient parfaitement ils étaient veufs tous les deux, l'époux avait quatre-vingtdeux ans et l'épouse pareillement (œlate simili), dit le curé. Quelle aubaine pour les causeries et les lazzis (1) V. Documents – 4.


des veillées, et quel beau charivari il dut y avoir 1 Le curé prit part à la gaieté générale, il le marque discrètement dans le registre c'est le seul acte de mariage où il ait mis l'âge des époux. Comment un si riche sujet n'aurait-il pas trouvé, parmi les malins bessanais, un chansonnier 1

Il en trouva deux, qui s'associèrent Dioset (Joseph) Tracq et Muri (Maurice) Riond, et voici toute l'idée de la chanson. Les deux vieux s'étant promis mariage un jour qu'ils se traînaient ensemble le long du chemin, Grosset pour se donner du cœur, il n'était veuf que depuis le mois de novembre 1718, invita à diner cinq ou six prêtres. Mais le curé de Lanslebourg dit que ce mariage n'était pas possible celui de Bonneval, que quand on a besoin de deux ou trois bâtons pour sortir de son étable, on ne se marie pas celui de Lanslevillard ne fit que rire. Grosset songea tout de même au notaire. Il y avait sur place Monsu Culet, qui aurait bien voulu avoir l'émolument, mais il était capable de jouer un mauvais tour. Grosset fit venir Monsu Dioursin (Jorcin) de Lanslebourg, qui refusa de se mêler de la chose et le renvoya au châtelain. Dans le dernier couplet, les auteurs mettent leurs noms et racontent qu'ils ont composé la chanson un soir, avant la nuit noire (Véborgnet), en allant voir leurs fiancées (lour marjolenna).

Les registres paroissiaux m'ont fourni quelques notules que j'insère ici en l'honneur des héros et des auteurs de la chanson.

Jean-Baptiste Grosset mourut au mois de juin 1724. Je n'ai pas trouvé le décès de sa digne épouse. L'acte du mariage dit qu'elle était veuve de Jacques Turbil, de Lanslevillard. La chanson la dit veuve du père Henri, peut-être un surnom ou le nom d'un prédécesseur de Turbil.


Le curé Mathieu Buisson, qui était de Fontcouverte, fut enterré le 14 avril 1725. Il avait administré en paix, dit l'acte de décès, (pacificus possessor), la paroisse de Bessans depuis l'année 1689. Son successeur, Sébastien Turbil de Lanslevillard, mourut aussi dans son presbytère de Bessans le 24 avril 1770. Ainsi à eux deux ils avaient gouverné cette paroisse, une des plus pénibles du diocèse, pendant quatrevingt-un ans.

Le châtelain notaire qui, sur le refus de Me Jorcin, eut l'honneur et le profit de recevoir le contrat de mariage des deux vieux amoureux, se nommait JeanBaptiste Péra. Il mourut en 1750. Il eut pour successeur un autre notaire de Bessans, égrège Jean-Baptiste Personnaz, mort en 1756. Il y avait toujours eu plusieurs notaires à Bessans, il y en avait aussi à Lanslevillard et la charge de chatelain, c'est à dire de juge et de percepteur des droits seigneuriaux de l'abbé de Saint-Michel, suscitait toujours de vives compétitions, soit à cause des émoluments qui y étaient attachés, soit parce qu'elle augmentait nécessairement la clientèle du notaire. Je trouve dans les registres les noms de quelques châtelains de Bessans au XVIIe sif'cle Pierre Fodéré (1678), Jean-Baptiste Foudraz (1681), Jean-Baptiste Fodéré (1685), Jacques Fodéré (1686), Vincent Anselmet (1697).

Quant à nos chansonniers, ils avaient un trait de ressemblance avec les deux grobons; ils étaient veufs tous deux et depuis peu de temps. Maurice Riond, fils de Jean-Antoine, né en 1689, avait épousé en 1712 une fille du châtelain Jean-Baptiste Péra, qu'il avait perdue en octobre 1718 Jean Baptiste Grosset était parrain de l'un de ses enfants. Il se remaria en 1721 et mourut au mois de septembre 1766. Joseph Tracq, fils de Jacques, né en 1672 et marié en 1697, était veuf depuis le mois de novembre 1717. Je ne


sais s'il se brouilla avec sa marjolenna en tous cas, je n'ai plus trouvé son nom dans les registres paroissiaux.

Séance du 3 décembre 1900.

Présidence de M. le chanoine Truchet, président. Après avoir ouvert la séance, le président fait en ces termes l'éloge funèbre de notre confrère M. François Buttard, ancien receveur de l'hospice, décédé à St-Jean le 27 novembre dernier, dans sa 70e année. « J'ai été empêché par ma mauvaise santé d'assister avec vous à la sépulture de notre cher collègue, M. François Buttard, ancien receveur des établissements de bienfaisance. Il m'eût été pénible de ne pas venir au moins ce soir lui rendre, au nom de la So*ciété, en mon nom aussi, l'hommage de nos bien sincères et vifs regrets. Pour moi, c'est encore un ami d'enfance et de toute la vie qui s'en est allé ceux qui restent deviennent rares 1

« Né à St-Jean-de-Maurienne le 26 février 1831, M. Buttard a toujours montré un vif attachement pour la patrie mauriennaise, surtout pour sa ville natale, et je me souviens que, jeune encore, il se plaisait a parler de l'histoire locale et s'intéressait aux moindres faits, aux plus petits détails. Il entra dans notre Société le 13 janvier 1877, se retira quelques années après à la suite de quelques tiraillements et fut tout heureux de nous rejoindre aussitôt après la réorganisation de la Société en 1891. Peu de temps après, il fut nommé trésorier et vous savez avec quel soin minutieux il administra nos petites finances, comme celle de la ville et de l'hospice, jusqu'à ce que, il y a un an, l'état de sa santé l'obligea à donner sa démis-


sion. C'était sa joie d'assister à nos séances, de suivre les communications qui y étaient faites, de prendre part à notre excursion annuelle et ce fut pour lui un vrai sacrifice quand il dut se condamner à y renoncer.

« Nous garderons sa mémoire, Messieurs, comme celle de notre ami à tous, de l'ami de notre œuvre et de notre pays. Je suis votre interprête en consignant ici, pour sa veuve et pour son fils, l'expression de nos regrets et de nos sympathies. »

Le secrétaire lit deux lettres, l'une de M. le chanoine Bouchage, l'autre de M. l'archiviste Pérouse, pour remercier la Société de leur réception comme membres honoraires. A ses remerciements, M. Bouchage a joint l'envoi de celles de ses publications qui ne sont pas épuisées. La Société charge le secrétaire de renouveler ici l'expression de sa reconnaissance que le président a déjà transmise. M. Perrin a exprimé de vive voix les mêmes sentiments à M. le vice-président et se promet d'assister à une de nos séances.

Le secrétaire lit encore une lettre de notre compatriote le P. Antoine Léard elle est datée du 29 août et expose la situation critique où il se trouve, ainsi que les chrétiens du Thibet, par suite de l'insurrection des Boxers. Cette lettre et trois d'une date antérieure, qui ont été lues précédemment, seront publiées dans le prochain bulletin (1).

M. le chanoine Truchet ayant parlé de la monographie de la cathédrale dont il s'occupe en ce moment et de son regret de n'avoir qu'une note de quelques lignes sur la crypte qui s'étend sous l'avant-chœur, on examine par quels moyens on pourrait pénétrer dans cet antique monument, dont l'étude serait du plus haut intérêt pour l'histoire de la ville et du dio(1) V. Mémoires 6.


cèse.

Pour donner places à. quelques communications qui permettront de terminer le 1er bulletin du 3° volume avec l'année et avec le siècle, l'assemblée décide qu'une séance supplémentaire aura lieu le lundi 17 courant.

Séance du 17 décembre 1900.

Présidence de M. le rhanoine Truchet, président. Après l'énumération des publications reçues depuis la séance du 5 novembre, M. le chanoine Truchet' lit la note suivante sur la seigneurie de Bessans « Dans la le part, du 2' vol. de la 2e série de ses mémoires (p. 50), la Société a publié les patentes de juge de la seigneurie de Lanslevillard, Bessans et Bonneval, accordées le 15 octobre 1707 à l'avocat Joseph-François Christin par le prince Eugène de Savoie, en qualité d'abbé commendataire de St-Michel-de-la-Cluse.

« En 1770, l'abbé de la Cluse céda cette seigneurie au roi de Sardaigne. Je n'ai pas encore vu le texte de ce traité mais il est certain qu'il ne comprit que les droits de souveraineté et fit réserve des droits féodaux dont l'abbé continua de jouir jusqu'à l'acte d'affranchissement intervenu directement entre l'abbé et les tenanciers. Cet acte, dont je ne connais pas non plus le texte ni les conditions, ni même la date précise, doit avoir été passé en 1782. J'ai reçu de M. Combet et déposé dans les archives de l'évêché, avec son autorisation, la pièce suivante qui en fait foi. «" Par devant le Chancelier du Consulat de France à Rome soussigné et les témoins cy après nommés fut présentées haut, très puissant et Eminentissime


Seigneur Monseigneur Sigismond Hyacinthe Gerdil, cardinal de la Sainte Eglise Romaine, abbé et commendataire perpétuel de St Michel de la Cluse, demeurant en cette ville dans le couvent de St Charles à Catenari lequel de son gré a faict et constitué pour son procureur général et spécial Monseigneur Charles Joseph Compans de Brichanteau, évêque de Maurienne et prince d'Aiguebelle, à l'effet de pour et au nom de Sa dite Eminence et en sa dite qualité d'abbé de St-Michel de la Cluse, traiter et convenir des lods, cens, fruits, plaids et autres droits de cette nature, auxquels les biens et habitants des paroisses de Bessans, Bonneval et Lanslevillard pourraient être assujettis pour les droits des fiefs ou emphitéoses envers la dite abbaye, lui donnant à cet effet tous pouvoirs requis et nécessaires pour en affranchir les lits habitants ainsi que leurs biens, pour les sommes ou annualités qu'il conviendra, d'en passer les actes et contrats nécessaires, sous les clauses, conditions et réserves qu'il verra équitables, et enfin de faire tout comme pourroit faire Sa dite Eminence en sa dite qualité d'Abbé, s'il étoit présent, approuvant et rattifiant déjà le tout par avance, et avec promesse de ne venir au contraire, donnant encore pouvoir à Monseigneur Compans de Brichanteau, de constituer et substituer d'autres procureurs, en la personne desquels, ainsi que de mon dit Seigneur sus constitué, il élit domicile avec promesse de relever de tous frais et depens, dommageb et interests, sous l'obligation et constitution des biens de ladite abbaye et des revenus d'iceux. Fait et passé au susdit couvent de StCharles à Catinari, à Rome le 11' avril 1782, en présence des sieurs Jules Ossati et Cajétan Terziani, témoins requis, et signé à la minutte avec la dite Eminence et moy Chancelier.

Morà, chanceli'er.


« Nous Louis Dominique Digne, conseiller secrétaire du Roy, garde de ses archives, consul de France à Rome, etc.

« Certifions et attestons à tous ceux qu'il appartiendra que le sieur Morà, qui a signé l'acte cy dessus, est chancelier de notre consulat et qu'en cette qualité foi entière doit être ajoutée à ses actes et signatures tant en jugement que dehors. En foi de quoi nous avons signé la présente et à icelle fait apposer le sceau royal de notre consulat, à Rome le 11e avril' 1782

« Digne. »

« Le papier porte en tête le timbre de France rond et au bas le même sceau en cire avec la légende Consulat de Rome et Civita Vecchia.

« Ici se pose une question en vertu de quelle convention diplomatique un savoyard a-t-il pu valablement passer devant le chancelier d'un consulat étranger une procuration à un autre sujet sarde et pour une affaire concernant des savoyards et des intérêts situés en Savoie ? »

M. l'abbé Gros fait ensuite une relation du passage à St-Jean-de-Maurienne de la comtesse de Provence et de la comtesse d'Artois, relation qui nous montre la simplicité des mœurs de nos ancêtres et leur dévoùment à la famille de leurs princes. Ce travail sera inséré dans le volume qui doit clore les travaux de la présente année, ainsi que les notes suivantes, extraites par M. le chanoine Truchet, du Journal anonyme de Bessans. Elles vont de 1792 à 1798 et s'ajoutent très utilement au mémoire de MM. Roumégou et Azario. Le journal s'étend avec de longues intermittences jusqu'en 1856 et l'on pourrait en tirer encore des notes sur les épizooties, le prix des denrées, les récoltes, la contrebande, etc., qu'il a paru préférable de ne pas mêler aux faits de guerre. On a


éliminé tout ce qui aurait fait double emploi avec le mémoire précité. Le président exprime les remercîments de la Société à M. l'abbé Ravoire, alors curé de Bonneval, qui a donné communication de ce manuscrit et à M. Villet qui a pris la peine de le copier. Les documents de ce genre, journaux et livres de raison, sont très précieux et il est à souhaiter qu'on les recherche avec soin (1).

M. le chanoine Truchet dépose un mémoire sur les nobles de la Balme et leurs fiefs. L'examen en est confié à MM. Buttard, Perret et Gros.

(1) V. Mémoires 7 et 8.


MÉMOIRES 1

Les deux royaumes de Bourgogne.

L'empereur Conrad le Salique.

La ville et le diocèse de Saint-Jean-de-Maurienne (1).

J'ai entendu souvent les archéologues visitant les monuments antiques peu nombreux de la ville de Saint-Jean, exprimer leur surprise de n'en trouver aucun qui présente avec certitude une date antérieure au XI* siècle. Les grandes arcades et les lourds piliers carrés de la cathédrale (2), l'abside et le portail de la chapelle Notre-Dame (3) ont les caractères de cette époque. J'ai entendu en 1898 le distingué architecte en chef des monuments historiques, M. Charles Suisse, donner la même date à la grosse tour du clocher, contrairement à l'opinion d'autres archéologues qui lui attribuaient une origine beaucoup plus ancienne, et même romaine, ce que, il faut le reconnaitre, l'appareil, sans aucune rangée de briques, ne démontré pas.

Il est vrai que M. Suisse assigna aussi le XI' siècle pour date de la construction de la tour du Cnâtel que nous visitâmes ensemble.

Mais, lui dis-je, nous avons une charte de 887, par laquelle le roi Boson la donne comme forteresse (1) V. séances du 4 décembre 1899 et du 8 janvier 1900. (2) Le chreur est de la fin du XV' siècle. Les voûtes des nefs ont les mêmes caractères que celle de la chapelle Saint-Joseph qui est du premier quart du XVI'.

(3) V. Travaux de la Société. 2' série, 2* vol., la part.


de refuge, à l'évêque de Maurienne (1).

Alors, fit-il, je n'y comprends rien.

Il y a des monuments qui déroutent les données de la science, que l'on croit précises et sûres. Mais quand même le clocher de St-Jean aurait l'antiquité que quelques-uns lui ont trouvée, il ne pourrait s'agir que de la partie inférieure, sur laquelle s'est manifestement posée, en reconstruction, l'œuvre du XI' siècle. La tour ronde, l'antique beffroi, qui se dresse entre la rue de l'Ancien Hôtel-de-Ville (2) et la place du Marché, ne remonte pas plus haut. De cette date du XI' siècle, inscrite sur tous nos plus vieux monuments, ne faut-il pas conclure que la ville a subi à cette époque une destruction plus complète peut-être que celle de 906, lors de la grande invasion sarrasine ? Car si peu nombreuses que soient nos chartes de ce temps, elles ne permettent pas de supposer que la ville soit restée plus d'un siècle ensevelie sous ses décombres.

Nous avons les noms des évêques qui gouvernèrent le diocèse après Edolard qui, en ^16, dix ans après l'incendie de St-Jean, fut mis à mort par les Sarrasins à Embrun.

Au X' siècle, le Chapitre de St-Jean achète une maison, une vigne et un jardin et l'un des témoins est Bruno, son clavaire. En 9'i4, l'évêque Ebrard, se trouvant à Anse près de Lyon, est témoin d'une donation faite par l'archevêque rie Vienne à l'église (le Romans. En 1011, l'évêque Urard ou Evrard fait donation de l'église d'Arbin au monastère de Savigny, à la condition qu'il donnera chaque année à la cathédrale de St-Jean pour dix sols de cire. En 1025, le même évoque fait donation de diverses propriétés au (1) Ibid., p. 202.

(2 On la trouve désignée sous le nom de Carreria veteris campance.


Chapitre de sa cathédrale. En 1019, Geoffroy de Chamoux restitue au Chapitre les églises d'Aiton, de Bonvillaret et de Randens, avec leurs dîmes et propriétés. Ainsi jusqu'en 1025, nous sommes autorisés à croire que les ruines de 900 ont été relevées et qu'aucun nouveau désastre n'a frappé la ville de St-Jean. En 1037, nous trouvons l'évêque de Maurienne Théobald ou Thibaud à Romans, assistant à une assemblée des comtes et des princes des évêchés de Vienne et de Die, avec les archevêques de Vienne et de Tarentaise, les évêques de Sion, de Grenoble, de Belley, de Valence et de Die et les abbés des monastères de Vienne, qui mettent leur signature au bas d'une charte par laquelle Léger, archevêque de Vienne, accorde divers privilèges, entr'autres le droit d'asile, à l'église des saints Apôtres de Romans. L'acte est des nones (7) d'octobre de l'an de l'Incarnation 1037, la dixième de l'empereur Conrad. Nous verrons tout à l'heure que cette dernière indication n'est pas sans importance elle marque peut-êtré le but de la convocation de cette assemblée, que nous ne connaissons que par la charte précitée, et nous autorise à supposer que l'on y reconnut définitivement l'empereur Conrad-le-Salique comme roi de Bourgogne.

Mais voici un renseignement plus précis et qui nous amène directement au sujet de ce mémoire. Une charte, qui ne porte pas d'autre date que celle-ci: « L'an second du règne du roi Henri, c'est Henri III, fils et successeur de Conrad-le-Salique, la charte est donc de l'an 1040, comm ence en ces termes « Au nom de la sainte et indivisible Trinité. Soit notoire à tous leshommes quemoiThibaud(Tetubaldus) évêque de Maurienne, je donne des terres de mon évêché aux chanoines de sainte Marie et de saint


Jean-Baptiste (1), parce que le lieu dont j'ai le titre d'évêque m'apparait détruit (2). « Ces terres se composent d'un domaine près du château que l'évêque a reçu de Rufon ( ? ), d'autres domaines à la Buffaz, à Albiez-le-Vieux, à Albiez-le-Jeune et à St-Jean le donateur y ajoute une forèt « qui est jouxte le mas Duran, jusqu'à la rive de Merderel. »

Ainsi, en 1040 la ville de St-Jean était tellement en ruines qu'elle paraissait détruite. Quand et comment s'était faite cette destruction? Nos archives sont muettes. Signalons encore deux chartes cependant. Le 18 des calendes de juin de la Se année du règne de l'empereur Henri III, ce qui correspond au 15 mai 1046, et non 1054 comme a écrit M. Combet, le comte Humbert et Thibaud, évêque de Maurienne, donnèrent au chapitre de St-Jean-Baptiste, le premier les droits de seigneurie (dominicatura), le second les droits de justice (senatoria), qu'ils possèdent à Valmore, au premier et au second Villard, à Cuine et à St-Rémy, soit au Grivolet, aux Etalons, au Châtelard et à Mont-Rénier ou Reynier, avec les maisons, vignes, prés, champs, forêts, etc. L'évêque Thibaud étant mort, le comte Humbert confirma et renouvela cette donation (3).

Si l'on considère que le comte de Maurienne Humbert Ier n'avait dans la ville de St-Jean, chef-lieu de la Terre Episcopale, aucune juridiction, aucun droit quelconque, on est porté à entrevoir dans cette donation un motif de réparation ou de compensation. (1) S* Marie, l'église paroissiale, appartenant au Chapitre, S Jean Baptiste, la cathédrale le Chapitre en ce temps portait le titre des deux églises voisines et unies.

(2) Eo quod locus unde videor esse episcopus destructus mihi videtur, V. Chartes du diocèse de Maurienne, p. 13.

(3) Ces deux chartes n'existent plus dans les archives de l'évêché, où M. Combet les a copiées.


Il paraît que les chanoines n'employèrent pas les revenus de ces fiefs à améliorer leur situation personnelle et qu'ils songèrent avant tout à relever les deux églises et leurs maisons d'habitation. C'est du moins ce que semble indiquer une charte sans date, que Mgr. Billiet place environ l'an 1075. « Lorsque, dit l'évêque Artaud, je suis arrivé et que j'ai fait mon entrée dans la ville, j'ai constaté que les chanoines de cette église, tenus d'observer les règles ecclésiastiques et de s'acquitter en commun et convenablement du service divin, sont tout à fait pauvres et dépourvus de presque toutes les choses nécessaires à l'acquittement de ces charges. C'est pourquoi compatissant à l'indigence de mes fils, avec le consentement et le conseil des nobles et des notables, fidèles sujets de Dieu et de notre église, je leur fais part des biens qui ont été au pouvoir et à la jouissance de mes prédécesseurs et qui maintenant sont placés sous notre autorité et à notre disposition. » Cette donation comprend 1. les oblations faites dans les églises de StJean-Baptiste et de Ste Marie, tant celles qui sont remises aux prêtres que celles qui sont déposées sur les autels 2° un moulin situé « sur le ruisseau d'Arvan près de la rive de la rivière d'Arc (1). ). Les chanoines qui en ce moment desservent la cathédrale et auxquels la donation est faite sont au nombre de huit dont la charte donne les noms. Le même parchemin contient la donation, faite par un nommé Pierre, des deux tiers de la dîme d'un champ à Albiez, dans lequel se trouve sa maison"(2). II

Voilà le peu de renseignements que nous pouvons (1) Le moulin des Prés.

(2) Publié dans les Chartes du diocèse. p. 15.


tirer des archives de l'évêché sur ces graves évènements du Xle siècle, qui sont la destruction de la ville de St-Jean et l'apparition d'Humbert aux Blanches-Mains en Maurienne. Quant aux archives communales, je n'ai pas connaissance qu'il en existe qui possèdent une seule charte remontant à cette époque. Il faut donc chercher ailleurs quelques filets de lumière, bien insuffisants pour éclairer complètement cette partie de notre histoire. Mais pour bien comprendre la situation politique de la ville de St-Jean à la fin du premier tiers du XIe siècle et les faits qui s'y sont passés, il faut remonter à l'origine de cette situation.

En 536, la Maurienne passe des Ostrogoths d'Italie, qui s'en sont emparés en 490, à Childebert et à Clotaire, rois des Francs et fils de Clovis. En 561, dans le partage des états de Clotaire entre ses fils, elle fait partie du royaume de Bourgogne qui échoit à Gontran. Celui-ci crée un évéché à St-Jean et, en 579, lui' constitue pour dotation une principauté de dix-huit communes dont la ville épiscopale est le chef-lieu. Ce petit état ne disparait entièrement qu'en 1768 par sa cession au roi de Sardaigne.

Il y a donc dans les anciens évêques de Maurienne comme deux entités qu'il importe de ne pas confondre l'évêque, dont l'autorité spirituelle s'étend sur tout le diocèse (1) le souverain temporel de la Terre Episcopale, vassal immédiat, pour cette Terre, du roi, plus tard de l'empereur.

A la mort de Charlemagne (814),, son immense empire est morcelé en trois monarchies franque, germanique et italienne, qui entrent en lutte la pomme de discorde, c'est l'Italie et la couronne impériale. Les successeurs du grand empereur commen(1) V. sur les limites de l'ancien diocèse de Maurienne Travaux de la Société. le série, t. 1, p. 39i, t. 5, p. 171.


cent à oublier, les empereurs allemands oublieront tout à fait, que l'empire établi par le pape Léon III (800) n'est pas une résurrection de l'empire romain, palen d'origine et de nature, mais une création chrétienne dont la mission est la défense des peuples contre les petits despotes qui pullulent, de l'Eglise contre les Barbares du Nord, de l'Italie et du Saint-Siège contre les Sarrasins.

En 875, la couronne impériale est disputée entre le roi de France, Charles-le-Chauve, et le roi de Germanie, Carloman. Le pape Jean VIII la donne au premier, qui meurt en 677 à Avrieux en Maurienne (1). Nous n'avons plus à nous occuper des compétitions à l'empire.

Le sceptre franc tombe entre les mains débiles de Louis II, puis entre les mains plus débiles encore de Louis III et de Carloman. Les vassaux profitent de leur faiblesse. C'est l'anarchie il n'y a ni gouvernement, ni lois, ni droits, ni sécurité. La situation est pire encore dans les pays qui sont en dehors de la monarchie franque et qui, dépendant directement de l'empire, en vertu des partages qui se sont succédés, n'ont en ce moment aucun maître, aucun protecteur certain.

Le 15 octobre 879, l'an 7 du pape Jean VIII et 1er du règne de Louis et Carloman, vingt-trois évoques, dont les diocèses et les fiefs font partie des terres de l'empire, sont assemblés à Mantala, territoire de Vienne (2). Il suffit de citer les noms d'Otramme, archevêque de Vienne de Tentam, archevêque de Tarentaise, et d'Adalbert, évêque de Maurienne. Les autres sont les archevêques de Lyon, Besançon, Aix (!) Travaux de la Soctete. 2'série, t. 1, 3' part., p. 19. (2) Mante ou Mantaille entre Vienne et Tournon. Grillet place Mantala à Bourg-Evescal, près St-Jean-la-Porte, mais cette opinion est peu probable.


et Arles; les évêques de Valence, Grenoble, Voiron, Die, Gap, Teuton, Châlon, Lausanne, Apt, Mâcon, Viviers, Orange, Avignon, Riez, Uzès et Marseillè. « Comme depuis longtemps, disent ces prélats, et surtout depuis la mort du dernier roi, les évêques, les grands et tout le peuple sont privés de la protection d'une personne de laquelle ils puissent obtenir une administration équitable, et qu'ils sont en présence d'ennemis qui ne cherchent que la dévastation et le pillage. ils se sont attachés, de concert avec les grands, à rechercher des personnes capables de remplir cette tâche mais ils n'en ont point trouvé tous refusaient de se charger d'un si lourd fardeau. Enfin un personnage leur fut indiqué, connu depuis longtemps comme défenseur et principal ministre du gouvernement de l'empereur Charles et que le fils de ce même empereur, le roi Louis, frappé de son rare mérite, avait élevé à de plus hautes dignités. » En conséquence, ils < appellent et élisent roi le seigneur Boson. Celui-ci, effrayé d'une responsabilité si pesante, s'y est d'abord refusé mais ensuite, considérant que les intérêts de Dieu et de son Eglise étaient engagés dans cette élection, il s'y est humblement soumis (1). »

L'historien des évêques de Maurienne (p. 36) traite Boson d'ambitieux habile, le concile de Mantaille de prétendu concile et l'évoque Adalbert de complice d'un acte de révolte et d'usurpation. Cette appréciation, M. Angley l'a prise toute faite dans des historiens superficiels qui, à dessein ou non, confondent deux choses bien distinctes, le royaume de France et le saint-empire romain.

Le duc Boson était fils de Beuves, comte des Ardennes et de Villantia, et d'une fille de Boson l'Ancien, comte de Bourgogne il était beau-frère de tl) A. de Terrebasse, .BM<otre de Boson et de ses successeurs.


Charles-le-Chauve, qui avait épousé sa sœur Richilde. En 876, celui-ci le nomma duc de Lombardie, et l'année suivante, peu avant sa mort, il lui donna le gouvernement de la Provence avec le titre de roi. Mais un auteur fait remarquer qu'il ne faut pas prendre ce titre dans un sens trop absolu et qu'il se confondait souvent alors avec celui de duc, de comte ou simplement de chef (1).

Boson épousa, en 877, Ermengarde, fillè de l'empereur Louis II le Jeune, fils de Lothaire, roi d'It&lie, et petite-nièce de Charles-le-Chauve.

En 878, le pape Jean VIII, chassé de Rome par le duc de Spolète et le marquis de Toscane, vint en France implorer le secours du roi Louis II le Bègue, fils de Charles-le-Chauve il débarqua à Arles, où Boson et Ermengarde le reçurent magnifiquement. Il ne tarda pas à constater qu'il n'y avait aucun fond à faire ni sur le roi, miné par la maladie, incapable de rien faire, ni sur ses deux fils, Louis et Carloman, trop jeunes et trop inexpérimentés pour porter le lourd fardeau de l'empire.

Comme il redoutait l'ambition démesurée et peu scrupuleuse de la Maison de Germanie, l'avenir prouva combien il avait raison, le pape jeta les yeux sur Boson. Il écrivait à l'impératrice Angelberge, mère d'Ermengarde < Mon désir, si je le puis sans manquer à l'honneur, est de chercher dans vos enfants la consolation et la protection de la Sainte Eglise Romaine et de les promouvoir, si Dieu le permet, à un degré plus grand et plus élevé. Mais les évènements et les rivalités des princes ne lui permirent pas de réaliser ses vues et en 881 il fut contraint de donner la couronne impériale à Charles II le Gros, roi d'Allemagne qui, en 882 et 884, recueillit la succession des fils de Louis le Bègue.

(1) Chronique de Réginon, an 877.


Au mois de septembre 878, Boson accompagna le pape dans son retour en Italie, qui se fit par St-Jeande-Maurienne et le Montcenis.

Le concile de Mantaille ne fit donc, en réalité, que ratifier ou renouveler en 879, pour remédier à l'état d'anarchie où se trouvait le pays, l'élection ou nomination que l'empereur Charles-le-Chauve avait faite quelques mois avant sa mort. Il pourvoyait ainsi au gouvernement d'une partie des fiefs directs de l'empire. Mais en dehors même de ce fait capital, l'acte des évêques et des autres grands vassaux assemblés à Mantaille n'avait rien que de conforme au droit du temps, qui faisait à cette forme d'élection une si large part dans la constitution et la transmission de la royauté. Cet acte n'entamait en aucune façon le royaume des fils de Louis le Bègue et le concile songeait si peu à usurper leurs droits qu'il datait ses actes de l'année de leur règne.

Aussitôt après son élection, Boson convoqua à Suse les évêques et les autres seigneurs de Belgique, de Bourgogne, de Bade, de Suisse, de Savoie et de Lombardie. On y voit figurer Asmondc, qui porte le titre d'évêque de Suse et de Maurienne. L'assemblée déclara que les Alpes Cottiennes ne relevaient que de la juridiction des Papes; elle reconnut l'autorité du roi Boson et jura de consacrer ses forces à la défense de l'Eglise, du Saint-Empire et de la Chrétienté. Naturellement, les princes carolingiens d'Allemagne attaquèrent Boson avec toutes leurs forces. En 880, la ville de Vienne, dont il avait fait sa capitale; fut assiégée. Vaillamment défendue par Ermengarde, pendant que Boson essayait de la secourir du dehors, elle ne se rendit qu'en 882 à Charles-le-Gros, devenu empereur. Le roi put échapper et alla, avec sa petite troupe, se cantonner dans une forteresse du haut Dauphiné, d'où il continua la lutte. Vers la fin de


l'année 885, il reprit Vienne et Lyon et son autorité sur les provinces d'empire qui l'avaient élu ne fut plus contestée par l'empereur. Les deux dernières années de la vie de Boson furent employées à relever les ruines amoncelées par la guerre et parer aux éventualités de l'avenir. La Maurienne, qui avait cruellement souffert du passage des ennemis, ne fut pas oubliée et nous avons l'explication de la charte (1) par laquelle la huitième année de leur règne, c'est à dire après le 15 octobre 886, Boson et Ermengarde donnèrent à l'évêque Asmonde le château d'Armariolum comme refuge en cas de guerre et d'invasion. Boson mourut à Vienne le 11 janvier 887, ne laissant qu'un enfant de dix ans, qui devint l'empereur Louis l'Aveugle. C'était un trop faible défenseur et l'anarchie reprit de plus belle. En 888; une assemblée d'évêques et de seigneurs, tenue à Saint-Maurice en Valais, élut un roi plus capable en la personne de Rodolphe, fils de Conrad, comte d'Auxerre et du Valais et allié à la famille de Charlemagne. Ce fut le second royaume de Bourgogne. Jl comprit la Suisse des Grisons à Genève, la Franche-Comté, le Lyonnais, la Bourgogne, la Haute-Savoie et la Tarentaise; Rodolphe ne tarda pas à y ajouter la Savoie-Propre et la Maurienne, enlevées au fils de Boson. La dynastie Rodolphienne comprend quatre rois Rodolphe I", mort en 911 Rodolphe II, mort en 937 Conrad-le-Pacifique, qui défait les Sarrasins et les Hongrois, et meurt en 993 Rodolphe III dit le Fainéant, mort sans descendance en 1032 (2). III

J'arrive aux deux faits importants de notre histoire (1) Travaux de <e Société. 2' Série, t. 2, 1. part., p. 205. (2) A. de Foras, Le comte Humbert I' Léon Ménabréa, Les origines féodales 'd<t~ les Alpes Occidentales. p. 56 et suiv.


mauriennaise au XP siècle, sur lesquels je voudrais essayer de jeter un peu de lumière.

Rodolphe III avait quatre sœurs 1° Gisèle, mariée au duc Henri de Bavière et mère de l'empereur Henri II 2° Berthe, mariée à Eudes, comte de Champagne et mère d'Eudes II 3° Gerberge, mariée au duc Hermann de Bavière et mère de l'impératrice Gisèle, femme de Conrad II le Salique 4° Mathilde, femme de Hugues de Angestreim et mère de Berthe, femme de Gérold de Genève. Nous n'avons pas à nous occuper de la dernière.

En 1016, dans une entrevue qu'il a avec son neveu l'empereur Henri II à Strasbourg, Rodolphe lui transfère tous ses droits sur le royaume de Bourgogne. Il renouvelle cette cession en 1018, malgré l'opposition des seigneurs qui soutiennent que, d'après les anciennes coutumes, la Bourgogne ne peut avoir pour roi que celui que la nation a choisi. Révolte des seigneurs ils sont battus et contraints de se soumettre en 1020. L'empereur Henri II meurt en 1024 sans postérité.

Dominé par Ermengarde, sa femme, Rodolphe cède son royaume à l'empereur Conrad-le-Salique qui n'est que son neveu par alliance, au préjudice d'Eudes de Champagne, son neveu direct. Il meurt en 1032.

Eudes prend les armes et s'empare de Morat, de Neuchâtel, de Vienne et de tout le pays situé entre le Rhône et l'Isère. Mais l'empereur accourt. Il se fait décerner le titre de roi dans une assemblée tenue à Payerne le 2 février 1033 et pendant l'été se jette sur la Champagne. Eudes met bas les armes il les reprend l'année suivante avec l'aide d'un grand nombre de seigneurs qui ne veulent pas du joug de l'empereur d'Allemagne. Des bandes de soldats italiens, commandées [par le comte Humbert, traversent la


vallée d'Aoste et le Mont-Joux (1) et dispersent les révoltés. L'empereur se rend à Genève et reçoit la soumission des évêques de Lyon et de Genève (2). Ajoutons tout de suite qu'Eudes est tué en 1037; qu'en 1U38 Conrad fait élire son fils Henri dans une assemblée convoquée à Soleure et qu'il meurt en 1039.

C'est en 1034 que l'évêque de Maurienne aurait pris le parti du comte Eudes et qu'aurait eu lieu la destruction de St-Jean par Humbert aux Blanches Mains. Voici comment Angley, l'historien de nos évêques, raconte ces évènements, en les plaçant sous l'épiscopat d'Evérard ou Urard (3) « Le comte de Genève et l'évêque de Maurienne se déclarèrent pour Eudes. Après avoir tiré raison du comte de Genève, Conrad envoya ses troupes victorieuses assiéger la ville de St-Jean-de-Maurienne dans laquelle l'évêque Urard s'était renfermé avec ses habitants qui s'étaient armés pour sa cause. L'armée impériale commandée, diton, par Humbert n'eut pas de la peine à triompher d'un si faible souverain. Après quelques jours de siège, la ville fut emportée d'assaut, ses murailles rasées, ses maisons détruites, ses habitants dispersés et son évêque envoyé en exil. »

En note M. Angley nous apprend que St-Jean était alors environné de murailles, relevées en 940 pour s'opposer aux irruptions fréquentes des Sarrasins. Les historiens de Savoie, dit-il encore, qui rapportent ce fait, ne lui assignent aucune date précise, si ce n'est Frézet qui la place après la mort du comte de Champagne tué dans une bataille et 1037 mais cette date ne nous parait guère admissible.

M. Angley a raison, la destruction de St-Jean ne (1) Le Grand-Saint-Bernard.

(2) Ménabrea, ibid. p. 63.

(3) P. M.


peutavoireu lieu en 1037 où, nous l'avons vu, Thibaud occupait le siège de Maurienne car il est manifeste que cet évoque n'eût pas parlé comme il l'a fait dans la charte de 1040, si c'était sous son gouvernement et par son fait que cette destruction avait eu lieu. Il faut donc la reporter à l'année 1034, sous l'épiscopat de son prédécesseur, Evrard ou Urard.

C'est de Frézet (1) que M. Angley a tiré les détails qu'il donne sur la destruction de St-Jean et l'exil de l'éveque, moins la note sur les remparts de la ville. prise je ne sais où.

Grillet (2) raconte cet évènement d'une manière plus succincte. « Conrad et Humbert, dit-il, vinrent mettre le siège devant St-Jean-de-Maurienne. Le siège fut long et opiniâtre la ville prise d'assaut fut rasée, ses habitants dispersés et Conrad, dans l'accès de sa colère, s'arrogeant une autorité étrangère à la puissance temporelle, unit l'évéché et toutes les églises du diocèse de Maurienne à celui de Turin. x Il place cet évènement en l'année 1034.

Des quatre auteurs auxquels Grillet renvoie, je n'ai pu trouver ni Vippo (Vie de Conrad), ni Levrier (Chronologie des comtes de Genevois). Chiésa (3) dit seulement: c~onrad l'ayant ruiuéepresque jusqu'aux fondements, comme l'écrit Herman Contrat, la soumit en 1038, avec toutes les terres de son diocèse, à l'évoque Gui de Turin. Cependant elle fut rebâtie peu de temps après et elle eut de nouveau un évoque. > Nous avons \u que St-Jean avait un évêque en 1037 et avait le même évoque en 1040.

Besson (4), sur l'éveque Ebérard, écrit < Ce fut sous cet éveque que l'empereur Conrad assiégea en 1033 la cité de St-Jean, dont les habitants ne vouft) ~/M<. de la Maison de Savoie, t. 1. p. 63

(!) Dictionn. histor. t. 1, p. 16.

(3) Cbrona Reale da Savoia, Cuneo, 1655, l* part., p. 55. (4) Mémoires. p. 185.


laient pas le reconnaître, et la fit raser. Ce prélat étant mort environ l'an 1038, l'empereur, pour satisfaire son ressentiment, supprima l'éveché de Maurienne et le réunit à l'éveché de Turin. » Non savons déjà qu'Evérard n'était plus évêque de Maurienne en 1037. Guichenon (1) ne dit pas un mot de la ville de StJean ni du diocèse. Il dit seulement que Conrad ayant pris le château de Morat dans le pays de Vaud, tous ceux qui tenaient encore pour Eudes se soumirent; après quoi l'empereur reprit le chemin de l'Allemagne. Thomas Blanc (2) parle à peu près dans les mêmes termes.

Léon Ménabréa, qui tient à être toujours scrupuleusement exact, en son savant ouvrage posthume Les origines féodales dans les Alpes occidentales (p. 64), se contente de dire que « L'union de l'éveché de Maurienne à l'évêché de Turin a induit quelques-uns de nos historiens à croire que Tnéobald (c'est à dire Evérard), évoque de Maurienne, figurait au nombre des partisans de l'intégrité nationale et que l'empereur voulut tirer vengeance de ce prélat. » Il ajoute en note « Un passage d'Hermannus Contractus à l'année 1034 a fait penser, en outre, que Conrad avait assiégé et détruit St-Jean-de-Maurienne (3). M. Cibrario (Storia ~eMa Monarchia di Savoia, t. 1, p. 53) a remarqué que l'annaliste Epidannus disait Murtenam, Morat, au lieu de AfMrte~M~ Maurienne. Les érudits jugeront si cette leçon est préférable. » Sans être érudit, il me semble que A/w~MM~ est logiquement préférable à Murienam. Herman était (1) .Bts<. général. t. 1, p. 190.

(2) Abrégé de l'hist. de la RI' Maison de Sav., Lyon, 166<, t. 1 p. 66.

(3; Le moine Hermann est mort en 1054. Voici ce passage « Imperator iterum Burgundiam cum magnis petens copiis, ~mnia cis Rhodanum casteUa subjecit, Murienam diruit, Genevensem urbem intravit. »


en Allemagne, aussi bien qu'Epidannus. Cis Rodhanum, en deçà du Rhône, marque donc la rive droite du fleuve. Il est difficile d'admettre que Conrad, après avoir enlevé les châteaux situés de ce côté, a traversé le fleuve ou le lac Léman et toute la Savoie, pour venir prendre St-Jean-de-Maurienne avant de faire son entrée à Genève. L'expédition de Maurienne ne peut avoir eu lieu qu'après l'occupation de Genève, si l'empereur Conrad a voulu se réserver l'honneur de la diriger.

Mais ce fait de la prise et de la destruction de la ville de St-Jean par l'empereur Conrad-le-Salique, ou par son lieutenant, le comte Humbert I", est-il historique? Pour résumer cette longue dissertation, je dirai qu'à mon avis le fait n'est pas niable. Laissons de côté le moine Hermann, contemporain mais très douteux, Besson et Grillet trop récents une chose est certaine. En 1040 la ville de St-Jean était détruite et la charte de cette année donne à entendre qu'elle l'était déjà à l'arrivée de l'évêque Thibaud, c'est à dire avant 1037. Cet état de ruine est implicitement reconnu par la bulle impériale dont je vais parler il y est question de l'évêché, c'est à dire du diocèse, des dépendances de la cité de Maurienne, traitée absolument comme si elle n'existait plus. Cette bulle est manifestement un second acte de vengeance, conséquence du premier; la ville épiscopale étant supprimée, on supprime l'évôché. Cette destruction et cette suppression supposent nécessairement un fait politique où l'évoque de Maurienne aété l'adversaire de l'empereur. Or il n'y en a pas eu d'autre que la guerre entre Conrad-le-Salique et Eudes de Champagne pour la succession du roi de Bourgogne Rodolphe III.

Un mot sur le principal lieutenant de Conrad dans cette guerre n'est pas tout à fait hors de propos ici.


