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Titre : L'histoire romaine à Rome. Tome 2 / par J.-J. Ampère,...
Auteur : Ampère, Jean-Jacques (1800-1864). Auteur du texte
Éditeur : M. Lévy frères (Paris)
Date d'édition : 1862-1864
Sujet : Rome -- 509-264 av. J.-C.
Sujet : Rome -- 753-509 av. J.-C. (Rois)
Notice d'ensemble : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb300173096
Type : monographie imprimée
Langue : français
Format : 4 vol. (495, 577, 624, 639 p.) ; 23 cm
Droits : Consultable en ligne
Droits : Public domain
Identifiant : ark:/12148/bpt6k30710t
Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 15/10/2007
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SCÈNES HISTORIQUES
Un volume in-8*.
PROMENADE EN AMERIQUE &rATS-Ut)[S CUBA MEXtQUE
Troisième édition. Deux volumes in-8°.
XV
Ar<Ct;S5)ARTn~.
Caractère du règne d'Ancus, sa maison. Les Fétiaux, d'institution cabine la colonne de la ~M~n'e. Guerres contre les Latins et populations latines établies sur l'Aventin. Guerre contre les Véiens; conquêtes au delà du Tibre fondation d'Ostie déplacement d'Ostie. Les Salines d'Ancus existent encore. La transplantation des Latins à Rome; origine de la plebs romaine. Différence de la plebs et des clients. Le commerce latin, l'industrie sabine. Ancus l'ortifie Rome: le fossé des Sabins, la citadelle du Janicule, le pont Sublicius, les murs d'Ancus. Politique des rois sabins et d Ancus en particulier. La prison Mamertine et la popn)arité. Ce qui fil périr la royauté Sabine.
Je crois avoir montré que Tullus Hostilius était Sabin personne ne doute qu'Ancus Martius l'ait été. Il fut donc le quatrième roi sabin de Rome. On doit compter Tatius pour le premier, car il régna sur cinq des huit collines, tandis que Romulus ne régnait que sur une seule et la plus petite de toutes. Il y a eu véri-
tablement huit rois à Rome comme il y a eu huit collines, mais le caractère mystérieux partout attribué au nombre sept a fait supprimer de la liste des rois Tatius, et de la liste des collines le Janicule, tous deux Sabins.
La légende du roi sabin honnête et religieux, conçue d'après la .renommée qu'avaient les Sabins d'être honnêtes et religieux, cette légende, imaginée pour Numa; fut reprise pour Ancus.
Tite Live et Denys d'Ilalicarnasse s'accordent à représenter Ancus Martius sous les traits d'un roi vertueux et ami de la paix qui désire comme Numa, dont on le disait le petit-fils, faire refleurir la vraie religion ~t l'agriculture après le règne d'Hostilius, toujours occupé de guerre, tour à tour sans religion et profanateur.
~MMM Tatiumsabinum. (Tit. Liv., i, 3-4.) ti s'agit, de tous ceux qui ont régne sur Rome. Ovide comptait comme moi quand il appeJait Servius Tullius, le septième roi de Rome.
Qui rex in nosM septimus urbe fuit.
Oy., Ff«i., v), 624.
'fil autre motif pour necompter à Rome que sept collines, ce fut le souvenir du Septimontium composé tui réellement de sept sommets, mais tout différents de ceux qu'on désigne par l'expression mille fois t'ëpëtëe bien qu'inexacte des sept MMM~. Cette expression ne fut pas plus vraie à la fin qu'au commencement sous Ancus Martius le Janicule faisait partie de la ville, et à la fin de l'empire le MontePincio fut compris dans l'enceinte d'Aurëiifn, aussi bien que le Ja-. nicute hii-même. C'était donc d'abord huit, plus tard neuf coUines, jamais sept
Denys d'Halicarnasse, en rhéteur qu'il est, met dans la bouche d'Ancus une espèce d'homélie que ne désavouerait pas un chef de la ligue anglaise pour la paix. Le roi sabin déplore les suites funestes de, la guerre et célèbre les avantages de la vie agricole. Cependant celui auquel on prête cette déclaration pacifique fut encore plus belliqueux que son prédécesseur. Il est vrai qu'à en croire Denys d'Halicarnasse et Tite Live Ancus ne prit les armes qu'à regret, réduit à cette extrémité par les incursions des Latins; mais cette prétendue nécessité des conquêtes est une invention des siè<'ies plus avancés et qui même alors ne trompe que ceux qui veulent bien être trompés. C'est trop de la transporter aux âges primitifs. Denys d'Halicarnasse avait devant les yeux un modèle achevé d'hypocrisie dans Auguste, qui lui aussi savait se faire contraindre à accepter ce qu'il désirait; mais rien ne prouve qu'Ancus ait mérité de lui être comparé à cet égard. Le surnom d'Ancus, ~Afar(:N<')est un premier démenti donné par la tradition à cet idéal de roi paisible et débonnaire dont on s'avisa depuis de plus, fidèle au génie de sa race, ce roi, ami de la paix, fit constamment la guerre.
Pourquoi a-t-on présenté Ancus sous cet aspect' Outre le besoin littéraire du contraste, c'est parce Ce surnom Martius s'écrivait aussi ~M:M~' c'était une variante de la désinence des noms sabins en ?/< Mucius pour Mu<M; Accius, pour A«:M ou Acf<M.
qu'au temps où l'on écrivait à Rome l'histoire qui nous est parvenue, les Sabins, depuis longtemps soumis, ne guerroyaient plus et se livraient à l'agriculture. Us passaient pour un peuple religieux et austère; le çaractère idéal d'un roi sabin c'était donc le respect des dieux, de la justice, et par suite des terres de ses voisins. On ne pouvait cependant supprimer de ce règne les conquêtes qui le remplissent et que la tradition attestait. On fut donc obligé de faire d'Ancus le personnage le plus invraisemblable de tous, le coH~Mf't'attt ms~'c ~Mt.
Je doute du grand zèle qu'on lui prête pour la religion, car je vois que la tradition qui lui attribue plusieurs monuments d'utilité publique, une forteresse, des remparts, un pont, une prison, ne lui fait honneur d'aucun temple', et tandis qu'elle rapportait à l'impie Hostilius la fondation du temple de 'la Pàleur et de la Peur, l'augmentation de prêtres saliens, et sur ses vieux jours un accès de dévotion immodérée et superstitieuse, 1 Tite Live (;, 53) dît seulement qu'après toutes ses guerres it agrandit. le temple de Jupiter Feretrius. Comme ce temple, ainsi que je l'ai dit. était sur le Capitole, il ne pouvait avoir été bâti par Homu!us, qui n'eut jamais le Capitole, et il ne peut guère avoir été augmenté, car il fut toujours très-petit; j'accorderai, si i'on veut, qu'il fut l'oeuvre d'Ancus, mais on avouera que c'est bien peu de chose pour un prince si reU~icux. Ou attribua aussi à Ancus Martius la fondation (tu premier temple de la Fortune qui fut à Roue. (t'tut., f<' /or<. 7!om., 5.) J ai reconnu, et j'y reviendrai, que ce culte pouvait être sabin d origine.
elle se bornait pour Ancus a dire qu'il avait fait demander aux prêtres, sans doute pour montrer qu'il n'était point un ennemi des dieux comme l'était son prédécesseur, et avait fait graver sur des tables de bois, les ordonnances religieuses de Numa, puis les avait exposées dans le forum; mais ces tables ayant péri, avec elles s'était effacée toute trace de son zèle pour la religion, qui aurait dù, ce semble, s'il eût été bien réel, laisser de plus durables monuments.
Dans tous les cas, si Ancus Martius commença par s'occuper de religion, et si, comme le dit Tite Live, ce fut sa réputation de piété qui encouragea les Latins à lui déclarer la guerre, pensant qu'ils auraient bon marché d'un roi dévot, il leur fit voir qu'on l'avait mal jugé,
Je crois bien plutôt que les Latins prirent les armes contre Ancus pour venger la destruction d'Albe, leur métropole, destruction accomplie par son prédécesseur, et pour arrêter l'envahissement sabin, lequel, après avoir franchi l'Anio, menaçait toute la rive gauche du Tibre jusqu'à la mer qu'il devait atteindre sous Ancus. Pour moi, le roi Ancus le Martial est ce que le montrent les faits, un roi conquérant, et le premier qui ait donné au territoire romain une extension véritable. Romulus avait pris Antemne et Csecina tout près de Rome, Crustumerium du coté de la Sabine, et, quant à cette dernière ville, il ne l'avait pas conservée car, selon Tite Live et Denys d'Halicarnasse, sous le
règne du premier Tarquin, on eut à reprendre Crustumerium. D'ailleurs, l'occupation par les Sabins de presque tout ce qui n'était pas le Palatin isolait Romulus de ses faibles conquêtes et le claquemurait sur sa colline natale, hors de laquelle il ne pouvait mettre le pied sans rencontrer la formidable nation des Sabins, qui l'y tenait comme enfermé. Ancus Martius agrandit réellement le territoire de Rome du côté de la mer et du côté des montagnes au sud, et au nord. Ses conquêtes restèrent à ses successeurs. Je vois dans cette campagne du Sabin Ancus contre les Latins un résultat de l'antagonisme de la nation sabine et de la nation latine, antagonisme que représentaient déjà la guerre de Tatius et de Romulus, la destruction d'Albe par Tullus Hostilius, et dont le Palatin, opposé au Capitole, est le symbole géographique. Les Sabins, comme tous les montagnards, étaient poussés à envahir le pays de plaine qui s'étendait à leurs pieds; ils étaient venus au moins jusqu'à Rome, ils faisaient un pas de plus et s'avançaient jusqu'à la mer. Cette guerre, pendant laquelle ils franchirent le Tibre, était la suite du progrès constant de la race sabine vers le sud-ouest et du mouvement qui avait commencé sur les hauteurs d'Amiternum c'était pour les Sabins une guerre nationale contre leurs ennemis naturels les Latins. Si la poignée de Latins tolérée sur le Palatin y prit part, ce ne fut point pour eux une guerre nationale, ils suivirent.
J'indique toujours avec soin l'emplacement traditionnel de la demeure des différents rois de Rome, car pour aucun d'eux la tradition n'est muette sur ce point. J'ai peine à croire que ces indications ne reposent sur rien. Quel motif pouvait-on avoir d'inventer dans ce cas-là? Il est à remarquer que ces indications ont toujours une sorte de vraisemblance et s'accordent quelquefois avec l'histoire de Rome telle que j'ai essayé de la retrouver, mieux qu'avec l'histoire telle que la racontent les écrivains du siècle d'Auguste. S ils plaçaient la Rome de Rornulus sur le Palatin où la tradition avait placé sa cabane, que l'on croyait avoir conservée la demeure de Numa sur le Quirinal et dans le forum, qu'on reconnaissait avoir appartenu aux Sabins ils mettent l'une des deux habitations de Tullus Hostilius qu'ils ne disent point avoir été sabin, sur la Velia. Or c'est sur la Velia, séjour de la famiUe sabine des Valérii, qu'on supposait avoir aussi existé la demeure du roi sabin Ancus.
Le lieu de sa résidence est désigné avec une précision surprenante près de la porte Mugonia sur la voie Sacrée à gauche. C'est ainsi que de nos jours on donnerait une adresse'.
Les demeures de Numa, celle de Tullus Hostilius, celle d'Ancus, tous trois Sabins, étaient voisines et allaient de règne en règne toujours se rapprochant de la Varr., ap. Non. Mo'rcfM., p. 551. Solin i, 25
porte du Palatin, comme nous verrons le troisième de ces rois se rapprocher des hommes du Palatin. C'était aussi à ces rois sabins, dont les habitations étaient ainsi associées par la tradition, qu'elle rattachait l'origine des prêtres fétiaux, ces pontifes du droit des gens, qui mettaient la guerre sous la protection de la justice et présidaient à la foi publique. Ils avaient été établis selon les uns par Numa', selon les autres par Tullus Hostilius mis encore par là en rapport avec les deux rois de même race que lui; d'autres disaient qu'Ancus Martius avait envoyé chercher un corps de droit fétial chez les Falisques\ Les fétiaux, prêtres de Fides, la bonne Foi, déesse sabine, étaient eux-mêmes d'institution sabine; l'herbe pure qu'ils portaient avec eux et qui les rendait inviolables devait être cueillie sur le Gapitole où avait habité Tatius'. Les fétiaux existaient chez d'autres peuples appartenant à la même race,*tels que les Samnites~; c'était une coutume générale chez les nations sabelliques et que probablement elles avaient reçue des Pélasges~. En attribuant aux Sabins l'établisDen. d'Ha).,n, 72.
Cic., De Rep., n,17.
Tit. Liv., t. 32.
Serv., ~Ef: ~n, 695. On appelait les Falisques, a~<M, ~!<M'o~e; ce mot, qui a aidé à leur réputation d'équité, pourrait très-bien ne signifier autre chose qu'habitants de la plaine.
s Serv., ~M., tn, ~20.
Tit. Liv., Tm, 39.
Quand les Fétiaux, qui correspondaient aux Kêruhes grecs, fai-
sement des fétiauxa Rome, la tradition est conforme à la vraisemblance. Quand on douterait que leur renom de religieuse moralité fût complétement mérité, il faudrait admettre que ce renom devait reposer sur quelque chose. Une institution qui fut un hommage, un droit quelconque, ne pouvait venir du Palatin, où une population sans lois, mêlée à des aventuriers. devait être étrangère à toute tradition de droit international cette tradition peut avoir existé chez une nation plus civilisée, dès longtemps en rapport et en contact avec l'Étrurie, qui l'était encore plus. Les Romains la conservèrent parce que le fétial personnifiait en lui ce sentiment du droit emprunté aux Sabins que les Romains portèrent dans leurs guerres les plus iniques, car il leur sembla toujours juste de conquérir le monde.
Dans le rite solennel selon lequel la guerre est déclarée aux Latins par Ancus, je n'hésite pas à reconnaître une formule de la jurisprudence guerrière des Sabins.
Le fétial s'avance la tête voilée aux confins du territoire ennemi et il s'écrie Entends-moi, Jupiter; entendez-moi, confins, et que le droit m'entende Ensuite saient un traité, ils frappaient leur victime avec une pierre, le Jupiter-Pierre du Capitole (Serv., ~E)t., vm, C41), comme à Olympie les prêtres du dieu Orkios, qu'on peut comparer au dieu sabin Fidius; ceux-ci prononçaient une prière semblable. (P Diac., p. 115.)
franchissant la frontière il adressait les mêmes paroles au premier homme qu'il rencontrait, puis les répétait à la porte et dans le forum de la ville menacée. Si au bout de trente-trois jours la satisfaction qu'il réclamait n'était pas accordée, le fétial revenait après avoir invoqué. Jupiter, le dieu commun de toutes les races helléniques et italiotes, Junon et Quirinus, divinités sabines; il annonçait que les vieillards du pays allaient en délibérer. Le sénat s'assemblait, et chacun, interrogé à son tour, ayant répondu que la guerre était juste et pure, le fétial retournait une troisième fois à la frontière de l'ennemi, tenant une lance dont l'extrémité avait été brûlée et plongée dans le sang; après avoir attesté de nouveau que la guerre était juste, il la déclarait en jetant cette lance sur la frontière. Je rappelle que la lance était l'arme nationale des Sabins et que le nom de la lance dans leur langue était leur propre nom (Quiris). A Rome, un usage dérivé de celui-ci subsista jusque sous les empereurs. Près du cirque Flaminien, dans le Champ de Mars et près du temple de Bellone était une petite colonne qu'on appelait la (Jo/onMC de la Guerre La colonne de la Guerre était près du temple de Bellone, et celui-ci dans le champ de Mars, hors de la porte Carmentale. A l'extrémité du cirque Flaminien; sur une petite place s'élevait la colonne de la Guerre,
Prospicit a tergo summum brevis area c'reum,
Kst ubi non parvae parva columna notœ.
Oy.,FM<vt,2(;5.
S«)MWMtK ne peut désigner que l'extrémité, la partie semi-circulaire du Cirque, comme summi digiti veut dire le bout des doigts, Il
Le fétial s'avançait vers cette colonne qui figurait la borne, le terme de l'État romain, et de là, se tournant du côté de la contrée à laquelle on déclarait la guerre, jetait une lance ensanglantée.
Les premières expéditions et les plus importantes du roi sabin Ancus Martius comme du Sabin Tullius Hostilius, ainsi qu'il était naturel, furent contre les Latins. Ancus leur prit trois villes, Poiitorium, Ficana, Tellène On remarque dans le récit de ces guerres un certain acharnement qui s'explique par une haine de race. Politorium est incendié après avoir été pris. Puis Ancus Martius fit une pointe vers la Sabine et vint attaquer Medultia berceau de la famille de son prédécesseur, considération qui ne dut pas t'arrêter, MmmM Mn. du bout des terres. Le cirque Flaminien était tourné de l'est à l'ouest; les carceres, c'est-à-dire l'entrée, doivent être placées au pied du Capitote vers la place Margana, et son extrémité semicirculaire vers la place Paganica. Cette dernière correspond assez bien au lieu où se trouvait la colonne de la Guerre.
Ficana est la seule dont jusqu'ici l'emplacement ait été détermine avec quelque certitude, à onze milles de Rome, sur la via Ostiensis (Fest., p. 250), à la Trasfusa ou Tras/~MS, près de Dragoncello (Nibb., Dint., n. p. 40); ad portum, dit Festus; il y avait donc là un tieud'embarque'ment sur le Tibre; Ancus Martius le plaça plus loin, à Ostie. Politorium et Tellène, qui sont nommées avec Ficana, devaient être du même côté, et Politorium plus près de Rome que Ficana, puisqu'il est nommé avant. Gel) met Poiitorium à la Giostra, à droite de la voie Appienne où sont des traces assez considérables d'une ancienne ville latine. Nibby (Dint., m, p. 147) y voit celle de Tellène. Mais Tellène étant mentionnée par Strabon (v, 5,4) avec Aricia et Antium, doit plutôt être cherchée entre Lariccia et Porto-d'Anzo.
si ce .qu'on dit de la part qu'il avait eue à !a mort de ce roi est véritable. et n'avait pas arrêté Tullus Ilostilius lui-même. Il prit aussi Fidène, ville au fond sabine, bien que toujours associée aux Etrusques; d'ailleurs la guerre que fit Ancus Martius à des viiles de la Sabine ne doit pas surprendre comme je l'ai dit à propos de Tullus Hostiiius, si l'on songe aux guerres acharnées des villes de l'Italie au moyen âge, et entre autres à la guerre implacable que Rome fit alors à Tusculum. En voyant un roi certainement sabin combattre des populations de même sang que lui, on cessera de plus en plus de s'étonner que Tullus Hostiiius en ait fait autant, et on ne pourra plus voir dans de semblables guerres une objection contre la provenance sabine de celui ci. Ancus Martius fit ensuite la guerre aux Véiens, prit alors Fidene', qui, selon son usage, s'était alliée à Veics, puis il poursuivit les Véiens au nord et les battit sur les bords de l'Allia, que la victoire des Gaulois devait rendre si célèbre passa sur la rive droite du Tibre et s'empara d'une portion du territoire étrusque'. Maitre des deux bords du fleuve dans sa partie Den. d'Hal., )'[, 38. Dans quelques manuscrits, oh lit FtCMh~M pour fM~MHOK; au lieu de Fidène, ce serait Ficulnea ou fMM~a dans la Sabine, sur la voie Nomentane. (Nibby, Dint., 11, p. 47.) Tit. Liv., t, 55. Denys d'Halicarnasse [n, 55) attribue contre toute raison cette conquête à Romulus. Ancus enleva aux Véiens la forêt Mesia, tes Septem pagi et tout le pays le long du Tibre jusqu'à la mer. Le mot Pagus désignait-il un sommet, comme le veut Suidas (~y~t), ou bien un lieu arrosé. (P. Diac., p. 22 Scrv., Georg., n, 511.) Ce
inférieure, il fonda Ostie au-dessus de son embouchure
Ancus Martius faisait, sans s'en douter, une grande chose en fondant Ostie Il donnait la Rome future des consuls et des empereurs un port~qui devait lui apporter les blés de la Sicile et de l'Egypte pour la nourrir. Ce fut une ville dont les faubourgs, dit-on, se confondaient avec ceux de Rome, de manière il former pour ainsi dire sur une étendue de plusieurs lieues une rue magnifique. Aujourd'hui cette rue est une route dans un désert. Au sixième siècle, qui est sûr, c'est que ce mot se prend ordinairement pour M'M~e. bourgade ou MM<OK. A Rome, on appelait les habitants de la plaine pagani par opposition aux moM~tM (Cic., ~rc d., 28), ce qui éloigne je sens de hauteur. Encore aujourd'hui l'habitant des MOK<! appelle le bourgeois de Rome un f<KHO, terme de dédain dérivé de Paganus. Ostia, pluriel neutre d'O~MM, les bouches (du Tibre), est devenu dans l'usage un singulier féminin, et le nom d'Ostie. Strabon (v, 3,5) dit Tx Mrrtx, et Denys d'Haticarna~se M~-tK; il n'en sait plus le sens, et croit que ce mot veut dire une porte [m,44).AncnsMartins bâtit Ostie entre le Tibre et la mer, dans un coude du fleuve, par conséquent sur la rive droite. L'Ostie, dont il subsiste des ruines, est sur la rive gauche, mais le cours du Tibre a tellement changé que, scton Kibb; [B;Ht., ni, p. 598), un tombeau qui était sur ]a voie Ostiensis se trouve maintenant au delà du fleuve.
Ostie fut bâtie à l'embouchure du Tibre, in ipso maris ~Mf!M<' eon~NM (Fior., ), 4), plus au nord qu'Ostie de tout l'espace dont le littoral s'est accru entre l'époque d'Ancus et celle des monuments qui marquent l'emplacement de cette ville.
On sait que ce port fut transporté par Claude à l'embouchure de l'autre bras du Tibre, au lieu qui s'appelle encore Porto.
Procope en remarquait déjà [a solitude; elle traversait alors une vaste forêt, maintenant disparue.
Le rivage où était Ostie s'est avancé de près d'une lieue dans la mer, et la ville, dont H ne reste que des ruines, la ville, qui n'est plus à l'embouchure du Tibre, a cesse de mériter son nom.
Mais il reste quelque chose du roi Ancus, ce sont les salines qu'il établit dans le voisinage d'Ostie elles sont exploitées aujourd'hui comme elles l'étaient il y a vingt-quatre siècles et une porte de Rome par laquelle les Sabins passaient pour venir chercher le sel près d'Ostie, et qui, pour cette raison, avait reçu le nom de porta Salara, le conserve encore. Avoir un port et être en possession des salines, tel fut pour Rome le résultat des victoires d'Ancus Martius. Avec lui pour la première fois la guerre semble être raisonnée et entreprise pour une fin utile.
Denys d'Halicarnasse affirme que le roi Ancus poussa ses conquêtes jusqu'à Velletri, qui se soumit à lui Tite Live n'en dit rien, et une si grande extension du territoire romain à cette époque est peu vraisemblable. Les Volsques n'entrent réellement dans l'histoire qu'avec le dernier des rois étrusques. La royauté étrusque fut tout autre chose que la royauté sabine; elle atteignit un degré bien supérieur de civilisation et de puissance.
Dt'n. d'Ha).. m, 4).
T. Hostilius avait transplanté sur le Caelius la population latine d'Albe, Ancus Martius transplanta de même sur l'Aventin et dans la vallée qui le séparait du Palatin la population des villes latines soumises par ses armes.
Ceci est un très-grand fait dans l'histoire romaine, car, ce fait rend raison de l'origine des plébéiens, et ce qui, je crois, n'est pas moins considérable, me permettra-d'expliquer comment les Romains ont pu commencer à prendre une certaine importance, et à s'acheminer vers le jour où ils deviendraient les égaux des Sabins, où tous deux rie formeraient plus qu'un peuple et n'auraient plus qu'un nom.
On ne niera pas, cette fois, que l'étude des localités ait une grande importance pour l'histoire du peuple romain. L'origine de la formation de ce peuple est tout entière dans l'histoire du Palatin, du Caeiius et de l'Aventin. Niebhur a expliqué, et c'est une de ses découvertes les plus généralement acceptées aujour d'hui, comment, par la transplantation des populations latines à Rome, la plebs fut créée, rivale future Tite Live (t, 33) place cette seconde transplantation après la prise de Medullia, a laquelle il fait aboutir la guerre iatine, bien que Medullia ne fût pas dans le Latium. Denys d'Halicarnasse (n!, 28) parle de la population de Fidène amenée à Rome; mais il ne dit point quelle partie de la ville on lui assigna il n'y a de positif dans tout cela que les populations latines établies par Ancus sur l'Aventin. J'emploie le mot latin plebs parce que plèbe serait une Iraductian très-fausse. Employer le mot peuple pour désigner les plébéiens se-
du patriciat, qu'elle devait combattre glorieusement, et dont, pour son malheur, elle devait un jour trop complétement triompher; car, quand elle lui eut arraché tous les priviléges, elle livra à un maître tous ses droits. Au temps dAncusMartius,les Latins qui composaient la plebs, bien qu'ils fussent dans une condition inférieure à la condition des Sabins, n'en commencèrent pas moins à leur faire, par le nombre, un contre-poids qui devait tourner à l'avantage des habitants du.Palatin. Jusque-ia cette petite colline, seule à Rome, était latine; dès ce moment, deux collines considérables, le Cselius et l'Aventin, furent habitées par des Latins, et la population latine de Rome, insignifiante jusqu'alors, commença à compter pour quelque chose.
Les Romains du Palatin n'étaient pas, on doit le reconnaitre, vis-à-vis des Sabins dans la même situation que les autres Latins du Caelius et de l'Aventin; ils n'avaient point été vaincus et transportés; mais leur petit nombre, leur origine obscure et méprisée, l'hétérogénéité des éléments dont se composait cette population, qui était un assemblage et n'était pas un peuple 1 absence d'organisation religieuse et politique qui devait en résulter, s'opposaient à ce que leur condition fût très-supérieure à celle des Latins vaincus. Niebuhr a parfaitement expliqué ce qu'élait à Rome la plebs, dont le nom est devenue quelquefois dans l'usage le rait encore plus inexact. Depuis Niebuhr on sait que l'expression popM/MS désignait surtout les patriciens.
synonyme de ;wpM/M~, ce qu'il n'était nullement. La preuve, c'est qu'à Rome de grandes familles furent plébéiennes~
La plebs était une population libre, admise au droit de cité sans l'être aux droits politiques des citoyens primitifs, des anciennes gentes qui formaient le patriciat.
Niebuhr a retrouvé quelque chose d'analogue dans les institutions du moyen âge\
Or, peut-on s'étonner que les habitants des villes latines, transportés par deux rois sabins sur le Cœltus et sur l'Aventin, aient été, vis-à-vis des familles sabines, dans cet état d'infériorité politique, et soient devenus les plébéiens~? `'
On cite parmi les gentes plébéiennes, la gens Coecilia, Domitia, Licinia, et d'autres non moins illustres.
Je me sers du mot gens et non pas du mot famille, parce que la gens, c'est encore une belle découverte de Niebuhr, était un groupe religieux et politique d'hommes portant le même nom sans qu'ils fussent nécessairement de même sang.
Ainsi les habitants du Contudo, c'est-à-dire du terrain qui environnait une ville d'Italie, étaient admis dans cette ville, mais san jouir toujours des droi.s de citoyen. Dans cette plebs du moyen âge pouvaient se trouver des nobles comme des roturiers; ils n'en jouissaient pas pour cela plus que les autres de l'égalité politique. Niebuhr pense que les plébéiens se composèrent surtout des populations soumises qui restèrent chez elles; je ne nie point que la condition des plébéiens ait été la. leur; mais la partie de ces populationsqui fut transportée sur le Ca'tius et sur t'Aventin n'en constitua pas moins, selon moi, le noyau de la ptebs. Tite Live parle d'une M-'f~/Mf~, de p/MMM~ M!<«'~ <</???< établis sur l'Aventin et dans.
L'orgueil romain se soulèverait s'il m'entendait; cependant, par les raisons que j'ai dites, je ne saurais admettre que les hommes du Palatin fussent dans, des conditions où pût se former, sur leur petite colline, au sein de leur population grossière et mêlée, sans la vallée Murcia. Or, cette vallée, quand elle eut été transformée en cirque, put contenir près de quatre cent mille spectateurs. Il ne faut jamais négns'er la topographie de Rome quand on étudie l'histoire de Rome. !.e Ca~F.us, qui à l'est communique avec la plaine, pouvait s'étendre indéfiniment de ce cote. Le mont Aventin, que Denys d'Halicarnasse appelle le plus grand mont de Rome, si on y comprenait toutes ses dépendances, égalerait presque en étendue toutes les autres collines, ditNibby(R. ~M< ),p.l5).Denysd'Halicarnassenedonnc que douze stades de circonférence à l'Aventin enfermé par les murs (x, 51), mais là où il n'est pas question des murs il lui en donne dixhuit (m, 65), trois quarls de lieue. On obtient cette surface en excluant le /}!M~ ~MH<M qui n'est séparé du M'a: que par un ravin et en fait réellement partie. Le même historien appelle l'établissement sur l'Aventin une seconde ville; on voit donc qu'il pouvait tenir beaucoup de monde sur le Cselius et sur l'Aventin. Il est vrai que les deux collines ne purent être données entièrement aux Latins cependant, pour le Cœiius, il est permis de supposer qu'on en chassa ce qui y restait d'Étrusques depuis Romulus, et que ce fut alors qu'on les fit descendre dans le viens Tuscus. Pour les Sabins déjà domiciliés sur l'Aventin ils ne purent être dépossédés; mais une grande partie de cette colline, que tous les témoignages montrent avoir été trës-rocallleuse et couverte d'une épaisse forêt, put être abandonnée facilement aux nouveaux venus. Sans doute les Sabins avarent habité l'Aventin avec les Pélasges, mais il ne paraît pas que depuis que l'Aventin était devenu la propriété des rois d'Albe, les kahins y aient été très-nombreux, bien que plusieurs de leurs anciens sanctuaires y aient subsisté; car, à l'époque de Virginie, une grande partie de l'Aventin put être distribuée aux plébéiens dont-il était un des herceaux.
tradition et sans aïeux, un patriciat. Je ne suis pas plus dur que Tite Live, qui appelle les sujets de Romulus une plèbe formée de pâtres et d'étrangers M n'en était pas de même des Latins établis sur le Caelins et sur l'Aventin; nous le savons pour ceux du Caelius.
Albe, le chef-lieu de la confédération latine, renfermait sans doute quelques grandes familles que l'aristocratie sabine pût s'associer. Les historiens en nomment plusieurs, et parmi elles les Jules, d'où César devait sortir.
Je ne sais s'il exista des ~Htës au sein des tribus latines établies sur l'Aventin par Ancus; mais je n'en vois aucune qu'on puisse, avec quelque certitude, faire dériver des habitants du Palatin
Pour l'Aventin, ce fut toujours le mont plébéien par excellence. Dans ses luttes avec les patriciens, la plebs s'y retirait, comme sur le mont Sacré. Là se tenaient, durant les troubles de la république, des conciliabules qui ressemblaient à des clubs Ce fut sur Tit.Uv.,t<,l.
2 Une tradition rattachait les ~M à Rémus, et les QMm~M s Romulus (Ov-, Fast. )i, 569), mais les Fs&M étaient Sabins (Voy. t. p. 402), les Quintilii eurent-ils une origine romaine?
3 Tite Live, en parlant de conciliabules de ce genre tenus dans le premier siècle de la république, dit qu'ils avaient lieu aussi sur l'Esquilin. Nous y avons trouvé les Sabins, mais il ne s'ensuit pas que la population latine en tût entièrement absente elle avait pu, grâce au voisinage, y passer en partie du Caelius l'Esquilin, placé entre le
l'Aventin que des terrains furent, donnés aux plébéiens par la loi Ict~tN.
C'est probablement à cause de ce caractère essentiellement plébéien du mont Aventin que le temple de Cérès, qui était au bas et vers l'entrée du chemin.par où l'on montait à son sommet, fut dans un rapport si étroit avec la magistrature populaire des ~Ediles chargés de l'entretien de la ville et de la subsistance publique, office si important pour les plébéiens, et auquel ia protection de Cérès convenait si bien. Ainsi, à Rome, dans l'origine, Latin et plébéien furent synonymes. Le patriciat fut presque exclusivement sabin; la lutte des plébéiens et des patriciens fut une lutte pour les droits à acquérir et à défendre, et en même temps, dans le principe, une guerre de race, circonstance qui ne dut pas en diminuer i'apreté. Quand les plébéiens descendirent du mont Sacre, des Fé)iaux consacrèrent la pacification comme si l'on eût traité de peuple à peuple.
Ce fut aussi d'abord une guerre de localités, de Quirinal et le Caelius, apparaît dans l'histoire romaine comme à demi sabin, à demi latin, et, ce qui est presque )a même chose, à demi patricien, à demi plébéien. On y voit !e vicus Patriciuset le champ Esquilin, sépulture des pauvres; les C.u'ines, quartier aristocratique tout à côté du quartier populaire de ia Subura.
Le nom même des {édites peut venir de xdes f.r~'M. Les aediles phébéiens y avaient leurs archive'. (Sct~weg)., i, p. COC; fit. Liv., «;, 55 )
Ocn. d'Hai ,v<, M).
quartiers et, pour ainsi dire, de paroisses, comme durant le moyen âge, en Italie, il y en a eu un si grand nombre, dont parfois la trace n'est pas encore effacée de nos jours*.
Chez les plébéiens, parmi lesquels pouvaient se trouver des familles considérables et une aristocratie nationale qui se fondit dans l'aristocratie dominante, l'aristocratie sabine, se trouvait aussi le principe de toute bourgeoisie, la propriété, qui devient la richesse.
D'abord la propriété territoriale qu'on leur avait concédée sur les collines qu'ils occupaient, ou laissée dans leur pays quand ils y restèrent, et de plus, ils purent arriver bientôt à une certaine richesse par le commerce.
Un homme très-savant et très spirituel, M. Mommsen, a un peu étonné en disant que Rome a d'aliord été une ville commerciale il a cité un assez grand nombre de faits qui tendraient à le prouver. Je ne crois pas que la Rome du Palatin, la Rome de Romulus ait eu une semblable origine; je ne crois pas que cette Rome des Romains, non plus que la Rome plus considérable des Sabins, ait été un entrepôt je crois que l'une et l'autre n'ont pas commencé par être commerVoyez sur la rivalité qui passionne encore les quartiers de Sienne les uns contre les autres pendant les courses de chevaux qui ont lieu dans cette ville, mon Voyage f<aKfM~ (la Grèce, Rome, et D~f, seconde édition).
çantes, mais ont commencé par être agricoles et guerrières.
Je n'en dirai point autant de la Rome latine fondée par les rois sabins sur le Cselius et sur l'Aventin. Celle-là a pu être commerçante, et je crois qu'elle l'a été.
C'est encore sa position topographique qui me le fait penser.'
L'Aventin est voisin du Tibre, qui en baigne presque le pied; au bas de l'Aventin fut de tout temps et est encore aujourd'hui le principal port de Rome là fut aussi construit, sous Ancus Martius, nous le verrons tout à l'heure, le premier pont. Là donc dut exister d'abord une communication par le fleuve avec la mer et le littoral étrusque, puis une communication par le pont avec la rive opposée de l'Étrurie. La mer et l'Étrurie furent les deux premiers débouchés de l'exportation èt les deux premières sources de l'importation. La fut aussi, très-anciennement, le marché aux bœufs, car il était sous la protection d'Hercule, et son origine se rattachait aux boeufs du vainqueur de Cacus. Les troupeaux furent sans doute, à Rome, le principal objet d'exportation du commerce primitif. La campagne romaine leur offrait ces pâturages, qu'ils remplissent encore aujourd'hui, et dans lesquels on les trouve aussi sauvages qu'ils devaient l'être au temps d'Ancus Martius.
Les hommes du Palatin prirent sans doute part aussi,
dans la proportion de leur nombre, à ce commerce, et durent amener de leur colline, qui était tout proche, leurs bœufs sur le marché.
Quant aux latins du Caelius, dont la colline regarde les montagnes de la Sabine, celle des .Eques, des Herniques et des Volsques, ce qui forme pour les touristes la magnifique perspective dont on jouit sur la place de Saint-Jean-de-Latran, ils étaient mis, par une telle situation, en rapport avec les peuplesde l'intérieur avec les habitants de la montagne; ils devinrent naturellement leurs commissionnaires et leurs expéditionnaires et ces fonctions n'étaient point inutiles, car venir dans une ville étrangère n'était alors sûr pour personne. On peut donc croire qu'à Rome le commerce naquit, ou au moins se développa parmi les Latins établis sur l'Aventin et sur le Caelius'. On en a la preuve dans le culte de Mercure. Mercure fut identifié plus tard avec l'Hermès grec ou péiasge, qui était tout autre chose; mais Mercurius, le dieu, comme son nom l'indique, de la marchandise et des marchands, était un dieu latin. Or, on ne le voit, à Rome, honoré que dans deux endroits, et c'est précisément au bas de l'Aventin, au-dessus de cette vallée Les Sabins du Quirinal et de l'Esquilin auraient pu aussi former un intermédiaire commercial entre l'intérieur du pays et l'Étrurie, mais les austères et belliqueux Sabins devaient avoir ce mépris du commerce que professa toujours l'aristocratie- romaine et qu'elle ne pouvait tenir que d'eux seuls, car elle était sortie presque tout entière de leur sein.
Murcia', qui, aussi bien que l'Aventin, fut donnée pour séjour par Ancus Martius aux populations latines de Palitorium, de Ficana, de Tellène, et sur le Caelius, où un <?M<~ voisin d'une ~Ot~atHë .sact'ëg, double signe d'une religion antique, était consacré à Mercure. C'est près de cette source que les marchands romains \e naient faire leurs dévotions à ce dieu. Après s'être bien arrosés d'eau lustrale, l'eau bénite des païens, ils adressaient, dit Ovide, d'une voix accoutumée à tromper, au patron des voleurs une prière qui le faisait rire, et à laquelte ressemble peut-être la prière de plus d'un petit marchand romain à un dieu plus sérieux.
« Que mes parjures et mes mensonges passés soient lavés par eette eau. Et si je mens encore, que les dieux ne fassent pas attention à mes paroles. Donnemoi seulement le gain et les joies du gain, et fais que je réussisse à tromper mes pratiques. »
Les vues de Niebuhr sur les clients sont aussi généralement acceptées que son opinion sur l'origine des plébéiens; il a distingué ceux-ci des clients, qu'on avait confondus avec eux. En effet, les clients ne sont point en lutte avec les patriciens.Us sont avec les patriciens Ce temple regardait le Cirque. (Ov., Fast., v, 669.) On a trouvé de ce côté sur la pente de l'Aventin des débris du temple de Mercure. (Canina. Esp. <ap.. p. 769.)
Cet autel était aux environs de la porte Capène, près de la source de Mercure, aqua M<f<'«fM, qu'on croit avoir retrouvée dans une vigne du Caelius. (Nibby, ~i. n, 677-8.)
dans un rapport de dépendance et de protection. Si le client a des devoirs envers son patron, le patron a des devoirs envers son client. Le client porte les armes pour son patron, et le patron plaide pour le client, même contre un homme de son sang~. Entre eux, nulle hostilité de race, nulle séparation de quartier. J'en conclus que les clients, dans l'origine, étaient des Sabins. Comme la grande majorité des patriciens, ils faisaient partie des clans sabins, car leur condition inférieure et dévouée ressemble beaucoup à celle des montagnards écossais vis-a-vis de leur chef, qui était aussi pour eux un patron, comme un père, et duquel de même ils portaient le nom.
C'était parmi les clients des chefs sabins que, dans les premiers siècles de Rome, durent se trouver les artisans*. Les Sabins avaient appris certains arts des Etrusques, et un roi sabin, Nnma, avait institué les premières corporations d'ouvriers. L'industrie était sans doute bien peu considérable à Rome, où elle est si imparfaitement développée de nos jours mais ce qu'il y en avait pouvait être sabin, comme le commerce était latin.
Gett., iYoc<. /)«., xx, 1, 40.
Il devait y avoir des ouvriers parmi les picbéiens latins, mais ceux-ci étaient surtout agriculteurs (Voy. Schwegler, Ram. Cesch., t, p. 630), c'était le génie de leur race. En parlant d'Ardëe, ville latine, probablement comme Rome dominée par les Sabins, Tite Live distingne la plebs et les ouvriers opifices (fit. Liv., n, 9.)
A mesure que la ville des rois sabins prenait plus d'importance au dehors, depuis qu'elle semblait avoir pris à tâche de soumettre le Latium et de remplacer la suprématie d'Albe par la sienne, il devenait plus nécessaire de la fortifier contre ses voisins, qu'une semblable prétention devait armer contre elle dans ce dessein, les rois sabins commencèrent à élever cet ensemble de moyens de défense que les rois étrusques devaient achever.
Il est un côté de Rome par où elle est surtout accessible à l'ennemi, c'est celui que domine la plaine dont le Quirinal, l'Esquilin et le Cselius sont des prolongements. EUe a presque toujours été attaquée et prise par là. D'après les expressions de Tite Live~, il faut placer dans cette région le fossé des Sabins (fossa ~Mtn~Mm), ouvrage d'Ancus Martius, à l'endroit même où fut depuis l'agger de Servius, lequel se reconnaît, même aujourd'hui. L'agger de Servius Tullius était composé 1 Quiritium quoque fossa, haud parvum munimentmn, a planioribus aditu locis Anci regis opus est. (Tit. Liv., i, 55.) Festus (p. 254) place les /!)Mas Quiritium qui, selon Lui, entouraient la ville près des bords du Tibre, mais il semble parler d'Ostie. Ce passage est pour moi inintelligible, je le crois mutilé, ce qui n'est pas étonnant quand il s'agit d'un passage de Festus. Aurelius Victor (de F!f. !MM<f., \t[f) confond la /!MM6M:M'<<t<m avec la cloaca Maxima. Niebuhr croit qu'il s'agit du lit de la petite rivière appelée la JMerMMM, et d'un travail sans éclat, mais cela ne s'accorde nullement avec ce que dit Tite Live, haud parvum M«M;m<M<Mm, ces mots ne peuvent désigner le creusement ou l'élargissement d'un ruisseau.
d'un fossé profond et d'un relèvement de terre. Le fossé des Sabins devait avoir une disposition semblable seulement il était moins considérable que le grand travail par lequel Servius Tullius le continua' 1 ou le remplaça. Denys d'Halicarnassc attribue sans vraisemblance un ouvrage du même genre à Romulus 2. ·
Il fallait que la Rome sabine eût une citadelle détachée qui la dominât, suivant l'usage des villes ancienciennes~ Ancus Martius la plaça sur le Janicule, colline qu'il avait sans doute reprise aux Étrusques, comme il leur avait enlevé tout le bord droit du Tibre, si de son temps les Etrusques la possédaient encore. On a cru trouver, indiquée par des escarpements artificiels, la 1 Strabon (v, 5, 7) indique le rapport du /MM' des Sabins et de l'a~ef,' il donne à entendre que celu:-ci fut la continuation d'un fosse qui protégeait le Cselius et l'Aventin; la disposition des lieux et les termes dont se sert Tite Live m'empêchent de le croire. Ici, sauf à l'extrémité orientale du Cœlius, il n'y avait pas de lieux où l'on pût arriver de la plaine par un accès facile, comme parle Tite Live; le Ctelms et t'Aventin dominent la plaine, ils ne sont point dominés par elle. Denys d'Halicarnasse (m, 45) dit positivement qu'Ancus Martius entoura l'Aventin d'une muraille, et deux morceaux de cette muraille ont été retrouvés il y a peu d'années. Quant au Caelius, Strabon et Cicéron [~f Hep n, 18) disent seuls qu'il fut joint à ta ville par Ancus Martius. Denys d'Halicarnasse (m, 1) et Tite Live (t, 50) s'accordent à placer la jonction du Caelius à la ville sous Tullus Hostilius. Denys d'Halicarnasse ajoute que ce roi le fortifia d'une muraille. Den. d'Haï., n, 37.
S On voit la même disposition à Veïes, a Fidène, dont l'Arx était sur le mont de Castel Giubiieo, a Athènes, etc.
position de cette citadelle'. Il la joignit au fleuve par une muraille~. Le roi des Sabins reprenait ainsi possession de l'antique cité sabine de Janus 3.
Pour joindre la citadelle à la ville, Ancus Martius établit un pont, le pont Sublicius, le premier qui ait existé à Rome'; il devait éh'e constamment refait, comme il avait été primitivement construit, en bois, et le fut jusqu'au temps de Pline", d'après une prescription religieuse dont le motif n'est point difficile à deviner il fallait pouvoir le détruire en cas de besoin. En effet, s'il eût été en pierre au temps d'Horatius Codès, on n'eût pu le couper. Le Janicule est toujours la clef de Rome, plus encore depuis que l'artillerie est employée aux sièges des places. C'est sur le Janicule que les Français ont établi leurs batteries lors de la dernière expédition. C'est aussi du Janicule qu'on peut le 1 Derrière la fontaine Pauline (Abek. Mittel il., p. 03; Nibby, K. mo~ p. 588 ) }
TiteLive (t. 35). Malgré cela, le Janicule fut toujours considéré comme quelque chose d'étranger à la ville dont il faisait partie. Les juifs y étaient relégués sous l'empire et encpre au quatorzième siècle, car leur synagogue était près de la demeure de Rienzi, qui habitait le vico delle Palme. Aujourd'hui ]e Transtevere, au pied du Janicule, forme dans Rome comme une ville à part.
Procope a supposé que le roi Ancus avait construit le mur pour protéger les moulins qui étaient de son temps sur la pente du Janicule, qui y sont encore, mais que rien certes ne prouve y avoir existé sous Ancus. (Bell. Goth., 19.)
Tit. Liv., ), 55.
)'L, HM<.Ma<)tt~t, 25,2.
mieux contempler l'aspect de Rome et de Iborizon romain. Le spectateur absorbé dans cette contemplation magnifique, ne songe pas plus à la citadelle d'Ancus Martius que ne songeait Ancus, en bâtissant sa citadelle, au point de vue.
Ancus Martius enveloppa l'Aventin par un mur' qui existe dans deux endroits il protégeait le séjour des populations latines établies par lui sur l'Aventin, de même qu'au moyen du fossé des Sabins il défendait le côté de Rome par où les ennemis auraient pu menacer à l'est, l'extrémité vulnérable du CaeHus. Les rois sabins commençaient à s'occuper de leurs sujets latins.
11 le fallait bien, il fallait s'occuper de cette multitude, de ces milliers d'llommes dont parle Tite Live, qu'on avait transportés de leur patrie détruite ou conquise sur,le Caelius et l'Aventin, et qui étaient venus s'ajouter aux Latins en petit nombre, énergiques fils des pâtres de Romulus et des réfugiés de l'Asile. Les rois sabins. devaient employer envers la population latine soumise à leur pouvoir, tantôt l'intimidation, tantôt les ménagements. C'est ce que fit Ancus Den. d'Haï., m, 43.
Dans une vigne des jésuites, en face de Sau~-Pt'isca, et dans le jardin des dominicains de Sainte-Sabine. On ne peut être sûr que ce mur soit celui d Ancus Martius, et qu'il n'ait point .été refait par les rois étrusques quand ils enveloppèrent toutes les collines de Rome dans une enceinte gënërate qu'on appeUete MMfdc Seff!M<'<?fHMM.
Martius. Tout ce que nons savons de sa politique nous est enseigné par un monument et par une tradition. Le monument, c'est la prison Mamertine, ce cachot formidable que le temps a respecté.
La tradition nous a été conservée obscurément par une épithète d'Ennius et par un vers de Virgile. Ennius et d'après lui Lucrèce* appellent Ancus Murtius le &o~ Ancus, et Virgile dit qu'il s'est trop confie au vent de la popularité.
Comment se concilient le monument et la tradition, 1 origine de la prison Mamertine et le désir imprudent de popularité? 7
Parlons d'abord de la prison.
La prison Mamertine fut, dit Tite Li\e*. une mesure ~lM! Ht, 5.
Lucre! m, ltM3.
virg., ~M., v;, 816-7.. v
Tit. Lh., t, 55. Seton Tite Live, cette prison fut construite par Ancus Mnrtius, et on doit le croire. Mais son nom de ~HM~Me ne prouve point qu'elle ait été l'oeuvre de ce roi, Car Ancus s'appelait Marlius et non AfaMM~M,' d'ailleurs cette dënomination n'est pas antique, elle date du moyen âge; on trouve indiqués dans cette région Privata ??m~tM! et une rue appelée via JM<m~M< qu'on croit être ia Salita di Marforio. La statue célèbre sous ce nom de Martbrius, et qui i'ut l'antagoniste dePasquin, a été trouvée là; elle passait pour une statue de Mars, s, c'est celle d'un fleuve; on l'a transportée au Capitole. Pasquin qui att aque le gouvernement parle toujours, mais Marforio, qui le détendait, ne répond plus. Cette prétendue statue de Mars et un temple douteux de Mars dans les environs de l'église deSaM/e-Afo~m~sont peut-être pour quelque chose dans la dénomination moderne de prison Mamer/!tM. !1 est plus probablequ'elle vient de l'habitation voisine d'un par-
de terreur contre l'sMf~'tOMJOM~croM~M~, elle devait croître en effet avec la force du parti latin. La prison dominait et menaçait le Forum (~m!Hët~ foro), place bien choisie pour produire la terreur que la royauté sabine avait besoin d'inspirer. Le Forum était alors un marché; le marché était le lieu où les Romainsdescendant du Palatin, les autres Latins du Cselius et de l'Aven tin, pouvaient, sous le prétexte d a dicter ce qui leur était nécessaire, former des râssemticutier nommé Af~Mt~M~On attribuait à Servius Tullius la partie de cette prison qui s'appelait Tullianum. (Fest., p. 556.) C'était l'étage inférieur (Varr., De M-, v, i5t) qui, dit Varron, avait été ajouté par ce roi. Ou ne comprend pas bien, quelques efforts qu'ait faits Canina pour l'expliquer, comment on aurait construit cet étage après celui qui est au-dessus. Ott. Multer a proposé de lire dans le texte de Varron Tullo pour Tullio, et de rapporter l'addition faite à la prison d'Ancus Martius à Tullus Hostilius, qui vivait avant lui. C'est inadmissible. Le nom de TMHMMMM paraît venir simplement de la source qui y coulait et qui y coule encore; tullius (P. Diac., p. 552) voûtait dire ruisseau, eau qui jaittit. M. Abekeu (MiH~ :< p. 1S2-5) ;oit avec M. Forchhammer (Bullet. Arch., 1839, p. 30) dans le Tullianurn une citerne. L'on tirait l'eau par le trou d'en haut, par lequel plus tard, quand cette citerne devint une prison, l'on descendait les prisonniers. Un conduit pratiqué dans le mur est probablement le <M~MM qui conduisait dans le grand égout des Tarquins.vers lequel on suit sa direction, l'eau destinée à le laver. Il en résulterait que le conduit serait antérieur à l'égout, mais celui-ci pourrait avoir été commencé sous les rois sabins, qui durent être dans ce genre de travaux les précurseurs des Étrusques, et d'eux daterait le desséchement du Forum; à moins que la voûte inférieure de la prison, qui est une fausse voûte assez analogue à celle du trésor d'Atrée à Mycène, ne soit t'œuvre des Pélasges et. la plus ancienne construction de Rome.
blements au pied du mont Tarpéien, et inquiéter le peuple dominateur qui l'occupait.
Ni la république ni l'empire ne répudièrent cette affreuse prison. Jugurtha y mourut de faim: Cicéron y fit étrangler les complices de Catilina, César mettre à mort son héroïque adversaire le Gaulois Yercingétorix. Plus tard, la prison d'Ancus reçut les chrétiens persécutés. Quede douleurs ont vues ces sombresmurailles pendant dix siècles! On lit sur le mur extérieur de la prison un fragment d'inscription qui fait allusion à une réparation de l'an 778. Tibère, sous lequel on répara la vieille prison, la destinait-il déjà à son favori Séjan?
Heureusement le christianisme y a attaché de touchants souvenirs, car, chose remarquable, le plus ancien monument de l'histoire romaine est aussi le plus ancien monument de la tradition chrétienne à Rome. Suivant cette tradition, saint Pierre, enfermé dans la paison Mamertine, nL jaillir une eau limpide pour baptiser ses geôliers convertis. L'un d'eux était Processus (progrès), symbole fortuit, mais expressif du changement qui s'accomplissait. L'idée de la charité se faisait jour dans ces ténèbres où elle n'avait jamais pénétré. Aujourd'hui, au-dessus de la prison Mamertine est une petite église dédiée à saint Joseph, patron de l'humble corporation des charpentiers, san Giuseppe Jet ~t'~ttOtH!. Le peuple a une grande dévotion à cette église; je l'ai presque toujours vue remplie; la foule
agenouillée me semblait prier pour les âmes de tous ceux qui sont morts ici de mort violente, et, par le spectacle de son recueillement, adoucir un peu l'horreur que fait éprouver ce lieu, l'un des plus tragiques de Rome.
Cette prison fut pendant les premiers siècles la seule. C'était la prison, il n'y en avait pas d'autre dans toute la ville; regrettant ces temps de la liberté que le despotisme de Domitien lui faisait paraître encore plus beaux, Juvénal s'écrie « Heureuse Rome quand elle avait assez d'une prison' )) On ne doit pas partager trop vivement ce regret il n'y a jamais dans une ville qu'un endroit destiné aux exécutions, et c'est là ce qu'était surtout la prison Mamertine, mais la maison de chaque patricien était une geôle pour les débiteurs insolvables.
Depuis la seconde guerre punique, on voit paraître un autre lieu de détention qu'on appelait Lautumies Juv., .Ss<. m, SU.
Le savant Bunsen a le premier reconnu que les Lautumies étaient différentes de la prison Mamertine, et Becker (HaM~. der Mm. ~/< l, 262 et suiv.; J!. top., p. '19 et suiv.) a achevé de mettre ce fait hors de doute. Celle-ci avait selon toute vraisemblance la même origine que les Lautumies (Varr., (De L. lat., v, J51), et on avait profité pour la construire d'un trou fait dans les roches du Capitole pour en tirer le tuf, plus compact là que partout ailleurs. Une autre carrière avait donné naissance à une autre prison, qui poriait spécialement le nom de tsMyM,m:M. Les Lautumies étaient assez proches du carcer Mamcrtinus, car c'est dans leur voisinage que Caton bâtit la première basilique, la basilica Porcia (Tit. Liv..xxxf)f. 4t). elle-même très-voisine de la curia
par un emprunt fait aux célèbres Latomies ou carrières ~e Syracuse, car déjà la manie du grec commençait à s'étendre à tout.
L'étage inférieur de la prison Mamertine, qui s'appelait le Tullianum, portait aussi le nom de Robur, /« Force; l'escalier en avant de la prison s'appelait GëmoKMe, l'escalier des Gémissements, comme il y avait à Venise le pont des Soupirs. Dans le cachot, on descendait par un trou les condamnés à mort. C'était surtout un lieu de supplice. Salluste en fait cette ,peinture, qui, prise dans son ensemble, est encore vraie.
« Le Tullianum est un enfoncement qui aune profondeur de douze pieds, il est entouré de murs, au-dessus tlostilia (Asc., Ad Ct'c. pr. Mil. arg., p. 54, OrelL), et, par suite, du ~omitium placé devant cette basilique non loin du Capitole. L'erreur de M. Beckcr a été de reporter les Lautumies trop à l'est, erreur qui tenait à une fausse détermination de l'emplacement du Comitium, que, jusqu'à M. Dyer, la plupart des archéologues avaient transporté à l'autre extrémité du Forum. Malgré leur proximité, le Carcer et les tautumies étaient deux choses distinctes. Les Lautumies étaient un Aieu beaucoup plus vaste et un séjour beaucoup moins terrible; quarante-trois chefs eetoliens y furent enfermés à la fuis. (Tit. Liv.. Ttxïvn, 3.) Un consul, qu'un tribun du peuple avait fait conduire aux l.autumies, eut la forte pensée d'y rassembler le sénat (D. Cass., xnvn .50); rien de tout cela n'eût pu se faire dans la. prison Mamertine Ennn un passage de Senèque le rhéteur (Controv., 27, p 500, ed. t)ip ) ne permet pas de confondre les Lautumies et la prison Mamertine un Julius Sabinus, conduit du Carcer devant le sénat, demande à être <raM/tM aux Lautumies.
Sa)). Catil Lv.
est une chambre voûtée; c'est un lieu désolé, ténébreux, infect, terrible. »
l'n rhéteur du second siècle s'exprime ainsi dans une déclamation d'où le mauvais goût n'exclut pas l'énergie.
« Je vois la pris on publique, construite avec des pierres énormes, le jour y pénètre par d'étroites ouvertures qui ne reçoivent qu'une ombre de lumière, » Un autre rhéteur, Philostrate', l'appelle le tribunal secret, parce que les grands crimes y sont punis et enfouis dans le silence.Voilà ce qu'avait faitle bon Ancus. Car cette épithète était attachée à son nom parla tradition Ennius la lui donnait dans ses Annales, et Lucrèce répétait l'assertion d'Ennius~. Oui, Ancus avait laissé un renom de popularité; Virgile ne fait aucune allusion à ses guerres et à ses conquêtes, mais il parle de la popularité dont il s'est enivré*. Transportant à l'époque des rois les vœux des plébéiens sous la république et les coutumes de l'empire, comme on avait attribué à Tullus Ilostilius une distribution de terres, on prêtait à Ancus Martius un <'OKgt<M':MtH. Il avait donné à la plebs six mille boisseaux de sel". Je reconnais là un Calpurnius i'')aecus, D~ama~<M pour le parricide.
Vit ApoU-, YH, 17, p. 138, éd. Kayser, K!n~i:TK ~fxxT'~pM~ M M rx /J~yK/K XKt S~&TCtt XKt C~TIKTCCt.
Cette tradition s'est transmise jusqu'au douzième siécle. Zonaras (vn, 7) l'appelle encore mmx:);.
Virg.. ~;n., vi, 816-7.
PL, Ilist. tM< Hn. 41, 5.
souvenir des salines qu'il établit au bord de la mer et auxquelles faisait allusion la nature particulière de cette munificence.
Niebuhr a remarqué que dans les récits légendaires de l'antiquité les esclaves sont souvent mis à la place des vaincus, des sujets par le droit de la guerre, des serfs de la glèbe, des pM<~<M. et en général de cette partie de la population qu'on trouve presque partout admise dans la cité sans participer à l'égalité des droits politiques.
Nous verrons que la légende a fait une confusion de ce genre pour Servius Tullius. Elle a transformé en fils d'esclave, en ami des esclaves, celui qui abaissa l'aristocratie au profit des plébéiens, et c'est pour cela qu'il s'est appelé SfrMM~, bien que son nom fût Mastarna, c'est pour cela aussi que le dernier roi sabin s'est appelé At'CMS ~n~<?Kr. Par son nom comme par son rôle Ancus Martius est à quelques égards le prédécesseur de Servius Tullius.
Or, je remarque qu'à Home les plébéiens, les affranchis, les esclaves, sont particulièrement sous la protection des divinités honorées par lesSabins. Diane protège les esclaves fugitifs~. Il en est de même de la grande déesse des nations sabelliques.Feconia; l'esclave qui /tH<:)M était un nom sabin (Val. Max., de 7'r~t!.), il est ta racine d'Ancilla. Dans l'origine, il indique l'idée d'aide, de soutien; aux Ë!at.<Unis, ~Mfer quelqu'un, c'esl être son domestique; les dieux Anculi sont des dieux qui aident, des dieux secourables. (P. Diac., p. 19-20.) Prell., t!(W). M~ p. 283
s'asseoit dans son temple se relève libre t. Tous les ans on sacrifiait dans le Vélabre aux mânes serviles près du tombeau d'Acca Larentia, cette nourrice de Romulus au nom sabin et que l'on confondait avec la mère des Lares, divinités sabines.
