connaissances intimes; et je n'ose faire compte sur cela. Chacun
travaille pour soi-même, sans se soucier des autres. »
Et il ajoute ces mots graves, par lesquels il explique lui-même
en grande partie les événements qui allaient lui arriver prochai-
nement « Tous veulent instruire, et personne apprendre. »
Abel ne possédait pas, du reste, les qualités personnelles qu'il
lui aurait fallu pour s'ouvrir un chemin dans le grand Paris, et
pour y obtenir au moins une faible et première reconnaissance
de sa valeur. Il avait eu besoin de l'assistance de Görbitz pour se
tirer d'affaire à l'arrivée, et, par rapport à ses intérêts scienti-
fiques, il était certainement trop timide pour pouvoir s'arranger
vite et d'une manière satisfaisante, au milieu des conditions
nouvelles où il se trouvait. Ni le bienveillant peintre norvégien,
ni ce savantasse de mathématicien chez lequel il demeurait, et
qui l'accompagna dans sa visite à Legendre, ne pouvaient lui être
ici de quelque utilité appréciable. Ce qui lui manquait, à lui qui
ne savait ni même ne voulait fortement se faire valoir, c'était de
trouver à Paris un autre Crelle ou un autre Littrow, c'est-à-dire
des amis plus âgés, et en situation de lui servir d'intermédiaires
auprès de leurs collègues français.
Ce rôle eût convenu à Legendre, qui eût mis Abel en avant dans
son milieu, comme il le fit plus tard pour Jacobi, et même à la fin
pour notre mathématicien absent et oublié. Mais le sort ne voulut
pas que le « gentil vieux géomètre» plaidât déjà la cause d'Abel.
Mais il y eut aussi d'autres circonstances plus générales, qui
concoururent à rendre sa position difficile, et à l'isoler parmi les
savants français. Nous avons fait déjà allusion à ce que nous
allons dire, en citant les fortes paroles de regret qui lui échap-
pèrent lorsqu'il comprit combien, pour un étranger « débutant »
comme lui, il était difficile de se faire entendre à Paris.
Il y avait une dizaine d'années que la France était sortie de
cette période que signalèrent d'abord la grande Révolution et
puis de longues et glorieuses guerres. Or, l'exaltation qui était