Humbert I", dit M. de Foras d'après M. le baron Carutti (1), naquit vers et pas avant 980. En 1018, sous Rodolphe III, il était connétable du royaume de Bourgogne. Il possédait déjà des biens en Maurienne lorsque, en 1034, après la victoire de Genève, peutêtre après la prise de St-Jean, Conrad lui donna le comté de Maurienne. Il était probablement originaire de la Maurienne même et avait épousé Anchilie, fille du comte du Valais. Il serait mort en 1056 ou 1057, dans la tour du Châtel, dit-on. Cette tour avait donc été enlevée à l'évêque de Maurienne par le roi de Bourgogne ou par l'empereur Conrad, et donnée à Humbert. Elle fut la première résidence du châtelain de Maurienne (2).

On sait qu'Humbert-aux-Blanches-Mains est enterré sous le péristyle de la cathédrale de St-Jean. IV

Quatre ans auprès la conquête du royaume de Bourgogne, Conrad-le-Salique, préludant aux sacrilèges entreprises de ses successeurs et usurpant, comme dit justement Grillet, une autorité qui est étrangère à la puissance temporelle, publia la bulle que l'on trouvera à la fin de ce volume. Je la copie telle que je la lis dans Besson et dans Combet, qui l'a sans doute prise à Besson elle est manifestement émaillée de fautes, mais je n'ai pas les indications nécessaires pour les corriger. Il m'a paru utile d'en traduire ici des extraits aussi exactement que le permettent l'obscurité et les lacunes peut-être du texte.

Elle est datée de Cologne le 15 mars de l'an de l'Incarnation 1038, de son règne la quatorzième comme roi, la douzième comme empereur. Conrad y exprime (1) Le comtc Humbert T" p. 20, 26.

(9) Le comte de Mareschal, La Mes<fa!t'e de .S'<Mtc~, Congrès d'Aiguebelle en 1894, p. 95,


d'abord la prétention de gouverner à sa volonté les choses de l'Eglise aussi bien que celles de l'Etat. C'est la maxime que proclameront ses successeurs la couronne est ronde elle embrasse tout. <: Nous nous appliquons, dit-il, à régler et disposer les droits et les biens des saintes églises, nous pensons que la divine Majesté et clémence nous les a confiés pour un temps, et nous voulons augmenter et gouverner avec sincérité l'état du royaume. C'est pourquoi nous notifions à tous ceux, présents et futurs, qui militent dans le sein de la sainte Eglise de Dieu et qui vivent sous notre pouvoir qu'à la prière d'Odoldric, évêque de Brescia, nous confirmons et assurons à la sainte église de Turin. dont Gui est évêque, toutes les choses et propriétés, prairies, servis, dépendances, les meubles et les immeubles que nous avons, po~r le bien de notre âme, cédées à cette église et que nous lui donnons en propriété perpétuelle, savoir l'évêché de la cité de Maurienne, les maisons avec tous les édifices, soit la cour (curtem) (1) de St-André avec son château et son district, la cour des Ségnères (2) avec son château et son district. »

Suit la liste des localités où l'évêque de Maurienne possède des maisons et des dépendances (districtum). On y voit la cour, le château et le district de Montrond, au lieu d'Arves, des noms situés hors de la Maurienne Conflans, Ugine, Thonon et son monastère de la Sainte-Vierge, Chignin. des noms introuvables Ma<o~M~ .Ma~an~MH~, ~a~M~MtM, Reculafollum entre les eaux de Mardarel. L'empereur continue: x Nous donnons, concédons et déléguons à la dite église de St-Jean-Baptiste de Turin les dîmes de cet évêché, les églises qui lui ap(1) Sur la signification de ce mot V. Travaux de la Soct~ 2* série, t. 2, 1' part., p. 75.

(2) A St-Martin-d'Arc.


partiennent, les montagnes et les vallées, les eaux, les moulins, les droits de pêche, les bois et les forêts, les pâturages et tout ce qui dépend de la dite cité de Maurienne. Par cet écrit impérial, nous confirmons toutes ces choses à notre fidèle Gui évoque. et nous voulons que pour toujours elles lui appartiennent, investissant de la dite cité de Maurienne le dit évêque Gui et ses successeurs. Nous défendons donc à tout archevêque, évêque, abbé, duc, marquis, consul, proconsul, à toute personne de notre royaume, de quelque condition qu'elle soit, de dépouiller, inquiéter, molester, quereller, troubler les évêques du siège de St-Jean-Baptiste de Turin en ce qui concerne les choses susdites tant villes que bourgs et châteaux, maisons de toutes sortes et familles sus énoncées. Si quelqu'un ose violer et annuler cette ordonnance de notre autorité, sauvegarde et défense, nous le condamnons à payer dix mille livres d'or, une moitié à notre chambre, l'autre moitié à l'évêque ou à ses successeurs. !<

La bulle porte deux signatures celle de l'empereur et celle de Cadalous, chancelier, substitut de l'archichancelier Hermann. L'empereur et le chancelier étaient dignes l'un de l'autre. Après quelques années d'un règne qui était loin de f.'ure prévoir de tels écarts, Conrad s'était mis à vendre les évêchés à deniers comptants. Cadalous et Odoldric étaient ses principaux commis en ce commerce, que ses successeurs continuèrent et contre lequel les papes soutinrent de si héroïques luttes. Cadalous acheta l'évêché de Parme puis en 1065 il fut fait anti-pape, parce que le pape Alexandre Il- n'avait pas sollicité, moyennant finances, l'approbation de la veuve et du fils d'Henri III. Ce fut le commencement de la fameuse querelle des investitures, si mal comprise de bien des écrivains français.


Naturellement, la bulle impériale ne dit pas combien l'évêque de Turin a payé les églises, maisons, biens, bénéfices et droits divers du diocèse de Maurienne ces choses-là ne s'écrivaient pas et l'hypocrite vendeur mettait pieusement que c'était pour le remède de son âme et de celles de ses prédécesseurs ou de ses successeurs. Mais il est difficile de croire que Gui ait obtenu gratuitement ces riches dépouilles. « Une suppression si irrégulière, dit Besson (p. 185), ne devait pas être de longue durée aussi après la mort de cet évoque de Turin arrivée en 1045, l'évéché de Maurienne fut rétabli. »

L'évéché de Maurienne ne fut pas rétabli, par la raison qu'il ne fut pas plus supprimé de fait que de droit. « Il est sûr, dit Ménabréa (1), que la charte commémorative de cette vengeance arbitraire, où Conrad se pose hardiment comme l'ordonnateur absolu des choses ecclésiastiques, n'obtint aucun effet, et que Théobald continua d'exercer librement l'épiscopat. » Nous avons vu en effet qu'en 1040 il résidait dans sa ville épiscopale en ruine et administrait les biens de son évéché. Le temps avait-il manqué pour l'exécution de la bulle impériale, Conrad II étant mort subitement le 4 juin 1039 ? Ou bien le comte Humbert était-il intervenu auprès de l'empereur et lui avait-il fait comprendre que cet acte de vengeance, compliqué de schisme et probablement de simonie, avait d'autant moins de raison d'être maintenu que l'évêque de Maurienne n'était plus celui qui avait osé lui résister? C'est le secret de l'histoire.

Nous ne s&vons pas davantage ce qu'était devenu Evérard après la destruction de St-Jean. M. Angley dit qu'il mourut en exil. C'est possible, mais il n'en existe aucune preuve. Ce qui est certain, c'est qu'en (Ï) Les origines féodales. p. 64.


1037, un an avant l'attentat de l'empereur allemand, il était remplacé par Théobald ou Thibaud. « On croit, a écrit M. Combet, que cet évêque était frère d'Humbert I" comte de Maurienne cette conjecture est fondée sur une donation qu'ils firent en commun au Chapitre de Maurienne. » J'ai déjà parlé de cette charte elle est assez importante pour être insérée dans ce volume. Comme preuve du fait qu'avance M. Combet, elle est insuffisante elle prouve seulement que les droits cédés au Chapitre par l'évêque provenaient déjà d'une donation d'Humbert.

MÉMOIRES

Origine de la souveraineté temporelle des évêques de Maurienne (1).

I.

M. Pascalein a publié dans la Revue 6'~ot.M'eM)t<? (2) un mémoire sur « Le pouvoir temporel des évoques de Maurienne. » Le même sujet avait déjà été traité, et d'une manière plus complète, par M. le comte de Mareschal de Luciane dans son discours de réception à l'Académie de Savoie en 1891 (3). Seulement notre savant confrère, en faisant l'histoire très documentée de cette petite principauté, n'avait pas cru qu'il y eût lieu de discuter l'origine que la tradi(1) V. séance du 2 avril 1900.

(2) 1890. n' 8, 8' trimestre.

(3) Mémoires de l'Acad, d. Savoie, 4' série, t. III.


tion mauriennaise et la bulle des papes Lucius III et Clément III lui attribuent.

Le cardinal Billiet, dans son « Mémoire sur les premiers évêques du diocèse de Maurienne », ne parle du pouvoir temporel de nos évêques qu'à propos de l'évêque Urard et de son refus de reconnaître l'empereur Conrad comme roi de Bourgogne (1). Il ne s'occupe que de réfuter une erreur de nos chroniqueurs (H) qui font remonter la série des évêques à un Lucien qui aurait siégé en 337, et même aux saints Elie. et Milet du premier siècle. Le savant prélat détruit cette légende; il prouve que jusqu'en 565 la Maurienne fit partie du diocèse de Turin qu'à cette époque le roi Gontran réunit la vallée de Suse et la Maurienne au diocèse de Vienne, et que le premier évêque de Maurienne fut Felmaselequelfutsacré en 579. Il n'y a pas un mot de l'origine de la souveraineté temporelle des évêques Mais Mgr. Billiet a publié un volume des « Chartes du diocèse de Maurienne !) (3) et il y a inséré les bulles de Lucius III et de Clément III. Or une note (p. 35) commence ainsi « On voit pour cette bulle que le roi Gontran avait cédé à l'évêque de Maurienne, en toute souveraineté, dixsept paroisses. » Il y a ici une inexactitude, une confusion que je relèverai plus loin.

Ainsi jusqu'à présent personne, pas même Mgr. Billiet, si sceptique à l'endroit des légendes, n'avait contesté la constitution du petit état épiscopal par le roi Gontran peu après la création de l'évéché de Maurienne, c'est a dire vers l'an 579 c'était un fait acquis à l'histoire.

M. Pascalein le premier tente de le démolir. A-t-il découvert quelque charte nouvelle? Non; mais il (1) Ibid., 3" série, t. IV.

(2) Angley. Combet, Chronologie des Evêques de Maur, m~nuso' (3) Acad. de Savoie, Documents, vol. 11*.


ajuste aux anciennes des raisonnements nouveaux. Les voici. 1° Il eut été impolitique de remettre à un évêque le gouvernement d'un pays frontière d'acquisition récente. 2' Au commencement du VHP siècle, le gouverneur de cette portion des Alpes était, non pas l'évêque, mais un.leude, le patrice Abbon, fondateur de l'abbaye de la Novalaise, que l'on voit propriétaire de terres qui auraient fait partie de la dotation de l'évêché constitué par S. Gontran Fontcouverte, les Albiez, etc. 3° Les Mérovingiens, s'ils affranchissaient volontiers les clercs et leurs biens de la juridiction des comtes, n'allaient pas jusqu'à subordonner les comtes et les graffions aux évoques, ainsi qu'au dire de la légende de sainte Thècle Gontran l'aurait fait en Maurienne. 4° Si l'évoque de Maurienne avait possédé les châteaux que la légende prétend lui avoir été donnés par Gontran, le roi Boson n'aurait eu aucune raison, en 887, de lui céder la tour du Châtel comme lieu de refuge. 5° Cette charte de Boson est le seul document antérieur au XP siècle qui reconnaisse aux éveques de Maurienne une possession temporelle la légende de sainte Thècle est du XP ou du XIP.

II

Ces raisons ne me convainquirent nullement et, M. Pascalein ayant eu l'amabilité de m'envoyer un exemplaire de son mémoire, je l'informai, en le remerciant, que je préparais une réponse. Mais ma lettre ne put le joindre et la poste me la retourna. Au lecteur de juger.

1° Le diocèse de Maurienne, tel qu'il avait été constitué par S. Gontran, s'étendait bien jusqu'à la frontière des états de ce prince du côté de l'Italie, c'est à dire jusqu'à Avigliana en Piémont mais la


Terre dont l'évoque fut établi souverain ne commençait qu'au Freney en Maurienne, à une centaine de kilomètres de cette frontière. Gontran donna-t-il, en en outre, à l'évêque une autorité sur les leudes, comtes et graffions chargés de la défense de la frontière, c'est à dire de la vallée de Suse ? La légende de S. Thècle le dit M. Pascalein affirme que cela n'est pas admissible. C'est une question indépendante de celle de la constitution de la Terre Episcopale. 2° La dotation de l'évêché se composait de deux choses que la bulle de 1184 distingue très nettement la Terre dont l'évoque était souverain, sur laquelle il avait reçu du roi Gontran onzne jus regale; des fiefs dont il avait le domaine direct et qui étaient situés, les uns dans la Terre Episcopale, les autres au dehors, à Termignon, Aussois, SoMières, etc. De ce que, au VHP siècle, Abbon possédait des fiefs, des terres à Albiez, à Fontcouverte, à St-Jean-de-Maurienne. dans la Terre Episcopale (1), on ne peut conclure que l'évoque n'avait pas dans ces localités Ot~M~'M~ regale et qu'elles faisaient partie du gouvernement d'Abbon pas plus qu'on ne peut dire qu'il était souverain à Termignon, Aussois, etc., parce qu'il y avait des droits.

3° La donation de la tour du Châtel parle, roi Boson (2) ne prouve rien, ni pour ni contre la constitution de la Terre Episcopale par le roi Gontran, puisque la tour est située hors des limites de cette Terre. La possession des châteaux d'Arves et de Valloires n'a rien à faire non plus avec la souveraineté temporelle en question. L'évoque aurait pu être propriétaire de dix châteaux et n'être souverain nulle part, comme il aurait pu avoir une souveraineté et pas de châteaux. M. Pascalein semble confondre ces deux choses si (1) Travaux de la Société, 2' série, t. 1, 2' part., p. 179. (2) V. Travaux de la Société. 3' série, t. 2, 1. part., p. 205


diûérentes, le pouvoir souverain et les propriétés. La charte de 887 est. dit il, avant l'année 1008, « le seul document reconnaissant aux prélatb mauriennais une possession temporelle ».

Ainsi à cette époque l'évoque ne devait posséder aucun château, pas même peut-être une habitation dans sa ville épiscopale. Car dans l'hypothèse contraire, la donation de la tour du Châtel ne se comprend plus, « alors, dit M. Pascalein, que ce prélat (Asmund) eût trouvé aisément, dans les montagnes, à Valloires ou dans les Arves, un abri tout autrement assuré contre les brigandages des soldats en campagne ou les coureurs de grand chemin ? »

L'explication est toute simple. Boson a pensé que le château (castrum) d'Hermillon, placé sur un haut rocher entièrement isolé, à quelques pas d'une voie romaine, à cinq kilomètres de la ville épiscopale, offrirait à l'évêque, pour sa personne, ses livres, ses trésors et ceux de son église, (1) un refuge plus assuré, une résidence temporaire plus commode pour l'administration du diocèse, en ces temps de troubles et de guerres, que les châteaux d'Arves et de Valloires cachés dans les hautes montagnes, à vingt kilomètres de la ville de St-Jean, avec laquelle les communications étaient difficiles, parfois impossibles. Encore faut-il admettre avec M. Pascalein, ailleurs si exigeant en fait .de preuves, que les châteaux d'Arves et de Valloires existaient déjà et appartenaient aux évêques au IX' siècle, bien que leur existence ne soit authentiquement constatée qu'au XI'.

4° M. Pascalein est obligé de reconnaître qu'au XII' siècle, -la bulle de Lucius III est.de 1184, celle de Clément III de 1190, les évoques de Maurienne étaient « de véritables souverains t. D'où leur venait cette souveraineté, si elle n'a pas son origine dans la

(1) .M&~oyMW <A~oMfoyMM~Me WMMfMe Mt'Me.cp't<~Ma6t7e.


donation du roi Gontran? M. Pascalein l'explique vaguement par des suppositions, une simple occupation, une donation par un inconnu pendant les troubles du X* siècle. « Si on aborde le XI' siècle, dit-il, on constate tout à coup un changement radical dans la condition temporelle des prélats mauriennais. Les anciens amis et conseillers du patrice Abbon, les protégés du roi Boson sont devenus, à leur tour, de puissants seigneurs. Ils sont pourvus de cinq châteaux et de domaines nombreux, bien qu'un peu dispersés. Ils jouissent sans conteste de tous les droits de la souveraineté.

« Comment cette transformation s'est-elle opérée? 1 « Se sont-ils, à l'exemple de l'évoque de Grenoble, Isarn (950-977), placés à la tête des populations opprimées par les musulmans et mérité ainsi leurs hommages reconnaissants ?

« Ont-ils obtenu des derniers rois de Bourgogne de larges concessions en terres, analogues à celles que Rodolphe III accorda aux métropolitains de Tarentaise et de Vienne ou aux éveques de Sion et de Lausanne ? Il est impossible de répondre à ces questions. » Je le crois bien, puisqu'elles supposent une trans/br~a~o~ dont rien ne prouve l'existence. Il est bien plus simple, plus conforme aux exigences de la saine critique, d'admettre des taits constatés par des documents authentiques, postérieurs, il est vrai, aux évènements, mais qui, à raison de leur caractère, n'ont pu être rédigés que sur des données certaines, que de se livrer à des suppositions gratuites. « Il semble, dit plus loin M. Pascalein, qu'en ces temps reculés, on se crut en droit de suppléer à ce que d'anciens et insignes bienfaiteurs pas toujours authentiques auraient dû faire et n'avaient pas fait. Faudrait-il imaginer qu'une propriété fut alors mieux garantie, si elle était réputée, en quelque sor-


te, immémoriale, que si elle datait d'un titre récent, bien que régulier? »

Pour parler clair, l'évêque qui a obtenu la bulle de Lucius III, a jugé expédient de faire remonter au roi S. Gontran l'origine de la souveraineté temporelle qu'il devait aux largesses de Rodolphe III ou à la reconnaissance populaire. Et naturellement le titre récent et régulier fut si bien détruit, qu'il n'en reste aucune trace.

L'auteur de cette supercherie ne peut être que l'évêque Lambert qui siégea de vers 1177 à 1198 et il l'a sans doute accomplie en 1179 dans un voyage qu'il fit à Rome pour assister au concile général de Latran. Je ne veux répondre à cela qu'un mot, c'est que M. Pascalein, qui reproche aux preuves de nos traditions de n'être pas assez vieilles, n'a, pour appuyer ce fait si grave, qu'une supposition dont le mérite de l'invention lui appartient. Nous persistons à lui préférer l'assertion si nette du pape Lucius III « Le roi Gontran. a établi queles évoques de Maurienne possèdent tout droit de souveraineté ~o~Me jus regale) dans les territoires de St-André et d'Argentine et dans les lieux situés au-delà de l'Arc, savoir à Valloires, Albanne, dans la ville de St-Jean et les autres villes et villages, et dans les montagnes adjacentes, ce que nous confirmons à vous et à vos successeurs de la même manière qu'il l'a établi. Suit l'indication des limites de la.Terre dont l'évoque est souverain et des localités où il a des propriétés ou des droits quelconques.

La bulle de Clément III reproduit textuellement celle de Lucius III (1).

Les titres primordiaux de l'éveché de Maurienne existaient certainement encore au XII' siècle. Leur disparition est rapportée par nos chroniqueurs à l'é(1) V. Chartes du diocése. p. 32 et 40.


poque de l'occupation de là Savoie par François I" et à l'épiscopat de Mgr. Jean-Philibert de Challes, successeur du cardinal de Gorrevod en 1534. « Cet évêque, écrit le chanoine Jacques Damé mort en 1681, a beaucoup travaillé pour son église dans le temps que le roi de France occupa la province. Il mourut en France. On rapporte qu'il avait emporté l'acte de fondation de l'évêché écrit sur un parchemin de trois doigts et Mgr. Milliet a entendu dire que cette charte est maintenant entre les mains d'un noble du Chablais. »

Le curé Combet, qui rédigea une histoire des évêques vers l'année 1810, dit du même évêque « Il fut obligé de se rendre en France auprès du roi François I" qui tenait pour lors la Savoie, afin de soutenir les droits et immunités de son église qu'on attaquait. Il mourut dans ce voyage tous les titres de l'évêché et de la cathédrale qu'il porta avec lui furent perdus. »

Voilà donc pourquoi nous n'avons maintenant aucun document, antérieur au XII' siècle, constatant l'établissement par le roi Gontran du petit état dont l'évêque reçut la souveraineté.

III

« La légende de S' Thècle, dit M. Pascalein, rédigée peut-être &u XI* ou au XII* s-iècle, n'hésite pas à assigner à la souveraineté politique de l'évoque de Maurienne la même origine qu'à son autorité spirituelle. Gontran, dit-elle, concéda à Felmase les leudes et les graffions qui, avec les comtes, défendaient la marche frontière, et dès ce jour ils lui obéirent et en tout ils lui furent assujettis. »

On conviendra que si cette phrase de la légende exprime une autorité donnée à l'éveque sur les leudes


et les comtes de la frontière, elle ne dit rien d'une souveraineté politique proprement dite, territoriale, ni de la Terre dont on a vu les limites et sur laquelle seulement s'exerçait cette souveraineté.

Nous possédons deux légendes de S. Thècle. L'une, assez étendue, contient l'histoire du voyage de la sainte en Egypte, de son retour à St-Jean avec les reliques de St. Jean-Baptiste, de la construction de la cathédrale et de la création de l'éveché par S. Gontran. Elle a été publiée par les Bollandistes (25 juin) et c'est là que M. Pascalein l'a lue. « Cette vie, disent les savants hagiographes, nous a été envoyée par le docte et noble Charles du Fresne seigneur du Cange, si connu en France pour sa rare science il nous a assuré qu'elle est tirée d'un missel eu parchemin et en caractères gothiques, conservé dans les archives de la Maurienne (1). Bollandus en avait déjà reçu une copie en 1639 de messire du Verney, chanoine et vicaire général ».

Combet a reproduit cette légende au 6 des preuves de son histoire il la fait précéder de ce renseignement < Extraite du manuscrit de Colbert conservé dans la bibliothèque royale de Paris n° 3887. » Cette légende doit être bien antérieure au XI' siècle, voici pourquoi Les parties principales, celles concernant le voyage de S. Thècle, moins ce qui concerne la manière dont elle a reçu les reliques de St. Jean-Baptiste, et la fondation de l'éveché sont reproduites presque textuellement sur un petit parchemin conservé dans les archives de l'évêché. Cette seconde légende est imprimée dans le volume des chartes du diocèse de Maurienne (p. 8). Sans doute parce qu'elle parait tirée de la première, Mgr. Billiet dit que M. Combet assure qu'elle a été extraite du ma(1) Le missel-bréviaire existe encore, mais on a coupé les feuillets contenant la légende de S. Thècle.


nuscrit Colbert indiqué ci-dessus et il fait cette observation « Cette pièce n'est qu'une copie et non une charte originale. L'écriture paraît être du Xe siècle ». Ainsi ces deux légendes ont une origine plus ancienne que celle qu'assigne, avec un peut-être, M. Pascalein à la première qu'il ne connait que par les Bollandistes elles n'ont pas un mot qui permette de dire que « la légende de S' Thècle n'hésite pas à assigner à la souveraineté politique de l'évoque de Maurienne la même origine qu'à son autorité spirituelle. » L'évêque de Maurienne pouvait avoir reçu une autorité sur les leudes de la frontière, sans avoir reçu la souveraineté sur une partie de la vallée de Maurienne. Encore une fois, ce sont là deux choses tout à fait distinctes.

La constitution de la Terre Episcopale par S. Gontran doit donc avoir fait l'objet d'unè charte spéciale que nous n'avons plus, une de celles que Mgr. de Challes avait emportées en France c'était en effet la pièce maîtresse pour les réclamations qu'il avait à adresser à François I" qui s'était emparé aussi bien de la Terre de l'évoque, avec lequel il n'avait aucune difficulté, que de la châtellenie de Maurienne, appartenant au duc de Savoie à qui il avait déclaré la guerre.

Cette perte est sans doute regrettable Mais les bulles des papes Lucius III et Clément III me paraissent établir suffisamment l'origine de la souveraineté temporelle des évoques de Maurienne. Que leur oppose-t-on? Une négation et des suppositions sans fondement historique. A mon avis, ce n'est pas assez.

IV

Pour résumer ces observa~ti.ons et ~eur~QQj~rtQu.te


la clarté possible, il me parait utile d'insister sur une distinction capitale (1) que j'ai déjà indiquée et que M. Pascalein n'a pas suffisamment faite, la distinction entre la Terre dont l'évoque avait la souveraineté et les propriétés ou fiefs dont il avait le domaine direct, soit au dedans, soit au dehors de la Terre Episcopale dans cette seconde catégorie il faut ranger, on verra pourquoi, les bénéfices ecclésiastiques dont l'évéque avait la libre disposition. Une autre raison d'y revenir, c'est qu'elle me permet d'être d'accord avec mon honorable contradicteur pour une moitié de l'objet du débat..

La bulle de Conrad II, que M. Pascalein cite en passant et que nous avons étudiée dans un précédent mémoire, ne fait pas cette distinction, ou plutôt elle passe sous silence les droits de souveraineté de l'évêque, sans doute parce que l'empereur les considérait comme supprimés. Il n'y est fait mention que de cours, curtes, c'est à dire de propriétés, de jardins avec maisons, et les curtes situées dans la Terre Episcopale, celles situées dans le reste du diocèse et celles même situées en d'autres parties de la Savoie, à Thonon, à Chignin par exemple, sont énumérées pêlemêle.

La bulle de Lucius III, je le répète, fait soigneusement cette distinction. Elle confirme d'abord omnes jus regale in <o~o territorio villarum. puis quasrumqut; possessiones, <~MQ?CM~Më bona. Mais au lieu du mot curtis, la bulle pontificale met ecclesia. C'est ce qui m'induit à penser qu'il s'agit des bénéfices curiaux dont l'évêque avait la libre collation. Peut-être le mot curtis avait-il, dans la bulle impériale, la même signification, la propriété du curé, de (1) Cette distinction est trèll bien établie par M. le comte de Maresohal de Luciane dans son discours de réception à l'Académie de Savoie déjà cité, p. 31.


l'église, dont la maison et le jardin constituent la partie principale. Les localités citées dans la première sont mentionnées dans la seconde, autant que l'identification des noms est possible. Le pape nomme dix-huit églises mais ce ne sont pas les seules qui dépendent de la mense épiscopale, car la bulle dit « Entre lesquelles possessions Nous avons cru devoir exprimer par leurs noms les suivantes. » De ces dix-huit églises, treize sont situées dans la Terre Episcopale, les autres sont dans les domaines du comte de Savoie les Millières, Termignon, Sollières, Aussois et le Bourget.

A ce propos, j'observe que trois inexactitudes se sont glissées dans une des notes qui accompagnent la bulle de Lucius III (1). « On voit, y est-il dit, par cette bulle que le roi Gontran avait cédé à l'évoque de Maurienne en toute souveraineté dix-sept paroisses et la moitié d'une autre. Or dans cette partie de la bulle 1° il n'est pas question de souveraineté, mais de propriété 2' toutes les églises qui appartiennent à l'évéque ne sont pas nommées 3° il n'est pas dit que ces églises aient été données par le roi Gontran, mais seulement que l'évêque les possède justement et canoniquément.

De qui venaient ces curtes, ces églises, c'est à dire ces maisons, jardins et autres propriétés? Rien ne démontre, il n'est même pas probable que ce soit du roi Gontran, surtout pour la totalité, et c'est sur ce point que j'ai le plaisir de me rencontrer avec M. Pascalein. La dotation de l'éveché a du tout naturellement s'augmenter, pendant les premiers siècles, par les donations des princes et des seigneurs. C'est ainsi qu'en 887 le roi Boson lui donna, non seulement le château, mais encore l'église du Châtel. (1) Chartes du diocèse. p. <5. M. de Mareschal a déjà signalé CM inexactitudes.


Mais toutes ces questions de fiefs, d'églises, de propriétés n'ont rien à faire avec la souveraineté des évêques sur le territoire qui s'étend du Freney à St-Jean-de-Maurienne et sur ce point, je le répète, il me semble que, jusqu'à ce que l'on produise des documents précis, il convient de s'en tenir à l'assertion si formelle de la bulle du pape Lucius III. J'ai dit que la Terre Episcopale s'étendait, sur la rive gauche de l'Arc, du Freney à St-Jean-de-Maurienne. La bulle' dit en effet « A rivo qui Huit a monte et intrat Arcum ad stricta Sancti Andree usque ad rupem calvam que fere imminet ville Pontis. Cependant dans l'énumération des communes, celle de Valloires est nommée la première, ce qui semble exclure Valmeinier et St-Martin-d'Arc. Après 1314 on a la preuve, dit M. de Mareschal (1), « qu'à Valmeinier et à St-Martin-d'Arc, l'évéque n'avait la juridiction que sur une partie des hommes; les autres hommes relevaient, dans ces paroisses, du comte de Savoie, et ces villages faisaient partie de la mestralie de St-Michel. Par conséquent, si les évoques ont eu dans leur souveraineté Valmeinier et St-Martin-d'Arc, ils ne les ont pas conservés longtemps d'une manière complète ». Peut-être ils ne les avaient déjà plus en 1184.

La Terre dont l'évéque de Maurienne était souverain comprenait donc la ville de St-Jean et les quinze paroisses de Valloires, Albane, Montricher, Villargondran, Atbiez-le-Jeune, Albiez-le-Vieux, Montrond, St-Jean-d'Arves, St-Sorlin, Villarembert, Fontcouverte, Jarrier, St-André, Argentine. L'insurrection des Arves en 1325 et le traité du 2 février 1327 auquel elle contraignit l'évoque Aimon de Miolans, la coupèrent en deux parties la Terre .L~î~, dont l'évéque garda toute la souveraineté et qui comprit (1) Ibid. p. 21.


les cinq paroisses d'Argentine, St-André, Valloires, Albane et Montricher ainsi que les ~p~copaMa? de Valmeinier et de St-Martin-d'Arc la ?~rg Commune, formée de la ville de St-Jean et des dix autres paroisses et à la souveraineté de laquelle l'éveque associa le comte de Savoie Edouard, qui se chargea de réprimer l'insurrection.

A partir de cette date, les droits souverains des évêques furent constamment battus en brèche attentats des officiers ducaux sur la Terre Limitée, main-mise des ducs sous le nom de protectorat, suppression pure et simple par François I", refus des nobles de reconnaître l'évêque pour leur souverain, chicane des communes, procès incessants, etc. (1). Enfin en 1768 le cardinal de Martiniana céda au roi de Sardaigne tous ses droits de souveraineté en même temps il affranchit les communes de tous les droits féodaux (2).

MÉMOIRES 3

Les amblevins dans les vignobles de St-Julien (1).

Nos ancêtres ne connaissaient ni le phylloxéra, ni l'oidium, ni le black-rot, ni le mildew, ni un certain nombre de maladies au nom plus ou moins exotique. (1) V. Souviraineté temporelle. chap. VIII et suiv, Travaux de la Société. 1' série. t. 1, p. 215, t. 5, p. 870 2* série, t. 1, 2' part. p. 249 St-Jean-de-Maurienne au X~T' siècle, p. 346 et 377. f2) Travaux de la Société. io séné, t. 2, p. 99.

(I) V. séance du 7 mai 1900.


Ils n'avaient à se plaindre que d'un seul fléau, dont nous ne sommes pas plus exempts qu'eux cependant ils ont rempli de leurs doléances les XVI', XVII', XVIII' siècles, et même le commencement du nôtre. Cet ennemi de la vigne, c'est une espèce d'insectes que nos vieux documents, faute de termes plus précis, décrivent ainsi < des animaux brutes, volants, de couleur verte, semblables à des mouches, vulgairement appelés verpillons ou amblevins ». Les entomologistes modernes les appellent charançons et les rangent dans l'ordre des coléoptères, genre rhynchites.

On peut lire dans les Mémoires de l'Académie de Savoie (tome XII', l' série) la relation que Léon Menabréa a faite du curieux procès que les habitants de. St-Julien intentèrent, en 1545, à ces insectes malfaisants.

M. l'abbé Paul Buttard a également publié (1) un vœu à N.-D. du Charmaix fait en 1624 par la même commune à l'effet d'obtenir la protection x de la Vierge immaculée contre un fléau si pernicieux. Notre confrère a eu l'obligeance de me communiquer les quelques documents que possèdent encore les archives de sa cure et qui me permettent d'apporter ma petite contribution à l'histoire de cette longue lutte que les habitants de St-Julien poursuivirent contre les dévastateurs de leurs vignes, lutte où les moyens naturels et surnaturels furent tour à tour employés, où la victoire finale resta aux petites bestioles, aujourd'hui encore maîtresses du champ de bataille. Pour donner une idée plus complète de cette lutte, dont les faits que je vais raconter ne sont que de menus épisodes, je vais rappeler, en me contentant de résumer la relation de Ménabréa, les diverses phases du fameux procès, à l'usage des lecteurs qui n'ont pas (1) Travaux de la Société d'hist. et d'at-c~ 2' série, tome I'.


à leur disposition le volume assez rare de l'Académie de Savoie.

Ce procès commença en 1545. Une première comparution conciliatoire eut lieu devant spectable François Bonnivard, docteur en droit le procureur Pierre Falcon représentait les insectes, et l'avocat Claude Morel leur prêtait son ministère. L'inutilité de cette tentative d'accomodement fit que les syndics de StJulien se pourvurent à l'official de St-Jean-de-Maurienne et engagèrent une contestation en forme. L'official reçut de part et d'autre plusieurs plaidoiries en latin. L'avocat Pierre Ducol occupait pour les demandeurs.

Il y eut d'abord lettres monitoires de la part du vicaire-général, puis un interlocutoire portant que des experts visiteraient les vignobles envahis et constateraient les dommages. L'expertise faite, un incident s'éleva sur sa validité l'avocat des animaux élabora un mémoire commençant par Visitatio. etc.; l'avocat de la partie adverse rédigea un playdoyer commençant par ~~t ~a<to;t~ etc. Bref, le 18 mai 1546, l'official (1) rendit une ordonnance dans laquelle, écartant provisoirement les conclusions des habitants de St-Julien, qui requéraient l'excommunication contre les amblevins, il se borna à prescrire des prières publiques.

Interrompu pendant plus de quarante ans par suite de la retraite des insectes dévastateurs, le procès fut repris en 1587, parce que les terribles coléoptères avaient fait une nouvelle irruption plus alarmante que les précédentes. Les syndics de St-Julien se pourvurent à l'officialité de Maurienne afin de renouveler l'instance commencée en 1545 contre les animaux brutes, vulgairement appelés amblevins Ils exposent au vicaire général et official que depuis deux ans il (1) Il s'appelait François Ducruez (Franciscus de Crosa).


est survenu dans le pays une si effroyable multitude de ces insectes que le produit des vignes a été presque réduit à néant que les dits insectes, en dévorant les feuilles et les pampres, ont même détruit tout espoir de récolte pour longtemps; que jadis, grâce aux prières des habitants, la Providence avait mis un frein à la fureur désordonnée de ces bêtes voraces, mais qu'actuellement, « à cause peut-être des péchés des hommes moins assidus à la prière et au culte divin et moins exacts à s'acquitter de leurs vœux et obligations)), ils semblent redoubler de rage et menacent de tout détruire. Considérant qu'il appartient aux ministres du Seigneur de prescrire ce qui est opportun pour calmer la colère divine, les syndics concluent à ce qu'on les autorise à reprendre l'instance commencée précédemment et, au besoin, à procéder ~?~<?~o; à ce qu'il plaise au révérend official de constituer aux insectes un nouveau procureur en remplacement de l'ancien, passé de vie à trépas, et de députer préparatoirement un commissaire idoine pour visiter les vignes endommagées, le défenseur de la partie adverse étant invité à assister à l'expertise à ce que le juge ecclésiastique procède ensuite à l'expulsion des animaux par voie d'excommunication ou d'interdit ou de toute autre censure ecclésiastique. Enfin, les syndics se déclarent prêts à concéder aux animaux, au nom de la commune, un local où ils aient à l'avenir pâture suffisante.

Cette requête, signée Franciscus Faeti, fut remise à l'offieial le 13 avril, et ce même jour le co-syndic François Amevet (1) parut au banc des actes judiciaires à St-Jean-de-Maurienne, et y fit élection d'un procureur en la personne de Pétremand Bertrand, (1) Léon Ménabréa a lu Amenet c'est une méprise, car il n'y a pas de famille de ce nom à St-Julien, tandis que les Amevet sont nombreux dans cette commune et à Montdenis.


l'un des procureurs de ce siège, causidicus in c~rn~ ~~tM& ci1:itatis.

Le 16 mai, François Amevet, assisté de Pétremand Bertrand, se présenta de nouveau devant le révérend vicaire général et official, produisant les lettres testimoniales de l'élection et constitution de procureur faite à l'audience du 13 avril, la requête en reprise d'instance déjà mentionnée, les pièces du procès originaire mu en 1545, notamment l'ordonnance rendue le 8 mai 1546, prescrivant aux habitants de St-Julien certaines prières et cérémonies religieuses. Après avoir pris connaissance de ces din'éientes pièces, l'official, considérant que les insectes contre qui l'action était dirigée ne devaient pas rester sans défense, et qu'il fallait avant tout exécuter la chose jugée, députa égrège Antoine Filliol pour remplir, moyennant salaire modéré, la fonction de procureur des dits insectes et spectable Pierre Rambaud pour être leur avocat, et commit le curé de St-Julien pour mettre à exécution l'ordonnance du 8 mai 1546.

Voici quelle était la teneur de cette ordonnance engager les fidèles à se tourner vers Dieu de tout cœur, avec la résolution de vivre désormais d'une manière vraiment chrétienne l'inviter à payer à Dieu et à ses ministres les dîmes auxquelles ils ont droit; faire pendant trois jours consécutifs trois processions dans les vignobles envahis en les aspergeant d'eau bénite dire chacun de ces jours une grand'messe, suivie du Veni, C~a<o~ .b'p~W~M~, avec le verset Emitte ~ptr~MtM et l'oraison Deus qui corda /Mglium, les sept psaumes de la pénitence et les litanies des saints avec leurs oraisons. Deux individus au moins par famille devront assister à ces pieux exercices.

Le jour de la Pentecôte, les syndics de St-Julien présentèrent au curé l'ordonnance susdite rendue


exécutoire, ainsi qu'on vient de le voir, par une autre ordonnance du 16 mai 1587. Le lendemain, à la grand'messe, le curé en fit lecture en chaire et exhorta le peuple à s'y conformer. Les 20, 21 et 22 du mois précité, les syndics et les habitants en majeure partie firent processionnellement le tour des vignes en suppliant Dieu de les délivrer du fléau qui les accablait. Le curé dressa procès-verbal de tout et revêtit cette attestation de sa signature, Romanet.

Le 30 mai, nouvelle comparution des parties devant l'official les demandeurs produisent l'attestation dont on vient de parler, et font en entier la reproduc tion des pièces de l'instance le procureur des défendeurs en requiert communication et la cause est renvoyée au 6 juin.

Ce jour-là, Antoine Filliol, procureur des animaux, produisit un plaidoyer signé Rembaud, et conclut au déboutement de ses adversaires. Dans ce plaidoyer, l'avocat des insectes, après avoir rappelé les actes de l'instance primitive et les moyens jadis employés par spectable Claude Morel, son prédecesseur, déclare absurdes et injustes les poursuites dirigées contre ses clients, animaux brutes qu'on ne peut raisonnablement citer en justice, ni condamner par contumace, ni frapper d'excommunication. S'appuyant sur plusieurs textes de la Genèse, l'orateur prouve que les animaux ont été créés avant l'homme; que Dieu leur ordonna de croître et de multiplier, ce qu'il n'eût certainement pas fait s'il n'eût voulu leur donner les moyens de subsister que les végétaux sont aussi bien la nourriture des bêtes que celle de l'homme que par conséquent les insectes actuellement en cause n'ont fait qu'user d'une faculté légitime en allant s'établir dans les vignes des demandeurs. Loin donc de s'acharner à poursuivre un procès in-


juste, ~ceux-ci feraient mieux de s'adresser à la miséricorde céleste et de suivre l'exemple des Ninivites qui, à la seule voix du prophète Jonas, se couvrirent de cilices et revinrent à Dieu. En conséquence, égrège Antoine Filliol conclut à ce que le monitoire requis par ses adversaires soit révoqué et au besoin annulé et à ce que toute ultérieure expertise des vignes soit déclarée inutile et vexatoire, sous la protestation de l'arguer de nullité s'il y écheoit. Comme nous l'avons vu, ce plaidoyer fut produit à l'audience du 6 juin. Le procureur des syndics en demande communication, ce que le juge lui accorda, en prorogeant la cause au 12 du même mois. Le 12, Antoine Filliol, procureur des insectes, demande que ses adversaires soient forclos, parce qu'ils ont laissé son plaidoyer sans réponse. Les syndics requièrent un délai pour répliquer. La cause est renvoyée au 19.

Le 19, Pétremand Bertrand, procureur des demandeurs, produit une réponse de François Fayet (Franciscus Faeti), avocat des syndics Antoine Filiol en demande copie avec un terme pour délibérer renvoi au 26.

Le 26 étant un jour férié, l'audience eut lieu le lendemain. Les demandeursproduisirent de nouveau le plaidoyer de leur avocat. Le procureur des insectes oppose qu'il n'en a pas eu copie copie accordée et renvoi au 4 juillet.

Le 4 juillet, nouvelle comparution. Dans son plaidoyer commençant par Etiamsi cuncta, François Fayet avait cherché à établir, par le raisonnement et par des citations de*la Bible ou du droit canon, que c'est en considération de l'homme et pour l'utilité qu'il en peut retirer que les animaux ont été créés. Comme cette matière a été amplement traitée lors de


la première instance, il renvoie aux écritures jadis fournies par spectable Ducol et conclut suivant leur teneur. A cette argumentation Antoine Filliol oppose un second mémoire, aussi rédigé par spectable Pierre Rambaud, avocat des insectes, et qui n'est guère qu'une variante du premier.

Le 18 du même mois, le procureur des insectes fit des réquisitions énergiques pour que les syndics de St-Julien fussent déclarés forclos de la faculté de plus amplement déduire, attendu que le procès était suffisamment instruit et que tout délai ultérieur serait frustratoire. Mais Pétremand Bertrand, procureur des syndics, obtint un nouveau terme.