La raison de cette sympathie de tout ce qui était humble pour la mémoire d'Ancus et de cette dévotion populaire pour les divinités sabines, il faut la chercher dans la politique des rois sabins, qui commença peutêtre avec Numa, de douce mémoire; dont on voit paraître quelques signes dans la conduite du bizarre Hostilius et qui semble, en dépit de la prison Mamertine, avoir gouverné au moins en partie la conduite du roi guerrier dont on fit le &o<t Ancus.
Cette politique était indiquée par les circonstances. En présence de cette fière aristocratie sabine d'où ils étaient sortis, de ces grandes familles qui avaient plusieurs milliers de clients, les rois sabins furent conduits naturellement à se chercher un appui dans la population latine; ils s'efforcèrent au moins d'en conjurer et d'en désarmer la haine, ils protégèrent les plébéiens, les affranchis s'il y en avait alors, même les esclaves; comme les rois de France protégèrent les communes contre les seigneurs, comme les empereurs de Russie ont pris l'initiative de l'émancipation des serfs. Serv,, En., vm,564. Feronia était la patronne des affranchies (Tit. Liv., MH, 1.)
Varr., De f,. lat., vt, 24.
Mais, en même temps que le roi sabin ménageait la population du Palatin, du Caelius et de l'Avehtin, il la craignait et il voulait se faire craindre d'elle. Les gouvernements qui doivent périr vont de l'intimidation à la faiblesse, et ainsi me paraît avoir péri le gouvernement des Sabins à Rome.
Il ne faut pas oublier qu'après Ancus une révolution a fait passer la royauté des Sabins aux Etrusques. Or, les deux faits dont je cherche à expliquer le contraste, l'établissement de la prison Mamertine par Ancus Martius et ses efforts excessifs et maladroits pour obtenir la popularité dont parteVirgiie, ces deux témoignages de nature différente, et qui paraissent se contredire, contiennent, ce me semble, le secret de cette révolution. Ancus avait voulu effrayer, il avait creusé un affreux cachot, un lieu de supplice au pied du Capitole habité, comme leQuirinal etl'Esquilin, par l'aristocratie sabine, au-dessus du marché fréquenté par les Latins, pour épouvanter et les chefs de clans sabins et surtout les pâtres, les paysans et les marchands latins, toute cette plebs naissante dont il avait luimême augmenté le nombre et qu'il commençait à redouter depuis'qu'elle couvrait trois collines, élément étranger admis dans la cité sans en partager les droits, par conséquent destiné à être mécontent et hostile. Je vois dans la prison Mamertine un signe de la violence dont s'arma la royauté sabine, menacée sans doute, au moment où elle allait disparaître. Puis Ancus, comme
font les pouvoirs menacés, voulut, Virgile nous l'apprend, capter la faveur populaire et crut l'avoir gagnée. Il crut que ces Latins, que ces plébéiens lui seraient un appui contre l'aristocratie sabine; dans cette confiance il devint superbe avec elle, jactantior Ancus. Mais, c'est encore Virgile qui nous l'apprend, il avait trop compté sur cette popularité
Nimium credens popularibus auris.
Elle ne lui survécut pas un étranger vint qui sut gagner l'aristocratie mécontente du roi, et la plebs ennemie des Sabins, et c'est ainsi qu'on peut comprendre à l'aide de la tradition éclairée par les monuments ce que 1 histoire ne dit pas, comment, après de grands succès militaires, après avoir agrandi le territoire de Rome, l'avoir fortifiée, lui avoir donné un port et des salines, Ancus fut le dernier roi sabin.
XVf
).E PREMIER TARQUIN
Comment Rome eut-elle un roi étrusque. Origine de Tarquin. Prodige sur le Janicule. Politique de Tarquin; lui et sa femme prennent des noms sabins. Cette politique se montre dans la fondation du nouveau Capitole et dans la nouvelle organisation des tribus. Caractère de la monarchie étrusque. Grands travaux d'utilité publique. –Dessèchements commencés. Le Cirque. Jeux de l'Étrurie à Rome. Union des divers éléments de Rome enceinte générale des collines. Le marché embelli; avances aux Latins. Les fils du dernier roi sabin tuent Tarquin sur la Velia. Après Romulus, trois rois sabins se sont succédé à Rome; ils vont être suivis par trois rois étrusques. Cela n'a rien d'extraordinaire les Sabins étaient une nation guerrière qui, descendant de ses montagnes, avait occupé une partie du Latium et formé anciennement avec les Pélasges un établissement sur les huit collines.
Les Étrusques étaient une nation guerrière aussi et plus civilisée que les Sabins; elle n'était séparée du Palatin que par le Tibre.
Les Étrusques avaient déjà campé sur le Cœlius et possédé le Capitole; mais comment Rome tout entière, comment ses deux moitiés, la Rome latine et !a Rome sabine, en vinrent-elles à reconnaître le pouvoir d'un chef étrusque?
L'histoire ne nous le dit point, et nous ne pouvons que l'entrevoir.
Le dernier roi sabin avait cherché à gagner et a etfrayer tour à tour la population latine qui lui était soumise; mais il n'avait pu y réussir. Le sentiment de l'inégalité et de l'infériorité politique, la haine de race, avaient dû résister aux avances et aux menaces d'un maître qui était à la fois un étranger et un ennemi. La population latine préféra un autre étranger qui n'était pas un ennemi.
Dans cette population, les hommes du Palatin,–ils avaient été refoulés sur leur colline, mais n'avaient pas été vaincus, ce qui, malgré leur petit nombre, leur donnait un certain avantage, les hommes du Palatin durent être à la tête du mouvement favorable au candidat nouveau; ils favorisèrent en lui l'adver saire de leurs adversaires, le maître de leurs maîtres. Eux n'avaient aucun candidat possible on ne parle pas de la race de Romulus; on ne dit pas même qu'il ait laissé une nlle qui pût transporter sur la tête d'un gendre ce droit à l'élection qui, comme l'a remarqué Orioli, reparaît presque à chaque changement de règne depuis Numa jusqu'au dernier Tarquin.
En dehors de ce nom uniquement célèbre dans leurs courtes et obscures annales, il n'existait parmi eux aucun nom considérable d'homme ou de famille. Comme ils n'avaient joué aucun rôle, ils n'avaient aucun titre.
Parmi les autres Latins, il pouvait se trouver quelques familles qui avaient eu une certaine importance dans leur pays nous le savons pour les Albains du Cœlius; mais ces familles avaient été absorbées dans l'aristocratie sabine, et d'ailleurs laquelle eût pu fournir un prétendant accepté par tous les Latins? Ceux de l'Aventin étaient plus nombreux que ceux du Cœlius ceux du Cselius, sortis de la métropole du Latium, se regardaient comme supérieurs à ceux de l'Aventin.
Les habitants du Palatin étaient les moins nombreux et devaient être les plus superbes; car ils étaient, parmi les Latins, les plus anciens possesseurs du sol, et i)s n'étaient pas des captifs transplantés, ils n'avaient pas été subjugués par les armes. Ce que les Latins de ces trois collines, que la haine rapprochait, comme elles sont rapprochées par la nature, mais qui étaient divisées par l'orgueil, comme elles sont séparées par elle, pouvaient désirer de plus avantageux, c'est que l'empire, auquel nul d'entre eux n'était en mesure de prétendre, passât dans des mains neutres, non aux mains d'un peuple, mais aux mains d'un homme. L'avènement au trône d'un chef étrusque
fut pour eux, à défaut d'un triomphe, une consolation.
Dans les républiques italiennes du moyen âge, quand les partis ne pouvaients'entendre,ilsappelaient t un podestà étranger, chacun voulant à tout prix échapper à la domination des autres; les partis ont fait ainsi quelquefois ailleurs qu'en Italie et depuis le moyen âge.
Ancus Martius avait laissé des tils qui représentaient le droit de la nation sabine à régner. Ils maintinrent ce droit par une opposition qui aboutit au meurtre de Tarquin. Leur cause était celle de la nationalité sabine cette cause ne triompha pas dansl'clectiondu successeur d'Ancus.
Qui put empêcher son triomphe, si ce ne fut la résistance de la nationalité latine, dont les Romains du Palatin, à cause de la situation que leur faisait l'histoire et la topographie, durent former comme le centre, et que durent appuyer les deux collines latérales, l'Aventin et le Caelius.
Une partie des chefs sabins put s'y joindre par colère contre une royauté qui ne les avait peut-être pas assez ménagés et trop ménagé leurs ennemis. Il y a aussi dans l'histoire de tous les temps des exemples de cet instinct qui pousse les hommes à briser un pouvoir qui sert leurs intérêts quand il n'obéit pas à leurs passions.
Le choix d'un Étrusque étranger à la race sabine et
à la race latine fut un compromis entre elles, et, par le fait, une victoire déguisée des Latins.
Aussi les Latins, et les Romains à leur tête, vont-ils grandir sous le premier Tarquin et son successeur, en attendant que, réunis aux Sabins, les deux peuples, détestant de concert ce que de concert ils avaient accepté, se soulèvent ensemble contre le dernier des Tarquins.
Cette explication générale donnée, voyons comment la tradition racontait l'histoire de cet étranger qui devint roi, et les événements qui firent succéder à la royauté des Sabins la royauté d'un Étrusque. On racontait qu'un homme de Corinthe, nommé Démarate, à la suite d'une révolution politique, avait été contraint de fuir sa patrie; que Démarate, qui avait des relations par son commerce avec la ville de Tarquinie, en Étrurie, était venu s'y iixer, s'y était marié, et qu'un de ses fils avait été le père de Tarquin
Mais Démarate ne trouva pas dans l'Étrurie, où doJe ne vois aucune raison de rejeter ce fait, très-vraisemblable. Les relations de l'Étrurie et de la Grèce sont attestées par les vases étrusques qui, la plupart, sont des produits de fart grec. L'expuision de la famille corinthienne des Bacchiades, et l'établissement de la tyrannie de Kypselos, qui causèrent la fuite de Démarate, tombent à une époque qui s'accorde avec celle de la venue de Tarquin à Rome. Rien de plus naturel encore qu'un grand commerçant comme Démarate ait été obligé de fuir à la suite d'une révolution faite par la mu))ih)de au profit d'un tyran.
minait une aristocratie religieuse et guerrière. la considération que lui donnaient à Corinthe ses grandes richesses et son grand commerce. Le commerce devait être un jour dans' l'Ëtrurie moderne ce qu'il était alors dans les libres démocraties de la Grèce; mais ce temps n'était pas venu, et on ne pouvait encore y jouer le rôle des Médicis.
Mécontent de son séjour à Tarquinie, le séjour de Rome, qui n'en était qu'à une vingtaine de lieues, le tenta. C'était une ville nouvelle où l'on était déjà venu d'Étrurie chercher fortune Il trouverait là une société nouvelle aussi, dans laquelle les conditions étaient moins établies, les rangs moins fixes, et où peut-être toutes les places n'étaient pas prises. Le petit-fils de Démarate fit donc comme son grandpère, il changea de patrie ou plutôt de résidence, car l'Étrurie avait été pour son grand-père un refuge et n'était pas devenue pour lui une patrie. Il rassembla un grand nombre de clients et partit pour Rome, faisant le chemin suivi par les voyageurs qui y viennent aujourd'hui de Cività-Vecchia
Tarquinie était placée sur une hauteur au bord de la Narta. La nécropole, située plus à l'ouest près de Corneto, est indiquée par de nombreux tombeaux étrusques dont les peintures sont célèbres. Tarquinie ne pouvait guère être une ville de commerce; le port le plus voisin, avant que Trajan en eût fondé un à Centum-Cellfe (CivitàVecehia), devait être Cosa (Muller, Etr., i, p. 296); mais c'était une ville très-importante sous le rapport religieux. C'est près de Tarquinie qu'était sorti d'un sillon )e. nain savant Tagès et qu'il avait enseigne
Arrivé sur le Janicule, il vit à ses pieds cette Rome où il entrait inconnu et ou il devait régner. C'est encore aujourd'hui le lieu d'où on en saisit le mieux l'ensemble. La ville qu'il avait devant les yeux était dispersée sur les collines. En face de lui se déployait le Quirinal. alors le mont dominant de Rome, où s'élevait le principal temple sabin; un peu à sa droite, la petite colline Tarpéienne, qui, sous son règne, devait commencer à s'appeler le Capitole.
C'est une belle légende que celle de l'aigle qui enlève la coiffure de Tarquin et la replace sur sa tête au moment même où il arrive sur le Janicule. L'aigle, qui devait être dans la suite le symbole de la grandeur romaine, lui apparait et le couronne sur la plus haute des huit collines en présence du resplendissant horizon, image de la magnifique perspective que son ambition rêvait.
Le prodige fut interprété dans le sens de cette ambition par la femme de Tarquin, par Tanaquil qui paraît dès ce moment aussi résolue qu'elle se montra le jour de la mort de son époux, quand sa fermeté assura la couronne à Servius. Le rôle des femmes commence dans l'histoire romaine, et il commence par une femme étrusque; il se continuera par une femme sabine, Lucrèce.
en naissant la science de la foudre et des présages; le héros Ëponnnc de la ville Tarchon avait fondé les douze cités de deux confédérations étrusques.
Le nouveau venu se présente devant le roi sabin, qui, menacé par l'antipathie des Latins, par le mécontentement des chefs de sa nation, entouré d'ennemis, avait besoin d'appui. Tarquin était jeune, ambitieux, hardi; il s'offre, lui et ses nombreux clients, à combattre les ennemis du roi; il met à la disposition d'Ancus ses richesses, qui durent être agréées de grand cœur. Le commerce naissant de Rome n'avait pas dû encore produire des résultats bien considérables, et on n'a aucun renseignement, que je sache, sur ce que pouvaient être les impôts sous les rois sabins'; la royauté sabine, qui chancelait, ne devait pas avoir la main très-ferme pour les lever. On comprend que 1 Etrusque fut bien accueilli.
Il servit dans la guerre contre Fidène Les Fidenates étaient à demi Sabins, à demi Étrusques; ce qui n'empêchait point un roi sabin, secondé par un général étrusque, de les combattre.
Ancus mourut, laissant deux fils en bas âge. La royauté était élective chez les Sabins, et il n'y avait pas encore eu d'exemple d'un roi à qui son fils eût succédé. Un général victorieux, un chef de tribu riche et habile, appartenant à une nation plus civilisée Le mot MtM~a, amende, étant sabin, on peut croire que les amendes faisaient la meilleure part du revenu royal. Peut-être le champ de Mars, que nous avons reconnu pour sabin, était déjà la propriété des rois sabins, comme il fut le domaine des rois étrusques. Den.d'HaI.,m,40.
que les Sabins, à une nation avec laquelle ils avaient été fréquemment déjà en contact, n'eut pas trop de peine à écarter deux enfants du trône et à se faire élire. Selon Tite Live~, pour éviter leur concurrence, il les avait envoyés à la chasse, sans doute dans la grande forêt, dont Rome était encore environnée. Ce trait na!f a bien l'air d'appartenir à la tradition primitive.
Le rôle de Tarquin était, en s'appuyant sur les Latins, qui lavaient vu avec plaisir remplacer un roi sabin, de ménager les chefs sabins qui pouvaient se repentir d'avoir laissé la royauté sortir de leur nation.
Presque tout ce qu'on rapporte de lui s'explique par cette double nécessité de la situation de Tarquin. Tarquin est un Étrusque qui, sans cesser complètement de l'être, se fait Sabin et Latin le plus possible. A son prénom étrusque, Lucius*. qu'il garda, il joignit celui de Tarquinius, dont il fit un nom de gens à la manière sabine Priscus, 'son surnom~, ne Tit. Li\ ), 35.
Yalère Maxime (De Prasn.) a rapproché avec raison LMtM~ de f~MCMmo, titre que portaient les chefs étrusques. LMMTM~ était le nom de celui qui, disait-on, était venu d'Ardée au secours de Romulus{P.Diac., p. 119), et que Properce appelle LtMomedius. On a trouvé f~MhBM, nom propre, dans une tombe étrusque.
Tous les hommes du Palatin n'ont qu'un nom, Romulus, Remus, Faustulus; tous les Sabins en ont deux, Titus Tatius, Mettus Curtius, !!uma Pompilius, Tullus Hostilius. Ce second nom en ilius ou !'tM est
vouait pas dire !'f/Mc: c'<tnit Je nom même des Sabins aborigènes, et il doit se traduire le vieux S~:H'.
Tarquin fit à cet égard comme les chefs mongoles qui, devenus empereurs de la Chine, prirent un nom chinois.
Sa femme Tanaquil' adopta de même un nom s:bin, C?eci)ia~, et se transforma dans la tradition en analogue aux noms de gens. Raison de plus de croire plutôt aux ~M<M sabines qu'aux gentes du Palatin.
Priscus était synonyme de Cascus. (Yarr De L. lat., vit, 28.) Ce nom d'un ancien peuple a pris le sens d'ancien. Quelque chose de semUaMc est arrive chez nous au mot f,<M/o~. Niebuhr l'a vu le premier. Mais comment n'a-t-il pas reconnu dans les Casci, nom donne aux aborigènes venus de la Sabine, des Sabins, lui qui avait montre que les Prisci étaient opposés aux ~e/MM dans cette locution Prisci Aa/~M, pour Prisci et ~.a<;M!? Les Casci ou f'risci étaient les anciens habitants de la Sabine. (Voyez t. I, p. 112.) Priscus fut le nom de plusieurs personnages que leur prénom ou leur nom de gens fait croire avoir été Sabins d'origine. Attius Priscus, Priscus ~M. Priscus Cornedi2tx. Attius et /1«!<MM étaient des prénoms sabins; la gens Cornelia était sabine. D'ailleurs, selon Tite Live (l, 5~), Tarquin prit ce nom en entrant à Rome; il ne pouvait savoir qu'il serait un jour p!us ancien qu'un autre Tarquin.
ï'an~H:'< est un nom qu'on a trouvé dans une tombe de Tarquinii et sur plusieurs statues d'animaux fantastiques, entre autres la Chimère étrusque de Florence.
Les Caecilii étaient originaires de Préneste, ville sabellique, peutêtre sabine. Voilà pourquoi cette illustre famille était plébéienne. c'est qu'elle était étrangère aux Sabins de Rome. Mais elle pouvait cependant être sabine, car par son nom elle se rattachait, au héros indigène Coeculus, fondateur de Préneste (Fest., p. 44), dont elle prétendait descendre.
matrone sabine. On conservait dans le temple du dieu sabin Sancus, sur le Quirinal, avec les sandales de l'épouse de Tarquin, sa quenouille et son fuseau entoure de laine Elle avait, disait-on, filé la robe de son gendre, Servius Tullius.
Tanaquil, sous le nom de Caecilia, était devenue le type de la matrone chaste, filant la laine comme Lucrèce. Or ce type était sabin, aussi bien que Lucrèce; car, nous le verrons, ce qu'on a appelé la matrone romaine, c'est la matrone sabine. Aux épouses des Sabins devait appartenir, comme à ceux ci, l'austérité de mœurs, attribut de cette race. Elles étaient les sœur& des Vestales.
Je ne puis avoir une aussi bonne opinion des femmes du Palatin, compagnes de brigands et d'aventuriers.
En devenant Sabine, Tanaquil avait gardé dans les imaginations quelque chose de la devineresse étrusque car on conservait aussi sa ceinture*, garnie de talismans.
PL, Bist. nat., ym, 74, 1.
Fcst. (p. 238-40). Suivant une tradition rapportée par Plutarque (Q«ass<. 7!o)M-, 27), Caia Caecilia eût été la femme du fils de Tarquin; une autre tradition donne pour épouse à Tarquin une Gegania. (Den. d'Hal., iY, 7.) Les Geganii étaient une des gentes d'Albe, transplantées sur le Ca'lius par T. Hostilius. Par ses diverses suppositions de mariage entre un roi ou un fils de roi étrusque et une femme sabine ou latine, la tradition semble avoir voulu exprimer la politique de rap-
Animée du même esprit, la tradition mettait la demeure du premier roi étrusque sur la Velia où avait été celle des deux derniers rois sabins, que la pensée de tout son règne fut de continuer en les remplaçant.
Il tourna d'abord ses armes contre tes Sabins". Cette fois, une telle guerre pouvait avoir un motif politique. Écraser au dehors la puissance sabine n'éprochement avec les Latins et d'union entre les Sabins et les Latins. qui fut celle du premier Tarquin.
Tit. Liv., t, 41; Solin., 24.
Denys d'italicarnasse (m, t9) dit les Latins; mais toutes les villes qu'il énumère sont au delà de l'Anio, et, par conséquent, même si on n'en avait d'autres preuves, étaient en pays sabin Crustumerium, Nomentum, Corniculum, Collatia, Cameria, étaient sabines. Pour Nomentum et Crustumerium il ne peut y avoir de doute. Le nom de Nomentum subsiste encore à peine altéré dans celui de .L<M;~e, et la voie Nomentane traverse l'Anio sur un pont dont les visiteurs de Rome n'auront pas oublié l'effet pittoresque. Crustumerium donnait it son nom aux collines d'où sort l'Allia pour se jeter dans le Tibre audessus de l'Anio. Pour Corniculum, elle était certainement dans le voisinage des monts Corniculani, et, quand leur position ne serait pas déterminée par un passage de Denys d'Ilalicarnasse, qui l'indiqur (t, 16) entre Tibur et Ficulée, que nous savons avoir été sur la voie Nomcntane (Nibb., DMt., n, p. 46), la forme de leurs cônes pointus en manière de corne ferait reconnaître les monts Corniculani dans ces collines d'un aspMt si remarquable qui portent les petites villes de Monticelli, San-Angelo et Palombara, parmi lesquelles il faut chercher celle qui a remplacé Corniculum. Collatie était sabine aussi (Tit. Liv., i, 58); nous en parlerons bientôt. Le site de Cameria (St inconnu; mais son nom est le même que celui d'une ville d'Omhrie (Cameria ou Camerinum); c'est donc un nom sabellique, par conséquent, Cameria était une ville sabine.
tait pas un mauvais moyen de l'abaisser au dedans. Les hommes de la Sabine, de concert avec les Étrusques, s'armèrent contre Tarquin.
Le grand nombre de villes prises aux Sabins semble indiquer une ligue nationale contre le destructeur de la royauté sabine à Rome.
Probablement les Étrusques qui s'allièrent aux Sabins étaient les Étrusques de Véies, accoutumés à s'unir aux Sabins de Fidène.
En effet, c'est de ce côté, près du confluent de l'Anio et du Tibre', que Tarquin exécuta le stratagème au moyen duquel il parvint à brûler les barques de l'ennemi.
Ici Denys d'Halicarnasse, dont l'histoire était jusqu'à ce moment tout à fait conforme à la vraisemblance, s'en éloigne complètement. Les peuples de l'Étrurie se liguent contre Tarquin. Dans cette prétendue ligue générale de l'Étrurie, renforcée des Sabins, on ne voit figurer que des lieux très-voisins de Rome Cependant les douze peuples étrusques se décident à reconnaître sa suprématie.
Den. d'Ha).. m, 55-6.
Sur la rive droite du Tibre, Véies (Isola Farnese), à six, lieues, et Csere ~Cer\e)ri près Palo), à neuf. Sur la rive gauche, Fidène (Castel-Giubileo) et Eretum, que Nibby (DM<n, 144-5) retrouve avec assez de \aisonbiance dans Grotta-Marozza, à environ six lieues de Rome. Tite Live ne dit rien de cette guerre contre les Étrusques; mais Florus [;, 5, 5) parle des peuples de l'Étrurie vaincus et subjugue* dans de MfM~reMT combats, et Orose (u, 43) dans d'nMom<'r«MM
Tarquin, dont le petit royaume, malgré les conquêtes d'Ancus et les siennes, aurait tenu dans telle des douze provinces de l'Étrurie, Tarquin se montre généreux, il promet de ne tuer, de n'exiler et de ne dépouiller personne, et octroie à chaque ville le droit de se régir elle-même comme elle l'entendra. La grande confédération se soumet à ce roitelet, et lui envoie, en témoignage de sa sujétion, les insignes de la royauté étrusque* la couronne d'or, la chaise d'ivoire, le sceptre surmonté par l'image de l'aigle, la robe de pourpre brodée d'or et les douze haches des licteurs.
Toutes ces choses, qui à Rome servirent à relever la dignité des consuls et à orner la majesté des triomphes, avaient, je n'en doute point, une origine étrusque. Seulement elles ne furent pas envoyées à Tarquin comme souverain de l'Étrurie, mais apportées de son pays par le chef étrusque~.
La soumission de l'Etrurie est suivie de celle des Sabins; après une bataille que leur livre Tarquin à la tête d'une armée de Romains, de Latins et d'Étrusques, et dans laquelle ils sont défaits; le roi, vainqueur, rentre à Rome pour y triompher.
Tout cela, en laissant de côté des exagérations évicombats. A mesure qu'une fausseté historique va se répétant, elle s'amp)i<Ie.
Den. d'Hal., m, 61.
Strab., v, 2, 2.
dentes, veut seulement dire que le premier roi étrusque fit comme ses prédécesseurs, et guerroya contre ses voisins.
Ici se place la grande pensée monumentale du règne de Tarquin, le temple du Capitole, dont la destinée devait être liée aux triomphes de Rome, et dont le nom en est encore le symbole.
Car ce fut, disent les historiens, à la suite de cette guerre, après la prise d'Apiola et avec le butin fait dans cette ville que Tarquin résolut d'élever un temple sur le mont Tarpéien, lequel, à partir de ce moment, prit le grand nom de Capitole. Ce temple fut le monument des rois étrusques. Le premier Tarquin en jeta les fondements; son oeuvre fut continuée par le second.
J'ai appelé la pensée de Tarquin une grande pensée. <7est qu'en effet la fondation du temple Capitolin est l'expression de la politique de Tarquin, politique entrevue par les rois sabins ses devanciers, et pleinement réalisée sous son successeur. Tarquin semble .avoir voulu faire, pour ainsi dire, un temple de fu«OH appartenant également aux trois races qu'il cher.chait à mettre sur un pied d'égalité et à réunir dans une même unité nationale, en même temps qu'il vourIt faut joindre aux expéditions de Tarquin contre les peuples sabelliques une guerre contre la formidable nation des ~Eques, guerre .dont parlent Strabon (v. 5, 4) et Cicéron (De Rep., n, 20). ~r).,JÏMt.nc/,i,9,i5. 15..
lait, en contre-balançant, par l'importance donnée aux Latins, l'ascendant des Sabins, établir, sans qu'il y parût trop, la prédominance de la nationalité étrusque.
Avant Tarquin, il y avait sur le mont sabin par excellence, le Quirinal, un temple qu'on a appelé le Vieux Capitole. Il ne pouvait alors porter ce nom; le mont Saturnien lui-même ne reçut son nom immortel que lorsque, sous Tarquin, on y eut trouvé, en jetant les fondements du temple, cette tête coupée, <;spMt 0/ dont on fit Capitole, découverte de laquelle les devins, ou plutôt les écrivains postérieurs, conclurent que là devait être la tête, le ch~~H, la capitale du monde.
A l'époque de Tarquin, l'on ne pouvait concevoir une si vaste espérance. S'il y a quelque chose de vrai dans cette histoire, la tête était celle d'un chef étrusque enterré jadis sur le Capitole, à l'époque où les Etrusques s'y étaient établis. On disait aussi que les os de Tarpéia avaient été transportés ailleurs quand on avait voulu bâtir le temple de Jupiter, ce qui semble indiquer la présence de sépultures antiques sur le mont Capitolin.
Le nom du Golgotha vient de crâne, comme celui du Capitole vient de tête. Il est remarquable que ces deux collines aient le même nom. Un autre rapproche'Arn., ad Genl., Yt, 7.
Plut., &M!M< 18.
ment, bien que fortuit, m'a frappé; comme je rôdais autour du Capitole, en songeant à la tête d'Olus, je me suis trouvé en face de la porte d'une église, et j'ai vu au-dessus de cette porte l'image d'une tête coupée c'était l'église de Saint-Jean-Décolle, dans laquelle on conduit les condamnés avant le supplice. Le temple du Quirinal était consacré à trois divini tés, Jupiter, Minerve, Junon', dont la première était commune aux Sabins, aux Latins et aux Étrusques. Mais Jupiter était plus particulièrement un dieu national des Latins, chez lesquels il avait succédé au vieux Saturne. Le temple de Jupiter Latiaris était le centre de la confédération latine. C'est à Jupiter que fut dédié surtout le nouveau temple, et dans l'usage, bien qu'il se composât de trois sanctuaires, il s'appela toujours le temple de Jupiter.
Minerve et Junon étaient les noms sabins de deux divinités qui étaient aussi l'objet du culte des Étrusques~. Cette triade divine était un objet spécial de ce culte.
Ce vieux Capitole sabin avait dû être érigé lui-même sous l'influence de la discipline étrusque, influence que nous avons vue avoir été subie par les Sabins; ceci en serait le plus ancien exemple. En effet, Servius (~M., <. 422) nous apprend que dédier un temple à Jupiter, à Minerve et à Junon, était une coutume étrusque; selon les livres sacrés de t'Étrurie, ces trois divini!és lançaient la foudre. Minerve paraît chez les Étrusques sous ce nom, MetMr~, qui est sabin, et qui devait avoir été porté en Étrurie par les Ombriens, anciens habitants du pays étrusque et de la même race que les Sabins. De
Élever un temple à Jupiter, c'était flatter les Latins, c'était consoler les déshérités d'Albe, qui habitaient le Cselius, de n'être plus en possession du temple de Jupiter latin sur la montagne Albaine. Élever un temple à Jupiter, à Minerve et à Junon, c'était, en honorant trois grandes divinités de l'Étrurie, en faisant acte de dévotion étrusque, rendre hommage à trois divinités également sabines, et, en leur consacrant un temple nouveau, refaire étrusque le Capitole, qui l'avait été autrefois, tout en y supprimant le plus possible les cultes sabins, sauf, quand la résistance était trop forte, à transiger avec eux, comme on fit pour le dieu Terme, la Jeunesse; enfin c'était opposer au Quirinal, demeuré sabin, et enlever pour ainsi dire aux Sabins le culte exclusif de l'antique triade que l'Étrurie, comme la Sabine, avaient reçue des Pélasges
Ainsi ce temple devait être commun à tous, réunir dans son sein le Jupiter latin, la Minerve étrusque, la plus, le clou que l'on plantait dans le mur de la Cella dédiée à Minerve dans le temple du Capitole, était un emprunt au culte étrusque. Chaque année, on fichait un clou dans le temple de la déesse Nortia, à Volsinii. (Tit. Liy., vu, 5.) Junon, en Ëtrurie, s'appelait Cupra, nom également d'origine ombrienne; car il est sabellique et de même racine que le mot sabin Cyprius, bon.
t L'association de ces trois divinités était très-antique; on la retrouve en Grèce. (Paus., x, 5, 2.) Les Sabins devaient le culte de cette triade à leurs rapports avec les Pélasges; les Pélasges tyrrhéniens l'avaient porté en Étrurie.
Junon sabine, et, par ce triple culte, offrir comme un symbole des trois peuples au milieu desquels il fut élevé 1.
Mais si, par la pensée qui l'avait fondé, ce temple appartenait également aux Sabins, aux Latins et aux Etrusques, par l'art il était certainement étrusque, car il fut construit par des ouvriers de ce pays Or Vitruves nous donne, à propos de l'architecture propre aux temples étrusques, des détails au moyen desquels on peut retrouver celle du temple de Jupiter. Dans l'origine, il était bas, avec des colonnes d'un fort diamètre et trés-éloiguées, presque aussi large que Iong\ ce qui devait lui donner l'air écrasé et trapu.
Son pourtour (207 1/2 sur 192 1/2) était de huit cents pieds, et ne changea jamais. Quand on le reconstruisit sous la république, on voulut l'agrandir; mais les pontifes s'y opposèrent.
On se contenta d'augmenter sa hauteur sans rien ajouter à son étendue. Un motif analogue, quoique Un bas-relief, placé dans l'escalier du palais des Conservateurs, et qui représente Marc Aurèle monlant en triomphe au Capitole, offre une image exacte de ce que le temple était au temps de Marc Aurèle.
Tit. Liv., ), 56.
Vitr., iv, 7.
Il avait quinze pieds de plus seulement en longueur (Den. d'Hal., iv, 6i), trois rangs de six colonnes à la façade, un ou deux rangs de sept sur chacun des côtes. (Ott. Müll., Etr., u, p. 232-3; Hirt Gesch. d. Bauk. b. d. Alt., n, p. 245; Abek, JH:'«. il, p. 221.)
produisant un effet inverse, a donné à Saint-Pierre ses dimensions gigantesques. On a exigé des architectes qu'ils comprissent dans l'enceinte de l'église, outre l'espace ajouté d'abord à l'ancienne basilique, tout l'espace qu'avait occupé celle-ci.
Dans les deux cas, on a obéi au même sentiment un respect religieux pour le sol primitivement consacré.
Le temple de Jupiter dut être bâti avec le tuf du mont Capitolin, le plus compacte qui soit à Rome, et dont il existait des carrières dans le sein de la colline.
Ainsi nous connaissons la forme, l'histoire de ce temple et jusqu'à ses matériaux; mais il est très difuci)e de savoir exactement où il était placé.
Le mont Capitolin a deux cimes l'une, au sudouest, est connue sous le nom de roche Tarpéienne; l'autre, au nord-est, porte l'église d'Araceli, sur laquelle était la citadelle eL sur laquelle était le temple <[e Jupiter?
C'est une des questions de topographie romaine les plus importantes et les plus difficiles à trancher. Il est assez piquant qu'on soit embarrassé à Rome pour dire: le Capitole était là.
Après y avoir bien pensé, je me suis décidé pour la cime nord-est, celle d'Araceli. Je crois que l'église est ~)ù était le temple*.
La difticuttë rient en partie de ce que le mot arx, citaJptte, est
On plaça sur le faîte du temple des statues, comme on en a placé dans les temps modernes sur les églises romaines, à Saint-Jean de Latran, par exemple, où quelquefois pris pour le temple, et Capitolium, tantôt pour le temple de Jupiter, tantôt pour tout le mont Capitolin; que le nom de mons Tarpeius est donné aussi parfois à la colline tout entière, et que les deux sommets étant très-voisins, les mêmes expressions peuvent sonvent s'appliquer à tous deux. Laissant de côté les passages douteux, je m'attacherai seulement à ceux qui me paraissent démonstratifs. C'est, je crois, la méthode à suivre dans ce genre de recherches pour les simplifier en les abrégeant. La partie du mont Tarpéien ou Capitolin sur lequel on éleva le temple dominait le Forum (jTr~xst'/tSfo~ Tt;, KyopS;, Den. d'Haï., n[, 69); donc le temple de Jupiter regardait le Forum. Or il regardait aussi le midi. (Den., n', 6t.) S'il eût été sur la cime sud-ouest et tourné au midi, il n'eût pas regardé le Forum, mais l'Aventin et le cirque. Cicéron parle d'une statue placée devant le temple de Jupiter qui, tournée vers l'orient, regarde le Forum et la curie (7tt Cat., 111, 8); de la cime sud-ouest elle l'eût regardé d'un peu loin. D'ailleurs, avant d'être tournée à l'est par le conseil des aruspices, la statue l'était sans doute au sud. Ce devait être sa position première, car c'était la direction des temples terrestres, comme du ~m~/MM céleste, c'est-à-dire de la partie du ciel que l'on contemplait (Varr., De L. lat., vu, 7.) Plusieurs faits s'expliquent mieux en mettant le temple de Jupiter à Araceli. La citadelle est toujours présentée comme plus rapprochée du Tibre que le temple. Dans sa surprise nocturne, Herdonius (Den. d'Hal., Y, 14,, qui est venu par le fleuve, rencontre d'abord la citadelle. Il en est de même de la tentative des Gaulois (Tit. Liv., v, 47); ils ont gravi la roche Carmentale, c'est-à-dire le sommet qui était du côté de la porte de ce nom, et trouvent d'abord la citadelle sur leur chemin, sans qu'il soit question du temple de Jupiter. Manlius, qui demeurait dans la citadelle, et non dans le temple, se réveille aux cris des oies de Junon, et repousse les Gaulois. Tout se passe sur la première cime qu'ils ont rencontrée, c'est-à-dire sur la cime sud-ouest. Les Fabii, en allant
elles font, en se détachant sur le bleu du ciel, un si grand effet.
Une de celles qui décoraient le temple du Capitole représentait le dieu étrusque et sabin Summanus'. t. Tarquin lit aussi exécuter par un artiste étrusque~ 2 un quadrige, une statue de Jupiter et une statue d'Hercule en terre.
Le choix de ces divinités semble dicté par le désir de concilier à la fois les Sabins et les Latins, qui fut l'âme de la politique de Tarquin. Summanus était un dieu tout ensemble étrusqu~et sabin; Jupiter, un dieu commun à tous, mais particulièrement cher aux Latins, et Hercule considéré comme identique à Sancus, dieu sabin 5. C'est toujours le même désir de plaire vers la porte Carmentale, passent devant, le Capitole, puis devant la citadelle. (Tit. Liv., n, 4'J.) Des deux sommets ce dernier est le plus considérable. Une citadelle eût été bien resserrée sur la plate-forme d'Araceli. (Nibb., R. Ant., 557.) Dans un de ses exercices de rhétorique, Sénèque le père suppose qu'une vestale, précipitée de la roche Tarpëienne et sauvée miraculeusement, se trouve tout près du temple de Yes'.a; la roche Tarpéienne était donc de ce coté; elle dominait la rue Tor,dei Specclii, où a existé au moyen âge une église qui portait le nom de Santa-Catharina Tarpeio. Enfin on n'entend pas parler de l'église de Santa-llaria in Araceli avant le neuvième siècle, et l'on sait que le temple du Jupiter Capitolin était encore debout au septième. La durée de ce temple explique la tardive apparition d'une église sur le Capitole.
Cie., De Div., 10.
PI., Hist. nat., xxxv, 45, 4.
Fest., p. 229.
.aux Latins et la même crainte de déplaire aux Sabins.
Ces deux sentiments, qui dominent toute la conduite de Tarquin et l'expliquent, parurent dans la tentative que fit ce roi de créer trois tribus nouvelles, tentative qui avait pour but de mettre sur un pied d'égalité les patriciens et les plébéiens, les Latins et les Sabins, et qui rencontra de la part des Sabins une résistance devant laquelle Tarquin dut gauçhir. Quand Tarquin arriva, il trouva trois populations occupant des quartiers différents et possédant des terres séparées dans le territoire romaine mais elles n'étaient pas organisées en tribus.
Les éléments de la tribu existaient; son organisation était à naître. Sous Tarquin seulement elles s'appelèrent les Titiès, les Rhamnès, les Lucérés. Tout le monde reconnaît dans les Titiès et les Rhamnès les Sabine et les Romains
Varron le dit expressément. (De lat., v, 55.)
Ce qui le prouve, c'est que Volnius, qui devait savoir l'étrusque, puisqu'il avait composé des tragédies dans cette langue, disait que les noms des trois tribus étaient étrusques. (Varr., De L. lat., v, 55.) Pour les deux premières, dont l'une était sàbine et l'autre romaine, il ne peut s'agir que de la forme grammaticale de leurs noms, de ce pluriel en es qui n'était pas en latin celui de Tt<t<M ou de Rhamnus. La forme latine était Titienses et JMamMtMM.
De Titius, prénom de Tatius. Les sodales tities avaient été institués pour veiller à la conservation des rites sabins.
Rhamnès est une contraction dans le goût étrusque de ~<MMM! avec cette terminaison du pluriel en es, qui se trouve dans les tables
On s'accorde généralement à voir dans les Lucéres des Étrusques'.
Jusque-là il ne pouvait y avoir d'égalité entre les Sabins et leurs vassaux du Palatin, entre les Sabins et les Etrusques du Cselius.
Un roi sabin ne pouvait instituer cette égalité; au premier roi étrusque, à un roi neutre pour ainsi dire, il appartenait de commencer à l'introduire.
Mais il voulut faire plus encore.
Dans ces trois tribus, les populations latines, établies par les deux rois ses prédécesseurs sur le Caelius et sur l'Aventin, n'étaient pas représentées. Ce fut pour leur faire une place dans la cité qu'il eut la pensée de créer trois nouvelles tribus, et, pour que ces tribus latines fussent marquées du sceau étrusque et dans la main du roi, de leur donner son nom, le nom de ses amis, c'est-à-dire de placer à leur tête lui-même et des chefs étrusques.
Mais c'en était trop l'orgueil sabin se révolta. Tarquin fut obligé de renoncer à accomplir ouverteengubines remplacée par son équivalent er, et au commencement du mot un r aspiré, f/t, sans exemple dans les mots latins qui ne viennent pas directement du grec.
P. Diac., p. 120. Même racine que Lucumo. On a trouvé dans une tombe étrusque Lukir. Le chef étrusque qui était venu d'Ardée au secours de Romulus s'appelait Lucerus. Les Sacra des Lucérès étaient sur le Cselius, colline à demi étrusque.
ment son projet; mais il atteignit à peu près le même but par un autre chemin.
Chaque tribu contenait depuis Tullus Hostilius deux cents cavaliers~. Au lieu de doubler le nombre des tribus, Tarquin fit ce qu'avait fait déjà Tullus Hostilius, il doubla le nombre des cavaliers dans chacune des tribus.
C'est ce qu'on appelait les centuries des cavaliers (equites), et qu'il ne faut pas confondre avec les tribus dont les cavaliers formaient la partie aristocratique-.
Il est clair que la résistance dut venir des Sabins et non des Etrusques, intéresses aux succès du dessein de leur roi, dessein formé dans l'intention d'opposer un contre-poids à la puissance des Sabins, rivale de la leur.
Aussi 1 augure qui combattit à ce dessein n'était-il pas un augure étrusque, mais un augure sabin; son nom, .A<('~ Nsevius, en est la preuve.
Le prodige attribué à cet augure nous ramène au Comitium, où, par un secret de son art magique, il avait transporté, du versant occidental du Palatin, le figuier ruminai sous lequel avait été exposé Romulus, et que les Sabins voulaient posséder chez eux dans le lieu découvert où ils délibéraient, comme un gage de Il faut admettre que dès lors il y eut au sein de la plebs du Palatin une certaine aristocratie; T. Hostilius avait donné des terres à tout le monde, ce qui explique comment elle put se former.
leur suprématie sur te Palatin. Ce fut aussi dans le Comitiutn que Naevius opéra un autre miracle Cet Attus Naevius, disciple des Étrusques et le plus célèbre augure de son temps, avait commencé, comme le pape Sixte-Quint, par garder des pourceaux. Il paraît que son âme n'était pas moins bien trempée que celle du porcher de Montalte; car il osa se faire l'intrépide interprète de la résistance de sa nation, et, comme plus d'un pape aussi énergique que lui, opposa victorieusement l'autorité religieuse au pouvoir royal. Le roi, irrité, mande Naevius devant lui; il était a"sis sur son tribunal, au sommet des degrés par ou l'on montait à la curie
Le lieu de la scène est donc parfaitement déterminé par la tradition, et nous pouvons assister au drame qui se joue dans le Comitium, où sont les patriciens sab;ns, et en présence de la foulé latine qui remplit le marché.
« Je vais vous montrer, dit le roi, que l'art de cet homme est menteur. »
Nsevius s'était approché et se tenait au bas des d grés. Le roi n'osait laisser paraître sa colère contre le saint personnage, dont la légende racontait qu'enfant. Den. d'Hal.. m, 71; Cic., De Div., 17.
C'est'ce qui résulte des paroles de Tite Live (t, 36], qui désigne avec une grande exactitude le lieu où la chose avait eu lieu, et ou était de son temps la statue de NiBvius s Quo in loco res acta est, in Comitio, in gradihus ipsis ad lœvam curiœ. »
il avait deviné l'art augural pour retrouver ses pourceaux égarés; le saluant avec douceur, il lui dit « Il faut nous faire voir, ô Naevius ton habileté dans l'art de deviner. Voulant accomplir une grande chose, je désirerais savoir si elle est possible. Va donc consulter les oiseaux et reviens promptement, tandis que moi, assis en ce lieu, je t'attendrai. »)
Le devin obéit, il revint bientôt après avoir consulté les auspices, et déclara que l'action projetée par le.roi était possible. Alors le roi, riant de ce discours, lui dit
« A cette heure, ô Naevius, il est clair que tu es un imposteur, et que tu nous trompes manifestement, puisque tu as osé affirmer qu'une chose impossible peut être faite. »
Et, tirant de son sein un rasoir et, une pierre à repasser, il ajouta
« Je m'étais demandé si, en frappant cette pierre avec ce rasoir, je pourrais la trancher par le milieu. N
Alors tous ceux qui étaient présents s'étant mis à rire, l'augure, sans se déconcerter, répondit « Frappe avec conilance cette pierre, et elle sera tranchée par le milieu. »
Le roi frappa la pien'ë avec le rasoir, et le rasoir, fendant la pierre, alla couper un morceau de la main La légende, tout er restant romaine, pourrait être moderne. Le prêtre an'ait « Frappe a\ec toi. <
qui le tenait. Tarquin ne songea plus à br~~un tel 1 homme, et exécuta son plan d'une façon dehHjrne~ Il fit élever à Nsevius une petite statue en bronze qui le représentait la tète voilée, et qu'on voyait encore au temps d'Auguste sur les degrés par où l'on montait au Comitium un peu élevé au-dessus du marché, près du figuier ruminai, en avant et à gauche de la curie. On enterra près de là le rasoir' et la pierre à repasser, et le lieu fut déclaré saint comme ceux que la foudre avait consacrés.
Ce plan de fondre les races par l'égalité, de favoriser le plus possible les Latins sans trop mécontenter les Sabins, de remplacer tout doucement l'ascendant de ceux-ci par l'ascendant des Étrusques;.ce plan auquel se rapportait également la fondation du temple Capitolin et la nouvelle organisation des tribus, Tarquin le poursuivit en toute chose. Tout ce que l'on sait de ses institutions politiques est conçu dans Je même esprit.
Il augmente le sénat de cent membres nouveaux, lesquels, comme dit Tite Live, y formèrent le parti du roi, qui les y avait fait entrer Déjà le nombre des séna1 Scipion l'Africain fut, dit-on, le premier Romain qui se fit faire ta' barbe tous les jours. Vers son temps, des barbiers grecs s'établirent à Rome; mais ta légende, certainement ancienne, d'Attus Nœvius, montre que les Romains n'avaient pas attendu jusque-là pour se raser.
« Factio haud dubia regis, cujus beneficio in curiam vénérant. » (Tit. Liv., i, 5S.)
teurs, de cent dans l'origine, avait été doublé, sans doute pour y pouvoir admettre les patriciens d'Albe et d'autres patriciens latins. Sous Tarquin, il fut porté à trois cents 1, et cette fois les Étrusques, qui probablement, vu l'insignifiance du nombre de ceux qui étaient restés sur le Caelius, n'y avaient pas encore été admis, renforcés par les nouveaux arrivés d'Étrurie, vinrent y prendre place sous un roi étrusque. Ce nombre de trois cents sénateurs, au temps de Tarquin, achève de prouver que ce fut lui qui le premier fit trois corps politiques des tribus qui jusqu'à lui n'étaient que trois races.
Selon Denys d'Halicarnasse, ces cent nouveaux sénateurs furent des plébéiens. Cela veut dire que Tarquin introduisit dans le sénat, avec ses Étrusques, des Latins sur lesquels il croyait pouvoir compter. Il fit ce que j'appellerais, si j'osais employer des expressions trop modernes, mais au fond exactes, une /oMrM~ étrusco-latine pour rendre une majorité sabine impossible.
Par la même raison, au lieu de quatre Vestales, il en créa six, trois pour les cavaliers anciens dans les centuries, trois pour les nouveaux et un augure pour chacune des trois
Le premier roi étrusque voulut inaugurer par de Den. d'Hal., n), 67.
Fest., p. 3M.
Ti'. Liv., ï, 6.
grands travaux d'utilité publique l'avénement de sa nation à la souveraineté.
Romulus avait élevé une muraille autour de sa petite ville du Palatin; les rois sabins en avaient agrandi i de beaucoup l'enceinte et l'avaient fortifiée; ils avaient bâti un port, une citadelle et une prison. Les rois étrusques construisirent le cirque, qui devint, avec le temps, le plus grand monument, de Rome; et un système d'égouts.qui excitait l'admiration de Pline, et dont un reste très-imposant, le grand égout (Cloaca maxima), excite encore aujourd'hui la nôtre. Je parlerai de cet égout quand j'en serai venu à Tarquin le Superbe, son principal auteur'; mais je dois dire dès à présent que l'ensemble des travaux de desséchement et d'assainissement dont la Cloaca maxima fui le complément magnifique remonte au premier Tarquin
Pour le grand cirque, il lui appartient sans conteste.
Le cirque n'existait pas~, et il ne pouvait exister avant Tarquin; car, avant les desséchements exécutés par ce roi, la vallée devait être en partie au moins inondée par le prolongement du Vélabre entre Tit. Liv., 56.
Tit. Liv., i, 58; Den. d'Ha)., m, 67.
3 Ttt. Liv., i, 55; Den. d'Hal., m, 68. Selon Denys d'Halicarnasse, Tarquin acheva le cirque et le rendit plus commode pour les spectateurs il n'en est pas moins très-probable que le cirque ne saurait être antérieur aux Étrusques.
le Palatin et l'Aventin 1. D'ailleurs, dans cette vallée, Ancus Martius avait établi une partie considérable de la population latine, transportée par lui à Rome. Il n'y avait donc pas alors de cirque en cet endroit. Le cirque à Rome ne fut point dans l'origine une imitation de l'hippodrome grec, comme il le devint depuis
Ce fut une importation étrusque. Tarquin fit venir de son pays, et non de la Grèce, des chevaux de race et des pugilistes~.
Les athlètes grecs parurent à Rome pour la première fois au sixième siècle*.
Il faut écarter de ces commencements l'idée des careeres. constructions appropriées au départ des chars; les cirques ne furent disposés ainsi que plus tard 5. Denys d'Halicarnasse avoue qu'il fallut combler le bas de la vallée. (ni, 43.)
0. Muller, Man. d'~A., g n2, 1; Mommsen, Rem. GfM/t., 2'éd., 'p.10t.
3 Tit. Liv., t, 35. Les courses de chevaux et le pugilat pouvaient avoir passé de la Grèce dans l'Étrurie, avec laquelle les Grecs furent plus anciennement en rapport que les Romains. L'art de boxer est ~ieux dans le monde; mais, chez les Étrusques, on se donnait des coups de poing au son de la flûte (Athen., tv. 13), comme on combattait à Sparte. Cette manière de boxer a une certaine grâce qui trahit son origine hellénique.
Tit. Liv., xxïix, 22.
Tit. Liv., vm, 2. Il n'est pas impossible qu'il y ait eu des courses de char avant qu'il y ait eu des carceres. Hais, en supposant que ces courses datent à Rome de si loin, elles ont eu une origine étrusque .et non une origine au moins directement grecque. On les a trouvées
Si l'on veut avoir le spectacle de ces courses et de ceux qui y prenaient part, il faut traverser Rome, et, de l'emplacement du grand cirque, se rendre au musée du Vatican pour y voir les /ac-s!m!/c de_ peintures étrusques représentant des cavaliers et des lutteurs étrusques.
Mais on peut, sans quitter la rue des Cerchi, retrouver, par la pensée et même par les yeux, le souvenir des jeux du cirque.
Que de fois, suivant à pas lents cette rue habituellement solitaire, j'ai écouté, à travers le silence du soir, retentir dans un passé lointain les applaudissements et le tumulte de la foule qui jadis le remplissait. Je ne voyais d'abord que des charrettes arrêtées à son extrémité, près du gazomètre, là où sous la république et l'empire stationnaient les chars qui attendaient le signal pour s'élancer dans la lice. Alors, quelquefois, un paysan romain à l'air farouche, et qui semblait plutôt du temps où le cirque fut construit que de celui où a été bâti le gazomètre, fièrement campé sur une de ces charrettes, fuyait avec elle devant moi dans la poussière; ou bien, deux pâtres de la campagne, sur de petits chevaux noirs d'un aspect aussi sauvage que le leur, galopaient avec furie, cherreprésentées sur les parois des tombes étrusques. (0. Müller, Handb. der j4r<;A., g HO.) On sait l'histoire du char venant de Veies, se renverser au pied du Capitole (à l'extrémité du Corso), et donnant son nom à la porte Ratumena (Pl., ~M/. na< vin, 45, 2), située en cet" endroit.
chant à se dépasser; sans se douter qu'ils traversaient le grand cirque et qu'ils m'offraient l'image des courses qu'en ce lieu les Étrusques enseignèrent aux Romains: 1
Les détails que nous a conservés la tradition sur la disposition du cirque de Tarquin, s'ils ne sont pas certains, sont caractéristiques. Denys d'Halicarnasse, qui a l'air de croire que le cirque existait ayant ce roi, dit que jusqu'à lui les spectateurs étaient debout sur des planches soutenues par des poteaux, et qu'il les fit asseoir sur des sièges couverts qu'il assigna une place déterminée à chacune des curies, et, selon Tite Live, aux sénateurs et aux chevaliers*. Je doute que ces auteurs aient pu être aussi exactement informé de ce qu'était la police des cirques sous le règne de Tarquin mais je vois dans cette tradition un signe de l'opinion qu'avait laissée d'elle la monarchie étrusque. On lui attribuait un progrès dans ce que nous appelons le cûH/brt et la régularité administrative. Ne semble-t-il pas lire une ordonnance de préfet ?
C'est que la monarchie étrusque fut en effet un progrès remarquable vers la civilisation, la richesse, le bien-être. Le second roi de cette monarchie fit de la fortune de chacun la base et la mesure des droits politiques. Nous sommes bien loin des brigands de Den. d'Hal., m; 68.
Tit. Lh., t. 35.
l'Asile, de l'écartellcrnent de Fufetius, et même de la fosse aux supplices du bon Ancus Sur les grands travaux entrepris par les rois étrusques, la tradition varie un peu, les attribuant tantôt à celui-ci, tantôt à celui-là*; mais elle est constante à les placer sous ces rois.
Ainsi l'enceinte qui enferma les sept collines de la rive gauche et la forteresse du Janicule par un mur,' et du côté de la plaine, là où ce mur n'aurait pas suffi, lui adjoignit un fossé et un relèvement de terre; cette enceinte, qui fit des différentes Romes que nous avons vues naître une seule Rome, et qui cimenta l'union des populations établies sur les diverses colTellement loin, que j'ai peine à croire que la tradition, qui ouNie beaucoup et concentre beaucoup, n'ait pas omis, devenant romaine, quelque roi sabin ou étrusque. L'objection tirée de la moyenne des* règnes, trop considérable pour être vraie, est pour moi sans force, parce que je ne crois point à la chronologie dans la tradition. Cependant le fait de cette disproportion entre le petit nombre des rois et la durée de la royauté me portent à supposer qu'un souvenir s'était conservé, au moins que cette royauté avait été durable; sans cela, on eût mieux fait concorder les deux termes. Du reste, une telle supposition ne changerait rien à l'ensemble de la tradition, à une royauté étrusque après une royauté sabine, à la supériorité *des Sabins, à la dépendance des Latins, à leur progrès favorisé politiquement par les rois sabins eux-mêmes et surtout par les rois étrusques, toutes choses que je persiste à croire véritables.
Tite Live, après avoir dit (l, 38) que TarquiniusPriscus a jeté les fondements du temple de Jupiter, dit (;, 55) qu'à ces fondements ne suffirent pas les dépouilles de Pometia, ville conquise par l'autre Tarquin. Pline (Hist. nat., m, 9, 15) attribue l'agger de Servius Tullius à Tarquin le Superbe.
lines par de communs moyens de défense; cette enceinte, qui, comme l'a dit si bien Virgile, enveloppait les sept ~'<;<M, c'est-à-dire les sept sommets fortifiés, jusqu'alors plus ou moins isolés et indépendants; cette enceinte, dont on peut suivre la direction erdont plusieurs portions existent, on l'attribue tantôt à Tarquin l'ancien, tantôt à ses deux successeurs; on en fait même remonter une partie au dernier des rois sabins, à Ancus Martius.
C'est que tous ces rois y ont travaillé l'un après l'autre. La part de chacun est assez difficile à faire. Selon toute vraisemblance, le roi sabin creusa le fossé J~ Sabins du côté de la plaine, du côté le plus exposé, et devança dans cette région le travail analogue de Servius Tullius. Ancus, en fortifiant le Quirinal, mont sacré des Sabins, le Viminal, dépendant du Quirinal, l'Esquilin, voisin du Viminal et habité de même par les Sabins, allait au plus pressé; mais on peut~ereMe avec Tite Live que Tarquin conçut le premier la pensée d'entourer toute la ville d'un mur de pierre, sans rejeter ce que dit Denys d'Halicarnasse que des murs grossiérs et faits à la hâte existaient déjà. Ces murs pouvaient être en terre comme le mur de t~n'e des Carines, peut-être même en brique; car l'emploi de la brique est de toute antiquité, il date de Babylone et de Den. d'HaL, m, 67. Tite Live dit que la guerre contre les Sabins vint le distraire de cette entreprise. (Tit. Liv., t, 58.)
l'Egypte et les Sabins, qui avaient appris des Etrusques à faire des vases et des statues d'argile, avaient pu apprendre d'edx aussi à faire des briques. Les murs de Rome étaient une œuvre d'un intérêt générât. Tarquin fit quelque chose de particulièrement agréable aux Latins en embellissant le marché, qui était surtout à l'usage de cette partie de la population adjointe par lui aux anciennes tribus; elle n'avait certes pas pour cela passé tout entière dans l'aristocratie, et ceux même qui avaient reçu le titre de patriciens et de cavaliers étaient toujours appelés de familles moindres (MMHCrMM ~H/ÏMM).
C étaient les Latins restés plébéiens qui faisaient surtout le commerce; l'orgueil, je dirais presque féodal, d~ patriciat sabin et du patriciat étrusque devait le dédaigner.
J'ai parlé de l'existence vraiment féodale des grandes <jf~~ sabines; l'Étrurie aussi était aristocratique. Les Lucumons seuls pouvaient prétendre aux hautes dignités~, et le peu de succès qu'avait eu parmi eux Demarate, le riche commerçant de Corinthe, montre que leurs préjugés étaient assez contraires au négoce.
Ce fut donc surtout a l'intention des Latins que Tarquin contruisit des portiques autour du marché, lui donnant déjà cette disposition de l'o~ot'a des villes 0. MùU., NM~. d. Arch., p. 228, 2.
0. MuDer, Etr., p. 365.
grecques du Forum des villes italiotes, comme de la piazza des villes de l'Italie moderne, qui, en général, sert aussi de marché un carré long, entouré d'un portique.
Tandis que le roi étrusque, en travaUtant un peu pour tout le monde, croyait travailler pour lui-même, il n'avait pas fait entrer dans ses calculs les rancunes sabines et les désirs de vengeance de l'ambition déshéritée.
Les fils d'Ancus, du dernier roi sabin, vivaient. Pendant le long et brillant règne de Tarquin, ils ne s'étaient point résignés à leur destinée, et avaient souvent, dit Denys d'Halicarnasse tenté de le renverser, ce qui, si je ne me trompe, montre qu'ils avaient un parti dans l'aristocratie sabine, disposée à la révolte contre un roi étranger, et que les mesures populaires de Tarquin envers les plébéiens et les Latins avaient dû finir par exaspérer.
