la cour.Ce fut là seulement qu'il put obtenir un ordre qui permettait aux navires en vue des côtes de jeter l'ancre dans le port. Toutes ces démarches avaient lieu au mois d'avril 1570.Camoens ne revit Lisbonne qu'au mois de juin suivant; plus de dix-sept ans s'étaient écoutés depuis son départ. I) y avait déjà treize ans queJoao III était mort, et l'état du pays avait bien changé. Une régence laborieuse, agitée de prétentions contraires, et qu'on eût été encore heureux de pouvoir conserver un jeune prince sans puissance réelle pour ramener le bien, et cependant doué de qualités rares, puisque le vénérable évêque de Sylves ne pouvait s'empêcher de s'écrier Malheur au Portugal qui a un roi si digne d'être aimé et cependant si abhorré à cause des gens de son conseil voilà ce qui dut frapper au cœur le poëte, et ce qui lui inspira les paroles généreuses qu'il adressa au monarque encore enfant. Si tout était changé en politique, tout était changé aussi dans les habitudes de la nation. ï) ne restait plus rien pour ainsi dire de cette splendeur « et de ces grâces royales, dit un vieil écrivain, qui embellissaient la cour sous le règne précédent. a Plus de bals magnifiques, plus de ces fêtes comme savait les ordonnerl'infant don Luiz, p!us de ces représentations dramatiques, dans lesquelles Gil Vicente, auteur et acteur à la fois, donnait l'essor à son originalité. Le sentiment de l'art semblait s'étre éteint momentanément, comme s'était éteinte cette énergie persévérante qui, durant les conquêtes avait tout organisé.
On ne sait guère aujourd'hui comment s'écoutèrent pour le poëte les deux premières années qu'il passa à Lisbonne au milieu de ces luttes déplorables du pouvoir. Ce qu'on peut aisément constater, c'est que le découragement politique qui se faisait sentir aux meilleurs esprits, aux cœurs les plus fermes, ne tint pas devant l'ceuvre de génie qui consacrait la vieille gloire nationale. En 1572, Camoens publia son poëme; et, ce qui était inouï jusqu'alors en Pnrtugal, les Lusiades eurent une seconde édition dans la même année. L'émotion profonde qu'excita cette noble poé19' Livraison. (PORTtfGAI..)
sie sent sentir dans toutes les classes de la société. Le succès fut immenses; il y eut pour ainsi dire rénovation de l'esprit national; l'oeuvre devint populaire. Ici nous laisserons parler, avec son style si naïf et si pittoresque, le vieil écrivain qui se vante d'avoir étudié durant vingt ans ce beau livre et qui a d'autant plus de confiance dans certaines traditions, que son aïeul, Estacio de Faria, avait été l'ami du poëte (*) « H est certain, dit-il, que ces écrits furent fort estimés en sa vie et qu'en raison de cela sa personne était vue avec admiration à Lisbonne; car, dès qu'il paraissait dans quelque rue, tous les passants s'arrêtaient jusqu'à ce qu'il eût disparu. Et cela était ainsi quand, après son retour de l'Inde, ayant déposé l'épée, il marchait appuyé sur une béquiHe. Il allait de cette façon la plupart des jours, avec toutes ses infirmités, toutes ses années, entendre la leconde théologie qui alors se faisait dans le couvent de Santo-Domingo s'asseyant parmi ces jeunes gens qui écoutaient, comme si lui-même eût été l'un des écoliers. »
Et quelques lignes plus haut, Faria e Souza continue ce récit touchant; il nous dit en quelques paroles comment se passait cette vie d'angoisse, dont une iecon de théologie était désormais l'uniquedistraetion: « Il en vint à vivre d'aumônes et celui qui la demandait pour lui le soir étaitunesclave qui avaitnomAntonioetquiétait naturel deJava.Unjour Ruy Goncales ( lisez Ruy Dias ) de Camara, notable chevalier, lui demandait qu'il traduisît en portugais les sept psaumes de la pénitence. Un certain temps s'étant écoulé et quelques stances seulement étant faites, celui-ci se plaignit de ce qu'il ne les achevait pas, bien qu'il eût écrit tant et de si beaux poëmes il lui répondit « Seigneur, quand je les faisais, je me trouvais en âge tlorissant et favorisé des dames, j'avais (') Comme )'a très-bien fait observer M. Ch. Magnin,ieprivi)ege accordé au poète pour la première édition est du 24 septembre f&7<, et non du 4, comme l'ont écrit plusieurs biographes,remarqu9Nesd'ai)ieurs par leur exactitude. Un habile professeur, dont il faut dëp!orer la perte prématurée, M. Mablin qui a examiné avec tant de sagacité les deux éditions de i672, a prouvé qu'il faiiait définitivement adopter les corrections de la seconde.
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