Désespérant d'obtenir complètement gain de cause, les syndics jugèrent à propos d'adopter d'une manière principale le moyen terme qu'ils n'avaient proposé au commencement de l'instance que par mode subsidiaire. A cette fin, ils 'convoquèrent, sous la présidence du vice-châtelain Jean Depupet, une assemblée générale des habitants de la commune. Le 29 juin, à l'issue de la messe paroissiale, le métrai Guillaume Morard fit les publications accoutumées, et, après-midi, la cloche appela tous les manants du lieu au Parloir-d'Amont, place publique de St-Julien. Là les syndics exposèrent comme quoi c au procès par eulx intenté contre les animaulx brutes vulgairement nommés amblevins est requis et necessayre, suyvant le conseil à eulx donné par le sieur Fay leur avocat, de bailler aux dits animaulx place et lieu de souffisante pâture hors les vignobles de St-Julien, et de celle qu'ils en puissent vivre pour ~éviter de manger ny gaster ledictes vignes !). L'assemblée fut d'avis d'offrir aux amblevins une pièce de terre située audessus du village de Claret, dans un endroit connu sous le nom de la Grand'Feisse, contenant environ


cinquante sétérées (1), « et de laquelle les sieurs advocat et procureur d'iceulx animaulx se veuillent contenter. ladicte pièce de terre peuplée de plusieurs espesses de boès, plantes et feuillages comme foulx (hêtres), allagniers (noisetiers), cyrisiers, chesnes, planes, arbessiers (sorbiers) et aultres arbres et buissons, oultre l'erbe et pasture qui y est en assés bonne quantité. ) En faisant cette offre, les communiers crurent devoir se réserver le droit de passer par la localité dont il ~s'agit, tant pour parvenir sur des fonds plus éloignés, « sans causer touttefois aulcung préjudice à la pasture dedicts animaulx, que pour l'exploitation de [certaines « mynes de colleur x (ocre) qui existent non loin de là. « Et parce que, ajoutent-ils, ce lieu est une seure retraite en temps de guerre, vu qu'il est garny de fontaynes qui aussi serviront aux animaulx susdits, ils se réservent encore la faculté de s'y réfugier en cas de nécessité, promettant, moyennant ces réserves, de faire dresser en faveur des insectes un contrat de cession de la pièce de terre en question « en bonne forme et vallable à perpetuyté.

Le 24 juillet, Petremand Bertrand produisit une expédition du procès-verbal de la délibération prise le 29 juin, et conclut à ce que, dans le cas de nonacceptation par les défenseurs des offres précitées, il plût au révérend juge de condamner les défendeurs à déguerpir les vignobles, avec inhibition de s'y introduire à l'avenir, sous peine du droit. Après avoir usé de moyens dilatoires qui firent renvoyer la cause au 11 août, puis au 20, au 27 du même mois, enfin au 3 septembre, Antoine Filliol finit par déclarer, dans (i) La altérée est l'étendue d'un champ qu'on peut semer avec un setier de blé. Or, le setier valait huit quartes, c'est-t-dire un peu plus d'un htctelitrt.


cette dernière audience, qu'il ne pouvait accepter au nom de ses clients les propositions faites par les demandeurs, attendu que la localité offerte était stérile et ne produisait rien. Il développa longuement les moyens consignés dans les actes de l'instance et conclut au déboutement des demandeurs, avec dépens. De son côté, Petremand Bertrand fit observer que, loin d'être de nul produit, le lieu en question abondait en buissons et en petits arbres très propres à la nourriture des défendeurs, ainsi qu'il en constatait par la délibération dont copie avait été donnée au procureur de ces derniers il persista en conséquence à requérir l'adjudication de ses conclusions. Sur quoi l'official ordonna le dépôt des pièces.

La détérioration du manuscrit fait que nous ne connaissons ni ]a date précise de la sentence du juge, ni la majeure partie de son dispositif. Nous savons seulement que l'official, avant de prononcer une sentence définitive, nomma des experts pour vérifier l'état du lieu offert aux insectes, se réservant de statuer au fond d'après le résultat de l'expertise. L'opération fut faite, mais nous ignorons quel en fut le résultat et quelle fut la sentence définitive ou si même il y eut sentence définitive.

Les procès contre les animaux sont nombreux au moyen-âge. Léon Ménabréa et Berriat-Saint-Prix en ont fait chacun l'objet d'une curieuse étude. D'après le premier de ces auteurs, les procédures de ce genre étaient toutes symboliques et avaient pour but d'adoucir les mœurs et d'inculquer à des peuples grossiers l'idée de la justice universelle en montrant qu'on doit l'observer même à l'égard de créatures irraisonnables. J'ajoute, et le procès de St-Julien le montre amplement, que le juge ecclésiastique, auquel on s'adressait toujours dans cette sorte de causes,


trouvait là une bonne occasion de rappeler les fidèles à l'observation des devoirs de la morale chrétienne car avant de prononcer la sentence, avant même de commencer la procédure, il ne manquait pas d'avertir les plaignants que leurs fautes étaient la cause probable des maux dont ils étaient affligés et de leur prescrire des prières et des exercices propres à apaiser la colère de Dieu. C'est sur ces deux croyances, l'intervention de la Providence et l'expiation par la pénitence, que reposait le recours aux moyens surnaturels contre les animaux nuisibles. J'ai mentionné plus haut le vœu de la paroisse de St-Julien à N.D. du Charmaix. En voici un autre de la même communauté fait quatre ans après.

o: Ce jour dhuy dimanche vingtsixiesme mars mil six cents vingt huit en conseil légitimement assemblé dans la confrérie du bourg de Sainct Jullien à l'yssue des vespres et au son de la cloche affin que playse à la divine Majesté de retirer son ire et fléau de nous et que lui playse nous faire pardon et miséricorde de nos péchés, retirer et chasser les verpillons qui endommagent les vignes et touttes autres bestes qui gastent les fruicts de la terre, et nous préserver par cy après de tels accidents, a esté voué à Dieu par M. Jallien Depupet, Anthoine Prunnieret Martin Didier, syndics modernes du présent lieu de sainct Jullien, par l'advis et assistance de leurs conseillers et de la majeure partie des manants et habitants de ladite communauté de faire trois processions la première le vendredy quattorziesme d'apvril, la seconde le mercredy de la saincte sepmaine et la troisiesme le vendredy prochain après Pasques, auxquels jours se dira une messe aux endroits ou se feront lesdites processions et illec (là) se feront par le sieur curé ou autre prêtre qui aura charge de ce faire les exorcis-


mes ordonnés et permis par notre saincte mère l'église auxquelles processions seront tenus et obligés aller tous ceulx qui auront la commodité de ce faire, mesmement tous les chefs d'hostel (1) du présent lieu de l'un et l'autre sexe si ce n'est qu'il y ait cause légitime, en ce cas mettront personnes en leur place, et lesdits jours desdites processions seront tenus et obligés de jeuner et faire des aumosnes aux pauvres chascun à son particulier selon leur pouvoir et faculté à peine d'estre punis et chastiés ceux qui se trouveront délinquants de peine telle que le droit ordonne contre les infracteurs de vœu solennellement faicts et ainsi que dessus a esté voué en présence du révérend messire François Luyset prestre curé du présent lieu, lequel pour lever à un chascun toute cause d'ignorance a esté prié de faire la publication à l'église et à moy notaire soussigné requis acte pour servir et valoir ainsi qu'ils verront. <

Signé Depupet.

Le vœu précédant n'était pas perpétuel. Mais dans une délibération de 1692 il est fait mention d'un vœu fait à l'occasion des verpillons, par lequel la communauté de St-Julien s'engageait à faire fête le premier vendredi d'avril de chaque année. En outre, elle priait Monseigneur l'évoque de vouloir bien autoriser <t les festes de vœu x ci-après Sainte Agathe, sainte Brigide, saint Sébastien, saint Roch, saint Bernard et saint Grat. On voit que les vignerons s'étaient, suivant l'expression populaire, voués à tous les saints.

Le fléau disparut-il pour quelque temps ? Nous l'ignorons. Quoi qu'il en soit, les archives de St-Ju(1) Chefft de famille.


lien n'ont conservé aucune trace de plainte contre les amblevins pendant la première moitié du dix-huitième siècle. En 1751, à la suite d'une nouvelle invasion, les habitants de St-Julien s'avisent enfin qu'il serait peut-être bon d'employer contre les terribles insectes les moyens naturels aussi bien que les surnaturels. Au mois d'avril de cette année, maître Pierre Floret, député des communes de St-Julien et de St-Martin-la-Porte, adresse une requête à l'intendant de la province de Maurienne et lui expose que les conseils des susdites communautés ont délibéré d'obliger, sous les peines qu'il plaira à l'intendant d'infliger, les propriétaires de vignes à ramasser les amblevins aussitôt après leur apparition, et de <( re.courir auprès de S. E. Monseigneur l'évêque de ce diocèse ou en cour de Rome pour obtenir les exorcismes contre les insectes suivant l'usage de l'Eglise.» L'intendant enjoint à tous les particuliers possédant des vignes sur le territoire des deux communes de ramasser les insectes à l'époque fixée par les syndics et les conseils, sous peine de quatre livres d'amende, et autorise les dépenses « qu'il conviendra de faire aux fins d'obtenir les exorcismes ». Sur la demande des communes, l'évêque commit les curés de St-Julien, St-Martin-la-Porte et St-Michel pour exorciser les amblevins et autres insectes qui endommageaient les vignes. Il permit en outre une procession générale à la chapelle de Sainte-Anne, située sur le territuire de St-Julien, lieu où les fidèles des trois paroisses devaient se joindre processionnellement et recevoir au retour la bénédiction du Saint Sacrement. La même autorisation fut successivement accordée pour les années 1752, 1753, 1755 et 1756.

On voit, par'ce qu'on vient de lire, que l'Eglise n'accordait qu'après de nombreuses instances les


concessions de cette sorte et qu'elle prêtait difficilement son ministère à des cérémonies qui visaient à un intérêt purement matériel. Elle pensait que la terre a été livrée à l'industrie de l'homme et que c'est seulement après avoir épuisé toutes les ressources naturelles qu'on doit recourir à l'intervention divine. C'est peut-être pour cette raison que, à partir de 1756, il n'est plus question ni de vœux, ni d'exorcismes. Quoiqu'il en soit, nous ne trouvons plus désormais que des arrêtés ou des ordonnances prescrivant des mesures pour la destruction des insectes ravageurs. En 1767, les syndics de St-Julien adressent une requête au chevalier de Montgenis, pour le prier d'enjoindre à tous les propriétaires de vignes de ramasser les amblevins et les feuilles où ils ont déposé leur progéniture. Même injonction en 1788. Sur la pétition du conseil municipal de St-Julien, en date du 11 floréal an IX, le sous-préfet de l'arrondissement, Bellemin, arrête ce qui suit:

Art. 1. Tous propriétaires, fermiers, locataires ou autres faisant valoir leur propre héritage ou ceux d'autrui seront tenus, sur l'invitation de l'agent de la commune, de ramasser au jour qui aurait été indiqué les insectes connus par le nom d'amblevins qui existent dans les vignes, à peine d'amende qui ne pourra être moindre de trois journées de travail et plus forte de dix.

Art. 2. Ils seront tenus de brûler en même temps les bourses qui contiennent les œufs des insectes. Art. 3. L'agent municipal ou son adjoint sont tenus de surveiller l'exécution des articles précités, ils sont autorisés de faire à cet effet les avertissements nécessaires aux propriétaires qui habitent d'autres communes que la leur.

Art. 4. Dans le cas où quelques propriétaires ou


fermiers refuseraient ou négligeraient d'obéir à l'invitation de l'agent ou adjoint de ladite commune, ceux-ci sont autorisés à faire cueillir et brûler les insectes par des ouvriers qu'ils choisiront. L'exécutoire de cette dépense leur sera délivré par le juge de paix sur la quittance des ouvriers contre lesdits propriétaires ou locataires, et sans que ce payement puisse les dispenser de l'amende.

Art. 5. Le sous-préfet se flatte que tous les propriétaires ou fermiers se convaincront de la nécessité de la mesure et s'empresseront de l'exécuter, afin d'éviter les ravages auxquels leur négligence donnerait lieu, outre les amendes prononcées.

En 1845, les communes de St-Julien, St-Martinde-la-Porte, St-Martin-d'Arc, St-Michel, Montricher, Villargondran, concertent une action énergique contre les amblevins aussi rebelles aux arrêtés municipaux qu'aux sentences d'excommunication et qui, suivant les expressions d'une ancienne'délibération rapportées à cette occasion par le secrétaire « damna quam plurima perpetrant, folias et pampinas rodendo et vastando, ita ut in pluribus locis nulli sperantur fructus percipi et in vinels et in vineto damna inestimabilia et incomprehensibilia afferunt. t Voici la requête adressée par les six communes au Sénat. A nos Seigneurs. Supplient humblement les syndics et conseils doubles (1) des communes de St-Julien, de St-Martin-la-Porte, de St-Martin-d'Arc, de St-Michel, de Montricher et de Villargondran (province de Maurienne) et disent que de tout temps les vignobles des dites communes et de celles environnantes sont dévastées par un fléau qui sévit rigide(1) Les conseils doubles étaient l'adjonction aux conseils municipaux des principaux imposés, dont le concours était nécessaire pour le vote d'une surimposition.


ment dès quelques années. Ce sont des insectes connus dans le pays sous le nom d'amblevins, verpillons ou piquets, qui apparaissent en nombre à l'époque de la feuillaison des vignes, pour en dévorer successivement les feuilles et les fleurs. Leur ravage est tel que le cep ainsi dénudé vient à un état de souffrance qui le rend stérile pour plusieurs années, s'il ne périt pas de la maladie inoculée par les morsures. Le mode de reproduction de ces insectes a fait concevoir un moyen sûr de leur faire la chasse. Ils déposent leurs œufs sur les feuilles, qui se roulent bientôt en forme de cornets Ceux-ci suspendus aux pampres renferment ainsi toute la génération future, qu'il est facile d'exterminer en en faisant la récolte. Les suppliants l'ont conseillée mainte fois à leurs administrés, mais les uns la pratiquent et d'autres la négligent, ce qui n'a permis que de concevoir l'efficacité de la mesure, si on pouvait la rendre obligatoire pour tous les propriétaires de vignobles, au moyen d'une sanction convenable. A ces fins les suppliants ont pensé devoir s'adresser au Sénat, pour en rendant cette récolte obligatoire soumettre les contrevenants aux peines portées par l'article premier de son manifeste du 18 février 1817 ou telles autres qu'il daignerait statuer, ainsi qu'il l'a fait à la suite d'un recours pareil de la ville de St-Jean-de-Maurienne en mai 1844, mesure qui a déjà produit de merveilleux effets sur ce fléau qui cesse dès lors dans ses vignobles. Mus par ces considérations puissantes, les suppliants ont cru rendre la mesure d'autant plus efficace qu'elle serait plus générale, ce qui les a portés à se réunir pour le présent recours. Ils recourent, pour qu'il lui plaise de dire et ordonner que la délibération prise par les communes sortira son effet plein et entier sous les peines énoncées, rière les six communes


suppliantes, ou même de prescrire telles autres dispositions qu'il croirait plus convenables dans sa sagesse, et pourvoir.

Conformément aux conclusions de l'avocat fiscal général chargé de faire un rapport sur la question, le Sénat, à la date du 9 janvier 1847, ordonna que les dispositions de son manifeste du 4 février 1839 relatives à l'échenillage fussent appliquées, dans les communes pétitionnaires, à la destruction des amblevins que l'époque de l'exécution des mesures à prendre contre les insectes serait déterminée dans chaque localité par une délibération du conseil communal que la présente ordonnance, ainsi que les conclusions de l'avocat fiscal et la requête des six conseils municipaux, seraient enregistrées- aux archives du Sénat, publiées et affichées dans les six communes, un jour de dimanche ou de fête, à l'issue des offices divins, par les secrétaires de mairie. Les mesures contre les amblevins, revêtues cette fois de l'autorité du Sénat, furent-elles mieux appliquées que par le passé et eurent-elles plus d'effet? Les archives de St-Julien ne répondent pas à cette question et ne nous apprennent plus rien sur < les animaux brutes et volants. D'autres ennemis bien plus terribles sont venus les supplanter dans les préoccupations des vignerons. Avant de prendre congé de mes petites bêtes, je dois ajouter à leur histoire l'intéressante notice que M. l'abbé Duttard m'a transmise sur leurs congénères de Pontamafrey.

En 1626, les amblevins menaçaient de faire de grands ravages au vignoble de Pontamafrey. La population de cette petite commune en eut peur. Le conseil municipal ainsi que tous les principaux propriétaires de la dite communauté se réunirent au


son de la grosse cloche. On fut d'un avis unanime de s'adresser à Mgr. l'Evéque afin d'obtenir l'autorisation de faire les exorcismes pour chasser tous les insectes nuisibles au vignoble en fixant un local pour leur nourriture. Ce local fixé est une teppe au milieu du roc qui se trouve entre la forêt du Sapey et celle qui est au pied de ce roc. On l'appelle encore aujourd'hui la teppe des varpillons.

Toute ladite assemblée réunie délibéra de faire toutes les années le jour de St. Grat (7 septembre) une procession à travers le vignoble et chantant les litanies des saints et les autres prières comme au jour des rogations. Monseigneur accorda toutes les permissions demandées, mais il exigea que toutes les promesses faites par la commune fussent consignées dans un acte authentique par main de notaire afin qu'il pût servir ad r~ memoriam. Ce qui fut fait. Cet acte se trouvait autrefois dans les archives de Pontamafrey, mais maintenant il ne s'y trouve plus. Le notaire stipulant était de Montvernier, (je ne me rappelle plus son nom).

Pour la rétribution de la procession de <St. Grat, les gardes-vignes, qui étaient autrefois payés en nature, portaient à la cave du Rd curé un baril de vin ce qui s'est toujours fait jusque il y a une douzaine d'années. Dès lors, les gardes-vignes sont payés en argent par le percepteur. Le curé ne tire plus rien et la procession de St. Grat ne se fait plus.


MÉMOIRES

4

Etablissement d'une manufacture pour occuper les pauvres à St-Jean-de-Maurienne (1768-1789) (1).

I

Projet d'une manufacture.

L'an 1768, le 23 février, dans le palais épiscopal de la ville de St-Jean, s'assemblaient les administrateurs de la Maison de charité (2), Mgr. de Martiniana (3), évoque de Maurienne, les RR"' chanoines Vernaz et Agnès, les nobles syndics Rapin, Rambaud et Salomon. On leur avait adjoint, pour la circonstance, trois membres du Corps de ville, ainsi que le comte de Bénevel, intendant de la province, et le chevalier de Montgenis, juge-mage, délégués de Sa Majesté. Mgr. de Martiniana avait obtenu du roi des lettres patentes datées du 30 octobre 1767, qui l'autorisaient à délivrer à la Maison de charité la quantité annuelle de 1600 quartes de bled orge dit cavallin (4), en place de l'aumône en pain que les évoques de Maurienne (1) V. séance du 5 juin 1900.

(2) Maison de chanté, c'était le nom donné alors à une institution analogue à celle de nos bureaux de bienfaisance.

(3) Mgr de Martiniana a gouverné le dijcese de Maurienne de 1757 à 1779 année où il fut transféré au siège de Verceil. Il mourut en 1802.

(4) L'orge cavallin, c'est le nom que donnent les patois du pays à un mélange d'orge et d'avoine.


étaient en coutume de faire, pendant chaque carême, dans la cour de leur palais.

L'ordre du jour de la présente séance, c'est la lecture de ces Lettres patentes les administrateurs délibèrent ensuite sur la manière dont se feront les distributions.

Quel fut le système adopté, nous n'avons pas à le rappeler maintenant mais voici comment se terminait la délibération (art. 9)

« Si dans la suite l'administration en vue du plus grand profit des pauvres, trouvait convenable d'établir en cette ville quelque manufacture, et de fournir les moyens de former des apprentifs pour icelle, en prélevant par proportion ceux des endroits qui profitent le plus de cette aumône, l'assemblée pleine de confiance pour les bontés paternelles de S. M. pour la Province, ose espérer qu'en authorisant le présent plan de distribution, elle voudra bien accorder la liberté à l'administration d'employer en tout ou en partie le dit bled à l'entretien des pauvres apprentifs, ainsy que le cas paraîtra l'exiger. »

Remplacer l'aumône du carême qui amenait à StJean, avec quelques pauvres, quantité de malfaiteurs et de désordres, par des distributions régulières et équitables faites dans les paroisses, c'était un grand progrès déjà. On visait à mieux encore, car l'on espérait pouvoir fonder quelque jour une manufacture qui transformerait en travailleurs industrieux au moins un certain nombre de mendiants.

Cette idée était due aussi à la sollicitude intelligente de Mgr. de Martiniana. Dans la supplique qu'il avait adressée précédemment au roi pour obtenir l'autorisation ci-dessus mentionnée, il insinuait déjà la création possible d'une manufacture <! capable d'occuper utilement les gens de campagne pendant l'hiver et de


leur fournir la subsistance, que les plus industrieux et les plus robustes sont forcés d'aller chercher chez l'étranger, aux dépens trop souvent de ce qui doit leur être plus cher, la Religion et l'amour de la patrie ).

II

L'entrepreneur Jacques-Antoine Bona fous. Ce projet d'une manufacture mûrit peu à peu. Nous en trouvons l'objet particulier indiqué dans une délibération de la Maison de charité au 14 juin 1771 « S. Excellence (l'Evoque de Maurienne), y est-il écrit, par une continuation de son zèle en faveur des pauvres, s'étant intéressé pour introduire dans cette ville au profit de la maison de charité une fabrique de /~sh<~ et cordage de moresque (1) et autres articles de ce genre, a présenté des propositions du sieur Jacques-Antoine Bonafous de Turin Le sieur Bonafous propose à la Maison de charité une société pour introduire la dite manufacture. D'ailleurs, les renseignements demandés par l'évêque au comte de Laviana, régent du Conseil du Commerce, sur le candidat entrepreneur, sont satisfaisants soit pour sa probité soit pour ses talents.

Le Conseil trouve ces propositions avantageuses, et prie Sa Grandeur d'écrire au sieur Bonafous de se transporter à St-Jean pour conférer sur les arrangements qu'il conviendra de prendre ensemble relativement à l'exécution du projet.

Le sieur Bonafous arrive et se présente à l'assemblée du conseil de la Maison de charité le 22 juin. (~ Moresque. soie grossière avec laquelle on fabriquait surtout des tapisseries. On voyait encore de ces tapisseries dans les appartements à St-Jean-de-Maurienne, il y a quelque 70 ans.


Des propositions se font de part et d'autre. Une commission de deux membres, le chanoine Vernaz et le syndic Grange, est chargée de dresser le projet de convention, de concert avec le sieur Bonafous. Le projet se trouve prêt pour le lendemain. Nouvelle séance donc le 23 juin. La convention est lue, acceptée et signée à double. En voici la teneur. Nous laissons de côté le préambule qui n'est qu'un résumé bref des démarches faites à cet effet par l'évê'que et le conseil.

l* <: Ladite Maison de charité fera un fonds tant pour l'achat des outils à corder et filer que celui du mo~Me et payement des ouvriers et autres personnes nécessaires, de même que pour le loyer du bâtiment, achats des denrées, ustencilles et meubles nécessaires pour ceux qui y habiteront

2° « Il a été convenu et arrêté que le dit sieur Bonafous aura la moitié du bénéfice qui proviendra de la dite manufacture, après avoir néanmoins prélevé tous les frais et dépendances, y compris même ceux des s voyages nécessaires et des frais de la table et entretien pendant tout le temps que durera la dite Société. 3' Que le dit sieur Bonafous sera tenu de faire toutes les emplettes des moresques et autres matières en dépendant, en Piémont ou ailleurs, de même que les achats de tous les outils nécessaires.

4°< Que la Société pour la dite manufacture durera pendant l'espace de vingt ans, tant pour le dit Bonafous que pour ses successeurs experts pour la dite profession, à commencer après qu'on aura obtenu de S. M. les privilèges pour l'établissement et avantage de la dite fabrique.

< Le dit sieur Bonafous s'engage d'apprendre à tous les apprentifs, en tant que l'on puisse lui en fournir, qui seront nécessaires pour le dit cordage et filage dans la maison où sera établie la dite fabrique,


dans laquelle il faira sa résidence pendant tout le temps qui sera nécessaire à la dite fabrique. 6. « Les dits seigneurs administrateurs ont promis payer au dit sieur Bonafous à la fin de chaque année la somme de cinq cents livres qui sera prise et imputée sur tous les profits qu'aura produits l'établissement de la dite fabrique, dont il en sera dressé un compte exact chaque année, signé à double par les parties intéressées.

7° « Il sera procédé à la fin de chaque deux années pendant que durera la dite société, à l'inventaire des fonds et des matières qui se trouveront dans la dite maison ou ailleurs, appartenants à la dite société et dépendants de la dite manufacture.

« Tous lesquels articles ont été convenus et arrêtés par les parties qui ont promis et promettent d'en passer un contrat authentique et en due forme après toutefois qu'ils eu auront obtenu le privilège cy dessus. Le tout à peine de tous dépens, dommages et intérêts, le présent fait à double à la Cité de St-Jean dans le palais épiscopal le 23 juin 1771. » Nous retrouvons le conseil de la Maison de charité le 2 décembre de la même année. Lecture est donnée à l'assemblée des Lettres patentes obtenues de Sa Majesté par le sieur Bonafous pour la dite manufacture, à la date du 15 novembre précédent. D'après ces Lettres, le sieur Bonafous doit employ.er tous les pauvres que la Maison de charité lui présentera, moyennant un salaire compétant. Ce salaire sera, d'après la soumission faite par le sieur Bonafous au Bureau royal du Conseil du Commerce et qu'on lit également, de 4 sols par jour pour la première année, de 8 sols pour la deuxième et de 12 sols pour la troisième. On donne aussi lecture d'une lettre adressée le 30 novembre à Sa Grandeur par S. E. M. le chevalier de Mouroux, ministre et secrétaire d'Etat, d'après la-


quelle il serait convenable, sur l'avis du sieur Bonafous, de réunir et de loger dans une même maison les pauvres employés à la Manufacture.

La Maison de charité adopte cette dernière proposition. Il y aura une maison pour loger et nourrir les apprenti fs; on fournira cette maison de lits et autres meubles nécessaires. Le sieur Bonafous aura, lui, deux chambres à sa disposition.

Il y aura de plus un directeur et une directrice pour surveiller la conduite des pauvres de l'un et de l'autre sexe. Le RI chanoine Vernaz est chargé de les choisir. Enfin un commis sera nommé pour recevoir le payement des ouvriers, pour tenir les livres et pour conduire l'économie de la dite Maison.

A la date du 12 décembre, le chanoine Vernaz est commis pour faire venir de Genève ou d'ailleurs quarante couvertures pour les lits des ouvriers, de cinq livres chacune, et quatre autres couvertures de six livres pour leslits des officiers. Le Rd Brodel, prêtre bénéficier, est nommé directeurde la Maison, et devra se conformer aux instructions des administrateurs. Sa sœur fera les provisions nécessaires pour la nourriture des ouvriers. Ils recevront de dix à douze livres d'appointements par mois pour tous les deux, outre le logement. Les nommés Claude Boissière et Marie Arnaud sa femme, sont établis pour faire la cuisine et veiller sur la conduite des ouvriers; ils auront pour cela cinq livres par mois chacun, avec la nourriture et le logement.

Ainsi le logement et l'entretien des ouvriers se trouveront assurés par la sollicitude de la Maison de charité. Il ne reste plus qu'à trouver les ouvriers. A cet effet, on délibère de faire une Lettre circulaire à tous les curés du diocèse pour inviter, par leur intermédiaire, les particuliers à envoyer leurs enfants apprendre le métier dans la manufacture, en donnant


quelque peu de blé pour les nourrir pendant l'appren-.tissage. Comme cette circulaire devra être renouvelée, le Conseil décide d'en faire imprimer une rame ou deux.

Le logement des ouvriers était trouvé. C'était la maison de la dame comtesse des Cuines et Villards, située au sommet de la rue Beauregard. Le contrat d'accensement était passé par le seigneur comte de Rapin, son mari, pour le terme de dix ans. La cense annuelle était de 150 livres dont on devait retenir 50 pour les réparations des bâtiments, sans compter le payement de la taille et autres impositions, et 30 livres d'épingles. Cependant le comte de Rapin pourra jouir jusqu'au 15 janvier de l'aile du bâtiment visant sur le jardin (Délib. du 14 déc. 1771). Le sieur Deschamps est chargé de faire à la maison toutes les réparations que permet la saison, de faire clore les chambres et d'y retirer les meubles à mesure qu'ils seront procurés. On règle le payement des draps et garde-paille que le sieur Bonafous doit faire venir de Piémont pour les lits de la maison. Survient une petite difficulté. La dame comtesse d'Arves refuse de céder son appartement dans la maison elle prétend que noble de Rapin, son mari, n'a pas un mandat suffisant. Pour l'apaiser, la Maison de charité décide de lui payer par provision, pour cette année et sans vouloir créer de précédent, une augmentation de trente ou quarante livres sur la cense piomise par le contrat. (Délib. du 2 janv. 1772). Mais l'originale comtesse persiste dans son refus. La Maison de charité décide alors de se pourvoir contre Rapin pour l'interpeller de faire jouir de la dite maison et à défaut de ce pour voir déclarer le contrat résolu et de nul effet, sans compter la restitution des épingles et les dommages-intérêts.

Si l'on ne peut avoir la maison, noble Ducol et le


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sieur Descchamps sont commis pour convenir avec le Chapitre du prix de la maison qu'il possède à la rue Bonrieux, maison qui provient du sieur Michaélis (1).

Le onze janvier, de Rapin a été condamné par ordonnance judiciaire à remettre les clefs de la maison louée. Il parait s'en soucier assez peu. Devant cette mauvaise volonté, la Maison de charité veut le faire condamner au payement des dommages par elle subis, et faire résoudre l'accensement contracté. Mais, vu le besoin urgent d'un logement pour les ouvriers, il faut songer à se pourvoir ailleurs. Deux délégués sont nommés pour s'entendre avec Mme l'avocate Truchet sur le prix ou tout au moins sur le loyer d'une maison que son défunt mari avait acquise du Séminaire, maison située au-dessus de l'hôpital. Madame l'avocate Truchet demande un prix excessif de la maison qu'elle habite. D'autre part, aujourd'hui même 19 janvier, le Chapitre s'est décidé à vendre à la Maison de charité là maison Michaelis, avec les jardins et places y attenants, pour le prix de 3.300 livres payable en créances qui soient maintenues exigibles hors de discussion et de playd et de demande en jugement, y compris une chambre procédée de noble Catherin Martin. Les administrateurs décident de faire cette acquisition. (Délib. dul9janv. 1772).

L'acquisition faite, il faut aménager le logement. Les nobles syndics Ducol et Deschamps feront les provisions nécessaires pour les ouvriers et procureront les meubles. Le syndic Sambuis est chargé d'enregistrer les pauvres et autres personnes qui se présenteront pour être reçus à la manufacture. Comme le jardin contigu à la maison est trop petit, on fera (lj Cette maison était située là où se trouve actuellement la maison de M. Sentis.


mettre en jardin deux quartelées du pré de Comnène (1). (Délib. du 27 janv. 1772).

Il parait que les cuisiniers établis d'abord avaient renoncé à se charger de cet emploi. Il faut en choisir un autre. Honnête André Roux, feu Etienne, s'en charge moyennant le logement, la nourriture et huit livres par mois.

Le chanoine Gravier et le syndic Sambuis sont délégués pour faire passer soumission aux parents des pauvres en fants qui seront admis dans la maison, suivant le formulaire qui leur a été remis par l'assemblée. (Délib. du 7 févr. 1772).

La manufacture est enfin prête à fonctionner, malgré les mille difficultés survenues et grâce au zèle patient des administrateurs. Les enfants feront leur entrée dans la maison le dimanche 9 février. Et en effet, à cette date, une lettre de M. Catherin Cailler à M. Mathieu Donnet, en prison à Cnambéry, mentionne cette circonstance Ce jourd'hui, dit-il, les enfants de la nouvelle' fabrique sont allés en procession dans leur nouvel appartement de Michaelis, accompagnés des RRdl curés en habit de chœur et des nobles syndics » (2). Touchante démonstration qui fait voir comment chez nos aïeux les différentes autorités savaient être unies pour le bien et la charité t Le succès si chèrement acheté ne devait pas être de longue durée. Le sieur Bonafous, entrepreneur, ne tarde pas à mourir. Son fils fait emporter tous les outils, cardes et autres qui servent à la manufacture il quitte lui-même la ville sans laisser ni ouvrier, ni ouvrage à faire. C'est ce qui résulte d'un rapport fait aux administrateurs de la Maison de charité par le syndic Deschamps, le 16 juin 1772. Le sieur Bonafous serait doncprobablement moitau commencement t (1) C'est le pré du Clapey qui appartient au Bureau de bienfaisance et est administré par l'Hospice.

(2) Archives de l'Evêcné.


du mois. Le chanoine Vernaz et le syndic Sambuis sont chargés de se transporter à la maison avec le sècrétaire pour établir procès-verbal de l'état des choses. De plus, comme les pauvres employés de la manufacture n'ont pas de travail et qu'on peut se passer d'un directeur, le sieur Brodel sera remercié de même on renvoie le portier, tout cela pour diminuer les dépenses qui ne sauraient plus être les mêmes, puisque les pauvres ne gagnent plus rien. Nouvelle délibération à ce sujet au 30 août. Le chanoine Vernaz est délégué pour prendre les instructions et mesures convenables afin de contraindre le sieur Bonafous de remplir les engagements qu'il a contractés envers la Maison de charité pour le payement des ouvriers qu'on lui a fournis pour la-manufacture. Le chanoine Vernaz devra prendre contre lui les plus amples conclusions qu'il conviendra pour la sûreté des intérêts de la Maison.

A la date du 14 décembre 1772, on décide de poursuivre le sieur Jacques André Bonafous pour les dommages occasionnés à la Maison faute d'avoir continué à occuper les ouvriers on fera faire par provision la saisie des marchandises et effets qu'il a laissés en cette ville. Le syndic et avocat Gravier est chargé de conduire le procès il fait son rapport aux administrateurs le 17 février 1773.

Le procès est fait, et la saisie a été opérée. Mais voici qu'un antre personnage se met de la partie. C'est un sieur Morand, banquier à Turin, associé de Bonafous. Profitant d'un séjour dans cette ville de l'évèque de Maurienne, il va se plaindre à Sa Grandeur « On a intenté, dit-il, un procès au sieur Bonafous, et saisie a été faite des effets qu'il a laissés à S-Jean dans la maison du trésorier Salomon. Fort bien, mais ces effets sont ma propriété. Je consens cependant à arranger cette affaire à l'amiable et j'of-


fre de m'en rapporter à l'arbitrage de Votre Grandeur ».

Comment ces effets étaient-ils la propriété du sieur Morand, nous l'ignorons, mais il importe peu. Les administrateurs acceptent aussi l'arrangement à l'amiable et leur secrétaire devra écrire au sieur Morand pour lui demander ses déterminations là-dessus. •(Délib. du 16 avril 1773).

Sur ces entrefaites, les pauvres ouvriers avaient été congédiés, et la maison restait vacante. Le six mai, les administrateurs décident de la louer au plus offrant et dernier enchérisseur. Toutefois, on réserve un cabinet et une -chambre au second pour y retirer les meubles. La moitié du produit du jardin pour l'année* courante et le jardin entier pour l'avenir sont joints à l'accensement. La Maison de charité ne perd cependant pas de vue la possibilité de rétablir une fabrique, et fait insérer dans le contrat la clause que l'accensement pourra être révoqué, en ayant soin d'avertir le locataire trois mois à l'avance. (Délib. du 6 mai 1773).

III

Un nouvel entrepreneur.

L'arrangement à l'amiable de la Maison de charité avec les frères Bonafous et le sieur Morand parait traîner en longueur, car nous retrouvons, à la date du 10 janvier 1774, les administrateurs de la Maison confiant à leur secrétaire M' Robert le soin de donner au sieur Assier à Turin les instructions nécessaires pour terminer la difficulté née de la saisie des effets. En date du 25 février de la même année, nous trouvons au paragraphe 5 du compte-rendu des distributions de blé la somme de 235 livres réservée princi-


paiement pour la nourriture des pauvres qui pourraient être recus dans la maison de charité ait cas qu'il s'y établisse une fabrique. Les administrateurs ne sont donc nullement découragés par un premier insuccès.

Continuons cependant à feuilleter le registre des délibérations. Le 4 juin, il est arrêté qu'on donnera à Jean-Baptiste Collomb, maître maçon, le prix fait des travaux à exécuter dans la dite maison. La cuisine et le poèle du premier étage doivent être transformés en une chambre pour le prêtre directeur de la maison, et un magasin pour les entrepreneurs. Chambre et magasins seront séparés par un corridor. On fera au rez-de-chaussée la cuisine et le réfectoire. L'écurie doit devenir une chambre de travail. De même il faut réparer le grand escalier et en faire d'autres nécessaires, sans compter d'autres modifications mentionnées dans un mémoire, le tout pour la somme de 150 livres. La même délibération s'occupe de l'enlèvement d'une certaine quantité de marrein (1) dans les bas appartements de la même maison. C'est qu'un nouvel entrepreneur s'est présenté, le sieur Bertrand de St-Michel. Il entre en relations avec le sieur Morand de Turin, qui lui remet contre la somme de 350 livres les marchandises saisies chez le trésorier Salomon. Les administrateurs y consentent, pourvu que la somme susdite reste saisie en leur faveur à la place des marchandises. On se pourvoira cependant devant S. M. pour obtenir que le juge-mage de la province puisse connaitre et décider la cause commencée contre les frères Bonafous, attendu que l'on a en cette ville les témoins et autres instructions nécessaires.

Puisque la manufacture va fonctionner de nouveau, (1) Marrein, déblais, terme encore fort usité dans les patois du pays.


un directeur est redevenu nécessaire. Le Rd Favier, prêtre-bénéficier de la Cathédrale, est nommé directeur et devra s'acquitter de toutes les obligations portées par les instructions écrites que lui donnera Sa Grandeur. Il devra aussi faire l'emplette des provisions journalières pour l'usage de la maison. Ses honoraires seront de dix livres par mois.

Demoiselle Jeanne-Marie Varcin est nommée directrice, soit gouvernante dans la maison elle se contente du logement et de la table et n'exige aucun appointement. Antoine Martin, habitant de la ville, est choisi comme cuisinier moyennant 30 livres par an et la nourriture. Le portier sera Augustin Fay. Il lui sera payé un gage convenable, à condition qu'il travaillera au jardin dans les intervalles libres. Noble Martin, du conseil d'administration, est chargé de faire les provisions de meubles, denrées et autres choses nécessaires au logement et à l'entretien des ouvriers.

Parmi les pauvres, qui se sont présentés, onze saulement, les seuls capables de carder, ont été choisis par les seigneurs administrateurs le 23 juin, et ils sont entrés à la Maison de charité le 26 au soir. L'entrée en activité de la manufacture ne met pas un terme au zèle des administrateurs pour ce qui regardé la bonne disposition de la maison, des ouvriers. Le maître maçon J.-B. Collomb est chargé de la construction de latrines à deux étages, avec galeries donnant communication avec le corps principal du bâtiment. Jean-Claude Pontet devra exécuter les travaux de charpente et de menuiserie.

Quant aux ouvriers eux-mêmes, comme la plupart sont dénués des choses de première nécessité, une partie de la toile qui est en fonds est employée à leur taire des chemises qui leur seront distribuées semaine par semaine. La maison cependant en garde la


propriété. (Délib. dn 28 juin 1774).

Un autre jour, c'est une porte en forme de boutique, c'est à dire probablement en forme de devanture de magasin qui sollicite l'attention des seigneurs administrateurs. Cette porte, dit noble Martin, ou verte sur le poèle sis au rez-de-chaussée, est une occasion d'évasion ou tout au moins de dissipation pour les ouvriers. Elle sera transformée en fenêtre barronnée. Double profit; la salle sera éclairée et les ouvriers n'y pourront plus passer (Dél. du 4 juillet). A cette époque, comme le soin des ouvriers demande beaucoup plus de travail au Conseil d'administration, le Chapitre et le Corps de ville, sur la prière de S. Gr. et des administrateurs, nomment chacun trois délégués qui seront adjoints au conseil de la Maison de charité.

Tantôt, en effet, ce sont de nouvelles réparations qu'il faut faire exécuter et surveiller, tantôt ce sont des visites à faire, des comptes à recevoir, des intérêts à discuter avec l'entrepreneur, et mille autres détails. Si les membres du conseil sont trop peu nombreux, ils ne peuvent s'acquitter des différentes délégations qui leur sont confiées, sans nuire à leurs occupations personnelles.

Ainsi un délégué est chargé chaque semaine d'inspecter la manufacture. Le dernier samedi du mois, les deux délégués, celui de la semaine qui précède et celui qui va le remplacer, doivent entendre les comptes du Directeur et de la Directrice, et annoter les excédents de fonds. Deux autres sont nommés pour régler les comptes avec le sieur Bertrand, recevoir l'argent contre quittances et remettre cet argent au Directeur pour les emplettes journalières (Dél. du 12 août 1774). Le chanoine Lartigue s'est chargé de faire exécuter de nouvelles réparations à l'intérieur de la maison. Par son entreprise, maitre Collomb a


le prix fait de remailler, recrépir et plâtrer les murs de la cuisine, du poèle et du réfectoire, avec du mortier fait à de la chaux maigre, d'agrandir deux fenêtres, sans compter la transformation en fenêtre de la devanture de magasin dont nous avons parlé, le tout à raison de 40 sols par toise, tant plein que vide, ceci soit dit pour ceux qui tiennent à faire des comparaisons de prix. On fait aussi boucher deux fenêtres donnant sur le levant, fenêtres devenues inutiles depuis qu'on a ouvert deux portes pour communiquer avec les galeries des latrines. Il y a pour cet effet trois toises quatre pieds et demi de murs à construire, à raison de 12 livres la toise.

Ces travaux une fois exécutés, on ne les paye qu'à bon escient, quand des délégués ont examiné la bonne qualité du travail.