Ce mécontentement fut porté au comble quand Attus Naevius, cet augure sabin qui avait résisté au roi dans l'affaire des tribus, et continuait probablement à entretenir une résistance que devait exciter encore chez lui une rivalité avec les augures étrusques; quand Attus Nsevius, qui avait fait à l'appui de son opposition un miracle, chose toujours facilement crue dans ce pays-ci, et d'un grand effet, disparut tout à coup. Le Vitr., v,
Den. d'Haï., ni, 72.
roi fut soupçonné de sa mort. Les fils d'Ancus, qui propageaient ce bruit, parurent dans le marché à la tête d'un grand nombre de clients. Ils n'étaient pas, comme les représente Denys d'Halicarnasse, des hommes habiles et bien parlants, faisant de belles harangues dans le Forum c'étaient de farouches chefs de clan descendus de leur montagne, où Ancus les avait relégués dès leur enfance, et venant exciter une plèbe superstitieuse et crédule. Ils l'excitèrent si bien, que, lorsque le vieux roi parut dans le marché, on lui cria qu'il était un impie, un sacrilège, et on voulut le chasser. Tarquin fut obligé de se défendre; il parvint à se disculper; mais la uftM~Ma était alors, à Rome, implacable comme aujourd'hui.
Les fils d'Ancus ne renoncèrent point à leur dessein et l'exécutèrent ainsi qu'il suit.
Ils apostèrent deux prétendus bûcherons qui, armés de leur serpe, vinrent sur le midi devant la maison du roi, située au sommet de la Velia, quartier des Sabins, où ceux-ci étaient en nombre; et, comme chacun prétendait avoir à se plaindre de l'autre, ils commencèrent à se quereller et à se gourmer, demandant justice et criant beaucoup. Rien ne peint mieux qu'une pareille scène la physionomie encore agreste de Rome, même sous le premier roi étrusque. D'autres conspirateurs, déguisés en paysans, parlaient, les uns pour celui-ci, les autres pour celui-là, et augmentaient le tumulte.
Je ne suis pas convaincu qu'ils ne fussent point des paysans véritables, des Sabins de la montagne, détestant le roi intru, et qu'on avait décidés à faire un mauvais coup. Toute cette foule pénètre dans la maison d'Ancus, et les bûcherons continuent devant lui à se disputer avec violence.
A la manière des paysans, embarrassés dans leur feinte plaidoirie, ils s'embrouillèrent, et, ce qui est bien dans le caractère de la foule partout mobile, particulièrement d'une foule romaine, on se mit à rire. Alors; saisis d'une colère simulée ou peut-être véritable, ils s'en prirent au roi, le frappèrent à la tète avec leur serpe, et, le laissant pour mort, s'enfuirent à la montagne, à la Macc~a, sans être arrêtés, pas plus qu'on ne l'est à Rome pour un assassinat commis comme celui-ci en plein midi, pas plus que ne l'a été le meurtrier deRossi.
Il est impossible de ne pas reconnaître dans ce récit de la mort d'Ancus le caractère de la tradition populaire, un caractère de simplicité et de rusticité qu'on n'aurait pas imaginé plus tard. Pour moi, c'est là le critérium de la vérité, au moins de la possibilité des faits dont se compose l'histoire de Rome dans les premiers temps.
Quand la tradition fait agir des pâtres brutaux comme agiraient les paysans de l'Agro Romano ou de la Sabine, qui ressemblent assez aujourd'hui à ce qu'ils étaient au temps de Tarquin, je me dis que la
tradition n'a pas été supposée ou arrangée postérieurement, et qu'elle peut contenir quelque chose de vrai. Ainsi finit le riche et ambitieux Lucumon, qui était parvenu au trône par son adresse, qui avait fait des guerres heureuses et élevé de grands monuments il fut tué à coups de serpe.
Cette vieille histoire pourrait être d'hier, et tous les traits en sont merveilleusement appropriés aux mœurs des Romains d'aujourd'hui, qui doivent avoir du sang sabin dans les veines; car, ainsi que je l'ai montré, les Sabins étaient à Rome en assez grand nombre, et leurs descendants ont dû former une part considérable du 'peuple romain.
Passons au successeur de Tarquin, à ce Mastarna, aventurier étrusque, dont on a fait le roi Servius Tullius.
XVII
SERVIUS TULLIUS
Légende sabine sur Servius Tullius. Mastarna. Servius Tullius élu par le sénat. Culte et temple de la Fortune, dévotion de l'aventurier à la Fortune. Les Compitalia, fête des Lares, politique de Servius. Rome, ville latine; Rome mise à la tête des populations latines; temple de Diane. Opposition des Sabins; supercherie religieuse. Première enceinte de toute la ville, Rome existe.
Entre le premier Tarquin et le second, les historiens placent un roi qu'ils appellent Servius Tullius. La tradition avait transmis deux récits de sa naissance l'un de ces récits est fabuleux, l'autre est romanesque.
Le premier donne pour père à Servius )e Lare du foyer royale ou Vulcain lui-même. C'était une légende qui avait cours en pays sabellique; on avait déjà supposé une naissance semblable pour Cseculus, le héros fondateur de Prseneste~.
Den. d'Ha)., iv, 2; Ov. fa<< vi, 629.
Virg., ~Ex., vu, 680. Une aventure toute semblable, attribuée t
Elle était probablement d'origine pélasgique, car on y voit figurer les deux symboles principaux de la religion des Pélasges l'un que j'ai indiqué ailleurs, et l'autre qui est le feu.
Une action miracuteuse du feu figure plusieurs fois dans la vie légendaire de Servius. Enfant, une flamme environne sa tête pendant son sommeil, comme elle apparaît dans l'Enéide autour de la tête de Lavinie; et, après sa mort, le temple de ]a Fortune, où était sa statue, ayant brûJe, l'image du fils de Vulcain fut épargnée
Selon l'autre récit, la mère de Servius était une habitante de la ville sabine de Corniculum~ nommée Ocrisia;cemot,en sabin, voulait dire la montagnarde'. Son mari ayant succombé dans la guerre contre Tarquin, Ocrisia, déjà grosse, était devenue l'esclave de la fille d'un roi d'AIbe qui devient mère de deux jumeaux dont l'histoire ressemble beaucoup à celle de Romulus et de~Rëmus (Plut., Rom., )), montre que cette légende avait passé chez les populations latines.
Den. d'Haï., tv, 2.
Den. d'HaL, tv. 40.
Nous avons vu que Corniculum était sabin. Selon Tite Live (t, 38), il avait été occupé primitivement par les Prisci latini, ce qui confirme que les Prisci sont les Sabins aborigènes.
4 D'ocris, cn'sabin montagne (Fest., p. 181), d'où le nom d'une ville de la Sabine, Inlerocrium (entre les montagnes', et celui d'ocriculum (la petite montagne), Olricoli en Ombrie. Le nom de Castello d'Ocra, près d'Aquila (Murray, S. it., p. 2<), peut avoir la même origine.
la reine Tanaquil, et elle avait donné le jour à Servius Tullius.
Cette légende, qui fait naître Servius d'une femme esclave, est évidemment hostile, d'autant plus que la tradition ne s'en tint pas là; elle ne voulut point lui laisser pour père un chef sabin indépendant; de ce père elle fit un client de Tarquin et même un esclave Quand nous aurons vu que la constitution de Servius Tullius consomma l'émancipation des Latins, leur égalité avec le peuple sabin, et acheva de les fondre dans ce peuple, nous ne serons pas surpris de ces outrages de la légende sabine. Dans la version la moins désobligeante pour la mémoire de Servius, sa mère était toujours une esclave; si son père était un dieu, c'est que, tout en faisant du roi législateur un fils de Sabine, on voulait rattacher sa naissance à un culte devenu national chez les Sabins, le culte du feu. Les deux traditions sur ce roi, recueillies par les historiens latins, sont donc également des traditions sabines.
La légende venait des Sabins mais l'histoire véritable, nous la devons aux Étrusques; car par eux nous savons que Servius Tullius se nommait Mastarna.
Un fragment du discours de l'empereur Claude rePlut., De Fort. ~!om.. 10; Cic., De ~p-, f, 2!; Justin., MY)n, 6. On donna aussi pour mère à Servius Tullius la concubine d'un homme de Tibur appelé Spurius Tullius. (Fest.p. 174.)
trouvé à Lyon nous l'apprend, et nous dispense heureusement d'avoir à expliquer comment le règne du fils d'une esclave sabine pourrait se trouver intercallé entre ceux de deux rois étrusques de la grande famille des Tarquins, ce qui serait assez invraisemblable. Claude était un mari très-débonnaire, mais un homme fort savant. Il avait écrit une histoire des Étrusques d'après des sources que nous ne possédons plus. Entre son témoignage, fondé sur une tradition étrusque très-vraisemblable, et le récit merveilleux ou romanesque des auteurs qui se sont bornés à reproduire la légende intéressée des Sabins, il n'y a pas à hésiter.
Si nous en croyons les Étrusques, et Claude qui parlait d'après eux, Mastarna, fidèle compagnon d'un autre chef étrusque, CaeliusVibenna, et associé à toutes ses aventures, poussé hors de l'Étrurie par des fortunes diverses, avec ce qui restait de l'armée de Caelius, occupa la colline qui depuis fut elle-même nommée Cselius.
Claude seul, il est vrai, parle de Mastarna: mais Varron% Festus% Denys d'Halicarnasse et Tacite s Ce curieux passage des fragments du discours de Claude, gravés sur deux tables de bronze, a été découvert à Lyon au commencement du seizième siècle.
De <- lat., v, 46.
P. Diac., p. 44.
Den. d'Ha)., n, 36.
Ann., <y, 65.
connaissent Caetius, ou mieux Caetes Vibenna, et le changement de nom du mont CaeHus, appelé avant lui mont des C~të~M, est encore là pour conserver sa mémoire'.
L'existence de Cae!es Vibenna n'est donc pas douteuse et entraîne celle de Mastarna
Niebuhr, qui avait d'abord adu is que Servius Tullius était Mastama, n'a que très-tard abandonné cette opinion. M. Mommsen (Ticrn. G~cA., Y, p. lH-t5) veut bien que Mastarna soit venu à Rome, mais nie qu'il y ait régné, sans donner ses raisons, ce qui arrive parfois à ce savant et brillant historien. M. Schwegler (R. Gesch., i, p. 720) reconnait que les annales étrusques, plus anciennes que les annales romaines, ont plus de droit à notre confiance. Il hésite, puis rejette l'identité de Servius Tullius et de Mastarna d'après sa fcnMffMM mdividuelle. On voit qu'en présence des incertitudes de Niebuhr et d'opinions imposantes, mais non suffisamment motivées, il est permis d'en avoir une différente; seulement j'ai tâché de motiver la mienne. Olt. Müller, dont le nom ne fait pas moins autorité que. ceux qui précèdent, déclare positivement (Etr., t, p. <21) que Mastarna a conquis avec les )'M de l'armée de Vibenna la Rome des Tarquins. C'est aller plus loin que l'assertion de Claude, et, selon moi, tomber dans l'invraisemblance. La Rome des Tarquins était trop forte pour être ainsi conquise par les restes des bandes d'un condottieri. La vraisemblance est bien plutôt qu'un chef étrusque s'établit sur le Cselius, et, après la mort du premier Tarquin, lui succéda. On a trouvé près de Pérouse des tombes portant le nom de F<pM, forme étrusque de Vibennus, nom d'une famille de Volsinii à laquelle Ott. Müller (Etr p. 424) n'hésite pas à rapporter Caeles Vibenna; et à Chiusi, Vipoua. (Den., Etr., n, 575.) Vibenna et Mastarna ont une terminaison évidemment étrusque.
Les trois premiers des auteurs que j'ai cités plus haut s'accordent à placer l'arrivée de Cseles Yibenna sous Romulus. Tacite seul, probablement d'après Claude, la transporte au règne du premier Tarquin. Je crois que c'est par suite d'une confusion entre le Lucumon auxiliaire de
Quoi de plus vraisemblable que le récit des historiens étrusques tel que l'empereur Claude nous l'a fait connaître? Depuis Mézence, c'est-à-dire depuis les temps héroïques, les Étrusques avaient franchi le Tibre. Ils avaient anciennement occupé le Capitole et déjà une fois le Ca'lius. Cette nation était composée d'une aristocratie très-belliqueuse et d'une population très-dépendante.
L'Étrurie était une fédération de villes dont les chefs portent dans l'histoire romaine le nom de rois. Peutêtre Mastarna fut un de ces chefs chassé de son royaume, comme on disait que Mézence l'avait été de Csere. Plus probablement Mastarna fut un hardi et aventureux capitaine dont la fortune du parvenu de Tarquinii avait tenté l'ambition, et qui vint avec une troupe armée se mettre à son service, comme un condottiere toscan du moyen âge se mettait au service de quelque petit tyran nouvellement établi. Il battit les ennemis de Tarquin, se fit aimer de ses sujets, devint son gendre et gouverna sous son nom De là à lui succéder il n'y avait pas loin.
Romulus, duquel date un premier établissement des Étrusques sur le Ceelius, et le nouveau chef étrusque Mastarna, qui en forma un second sous Tarquin. Il me répugne de voir dans Mastarna, qui fut roi, un simple compagnon de Caeles Vibenna, commandant ce qui restait de son armée. Cœles Yibenna était plus ancien dans la tradition; son nom était resté dans le nom de Caelius, et on lui aura plus tard rattaché et subordonné à tort Mastarna, moins en faveur auprès de la tradition étrusque, parce qu'il s'était fait Romain.
Den. d'Hal., tv, 3.
Tarquin n'avait que des fils ou des petits-fils en bas âge. La race d'Ancus, et avec elle les prétentions sabines, n'étaient pas éteintes.
Pour empêcher qu'elles ne l'emportassent après lui, Tarquin put s'accoutumer à voir dans le vaillant Mastarna un successeur qui affermirait à Rome le pouvoir de sa nation et qui était devenu de sa famille. Tanaquil, cette femme énergique qui avait encouragé son ambition et prédit sa grandeur, put adopter cette pensée dans l'intérêt 'même de ses enfants, menacés si la réaction Sabine triomphait; elle put désirer pour eux l'appui d'un gendre qu'appelaient à régner sa bravoure et sa popularité.
Les choses en étaient là quand Tarquin fut inopinément frappé dans sa maison sur la Velia. Aussitôt Tanaquil fait fermer les portes, feint un espoir qu'elle n'a pas de sauver le roi, appelle Servius auprès de son époux moribond, l'exhorte à le venger et à la défendre, lui rappelle le prodige de la flamme qui a entouré sa tête. Sans doute elle invoqua Vesta, déesse du feu, dont le temple était tout proche et qu'elle pouvait voir par sa fenêtre; car, si la tradition est exacte, nous savons que les fenêtres de sa maison donnaient sur la rue Neuve 1, qui passait devant le temple de Vesta; et ce fut par une de ces fenêtres qu'elle adressa la parole Tite Live (', 41) dit que Tanaquil parla au peuple par les fenêtres qui étaient tournées vers la voie Neuve, détail qu'il n'a pu emprunter tju'à la tradition.
au peuple rassemblé sur les pentes de la Velia et dans le marché, qui était au bas, pour exciter sa fureur et sa pitié. Du haut de l'arc de Titus, qui occupe à peu près la place de la maison de Tarquin, on pourrait se donner par 1 imagination le spectacle de cette foule émue et la voir s'agiter là même où Tanaquil la harangua.
Faisant pour Mastarna ce que tit Plotine pour Adrien après la mort de Trajan, elle cache l'extrême danger du roi, dit qu'il n'a été qu'étourdi, qu'il guérira, que tout va bien; qu'en attendant, son gendre remplira les fonctions royales.
Mastarna sort, descend par la voie Sacrée au Forum escorté des licteurs, il le traverse dans toute sa longueur, et va s'asseoir dans la curie, où il convoque le sénat. Les patriciens viennent prendre place dans le Comitium, devant la curie. Grâce aux sénateurs que Tarquin avait eu soin de nommer pour se créer un parti, grâce aux Étrusques et aux Latins qu'il avait élevés au patriciat, son gendre, gouvernant en son nom, est bien accueilli. Les plébéiens latins remplissent le Forum, maudissant le crime des fils 'du dernier roi sabin, regrettant le roi étrusque qui avait amélioré la condition de leur race et favorablement disposés pour son successeur, quel qu'il pût être, pourvu qu'il ne fût pas sabin.
Ce récit très-circonstancié, et dont les détails sont tellement d'accord avec la disposition des lieux que
j'ai pu le compléter en quelques points d'après elle, ce récit est si vraisemblable, que je le crois vrai. Cependant Mastarna était plus sûr du sénat que de l'ordre des patriciens, où les grandes familles de l'aristocratie sabine devaient former encore le parti dominant, et c'est ce qui explique une phrase de Tite Live que l'on n'a pas toujours comprise, même dans l'antiquité. La royauté ne fut point conférée à Servius Tullius par les patriciens, mais par le sénat.
La phrase très-remarquable de Tite Lue (t, 41) est Primus injussu populi, voluntate patrum regnavit. Si l'on traduisait populus par le pe~p~, et surtout par les plébéiens, et pa<rM par les patriciens, il s'ensuivrait que le roi le plus populaire de Rome aurait été le premier nomme par l'aristocratie, sans consulter le vœu populaire. Mais depuis Niebuhr, et c'est là un des plus grands services qu'il ait rendus à l'histoire de la constitution romaine, on sait que populus, dans son sens primitif et vrai, est l'opposé de plebs (HMt. Rom., u, p. 163. trad. franc.), quoiqu'on les ait traduits indifféremment par le même mot peuple. Les écrivains de l'empire ou de la fin de la république n'ont pas eux-mêmes toujours assez nettement fait une distinction fondée sur un état de choses ancien et dont on était bien éloigné. Mais il est certain que, dans l'origine, plebs voulait dire les plébéiens, et populus les patriciens. Le peuple romain, c'étaient les citoyens jouissant de tous les droits politiques. On conçoit que, quand les plébéiens se furent peu a peu mis en possession de ces droits qui leur avaient été d'abord refusés, la distinction entre les mots plebs et populus ne fut plus aussi précise, parce qu'elle n'était plus nécessaire. Mais cette formule populo plebique, qui oppose populus à plebs, et, par conséquent, les distingue, se rencontre fréquemment. Quant au mot patres, je crois que c'était originairement le nom des sénateurs. tl fut attribué, par une extension dont il est aisé de se rendre compte, a tout le patriciat. Ainsi, en Angleterre, les lords seuts forment une aristocratie légale, car seuts ils ont des privilèges garantis par la loi.
Ce fut donc le sénat préparé parTarquin qui nomma son successeur. On ne consulta point les patriciens sur lesquels on ne comptait pas autant. On ne consulta pas non plus les plébéiens, qui n'avaient pas de voix à donner. Le suffrage universel n'était pas dans la légalité mais, en fait, le plebs approuva et appuya l'élection du nouveau roi. Là même où le suffrage universel ne ne se manifeste point par un vote légal, il peut constituer par l'adhésion volontaire du grand numbre un droit; bien qu'exprimé par un vote légat, il pourrait être surpris ou forcé. Le suffrage universel est un droit quand il est un fait.
Mastarna prit les noms de Servius Tullius. Je dois parler de ces noms, car ils se rattachent à son origine, au lieu qu il habita en arrivant à Rome et à des monuments que la tradition lui attribuait.
Si Servius n'est pas une traduction de Manama, dont le sens est inconnu, ce prénom pourrait bien se rattacher au séjour du chef étrusque sur le Cselius. Une des familles albaines, que Tullus Hostilius y avait établie, était celle des Servilii*.
Cependant, dans l'usage, le fils ou le frère d'un lord, qui légalement n'est rien de plus qu'un autre citoyen, est désigne comme faisant partie de la nobility.
Je reconnais que très-souvent le mot patres désigne tout ce qui est patricien; mais je crois que, dans la phrase de Tite Live, ce mot étant opposé à popttlus, les patriciens, il ne peut vouloir dire que les sénateurs. Quand il est opposé à plebs, il veut dire les patriciens. La terminaison en ius et la terminaison en ilius sont analogues.
Cette famille avait peut-être secondé l'aventurier, et, comme on prenait le nom de celui par lequel on était adopté, il prit peut-être le nom de ceux qui avaient adopté sa fortune.
Quoi qu'il en soit, ce fut ce nom qui servit de prétexte à l'hostilité des Sabins pour faire de Mastarna le tilsd'un esclave ou même un esclave (servus), tandis que la population latine, qui lui était favorable, exagérant la tendance populaire de Mastarna, en prit occasion pour faire de lui le protecteur des esclaves. Quant à Tullius, c'était un nom étrusque Cela achève de prouver la provenance étrusque de celui qui prit ou conserva ce nom. Si le prénom Servius fut un emprunt à une famille latine, la double appellation de Mastarna, Sert'ius Tullius, serait, comme le mont Cislius, sa première résidence, le fut luimême quant à sa population, moitié, latin, moitié étrusque.
Mais, si ce nom de Tullius est étrusque, il est aussi sabellique s.
&f<t/<;M avait avec Servius le même rapport que QMittttKtM avec ~M<M<!n<.
Les deux filles de Tarquin s appelaient Tullie. Tullus était un aïeul mythologique des Tyrrhéniens. Tolus et son dérivé Tolumnius sont des noms étrusques. Enfin, jusque sous Adrien, on trouve un Tullius Tuseus.
H serait latin si les Tullii eussent été une des familles d'AIbe transportées sur le Caelius, comme le dit Tite Live [<, 30), et alors Mastarna aurait peut-être eu la même raison de prendre ce nom
SEHYIUSTULUUS.
On le trouve chez les Volsques d'Arpinum, illustré par Cicéron 1.
Il paraît même avoir été sabin,. puisque Tullus fut le nom de l'avant-dernier roi sabin, Tullus Hostilius
Mastarna tenait-il en quoi que ce soit aux Sabins? La légende, qui lui donnait une Sabine pour mère, bien qu'altérée par la haine, devait reposer sur quelque chose. Parmi les statues des rois qui subsistèrent longtemps au Capitole, deux se distinguaient des autres, parce qu'elles avaient au doigt un anneau le roi sabin Numa et Servius Tullius~; l'usage de l'anneau semble être venu des Étrusques aux Sabins et des Sabins aux Romains*.
D'où pouvait naître cette légende d'une mère sabine et cette association avec un roi sabin. Mastarna, au lieu d'appartenir à la race étrusque, appartiendrait-il à la race des Ombriens 5, plus ancienque de prendre son prénom Servius; mais Denys d'llalicarnasse (jit, 39), au lieu des Tullii, nomme les Julii, ce qui est plus \raisemblaMe. Le chef volsque qui reçut Coriolan s'appelait Tullus Attius. Allius est sabin.
Tullius a la même racine que Tullus. C'était un nom de gens, devenu un prénom, comme dans Attiuus Régulus le prénom .4«M formait un nom de gens.
=* Pt., HMt.<M<ÏM)H, 4, 2.
Yoy. t. I, p. 386- p. 481.
° 0. Muner(E!f.. i, H!i) croit que l'armée qui s'arrêta sur le Coelius menait de Volsinii [Bo)sène), mot qui parait avoir la même racine que t~M. Le nom de ces deux villes, surtout celui de la dernière, sont
nement établie dans l'Étrurie que les Étrusques euxmêmes, parente et peut-être mère de la race sabine? 'f Ce qui est certain, c'est qu'à Rome les temples dont la tradition rapportait la fondation à Servius Tullius étaient consacrés à des divinités à la fois étrusques et sabelliques, ou à des divinités purement sabines. Il honorait dans les premières, comme né en Étrurie et d'origine ombrienne, les divinités de son pays et de sa race. Il rendait hommage aux secondes par politique et par égard pour les Sabins.
Au premier rang parmi les divinités à la fois étrusques et sabelliques, et probablement de provenance ombrienne', auxquelles Servius, Ombrien, je crois, comme elles, rendit un culte particulier, est celle qui, entre tous les autres personnages célestes, eut le plus de temples à Rome et reçut le plus de noms différents, fut le principal objet de l'adoration du peuple romain, lequel, a vrai dire, lui devait beaucoup, la fortune. Ce fut sous l'empire surtout que la fortune, alors synonyme du hasard, devint, dans la démoralisation universelle, la seule divinité à laquelle on croyait.
Partout, dit Ptine~, la Fortune est invoquée; on ne ombriens. Ceci expliquerait comment ce nom de Tullius se trouve à la fois en Étrurie et chez un peuple sabellique, les Volsques; le nom Voici reparait chez d'autres peuples sabelliques Feh~tt ou FfM, ville de Lucanie.
Voyez plus loin.
*P)., NMt.M(.,n, 5, 7
parle que d'elle, on ne songe qu'à elle, on ne s'en prend qu'à elle, on n'accuse qu'elle, lui rendant hommage même par les injures qu'on lui adresse. Presque tous la disent volage, aveugle, mobile, inconstante, incertaine, changeante, et favorisant ceux qui n'en sont pas dignes, indignorumque fautrix.
Pour Ptutarque~ il déclarait qu'en entrant à Rome elle avait quitté ses ailes, ôté ses souliers, déposé le globe toujours tournant qui était sur, sa tête. Cependant l'instable Fortune n'y était pas encore fixée; elle n'avait pas épuisé sa mobilité. Elle semble depuis avoir repris ses ailes, remis ses souliers et replacé sur sa tête son globe tournant, lequel tourne encore. Le culte de la Fortune était la vraie religion du peuple romain. Sous ce nom, il se représentait l'intervention d'une puissance inconnue dans toutes les circonstances, dans tous les actes de la vie, et les divers aspects que cet inconnu, espéré ou redouté, pouvait offrir à l'imagination.
Chaque chose avait sa Fortune. Dans les classes de la société, il y avait la Fortune des patriciens, des chevaliers, des plébéiens, des familles; il y avait la Fortune des Tullius, des Flavius, de ceux qui portaient le même surnom, des Torquatus; il y avait la Fortune des bains, la Fortune des greniers. Les cohortes avaient leur Fortune.
De Fort. Rom., 4.
Il y avait la Fortune des semailles et la Fortune des moissons.
M y avait la Fortune du retour, la Fortune B<H'&a(a, à laquelle on consacrait sa première barbe; la Fortune Vtr~t)M<M. à laquelle les jeunes femmes offraient la ceinture qu'elles déposaient en se mariant; la Fortune virile, la Fortune mulièbre, la mauvaise, la bonne, la douteuse, la complaisante, la Fortune d'aujourd'hui, la Fortune qui protège, la Fortune qui dure, la Fortune qui revient, la Fortune qui espère et la Fortune engluée.
Quand arriva l'empire, les empereurs eurent leur Fortune; de peur de la perdre, ils placèrent sa statue dans leur chambre coucher. Cela s'appelait la Fortune de César; mais César avait emporté la sienne. Le nom de cette déesse, qui devint celui du hasard, avait été dans l'origine celui de la forcer de la force ignorée qui a engendré et dirige le monde. C'était la Fortune, premièrement créatrice, pnmt<~Hta, qui fut une divinité pélasge et une divinité sabine avant de devenir une divinité romaine.
En effet, elle avait divers sanctuaires en Grèce, et particulièrement en des lieux où l'on trouve des restes du culte des Pélasges.
Elle y était représentée, comme elle le fut à Rome, sur les médailles et telle qu'on peut la voir dans une ~'or< et forluna ont la même racine que fortis.
Paus., tu, 26, 8.
statue qui est au Vatican, tenant un gouvernail d'une main et portant de l'autre une corne d'abondanceremplie de fruits.
Cette Fortune créatrice et féconde était une bien grande déesse, car elle était la mère de Jupiter et de Junon, comme la grande mère de l'Ida.
On la figurait tenant l'un et l'autre dans son giron, tandis que le Jupiter enfant se tournait vers le sein maternel (mammam appetens). La Fortune nourrice, avec son divin fils, était singulièrement un objet de dévotion pour les mères 1. Elle devait, en effet, exciter dans leurs coeurs un peu de cette dévotion tendre que la vue assez semblable de la Vierge et du petit Jésus y fait naître aujourd'hui.
Telle était dans l'origine la Fortune de Prseneste, ville qui fut pélasgique, et dont les sorts devinrent si céfébres. Ces sorts étaient tirés au moyen de bâtons de chêne par la main d'un enfanta comme les numéros de la loterie, après avoir été bénis par un prélat, sont tirés aujourd'hui sur le balcon du palais Madama.
1 Jovis pueri qui lactens cum Junone in Fortunœ gremio sedens, mammam appelons, castissime colitur a matribus. (Cic., de Div., n, 41.)
On tirait aussi les sorts à Padoue (Suét., Tib., H), près de l'embouchure du Pô, où avaient débarqué les Pélasges; dans la pélasgique Agylla et à Falère (Tit. Liv., xxn, i, 11), lieu tout rempli de souvenirs du culte pélasgique. Les sorts de Prseneste étaient très anciens, et t'rœneste avait porté un nom grec. (Str., v, 3, 11.)
Les Pélasges avaient communique ce culte antique de la Fortune aux nations sabelliques', et en particulier aux Sabins 2.
Ceux-ci le fondèrent sur le Capitole et sur le Quirinal.
Il y avait trois temples de la Fortune sur le Quirinal et tous trois assez près de la porte Colline, sans compter un autel consacré à la Fortune du &ot espoir, plus au sud, dans la rue Longue (rue SaintVital). L'origine de ces temples remontait vraisemblablement au temps où les Pélasges habitaient le Quirinal avec les Sabins; car la Fortune à laquelle l'un d'eux était dédié s'appelait PWmi~fMM".
Temples célèbres de la Fortune citez les Volsques, Préneste, à Antium, sur le mont Algide.
Selon Plutarque (Fort. Rom., 5; <0), Ancus Martius introduisit à Rome le culte de la Fortune. Selon Varron (De lat., v, 74), ce fut Tatius. Tous deux étaient Sabins.
Tu quse Tarpeio colcris vicina tonanti.
(Inscript.)
Plutarque (Fort. ~om., )0) attribue la fondation du temple de la Fortune sur le Capitole à Servius Tullius. Ce temple était près du temple de Saturne, avec lequel on l'a confondu; car il était près de la porte Stercoraria, voisine de ce temple ~Yoy. t. I, p. 359; Clem. Alex. Protept., p. 55), au-dessous du temple de Jupiter tonnant.
Vitr., m, 2.
s Plut.. Fort. Rom., i6.
< Beck., Hand., Y, p. 579.
Comme la Fortune de Praeneste, elle s'appelait aussi la Fortune publique'.
Ainsi s'était transformée l'idée toute pélasgique d'une déesse mère en celle d'une divinité politique sous l'influence de l'esprit romain.
En voyant les temples de la Fortune accumulés dans la région du Quirinal, j'ai peine à me figurer qu'il n'y ait pas eu dans cette région, qui fut pélasge et sabine, un culte de cette déesse institué par les Pélasges et adopté par les Sabins.
Le culte de la Fortune existait aussi chez les Étrusques. Ils regardaient Cérès, Palès et la Fortune comme leurs Pénates ou dieux protecteurs, et leur grande déesse Nortia était la même que la Fortune3.
Le principal temple de Nortia était à Volsinii (Boise
Dans le mur de ce temple, on enfonçait le clou sacré qui marquait les années comme au Capitole.
Ov., Fast., !v, 375.
Serv., ~H., il, 525.
Mart. Cappell., t, 8, 9; Juv., Sal., x, 74.
4 M. Gherard (Ub d. met. spieg. d. ~<r.) croit Nortia une déesse pélasgique dont le culte aurait été introduit en Étrurie par les Ombriens. En ett'et, il a existé un temple célèbre de cette déesse à Fano, qui' doit son nom moderne à ce temple (Nortiœ 7'~tMM), à Ferentia, à Arna. Les Ombriens sont un peuple sabellique, et on trouve le culte de la Fortune à Antiwn, chez un autre peuple de la même famNte, les Volsques. Nortia semble donc une divinité ombrienne plutôt qu'étrusque.
C'est de Volsinii que Cseles Vibenna était, disait-on, venu à Rome. De là aussi la tradition faisait venir sans doute celui qu'elle lui donnait pour fidèle compagnon, Mastarna. Il n'est donc pas surprenant qu'on attribuât au roi ServiusTullius la consécration de deux temples i de la Fortune à Rome, l'un dans le marché aux boeufs', l'autre sur la rive droite du Tibre, à six milles de Rome en descendant le fleuve~.
Et puis il y avait encore un autre motif à cette prédilection de Mastarna pour le culte de la Fortune. Je ne dirai pas avec Valère Maxime « Jamais rien ne montra mieux la toute-puissance de la Fortune que l'esclavage de Servius Tullius devenu roi, w parce que je ne crois pas que Servius Tullius ait été esclave, et que je connais d'autres exemples plus extraordinaires de la toute-puissance capricieuse de. la déesse de Praeneste.
Mais Servius, après avoir été un soldat de fortune, était devenu un roi de fortune, ce qu'Horace appelle fortunx filius. Il était naturel qu'il fût dévot à la Fortune, comme Sylla.
Si Nortia, la Fortune, est une déesse ombrienne, c'est une raison de plus de penser que Mastarna, particulièrement voué au culte de la déesse principale de Volsinii, était d'extraction ombrienne. Den. d'Hal., nr, 27. Près du temple de Matuta. (Tit. Liv., xxM, 27.)
3 Varr., De lat., Tt, 3. Sans parler du temple que Plutarque seul dit avoir été érige à la Fortune par Servius sur le Capitole. Val., m, 4, 5.
Hcr., Sat., n, 6, 49.
La tradition populaire, encore cette Ms vraie dans -ses mensonges et éclairée dans sa crédulité, avait exprimé cette faveur de la Fortune, qui semblait s'être donnée au vaillant aventurier, en supposant qu'elle avait coutume de venir la nuit le visiter en entrant par la fenêtre~. La Fortune fut l'Ëgérie de celui que Tite Live compare à Numa. Je remarque une différence entre les deux légendes. Égérie, la nymphe champêtre, la Camène du bois Sacré, converse avec Numa sous les chênes de la colline, au murmure de la source sacrée à l'époque de Servius, les choses ont change, la civilisation a marché, et la poésie s'est retirée. La Fortune vient le chercher au milieu d'une ville et entre chez lui par la fenêtre
L'heureux aventurier, le condottiere parvenu, éleva deux temples à la Fortune, qui l'avait fait régner.
Le premier dans le marché aux boeufs3, lieu consacré par les plus anciens souvenirs pélasgiques, par la venue et les exploits d'Hercule; souslesinfluences del'austérité sabine, puissantes encore sur la religion et les mœurs Ov., Fast., v, 57i; Plut., Fort. Rom,. 10; QM~st. ~o~ 36. C'était avant sa grandeur qu'il avait reçu ces encouragements de la Fortune, quand il habitait encore la demeure de son beau-père, Tarquin. C'est donc de ce côté qu'était le lit de la Fortune dont parle Plutarque.
s Den. d'Haï., iv, 27.
4 Caton, le vieux Sabin, dédia sur te Palatin un temple à la Furtune vierge.
même, quand la royauté sabine n'était plus, Mastarna dédia ce temple à la Fortune fi~e', donnant, comme on voit, à la Fortune, dans l'origine divinité mère chez les Pélasges, un attribut étrangement décerné à une déesse qu'on a souvent accusée de prodiguer ses faveurs, par un roi qui en savait, disaiton, quelque chose; c'est probablement sur l'emplacement de ce temple que s'est élevé celui d'une vierge plus sainLe, l'église de Santa-Maria in Cosmedin'.
L'autre temple que Servius éleva à la Fortuue était C'est ce qui me paraît résulter d'un passage de Varron cité par Nonius Mareellus (p. 189), dans lequel il est fait allusion au double vêtement qui couvrait la statue de Servius dans le temple de la Fortune Undulatis logis. Voyez Pline (vm, '!4,1), qui appelle aussi C/n~Mlatam la toge de Servius Tullius. Cette Fortune est dite par Varron Virgo fo~MM. Or c'est bien dans ce temple du marché aux bœufs, et non dans celui qui c'ait hors de Rome, que se trouvait la statue voilée de Servius; car Ovide ne parle pas de cette statue voilée à propos de la t'e.e (!e Fors Fortuna, qu'on célébrait à la fin de juin, mais à propos de celle qu'on célébrait, le 11 du même mois, en l'honneur de la Fortune du marché aux boeufs, et de Matuta. Le temple de celleci était lui même dans le marché aux bœufs et près de celui de la Fortune, ce qui nous ramène encore au temple du marché; c'est donc celui-là où était la statue voilée, et qui était dédié à la Fortune vierge. Plutarque (Fort. Rom., 10) mentionne également un temple de la Fortune vierge près de la source moussue, ce qui convient aux environs du délabre, où il y a encore des sources moussues, aux environs de la Cloaca Maxima. En enumerant d'autres temples de la Fortune, tous dans Rome, s'il eût parlé de celui qui était à deux lieues de Rome, il en eût fait la remarque.
Becl. llandb., p. 481.
sur la rive droite du Tibr'9, à six milles au-dessous de Rome.
La déesse y était honorée sous le nom singulier de Fors FortMHa le hasard ~r~nic, la chance du hasarda Le jour de l'année où t'on croyait que Servius Tullius l'avait dédié, on s'y rendait à pied ou en bateau", on en revenait ivre. C'était une fête populaire, comme tout ce qui se rapporte à Servius Tullius.
La classe, très-nombreuse encore aujourd'hui à Rome, de ceux qui vivent sans moyens de subsister fêtaient cette décssa de hasard qui avait fait un roi de hasarda
Cette Fortune hasardeuse n'avait aucun rapport avec la Fortune virile", quoique, par une double conVarr., De M vu, 17.
Fortuna sit vel hujus diei. Yel fors in quo incerti casus significatur magis. (Cie., De leg., n, 11.) On disait. /M'(e /<M'<MM /!er<, arriver par hasard.
Ov., Fast., vt, 769.
Qui sine afte aliqua wuut. (Donat. ad Phorm., v, 6, 1.)
5 Ovide ajoute que les esclaves s'y rendaient en foule, ainsi qu'au temple de la For<«~e meef<a!tte (Fast., Yt, 786), attribué aussi à Servius, et qui était près de là.
6 Matgrc tes témoignages les plus positifs, celui d'Ovide et celui de Varron (loe. cit.), celui d'un calendrier antique nu on lit Forti Fortunse tM)M<:6fr:'?M!, on a voulu reconnaitre, dans un édifice du temps de la république situé sur la rive gauche, près du Ponle /!oHo, un temple de la Fortune virile, d'après une mauvaise traduction de Fors Fortuna, donnée par Denys d'Hafiearnasse (tv, 27) et Plut arque (Fort. /)c;H.,5),qui ont pensé que Fo~m/OrtHNaM voulait dire
fusion que j'explique.dans une note, on ait appelé a tort Temple de la Fortune virile un temple qu'on croyait à tort celui de la Fortune hasardeuse. La fête de la Fortune virile, qui se célébrait au moi s' d'avril, n'avait rien à démêler avec celle des deux Fortunes auxquelles Servius passait pour avoir élevé des temples, et qui, l'une et l'autre, avaient leur fête en juin. C'étaient les femmes qui honoraient la Fortune virile d'après un rite assez singulier. Elles s'enfermaient dans une salle échauffée par des tuyaux à vapeur disposition connue des Romains, et qu'on remarque dans ce qui reste d'une chambre de la maison de -la Fortune courageuse, virile.. Cette dénomination de temple de la. Fortune virile, ainsi appliquée, bien qu'elle ait cours parmi les guides et les voyageurs, renferme une confusion topographique et un contre-sens grammatical. Le temple attribué à Servius sur la rive gauche, dans le marché aux bœufs, n'a jamais été dédié à Fors Fortuna; même en admettant l'interprétation vicieuse de Fortune virile qu'ont adoptée Denys d'Halicarnasse et Plutarque, on ne pourrait en faire le nom de ce temple.
Ov., Fast., iv, 146. « Calidâ quilocus humet aquâ s se peut entendre ainsi. Il se peut aussi que ce lieu, ~MmMe par reau chaude, désigne une localité particulière de Rome, celle où se trouvaient les eaux chaudes appelées Lautolse; car précisément de ce cote (Beck., NaMt~ i, p. 561) était un temple de la Fortune, élevé, disait-on, par Servius Tullius. (Pl., Hist. nat., xxxvf, 46.) Cette Fortune s'appelait Seia, ce qui vient de serere, semer, comme Segetia, autre nom de la Fortune, de ~M!, moisson. Peut-être l'usage singulier de cette offrande, faite à la déesse par des femmes nues dans une étuve artificielle ou naturelle, se rattachait-il dans l'origine à des vœux pour la fécondité adressés à la Fortune mère, déesse antique des Pélasges, devenue la Fortuna SëM.
sainte Cécité. Là elles se dépouillaient de leurs vêtements, et, après avoir brûlé de l'encens en l'honneur de la Fortune'virile, lui demandaient de cacher à leurs époux tous leurs défauts corporels. Ovide ajoute malicieusement « Et la déesse implorée le fait pour quelques grains d'encens, ayant l'air de croire que les femmes romaines s'arrangeaient pour que cette demande fût toujours exaucée, et que ce qu'elles ne voulaient pas trahir fût toujours caché.
Ce jour-là les femmes du commun allaient se bai gner dans les bains des hommes, couronnées de myrte. On voit que dans tout ceci il n'est pas question d'un temple de la Fortune virile.
H faut donc renoncer à nommer ainsi un des restes les mieux conservés et les plus purs de l'architecture romaine.
Outre ces deux temples de la Fortune, on en attribuait à Servius un autre, dédié à Matuta, dans le marché aux bœufs, et voisin de celui de la Fortune vierge; nous le savons par le récit des incendies qui les atteignirent ensemble tous les deux'. Les fêtes des deux déesses se célébraient le même jour ce qui semble indiquer une commune origine. Matuta était Sabine, et on ne voit pas que son culte, comme celui de la Fortune, eût pénétré en Étrurie; mais il fallait bien faire quelque chose pour les Sabins.
1 Tit. Liv., v, 19; xxv, 7.
Ov., Fast., Yt, 570.
Il se peut que Mastarna ait pensé à eux en établissant les CompMta, la fête des carrefours, la fête des Lares; mais cette fois il pouvait obéir aussi à une dévotion personnelle, car il était né en Étrune, et les Lares étaient des divinités étrusques qui avaient passé dans la religion sabine. Aussi c'est d'un Lare du foyer que la tradition sabine faisait naître le roi étrusque. Mais les Lares étaient les dieux de tout le monde. On les considérait, ce qui était touchant, comme les âmes des morts continuant à protéger le foyer. Très-petits dieux, ils étaient à la portée des plus petits. Servius avait permis aux esclaves de participer à ce culte domestique~. Organiser un culte populaire devait faire partie de l'œuvre populaire de Mastarna.
Le sacrifice annuel offert en commun aux Lares par les habitants du même quartier, les jeux qui s'y mêlaient, tendaient à fondre ensemble les rangs et les races, ce qui fut l'esprit de la constitution de Servius. Dans le même esprit, il institua pour les campagnes une fête analogue, les Paganalia.
Mais c'étaient surtout les Latins qui occupaient Mastarna. Au dedans, il voulait achever l'oeuvre commencée par les rois sabins eux-mêmes contre l'aristocratie sabine, poursuivie plus résolûment par le premier roi Avant de devenir sabins ou étrusques, ils pouvaient bien avoir été pétasge~. M. Maurv a rapproche lar de larissa, nom des forteresses, fréquent chez les Pélasges.
Den. d'Ha) ;v, 14.
étrusque, et que le second de ces rois devait consommer la fusion des races, la participation aux droits politiques, indépendante de la naissance et mesurés sur la propriété.
C'est ce qu'il fit par son organisation des classes, qui fut une véritable révolution, et dont je par!erai bientôt mais il y avait aussi les Latins du dehors; les rois sabins et le premier roi étrusque n'avaient connu avec eux d'autres rapports que la guerre et la conquête. Le second conçut le dessein de les rattacher à Rome par un lien religieux et politique, et il bâtit sur l'Aventin le temple de Diane
Les Latins avaient déjà eu un centre de cette nature dans l'Aphrodisium, aux environs de Lavinium. puis dans le temple de Jupiter Latial, voisin d'Albe. Albe avait été détruite. Mastarna offrit aux Latins de bâtir sur l'Aventin un temple de Diane, qui serait commun à toutes les populations latines C'était déclarer Rome latine. Il n'eut pas besoin pour cela, comme le disent Tite Live et Denys d'Halicarnasse, d'aller chercher un exemple dans le temple d'Artémis des cités ioniennes~, J'ai dit ailleurs où était ce temple et pourquoi je ne le place pas où est l'église de Santa-Prisca, comme le veut Canina (Espos. top 771-3), et encore moins devant Sainte-Sabine, comme fait Nibby (R. <M< n, 661); mais, d'après le témoignage positif de Martial (Ep., vi, 64, 13-5), plus près du cirque.
s Varr., De 1. lai., v, 45.
Il y a peut-être quelque chose de vrai dans cette imitation de la confédération ionienne attribuée à Servius Tullius; il avait pu enten-
car il en trouvait dans le Latium; d'ailleurs, il venait d'Étrurie, où le grand conseil national, composé des représentants de douze villes de la fédération étrusque, se réunissait près du temple de Voltumna. L'antagonisme de la race latine et de la race sabine avait été maintenu au dehors par les rois sabins, même quand ils s'efforçaient de le faire cesser au dedans; cet antagonisme allait disparaître. En même temps, Rome se plaçait à la tête du Latium. Elle devenait, pour ainsi dire, le chef-lieu politique du pays latin. C'était, comme dit Tite Live 1, de la part des villes latines une confession de sa supériorité.
C'était en même temps une preuve de l'importance que les Latins avaient reconquise, et qui alarmait les Sabins. Aussi essayèrent-ils de s'emparer par ruse de la faveur céleste, et de faire tourner à leur profit les signes qui pouvaient annoncer la grandeur des Latins.
Un fait assez singulier, rapporté par plusieurs auteurs, montre bien cette jalousie des deux peuples qui se disputaient l'avenir.
Un Sabin avait un bœuf d'une grandeurmonstrueuse. Il l'amène à Rome pour être immolé dans le temple de Diane. Un oracle, venu probablement d'un augure sabin, comme Attus Nsevius, avait annoncé que celui dre parler de l'Ionie par les Phocéens, qui, vers ce temps, visitèrent Rome avant d'aller fonder Marseille. (Just., tun, 3.)
'Tit.Liv.,t,45.
qui immolerait le boeuf donnerait à sa patrie l'empire 1.
Le coup était assez bien préparé; mais le prêtre du temple 2, qui devait être un Latin, sut le parer. Comme le bœuf allait être sacrifié, il prescrivit au Sabin de descendre la colline et d'aller faire une ablution dans le Tibre5. Le simple montagnard, ne soupçonnant pas le complot dont on voulait le faire l'instrument, descendit sans défiance. Quand il revint, le prêtre latin avait immolé la victime.
Les cornes gigantesques du bœuf furent conservées très-longtemps sous le vestibule du temple de Diane 1 Tite Live (t, 45) entend la primauté des Romains qui voulaient conserver et des Sabins qui voulaient, dit-il, ressaisir l'empire. H est dans le vrai de la situation. En effet, la question était entre Latins et Sabins. Plutarque [QMMt. MM., 4) est plus loin de la vérité quand il fait prédire à la patrie du sacrificateur la domination sur toute l'Italie. Ce n'est pas de cela qu'il s'agissait alors. Valère Maxime (vn, 3, 1) tombe tout à fait dans l'absurde en mettant, au lieu de l'Italie, le monde entier, ce à quoi la tradition ne pouvait songer. Les trois auteurs que j'ai cités, et, après eux, Zonaras (vn, 9), parlent d'un Sabin l'auteur du de Viris illustribus (vn), dit Latin, et par là efface de ce récit tout le sens historique qu'il pouvait avoir.
Plutarque suppose que c'est Servius qui a donné cet ordre à un Cornelius, prêtre de Diane. Un Cornelius eût été mal choisi, car les Cornelii étaient Sabins. Mais Plutarque nous avertit que Yarron n'avait point parlé d'un Cornelius prêtre, et attribuait l'artifice au gardien du temple.
Ces expressions font penser que le temple de Diane dominait le fleuve, comme il dominait le cirque, ce qui détermine sa situation à l'angle nord-ouest de l'Aventin.
comme un signe du triomphe des Latins, ainsi qu'au moyen âge on plaçait devant les églises d'Italie les trophées de quelque victoire sur une ville rivale devant le dôme de Florence, les chaines conquises dans une expédition navale; dans la cathédrale de Sienne, le mât du Carroccio, pris aux Florentins à la bataille de Monte-Aperti.
Du reste, le choix de l'Aventin pour y placer le centre de la confédération latine se conçoit parfaitement. C'était alors le mont latin. Le Cselius l'était aussi; mais il était en même temps un mont étrusque. Mastarna y avait campé, et les Latins y auraient été moins chez eux. Pour le Palatin, il aurait trop effrayé les Sabins; il leur avait résisté. Le Palatin était hostile; l'Aventin ne l'était point.
Et puis Mastarna ne séparait pas la cause des Latins de celle des plébéiens, comme plus tard C. Gracchus associait la cause des Italiotes à la cause plébéienne, comme aujourd'hui la cause de la démocratie est liée en Italie à ia cause de la nationalité italienne. Or l'Aventin était le berceau de la plebs; il était déjà le mont plébéien et le fut toujours. Sur l'Aventin furent créés les premiers tribuns; sur l'Aventin, le père des Gracches éleva le temple de la Liberté; sur l'Aventin, le second de ses fils, poursuivi par ses meurtriers, vint se réfugier dans un temple de Diane'.
Ce temple n'était pa~, je crois, )c grand temple de Diane, mais un
On peut s'étonner que Mastarna ait mis la confédération latine sous le patronage d'une déesse des Sabins, associée par eux à leur dieu national, Janus, au lieu de choisir le grand dieu latin Saturne. Mais il ne fallait pas non plus pousser à bout les Sabins Mastarna voulait tenter plutôt de les concilier à son projet en accordant l'honneur d'être le sanctuaire commun des Latins à un temple que les Sabins avaient primitivement fondé. D'ailleurs, ce temple était un asile, par là respectable et cher à tous.
Les esclaves s'y réfugiaient à l'autel de Diane, qui était jour protectrice', comme une autre déesse sabellique, Feronia; comme près de l'autel d'Acca-Larentia, sabine aussi, on sacrifiait aux mânes serviles. J'ai parlé de cette protection des esclaves par les divinités sabines, qui exprimait, en l'exagérant, la faveur que les rois sabins, dans l'intérêt de leur pouvoir, avaient montré pour la portion la plus humble et par là la moins dangereuse de leurs sujets, tradition qui s'est' continuée pour Servius et a peut-être été l'origine de son nom, si ce nom n'a pas aidé la tradition à faire de Servius l'ami des esclaves e) même un esclave. Le roi, qui, par le temple de Diane, fonda l'unité politique de la race sabine, et qui, par sa constitution, créa l'unité politique de Rome, constitua' ce qu'on temple de la Lune, situé plus bas. Orose l'appelle un Dianium, parce que ta lune était Jàna ou Diana
res!p. 543.
pourrait appeler l'unité topographique de cette ville, composée. dans l'origine de plusieurs villes en l'en'tourant d'une enceinte à peu près continue'. Le premier Tarquin, après Ancus Martius, avait eu l'honneur d'entreprendre ce grand ouvrage; Mastarna eut la gloire de l'achever.
Cette enceinte était formée de deux parties. distinctes un mur appliqué contre les collines et contournant les sinuosités de leurs pentes, et là où, soit leur escarpement, suffisamment abrupte, soit le voisinage* i du Tibre, rendaient ce mur inutile, et un fossé muni en dedans d'un relèvement en terre qu'on appelait un agger.
On peut suivre facilement la direction du mur de Le mur n'enveloppait pas tout le coté occidental du mont Capitolin. On le voit par le récit de la tentative des Gaulois pour surprendre la citadelle (Tit. Liv., v, 47), qui gravissent le rocher sans trouver de murs sur leur chemin. Nibby s'est donc trompé en croyant reconnaître de ce coté les restes des fortifications du Capitole. (Rom <!?< 95.) S'il en eût existé là, les Gaulois les auraient rencontrées avant lui. Cicëron' dit positivement (De Rep., n, 6] que la citadelle était défendue par un escarpement à pic et par le rocher taillé tout alentour. Ainsi au moins le sommet sud-ouest, qui portait la citadelle, n'était fortifié que par la nature.
Ici les témoignages sont décisifs, et je ne comprends pas qu'on en ait pu méconnaître l'évidence. Tite Live [n, 10) oppose les endroits défendus par des murs à ceux qui ne t'étaient que par le Tibre. Denys d'Halicarnasse (v, ~!3) afûrme qu'il n'y avait pas de mur dans les parties de la ville voisines du fleuve; et ailleurs (nf, 68), que là le fleuve servait de muraille. Il n'en existait donc point entre le Forum Boarium et le Tibre. On a trouvé au bord du Tibre des bornes qui indiquaient la limite du Pomœrium.
Servius Tullius par l'emplacement des portes, qu'il est presque toujours possible de reconnaître', et par des restes du mur lui-même, dont les plus considérables ont été découverts il y a peu d'années, tous deux sur l'Aventin et regardant vers le Tibre".
Ils donnent à la Rome des rois étrusques une circonférence de six à huit milles (entre deux et trois lieues) C'est environ la grandeur qu'avaient Athènes* etVéies'.
Servius Tullius compléta le mur dont je viens de parler par son agger, du côté le plus exposé aux incursions des populations sabelliques, là où elles pouvaient arriver sans obstacles sur l'Esquilin, le Viminal et le Quirinal, dont les cimes étaient de plein pied avec la campagne; de ce côté il ajouta au mur un fossé ayant Voy. Becker, De Romse vetcris muris aLque portis.
L'un dans une vigne des jésuites près de Santa-Prisca; l'autre dans le jardin des dominicains de Sainte-Sabine. Nibby en a indique un sous le couvent de Sainte-Balbine, sur le faux Avent.in. (Rom. ant., t, 97.) Ces murs de FAventin peuvent, ainsi que je l'ai dit, dater d'Ancus Martius; mais ils firent certainement partie de l'enceinte génërate de Servius Tullius, comme le mur du camp des prétoriens, bâti sous Tibère, fit partie de l'enceinte d'Aurélien.
L'étendue de la Rome de Ser\ius n'a rien à faire avec l'étendue de treize mille deux cents pas, donnée par Pline à l'enceinte de Rome sous Vespasien (m, 9, 13), et l'on n'est nullement forcé de supposer une altération dans ce chiffre.
4 Den. d'tlal., <v, 15. Voy. Leake, Alt., p. 438; Canina, Esp. <<;po~ p. 91-2.
"Den. d'Hal., .54.
en dedans un relèvement de terre (agger) Le fossé était profond de trente pieds, large de cent~. La muraille placée sur l'agger était là, comme partout, garnie détours~.
Cet agger de Servius Tullius l'un des plus anciens travaux qui aient été exécutés à Rome, subsiste encore en assez grande partie. Il est visible en plusieurs endroits. On le suit depuis la porte Esquilin jusqu'à la porte Colline, c'est-à-dire depuis l'arc de Gallien jusqu'aux jardins de Salluste'.
Dans la villa Ncgroni, il forme un tertre de quelque hauteur, dont la cime est le point le plus élevé de la ville sur la rive gauche du Tibre.
Un bouquet d'arbres le surmonte; on y a placé une statue de Rome. Avec le temps, il était devenu, en cela semblable à nos {'OM/et'Nt'ds, un lieu de promenade. On peut encore y aller chercher le soleil, comme Horace', Agger proprie dicitur terra i[[a quœ vaUo facto propius ponitur. (Serv., ~n., x, 2t.)
Den. d'Hal., 'x, C8.
Den. d'Hal iv, 54.
l'line seul (m, 9, 15) attribue l'agger et le fossé à Tarquin le Superbe, qui, selon Denys d'Halicarnasse (<?, 54), élargit seulement le fossé, éleva la muraille et y ajouta des tours. Strabuu (v,3, 7) dit que le rempart de Servius défendait l'Esquilin et le Viminal, metlant l'Esquilin au lieu du Quirinal, dont il ne parle pas; les restes de l' gger sont là pour le démentir.
Nibby, R a~ t, p. 9<i.
Aggere in Aprico Spaliari. (Ilor., Sat., t, 8,15.)
qui en parle, faisait sans doute en sortant de chez Mécène, dont les jardins étaient tout proches. L'agger n'aurait besoin d'avoir été œuvre d'un roi étrusque pour être de construction étrusque, puisque une telle construction se remarque même dans le mur de Romulus. Il n'en est pas moins à noter que de Mastarna date un genre de fortification qu'on retrouve en Étrurie
Ainsi fut terminé par ce roi Mnt~ca~Mr le système de défense qui enveloppa les collines sur lesquelles s'étaient élevées des villes distinctes, dans l'unité d'une même enceinte.
On peut dire que, de ce jour, Rome, qui jusque-là avait été en quelque sorte préparée, exista.
Car c'est ainsi qu'il faut comprendre la formation de Rome. Il faut y voir une agglomération et comme une agglutination progressive de petits établissements séparés.
C'était de la sorte que les choses s'étaient passées de tout temps en Italie, et Denys d'Halicarnasse, qui l'affirme, parle déjà, à propos des Pélasges, de villes petites et rapprochées, comme, dans certaines contrées reculées de l'Italie, on les trouve encore
M. Dennis signale un agger à Véies. On en observe deux à Ardée (Abek. M~ /< p. ~63), où j'ai dit qu'on avait lieu d'admetlre que les Étrusques avaient anciennement pénètre.
Petit-Hadet indique sur la rive gauche de l'Alerno quatorze villages dans une étendue d'une lieue en longueur sur une demi-lieue de large.
Ces murs, réparés plusieurs fois sous la république et qui arrêtèrent Annibal, étaient, au temps d'Auguste, cachés dans les maisons et les jardins, à peu près comme le sont les restes des vieux remparts de Paris, et, dit Denys d'Halicarnasse, dt~tc: à retrouver. On n'en tenait plus aucun compte, et Rome s'étendait en tout sens au delà, sans qu'on pût dire où la ville finissait 1.
L'assertion de Denys d'Halicarnasse a été pleinement confirmée par les débris des murs de Servius qui ont été récemment découverts sur l'Aventin; car on a vu des murailles de maisons antiques venir s'appuyer obliquement au vieux rempart, lequel est entièrement intact là où il n'a pas été détruit à dessein, comme les jésuites l'ont fait longtemps dans leur vigne pour en exploiter les pierres.
Chez les Dominicains, qui ont apporté le plus grand zèle aux fouilles dirigées par le respectable père Besson, chez les Dominicains on a constaté qu'une maison romaine était à cheval sur l'antique rempart des rois. C'est à Servius qu'il convient d'appliquer ce que Virgile a dit de Romulus
Septemque una sibi muro circumdedit arces*.
Ce fut sous Seryius que Rome entoura d'un mur les 'Den.d'Hat.T,i3.
~Ea., Ti, Mt.
GMr~ n, 555.
Georp., n, 535.
sept sommets ou les sept citadelles. En effet, la plupart de ces sommets avaient été des citadelles, et même, lorsque leur ensemble forma une cité unique, durant les troubles politiques, ils servirent parfois de citadelles. Ils reprirent ce caractère au moyen âge quand les barons romains se fortifiaient sur le Palatin, sur l'Aventin et sur le Cselius.
Même aujourd'hui, à Rome, il existe un esprit local dans certains quartiers.
