une période éminemment riche en investigateurs et écrivains
s'étant illustrés dans les mathématiques. Toutefois, cette richesse
était sans doute trop grande pour pouvoir se conserver longtemps,
même dans un pays comme la France. En ce qui regarde les
mathématiques pures, ou, pour parler avec plus de précision, la
pure anaLyse, on avait dépassé le point culminant. Telle était du
moins l'opinion d'Abel lorsqu'il considérait l'ensemble de la
situation, et non pas seulement quelques représentants distingués
de la science.
Sauf de rares exceptions, toutes les fortes intelligences qui ne
s'occupaient pas de géométrie, comme Poncelet et Hachette,
cultivaient les diverses branches des mathématiques appliquées.
Cet état de choses enlevait tout intérêt d'actualité aux recherches
d'Abel, qui appartenaient à un tout autre ordre, et devait devenir
un nouvel obstacle au succès du jeune Norvégien. Bien des faits
confirment d'ailleurs l'opinion d'Abel. Laplace, devenu très vieux,
qui avait maintenant terminé sa grande oeuvre et qui n'écrivait
plus, s'était surtout occupé des hautes questions de la mécanique
céleste. Fourier, Ampère, Poisson, etc., s'intéressaient surtout
aux questions physiques. Lacroix était bien mathématicien, dans
le sens propre du mot, mais déjà trop âgé pour pouvoir pénétrer
avec quelque énergie dans des recherches abstraites aussi nouvelles
que l'étaient celles d'Abel; et d'ailleurs, il était plutôt écrivain
qu'investigateur profond. Legendre travaillait encore avec une
vigueur admirable, et cela dans le même sens qu'Abel; mais la
force d'un octogénaire devait bientôt s'épuiser. Aussi lorsque le
vieux géomètre connut enfin les travaux du jeune homme- qu'il
rencontra par hasard à Paris-, il arriva qu'il lui était très difficile
de le suivre Abel marchait trop vite pour lui. Cauchy, parmi les
savants distingués encore dans la pleine vigueur de l'âge, était
donc presque le seul qui cultivât alors, avec prédilection, les
mathématiques pures ou l'analyse.
Mais ici, pour quelque raison que ce soit, il devait y avoir
défaut d'entente entre les deux esprits. D'ailleurs, il ne nous
étonnerait guère que Cauchy, mathématicien de haute réputation