Le Conseil ne manque pas de reprendre l'idée qu'il avait eue en janvier 1772 de transformer en jardin 2 quartelées d'un pré voisin, pour fournir à l'entretien des ouvriers le jardin sera clos d'une haie vive. A combien d'heures de travail étaient soumis les ouvriers de la manufacture ? Cette question que les économistes de nos jours croient avoir découverte, faisait alors déjà l'objet de la sollicitude du pouvoir, puisqu'une délibération du 4 juillet 1774 mentionneà à ce sujet un édit et un règlement de Sa Majesté, datés du 19 mai 1717. La maison de charité décide de se conformer à cet édit, tout en gardant une certaine latitude pour transporter an matin des heures de travail de l'après-midi, suivant les circonstances. Déduction taite des heures réservées aux repas, exercices spirituels et récréations, il restera huit à neuf heures de travail, ce qui ne saurait paraitre exagéré. Bientôt les entrepreneurs, le notaire Jacques-Antoine Bertrand et ses associés Jean-Baptiste Chardonnet et Guillaume Girard élèvent des plaintes à ce


sujet. Les heures de travail sont de trop courte durée, vn les heures de travail des ouvriers déjà formés au métier; d'ailleurs dans le commencement, les ouvriers travaillent très lentement. Pour faire droit à ces réclamations, les administrateurs fixent à onze heures par jour le temps réservé au travail et décident de faire à ce sujet un règlement .avec des modifications selon les saisons. Les entrepreneurs se déclarent satisfaits (Dél. du 11 sept. 1774).

Par suite de la bonne administration, la manufacture semble prospérer, puisque une délibération du 9 janvier 1775 décide de faire venir de Genève 40 ou 50 couvertures de laine pour les lits des ouvriers dont le nombre augmente de jour à autre, et de Turin, des draps pour en changer plus souvent.

Pareillement, on décide de présenter à S. M. des placets soit pour obtenir permission d'employer au profit des ouvriers les 1600 quartes d'orge que l'évêque fait donner depuis 1768 en place de l'aumône du carême, pour obtenir le franc salé en faveur de la maison de charité, ainsi qu'il est accordé aux maisons religieuses, et enfin pour obtenir au juge-mage ou à quelque autre magistrat la délégation nécessaire pour juger le procès entre les frères Bonafous. S. Majesté, en réponse à la 1" de ces demandes, accorde les Lettres patentes dont voici la teneur « Victor Amé par la grâce de Dieu Roy de Sardaigne de Chypre et de Jerusalem, duc de Savoye, de Montferrat et prince de Piémont.

« Les administrateurs de la maison de charité, soit hôpital de la ville de St-Jean afin d'être en état de subvenir aux différentes dépenses que la manufacture établie dans la ditte ville par le notaire Jaque-Antoine Bertrand et ses associés ensuite de nos lettres patentes du vingt-cinq d'avril année dernière leur occasione, ayant imploré la permission d'employer à


l'entretien des pauvres qui sont et seront occupés dans cette manufacture les seize cent quartes d'orge dit Cavallin que l'Evêque de Maurienne d'après l'arrest du Sénat de Savoye du neuf février mil sept cent soixante-huit délivre annuellement au dit hôpital en la place de l'aumône en pain que le prélat et ses prédécesseurs étaient &n coutume de faire chaque année pendant le Carême et que les dits administrateurs suivant le Règlement par eux dressé le vingt-trois du dit février et approuvé par autre arrest du treize juin même année doivent distribuer aux pauvres de la ditte ville et des paroisses de la province de Maurienne, nous avons bien voulu avoir égard à leurs supplications. A ces causes par les présentes de notre certaine science et autorité royale oui sur ce l'avis de notre conseil nous permettons aux administrateurs de la maison de charité provisionnellement et pour le terme de dix ans à compter de la datte des présentes d'employer des sus dites seize cent quartes d'orge la quantité de treize cent cinquante pour la nourriture des pauvres qui travaillent et travailleront dans la ditte manufacture, voulant que les deux cent cinquante quartes restantes soient distribuées à forme du dit Règlement aux pauvres de la ville vieux et valétudinaires ou autrement hors d'état d'être occupé à la dite manufacture et c'est à la charge que les administrateurs de la dite maison pour en conserver les fonds devront se régler sur la susdite quantité de bled et sur les revenus fixes et casuels dudit hôpital, pour le nombre des pauvres à y recevoir surtout lorsqu'il s'agira des pauvres de la campagne dont il conviendra même de préférer les filles aux garçons pour enlever de ceux-cy le moins possible à l'agriculture. Si donnons en mandement au Sénat de Savoye de faire enregistrer les présentes telle étant notre volonté données à Turin le vingt-quatre du mois de fé-


vrier l'an de grâce mil sept cent soixante et quinze et de notre règne le troisième. Victor Amé ». Ces lettres furent enregistrées au Sénat le 18 mars. Des autres requêtes que les administrateurs devaient faire au roi pour la manufacture, nous ne trouvons plus mention d'ailleurs elles allaient devenirinutiles. Pour en revenir à nos entrepreneurs, les règlements de comptes avec eux n'étaient pas toujours commodes. Ainsi au mois de novembre 1774, Bertrand refuse de payer les journées de quelques ouvriers, sous prétexte qu'ils ont quitté la fabrique. Les administrateurs ne peuvent ni ne veulent l'entendre ainsi ils font rappeler au sieur Bertrand que, suivant sa soumission, il doit payer aux ouvriers 4 sols par jour la première année. S'il s'y refuse, on prendra de bonnes mesures pour l'y contraindre. Et pour prévenir de pareilles contestations, on fera payer jour par jour le salaire des ouvriers. Les visiteurs de semaine veilleront à cela (Délib. du 10 nov. 1774). Une autre fois, c'est au sujet de la maison même où habitent les ouvriers que le sieur Bertrand élève des prétentions. Il veut en user à son gré, même à l'exclusion des administrateurs. Le conseil décide de faire demander à S. E. le comte Corte de vouloir bien envoyer un double de la patente obtenue par le sieur Bertrand et de la soumission qu'il a passée au Bureau du Commerce, afin vraisemblablement de bien s'enquérir de la justice de ses prétentions (Dél. du 18 juillet 1775).

Enfin, le 18 novembre, le sieur Bertrand renonce à occuper les ouvriers et fait enlever les cardes et autres outils qui servaient à la manufacture, malgré les efforts des administrateurs pour faire cesser ses prétendus motifs de mécontentement.

Il s'agit de lui demander des indemnités. Le Comte Petiti, président et chef du Conseil du Com-


merce, consulté à ce sujet, répond que la connaissance de cette affaire appartient au consulat, et que cependant il a écrit à M. le Juge-Mage pour engager le sieur Bertrand à terminer à l'amiable cette affaire.

Le Juge-Mage n'a pas réussi à obtenir cette concession du sieur Bertrand. Alors le Conseil d'administration décide de congédier les ouvriers, vu que l'on ne peut les entretenir plus longtemps, sauf à prendre les mesures convenables pour obtenir quelque indemnité de l'ex-entrepreneur.

En attendant, on met en sûreté les meubles et effets qui restent en fonds dans la maison on fait vendre les denrées restantes et on achève de régler les comptes des dépenses faites, ainsi que les appointements du directeur.

Quels étaient les motifs de mécontentement du sieur Bertrand? Nous les trouvons mentionnés dans une délibération de la Maison de Charité du 10 décembre 177G. On y lit une lettre du comte Petiti, président du Conseil du Commerce, et cette lettre énumère les griefs du sieur Bertrand

la Les administrateurs, aurait-il dit, ont voulu se mêler de la manufacture

2° Ils ont voulu régler l'application des sujets aux diverses occupations de la même manufacture 3° Ils n'ont pas voulu que les ouvriers travaillent les treize heures établies

4* Ils ont voulu leur donner des féries (congés) 5* Ils ont voulu empêcher que le sieur Bertrand prit les autres ouvriers qu'il jugeait à propos 6* Ils ont voulu le forcer à prendre ceux de la Charité qui n'étaient pas propres au travail

7° Et enfin ils ont fait perdre du temps aux pauvres en les faisant assister aux enterrements. » Le conseil de la Maison de charité répond soigneu-


sement à chacune des allégations du sieur Bertrand. 1" "Ni le corps ni les membres n'ont jamais prétendu se mêler de la manufacture des visiteurs, il est vrai, avaient été établis pour s'assurer du travail des ouvriers, mais le sieur Bertrand ayant manifesté son mécontentement à ce sujet, les visites ont cessé. Plus tard l'entrepreneur s'est plaint que [les ouvriers ne travaillaient pas on lui a demandé de s'expliquer une fois pour toutes et de dire s'il désirait que l'on continuât les visites il n'a jamais voulu le faire. 2° Jamais l'administration ne s'est mêlée de l'application des sujets aux différents travaux; elle ne demandait au sieur Bertrand que les salaires convenus par la patente

3' Quant aux heures de travail, le sieur Bertrand et ses associés avaient demandé onze heures on les leur a accordées par délibération du 11 septembre 1774, signée même des entrepreneurs qui avaient assisté à la séance du Conseil. Copie en sera jointe d'ailleurs à l'extrait de la présente délibération. 4° Jamais l'administration n'a voulu donner des féries (congés).

5* Jamais non plus on n'a ^contesté au sieur Bertrand le droit de prendre des ouvriers étrangers autant qu'il voulait mais l'administration ne s'est pas crue obligée de lui fournir le logement des dits ouvriers étrangers, ni surtout de déloger pour eux le prêtre* recteur et la gouvernante, comme le prétendait le sieur Bertrand. ♦

6' On n'a placé à la manufacture aucun pauvre que du consentement de l'entrepreneur.

7° Les pauvres n'ont assisté qu'à un enterrement, et on a indemnisé le sieur Bertrand pour le temps perdu, suivant les offres faites dès le commencement. Un jour même que les pauvres allaient assister à un enterrement, le sieur Bertrand les rencontrant dans


la rue, les a fait rentrer dans la maison avec force menaces, ce qui a occasionné du désordre dans la cérémonie. On ne les a plus demandés depuis. Toutes les mauvaises raisons alléguées par l'exentrepreneur se trouvaient ainsi victorieusement réfutées. Le Conseil formule ensuite ses propres revendications.

Dès la seconde année, dit-il, le sieur Bertrand a fait des difficultés à cause du salaire de huit sols par jour qu'il devait payer aux ouvriers. S'étant pourvu sans succès devant Sa Majesté pour obtenir une diminution de salaire à payer, il a démonté brusquement les ateliers, il a abandonné la maison avec les pauvres qui l'habitaient, ainsi que le constate le verbal du 18 novembre 1775, et il a fait aller la manufacture chez lui.

L'administration a cependant encore entretenu les pauvres pendant un mois, dans l'espérance que le sieur Bertrand remettrait son atelier dans la maison; mais celui-ci s'étant refusé à tout accomodement, même devant le juge-mage de la province, on s'est vu forcé de vendre les meubles, et la maison de la manufacture ne peut ainsi plus être remise sur pied, à moins que le sieur Bertrand ne paye les dommages que son départ a occasionnés.

Telle est en substance la réponse du Conseil de charité au président du Conseil du commerce. Quel fut le résultat des requêtes du Conseil et des tentatives d'accommodements. Il n'y en eut probablement aucun du moins les délibérations suivantes sont muettes sur le sieur Bertrand.

La maison Michaëlis.

Rendue inutile par le départ de l'entrepreneur de la manufacture, que devient la maison où étaient


logés les pauvres ? Outre qu'elle n'est plus d'aucun usage pour les pauvres, il faudra encore des frais de réparation et d'entretien. D'ailleurs le loyer qu'on en pourrait retirer ne suffirait pas pour payer la rente du prix convenu avec le Chapitre qui l'avait vendue. Les administrateurs décident de céder la maison à un sieur Urbain Albrieux qui s'est présenté comme acheteur. Le prix offert par le sieur Albrieux est de quatre mille et cent livres, le plus haut prix qu'on ait trouvé (29 juillet 1777).

La vente n'a pas lieu, car nous trouvons au mois de mai suivant (13 mai 1778) une délibération des administrateurs concernant l'accensement de la même maison aux frères Antoine et Joseph Fantin de Chamoux, bouchers de la ville de St-Jean, pour la somme annuelle de cent vingt livres. Cette nouvelle installation nécessite de nouvelles modifications au bâtiment.

L'accensement aux bouchers Fantin ne paraît pas plus sérieux que la vente au sieur Albrieux, car au mois de novembre on parle d'un nouvel acheteur e Jean-Claude Dompnier, habitant de la présente ville| Les mêmes considérations que l'année précédente engagent les administrateurs à procéder à la vente. On ne peut guère, se disent-ils, retirer de cette maison que cent livres de loyer, et il faut payer au Chapitre l'intérêt annuel de 132 livres pour le capital de 3300 1. au 4 0/0, sans compter les réparations à faire. Le sieur Dompnier aura la maison, le jardin et les dépendances pour la somme de 4000 livres, en tant toutefois qu'il plaira à S. M. de convalider la dite vente ainsi que la vente préalablement faite par le chapitre.

Cette dernière vente paraît avoir été définitive, puisque les délibérations n'en parlent plus à partir


de cette date (1). Quant aux meubles de la maison, ils avaient été vendus pour la somme de 690 livres 1 sol 6 deniers en mai 1777.

IV

Un troisième essai (1786).

Ainsi deux entrepreneurs avaient, l'un après l'autre, contrecarré la bonne volonté des administrateurs de la Maison de charité pour l'établissement d'une manufacture, et même la maison avait dû être vendue. Mais nos bons aïeux n'étaient pas hommes à se laisser décourager par un double insuccès. Après le départ du second entrepreneur et le renvoi des pauvres, les distributions annuelles de blé avaient repris leur cours, mais en ramenant les mêmes inconvénients que précédemment. Le 11 mars 1785, leconseildela Maison de charité décide de suspendre de nouveau les distributions des 1600 quartes d'orge pour établir une maison des arts. Un mémoire dressé à cet égard sera présenté à S. M. pour en obtenir l'approbation. Rd Dominique Rogès, vicaire général et noble Sibué Ducol, syndic, sont chargés de rédiger ce mémoire pour le faire examiner par l'assemblée.

On rappelle d'abord les suppliques adressées dès 1767 à S. M., les autorisations obtenues à cette époque de convertir en distributions de blé l'aumône du carême, et d'employer même ce blé ou sa valeur à l'établissement d'une manufacture, si le conseil de (l) Les réparations ou modifications que la maison Michaelis a dû subir dans l'espacn d'un "siècle n'avaient pas fait disparaître toute trace de la manufacture. Il y a quelques années seulement, on voyait encore sur une vieille paroi du grenier une inscription entourée d'arabesques Salle Saint-Louas. C'était sans doute le nom d'une des salles de la manufacture. Dans beaucoup d'établissements religieux, les différentes salles, ou même les corridors. sont ainsi désignés sous le vocable d'un saint.


charité le jugeait à propos. On mentionne encore dans le mémoire les premiers essais de cette manufacture et après le départ des entrepreneurs, la reprise des distributions régulières de blé.

« Mais l'expérience, continue le mémoire du Conseil de charité, a fait connaître que cette distribution n'est pas d'un grand secours aux vrais pauvres, qu'elle ne l'est et ne peut l'être qu'à un petit nombre, et pour très peu de temps. »

Loin de diminuer, la mendicité a plutôt augmenté dans la ville de St-Jean où de pauvres familles des paroisses voisines sont venues s'établir dans l'espérance d'avoir plus d'aumônes et une plus grande part à la distribution du blé.

« On a même observé que les gens du plus bas état, loin de faire un bon usage du blé qu'on leur a distribué, l'ont vendu pour en faire des gourmandises ou s'en divertir. Quelques vieux, ou valétudinaires, ou autrement hors d'état de travailler, ainsi que des honteux, non obstant l'attention qu'on a toujours eu de les faire participer à la distribution, n'en ont ja'mais retiré qu'un très petit secours, dont on a observé qu'ils se sont passés, ou ont pu se passer au moyen d'autres ressources, qu'ils ont trouvées, ou qu'on leur a procurées dans la charité de quelques personnes aisées, qui les ont secourues dans leurs pressants besoins. »

Une maison des arts qui occuperait les pauvres à travailler les matières premières du pays, telles que les laines et les chanvres, leur procurerait un plus grand secours et diminuerait la mendicité, surtout si l'on veillait en même temps à ce que chaque paroisse occupe et retienne ses pauvres, dont les bras sont souvent nécessaires à l'agriculture. Presque toutes les paroisses, en eflet, peuvent entretenir leurs vrais pauvres, comme le font plusieurs d'entre elles,


dans lès environs de St-Jean, par exemple la paroisse de Fontcouverte, d'où l'on ne voit point venir de pauvres mendier en ville ou ailleurs.

Dans cette maison des arts, le conseil se propose 1° de faire préparer et épurer tant qu'il sera possible les laines du pays, de les y faire carder, de les faire filer dans la maison ou dehors, par des gens pauvres; 2' d'y établir des métiers pour faire des draps du pays;

3* d'y faire des couvertures pour lits à l'usage du pays avec les mêmes laines

4° d'y établir des métiers pour bas, bonnets et autres choses de cette nature

5° d'y faire des draps de mi-laine

6° des toiles, cottonnes et autres choses de ce genre; 7* de faire faire des cordes dont le débit et l'usage est assez considérable en ce pays, et dont on tire une bonne partie de l'étranger.

Les paysans pourront ainsi avoir l'avantage de se procurer à meilleur prix, et de meilleure qualité, les draps dont ils s'habillent, les bas et bonnets qu'ils se fabriquent eux-mêmes à plus grands frais, parce qu'ils n'ont pas de bonne méthode de travailler. Ces draps du pays, mieux travaillés et à meilleur marché, seront préférés aux draps grossiers qu'on tire de l'étranger par ce moyen, on conservera le numéraire dans le pays, et on pourra même attirer peu à peu celui de l'étranger. Avec de pareils résultats, une maison des arts ne pourra qu'être fort avantageuse à la province.

Mais pour l'établir, il faut des approvisionnements de laines et autres matières premières, des outils et métiers il faut surtout faire venir du dehors quelques ouvriers maîtres pour commencer les travaux et former les apprentis. De là la nécessité de suspendre les distributions de blé, d'accumuler les reve-


nus de la Maison de charité pour former les fonds indispensables. Au bout de cinq ans, on pourrait avoir ainsi une avance d'environ 11.000 livres, sans compter les 2.000 livres que la Maison de charité se trouve avoir en avance à ce moment. Les administrateurs supplient donc S. M. de vouloir bien autoriser cette suspension des distributions et accorder à la Maison de charité tous les privilèges nécessaires pour l'établissement de la manufacture. « La Religion et les bonnes mœurs, – ainsi se termine le mémoire, y gagneront par l'éducation chrétienne qu'on pourra donner à bien des pauvres, dont nul presque ne prend compte, ou qui aimant à vivre dans la fainéantise faute de pouvoir être forcés à quelque travail utile, ne peuvent à moins que d'être ou de devenir vicieux. »

La requête des administrateurs trouve un accueil favorable auprès de Victor Amé. Voici le texte des nouvelles Lettres patentes accordées à la Maison de charité.

« Victor Amé, par la grâce de Dieu Roy de Sardaigne, etc. Les Administrateurs de la Maison de charité soit hôpital de St-Jean-de-Maurienne désirant y établir des métiers et manufactures dans lesquelles on travaillerait les matières premières du pays afin d'occuper les pauvres qui y seront reçus, nous ont suppliés de les autoriser à suspendre pendant quatre ans la distribution annuelle qu'ils font aux pauvres de la ville et de la province de 1600 quartes d'orge dit cavallin que l'évêque de Maurienne d'après l'arrêt du Sénat de Savoie du 9 février 1768 délivre chaque année au dit hôpital, ainsi que celle des Rentes dont cette maison jouit, sauf la partie d'icelles qui doit être appliquée au paiement des charges portées par les fondations, afin de pouvoir par le moien des épargnes qui en résulteront et de celles au montant de


4.0001. qu'elle a déjà en fond, approvisionner des laines, chanvres et autres matières, et fournir aux dépenses nécessaires pour cet établissement, l'exécution d'un tel projet ne pouvant qu'être avantageuse à la province de Maurienne et même au duché de Savoie, Nous nous sommes volontiers déterminés de seconder le zèle des susdits administrateurs pour le bien public, en adhérant à leurs supplications. C'est pourquoi par les présentes de nôtre certaine science et autorité Royale, eû sur ce l'avis de Nôtre Conseil, nous avons autorisé, et autorisons les Administrateurs de la Maison de charité de St-Jean-deMaurienne à suspendre pendant le terme de quatre ans à compter dès ce jour, la susdite distribution d'orge cavallin à concurrence seulement de mille trois cent cinquante quartes pour être les fonds qui en proviendront, ainsi que les 4.000 livres sus-énoncées, appliquées à l'établissement d'une manufacture de laine et de chanvre dans le même hôpital, et à condition que les deux cent cinquante quartes d'orge restantes continueront à être distribuées à forme de nos lettres patentes du 24 février 1775. Et pour le surplus nous commettons le Sénat de Savoie pour qu'après s'être fait présenter les titres des fondations dont la dite Maison jouit, il permette de suspendre pendant les dits quatre ans la distribution de tous les revenus qui seront reconnus n'avoir pas leur première destination qu'une répartition en argent ou en denrées en forme d'aumônes aux pauvres en général de la Ville, ou de la province de Maurienne, afin que ces revenus soient emploiés comme les dites 1350 quartes d'orge à la susdite manufacture Nous nous réservons de donner nos déterminations sur le Règlement que les suppliants devront faire avec l'intervention de l'intendant et du juge-maje de la province pour l'établissement et direction de la même manu-


facture, et mandons au dit Sénat d'enregistrer les présentes qui seront expédiées sans paiement d'émolument car ainsi nous plait. Données à Turin le trente un du mois de janvier, l'an de grâce mil sept cent quatre vingt six et de notre Règne le quatorzième. V. Amé. » Ces lettres patentes sont enregistrées au Sénat le 7 juillet de la même année 1786, après présentation des pièces établissant les diflérentes fondations dont jouit la Maison de charité.

Un billet délivré par S. M. le 2 juin assure aux administrateurs le bénéfice des pauvres pour les causes qu'ils auront à soutenir dans l'intérêt de la Maison de charité le Sénat aura de même à faire exécuter ces dispositions royales.

Les différentes autorisations sont obtenues on peut procéder à l'établissement de la manufacture projetée. Le 15 mars 1787, Rd Rogès, vicaire général, est chargé d'en dresser le plan. Il parait prendre tout le temps nécessaire, car pendant deux ans on ne parle plus de la manufacture. D'ailleurs la Maison de charité avait prévu quatre ans de distributions suspendues pour se fournir d'un capital suffisant.

Nous retrouvons la question sur le tapis le 4 février 1789. Un entrepreneur s'est présenté. C'est un nommé Jean-Conrad Guégouf, originaire de Bâle en Suisse. Le sieur Guégouf offre d'établir ûneTnanufacture de bas, bonnets et étoffes communes de laine pour l'usage de la campagne il occupera une centaine et plus d'ouvriers il prendra les ouvriers et les pauvres que l'on voudra bien lui confier, pourvu que l'administration mette à sa disposition une somme de six à sept mille livres, dont il ne payera aucun intérêt pendant un temps convenu et pour laquelle il s'offre de donner une bonne et suffisante caution


ressèante (1) dans le duché de Savoie, pourvu encore qu'on lui donne une maison convenable pour son lanifice et pour le logement des commis et des principaux ouvriers.

L'assemblée accepte les propositions du sieur Guégouf. Elle consent à lui confier la somme de sept mille livres qui lui seront comptées sur quittance quand il aura fait sa soumission et fourni les cautions offertes. De même l'administration payera le loyer de la maison louée par l'entrepreneur pour la manufacture.

Tout parait réglé et l'on s'attend à voir la manufacture s'ouvrir, quand, nouvelle désillusion, une délibération du 4 juin suivant nous apprend que t le projet des conventions à passer avec le sieur Guégouf n'est pas dans le cas d'être exécuté. » Pour quel motif, nous ne le savons pas. Le sieur Guégouf n'étaitil qu'un vulgaire aventurier, flairant une escroquerie à commettre, et qui aurait prudemment reculé à la vue des précautions que prenait le conseil pour s'assurer l'exécution de l'entreprise, ou bien, pour nous épargner un jugement téméraire, s'était-il simplement découragé devant les difficultés inhérentes à l'installation de la manufacture? nous l'ignorons. Ce qui est plus regrettable, c'est qu'il fut le dernier à offrir ses services, du moins le registre des délibérations ne signale plus aucun entrepreneur. L'atgent ou les capitaux accumulés par la Maison de charité sont prêtés à intérêts par les administrateurs et en l'année 1791 les distributions de blé reprennent leur cours.

L'année suivante, l'invasion française vient bouleverser les institutions charitables de notre cité de Maurienne. On ne parle plus de manufacture pour les pauvres.

(1) resséante', résidante.


Mais pour avoir changé maintes et maintes fois de gouvernement, la richesse et le bien-être n'ont guère progressé dans une certaine classe de la population de la Maurienne. Toujours arrivent ou habitent à StJean des mendiants dont beaucoup pourraient être occupés à quelque travail rémunérateur. S'il est vrai, suivant l'Evangile, qu'il y aura toujours des pauvres parmi nous, il est cependant vrai aussi que la façon de donner vaut mieux que ce que l'on donne et que l'établissement d'une manufacture ou d'un travail quelconque où les*pauvres gagneraient leur vie honnêtement, mériterait l'approbation unanime aux citoyens qui auraient cette généreuse et intelligente initiative.

MÉMOIRES 5

Campagnes de 1792-93 contre Victor-Amédée III Roi de Sardaigne (1 et 2).

1792

1

En 1791, Victor-Amédée, roi de Sardaigne, craignant de voir pénétrer dans son Etat les idées révolutionnaires qui grandissaient en France, cherche à former une ligue contre les ennemis de la royauté. (1) V. séances des 4 décembre 1899, 8 janvier, 5 février et 6 juin 1900. (2) Bibliothèque et archives du 14* Corps.


Son dessein était de grouper la République de Venise, le royaume de Naples, le grand Duché de Toscane, la République de Gênes et Rome. Le Pape seul met ses faibles ressources au service de la Maison de Savoie. Les autres Etats conservent leur neutralité. Pourtant le roi de Naples se prépare secrètement à la guerre.

Victor-Amédée, pressé par les émigrés qui s'étaient réfugiés à Nice, en Savoie et en Piémont, prend ses dispositions pour parer à une guerre prochaine. En janvier 1792, les Sardes renforcent les garnisons de la Savoie. Quelques mois après, un train (1) considérable d'artillerie est envoyé en Tarentaise et en Maurienne,

La France, occupée par les évènements intérieurs et par la coalition qui la menaçait, ne semblait pas s'émouvoir. Le 20 mars 1792, Dumouriez, ministre des affaires étrangères, demande au roi de Sardaigne s'il entend vivre en paix avec la France, le prie de lui donner des explications sur l'envoi des troupes en Savoie et le met en demeure de dissiper les attroupements d'émigrés sur la frontière.

Le roi répond que les effectifs des troupes en Savoie ne s'élèvent pas au-dessus du nombre fixé par les traités, que des ordres sont donnés pour que les émigrés soient éloignés de la frontière. Il écrit une lettre de protestation et d'amitié au roi Louis XVI. Le 23 avril, le chargé d'affaires de France, M. de Lalande, adresse au cabinet piémontais un mémoire pour réclamer des explications sur les préparatifs militaires qui se font sur la frontière de France, sans qu'avis ait, selon l'usage, été donné à son gouverne(1) Terme militaire qui paraîtrait un anachronisme et qui laisserait supposer à tort l'installation de voies ferrées en Savoie, avant la découverte de Stephenson, la première fois appliquée en 1825, s'il n'était encore employé pour désigner un convoi d'artillerie.


ment.

M. de Hauteville, ministre des affaires étrangères de Sardaigne, répond que le roi a des inquiétudes sur les dispositions de la France, que ses actes tendent à protéger ses frontières et à veiller à la tranquillité de ses Etats que du reste, Sa Majesté connait les rassemblements de troupes qui se font dans la Bresse, le Rhône, dans le Bugey et le pays de Gex que différents journaux de France annoncent une prochaine attaque et une invasion inopinée de la Savoie ainsi que du Comté de Nice.

Quelques jours avant l'échange de ces messages, le ministre plénipotentiaire de France près la République de Gênes, M. de Semonville, avait été nommé en la même qualité à Turin. Ce ministre se rendant à son nouveau poste ne peut dépasser Alexandrie le gouverneur de cette ville lui ayant déclaré qu'il avait l'ordre formel de ne pas délivrer, aux Français, de passe-port pour Turin.

Le 25 avril, Dumouriez communique à l'Assemblée Nationale la lettre de M. de Hauteville et lui fait connaitre aussi l'arrestation à Alexandrie du ministre de Semonville.

Le roi Louis XVI écrit à la cour de Turin pour protester contre la violation du droit des gens et le respect dû à un ministre d'une grande nation. Il demande au roi de Sardaigne que M. de Semonville soit reçu à Turin dans son caractère public. En cas de refus, le roi ordonne à M. de Lalande, chargé des affaires de France à Turin, d'en sortir dans les vingtquatre heures, d'aller rejoindre M. de Semonville à Alexandrie et de se retirer avec lui à Gènes. Victor-Amédée répond qu'il est très étonné d'entendre parler de violation du droit des gens, que le gouverneur d'Alexandrie n'a fait qu'exécuter l'ordre général de ne laisser passer dans la capitale aucun


étranger sans l'autorisation du gouverneur il proteste contre le manque d'égards envers M. de Semonville et termine sa lettre en disant qu'il recevra tel autre ministre contre lequel il n'aura pas de griefs personnels. M. de Semonville n'était pas agréé par la cour de Turin.

Le 2 mai, le chargé des affaires de France à Turin se rend à Gênes. Les relations diplomatiques étaient rompues.

Au moment de la rupture des relations, il existait des preuves morales de l'entente de la cour de Turin avec la coalition contre la France.

La République de Gènes s'allie à la France. (Cette alliance a rendu de grands services à notre marine pendant les campagnes de 1792 et 1793.)

Le roi de Sardaigne renforce les garnisons de Nice et de la Savoie. Des retranchements sont construits aux environs de Turin.

La France avait créé l'armée du Midi.

Formation de l'armée du Midi.

Au mois d'avril 1792, Louis XVI, voulant mettre toutes les frontières de la France en état de résistance, fait décréter que l'armée du Midi serait créée et placée sous les ordres du lieutenant-général Montesquiou-Fezensac.

Cette armée devait avoir un effectif de 39 bataillons d'infanterie de ligne, 2 d'artillerie, 23 bataillons de volontaires et 13 escadrons, soit 25.000 hommes plus 18 bataillons de ligne, 11 de volontaires et 3 escadrons pour la garde des places.

Une insurrection qui avait éclaté dans le midi retenait beaucoup de bataillons hors de la frontière des Alpes.

L'organisation et l'armement de cette armée furent


très lents au mois d'août 1792 tous les bataillons n'étaient pas armés.

En juillet 1792, Montesquiou prend les dispositions suivantes

Dans l'Ain, 5 bataillons gardaient les débouchés des défilés de St-Rambert et de Chatillon de Michaille. Le pont de Bellegarde était miné, 2 pièces étaient en batterie en arrière du pont. Un bataillon de chasseurs occupait Lagnière avec des détachements sur la rive droite du Rhône, de Belley à Pourrieij par Serrières, Sault et St-Sorlin.

A Barraux, 8 bataillons et 2 escadrons sur la rive droite de l'Isère un bataillon sur la rive gauche à Allevard, Pontcharra, La Tour d'Avallon et Château Bayard. Un autre bataillon occupait la GrandeChartreuse, Entremont et St-Laurent-du-Pont. Les ouvrages de Barraux étaient à l'état de projet. Trois redoutes en terre furent construites pour mettre le fort en état de résistance.

A Tournoux, à la fin de juillet, 9 bataillons étaient cantonnés aux environs de ce camp.

Le général Anselme formait un camp sur le Var, composé de 9 bataillons et de 2 escadrons. Dans la vallée de la Bourbe, le camp de Cessieu doit recevoir 16 bataillons et 12 escadrons. Le même mois, le Piémont renforce ses régiments d'infanterie, ainsi que les compagnies d'artillerie. Un magasin de vivres est organisé à Lanslebourg. Les Piémontais poussaient de temps en temps des patrouilles de cavalerie jusque dans les villages français de Pontcharra et Chapareillan. Sur le Rhône vers St-Genix-d'Aoste et Pierre Châtel, des coups de fusil étaient échangés entre les postes français et piémontais. Les hostilités paraissaient devoir commencer à bref délai, lorsque les évènements du Nord mettent le ministre de la guerre dans l'obligation


d'abandonner momentanément la défense des Alpes, pour faire face à l'invasion qui allait se produire dans l'Est.

Le général Montesquiou et les autorités civiles protestent contre la réduction de l'armée chargée de la défense du Sud-Est; pourtant Montesquiou désigne les bataillons qui doivent marcher et offre sa démission.

Le ministre de la guerre finit par céder et ne retira que deux bataillons à l'armée du Midi.

A la suite des redditions des places de Longwy et de Verdun, Montesquiou est obligé de laisser partir une partie de ses troupes vers le Nord, ce qui entrave la formation des nouveaux corps et retarde l'ouverture des opérations.

Malgré les nombreuses difficultés que les circonstances imposaient au commandant en chef de l'armée du midi, cinq mois après, en septembre 1792, le général Montesquiou avait réuni en première ligne 25.000 hommes répartis en quatre camps devant les principaux débouchés de la frontière.

II.

Nous devons étudier la frontière de la Savoie en 1792-1793, avant de donner les emplacements des troupes.

La frontière de l'ancien duché de Savoie du côté de la France, était formée par le Rhône depuis sa sortie du lac de Genève jusqu'à l'embouchure du Guiers puis par cette rivière. A partir de la source du Guiers, elle suivait la crête du Mont-Granier et se dirigeait dans le vallon de la Bréda, en traversant la vallée du Grésivaudan un peu au nord de Chapareillan et du fort Barraux. Remontant ensuite le cours du Bréda jusqu'à la montagne des Sept-Lacs, elle at-


teignait le col de la Cochette, en laissant à la Savoie la tête de la Combe d'Olle et le col du Glandon enfin la pointe du Grand .Glacier dans le massif des Rousses, le Galibier et le Mont-Thabord. Emplacement des troupes.

Dans l'Ain, 4 bataillons, un escadron.

Aux Abrets 15 bataillons, deux escadrons, 8 compagnies de grenadiers. (Ces troupes rassemblées au Camp de Cessieu avaient été portées aux Abrets au commencement de septembre pour garder le défilé des Echelles).

A Barraux, 10 bataillons.

Une réserve de 10 bataillons et 5 compagnies entre Valence et Grenoble.

Nous ne parlerons pas des troupes dirigées vers le Var, notre étude étant limitée aux opérations exécutées en Savoie.

L'effectif de l'armée sarde en Savoie était de 10.000 hommes (22 bataillons et 6 escadrons). Le corps d'arméè piémontais occupait les empla- cements ci-après

6 bataillons 1/2 et 6 pièces entre Thonon et le lac du Bourget 4 escadrons cantonnnés aux environs de Chignin.

12 Bataillons 1/2, 2 escadrons, 18 pièces pour garder les débouchés du Guiers et de l'Isère, disposés entre la Grotte (défilé des Echelles) et St-Pierred'Albigny. Les deux escadrons étaient à Chambéry; l'artillerie placée à Miolans et au .Château des Marches. Une forte garnison à Chambéry.

Un bataillon à Aiguebelle.

Un bataillon à St-Jean-de-Maurienne avec 4 pièces d'artillerie.

Un bataillon à Modane Ces bataillons étaient


destinés à couvrir les communications avec le Piémont.

Attaque de la Savoie par les Français.

Legénéralde Montesquiou don ne les ordres suivants: Les troupes de l'Ain doivent faire une démonstration sur la rive droite du Rhône. Une avant-garde commandée par le général Casabianca est désignée pour marcher sur Chambéry par St-Genix d'Aoste, afin d'attirer l'attention des Sardes de ce côté. L'intention du général de Montesquiou était de faire attaquer en même temps le défilé de la Grotte (N. E. des Echelles) par les troupes du Camp des Abrets. L'attaque de ce défilé étant reconnue trop difficile, ordre est donné au commandant des troupes de quitter les Abrets et de se diriger sur Barraux. Les mouvements furent exécutés les 16, 18 et 20 septembre 1792.

Le général de Montesquiou espérait avec les forces réunies aux environs du fort de Barraux, s'emparer de la position des Marches avant que les Sardes puissent se rassembler.

La marche des bataillons venant des Abrets fut retardée par des convois de ravitaillement qui encombraient la seule route de Grenoble à Barraux. Le mouvement ne pouvait être terminé que le 27 septembre.

Le 20 septembre, le général de Montesquiou apprenant que les Piémontais sont sur le point de conduire leur artillerie dans leurs redoutes construites aux environs du Château des Marches, donne immédiatement l'ordre de l'attaquer sans attendre les renforts.

Le Roi de Sardaigne avait, au mépris des traités, fait fortifier Montmélian; les hostilités pouvaient


commencer. D'ailleurs un manifeste de la Conven-1 tion, lancé le 21 septembre, suppléait à une déclaration de guerre.

Dans la nuit du 21 au 22 septembre, le maréchal de camp Laroque dirige deux colonnes vers les Marches, avec ordre de tourner les monticules où se trouvent les redoutes et d'être placées à la pointe du jour pour couper la retraite des défenseurs. Un violent orage et l'obscurité retardent leur mouvement. Les postes du Château des Marches signalent l'approche des bataillons français. Ce mouvement tournant n'avait pas réussi.

Dès le matin du 22, le général de Montesquiou fait attaquer les redoutes elles sont enlevées après un petit combat, puis détruites.

Les Sardes abandonnent dans la journée les positions d'Apremont, Notre-Dame-,de-Myans, du château de Bellegarde.

Le même jour, les Français avec deux brigades d'infanterie, une de cavalerie et 20 pièces d'artillerie, campaient en avant des Marches. Les Piémontais démoralisés par cette attaque imprévue et se voyant séparés, se retirent en désordre sur la rive gauche de l'Isère. Deux bataillons sont laissés à Montmélian ils font sauter la poudrière de cette place et détruisent le pont sur l'Isère. Cette retraite se continue dans la plus grande débandade, par Aiguebelle, La Chambre jusqu'à Modane (le 25 septembre) où le général Chino parvient à remettre un peu d'ordre. La colonne est dirigée sur le Mont Cenis. Le commandement est donné au général de Cordon qui fait occuper les retranchements construits à la Ramasse et à l'Hospice.

Un bataillon garde le relai de poste, un régiment est placé à la Grand-Croix, un autre en réserve à Novalaise. Une arrière-garde restait en Maurienne pour 1


couvrir cette retraite.

La marche désordonnée des Piémontais pouvait se changer en désastre, si les neiges n'avaient pas arrêté les bataillons envoyés en Maurienne par le général de Montesquiou. Un bataillon se rendant à Bourg d'Oisans, avait été dirigé sur Valloires par le Col du Galibier; deux autres bataillons étaient envoyés au col du Glandon par la Combe d'Olle. Un accident, une crue de l'Isère qui emporte le pont de bâteanx de Barraux, empêche de renforcer immédiatement deux bataillons placés au-delà de Pontcharra et d'Allevard, ce qui aurait permis de jeter des forces sur le flanc de l'ennemi par les cols de la chaîne de Belledonne. Ce n'est que le 25 septembre que les communications sont rétablies. Il était trop tard pour arrêter la marche de l'ennemi en .Maurienne.

Les troupes piémontaises placées à droite de la position de Myans, aux Marches, Apremont, St-Baldoph et à Chambéry, se jettent dans les Bauges par les chemins du Verney et de St-Alban, abandonnant canons et bagages. Elles arrivent en désordre au Châtelard (22 septembre soir).

Craignant d'être poursuivis dans ces montagnes, les Piémontais continuent leur marche pendant toute la nuit pour se portera St-Pierre-d'Albigny. Pendant cette marche, la direction est changée, le général Sostegno, voulant éviter toute rencontre avec les troupes françaises, s'engage dans la gorge de Bellevaux et par les cols d'Orgeval et de Tamié arrive à Conflans (Albertville, 23).

C'est par une nuit obscure et une neige abondante que s'exécute cette marche dans un chemin très difficile. Des chevaux, des armes et des bagages sont abandonnés.

Le même jour, les bataillons laissés à Montmélian,


emmènent 12 pièces de canon, se retirent sur Conflans, suivis par le bataillon détaché à St-Pierre-d'Albigny.

Montesquiou, ne supposant pas la retraite aussi complète et voulant opérer la réunion de toutes ses forces, tait avancer, le 23 septembre, le reste des 22 bataillons et 8 escadrons dont il dispose en ce moment..Il occupe les villages situés à l'entrée des Bauges.

Ce même jour, les Français entrent solennellement à Chambéry sur la demande des autorités de la ville (23 septembre 1792).

Le 23 septembre, la légion piémontaise. qui occupait la Grotte, a le temps de se retirer par le nord de Chambéry, arrive au Châtelard le 24, se dirige sur Conflans par Duingt, Faverges et Tamié. Dès son arrivée, le pont sur l'Arly est coupé.

Le général de Casabianca, qui marchait sur Chambéry par St-Genix-d'Aoste, ayant à faire un très long détour, ne peut arriver dans la capitale de la Savoie que le 25 septembre. Les bataillons piémontais de Rumilly peuvent, sans être inquiétés, se retirer sur la Tarentaise par Aix et Annecy.

Le 25 septembre, la principale partie de l'armée piémontaise se dirige sur le Petit-St-Bernard, en passant par Moûtiers.

Le bataillon de Thonon était coupé. Les autorités du canton du Valais lui permettent de se retirer dans la vallée d'Aoste par St-Maurice et le Grand-St-Bernard.

En 1792, le passage du Grand-St-Bernard en Savoie par la rive gauche du Rhône et du lac de Genève était interdit aux armées ennemies, par suite de la neutralité de la République Helvétique. Au nord, les opérations militaires étaient limitées par le MontBlanc. On pouvait, par la vallée de l' Allée-Blanche,


passer le col de la Seigne, de là aller sur Sallanches par le Bonhomme et à Conflans (Albertville) par le Cormet de Roselend.

Le régiment de Maurienne, cantonné à St-Julien et à Carrouge, est licencié tout armé. Les officiers font promettre à leurs hommes de se réunir à Suse au printemps suivant. Ces soldats tinrent leur parole. III

Le même jour (25 septembre) de l'abandon de la position de Conflans par les Piémontais, le général de Montesquiou, ayant réuni tous ses corps, envoie une colonne de 8.000 hommes, commandée par le général Rossi, sur Miolans et Fréterive, avec ordre de diriger des détachements jusqu'à Conflans pour garder les débouchés des Bauges dans la vallée de l'Isère.