Depuis les premiers temps jusqu'à nos jours, le fractionnement a été la conditibn naturelle de l'Italie. Les Romains ont fait violence à cet instinct profond de séparatisme, mais il a reparu après eux, au moyen âge; dans les villes d Italie, chaque quartier était souvent une république. Ceux de Sienne, pendant les courses de chevaux, sont presque en guerre civile, et jusqu'à ce qu'elles soient finies, quand on n'est pas de la même coHtfada, on risque de se brouiller. A Rome, selon Niebhur, l'habitant des vignes de l'Esquilin, quand il descend dans la ville, dit Je vais à Rome. Cette extrême division a produit un grand développement, mais aussi un grand éparpillement de forces individuelles. Elle a fait la grandeur des Italiens dans les arts et les lettres, leur faiblesse militaire et politique elle a fini, après avoir enfanté leur gloire, par amener leur décadence.
Aujourd'hui, par un magnanime effort, ils veulent dompter la nature ils veulent devenir un seul peuple.
L'Italie veut être. Ceux qui méconnaissent ce désir, de tous le plus légitime, sont bien aveugles, et ceux qui ne l'honorent pas, bien injustes.
Cette agglomération successive de diverses petites Romes en une cité unique fait comprendre comment on a pu passer en assez peu de temps de la ville du Palatin à la ville des huit collines, et dispense de supposer nécessaire, ce qui du reste n'est pas impossible, que le nombre des rois de Rome ait été plus considérable qu'on ne l'admet généralement.
Les savantsqui se récrient en Allemagne contrela pensée que les Romains étaient un peuple de race mêlée (JtfMc~t ~M;) me semblent ne pas bien comprendre ses origines, etsurtout n'en ont pas assez contemplé le théâtre. Chacune des collines de Rome, se dressant devant eux, aurait réclamé sa part dans la formation de la ville des huit sommets. La cité sabine surtout, qui en couvrit le plus grand nombre, aurait revendiqué la sienne. D'ailleurs, d'assez grandes nations, la nation française et la nation anglaise, par exemple, sont de sang mêlé, sont sorties de l'association de deux peuples et du mélange de plusieurs races.
C'est même, je crois, la seule explication qu'on puisse donner de la supériorité de Rome sur les villes voisines, qui lui étaient pareilles dans les commencements. Elle leur devint supérieure, parce que, au lieu d'être comme elles une seule ville, elle fut plusieurs fi~M.
X~HI
4
SUITE DE SERVIUS TULLIUS
Institutions de Servius. Tribus locales substituées aux tribus de race. Les classes. Principe du cens. La propriété, fondement et mesure de l'importance politique. Les Septa. Rapport de la constitution de Servius et de celle de Solon.- Comment une constitution à la grecque a-t-elle pu ~enir d'un chef étrusque? Explication, rapport de Mastarua avec les villes grecques de Campanie. Origine grecque de la monnaie, des mesures, de l'écriture romaines. Actes de naissance et de décès, trois temples. Mort de Servius, chant de la parricide. Rue Scélérate. Il fallait fondre ces éléments divers, il fallait surtout amalgamer l'élément sabin qui était aristocratique et l'élément latin qui était plébéien. Ce futlà le but de la politique de Servius, politique de fusion et d'unité dont le temple de Diane et l'enceinte de Rome, monuments de fusion et d'unité, nous ont déjà révélé l'esprit.
Pour cela Servius fit deux distributions distinctes de la population, l'une, d'après le sol, en quatre tribus; l'autre, d'après la richesse, en six classes.
Je parlerai d'abord de la première.
Aux trois anciennes tribus, les Titiès, les Rhamnés et les Lucères, qui représentaient la distinction des races, de la sabine, de la latine et de l'étrusque, il substitua des tribus locales dont chacune répondait non. à une nationalité, mais à une région~. C'était porter un premier coup à la séparation des races que Tarquin avait déjà cherché à combattre.
L'ordre des tribus nouvelles comparé à celui des anciennes est digne de remarque parmi les anciennes, les Titiès, c'est-à-dire les Sabins, tenaient le premier rang, les Lucerès, c'est-à-dire les Étrusques, le dernier'. Parmi les nouvelles', la tribu Colline, celle qui occupe le Quirinal, le mont Sabin est la dernière ou l'avant-dernière, et avec elle est nommée la tribu de l'Esquilin, sabin comme le Quirinal. La tribu du Palatin ou la tribu latine est la première~ ou la seconde'; II est vrai que les trois races que Serrius voulait rapprocher habitaient en général des quartiers différents. Cependant cette diversité de demeure n'était pas absolue. H y avait sur le Palatin des Sabins et sur le Caelius des Étrusques qui étaient restés parmi les Latins; il y avait an milieu des Sabins du Quirinal les Latins du cottin ~<!<MfM; et puis le principe de l'immobilité dans la séparation était ébranlé. On ne change pas ne race, mais on change de quartier. Varr., De L. lat.. v, 55; Cic., De Rep., n, 20.
Den. d'Hal., tv. 14.
P. Diac., p. 568. Dans Tarron (De lat., v, 55), elle est la quatrième mais Varron, qui énumère les tribus à l'occasion des anciens sanctuaires des Argéens, suit l'ordre de ces sanctuaires avec lesquels Servius mit en rapport ses régions, rattachant son institu-
la tribu de la Subura, qui comprenait le Coelius, mont anciennement étrusque et devenu aussi latin depuis la prise d'Albe, est dite la seconde par Denys d'HaIicarnasse, qui place avant elle la tribu du Palatin; les deux tribus latines avant les deux tribus sabines On voit que les places ont changé les Étrusques et les Latins qui venaient après les Sabins passent avant eux.
Outre les quatre tribus urbaines dont je viens déparler, Servius institua vingt-six tribus rustiques. Ce fut encore une institution favorable aux Latins. Les Latins étaient les propriétaires du sol. Les gentes sabines durent bien s'établir aussi dans la campagne avec leurs clients, mais rien n'indique qu'elles aient dépossédé ceux qui l'occupaient avant elles. En instituant les tribus rustiques, en formant des agglomérations de propriétaires fonciers dans lesquels les Latins devaient former la grande majorité, en créant dans chaque tribu un lieu fortifié où les habitants pouvaient se réfution nouvelle à un antique souvenir. Les trois premières régions, la Suburane, la Palatine et l'Esquiline, correspondaient aux trois collines qui avaient formé le Sep<MKM!Mm des Sicules et des Ligures. C'était une bonne raison de ne mettre la région du Quirinal qu'après les trois autres. En innovant, Servius semblait suivre un ordre trèsancien, conservé par un vieux culte.
Il n'est pas fait mention de l'Aventin, qui n'était point compris dans le Pomœrium; sa population latine était sans doute rattachée à la population latine du Palatin, comme la population sabine du Viminal à la population sabine du Quirinal.
gier s'ils étaient attaqués ou surpris, en unissant les membres de la même tribu par des liens étroits de confraternité, par des fêtes célébrées en commune Servius donnait aux hommes de la campagne une organisation démocratique qui leur permeftait de résister aux empiétements de l'aristocratie sabine, dont les superbes descendants devaient envahir un jonr les terres de l'État, et à l'ombre du droit de possession usurper le droit de propriété*.
L'organisation des tribus de la ville et des tribus de la campagne fut donc créée par Servius dans une intention favorable aux Latins, et, ce qui était à peu près la même chose, aux plébéiens Les patriciens, s'ils furent Den. d'Haï., )Y,i5.
2 Les Paganalia, qui étaient pour les tribus rustiques ce qu'étaient pour les tribus urbaines les Compi'alia.
La propriété, dit Niebuhr, appartenait exclusivement aux plébéiens si on n'en excepte ce qui était sous les murs mêmes de la ville, la véritable propriété ne se trouvait qu'entre les mains de ces derniers. (Niebuhr, NM<. R., n, p. ~61.)
On pourrait opposer à cette assertion les noms des tribus rustiques, dont la plupart sont des noms de ~ex<M patriciennes, Fabia, Cornelia, ~!milia, etc. Ces noms ne remontent pas à Sernus; ils nous sont donnés à propos des tribus telles qu'elles existaient dans les premiers temps de la république, quand les patriciens étaient maîtres de tout et tendaient en toute chose à dominer et à amoindrir les plébéiens. Alors les familles aristocratiques établies à la campagne avaient pu donner leur nom aux tribus au sein desquelles elles résidaient. Quelques-unes cependant, comme la tribu Lemonia, près de la porte Capéne, la tribu Pupinia, au pied de la montagne de Tusculum, avaient conservé une domination tirée du lieu qu'elles habi-
compris dans les tribus, ce qu'a nié Niebuhr, y furent en petit nombre isolés, sans inSucnce. Aussi les comices par tribus furent-ils toujours les comices plébéiens par excellence.
C'est l'institution des tribus encore plus que celle des centuries et des classes qui a fait que la mémoire du bon roi Servius a toujours été chère aux plébéiens. Celle-ci leur était favorable aussi, mais d'une autre manière, car elle donnait pour base aux droits de suf. frage, non la condition de patricien ou de plébéien, mais, comme dans les pays constitutionnels, le cens, c'est-à-dire la propriété. Or les plébéiens possédaient en grande partie la terre et c'était eux que le commerce,'dédaigné par l'aristocratie, enrichissait. En négligeant quelques variantes dans les chiffres partiels, la constitution de Servius était celle-ci Toute la population de Rome est partagée en 195 divisions, appelées centuries. Les centuries sont distribuées en six classes, en dehors desquelles sont 4 centuries d'artisans et 18 centuries de cavaliers. La première classe comprend 80 centuries, les quatre suivantes en comprennent 90 la sixième classe n'en comprend qu'une seule. Avec les 4 centuries d'artisans et les 18 centuries de cavaliers, total 195 i centuries.
Les citoyens sont rangés dans les différentes classes' taient. Je pense qu'il en avait été ainsi à l'origine de presque toutes les autres.
d'après leur propriété, qu'ils sont tenus de déclarer de bonne foi, comme en Angleterre pour la perception de l'income tax.
Ceux qui possèdent plus de 100,000 livres ou as 1 (asses) constituent la première classe.
Les trois quarts, la moitié, le quart et le demi-quart de ce capital placent les citoyens dans l'une des quatre classes qui suivent la première.
La dernière classe, qui ne se compose que d'une centurie, renferme tous ceux qui possèdent moins de 12,500 livres ou qui ne possèdent rien du tout. Les 18 centuries de cavaliers sont, les unes patriciennes, les autres plébéiennes.
Chacune des 195 centuries, quel que soit le nombre d'individus dont elle se compose, a un suffrage, c'està-dire une voix.
On voit qne c'est le droit que confère la propriété, substitué au droit que donne le nombre.
Une seule centurie, la dernière, était aussi nomL'as était d'abord une livre de cuivre. Au sixième siécle; il était réduit à deux onces. Le prix des objets avait dû augmenter en proportion. M. Bockh(iHe<f.MMt<M., 18M, p. 427) estime qu'il il avait seulement quintuplé; il pense qu'on a quintuplé aussi les chiftres du cens de Servius Tullius pour les mettre en rapport avec la valeur diminuée du cuivre, et qu'il faut, par conséquent, les réduire au cinquième. Les cent mille as de la première classe descendaient ainsi à vingt mille. En 502 fGott)., Mo. t'y., p. 240), un bœuf valait cent as et une brebis dix. A ce taux, le minimum de la propriété exigée pour faire partie de la première classe eût donc été équivalent à un troupeau de deux cents bœufs ou de deux mille moutons.
breuse à elle seule que toutes les centuries' de la première classe, cependant elle n'avait qu'une voix contre quatre-vingts.
Les centuries exclusivement patriciennes de cavaliers au nombre de six ou de douze* n'avaient que six ou douze voix.
Les cinq premières classes, qu'on appelait les riches (/ûCM~), en avaient 170.
La prépondérance n'était donc accordée ni à la multitude ni à l'aristocratie, mais à la propriété, qui, en latin comme 'en français, s'appelait aussi la fortune, nom de la déesse favorite de Mastarna.
Si les 18 centuries de cavaliers qui votaient les premières se réunissaient aux 80 centuries qui votaient immédiatement après, toutes ensemble pouvaient former une majorité de 98 voix contre 95, et rendre inutile la continuation du scrutin.
Un autre principe indépendant du nombre intervenait dans la constitution de Servius Tullius, un principe qui a été bien romain, mais qui, dans l'origine, a 1 Cic., De ~fp.,H, 22.
Selon qu'on voit la part faite aux centuries de cavaliers des trois anciennes tribus, doublées parle premier Tarquin, dans les six suf/f<M accordés à six centuries de la constitution de Servius où dans les douze autres qui, avec les six, formaient dans cette constitution les dix huit tribus de cavaliers. (Voy. Gottting, Geschichte der /!tXtM<cAfH F<f/i!MM~, p. 255.) On n'est pas d'accord sur ce point; mais il est certain qu'aux anciennes centuries de cavaliers, Servius Tullius en avait ajouté de plébéiennes.
dû être sabin, car il dérive de l'état patriarcal, le respect de l'âge.
Les centuries (hors celle des cavaliers) étaient ou des centuries d'hommes jeunes (juniorum), de i7 ans à 45, ou des centuries d'hommes âgés (seniorum), de 45 ans à 60 elles ne pouvaient être égales en nombre, elles étaient égales en droit, et il y en avait autant des unes que des autres, bien que la première catégorie renfermât certainement plus de citoyens que la seconde.
L'organisation des centuries, c'était l'organisation de l'impôt, de l'élection, de la 'égislature et de l'armée. De l'impôt, puisque chaque citoyen payait en raison du chiffre de sa propriété et de la centurie à laquelle il appartenait'; de l'élection et de la législature, puisque chacune concourait à l'élection des hautes magistratures, à l'acceptation ou au rejet des lois, à la déctaranon de la guerre et à 1 établissement de la paix, dans la proportion du droit que lui donnait la classe dont il faisait partie; de l'armée, puisque la place que chaque classe occupait dans l'armée répondait à sa place dans la hiérarchie financière de Servius.
Le tribut se levait par tribus. Son nom même indique qu'au moins dans l'origine il a dû en être ainsi; il se percevait selon la propriété individuelle qui classait chacun dans sa centurie.
Den. d'ilal., v, 19; G'iXting. CM~t. d. MM. ~/<M< p. 2')9. Sur
Le droit politique transporté des curies et centuries patriciennes aux centuries en très-grande partie plébéiennes; du Comitium, lieu augure, au Champ de Mars, lieu profane ce fut la grande œuvre de Servius. En même temps ce changement montre celui qui s'est opéré graduellement depuis l'établisscment des Latins sur le Caelius, dans leur situation par rapport aux Sabins. La plebs latine a la faveur de la protection des deux premiers rois étrusques, qu'on commence à découvrir sous le dernier roi sabin; la plebs latine remplit les vastes cadres des centuries. L'aristocratie sabine, si elle voulut rester à peu près pure, n'eut pour refuge que quelques centuries de cavaliers, lesquels avaient des égaux plébéiens; après eux votaient la première classe, la classe', comme on disait, par excellence, qui pouvait tout décider et dans laquelle on était admis, qu'on fût Sabin ou Latin, patricien ou plébéien, pourvu qu'on fût riche. Pour une élection ou pour un vote législatif, les centuries se rassemblaient hors de la ville au Champ de Mars dans ce qu'on appelait les Septa~ ou les les rapports des tribus aux centuries, voyez le très- savant et tresingënieux ouvrage de M. Mommsen, intitulé Die ~OMMcA~H tribus, dans lequel -l'auteur veut démontrer que la constitution par centuries repose sur la tribu. (P 58.)
Infra classem, pour ce qui est au-dessous de la première classe; c'est de là que vient l'expression classique.
Les Septa étaient voisins de la villa Publica, située vers l'extrémité méridionale du Champ de Mars; car elle était assez prés du
Ovilia, le parc aux moutons, nom qui indique la forme primitive de ce lieu où s'assemblaient les centuries. C'était un espace entouré d'une barrière en bois'. On en fit un bâtiment magnifique au commencement de l'empire, alors qu'il n'avait plus de signification politique.
Longtemps on conserva la coutume d'élever sur le Janicule, ancienne citadelle de Rome,un drapeau rouge pendant tout le temps que duraient les votes du Champ de Mars pour avertir que l'ennemi n'approchait point, souvenir d'une époque où l'Ëtrurie s'étendait jusqu'au pied du Janicule.
Sans doute l'organisation créée par Servius fut une organisation militaire autant que politique. L'ensemble des classes et des centuries s'appelait l'armée (exerci~Ms)~; le mot classis a un sens analogue~. Les classes s'assemblaient dans le Champ de Mars, hors de la ville; elles y étaient soumises à l'MH/tMMt, droit de vie et de mort du général sur ses soldats.
Dans la ville elles n'y auraient pas été soumises, et temple de Bellone pour que de ce temple on cn.endit les cris des prisonniers que Sylla y faisait égorger. Or l'emplacement du temple de Bellone n'est pas douteux. Ce temple était près du cirque Flaminien.
Serv., JM. M.
D'où cette expression pour convoquer les centuries Convocare exercitum urbanum.
C~aMM désignait dans l'origine un corps de troupe pr<M<ae<.B e~MifM, armée rangée en bataille. Dans l'usage, ce mot désignait surtout t'armée de mer, la Botte.
il est curieux de voir le peuple romain commencer par se mettre sous le commandement absolu de l'autorité militaire pour exercer des fonctions législatives ou pour des élections. Cela est bien contraire à nos idées, mais ne parait avoir presque jamais gêné la liberté des votes. A Rome, le pouvoir le plus exorbitant respectait cette liberté, qui se déployait sans crainte devant lui.
A soixante ans, en devenant incapable de service dans l'armée, on perdait le droit de voter dans l'assemblée Chacune des cinq classes était équipée différemment', mais toutes, excepté la cinquième, avaient la lance sabine. L'influence sabine, effacée dans la portion politique, reparaissait dans la portion guerrière de l'oeuvre de Servius°.
Parmi les artisans on n'avait formé de centuries que pour ceux dont les métiers pouvaient être utiles à la guerre, les ouvriers en fer et en bois; on y avait joint la centurie des joueurs de trompe et celle des trompettes, mais ce serait, je pense, une erreur de ne voir dans Il y avait dans les Septa des ponts sur lesquels on passait pour aller voter; de là l'expression Sexagenarius de p<M<e. (P. Diac., p. 5M.)
Tit. Liv., t, 43; Den. d'Hal., )v, ~6-
3 La luetration des centuries, qui accompagnait tous les cinq ans chaque renouvellement du cens, et qui a donné à cette période de temps le nom de ~<fMH), était peut-être une chose sabine antérieure à Servius Tullius, qui l'aurait adoptée, ou une chose étrusque. Nous avons vu que toute lustration, et en particulier celle des armes et des trompettes, venait des Sabins ou, par eux, des Étrusques.
l'institution de Servius qu'une institution militaire Je ne doute pas que l'intention de Mastarna, chef guerrier, n'ait été d'organiser une armée, mais je crois qu'il a voulu aussi organiser un peuple.
Cette organisation ne fut pas démocratique, si l'on entend par démocratie la puissance du nombre. Cicéron, qui apparemment n'était pas pour le suffrage universel, loue Servius d'avoir empoché que les plus nombreux fussent les plus influents, MC p~rimMMt va~ottt ~/Mr:mt'; Denys d'Halicarnasse prétend que ceux qu'il avait relégués dans la sixième classe, qui n'avaient qu'une voix, contents de participer d'une manière illusoire au vote général, ne s'aperçurent pas qu'en fait ils n'avaient sur ce vote aucune action'; ce n'était cependant pas bien difficile à, comprendre. Mais cette constitution était encore moins aristocratique, si par aristocratie on entend le privilége du sang. Elle était réellement populaire, tenant compte des situations véritables, proportionnant l'importance relative des citoyens la propriété et attachant les devoirs militaires aux devoirs politiques, de manière à avoir une population armée et une armée d'hommes libres. Roi étranger, Mastarna voulut unir sous son pouvoir et enfermer dans le cadre d'une même organisation l'aristocratiesabine, son ennemie et son danger, la plebs latine, son alliée naturelle et sa force, ainsi Cic., De Rep., n, 23.
Den.d'Ua).,)v,21.
qu'ils les avait unies dans les mêmes tribus locales et enfermées dans l'enceinte de la même muraille. La tradition exagère volontiers ce qu'elle consacre. Servius avait substitué le vote gradué des centuries ouvertes à tous au vote exclusif des curies patriciennes on en fit un roi démocrate et presque républicain, un ennemi des patriciens, dont il avait restreint l'influence. Selon la tradition, il les avait forcés d'habiter au-dessous de sa demeure de l'Esquilin dans le ~M<M'ft6!' des patriciens (vicus potf!C!Ms) pour les tenir en respect. On le représentait comme le protecteur des pauvres2, auxquels il avait eu soin de soustraire toute influence sur la chose publique, et des esclaves pour lesquels on ne voit pas qu'il ait rien fait, mais auxquels, par une exagération malveillante, on étendait sa faveur pour les plébéiens. Sa mémoire resta chère aux uns et aux autres elle le fut moins à l'aristocratie. Les patriciens, disait-on' avaient voilé son image dont la vue excitait la douleur du peuple; et Virgile, qui ne manque pas une occasion de célébrer les origines des grandes familles romaines, interprète de Fest., p. 221; Via Urbana, Via di Sauta Maria Maggiore, Via di San'a Pudenziana.
Fautor infimi generis liominum. (Tit. Liv., ), 47.j
s Piut ~M~. /-Mt., 100; Fest., p. 5~-5.
Le petit peuple célébrait cette mémoire toutes les nundincs, jours de marché, parce qu'on croyait que Servius était mort un jour de nones et qu'on ne savait pas dans quel mois. [Macr., Sat., i, 15.) s Ov., Fast., vi, 585.
leurs rancunes par son silence, dans l'énumération des rois de Rome a omis Servius Tullius.
On lui attribuait rétrospectivement les mesures populaires que sous la république les plébéiens réclamaient sans cesse une loi agraire' et l'abolition des dettes. Il avait eu la pensée de remplacer la royauté par une république~. Tacite' en parle comme d'un roi constitutionnel, et le poëte Accius, dans sa tragédie de Brutus, appelait Servius le fondateur de la liberté. Mais, sans tenir compte de ces exagérations qui provenaient de la sympathie des uns et dé l'antipathie des autres, la constitution donnée par l'étrusque Mastarna n'en reste pas moins un fait très singulier, une apparition des idées modernes dans l'histoire de Rome, qui étonne et dont il faut se rendre compte.
Ce qui frappe en elle d'abord, c'est une ressemblance extraordinaire avec la législation de Solon.
En effet, Solon divisa tous les citoyens en quatre classes d'après le revenu de chacun, et leur conféra les droits qu'avaient jusque-là possédés les patriciens d'Athènes, les Eupatrides, l'élection des magistrats et la sanction des lois. Chaque classe était taxée en proportion de sa richesse, la dernière ne l'était point, mais ceux qui'la composaient étaient exclus de toutes les Den. d'Hal., tv, 9; Cic., De Rep., n, 2t.
Tit. Liv., ), 481; Den. d'Hal., !v, 40.
Sanci.orlegum fuit quis etiam reges obtempérèrent'. (Tacit., Ami., n, 20.
charges publiques et, sauf en cas de nécessité, dispensés du service militaire.
On voit que la constitution de Servius Tullius et celle de Solon reposent exactement sur le même principe, et on pourrait dire de la première ce que Solon a dit de la sienne dans ce vers qui en exprime trèsbien l'esprit: Ceux qui avaient la puissance et la richesse étaient à la tête de la république.
La principale différence, c'est que la constitution de Solon était plus démocratique et moins guerrière que celle de Servius.
Chacune des quatre classes de Solon avait un droit égal de suffrage et leur pouvoir était plus étendu, les magistrats étaient responsables devant elles. Ces classes n'étaient pas une armée, n'étaient pas organisées militairement. Il est seulement dit que dans la seconde on servait à cheval et que dans la dernière on ne servait point. A cela près, et sauf le nombre des classes, une des législations semble calquée sur l'autre. Solon avait supprimé l'esclavage pour dettes, et on disait de lui qu'il avait aboli les dettes comme oa le disait de Servius.
La ressemblance s'étend jusqu'aux détails matériels du mode d'élection, et les barrières en bois qui formaient les Septa se retrouvent dans les cstaphr~nM~ de l'Attique.
Le cens donné pour base aux droits politiques n'était pas exclusivement propre à la législation de Selon. 11
existait dans plusieurs des républiques grecques de la Campanie Cumes, Pouzzole Naples' il existait à Locres'. Ce principe était dominant dans les villes grecques de l'Italie méridionale.
Mais comment une constitution grecque a-t-elle été importée à Rome par un roi étrusque ? <!
Beaucoup de choses ontpassé de la Grèce enÉtrurie. Dans la grande majorité des vases peints trouvés en Étrurie, l'art est grec, les sujets sont empruntés aux traditions héroïques et à la mythologie de la Grèce; il en est de même des personnages représentés, dont le nom est assez souvent écrit en grec. Ces communications s'expliquent par le commerce de l'Étrurie avec la Grèce, dont l'histoire de la famille de Tarquin nous a offert un exemple.
Elles avaient pu faire arriver aux Etrusques des notions sur l'état politique des cités grecques aussi bien que des vases, et on avait pu imiter leurs institutions comme on imitait leurs arts.
Quand on voit par exemple à Corinthe les chevaux des cavaliers fournis et entretenus par, un impôt levé sur les veuves et les orphelins, ainsi qu'à Rome ceux des cavaliers ou, comme on dit, des chevaliers romains~, et quand on se souvient que l'aïeul de Tarquin était venu de Corinthe, il est bien difficile de Mommsen, R. G~scA., p. 126-7.
Micati, n<. tïMM<< ~?tt. 0. J!, u, 8
Cie., De ~q)., n,~20, Tit. Liv., i, 45. 8.
Cie., De Rep., Il,:20; Tit. Liv., 1,45.
ne pas soupçonner dans cette reproduction d'un usage trop singulier pour quelle puisse être fortuite une réminiscence de la Grèce.
De même, le second roi étrusque a pu entendre parler de la législation de Solon qui était un peu plus ancien que lui. Il passait pour avoir le premier mis un signe sur la monnaie' et M. Bock déclare~ qu'à Rome la monnaie a été faite d'abord sur le modèle de la monnaie grecque.
Mais est-ce bien Mastarna. et pourquoi n'est-ce pas Tarquin qui a introduit à Rome une organisation politique imitée de Solon et des cités grecques?
Comme cette question m'embarrassait, je suis allé me promener sur le mont Caelius, ou vinrent bien des siècles avant moi les Etrusques, conduits par Mastarna, et, tout en contemplant l'admirable vue dont on jouit du couvent des passionistps, plongeant mon regard dans la vallée qui séparait devant moi la montagne d'Albano des monts Sabins et qui fut la route de la Campanie, j'ai été frappé.de ce fait, que le Caelius était la première des collines qu'on rencontrait du côté de la Campanie et que de ce côté on arrivait de plein pied sur le Caelius. Alors il m'a paru que Mastarna avait pu venir du Sud, de la partie de l'Italie très-anciennement grecque, et l'origine hellénique de sa constitution. m'a été révélée.
Pl., llisl. nat., xxxm, 13, 2.
ri.,77Mt.M~ xx~n, t5, 2.
~f. U~fMMC/i., p. 207.
Il y avait, comme on sait, une Étrurie campanienne. Avant l'époque de Romulus*, les Étrusques avaient fondé douze villes dans l'Italie méridionale, comme ils en avaient fondé douze dans l'Italie centrale et douze dans l'Italie du Nord.
Pourquoi ce chef étrusque, ce Mastarna que la tradition représentait comme ayant été chassé de son pays par la fortune (variâ fortunâ exactus) et ayant amené sur le Caelius les débris d'une armée, n'aurait-il pas été chercher des aventures dans l'Étrurie méridionale et guerroyé peut-être contre les villes grecques de la Campanie, visité du moins des cités étrusques qui en étaient voisines?
Ainsi l'on s'expliquerait l'analogie de la constitution de Servius Tullius et des constitutions de ces villes, même le rapport qui nous a frappé entre cette constitution et la législation de Solon, dont l'établissement récent et déjà célèbre pouvait bien être connu dans la Grèce italienne, et même dans l'Ëtrurie méridionale. Ceci expliquerait encore pourquoi l'on attribuait à Servius Tullius l'introduction de la monnaie, dés poids et des mesures', toutes choses dont à Rome l'origine fut en partie étrusque et en partie grecque, et souvent grecque encore quand elle venait par l'Étrurie. 1 Huit siècles avant Jësus-Christ. (Ye)l. Pat., t, 7; 0. Muher, Etr., p. t66.'
A.ur. Victor, De Vir. ill., \n. Les principales mesures grecques furent peu modifiées en devenant romaines. (Mommsen, 7!. Gesch., p. 195.')
On croyait que Servius Tullius avait le premier mis une marque aux monceaux de bronze (ses rude) dont la valeur était jusque-là uniquement dans le poids, et qui par cette marque purent avoir désormais une valeur de convention, ce qui en fit une véritable monnaie On rapportait l'introductibn de la monnaie tantôt à Numa~, tantôt à Servius Tullius. Ce qui veut dire qu'on croyait devoir l'imitation de la monnaie greco-étrusque* aux Sabins, et à Servius, Étrusque, mais qui avait été en contact avec la civilisation grecque dans l'Italie méridionale, l'imitation de la monnaie grecque 5. C'est à cause de ce contact que Servius Tullius passait pour avoir été profondément imbu des connaissances de la Grèce".
L'écriture fut aussi communiquée aux Romains par les villes grecques del'Italie méridionale, leur slphabet fut originairement celui de Cumes'. Aussi le premier 1 On peut voit une trés-belle collection de cette sorte de monnaie grossière, et des as marqués d'un signe qui vinrent ensuite, au musée Kircher dans le collége Romain. Les exemples les plus anciens de i'tM grave, celui qui porte une empreinte, appartiennent à l'Ombrie, très-anciennement étrusque. (Pauly, Real. Encycl., p. 179.) Cette marque permettait de changer la. valeur de la monnaie, et fut peut-être pour Servius Tullius un moyen d'aider les débiteurs à s'exonérer, comme le fit Solon par le changement qu'il apporta dans la valeur de la monnaie.
Cedr., Cemp. hist., p. d41.
4 0. Mûtter, Manuel d'archéologie, § ns.
Bock., Metr. ~t~-M 206-
< Cic., De Rep., n, 21.
Mommsen, Gesch., t, p. 19'?.
monument écrit dont il soit fait mention est le traité d'alliance conclu entre Servius et les populations latines, traité qui se conservait encore au temps de Denys dHalicarnasse' dans ce temple de Diane sur l'Aventin que Servius, disait-on, avait 'construit à l'imitation du temple de l'Artémis d'Éphèse, et où était une statue de bois de Diane fort ancienne et semblable à une statue de la déesse qu'on voyait chez les Phocéens de Marseiïle
Rome commence à peine et déjà elle reçoit les influences directes de la Grèce, sans parler de celles qui encore plutôt et dès le premier Tarquin ont pu lui arriver par les Étrusques et antérieurement encore passer d'Étrurie à Rome par les Sabins.
La fixation de la monnaie, des poids et mesures, l'emploi de l'écriture, toutes ces choses qui sont le signe d'une civilisation plus avancée, paraissent à Rome sous le roi qui y a établi une constitution analogue aux constitutions modernes. Tout cela se tient et s'explique, si l'on admet que Servius a pu connaître des institutions grecques semblables à celles qui furent les nôtres, par ces communications dont la position du Cselius m'a suggéré la première idée. Servius Tullius, qui donnait à tous les citoyens un droit individuel en leur imposant un devoir envers l'État, qui les distribuait en centuries et en classes, Den. d'lial., iv, M.
Strab iv, i, 5.
avait besoin de connaître exactement leur nombre. Aussi institua-t-il à cet égard des mesures de police analogues à ce que présentent des administrations assez perfectionnées c'était probablement encore une imitalion de ce que les villes grecques possédaient en ce genre.
Les recensements se faisaient dans le Champ de Mars, à chaque lustre; pour les contrôler, il imagina d'établir un équivalent de nos actes de naissances, de nos tables de population et de nos actes de décès, mais en rattachant ces mesures aux cultes et aux temples de différents dieux. Il choisit ceux de trois divinités sabines, Junon Lucine, la Jeunesse et la Vénus funèbre, Libitina
II voulut qu'à la naissance de chaque enfant une pièce de monnaie fut déposée dans le temple de la première, une à l'époque où l'on sort de l'adolescence dans le temple de la Jeunesse, une à l'occasion de tout décès dans le temple de Libitina. De ces trois temples, le premier et le dernier étaient sur l'Esquilin ou dans les environs de l'Esquilin, et du vicus Patricius habité par les Sabins, le second sur le Capitole, dépendant alors du Quirinal et comme lui très-sabin.C'étaient probablement les actes de l'état civil de l'aristocratie sabine, des centuries patriciennes de chevaliers. Pour la foule latine et plébéienne, Servius avait pris une meDen. d'Ha)., iv, )5.
sure générale.Aux fêtes des Lares que chacun célébrait à la ville dans son quartier (compitalia), et à la campagne dans son district (paganalia),il ordonna que tous, sans exception, contribuassent pour le sacrifice par une pièce de monnaie différente, selon qu'elle était offerte par un homme, une femme ou un enfant.
Bien qu'il fût un chef guerrier, Mastarna fit trèspeu la guerre. Tite Live ne cite qu'une bataille gagnée sur les Etrusques de Voies près de Rome et sur leurs voisins 1. Denys d'Halicarnasse parle de l'Etrurie tout entière révoltée, de vingt ans de guerre et de trois triomphes~. L'Etrurie, que Tarquin n'avait pasconquise, ne se révolta pas sous Servius. Comme Numa, auquel Tite Live le comparer Servius avait autre chose à faire que de guerroyer. Numa avait organisé Rome religieusement, il l'organisa politiquement. Il fondit les trois races qui après lui cessèrent d'être distinctes, c'est de lui que datent réellement Rome et le peuple romain. Il est impossible de ne pas s'intéresser à ce bon et sage Mastarna, le meilleur des rois de Rome. Le but politique qu'il se proposa, les institutions qu'il fonda, et qui survécurent à la royauté môme, ajoutent encore
1 Tit. Liv., 1, 42.
Den. d'Haï., iv, 27. Denys semble se démentit' lui-même, car il ne nomme, parmi les ennemis vaincus par Servius, que les habitants de Véies et de Cures, dans le voisinage de Rome, et ceux de Tarquinii qui n'en était pas trés-éloignée.
Tit. Liv., t, 42.
à la pitié que fait naître sa fin tragique et à l'horreur qu'inspirent ses meurtriers.
En lisant le récit de cette mort, on sent que la poésie populaire, qui s'entend à présenter la tradition par son côté le plus émouvant, a donné à celle-ci une physionomie dramatique, frappante surtout pour qui contemple le drame sur le théâtre où il a été joué. Servius Tullius était vieux. La plebs, formée des Latins de Rome et des environs, entourait d'affection et de respect le roi populaire qui avait constitué le peuple romain et l'avait placé à la tête de la race latine mais dans sa famille se préparait le coup qui devait l'atteindre. Il avait deux filles portant le nom étrusque et ombrien de Tullie, et mariées à deux fils ou petits-fils de son prédécesseur, l'un appelé, comme son père ou son aïeul, Tarquin; l'autre, Aruns. Tarquin, ambitieux et emporté, avait une épouse d'un caractère honnête et doux. Son frère, Aruns, sans ambition et sans orgueil, était le mari de cette terrible Tullie qui seule figure dans l'histoire sous un nom qu'elle a rendu fameux en le déshonorant, et qui devait aller jusqu'au parricide.
Ici commence la tragédie ou plutôt le vieux chant épique, qu'on sent sous le récit lui-même très-poétique de Tite Live, et que j'ai essayé de retrouver.
CHANT DE LA PARRICIDE.
Elle disait, la fière Tullie « Pourquoi les dieux m'ont-ils donnée à cet Aruns, qui ne sait pas désirer et ne sait pas oser? Que ne suis-je la femme de Tarquin Celui-là, c'est un homme; celui-là, il est vraiment né d'un sang de roi.
« Je te méprise, ô ma soeurl toi, tu as pour époux un homme, et c'est toi qui ne sais pas oser. \) Alors elle va vers Tarquin, la femme méchante et hardie, et elle lui dit « Ton frère est un lâche; il ne mérite pas de régner un jour.
« Il est né pour le trône, et il ne s'indigne pas en voyant sa place occupée par un autre; il n'est pas impatient d'être roi.
« Et toi, Tarquin, on t'a donné une femme sans courage, qui n'a pas besoin que tu sois roi.
« Elle file la laine pour te faire un vêtement; mais à ce vêtement il manque une bordure de pourpre. « Oh vaillant Tarquin si j'étais ta femme, je te filerais aussi un vêtement; mais je voudrais qu'il fût bordé de pourpre, quand cette pourpre devrait être du sang.a »
Tullie était ardente et superbe; Tarquin aussi était superbe, car c'est le nom qu'on lui a donné.
Il était ardent comme elle; comme elle il eût volontiers trempé sa robe dans le sang.
Cependant il lui dit « Ce serait le sang de ton père. H Elle répondit « Ce serait la bordure de la toge royale de mon époux. »
« Ah! si c'était toi, vaillant Tarquin, si c'était toi dont j'eusse été la femme, mon époux serait roi. » Il la regarda, la belle TuUie, il la comprit, et il lui dit « Tu seras la femme de Tarquin. »
Et, un peu de temps encore, voilà que l'autre Tullie mourait; et, un peu de temps encore, voilà qu'Aruns mourait aussi.
Puis le superbe Tarquin prit pour femme la fière Tullie; mais alors se vit un prodige la victime immolée n'avait pas d'entrailles; cette victime était comme la fière Tullie.
Le vieux roi, que l'âge a~'ait affaibli, fut consterné; le vieux Mastarna, qui avait vu tant de guerres, fut rempli d'effroi.
« Les dieux sont courroucés, disait-il; les signes sont funestes; je crains que le meurtre ne soit dans ma maison. »
Pendant ce temps, la détestable Tullie ne cesse d'exciter son époux par ses discours et ses caresses, par sa colère et par ses reproches.
Le soir, ce sont les discours et les caresses; le matin, ce sont les reproches et la colère.
« Oh 1 si j'avais voulu un mari seulement pour ser-
vir avec lui, je n'aurais pas manqué de maris; mais j'en voulais un qui se sentît digne de régner, qui se souvînt que son père était roi.
« Si tu es celui que j'ai cru épouser, je t'appelle mon mari, je t'appelle roi. Sinon la chose est pire qu'elle n'était auparavant; car nous gardons la bassesse, et nous y avons joint le crime.
« Allons, debout, à l'œuvre! Tu n'es pas comme ton père ou ton grand-père, étranger; tu n'as pas à venir de Corinthe, de Tarquinii, tu es à Rome.
« Tu es dans ta maison de l'Oppius. Là sont les dieux de ta race; là est l'image de ton père. « Les dieux de ta race, l'image de ton père, te saluent et te disent « Sois roi. » Si tu n'as pas le cœur de l'être, pourquoi tromper chacun ici en te donnant pour un fils de roi?
« Retourne à Tarquinii, retourne à Corinthe, retourne à ta famille de marchands. J'ai cru que tu ressemblais à ton père; c'est à ton frère que tu ressembles.
« Tanaquil, une femme étrangère, la femme d'un aventurier, a pu donner deux fois l'empire, à son époux d'abord puis à son gendre; et moi, née d'un sang royal, je ne puis ni arrache)' l'empire ni le donner. »
Ainsi parle cette femme le Mundus est ouvert, les larves furieuses sont sorties, les mauvais génies sont errants. Les larves furieuses, les mauvais génies, sont
entrés dans l'âme de Tullie; ils entrent aussi dans l'âme de Tarquin.
Aussi ruse que méchant, il s'en va sur le marché que fréquentent les habitants des huit collines. Là viennent les Sabins du Capitole et du Quirinal, les hommes de la lance, les fils farouches de Janus; là viennent les vaillants hommes du Palatin, qui, un jour, ont pris aux Sabins leurs femmes et leurs filles, et que les hommes de la lance n'ont pu chasser de Roma, l'antique Roma.
Là viennent les Albains du Csdius, qui, chaque soir, sont tristes quand ils voient le soleil à son coucher faire resplendir l'azur de leurs belles montagnes qu'ils ont perdues.
Là viennent les Latins dépossédés qui vivent dans la forêt de l'Aventin et dans la vallée des Myrtes. Chaque soir, ils sont tristes en regardant le Tibre couler vers la mer, en songeant qu'il coule du côté où furent leurs villes qui ne sont plus.
Tarquin va dans le Comitium, où siègent les curies des patriciens qui s'y rassemblent l'œil morne et se taisent; car, depuis que les centuries des plébéiens se réunissent dans le champ de Mars, ils ne savent plus sur quoi délibérer.
Tarquin leur dit « Que faites-vous là, nobles pères? Vous vous taisez. L'esclave, fils d'une esclave, vous a dépouillé de vos antiques droits. Le vénérable Comitium, que Vulcain protège, a été déshérité pour le parc
aux brebis du champ de Mars l'étable a remplacé le temple.
« L'esclave aime les esclaves et les misérables; il toit !?s pères de la cité, il les opprime; il protège les anciens captifs, la plèbe étrangère du Cselius et de l'Aventin. »
Aux cavaliers, fils ardents des patriciens, il dit « Le vieux chef de pillards ne peut plus monter à cheval il n'a plus de butin à partager aux jeunes cavaliers il ne donne plus rien à personne; il garde sa richesse pour bâtir des murs et des temples. » Voilà ce que Tarquin répète chaque jour contre- le bon Mastarna, et les vieux patriciens le maudissent, et les jeunes patriciens le méprisent.
Le vieux roi, qui peut à peine marcher, ne sort pas de sa maison, et ne sait rien de ce qui se passe au dehors le cœur de sa fille, de la iière Tullie, palpite d'une odieuse joie.
Un jour vient, et le superbe Tarquin descend dans le marché, entouré de cavaliers et de fantassins bien armés, précédé de douze licteurs qui portent des haches, vêtu de la robe blanche des rois étrusques, qui est bordée de rouge, car déjà il l'a trempée dans le sang.
En le voyant passer, le front hautain, l'air dur et menaçant, les marchands sont épouvantés; ils ferment leurs boutiques qui entourent le marché; les mères, inquiètes, embrassent leurs enfants.
Tarquin monte les degrés de la Curie, et au sommet des degrés il fait placer le siège d'ivoire du vieux roi Servius; il s'y assied. De là il regarde d'un air farouche la multitude qui se presse dans le marché et d'un air confiant les curies patriciennes qui remplissent le Comitium.
D'une voix forte il appelle le héraut. Le héraut vient en tremblant. « Héraut, dit le Superbe, va citer l'esclave fils d'une esclave à comparaître devant le roi Tarquin. »
Puis il dit « Après la mort de mon père, l'illustre Tarquin, l'aventurier Mastarna est monté indûment sur le trône où devait monter le fils de Tarquin, sans qu'on ait proclamé l'interrègne, sans qu'on ait assemblé les curies. C'estunefemme qui luia donné le trône. « C'est ainsi qu'il a été roi. Comment a-t-il régné? Protecteur des hommes de race infime, comme eux haïssant ceux de noble origine, il a donné le suffrage à la multitude, il a abaissé les grands.
« II a pris leurs terres et les a distribuées aux plus vils, à son gré et à son caprice. Voilà ce qu'il a fait, -l'esclave fils d'une esclave. »
En ce moment, le vieux roi arrive; il monte les degrés de la Curie d'un pas que l'âge et la fureur font chanceler. D'une voix sévère il s'écrie
« Qu'est ceci, Tarquin? quelle est cette audace de convoquer les Pères sans mon aveu et de t'asseoir à ma place sur mon trône? a
Tarquin répond « C'est sur le trône de mon père que je suis assis. Le fils d'un roi y est mieux placé qu'un misérable esclave. Assez longtemps dans ton insolence tu as insulté ton maître, »
Mastarna suffoque de colère; il s'avance vers Tarquin d'un pas qui ne chancelle plus, avec la majesté et la fermeté d'un vieux roi qui a été un guerrier vaillant.
Tarquin s'élance vers lui furieux et menaçant, et, d'un geste superbe, il lui fait signe de descendre les degrés de la Curie. Le vieux Mastarna reste immobile, et dit cc Retire-toi, meurtrier de ma fille, retiretoi. a
Alors Tarquin, l'orgueilleux Tarquin, ne se possède plus; il ouvre ses bras puissants, il saisit lé vieux roi et 1 étreint comme s'il voulait l'embrasser; mais il ne veut point l'embrasser, il veut lui donner la mort. Le fort jeune homme saisit l'infirme vieillard; il l'enlève de terre et le précipite au bas des degrés par où l'on descend de la Curie vers le Comitium au pied des fiers patriciens sabins.
Tout meurtri, tout sanglant, étourdi de sa chute, le vieillard se relève. Ce coup terrible a intimidé les plébéiens, ses partisans, dans le marché. Les superbes patriciens du Comitium rient en le voyant rouler les degrés de la Curie, en le voyant se relever tout meurtri, tout sanglant.
Le vieux roi s'en va d'un pas boiteux regagner sa
demeure sur le Cispius, sa haute demeure qu'il a pta cée là pour dominer le quartier patricien, pour tenir sous ses pieds les méchants patriciens, les insolents Sabins, et les empêcher d'insulter les Romains du Palatin, les Latins de FAventin et du Cselius.
Les Latins le plaignent, les plébéiens le plaignent; ils voudraient l'entourer, le suivre; les soldats de Tarquin les en empêchent.
Les hommes du Palatin, de l'Aventin et du Cselius gémissent en le voyant passer; les soldats de Tarquin leur défendent de gémir.
Le vieux roi s'en va seul d'un pas lent et d'un pied boiteux, l'âme brisée de douleur, et essuyant avec sa robe royale le sang qui dégoutte de son front audevant de ses yeux et l'empêche de voir son chemin. Quand il arrive dans la Bonne-Rue, dans le quartier des Sabins, dans le quartier ennemi, on l'insulte, on le raille, on le menace. Voilà ce qu'a dû souffrir des arrogants Sabins le grand chef étrusque, le bon Mastarnà.
Il était parvenu à l'extrémité de la Bonne-Rue et au commencement du Vicus-Virbius, par où l'on monte à cette partie de l'Esquilin où était la demeure, du roi. Déjà il voit tout près de lui sa maison royale du Cispius, où il espère reposer son corps malade, n'être plus outragé comme un misérable, où il espère mourir en paix.
Mais, comme il passait devant le temple de Diane,
la grande déesse des Sabins, à laquelle Mastarna, pour ~tre agréable aux Sabins, a dédié le temple de l'Aventin
En ce moment, des soldats envoyés par Tarquin le rejoignent et lui disent « Tarquin nous a commandé de te tuer. »
Le vieux guerrier ne peut se défendre; il ne leur répond point, il ne les regarde point; mais il lève les yeux vers le sanctuaire de la déesse, et lui parle ainsi
« 0 déesse Diane! j'ai mis sous ta protection les cités latines, et moi je protégeais les Latins de Rome; j'étais leur père, et ils étaient mes enfants. « Aujourd'hui que je vais mourir, ô déesse 1 je te recommande mes enfants, les pauvres plébéiens de l'Aventin et du Caelius, et les forts habitants du Palatin, quoiqu'ils ne viennent pas me défendre, moi qui les ai défendus de leurs ennemis et de leurs tyrans. « Que ce peuple latin de Rome, que j'ai délivré du joug des Sabins, soit un grand peuple; que le nom de Romain soit un grand nom, et que le nom de Sabin périsse
« Que Tarquin soit maudit qu'il soit chassé de Rome) I
« Que mon sang n'y règne plus, puisque mon sang produit des monstres) » »)
Les Sabins de ce quartier, les patriciens de ce quartier, l'entendent, et ils sont saisis de fureur.
« Tuez, disent-ils aux soldats, tuez ce vieux chien d'Étrurie qui a opprimé les braves Sabins;
« Qui n'a eu de complaisances que pour les pâtres du Palatin, pour les marchands de bœufs de l'Aventin, pour les conducteurs de bêtes de somme du Caelius. « Tuez-le, tuez-le bien vite que le glorieux Tarquin règne! et, unis aux Étrusques, les Sabins écraseront les loups du Palatin, les bœufs de l'Aventin et les mulets du Caelius. a
Et les soldats de Tarquin égorgent le vieux roi Cselius, l'ami des Latins, l'ami des plébéiens, et les Sabins du quartier sabin se réjouissent, et les patriciens du quartier patricien se réjouissent; car ils le regardent comme leur ennemi; ils sont bien aises qu'on l'ait tué dans leur quartier.
Cependant Tullie, la détestable Tullie, était dévorée d'impatience dans sa maison de l'Oppius; car elle habitait, comme son père, un sommet de l'Esquilin, mais un autre sommet.
Le père et la fille ne pouvaient demeurer ensemble et respirer le même air. Servius n'avait pas voulu que le meurtre habitât dans sa maison.
Tullie monte sur son char et se rend à la curie; elle monte les degrés où étaient quelques gouttes du sang de son père. Elle les foule aux pieds sans les voir; elle les aurait vues qu'elle ne se serait pas arrêtée. Elle entre dans la curie. La présence des hommes n'arrête point cette femme effrontée. En présence des
Pères elle embrasse son mari, et le salue du nom de roi.
Puis elle s'élance en hâte pour aller à la demeure d'où le vieux roi l'avait bannie. Maintenant elle y va rentrer sans crainte, car elle espère y trouver son père mourant.
S'il devait vivre encore, que ferait-elte? Elle ne l'a dit à personne, excepté à Tarquin; mais elle est bien pressée, sans doute elle sait pourquoi.
Mais voilà qu'à l'extrémité de la Bonne-Rue, à l'entrée du Vicus-Virbius, devant le temple de Diane, voilà que le char de Tullie, au moment où il allait tourner à droite pour gravir l'Esquilin, s'arrête tout à coup. Les chevaux ont vu un cadavre au milieu de la rue, et ils se sont arrêtés; le cocher a vu le cadavre, et il reste immobile.
« Allons, cocher, dit Tullie, frappe de ton fouet les coursiers qui s'arrêtent; allons, mes bons coursiers, en avant; j'ai hâte d'arriver. »
Les chevaux se cabrent au lieu d'avancer; le cocher ne peut lever le fouet sur eux; l'horreur a pétrifié son bras..
L'altière Tullie le gourmande, mais toujours il demeure immobile.
Enfin elle avance la tête pour voir l'obstacle; le cocher lui montre le cadavre, et lui dit « C'est le ca,davre de ton père. »
Elle regarde, puis elle lève la tête, et voit au haut
de la montée du Vicus-Virbius la maison royale, la maison où elle'va être reine et Tarquin roi. Et elle dit au cocher « Eh bien, passe sur le cadavre de mon père. »
Le char de Tullie a passé sur le cadavre de sou père. Les os de son père ont crié sous les roues; le sang d( son père a jailli sur elle.
Elle n'a pas entendu les os crier, elle n'a pas vu le sang jaillir; elle ne voyait que la maison royale au sommet du Vicus-Virbius, la maison où elle sera reine et où Tarquin sera roi.
La rue où ceci s'est passé ne s'appellera plus la Bonne-Rue, mais la rue Scélérate; elle s'appellera comme la scélérate Tullie.
Quelques jours après, elle est ailée dans le temple de la Fortune, que Mastarna, le favori de la Fortuneavait élevé à la déesse, qui l'a protégé longtemps, et qui a fini par le trahir;
A la déesse qui venait la nuit par sa fenêtre le visiter dans sa demeure, et qui, comme une femme légère, quand il a été vieux, l'a abandonné.
Et comme Tullie s'approchait de la statue de son père, qui était dans le temple, la statue s'est voiiée la face pour ne pas voir la scélérate Tullie.
J'ai cherché à retrouver l'accent populaire du poëmc
antique en traduisant le beau récit de Tite Live, dans la langue rude et cadencée qui devait Mre celle de ce vieux chant en y introduisant quelques détails tenant à des circonstances que Tite Live ne connaissait pas ou qu'il n'a pas rappelées, et que l'étude des lieux et des races m'a permis de retrouver et d'apprécier. Celle fois le poëme qui a transmis l'événement tragique était un poëme romain, non un chant sabin, comme le chant du Vélabre. Un poëme animé de l'esprit sabin n'eût point montré, comme le fait la narration de Tite Live, dont celui-ci a fourni les éléments, tant de sympathie pour Servius Tullius.
Cette apparition du sentiment romain dans la légende est pour moi un signe historique de l'avènement du peuple romain.
Après avoir tenté cette recomposition approximative du récit primitif, je reviens à l'événement lui-même, que je crois véritabJe, au moins dans son ensemble; car la poésie populaire n'invente pas les faits, elle les raconte à sa manière, et décrit fidèlement les lieux. La fidélité de cette description, reproduite par ceux qui avaient reçu la tradition telle que la poésie l'avait faite, permet d'assister à la tragédie jusqu'à la dernière scène, comme si on était guidé par un témoin oculaire.
Servius, s'éloignant de la demeure des rois sabins sur la Velia, qui fut encore celle de Tarquinius Priscus, et qui d'abord avait été la sienne, alla, le pre-
mier des rois de Rome, habiter un sommet de l'Esquilin, nommé Cispius (Sainte-Marie-Majeure), du côté de son agger, du côté où Rome était !e plus menacée Il était aux avant-postes contre les Sabins. Son gendre, Tarquin, suivant la tradition, habitait aussi sur l'Esquilin, mais plus au sud, près du bois de hêtres, appelé Fagutal', qui était voisin de l'autre sommet de l'Esquilin, l'Oppius (San-Pietro-in-Vincoli). Je voudrais suivre les pas de Servius Tullius depuis la curie jusqu'au lieu où il tomba, et où la tradition faisait passer le char de sa fille sur son cadavre. Je n'affirme point la réalité de ce monstrueux événement, que je suis encore plus loin de rejeter. Quoi qu'il en puisse être, la tradition était précise et détaillée dans ses indications topographiques; elle n'avait pas de doute sur le point où le fait s'était accompli. Je dois dire que je n'en ai pas moi-même sur le lieu qu'eMe indiquait.
Servius Tullius,, après avoir pris le chemin raccourci qui partait du pied de la Velia et allait du côté des Garines, atteignit le Vicus-Cyprius (Via Urbana). Parvenu à l'extrémité du Vicus Cyprius, le roi fut atteint et assassiné par les gens de Tarquin auprès d'un temple de Diane\
C'est arrivée en cet endroit, au moment de tourner Solin., i, 25.
So)in., 26.
Tit. Liv., i, 48; Ov., Fast., vt, 605.
à droite et de gagner, en remontant le Vicus-Virbius, le Cispius, où habitait son père, que les chevaux s'arrêtèrent que Tullie, poussée par l'impatience fiévreuse de l'ambition, et n'ayant plus que quelques pas à faire pour arriver au terme, avertie par le cocher que le cadavre de son père était là gisant, s'écria « Eh bien, pousse le char en avant. »
Le meurtre s'est accompli au pied du Viminal, à l'extrémité du Vicus-Cyprius, là où fut depuis le VicusSceleratus, la rue Funeste.
Le lieu où la tradition plaçait cette tragique aventure ne peut être sur l'Esquilin mais nécessairement au pied de cette colline et du Viminal, puisque, parvenu à l'extrémité du Vicus-Cyprius, le cocher allait tourner à droite et remonter pour gravir l'Esquilin. Il ne faut donc pas chercher, comme Nibly, la rue Scélérate sur une des pentes2, ou, comme Canina~ et M. Dycr Cette désignation précise de Tite Live permet de déterminer le lieu tragique. C'était à l'extrémité du Vicus Cyprins, auquel l'on arrivait en descendant des Carines, et qui ne pouvait être que le chemin entre l'Esquilin et le Viminal, appelé aujourd'hui Via Urbana, à i'endroit où il fléchit vers la droite et prend le nom de Via di Santa Msria laggiore. Cette dernière rue correspond au Vicus Virbius. On place en général le Vicus Cyprius sur l'Esquilin, malgré les paroles de Tite Live et d'Ovide, qui tous deux le placent au-dessous de l'Esquilin. Denys d'Halicarnasse [iv, 39) dit que c'est le Vicus Virbius, et non le Vicus Cyprius, qui fut appelé ~<M Scélérate, mais la première de ces deux rues n'était qu'une continuation de la seconde. Nibb., Aw!. ant., n, p. 832.
a Can., Esp. top., p. 2!)7.
Dict. de Smith., )i, p. 824.
sur le sommet de l'Esquilin', d'oùl'on ne pouvait monter sur l'Esquilin.
Tullie n'allait pas sur 1 Oppius (San-Pietro in Vincoli), dans la demeure de son mari, mais sur le Cispius, dans la demeure de son père C'était de la demeure royale qu'elle allait prendre possession pour !e nouveau roi.
Quand Tullie osa pénétrer dans le temple où était la statue de son père, la statue se voilai D'autres disaient qu'il fallut la voiler, parce que sa vue réveillait la douleur immense et toujours croissante du peuple'. Sans croire à ce miracle, je suis disposé à admettre la vérité de cette formidable histoire, prise dans son ensemble. Ce sont là de ces faits extraordinaires qui restent dans la mémoire des peuples, et que la poésie naïve des âges anciens cloue, pour ainsi dire, au lieu qui en fut témoin.
Ce fait sinistre a beau être perdu dans le lointain des âges et a demi voilé par les nuages de la tradition, quand on se sent au lieu où elle l'a placé, il semble revivre, et on croit l'apercevoir.
1 Summus Cyprius Vicus ne veut pas dire seulement au sommet de la rue, mais aussi à l'extrémité de la rue, comme Summis d gitis, du bout des doigts. s.
Tite Uve (tu, 4S) dit le contraire, mais Ovide (Fast., vi, 605) le dit positivement, et les Fastes d'Ovide ont été écrits en grande partie d'après Varron.
Ov., Fast., Y:, 572.
4 Ov., Fast., VI, 585-4.
Je n'oublierai jamais le soir où, après avoir longtemps cherché le lieu qui vit la mort de Servius et le crime de Tullie, tout à coup je découvris clairement que j'y étais arrivé, et m'arrêtant plein d'horreur, comme le cocher de la parricide, plongeant dans l'ombre un regard qui, malgré moi, y cherchait le cadavre du vieux roi, je me dis « C'était là 1 »
XIX
LA ROME ÉTRUSQUE
Question de l'influence des Étrusques sur Rome, présomption tirée demonuments et de la topographie. Origine et formation du peuple étrusque. Rapports de l'Étrurie avec la Grèce, l'Orient, les populations germaniques.- Ce que les Romains ont reçu des Étrusques. Chiffres, monnaie, calendrier, les cloches, les moulins à bras, etc. Jeux pugitat, courses de chevaux et de chars; jeuc séculaires le siècle étrusque. Représentations dramatiques, combats de gladiateurs, pompe royale et patricienne, pompe triomphale d'origine étrusque. Ce qu'il y eut d'étrusque dans la religion et dans l'organisation politique, dans le système militaire et dans l'agriculture des Romains. L'art romain fut étrusque jusqu'au jour où il fut grec Architecture, sculpture, musique. Tableau de Rome sous les rois étrusques
Après avoir eu deux rois étrusques, Rome était-eUe devenue étrusque, et jusqu'à quel point l'était-elle devenue?
La science allemande tient aujourd'hui peu de compte des influences de l'Étrurie sur les origines de Rome. Un de ses plus illustres représentants,
M. Mommsen', rejette, avec un dédain quelque peu superbe, ces influences auxquelles ont cru, après les anciens, d'autres savants non moins illustres, et parmi eux Ottfrid Müller.
