La lettre de Legendre, si chaude et si bonne, parvint-elle à
Abel ? On n'en peut douter, bien qu'elle fut adressée à Christiania,
et que l'on n'ait pas la preuve directe que le destinataire I'ait
reçue. Datée du °IC janvier (1829), elle mit bien un mois pour
arriver à Froland. Elle dut, en effet, passer par Christiania; puis,
après un retard, plus ou moins long, aller à Arendal. De là,
elle ne put partir que par occasion; car la poste s'arrêtait à
l'usine de cette ville maritime. On avait l'habitude à Froland
d'envoyer chercher les lettres par un jeune garçon qui faisait ce
long chemin.
Ce n'est donc que quelques semaines après sa rechute qu'Abel
a pu recevoir la lettre de Legendre, non moins honorable pour
l'un que pour l'autre. Quand elle arriva, après de longs détours,
les forces du malade étaient déjà bien diminuées; il ne lui restait
guère qu'un mois et demi à vivre; et, moins qu'auparavant, il
ne lui était possible de parler et de s'expliquer longuement.
Dans sa lettre si affectueuse (comme nous l'avons déjà dit),
Legendre lui apprenait qu'il savait par une lettre de Humboldt
qu'Abel serait appelé, comme professeur, avec Jacobi, à l'Univer-
sité de Berlin. Mais il ne fournissait aucun renseignement sur le
Mémoire. Évidemment Legendre n'avait pas compris l'allusion
que renfermait la lettre d'Abel.
Aussi regardons-nous comme bien difficile de deviner ce qui
dut faire l'impression la plus forte sur Abel dans cette circon-
stance. Ce fut-il les nobles paroles de Legendre, exprimant pour
lui, jeune homme, la plus haute admiration, et s'intéressant
activement à son avenir? Fut-ce au contraire l'assurance (confir-
mée d'ailleurs par Crelle) d'être appelé à l'Université de Berlin,
en même temps que Jacobi (le confident de ses grandes décou-
vertes), mais de l'être au moment où il ne pouvait presque plus
espérer de jouir des avantages qu'on lui offrait si tard? Ou bien,
fut-ce de voir qu'après deux ans et demi de tentatives réitérées
et d'attente, il n'était plus question de son plus beau travail, dont
il était si fier, et qui était perdu pour toujours?
Cette dernière alternative semble la vraie, d'après le récit d'une