Le général Casabianca doit rejoindre le général Rossi à St-Pierre-d'Albigny en passant par le massif des Bauges que l'on croit encore occupé. Nous avons. vu que les Piémontais en débandade avaient marché jour et nuit pour sortir de cette montagne. Les débouchés entre Montmélian et Chambéry étaient gardéspar 7.000 hommes; en outre 7 bataillons delagardenationale, réunis aux environs desMarches, couvrent la base d'opération et sont destinés à soutenir les colonnes des généraux Rossi et Casabianca. Dès que le général de Montesquiou apprend la retraite des deux colonnes piémontaises en Maurienne et en Tarentaise, il fait occuper St-Jean-de-Maurienne et St-Michel par le général Laroque. Le général Casabianca pénètre en Tarentaise après avoir rétabli le pont de Conflans, arrive le 30 septembre à Moùtiers, poursuit l'arrière-garde piémontaise jusqu'à BourgSt-Maurice et l'oblige à passer le col du Petit-St-Ber-


nard. Les Piémontais abandonnent deux pièces au défilé du Sieix, où des retranchements avaient été construits au-dessus du tunnel de la route actuelle entre Moûtiers et Aime.

Le général Rossi, chargé du commandement en Savoie, fait occuper Rumilly, Seyssel, Annecy, La Roche et Thonon.

Les bataillons formés par le décret du 11 juillet 17b2 (déclaration de la Patrie en danger) permettent d'envoyer des renforts à Chambéry.

La première partie de cette campagne si rapidement menée avait donné les résultats suivants La conquête de la Savoie. L'abandon par les Piémontais de 12 canons, 1.000 fusils, 100.000 cartouches, 3.000 sacs de grains, des caissons d'artillerie chargés et de tous les équipages des officiers. Le général de Montesquiou attend dans cette situationdes nouvellesdel'armée du Var commandée par le général Anselme.

Le 4 octobre, en apprenant la réussite du passage du Var, il donne l'ordre au général Laroque de faire évacuer complètement la Manrienne. Les avant-postes français sont portés à Bramans et Termignon. Au mois d'octobre, par suite d'un conflit entre la France et la Suisse, il est question d'une déclaration de guerre de la part de ce dernier Etat. Le général de Montesquiou réunit des forces prises dans l'Ain et la Haute-Savoie, à Carrouge et à Gex. Un pont est jeté à Collonge sous la protection du fort de l'Ecluse. Une batterie est construite dans le bois de la Bâtie au confluent du Rhône et de l'Arve.

Des bataillons occupent la rive droite de cette rivière. (Les pièces françaises des troupes de Maurienne et de Tarentaise sont envoyées devant Gênes et remplacées par des pièces piémontaises trouvées à Montmélian et à Chambéry).


Ces préparatifs devaient permettre de s'emparer de Genève par la force.

Après des pourparlers avec la République Helvétique, legénéral de Montesquiousigne le 22 octobre un projet de convention qui paraissait clore le différend au gré des deux gouvernements.

Le Conseil exécutif fait remanier les propositions du général de Montesquiou etordonne que les préparatifs soient poussés énergiquement devant Genève. Des propositions inacceptables sont offertes à la Suisse. En mêmetempslegénéralde Montesquiou, accusé de concussion et autres crimes imaginaires, est mis en accusation par la Convention Nationale le 7 novembre. Montesquiou prend la résolution de passer en Suisse.

Le général Dornac prend le commandement par intérim de l'armée de Savoie.

Les succès des armées du nord-est en imposent au gouvernement helvétique aussi le 29 novembre, le Conseil de Genève accepte le décret de la Convention, ce qui met fin au conflit.

Dans la deuxième quinzaine de novembre, 3 régiments de cavalerie et 10 bataillons sont dirigés sur Belfort, ce qui réduit l'armée des Alpes à 44 bataillons dont 31 de volontaires à peine organisés, 2 régiments de cavalerie et la Garde Nationale (4 bataillons).

Du 23 novembre au 15 décembre, les troupes prennent leurs cantonnements d'hiver.

Le général Kellermann prend le commandement de l'armée des Alpes et arrive à Chainbéry le 21 décembre.1792.

Les troupes, réduites à un effectif d'environ 25.000 hommes, n'étaient pas encore complètement organisées. La discipline, l'instruction militaire, l'habillement et l'armement laissaient beaucoup à désirer.


Des pluies continuelles avaient déjà fort incommodé les troupes affaiblies par de nombreux malades. Le retard de la chute des neiges obligeait à prendre des précautions pour couvrir le territoire, bien que les troupes piémontaises eussent abandonné le MontCenis. (Jusqu'à la fin novembre, les Piémontais avaient 1.000 hommes et G pièces au Grand-MontCenis, 8 mortiers au Petit-Mont-Cenis et 12 pièces à Novalaise).

En Tarentaise, la batterie-redoute à construire au pied du Petit-St-Bernard n'était pas terminée. Deux bataillons occupaient Séez, Bourg-St-Maurice et Aime, un à Moûtiers et l'autre à Conflans.

En Maurienne, un bataillon est placé à Lanslebourg, Termignon, Sollières et Bramans. Un bataillon du régiment de Briançon est envoyé à Modane, St-André et St-Michel. Deux bataillons occupent Aiguebelle et La Chambre.

Chaque bataillon avait deux pièces piémontaises. Un escadron de dragons faisait le service de la correspondance.

Le général Laroque commandait les troupes de Maurienne et de Tarentaise.

Devant Genève, 2 escadrons et 5 bataillons étaient répartis sur les rives du Rhône, dans les localités avoisinant Genève. Ces postes de première ligne couvraient les cantonnements établis en Savoie. Les troupes de la Durance étaient commandées par le général Rossi.

Cantonnements des troupes de l'armée des Alpes devant opérer en Savoie.

Quartier général de Chambéry.

Nous venons de voir les cantonnements occupés

par la première ligne. Les troupes composant la deu-


xième ligne, sous le commandement du général Dornac, étaient cantonnées dans les localités ci-après Un bataillon à Pont-de-Beauvoisin

à Barraux

à St-Pierre-d'Albigny

Un régiment et la Légion des Allobroges à Grenoble

Un régiment à Grémieu

Un régiment de volontaires à Bourgoin

– – à La Tour-du-Pin Un bataillon et un escadron de dragons à Montmélian

Deux régiments d'infanterie, 22 pièces d'artillerie, deux escadrons de dragons et une compagnie de guides de l'armée à Chambéry

Un régiment de chasseurs à Aix

Cinq bataillons dans l'Ain

Deux bataillons et un escadron à Annecy; Un bataillon à Rumilly

Un bataillon à La Rochette.

La 3°" ligne de l'armée des Alpes était disposée sur les rives du Rhône entre Lyon et Nîmes.

C'est dans cette situation que les troupes allaient mettre à profit l'hiver de 1792-1793 pour s'organiser, achever leur instruction et se préparer à la campagne de 1793.

Les deux armées restent sur la défensive. L'armée d'Italie continuait ses opérations dans le Comté de Nice.

Campagne de 1793.

1

Le général Kellermann met à profit l'interception des communications pendant l'hiver pour organiser,


discipliner et instruire l'armée qui opérait en Savoie ordonne une réquisition de chevaux pour atteler l'artillerie et prépare des projets d'offensive et de défensive.

La loi du recrutement (du 24 février 1793) permet de renforcer les effectifs des divers bataillons. De nouvelles unités sont formées, entre autres, un bataillon de chasseurs bons tireurs, pour la défense de la frontière.

Le 1" mai, l'armée des Alpes comptait 45.000 hommes.

A cette date, les effectifs des divisions de première ligne étaient:

Division du général Dumay en Tarentaise, général de brigade Dubourg: 3.375 hommes; en Mauripnne, général de brigade Laroque 4.903 hommes. Division de droite général de division Antonio Rossi corps de Grenoble, général de division d'Albignac 7.908 hommes corps d'Embrun, général de brigade Camille Rossi 13.923 hommes.

Division de gauche sous le commandement du général de division d'Ornac corps de Carouge, général de brigade Carcaradec 5.324 hommes corps d'Annecy, général de brigade d'Oraison: 4.606 hommes; corps de Chambéry, général de brigade de St-Gervais: 4.116 hommes.

Les forces ennemies étaient de 53.000 hommes, y compris 8.500 Autrichiens. (Les troupes autrichiennes avaient été mises à la disposition du roi de Sardaigne depuis septembre 1792).

Malgré les lettres répétées du général Kellermann au ministre de la guerre, l'armement et l'habillement des troupes étaient incomplets dans presque tous les corps. La difficulté des charrois sur les routes, rares et mauvaises en hiver, était un obstacle à l'approvisionnement des places,


Les multiples occupations du général en chef pour organiser son armée ne lui faisaient pas négliger la préparation des opérations militaires.

Au mois de janvier 1793, le général Kellermann visite tous les cantonnements de la Savoie. Il tient un conseil de guerre en février où il décide l'établissement de retranchements destinés à faciliter la défense des vallées de Tarentaise et de Maurienne. Deux positions sont choisies en Tarentaise l'une en arrière de Séez, au débouché du Petit-St-Bernard; l'autre à Conflans, derrière l'Arly.

En Maurienne, les plateaux de Termignon et de Bramans ainsi que les hauteurs de Sardières qui les relient sont désignés pour être occupés. Des ordres sont donnés pour que les travaux à exécuter sur ces positions soient commencés dès qu'il sera possible. Les canons italiens de 3, donnés aux bataillons après la conquête de la Savoie, sont remplacés par des pièces françaises. Deux canons de 8 sont envoyés à Bramans et deux à Bourg-St-Maunce 12 canons de 4 en Maurienne et 10 en Tarentaise. La Direction de Lyon reçoit l'ordre d'envoyer à Chambéry 4 obusiers de 8 pouces, 1.000 outils, 30 pics à roc, 100 hâches et 100 serpes.

Des ingénieurs sont chargés de faire le levé des vallées de Tarentaise et de Moûtiers.

Le général Kellermann va ensuite visiter la vallée de La Durance, où il arrête les dispositions définitives. Le Directeur des fortifications de cette vallée est chargé d'améliorer le sentier du Galibier, pour faciliter les communications entre le Briançonnais et la Maurienne. L'importance de cette communication entre les deux vallées avait été mise en relief au cours des campagnes du Maréchal de Berwick (17091712). Kellermann continue son inspection au camp de Tournoux. Il donne ses ordres pour la mise en


état de défense des places fortes prescrit de réparer les routes. (Les principaux passages, Mont-Cenis et Mont-Genèvre, n'étaient pas carrossables les chemins muletiers étaient bien entretenus, nous en voyons les vestiges dans les reconnaissances que nous exécutons annuellement).

Enfin le général Kellermann s'entend avec, le général Biron, commandant l'armée d'Italie. Projet d'opération (février-mars 1793). Pour intimider les cantons suisses et les petites puissances de la péninsule italique, le commandant en chef de l'armée des Alpes fait prendre des dispositions de manière que, tout en restant sur la défensive, l'ennemi puisse croire que des projets d'offensive sont préparés.

Dès le mois de février les troupes cantonnées en 2' et 3* ligne sont parties en avant. Le général Kellermann adresse un projet au ministre de la guerre pour renforcer les troupes de la Maurienne et de la Tarentaise.

Au mois d'Avril, une partie des troupes cantonnées de chaque division devait être réunie dans des camps d'instruction choisis à portée des positions de défense. Ces camps étaient établis à Carouge, à Annecy, aux environs de Chambéry sur la rive, droite du Drac, au Rondeau, près Grenoble.

Le manque d'effets de campement entrave l'exécution de cet ordre.

Le général Kellermann éprouvait d'autres difficultés pour mener à bien l'organisation de son armée. Les autorités civiles, sous prétexte de réprimer la résistance et les soulèvements occasionnés par la mise en vigueur des lob nouvelles, contrariaient les mouvements des troupes par des réquisitions incessantes.


Les généraux, en butte à de continuelles dénonciations étaient constamment déplacés.

Kellermann était signalé comme suspect par les Commissaires delà Convention siégeant à Lyon. Il dut aller à Paris, à la fin d'Avril, pour se disculper. Au commencement de juin, le général Kellermann prend le commandement de l'armée des Alpes et d'Italie, part pour Nice à la fin du même mois pour arrêter le plan d'opérations défensives de l'armée d'Italie, puis regagne l'armée des Alpes pour reprendre les opérations militaires.

La fonte des neiges allait permettre de continuer la campagne commencée l'année précédente. Un service de renseignements et les rapports des déserteurs avaient mis le général en chef au courant des dispositions de l'armée austro-sarde, en juin 1793. Effectif de l'armée austro-piêmontaise

Trois divisions de troupes sardes étaient cantonnées dans les différentes vallées faisant face à l'armée des Alpes.

Des nouvelles troupes autrichiennes se rassemblaient en Lombardie. 20.000 milices bourgeoises étaient chargées de la garnison des places et parfois employées dans les montagnes.

Dispositions des Divisions:

La première division, forte de 15 bataillons commandés par le Duc de Montferrat est échelonnée dans la vallée d'Aoste. 4

Le plateau du Petit-St-Bernard est retranché, armé de deux obusiers et de 10 pièces. 1500 hommes, sous le commandement du général autrichien Mercy d'Argenteau, sont destinés à la défense des ouvrages.


Deux bataillons à la Thuile un régiment à St-Didier; un bataillon à droite occupe Courmayeur à la Salle et à Morgex, trois bataillons à Aoste, deux régiments à Ivrée, trois bataillons. Le Col du Mont et les mauvais passages qui conduisent du haut val de Tignes à Aoste sont surveillés par 4.000 miliciens du pays un fort détachement est au pied du Grand StBernard, à St-Rémy.

La deuxième division comprend des corps de troupes mobiles, appuyés sur les places d'Exilles, de Suse, de Fenestrelles et de Pignerol, barrant ainsi les avenues de Turin.

Dix bataillons de cette division, sous les ordres du marquis de Cordon, occupent l'abbaye de Novalaise, le plateau du Mont-Cenis et le camp retranché de la Ramasse.

De ce côté, des petits engagements avaient lieu de temps à autre avec les avant-postes de Lanslebourg. La troisième division, sous le commandement du général autrichien Strassoldo, occupait les vallées du Pô, de la Vraita, de la Maira et de la Stura. En juin, les hostilités commencent vers la droite de l'armée des Alpes, par un engagement au col de la Madeleine et l'attaque de Largentière (au nord du Mont Enchastraye).

La frontière était alors si dégarnie de troupes (envoi de 1.700 hommes d'infanterie et 300 dragons dans les Pyrénées-Orientales, en juin troupes chargées de réprimer l'insurrection de Lyon, prises dans l'armée des Alpes, en juillet), que Kellermann ne pouvait plus répondre de l'intégrité du territoire de la République.

A la fin de juillet le général commandant en Tarentaise n'avait que 4.000 combattants.


Dispositions des troupes de l'armée des Alpes en Savoie, au mois de juillet 1793.

En Tarentaise, général Badelonne, commandant Trois bataillons gardent les retranchements sur la

rive gauche du Versoyen un bataillon placé aux Chapieux défend le passage du Col de la Seigne au Cornet de Roselend et Beaufort.

Une batterie bat la plaine de Séez, sur le front. Une redoute élevée au-dessus du Châtelard (route de Bourg-St-Maurice aux Chapienx) couvre la gauche de la ligne

Un bataillon à Conflans fournit des détachements cantonnés à Beaufort et Roselend, comme soutiens des troupes des Chapieux.

Deux bataillons répartis entre les Glaciers, Versoye, Bonneval, Séez et Montrigon éclairent les troupes et les relient au bataillon qui occupe Villaroger, SteFoy et Beauville.

Une redoute de 6 pièces de 8, construite dans le bois de Malgovert, croise ses feux avec celle du camp de St-Maurice.

En Maurienne.

Le général Ledoyen, commandant, dispose d'environ 4.50J hommes.

Deux bataillons occupent Termignon. Une redoute est constr uite en avant du village (sur le petit mamelon qui longe la route après avoir décrit un lacet au sortir de Termignon).

Un bataillon en avant-garde à Lanslebourg Un bataillon occupe Entre-deux-Eaux, gardant le passage de la Tarentaise par la Vanoise.

Une batterie de 8 canons est construite à Bramans


(à l'ouest cote 1381).

Le sentier du petit Mont-Cenis est gardé par un bataillon.

Une redoute armée de deux pièces, établie entre Sollières et Sardières, est défendue par un bataillon. Un bataillon avec 6 pièces à Modane et à NotreDame-du-Charmaix (2 pièces sur cette dernière position).

Un bataillon avec 3 pièces à Aussois sert de réserve. Un bataillon avec 2 pièces à St-Michel.

La position de St-André est défendue par de l'infanterie et 3 pièces.

Ces bataillons surveillent tous les passages qui font communiquer de Bardonnèche en Maurienne et sont destinés à couvrir la ligne de retraite. Les deux brigades de Tarentaise et de Maurienne étaient commandées par le général Dubourg, qui avait établi son quartier général à Conflans. Cette division est couverte à gauche par les troupes réparties dans le Chablais et le Faucigny et à droite par les bataillons occupant le Briançonnais et l'Oisans.

Reprise des hostilités en Savoie.

En Maurienne. A la fin de juillet, 10 bataillons et 2 escadrons de dragons de l'armée piémontaise étaient rassemblés au Mont-Cenis, sur le plateau de l'Hospice et au camp de la Ramasse.

Le général piémontais de La Tour marche sur Bessans dans la nuit du 29 au 30 juillet, occupe Lanslevillard et pousse ses avant-postes jusqu'au hameau des Champs (effectif 600 hommes et 2 pièces de canon de montagne).

Au commencement du mois d'Août une compagnie de volontaires passe l'Iseran pour se rendre à Tignes.


Le 10 août le corps du général de La Tour cantonne à Tignes, couvert par une avant-garde établie aux Brevières. Une seule compagnie est laissée à Lanslevillard.

Dans la nuit du 11 au 12, le corps du général de La Tour passe le col de la Laisse, attaque par surprise le bataillon d'Entre-deux-Eaux et le refoule. Le lieutenant colonel qui commandait ce bataillon est envoyé à Grenoble pour être traduit devant un conseil de guerre.

Les piémontais reviennent à Tignes le 13, laissant un détachement à Entre-deux- Eaux.

Le général de Cordon, commandant le corps du Mont-Cenis, fait ouvrir deux chemins l'un de la Ramasse au plateau de la Porteille, l'autre du Petit Mont-Cenis vers la hauteur devant St-Pierre par les Savalines. Une batterie est construite et armée sur chacun de ces points.

Le poste de Lanslevillard, renforcé de 3 compagnies, envoie des détachements sur sa droite. Le 12 août, après un vif engagement, les Français abandonnent le hameau des Fesses (au nord de Lanslevillard).

Le général Ledoyen, menacé sur sa gauche, battu par les feux des batteries qui dominent ses camps, prend le 14 août la décision d'évacuer Lanslebourg, Termignon et la redoute de Sollières.

Le corps va camper à Villarodin. L'artillerie est ramenée en partie à bras à Modane. (Les attelages avaient été réduits par l'envoi de 100 chevaux devant Lyon).

Le lendemain la redoute de Bramans est abandonnée après avoir été détruite.

Un poste de 50 hommes, placé au pont du Nant, couvre le camp (le pont est brûlé).

Le général piémontais fait occuper le même jour


Lanslebourg et Termignon. Le détachement laissé à Entre-deux-Eaux est relevé par 200 hommes. Les avant-postes sont portés à Chàtel et vers Sardièrès.

Un bataillon de chasseurs et des volontaires rétablissent le Pont-du-Nant. Le général Ledoyen repousse ce détachement et brûle de nouveau le pont. Le général piémontais ralentit sa marche et envoie des détachements à Aussois et dans le bois de Bramans. Deux obusiers sont placés sur le premier point, deux canons sur le second.

Pendant que l'ennemi armait ces deux positions le général Ledoyen faisait évacuer ses magasins et portait son artillerie en arrière. Il craignait une attaque sur sa droite par des troupes venant du col de la Roue. »

Les 19 et 20 Août les Français vont occuper StAndré et St-Michel. Le général Ledoyen envoie un rapport au général commandant la division et lui demande des renforts.

En Tarentaise. Nous n'étions pas plus heureux dans cette vallée. Le 14 août, jour du commencement de la marche en retraite des troupes de la Maurienne, le général piémontais de La Tour se portait de Tignes à la Gurra. Le 16 août le poste de Villaroger est enlevé, les défenseurs se retirent sur la batterie du bois de Malgovert.

Dès le 13 août les troupes piémontaises, environ 9 OUO hommes, de la Thuile, St-Didier, Courmayeur et du Col du Mont (des milices sont laissées pour garder ce passage) avaient été réunies sur le plateau du Petit-St-Bertiard, sous le commandement du duc de Montferrat.

Le 16 août, ce corps descend du plateau sur trois colonnes. La plus importante suit le sentier muletier (nous savons que la grande route n'existait pas à l'é-


poque), prend position à St-Germain (N. E. de Séez) A gauche un détachement passe le Col de la Traversette, va à Mont-Valezan et se relie avec les troupes du général de La Tour. A droite le général d'Argenteau marche sur Versoye et Bonneval par le col de Forcle. Un bataillon est dirigé dans la vallée du Versoyen par le Combautier. Cette troupe avait pour mission de couper la retraite des Français. La compagnie qui gardait le pont de Bonneval est surprise et refoulée avant l'arrivée des renforts. Le détachement des Chapieux, coupé et attaqué par des troupes venant du lac de Combal, du col de la Seigne et de Versoye, passe le Cormet de Roselend et se replie à Beaufort.

Le général d'Argenteau (colonne de droite piémontaise) marche sur la route du Châtelard (rive droite du Versoyen), qui servait de point d'appui à l'aile gauche du général Badelaune. L'attaque des piémontais échoue.

Le pont de Séez est coupé, une vive cannonade des redoutes françaises empêche l'ennemi de le réparer. Les colonnes piémontaises de droite et de gauche manœuvrent sur les flancs des Français pour les envelopper.

Legénéral Badelaune, voyant ce mou vement offensif, ordonne la retraite sur Villette en faisant couvrir la marche de l'artillerie et du matériel pour toute son infanterie placée à Vulmis.

Le général de La Tour, chargé de l'avant-garde, poursuit la retraite des Français.

Le corps du duc de Montferrat est engagé tout entier dans la vallée de la Tarentaise.

Un ordre du général commandant les troupes de la Maurienne et de la Tarentaise prescrit au général Badelaune d'abandonner Conflaiis, pour, le cas échéant, arrêter la marche d'une colonne piémoataise


venant de Beaufort.

L'artillerie et les bagages sont mis en route l'infanterie occupe successivement le détroit de Sieix et les positions de Moûtiers.

Pendant cette marche en retraite le général Dubourg apprend que l'ennemi ne s'est pas engagé dans la vallée de Beaufort. Ordre est donné au général Badelaune de revenir sur ses pas.

Le commandant de la brigade de Tarentaise veut réoccuper la position du défilé du détroit de Sieix abandonné la veille. 800 hommes avec deux canons, sous le commandement d'un chef de bataillon, sont mis immédiatement en route. A deux kilomètres en avant de Moûtiers, cette troupe rencontre l'avant-garde du général de La Tour qui attaque aussitôt. Le général Badelaune se met à la hâte sur la défensive, au nord-est de Moûtiers, sa droite appuyée à une batterie de deux pièces établies sur la route. Le couvent des Cordeliers est mis en état de défense. Les Piémontais dirigent des troupes sur HauteCour, la Casse, la grande Saulcette et la route d'Aime à Moûtiers. Les Français sont obligés d'abandonner les positions et de se replier sur le couvent. Pendant le combat, le général duc de Montferrat, en marche sur Villette, envoie un bataillon vers Haute-Cour, par Montgirod, avec mission de se diriger sur Villargerel, pour gagner la ligne de retraite des Français.

Le général Badelaune, apprenant ce mouvement, donne l'ordre de la retraite dans la nuit du 19 août. 400 hommes sont laissés aux Cordeliers pour couvrir la retraite. La brigade se replie sur Conflans. Le lendemain, l'arrière-garde est culbutée.

Le ~2 août, le duc de Montferrat entre à Moûtiers et pousse son avant-garde à la Roche-Cevins. En Maurienne. Cette retraite découvrait le


flanc gauche du général Ledoyen, commandant en Maurienne. Ne pouvant rester dans une pareille situation, cet officier général donne l'ordre de rétrograder. Il occupe le 22 août les positions d'Aignebelle et de La Chapelle, laissant à Valloire et à Valmeinier deux bataillons.

Le général piémontais de Cordon pénètre en Maurienne en prenant des précautions. Il avance lentement jusqu'à Modane, puis à St-André. Le 20 août, ses avant-postes étaient établis à Orelle.

Le 22 août, deux compagnies sont dirigées dans la vallée du Charmaix (vallée de la grande montagne) les éclaireurs sont poussés jusque dans Valmeinier. Le 24 août, le gros du corps campe à Modane. Le même jour, de forts détachements sont placés à la Buffaz et à Beaune, gardant le passage des Encombres.

Le 25 août, les corps piémontais de la Tarentaise et de la Maurienne se reliaient par le col des Encombres. Le général de La Tour pénétrait en Maurienne par ce col. Le commandement de l'avant-garde est donné à cet officier général qui occupe le 26 août StJulien, Villard-Clément, St-Jean-de-Maurienne et pousse ses avant-postes à Mont-Denis et Hermillon. Le 27, le gros campe à St-Michel, des détachements sont envoyés à St-Martin et St-Jean-de-Belleville pour assurer les communications avec la Tarentaise.

Les bataillons français établis à Valmeinier et à Valloire gênaient la marche en avant des Piémontais. Le 29 août, le détachement du Charmaix est renforcé et poussé dans Valmeinier par le pas des Sarrazins et le col des Marches. En même temps, une tentative est faite sur Valloire par Albanne. Le bataillon français de Valmeinier ayant éventé le passage du col de Valmeinier par un corps pié-


montais, sous le commandement du général Chino, se retire à Valloire. L'attaque dirigée sur ce dernier poste échoue.

Le général piémontais couvre sa gauche par des. détachements placés sur les hauteurs d'Albiez et le col d'Arves.

A'M ~'aMr~M~ – Pendant que les Piémontais avançaient en Tarentaise et en Maurienne, une troisième colonne sous les ordres du baron de Loche, pénétrait dans le Faucigny par le col du Bonhomme. Le 21 août, les Piémontais emportent les positions de Sallanches après un vif combat.

Les Français, un peu débandés, exécutent une retraite de trois jours. Ce n'est qu'à Sierne, près de Carrouge, que le commandement reprend son autorité et que le corps est rassemblé.

Les Piémontais poussent un détachement à Bonneville. Le général de division Dubonrg, ne pouvant résister à cette triple attaque, informe le général en chef Kellermann qu'il se voit dans l'obligation de se retirer sous le fort Barraux.

III

Le général en chef quitte le siège de Lyon et arrive à Conflans le 21 août.

Kellermann, ne voulant pas abandonner la Savoie ni isoler les troupes opérant dans le Faucigny, prend les dispositions défensives suivantes

« Les troupes de la Tarentaise occuperont Conflans jusqu'à ce qu'elles y soient attaquées; la position à occuper ensuite sera le plateau de Montailleur avec des postes le long d~ l'Isère, dont un placé en avant de la gauche sur les pentes de la montagne (vers Fournieux et Moratan).

< Des détachements seront envoyés aux cols du


Frêne et de Tamié ainsi qu'à Ugine. Ces détachements feront leur retraite sur Faverges et Annecy. Dans le cas où ces positions seraient forcées, on se .repliera sur Montmélian ou Barraux.

« La colonne d'Annecy marchera sur Rumilly ou sur Seyssel ¡.

Le lendemain, le général en chef se rend à Aiguebelle, prescrit au général Ledoyen de retrancher le village de La Chapelle, de porter un bataillon avec deux pièces sur la crête en avant de St-Alban-desHurtières. Leur retraite est assurée par la Rochette sur Pontcharra. Un poste gardera le col du Bas-Mont. Une deuxième position est choisie à Charbonnière, (château ruiné au sud d'Aiguebelle).

Enfin, une troisième position à prendre à Maltaverne (route de Coise à Montmélian), dans le cas où la brigade de Tarentaise s'arrêterait à Miolans, sinon la brigade de Maurienne irait à Montmélian le pont de cette place serait ensuite coupé.

Le bataillon occupant St-Alban-des-Hurtières se retrancherait à Pontcharra.

Kellermann, avant de retourner à Lyon, donne des ordres pour qu'un bataillon du Briançonnais soit envoyé sur Valloire, un autre de Tournoux à Aiguebelle, un troisième de Lyon vers le Faucigny. La marche offensive des Piémontais mettait dans l'inquiétude les représentants du peuple à Lyon. Après un échange de rapports entre ceux-ci et le ministre, il fut décidé que le général Kellermann prendrait immédiatement la direction des opérations militaires contre l'armée sarde.

Kellermann quitte le château de la Pape le 31 août et établit son quartier général aux Marches (près de Chambéry). C'est en ce point que doivent se réunir 1.000 gardes nationaux de réserve.

Au commencement de septembre, la disposition


des troupes françaises est la suivante

A Bonneville (Faucigny) 4 bataillons, un détachement de hussards et 6 pièces un détachement d'infanterie est envoyé à St-Jeoire (général Santerre, commandant).

Les Piémontais occupent Cluses avec environ ~.000 hommes moitié de troupes régulières et moitié de paysans (général de Loche, commandant). A Conflans, le général Dubourg, commandant, a 6 bataillons, dont un à Ugine, un autre à Venthon, commandés par le général Badelaune pour contenir les troupes du duc de Montferrat établies à Moûtiers et Aigueblanche l'avant-garde à Cevins, des détachements à Beaufort et au col de la Madeleine. A Aiguebelle, 6 bataillons, y compris les bataillons venus de Tournoux <!ous le commandement du général Ledoyen, surveillent les troupes du général de Cordon dont le gros est à St-Michel, les avant-postes à La Chambre.

A Valloire, (général Prisye, commandant) 3 bataillons, y compris le bataillon venant de Briançon. Le corps de Valloire est. menacé à droite par les postes piémontais de Valmeinier, de front par ceux du pont de la Saussaz, de St-Michel et de St-Jean; à gauche par les paysans d'Albiez et de la vallée de l'Arvan.

Le 10 septembre, Kellermann réunit les généraux à Grésy et décide que l'offensive, le plus tôt possible, serait prise pour rejeter les Piémontais hors de la Savoie. Ce mouvement offensif commencera aussitôt que les troupes opérant dans le Faucigny auront pu se relier avec le général Dubourg.

Le projet d'attaque est rédigé par le général en chef. 1

Ordre au général Dubourg, commandant la divipion La brigade de la Taroataise, général Badeiau*


ne, doit prendre l'offensive sur trois colonnes. Deux bataillons se porteront d'Ugine dans la vallée de Beaufort trois bataillons partant de Venthon chercheront à occuper les montagnes au-dessus de GrandCœur, puis à gagner Aime par Haute-Cour. Quatre bataillons et 6 pièces agiront dans la vallée de l'Isère. En Maurienne (brigade du général Ledoyen) deux jours avant l'attaque en Tarentaise, les troupes de la Maurienne devront harceler l'ennemi sur son front, sans toutefois compromettre la sûreté de la position d'Aiguebelle. Le jour de l'attaque, 600 hommes seront envoyés en face de Cevins par le col de Basmont.

Afay~~g en avant dit corps piémontais

opérant en .~MrtëM/K?.

Au commencement de septembre, le général de Cordon reçoit l'ordre de se porter en avant pour déboucher de la Maurienne. Des renforts devaient lui arriver par les Encombres.

Nous avons vu que le corps français de Valloire n'avait pas été repoussé. Le général piémontais, avant d'ordonner le mouvement offensif, envoie de forts détachements devant cette position qui menace sa ligne de retraite. Cette précaution prise, les bataillons sont échelonnés dans la Maurienne jusqu'à La Chapelle, occupé par le général de La Tour avec l'avant-garde. La droite est couverte par un bataillon campé au col de la Madeleine l'aile gauche est protégée par cinq compagnies qui occupent le Bergeret, Pré Jourdan et Merle (au nord-est de la pointe Rognier).

L'intention du général piémontais est de menacer les deux revers de la montagne des Cucherons et de


couper ainsi la communication des Français vers la Rochette.

Dans la nuit du 1') au 11 septembre, les Piémontais marchent sur Argentine. Les cinq compagnies placées à l'aile gauche doivent chercher à gagner les hauteurs de St-Alban-des-Hurtières.

Le général Ledoyen préparait l'offensive projetée par le général Kellermann, au moment de la marche en avant des Piémontais. Les Français construisaient un pont entre Aiguebelle et Argentine et mettaient en état de défense St-Alban-des-Hurtières. Une batterie était établie sur cette position.

Le 11 septembre matin, un poste français placé sur la rive droite de l'Arc envoie un détachement pour réquisitionner à Argentine cette troupe rencontre l'avant-garde piémontaise qui commence l'attaque. Le gros de cette avant-garde fort de 1800 hommes (ta.nt soldats que paysans armés) et du canon occupe la position de l'église.

Le commandant Doriés avec trois compagnies renforce le détachement attaqué et cherche, sans résultat, à s'emparer de l'église. Ce mouvement permet d'arrêter la marche de la colonne piémontaise de droite.

Le général Ledoyen fait activer l'armement de la batterie de St-Georges-des-Hurtières.

Le général de La Tour fait avancer sa colonne de gauche, 2500 hommes, qui est obligée de se replier sous le feu de la batterie française. Les 5 compagnies de gauche manœuvrant isolément, ne peuvent s'emparer des hauteurs de St-Alban-des-Hurtières Le 11 septembre au soir, les Piémontais gardent la digue d'Argentine. Le lendemain ils construisent en avant d'Epierre une redoute qui est armée pendant la nuit, de deux obusiers et de deux pièces de 8. Le général Ledoyen fait transporter à St-Alba~-des-


Hurtières une pièce de 8, une de 4, une de 3 et un obusier; il engage une vive cannonade dès le matin du 13 Septembre.

Nous avons déjà parlé de l'inquiétude du commandant des troupes piémontaises en Maurienne, causée par l'occupation-de Valloire. Malgré plusieurs attaques dirigées sur cette position par les détachements de Valmeinier, de St-Michel et les paysans d'Albanne et bien que le général Prisye ait été repoussé dans la nuit du 12 au 13 septembre en cherchant à enlever la position de la Losa (au sud du petit Fourchon, vallée de Valmeinier), les Français conservent les positions de Valloire et d'Albanne.

Le général de (.ordon voyantsalignederetraitecompromise et ne recevant pas les rentorts qui lui avaient été annoncés, prescrit le 14 septembre de laisser six compagnies dans la redoute d'Epierrè, sept en arrière comme soutien et fait établir une batterie de deux pièces pour renfiler la chaussée. Le reste des troupes revient dans la nuit à St-Jean-de-Maurienne pour se réunir aux trois bataillons qui y sont détachés. L'attaque de Valloire est décidée pour le lendemain 15. Le 14, dès le matin, le général Ledoyen fait occuper St-Pierre de-Belleville et ouvre le feu de son artillerie sur la redoute d'Epierre que les Piémontais abandonnent. Dans la nuit un fort détachement part de St-Georges-des-Hurtières pour occuper la pointe de Rognier. Cette troupe, conduite par le capitaine Hocquart, passe le col de Champet, puis les Granges d'Arbaretan et atteint la tête du vallon du Berget. Les détachements protégeant l'aile gauche des Piémontais sont chassés des positions du Berget, PréJourdan et Le Merle. Le général de La Tour fait, en vain, tous'ies efforts pour reprendre ses postes. Le général de Cordon donne l'ordre d'évaouer Epierre dans la nuit et le 16 s'établit à Villard-Clé-


ment, après avoir fait sauter le Pontd'Amafrey (Pontamafrey). L'arrière-garde prend successivement position devant la Chapelle et à Mont-Vernier, en communication avec le col de la Madeleine. Cet évènement avait~ fait différer l'attaque de la position de Valloire.

Le général Ledoyen se porte à la Chapelle, fait achever le pont sur l'Arc pour entrer en communication avec le corps du capitaine Hocquart qui passe dans le vallon de St-Colomban-des-Villards par les sentiers des cols de la Perche, de Bourbière et du Merlet.

Une neige très épaisse, tombée la nuit, suspend les opérations pendant quelques jours. Ce temps est employé par le général piémontais à l'évacuation des magasins de St Jean sur St-Michel.

Combats en Faucigny.

Dans la nuit du 14 au 15 septembre, le général Santerre part de Bonneville sur trois colonnes pour attaquer Cluses, position défendue par 800 hommes. Une redoute près de l'Eglise, flanquée par le mur d'un couvent percé de meurtrières, commandait le chemin principal Un détachement de paysans couvrait la droite au pont de Marigny, interdisant l'accès du plateau de Châtillon, au nord de Cluses. Le général Santerre donne à ses trois chefs de colonne les ordres ci-après La colonne de droite (400 hommes, 8 hussards et une pièce) marchera sur Cluses par Scionzier, celle de gauche (même effectif) partira de St-Jeoire et occupera les hauteurs de la rive gauche du Giffre, au-dessus du pont du village de Marigny; la troisième colonne (centre) marchera directement avec 5 pièces sur Marigny.

Dès 4 heures du matin, les portes de Marigny sont


emportées les défenseurs se replient sur Cluses et vers la montagne de Châtillon. La colonne de gauche pousse des détachements jusqu'à Taninges. La colonne du centre marche sur Cluses par le château des RnpiIIesqui est incendié. La colonne de droite refoule les avant-postes de la rive gauche de l'Arve et attaque le pont de Cluses.

Le feu durait depuis 2 heures 1/3 sur ces trois points, lorsqu'une pluie torrentielle fait cesser l'engagement. Le général Santerre revient à Bonneville avec une partie des troupes, laissant l'autre au bivouac sur les hauteurs de Châtillon.

Le lendemain les Piémontais se replient sur Sallanches. Les troupes laissées au bivouac sur les hauteurs de Châtillon occupent Cluses le 16 septembre soir.

Le général Santerre informé que les Piémontais se retiraient sur Megève se met en marche en une seule colonne dans les déSIés de l'Arve. Il est arrêté par les feux d'un détachement posté sur les hauteurs de Miribel et par des paysans déployés dans les bois. Un autre détachement ennemi qui gardait le pont de St-Martin, avec un canon, s'avance sur la chaussée et des carabiniers embusqués dans les broussailles de la rive gauche de l'Arve prennent d'écharpe la division de Santerre.

L'avant-poste des troupes françaises occupe les hauteurs de gauche (rive droite) sans cependant pouvoir em)'ècho')a marche d'une co'onnepiémontaise par'iedeSall.mcheset s'avançant par StRochsur Blancheville (rive gauche).

Santerre donne l'ordre de la retraite, revient à Cluses en se couvrant par des postes laissés à Balme et à Nancy.

Un représentant du peuple enjoint au général de reprendre l'offensive. Santerre ne se sentant pas as-


sez fort n'exécute pas cet ordre. Il est destitué sur le champ et remplacé par le gênerai Verdelin. Les Piémontais profitent de l'arrêt du mouvement offensif des Français pour fortifier les positions de Miribel et le plateau au sud de Blancheville. Un bataillon est établi sur le premier point. Des miliciens occupent le bois à droite. A gauche, la route est coupée et barrée par des retranchements. Un renfort de 500 hommes, avec trois pièces de montagne, venant du col du Bonhomme, arrive le 27. Les pièces sont placées à la batterie construite aux Houches (au nord de St-Roch).

Le 28 septembre, le général Verdelin reprend l'offensive. Deux colonnes de 300 hommes chacune sont dirigées sur les hauteurs des deux rives de l'Arve. Le 29, le gros marche par le fond de la vallée et repousse les avant-postes. L'ouvrage de Miribel est battu par trois pièces. A 6 heures du matin, la colonne de gauche (rive droite de l'Arve) arrive sur les plateaux supérieurs et refoule l'ennemi. A ce moment, le général Verdelin fait avancer son artillerie et enlève Miribel.

Les défenseurs se retirent sur St-Martin, poursuivis par les hussards. Ils se débandent, laissant entre nos mains des hommes et de l'artillerie.

En même temps, la colonne de droite agissait sur les Houches avec 3 pièces. Les défenseurs abandonnent cette position en voyant la prise de Miribel. Les Piémontais saisis de panique se raltient à Notre-Dame de la Gorge ils abandonnent leur arti!lerie, passent les cols du Bonhomme et de la Seigne et gagnent l'Allée-Blanche.

IV

Opérations dans la ~at/r~MMë Tarentaise. Kellermann avait donné le commandement des


troupes de Maurienne au général Dornac. Le mouvemeut offensif est prononcé la veille du jour où se livrait le combat en avant de Sallanches.

Deux bataillons sont envoyés en Tarentaise par le col de Basmont. L'avant-garde piémontaise abandonne la Roche-Cevins. De ce fait, les troupes françaises placées à la Bâthie sont dégagées.

Disposition des Piémontais en Tarentaise. Le 26 septembre, le gros est établi dans des retranchements sur les hauteurs, à l'est d'Aigueblanche, en avant du défilé qui conduit à Moûtiers. Ces forces sont couvertes de front par trois bataillons placés à Grand-Cœur; à droite par un bataillon au Cormet d'Aréches et un bataillon à Beaufort à gauche un bataillon campe au col de la Madeleine.

En Maurienne. Les forces principales sont en position à Villard-Clément. Les avant-postes placés à St-Sorlin, St-Jean-d'Arves, St-Jean-de-Maurienne, Pontamafrey, Mont-Vernier, Mont-Pascal. Une réserve avec deux pièces placées à Mont-Denis. A St-Martin-de-Belleville, un fort détachement assure les communications avec la Tarentaise par les Encombres.

A gauche une ligne de postes fait face à Valloires et couvre la retraite vers la Haute-Maurienne. Ces postes étaient établis à Albiez, Montricher, St-Martin-la-Porte, St-Michel, Valmeinier, Pierre-Benoît, les Combes, le Désert et la Loza. En outre, les cols de Vallée-Etroite et de la Roue sont gardés par le général Chino.

Offensive des Français. Le 15 septembre, deux bataillons venant de Tournoux renforcent le corps de la Maurienre. Ces bataillons rejoignent à Aiguebelle.

Le 27, les Français prennent position en avant de La Chambre tandis que la colonne du capitaine


Hocquart débouche de la combe des Villards pour gagner le col d'Arves.

Le 28 septembre, le général Ledoyen occupe avec .500 hommes Montgellafrey et Montaimont, un détachement est envoyé vers le col de Varbuche. Les postes piémontais à Mont-Pascal et MontVernier se retirent d'abord sur Hermillon, ensuite à Montandré et Mont-Denis. Pour soutenir sa droite, le général piémontais envoie au col des Encombres un renfort d'un bataillon commandé parle général de La Tour. La gauche est abandonnée par les troupes placées à Pontamafrey, qui se retirent au pont d'Hermillon. Le pont est détruit le 29.