Je voudrais me trouver à Rome avec M. Mommsen. J'aurais sans doute beaucoup à y apprendre dans ses doctes entretiens; mais si j'étais assez heureux pour y faire quelque promenade historique avec lui, je tâcherais de le rendre moins sévère pour l'opinion des anciens et d'Ottfrid Müller, qui est aussi la mienne. J'irais voir avec lui le mur de la Rome du Palatin, construit à la manière étrusque, et dont une partie est encore )à pour nous montrer les Étrusques donnant à Rome naissante sou plus ancien rempart; les restes de l'enceinte de Servius Tullius, également étrusque et qui avait trois lieues de tour; la Cloaca maxima, ce prodigieux travail d'utilité publique, qui est visiblement étrusque; puis je le prierais de contempler en esprit le grand cirque, établi entre deux collines; sur l'une des cimes du Capitole, le temple de Jupiter avec ses trois Colla, selon le rite étrusque, et les statues en terre cuite dont son faîte t Les droits légitimes de l'Étrurie a une influence réelle exercée sur les Romains au temps des rois ont été revendiqués par un Toscan profondément versé dans l'histoire de Rome et du droit romain, M. P. Capei, dans les archives historiques ci'/<a!/e (Nuov. Ser., t. IV), ce recueil fondé par H. Vieusseux, et qui a concouru, comme tout ce qu'a fait ce patriote universellement honoré, à la régénération de l'Italie.
était orné, et qui était l'oeuvre d'artistes étrusques. Puis, passant le pont Saint-Ange, nous serions en cinq minutes dans l'ancienne Étrurie, et aurions par là le sentiment de sa proximité.
Le chemin de fer nous mènerait en une heure à Cervetri, et en deux heures à CIvita-Vecchia, près de Corneto. A Cervetri et à Corneto, nous trouverions les nécropoles considérables de deux villes étrusques voisines de Rome et Tarquinii.
Je prierais M. Mommsen de réfléchir que l'Étrurie, si proche, était un pays déjà en rapport avec la Grèce par le commerce et les arts avant le temps des Tarquins. Il me semble difficile qu'à la première vue M. Mommsen ne fût pas ébranlé dans son opinion et repoussât aussi complètement l'idée qu'un grand pays civilisé a pu exercer quelque action sur une ville qui l'était beaucoup moins et qui était à ses portes. Peutêtre il se sentirait disposé à plusd'indulgence pour les nombreux témoignages des anciens en faveur des emprunts faits par les Romains à la civilisation étrusque. Mais, avant de déterminer ce que Rome a reçu des Etrusques, il est nécessaire de se demander ce qu'était et d'où venait ce peuple.
J'épargnerai au lecteur, et je réserve pour un autre ouvrage, la discussion des renseignements assez souvent contradictoires que les anciens nous ont laissés sur ce sujet et les systèmes très-divers dont ils ont fourni aux modernes les matériaux.
Que sont les Étrusques, appelés Tyrrhéniens par les Grecs? Venaient-ils de la Lydie,.comme le veut Hérodote ? Des montagnes de la Réthie (le pays des Grisons) et ont-ils envahi l'Étrurie, suivant l'hypothèse de Niebuhr'?
Je m'en tiens a l'assertion de Tite Live. Il est trèsvraisemblable, comme le rapportent Pline' et Justin", que des Étrusques de l'Italie septentrionale aient été chassés par les invasions celtiques. On explique ainsi les traces des Étrusques qu'on a cru 'trouver dans les Alpes.
Toutes ces choses seront discutées ailleurs, mais ne peuvent l'être ici.
Ici je dirai seulement que les Tyrrhéniens étaient des Pélasges. Ils paraissent être arrivés en Étrurie par mer, et avoir établi le centre de leur puissance précisément dans cette ville de Tarquinii, d'où est venu Tarquin.
Quels qu'ils fussent, les Etrusques refoulèrent au nord les Ligures, au sud et à l'est soumirent une grande nation sabellique, les Ombriens, premiers habitants du sol, auxquels, selon Pline, les Étrusques prirent Cette hypothèse repose sur l'analogie du nom de Rasent que portaient les Étrusques (Den. d'Hal., 30, inser. de Pérouse) et du nom des Réthiens, habitants du pays des Grisons, ressemblance qui n'est pas bien frappante, et sur un passage de Tite Live (v, 35) qui dit que les Réthiens sont des Étrusques réfugiés dans les Alpes. Plin., NM<. njt., m, 20 (M). s Just.. xt, 5.
trois cents villes seulement il ne fallait pas dire les Étrusques, mais l~s Tyrrhéniens, c'est-à-dire les Pélasges'. Les Pélasges et les Ombriens ont formé le peuple étrusque
La langue étrusque est encore un mystère.
Nous lisons sans peine les caractères étrusques; mais nous nous arrêtons là le sens des mots nous échappe. Aujourd'hui on interprète assez couramment les hiéroglyphes on commence à déchiffrer les inscriptions cunéiformes de Ninive et de Babylone, et celles de Persépolis n'ont plus de secret. On est arrêté devant l'étrusque sans pouvoir faire un pas pour y pénétrer.
On a essayé tous les moyens on a cru expliquer les inscriptions étrusques par l'hébreu et par le slavon, par l'hébreu surtout. A l'heure qu'il est, un savant italien et un savant allemand traduisent l'étrusque au moyen de l'hébreu. Malheureusement les traductions de l'un ne ressemblent pas aux traductions de l'autre. Que les Tyrrhéniens fussent des Pélasges venus par mer en Étrurie ne me semble pas douteux, et je crois que Tarquinii, la patrie des Tarquins, de bonne heure en rapport avec la Grèce, fut le siège principal de leur puissance, comme le pense Ottfrid MùUer.
Cette opinion de M. Lepsius sur l'origine du peuple étrusque me paraît la plus simple et la plus vraie. L'hypothèse qui fait des Ombriens un peuple gaulois repose sur un témoignage isolé (Serv., ~t'M., ïn, 752), démenti par les noms sabelliques des lieux que les Ombriens ont habités. Les Ombriens étaient si peu étrangers à l'Italie, qu'ils étaient considérés comme l'un des plus anciens peuples de l'Italie. (t)en.d'Ha).,i,49.)
Je crois que la marche à suivre pour arriver à l'interprétation de la langue étrusque egt indiquée par la composition de la population de l'Ëtrurie.
Cette population fut à moitié ombrienne et à moitié pélasge. La langue qu'elle parlait devait donc contenir des mots ombriens et des mots pélasges. C'est par les dialectes sabelliques et par le grec qu'on devait attaquer l'étrusque.
L'étrusque était une langue rude. Il semble que quelque chose s'est conservé de cette rudesse dans le parler des Florentins, qui mettent une aspiration à la place du c, et prononcent, au lieu de ~razts, hrazia. L'extrême contraction qui est dans le génie de la langue étrusque rend très-difficile de reconnaître sa parenté avec une langue quelconque.
Cette contraction est moindre dans une inscription très-antique et où l'élément pélasge semble moins altéré.
M. Lepsius y a montré quelques rapports avec le grec. Dans un assez grand nombre d'inscriptions, les noms propres sont précédés du mot mi, qui paraît correspondre à eimi; en grec, je suis. Le verbe, qui exprime l'existence, est fondamental en ce qui concerne la parenté des langues.
D'autre part, plusieurs noms de villes et de fleuves en Étrurie appartiennent évidemment à un dialecte 7't/tT/teMr P~'at~r, p. 40-3.
sabellique; on ne peut en rendre compte que par l'ombrien.
-Quelques-uns ont une physionomie grecque qui trahit leur provenance pélasgique; mais un assez grand nombre est sabellique, par conséquent ombrien
Les noms de'Heux sont tenaces; ils résistent à la conquête d'une race, à l'envahissement d'une langue. En France, beaucoup sont encore gaulois. L'idiome celtique, qui a laissé peu de traces dans notre vocabulaire, s'est cantonné là.
Ce mélange de deux races se manifeste dans là religion comme dans la langue. On trouve en Étrurie des dieux pélasges avec des noms étrusques*, et des dieux sabelliques qui n'ont pu y être introduits que par les Ombriens.
Fisc, Pyrgoi, Alsium.
i'armi les villes, l'ancien nom de Clusium Camars est le même que celui de Cameria, ville sabine; Artena en Étrurie et chez les Volsques. Comparez Fregenoe et Fregellse, Sutrium et Satricum. ferM<!MMm et Ferentina viennent de Feronia, divinité sabellique. Parmi les fleuves, l'Umbro a certes un nom ombrien.
jM7K~<My!M a sanguine avorum
~~OM'M 7<a<M permixtd stirpe colonos.
(Sil. !t., Punie., !v, 722-3.)
Ilephaistos (Vulcain) s'appelle Setlilams. Dionysos (BMelms) s'appelle Phuphtuns.
Vertumne (de verlere), Yertumous ou Vortumnus, Voltumna, la déesse à laquelle était consacré le temple auprès duquel s'çssemblaient les représentants des douze villes étrusques. Plusieurs divinités de l'Étrurie avaient des dénominations ombriennes: Junon était
Avant de chercher ce que les Étrusques ont pu donner aux Romains, il faut chercher ce qu'ils ont pu recevoir et transmettre après l'avoir reçu.
Sans parler de ce qui chez eux était pélasge et trèsantique, ils ont reçu des Grecs le principe de leurs arts et leur alphabet.
Les peintures qui décorent les wases trouvés en Étrurie, et que, pour cette raison, l'on a longtemps nommées étrusques, offrent une reproduction des divers styles de la peinture grecque, depuis le plus ancien jusqu'au plus perfectionné, avec quelques altérations introduites par le goût indigène. Il en est de même des peintures qui sont tracées sur les parois intérieures des tombeaux 1. Cette ressemblance avec les modèles grecs confirme la tradition d'après laquelle Tarquin aurait amené avec lui des artistes corinthiens
L'architecture étrusque a également suivi des modèles grecs. L'ancien ordre toscan n'était qu'un doappelée C«~rs, mot sabin qui veut dire bonne. Le nom de JfaxttM, le Pluton étrusque, a la même racine que le nom des OMtHM, et cette racine est, pour la raison que j'ai dite, le mot sabin man!M, bon. Les plus belles de ces peintures, celles où le style grec est le plus purement reproduit, ont été découvertes par M. Noël Ses Vergers et feu M. François dans une tombe près de Voici.
Le nom de l'un de ces artistes, nommé par Pline (xxxv, 43) Eucheir, s'est retrouvé dans une inscription étrusque. L'art de modeler l'argile florissait à Corinthe. On a été frappé de la ressemblance des vases corinthiens et de ceux de Tarquinii; sur les rapports qui ont existé entre les deux vilies, voyez 0. MûUer (E<r., t, p. i94.)
rique altéré. Le système de construction que l'on rcmarque dans les murs étrusques et dans les anciens murs de Rome est grec.
L'alphabet étrusque est un ancien alphabet grec qui date du temps où l'on écrivait encore en Grèce de droite à gauche. Cette direction, qui était celle de l'écriture phénicienne, s'est conservée dans l'écriture étrusque*.
Outre les relations manifestes de la Grèce et de l'Étrurie, on trouve aussi en Étrurie des traces évidentes d'un rapport quelconque des Étrusques avec l'Assyrie et l'Égypte. Ce rapport peut n'avoir rien à faire avec leur origine, et ne prouver autre chose que l'étendue de*Ia navigation de ces Pélasges, qui, sous ce nom et sous celui de Tyrrhéniens qu'on leur a donné dans l'antiquité, sont représentés comme de grands navigateurs.
Sans sortir de Rome, on peut voir d'assez nombreuses preuves de ces rapports de l'Étrurie et de l'Orient c'est avant tout, au Vatican, la parure d'un prêtre, trouvée dans un tombeau de Caere; les ornements dont elle se compose sont d'un aspect assyrien et égyptien tout ensemble". On y remarque des fi!1 ne faut donc point voir là, comme on l'a fait, une preuve de l'origine sémitique de cette dernière écriture.
2 Ces monuments du musée grégorien où les influences babyloniennes et égyptiennes se confondent, a dit un archéologue éminent que la science a perdu trop tôt, M. Lenormant.
gures ailées, pareilles à celles des cylindres babyloniens.
En ce qui concerne l'Égypte, la ressemblance des figures qui couvrent les murs de ces temples avec les peintures tyrrhéniennes avait déjà frappé Strabon 1. Ottfrid MùUerI'a signalée après lui~. On a découvert dans des tombeaux étrusques plusieurs de ces vases à tête humaine qu'on appelle cs~iop~; seulement ils ont des bras, ce qui n'est pas égyptien~.
Les pierres gravées qui ont la forme de scarabées, si fréquentes en Égypte, où le scarabée est un symbole hiéroglyphique, abondent dans les tombes étrusques. Sur ces scarabées eux-mêmes sont tracés de véritables hiéroglyphes
Sur un grand nombre d'ustensiles en bronze paraît la fleur du lotus, ce symbole si souvent répété dans les représentations égyptiennes; on trouve l'image de l'âme figurée à la manière égyptienne par un oiseau à tête humaine; enfin dans la collection Campana sont deux singulières statues en terre cuite dont le costume fait penser à la Perse, et les traits, t Sir., xvit, i, 28.
JH. &AW/Ï., i, d99-i00. A propos de certains vases trouvés en Ktrurie.
Mie., ~H~. pop. pt., xtv, xv.
Quelques-uns semblent une imitation de l'art égyptien; mais il y .pn a qui, je crois, viennent de l'Égypte. Ceux qu'on lit sur un vase tire d'une tombe non loin de Csere veulent dire vingt-cinq MtfM~M parfums. (Abek., Mitt. Jf.. p. 270.)
surtout la forme des yeux, font penser aux nations tartares. D'autre part, certains tombeaux étrusques sont très-semblables aux sépultures des rois de Lydie, d'où Hérodote fait venir les Tyrrhéniens.
Y a-t-il dans la langue et dans le peuple étrusque un élément sémitique, c'est-à-dire quelque chose des langues et des races de la Syrie, de la Judée et de l'Arabie, comme pourrait le faire croire la tradition d'une origine lydienne? Cela est loin d'être démontré; mais l'état de la science ne permet pas de le nier absolument. Ce qui paraît plus certain, c'est le rapport des Etrusques avec les populations germaniques. Douze dieux portant le même nom, Aesar2 (les Ases), et destinés n mourir dans une révolution du monde, voilà ce que l'on rencontre avec quelque surprise dans la religion des Étrusques et dans la religion des Scandinaves. De même, au-dessus de ces douze divinités, est une puissance supérieure et inconnue en Étrurie, les dieux enveloppés 3, et un dieu dont on ignore le nom; en Scandinavie, un dieu que l'obscurité environne, le noir Surtur.
De plus, Tagès, le révélateur de la doctrine étrusque, est un nain savant, comme le sont les nains de Les portes de beaucoup de tombeaux, notamment celles de Castel d'Asso, près Viterbe, ont cette forme particulière que présentent seules dans le monde les portes égyptiennes.
Suet., Oct., 97.
3 Sen., Nat. jgM.)~ n, 4
l'Edda. Le siège des dieux étrusques est au nord. Les communications de l'Étrurie avec les régions septentrionales de l'Europe ont pu être amenées par le commerce de l'ambre jaune qu'on recueillait aux bords de la Baltique.
Nous savons très-peu de choses des Étrusques avant l'époque où ils furent soumis par les Romains. A partir de cette époque, ils sont célèbres par leur sensualité et leur obésité.
Ce dernier trait se retrouve souvent dans les statues placées sur les tombeaux peu anciens; mais d'autres statues montrent au contraire des corps maigres, des traits anguleux. C'est-probablement le type ancien du peuple étrusque, type qui reparaît .dans les figures florentines du moyen âge, et dont le visage sévère et fortement prononcé de Dante offre un remarquable exempte.
La tradition du caractère primitif des Étrusques, conservée par Virgile, les représente comme un peu.pie belliqueux, tandis que tous les témoignages nous les montrent, après la conquête romaine, comme un peuple amolli.
Un changement semblable s'est produit dans le caractère des Toscans modernes avant et après les Médicis et leurs successeurs. Les effets de toutes les servitudes sont les mêmes
Plus heureux que leurs ancêtres, les Toscans viennent d'être délivres d'une domination qui, pour son malheur, s'était fait étrangère.
Après ces indications rapides de ce qui est propre a l'ancienne Etrurie, j'arrive à l'objet qui nous intéresse particulièrement à Rome la détermination de l'influence que les Étrusques ont exercée sur les Romains.
Cette influence, il ne faut ni l'exagérer ni la méconnaître il faut tâcher d'en dém6)er la nature et d'en' préciser l'étendue. On ne doit pas la chercher dans la comparaison des idiomes; un très-petit nombre de mots étrusques se retrouvent dans la langue latine. Sans cela, on serait moins embarrassé pour lire les inscriptions étrusques.
Ces inscriptions nous présentent des mots dont le sens est ignoré, mais qu'il ne serait pas difficile de reconnaître s'ils avaient passé en latin; or ces mots, nous ne les reconnaissons point; mais il est entre les' deux .civilisations d'autres ressemblances que nous pouvons reconnaître.
Ce qu'on appelle les chiffres romains, de l'aveu de tout le monde, sont des chiffres étrusques*. Livrés à eux-mêmes dans des circonstances que la politique du dehors semblait s'étudier à leur rendre difficiles, ils ont prouvé que leur énergie n'était poiut perdue sans retour; car ils ont montré la ptusrarc et la plus enviable. celle qui persévère et se contient.
0. HOU., K/. SeAr~ i, p. 212; Etr., ), p. 514. Ces chiffres, avant d'être romains, avaient-ils toujours été étrusques? Ce qui pourrai) en faire douter, c\'st que ce système de numération n'a pas pour principe le nombre douze, mais le nombre dix ou plutôt le nombre cinq, ce qui n'est point étrusque.
Pour la monnaie, les poids et mesures, toutes ces choses vinrent de la Grèce à Rome, soit directement soit par l'intermédiaire de l'Étrurie.
L'année de douze mois, attribuée à Numa, fut introduite par les Sabins; mais ce nombre douze montre qu'elle était primitivement étrusque, car le système -duodécimal se retrouve partout en Étrurie. Les ides les nundines', étaient aussi étrusques.
Je signalerai en passant quelques emprunts de détail que les Romains ont faits aux Étrusques. L'usage des cloches, usage qui a existé dans la Rome antique C'est l'opinion de H. Bockh (;U~r. {/M~r~ p. 20'!); mais les poids et les mesures, selon lui (p. 209), étant venus de Corinthe, la monnaie, qui est en rapport avec eux comme dans notre système actuel, a pu en venir aussi eu passant par l'Ëtruric, dont les relations avec Corinthe sont connues. 0. Mül1er donne à la monnaie romaine une origine étrusque. (E<f., 508.) On l'a attribuée à Numa, comme plusieurs autres institutions étrusques apportées par les Sabins (Voy. t. H, p. 576 et suit on t'attribuait généralement à un roi étrusque, Servius Tullius (Mastarna).
Le nom des ides qui divisaient le mois en deux parties était formé _d'un mot étrusque ou ombrien qui voulait dire partager. (Yarr., Pg lat., v<, 28.)
La semaine de sept jours, comme la nôtre, terminée par une nundine, remontait certainement aux Étrusques (0. Mutt., K/. Sc'trt/i' l, 213); car à chaque nundine ils allaient saluer leur roi: (Maer., Sal., t, 15.) Le nombre 9, ainsi que les autres divisions de 12 5, 4, 8, 5, étaient des nombres favoris chez les Étrusques le neuvième jour était le jour où les paysans venaient à Rome pour le marché; ils y viennent encore le dimanche et stationnent au pied du Capitole, comme par une antique habitude. La plupart 'des boutiques sont fermées, mais celles des Juifs sont ouvertes. Pline fait figurer des cloches ou clochettes dans sa description
<t a pris une extension démesurée dans la Rome moderne, que Rabelais appelait à bon droit la ville sonnante l'usage des moulins à bras, qu'on croyait avoir été inventés à Volsinii~, dont on voit sur les monuments la meule tournée par un cheval, et que j'ai vu encore aujourd'hui mis en mouvement par des femmes dans la ville de Segni. Cette invention, quelque simple qu'elle puisse être, rappelle le génie agricole des Etrusques, comme la manière de se ceindre avant le combat, nommée ctHC~tfs ~&!MM. rappelle leur génie guerrier, et l'invention des becs de vaisseaux~, appelés rostres, qui donnèrent leur nom à la tribune romaine, rappelle leur génie maritime. L'art de découvrir les sources fut transporté de l'Ëtrurie à Rome. De cet art, trés-véritabie pcutqu'il donne, d'après Varron, du tombeau de Porsena. (Pl., BM<. M~ xxxv;, )9, 8.) Le mot italien eaMp~tM [cloche], qui est peut-être un mot de la latinité vulgaire conservé, ccmme il y en a d'autres exemptes, dans le dialecte moderne, indiquerait pour cet usage étrusque une origine campanienne. Il n'y aurait à cela rien d'extraordinaire: car on sait que les Étrusques habitèrent la Campanie. Auguste fit mettre des clochettes au temple de Jupiter Tonnant, et dit qu'il serait le portier du Jupiter Capitolin. Il y avait donc une cloehe chez les portiers de l'ancienne Rome pour annoncer les visiteurs. Dans la Rome moderne, il n'y a pas aux portes plus de sonnettes que de portiers.
PI., ~fM<- nat., xxxti, 3!).
0. Huiler (E<r., n, p. 121) croit le Cinctus Gabinus étrusque d'origine et venu à Rome par Gabie, où l'on trouve d'autres traces de la civilisation étrusque.
PL, /7M< Ka/ vn, 57, n.
être, est née une superstition qui s'est répandue dans tout le monde romain, et que prétendent encore posséder ceux qui se servent de la baguette divinatoire*.
Les jeux publics forment une partie essentielle et caractéristique de la civilisation d'un peuple; il n'est donc pas indifférent de signaler ce qu'en ce genre les Romains reçurent des Étrusques.
Ce furent premièrement le pugilat et les courses de chevaux, que les Étrusques eux-mêmes avaient probablement appris à connaître dans leurs communications avec les Grecs.
Comme ces courses eurent lieu d'abord dans le champ consacré au dieu sabellique Mars, je crois, avec Tite Live, qu'elles furent introduites à Rome sous les rois sabins~; elles précédèrent la construction du cirque, attribuée au premier roi étrusque, et se continuèrent dans les prairies du champ de Mars, quand déjà depuis longtemps le cirque existait.
Les jeux séculaires dont l'origine se rattache au culte sabin et à une légende sabine' sont aussi proba0. MûU., Elr., u, p. 540-2.
Tite Live (<, 55] p[ace l'introduction des courses de chevaux, qu'il fait venir d'Étrurie, sous le roi sabin Ancus Martius. Ces courses sont figurées dans les tombeaux étrusques. L'histoire du char qui \int de Veies s'abattre au pied du Capitole, et donna son nom à la porte Ratumena (Pt-, BMt. nat., viii, 65, 2) ferait croire que les courses de chars existaient à une époque ancienne dans les villes d'Étrurie. 5 Voy. t. p. 232.
blement des jeux étrusques importés à Rome par les Sabins, car l'idée du siècle est. une idée étrusque. Pour les Étrusques un siècle était une période d'existence dont la fin était annoncée par des signes. Il y avait un siècle des dieux, au bout duquel ils devaient mourir et le monde changer. Le siècle des hommes se composait du nombre d'années que vivait celui qui, entre ses contemporains, était supposé avoir vécu le plus longtemps. Aussi les jeux séculaires ne se célébrèrent Us pas d'abord tous les cent ans, mais à des époques indéterminées, quand un malheur public ou un prodige funeste faisait penser qu'un changement de la société approchait.
Les Romains ne furent jamais sensibles comme les Grecs aux nobles plaisirs de la scène. Ils n'eurent ni tragédie ni comédie entièrement nationales; supprimant le choeur, principe et condition essentielle de la tragédie antique; ils firent de l'orchestre, qui, en Grèce, lui était réservé, une place d'honneur pour les patriciens.
Cette disposition différente du théâtre grec et du théâtre romain, montre à elle seule la différence du génie des deux peuples. Les Romains préférèrent toujours aux jeux du théâtre les combats de l'amphithéâtre~ 1 et les courses du cirque. En cela ils ressem-
Dans le théâtre de Taormine, en Sicile, M. Ginain a reconnu que i on avait, arrangé les choses de manière à pouvoir transformer ce théâtre, dont i) a donné une belle restauration, en une arène destinée
blaient aux Étrusques, desquels ils tenaient ces combats et ces courses.
Cependant l'Ëtrurie leur donna aussi leurs premiers histrions, et ce mot est étrusque; il est vrai que ces~ histrions paraissent s'être bornés à exécuter des danses au son de la nûte. Toutefois, de ces danses mêlées de vers satiriques, sortit la comédie romaine' Les combats des gladiateurs qui, avec les courses des chars, furent la passion constante et le divertissement préféré des Romains, ces hideux combats leur vinrent certainement des Étrusques probablement par la Campanie', où ce peuple sombre avait transporté un usage barbare.
Dans l'origine, ils faisaient partie du culte des morts. Au lieu de leur immoler, comme dans les temps antiques, des victimes humaines 3, on foraux combats de gladiateurs, plus conformes que les représentations dramatiques au goût des Romains.
Tit. Liv., vu, 2. Le théâtre de Fiesole, dont les ruines subsistent, était-il antérieur à ]a conquête romaine et le produit d'un art purement étrusque, comme l'ont pensé Niebuhr et 0. Mutler '{ (0. Müller, Kl. Mn~ <, 196.) J'ai peine à l'admettre il me semble qu'on n'eut point élevé des monuments aussi considérables pour y exécuter des danses ou des pantomimes. J'en dirai autant du théâtre de Ferento, dont une partie, selon M. Dennis (E~ t, p. 206), est étrusque.
Athen., iv, 39.
Serv., ~M., ni, 67. Les sacrifices humains ont existé chez les Étrusques; au quatrième siècle, les Tarquiniens immolèrent trois cent sept Remains captifs. (Tit. Liv., \n, ')5.) Tarquin le Superbe avait immolé, disait-on, un enfant, à Mania. (Macr., Sat., [, 7.)
çait des captifs à s'cntr'égorger en leur honneur. Une coutume mexicaine singulièrement semblable permettait aussi à un homme condamne .a mort de périr en combattant tous ceux qui se présentaient. Un usage semblable dans l'Étrurie', où celui qui présidait à ces exécutions s'appelait le bourreau, fait voir combien le peuple qui l'habita aimait la guerreet le sang, deux choses qu'après lui aima toujours le peuple romain.
Dans la molle Campanie, la mollesse se mêlait à la férocité. Ce n'était plus une religion terrible des morts qui exigeait des luttes homicides, c'était la volupté blasée et un sanguinaire épicuréisme.
Les combats de gladiateurs amusaient la fin des repas comme dit Silius ïtalicus~, le meurtre égayait le festin.
Rome, en les adoptant, leur rendit d'abord leur caractère de sacrifice funéraire~; mais avec le temps, elle aussi en fit un atroce amusement~. Elle y ajouta un raffinement nouveau l'homme livré aux bêtes féC était le sens de Lanio, scmhlable à ~MM/a, mot étrusque. (Isid. Or x, 2H, éd. de Basles, i5T!.)
Sit. !t., Punie., X', 51.
s Les premiers combats furent célébrés par deux frères du nom d Brutus pour honorer la mémoire de leur père. (Val. Max., n, 4, 7.) Une trace de t'origine étrusque de ces combats s'y conserva toujours. Un personnage qui représentait le dieu infernal assommait avec un marteau les gladiateurs mourants. Le Charon étrusque, en cela différent du Charon grec, est armé d'un marteau.
roces et les tueries d'animaux que les Étrusques ne paraissent pas avoir connues. Rome, qui n'a pas inventé beaucoup dans les arts, a inventé cela. Au point de vue de l'art, il faudrait s'en féliciter si l'humanité le permettait; car, sans gladiateurs, il n'y aurait pas eu de Colisée.
L'Étrurie possède les restes de plusieurs amphithéâtres. Celui de Sutri, assez bien conservé et dominé par de grands arbres, est d'un effet imposant. S'il était antérieur à la conquête romaine, le type du Colisée serait en Ëtruric Mais l'Étrurie, qui a eu avant les Romains des courses de chevaux et de chars, des combats de gladiateurs, de grossières représentations dramatiques, n'a pas eu, je crois, avant elle de théâtre et d'amphithéâtre, pas plus qu'elle n'a eu de cirques
Rome, en accueillant dans son sein ces jeux de diverses natures, la première a créé pour eux des monuments.
Les monuments sont moins anciens que les usages qui leur donnent naissance il y a eu un culte dans les bois sacrés avant qu'il y eût des temples.
Tout ce qui à Rome était pompe, ornement, magniC'est l'opinion de M. Dennis. (Denn., Etr., t, p. 9t, 7.) Dans un tombeau étrusque, la GroMa <M/e B!'yA6, à Corneto (Denn., E<r., n, p. 187), il n'y a pas de cirque. Les spectateurs des courses sont placés sur une plate-forme qui semble er. bois, assez fidèle image de celles que remplacèrent les gradins du grand cirque.
ficence extérieure et décoration du pouvoir, venait d'Étrurie. Il y avait dans le costume et les attributs de la royauté étrusque une splendeur inconnue à la royauté sabine. Ce fut elle qui introduisit à Rome ces insignes de l'autorité dont héritèrent, malgré la sévérité des mœurs privées, les magistrats de la république. De la royauté étrusque~ vinrent le sceptre d'ivoire avec l'aigle qui le surmontait,' la chaise curule, la robe bordée d'or et de pourpre, la toge à palmettes, les licteurs portant des faisceaux, mais sans la hache'; ils n'en ont jamais dans les peintures étrusques. A ce qui n'était* qu'un signe de majesté Rome ajouta un signe terrible de pouvoir. Le costume des patriciens prit également, par le contact des Élrusques, plus de splendeur. Eux aussi portèrent le bâton d'ivoire comme les rois, et celui qui, assis dans sa chaise curule, sans réfléchir au danger, frappa de ce bâton le Gaulois insolent qui osait toucher sa barbe était digne de le porter. Les patriciens revêtirent le laticlave étrusque. Leur pied chaussa les sandales de pourpre appelées sandales tyrrhéniennes~. Ils mirent sur leur tête le, galerus des Lucumons, cette coiffure qu'un aigle prophétique avait enlevée et replacée sur le front de Tarquin, à son entrée dans Rome.
Tit. Liv., i, 8; Fiorus, ], 5; Macrob &i<Mm C.
Ceci rectifie une erreur des anciens, qui ont cru que la hact'c était dans les faisceaux étrusques. (Den. d'Ha)., M, 6).)
s 0. Müller, Kl. Se/tn~ i, r. 188; E~ t, p. 271.
La bulla, cette petite boule d'or, signe distinctif des jeunes patriciens, et dans laquelle on mettait un/ssctHMm destiné à les préserver du mauvais œil ce qui montre que cette superstition, encore vivante et dérivée des Pélasges, avait été portée par eux en Ëtrurje comme dans le reste de l'Italie, et, €n Grèce, la bulla était un ornement étrusque
On la suspendait au cou des triomphateurs pour les préserver des menaces et des périls de la félicitée La pourpre triomphale elle-même était de provenance étrusque, non le triomphe, le triomphe ne pouvait être que romain', comme son nom mais tous ses accessoires avaient été empruntés aux fêtes de l'Étrurie seulement, d'une vaine magnificence, d'une procession majestueuse, d'une /utmoHe, comme on dirait aujourd'hui à Rome, où l'on appelle fonction tout ce qui amuse l'oisiveté, les Romains avaient fait une cérémonie sérieuse, une splendide récompense de la conquête.
Avec Tarquin, qui, disait-on, était monté le premier sur-un char de triomphe au Capitole, nous sommes loin du triomphe pédestre et rustique de Romulus. Déjà les pompes de l'Étrurie, telles que les représentent les monuments de ce pays ont été apMarq., ?!?<?., iv, 128.
Juvënat l'appelle l'or étrusque. (Sat., v, 16t.)
Macr., Saturn., i, 6; Pl., Hist. nat., x;tvni, 7, 4.
7'n'Mmp~, dans le chant des frères Arvales.
0. Mu)).. Etr., n, p. 198-9.
pliquées à rehausser la victoire. Suivons donc le triomphateur et son cortège, comme nous suivons au même lieu le cortège du pape, quand il vient pour une solennité religieuse dans l'église d'Araceli.
Le triomphateur est debout sur son char, traîné par quatre chevaux, et-semblable au quadrige d'argile qu'il peut contempler sur le sommet du temple de Jupiter Capitolin.
Derrière lui, on soutient au-dessus de sa tête la couronne étrusque c'est-à-dire une couronne de feuilles de chêne en or entremêlées de pierres précieuses; toute pareille à celles que nous avons pu voir l'autre jour dans la collection Campana.
Autour de lui sont les licteurs, vêtus de rouge comme les porteurs du pape. Lui-même a le visage peint en rouge aussi bien que le Jupiter d'argile du Capitole~; car il doit ressembler à Jupiter, il est Jupiter. On voit déjà que plusieurs choses sont venues aux Romains de l'Étrurie; mais deux choses, les plus importantes, la religion et l'organisation politique de Rome, prises dans leur ensemble, n'en sont point venues dans l'une comme dans l'autre, l'influence de l'Étrurie se fait pourtant sentir.
Aucune des grandes divinités romaines n'est une divinité primitivement étrusque.
Les Lares, ces petits dieux du carrefour et du foyor, Tert.ull., De Coron., xnj
Sct-v., Ec/ vj, 22.
ont un nom étrusque'; mais ils ont entièremen. t changé de caractère en se faisant romains. Dans l'Etrurie, ils étaient des puissances funèbres ailées~ à Rome, ils ont perdu leurs ailes et sont devenus des puissances bienfaisantes.
Le génie latin n'était pas sombre comme le génie étrusque.
Plusieurs des anciens dieux pélasgiques se retrouvent en Étrurie; ils n'ont point passé par la religion étrusque pour arriver à Rome, car ils portent dans cette religion des noms différents de leur nom romain 2; ils portent un nom grec~, un nom ombrien* ou un nom étrusque
Les dieux voilés, enveloppés (involuti), ces puissances mystérieuses dont on ne savait ni le nombre ni les noms, qui, dans la mythologie étrusque, dominaient Jupiter lui-même, ne paraissent point dans la Ce nom far ou Las se retrouve souvent sur les vases d'Étrurie, tracé auprès de figures ailées et terribles.
Excepté Pâtes, divinité pélasge et l'une des trois grandes divinités étrusques.
3 Jupiter s'appelle Thina [Mna;, Vénus (Thalna), de <MM, germer, et Touran, d'Ourania.
Les cultes que nous avons trouvés chez les Sabins doivent avoir existé chez leurs frères et leurs voisins les Ombriens, qui faisaient partie de la population étrusque. Tel est celui de Junon, appelé, en Étrurie, Cupra, ce qui veut dire en sabin la bonne (Str., v, 4, 2', et Minerva (MeNff~:), déesse sabellique dont le nom est formé du radical mens, qui n'est point étrusque.
Vulcain, Sethlans; Dionysos (Bacchus), Phuphiuns.
religion romaine. Le dieu suprême de ce peuple libre était un dieu libre.
Les douze dieux Consentes furent acceptés par les Romains; Je sénat put s'arranger de ces conseillers de Jupiter, qui semblent représenter dans l'Olympe arislocralique des Étrusques les douze Lucumons d'Étrurie.
Leurs statues s'élevaient dans le Forum romain; en bronze, comme presque toutes les statues étrusques 1; elles représentaient six dieux et six déesses. Les déesses étaient donc admises au conseil du Jupiter étrusque.
Ainsi Tanaquil fut la sage conseillère du premier Tarquin, et Tullie la détestable instigatrice du second. Les femmes paraissent avoir été placées en Étrurie plus haut qu'en Grèce*, et y avoir occupé un rang pareil à celui qu'occupèrent les matrones dans la sociétéromainc.
Les dieux Consentes ne figurent point dans l'histoire religieuse du peuple romain. Cependant leur culte subsista jusqu'à la fin de l'empire. Ils avaient à 'Et en bronze doré, ce qui était un procédé de l'art étrusque. [Varr.,t)eJt.r,l.)
Les enfants portaient le nom de leur mère aussi b:en que de leur père. La mère du mort est indiquée dans les inscriptions funéraires de rÈtrurie (0. Müller, .RV. Schrift., t, p. 172), comme dans celles de l'Egypte. Les femmes honnêtes prenaient place à côté des hommes dans les festins, ce qui n'avait point lieu en Grèce, et qui est représenté dans plusieurs tombes étrusques.
Rome un temple dont les débris ont été de nos jours retrouvés et remis en place.
Leur sanctuaire avait été construit au pied du Capitole cette colline, si anciennement étrusque et sur laquelle le premier roi étrusque de Rome éleva un tempic selon le rite de sa nation, a trois divinités Jupiter, Junon et Minerve.
Fidèles à l'antique génie de la race latine, les Romains avaient donné le nom dé dieux Consentes n douze divinités protectrices de l'agriculture; mais ils avaient été obligés d'emprunter la plupart au moins de ces divinités aux Sabins 1.
Je l'ai dit, c'est à l'Étrurie que les Sabins eux mêmes avaient emprunté le dieu Terme, qui me parait être l'Hermès pélasge\
J'ai parlé aussi des dieux l'ulgurateurs anciennement en possession du Capitole avant que la foudre de Jupiter vînt remplacer le leur. La religion fuigurale était essentiellement étrusque. Les Étrusques avaient neuf dieux qui lançaient la foudre. On a remarqué, et j'ai pu l'observer moi-même, que les oraDans l'énumération qu'en fait Varron (De R. rust., t, 1), nous retrouvons en majorité les divinités sabines le Soleil, la Lune, Robigo, Flore, Minerve.
Sur des vases étrusques, Hermès est appelé Thurm, T~MnM, et Thermé. Ce qu'on nomme des .H~'m~ sont des Termes au sommet desquels une tête est placée, et qui souvent rappellent par un signe très-expressif le caractère générateur de l'hermes pélasge.
ges sont fréquents en Toscane. Le Capitole, sommet isolé et dans l'origine couvert de grands\arbres, devait aussi les attirer. C'est à quoi sans doute Virgile faisait une allusion quand il disait en langage poétique, parlant du Capitole primitif:
« Là on a vu souvent Jupiter secouer sa noire égide et appeler à lui les nuages*, a
Parmi les dieux fulgurateurs du Capitole était Summanus, celui qui lançait les foudres nocturnes, et dont la statue fut placée sur le sommet du temple de ce Jupiter qui devait le faire oublier. Là fut aussi Véjovis, le Jupiter funeste, le dieu des Jules, race funeste à la liberté.
Certaines particularités du culte romain trahissent des influences de l'Étrurie, bien que, pris dans son ensemble, il leur soit étranger.
L'usage d'enfoncer un clou dans le mur de la Cella de Minerve au Capitole était un usage étrusque~, et la fêle de la Purification des trompettes sacrées une fête étrusque
La trompette fut un instrument national de l'Ëtrurie, que les Tyrrhéniens avaient apporté d'Asie Cette fête se célébrait en l'honneur de Minerve ce \'irg\, ~'M., vm, 555-4.
Tit. Liv., Y)t, 3.
s 0. Müller, Eh- n, p. 50.
=- 7M., p. 51.
Les ~M:MS<nM. Dans ce mot et dans les mots analogues, Q«Mtjwa~rM et Scj'a'h'MusUës chez lesTusculans (Varr., De L lat., Y!, 14}.,
qui me fait croire qu'elle avait été instituée par les Sabins, d'autant plus qu'en même temps les Saliens exécutaient dans le Comitium leurs danses guerrières.
Dans une répétition de cette fête en l'honneur de Minerve~, et où figuraient cette fois les joueurs de flûte, instrument de même cher àl'Ëtrurie*, ceuxci, après être allés processionnellement au temple de Minerve, couraient ça et là, portant toutes sortes de costumes, même des vêtements de femme, ef disant des bouffonneries
Je crois, en lisant ces détails, assister au carnaval romain.
Ce qui appartient réellement aux Etrusques, c'est la divination, et ce corps d'enseignement touchant les présages par le vol des oiseaux, par l'inspection des entrailles, par la contemplation du ciel, par l'observation de la foudre, qu'allaient étudier les jeunes patriciens romains, l'art augurai étant un moyen'politique dont ils étaient appelés à se servir un jour. Les indices prophétiques fournis par les oiseaux remontaient probablement aux Pélasges. Les préla terminaison a~rM semble avoir été une terminaison venue desOmbriens, comme le culte de Minerve fut porté par eux en Étrurie; des prêtres ombriens sont nommés dans les tables engubines Alierii. Quinquntrus minores.
0. Xûlter, E~1, p. 200.
Censorm.. ~2,
tresses de Dodone consultaient le vol des colombes; à Rome, on observait le cri des corneilles consacrées à Junon 1 pour en tirer la connaissance de l'avenir. Ce vieux préjugé subsistait encore au temps de Virgile'.
Les Etrusques en firent une science compliquée. Les Romains attachèrent une importance particulière à ce que ce genre d'observation avait de plus puéril. le bon appétit et le piétinement des poulets sacrés. Ce peuple fort, mais prosaïque, a toujours eu du goût pour les superstitions mesquines.
Les signes tirés de l'inspection des entrailles furent dans le monde l'objet d'une croyance plus générale. Bien qu'elle ait existé en Grèce comme en Italie, on ne peut rapporter avec quelque certitude son origine aux Pétasges, car elle a existé chez beaucoup d'autres peuples
Mais ce qu'on ne trouve à peu près nulle part ailleurs que chez les Étrusques et à Rome, c'est la conOn a trouvé un aute) consacré aux corneilles de Junon au delà du Tibre, là où Festus (P. Diac., p. 6t) nous apprend qu'on leur rendait un culte.
Virg., Bc/ i, 18.
0. MuDer. Elr., 11, p. t86 et suiv. Comparez ee que dit Pausanias (vt, 2, 2), d'une statue auprès de laquelle étaient représentées les entrailles d'un chien qui avait le ventre ouvert, avec une représentation du même genre qu'on peut voir dans la salle des animaux, au Va tican.
En Asie Mineure, chez les Juifs, a Carthage (Pau)y, Enc{;c<, u, p. )1M); elle existait aussi chez les peuples ligures.
templation méthodique du ciel et la science de la foudre.
L'augure, se plaçant en esprit au nord, où étaient les dieux, regardait comme eux le midi 1.
n se tournait aussi vers l'orienta la direction vers l'est a prévalu dans l'orientation des basiliques chrétiennes~.
A la division idéale du ciel correspondait la division réelle de la terre, base de la propriété. Chez les Etrusques, la propriété territoriale avait pour ainsi dire sa racine dans le ciel. Aussi elle fut profondément respectée des Romains, comme de tous ies peuples libres.
Fest., p. 559.
Tit. Liv., i, 18. L'augure fait asseoir Numa sur une pierre tournée au midi; mais lui-même se tourne vers l'orient, car il a le midi à sa droite et le nord à sa gauche.
3 Vitruve (tv, 5) veut que la statue du dieu et par suite l'entrée du temple soient tournées vers le couchant, pour qu'en regardant cette statue on regarde l'orient. Dans la basilique chrétienne, le même principe a fait adopter une disposition contraire~ afin que le prêtre, qui dans le rite ancien officiait tourné vers le peuple; eût en face de lui l'orient. Cette disposition se montre à Rome dans la plupart des basiliques, sauf quand il y a eu dans la nature du lieu une raison de faire autrement, comme à Saint-Pau), où la yoieOstienne empêchait l'église, dont l'emplacement était fixé par la catacombe, de s'étendre vers l'orient; Saint-Pierre, Sainte-Marie-Majeure, Saint-Jean de Latran, Sainte-Marie in Trastevere, sont tournées plus ou moins directement vers l'est; à Saint-Laurent hors des murs, on a transporté l'entrée de l'église primitive de l'est à l'ouest, parce que l'usage avait prévalu d'officier en tournant le dos au public. Le changement survenu dans )c culte a amené ce changement d'orientation.
Les tribus rustiques étaient plus considérées que les tribus urbaines. Le jour où les terres furent concentrées en un petit nombre de mains, la constitution fut menacée; le jour où elles furent confisquées par la proscription, la constitution fut détruite.
L'art des arpenteurs était étroitement lié à la délimitation des diverses parties du ciel. C'était un art sacré qui faisait partie de la doctrine des augures. Niebuhr ne doutait pas que de nos jours il ne se fût conservé, dans certains procédés employés par les paysans romains pour limiter et a~ont~ leurs champs, des pratiques instituées par la discipline étrusque. Le camp romain aussi était orienté d'après les règles de la science augurale, tourné vers l'orient et divisé par deux rues qui se coupaient à angle droit comme les deux lignes que le bâton recourbé de l'augure dessinait dans le ciel. L'une des portes du camp, la porte Decumana, était ainsi nommée, parce qu'on l'ouvrait à l'extrémité d'une de ces deux lignes, appelée elle-même decumanus.
La science de la foudre semble particulière à l'Htrurie elle naquit, je crois, sur le sol étrusque. Les diverses parties de l'art divinatoire étaient dans les mains de deux classes d'hommes bien différentes, les aruspices et les augures.
Les aruspices étaient des devins étrusques, établis à Rome ou qu'on y faisait venir pour les consulter. Ils observaient le vol des oiseaux, les entrailles des
victimes. Ils ne partageaient point le ciel en régions; ils ne divisaient point la terre.
Dans l'origine, les aruspices n'étaient pas des prêtres ils ne formaient point un corps dans l'État. C'était une compagnie, un collége, comme on disait; ce collége avait un président. Ils ne jouirent jamais d'une grande considération, et finirent par être tout à fait méprisés.
Les aruspices de -village (t'tCNMt) ressemblaient à nos charlatans.
C'est des aruspices que Caton disait que l'un d'eux ne pouvait en regarder un autre sans rire'. Caton ne se fût pas permis cette plaisanterie à propos des augures.
Les augures faisaient les mêmes choses que les aruspices; mais, de plus, armés du lituus, bâton recourbé semblable à la crosse des évoques, et dont le nom était étrusque', ils délimitaient les espaces célestes et les propriétés terrestres. Ils formaient dans l'État une magistrature inamovible, dont longtemps l'entrée ne fut ouverte qu'aux patriciens.
Mais leur art était un art étrusque, et c'est pour cela qu'on envoyait les jeunes patriciens l'étudier en '.Cie., De Div., n, 24. Ailleurs, Cicéron distingue les augures romains des aruspices étrusques.
0. Müller conclut ingénieusement du même nom donné à une trompette et au bâton augurai, également rMCM)'M, que M~t/tM venait d'un mot étrusque dont le sens était recourbe. (E< n, p. 212.)
Étrurie. L'exercice de l'art augurai était d'une grande importance, puisque les chefs de la république, qui, eux aussi, _dans une certaine mesure, pouvaient toujours l'exercer, avaient le droit, sous prétexte que les auspices n'étaient pas favorables, de dissoudre une assemblée, d'empêcher une élection.
Frein bizarre mis aux emportements populaires, mais frein puissant, et qui souvent fut utile. Le gouvernement de Rome dans l'antiquité fut déjà, à quelques égards, un gouvernement sacerdotal, mais à cette condition que le sacerdoce fût aux mains de l'autorité civile, en cela semblable au régime politique des Étrusques, chez lesquels le Lucumon était prêtre et roi.
Je n'ai pas encore parlé des prodiges qui tenaient une aussi grande place dans la superstition chez les Romains d'autrefois que les miracles~chez ~eurs plus crédules descendants. Les prodiges dans la Rome antique n'étaient pas toujours des faits merveilleux, comme les statues qui clignaient des yeux, hochaient la tête ou se couvraient d'une sueur sanglante, faits que ne manque jamais de rapporter Tite Live, aussi gravement que les bonnes femmes de Rome en racontent de tout semblables attribués à une image de saint ou de madone; mais des faits véritables, et qui semblaient extraordinaires les naissances des monstres, les pluies de pierres, tous les événements singuliers, un bœuf, par exemple, qui montait
jusqu'au troisième étage. et sautait par la fenêtre. C'étaient les augures et les prêtres romains qui étaient chargés de constater et d'interpréter des incidents si funestes*.
Mais l'expiation du prodige s'accomplissait suivant les règles de la discipline étrusque~.
C'est que l'observation des prodiges, tombée chez les Romains à l'état de superstition puérile, se liait chez les Étrusques, plus spéculatifs que les Romains, à une haute doctrine. Ils pensaient qu'à la fin de chaque âge du monde il s'opérerait une transformation dans la société, une palingénésie, comme dirait Ballanche, qu'annonçaient certains signes au moyen desquels on pouvait la pressentir. En changeant la nature des signes, en les cherchant non dans le monde physique, mais dans le monde moral, on doit croire à la doctrine étrusque.
A Rome, la politique du sénat se servait de l'intelligence prétendue des signesdu temps pour dominer; aujourd'hui la politique doit les consulter pour réussir. ï/étude des influences de l'Étrurie sur la religion romaine nous a conduit à la politique qui à Rome absorbait tout. Cherchons maintenant si les institutions étrusques sont entrées pour beaucoup dans les institutions romaines.
Cic., De leg., n, 9.
Val. Max. 1,1 1
5 Dut., S</H, IL
Je me hâte de le nier, et c'est une des raisons qui m'empêchent de croire que Rome ait été primitivement une colonie étrusque, comme le voulait d'abord Niebuhr, ou ait, sous les Tarquins, fait partie de l'Étrurie, comme le pensait Ottfrid Müller. Rome a été dominée par trois rois étrusques; elle a, par cette raison, sur plus d'un point, subi l'influence de l'Étrurie, mais elle n'a pas été incorporée à un royaume étrusque, elle n'a jamais été foncièrement étrusque. Est-ce à dire que trois rois de cette nation aient gouverné Rome sans laisser de trace de leur gouvernement ? Non, sans doute. Mais ces traces furent peu profondes. Les bases de l'organisation politique des Romains avaient été posées auparavant par les rois sabins, et la forme nouvelle que lui donna Mastarna n'était pas étrusque, mais grecque. Cependant l'organisation politique de Rome se ressentit de son contact avec l'Etrurie, mais seulement dans une certaine mesure qu'il faut déterminer.
D'abord on doit écarter ce qui, étant commun aux nations italiotes et aux Grecs, semble appartenir aux Pélasges, et que les Tyrrhéniens, qui étaient Pélasges, ont pu apporter en Ëtrurie, comme d'autres Pélasges ont pu le communiquer aux Sabins et par eux aux Romains.
Telle est la division en tribus 1, en fratries ou cuL;t forme des ntms de ces trois tribus, Titiès, Rhamnés, Lu-
ries en gentes', antérieure chez les Romains à l'arrivée des rois étrusques, importée par les Sabins, qui avaient pu la recevoir des Pélasges.
Les Pélasges tyrrhéniens ont pu importer ces institutions c'est ainsi que Mantoue a pu être divisée en trois tribus et en douze curies~. H y eut aussi des tribus à Csere*, ville qui avait été pélasge avant qu'elle fût étrusque.
L'existence d'un sénat chez les Étrusques ne prouve point que celui de Rome soit venu du leur; car on en trouve un chez beaucoup d'autres peuples, et en particulier chez divers peuples latins et sabelliques. Rome n'a point été aristocratique parce que l'Étrurie l'était avant elle, mais parce qu'il y avait une aristocratie chez les Sabins, ses premiers maîtres, et dans les villes latines, dont la population, qui a formé l'ordre des plébéiens, a pu fournir aussi quelques cerès, était étrusque (tome Il, p. 62), c'est-à-dire avait une terminaison étrusque.
Un Lucumon était à la tête de chaque curie étrusque. (Serr., ~H., x, 202.)
Il y avait des gentes puissantes dans la très-aristocratique È)rurie seulement ceux qui les formaient, les chefs et les clients, ne paraissent pas, ainsi que dans les ~<M<M sabines et plus tard dans les gentes romaines, avoir porté le même nom. (0. Müll., Etr., t, p. 401, 455.)
3 Servius, ~H., x, 202. Cette interprétation de gens illi <Wp<&t, populi sub ~<~ ~«s<en!t, est combattue par 0. Müller. (E/r., <. p. 138.]
Gœtt)., R. ~-y, r. tt.
grandes familles, transportées de leur pays natal sur le CœUus et sur l'Aventin.
La distance qui séparait l'aristocratie de la plebs romaine, la dureté superbe de la première, ce qu'elle eut d'abord d'exclusif, le caractère sacerdotal qu'elle devait à la possession des aruspices, tout cela peut être né ou au moins s'être développé beaucoup par l'action de l'aristocratie étrusque, que tous les témoignages s'accordent à montrer comme à la fois féodale et sacerdotale, séparée très-fortement du reste de la nation, lequel était dans une condition d'infériorité complète et de vasselage, si j'ose ainsi parler.
Mais ce fut la grande supériorité de Rome que l'ordre plébéien y compta toujours davantage, et qu'il fallut toujours compter avec lui.
On ne voit chez les Étrusques d'autres dieux que les conseillers de Jupiter. C'est un sénat divin. A Rome, il y a une foule de petits dieux populaires plebs numinum, dit Arnobe, la plèbe des dieux. L'Olympe est toujours un reflet de la terre. Partout, si vous voulez comprendre l'homme, regardez les dieux qu'il s'est fait.
Niebuhr et 0. Mùller~ cherchent chez les Étrusques l'origine des clients; mais, selon moi, l'existence des grands clans sabins suffit à l'expliquer. M en est de 0. MûU., Etr., i, p. 577.
même pour les cavaliers ou chevaliers, que ce dernier trouve aussi chez les Étrusques 1.
Enfin le même auteur va jusqu'à déclarer, ce qui me paraît bien hardi, que l'organisation municipale romqine est sortie tout entière de l'isopolitie étrusque 2. Dans tous les cas, il resterait aux Sabins l'honneur du patriciat et aux Latins la gloire du plébéianisme de cette population latine qui, privée d'abord des principaux droits politiques, puis de l'admissibilité aux charges publiques, obtint ces droits de la constitution de Servius Tullius, et parvint à acquérir l'admissibilité à toutes les fonctions par une lutte persévérante. On ne voit rien de pareil chez les Étrusques, à cette lutte qui fit la grandeur de Rome en faisant sa force, en developpantl'énergiedes deux ordres par une résistance habilement ménagée et par une guerre de conquête opiniâtrement soutenue jusqu'au jour où, comme il arrive à tous les conquérants, la plebs romaine se perdit par l'excès de son triomphe. La royauté existait à Rome avant les Étrusques; mais je crois que par eux elle prit plus. de majesté qu~nd elle s'entoura de licteurs, revêtit la robe bordée de pourpre et porta le sceptre d'ivoire; elle en acquit une autorité nouvelle. Un sage roi s'en servit pour fondre les classes et les races, pour accorder à O.MHl.,K/.Mn/ ], p. 167.
° Parce qu'il considère Csere comme le plus ancien municipe rot~itm.
tous ceux qui possédaient une participation au pouvoir politique prudemment mesurée. Après lui, un roi insensé fut aveuglé par la pompe de cette royauté, détruisit l'oeuvre de son prédécesseur et périt. Si l'organisation politique de Rome, dans son fond, n'est point étrusque, son organisation militaire fut en grande partie l'œuvre d'un roi étrusque.
L'Étrurie, si amollie, si corrompue après qu'elle eut perdu son indépendance, avait été un pays vaillant, illustré par la guerre Les hommes du Palatin aussi étaient vaillants, et l'intrépidité des Sabins était l célèbre.
Mais ce fut l'Étrusque Mastarna qui, en constituant le peuple romain, constitua l'armée romaine. Ce fut lui sans doute qui donna à cette armée la disposition de la phalange hellénique~. Sous lui, les différentes pièces de l'équipement du soldat grec s'introduisirent dans l'équipement du soldat romain; la longue lance hellénique, le bouclier rond d'Argos~, le casque aux ailes rabattues sur les deux joues, les jambards pareils aux knémides de l'Iliade, toutes ces arFortis Etruria (Virg., Georg., u, 533); beUo prœclara. (Virg., ~)! vn;, 480; Tit. Liv., x, 16.)
0. HuUcr, E/t- i, p. 390; ~Se~ p. 171.
H faut y ajouter la lance légère, hasta MH<arM, arme propre aux vélites; les flèches et les frondes (0. Mut! Etr., i, p. 295-6) appartenaient originairement aux Étrusques; un des noms du casque, cassis, était étrusque, (lsid., Or., xym, 14.)
mes offensives ou défensives~ que l'on trouve dans les tombeaux étrusques, et dont chacun a pu admirer une très-belle collection dans le musée Campana, devenu la propriété du gouvernement romain. Ces armes étaient grecques. Il n'y a là rien qui surprenne, puisque l'organisateur de l'armée romaine fut ce Mastarna qui, dans ses expéditions, avait, je pense, appris à connaître la civilisation des villes grecques de l'Italie méridionale. Il pouvait bien leur emprunter des armes comme il leur empruntait des lois.
Rome ne doit pas plus aux Étrusques ses goûts agricoles que ses vertus guerrières. La Rome sabinë n'était point étrangère à l'agriculture, etja Rome latine était agricole depuis Saturne, c'est-à-dire depuis la plus antique apparition des Pélasges dans le Latium; mais l'Étrurie, pays fertile, pays qui produisait tout~, l'Étrurie ne l'était pas moins. La Toscane est encore Cn singulier rapport entre les idées guerrières des Romains et le culte étrusque de la foudre a fait appeler par lès premiers le butin fait sur l'ennemi manubix, coups de tonnerre, comme s'ils étaient un don des dieux fulgurateurs. (Fest., p. d29.)
Plus j'ai avancé dans la composition de cet ouvrage, plus je me suis convaincu de ce que j'ai mis en avant comme t~t doute, savoir que l'arrivée de Saturne dans le Latium et les com&encements de civilisation qu'il y introduit par l'agriculture représentent dans la tradition un ancien débarquement des Pélasges sur le littoral, peut-être le même qui amena à Tarquinii les Pélasges, que les Grecs appelèrent Tyrrhéniens.
tM~ (Diod., v. 40.)
aujourd'hui une des contrées de l'Europe où l'agriculture est la plus perfectionnée
Le nain savant Tagès, le fondateur de la discipline étrusque, sort d'un sillon, et un de. ses livres sacrés ~paraît avoir été un traité sur la culture de l'Étrurie. Dans la patrie du dieu Terme, où la propriété rurale était sous la protection des dieux, l'agriculture a dû être en honneur.
A Rome, l'influence de trois rois sortis d'un tel pays dut lui être favorable. Par eux, le génie de l'Étrurie dut agir sur l'agriculture, comme sur la guerre, en la régularisant.
L'agriculture était dans les mœurs des populations sabines et surtout des populations latines; mais il est permis de croire qu'elle fut disciplinée par l'art de l'arpenteur, que nous avons vu se rattacher à la science sacrée des Étrusques.
C'est dans les beaux-arts que se manifeste surtout l'influence exercée par l'Étrurie sur les Romains, infjuencereçuedela Grèce avant d'être transmise à Rome, mais dans laquelle il y a aussi une part pour le génie étrusque lui-même; car ce génie particulier modifia jusqu'à un certain point les types grecs en les adoptant. L'architecture étrusque était grecque d'origine; ce qui reste en Ëtrurie de vieilles murailles ressemble beaucoup aux murs des villes grecques, et, comme Lettres de Lullin de Chateauvieux.
je l'ai dit, ce qu'on a appelé l'ordre toscan est le dorique altéré.
Cette architecture, venue des Grecs, fut l'architecture primitive des Romains.
Les murs de l'époque de Romulus, comme ceux des rois étrusques, sont très-semblables aux murs de Fiesole et de Volterre.
