des dames qui soignèrent Abel.- « Du jour », raconte-t-elle, « où
nous entendîmes qu'il allait être nommé à l'Université de Berlin,
nous le vîmes dépérir sensiblement, et ses plaisanteries, naguère
si vives, cessèrent pour toujours. »
Legendre n'avait donc pas compris l'allusion si délicate d'Abel
Il n'avait pas suffisamment remarqué la note sur laquelle son
attention devait se fixer; et tant d'efforts multipliés aboutissaient,
non à la délivrance du Mémoire captif, mais à la manifestation
d'une admiration profonde
Toutefois, le résultat qu'Abel poursuivait fut atteint; mais
indirectement, et sans qu'il ait pu le soupçonner ou seulement
l'espérer. En effet, dans une lettre datée du 9 février, Legendre
parla à Jacobi des communications fort intéressantes qu'il avait
reçues d'Abel, et qui contenaient une si large généralisation de la
belle intégrale d'Euler. Il attira plus spécialement son attention
sur cette matière, en citant le « 4e cahier du tome III du Jouraaal
de Crelle, page 313 ». C'est alors que Jacobi, dans sa lettre du
14 mars, jeta le cri d'alarme, et que les yeux du vieux Legendre
s'ouvrirent.
Mais jamais Abel n'a pu connaître ce fait, si heureux pour lui
il devait mourir sans en rien savoir et en gardant son secret.
A partir de ce moment, Abel perdit de plus en plus l'espérance
de recouvrer la santé. Par moment, toutefois, il ne voulait pas
croire à une fin fatale de sa maladie. Et son médecin le confirmait
dans ses illusions, pour ne pas lui enlever tout espoir.
Mais le travail de sa pensée ne s'arrêtait jamais. Son cerveau
surexcité ne pouvait retrouver le repos dont il avait tant besoin.
Il semble qu'il pensait à sa gloire perdue, et qu'il avait hâte de la
reconquérir.
Quinze jours avant sa mort, il dit à une des sœurs qui le
soignaient, à Ilannah, dont le mari était marin « Si j'avais le
bonheur de vivre encore un mois, je deviendrais immortel aux
yeux de ton mari et de tous les marins. » Il essaya ensuite