.Pr!M du col de la A/<M~M~. Le 29 septembre, le général Ledoyen arrive au col de la Madeleine. Le bataillon placé pour défendre ce passage se retire sur Moûtiers sans tirer un coup de fusil. Ledoyen trouve un peu de résistance à la tête du vallon des Avanchers. Les défenseurs sont refoulés sur Salins par le col du Golet. Le lendemain, un bataillon français passe ce col et s'établit à St-Jean-de-Belleville. Dans la ~(tM~g de Beaufort. Le 28 septembre, deux colonnes, de la force d'un bataillon chacune, marchent sur Beaufort. La première, commandée par le chef de bataillon St-André, part de Queige, passe le col de la Forcle et Villard. La marche de la première colonne est arrêtée devant Beaufort par la résistance d'un bataillon piémontais.

La deuxième colonne, commandée par le chef de bataillon Chambarlhac, descend par le col de la Bathie, s'empare d'Arêches le 29 au soir et oblige les Piémontais à se retirer sur Roselend, où les suit le commandant St-André.

Le 30, le commandant Chambarlhac attaque le col du Cormet d'Arêches son avant-garde, fortement soutenue, gravit les rochers qui dominent le passage


et repousse un bataillon piémontais qui la défendait. La brigade de Tarentaise couverte à droite et à gauche va prendre position le 29 à Notre-Dame-deBriançon.

Les Piémontais replient leur avant-garde sur la position d'Aigueblanche et commencent à porter leurs convois sur Moûtiers. Un combat d'artillerie est engagé entre les batteries d'Aigueblanche et celles de Notre-Dame-de-Briançon.

Les Français font des démonstrations sur Naves et Bonneval pour attirer l'attention des Piémontais et les empêcher de se mettre en communication avec les colonnes des ailes.

Le 2 octobre, le général Kellermann donne l'ordre d'attaquer partout.

Le général Ledoyen doit descendre sur les hauteurs du Bois, en face d'Aigueblanche et de NotreDame du Calvaire. Le bataillon cantonné à St-Jeande-Belleville (commandant Lamaille) doit marcher sur Salins. Le commandant Chambarlhac (qui a enlevé le col du Cormet) a l'ordre de se porter sur Montgirod et Hautecour.

Le 1" octobre, le duc de Montferrat, en apprenant la perte du col du Cormet, dirige ses convois et ses bagages sur le Petit-St-Bernard et bat en retraite pendant la nuit.

Le 2 octobre, Kellermann entre à Moûtiers et envoie un gros détachement sur les hauteurs d'Aime où il rallie le commandant Chambarlhac. Le même jour, le général commandant l'armée des Alpes marche avec l'avant-garde à la poursuite des Piémontais; il arrive à Bourg-St-Maurice une heure après l'ennemi, vers 5 heures du soir.

Les Piémontais avaient placé leur arrière-garde en position au-dessus de Séez pour protéger l'évacuation de l'artillerie. Kellermann déploie ses troupes, mais


ne peut attaquer faute dé ses canons retardés par le mauvais état des chemins.

Le lendemain à 7 heures du matin, l'attaque com.menée. Une colonne attaque la position de St-Germain défendue par des grenadiers royaux avec deux canons et un obusier. Quelques heures après, Kellermann peut dégarnir son front et le remplacer par H} pièces mises en batterie, ce qui lui permet de diriger deux colonnes sur le Petit-St-Bernard, par les sentiers de droite et de gauche. L'arrière-garde piémontaise se replie sur le gros, en position au Col. Les Piémontais avaient abandonné la Tarentaise. La brigade Badelaune est laissée en position à Bourg-St-Maurice, 'couverte à gauche par la colonne St-André qui, de Roselend, s'est portée au col de la Seigne. Un bataillon venu du Faucigny par le col du Bonhomme, est dirigé sur Pralognan pour marcher soit parle col de Chavières, soit par la Vanoise, selon les éventualités.

Le général Kellermann prend immédiatement ses dispositions pour faire évacuer la Maurienne. Le général Ledoyen reçoit l'ordre de se porter sur Montaimont en passant par le col de la Madeleine, puis de marcher sur les Encombres par le col de Varbuche, le pas de Roche et le col du Châtelard. Le commandant Lamaille doit attaquer directement le col des Encombres par St-Martin-de-Belleville. Ordre est donné au général commandant la brigade de la Maurienne de faire le nécessaire pour se mettre en communication le plus tôt possible avec les troupes de Valloire.

Le 2 octobre, le général de Cordon apprend à StMichel l'abandon de la Tarentaise par le duc de Montferrat.

Prise de Valmeinier.

Le détachement de Valloire, sous le commande-


ment du général Prisye, avait été renforcé de deux bataillons venus de Briançon.

Le 30 septembre, sept petites colonnes, sous le commandement du major de la Boissière, sont envoyées à proximité des troupes piémontaises en position à Valmeinier, Pierre-Benoît, la Combe et au Désert. Les détachements français passent la nuit au bivouac, dans la neige. Le lendemain matin à 5 heures, ces troupes attaquent les postes à la baionnette et les enlèvent.

Les Piémontais abandonnent 2 pièces de montagne, 2 caissons, des mulets, 30 hommes tués ou blessés, une centaine de prisonniers parmi lesquels le commandant piémontais. L'ennemi se retire par le col des Marches, la plaine de Bissorte et le Freney. Valmeinier enlevé, la ligne de retraite du corps principal était menacée. Le général de Cordon donne des ordres pour la retraite, fait garder le pont de la Denise et appelle le général de la Tour en position aux Encombres.

Le 2 octobre, un détachement est envoyé à NotreDame du Charmaix pour servir d'appui à l'aile droite du général Chino, chargé de la garde du col de la Roue et du débouché de la vallée Etroite. Les postes avancés sont ralliés à St-Michel. Le 2 octobre, les Piémontais marchent sur Termignon, couverts du côté de Valmeinier par de forts détachements laissés aux postes de la Saussaz et de la Denise.

Le général de Prisye n'étant pas assez tort pour tenter de gagner la vallée Etroite par le col des Marches et le Pas des Sarrazins, cherche à entrer en communication avec la brigade de la Maurienne par Albanne.

Le 3 octobre, à la pointe du jour, le général piémontais de La Tour arrive à Entre-Deux-Eaux pour


soutenir le détachement laissé à St-Martin-de-Belleville qui avait été contraint par les colonnes du commandant Lamaille et du général Ledoyen, de gagner Pralognan par la partie supérieure du vallon des Allues et de St-Bon.

Le même jour, l'arrière-garde piémontaise se replie sur St-André après avoir détruit les ponts de la Saussaz et de la Denise.

Par suite de la prise de Valmeinier, les habiles manœuvres ordonnées par le général Kellermann pour l'attaque des Encombres étaient devenues inutiles. Le général Ledoyen rejoint à St-Michel. Le 3 octobre, la brigade de Maurienne occupe StMichel, la Buffaz, Thyl, la Traversaz et se rallie avec les troupes de Valloire.

Le 4 octobre, le général Kellermann arrive à StMichel par le col des Encombres.

Position de l'arrière-garde piémontaise. Sur le plateau de St-André, 3 compagnies avec 4 canons et un obusier deux pièces défendent le pont du Freney, couvertes par une grand'garde placée sur le plateau de Bissorte (1).

La destruction des ponts de la Saussaz et de la Denise ne permettait pas au général Kellermann d'amener rapidement son artillerie en face de la position piémontaise. Cependant, le 5 le général Ledoyen part avec 1500 hommes pour attaquer Notre-Dame du Charmaix.

Le général Prisye se porte sur les hauteurs de la rive droite de l'Arc. Il n'atteint Modane que le 6 assez tard, au moment où le général piémontais s'était (1) Il est bon de nous rappeler que la grande route a été construite sous Napoléon I", par conséquent en 1793 il n'existait pas de chemin sur la rive gauche entre les ponts de tia Denise et de St-André. Le chemin passait à Orelle, suivant la terrasse qui s'étend jusqu'au plateau de St-André, puis descendait sur les villages du Freney, Fourneaux.


replié sur Bramans après avoir détruit le pont du Nant.

Le même jour, le bataillon français (bataillon couvrant le flanc droit de la brigade de Tarentaise) cantonné à Pralognan, passe la Vanoise et attaque le poste d'Entre-deux-Eaux qui est rejeté sur la Turra. Les Piémontais renforcent les troupes de la Turra, occupent Bramans et Termignon. Couvert par ses trois arrière-gardes, le général de Cordon fait achever le transport de ses vivres et de son artillerie sur le plateau du Mont-Cenis, puis dispose ses troupes dans les retranchements de la Ramasse.

Les trois arrière-gardes piémontaises abandonnent successivement leurs positions. Le 7 octobre, un détachement est envoyé à Bramans, au Petit-Mont-Cenis le reste de la troupe marche sur Termignon. Le général de La Tour, qui gardait cette position, se porte à Lanslebourg, puis à la Ramasse. Le 8, au matin, l'arrière-garde de la Turra évacue cette position et va rejoindre le général de Cordon sur le plateau du Mont-Cenis.

Les Français établissent leurs postes à Bramans, à Sollières, à Termignon, avec avant-postes à Lanslebourg et Entre-deux-Eaux. Le gros des troupes est cantonné à Modane, faisant face au débouché du vallon de Bardonnèche.

La neige commençait à obstruer les passages, les attaques sérieuses n'étaient plus à craindre. Les Piémontai? s'établissent en cantonnements dans les vallées d'Aoste, de Suse et de Pragélas, couverts par de forts détachements qui gardent les retranchements élevés aux cols du Petit-St-Bernard et du Mont-Cenis, ainsi que les passages de la Roue et de la ValléeEtroite.

La campagne de 1793 se termine par un heureux résultat pour les Français, dù aux habiles combinai-


sons du général Kellermann, à la rapidité, à la succession des marches et à la bravoure de tous ceux qui étaient sous ses ordres.

Un tel succès ne fléchit pas la colère des hommes qui détenaient le pouvoir. Par lettre du ministre, du 10 octobre, le héros de Valmy était destitué et remplacé par le général d'Ornac.

Le 6 novembre, Kellermann se constituait prisonnier à Paris.

Cantonnement des troupes françaises en Savoie à la fin déc6mbre 1793.

Général commandant la division à Chambéry En Maurienne 3.500 hommes entre Lanslebourg

et Montmélian, (général commandant la brigade, à St-Jean-de-Maurienne).

En Tarentaise 2.200 hommes entre Séez et StPierre-d'Albigny, (général commandant la brigade à Moûtiers).

Dans le Faucigny et le Châblais 5.200 hommes, brigade de flanc 3.800 hommes de Gex à Fort-l'Ecluse, Nantua et Bourg, (général commandant à Bourg).

Le commandement en chef de l'armée des Alpes est donné au général Dumas, cinquième général en chef depuis la destitution du général Kellermann, ce qui donne une idée du pouvoir des représentants du peuple sur les généraux.


MÉMOIRES

6

LETTRES DU THIBET (1).

IX

Yarkalo, le 24 septembre 1809.

Mon bien cher ami,

Je viens de faire une absence d'un mois. J'ai reçu à Tse-Kou les quatre caisses que tu m'as envoyées en 1898. Mon doyen, un ami de vingt ans, a partagé avec moi le plaisir que j'ai éprouvé en les ouvrant. Naturellement, je lui faisais une petite biographie de tous les donateurs que j'ai connus.

Tous les objets sont arrivés en bon état; pas le moindre accroc, pas le plus petit ver vous n'avez pas ménagé la naphtaline et j'ai recueilli avec soin ce qui en restait.

Nous partageons un peu mais c'est égal, j'ai presque honte d'être si riche que ça en mission, et tu m'annonces en outre un envoi du petit-séminaire. Cette maison est pour beaucoup dans mes souvenirs: comme au grand-séminaire, mon cœur y est retourné bien des fois. Dans le bulletin scientifique de la Maurienne j'ai vu une poésie Honneur à la sc!<?Mce/ C'est original, vrai et bien fait en la lisant, mon cœur disait tout bas honneur aussi à l'écriture qui me fait passer de si doux moments 1 Dans ces revues (1) V. séance du 8 décembre 1900.


archéologiques, il y a bien des choses qui sont actuelles dans nos pays. Par exemple, notre moulin tourne sur deux pierres, une plate et l'autre pointue (1). Elles n'ont pas encore de nom scientifique nous les appelons simplement, comme les gens du pays dents de cheval. Ce nom est emprunté à leur couleur et à leur dureté. Quand j'aurai ma chambre, je reviendrai là-dessus. Aujourd'hui, j'écris sous un pècher sauvage et tout à l'heure le soleil viendra me gêner.

Quelques-uns des objets que m'a envoyés X. sont déjà partis pour le Long-tse-Kiang, qui n'a pas vu de missionnaire depuis le meurtre du père Durand il y a trente ans. M. Genestier, qui vient d'y reparaître, pourra-t-il y rester? Nous l'espérons. En montant, j'ai vu le colonel de la garnison d'Atentse. Ce brave m'a assuré qu'il veillait sur le Père. Il a envoyé un officier et quatre soldats, pour qu'on sache bien que le Père est au Lou-tse-Kiangpar ordre de l'empereur. Il a ajouté que, si cela ne suffisait pas, il irait luimême avec toute la. garnison. Je n'ai jamais vu de mandarins aussi affectueux que celui-là. Il resta avec moi depuis 6 heures jusqu'à 9 heures du soir et il ne me quitta qu'après avoir serré plusieurs fois ma main dans les deux siennes. « Je connais la religion et les pères, répétait-il ayez confiance en moi, je sais que je fais une bonne œuvre en vous protégeant. Puisse-t-il en être ainsi

Tu m'as envoyé plusieurs fois du sucre. Je n'y ai jamais goûté. Ce beau sucre blanc constitue de magnifiques cadeaux aux chefs indigènes. Pour prendre notre café, quand nods le prenons, nous avons le sucre du Yunnan. Ici il est deux fois plus cher qu'à Siao-Ouy-Si il est cependant encore meilleur marché qu'en France et revient à peu près à dix sous le demi(1) V. r~-stMtt-c de la Société. 2 série, t. 2, 1' part., p. 223.


kilo. On va boire le café de mon cher curé, M. Bertrand, puisqu'il est grillé sans cela je crois qu'il resterait longtemps en caisse. Mgr. Gireaudeau m'en a envoyé un sac il y a deux ans je n'y ai pas encore touché. On ne prend du café que les jours de fête et souvent on l'oublie.

Le chocolat est bien précieux pour certains estomacs qui n'aiment pas les hauteurs. Le sucre peut le remplacer. Quand on voyage par ces régions, il faut prendre l'un ou l'autre, à moins que l'on ne soit sûr de soi-même et de son domestique. J'ai été témoin de cela. La tête tourne, on n'y voit plus, puis l'on roule sans connaissance. Je croyais que le thibétain ne fût pas sujet à cette misère le cas est plus rare, mais cela lui arrive aussi. Pour moi, je n'ai jamais éprouvé autre chose que la respiration un peu plus pressée.

L'aube et la chasuble m'ont fait grand plaisir aussi. Je pense que cela suffira jusqu'à ma mort. Je descends la pente, mon cher ami. Le premier et le second jour de mon voyage, j'ai été très fatigué. Après cela je me suis aguerri de nouveau, mais c'est un signe que les forces diminuent. Un autre signe, c'est que je ne fais plus qu'un repas par jour, le soir le matin et à midi, ma tasse de thé suffit. Ce qu'il y a de bon, c'est que je n'ai jamais été incommodé par une indigestion quelconque et je mange n'importe quoi. C'est très commode pour les voyages, je ne suis jamais inquiet pour la nourriture.

Notre architecte est bouffi d'orgueil il ne croyait certainement pas qu'il y eût un homme plus habile que lui sous la calotte du ciel. Ses instruments lui semblaient les plus parfaits, parce qu'il avait présidé à leur fabrication. Il en est bien revenu: il s'extasie devant un clou, il n'avait jamais vu une vrille, nos serrures lui paraissent des merveilles. Ce n'est pas


que le clou n'existe pas en Chine, mais il est carré et va en grossissant. Pour le planter, on fait le trou avec un autre clou plus fort, muni d'un manche horizontal. On frappe dessus avec un marteau, puis avec le manche ont fait faire deux ou trois tours au clou-percerette, on répète cette manaeuvre autant qu'il est nécessaire et avec le temps le trou se fait. Si le bois éclate, on le raccommode au moyen d'une colle faite avec de vieilles peaux de bœuf. Le banc de me-. nuisier n'existe pas. Tous leurs outils se composent d'une armée de ciseaux, petits et gros ils en ont de convexes pour leurs ciselures. Ils ont un marteau qui sert aussi de hache, deux scies, quelques rabots et c'est tout.

Pour mesurer, ils ont le pied, à l'extrémité duquel est fixée une perpendiculaire qui forme l'angle droit une autre pièce donne l'angle de 45 degrés. Ils se servent de cet instrument avec beaucoup d'habileté. J'ai regardé cela avec le plus vif intérêt; c'est toute une étude et c'est d'une exactitude mathématique. Ils emploient un fil qui passe dans une corne de bœuf où il y a de l'encre. Cela sert de fil à tirer les lignes et de fil à plomb le plomb est un clou. J'allais oublier leurs limes elles sont archi-malfaites et c'est merveille qu'ils puissent aiguiser leurs scies. Tu peux penser si je suis content'de ma ferraille. Je me sers de tout devant eux, excepté de ma lime; car ils la prendraient et, une fois qu'elle serait dans leurs mains, ils m'en offriraient peut-être le prix que je voudrais, mais certainement ne me la rendraient pas. A propos de menuisiers, j'ai depuis trois jours le bonheur de célébrer la sainte-messe dans la nouvelle chapelle le chœur est à peu près terminé la nef, qui fera corps avec la maison, n'est pas encore levée. On fait le tout petit à petit. Notre architecte n'est pas sot et je pense qu'à la fin cela fera un tout d'un


aspect assez agréable.

26 septembre.

Les gros seigneurs de Bathang, qui devaient emporter ma lettre, ne sont pas partis ils veulent, l'appétit venant en mangeant, manger encore un peu le peuple, selon l'expression usitée ici. Je vais noircir une seconde feuille de papier.

Bathang est un pays conquis autrefois par ,les Moso aujourd'hui il dépend de la Chine. Il ne paye pas tribut, bien plus ses deux chefs reçoivent une solde de l'empereur, ainsi qu'une trentaine de leurs koutso seulement tous les quatre ans les In-Kouan (deux chefs du pays de Bathang) doivent offrir des cadeaux à l'empereur. Ces deux chefs sont donc maîtres absolus de leur peuple, qu'ils gouvernent selon leur caprice. Il n'y a pas de code et Confucius n'a rien à faire par ici. Bathang est bien la résidence d'un mandarin civil et d'un mandarin militaire du Céleste Empire, mais ils ne s'occupent point du peuple. Placés sur la grande route de L'Hassa, ces mandarins veillent sur l'aller et le retour des ambassadeurs du Fils du Ciel (thien-tsè) et font passer la solde aux quelques garnisons chinoises de l'intérieur du Thibet. L'empereur de Chine suit la religion boudhique dont le chef est à L'Hassa.

Pourquoi deux chefs à Bathang, deux maîtres dans le même pays ? C'est peut-être une ruse de la Chine, diviser pour régner. Je sais seulement qu'ils descendent des conquérants Mo-so, qu'il y en a un plus grand que l'autre, que le premier reçoit les deux tiers du tribut, tandis que le second n'en reçoit qu'un tiers. Le premier a quatre-vingt kou-tso (nobles), le second en a trente. La noblesse se divise en trois de-


grés. C'est parmi les nobles du premier degré que le premier mandarin chinois prend les gouverneurs ou mandarins thibétains ceux-ci achètent leur place, puis paient un tant par an à leurs chefs, selon l'importance de leur mandarinat. Ces petits tyrans ont carte blanche et mangent (c'est la traduction du mot thibétain) leur peuple comme ils l'entendent. Voilà pour le civil.

Il y a à Bathang une grosse lamaserie, dont le pouvoir et l'influence surpassent la puissance des chefs. Dans toutes les affaires importantes, on demande toujours le sceau de cette lamaserie. Les deux grands chefs n'osent rien faire quand elle met son véto. Cette lamaserie a des représentants partout, représentants qu'on appelle chefs. Le mandarin officiel n'a sur eux aucun pouvoir et le peuple peut s'adresser à eux pour ses procès, aussi bien qu'à son propre mandarin. Il y a-un tas d'autres lamaseries je n'en parle pas parce qu'elles sont moins puissantes. Je ne dis rien non plus de M. le Maire (nous l'appelons ainsi), petit chef héréditaire à la tête de chaque village, plutôt fait pour être mangé que pour manger. Tu veux savoir comment tout cela fonctionne. Deux mots sur le peuple et j'y arrive.

Le peuple se divise pn fermiers et tributaires. Les fermiers ne payent que leurs fermages. Les grands chefs, les bonzeries, les nobles ont des fermiers. Il y en a qui sont assez bien traités, d'autres sont mangés de temps en temps par leurs patrons ceux-ci veillent cependant à ce que leurs gens ne quittent pas leurs terres à cause de la misère, ce qui arrive souvent.

Les tributaires payent aux chefs un tribut en apparence très petit mais il s'y ajoute tant de corvées et d'autres charges, qu'ils finissent par en avoir plus qu'ils ne peuvent porter. Des corvées qui atteignent


tout le monde, il n'y a guère que le passage des ambassadeurs, de quelques mandarins de l'intérieur puis il y a les frais de guerre, quand guerre il y a. Naturellement, chacun fait ses chemins et jette ses ponts comme le pays est peu peuplé, c'est une grosse besogne.

Le proverbe suivant est dans la bouche de tout le monde « Les gros poissons mangent les petits. » Pour éviter d'être mangé, chaque thibétain se fait le protégé d'un seigneur ou d'un gros lama, ou même de l'un des grands chefs. Pour cela il paye pour se faire inscrire et chaque année il doit offrir des cadeaux en nature à son protecteur. S'il est appelé pour un travail quelconque, il doit accourir. S'il a un procès, le protecteur prend sa défense, qu'il ait raison ou non seulement, il le plume à son tour, de sorte qu'il paye cher la petite vanité 'd'être protégé et, comme celui qui a cherché chicane a presque toujours aussi son protecteur, les procès se terminent par des transactions où les mangés ne sont pas les protecteurs. Tu vois que Perrin Dandin n'est pas mort. Il faut ajouter qu'une fois que l'on est inscrit sur la liste des protégés d'un puissant quelconque, c'est pour la vie et que l'oubli de faire le cadeau annuel coûterait cher. Ainsi si l'homme du peuple peut trouver le moyen d'échapper aux injustices du voisin, c'est à la condition d'être grugé par son supérieur. Ceux qui peuvent payer trouvent cela honorable. Les autres, à bout de ressources, quittent le pays après avoir mis le feu à leurs maisons et se font mendiants ou brigands.

Entrons dans un village de tributaires. Les terrains sont loués ou mis en gage. La récolte faite, il ne reste rien dans le grenier car le créancier ou le propriétaire veille, au battage des céréales et rien ne lui échappe. Couperet battre sont l'affaire d'une di-


zaine de jours. Alors commencent de nouvelles dettes et de nouveaux comptes. Pour une affaire ou pour une autre, il ne se passe pas de mois sans que les tributaires aient la visite d'nn seigneur quelconque alors il faut de la paille, du picotin, des œufs, de la viande, etc., souvent aussi des roupies, et voilà les tributaires en quête. Ils empruntent, au prêt conventionnel, qui peut quadrupler et quintupler la somme en un an.

Pour vivre, il faut vendre du sel, qu'ils échangent contre des céréales dans les pays du bas à quinze ou vingt journées d'ici. Heureux ceux qui peuvent nourrir quelques mulets ou quelques ânes 1 On les appelle riches, quoiqu'ils soient criblés de dettes comme les autres. Un de ces riches disait un jour: « Nous voudrions nous faire chrétiens mais c'est impossible, nous avons tous la corde au cou. Nous sommes dans l'impossibilité de rendre nos dettes et les créanciers sont les lamas. Tous nos chrétiens cultivent des terrains que la mission loue pour un certain nombre d'années, après lesquelles on fait un nouveau bail. Le tributaire peut louer, hypothéquer, mettre en gage son terrain, mais il ne peut le vendre. L'administration de la justice est tout aussi lamentable. Je prends au hasard quelques faits des plus récents.

Deux jours avant mon' départ pour le bas, à une journée d'ici, sur la route que j'ai suivie, des brigands enlevèrent trente-deux mulets. Les volés vinrent porter plainte au chef ou mandarin local il répondit quelques paroles évasives qu'ils comprirent de suite. Les pauvres diables coururent à la lamaserie la plus proche, où il y a un grand nombre de leurs parents bonzes. On fit semblant de les écouter, mais on temporisa et pendant ce temps les brigands filèrent. On allégua ensuite l'impossibilité de les attra-


per et tout fut fini. Si ces volés, au lieu d'implorer la miséricorde du chef, lui avaient dit « Nous prions le chef de vouloir bien arrêter les brigands nous reconnaissons les frais de la poursuite et nous offrons la moitié des mulets volés », aussitôt le chef aurait mis ses gens en campagne, les brigands se seraient enfuis et les mulets seraient revenus une moitié des mulets aurait appartenu au chef, l'autre moitié aurait couvert les frais de poursuite et les pauvres volés s'en seraient allés pattes blanches.

Un maire fut accusé auprès d'un bonze par une dame qui voulait lui nuire le maire fut pris et enchaîné, le peuple prit parti pour lui et accusa la dame auprès du mandarin. Voilà les deux pouvoirs en conflit. Le bonze mangea de :son côté, le mandarin du sien quand ils eurent plumé accusés et accusateurs, ils les lâchèrent sans rien conclure. Un chenapan tue un maire qui l'avait pris en flagrant délit de vol. La veuve et les enfants du maire accusèrent l'assassin. Le chef, qui savait qu'il n'y avait rien à manger chez celui-ci, ne s'en occupa pas. Si l'assassin avait été riche, le chef aurait mangé tout ce qu'il avait, puis il l'aurait condamné à mendier pour payer la vie de l'assassiné. Il aurait encore traité, si la famille du mort lui avait offert une forte somme d'argent, mais on ne fait pas le métier de mandarin pour rien.

De ces histoires-là il y en a tous les jours. Cela fait frémir un honnête homme.

Ant. Léard.


Extrait (~M~ lettre datée de <S'OM-Md (Chià-pà le 5 août 1900).

Depuis le 28 juillet, je suis sous la surveillance de 16 soldats chinois commandés par un officier. Ces militaires me laissent libre dans ma maison. On ne parle que d'anéantir les Européens. Les chrétiens sont bien effrayés beaucoup sont partis se cacher dans les forêts.

Le consul français de Tchoug-Kin a télégraphié d'envoyer les vieux missionnaires et de trouver moyen de cacher les jeunes. <S'<~ce6 reverentia, voilà des mesures que nous ne comprenons pas et il est fort probable qu'on n'en tiendra pas compte. Il n'y a encore ici que deux missionnaires sous la garde de l'autorité militaire, ton serviteur et son confrère de Mosymien, à deux journées d'ici. Ah 1 si j'étais plus jeune et bien portant, il leur en coûterait pour me mettre le grappin dessus Si tu apprends ma mort, ne crois pas tout de suite que je suis martyr et n'oublie pas le De profundis.

Sans doute tu te demandes pourquoi ces soldats chez moi. Apparemment pour me protéger contre la canaille de la ville de Sou-tin-kiao à 500 pas d'ici peat-être aussi pour s'assurer des ôtages. Bien malin qui verra le fonds de la pensée d'un chinois. Il y a deux jours a passé ici le nouveau kin-tchay (ambassadeur) de Pékin à Lhassa. C'est un ennemi des Européens, un ennemi de la religion et un ancien persécuteur. Tout cela ne dit rien de bon pour les confrères de l'intérieur en ce moment-ci, nous n'avons pas d'autre consolation que d'être les chevaliers de Notre-Seigneur, les soldats du Christ.


Châ-pâ, 28 août 1900.

Mon bien cher ami,

Ma lettre n'a pas grande chance de t'arriver, la poste étant détruite; j'écris quand même. Je suis toujours gardé par de vrais bandits. Hier on disait que dans trois jours ma tête serait tombée. Il y a huit jours mes chrétiens de Chà-oûan, habitant une montagne escarpée, auraient voulu m'emmener, mais impossible. Au moment où je lèverais le pied, l'incendie et le massacre commenceraient. Or à quinze pas de ma maison il y a les vierges (1), un orphelinat de filles et huit familles chrétiennes La supérieure vient me voir souvent, elle a une demidouzaine de filles de 15 à 20 ans comment faire évader les orphelines et les religieuses ? Je vois aussi de temps en temps quelques chrétiens. Les uns viennent chercher des consolations les autres, me donner des conseils, qn'il est impossible de suivre. Douze lieues seulement me séparent de Monseigneur, qui m'écrit tous les deux ou trois jours; ses lettres sont la seule consolation que j'aie en ce moment. Aujourd'hui Sa Grandeur, après m'avoir donné des nouvelles du dehors, me demande si je puis faire cacher dans la montagne les objets absolument nécessaires pour dire la messe. Je viens d'avertir la vierge que, la nuit noire venue, quand mes gardiens seront en train de fumer l'opium, je tâcherai de faire descendre par le mur de derrière la maison les objets dont parle Sa Grandeur.

Cinq districts voisins sont détruits, c'est à dire ravagés par la persécution. Les Pères ont la vie sauve; il n'y en a qu'un dont on n'ait pas de nouvelles. J'ai (1) ReligieusM indigènes.


appris le massacre de sept confrères de Mandchourie, mais tu as su cela avant moi. Jusqu'à présent le vice-roi du Sutchuen et le maréchal tartare paraissent disposés à nous protéger, mais (lui sait ce qu'ils pensent ? Et puis, à supposer qu'ils le voulussent, pourront-ils contenir la multitude ? Nous sommes entre les mains de la Providence.

Pour le moment je ne suis pas mal. J'achète ma nourriture, je suis servi par mon domestique, libre et maître dans ma chambre. Tant qu'on ne me transférera pas dans les prisons de la ville, je ne suis pas à plaindre. Qu'arrivera-t-il ? Je l'ignore. On dit dans le peuple que les soldats ouvriront la porte pendant la nuit et que les patriotes me massacreront. Des placards demandant ma mort sont affichés dans la ville. Monseigneur, dans sa dernière lettre, désirait que j'eusse deux jeunes gens vigoureux pour me sauver, si c'est possible, au moment critique. Moi, je n'en vois pas l'utilité. Du reste, pour te dire mon impression personnelle, si la guerre ne vient pas dans la province, il n'y aura rien.'Le gouvernement se mettra pour nous et les patriotes rentreront leurs cornes. Il pourra y avoir quelques massacres par ci par là, mais ce ne sera pas général.

Je suis à l'école de la patience. « Quand tu étais jeune, disait Notre-Seigneur à saint Pierre, tu mettais ta ceinture et tu allais où tu voulais, quand tu seras vieux, un autre te ceindra et te mènera où tu ne veux pas. Je suis vieux, mon cher ami. Cependant je ne suis pas encore au martyr. Mets-toi à ma place. Je puis me sauver encore; mais mon départ amènera la destruction de tous mes établissements, le pillage, l'incendie, le massacre de plus de cent familles chrétiennes. Si je ne pars pas, la chose arrivera également. Mais oserais-tu par ton départ avancer ce malheur d'un jour ou même d'une heure?


Pour mon compte, je n'ose. J'aime mieux périr avec eux que survivre à ce malheur. Le cas où je me résignerais à fuir est celui-ci quand les bandes de pillards auront envahi ma maison et commencé leur oeuvre de destruction, s'il en est temps encore, je prendrai le chemin de la montagne.

29 août. Hier soir j'ai pu faire filer par le mur les choses nécessaires pour le Saint-Sacrifice, excepté le vin que mon domestique trouvera bien le moyen d'enterrer quelque part. Quoique parfaitement tranquille à l'heure qu'il est, le moment de la mort est toujours solennel. Recommande-moi aux prières de mes vénérés supérieurs et de mes chers amis qui se sont si vivement intéressés à moi je pense souvent à eux et je ne sais comment leur témoigner ma reconnaissance. N'effraye pas mes parents. Dis-leur que le pays est troublé, mais qu'il y a tout lieu de croire que je ne cours aucun danger. J'espère encore pouvoir me réjouir avec toi après la tempête. Dans tous lès cas, si ce n'est pas ici-bas, ce sera sûrement au ciel.

Tout à toi en Notre-Seigneur.

Ant. Léard.


MEMOIRES 7

Notes sur Bessans de 1792 à 1798 (1).

Le journal manuscrit communiqué par M. l'abbé Ravoire et copié par M. Villet, contient beaucoup de renseignements qui feraient double emploi avec le mémoire de MM. Azario et Roumégou publié ici même. Nous devons nous borner à en extraire les notes suivantes d'histoire locale, auxquelles la situation de la commune de Bessans, au sommet de la Maurienne, en dehors de la route qui relie la Savoie au Piémont, donne un intérêt particulier; elles révèlent des faits absolument inédits. ·

Fin octobre 1792. Un détachement de troupes françaises, commandé par le lieutenant Lombard, passe à Bessans, y couche une nuit, va à Bonneval où il ne s'arrête que le temps de prendre un verre de vin et repart pour Lanslebourg.

Décembre. La municipalité se compose d'un maire, d'un procureur de la commune, d'un substitut, de cinq officiers municipaux, de quatre adjoints et d'un secrétaire. Tous portent l'écharpe aux trois couleurs bleu, blanc et rouge, avec franges or pour le maire, soie violette pour le procureur, argent pour les autres.

Fin janvier 1793. Un décret remplace les quatre adjoints par douze notables; le procureur prend le titre d'agent national.

(1) V. séance du 17 décembre 1900.


Mars. Après bien des menaces, le curé et les autres prêtres de la paroisse sont forcés d'émigrer, munis de passeports.

Les habitants sont contraints de verser une certaine quantité de foin et d'avoine dans le magasin de Lanslebourg, ainsi qu'une quarantaine de draps et de couvertures pour l'hôpital militaire.

Les communes de Lanslebourg, Lanslevillard, Bessans et Bonneval forment un canton, dont Lanslebourg est le chef-lieu.

Juillet. Les troupes du roi de Sardaigne passent le Montcenis. Un détachement va à Bessans, en passant par Chantellonas. Il y reste une douzaine de jours, obligeant les particuliers à faire le transport des provisions depuis le Montcenis jusqu'à Lavalsur-Tignes en Tarentaise. Il passe ensuite le MontIseran, mais laisse un poste à Bessans, pour garder les communications. Le commandant de ce poste fait prendre les armes aux jeunes gens de Bessans et les envoie au Châtellard, montagne de Lanslevillard, qui était occupé par les français. Mais ceux-ci se sont retirés, après avoir tué un grenadier sarde. Le même commandant fait construire sur le pont d'Arc une barrière, soit ~a<~M fermant à clef. Passage d'une trentaine de prisonniers français, parmi lesquels deux officiers, pris à Villaroger en Tarentaise. Ils couchent à Bessans et le lendemain sont conduits en Piémont.

Le curé, le chapelain et le vicaire rentrent dans leurs maisons et reprennent leurs fonctions. Mgr de Brichanteau rentre dans son diocèse. Il vient à Bessans, où il prêche et fait chanter le Te .D<?M~ ainsi qu'à Bonneval. Il part pour Saint-Jean, où il ne couche que deux ou trois nuits.

Octobre. L'évoque, les prêtres, les religieux et les religieuses, beaucoup de laiques émigrent en Pié-


mont. Plusieurs familles de Bessans vont s'établir à Suse.

On envoie des députés à Termignon au-devant du général français, pour s'excuser de la rébellion dont la commune était accusée.

Février 1794. Un ordre du citoyen Constantini, commandant à Termignon, oblige à descendre les cloches, à les briser et à transporter les morceaux dans cette commune.

Mars. Le garde-magasin paye en assignats le foin fourni pendant l'hiver. On les emploie à acheter du sel, qu'on laisse au village des Champs (Lanslebourg) jusqu'à ce que l'on puisse le transporter; mais il est enlevé par les troupes françaises. Les habitants de Bessans et de Bonneval sont menacés d'être déportés à Barreaux, comme ceux de Lanslevillard. Ils apaisent le général à force de cadeaux. Cependant le 2 mai, la compagnie des Guides du Mont-Blanc, commandée par le citoyen Ratel, venant de Termignon, et trois mille hommes, venant de la Tarentaise, approchant de Bessans, un grand nombre d'habitants, dans la crainte de la déportation, s'enfuient dans les montagnes. Les soldats enfoncent les portes des maisons et les mettent au pillage. Le lendemain ces troupes partent pour Termignon. A l'approche des Guides, on avait tenté d'abattre le pont d'Arc et quelques habitants de Bonneval avaient tiré sur eux des coups de fusil, sans les atteindre.

26 mai. Arrivée de trois cents hommes de troupes françaises d'autres arrivent les jours suivants. Elles occupent aussi Bonneval, l'Ecot, l'Avérolle, la Goula, la chapelle St-Etienne, la Chapelletta, StLaurent, les Vincendières, l'Arcella de Ribon. On place deux pièces de canon sur le cimetière de Bessans, tournées vers St-Etienne et l'on fait abattre les


bois qui cachent la vue de cette chapelle.

Juin Réquisition de huit vaches qui sont conduites à Modane et payées en assignats. Réquisition pour le transport de pièces de bois et de planches de la Ramasse à la Grand'Croix (Montcenis). Depuis le commencement de 1793, le prix des denrées a considérablement augmenté. Le seigle vaut 5 livres la quarte (1) l'orge 3 livres 10 sols l'avoine 2 livres le riz 14 livres l'émine (2) le mais 9 livres le vin 20 à 25 sols le pot (3) l'huile 20 sols la livre, le tout en numéraire.

La disette est si grande qu'il faut aller acheter du riz à Suse et l'apporter à dos d'homme par les montagnes de Rochemollon ou de l'Avérolle. On n'a pour faire la soupe que de la farine d'avoine encore n'estil pas facile de s'en procurer. Les soldats, qui ont double ration de pain, en vendent une partie ou l'échangent contre du lait, du beurre, du fromage, etc. Pour le reste, c'est comme ailleurs fermeture de l'église, poursuite des prêtres cachés dans les montagnes ou dans quelques maisons sûres, chasse aux réfractaires nombreux à Bessans, fréquentes réquisitions de foin payé en assignats qui, en juillet 1794, n'ont déjà plus que le vingtième de la valeur nominale. Le bétail est peu nombreux il faut aller l'acheter ou le vendre en Piémont, le passer par les montagnes et souvent il est saisi par les douaniers. Eté de 1795. Un détachement fpiémontais passe par Rochemollon, surprend et enlève un poste français à l'Arcella de Ribon. En octobre un détachement français va, à son tour, bloquer un poste piémontais, descend à Malchaussé et enlève quantité de meubles et de denré<s. Déjà au mois de septembre 1794, les (1) 18' 11.

(2) 23' 055.

(8) l' 468.


citoyens Lamardelle adjoint et Borel, général commandant à Bessans, avaient tenté une descente dans la vallée de Lans mais le froid était excessif et un grand nombre de soldats avaient eu les pieds gelés. En 1795 et 1796, il se fit à Bessans, dans les communes voisines et sur toute la frontière de la Savoie, un agiotage considérable sur la monnaie. Au début, les pièces d'or et d'argent valent en Piémont beaucoup plus que la valeur nominale, de telle sorte que l'écu de trois livres en valait quatre, l'écu de France de cinq livres en valait huit et le louis de France de vingt livres en valait trente-six, les agioteurs drainèrent les pièces d'or et d'argent et allèrent les échanger en Piémont contre de la monnaie de billon, des pièces de deux sols et demi, de sept sols et demi, de dix et de vingt sols. On ne vit bientôt plus d'autre monnaie dans le pays. Alors elle perdit de sa valeur, l'on paya. l'écu de France jusqu'à dix livres en monnaie de billon de Piémont et les agioteurs reportèrent en Piémont cette monnaie, pour l'échanger contre les pièces d'or et d'argent. De plus, le roi de Sardaigne démonétisa les pièces de sept sols et demi. Toutes ces opérations achevèrent de ruiner notre pays. Pour l'occupation militaire de Bessans, il faut revenir à l'année 17~4. Dans les mois de juin et juillet, une compagnie de sapeurs se rend dans cette commune et construit une redoute et des retranchements vis à vis de la Goula au lieu 'appelé la Laveresse et y place deux pièces de canons deux autres pièces sont placées au-dessus d'Avérolle et des retranchements y sont établis en divers endroits.

Cette année-là, les troupes ont occupé Bessans, Bonneval et Avérolle depuis la fin de mai jusqu'à la fin de janvier. Elles sont revenues au mois d'avril et ont séjourné jusqu'en février 1796. Depuis lors il n'y en eut plus à demeare, mais des patrouilles venaient


de temps en temps. Le corps d'occupation se composa d'environ 800 hommes, auxquels il fallait fournir le logement, les meubles et le bois. Il fallait, de plus, chaque jour huit, dix et quelquefois douze bêtes pour porter aux postes avancés le bois, la paille et les vivres. On n'a jamais rien reçu pour ces fournitures et ces transports.

On a évalué à environ 5.000 livres les présents en argent, fromages, beurre, poules, oiseaux, lièvres, etc., que la commune a faits, partie de gré, partie de force, du mois d'octobre 1792 à la fin de 1796. Il est vrai que, depuis le commencement de 1793 jusqu'à la même époque, la commune n'a payé aucune taille, quoiqu'on la réclamât chaque année.

Le 13 mai 1796, le traité de' cession de la Savoie à la France est signé. Au mois de septembre un poste de douanes est établi à Bessans il se compose d'un préposé et de dix douaniers. La douane empêche la sortie et l'entrée du bétail du côté du Piémont ;est la suppression du commerce, car il n'y a pas d'autre débouché.

Dans les mois de juillet, août et septembre 1798, des particuliers de Bessans, Bonneval et Laval-surTignes, ayant acheté une certaine quantité de bétail, le font passer en Piémont par la montagne de l'Auterel. Plusieurs sont pris et conduits à Lanslebourg au bureau de la douane. Ils sont obligés de faire racheter leur bétail. On évalue à près de 15.000 fr., ce que ceux de Bessans ont perdu par suite de diverses saisies de mules, bêtes à cornes et autres marchandises.