La muraille de l'Aventin présente la même alternance de pierres parallèles et perpendiculaires au plan du mur 1, et même ce bossage qui a été repris dans l'architecture de la Toscane moderne et qui donne un air de si imposante rudesse au palais Strozzi et au palais Pitti.
L'atrium, cette cour intérieure entourée d'un portique quadrangulaire qui de la maison romaine a passé dans le cloître chrétien, dans la maison mauresque et se retrouve dans le patio espagnol, l'atrium qui n'existait pas dans la maison grecque~, l'atrium est étrusque'.
Par une réminiscence d'un goût antique, elle se montre encore à la fin de la république dans le tombeau de Ca'cilia Metella et au commencement de l'empire dans le grand aqueduc de Claude, derrière Santa-Croce in Gerusalemme.
Vitruve l'affirme (T<, 10) les maisons de Pompeii sont donc construites d'après le type romain et non d'après le type grec. Bien qu'en pays grec, Pompeii et Herculanum étaient des villes romaines. Les noms de leurs habitants, que font connaître les inscriptions ou qu'à Pompeii on lit près de la porte des maisons, sont des noms latins. 3 Varr., De L. <a< v, ~i. M. Dennis a retrouvé dans les tombes étrusques toute la disposition de la maison romaine.
Le style de la sculpture étrusque fut d'abord un style dur et sec, comme celui de l'ancienne sculpture grecque qu'elle imitait. On peut s'en convaincre au milieu des richesses du musée grégorien.
Il est remarquable que la dureté, la sécheresse, une certaine roideur étrusque, aient aussi caractérisé les commencements de là statuaire florentine dans les temps modernes. Ce caractère est bien sensible chez un grand artiste toscan, leVerrochio, qui fut le maître de Léonard de Vinci.
Mais pas plus dans l'ancienne que dans la moderne Étrurie, cette roideur n'exclut une certaine beauté sévère. Évidemment le peuple étrusque avait le goût des arts et méritait le nom d'ami de l'art que lui donnait Athénée.
Pourquoi les vases, faits à l'imitation des Grecs en si grand nombre et quelquefois d'une beauté incomparable, se trouveraient-ils en-Étrurie plus que partout ailleurs?
Il fallait bien que le génie des arts fût inné dans cette race, qui les a introduits dans la Rome antique et les a ranimés dans l'Italie moderne.
En Grèce, on admirait sous Périclès% les lampes d'Étrurie; à Rome, déjà du temps de Caton on voulait
'At.heii.,xv,60. 2 Athen.. ih.
que tout dans les maisons fût étrusque, et, au dire de Pline les vases et les statues étrusques étaient répandus sur toute la terre.
L'architecture étrusque régna dans Rome jusqu'à l'avénement de l'architecture grecque. Les Romains eurent un style à eux, mais ils n'eurent jamais un art qui leur fût propre.
Même devant l'art grec, l'art étrusque ne disparut pas de Rome. Auguste plaça dans sa bibliothèque du Palatin un Apollon, dans le goût de l'Étrurie', qui contrastait, par sa grandeur colossale, avec les statuettes étrusques~.
Au troisième siècle, Tertuliien disait que les statues étrusques avaient inondé la ville.
On ne saurait s'en étonner en voyant deux mille statues dans la ville de Volsinii~ (Bolsena). Les Étrusques excellaient dans l'art de modeler la terre et de couler le bronze, qu'ils savaient dorer. Presque toutes les statues qui nous restent d'eux sont en terre, quelques-unes en bronze, un petit nombre en pierre, presque point en marbre*. Les carrières de Luni, qui étaient sur leur territoire, ne fu-
PL, BMt. nat., xxxv, 46; XXXtV, 7.
~Pi.Mt.Mat.,]:xtv,18.
~TyrrhenasigiHa.
4Tert., Apolog., 25.
spl.,BMf.Ka<xxxiv,7(.6).
I) en existe cependant, notamment dans une tombe de Csere.
rent exploitées que dans les derniers temps de la république romaine.
Ils avaient aussi des statues en bois
A Rome, les premières statues dont on fasse mention sont l'oeuvre d'artistes étrusques et en terre cuite: sous le premier Tarquin, le quadrige placé au faîte du temple de Jupiter, et qui, dans le four, s'était enné démesurément, ce qu'on avait jugé être un signe de la future grandeur de Rome, à laquelle, si la légende est ancienne, on croyait déjà; la statue de Jupiter et la statue d'Hercule.
Puis vinrent les statues en bronze, la statue de Vertumne, dieu étrusque, dans le quartier étrusque' et qu'on attribuait à Mamurius, le Dédale sabin, la Louve du Capitole, d'un travail antique, comme le disait Denys d'Halicarnasse~.
Elle n'est pourtant pas plus ancienne que la fin du cinquième siècle*, et montre qu'à cette époque la sculpture à Rome portait encore l'empreinte du génie étrusque. La Louve du Capitole me semble un produit de l'art romain à demi formé par l'art de i'Etrurie, et débutant dans toute sa grossièreté et Par exemple, une statue antique de Jupiter taillée dans un cep de vigne, et qui existait à Populonia. (PL, ~M(. nat., xrv, 2, 1.) Propert., tv, 2, 61.
Den. d'Hal., i, 79.
Cette louve, qu'on voit dans le palais des Conservateurs, est, comme je l'ai dit, bien probablement celle qui fut placée près de l'antre Lupercal (environ trois siècles avant Jésus-Christ).
toute sa force. Ce bloc de bronze représente un animal dont le poil est fantastique, dont l'attitude est roide, mais dont le caractère est vigoureux, l'expression puissante, et qui respire la férocité primitive de Rome.
L'art de la poterie étrusque passa de bonne heure à Rome par les Sabins, puisque Numa était dit avoir institué la confrérie des potiers.
Comme nous n'avons aucune peinture romaine antérieure au temps où les arts de la Grèce pénétrèrent à Rome, nous ne pouvons déterminer ce que la peinture romaine put devoir à celle des Étrusques. Celleci ne paraît pas y avoir joui d'une grande faveur. On n'a pas trouvé de vases peints à Rome, et le premier peintre romain est l'aïeul de l'un des plus anciens historiens romains, Fabius Pictor.
Mais nous savons que la musique religieuse et guerrière des Romains et leurs principaux instruments étaient un emprunt fait à l'Étrurie.
L'emploi de la flûte qui accompagnait tous les sacrifices', les chants en l'honneur des morts, les représentations dramatiques, même la déclamation des orateurs, jusqu'au travail, disaient les Grecs moqueurs, Les joueurs de flûte s'étant retirés à Tibur, parce qu'on leur avait enlevé le droit de prendre leur repas dans le temple de Jupiter, on ne pouvait plus accompagner les sacrifices des chants accoutumés. (Tit. Liv., ix, 30.) Cela montre à quel point les joueurs de flûte étaient considérés comme des personnages religieux et leur art comme une partie essentielle du culte public.
des boulangers et des cuisiniers, et jusqu'aux coups de fouet que les maîtres faisaient donner à leurs esclaves 1; l'emploi de la flûte était commun aux Romains et aux Étrusques~, et la passion de ceux-ci pour cet instrument si célèbre, qu'un Grec, qui la poussait à l'excès, fut appelé le r~n'~Mgtt~. La trompette aussi était tyrrhénienne, tant la trompette droite' que la trompette recourbée"; l'orgue enfin, soit à air, soit à eau, s'appelait flûte tyrrhénienne~, et par conséquent appartenait primitivement aux Étrusques.
A Rome, l'art dans toutes ses parties fut étrusque jusqu'au jour où il fut grec. Les Homains n'y apportèrent jamais ce génie naturel qui crée, pas plus dans les temps modernes que dans l'antiquité. On ne peut dire qu'il y ait une école romaine. Au moyen âge, Rome seule en Italie ne produit pas un grand artiste, comme elle ne produit point de poètes et à peine des chroniqueurs.
Athen.,iv, p. 154.
2 Tibicine tusco.
(Ov.,De~<m.,<,Hl.)
Athen., xin, 86.
4En latin, tM~a; en grec, ~.m~; toutes deux dites tyrrhéniennes par les poëtes. (Micali, It. avant. il dom. dei Rom., 25.) s Le lituus, d'un mot étrusque qui devait boutoir dire recourbé, car lituus était aussi le nom du bâton augnral, également recourbé par <:n haut. (0. Mutl., Etr., n, p. 212.)
s 0. Müll., Etr., u, p. 205-6.
A la Renaissance, elle ne peut se glorifier que de Jules Romain; mais au moyen âge elle gouverne le monde moral par la papauté, et, s'il y avait eu alors un Virgile, il aurait pu encore lui dire
« Que d'autres sachent mieux travailler l'airain; toi, ne songe qu'à soumettre le monde à ton empire. »
Excudant a)ii spirantia mollius œra~
Tu regere imperio populos, Romane, memento.
De même, dans l'antiquité, Rome a peu de grands artistes. Presque aucun de ses grands écrivains n'est 'ne dans son sein; tous à peu près appartiennent aux races sabelliques. Mais dans l'antiquité, comme dans les temps modernes, Rome attire tout à elle. Virgile y vient de Mantoue et Horace de Venosa, comme Raphaël d'Urbino et Michel-Ange de Florence. Ayant déterminé presque minutieusement la part des Étrusques dans la civilisation romaine, nous connaissons maintenant tous les éléments de cette civilisation encore bien peu avancés dans l'histoire romaine, nous pouvons dire Rome est /«t(~.
Nous savons ce que lui ont apporté les Pélasges, les Sabins, les Étrusques, et ce qui est arrivé jusqu elle, par l'Étrurie et par la Campanie, des influences de la Grèce.
Arrêtons-nous un moment, et, nous plaçant au faîte
du temple de Jupiter Capitolin, comme un voyageur du haut de la tour du Capitole contemple la Rome moderne, voyageurs au sein de la Rome antique, contemplons cette ville qui a déjà plusieurs fois changé d'aspect depuis que les Latins primitifs ont pris les premiers possession du Capitole; cette ville où des tribus de Siculcs et de Ligures sont venues se poser sur les sommets, de nos jours effacés pour la plupart ou disparus, du Septimontium; où les Pélasges ont construit sur le Palatin cette petite forteresse de Roma qui devait donner son nom à la plus mémorable cité de l'univers; où les rudes Sabins se sont établis à côté d'eux sur les huit collines; cette ville où les Étrusques ont formé des établissements partiels sur le Capitole et sur le Caelius avant de régner sur elle; où Romulus, le dernier venu, se saisissant d'une forteresse abandonnée, a entouré d'une muraille les cabanes de pâtres et de réfugiés dispersées sur le Palatin; où, après lui, les rois sabins ont fondé la véritable Rome en organisant sa population mêlée autour de leur culte et de leur patriciai, et commencé en opposant la plebs à leur propre aristocratie, l'oeuvre de la fusion politique des races, essayée par le premier des rois étrusques et consommée par le second.
La Rome latine et la Rome sabine sont devant nos yeux.
Le Palatin est toujours la partie la plus rustique de
Rome, lui qui en sera un jour le quartier le plus splendide.
On n'y voit encore que des habitations champêtres, entremêlées de quelques sanctuaires sabins. Les Latins, transportés par Ancus Martius, défrichent l'Aventin, dont la forêt commence à s'éclaircir. Les Latins d'Albe habitent sous les chênes du Cselius. Des temples sabins sont disséminés en assez grand nombre sur l'Esquilin, sur le Viminal et surtout sur le Quirinal.
Un pont de bois réunit les deux rives du Tibre; la forteresse d'Ancus Martius domine le Janicule. Le champ de Mars est une grande prairie où se font des courses de chevaux au bord du Tibre. Le Forum est un marché entouré de boutiques. Le Comitium, enceinte découverte, reçoit les patriciens; la curie, -le sénat.
Mais la royauté étrusque est venue et a commencé à faire de Rome une ville monumentale. Le grand cirque existe. On Creuse le grand égout. Le temple de Diane, centre nouveau de la confédération latine, a été bâti parmi les lauriers de l'Aventin et l'enceinte en bois des Septa dans le champ de Mars, où le peuple s'assemble pour le vote et les revues.
Une forte muraille, hérissée de tours, environne la ville. Enfin, en regard du Capitole sabin s'élève, sur )e mont Tarpéien, qui vient de changer de nom, le temple de Jupiter.
Ce sont des monuments plus considérables. C'est l'oeuvre d'une nation plus avancée dans les arts et la civilisation. Une magnificence inconnue vient remplacer la rudesse sabine et la pauvreté romaine. La demeure des rois étrusques participe à cette magnificence. Le Lucumon a construit des palais là où Tatius vivait parmi les troupeaux, dit Properce' dans une élégie où respire un sentiment vrai du contraste que devait présenter Rome avant et après l'avénement des rois étrusques.
Le fond de la population est toujours formé de pasteurs, d'agriculteurs, de marchands, tous soldats; d'un mélange inégal de deux races. Latins et Sabins, au sein desquelles on peut reconnaître le typè et l'idiome des Sicules et des Ligures, dont quelques-uns ont dû rester.
Mais au-dessus de ces populations est un certain nombre d'Étrusques. Ils sont graves, religieux, guerriers, magnifiques. Leur religion est pompeuse et pleine de superstitions. Ils contemplent le ciel, ils observent le vol des oiseaux, ils écoutent la voix de la foudre, ils annoncent les prodiges et enseignent à les expier. Les pat. iciens, en s'emparant des auspices, prendront le caractère d'un -corps sacerdotal. Le gouvernement sacerdotal est bien vieux à Rome. Prima galerilus posuit prxtoria (ucmo,
Mag-naque pars Tatio rerum erat inter oves.
(Propert., IV (v), 1, 29.)
A l'époque où nous sommes encore, Rome a déjà comme un clergé qui gouverne le peuple- par les pratiques pieuses, par l'appareil des cérémonies; il y a des processions, il y a surtout cette procession triomphale du Capitole qui se renouvellera tant de fois à mesure qu'une contrée, puis une autre, sera subjuguée par les Romains.
Enfin il commence à y avoir des Romains. Fortifiés par le concours de leurs frères les Latins de l'Aventin et du Cselius, citoyens transplantés de villes vaincues, et, pour cette raison, plus respectables, plus civilisés qu'un ramas de pâtres et d'aventuriers, les habitants peu nombreux, mais résolus, du Palatin, ont acquis quelque importance. Ils forment depuis le premier Tarquin la tribu des Rhamnès; ils ont profité pour leur part de la politique inaugurée par les rois sabins eux-mêmes, poursuivie plus hardiment par les rois étrusques, et qui consistait à opposer la plebs latine à l'aristocratie sabine, politique consommée parla constitution de Servius. Le nom de peuple de raM~H~Roma, de t'oMMitt, est devenu celui de toute la population latine il finira par être celui des Sabins eux-mêmes, qui avaient imposé le leur aux Latins quand ils régnaient sur eux. Désormais Sabins et Latins s'appelleront indifféremment Romains et Quirites; car un pouvoir étranger à tous deux les a confondus sous sa domination en un même peuple.
TARQUIN LE SUPERBE
Tyrannie et grandeur de Tarquin. Sa politique à l'égard des Sabins et à l'égard des Latins. Féries latines, temple de Jupiter sur le mont Albain. Assemblée des Latins près de l'eau Ferentina, meurtre d'Herdonius. Prise de Gabie. Guerre contre les Volsques. Colonies~dans les villes pélasgiques de Signia et de Circin. -Le monte~Circello chez Homère et chez Virgile, souvenirs de la magicienne Circé. Temple de Jupiter Capitolin; son architecture, sa forme, sa grandeur. Travaux imposés par Tarquin, la c/oecaMa.rMMa'. –Tarquin envoie consulter l'oracle de Delphe; premiers rapports de Rome avec la Grèce. Les livres sibyllins. Feinte stupidité de Brutus, fable née de son nom. Lucrèce Sabine, Collatie Sabine, Brutus Sabin. Expulsion des rois. Jugement sur Tarquin.
Après Servius Tuilius, idé~l du roi populaire, parait Tarquin le Superbe, idéal du tyran il y a peutêtre de l'exagération dans ce que la tradition rapporte de l'un et de l'autre~; la tradition aime le cjnstraste et force quelquefois les choses pour le rendre plus 1 Par exemple, que Tarquin ait immolé un entant n la déesse ania.
XX
frappant. Mais au fond elle est vraie, et je crois que Tarquin fut un tyran.
Son surnom et sa chute en sont la preuve. Ce surnom était pris en mauvaise part~ il ne put être donné au moins tout haut à Tarquin qu'après son bannissement'
Servius avait régné par un vote du sénat, sans consulter le corps des patriciens Tarquin ne consulta ni le sénat ni les patriciens C'était encore plus que Servius manquer d'égards envers les Sabins", qui formaient la meilleure partie du patriciat. Mais Servius Tullius s'était appuyé sur les Latins et les plébéiens, ce que ne fit point Tarquin, et celui-ci Snit par avoir tout le monde contre lui.
L'impie Tarquin laissa le corps de son beau-père, gorgé par son ordre, sans sépulture. Tout son règne, commencé par un crime et qu'aucun droit ne consarait, fut marqué par la ruse et par la violence. 11 mit sa volonté à la place de la loi. Il abrogea la 1 L'expression <Mper&e n'en rend qu'imparfaitement la portée. Selon Nonius Marcellus (p. 531), <MpertM équivalait à asper, truculentus; suivant Lydus (De Mens.Febr., <v, 3), à cruel.
Jusque-là, il n'eut que deux noms, son prénom, Lucius (le Lucumon), et son nom de ~M (Tarquinius), comme tous les rois sabins et étrusques de Home, excepté le premier Tarquin, qui'eut trois noms. S Primus injussu populi, voluntate patrum regnavit. (Tit. Liv., ), 4i.) Ut qui neque populi jussu, neque auctoribus palribus regnaret. (Tit Uv., i, 49.)
Le premier Tarquin avait adopté le surnom de Priscus (vieux Sabin), pour être agréable aux Sabins le second ne fit rien de pareil.
constitution de Servius Tullius; il détruisit l'oeuvre de conciliation de son sage prédécesseur. Le champ deMars vit sans doute encore des revues, mais il ne vit plus l'assemblée réellement populaire où tous les intérêts étaient représentés. Dans son horreur pour les associations indépendantes, instinct constant du pouvoir absolu et que les empereurs romains devaient pousser si loin il interdit jusqu'à celles qui avaient pour objet le culte des dieux. La religion, qui parfois ménage le despotisme, est toujours sa victime.
Tarquin chasse l'ancien sénat de la curie et en compose un nouveau de ses créatures, s'entoure d'une garde dévouée et remplit Rome d'espions. On croit lire l'histoire d'un petit tyran italien du moyen âge et des despotes de tous les temps.
On a aussi le spectacle plus triste encore de la conduite des nations qui les subissent; les patriciens se consolent de la perte de leurs droits en voyant le peuple écrasé par la main qui les en a dépouillés bientôt l'oppression les atteint eux-mêmes, et alors le peuple se réjouit en voyant leur misère et leur abaissement.
Il faut le dire, ce régne inique fut brillant. Tarquin domina la confédération latine, étendit le territoire Même les meilleurs. Voyez les lettres de Trajan à Pline, à propos de corporations d'ouvriers (Ep. P/M!. et Trai., 34 (43); à propos des chrétiens, 98 (97). Trajan s'oppose aux confréries (Ae~r~B), qu'il parait beaucoup redouter.
romain; il éleva de grands et utiles monuments; il n'en a pas moins été justement chassé par les Romains et maudit par l'histoire, car il opprima le pays qu'il avait agrandi. Il semblerait que d'abord il voulut faire quelque chose pour les Sabins, c'est-à-dire pour lepatriciat, et cela entrait dans son plan de réaction contre l'oeuvre antisabine et antipatricienne de Servius Tullius. Il éleva un temple au dieu sabin Sancus Fidius'; il quitta l'Esquilin et vint d'abord habiter la Vétia résidence des rois sabins, comme avait fait le premier roi étrusque. Mais s'il eut un moment cette politique, il y renonça bientôt. Celle qui suivit pendant tout son règne fut au dedans l'oppression de tous, Sabins et Latins, plébéiens et patriciens. Mais au dehors il voulut s'appuyer sur les Latins pour dominer la puissance de la nation sabine, toujours hostile à l'ascendant étrusque, qui avait remplacé le sien. La haine, la défiance de Tarquin envers les Sabins se montrent bien dans le traitement qu'il fit éprouver à un duumvir portant le nom étrusque de Tullius. Celui-ci avait communiqué à un Sabin les prescriptions sacrées contenues dans un livre coniié à sa garde; Tarquin le fit mettre dans un sac et jeter à la mer
Den. d'Haï., ;x, 60. Denys dit que Tarquin n'avait pas consacre ce temple selon le rit romain. H avait suivi le rit sabin ou peut-être le rite étrusque.
Piin., t~.M< \M)v,)3.
Val. Max., ), 1, 13.
Continuateur en cela seulement de là politique de Servius Tellius, Tarquin voulut conserver la position que son prédécesseur avait prise à la tête de la confédération latine et fit. célébrer les féries sur le mont Albain les féries latines auxquelles assistèrent les représentants des quarante-sept cités les féries ou fêtes latines étaient une institution très-ancienne dans le Latium, -qui peut-être remontait aux Pélasges*. On immolait un bœuf, symbole antique des populations du Latium, puis on divisait son corps et chaque cité en avait sa part.
Les féries latines se célébrèrent toujours sur le mont Albano depuis Tarquin. C'est à lui qu'on peut attribuer l'érection du temple de Jupiter Latial, dont les derniers restes n'ont été détruits qu'à la tm du dixhuitième siècle par le dernier des Stuarts~. Tarquin pensa sans doute faire une chose agréable aux Latins, que hors de Rome il ménageait par politique, en rétablissant le culte de Jupiter Latial sur le mont Albain, anciennement consacré au culte du dieu protecteur de la confédération latine.
Den. d'HaL, [v, 49.
Leur origine était attribuée a Faunus, le représentant des Latins primitifs ou rattachée à la venue d'Énée.
3 Quelques pierres seulement ont été conservées, parce que les moines du couvent des passionnistes en ont eu besoin pour bâtir le mur qui soutient un jardin. Selon Piranesi, ta grandeur du temple était considérable, il avait deux cent quarante pieds de longueur, et cent vingt (la moitié) en largeur.
Servius, qui avait élevé à l'égalité les Latins de Rome, avait donné pour centre à toute la confédération le temple de Diane sur une des collines occupées par eux, l'Aventin. Tarquin, qui avait retiré aux Latins de la ville les droits politiques dont la constitution de Servius les faisait jouir, ne voulut pas qu'ils eussent sur leur colline de l'Aventin le lieu de réunion des nations latines et le reporta sur le mont Albain où il avait été primitivement, quand Albe existait. Le mont Albain, qui s'élève à trois mille pieds au dessus de la mer et domine tout le Latium, allait mieux au Superbe, visant dans tous ses monuments et dans tout son règne à la grandeur et à la magnificence, que l'humble Aventin, l'un des séjours de la plebs latine favorisée par Servius et méprisée par Tarquin. Tarquin voulait être comme Servius le chef de la confédération latine, mais, en cela différent du bon roi Servius, dans 1 intérêt de sa politique, il ne recula pas devant un meurtre.
Les chefs latins s'étaient réunis pour délibérer dans un bois sacré près la source de l'eau Ferentina Ad caput Ferentinas qnod est sub monte Albano. (Fest p. 241.) On reconnait en général l'eau ferentine dans le ruisseau qui coule au fond d'un ravin pittoresque et au pied des murailles noires de Marino. Mais la source caput doit être cherchée plus haut. Cette eau était dédiée, comme son nom t'indique, a Feronia, déesse des peuplades sabelliques, et en particulier des Sabins; ce qui montre que ce lieu avait été occupé par des pop)na)!oris sabines, mais il devait être la)in à l'époque où les Latins s'y assemblaient.
au-dessous d'Albe, ville consacrée autrefois à ces réunions, maintenant détruite, centre aboli de l'association latine, mais resté sacré dans les souvenirs, et dont, pour cette raison, on aimait toujours à se rapprocher. Au jour marqué pour l'assemblée, Tarquin n'y parut que le soir; dans son sans-gêne orgueilleux de despote, il pétait fait attendre toute la journée. Un chef sabin d'Aricie, Turnus Herdonius 1 indigné d'une telle insolence, éleva une voix libre contre cet homme qui se jouait du Latium rassemblé, et dont la conduite envers ses sujets n'était pas de bon augure pour ses alliés. Herdonius ouvrit l'avis que chacun retournât chez soi. Quand Tarquin parut, il s'excusa de son retard, il avait été occupé à réconcilier un père avec son fils, sur quoi l'opiniâtre Herdonius déclara qu'une telle affaire eût dû être terminée brièvement par ces mots « Malheur au fils qui n'obéit pas à son père ». Cette opposition véhémente d'Herdonius pouvait tenir à sa qualité de Sabin les Sabins étaient les adversaires naturels des Étrusques. Aussitôt Tarquin résont la mort du confédéré trop indépendant, pour frapper de terreur les alliés comme les Romains. Des esclaves gagnés déposent des armes dans la maison d'Herdonius. Le lendemain, le roi l'accuse de conspiCe nom Herdonius est sabin. Le Sabin qui une nuit s'empara (tu Capitole s'appelait tferdnnius. Il y avait uneviile d'Herdonia en pays sabe))ique. Turnus Herdonius serait donc d'une famille sabine ëhMie dans la ville )at<te d'~ricie.
rer contre lui, contre les chefs latins, et allégue en preuve de cette accusation les armes qu'on trouvera cachées dans sa demeure. On y trouve en effet les armes que Tarquin y avait fait mettre. H se rencontre toujours des gens disposés à croire que les ennemis des puissants sont des criminels. On inflige à Herdonius un supplice barbare, il est précipite la nuit, à l'endroit qu'on appelait la tête de la source de Fereniina, et l'on enfouit son corps sous des claies chargées de pierres amoncelées. Cette tragique histoire s'est passée dans le bois charmant de Marine.
Le matin suivant, les chefs étaient de nouveau réunis près de l'eau qui recélait le cadavre d Herdonius, et dont le murmure rappelait le sort de quiconque résistait à Tarquin. Profitant de la terreur dont les esprits sont frappés, celui-ci impose aux Latins un traité inégal. Tels étaient les moyens qu'employait la politique de Tarquin.
Un autre fait achèvè de peindre cette politique à la César Borgia.
Prés de Rome était Gabie, ville antique 1, d'une grande importance", peut-être anciennement pélasGabie est la première ennemie de Rome. La Subura, petite bourgade ligure, eut à se défendre contre elle. C'est contre elle que furent construits ce qu'on appelait le mur de terre des Cc/'M~, et peut-être l'agger de Servius Tuitius; c'était pf'nr veiller aux tentatives de Gabie que ce roi s'établit sur l'Esquilin.
Très-peuplée et tres-co~sidërahic, selon D~iy? d'Halicarnasse
gique et où paraissent s'être établis des Sabins et des Étrusques
Tarquin voulait soumettre Gabie. Pour y parvenir, il eut recours à la ruse son troisième fils, Sextus, feignit avoir à se plaindre et à se venger de son père, et vint offrir ses services aux défenseurs de Gabie. Reçu parmi eux, il est bientôt mis à leur tête, les séduit par ses libéralités, et achève dé les tromper en leur faisant remporter quelques avantages sur les troupes de Tarquin.
(!v, 53), qui avait vu les restes de son enceinte. Il subsiste de Gabie quelques ruines.
Solin (n. 10) lui donnait pour fondateurs deux frères siciliens, dont les noms sont grecs, Galatus et B:M~, et des premières syllabes de chacun de ces noms tirail le nom de Gabie, étymologie absurde; mais les deux héros grecs peuvent indiquer la tradition d'une origine pélasgique. Le nom de Gabie se rattache plutôt aux dieux Cabires, th'M Cs~M'M, dans une inscription trouvée près de là. C'est Gabie, dont le territoire était assez considérable pour être opposé au territoire romain, qui a donné son nom au monte Cavi (et non Cavo), MMM Ga&tM ou Ca/MM au moyen âge.
I.e culte de Junon, déesse sabine, anciennement existant, y révèle la présence des Sabins~ A moins que ce culte rappelât seulement la Junon pélasgique..
On ne saurait douter que Gabie ne fût, comme Tusculum et Ardée, un des points situés sur la rive gauche du Tibre, où s'étaient établis les Étrusques. C'est parce que l'aruspicine de Gabie était renommée que l'on supposait que Romulus et Rémus avaient reçu, disait-on, leur instruction augurale dans cette ville. Le champ gabinicn avait ses auspices, comme lechamp romain. (Van' De A. v, 33.) Nous avons vu que la manière de ceindre sa robe, appelée e:MC<M~ gabinus, était une coutume étrusque. [0. Mull., Bft' 26'7.)
Tout le mond~sait la réponse muette que fit celui-ci au messager de son fils, qui lui demandait un conseil, se contentant d'abattre sous les yeux du messager des têtes de pavots. Sëxtus'comprit d'autant rnjteux que les têtes de pavots étaient un des objets par lesquels l'adoucissement de ta religion avait remplacé les victimes humaines, et il fit tomber les têtes des principaux habitants de Gabie. Cette politique scélérate n'étonne point venant du meurtrier de Servius et de l'auteur de la mort de Lucrèce, mais il faut reconnaître que le stratagène employé par Sextus pour s'introduire dans Gabie rappelle celui de Zopire pour pénétrer dans Babylone 1, et l'apologue des têtes de pavots abattnes, un conseil du même genre donné par Thrasibule, tyran de Milet à Périandre, tyran de Corinthe'; peut-être ces deux faits ont-ils passé de la légende grecque dans la légende romaine, si elles ne remontent toutes deux à une légende commune et plus ancienne à une légende pélasge. Mais de ce que la tradition place un événement en deux endroits, il n'en suit point que cet événement ne se soi~passé nulle part. De ce qu'un jour Servius jeta, dit-on, un drapeau dans les rangs ennemis pour que ses soldats allassent l'y chercher, il ne s'ensuit point que le grand Condé n'ait pas jeté son bâton dans les lignes de Fribourg.
HcrodoL, ))t, 154.
Id., v, 96.
Un fait vrai peut se répéter dans l'histoire; un fait légendaire peut se reproduire dans la réalité. Tarquin déposa le traité qu'il fit avec Gabie, si déloyalement prise, dans le temple de Fidius 1, le dieu de la Bonne Foi, impudence qui méritait d'être conservée par l'histoire. On a même dit qu'il avait élevé ce temple à ce dieu. C'eût été de la part du parti de Tarquin un hommage bien hypocrite à là bonne foi*. Gahic, autrefois si puissante, était bien déchue à la fin de la république~; elle avait presque entièrement disparu au commencement de l'empire et Lucain 3 a chanté ses ruines comme Properce a chanté celles de Véies. Elle offre aujourd'hui d'assez remarquables ruines, qu'on croit appartenir au temple de Junon 8. Tarquin, aussi habile qu'il était pervers, cherchait à se créer des influences dans les villes du Latium. Pour le dominer plus sûrement, il donna une de ses filles à un personnage puissant de Tusculum, Odavius Mamilius Sabin d'origine.
Den. d'Ha)., n, 58.
tx, 60.
Cic., PfoPysMC., tx.
Hor.. Ep., t, 11.
Luc., Phars., \'n, 3')2.
° La Junon sabine, )a même que l'Hera pélasge. Ces ruines conservent donc le souvenir des deux p)us anciennes époques de Gabie, l'époque pëtasgique et l'époque sabine.
De ses deux noms, le premier, Octavius, était le nnm de la gens Oe/af/s, celle d'Auguste, et originaire de Velletri, payssabellique; le second, Mamilius, doit être sabin, soit qu'il vienne du dieu sabin
Nous avons déjà trouvé des familles sabines établies dans Albe et dans Aricie; nous en trouvons une à Tu~cuium. H semble en résulter que des familles sabines formaient en partie l'aristocratie des villes du ï~tium aussi bien que de Rome.
L'alliance de famille d'une fille de Tarquin avec un habitant de Tusculum ne saurait surprendre, car Tusculum, comme son nom l'indique, devait avoir eu quelque rapport avecl'Ëtrurie, et avoir été, si elle ne l'était encore, plus ou moins étrusque.
Tarquin, qui ménageait les Latins au dehors pour assurer sa domination sur eux, ne ménagea en rien les Sabins; il leur fit la guerre'. Mais sa principale entreprise fut dirigée contre un autre peuple de race sabellique, les Volsques.
Tarquin porta le premier !a guerre chez les Volsques il prit Suessa Pometia, leur métropole dans le voisinage des marais Pontins. Alors la frontière roMamers [MfMKertis filius, comme Mamercus), soit qu'il offre une autre forme de Manlius [Mani Mus; Manus, nom sabin). La tour Mamilia était dans la Subura, au pied de l'Esquilin, que nous avons vu avoir été habité par les Sabins Cette tour était celle à laquelle on allait clouer la tête du cheval sacrifié dans le champ de Mars, sacrifice qui appartenait à la religion sabine, comme le prouvent le choix de la victime, le lieu de l'immolation, et la coutume de porter la tête de ce cheval, quand ce n'était pas à la tour Mamilia, à la.Regia de Numa, et de faire dégoutter le sang de sa queue sur l'autel de la ('ëesse Sabine Vesta.
Den. d'Hal., n', 59. Tite Live ne parle pas de cette guerre. ° Strab., v, St.
maine n'est plus à deux lieues, comme sous Tullus Hostilius, mais à une vingtaine de lieues, et le premier pas est fait sur la route conquérante par laquelle le sud de l'Italie, la Sicile, la Grèce, l'Asie enfin devaient être ouvertes à l'ambition romaine. Deux villes volsques, seulement entrèrent dans la confédération latine. L'une d'elles, Antiurn~, touchant au pays latin, et originairement latine ou pélasge, ce qui est peut-être la même chose; l'antre, Ecetra, qu'on place à Monte-Fortino il, en fut de même des Herniques, population de la montagne, mais qui, parmi les autres nations sabelliques, joua toujours un rôle à part et fut presque constamment l'alliée de Rome. La vue du pays qu'occupaient les Herniques fait comprendre la politique qu'ils suivirent pressés et comme cernés par les Volsques, les /Eques et les Marses, ils durent chercher contre ces formidables voisins un appui dans l'alliance du peuple romain.
On parle aussi des deux colonies envoyées par Tarquin du même côté, l'une à Signia (Scgni), chez les Herniques; l'autre à Circeii (monte Circello). Je doute que sous Tarquin Rome lut assez peuplée A cause de son nom Antium, qui vient du grec BH< en face, en face de la mer, et des traditions qui rapportaient sa fondation à un fils d'Ulysse et de Circé (Den. d'HaL, i. 72), ou au Troyen Ascagne. (So)., n. 16.)
Abek-, M~Ht., p. 75. Nibby (Dint., i, p. 263) croit reconnaitre près de Monte-Fortino les restes d'Artena.
pour envoyer des colonies. Dans tous les cas, ce n'est pas une de ces colonies qui a construit les murs cyc!opéens, et pour moi pélasgiques, de Segni. Segni est avec Alatri et Norba la ville qui dans cette partie de l'Italie offre les murailles à polyèdres irréguliers les mieux conservées. Cette enceinte peut se suivre encore dans toute son étendue; elle est du style pélasgique le plus massif et par conséquent le plus ancien. D'ailleurs, nous connaissons l'architecture du temps des rois étrusques, cette architecture était étrusque; sous les rois, les murs deSignia eussent été construits, comme le furent ceux de Rome, en blocs quadrangulaires et non en blocs irréguliers.
Circeii fut d'abord une ville pélasgique, on le voit par les débris de ses murs à construction polygonale, et son nom la rattachait aux souvenirs d'Ulysse et de Troie. A Circeii nous rencontrons la tradition homérique localisée; nous mettons le pied sur la région de l'Odyssée, mais c'est l'extrémité de cette région vers 1 Occident; c'est le pays lointain et mal connu des Grecs, où ils reléguaient leurs fables. Homère, si exact dans la peinture des contrées que lui ou les chantres populaires ses devanciers ont pu connaître; Homère, à cette distance, à cet horizon confus et reculé du monde de sa poésie, ne sait plus rien de la vraie configuration des lieux; il appelle l'ite de Circé une terre ~t!Mc 1. Le Oiyss., xt, )35.
monte Circello, qui, en effet, vu de loin, semble détaché de la côte, n'esf pas une île, mais un promontoire qui élève à une assez grande hauteur son imposante pyramide
Virgile, qui avait vu de près le monte Circello en allant à Brindes avec Horace et Mécène, ne parle plus d'une M~, mais seulement de la terre de Circé H y place des bois solitaires qui retentissent des chants de la déesse ce sont les bois de chênes, de lauriers, de myrtes qu'on y voit encore; enfin il appelle Circé la fille du Soleil, peut-être parce que le mont Circello apparaît avant tout ce qui l'entoure dans les rayons du matin et semble chaque jour naître des feux du soleil. La tradition des enchantements de Circé est vivante au monte Circello. Tout le monde y connaît la magicienne Circé, qui habitait une forteresse sur le haut de la montagne. Ses regards fascinaient les voyageurs et les attiraient au moyen d'une drogue (~armaco) elle les endormait; avec une autre elle les réveillait. Vinrent deux frères: l'un fut endormi, le second feignit de dormir, puis il força la magicienne de boire la liqueur funeste, et avec la liqueur bienfaisante il ranima son frère.
Peut-être le nom de Circeii ëtait-H un nom pélasgique venu du mot kirkos (en grec cercle), à cause de la forme ronde du monte Circello, et cette circonstance topographique a-t-ene donné lieu à la tradition poétique qui a mis là Circé.
2 .'Eft., vn, 10.
Voilà ce qu'est devenue la tradition d'après laquelle Circé changeait les hommes en animaux, et fut contrainte par Ulysse de leur rendre la forme humaine. La grotte de Circé est très-redoutée aujourd'hui, d'après ce que raconte M. de Boustetten 1.
« Ayant proposé à quelques paysans de Circello de m'accompagner dans la grotte, ils refusèrent, lorsqu'un soldat à grandes moustaches étant venu à nous, je lui dis En voilà un qui ne nous refusera pas. Mais l'homme aux moustaches, ayant appris de quoi it s'agissait, s'enfuit à la seule proposition de nous suivre chez Circé. »
Ce fut avec l'argent pris chez les Yolsques*, disent les anciens, que Tarquin le Superbe bâtit le temple de Jupiter Capitolin, commencé par le premier Tarquin.
L'église d'Araceli, qui s'élève sur l'emplacement du temple de Jupiter, montre l'effet qu'il devait produire si l'on transporte par la pensée la façade du temple sur le côté opposé à la façade et au grand escalier d'Araceli.
Le temple était tourné vers le midi, tandis que la direction de 1 église est plus à l'est; tourné ainn ~!M'j/f Mf <M<rf </<M <M <~n!Mr< KM'e< /'EM~< p. 75. Ce buhn pouvait être considëraMe; tes Votsques, habitants des montagnes, mais qui être considérable; les Volsques, Labitants des montagnes, mais qui tenaient à la mer parleur portd'Antium, étaient une nation à la fois belliqueuse et naviga!rice, et le commerce maritime avait pu les enrichir.
le temple regardait le Forum. Du Forum on voyait les colonnes de la façade, les statues et le quadrige d'argile qui décoraient le faîte de l'édiSce. · Sans quitter le Capitole on peut se donner aujourd'hui le spectacle qu'on avait alors du Forum. Un basrelief, placé dans l'escalier du palais des Conservateurs représente le triple temple dédié à Jupiter, à Minerve et à Junon. Il est vrai qu'il fut refait plus tard, mais nous savons qu'on le rebâtit suivant l'ancien modèle. Il se composa toujours des trois cellas indiquées dans le bas-relief par trois portes
Le Capitole fut l'œuvre des Tarquins. Le Capitole, quel nom! toute la grandeur romaine est dans ce nom.
Il n'en subsiste rien aujourd'hui, si ce n'est quelques restes de ses substructions enfouies sous terre et quelques pans de murailles dans l'intérieur du couvent des Franciscains d'Araceli.
Mais nous connaissons son architecture et ses dimensions nous pouvons le reconstruire en idée et le contempler par l'esprit sur cette colline où rien ne le rappelle, mais qu'on ne saurait gravir sans émotion, car le Capitole a été là.
Le temple s'élevait sur une haute plateforme. Sa Unbas-reMefdumusëe du Louvre représente également le temple du Capitole.
disposition était celle des temples étrusques décrits par Vitruve', avec quelques modifications. En avant de sa façade étaient trois rangs de colonnes, et une seule file de colonnes le long de ses deux côtés H était presque carré, car sa longueur qui était de 200 pieds romains (à peu près le pied anglais), n'excédait sa largeur que de quinze pieds 3. Dans l'intérieur de la cella consacrée à Jupiter était la statue en argile de ce dieu, assise et tenant d'une main la foudre aussi en argile, de l'autre un sceptre, cet ornement royal de l'Étrurie.
L'on ne voit pas que Tarquin ait commencé un monument considérable, mais il était appelé à continuer ceux qu'avaient commencés ses prédécesseurs. En tout, il devait consommer à Rome les destinées de la monarchie étrusque.
Tarquin mit la dernière main au grand Cirque. Il termina presque le temple de Jupiter, dont les fondements avaient été jetés par le premier Tarquin. Il comVitr., iv, 7, 1. Le temple de Jupiter, composé de trois cellas, était plus large par rapport à sa longueur que les temples étrusques. Les trois rangs de colonnes de sa façade en comptaient chacun six. Le temple étrusque décrit par Vitruve en a quatre seulement. (Abek., mittelit., p. 221.)
On lui en donne deux d'après un passage de Denys d'Halicarnasse [tv, 61), mais il parait qu'il faut préférer la leçon du manuscrit Chigi et substituer cm~M à ~t~M.
Pen.d'Hat., n', 4~;Tit. Ltv t, 56.
p!éta le mur de Servius Tullius, et acheva le grand égout (Cloaca Maxima).
Un égout est le monument qui atteste le plus la puissance des rois étrusques, et celui qui leur a le mieux survécu.
J'ai dit que c'était aujourd'hui la mode en Allemagne de nier ou au moins d'amoindrir le plus possible l'influence de l'Étrurie sur les Romains. Quand on effacerait des auteurs anciens tous les passages qui attestent cette influence on n'aurait rien fait, si on ne supprimait la Cloaca Maxima, et ce ne serait pas une petite affaire.
Car la Cloaca Maxima est certainement un ouvrage étrusque; les matériaux dont elle est composée la construction de ses murs et de sa voûte sont étrusques.
La voûte, par laquelle l'architecture romaine se distingue de l'architecture grecque, la voûte est une imitation des Étrusques On la trouve assez fréquemment dans les monuments de l'Ëtrurie~ elle paraît Elle est comme les murs des rois en tuf, selon le mode étrusque. En plusieurs endroits où les égouts ont été refaits, on trouve l'emploi du travertin et même de la brique la présence du travertin a été signalée aussi dans la Cloaca M<M!MM, mais M. Abelfen (Mittelit., p. 171), la nie formellement. Dans tous les cas, le travertin ne prouverait rien autre chose qu'une réparation. Pour les briques, est-il bien sûr que les Étrusques, si habiles à manier l'argile, n'aient pas connu la brique employée anciennement en Asie et en Égypte? 0. müll., Etr., !,p. 258.
Dans des tombeaux, dans la citerne de Volterre, aux extrémités
avoir été étrangère à la Grèce 1; elle était inconnue aux Pélasges*.
Une partie de la Cloaca Maxima, dont la largeur est de vingt pieds*, existe encore parfaitement conservée; il n'y manque pas une pierre. Du côté où elle débouche dans le Tibre, on voit le triple cintre, de sa voûte; quand les eaux du fleuve sont basses, on peut y pénétrer en bateau, comme fit Agrippa lorsqu'il fut chargé par Auguste de l'inspection et de la réparation de tous les égouts.
Les anciens ont remarqué le caractère d'utilité des premiers monuments de Rome, et l'ont judicieusement opposé à la fastueuse inutilité des pyramides. Tite Live, Strabon, Pline, Cassiodore, en présence des anciens égouts, exprimaient un sentiment d'admiration que la vue de la Cloaca Maxima nous fait éprouver aujourd'hui.
Tite Live, parlant du cirque et des égouts construits par les Tarquins, disait « C'est à peine si notre magnificence moderne a pu égaler de tels travaux. » de l'émissaire d'Albano qui est étrusque, dans la Torre di SaintManno, près Përouse.' Dennys (Etr., t, 593) cite sur les bords de la Marta une voûte toute semblable & celle de la Cloaca Maxima, mais d'une dimension plus considérable. Les voussoirs ont cinq ou six pieds; ceux de la Cloaca Maxima n'ont que deux pieds et demi, la moitié. On l'attribuait à Démocrite, mais Démocrite est postérieur au règne de Tarquin.
Ils ont toujours en Grèce et en Italie, à Mycène comme à Arpinum, employé la fausse voûte à retrait, sans clef.
3 Tit. Liv., 56.
Strabon admirait ces canaux' souterrains dans lesquels on aurait pu faire passer une charrette chargée de foin.
Pline déclarait ce travail le plus grand de tous. Avec la pompe de son style et quelque exagération, il parlait de montagnes creusées en dessous, de la ville suspendue sur ces cavités, théâtre d'une navigation souterraine. Puis il s'écriait
a Le sol est ébranlé par la chute des édifices, par les tremblements de terre, et cependant ces constructions durent inexpugnables. »
Près de dix-huit siècles se sont écoulés depuis que Pline parlait ainsi, et ce qui l'étonnait nous étonne. Nous ressentons cette stupeur dont parle Cassiodore% et, durant bien des siècles encore, d'autres l'éprouveront après nous.
Oui, l'on est stupéfait de tant de grandeur et de solidité. Je ne croyais pas qujil fût possible d'admirer si fort un égout.
La Cloaca Maxima faisait partie d'un vaste réseau de conduits souterrains dont elle recevait le tribut qu'elle allait décharger dans le Tibre. Sous la république, on a dépensé en une seule fois pour le réparer une somme de cinq millions'.
Str., v, 3, 8.
Hist. nal., xxxvi, 2i; 1, 4.
Cass. Var., MTM, 2t; t, 4.
=' Cass. Var., Ep.M, 30.
Den. d'HaL, in, 67.
Sans doute cet ensemble d'égouts a été agrandi plus tard; mais tout ce qui servait à dessécher le Vélabre et ses dépendances remonte aux Tarquins, s'il ne remonte pas plus haut; car avant le desséchement toute cette partie de Rome était inondée.
Le système de conduits des Tarquins devait commencer au pied de l'Esquilin, dans la Subura, au delà du petit Vélabre.
Les poissons du Tibre, du temps de Juvénal, arrivaient jusque-là~.
D'autres rameaux descendaient du Capitole; d'autres encore venaient, en passant sous le Forum et le grand Cirque, aboutir au conduit principal'. Les égouts existèrent de bonne heure chez les Grecs*, et paraissent avoir été connus desPélasges~ mais la voûte de la Cloaca Maxima prouve ici une origine étrusque.
D'ailleurs, les Étrusques étaient très-habiles dans tout ce qui se rapporte à l'écoulement des eaux", leurs travaux de dessèchement vers les bouches du Pô étaient célèbres. On a dit même que la méthode d'assainissement au moyen des'cohnatc. qui de nos jours Juv., Sal., v, iOj.
Abek., Mitt. !'< p. 175, 192; Nibb., R. ant., t, p. 654.
Ceux d'Agrigente. 0. MuH., Man. d'oreM~ § 82.
Égouts d'Arpinum, ville où se voient des murs pélasgiques. (Murray, ?!)!<?. S. !(., p. 50 )
5 0. MilH., Etr., p. 236-51.
a rendu salubre le val di Châtia, était employée par les Étrusques.
Tout concourt donc à confirmer ce que nous apprend l'histoire et que l'œii confirme, savoir que la Cloaca Maxima fut l'ouvrage des rois étrusques En me laissant aller, après Pline et tant d'autres, à l'admiration qu'inspirent les restes de la Cloaca Maxima, j'ai oublié, comme il arrive trop souvent, à quel prix étaient achetés ces grands travaux qui font l'étonnement des siècles; des travaux pareils sont l'œuvre des despotes. Les despotes aiment la pierre; car la pierre est docile, les blocs se laissent entasser les uns sur les autres en édifices réguliers, image de l'édifice social que le maître trouve beau de construire à la toise et au cordeau en entassant par assises symétriques les hommes, et, quand le maître est guerrier, les cadavres. Le gigantesque sourit à leur orgueil, et puis Ils ont eu à Rome des imitateurs. Ce travail caché, mais utile, a été à toutes les époques poursuivi par les Romains, qui, dans leurs constructions, visaient moins à l'apparence qu'a l'utilité. A Rome, on a reconnu sur une foule de points des conduits souterrains quelquefois d'une grande étendue; au pied du Capitole, on en voit déboucher un du côté du Forum. Sur l'Aventin, les Dominicains de SainteSabine en ont découvert trois étages communiquant par des puits verticaux. Les papes ont continué en ceci, comme en plusieurs autres choses, l'œuvre des anciens Romains. Nulle ville, dit Nibby (R. ant., j, p. 654), ne peut se glorifier de travaux aussi considérables en ce genre. Elle est entre-coupëe en tout sens d'égouts anciens et modernes, de sorte que, si on en avait le plan sous les yeux, ce serait un inextricable labyrinthe. »
cela occupe le peuple, comme le fait sagement observer Denys d'Halicarnasse' après Aristote tandis qu'il est courbé sous les moellons, il ne songe pas à relever la tête; on le fait manoeuvre pour qu'il ne songe pas à être citoyen.
Le peuple souffrait beaucoup de ce travail forcé et qui s'exécutait par corvée; il avait été interrompu, ce semble, en grande partie du moins, sous Servius Tullius, et ce ne fut pas peut-être une des moindres causes de sa popularité. Les hommes savent parfois moins de gré au pouvoir de ce qu'il fait pour eux que de ce qu'il ne leur fait pas souffrir.
Ces travaux, repris par Tarquin avec l'impétuosité de son caractère, contribuèrent à le faire détrôner. L'histoire de la Cloaca Maxima joue un grand rôle dans l'histoire de la Rome des rois.
Le creusement des égouts, exécuté sous terre, dans des endroits humides et malsains, était odieux aux sujets de Tarquin.
Denys dHalicarnasse* tait adresser par Brutus aux Romains ces paroles
« Ils vous forçaient, comme des esclaves achetés, à mener une vie misérable, taillant la pierre, coupant le bois, portant d'énormes fardeaux et passant vos jours dans de sombres abîmes. »
Il fallait que la condition de ceux auxquels Tarquin Den. d'Haï., n'. 44. V. Schwegt., K. Gesch., t, p. 78!-2.
S'.
imposait ces travaux fût bien misérable; car plusieurs, poussés au désespoir par les fatigues de la corvée, aimèrent mieux se tuer que de continuer un tel labeur. Mais Tarquin, ne voulant pas qu'on pût échapper à sa tyrannie même par la mort, fit crucifier les cadavres des suicidés.
Tarquin avait cru, en livrant le peuple à un travail constant, le détourner des révolutions; il s'était trompé et cela même fut la cause de son renversement.
Quand du Ponte-Rolto on considère le triple cintre de l'ouverture par laquelle la Cloaca Maxima se déchargeait dans le Tibre, on a devant les yeux un monument qui rappelle beaucoup de grandeur et beaucoup d'oppression. Ce monument extraordinaire est une page importante de l'histoire romaine. Il est à la fois la suprême expression de la puissance des rois étrusques et le signe avant-coureur de leur chute. L'on croit voir l'arc triomphal de la royauté par où devait entrer la république.
Les prodiges qui, selon les doctrines de l'Étrurie, annonçaient un changement dans la société, ne manquèrent pas d'apparaître. La tradition en rapporte plusieurs tous ont un caractère étrusque, ce qui porte à croire qu'ils furent mis en circulation par les prêtres de cette nation, et que ces prêtres eux-mêmes se détachaient d'un roi par qui la religion avait été opprimée.
Ce sont des vautours, c'est-à-dire des faucons qui chassent un aigle de son nid. Ceci rappelle les prétendus vautours de Romulus, au nombre de douze, que nous avons vu se rapporter à la divination de l'Étrurie. L'aigle, qui surmontait le sceptre des Tarquins, était l'emblème de la royauté étrusque. Un serpent sortit d'une colonne et fit fuir le roi. Le serpent apparaît souvent aux mains des mauvais génies dans les représentations étrusques. Dans les mains des prêtres, il était un moyen de terreur.
Le soleil change de direction, et, au lieu d'aller d'orient en occident, va d'occident en orient.
L'empire allait en effet passer de l'Étrurie, qui est au couchant, à la Sabine, qui est un peu à l'orient de Rome; car ce furent; nous le verrons, surtout des Sabins qui détrônèrent les Tarquins. N'était-ce pas un augure sabin qui avait mis en circulation la menace prophétique de ce symbole? 1
Tarquin, saisi d'inquiétude, se tourne alors vers un autre sacerdoce pour en obtenir des prédictions plus favorables. Il s'adresse à l'oracle de Delphes, avec lequel la ville étrusque de Caere était déjà en relàtion, ce qui pouvait tenir à son origine pélasgique, origine qui -était également celle de Tarquinii.
Il n'y a donc nulle raison de s'étonner que Tarquin, dont la famille, venue de Tarquinii, était originaire Voy. t. p. 295.
TARQUIN LE SUPER'BE.
de Corinthe, ait envoyé consulter l'oracle suprême des nations helléniques.
Ce n'est pas d'ailleurs la seule trace de rapports entre la Grèce et Rome au temps des rois.
Ces rapports ne furent considérables et réguliers que plus tard; mais ils existèrent dès lors partiellement, dans une mesure qu'il faut reconnaître, mais qu'il ne faut pas exagérer.
Nous avons vu un chef étrusque, Mastarna, importer de l'Italie méridionale à Rome une constitution grecque. De l'Italie méridionale, probablement de Cumes colonie grecque, vint aux Romains leur alphabet, employé dans un traité conclu par ce même Mastarna devenu le roi Servius Tullius, traité dont Denys d'Halicarnasse~ vit l'original ou au moins une reproduction conservée dans le temple de Diane sur l'Aven~in. C'est à Cumes qu'alla mourir Tarquin. Les Phocéens, qui devaient fonder Marseille, visitèrent Rome en passante
A ces rapports antiques de la Grèce et de Rome se rattache certainement l'histoire des livres sibyllins -vendus très-cher à Tarquin par une femme inconnue. L'origine des oracles sibyllins parait remonter aux Voy. 0. Müll., Elr., n, p. 512.
Den. d'Hal., tv, 26.
S Ce fait, rapporté par Justin (tun, 5), mérite quelque confiance; car Justin est un abreviateur de Trogue Pompée, et celui-ci, originaire de la Gaule méridionale, parait avoir été particulièrement renseigné sur tout ce qui concernait les origines massaliotes.
Pélasges', comme celles des-oracles de Dodone et des sorts de Préneste. Apportés en Italie~ par les popula. tions grecques qui s'établirent dans sa partie méridionale, ils vinrent de Cumes à Rome. Près du lieu où fut Cumes, on montre encore aux voyageurs une prétendue grotte de la sibylles.
La plus ancienne des sibylles est fille de Dardanus, et par là se t'attache à la race pélasgique dont Dardanus est le représentant, à l'Ida, séjour de Dardanus et où existent de grandes murailles pélasgiques. Niebuhr rapproche les oracles sibyllins des anciens oracles des cités grecques. (?<<. R., i, p. 283-4, trad. française.) On a pu penser que les oracles sibyllins avaient été apportés à Rome par les Phocéens, parce que ces livres furent mis en rapport avec le culte d'ApoIlun, auquel les Phocéens élevèrent un temple à Massalie; mais, avant d'être conservés dans le temple d'Apollon, les livres sibyllins étaient conservés dans le temple de Jupiter. D'ailleurs, le culte d'Apollon ne fut introduit à Rome que sous la république. Il est donc plus probable que ces livres furent apportés à Rome de Cumes, dont les relations avec Tarquin sont connues, et où ils étaient venus, disait-on, d'un pays pélasgique, Érythrée, patrie de la sibylle (Den. d'Haï., i, 55), dans le voisinage de l'Ida. (Serv., ~M., vt, 36, 321.)
Déjà, au second siècle de notre ère, on montrait dans les environs de Naples aux touristes paiens, comme Pausanias, ou aux voyageurs chrétiens, comme saint Justin, la grotte de la sibylle et même son tombeau. Aujourd'hui on donne pour avoir été l'antre fatidique un tunnel percé dans la montagne, analogue à la grotte de Pausilippe, et en partie comblé. (Murray, B<!M< S. << p. 392, 406.) Le souvenir populaire de la sibylle s'est curieusement mêlé à un souvenir d'un genre bien différent celui d'Abailard, dont la renommée, répandue par des étudiants italiens qui étaient venus l'entendre à Paris, était parvenu jusque-là et avait passé à l'état légendaire. Une vieille batelière de Naples me disait, en me montrant les restes du môle de Pouzzole,
Tarquin déposa les livres sibyllins dans un lieu souterrain au-dessous du temple Capitolin. Il y a dans l'intérieur de la colline plusieurs souterrains dont l'origine remonte peut-être aux carrières de tuf d'où sont sorties les premières constructions de la Rome des rois. C'est ainsi que dans les anciennes villes grecques on déposait dans les acropoles les oracles primitifs analogues aux oracles des sibylles 1 Auguste enleva les livres sibyllins au Capitole pour les placer sur le mont Palatin, au pied duquel il était né, où fut toujours sa demeure, dans le temple d'Apollon, son dieu de prédilection.
Le Capitole avait été la colline des rois et de la république le Palatin devint la colline des empereurs. Les sibylles, dont le berceau était en Asie, furent identifiées en Italie avec les prophétesses latines, qu'on supposait rendre leurs oracles près des sources sulfureuses, et qui, à cause de la couleur blanchâtre de ces eaux, portaient le nom d'Albunea. C'est ainsi que l'on a donné le nom de sibylle à l'Albunea latine de Tibur, et de là est venue cette dénomination de Temple de la Sibylle imposée à tort au charmant édifice qui couronne si élégamment la chute retentissante de l'Anio à Tivoli.
qu'une sorcière (maga) avait construit cela pour Pierre Abailard (Petro Bailardo). Ce n'était, du reste, pas beaucoup plus faux que d'appeler ces ruines, comme on le fait encore, le pont de Caligula. 1 Nieb., loc. cit.
Les sibylles, ces êtres fatidiques plus anciens que la venue des Pélasges, étaient encore honorées à la fin de l'empire, au quatrième siècle, dans le Forum; auprès des anciens rostres, se voyaient les statues de trois sibylles confondues alors avec les trois Parques, et appelées les trois Destinées (tria fata), les trois fées. Car ce mot /<ï(<f est le mot italien qui veut dire fée; notre mot fée a la même originel
Le christianisme a adopté les sibylles: il a vu en elles le symbole d'un pressentiment de la venue du Christ au sein de l'ancien monde païen. Cette idée, qui avait de la grandeur, a donné naissance aux livres sibyllins apocryphes où beaucoup d'événements ont. été prédits après coup.
De là aussi la fameuse prédiction de la sibylle annonçant à Auguste l'avènement miraculeux du Sauveur qu'une Vierge doit enfantera
La légende a placé cette scène au Capitole, là même où est l'église d'Araceli, dans laquelle s'en est conservée la mémoire.
Tout près, dans la galerie de tableaux du Capitole, on peut voir, sur une petite toile.de Peruzzi, la sibylle, Le pluriel, fata, les destinées, a fait le singulier, fata, la Me, comme M<M, les bouches (du Tibre), a fait ostia, Ostie. On a attribué le même pressentiment prophétique aux druides. Ils auraient rendu un culte à la Vierge qui devait enfanter Tt~n: pah<Mra', et c'est au lieu où ce culte aurait été célébré que s'élèverait la cathédrale de Chartres.
avec un geste assez inspiré, montrant à Auguste la sainte Vierge et l'enfant Jésus dans le ciel. Mais c'est ailleurs qu'il faut chercher les sibylles de l'art chrétien; il faut aller admirer dans l'église de la Pace les belles sibylles de Raphaël; il faut aller à la Sixtine contempler avec stupéfaction les terribles sibylles de Michel-Ange; elles alternent avec les prophètes dans le prodigieux plafond de la Sixtine comme dans l'hymne lugubre du jugement dernier Dies :ras dies !~<ï, la sibylle figure à côté de David Teste David CMm sibylla.
Nous voilà bien loin de notre sujet; mais nous ne sommes pas sortis de Rome, et au Capitole, au Forum, au Vatican, nous avons suivi dans la tradition et dans l'art toute l'histoire des sibylles depuis Tarquin jusqu'à Raphaël.
Aux relations de la Rome des rois avec la Grèce se rattache un autre fait qui, s'il était véritable, serait plus important pour l'histoire romaine que l'achat des livres sibyllins par Tarquin.
Il est possible et même assez vraisemblable que Tarquin ait envoyé consulter l'oracle de Delphes, il ne l'est point que Brutus ait joué dans cette circonstance le rôle d'imbécillité simulée que l'histoire lui a prêté. On a remarqué qu'au moment du la révolution Brutus était tribun des Célères, dignité éminente qu'on n'eût point confiée à un homme qui aurait passé pour idiot. Un tel personnage n'eût pas non plus été chargé
d'aller consulter l'oracle. On dit, il est vrai, que les fils de Tarquin l'avaient emmené avec eux pour se divertir de ses absurdités; mais c'est donner à une chose grave un motif puéril.
La fable de la feinte stupidité de Brutus s'explique par son nom, qui pouvait recevoir une interprétation défavorable, bien que ce nom pût se prendre aussi dans un autre sens et exprimer la gravité, l'énergie Ce sens était, je n'en doute pas, le vrai sens du nom de Brutus.
Mais, comme un tel nom prêtait à l'équivoque, une légende a pu se former qui fit de Brutus le grave, le courageux, Brutus l'insensé. Il est possible qu'elle n'ait été qu'une exagération de la tacitumité prudente d'un parent suspect à Tarquin dont celui-ci avait fait périr le père et le frère aîné, et qui cachait, sous une apparence d'impassibilité, le désir de la vengeance. Dans tous les cas, on comprend que la version injurieuse de la légende ait été adoptée et propagée par le parti du roi que Brutus avait détrôné, et qu'elle ait passé de la tradition étrusque dans l'histoire romaine. Tout ce qui avait précédé préparait une révolution prochaine. Les misères de la corvée n'en furent pas la seule cause et n'auraient pas suffi à l'amener. Brutum antiqui gravem dicebant. (P. Diac., p. 31.) Gravis se prenait pour {ortis. Cette acception du mot gravis devait être ancienne; car Servius, qui nous la fait connaître (~tt., tn, 45S), cite Salluste, amateur, comme on sait, du vieux langage.
Il faut que le peuple souffre pour qu'une révolution soit possible; mais, hélas le peuple souffre toujours. Il faut donc quelque chose de plus il faut que le mécontentement pénètre dans les régions élevées de la société. Pour atteindre une tyrannie, le coup doit partir à la fois d'en bas et d'en haut. Brutus, qui renversa Tarquin, oppresseur du peuple, était, par sa mère, neveu du roi; Brutus était un prince du sang. Les plus pauvres des plébéiens détestaient le superbe et cruel despote qui les accablait d'un travail disproportionné à leur force, et qui, s'ils voulaient s'y soustraire par la mort, les livrait sur le gibet aux oiseaux de proie.
Si Tarquin n'avait eu affaire qu'à la foule misérable qui creusait ses égouts, il eût pu l'opprimer longtemps mais les patriciens ne lui pardonnaient pas d'être monté au trône par un coup d'État sanglant sans qu'ils eussent prononcé.
Les Latins voyaient en lui le destructeur de la constitution de Servius, par laquelle ils étaient devenus égaux en droits aux Sabins; pour les Sabins il était un étranger appartenant à cette race étrusque dont les rois s'étaient mis à la place des rois de leur nation. Il n'avait rien fait pour adoucir leur ressentiment; au contraire, il l'avait aigri par son orgueil et ses violences. La haine, en divisant Sabins et Latins, avait servi l'ambition de Tarquin; la haine, en les rapprochant, le renversa.
Tarquin avait donc excité une détestation universelle quand le crime de son fils Sextus souleva toutes les âmes et arma tous les bras.
Ce n'était pas assez de la misère et de l'oppression des pauvres, de l'irritation des grands, de la haine nationale des Sabins et des Latins contre les rois étrusques; il fallut encore la colère contre un lâche attentat, et la pitié mêlée d'admiration qu'inspirait cette femme s'immolant à la chasteté violée.
C'est un beau trait de la nature humaine que les révolutions généreuses éclatent seulement lorsque le sentiment moral est offensé par quelque grande iniquité. Le malaise les prépare, l'indignation les consomme.
L'histoire de Lucrèce, admirablement racontée par Tite Live, est connue de tout le monde; je ne la raconterai pas après lui. Cette belle histoire est vraisemblable je ne vois rien à y changer. Je ne ferai pas comme ces savants allemands qui ont supposé que Lucrèce vraiment coupable s'était tuée pour se dérober au jugement de ses proches'.
C'est renouveler le crime de Sextus, comme Voltaire, en souillant le nom de Jeanne d'Arc, a imité les soldats qui voulurent la déshonorer dans sa prison. La pureté de la pucelle d'Orléans, la chasteté de Lucrèce, font partie du trésor moral de l'humanité. Schwcgt, R. Gesch., ), p. 80H.
Je n'ai qu'une chose à dire sur l'événement qui précipita du trône le second Tarquin.
Pour donner à cet événement toute sa portée historique, il faut lui rendre son caractère national, que se sont gardés de mettre en relief les écrivains latins. Tout dans cet événement fut sabin.
Lucrèce, dont on a fait le type de la matrone romaine, était Sabine. Ce type lui-même de chasteté, de dignité conjugale, ce n'est pas sur le Palatin qu'on devait l'aller chercher parmi des femmes d'aventuriers et de bandits; les récits qui couraient sur leur compte étaient d'une autre nature. Acca Larentia, la nourrice et peut-être la mère de Romulus, passait pour avoir été une lupa, en donnant à ce mot l'acception fâcheuse dont la trace s'est conservée dans ~MpaKar. Une autre tradition, à peine plus honorable, faisait d'elle une courtisane enrichie par la faveur d'Hercule 1. Tout porte à croire que Lucrèce était Sabine. D'abord son nom, dérivé de celui de son père, qui ressemble au nom du mont Lucrétile, mont sabin Une tradi1 Plut., Quxst. &M: 35.
Et à celui du lac ~CfM en pays sabellique. J'ai parlé de ce nom d'IIostus, qui est un nom sabin. (Voy. t. I, p. 4M.) Or je trouve plus tard un Lucretius Ho8tifilius. Le prénom du père de Lucrèce, Spurius, est sabellique car il est ombrien et se trouve en Étrurie, comme beaucoup de noms ombriens, sous la forme Spurina, nom d'un devin au temps de César. Les surnoms des Lucretius ont la terminaison en a et la terminaison en o, qui caractérisent les surnoms sabins Ofella, comme Sylla; Vespilio, Trio; comme Scipio,
tion l'attribuait à t'épouse de Numa', fille de Tatius. Lucrèce vivait dans une ville sabine, Collatie\ Collatie était un fief que le premier Tarquin avait donné à son frère. Ce frère, qui s'appelait Aruns, avait pris le nom d'Egerius, nom sabin, car il est le même que celui de l'Égérie de Numa~. Lents d'Egerius, Collatin, avait succédé à son père dans la possession de Collatie, dont il portait le nom, comme on portait le nom d'un fief au moyen âge; peut-être aussi parce qu'il y était né.
Il y avait épousé la fille d'un chef sabin du pays, Lucretia.
Ceci posé, l'histoire de Lucrèce acquiert son véritable sens.
deux surnoms des Cornelii, gens sabine établie sur le Quirinal. Il y a un Lucretius Flavus, tribun consulaire en 575. Flavus, qui veut dire blond, est un surnom caractéristique fréquent dans les familles sabines ce mot entre dans le nom des Flaviens, que l'on sait avoir été Sabms.
Plut., Numn, 21.
Tit. Liv., ), 38. Collatia et quidquid circa CoMatiam agrierat Sabinis ademptum. Il y avait une Collatia en pays sabellique, dans l'Apulie. (Pl., BMt. nat., m, 16, 4.)
On ne peut prendre au sérieux l'étymologie degerius, tirée d'egere, manquer, parce queEgerius était né pauvre (Den. d'Haï., m, 50), pas plus que celle de Collatia, exCollatd pecuniâ, par qu'onytransporta l'argent des autres villes [P. Diac., p.5t) apparemment avant qu'elle eût un nom. Le nom de Coliatia vient de collis, parce qu'elle était sur plusieurs couines Et Collatinas imponent montibus arces. (Virg., ~Ea., vi, '!74.) Le mot Cotlis était sabin, car c'était le nom du Quirinal, d'où porta CûMfM/
Le genre de vie de Lucrèce à Collatie, où elle file bien avant dans la nuit, opposé à la dissipation des épouses des jeunes princes, c'est l'austérité des coutumes sabines opposée à la mollesse et au relâchement des mœurs de la Rome étrusque.
Sextus a les mmurs de sa nation, représentées toujours comme sensuelles et dissolues. L'hospitalité confiante avec laquelle il est reçu, l'odieux abus qu'il fait de cette hospitalité, sont de nouveaux traits du même contraste, tel que la tradition ou la poésie populaire, encore cette fois évidemment sabines, s'étaient complu à le présenter.
Dans Tite Live, tout le drame de la mort de Lucrèce a Collatie pour théâtre.
Denys d'Halicarnasse la fait venir à Rome pour se tuer, ce qui n'a pas de motif. Il faut laisser le lieu de la scène dans la petite ville sabine de Collatie d'où Lucrèce n'avait nulle raison de sortir, d'où peut-être elle n'était jamais sortie.
Collatie était certainement voisine d'un site connu des peintres, Lunghezza dont le paysage tranquille va bien au souvenir de la paisible vie que menait là l'épouse de Collatin.
Son souvenir est dans ces lieux immortalisés par sa vertu Lst~c pM~CttKp celebres.
Tit. Liv., i, 58.
H. Rosa vient de constater que Collatie était sur l'emplacement même de Lunghezza. (Rome, février 1861.)
Il ne faut pas chercher à Rome une représentation par l'art de l'histoire si dramatique de Lucrèce qui puisse faire revivre cette histoire dans sa vérité. Ce ne sera point à coup sûr le tableau de Cagnacci, remarquable par la couleur, mais non par la coM~Hf hi-~orique. On y voit Sextus menacer Lucrèce de son poignard dans un costume très-moderne, et qui ressemble assez à un uniforme de fantaisie.
Pour Lucrèce, elle. est nue, ce qui a épargné au peintre un second anachronisme de costume. Comme Lucrèce était Sabine, Brutus était Sabin. Ce nom de Brutus se retrouve chez les peuples sabelliques. Un chef samnite s'appelait Brutulus~ Papius. Les Brutiens descendaient des Samnites 2. On a encore d'autres raisons de croire Brutus Sabin de ses deux fils, l'un s'appelait Titus, prénom des Flaviens; l'autre, Tiberius, prénom des Claudes, deux familles sabines
Tit. Liv., vni, 59. Brutus et Brutulus, même nom, comme Romus et Romulus.
2 Str., vi, I, 2. Les auteurs grecs les appellent Brettiens; c'est le nom (Str., vi, 1, 4) que leur donnèrent les Lucaniens, et qui voulait dire fugitifs dans leur langue, langue sabellique. Les Brettiens passaient pour descendre de Brettios, un héros, fils de la déesse sabellique Valentia, et dans l'idiome messapien existait un mot très-semblable, brention, qui voulait dire une tête de cerf. H y avait entre brettios et brention la même ressemblance qu'entre servus et cervus. Selon Silius Italicus (Punie ym, 561), Brutus était né aCollatie. Un de ses fils, suivant Plutarque (Publ., 6), s'appelait Valerius, nom certainement sabin.
Je crois que la gens Junia, à laquelle appartenait Junius Brutus, ~tait sabine.
Junius vient de Juno, et Junon, nous l'avons vu, était le nom d'une divinité des Sabins.
Le père de Brutus avait un prénom sabin, Marcus Quoi qu'il ait pu advenir plus tard, les Junius étaient originairement patriciens
Or, à cette époque, patriciens et Sabins, c'était à peu près la même chose.
Pour Valerius, qui depuis fut appelé Publicola, et qui assista à la mort de Lucrèce, il était incontestablement Sabin, comme tous les Valerius, et probablement parent du père de Lucrèce. Lucrèce ne dut appeler au récit et à l'héroïque expiation de sa honte que des hommes de sa iamille" et de sa nation. Tout dut se passer entre parents et entre Sabins. Brutus, NeM!M, de Mars, comme AfsmerciM de Mamers. Mars et Mamers sont les deux noms d'un dieu sabin; d'où vient aussi Martius ou Marc<MM, surnom du roi sabin Ancus. A cette époque, un prénom sabin indique une famille sabine.
Sans cela, comment un Junius aurait-il épousé une fille et une sœur des Tarquins? La noblesse aes juun etait si ancienne, qu'on les faisait descendre d'un compagnon d'Énée. (Den. d'Hal., iv, 68.) Les Junii plébéiens, dont l'un d'eux fut le meurtrier de César, ne descendaient pas du premier Brutus, mais d'un Junius qui, profitant de la ressemblance de son nom avec celui d'un consul mort quinze ans avant, prit aussi, sans y avoir aucun droit, le surnom de Brutus. (Den. d'Haï., vi, 70.)
s Cum. Injuriam suam in concilio necessario~ n deplorasset. (Val. Max., vt, 1, 1.)
neveu des Tarquins, comme Collatin, et Sabin, par son nom, devait s'y trouver à ce double titre 1.
La tragédie de la mort de Lucrèce s'accomplit donc sur le territoire sabin; son chaste intérieur était un intérieur sabin; ses vengeurs furent Sabins comme elle, et ce fut un poignard sabin que le Sabin Brutus retira du cœur de la Sabine Lucrèce.
C'est dans le Forum de Collatie que Brutus fit apporter le corps de la victime de Sextus et jura l'abolition de la royauté.
Il alla bien à Rome, mais ce fut pour convoquer les patriciens dans le Comitium, en vertu de sa charge de tribun des Célères.
Puis il s'adressa à tout le peuple de ce lieu élevé* E qui dominait le Comitium et le Forum, et qu'on appelait le Yulcanal, pour faire prononcer la déchéance et l'exil des Tarquins.
Le roi assiégeait alors Ardée. Ardée était une ville ancienne et très-florissante', dont l'origine péiasgique ne semble pas douteuse*, habitée par les Rutules, peuple sabellique 5, et qui t Ilm~xMTK ~!f xKT& -o; ~r~. (Cedron., t, 149.)
Den. d'Haï., tv, 76.
s Tit. Liv., i, 57; Den. d'Haï-, 'v, 64.
Cette opinion est confirmée par le culte que les Ardéates rendaient à Junon, l'Héra d'Argos (Pl., Hist. ?M< mv, 57, 4), et par la tradition qui donnait à leur ville pour fondateurs des Argiens venus avec Dardanus. (Virg., En., TU, 572.)
Turnus, roi des Rutules, est fils de Venilia, épouse de Janus
avait subi quelques influences de l'Étrurie'. Elle se trouvait alors en guerre avec le dernier roi étrusque.
En apprenant ce qui se passait, Tarquin accourut à Rome; il trouva la révolution faite et les portes fermées. Il retourna bien vite au camp devant Ardée; mais Brutus l'y avait devancé par une autre route et l'armée, lasse peut-être du siége, s'était prononcée en faveur du fait accompli. C'est une chose singulière que la facilité avec laquelle le pouvoir en apparence le mieux établi tombe quand son heure est venue.
Tarquin se retira d'abord à Gabie, chez son scélérat de fils. Mais l'inventeur de l'apologue des têtes de pavots abattues dut y être reçu peu favorablement. De là il se réfugia d'abord à Tarquinii et à Caere, où la sé(Virg-, ~En., x, 76.) Virgile les appelle gens Dannia (ib., nu, 146), et Silius Italicus (PMM!C., vin, 557) sacra manus rutuli, allusion au Ver sacrum des nations sabelliques.
Les peintures d'Ardée, plus anciennes que Rome, dont parle Pline, devaient être des peintures étrusques. Ardée a un double agger l'agger, formé d'un fossé et d'un relèvement en terre, paraît se rattacher au sillon sacré qu'on traçait autour des villes suivant le rite étrusque. On voit à Ardée des débris de vieux murs construits à la manière étrusque. (Nibb., Dint., i, p. 334-5.) 11 y avait en effet deux routes pour se rendre de Rome à Ardée l'une en sortant par la porte Capène et en prenant à droite; ce fut depuis la Via Ardeatina. L'autre en sortant par la porte Trigemina et en prenant à gauche; c'est à peu près la route actuelle. Tarquin suivit l'une et Brutus choisit l'autre pour ne pas le rencontrer et arriver avant lui.
pulture d'une famille qui paraît être celle des Tarquins a été retrouvée
Les Romains, comme les Anglais, aimaient à conserver les dénominations antiques, même quand elles ne représentaient plus rien. Ce nom de roi, ce nom détesté et à jamais proscrit, fut laissé à un personnage sacerdotal qu'on appela le roi des sacrifices, le roi sacrificateur 2.
Mais on eut soin de le soumettre au grand pontife, de peur que son titre ne conservât trop d'importance. Sa demeure était sur la Velia, là où avaient habité les deux derniers rois sabins et les deux premiers rois étrusques comme si on eût voulu perpétuer le souvenir de l'humiliation de la royauté en abandonnant sa demeure à un fonctionnaire religieux du second ordre qu'on appelait, non sans une certaine intention dérisoire, le roi.
Le 24 février, anniversaire du jour où la révolution s'était accomplie, on céléhrait une fête appelée la Fuite du roi. Ce jour-là, le roi des sacrifices venait Ce nom, écrit TaM~M, y est répété une trentaine de fois. (Denn., Sep. cy Etr., u, p. 44.)
Rex sacrificiorum (Tit. Liv., )ï, 34, 12); Rex sacrificus (M., XL, 42, 8); ou Rex sacriûculus. (Id., n, 2.)
5 Il ne faut pas confondre l'habitation du roi des sacrifices sur la Velia, où est l'arc de Titus, et la Regia, demeure du grand pontife, plus loin, sur la voie Sacrée, près du temple de Vesta, un peu avant d'arriver au cloître de Vesta, qu'a remplacé l'église de Sainte-Marie-Libératrice.
dans le Forum, et, devant leComitium offrait un sacrifice, puis s'enfuyait, en mémoire de Tarquin, qui avait fui le Comitium
En présence de cette chute de la tyrannie de Tarquin, je pense que, malgré la loi qui protège les morts contre l'histoire, il me sera permis de prononcer un jugement sévère sur sa mémoire. Il le faut bien, car la tyrannie est si fort du goût de certaines âmes, qu'elle trouve des apologistes même quand elle ne réussit pas.
L'envie de se distinguer du vulgaire, de s'élever audessus des lieux communs de la conscience, porte parfois de beaux esprits à soutenir des thèses fâcheuses qu'on ne doit point laisser passer sans les combattre.
C'est ce qu'a fait un très-bel esprit allemand. M. G. Schlegel dans un discours apologétique en faveur de Tarquin le Superbe, qu'il a placé à la suite
1 Le roi, en offrant ce sacrifice )a à peu près où est la colonne de Phocas, regardait le Comitium et était tourné vers la façade du temple de Jupiter Capitolin.
Ce sacrifice se faisait sous la direction du grand prêtre; il était offert en l'honneur de Janus, et les Saliens y assistaient. (Marq., B<!)t~iv,p.259.) Janus, dieu sabin, les Saliens, prêtres sabins, figuraient dans le r~t/'M~<Mm en mémoire du rôle que les Sabins avaien joue dans l'expulsion de Tarquin. Le Comitium avait été choisi en signe du caractère aristocratique de cette révolution.
5 A. W. Schlegel's recension von Niebuhr's Romischen Geschichte in den Heidelberg Jahrbücher der Litteratur. [l!!i6, p. 899.)
d'une réfutation plus prétentieuse que profonde de l'histoire de Niebuhr.
La défense de Tarquin roule sur deux points principaux.
La révolution qui le renversa fut accomplie par des patriciens; elle fut faite au profit de l'aristocratie. Rome était plus puissante sous son dernier roi qu'elle ne le fut d'abord sous la république. Ce sont là deux incontestables vérités.
Oui, ce furent des patriciens qui détrônèrent Tarquin mais ils furent les vengeurs et les libérateurs des plébéiens opprimés. On ne voit pas que ceux-ci aient fait le moindre effort pour le défendre, et quand un effort fut tenté pour le rappeler, ce furent des patriciens qui le tentèrent.
A cette époque de l'histoire romaine, on ne rencontre nulle part un nom plébéien; il n'y a pas encore de noms plébéiens. J'ajouterai même, ce qu'on ne dit point d'ordinaire, que ce furent les grandes familles sabines qui prirent l'initiative de la révolte, et je ne doute pas qu'une haine nationale contre la race étrusque, qui avait dépossédé la leur de la royauté, ne soit entrée pour beaucoup dans cette révolution. Mais, si la royauté de Tarquin a été détruite par des Sabins, ce fut apparemment à la satisfaction de la population latine; car je ne sache pas que la tradition latine ait conservé la trace d'aucune sympathie pour le roi déchu. L'exagération même des torts qu'elle lui a
prêtés et que ne dément nul témoignage, cette exagération, si on veut l'admettre, prouve la vivacité des sentiments populaires, comme -l'absence de témoignages contradictoires prouve leur unanimité. D'ailleurs, la constitution de Servius, qui ne tenait nul compte de la race, fut rétablie par la classe et la race victorieuses.
J'accorderai que l'aristocratie fut dure et superbe comme le roi qu'elle remplaçait; cela n'empêche pas que ce roi l'ait été, et il n'en est pas moins vrai que Rome gagna beaucoup au changement, car elle y gagna la liberté.
Tout vaut mieux que le pouvoir absolu d'un seul. C'est tant qu'il dure un mal sans remède et sans espérance avec la liberté, il y a toujours possibilité de remède et motif d'espérance.
Contre le pouvoir absolu d'un seul, on ne saurait lutter; on peut lutter contre les privilèges et l'orgueil d'une aristocratie. Or c'est la lutte plus encore peutêtre que le triomphe qui est bonne pour développer l'énergie morale d'un peuple; et ce qui fait la valeur d'un État politique, c'est, avant tout, le développement de cette énergie.
La meilleure condition pour un peuple, c'est peutêtre d'avoir à combattre une aristocratie sans la détruire. Telle fut durant ses plus beaux siècles la condition de la république romaine, telle a été jusqu'à ce jour la condition de l'Angleterre.
Il est facile d'être juste pour le bien que peut faire l'aristocratie, quand on n'en veut point à cause du mal qu'elle entraine et qu'on écrit dans un pays où elle n'est plus à redouter.
Je pourrais dire que, dans lefs deux que je viens de citer, elle a maintenu la suite dans les desseins et la fierté dans les caractères; mais je ne veux parler ici que des avantages qu'elle a eus comme obstacle, obstacle qui peut, il l'a fait à Rome et en Angleterre, céder graduellement et jouer le rôle de ce qu'on appelle en terme d'horlogerie l'échappement, qui n'empêche pas l'aiguille d'avancer, mais la force d'avancer avec régularité.
Sans doute une démocratie assez intelligente pour se modérer elle-même n'a pas besoin de ce modérateur, qui, je n'ai certes nulle raison personnelle de ne pas le reconnaître, offre de grands inconvénients; mais, il ne faut pas l'oublier, l'idéal des sociétés humaines, vers lequel doivent tendre tous les peuples, l'union de l'égalité et de la liberté, ne s'est montrée encore en grand que dans un seul pays, aux ÉtatsUnis, et là même les inconvénients de la démocratie absolue se font sentir.
Il serait coupable de regretter l'inégalité, qui en soi est une chose inique; il serait insensé de vouloir la rétablir là où elle est impossible, comme en France; en France, d'ailleurs, l'aristocratie fut trop souvent servile, mais il ne faut pas oublier que la démocratie peut l'être.
Une démocratie qui n'aime pas la liberté consolide le despotisme.
Une démocratie animée de l'esprit de liberté finit toujours par conquérir, même sur la plus fière et la plus tenace aristocratie, l'égalité.
Voyez à Rome. Le patriciat était fondé en partie sur la conquête et s'appuyait sur la supériorité sociale et même numérique de la race dominante, seule en possession des choses sacrées et du droit complet de la famille. Il avait le privilége de tous les honneurs, et, qui plus est, du gouvernement.
Les plébéiens descendaient pour la plupart de vaincus et de transports; quelques-uns de gens sans aveu et de fugitifs. On ne les admettait pas à la participation des fonctions religieuses ou civiles; on ne daignait pas s'unir à eux par le mariage; ils étaient, comme des étrangers, tolérés dans la cité.
Eh bien, cette situation détestable que la tyrannie de leur dernier roi leur avait faite ou plutôt leur avait rendue en détruisant l'œuvre passagère de Servius Tullius, et que la république à son avènement n'avait guère modiSée; cette situation, par suite de la lutte des deux ordres, changea complètement.
Le patriciat, après les avoir défendus opiniâtrement, finit par abandonner tous ses privilèges, et les plébéiens finirent par obtenir la complète égalité des droits, parce que le germe de vie avait été déposé dans
la société romaine le jour où le. pouvoir absolu, qui est la mort, était tombé.
Les apologistes de Tarquin font remarquer que Rome atteignit sous lui un haut degré d'influence au dehors et de splendeur au dedans; que, dans les commencements de la république, l'ascendant sur la confédération latine fut diminué, l'extension du territoire arrêtée; que l'on ne construisit plus de &i grands édifices, que l'on n'eut plus un commerce aussi étendu.
Tout cela est vrai; mais par le fait de la liberté, bien qu'imparfaite d'abord et proclamée dans des circonstances fâcheuses par des chefs qui la voulaient surtout pour eux; par cela seulement que le sentiment de la liberté était entré dans les cœurs, que quelques-uns délibéraient, que tous pouvaient réclamer, que les citoyens avaient retrouvé leur âme depuis que la volonté d'un seul ne la remplaçait plus, la vraie grandeur, la grandeur de l'individu, devint possible.
Le peuple romain, a dit Florus, était un enfant mais les langes qui avaient emmaillotté l'enfant furent déchirés; il put se débattre, il marcha.
Ce peuple se fortifia par une lutte incessante, il grandit, et eut bientôt regagné ce qu'il avait un moment perdu; il reprit son ascendant sur ses voisins, Proa'm., et ailleurs in cuni8 Mi~MM.
et finit par étendre son empire à toutes les nations. C'est que la lutte c'est la vie. Il ne faut pas se lasser de répéter aux hommes ce qu'Alvarcs dit dans Alzire aux Américains dont il \ient de briser les fers « Soyez libres! vivez! »
DEUXIÈME PARTIE
LA RÉPUBLIQUE
[
GUEfiRE D'AFFUANCDISSEHENT
I.e consutat. Les biens priyës des Tarquins confisqués, jugement de Tite Livc. Champ de Mars, origine prétendue de l'île Tibérine.Conspiration, exécution des fils de Brutus dans le Forum. Buste de Brutus. Temple élevé par Brutus à la déesse Carna. Mort de Brutus. Valerius Publicola soupçonné à l'occasion de sa maison sur la Velia.- Dédicace du temple de Jupiter, fermeté Sabine. Porsena occupe la citadelle du Janicule. Le pont Suhlicius, Horatius Coclès, histoire de sa statue.- Hutius Scsevola, les prés de Mutius. Clélie, sa statue sur la Velia.- Bataille livrée par Aruns aux Ariciens, tombeau d'Aruns. Rue et quartier étrusques, origine de ce nom.- Porsena a été le maître à Rome. Pour uoi la confédération latine embrassa la cause de Tarquin. La gens sabine des Claudii passe aux Romains. Bataille du lac RëgiUc, emplacement du lac, apparition et temple de Castor et Pollux. Dédicace du temple de Saturne.
La révolution qui venait de s'accomplir était surtout l'insurrection d'une race. Les Sabins reprenaient l'empire que leur avaient enlevé les Étrusques l'aristocratie, presque entièrement sabine, triomphait. Elle eût pu se donner un roi de sa
nation; mais ce nom de roi était devenu odieux à tous; et d'ailleurs une aristocratie, quand elle est. toute-puissante, n'aime pas à se détrôner au profit d'un de ses membres. Celle-ci préféra donc tirer de son sein deux chefs annuels qu'on appela consuls. La pensée de la république n'était peut-être pas nouvelle on la prêtait à Tullius Servius; on croyait même qu'elle s'était manifestée après la mort de Romulus'. Rome trouva chez ses ennemis l'exemple de ce qu'elle-même exécutait; depuis un certain temps, l'Étrurie avait remplacé la royauté à vie de son chef suprême par l'autorité de magistrats renouvelés chaque année.
On a remarqué aussi que, vers le même temps, plusieurs villes grecques de l'Italie méridionale s'étaient soulevées contre leurs tyrans.
A Rome, tout s'opérait dès lors par transition et par compromis. Les consuls furent décorés des insignes de la royauté, et, pour ne pas effrayer les imaginations inquiètes de ce qui pouvait la rappeler, il fut décidé que chacun des consuls porterait seul et tour u tour ces insignes pendant un mois.
On avait besoin de ~appui des plébéiens, dont les uns étaient riches et les autres étaient pauvres. Pour plaire aux riches, on remit en vigueur la constitution de Servius qui mesurait l'intluence dans les votes à Cic., De Rep., i), 12.
On l'a nié; cependant !e rétablissement des assemblées par cen-
la richesse; pour gagner les pauvres, on leur livra les biens privés de Tarquin. Cette politique pouvait être habile, mais elle n'était pas généreuse'.
Les gouvernements nouveaux s'honorent en respectant le droit de propriété dans les gouvernements tombés". Selon Tite Live, le sénat, mu par un sentiment d'équité, avait pensé d'abord que les biens privés des Tarquins devaient leur être rendus. Les envoyés du roi qui les réclamait, ayant profité de leur séjour à Rome pour ourdir la conspiration à laquelle prirent part les fils et les beaux-frères de Brutus, les sénateurs, emportés par la colère, dit Tite Live, abandonnèrent cette proie au peuple, afin qu'il perdît tout espoir de paix avec ceux qu'il aurait dépouillés~.
Malgré ce motif peu honnête, il est vrai, d'une telle spoliation, le grave historien ne semble pas l'approuver, et cherche à l'excuser par la conduite déloyale des envoyés.
Une tradition rapportait une cause invraisemfuries est un fait incontestable. Or toute la constitution de Servie était là.
H y eut aussi des violences exercées contre les partisans des Tarquins. (Cie., De Rep., t, 40.)
2 C'est ainsi que le gouvernement né de la révolution de 1850 conserva Chambord à H. le duc de Bordeaux et fit droit à certaines réclamations de la reine Caroline Bonaparte au sujet, je crois, de ''Ë!ysce.
Tit. I.iv., u, 5.
hlable de la formation de l'île Tibérine. On disait que Tarquin avait fait ensemencer le champ de Mars, celte plaine qui encore sous Auguste séparait le fleuve de la ville. et dont la Rome moderne couvre la plus grande partiel le sénat l'avait réservée aux exercices équestres, et ordonné que les blés déjà coupés et placés sur l'aire fussent jetés dans le Tibre. On ajoutait que les eaux du neuve n'avaient pu entraîner cet amas de paille et de grains, et. accumulant alentour les alluvions, avaient donné naissance à l'île qu'on voit encore aujourd'hui au milieu du Tibre. tl est difficile de lui reconnaître une pareille origine. Une île qui renferme une église, un couvent et un hôpital, n'a guère pu être formée autour de gerbes amoncelées. La rapidité du fleuve et sa profondeur s'y opposent également*.
D'ailleurs, on voyait dans cette île un temple consacré au dieu latin Faunus et une statue dédiée au dieu sabin Sancus, ce qui semble indiquer qu'elle avait été occupée à l'époque des Latins primitifs et à l'époque sabine, c'est-à-dire antérieurement à l'époque de Tarquin.
Le champ de Mars s'étendait vers le nord au delà de l'enceinte de la !icms actuelle, du côté de Ponte-MoUc; car Strabon (v, 5, S) place le lieu où fut brute le corps d'Auguste <M< M!<M« du champ de Mars.
L'effet du courant rapide du fleuve est plutôt de détruire des îles que d'en former. C'est ainsi qu'une petite île a été entraînée par la violence des eaux en d788.
En ce qui concernait le champ de Mars, le droit des Romains était meilleur que pour les autres propriétés des Tarquins.
Le champ dédié a Mars, dieu national des Sabins, et vers une des extrémités duquel s'élevait l'autel de ce dieu, avait probablement, dés le temps des rois sabins, été consacré à la religion, puis avait conservé en partie cette destination sous les premiers rois étrusques, et même après que Tarquin le Superbe l'avait usurpé; car il est question d'une vestale qui en donna une partie au peuple romain
Le champ,de Mars était le lieu où tout ~e peuple se rassemblait en centuries pour les élections. Tarquin s'en était emparé en supprimant ces assemblées instituées par Servius.
Ces assemblées étant rétablies, le champ de Mars retournait naturellement au peuple.
Les consuls complétèrent le sénat, qu'avaient décimé les cruautés de Tarquin en y faisant entrer des plébéiens et des chevaliers*, c'est-à-dire des Latins et des Sabins'
Ainsi était de nouveau scellée la fusion entre les races, œuvre de Servius, et à laquelle avait concouru Plut., /'MM., 7. Bêcher ~s~ i, p. 655) pense qu'il s'agit peut(;tre ici d'un Ca'mpiM T~f~'MMi au delà du Tibre. Mais ce champ est appelé (Gel! A'. /t~ Vf. 7) T~M'MHm ~'e ~<!T<fm.
Tit. Liv.,n. 1.
Yoy. t. !,p. 48t. 1.
l'oppression que Tarquin avait, fait peser en commun sur elles.
Alors un grand danger vint menacer la république.
Les envoyés de Tarquin à Rome y tramèrent une conspiration à laquelle prirent part plusieurs jeunes gens appartenant aux grandes familles sabines' alliées à la famille royale, deux fils et deux beaux-frères de Brutus, neveux de Collatin.
La conspiration fut découverte pendant la nuit. Le matin qui suivit, Brutus était de bonne heure assis sur son tribunal au pied du Capitole; il fit comparfutre devant lui ses deux fils, les condamna et les fit mettre à mort en sa présence dans le Forum. De même, au moyen âge, en Italie, les exécutions eurent souvent lieu sur la place publique qui servait de marché.
Outre les deux fils de Brutus, sont nommés les Vitellii et les Aquilii. Les Vitellii étaient frères de la femme de Brutus; leur nom ~tait sabin. Vitlu est le nom que les peuples sabelliques gravèrent sur leurs monnaies pendant la guerre sociale. On trouve sur les monnaies osques Viteliur. Il en est de même des Aquilii, neveux de Collatin; leur nom venait d'aquilus, noir, sombre, d'où aquila, l'aigle (Paul Diac., p. 22, 26), et Aquilo Je veut noir, comme nous disons la bise. Aquilus, qui ne se trouve pas dans les auteurs latins, et ~M!/<?, étaient des mots sabins. L'aigle, en Italie, vit dans les montagnes; il a dû être nommé par les peuples qui habitaient les montagnes, c~ ces peuples étaient sabelliques. D'autre part, je trouve un C. Aquifius Tuscus, consul en 267. Les Aquilii étaient une famille sabine alliée a une famille étrusque.
Je me représente avec un frisson d'horreur cette terrible scène. Brutus assis sur la plate-forme du Vulcanal et impassible; les rigides patriciens au-dessous de lui dans le Comitium; plus loin, dans le marché, la multitude émue que sa dureté étonne; au milieu du marché, ses fils attachés au poteau; la hache du licteur qu'il regarde abattre la tête de l'un, puis la tête de l'autre; à sa gauche, le temple de Jupiter élevé par les Tarquins sur une tête coupée; à sa droite, le temple du dieu qui dévorait ses enfants, le temple de Saturne.
Brutus vit battre de verges et décapiter ses fils sans détourner la tête, sans changer de visage, sans montrer la moindre émotion.
Plutarque va plus loin', et dit que, pendant le supplice de ses fils, il ne cessa de les regarder avec colère.
Les anciens ont admiré cette insensibilité. Les Romains regardaient toute émotion tendre comme une faiblesse. L'impassibilité de Brutus leur semblait une vertu. On blâmait Cicéron des regrets passionnés qu'il donnait à sa fille, et lui-même était près de s'en accuser. Pour nous, la tendresse de Cicéron l'honore; nous consentirions à admirer un père qui, pour obéir à son devoir, condamnerait ses fils et les regarderait mourir, à condition qu'il en souffrit beaucoup. Pour les Romains, il était beau que Brutus ne souffrît Ptut., P/tM., G.
pas ou. du moins ne parût pas souffrir. A cet égard, nous valons mieux que les Romains.
Peut-être vais-je manquer de respect envers la mémoire de Brutus;mais dans cette affectation d'insensibilité, dans l'empressement avec lequel il vient lire les lettres surprises de ses fils et les fait fi apportes premiers, je crains, outre les deux sentiments que lui prête Virgile, l'amour de la patrie et l'amour de la gloire', d'eu surprendre encore un autre, le besoin de donner un gage à la république. Les républiques naissantes sont soupçonneuses. Collatin, parce qu'il s'appelait Tarquin, fut obligé de s'exiler sur l'invitation de son beau-père et de Brutus lui-même. Brutus aussi tenait aux Tarquins par sa mère et par sa femme, nièce de Collatin. Ne voulut-il point rassurer les défiances auxquelles Collatin fut sacrifié, et aller au-devant de ces défiances qui auraient pu l'atteindre? Je ne compare point un supplice juste à la mort de Louis XVI et Brutus au duc d'Orléans; mais la situation était la même. Elle ne fit point commettre à Brutus un crime, mais peut-être lui fit-elle déployer un plus grand appareil de sévérité.
Si je voulais amuser par un contraste entre la réalité antique et l'art moderne, analogue à celui dont j'ai parlé, à propos du tête-a-tête de Lucrèce et de Sextus, tel que l'a représenté le peintre Cagnacci, je Vincit a~tM'pf?~ /<mcf«m~ immeuM Mp.'f~.
citerais un petit tableau de, Lippi dans lequel Brutus est représente en pantalon collant et en bottes violics'. J'aime mieux conduire mon lecteur au pa<'a~ des CottserM~M)' et me placer avec lui devant l'admirable buste en bronze du premier Brutus. Ce buste peut être ressemblant une statue en bronze, œuvre d'un artiste étrusque (alors il ne s'en trouvait pas d'autres à Rome), fut placée au Capitole à côté des statues des rois.
Rien ne prouve que cette statue n'existait plus a l'époque où la tête du fondateur de la république fut gravée sur les médailles de la gens Junia, qui prétendait descendre de lui, et le buste a pu être fait d'après ces médailles. Les images en cire des ancêtres ont pu aussi transmettre et conserver dans cette famille l'image d'un ancêtre vrai ou supposé. Celle-ci semble faite d'après un moule en cire pris sur le visage du mort, coutume qui n'était pas inconnue aux Romains*. IL est donc permis de voir dans le buste du Capitole un vrai portrait de Brutus~; il est difficile d'en douter en le contemplant.
Dans la galerie du palais Pitt.i, a Florence.
Les images des ancêtres, placées 'dans l'atrium des maisons romaines, n'étaient pas des statues, mais seulement des masques en cire. (0. MûU., M<nt.d'~cA., 183.)
Le style est de la fin de la république. Le buste a dû être exécute quand le meurtre de César par le second Brutus ravna la mémoire du premier.
Voilà bien le visage farouche, la barbe /<trsM~ les cheveux roides collés si rudement sur le front, la physionomie inculte et terrible du premier consul romain la bouche serrée respire la détermination et l'énergie; les yeux, formés d'une matière jaunâtre, se détachent en clair sur le bronze noirci par les siècles et vous jettent un regard fixe et farouche. Tout près est la louve de bronze. Brutus est de la même famille. On sent qu'il y a du lait de cette louve dans les veines du second fondateur de Rome, comme dans les veines du premier, et que lui aussi, pareil au Romulus de la légende, marchera vers son but à travers le sang des siens.
Le buste de Brutus est placé sur un piédestal qui le met à la hauteur du regard. Là, dans un coin sombre, j'ai passé bien des moments face à face avec l'impitoyable fondateur de la liberté romaine.
Cet homme, d'une énergie formidable, passait pour avoir élevé sur le Caelius un temple à la déesse Carna ou Cardea, qui présidait au cœur, aux entrailles, aux parties vitales, à l'énergie physique et à l'énergie morale, que l'on confondait.
La déesse Carna était une de ces divinités chargées de veiller sur quelque partie de l'organisation, qui, ainsi que toutes celles qui se rapportaient à un détail de l'existence physique, était véritablement roNon hzc barbula qua iste (Clodius) delectatur, sed illa horrida qnam in statuis antiquis et imaginibus videmus. (Cic. pro M. Mio, 14.)
malne', faisait partie de la croyance indigène et n'avait point été communiquée, comme les grandes divinités, aux Sabins et aux Latins par les Pélasges. C'est pour cela que le temple de Carna s'éleva sur le Cselius, mont Latin depuis Tullus Hostilius. Carna était une divinité populaire du foyer qui défendait les enfants des êtres malfaisants. Brutus lui avait voué un culte, sans doute parce qu'il se regardait comme le protecteur du berceau de la république. Passionnément attaché à sa patriotique entreprise, Brutus, après lui avoir sacrifié ses fils, donna pour elle sa vie.
Il tomba dans la première bataille livrée par les Romains aux maîtres qui voulaient de nouveau les asservir. Tarquin était allé implorer le secours dé Tarquinii et de Véies. Ce secours lui fut accordé. Ces deux villes étrusques armèrent pour rétablir à Rome le pouvoir d'une famille étrusque. Brutus accourut pour les repousser. Les deux armées se rencontrèrent sur le territoire sabin 2. Aruns, un des fils de Tarquin, et Brutus, fondirent l'un sur l'autre, et/emportés par leur furie, se percèrent mutuellement de leurs lances. Carna ou Cardea fut mise par les Sabins en rapport avec leur dieu Janus. (Ov., F<Mt., v<, 101 et suiv.)
C'était dans unpré appelé, comme Brutus lui-même. Junius. près d'un bois consacré au héros Horatius. Nous avons vu que Brutus et &M-a<<!M étaient Sabins. Près de là était la forêt Arsia, nom qui parait également avoir été sabin. Voyez plus loin.
Les matrones portèrent le deuil de celui qui avait \engè la pudeur de Lucrèce'.
Après sa mort, les soupçons populaires, toujours prompts à s'éveiller, se portèrent sur son collègue Valerius. C'était cependant un Sabin de la vieille roche, il avait toujours soutenu vigoureusement Brutus contre les faiblesses de Collatin, qui voulait sauver ses neveux quand Brutus condamnait ses fils, et il devait mériter ce nom de Publicola ami du peuple, qu'a porté une église de Rome, Santa-Maria de Ptt~tco~s, voisine du palais de la famille, Santa-Croce, qui prétend descendre de Publicola.
Malgré tous ses droits à la faveur populaire, Valerius fut soupçonné, parce qu'il habitait une maison qu'on trouvait trop grande sur la Velia, cette bamcur 1 Elles voulurent â sa mort prendre son nom et s'appeler ~M~. Le mot Brutus, qui, nous l'avons vu, avait divers sens en latin, est devenu l'italien ~f!<«c, qui veut dire laid. Les Romaines de nos jours ne désirent certainement pas être appelées brutte, et ce nom ne leur convient nullement.
Et non f/eMcc~, ami des plébéiens. Ce qui lui fit donner son surnom, ce fut son respect pour les craintes de tous, plébéiens et patriciens, qui redoutaient également le retour de la tyrannie, ce fut surtout la loi Valeria, qui maintenait le droit de provocation au peuple. i;ous Tullus Hostilius, c'était l'appel aux curies patriciennes, maintenant aux centuries, à la fois plébéiennes et patriciennes, qui étaient le peuple, le véritable peuple, c'est-à-dire tous les citoyens investis des droits politiques. Quand Appius Claudius se Et démagogue pour devenir tyran, il flatta les plébéiens qu'il voulait tromper. Celui-là, on l'appela Plebicola. (Tit. Liv., m, 33.)
que l'on distingue à peine aujourd'hui, et dont l'arc de Titus marque le sommet.
Quand on lit l'histoire de Valerius en présence des lieux tels qu'ils sont de nos jours, on a peine à comprendre la susceptibilité du peuple romain et les passages des auteurs anciens qui se rapportent à la Vélia.
On disait que la maison de Valerius, bâtie sur un sommet escarpé qui dominait le Forum', serait une citadelle inexpugnable
Pour se rendre compte des ombrages qu'elle inspirait, il faut songer que la Velia a bien changé d'aspect elle a été presque aplanie pour faciliter le passage des triomphateurs qui avaient à la gravir d'un côté et à en redescendre de l'autre quand ils venaient du grand cirque au Capitole, et pour donner une base horizontale au temple de Vénus et de Rome construit par Adrien.
Mais, dans l'origine, la Velia comptait parmi les sept collines du S~:HMH<!Mm, comme le Palatin, et, si l'on descend jusqu'au sol antique du Forum, on trouve que la cime de la Velia, même abaissée comme elle est aujourd'hui, s'élève encore de cinquante-trois pieds 3 au-dessus de lui.
Lorsque cette hauteur était plus grande et la col*,Plut., Publ., 10.
s Tit. Liv., n, 7.
Beck., Dg-MMf. et Port. 7}om., p. 45; Nst: p. 252.
line taillée à pic, on conçoit qu'une maison placée à sa cime parût dominer le Forum et le menacer, Ainsi le spectacle des lieux, qui semble être en désaccord avec la tradition, cesse de la contredire quand on étudie leur histoire.
Il fait plus, il la confirme; car, si cette tradition n'eût été contemporaine de l'état ancien des lieux, on n'eût pas imaginé plus tard des circonstances que leur disposition changée ne suggérait plus.
L'inquiétude que faisait naître l'habitation de Valerius avait encore une autre cause. La Velia avait été la demeure de deux rois sabins, Tullus Hostilius et Ancus Martius, puis des deux Tarquins. Les Valerius y étaient établis depuis plusieurs générations probablement avec leurs clients, ce qui explique pourquoi leur demeure était si vaste. Ils y avaient leur sépulture de famille. C'était donc une petite bourgade sabine.
Quand les patriciens se rassemblaient dans le Comitium et les plébéiens dans le marché, ils voyaient au-dessus de leur tête comme un château-fort sabin voisin de l'une des demeures de ces rois étrusques qu'ils venaient de bannir.
Ces souvenirs d'oppression produisaient leur crainte aussi bien que la position menaçante de la demeure féodale des Valerius.
Le sentiment d'effroi qu'elle leur causait était pareil à celui qu'inspiraient aux Romains du moyen âge
les tours des barons, que le peuple, dès qu'il était le maître, se hâtait de démolir.
Valerius n'attendit pas qu'on se portât à cette extrémité, et il vint habiter au pied de la Velia. C'est le premier triomphe des plébéiens sur l'aristocratie romaine et la première concession de cette aristocratie. Car c'était aux plébéiens qui se réunissaient dans le marché placé immédiatement au-dessous de la Velia, c'était à eux que leur origine latine devait surtout rendre suspect un lieu fortifié par la nature et redoutable par l'occupation héréditaire des Sabins. L'histoire du temple de Jupiter est étroitement liée à l'histoire de la révolution qui fonda la république. Les travaux auxquels le tyran condamna le peuple pour l'achever plus tôt contribuèrent à soulever contre lui les populations opprimées. Mais il ne lui fut pas donné de dédier ce temple, oeuvre magninque de sa puissance. Le superbe fut puni dans son orgueil. A un consul obscur, Horatius Pulvillus, échut l'honneur qui était refusé au glorieux despote. La liberté consacra le monument qu'avait élevé la ty rannie.
Ce que l'on raconte de cette dédicace montre chez le Sabin Horatius cette dure et froide énergie que déjà fait paraître un autre Sabin, Junius Brutus, et que les hommes de cette race infusèrent dans le caractère romain.
Tit. Liv., n, 8.
Valerius Publicola, collègue d'Horatius, était absent de Rome; il avait conduit l'armée contre les Véiens. Les Valerii et les Horatii étaient les deux principales familles sabines; toutes deux se firent remarquer dans les commencements de la république par leurs sentiments populaires. On les a comparées aux grandes familles whigs d'Angleterre. Une autre famille, les Claudii, viendra bientôt de la Sabine représenter !n hauteur et la résistance aristocratiques des plus opiniâtres torys:
Les Valerii souffraient impatiemment que la gloire de dédier le temple échappât à leur illustre chef Publicola, et voulurent en priver Horatius par un stratagème. Tandis qu'il prononçait l'invocation, on vint lui annoncer la mort de son fils 1; mais lui, sans s'interrompre, dit
« Eh bien, qu'il soit cadavre! ? » (cadaver sit!) et continua la cérémonie.
Malgré la surprise et la douleur, sa main, qui, selon le rite sacré, tenait le jambage de la porte du temple, ne le lâcha pas.
Deux villes seulement de l'Ëtrurie, toutes deux voi*sines de Rome, et auxquelles elle avait déjà fait la guerre, Véies et Tarquinii, prirent d'abord parti pour la famille dépossédée. Les Tarquins trouvèrent Serv., vt, 8; xi, 2.
bientôt un auxiliaire plus puissant dans le lar ou roi de Clusium (Chiusi), Porsena.
Ot. Müller pense que Porsena a fait la guerre aux Romains pour son propre compte, et, au lieu de vouloir ramener Tarquin à Rome, est venu dans le dessein d'y prendre sa place, ce qui est assez vraisemblable 1.
Quel qu'ait été le motif qui ait porté Porsena à faire la guerre aux Romains, le récit de cette guerre est une belle légende, pleine de poésie et d'invraisemblance, faite à la gloire des Romains, et pour cacher un événement qu'on ne saurait révoquer en doute Rome tomba de nouveau, au moins pour un moment, sous la domination des Étrusques.
Je vais suivre le récit de la légende ou du poëme qu'ont suivi Tite Live et Denys d'Halicarnasse. Je montrerai ensuite en quoi elle a visiblement altéré l'histoire.
En effet, l'expédition de Porsena contre Rome ne semble nullement liée à la restauration des Tarquins. Ni Tarquin ni ses fils n'y figurent comme ils figurent dans la guerre entreprise en leur faveur par les Latins, et qui finit par la bataille du lac Régille. Porsena, qui est dit avoir embrassé leur cause, l'abandonne bien légèrement. Ot. Müller (~ p. 122) croit même que la guerre de Porsena fut faite contre les Tarquins, et se rattache à l'inimitié des Étrusques de Clusium contre ceux de Tarquinii. C'est ailler trop loin, car il en résulterait que la tyrannie aurait été renversée à Rome par les armes d'un roi étranger, et que deviendrait alors toute l'histoire de Lucrèce et de Brutus, à laquelle je ne crois pas qu'une critique raisonnable permette de renoncer?
Tarquin, qui allait partout mendier des ennemis à sa patrie, se rend à Clusium auprès du puissant lar Porsena, et l'excite à venir défendre les droits des souverains menacés en sa personne, l'engageant à ne pas permettre que l'usage s'établit de chasser les rois', lui représentant que la liberté était une douce chose; que, si l'on n'y prenait garde, elle finirait par s'établir partout, et que, si les rois ne défendaient les rois contre elle, tout serait bientôt nivelé; que partout régnerait une déplorable égalité; que c'en serait fait de la royauté, la plus belle chose parmi les dieux et les hommes.
Pendant que j'écris, plusieurs adressent des représentations toutes pareilles aux Porsenas de l'Europe en faveur des Tarquins de l'Italie, avec cette différence que ce qu'ils voudraient empêcher de s'établir dans ce pays c'est bien la liberté, mais c'est aussi une royauté nationale.
A l'approche de Porsena, une grande terreur se répand les paysans de la campagne se réfugient sur les collines voisines de Rome, où les consuls font élever à la hâte des camps fortifiés pour les recevoir*. Le sénat, dit Tite Live, redoutait les citoyens autant que l'ennemi; il craignait que la plebs, effrayée, n'ouvrit aux rois les portes de la ville et n'acceptât la paix avec la servitude.
Tit. Liv., < 9.
Den. d'Hal., v, 22.
Cette crainte, qu'on peut toujours avoir, était fondée car l'amour de la première a souvent fait accepter la seconde.
De plus, la plebs était originairement composée de Latins, qui, malgré le mécontentement inspiré par le dernier Tarquin, ne pouvaient éprouver contre les Etrusques la même haine que l'aristocratie, encore presque entièrement sabine; car ce n'était pas aux Latins, mais aux Sabins que les Étrusques avaient enlevé l'empire.
Le sénat fit alors à temps ce que les pouvoirs menacés font presque toujours trop tard. II prit plusieurs résolutions agréables aux plébéiens; il envoya acheter du blé chez les Yolsques et jusque dans la ville grecque de Cumes; il retira aux particuliers le droit de vendre le sel; l'État le vendit à meilleur marché; le sénat soulagea le peuple des douanes et des impôts. Grâce à ces mesures, la concorde fut grande entre les citoyens et le désir de se défendre unanime. Porsena s'empara du mont Janicule.
C'était occuper la citadelle de Rome; premier aveu échappé aux historiens de la gravité d'une situation qu'ils n'ont pas présentée sous son véritable jour. Ici commencent les épisodes héroïques de cette guerre, ces faits brillants et isolés dont la tradition et la poésie populaires conservent mieux la mé:noire embellie qu'elles ne gardent le souvenir exact d'événements plus importants, mais qui ont mo~ns frappé l'imagination.
Ces épisodes sont les histoires plus ou moins légendaires d'Horatius Codés, de Mutius Scaevola et de Clélie. Chacune d'elles est attachée à une localité, et doit, par conséquent, nous arrêter.
Ayant pris le Janicule, Porsena descendit dans la plaine qui borde la rive droite du Tibre; un seul pont existait alors c'était le pont en bois appelé Sublicius que maintint toujours un soin religieux, peut être en souvenir du héros qui l'avait défendu, même après qu'un autre pont en pierre, que représente le PonteRotto, eut été élevé à côté de lui près du marché aux boeufs, auquel aboutissait le pont Sublicius 1. Ce pont franchi, Rome était prise car il n'y avait pas de mur le long du fleuve~.
A l'arrivée des Etrusques, tous ceux qui étaient préposés à sa garde avaient fui. Un Horatius, qu'on appelait le Borgne, Coclès, s'élance sur le pont abandonné pour le défendre seul contre l'ennemi. Le vaillant Sabin trouva cependant deux hommes de bonne volonté qui tinrent avec lui, Spurius Lartius et Titus Herminius tous deux ont un nom moitié sabin et moitié étrusque 5.
Il était donc resté à Rome des Étrusques alliés aux Yoy. t. I, p. 161-2.
Den. d'Hal., v, 23.
3 Spurius était le prénom du père de Lucrèce. Titus est un prénom sabin; le mot étrusque Larth ou Lar, seigneur, parait être la racine de ~<tf<iMt', et on trouve un Herminius appelé Lar Herminius. Vov. Va!. Max. Pf~M., 1.)
familles sabines, qui la défendaient contre Porsena Pendant qu'Horatius Codés et ses vaillants compagnons soutenaient le choc de l'ennemi, on coupait le pont derrière eux, et on leur criait de revenir avant qu'il ne fût coupé. Horatius décide les deux autres combattants à prendre ce parti. Pour lui, il fait une prière au dieu Tibre, se précipite dans le fleuve, et, sous une grêle de traits, regagne le bord à la nage, exploit célèbre, et que, dit Tite Live, la postérité devait plus admirer qu'elle ne devait y croire. Ce qui pourtant serait un motif de l'admettre, c'est qu'une statue en bronze fut élevée au héros sabin sur la plate-forme dédiée au dieu sabin Vulcain 2, près du Comitium, ancien lieu de réunion de l'aristocratie sabine. Cette statue existait encore au temps de Pline; on sait même son histoire, qui est assez curieuse La foudre l'ayant frappé, on appela d'Étrurie des Si l'on acceptait en partie, comme je l'ai fait, la supposition d'Ot. MûUer, et si l'on voyait dans Porsena non un allié qui vient rétablir le pouvoir de Tarquin à Rome, mais un chef rival qui vient se mettre à sa place, on s'expliquerait la résistance obstinée des deux Étrusques, qui, dans cette hypothèse, seraient du parti de Tarquin. Aulu GeUe [[v, 5) dit 7~ Ccm~M, le Comitium était au-dessous du Vulcanal. Ce serait pour c!<HM le voisinage du Comitium, comme on disait M! e~co de lieux voisins du cirque. D'ailleurs, le récit' d'Aulu Celle lui-même, qui présente la statue d'Horatius comme étant d'abord sur un lieu élevé, d'où les aruspices veulent la faire descendre, convient encore mieux au Yulcanal qu'au Comitium.
GeU., Noct. ~«., tv, 5.
aruspices pour faire l'expiation. Les devins étrusques étaient volontiers soupçonnés de mauvais vouloir à l'endroit'du peuple romain, témoin la ruse attribuée à l'un d'eux qui avait voulu escamoter au profit de son pays la destinée du Capitole dont il traça la figure avec son bâton sur le sol étrusque en disant « En ce lieu sera le siège de l'empire du monde. » Les aruspices, consultés à l'occasion de la foudre qui avait frappé la statue d'Horatius Codés, s'avisèrent d'une supercherie de même sorte pour enlever aux Romains la protection de la statue du héros. Ils déclarèrent que, du Vulcanal, lieu élevé au-dessus du Comitium et du Forum, elle devait être transportée plus bas, dans un endroit entouré d'édifices qui empêchaient le soleil de l'éclairer. Leur fraude fut reconnue et punie de mort.
L'image du guerrier sauveur demeura sur le Vulcanal, d'où elle continua à protéger les comices de l'aristocratie, et les enfants chantèrent dans toute la ville un vers, traduit d'Hésiode, dont le sens était « Un mauvais conseil est très-mauvais pour le conseiller. ? ».
Comme Porsena était toujours campé sur le Janicule, il se passa dans sa tente un événement mémorable. Un très-jeune patricien~, appartenant à une famille sabine, nommé Mutius% résolut de pénétrer AdotescensnoHtis. (Tit. Liv., n, 13.)
Mutins est un nom sabin; le collis Mutialis était sur le Quirinal.
jusqu'au roi étrusque et de le tuer au milieu des siens.