Vers la mi-octobre, des bestiaux étaient réunis dans la vallée d'Avérolle pour la foire de Bussolino en Piémont. Les douaniers en ayant été informés vont pour en faire la saisie. Ils en sont empêchés par une troupe de paysans armés. Mais, à leur retour,


quatorze de ceux-ci sont arrêtés, emprisonnés à Lanslebourg et menacés d'être fusillés. Il fallut compter la somme de 4.000 fr. aux préposés pour les tirer d'affaire.

Mais pendant que les douaniers montaient pendant la nuit à l'Avérolle pour saisir le bétail, un grave incident s'était produit. Deux jeunes gens de Bessans, poussés par la curiosité, se mirent à les suivre. Les douaniers s'en aperçurent et déchargèrent leurs fusils sur eux. L'un des jeunes gens fut atteint au bras l'autre, dans les reins et percé de part en part, il mourut dans la journée.

Le journal manuscrit anonyme, car ce n'est pas un livre de raison proprement dit, continue, avec des intermittences de plus en plus longues, jusqu'en 1856. On en pourrait tirer d'autres notes intéressantes. Mais il m'a paru bon de m'arrêter dans cet extrait à ces renseignements ignorés sur la guerre de 1792 dans la Haute-Maurienne. L'incident de contrebande que j'y ai ajouté marque une situation fâcheuse qui s'est renouvelée depuis 1860, avec l'aggravation, désastreuse pour plusieurs communes, de la cession du Montcenis à l'Italie.


Passage à St-Jean-de-Maurienne de la comtesse de Provence (1771) et de la comtesse d'Artois (1773). La porte et la tour d'Humbert (1).

St-Jean-de-Maurienne était autrefois une station obligatoire pour le voyageur qui passait le Mont-Cenis pour se rendre de France en Italie ou d'Italie en France. L'affluence des étrangers y était bien plus considérable qu'aujourd'hui. Le chemin de fer, qui d'ordinaire apporte le mouvement et la vie, a rendu notre ville plus calme, moins bruyante, et l'a privée d'une industrie très lucrative, le roulage. Il nous a sans doute procuré des avantages qui compensent, et au-delà, ce préjudice mais il a le tort de passer à un quart d'heure de la ville et d'emporter à toute vitesse les nombreux voyageurs qui traversent la longue et étroite vallée de Maurienne. Jadis St-Jean avait l'avantage de loger dans ses hôtelleries de nombreuses caravanes, et l'honneur de recevoir de temps en temps des personnages de marque. Ainsi, dans le dernier tiers de l'autre siècle, il y eut plusieurs passagers princiers ou royaux. En 1767, c'était la princesse de Carignan qui allait à Paris échanger ce nom contre celui de princesse de Lamballe; en 1771, c'était S. A. R. la princesse Joséphine, fille de Victor-Amédée III, fiancée au comte de Provence (plus tard Louis XVIII) en 1773, c'était une autre fille de Victor(1) V. séance du 17 décembre i900.

MEMOIRES 8


Amédée, Marie-Thérèse, qui allait épouser le comte d'Artois (plus tard Charles X); la même année encore, c'était le duc de Chablais, fils puîné de CharlesEmmanuel III, qui allait prendre les bains d'Aix. En 1775, c'était le roi Victor-Amédée avec toute la famille royale.

Le premier et le dernier de ces passages ont été l'objet d'intéressantes communications) (1). Je viens compléter le récit de ces passages princiers en racontant, à mon tour, les réceptions faites à la princesse Joséphine et à sa sœur la princesse Marie-Thérèse (2).

Le conseil avait à cœur de faire une digne réception à la première de ces princesses, qui allait unir la maison de Savoie à l'illustre maison de France. Dès le 14 février, plus de deux mois avant le passage de S. A. R., il écrivait au comte de la Tour, commandant général du duché de Savoie, pour lui demander le cérémonial à observer dans cette circonstance.

La rMg d'Arvan, par laquelle devait arriver la princesse, était fermée, entre l'auberge de St-Georges et la maison du trésorier Salomon (aujourd'hui l'hôpital), par une porte surmontée d'une tour (3). Comme elle menaçait ruine et que d'ailleurs elle était trop basse pour que les grands carrosses pussent y passer, le vice-intendant général du duché de Savoie, Garnier d'Allonzier, donna l'ordre de démolir la porte et la tour et d'enlever les débris. Sur la représentation faite que, après cette démolition, « la ville demeurerait sans aucune porte d'entrée comme (I) Trav. de la Soc., 3' série, tome II, p. 84-9i et p. 199-147 (2) Ces notes sont extraites du Registre des délibérations du Conseil (Archives municipales).

(3) M. le chanoine Truchet çSt-Jean-de-Maurienne au XVI* s. p 11) a placé cette porte à l'extrémité de la propriété de l'hôpital ac'tuel. L'auteur lui-même m'a prié de faire cette rectification.


un simple village on décida de construire en place un arc entre l'angle du jardin dudit Salomon et le clos du collège, au détour de la grande route, proche les Capucins (hôtel d'Europe) d'en hâter la construction, afin qu'il puisse servir d'arc de triomphe pour le passage de Madame la princesse Joséphine et toute autre occasion semblable, ce qui contribuera sans doute au décor de la ville et enfin de placer sur la façade dudit arc les armes du roi et celles de la ville. On chargea les nobles Ducol et Martin de donner le prix fait de cet ouvrage et d'engager le trésorier Salomon à se dessaisir des tufs de la tour dont il est propriétaire pour les employer à la construction de l'arc.

De nouvelles instructions de l'intendance générale prescrivirent à la ville d'assurer la provision d'avoine et de foin nécessaire pour les 545 chevaux ou mulets du convoi de son Altesse de faire préparer les écuries de tenir prêts matelas, tables, bancs, planches et chevalets suivant un état communiqué au secrétaire de la ville et remis aux conseillers dans la séance du 5 mars enfin « de faire graveler et niveller où il en sera besoin les rues par lesquelles S. A. R. devra passer, soit depuis N. D. de Pitié jusqu'à la porte Marenche.»

Là-dessus, de nombreuses commissions furent nommées pour diriger les préparatifs et <t seconder les nobles syndics, » Commission pour faire la visite des écuries et ordonner les réparations nécessaires, pour faire nettoyer les cheminées, tenir les logements propres. Commission pour les tables, bancs, planches et chevallets. Commission pour le gravelage et nivellement des rues. Commission pour l'approvisionnement et la distribution de l'avoine. Un sieur Burnier s'étant offert à faire cette fourniture, le commissaire Rivol examina d'abord la qualité de la


marchandise de concert avec l'aubergiste Jean-Baptiste Martin, un des experts jurés de la ville, le maréchal des logis et le fourrier de la compagnie de cavallerie qui avait son quartier à St-Jean. L'avoine fut trouvée recevable et une convention fut conclue, d'après laquelle le sieur Burnier devait distribuer luimême ladite avoine et prendre à son compte tout le déchet, moyennant la bonification de vingt-cinq émines qu'on lui laisserait (1).

Quant à la distribution du foin et de la paille dont la fourniture était faite par un entrepreneur qui avait soumissionné au bureau de l'intendance, elle fut confiée à un sieur Laurent Caubet qui se chargea, moyennant salaire convenable pour lui et ses ouvriers, de recevoir ladite marchandise, de la réduire en bottes chacune du poids de 30 rubs (2) de Piémont; de retirer les récépissés de tout ce qu'il distribuerait, ainsi que l'argent des muletiers qui devaient payer le foin et la paille qu'ils prendraient.

Commission confiée aux conseillers Rivol et Sambuis pour l'approvisionnement des matelas dont on aura besoin pour recevoir commodément les personnes de la suite de S. A. R. A cet effet, ils devaient faire le recensement de tous les matelas qui se trouvaient à St-Jean et comme la ville n'en avait pas en quantité suffisante, prier le subdélégué à l'intendance de donner ses ordres aux bourgs de St-MichcI, La Chambre et St-Julien d'en fournir un certain n~mb; 1 afin qu'on pût en donner dans les maisons où il en manquait.

Commission confiée au syndic Berger pour faire tapisser au moins quatre fauteuils et autant de sièges que faire se pourra pour la Maison de ville, en se servant pour cet effet des bois et étones que le sieur (1) L'émine valait 21 pots, un peu plus de 31 litres.

(2) Le rub de Piémont valait 25 livres, soit 9 kilos 221.


Donnet a fait venir.

Enfin une lettre de S. E. Monsieur le comte de la Tour, datée du 17 avril et adressée à l'avocat Favre, subdélégué à l'intendance, prescrivait à la ville de fournir un endroit au rez-de-chaussée, dans l'enceinte de l'évêché ou tout près, pour retirer, pendant la nuit du séjour de S. A. Madame la princesse Joséphine, les cinquante hommes du régiment du Chablais qui devaient venir en cette ville pour parader et faire la garde, avec une chambre et des matelas pour les trois officiers commandant le détachement, et enfin des marmites pour les soldats.

Ainsi les moindres détails avaient été prévus en vue de la réception de la princesse qui devait être un jour l'hôte de la cité. Les syndics eux-mêmes seront très décoratifs dans leur nouveau costume. Par lettres patentes du 30 avril 1768, le roi de Sardaigne avait permis aux syndics de St-Jean de porter une robe sur le modèle de celles des syndics de Moûtiers, à la différence qu'elle serait de couleur noire, avec les rebords des manches, du collet et du devant en écarlate. Comme les robes n'étaient pas encore faites en mars 1771 et que l'étoffe même n'était pas encore achetée, le conseiller Louis Rostaing fut chargé de faire l'emplette de l'étoffe noire en laine (1) et de hâter la confection des robes des nobles syndics, qui tenaient à parader dans leur superbe accoutrement, avec leur canne à pommeau d'argent. Dans la séance du 12 avril, l'avocat Paraz, premier syndic, ayant fait observer à l'assemblée que son~indisposition habituelle ne lui permettrait pas de complimenter S. A. R., noble Claude-Ferdinand Ducol fut prié de faire le compliment et de remplir les fonctions de premier (1) H fallut 36 aunes d'étamine noire pour les robes des syndics, fourniture pour laquelle la ville payera un mandat de 134 livres au marchand J.-B. Bérard. J'ignore le coût de la confection. L aune de marchand vaut 1 mètre 142.


syndic.

A des magistrats si bien costumés il fallait une suite digne d'eux. Par lettres patentes du 31 janvier 1770, la ville avait obtenu le droit d'exercer la police et de choisir l'officier qui en était chargé dans le corps du conseil (1). Pour faciliter l'exercice de cette juridiction, on nomma un deuxième serviteur de ville, Jacques Roi, qui devait, ainsi que le premier Michel Roux, être habillé aux frais de la ville. On leur donna à tous les deux un costume neuf avant le passage de la princesse. A l'égard de Michel Roux, dit le procès-verbal de la délibération du 11 mars 1771, on aura soin, la première fois que le cas se présentera, de faire attention qu'à l'occasion susdite il est habillé cette année trois mois avant que les trois ans soient écoulés. Comme, le 18 avril, l'étoffe n'était pas encore arrivée, on envoya un exprès à Chambéry pour la prendre chez le marchand Curtelin, « eu égard à l'urgence du cas. » (2).

Enfin tous les préparatifs sont terminés les syndics et les valets de ville ont des habits flambants neufs il ne reste plus qu'à attendre la princesse. Elle arriva le 26 avril.

J'ai décrit les préparatifs. Quant à la réception ellemême, j'en emprunte la relation au conseil qui, « pour transmettre la mémoire de ce qui s'est observé en cette ville au passage de S. A. R. Madame la princesse Joséphine a fait insérer dans le registre des délibérations le compte-rendu suivant (1) Le 19 mars 1771, il fut décidé à l'unanimité que, pour ôter l'odieux qu'entraînent nécessairement les fonctions d'officier de police, cette juridiction appartiendrait au corps du conseil municipal. (2) La ville paye un mandat de 90 livres au marchand Curtelin pour l'étoffe qu'il a fournie pour les habits des serviteurs, un mandat de 98 livres au marchand J.-B. Arnaud, également pour fourniture d'étoffe pour les vestes, culottes, chapeaux des mêmes serviteurs. Le registre ne donne pas le montant du mandat délivré au taillleur Estornay pour la façon d<s habits.


« Les nobles syndics et conseil, pour ne rien omettre dans les dispositions qu'ils devoient prendre et pour donner des preuves de leur empressement et de la joie qu'ils ressentoient du passage et séjour de S. A. R. en cette ville, ont fait la dépense de la démolition d'une vieille tour qui existait entre la maison du sieur trésorier Salomon, anciennement des nobles d'Humbert, et l'auberge de St-George, eu égard que la voûte qui la soutenait et qui servait de porte à la ville, en étoit trop basse, et ont fait élever en arc de triomphe un portail en pierres de taille, entre le clos du collège et celui dudit Salomon, près des Capucins, pour servir de monument à cette glorieuse époque (1).

« Sur le grand portail de l'évêché la ville, de l'agrément du S. G. Monseigneur l'IIl"' et Rdm" Evéque de Martiniana, premier Prince d'Aiguebelle, a érigé un autre arc de triomphe et tous les deux ont été décorés avec des emblèmes analogues au sujet (2). « La ville prévoyant encorequela place située entre le Palais épiscopal et la Cathédrale n'aurait pu contenir les nombreux équipages du cortège de S. A. R. a fait ouvrir à ses frais une issue dès la place jusqu'au grand chemin de Ramassot à travers la cour, jardin et verger d'une des maisons du vénérable Chapitre appelée de la Sacristie, au levant du chœur de l'église cathédrale, par où les carrosses pussent, ainsi qu'ils l'ont fait, successivement défiler à mesure qu'ils entreraient sur ladite place et enfin pour éviter le cahotement que les pavés auraient pu occasionner, on les a fait sabler dès l'entrée de la ville jusqu'à l'Evëché.

« Les nobles syndics, persuadés qu'une parfaite ()) Le devis de cet arc, dressé par l'architecte Negri était de 641 livres 8 sols.

(2) Le peintre Pignol reçut 60 livres pour la décoration ues arcs de triomphe.


soumission est bien plus agréée que des démarches' bruyantes et coûteuses, ont pris la liberté de faire demander au bureau d'état l'étiquette du cérémiunal qu'il plairait à S. M. qu'on observât à l'arrivée de cette auguste princesse, et le Roy ayant daigné faire écrire à S. G. notre Illustrissime Evêque et à Monsieur le chevalier de Mongenis, juge-mage de cetto province, que celui-ci accompagné de M. l'avocat fiscal, M. le vice-intendant (l'intendance était va cante), desdits nobles syndics et des personnes les plus qualifiées de la ville, devaient à son entrée complimenter S. A. R. le vingt-six avril, jour de son arrivée ils se sont rendus vers l'oratoire de N. D. de Pitié, à l'angle du clos des Rd. PP. Capucins, où le seigneur juge-mage accompagné comme dessus a fait le compliment et de là S. A. R. a fait son entrée aux acclamations du peuple, avec son cortège composé entre autres de S. E. Monsieur le comte de la Roccal, Grand Maréchal de Savoye, chevalier du grand ordre de l'Annonciade, de S. E. Madame la comtesse Doliani, S. E. Madame la comtesse Favria, de Madame la marquise de la Marmora, de Madame la comtesse Sambuy, de Monsieur le marquis d'Aigueblanche, chevalier d'honneur; de M. l'abbé Carret, aumônier de cour, de M. le chevalier Chiusan, premier écuyer, et de plusieurs autres personnes distinguées de la cour, et a pris son logement au Palais épiscopal.

« La ville doit publier ici le zèle de S. G. pour la Maison Royale, puisque l'étendue et la somptuosité des appartements qu'elle a fait préparer et augmenter à grands frais ont mérité l'admiration de S. A. R. et qu'ils ont suffi pour la recevoir très commodément, de même que les principales personnes de sa cour et S. M. pour lui en témoigner sa sensibilité lui a envoyé en présent et par un courrier exprès une mé-


daille d'or où d'un côté est le portrait de S. M. et de l'autre ceux de L. L. A. A. R. R. les comte et comtesse de Provence.

« Le lendemain vingt-sept avril, non seulement les nobles syndics, mais encore le corps de ville ont eu l'honneur d'être admis à baiser la main de S. A. R. en présence de toute sa cour, après un autre compliment qui lui a été adressé par noble Ducol, représentant le premier syndic qui s'était joint avec la magistrature.

« Pendant la nuit que S. A. R. a passé en cette ville, toutes les maisons ont été illuminées dès leshuit heures du soir jusqu'à une heure après minuit, chaque fenêtre ayant deux chandelles allumées.

Et le vingt-huit avril; S. A. R. est partie avers les neuf heures du matin, et son cortège est repassé ici le sixième du courant (mois de mai) pénétrés jusqu'aux larmes du regret de n'être plus auprès d'une princesse douée de mille vertus. )

La réception faite deux ans après à sa sœur Marie Thérèse (1), fiancée au comte d'Artois, fut plus modeste la ville avait épuisé son enthousiasme et ses ressources. Cependant elle fit convenablement les choses, à en juger par les préparatifs.

Dans la séance du 25 septembre 1773, le secrétaire lut un ordre du bureau de l'Intendance invitant les nobles syndics et conseillers à faire approvisionner deux mille rubs de foin, huit cents émines d'avoine et six cents rubs de paille pour la subsistance des chevaux du cortège de S. A. R.; à réunir ces denrées dans un magasin dans le terme de huit jours; enfin àétablir une personne de probité pour faire la recette et distribution desdites denrées, en permettant d'en (i) Marie-Thérèse, fille de Victor-Amédée III et de ~arie-Antoinette-Ferdinande de Bourbon, mariée au comte d'Artois (Charles X), mère du duc de Berry et du duc d'Angoulême.


faire la répartition sur les communautés de l'étappe au cas où la ville ne serait pas suffisamment pourvue. Sur quoi, le conseil considérant que la ville n'a aucun approvisionnement, délibère d'envoyer dès le lendemain un pedon (courrier) exprès à chaque communauté pour les prier d'apporter leur quote-part au magasin avantle 1' octobre.

Les 12 et 26 octobre, le conseil prend encore diverses résolutions relatives au passage de S. A. R. Sur le rapport de l'ingénieur commis pour faire réparer les ponts et chemins au passage de Madame la comtesse d'Artois, il décide de faire réparer une portion du pavé du pont d'Arvan, ainsi que les parties du parapet qui sont endommagées. Elle décide, en outre, d'élever deux arcs de triomphe l'un entre la maison de R'' Vernier et celle possédée par Louis Bouvier l'autre au-devant du grand portail de l'éveché de faire illuminer ce dernier, ainsi que toutes les maisons de la ville.

Considérant qu' « il est indispensable d'avoir à cette occasion deux serviteurs de ville il a été délibéré de se servir par provision de Jean fils de Gabriel Michel auquel on passera un salaire raisonnable pour les jours qu'il servira; et à ces fins de lui faire porter l'habillement ainsi qu'à l'autre.

Je m'arrête, faute de documents car le conseil, cette fois, ne nous a laissé aucune relation du séjour de la princesse; il n'a pas même mentionné le jour de son arrivée.

On raconte que Victor-Amédée III, voyant sa famille unie par un triple nœud (1) à la famille des Bourbons, dit aux courtisans de Versailles « Nous voilà Français au moins pour trois générations. D Une vingtaine d'années après, la Savoie était fran(1) Son fils aîné, Charles-Emmanuel avait épousé Clotilde de France, sœur de Louis XVI.


çaise, non plus seulement par sympathie ou en vertu de bonnes relations entre souverains unis par des liens de parenté, mais de fait, devenue un département du territoire de la République. Quoi que l'on doive penser du mode d'occupation, il est certain qu'une forte attraction entraînait depuis longtemps la Savoie dans l'orbite de la France.

Excursion du 12 juin à Epierre.

La Société d'Histoire et d'Archéologie avait fixé au 12 juin l'excursion qu'elle devait faire avant de prendre ses vacances, et elle avait choisi pour objectif la coquette, localité d'Epierre. La facilité d'accès de cette bourgade desservie par une gare où stoppent tous les trains la perspective d'une belle journée passée en aimable compagnie, joignant l'utile à l'agréable, les conférences érudites aux promenades à travers champs un banquet où l'archéologie déride son front sévère et s'abandonne aux effusions d'une décente gaité autant d'avantages qui valurent à l'excursion l'adhésion d'une trentaine de membres. Malgré la défection involontaire de quelques-uns d'entre eux retenus par les empêchements de la dernière heure, notre caravane se composait encore, au départ de St-Jean, de vingt-cinq excursionnistes M. le chanoine Tt'uchet, président; MM. Truchet Florimond, Arnaud, Gravier, Gravier François Perret Lucien-Camille, Buttard Paul, Richard François, Demaison, Jourdain, Rivet, Rechn, Pascal, Jorio, Vulliermet Philibert, Vulliermet -Joseph, Bonnet, Foderé, Villet, Carle, Cudet, Pachoud, Gorré et Gros. A la gare d'Epierre, où nous descendons à 8 h. 1/2, nous trouvons M. le général Borson, mem-


bre honoraire de notre Société, arrivé de Chambéry quelques instants plus tôt.

Sans tarder, nous nous acheminons vers la chapelle de la Corbière (commune de S-Pierre-de-Belleville^ où doit avoir lieu notre première station. Au bout d'une vingtaine de minutes de promenade sur une route ombragée par des noyers et embaumée par les douces effluves des champs fleuris, nous arrivons à la chapelle de l'ancien prieuré, dont M. le chanoine Truchet nous dira l'histoire. De ce point, notre vue embrasse tout le bassin des Hurtières et d'Argentine aux contours nettement accusés, limité au nord et au sud par de hautes montagnes, fermé en amont par le mont d'Epierre sur la rive gauche de l'Arc et en aval par le roc de Charbonnières sur la rive gauche. La plaine, couverte en ce moment de champs aux épis jaunissants, à travers lesquels la rivière, devenue paresseuse, déroule son cours comme un long ruban d'argent, offre un coup d'œil vraiment enchanteur. Mais ce n'est point pour jouir en dilettanti de cet agréable panorama que nous sommes venus ici. Successivement, M. le chanoine Truchet nous raconte quelques traits de l'histoire du pays que nous contemplons. M. Villet nous décrit la conformation géologique du bassin et M. le général Borson, avec sa haute compétence, nous en explique l'importance stratégique.

Ce sont d'abord quelques notes sur le Mont que nous voyons en face de nous, couverts de halliers et de vignes, s'avançant en promontoire de manière à ne laisser entre lui et la rivière que la place de la route et de la ligne du chemin de fer. Ces notes sont suivies de l'étymologie du mot Hurtières, qui désigne le plateau situé sur la rive gauche de l'Arc.

« La voie romaine que, deux fois déjà dans nos ex-


cursions nous avons eu l'occasion de signaler (1), devait, après avoir cotoyé la montagne d'Epierre, gravir le Mont et redescendre du côté d'Argentine il est plus que probable que cette échancrure a été creusée pour lui faire place, comme toutes celles qui existent partout où il n'avait pas été possible de la tracer entre la rivière et le pied de la montagne à l'Echaillon, au bas de Pontamafrey, de La Chambre et, plus loin, d'Argentine.

« Le Mont a une place dans l'histoire militaire de la Maurienne, à commencer par les exploits du légendaire Bérold ou Béral de Saxe (2). Ayant battu les Piémontais au confluent de l'Arc et de l'Isère, il les fit poursuivre, dit la Chronique de Savoie, « jusques au Pas du Mont de la Pierre, là où survenant la nuit de bonne heure pour eux, empescha les Bourguignons d'en voir la fin. » Entre temps, Bérold bâtit le fort de Charbonnières (3).

« Cependant ses ennemis estans assez advertis qu'il scavoit faire, tenoyent toujours pied au destroit du Mont de la Pierre, sans toutesfois estre si hardis de passer outre en aucune façon. Quoy voyant le prince Beral, impatient et déjà ennuyé de séjour, delibera leur aller donner la cargue, estant son fort ou chasteau parfaict et hors de dangier dont armé qu'il fut, avec ses hommes, prindrent le chemin de Maurienne, se promettans de passer à gu6 la rivière d'Arch, qui ne leur laissa faire, trop creuë et aggrandie qu'elle estoit en peu de temps, et fort profonde toutesfois, après avoir approché le Mont de la Pierre, trouvèrent sus iceluy leurs ennemis en défense, lesquels commencèrent à resister de toute puissance contre Beral (1) Travaux: de la Société. 2' série, t. 3, part., p. 23 et 206 (2) Ibid., p. 20 et 202.

(8) Congrès des Sociétés savantes savotsiennes, Aiguebelle 1894, p. 348.



et ses Bourguignons, à ce qu'il ne fust en leur pouvoir de les approcher. Ce que voyant le dit seigneur commanda hastivement de se joindre. Ce disant et estant monté à l'avantage, il coucha sa lance et picqua roidement sur ses ennemis, comme de mesme firent aussi ses gens, de telle manière qu'il ne fust possible à l'ennemi d'empescher, quelque grand effort qu'il fist, et très bon devoir que fist mesme son avantgarde de prime face, que maugré toute defense sa bataille ne fust rompue et ouverte, qui les força tout court de reculer, et plus légièrement de prendre la fuite à travers pais. Toutesfois, les Bourguignons, pour obvier à ce qu'ils ne gaignassent le pont Amafroy, les suyvirent chassans et meurtissans si cruellement, que c'estoit chose pitoyable à regarder, de manière qu'il ne s'en put guères sauver qu'ils ne fussent tous que tués, que faicts prisonniers. Et ce peu qui en eschappa, se jetta parmi les grands rochs le contremont Sainct Jean de Maurienne. »

« Le Mont fut occupé en 1598 par le baron de la Serraz (1), avant la bataille de Cuines que j'ai racontée dans notre excursion de l'année dernière (2). c Le Mont fut encore occupé par les troupes sardes en 1793, lors du retour offensif que le marquis de Cordon fit en Maurienne: elles. en furent chassées par l'artillerie que le général Herbin avait placée en face sur le plateau de St-Alban. M. Foray raconte le fait dans son mémoire sur les Hurtières (3) et nous avons dans le présent bulletin toute l'histoire de cette campagne. »

« La plaine, à l'entrée de laquelle nous faisons notre première station, d'abord assez large, se resserre (1) Bertrand de Seyssel, cornette blanche de la noblesse de Savoie et chevalier de l'Annonciade, fils de Louis de Seyssel, baron de la Serraz et d'Adriane de Briandas

(2j 2* série, t. 2,2* part., p. 184.

(3) !• série, t. 1, p. 314.


peu à peu à mesure qu'elle se rapproche du contrefort qui, à quelques kilomètres, en face du pont d'Argentine, la sépare du territoire d'Aiguebelle elle est encore en grande partie couverte de taillis et de graviers déposés par la rivière d'Arc et par les torrents qui descendent de la montagne. Celle-ci monte en pentes vêtues de bois et de cultures, coupées de plateaux où se répandent les villages des communes de St-Pierre, St-Alban et St-Georges, et couronnées par de noires forêts de sapins. Les deux dernières communes portent le nom d'Hurtières la première est communément désignée, depuis deux siècles, par le nom de son principal village, St-Pierre-de-Belleville, mais antérieurement on trouve St-Pierre-d'Hurtières. « D'où vient ce nom ? M. Foray, en son mémoire sur les Hurtières, publié dans le premier volume de notre première série, dit qu'avant le XVI* siècle on écrivait Urtières et il tire ce nom d' Urtica. Les orties, dit-il, poussèrent si abondantes sur les défrichements de la montagne et sur les emplacements ouverts pour le dépôt des minéraux et des charbons qu'elles donnèrent leur nom à toute la localité, le pays des orties. « Du Cange me fournit une étymologie qui est peut-être plus probable. En latin barbare, dit-il, on appelait hogri les brebis de deux ans celles qui étaient plus âgées étaient désignées sous le nom de hurti ou hurtardi, et les vallées ou pâturages spécialement affectés à l'élevage des brebis, sous celui à'hurteria. On pourrait donc traduire Hurtières par le pays des brebis.

« Corbière, Corberia, le pays des corbeaux, est le nom du pic le plus élevé au-dessus de Belleville, du torrent qui en descend et qui a maintes fois dévasté cette partie de la plaine des Hurtières, du premier village de la commune de St-Pierre, situé au pied de la montée, et de l'antique prieuré dont nous voyons


ici les ruines et la pauvre chapelle qui a survécu à une destruction dont la date n'est pas connue. » De l'historique du Mont, M. le chanoine Truchet passe à celui du prieuré de la Corbière, sur l'emplacement duquel nous sommes campés. « Nous avons, dit-il, la date de la construction de ces bâtiments et la charte d'établissement, ou plus tôt de rétablissement de ce prieuré, non pas la charte primitive, ni même un vidimus proprement dit, mais seulement une mauvaise copie d'un vidimus. Voici comment ce document se trouve dans les archives de l'évêché. «,En 1771, le chanoine Dominique Rogès, promoteur de l'officialité, ayant eu communication, il ne dit pas de quelle manière, d'un vidimus authentique de la charte de fondation du prieuré de la Corbière, pria Mgr. de Martiniana d'ordonner au notaire chancelier de l'évêché d'en faire une copie. C'est la pièce que j'ai retrouvée. Elle est sur papier timbré de deux sols. Mais le notaire n'était pas paléographe il a rempli sa copie d'évidentes et innombrables fautes qui, heureusement, ne tombent que sur des accessoires et ne nous empêchent pas de connaître tous les détails de la fondation et même du vidimus. « Celui-ci a été fait, après due collation, par l'official de Ghambéiy pour Mgr. Laurent Alaman, évêque de Grenoble, le 27 avril 1502, dans l'église SaintLéger, lieu, dit il, « où nous avons l'habitude de rendre la justice. »

« L'acte de donation commence ainsi

« Au nom de la Sainte Trinité. A tous les fidèles de la sainte Eglise présents et futurs je notifie que moi Nanthelme de Miolans vicomte, fils de feu Nantelme de Miolans, acquiesçant aux pieuses demandes de Richard de Termignon, prieur de la Corbière, et de ses moines. pour le remède de mon âme et de celles de mes prédécesseurs, en présence des témoins


bas nommés, je donne et cède à l'église et au prieuré de la Corbière le lieu dans lequel seront construits l'église, le réfectoire et les autres dépendances, dans les limites qui ont été placées, au lieu appelé Belle Ville, et par le présent acte j'investis de ce lieu toi Richard prieur et tes successeurs. »

Suit l'état des donations et inféodations que Nantelme de Miolans fait au prieuré. Il comprend les prés, terres, vignes, forêts, maisons et autres propriétés que le prieuré possède et qu'il pourra acquérir dans la vallée des Hurtières la montagne soit le plateau qui s'étend de la rivière d'Arc au sommet de la montagne de Belleville, avec réserve des albergements faits aux hommes du seigneur de Miolans, des amendes et da droit de justice les moulins et autres artifices situés le long du ruisseau de NantBruant et les deux rives de ce ruisseau jusqu'au sommet de la montagne de St-Georges les chavaneries et mas des Berges, de la Côte, du Plan et les hommes que la maison de la Corbière y possède les hommes et les droits qu'elle a ou acquerra dans toute la seigneurie de Miolans le droit de pâture, sans aucune redevance, pour tous les bestiaux de ses maisons dans toute la vallée des Hurtières les dîmes du blé, du vin, des légumes et des bestiaux dans toute cette vallée, soit depuis la Pouille jusqu'au sommet de la montagne de la Corbière, et dans tout le territoire de Bonvillaret jusqu'à l'Isère et aux dîmes du prieuré de Ste Hélène le droit de prendre, dans les forêts des Hurtières et de Bonvillaret le bois nécessaire pour l'affouage, la clôture des propriétés, la réparation des maisons que le prieuré y possède et la construction de nouveaux édifices enfin l'exemption de tous droits de péage, pontenage et douane dans la vallée des Hurtières, le territoire de Bonvillaret, la vallée de Miolans et le mandement


du château de Saint-Cassin. Mais il faut remarquer, par la manière dont s'exprime le seigneur de Miolans (1) que la plupart de ces concessions sont plutôt des confirmations de droits déjà possédés par le prieuré de la Corbière que des donations nouvelles. Il est dit, du reste, que le prieuré a des maisons et des granges dans les Hurtières et à Bonvillaret. Il avait donc aussi eu une église et les bâtiments nécessaires. Où étaient-ils situés et comment avaient-ils été détruits ? Nous l'ignorons.

« Voici la conclusion de l'acte. « Moi Nantelme, poussé par le grand amour que j'ai pour la maison de la Corbière, pour ses religieux et pour tout l'ordre de la Novalaise, je prends dans mes mains )e missel, je le mets sur l'autel de saint Etienne d'Aiguebelle, je place les mains dessus et, à genoux, pour moi et mes successeurs, je jure d'avoir à jamais tout ce que dessus pour ferme et inviolable. Si, ce que je ne crois pas, quelqu'un de mes parents, héritiers ou successeurs, porte atteinte à cette donation et confirmation, qu'aucune possession, prescription, clause de droit ne lui puisse servir et qu'il soit tenu à une entière réparation. En outre, je le frappe d'une amende de dix livres d'or, dont la moitié appartiendra au comte Thomas et à ses successeurs, et le reste au monastère de la Novalaise et à ses prieurs. et je le maudis et le livre aux peines de l'enfer avec tous les adversaires de Jésus-Christ. Fait à Aiguebelle dans l'église de saint Etienne, devant l'autel, témoins Thomas comte de Maurienne, Guifred de Saint-Alban chevalier, Amédée chapelain de Saint-Alband'Hurtières, André chanoine d'Aiton. »

« L'acte est écrit, par ordre du comte Thomas, par le notaire Anselme le 23 août 1198.

« La date de là fondation du prieuré de la Corbiè-

(1) Laudo et conflrmo. Laudo, confirmo, garendo atque dono.


re, dont le prieur Richard allait entreprendre la reconstruction en ce lieu, est inconnue. Mais on peut avec beaucoup de probabilité la reporter au VIII' siècle, à l'époque où le testament d'Abbon (1) mit le monastère de la Novalaise en possession des nombreux fiefs que ce puissant seigneur possédait en Maurienne, et voir la Corbière dans le Corvalicum qui y est mentionné.

«Nous ne connaissons qu'un, ou peut-être deux, des prédécesseurs de Richard de Termignon. En 1093, Aiméric prieurdelaCorbière, fut témoin del'acte par lequel Humbert II, comte de Maurienne, donna à l'abbaye de la Novalaise la terre de Bessans et confirma les donations faites au même monastère par la comtesse Adélaïde ces donations comprenaient, en Maurienne, des dîmes et les montagnes de Cléry et de Margerie sur le Montcenis. En 1127, le prieur de la Corbière se nommait aussi Aiméric l'évêque de Maurienne Conon II reconnut, cette année-là, que le prieuré, duquel dépendaient les églises de St-Léger, St-Pierre-de-Belleville et St-Alban-d'Hurtières, ap. partenait au monastère de la Novalaise. Nous avons vu qu'il en était de même en 1198.

« M. Foray (2) dit que de 1260 à 1313 le prieuré appartint aux Templiers mais il n'a pas d'autres preuves de ce fait que la tradition locale, le nom de temple sous lequel la chapelle est connue et une sorte d'écusson carré placé au bas du tableau de l'autel et chargé de sept dés rouges, ce qui, dit-il, est un des signes cabalistiques des Templiers. Ce qui est certain, c'est que le prieuré de la Corbière tomba en commende on ne sait à quelle époque. En 1502, Pierre de la Ravoire était prieur commendataire « du prieuré de St-Pierre de la Corbière de l'ordre de St-Benoît. » (1) V. Travaux de la Société, 2° série t. 1, 2* part., p. 179. (2) Travaux de ta Société, 1* série, t. 1, p. 287.


Ce fut lui qui requit de l'official de Chambéry le vidimus dont nous avons une copie.

« En 1515, le comte Louis de La Chambre, ayant fondé la collégiale de Sainte-Anne à Chamoux, lui unit le prieuré de la Corbière. Mais le torrent avait ravagé les propriétés et renversé une grande partie des bâtiments. Cependant en 1571, lors de la visite de Mgr. Pierre de Lambert, le vicaire et fermier du chapitre de Chamoux, messire Claude Domenget, déclara que les revenus s'élevaient encore à 450 florins, environ 2.000 fr. de notre monnaie en valeur commerciale. Le doyen de la collégiale de Sainte-Anne avait le titre de prieur de la Corbière et celui de seigneur de StPierre-de-Belleville qu'il portait encore au XVIII' siècle. En cette dernière qualité, il nommait le juge de sa minuscule seigneurie et faisait des règlements de police. En 1748, messire Antoine Ripert, doyen de Chamoux, prieur de la Corbière, seigneur de Belleville, défendit de détourner l'eau du ruisseau du Nant pour la conduire à un martinet. »

Quant à la chapelle, elle ne présente rien de remarquable, si ce n'est le délabrement de ses murs soutenus par des contreforts, couverts ça et là de lierre ou de pariétaires un buisson vigoureux a poussé dans l'interstice de deux pierres. La porte romane est obstruée par des alluvions déposées par l'Arc ou le torrent de Belleville. La façade sud présente quatre grandes baies, romanes aussi, aujourd'hui murées, qui devaient donner sur un cloître. Dans sa monographie de la Basse-Maurienne (1), M. Foray parle des processions que les paroisses environnantes faisaient autrefois à la chapelle de SaintSébastien de la Corbière. Notre confrère, M. l'abbé Rechu, nous dit qu'il reste quelque chose de cette ancienne dévotion le lundi de la Pentecôte il y a (1) Trav. de la Soc., 1" série, t. 1, p. 291.


grand'messe et on vient taire bénir les enfants. Avec M. Villet, ingénieur des mines, nous abordons un autre domaine, la géologie. Ce n'est plus l'histoire de l'homme, mais celle de la Terre, qui, elle aussi, a traversé bien des révolutions ou plutôt des évolutions car, dans la Nature, tout se fait par degrés et sans violence, suivant un plan conçu par une intelligence infinie. C'est bien la conclusion où aboutit la conférence suivante de notre éminent confrère

« La Société d'histoire et d'archéologie de Maurienne, ayant décidé de faire son excursion annuelle à Epierre, il nous a paru intéressant de donner quelques renseignements géologiques sur la nature des terrains qui environnent le lieu de notre réunion. « D'Aiguebelle à La Chambre, on coupe la grande chaîne granitique allant du Mont-Blanc à Grenoble. Ce massif cristallin est d'abord formé de schistes talqueux, à feuillets tourmentés, pliés, repliés et même froissés en divers sens ils deviennent gneissiques, puis granitoide autour de nous et enfin présentent une nature plus schisteuse en arrivant à La Chambre, limite du massif.

« Les matériaux constituants de l'écorce solide du globe, sont des roches dont chacune est formée par la juxtaposition d'un certain nombre d'éléments minéraux les uns sont le produit de la consolidation de la croûte primitive ou de l'épanchement, souvent répété, de matières fluides à travers les crevasses d'autres résultent des réactions exercées par les divers agents sur les matériaux de la première catégorie, et ne sont donc que des produits remaniés. « Nous avons autour de nous les variétés de roches primitives issues du grand réservoir où étaient concentrés, au début, toute la masse et toute l'énergie de



sairement des minéraux à la fois durs et réfractaires, saturés d'oxygène de manière à avoir épuisé leurs affinités chimiques, et par leur faible fusibilité, destinés à faire partie de la croûte première, tandis que leur dureté et leur résistance aux agents de décomposition devaient assurer la stabilité de l'édifice formé par leur groupement.

« Ces propriétés sont celles qui caractérisent la grande famille des silicates, dont nous avons des échantillons formidables autour de nous. Ce sont ces roches qui, les premières, ont dû flotter comme une sorte d'écume à la surface du bain en fusion les éléments constituants sont la silice (1) et l'alumine (2), deux substances éminemment dures et infusibles la première attaquable seulement par l'acide fluorhydrique la deuxième plus dure encore, aussi difficile à fondre qu'à dissoudre, en même temps que par son association avec la silice et l'eau, elle engendre l'argile (3), d'autant plus rebelle à l'action du feu qu'elle est plus pure.

« Les réunions des qualités de ces deux minéraux ne suffisent point pour donner naissance à des roches solides. Il fallait que quelque autre élément intervînt pour dissoudre ce mélange et le mettre en état de cristalliser, c'est à dire les alcalis (potasse, soude, lithine), les terres alcalines (chaux, baryte, strontiane, magnésie) et une certaine quantité de fer à divers degrés d'oxydation.

(1) Silice, ou quartz ou acide silicique, composée de silicium et d'oxygène, ayant pour densité 2.65 pouvant s'abaisser à 2.2 par la fusion sèche incolore à l'état de cristal de roche colorations diverses par la présence de certains oxydes métalliques. (2) Alumine, composée d'aluminium et d'oxygène à l'état de corinon (rubis ou saphir), elle raye tous les autres corps à l'exception du diamant Densité 4 Colorations très variées. (3j Argile, Silicate alumineux hydraté Kaolin ou argile pure, blanche, plus souvent rose et jaune la densité varie de 2.21 à 2.26.


c C'est par l'union intime de ces divers éléments que se sont formées les roches cristallines de la primitive écorce et des épanchements ultérieurs. Tandis que la silice en excès, sous l'influence de dissolvants actifs, parvenait à s'isoler en noyaux et en traînées de quartz, formant comme la trame et le squelette solide de l'assemblage, ce dernier recevait sa principale cohésion du feldspath (1) sorte de verre alcalin d'une couleur variable du blanc'au verdâtre, rougeâtre ou rosée, où la silice et l'alumine ont acquis de leur association avec la potasse et la soude, le pouvoir de cristalliser. Il était encore nécessaire de donner de l'élasticité à ce système dur et compact, c'est alors qu'ont apparu les minéraux en paillettes, flexibles, désignées sous le nom de micas (2), sous la forme de lamelles délicates, substances folliacées, divisibles en feuillets minces, élastiques, à surface brillante et de diverses colorations, blanc, gris, vert, brun, rouge, violet et noir.

« La vie organique ne pouvait exister à ce moment; aussi ces roches ne contiennent-elles point de fossiles, aucun débris de végétaux ou d'animaux. « Après ces quelques explications, nous allons donner la description rapide des terrains qui sont autour de nous.

« Commençons par celui où nous sommes, sur lequel était bâti l'ancien prieuré que vient de faire revivre notre président. Ce sol de la vallée a été formé par les alluvions modernes, c'est-à-dire que les eaux pluviales qui ruissellent le long des pentes de nos montagnes, les torrents, les avalanches de neige et les éboulements qui 'surviennent quand la base d'un (1) Feldspath Silice et alumine, avec un 3°" élément principal (potasse, soude, chaux). Densité variant de 2.55 à 2.66. (2) Mica, silice et alumine avec potasse ou lithine et acide fluorique. Densité 3.65 à 3.94.


escarpement est miné par l'érosion, forment au pied des dépôts meubles composés de matériaux divers, mélange de pierres et boue, entraînés par la rivière d'Arc, se déposent peu à peu sur le parcours la végétation s'en empare, fixant ainsi aux eaux un lit plus régulier.

« Tournons nos regards vers l'Est, nous avons d'abord le Mont (1), sa composition est formée de Micaschistes et Gneiss granulitique.

« Le Micachiste est essentiellement formé de quartz souvent lenticulaire et de mica blanc, chlorite (2), assez peu souvent biolite (ferro-magnésien), disposé en zones alternantes.

« On entend par schistes, des dépôts argileux, constitués par des silirates d'alumine hydratés, souvent mélangés de quartz et de mica, comme c'est le cas ici.

« Le gneiss est un agrégat à texture rubannée, formé des éléments constituants du granite (3). Il ne se distingue de ce dernier que par ses lamelles de mica disposées parallèlement à un même plan donnant ainsi un aspect schisteux ou rubané, et aussi en général par l'allongement des grains de quartz. Sa. composition moyenne est surtout la silice, puis viennent l'élumine et en plus petites quantités, l'oxyde ferreux, la potasse, la chaux, la soude et un peu d'eau.

« Par suite de la substitution de la chlorite au mica, on a un gneiss protogynique.

(1) Voir la petite carte annexée, indiquant les pourtours de chaque terrain.

(2) Chlorite, silicate, alumino-inagnésien hydraté. dont la couleur varie du vert clair passant au jaunâtre, au vert foncé, minéraux flexibles, très tendres, doux au toucher et feuilletés, dont la densité est 2.77,

& Granite, formé de l'agglomération de 3 minéraux, le feldspath, le mica et le quarts. Présente différentes nuances dues à la présence de petites quantités de fer ou de manganese. Densité 3.63.


« La granulite protogyne est une variété de granite à mica blanc d'argent ou muscovite (micapotassique),

« Plus à l'Est encore, les roches changent, ce sont des schistes sériciteux, amphiboliques ou chloriteux et poudingues (1).

« Les schistes à séricite, appelés autrefois Taleschistes ou Stêachistes, à l'époque où l'on prenait pour du talc, à cause de son toucher onctueux, le minéral en paillettes dont ces schistes sont constitués et qui est généralement de la séricite, c'est-àdire un mica hydraté fluorifère, verdâtre ou vert jaunâtre, sont luisants, satinés et deviennent souvent micacés (2) au voisinage des massifs granitiques leur fissilité est souvent très grande.

« L'amphibole est un silicate calcique, magnésien et ferreux, de diverses nuances, dont la densité varie de 2.90 à 3.50.

« Au Sud-Est, nous voyons le bourg d'Epierre, bâti tout entier sur un terrain de même nature que celui dont nous venons de parler, mais formé par des éboulements de montagne, des cônes de déjection des petits torrents et enfin par les moraines entraînées par les eaux.

« Le canal d'écoulement des torrents, débouchait dans la vallée, la vitesse de l'eau s'amortissait dans le bas et perdait sa faculté d'entraîner les matériaux de trop grand volume qui se déposent à la sortie de la gorge sous la forme d'un amas coniqne auquel on donne le nom de cône de déjection, il s'étend ensuite suivant les quantités de matières charriées. « Au Sud, près de nous, un beau massif de granulites, protogyne et granite talqueux, dont la roche a pour densité 2.63.

(1) Poudingue, roche lormée de fragments roulés réunis par un ciment quelconque.

(S) Argile chargée de mica.


« Le granite porphyroide est celui dans lequel de grands cristaux de feldspath tranchent sur le reste de la pâte.

« On se sert de ces pierres pour la construction des maisons. Des exploitations assez importantes ont été ouvertes en amont du pont, sur la rive gauche de l'Arc, au moment de la création de la voie ferrée du Rhône au Mont-Cenis, et, depuis on exploite quelques parties comme pierre de taille, bordures des trottoirs et pavés (15 à 20.000 fr. par année). Il y a lieu de croire que l'exécution de la double voie donnera un peu d'activité à ces carrières.

« La première chose qui aurait dû nous frapper, c'est l'état de redressement des strates, à travers les déchirures desquelles ce terrain primitif surgit pour former des cimes culminantes, commes celles que nous avons devant nous, dont les hauteurs semblent atteindre le ciel. Il semble s'imposer l'idée d'une force souterraine qui a poussé de bas en haut les couches profondes de l'écorce. Cette impulsion aurait eu sa source dans la force d'expansion des vapeurs volcaniques, et ces mêmes vapeurs, en s'introduisant dans la masse des roches soulevées, y produisaient les modifications connues sous le nom de métamorphisme.

« Thomson, en se fondant sur l'état calorifique actuel du globe, et sur la rapidité probable avec laquelle sa chaleur primitive avait dû se dissiper, est arrivé à cette conclusion, qu'on ne saurait faire remonter au-delà de cent millions d'années, le moment où notre planète, revêtue d'une écorce suffisamment froide, a pu recevoir les premiers germes de la vie organique. D'autres ont indiqué vingt-cinq millions d'années. Contentons-nous de ces résultats, comme le dit notre savant géologue M. de Lapparent, et admettons qu'il ne soit pas déraisonnable de renfermer


entre 20 et 100 millions d'années, le temps nécessaire au dépôt de tous les terrains de sédiment. « En admettant la conception de la nébuleuse primitive, il faut diviser l'histoire terrestre en 2 phases: la première, très courte, pendant laquelle le globe, détaché de la nébuleuse solaire, s'est condensé jusqu'à ce que sa surface fut recouverte d'une écorce en second lieu la phase planétaire qui se poursuit encore.

« Quant à la création organique, elle a été caractérisée à ses débuts, par le règne à peu près exclusif des végétaux dont rien ne contrariait la croissance. Vient ensuite la vie, où la sensibilité, l'instinct et la volonté se joignent en diverses proportions, aux phénomènes de pure existence, poissons, reptiles et oiseaux. Elle acquiert encore une nouvelle extension dans les mammifères qui paraissent, et enfin elle parvient au plus haut degré dans l'homme qui termine l'œuvre du Créateur, en recevant une âme à son image, pour le distinguer de tous les animaux. « Les débris organiques de l'homme ne se sont jusqu'ici montrés dans aucune des couches qui ont été soulevées du sein des eaux, et qui font aujourd'hui partie de nos continents il s'ensuit qu'il n'a paru sur le globe que longtemps après les animaux les plus modernes dont nous trouvons les ossements fossiles. L'homme ne peut dater que d'une époque relativement très récente, qui parait se placer géologiquement après le soulèvement des Alpes principales, dont en conséquence, l'évènement remonterait au moins à 6863 ans, suivant les chronologies généralement admises.

« Au moment où l'extinction de l'astre central sera consommée, nulle réaction physiologique ne pourra plus s'accomplir sur notre terre, alors réduite à la température de l'espace et à la seule lumière des


étoiles mais, peut-être, avant d'en arriver là, aurat-elle perdu ses océans et son atmosphère, absorbés par les pores et fissures d'une écorce qui doit s'accroître chaque'jour. »

Nous nous disposions à reprendre le chemin d'Epierre lorsque M. le général Borson nous demanda la permission de dire quelques mots ayant trait à ce qu'il appelle modestement son métier et nous improvisa une courte conférence sur l'importance stratégique du bassin d'Argentine et des Hurtières. Nous allons la résumer aussi exactement que le permet la fidélité de notre mémoire. La frontière des Alpes, dit-il, présente trois lignes de défense successives les hautes vallées, l'Isère et le Rhône. Supposé que l'ennemi pénètre en Maurienne et arrive jusqu'à Epierre, il serait certainement arrêté dans sa marche par une armée qui occuperait les positions d'Argentine et des Hurtières. A gauche, le défilé d'Argentine peut être appelé les Thermopyles de la Maurienne la position de Montsapey est absolument inattaquable. Le centre, à Charbonnières, offrirait une vigoureuse résistance. La droite, il est vrai, pourrait être tournée par des troupes venant de la vallée de la Rochette. Mais elle est couverte par sept batteries qui défendent les cols du Grand et du Petit Cucheron, et plus en arrière par les forts de Montgilbert. En 1793, le général Ledoyen, forcé de se replier devant les forces bien supérieures du marquis de Cordon qui avait fait un retour offensif en Maurienne, se retrancha fortement à Argentine et donna le temps d'arriver aux renforts envoyés par Kellerman. Le 11 septembre, il prend l'offensive à son tour, et, après un premier combat autour de l'église d'Argentine, force l'ennemi à reculer à Epierre, d'où il est bientôt délogé. Le passé est un garant de l'avenir, et la Maurienne n'a pas à craindre une invasion. Cette conclu-


sion réconfortante est soulignée par de chaleureux applaudissements qui montrent que, si la Maurienne peut compter sur l'armée, celle-ci à son tour peut compter sur le patriotisme des habitants. Ceux qui désirent de plus amples renseignements sur cette question liront avec intérêt le petit volume publié en 1870 par M. le général Borson, sous ce titre La frontière du Sud-Est.

Après le prieuré de la Corbière, nous avions à visiter le château d'Epierre. Nous y arrivons à 10 heures 45. Près de la porte d'entrée, à l'ombre d'un platane touffu, nous écoutons une conférence de M. le chanoine Truchet, qui prête un langage aux ruines majestueuses du vieux castel et évoque la mémoire de ceux qui l'ont habité. Rien de plus suggestif que cette leçon d'histoire en face des vestiges du passé, qui ont aussi leur éloquence. Notre président s'exprime ainsi

« Les renseignements historiques que j'ai pu recueillir sur le château d'Epierre ne remontent pas audelà du XVe siècle. Ils ne nous apprennent rien ni sur sa construction déjà, nous l'avons vu dans l'examen de ces grandes ruines, bien ancienne, ni sur les modifications, additions et reconstructions qui y ont été faites, ni sur son état intérieur aux diverses époques, ni sur sa destruction. Les notes que notre confrère M. le comte de Seyssel a bien voulu ajouter aux miennes et qu'il a tirées, les unes des archives de la Chambre des Comptes de Turin, les autres de celles de son château de Musin près Belley, n'éclairent aucun de ces points. Nous avons seulement la série des familles nobles qui ont possédé ce château. « Au commencement du XV* siècle, et sans doute depuis longtemps déjà, il appartenait aux seigneurs de La Chambre. Le 13 juillet 1419, Urbain de La Chambre en recevait l'investiture du comte de Sa-



voie, ainsi que du fief qui en dépendait la charte est aux archives de la Chambre des Comptes. «En 1454, en vertu du testament de Gaspard de La Chambre, qui n'avait pas de postérité, il passa, avec tout son héritage, à Aimon de Seyssel, fils de Jean de Seyssel, maréchal de Savoie, et de Marguerite de La Chambre, sœur de Gaspard. Il en reçut une nouvelle investiture le 2 avril 1465. Louis, son fils, dont M. le comte de Seyssel nous a lu l'histoire agitée dans notre séance du 5 mars dernier, en fit hommage le 20 décembre 1478, le 12 mars 1484, le 4 décembre 1497 et le 11 octobre 1504, ainsi que de ses autres châteaux, maisons fortps et fiefs dans toute la Maurienne.

« Jean de La Chambre, fils de Louis et d'Anne de la Tour Boulogne en reçut l'investiture le 18 juillet 1517 et dans un acte de l'année 1543 il prend le titre de seigneur d'Epierre.

« René, fils de Jean et de Barbe d'Amboise, le porta de cette année 1543 à 1552. Il mourut aux armées en Piémont et, par son testament daté de Verceil le 7 mai 1552, il partagea ses biens entre ses frères Jean, Charles, Sébastien et Louis. Jean eut Epierre, dont il reçut l'investiture le 15 mars 1566 du duc Emmanuel Philibert c'est en sa faveur que le roi de France Henri II, qui occupait la Savoie, conféra en 1553 le titre de marquisat à la seigneurie de La Chambre, érigée en comté en 1456 par le duc Louis.

« Par acte du 14 novembre 1576 François et Jean Brunet (1) achetèrent, tant de Son Altesse Royale que de Jean marquis de La Chambre, pour le prix de 34.000 florins et 400 florins d'épingles, la seigneurie d'Epierre et la rente du Villaret. L'acte d'inféodation, qui est du 29 du même mois, leur associe Louis (1) Ces nobles Brunet ne figurent pas dans l'Armorial et Nobiliatrè de Savoie.


de la Rochette (1). Jean de La Chambre avait fait des dettes considérables car il fut contraint de vendre aux mêmes nobles Brunet, pour la somme de 12.000 écus, même le marquisat de La Chambre. Il avait épousé Aimée de la Baume.

« Jean-Louis leur fils releva sa fortune par son mariage avec Claude de Saula-Tavanes. Le contrat de mariage est du 21 janvier 1588 il stipule que la future épouse s'engage à payer divers créanciers de son mari et à racheter notamment le marquisat de La Chambre, la seigneurie de Saint-Rémy et la baronnie d'Epierre (2). Ce dernier rachat ne put pas être exécuté, car, d'après un document des archives de M. le comte d'Arves dont j'ai eu communication, la baronnie d'Epierre passa de Jean Brunet à Jeanne-Louise, sa fille et unique héritière. Celle-ci épousa Jean de Livron, dont elle eut un fils nommé Louis, et en secondes noces Gabriel de la Villiane, dont elle eut deux fils, Gaspard et Claude. De Claude il n'est plus question dans mes notes (3). « Louis de Livron sieur de Bordeaux était vivant en 1613. Dans le cadastre d'Epierre de 1653 sont mentionnées diverses propriétés situées au Mont et ailleurs, « provenues à Claude Salomon de noble Louis de Livron (4). »

« Gaspard de la Villiane hérita du château et du titre de seigneur ou baron d'Epierre. Dans le cadastre précité on trouve inscrit un pré au Verdier dessus l'église «jouxte le clos du seigneur de la Villiane », un pré et helmes à la Croix des Rameaux t jouxte le clos du sieur baron de la Villiane », un curtil au (1) Notes extraites en 1829 d'un manuscrit trouvé aux Chavannes près La Chambre. Archives de la Chambre des Comptes. (3) Archives de Musin.

(3) Notes ci-dessus.

(4) L'Armorial ne donne pas les noms du père et de la mère de Louis de Livron,


village de l'église (l'ancienne église) jouxte le curtil du sieur de la Villiane », une terre appartenant à la commune, « au-devant le ruisseau et les édifices des fourges. dessoubs les martinets du sieur de la Villiane. »

« Le ruisseau avait donc son lit au milieu du village où se trouvent l'ancienne église et le château. On y voit encore des restes de ces forges et martinets. Je ne sais si ce sont ceux dont il est question dans un acte du 18 octobre 1643, M' Antoine Bellet, notaire (1). Gaspard de la Villiane seigneur d'Epierre « alberge à messire Benoict Perrin, prebstre curé du dict Aypierre, le cours d'eau qui tombe par le milieu du village de l'esglise du dict Aypierre tombant au clou (clos) du dict seigneur albergateur, à prendre le dict cours d'eau despuis le chemin traversant dessoubs la maison d'honneste Roche Rufinion. jusques au dict clou. Et ce a faict le dict messire Perrin pour pouvoir bastir et construire une fourge et souffleure pour fère de marchandise et pour pouvoir fère rouer et tremper comme bon luy semblera. » Le prix de l'albergement est de 35 florins d'introge et deux quarts de servis annuel.

« Le 17 janvier 1648, Gaspard de la Villiane est témoin à un mariage dans l'église d'Epierre. Les registres incomplets de l'évêché ne m'ont pas donné la date de sa mort, mais la sépulture de Paule Lanfrey, sa veuve, est inscrite au 20 octobre 1658.

« La seigneurie et le château d'Epierre avaient déjà, paraît-il, passé à Pierre de Tignac qui avait épousé, en 1630, Antoinette, fille de noble Etienne Brunet (2), et était mort le 25 août de cette même année 1658, n'ayant eu que des filles. Melchiote, qui fut son héritière, avait épousé Gaspard de Verdon, (1) Titre communiqué par feu M. Placide Bochet, curé d'Epierre. (2) Armoriai. art. Brunet.


écuyer, seigneur de Chablais et de la Corbière elle prit le titre de baronne du Bois et d'Epierre. Les deux époux vendirent la seigneurie d'Epierre et la rente du Villaret à noble Emmanuel de Ville, conseiller de S. A. R. et sénateur au souverain sénat de Savoie, pour le prix de 34.000 florins et 400 florins d'épingles. L'acte fut reçu par le notaire Descures (1). Je n'en connais pas la date, mais de Ville fut nommé sénâteur le 9 novembre 1660 il prend encore le titre de baron d'Epierre dans des actes de l'année 1683. A cette date, le château ne lui appartenait plus. « Par contrat de vente, disent les notes que j'ai déjà citées plusieurs fois, passé par le dit seigneur sénateur de Ville en faveur des syndic, conseillers et communiers d'Epierre, le 6 septembre 1676, reçu par le même notaire Descures, le dit seigneur sénateur a vendu aux dicts syndics, conseillers et communiers, manants et habitants d'Epierre tous les droits qu'il avait sur le château, rentes féodales, plaids, rural, albergements, bois et autres choses rière le dict Epierre et la Choudane, propriétés, noms et actions, sauf le titre et droits de seigneur et baron d'Epierre, et le droit de mettre les officiers de justice tant seulement, pour le prix de 27.000 florins monnaie de Savoie. »

« Si j'avais pu retrouver cet acte et celui par lequel la commune se débarrassa de son acquisition plus encombrante qu'utile pour elle, nous aurions peutêtre des renseignements sur l'époque et les causes de la destruction du vieux castel. Mais toutes mes recherches ont été infructueuses. En attendant des informations précises, il est permis de penser que, déjà bien endommagé en 1676, de plus en plus négligé par ses nouveaux propriétaires bourgeois, pour lesquels il était une charge trop lourde, il vit ses toitures, ses (1) Notes ci-dessus.


planchers, ses voûtes s'effondrer et que depuis longtemps, comme l'assure du reste la tradition locale, ces hautes murailles se dressent seules, comme un squelette incorruptible, témoin inébranlable des vieux âges, de la vieille société et des vieilles familles disparues. »

Le château se compose de deux bâtiments, séparés par une vaste cour rectangulaire. On n'aperçoit aucuns vestiges de tours, ni à l'entour aucune trace de fossés. C'était donc, au moins depuis l'époque où il reçut sa forme actuelle, une maison-forte plutôt qu'un château proprement dit.

Le premier bâtiment, encore couvert en partie, a dû contenir le logement de la domesticité, les granges et écuries, etc. Les murs qui longent le chemin public ne datent manifestement que des derniers siècles. Mais celui qui regarde la cour présente une petite fenêtre carrée, en tuf, que je crois antérieure au XIV° siècle, et des rangées d'optis spicatum qui rappellent le XII*.

Cet appareil se voit aussi dans les murs crénelés qui encadrent la cour et dont une partie, ainsi que les créneaux, appartiennent à une reconstruction d'une date relativement récente.

Le second corps de bâtiment était le plus important, et comme destination et comme construction c'était l'habitation du seigneur. Un corridor le coupait en deux, dans le sens de la longueur, à chaque étage. Mais il n'y a plus ni toiture, ni planchers, ni voûtes, sauf celle d'une cave, et il n'est pas possible de se rendre compte de la disposition intérieure des appartements. Au dessus de la porte d'entrée du rezde-chaussées, le corridor du premier étage était éclairé, aux deux bouts, par une fenêtre ogivale, en tuf, dont les rayons et le meneau à colonnette et chapiteau indique le XIV' siècle. La fenêtre du côté de la


cour est la mieux conservée et là aussi on voit dans la muraille quelques restes d'appareil à épi. Les murs de derrière présentent, à la construction primitive, de larges brèches réparées, comme nous l'avons déjà constaté ailleurs, à une époque moderne.

En résumé, de ce méli-mélo de constructions et de morceaux disparates, juxtaposés, entremêlés il est permis de conjecturer: une construction primitive vers le XII' siècle et une reconstruction presque complète au XIVe une seconde reconstruction partielle au XV? ou au XVII* siècle.

Nous pénétrons dans l'intérieur du château dont un guide bien renseigné vient de nous donner l'histoire et la description nous en inspectons toutes les parties, en devisant des usages domestiques de la vie féodale, regrettant qu'il n'y ait plus ni châtelain ni châtelaine pour nous faire les honneurs de la maison. Dans la vaste cour aux fiers créneaux, décor merveilleusement approprié, M. J. Vulliermet photographie la Société. Il prend aussi la façade sud du château, la plus imposante et la mieux conservée, et la reproduction de son cliché que le lecteur trouve encartée ici lui donnera, mieux qu'aucune description, une idée de l'état actuel du château d'Epierre.

La partie archéologique du programme est remplie. C'est 11 h. 1/2. Nous nous dirigeons vers l'Hôtel de la Gare, dont le cordon bleu, aussi scrupuleux que le célèbre Vatel sur le point d'honneur culinaire, nous a priés de ne pas laisser son dîner en souffrance. C'eût été vraiment dommage. Le menu exquis et plantureux qui nous attendait fait honneur au bon goût de nos commissaires, MM. Arnaud et Bonnet, non moins qu'au confortable de l'hôtel tenu par M. Pierre Espinasse. Ce qui valait encore mieux, c'est la franche cordialité de ces agapes archéologiques, c'est l'entrain d'une conversation animée allant cres-


cendo jusqu'au moment où éclate l'éloquence des toasts. Notre président, qui était en veine (quand ne l'est-il pas ?), porte, en termes délicats et spirituels, la santé du général Borson qui nous a apporté les sympathies de l'Académie de Savoie dont il était naguère président et qui manie la plume aussi bien que l'épée puis celle de nos confrères que des affaires urgentes ont empêchés de prendre part à notre fête. Le général Borson boit à la santé de M. le chanoine Truchet, qui s'acquitte si bien de son rôle de président, qui est de communiquer à tous les membres le zèle et l'enthousiasme dont il est lui-même animé; il boit à la Société d'Archéologie et loue l'harmonie qui règne entre tous les membres, prêtres et laïques, unis dans un commun amour de la science et de la patrie il boit à la Maurienne, qu'il connaît depuis le temps, déjà bien lointain, où, jeune officier, il se rendait en Piémont ou revenait en Savoie, sur ces vieilles dilligences qui ne voyageaient pas summa diligentia il salue en M. Truchet Florimond une des illustrations de la Maurienne, dont les études sur la vigne et l'élevage sont connues au dehors des frontières de notre arrondissement il salue en M. Gravier, maire de Modane, le doyen du Conseil général, un administrateur dont l'amabilité et les services sont hautement appréciés par les nombreux officiers qui exécutent des manœuvres dans la Haute-Maurienne. Ce toast excite des bravos et des cris de Vive l'armée M. Truchet Florimond, maire de St-Jean, lui répond au nom des conseillers généraux et des maires de la Maurienne et M. le chanoine Demaison, curé de Modane, qui avait eu le plaisir de donner l'hospitalité pendant les grandes manœuvres au fils de M. le général Borson, capitaine au 97' d'infanterie de ligne, répond au nom du clergé mauriennais, dont le général avait loué les qualités solides, la


science, le zèle et le patriotisme.

On met fin à ces assauts d'éloquence en venant nous avertir que le café est servi au jardin. Là, sous des berceaux de feuillage, parmi les joyeux propos et les souvenirs d'antan, on ne s'aperçoit pas de la marche rapide des heures. On nous annonce le train de 5 h. 45. Volontiers, nous eussions dit avec le poete « 0 temps, suspends ton vol. » Pourquoi les belles journées sont-elles si fugitives?

DOCUMENTS I

Bulle de Conrad-le-Salique

donnant à l'église de Turin les biens de l'église de Maurienne. 1038 (1).

In nomine sanctae et individuae Trinitatis. Conradus Dei miseramine Imperator, sanctarum ecclesiarum jura et res disponere et ordinare intendimus, divina nobis Majestate atque Clementia conciliari aliquantisper autumamus, et regni statum augmentare ac dirigereveraciter existimamus. Proinde omnibus praesentibus pariterve futuris ad sanctae Dei gremium Ecclesiae militantibus, in nostra quoque potestate degentibus innostescat, quod petitione atque precamine Odoldrici Brixianae civitatis episcopi, omnes res et proprietates, praedia, servitia et (1) V. séance du 8 janvier 1900.


ancillas, mobile et immobile confirmamus et per hujus significationispraeceptum roboramus sanctae Taurinensi ecclesiae ubi maxilla sancti et praecursoris Baptistœ colitur, atque aliorum sanctorum martyrum vel confessorum, Secundi scilicet, Solutoris, Eventoris et Octavii confessornm, Martiniani, Juliani atque Bisutii, unde videtur Vido episcopus esse pastor, res videlicet illas quas pro animae nostrae remedio eidem ecclesiae contulimus, in perpetuam proprietatem donamus, episcopatum scilicet Maurianensis civitatis, domos cum omnibus aedificiis suis, curtem videlicet sancti Andree cum castro et districto, curtem de Signeriis cum castro et districto, curtem de Albuzo cum castro et districto, curtem de Monte Rotundo cum castro et districto, curtem de Arvaco, de Camuseta, de Villaramberto, de Malevardato, de Cuyna, de Argentina, de Arpino, de Valloyria, de Confluentia, de Matono, de Armiramo, de Ulgina, de Thonono, simul cum monasterio sanctœ Dei Genitricis Virginis Marias, curtem de Vergneo,de sancto Juliano, de Granduno, sancti Remigii, de Monte Aymons, de Villagondrani, de Reculafollo inter aquas de Mardarello, Villariolo mediano, Castelucio, Villarico, Sapeto, Valleputa, Bezo, Arena, Lanciono, Transias, de Chignino cum castro, capella et districto, decimas quoque ipsius episcopatus, necnon ecclesias eidem episcopatui pertinentes, montes vero et valles, aquas, molendinae, piscationes, foresta, sylvas, pascua, buscalia omnia in integrum, quidquid videtur esse de appenditiis supradictae civitatis Moriennas donamus, concedimus atque delegamus jamdictaa ecclesiae sancti Joannis Baptistae Taurinensis sedis, omnia ut dictum est per imperialem paginam confirmamus huic nostro fideli Vidoni episcopo pro remedio animae nostrae nostrorumque successorum, et pro petione a supradicto Odolrico nostro consiliario


Brixiano antistite, eo vero ordine ut omni tempore in perpetuo maneat firmum et stabile pro investitura supradicta civitatis Maurianensis ad Vidonem prsesulem et successores suos sic facta recipientes. Igitur firmiter stabiliterque juberaus ut amodo nemo archiepiscopus, episcopus, abbas, dux, marchio, consul, proconsul, nullaque regni nostri maxima minimaque persona praetaxatim (sic) sancti Joannis Baptistae Taurinensis sedis episcoporum de praescriptis rebus et tam in urbibns quam in vicis et castris, domibus quocumque modo fabricatis, familiis utriusque sexus quae superius recitantur, deinvestire, inquietare, molestare, causare, perturbar epraesumat. Si quis prœterea hoc nostrse auctoritatis prseceptuin et tutelœ et defensionis infringere et annullare praesumpserit, auri optimi libras decem millia persoluturum animadvertat, medietatem Gamerae nostrae et medietatem episcopo seu successoribus suis, et sicut superius jubetur inconvulsum permaneat. Ut autem huic paginse significationis nostrœ propensius fides adhibeatur manu propria roborantes, signo imaginis nostrae et nominis decrevimus insignari. Signum Domini Conradi Imperatoris invictissimi. Cadelous cancellarius vice domini Hermanni archicancellarii recognovit. Datum 18 calend. aprilis anno Dominicae Incarnationis 1038 indictione 6* anno autem Conradi regnantis 14 imperatoris 12. Actum Colonise féliciter.


Donation à la cathédrale de St-Jean

par le comte Humbert I" et l'évêque Théobald. 1046(1).

In nomine sanctœ et individuaeTrinitatis. Notum sit omnibus hominibus quod ego Humbertus cornes et Theobaldus épiscopus Mauriannensis pro remedio animae nostrae et parentum nostrorum donamus omnes possessiones et justitias et injustitias quas habemus in illis possessionibus in canonica beati Johannis Baptistae quas sunt sitae in episcopatu Maurianensi in villis istis in Valle Maura et in primo Villario et in secundo et in monte Rione et in Cuina et in villa sancti Remigii cum omnibus appenditiisejus et in Agrivolea et in Castellario et in monte Reinerio hoc est cum domibus sedificiis cultis et incultis vineis sylvis campis pratis fontibus rivulis quae transfundimus ad locum cujus est vocabulum sancti Johannis Baptistae ego dominicaturam episcopus vero senatoriam sicut possidemus et episcopus donat ibi omnesecclesias qnaslaicitenent vel unquam tenebunt in suo episcopatu vel per hereditatem aliquas amplius sibi quaerere videbuntur ea ratione si noluerint ecclesias reddere canonici interdicant illas et etiam altaria sternant ea ratione ut canonici loci ipsius quaecumque supra scripsimus ex integro perpetualiter teneant et possideant. Si quis homo seu aliqua (1) V. séance du 2 avril 1900.

DOCUMENTS 2


persona contra hanc donationem quam spontanea voluntate fecimus aliquid agere voluerit non valeat vindicare quod repetit sed sit anathema cum Juda traditore. Signum Aimonis nepotis ejus. Signum Joannis. Signum Berilionis. Signum Odonis. Actum est regnante Enrico imperatore III. VIII. XVIII Kalend. junii luna III.

Donation d'Humbert I" à la cathédrale.

In nomine Domini Jesu Christi Amen. Ego Umbertus cornes pro remedio animae mese facio canonicis sanctae Mariae et sancti Johannis Baptistae in villis quae sunt sitae in episcopatu Mauriannensi in villis nuncupatis Cuina Ascalones et ad Grivoletas et in monte Reinerio dono necnon omnia quse Theuthbaldus episcopus per meam donationem tenere videbatur hoc est in domibus aedificiis cultis et incultis vineis sylvis campis pratis fontibus. Ista omnia concedo atque transfundo ad locum cui vocabulum est sancti Johannis Baptistae et ad clerum qui ibidem servire videtur ea ratione ut canonici loci ipsius quandiu vixero unam medietatem teneant et possideant et post meum discessum omnia quae supra scripsimus ex integro perpetualiter teneant et possideant. Si quis vero clericorumvellaicorum fuerit seu aliqua persona quae contra hanc donationem quam spontanea voluntate feci aliquam calumniam inferre voluerit, non valeat vindicare quod repetit sed sit anathema cum Juda traditore et diabolo et angelis ejus. Signum Aimonis nepotis ejus. Signum Johannis. Signum Berilionis. Signum Odonis.


Supplique de Montvernier, Le Châtel, Hermillon et Montpascal au sujet d'un prêt imposé par le duc Philibert II. 1501 (1).

Illustrissime princeps, humiliter exponitur et narratur parte pauperum hominum et communitatum Montis Varnerii Beate Marie Castri Hermillionis et Montis Pasqualis patrie vestrae Maurianne verum esse sicut egregius Johannes Nigri oommissarius Illustrissime Dominationis Vestre eosdem exponentes tam conjunctim quam divisim hiis diebus nuper effluxis citavit assignavit penis multavit et in eos declaravit ad comparendum Chamberiaci facturos solutionem pro singulo foco dictarum communitatum quatuor grossorum ad causam prestiti et mutui Vestre pretacte Illustrissime Dominationi fiendi et per eamdem stabiliti divitibus et mercatoribus. Et quia Princeps Illustrissime hii exponentes sunt adeo pauperes ut vix habeant unde vivere possint ob loci sterilitatem et non credentes procedere de mente Vestre Illustrissime Dominationis se ad causam hujusmodi mutui molestari supplicant eapropter humillime ipsi exponentes tam conjunctim quam divisin illi commissario et quibus expedierit inhiberi penaliter ne pro premissis eos molestare habeant et provideri veluti dicte Illustrissime Domininationi Vestre placuerit quamconservet Altissimus (1) V. séance du 5 novembre 1900. Ir

DOCUMENTS 3


feliciter et longeve.

Ordonnance du duc dispensant de ce prêt J501. Philibertus dux Sabandie etc. Dilectis universis et singulis nostris officiariis mediatis et immediatis ad quos presentes pervenerint seu ipsorum locatenentibus servientibusque generalibus salutem. Visa subannexa supplicatione cujus considerato tenore bonis moti respectibus vobis igitur et vestrum cuilibet in solidum precipimus committimus et mandamus sub pena centum librarum fortium pro quolibet quathenus supplicate parti et ceteris quibus éxpedierit nostri parte inhibeatis et quibus harum serie sub pena quinquaginta marcharum argenti pro singulo inhibemus ne supplicantes alterumve ipsorum conjuiictimvel divisim supplicatorum ac ex eis dependentium pretextu eciam occasione penarum eisdem impositarum et forsan incursarum in personis vel bonis citare assignare arrestare convenire capere detinere aut alias quomodocumque molestare habeant audeant vel presumant in quantum quilibet ipsorum dictam penam incurrere formidat. Quibuscumque oppositionibus excusationibus licteris mandatis et aliis contrariantibus non obstantibus. Datum Gebenne die quatuordecima mensis decembris anno Domini millesimo quingentesimo primo.

Per dominum presentibus dominis illustri Rey bastardo Sabaudie comite de Villariis locumtenente generali ac illustri Francisco de Lucemburgo vicecomite Marthini D. barone Virieci Johanne de Challes Anthonio de Gingino domino Dyvone présidente Augo de Provanis presidente patrimoniali Francisco Provana Amedeo de Salles magistro hospitii Noyelli thesaurario finan. Sabaudie ge'nerali.


Au dos. Ordre de mise à exécution.

Nos Petrus de Castromartini ducalis secretarius locumtenens in Maurianna spectabilis et generosi viri domini Glaudii Bernardi judicis ojusdem. Serie presentium notum facimus universis quod hodie subscripta lictere dominicales ab alia parte descripte fuerunt parte supplicantis partis inibi nominate nobis in judicio et in presentia honestorum virorum Petri de Campis mistralis egregii Francisci Gavens curialis Pontisamaffredi et Petri Bordonis servientis generalis exhibite et legi petite atque exequutioni demandate. Quibus visis et debito honore receptis et in quorum supra presentia perlectis eisdem quantum nostro incombit officio obtulimus obedire mandatis prout tenemur et in*quarum exequutione supra nominatis officiariis quantum quemlibet concernit et concernere potest inhibuimus et alias egimus et fecimus prout in eisdem licteris mandatur et sub pena inibi contenta. Has nostras in premissorum testimonium supplicanti parti poscenti decernentes testimoniales licteras. Datas Cuyne die vigesima mensis decembris anno Domini millesimo quingentesimo primo. Per dictum dominum locumtenentem. Trucheti. Seconde ordonnance sur le même sujet. 1502. Philibertus dux Sabaudie etc. Dilectis universis et singulis officiariis nostris mediatis et immediatis ad quos spectabit et presentes pervenerint sive ipsorum locatenentibus servientibusque generalibus salutem. Visis supplicatione et licteris nostris subannexis et consideratis contentis in eis. Vobis et vestrum cuilibet in solidum precipimus et mandamus sub pena centum librarum fortium pro singulo qua-


tenus licteris ipsis subannexis juxta ipsarum formam mentem tenorem et continentiam supplicantibus inibi nominatis teneatis actendatis et observetis. Nec in eas quomodolibet opponatis vel contraveniatis in quantum dictam penam incurrere formidatis. Quibuscumque oppositionibus exceptionibus licteris et aliis contrariantibus non obstantibus. Datum Gebenne die quinta mensis martii millesimo quingentesimo secundo.

DOCUMENTS 4

Chansons patoises (1)

DEUY VIEUY AMOEREUY

Qui vout oui ena tchanson

Noveletta? Vo la diron,

Faita de doué vieille personne

Qu'aviant'invia de se maria

Son railde come doué collone

Ou faran mieuy de se placa.

Ou s'sont promey de s'épousa

Un jort in median la routià

Oun avet la fiévra cartana

Et l'atro ne povet pas alla

Ou se sont abochés corne due ranne Dio du Chel n'en prendra petià.

(1) V. séance du 5 novembre 1900.


Grosset a fait fare un repas

Pe povey mieuy interina

L'assimbla de cinq a ché preire

011 desont teny sa raison

Un desait que cin ne se pové pas fare L'otro desait quére pro bon.

L'inquera de Lanlebor

Dit qu'ou n'in vindran pas a beut

Ou ne conni pas cora Oudrinaz

Que n'in sa bin son quolibet

Quand on pou vivre à la cantena

On ne vout point de lassel bêt.

L'inquera de Lanslevillart

Ne fesait que risola

De vey celles due personne

Qu'aviant'invia de se marià

Ou dit qu'ou na pas cora vio din se lecteure Eun'assimbla de follerà.

L'inquera de Bonnaval

Dit qu'é mieuy d'y placa

Ou dit que cen n'é pas faisablo

D'épousa cello deuy grobons

Que ne pouvon pas sorti de l'établo Qu'ou naissan deuy ou trey batons. Monsu Culet lo pratichin

Volet avey l'émolumin

Mais a lui ou ne se sont pas fià

Ayan pour qu'ou lour joyet un tor

Ou n'in son alla queri un atro

Monsu Djoursin de Lanlebor.

Quand Monsu Djoursin fut venu

Ou s'é trova tot confu

Ah par me de n'i ouso pas fare

De n'i ouso pas betta la man


Hélas de vos prio de grace Moda quéra voutron chatellan Qui qu'a composa la tchanson E Dioset Tracq et Muri Riond In allan vey lour marjoletta Eun'heura avant l'embruni. Volievo savey la pucella ? 2 E la veuva du pare Henri

NOEL. PARCOURS DES

COMMUNES

Diou vinto Pietro si matin

Vinto ja d'ourla ton beguin

Ara à la nuet lo tim qui fait

Faut avey la mechinse

Pe frecachè ton pou de fait

T'y prindre tan d'avinse.

De veno de vey pertiavat

Outra chousa que lo terrat

Chou que no menace du det Que fait creitre le seiles

Traluit lé bas desot an têt

Bien mieuy que de zéteiles.

D'ai vito arrapa l'agnel

Lo plus bio de to mon tropel Avoé mon chapio cascaret

Que né paret de pailli

D'ai -véria la traclia u befet

D'ai prei mos éclos et dailli Lo chantro d'Hermeillon d'abord Ont décampa devant jor

Avoé lo fifro et lo violon

Son intra din l'établo


Ont fait alla lo faux bordon

Etiéve tot a fait bravo

Lo Pontins los ont vio passa Su los borriquos sont monta Qu'aiévan la créta drecha

Lo trou du cul in bourra

Et n'épena dernier la coua

Ou corrivan comin l'ourra.

Son los mégnats de Montverney Que se creiévan d'être los premiers Mais la bourrasca du Chachiel Tota pigna malproipro

L'ion appillia chacun un pinsènn L'ion devancha los atros.

I falet vey lo Velarin

Que bordavant pe la Cliément Ou liéron sorti de lour nid

U son de la fanfare

Semblavan un vol de pedrix

Que corrivan après lour mare Los Jarriens pe se rejoi

Ont fait fourça de farci

Et ou los ont si bien garni

De bon safran avoé de dattes Que la Tourna a prey la jauni la fallu lava le benate.

Lo Fanquevertins et lo d'Charvin Avoé lours faques pleines de reprin Ou si sont asse rindus

Pe célébra la féta

Ou n'in preniévan a pegnié

Pe se poudra la téta.


Euna fellie de Vlarimber

Avoé de lassel plein un pair Quand lia volu camba Bonrion La planche qu'ère étreita

La verià tota de son long

La poura fellie é cheita

Lo fallotins d'Arbié lo Vieuy Creièvan fare pe lo mieuy

Lour fenne avian bonna mena Simblavan dray de Iraqueires La pourta s'é trova cliousa Pe celles gourges neires

Los abitans de Vlagondran Que se creyant n'in fare autant Se son leva de bon matin Avoé los anos plin de frita Ont versa din na capita

Sont lo megnats de Morehel Avoé lours anos chargés de boêt Sont venu tant qu'a la planche Avoé lour crués bottes

N'ont pas pu camba cévé

Ont caca din lour quelottes Sont los mégnats de Montdenin Que voulon fare valé lour bresin L'ion passa bas pe le roches Avoé lour menes fregées

Quand l'ont éta din la cabota Ou té que nos allin béire ? Son venus lo Saindelenins Avoé de vin din lo tepins

Qui venivan chantant


Dansant fesant vey lour jambes lestes Quand l'ion éta u Plans

L'ion golaya la resta.


Tableau des membres de la Société V Bureau de la Société VIII Nécrologie Id. Sociétés correspondantes IX Compte-rendu desséances.novembre 1899-décembre 1900 1 Maisons de la ville de St-Jean incendiées par les soldats de Lesdiguières en 1597 2 Les Amalfred 3 M. le comte A. de Fora? 5 M.deJussieu 9 M. Pierre-Joseph Guille. 11 Histoire de la famille de Seyssel. 12 L'atelier monétaire d'Aiguebelle 13 Origine de la Maison de Savoie, d'après un auteur italien 20 Un emprunt du comte Philibert II le Beau 22 Deux chansons patoises. Notes 23 M. F. Buttard 27 Seigneurie de Bessans et Lanslevillard. Affranchissement. 29 MÉMOIRES:

Les deux royaumes de Bourgogne. L'empereur Conrad-le-Salique. La ville et le diocèse de St-Jean-deMaurienne 33 Origine de la souveraineté temporelle des évêques de Maurienne 53 Les amblevins dans les vignobles de St-Julien 66 Etablissement d'une manufacture pour occuper les pauvres à St-Jean-de-Maurienne (i768-1789) 84 Campagnes le 1792-1793 contre Victor-Amédée III, roi de Sardaigne 113 Lettres du Thibet 158

TABLE


Notes sur Bessans de 1792 à 1798. 171 Passage à St-Jean-de-Maurienne de la comtesse de Provence (1771) et de la comtesse d'Artois (1773). La porte et la tour d'Humbert." 178 EXCURSION A EPIERRE:

Le Mont 189 Les Hurtières 197 Le prieuré de la Corbière 192 Etude géologique 198 Note stratégique 205 Le château d'Epierre 206 DOCUMENTS

Bulle de Conrad-le-Salique donnant à l'église de Turin les biens de l'église de Maurienne 214 Donation à la cathédrale de St-Jean par In comte Humbert lir et l'évêque Théobald 217 Autre donation d'Humbert I" 218 Supplique des communes de Montvernier, Le Châtel, Hermillon et Montpascal au duc Philibert II et ordonnances de ce prin.e 219 Chansons patoises 222