Mais, pour ne point s'exposer à être arrêté comme transfuge, il voulut se mettre en règle, et, se présentant devant le sénat, déclara qu'il avait un grand coup à frapper. Le sénat comprit et l'autorisa dans son dessein. Cachant un poignard sous ses vêtements et mêlé dans la foule, il entre dans la tente du roi, se trompe et frappe le scribe qui présidait à la paye des soldats. Amené devant le tribunal de Porsena, il se nomme, déclare qu'il a voulu tuer un ennemi, qu'il est prêt à mourir. Il ajoute
« Je ne suis pas seul; derrière moi est un nombreux cortège de mes pareils qui ambitionnent la même gloire. Prépare-toi donc à un combat sans relâche et défends ta tête à toute heure; attends-toi à avoir toujours à ta porte un ennemi et un poignard. Nous, la jeunesse romaine, nous te déclarons cette guerre. Ne crains point une guerre ouverte, une bataille rangée. Toi seul auras constamment affaire à tous. »
Trebula Mutusca, ou simplement J~M~uscse, fut une ville de la Sabine. Les Arse JMi:e étaient près de Véies (Nibb., Dint., i, p. 216), et le nom de Mutina (Modène) probablement ombrien. Le dieu Mutinus paraît sur les monnaies de la gens sabine Titia. Scxvola était également Sabin, comme les surnoms en la, Publicola, surnom des Valerius, Syl/a et Merula, des Cornelius, gentes sabines. Cordus, autre surnom de Mutius, est un vieux mot cité par Festus (P. Diac., p. C5) qui ne se retrouve pas en latin et qui était vraisemblablement sabin.
Porsena ordonne que Mutius soit entouré de feux pour le forcer à révéler plus clairement le danger qu'il annonce. Alors Mutius place sa main dans les charbons allumés sur un autel et la laisse brûler en disant au roi
« Ceci est pour te montrer combien le corps est peu de chose à ceux qui voient devant eux une grande gloire.-?
Le roi, auquel la menace de Mutius avait donné à penser, le fait éloigner du foyer ardent, lui accorde la vie et la liberté.
Pour tout remercîment, l'indomptable jeune homme lui apprend que trois cents jeunes patriciens ont résolu sa mort.
« Je suis tombé au sort le premier; les autres, chacun à son tour, quand le sort l'aura désigné et que le moment sera propice, feront ce que j'ai tenté. » Porsena, que l'incident avait fort ému, dit TiteLive, Porsena, épouvanté de ce danger toujours présent et qui devait se renouveler avec chaque conjuré, envoie aux Romains des ambassadeurs pour s'excuser d'avoir soutenu Tarquin, ne sachant pas que les Romains ne voulaient pas consentir à le recevoir et leur demandant des otages pour pouvoir évacuer sans danger la forteresse du Janicule.
Le sénat donna à Mutius des prés qui s'appelaient encore de son nom sous Auguste 1, les prés de Mutius, Den. d'Hal., v, 55.
de l'autre côté du Tibre, au-dessous de Rome près du lieu où Tarquin avait campé, et qui avait été témoin de l'intrépide action de Scœvola.
Je l'ai racontée, ainsi que l'ont racontée le sage Tite Live, l'emphatique Denys, l'honnête Plutarque, et comme si c'était la plus belle action du monde. Valèrè Maxime l'appelle un dessein pieux; mais je me suis réserve de réviser ce jugement de l'histoire ancienne au nom de la morale moderne. Cette morale, sortie du christianisme, ne peut en aucun cas, et pour une cause si juste qu'elle soit, tolérer l'assass inat. le encore je retrouve, et plus que je ne voudrais, l'antiquité dans les temps modernes.
J'ai peur qu'il n'existe en Italie, et peut-être dans la Rome de nos jours, quelque jeune homme (<K!olescens nobilis) qui rêve la gloire là où la voyait Scaevola.
Le discours de celui-ci à Porsena est précisément le discours qu'adresserait un carbonaro italien à un ennemi qu'il aurait manqué. C'est au nom des souve.nirs de l'antique Rome que j'ai entendu défendre les assassins de Rossi et presque admirer Orsini. Parmi des hommes qui sont nés après la publication de l'ÉCes prés n'auraient pu se conserver jusqu'au temps de Den~s d'Halicarnasse dans le quartier trcs-habité du Transtevère. C'est donc a~ec raison que Becker (Ni!t:6«' i, p. 656) les place au-dessous de la ville.
Val. Max., ni, 5,1. Inter molitionem PK pariter ac fortis proposi!i oppresses.
vangile, rien de pareil ne doit être justifié, encore moins admiré. Mais alors c'est un devoir de protester dans le passé contre la morale qu'on réprouve dans le présent; car les louanges données à Scaevola pourraient encourager à l'imiter.
Pour l'honneur de la moralité romaine, je remarquerai qu'on donna des prés à Mutius Scaevola, mais qu'on ne lui éleva pas une statue comme à Horatius Codes'.
Les prés représentaient alors l'espèce de récompense qu'on accorderait aujourd'hui en donnant une pension. C'était encore trop.
Une statue fut élevée à une jeune fille dont le nom est demeuré célèbre, à la courageuse Clélie. Parmi les otages que Porsena avait reçus des Romains se trouvait une jeune fille résolue qui avait poussé, disait-on, son cheval à travers le Tibre audessous du pont Sublicius, et, à la tête de ses compagnes, était ainsi rentrée dans Rome.
C'est de cette vigoureuse amazone que mademoiselle Scudéry devait faire un jour une sentimentale héroïne. La véritable Clélie s'entendait mieux, je crois, à franchir à cheval le? flots tourbillonnants du Tibre qu'à suivre en rêvant les bords fleuris du Tendre. Le consul Valerius, ne voulant point manquer de foi J'aime mieux en croire à ce sujet Tite Live et Denys d'Halicarnasse qu'un écrivain sans autorité, Aurelius Victor. (De Vir. 13.)
au roi étrusque, avait renvoyé Clélie à Porsena. Celuici, se piquant de générosité, l'avait renvoyée à son tour avec des présents magnifiques.
Je doute beaucoup de cette réciprocité de procédés chevaleresques. Je veux bien que Clélie se soit hardiment échappée du camp de Porsena pour rejoindre les siens; car une statue équestre la représentait sur le cheval qui l'avait rapportée.
Cette statue se voyait encore sous l'Empire au sommet de la voie Sacrée, près du temple de Jupiter Stator et de la porte du Palatin
J'admettrai, si l'on veut, que les Romains aient renvoyée Clélie Porsena; mais je croirai difficilement que celui-ci l'ait renvoyée avec des présents aux Romains.
L'existence même d'une statue de Clélie est douteuse car, selon d'autres, cette statue était celle de Valeria, cette fille de Y. Publicola qui, quelques années plus tard, devait conseiller à la mère et à la femme de Coriolan de se mettre à la tête des matrones et d'aller à sa rencontre pour l'attendrir.
On racontait que Valeria faisait aussi partie des otages donnés par son père, et que, tombée avec leur escorte dans une embûche de Tarquin, elle s'était fait jour à travers les combattants.
La gens Claelia était venue d'Albe à Rome*, et, quoiPlut-, fM~ 19.
Tit. Liv., i, 50.
que d'extraction sabine, comme le prouve son nom avait régné sur Albe; elle était considérée comme albaine, et pouvait être revendiquée par la population latine.
Valeria était sabine. La rivalité des deux races se trahit encore ici. Chacune opposait son héroïne à l'héroïne de l'autre, et prétendait que la statue équestre lui était consacrée. {
Porsena, ne voulant plus faire la guerre aux Romains qui renvoyaient si noblement les otages et qui avaient tant de Mutius Scaevola en réserve, pour employer son armée, dit Tite Live envoya son fils Aruns faire la guerre aux habitants d'Aricie. Les Ariciens furent secourus par les Grecs de Cumes, et une bataille acharnée fut livrée dans les environs charmants de Laricia, qui alors devaient avoir une physionomie plus sévère, quand un grand bois, qui n'existe plus, entourait le gracieux lac de Nemi. Aruns fut tué. On a cru, dans le monument visiblement étrusque, d'AlVoyez les raisons que j'ai données de l'origine sabine du nom de Vénus Cloacina ou Cluacina. (T. t, p. 418.) Cluilius, roi des Albains, pouvait être Sabin, comme Mettus Fufetius, qui lui succéda. Or Cluilius et Clœlius ne différent que par l'orthographe. Les Ciselii étaient Sabins; car on trouve un Oselius chez deux peuples sabelliques, chez les ~Eques (Tit. Liv., m, 25-28) et chez les Volsques (Tit. Liv. iv, 9-10); enfin le choix de la Velia, lieu très-sabin, pour y placer la statue de Clélie, que quelques-uns croyaient être celle de Valeria, montre que Clélie était Sabine comme Valeria.
Tit. Liv., n, 14.
bano, qu'on appelle à tort le tombeau des Curiaces, reconnaître le tombeau du fils de Tarquin~.
Tite Live place ici et explique singulièrement la formation du quartier étrusque à Rome (Vicus Tuscus2). J'ai dit que je la croyais plus ancienne, et ce n'est pas le récit par trop invraisemblable de Tite Live qui me fera changer d'opinion.
On appelait rue et quartier étrusque (le mot Vicus a ces deux sens) une rue principale et un quartier dont la position n'est pas douteuse. La rue allait du Forum vers le grand cirque'; le quartier était à gauche et à droite de cette rue, entre le Palatin et le Capitole\ Les Etrusques s'étant amollis et corrompus après qu'ils eurent été subjugués parles Romains, leur séjour Voy. t. J, p. 456. M. Dennis (Sep. o/E~ p. 41<i) voit dans ce monument une imitation de l'étrusque et le croit romain (u, p. 389J; du reste, il admet sa ressemblance avec le tombeau de Porsena décrit par Pline.
s Tit. Liv., n, 14.
5 In <oro pompa constitit. incesserunt inde vico tusco vetabroque per forum boarium in cUvum publicii. (Tit. Liv., xxvft, 37 ) On voit que la rue Étrusque allait, à travers les granges de la rue des Feniti, finir près de Saint-Georges en Vélabre.
L'expression de Denis d'Halicarnas'se, xu~ t'allëc, montre qu'it s'étendait en largeur d'une colline à l'autre. (Den. d'Haï., v, 58.] Denis d'Halicarnasse lui donne quatre stades (un demi-mille), ce qui, au moin!, appliqué au quartier, est exagéré; il ne pouvait s'étendre beaucoup plus loin en cet endroit car, au delà du Forum Boarium, le T~bre ne laissait plus d'espace entre son rivage et l'Aventin, dont il rase presque le pied.
devint l'asile de toutes les mollesses et le réceptacle de toutes les corruptions.
C'était le quartier élégant. On y vendait les objets précieux comme la soie\Là habitaient les tailleurs à la mode et les parfumeurs, ce qui l'avait fait nommer Vicus Thurarius.
C'était aussi le quartier infâme~, hanté par ce qu'Horace appelle la détestable canaille du quartier étrusque.
Aujourd'hui tout ce luxe est remplacé par des granges à foin. Le quartier a gagné en honnêteté, mais on n'y trouve plus de parfums.
Vers l'entrée de la rue des Étrusques, en vue du Forum était une statue en bronze de Vertumne, le grand dieu d'Étrurie 5 et patron du quartier. Properce dit le culte de Vertumne déjà venu de Volsinii au temps de Tatius et, comme il attribue la statue Mart.x',27,H.
On le voit par cette inscription P. Fannius, P. L. Apollophanes de vico tusco vestiarius.
Hor., Sat. n, 3, 226. Jn tusco vico habitabant lenones, meretfice~ fseneratores. (Asc. ad Cie. in Verr., n, 59.)
In tusco vico ibi sunt homines qui ipsi se venditant.
(Plaut., CI,feu/ IV, 1, 't'l,)
A signo Vertumni in Circum. Cic. M Verr., n, 1, 59. Propert., <v,2, 6. Elle était à l'angle de la basilique Sempronia, à droite en venant vers le Forum Signum Yertumni in ultimo vico thurario est, sub basilicae angnio flectentibus se ad postremam dextram partem. (Pseud. Ascon. ad Cte. in Verr., n, 1, ~S4.) Propert., tv, 2, 48 et suiv.
à Mamurius, l'artiste sabin', on peut croire qu'elle avait été placée en ce lieu plus anciennement par les Sabins, qui avaient pu emprunter à l'Étrurie le dieu Vertumne, comme plusieurs autres divinités Voici comment Tite Live raconte l'établissement du quartier étrusque.
Un très-petit nombre des soldats d'Aruns, ayant échappé au désastre d'Aricie, se présentent à Rome désarmés et suppliants; on les reçoit à merveille, on panse leurs blessures; l'hospitalité des Romains les enchaîne, beaucoup d'entre eux se fixent dans un lieu qu'on leur abandonne, et qui dès lors s'est appelé Vicus Tuscus, la rue ou le quartier étrusque". On conviendra que ce récit est assez extraordinaire. Tout dans cette guerre montre l'acharnement des Romains contre les Tarquins et leurs alliés. J'ai quelque peine à croire qu'ils aient poussé la chevalerie jusqu'à recevoir dans leurs murs des ennemis vaincus, et la charité jusqu'à panser leurs blessures. Tite Live dit que ces réfugiés n'étaient qu'une ~'<petite partie de ceux qui avaient fait l'expédition contre
'Proport.,iv,2,6i.
Ce qui ferait croire que le culte de Vertumne avait été fondé ta avant l'arrivée des Étrusques, par les Sabins, dont la statue du dieu serait à Rome un vestige de plus, c'est qu'on trouve aussi le culte de Vertumne sur l'Aventin, anciennement habité par les Sabins, et où .t'en ne voit pas que des Étrusques aient jamais résidé.
3 Tit. Liv., u, i4.
Aricie, et, tout de suite après, qu'ils restèrent en grand. nombre à Rome.
Il reste à comprendre comment un grand nombre peut sortir d'un petit.
L'opinion de Tacite~ me paraît plus vraisemblable. Selon lui, des compagnons de Cseles Vibenna, les uns s'établirent sur le Cœiius; les autres, en grande quantité, dans l'espace compris entre le Palatin et le Capitole, qui prit alors le nom de quartier étrusque Si l'on en croit Varron*, ce fut après la guene contre Tatius qu'on fit descendre du Cœiius les compagnons de Caries Vibenna, et qu'on les établit da< s le Vicus Tuscus.
Je pense que ce déplacement eut lieu beaucoup plus tôt sous Tullus Hostilius, quand il fallut faire place sur le mont Coelius aux Albains qu'on y transportait.
Porsena, qui a renoncé à contraindre les Romains par les armes, fait pour les Tarquins un dernier effort, mais purement diplomatique. Les Romains répondent qu'ils ne veulent pas de rois, et Porsena, voyant que leur résolution est inébranlable, renonce à lutter contre elle.
Tac., Ann., iv, 65.
D'après une autre tradition rapportée par Festus (p. 555), qui lait de Cœtes Yibenna deux noms qu'il donne à deux frères, des Étrusques venus avec le premier Tarquin donnèrent teur nom au ) MMX 7'MMM.
Varr., De lat., v, 46.
«. Que les Tarquins aillent où il leur plaira, » dit-i!.
Il rend ce qui lui restait d'otages, les terres des Véiens, abandonne ainsi tous ses alliés et se retire. Tout cela est bien singulier. Les choses ne purent se passer ainsi, et nous savons qu'elles se passèrent autrement.
Soit qu'il assiégeât Rome pour son compte ou dans l'intérêt de Tarquin, Porsena fut maître de Rome et y exerça un souverain empire.
Tacite dit positivement que la ville se rendit à lui (f~J!M urbe), et compare cette reddition à l'occupation de Rome par les Gaulois. Un article du traité conclu entre Porsena et les Romains, que Pline* a a cité par hasard à propos du fer, a jeté un jour curieux sur les vrais rapports des deux contractants. Porsena défend aux Romains l'usage du fer, si ce n'est pour l'agriculture. Quand on fait un pareil traité, on est le maître.
Divers faits épars dans les auteurs anciens confirment cette conclusion.
Une statue avait été élevée à Porsena prés de la curies, et les insignes de la royauté lui furent envoyés par le sénat*.
Tac., Hist., m, 72.
f'L, ~M<.KS<xv.39, 2.
Plut., PMM., 19.
Den. d'Hal., v, 35.
Ne sont-ce pas deux autres indices de la domination du roi étrusque à Rome?
Enfin la cérémonie de la vente des biens de Porsena. cette coutume bizarre conservée jusqu'au temps d'Auguste, que Tite Live lui-même déclare ne pas s'accorder avec un départ pacifique', ne se prête point aux explications qu'il en donne.
Selon lui, des biens laissés par sa libéralité aux Romains auraient été vendus pour éviter que le peuple les piUât. Quoi de plus invraisemblable? Quoi de plus naturel, au contraire, que la commémoration de la vente de ces biens si Porsena a régné à Rome comme Tarquin, et si, après avoir brisé cet autre joug. le sénat a vendu au peuple ce Mcn national, comme il lui avait livré les biens des Tarquins?
Porsena a donc régné à Rome probablement du haut du Janicule, dont il s'était emparé, de la forteresse qu'il occupait. II y a eu là une vrai conquête dont 1 histoire a supprimé le souvenir sans pouvoir en effacer toutes les traces.
Cette période de l'histoire romaine, abolie par l'orgueil national, a été remplacée par une légende faite après coup, et dont les beaux sentiments qui y abondent trahissent l'origine peu ancienne
Pacatœ prof'ectioni ab urhe regis etrusci abhorrens mos. (Tit Liv.,
ii. t4.)
Le caractère romanesque de toute cette légende est remarquable. .J'en citerai un trait pendant le siège, les Étrusques seraient venus
Pour expliquer comment Porsena, malgré sa puissance, avait pu se retirer sans avoir éprouvé une défaite, on lui a supposé une admiration et une sympathie peu vraisemblables pour le peuple romain. Les auteurs de cette fiction savaient bien qu'elle n'aurait pas de peine à s'accréditer; car elle flattait ingénieusement la vanité des Romains par un hommage d'autant plus flatteur, qu'il venait d'un ennemi. Même les faits qui peuvent être véritables ont été accommodés aux étranges relations que l'on supposait s'être établies entre Porsena et les Romains. La fuite de Clélie ne rappelait plus qu'un échange de procédés généreux; mais l'embûche tendue aux otages et attribuée à l'odieux Tarquin, qui probablement n'était pour rien dans la guerre et dans les desseins tout personnels de Porsena, fait soupçonner des relations moins amicales entre Rome et ce roi.
Les otages indiquent la soumission des Romains, et une tradition voulait même qu'ils eussent été tous massacrés', excepté Valeria.
Suivant une autre tradition, Horatius Codés aurait péri dans le Tibre2. En ce cas, le pont Sublicius a bien pu n'être pas défendu, et les Étrusques l'auraient passé pour prendre Rome.
V
disputer les palmes du cirque aux Romains et auraient~ëte proclamés vainqueurs. (Serv., En., X!, 134.)
!')., HM~.mat., ïxxtv, 15,2.
l'olybe, v), 5.').
Enfin l'aventure de Mutius Scaevola, si dramatiquement présentée, ne cache-t-elle point une conspiration contre Porsena' et un assassinat accompli dans des circonstances que la légende romaine n'aimait pas a avouer? Et il faut bien que le renversement du pouvoir de Porsena fut Hé à quelque souvenir fâcheux, car on ne comprend pas sans cela pourquoi les Romains ne s'en seraient pas vantés.
il est vrai que l'on montrait son tombeau en Ëtrurie, et que Varron l'a décrite
Mais la réalité du monument décrit par Varron a été niée parNiebuhr, comme celle du tombeau d'Osymandias par M. Letronne.
Quand on admettrait l'existence du tombeau de Porsena, ainsi que je suis porté à l'admettre~, cela n'empêcherait point que Porsena ait pu être assassiné au bord du Tibre.
Les restes de Charles Xlf, assassiné bien probablement devant Frederickstadt, reposent à Stokholm. tt n'est pas étonnant que les Latins aient pris fait et cause pour Tarquin, qui, hors de Rome, avait toujours cherché à s'appuyer sur eux, et qui avait dù L'histoire du scribe tué au lieu du roi et de la main mise dans te brasier pourraient être un embellissement ajouté postérieurement car la même chose était racontée d'un frère de Thémistocle qui avait pénétré jusqu'à Xerccs pour l'immoler. (Plut., Pc~ 2.) PI., Hist. TK~.Hxn.dO, 7.
Au moins une partie de la description de Varron parait à Ot. Muttpr avoir été faite de visu (E~ u, p. ~24.)
nouer des intelligences dans la confédération des cités latines, réorganisée et longtemps dirigée par lui. Elle ne pouvait voir d'un œil favorable une révolution conduite par des Sabins, et devait craindre que leur triomphe ne fût une menace pour l'intérêt latin. Aussi c'est à la tête des populations latines que les Tarquins tentèrent contre Rome délivrée ce grand effort qui vint échouer au bord du lac RégiIIe.
On est plus surpris que les Sabins aient fait les premiers la guerre aux Romains. Mais rien ne montre que cette guerre fût liée à la cause des Tarquins, et un incident qui la suivit fait connaître qu'il y avait dans la Sabine un parti favorable à la révolution que des Sabins venaient d'accomplir.
Car c'est alors que la puissante tribu des Claudius, s'étant opposée vainement à ce que l'on fit la guerre contre Rome, vint se donner à elle ou plutôt s'unir avec ses cinq mille clients aux autres grandes familles sabines qui se trouvaient a la tête de la république. En devenant romaine, elle demeura sabine. Les Claudii continuèrent d'habiter au delà de l'Anio, dans une région conquise sur leurs compatriotes, où on leur permit de s'établir 1. Les chefs de la tribu vinrent demeurer à Rome, et ils y restèrent aussi sabins que dans leur pays
On leur donna toutes les terres, entre Fidène et Ficulée, qui étaient' sur la voie Salaria. (Tit Liv., n, 16; Hen. d'Hal., v, 40; Suet., Tib., t, Plut., Publ., 21; NibH., Dint., )i, p. 58t-2.)
Selon Tite Live, Denys d'Halicarnasse et Suétone, ils menaient de
Leur dureté, leur. orgueil, leur fermeté, furent l'âme et la force du patriciat, qui, par eux, s'était retrempé à sa source.
La ligue du Latium était formidable. La plupart des cités latines avaient pris les armes; le parti des Tarquins s'agitait dans Rome. On créa le premier dictateur, et bientôt après on en nomma un second, Aulus Postumius, qui devait vaincre dans le terrible combat du lac RégiHe.
Ce combat était décisif pour les destinées de Rome. 11 s'agissait de savoir St Rome maintiendrait la liberté qu'elle avait fondée ou si elle retomberait sous le joug d'un tyran étranger ramené par l'étranger. L'acharnement fut extrême du côté de l'ennemi. C'était la dernière chance des Tarquins; c'était pour les Latins une occasion à saisir pour arrêter l'ascendant que les Sabins venaient de reprendre à Rome.
Le combat du lac Régille est raconté avec des détails que ne saurait avoir transmis l'histoire. Il n'y avait pas de bulletin à l'époque de Tarquin. Cependant plusieurs de ces détails peuvent être vrais, car ils peuvent avoir été conservés par un chant héroïque composé sur ce combat célèbre.
Nous allons voir qu'un récit poétique est évidemment au fond de la narration tout homérique de Tite Live et Regillum, probablement de l'intérieur de la Sabine, et ils s'établirent sur la frontière.
surtout de Denys d Halicarnasse'. De plus, cette narration est parfaitement conforme à la disposition des lieux, ce qui suppose une tradition au fond véritable; car on ne se serait pas donné la peine d'approprier si exactement aux localités une pure fiction.
La légende est toujours plus locale que le roman, excepté quand c'est W. Scott qui l'écrit; mais il n'y avait pas de W. Scott a Rome.
La détermination du lieu où fut livrée la bataille du lac Résille est une des belles découvertes de M. Rosa, qui l'a reconnu non loin de la Colonna. Là fut évidemment un lac aujourd'hui desséché, dans un endroit qui s'appelle encore le Mf<)'a:s (Pan~no). On voit la route antique contourner l'espace que le lac occupait, tandis que la route moderne, postérieure à son desséchement, le traverse en partie.
Une fois en possession, grâce à M. Rosa, de l'emplacement véritable du lac Régille, on retrouve a merveille la situation des deux armées.
Le dictateur Aulus Postumius arrive en une nuit en présence des Latins campés prés du lac Régille. Ce trajet, d'environ quatre lieues, pouvait facilement s opérer dans une nuit. Les Latins étaient postés On pourrait croire que Denys a inséré ces détails épiques dans son récit par l'envie naturelle à un rhéteur d'imiter Homère; mais la plupart se retrouvent dans la narration beaucoup plus succincte de Tite Live, et a\e<; quelques variantes qui empêchent de supposer que 1 un des deux historiens ait copié l'autre.
sur une hauteur (Monte Falcone). Les Romains, commandés par le dictateur Postumius, occupèrent un lieu élevé et de difficile accès qui ne peut être que la Co~HHa. Un corps d'armée amené par le consul Virginius se plaça sur la gauche du dictateur, de manière à renfermer les Latins dans leur camp. L'intention des généraux romains était, pour venir !i bout de l'ennemi, d'arrêter ses convois de vivres en s'emparant du chemin par lequel ils devaient passer. Les Romains étaient donc en possession de toutes les hauteurs qui dominaient par derrière le camp latin.
Pour achever de l'isoler, Postumius fit occuper par la cavalerie une colline du côté des montagnes, qu'on peut reconnaître dans Monte A~o~Ho. Mais le maître de la cavalerie ayant envoyé des éclaireurs vers le pays des Yolsques, on intercepta des lettres qui annonçaient aux Latins que ce peuple et le peuple bernique venaient à leur secours. Alors le dictateur, ne voulant pas donner à ce renfort le temps d'arriver, descendit dans la plaine où fut livrée la bataille'. 1,
Cette bataille est, comme je l'ai dit, toute épique. Les prouesses des chefs dans des combats singuliers livrés au milieu de la mêlée sont racontées à la façon d'Homère; les coups qu'ils portent sont indiqués, les blessures qu'ils reçoivent sont décrites avec précision comme dans l'lliade.
Den. d'Hat., v;, 3-5
Titus, l'un des fils de Tarquin, est blessé par un dard à l'épaule droite, de sorte qu'il ne peut plus se servir de sa main. Une autre tradition lui substituait en cette rencontre le vieux Tarquin. Denys d'Halicarnasse fait observer que Tarquin aurait eu alors quatrevingt-dix ans; mais la tradition ne tient jamais compte des dates et fait figurer ensemble des héros qui n'ont pas été contemporains, comme on le voit dans les Niebelungen.
Le commandant de la cavalerie romaine, ~Ebutius, et le gendre de Tarquin, Mamilius, se provoquent M HK combat stM~M~ct' à la manière des Grecs' et des Troyens; ils s'attaquent d'abord sans se porter de coups mortels, ainsi que les héros de l'Iliade, protégés par un dieu ou par une déesse.
Enfin .Ebutius frappe llamilius, dans la poitrine, d'un coup de lance qui l'atteint à travers sa cuirasse, et Mamilius lui perce le bras droit par le milieu. Le frère de Valerius Publicola est tué d'un coup de pique.
Ses neveux défendent leur oncle expirant pour qu'il ne soit pas dépouillé de son armure, selon le point d'honneur homérique. Un lieutenant du dictateur, Titus Herminius, attaque Mamilius déjà blessé, un des hommes les plus ~t'Muds et les plus /br~ de son siècle, qualification épique, et le tue; il reçoit presque au même instant dans les entrailles un coup mortel. Le coupable auteur de cette guerre, Sextus Tar-.
quin, qui avait combattu avec une opiniâtre fureur et avait mis en déroute l'aile droite des Romains, voyant le dictateur paraître à la tête de ses troupes victorieuses et ne voulant pas survivre à ses chances d'ambition, se précipite tête baissée au milieu des ennemis, entouré par la cavalerie et par l'infanterie tégère, attaqué comme une bête féroce qu'assaillent les traits des chasseurs.
Cette comparaison de Denys pourrait bien appartenir à l'auteur ignoré du chant primitif. Sextus meurt sur le champ de bataille, environné de Romains immolés à sa haine et à son désespoir.
Le vieux Tarquin, vaincu, privé d'un fils, se retire à Cumes, où il va finir ses jours chez Aristodème, un autre tyran non moins détestable que lui, et dont la fin devait être encore plus terrible.
C'est vers ce temps qu'on place la dédicace du temple de Saturne', de ce temple qu'on disait aussi avoir été fondé par Tullus Hostilius, mais qui, probablement plus ancien, fut réparé ou refait après la grande victoire du lac Régille
On pourrait voir dans cet hommage à l'antique dieu des Latins vaincus l'intention de les attacher à leurs vainqueurs.
Tit. Liv., n, 20.
L'autel de Saturne au moins existait'depuis le premier établissement des Latins sur le Capitole. (Voy. t. p. 86-7.)
En effet, le sénat s'efforça dès lors de les gagner se cherchant un appui au dehors, ainsi qu'avait fait Tarquin.
Valerius Publicola passe pour avoir le premier déposé le trésor public dans le temple de Saturne A ce temple se rattache aussi l'origine d'une magistrature romaine, les questeurs 5, comme au temple de Cérès (aèdes Cereris) l'institution des édiles. A Rome, la religion est dans toutes les origines.
.La victoire du lac Régille, qui avait décidé du sort de la république, fut consacrée par un monument spécial.
Tite Live se borne à dire que le dictateur Postumius avait voué durant l'action un temple à Castor\ A ce fait tout naturel et conforme à l'usage la légende joignit un fait merveilleux. On avait vu pendant le combat deux cavaliers plus beaux et plus grands que des cavaliers ordinaires se placer à la tête de la cavalerie romaine, et, frappant les Latins de leurs lances, les mettre en déroute. Le soir, deux jeunes guerriers, aussi très-grands et très-beaux, étaient venus faire boire leurs chevaux et laver leurs visages couverts de poussière dans une source qui coulait près Cela s'accorderait avec la douceur dont on usa envers eux après )apaix. (Schu)ze, Xamp/'f<. dent. aind an'sfocr. in Rom., p. 28.) Ptut., Quest. rom., 42.
=- l'tut., Publ., 12.
< Tit. LiY.,n, 20.
Den. d'HaL. v;, 15.
du temple de Vesta, vers l'extrémité du marché; ils avaient apporté la nouvelle de la victoire, puis avaient disparu.
On avait reconnu les Dioscures Castor et Pollux, et on leur avait élevé un temple au lieu de leur apparition. Cette légende était grecque; car on racontait la même chose à propos d'un combat entre les habitants de Locres et ceux de Crotone.
Peut-être était-elle venue aux Romains par Cumes. Peut-être aussi, commune aux peuples grecs et italiotes, avait-elle une origine pélasgique, car les Dioscures étaient des dieux pélasges
Leur temple fut élevé en un lieu déjà consacré aux cultes pélasgiques, dont nous avons cru découvrir la présence dans tous les environs du Palatm~. Quoi qu'il en soit, ce temple, qui donnait sur le Forum fut un des plus fréquentés et de plus honorés qu'il y eut à Rome. Le sénat y tenait souvent ses séances*, et des jugements y étaient rendus°. Les Dioscures avaient des statues en Samothrace. (Serv., m, 12.) On les assimilait aux grands dieux. Ils avaient été dans l'origine des divinités pélasgiques de la lumière. (Gherard, Gr. My<A., 161, 483.) Voy. t. I, p. 147. Une raison de croire le culte des Dioscures anciennemeht établi à Rome depuis les Pélasges, et non emprunté aux Grecs de Cumes, c'est la forme indigène et populaire Pollux, au lieu de la forme grecque et savante PoM~MA~.
Inforo. (Tit. Liv., ix, 43.)
Cic.,pre Quint., 4.
s In aede Castoris, celeberrimo clarissimoque monumento. (Cic., in ~)'y., il, 1, 49 )
Castor finit par l'emporter sur Pollux, et le temple, qui leur était dédié à tous deux, s'appela dans l'usage Temple de Castor.
H semblait que les deux demi-dieux, qui n'habitaient l'Olympe que tour à tour, ne dussent pas être simultanément adorés sur la terre, et l'on comparait plaisamment le sort de Pollux, dont le nom était passé sous silence dans cette occasion, au rôle effacé du consul Bibulus, collègue de César, dont le nom aussi était passé sous silence, et qui ne figurait pas plus à côté de César que Pollux à côté de Castor.
Cependant le juron familier a~po~, par le temple de Pollux, au moins aussi ordinaire qu'a?c<M<of, par le temple de Castor, prouve que dans l'origine m:c des dénominations de l'édifice était aussi populaire que l'autre~. 1.
Évidemment le souvenir de l'apparition des deux frères divins l'était beaucoup. Au temps de Cicéron, l'on montrait encore près du lac Régine l'empreinte d'un des pieds du cheval de Castor~.
Oserais-je dire que, dans l'église de Sainte-Françoise-Romaine, très-voisine du temple de Castor, on montre l'empreinte laissée par les deux gcA Sparte, deux poutres, réunies par une troisième, étaient un symbole ancien des Dioscures. On les portait devant les deux rois quand ils allaient à la guerre. (Plut., De /ra<- am-, 1.) C'était une image de leur dualité. Le culte des Dioscures fut-il à Rome mis en rapport avec l'établissement du consulat?
Cic., De net. d., m, 5.
noux de saint Pierre, tandis qu'il priait Dieu de confondre l'art diabolique au moyen duquel le ma gicien Simon s'était élevé dans les airs, et rappeler l'empreinte du pied de Bouddha sur les rochers de Ceylan, en même temps que celle des pieds de JésusChrist que l'on montre dans la petite église de Domine, quo t~ts, au lieu où l'on rapporte qu'il apparut à saint Pierre, et lui dit « Je vais à Rome pour y être de nouveau crucifié? » légende qui n'est point un article de foi et que la Rome papale devrait repousser, car on a pu l'interpréter dans un sens qui ne lui était point favorable.
U reste du temple de Castor et Pollux, voué par le dictateur ~ostumius, dédié par son fils, peut-être antérieur à tous deux et au peuple romain lui-même, réparé vers la fin de la république par Metellus le Dalmatique, refait sous Auguste et dédié alors par Tibère, trois colonnes qui sont le plus bel ornement du Forum romaine
1 Je crois que ces trois colonnes appartiennent au temple de Castor et Pollux. Sans discuter ici les opinions des archéologues qui en ont jugé différemment, je m'en tiens, comme je fais toujours, aux témoignages positifs, clairs, incontestables des anciens, comparés avec l'état des lieux ou la position des ruines, écartant tous ceux qui peuvent s'interpréter diversement. Auguste (Monument. Ancyr.) dit positivement que la basilique Julia était entre le temple de Castor et le temple de Saturne jg<M! fuit inter as~m CM<oW< et aMfen! S<!<MfM. Les rëgiouaires, la Nolitia aussi bien que le Curiosum urbis, partant du pied du Capitole, nomment successivement la basilique Julia et le
En les contemplant, je ne m'arrêtais pas'ibTTc~ duquel elles datent; je ne remontais pas aux Pélasges, premiers auteurs du culte des Dioscures en ce lieu primitivement consacré par leur antique religion ma pensée se portait entre ces deux extrémités de l'histoire du temple de Castor, sur la bataille mémorable qui fonda l'indépendance de la république romaine, et ce beau souvenir complétait pour moi l'effet pfttoresque de la belle ruine.
temple de Castor (Reg., 8), puis le temple de Yesta. Or la basilique Julia, dont l'emplacement a été retrouvé à ne pouvoir s'y méprendre, est précisément entre les huit colonnes qui restent du temple de Saturne et les trois colonnes qui restent du temple de Castor. De plus, tout ce qu'on sait du rapport de proximité de ce dernier temple avec le temple de Yesta et avec la fontaine de Juturne (Ov., F<M~ i, 707), voisine elle-même du temple de Vesta (Den. d'Ilal., vj, 15), dont la position n'est point douteuse, s'accorde avec cette détermination. On s'explique aussi comment le temple de Castor était dans la direction du pont par lequel Caligula unit son palais, placé à l'angle septentrional du Palatin, avec le Capitole. {Suet., Calig., 22.)
LIEUX POLITIQUES DE ROME.
Nulle demeure particulière assignée aux rois et aux consuls. Lieu de réunion du sénat, la curie, différents temples. Lieu des assemblées patriciennes, le Comitium. Plate-forme qui le dominait à l'ouest, le Vulcanal. Tribunal du préteur. Comices par curies dans le Comitium. Comices par centuries dans le Champ de Mars. Censure. Recensement, lustration. Questure. Le Forum, comices par tribus, la tribune. Recensement et procession annuelle des chevaliers dans le Forum. Corps religieux, leurs habitations respectives.
La république romaine est constituée. L'histoire de sa constitution semble en dehors de nos recherches; il n'en est rien, la constitution romaine a aussi sa topographie car la plupart des magistratures et chacune des assemblées politiques de Rome sont en rapport avec un lieu ou un monument dont on peut déterminer l'emplacement.
De cette détermination résulte un aperçu plus net, un aspect plus saisissable du rôle de ces magistratures et de ces assemblées.
Les attributions, les débats, les conflits, qui, dans
II
les histoires ordinaires, se présentent avec une certaine confusion ou au moins un certain vague, apparaissent distincts et vivants dans une histoire qui les montre à leur place et les met, pour ainsi dire, sur leurs pieds.
La royauté n'avait point de siège particulier dans l'ancienne Rome. Ce n'était pas le temps des palais. Chaque roi habitait sa maison et le quartier qu'il avait choisi Romulus,.sa cabane du Palatin; Tatius, sa citadelle du Capitole; Numa, le Quirinal sabin ou la Rcgia à côté du temple de Vesta. Cette dernière demeure s'appelait bien la demeure royale, R~M; mais elle ne fut pas celle de ses successeurs chacun d'eux, suivant la tradition, alla habiter le point de la ville qu'il lui semblait le plus utile de surveiller. Les déplacements de l'habitation royale suivirent les développements graduels de la cité et les indiquent. Tullus Hostilius va loger sur le Cœlius au milieu des Albains, ses nouveaux sujets; et sur la Velia, qui domine le marché et le Comitium. Là est aussi la demeure des deux derniers rois sabins, du premier et du dernier roi étrusque, tandis que Scrvius Tullius s'établit sur l'Esquilin, du côté par où la ville était le plus menacée, carMastarna fut un chef guerrier; et au-dessus du quartier qu'il assigna aux patriciens, car ce chef guerrier fut aussi le roi qui abaissa sous le niveau du cens la supériorité patricienne.
Il n'y eut donc pas à Rome de demeure royale. Cha-
que roi iendait la justice dans sa maison, comme on le voit par le récit de la mort du premier Tarquin; ou allait s'asseoir au sein du sénat dans la curie, comme le montre le récit de l'avénement et de la mort de Servius Tullius.
C'est pour cela que les consuls, héritiers des rois, n'eurent pas non plus de résidence assignée par l'État. Leur siège était le tribunal patricien placé sur le Vulcanal au-dessus du Comitium. Ce fut aussi le siège du préteur quand cette magistrature patricienne eut été fondée.
La construction de la curie, lieu des assemblées du sénat, était attribuée à Tullus Hostilius, dont ce monument portait le nom (Curia Hostilia). Là se réunit, pour la première fois sous un toit, le conseil des anciens rois que le savant Properce, avec un sentiment vrai des antiquités romaines, nous montre tel qu'il était dans l'origine, se rassemblant au son de la trompe pastorale dans un pré, comme le peuple dans certains petits cantons de la Suisse.
Nous savons où était la curie; elle faisait face au Comitium, vers lequel on descendait de la curie par un escalier et où l'on montait par quelques degrés. Nous pouvons même avoir une idée de sa forme et de ses proportions, car Vitruve nous indique les règles observées à cet égard. C'était un édifice carré ou rectangulaire d'une grande hauteur*. Avec le temps, 1 Cette hauteur était égale une fois et demie la largeur si la curie
la curie fut ornée de statues et de peintures, mais ne présentait sans doute rien de semblable dans les premiers siècles de la république.
La curie devait être assez vaste pour contenir six cents sénateurs, nombre auquel ils furent portés à !'époque des Gracques. Il n'y avait pas de tribune. Chacun à son tour se levait et parlait de sa place; souvent on votait en la quittant pour aller se ranger avec ceux dont on partageait l'opinion.
Le sénat ne s'assemblait pas toujours dans la curie; il s'assemblait aussi tantôt dans un temple, tantôt dans un autre; car il se considérait lui-même comme une chose sacrée. C'était en général dans les temples voisins du Forum.
Le choix du temple où le sénat tenait ses séances n'était pas indifférent. Quelquefois on voit le motif qui l'a déterminé. Il était beau de se réunir dans le temple de la Concorde pour entendre Cicéron accuser Catilina. C'était protester contre ceux qui, ouvertement comme Catilina, ou secrètement comme César, poussaient aux dissensions civiles. Ce ne fut pas sans intention qu'après le meurtre de celui-ci le sénat, qui ne l'avait pas défendu, se rassembla dans le temple de Tellus, élevé là où avait été rasée la maison de Spurius était carrée; si elle formait un carré long, sa hauteur égalait la moitié de la longueur ajoutée à la largeur. (Vitr., v, 2, 1.) 1 On songea à dédier la curie elle-même a la Concorde. (Cic., De <~)H., 51.)
Cassius, mis à mort parce qu'on l'accusait d'avoir voulu se faire roi.
Ce nom de curia, donné au principal lieu de réunion du sénat, avait été appliqué dans l'origine à ceux où se rassemblaient les trente confréries patriciennes, appelées elles-mêmes curies. Les CMna* étaient des espèces de chapelles, avec un foyer sacré, dans lesquelles l'on offrait un sacrifice et l'on célébrait un banquet religieux en l'honneur de la Junon sabine (Juno Curis); elles étaient distinctes, mais rapprochées les unes des autres et placées toutes au pied du Palatin, faisant face au Cselius; puis furent, sauf quatre d'entre elles, que l'association patricienne à laquelle elles appartenaient n avait pas voulu quitter, transportées ailleurs Ces curies séparées n'avaient rien de commun que le nom avec la curie du sénat.
Celle-ci était un lieu auguste. Cicéron l'appelle le Temple de la sainteté, de la dignité, de l'intelligence, la tête de Rome
Près de la curie, sur la même esplanade où se trouvait le Vulcanal, était le Senaculum% où se tenaient les sénateurs avant d'entrer en séance*.
t't'es duCompitum Fabricium, sur lequel il n'existe, à ma connaissance, aucun renseignement. (Fest.,p.n4.)
Cic., Pro Mil., 55.
te Senaculum est d t au-dessus de la Grsecostase (Varr., De lut., v, 156) et au-dessous de la curie. (Tit. Liv., xu. 27.)
V. Max n, 2, 6 Les magistrats y venaient délibérer avec les sénateurs. (Fest., p. 3H.)
Cicéron disait vrai, la curie était la tête et le sénat l'intelligence de Rome. Dans cet édifice qui dominait le Forum, ce corps illustre qui s'élevait au-dessus de la nation en eut toujours la pensée, en dirigea toujours l'action politique aussi longtemps- qu'elle fut libre.
En droit comme en fait, les portes de la curie étaient ouvertes'. Des plébéiens y furent déjà admis dès le temps des rois, puis par Brutus et Valerius Publicola
Après que les plébéiens eurent remporté sur le patriciat cette série de victoires qui commença par le droit au mariage et finit par le droit au consulat, les consuls et les censeurs désignèrent comme sénateurs les plus dignes de chaque ordre' Les anciens magistrats plébéiens, les tribuns, les édiles, faisaient de droit partie du sénat".
Enfin les Gracques y introduisirent Irois cents chevaliers, et au temps des Gracques les chevaliers étaient de riches plébéiens.
H fattait bien qu'eues le fussent, puisque les tribuns assis la porte de la curie étaient là pour surveiller les délibérations du sénat. s Den. d'Hal., y, 13.
~Fest.. p. MO.
*~Pr:Btorii, tribunieii, sedilicu, qusestorii. (Cic., Phil., ~n, d~.) Licinius Calvus, le premier tribun consulaire plébéien, était un vieux sénateur. (Tit. Liv v, 12.)
DeUgerentur autem in id concilinm ab universo pepM~, aditttsquc in illum summum ordinem omnium ci\ ium industrie virtutique pateret. (Cic ~'o Sest., S5.)
Les familles patriciennes formaient, il est vrai, )e corps de cette assemblée, et transmirent de siècle en siècle la tradition invariable de la politique romaine. La curie placée au pied du saint Çapitole veillait à la conservation de la religion nationale, étroitement mêlée à toutes les grandeurs de Rome. Placée en face du temple de Saturne, où se gardait le trésor public, elle surveillait et dirigeait l'emploi de ce trésor. Élevée au-dessus du Comitium et du Forum, des assemblées du patriciat et de la plebs, elle avait l'œil sur les comices patriciens et les comices plébéiens, dont les résolutions avaient besoin d'être autorisées par elle. Sur une décision de la curie, un magistrat abdiquait, ou tous les pouvoirs étaient réunis dans la main d'un dictateur.
Contre les degrés de la curie vinrent plus d'une fois se briser les tumultes du Forum et la puissance devenue exorbitante des tribuns. De la curie partait la déclaration et venait la direction de la guerre; postée comme en sentinelle au pied de la montée triomphale et non loin de la prison Mamertine, elle accordait le triomphe après la victoire et prononçait sur le sort des peuples vaincus, dont les chefs étaient étranglés pendant le triomphe dans cette prison.
Dans certains cas, la curie devenait, ainsi que ia Chambre des lords, une cour de justice. Les sénateurs étaient des juges; ils déclaraient qui il leur plaisait ennemi du peuple romain. C'est à eux que
fut constamment abandonnée la dispensation du trésor public*.
Telle fut la curie pendant les quatre premiers siècles de la répuMique. Quand le temps de son pouvoir et celui de la liberté qu'elle était chargée de défendre 2 furent passés, elle brûla.
La curie était dans un rapport étroit avec ce lieu si important par le rôle qu'il a joué dans l'histoire politique de Rome et dont on parle trop peu, le Comitium, où délibéraient les curies patriciennes, le Comitium, voisin, rival et aine du Forum plébéien.
Il faut nous arrêter un moment à ces deux pôles de la vie politique des Romains, à ces deux endroits célèbres dont l'antagonisme local figure et manifeste cet antagonisme de la plebs et du patriciat, qui fut la fièvre continue et la vie ardente ,du peuple romain tant que ce peuple vécut.
Rome vit un frappant symbole de la destinée des deux ordres. Il y avait sur le Quirinal, devant le temple de Quirinus% deux myrtes sacrés appelés, l'un le Patricien, l'autre le Plébéien*.
Jusqu'au milieu du cinquième siècle, l'arbre patriCic., in ~'a< 15.
~C'était (Cic., Pro $Mt., 65) l'un des buts de l'institution du sénat. Senatum reipublicte custodem, prsesidem, propugnatorem, collocaverunt (majores). plebis libertatem ac commoda tueri a<~<e augere voluerunt.
Près des quattro fontane,
?! Hist. Mat., xv, 35, 2.
cien poussait vigoureusement et se couvrait de feuillage l'arbre plébéien, au contraire, était misérable et rabougri; mais, à partir de ce moment, alors en effet que la conquête de toutes les magistratures avait donné aux plébéiens un avantage complet sur leurs adversaires, ce fut l'arbre patricien qui commença à dépérir et son feuillage à se faner.
Le peuple romain est le peuple de la guerre. Maintenant qu'il existe réellement par la fusion des Latins et des Sabins, à laquelle ont travaillé, chacun à sa manière, les prédécesseurs du dernier Tarquin, et qu'a consommée l'œuvrc accomplie en commun de son renversement, le peuple romain va commencer à la fois deux guerres d'où naîtra sa grandeur l'une au dedans, l'autre au dehors; l'une dans son propre sein entre les plébéiens et les patriciens sortis des deux races qui le composent, guerre au fond de Latins et de Sabins, guerre autant de nationalités que de classes; l'autre à l'extérieur contre les Latins, les Sabins et les autres peuples sabelliques habitants des montagnes les plus voisines, de ces montagnes qui bornent la vue par un si majestueux horizon, et qui semblaient devoir borner la conquête romaine; mais elles nela bornèrent pas.
L'imposante barrière qu'elles lui opposaient fut laborieusement et victorieusement franchie. Le peuple romain transporta bien au delà de ce splendide horizon l'horizon lointain de sa puissance.
Je suivrai le peuple romain dans ses premières conquêtes, qui furent les plus difficiles et les plus longues, car de Rome l'œi) peut en embrasser au moins en grande partie le théâtre. Mais j'aurai à raconter d'autres combats et d'autres conquêtes, et je dois aussi déterminer le théâtre de ces combats que les plébéiens livrèrent aux patriciens.
Ce théâtre, ce fut le Comitium, le Forum et le champ de Mars.
En effet, chacune des assemblées, et, comme on disait, des comices dans lesquels intervenait en tout ou en partie le peuple romain se tenait dans un lieu distinct.
La nature et le jeu de ces assemblées se conçoivent mieux quand on distingue et précise avec soin les lieux divers qui leur étaient assignés. Il y a là, comme je l'ai dit plus haut, une topographie à faire, aussi utile pour bien saisir la* marche des institutions romaines qu'une autre étude topographique est nécessaire pour suivre les progrès de leurs armes. Je parlerai d'abord du Comifiurn.
Le Comitium' était au pied du Capitole, à l'ouest du Forum et plus élevé que lui, en avant de la cuDe CM're ou cumire, se réunir, se rassembler, terme consacré pour les réunions politiques. a
La plupart des auteurs l'ont placé à l'extrémité opposée du Forum, et cette erreur était naturelle, car plusieurs passages indiquent le siège du préteur, qu'on ne peut séparer du Comitium, comme voisin du Puteal de MoH, qui était certainement à cette extrémité, près de
rie', où le sénat se rassemblait; de ce côté (au nord), on y montait par des marches; du côté du mont Capitolin (à 1 ouest), il était de plain-pied avec la base de la colline'. Le Comitium était découverte car la pluie y pouvait tomber'. Les rudes patriciens qui tenaient là
l'arc de Fabius, à l'entrée orientale du Forum. On n'avait pas remarqué que les passages qu'on cilait se rapportaient tous à une époque où le siège du préteur avait été déplacé et transporté par Libon luimême (150 ans avant J. C.) d'un bout du Forum à l'autre. C'est ce qu'agit vu M. Mommsen et qu'a démontré avec une netteté de logique qui ne laisse rien à,désirer M. Dyer.
La statue d'Attius Nœtius, placée sur les degrés du Comitium, était a gauche de la curie (Tit. Liv., i, 36). et si près d'eUe, que la base de )a statue fut endommagée par l'incendie qui au temps de Cicéron consuma la curie. (PL, Bt~. nat., xmv, 11, 2.) !t s'agit de la curia Hoslilia, qui touchait à la basilique Porcia. Le Comitium était donc très-proche de la curie.
C'est à cause de l'élévation du Comitium que Denys d'Halicarnasse dit (i, 87) qu'il était dans le lieu le plus élevé du Forum romain (c'est le sens de x~KT~TM, mot que Denys emploie aussi pour désigner la Yelia) ()n, 1); et il s'agit bien ici du Comitium, qr il s'agit du lion de pierre qui indiquait, selon quelques-uns, la sépulture de Romulus, et cette sépulture était ffaM< Comitium. [Fest., p. 177.) On avait cru voir dans un passage de Tite Live que le Comitium était couvert. Becker (Handt., i, p. 575-6) a montré qu'on s'était trompé.
4 Il est parlé de pluie de sang et de pluie de lait dans le Comitium. (Tit. Liv., M;nv, 45; Jul., Ot< 83, 103.) On n'aurait pas cru à ces pluies fabuleuses dans un lieu à l'abri des pluies véritables. Le Comitium était même un lieu depassage que traversaient les soldats et où un centurion pouvait faire faire une halte, (Tit. Liv., v, 55.) Le figuier ruminai y avait été transplanté, on disait miraculeusement, par l'augure A. Naevius. Selon Pline, il y avait poussé naturellement. (BM/.
leur séance n'avaient pas peur de la pluie, bien qu'à Rome elle ne soit pas rare et dure souvent plusieurs semaines.
Quoique le lieu d'assemblée des patriciens fût entièrement distinct du Forum, qui, dans l'origine, n'était que le marché, la place publique fréquentée par les plébéiens; dans l'usage le Comitium était parfois considéré comme faisant partie du Forum. Ce mot était pris alors dans un sens général et désignait tout l'espace compris entre le Capitole et la Velia. Le Comitium avait-il la même largeur que le Forum 1 proprement dit? Il était assez vaste pour que Caton pût y jouer philosophiquement à la balle le jour où il fut repoussé de la questure.
Aux deux angles du Comitium et dominant le Fo rum~, on plaça plus tard, quand les guerres samnites mirent les Romains en rapport avec l'Italie méridionale, la statue du législateur de Crotone, Pythagore, et de l'auteur de l'expédition de Sicile, Atcibiade nal., xv, 20, 3.) Cet arbre était devant le Comitium, à côté de la curie. (Den. d'Ma) ); 71.)
1 La curia Julia, que je crois en rapport avec la basilique Julia, donnait sur le Comitium. (Dion. Cass., xj.v;t, 19.)
'ËTTt Ti:9 K-5;. (PMt., Num., 8.)
Ces statues en bronze subsistèrent jusqu'au temps de Sylla. (PL, ~M/. nal., xxxtv, 12, 1.) Les portraits de Pythagore, tels que celui qu'on voit dans le. musée du Capitole, n'ont aucune authenticité. H y a une bonne statue d'Alcibiade au Vatican, salle de la Biga.
Vers le Capitole, le Comitium était dominé loimême par la plate-forme sur laquelle un autel avait été élevé à Vulcain, et qui s'appelait le Vulcanal. Sur cette plàte l'orme furent construits plus tard divers monuments, et parmi eux un temple de la Con corde', remplacé par un autre dont l'emplacement encore visible est une indication certaine de l'emplacement du Vulcanal
Fest., p. 2i)0. Le Vulcanal était élevé de peu au-dessus du Comitium. (Den. d'Hal., n, 50.)
Varr., De <. <s< 5-6. De plus, la basilique bâtie par O~imius, auteur d'un temple de la Concorde, et qui de son nom s'appela basilique Opimia; le Senaculum, lieu où les sénateurs se réunissaient avant d'entrer en séance, et qui, pour cette raison, devait être près de la curie; enfin la Graecostase, dans laquelle d'abord les ambassadeurs grecs, puis tous les autres ambassadeurs, attendaient d'être présentés au sénat, et qu'it faut se garder de reconnaître avec les ciceroni arriéres dans les trois colonnes du temple de Castor. On voit que les dépendances de la curie se trouvaient sur le Vulcanal, ce qui s'explique très-bien en les plaçant auprès d'elle, et rend impossible de mettre entre elle et lui toute l'étendue du Forum. Une autre preuve de la vraie position du Vulcanal peut être tirée du lotus (Pl., Hist. nal., xvi, 86) qui avait. poussé sur la plate-forme de Vulcain, et dont les racines plongeaient sous terre jusqu'au Forum de César, qu'elles n'auraient pu atteindre, et même être supposées atteindre, si elles avaient dû pour cela passer sous tout le Forum romain.
L'étendue du Vulcanal devait être assez considérable, puisqu'un supposait que Romulus et Tatius avaient pu y tenir un conseil composé de leurs sénats respectifs. (Den. d Hat., u, 50.) Cette remarque est de M. Dyer; on peut donc supposer l'aire de Vulcain au moins égale au temple de la Concorde, dont l'emplacement a été reconnu, mais n'est visible qu'en partie, parce que les fouilles qui l'ont mis a
De là les consuls consultaient les curies assemblées; là était le tribunal, où, suivant la tradition, Romulus avait siégé rendant la justice dans l'endroit le plus en évidence du Forum.
Là devait siéger le préteur'.
Cette dignité, réservée dans l'origine aux patriciens, était spécialement leur création, car ils l'avaient instituée comme un dédommagement quand ils durent partager le consulat avec les plébéiens. Le tribunal était donc à sa place, au-dessus du Comitium, lieu d'assemblée des patriciens, et près de la curie, lieu des séances du sénat. C'est pour cela qu'il est dit qu'on s'assemblait dans le Comitium pour le jugement des causes.
Je ne crois pas que les plaideurs plébéiens y aient été d'abord admis. Sans doute le client y était représenté par son patron; dans le principe, les patriciens, seuls en possession de la science du droit, pouvaient seuls plaider'.
jour ont été arrêtées par la rampe moderne du Capitole, au delà de laquelle il s'étendait plus au nord, derrière la prison ilamertine. Le tribunal du préteur est souvent indiqué comme placé dans le Comitium; mais tout tribunal étant très-élève au-dessus du sol (Pauly, Bnc!/c~ vi, 2090), on doit mettre celui du préteur sur le Vulcanal, là où la tradition plaçait le tribunal de Romulus.
Le Comitium s'ouvrait aux chevaliers, mot qui dans l'origine avait dés gnë surtout la portion aristocratique des anciennes tribus, même après l'époque où les chevaliers, qui n'avaient plus de cheval, furent des financiers et des fermiers généraux. Comitium locus propter senatum
La principale destination du Comitium était de recevoir les comices par curie, c'est-à-dire l'assemblée des patriciens.
Malgré la constitution de Servius qui avait institué le vote par centurie et lui avait donné pour base la richesse, le vote par curie n'avait pas été aboli, mais seulement restreint.
Les centuries comprenaient tous les citoyens; les curies n'étaient composées que de gentes patriciennes; elles se rassemblaient dans le Comitium.
Chaque curie avait une voix qui exprimait l'opinion de la majorité de ses membres'.
Toutes les curies n'auraient pu tenir dans le Comitium il est probable que chacune d'elles y envoyait seulement le nombre de chefs de gentes nécessaire pour la représenter. y
Le système représentatif n'était pas selon les habitudes de l'antiquité, qui ne concevait guère que l'intervention directe des citoyens dans la chose publique. Ce fut une des causes qui tirent périr la liberté dans Rome, trop agrandie pour pouvoir faire ses affaires elle-même. Mais ici la condition des lieux dut amener une représentation des curies, et forcer à l'admettre.
quo coire equit iLus populoque romano licet. (Pseud. Asc., in Cic.. t~rr. n, 1, 59.)
Don. d'))a! <v, 12; GotU., R. Fer/ p. 153.
Dans les comices par curie, le principe de famille, de race,subsistait'.
La curie, comme l'aristocratie, était originairement sabine, et le Comitium, où les curies se rassemblaient, était le lieu où les Sabins s'étaient autrefois rassemblés. Dans le Comitium, l'ancien esprit aristocratique et l'ancien esprit sabin étaient retranchés au pied du Capitole, qui avait été sabin.
Aussi, quand les comices par curies ne se tenaient pas dans le Comitium, ils se tenaient sur le Capitole, devant la curia Calabra 2. Ceux-là avaient pour objet des élections sacerdotales', l'annonce des phases du mois qui déterminaient l'époque des fêtes, et les déclarations testamentaires qui se liaient à la religion ils étaient présidés par les pontifes.
Le Capitole avait été avant Tarquin et même avant Romulus un mont consacré par la religion. Évandre, dans Virgile, parle déjà de la religion du lieu. Il y avait une grande différence entre le Forum et Je Comitium; le Forum avait une tribune, le Comitium n'en avait pas.
Les comices aristocratiques par curies, qui se tenaient dans le Comitium, allèrent toujours perdant de Cum ex generibus AommM~t suffragium feratur euriata Co:r.iEia esse. xv,, 27, 4.)
Ils s'appelaient Comitia Calata.
Par les sacra de famille, dont l'héritier acceptait ou rache'j.t l'obligation.
leur importance, et les comices démocratiques par tribus, qui se tenaient dans le Forum, en acquirent toujours une nouvelle. Le triomphe graduel du Forum sur le Comitium, c'est toute l'histoire de la république romaine.
Les curies étaient muettes. Le consul venait sur le Vulcanal de la part du sénat proposer un projet de loi (~?M<Ms co~M/<Mm). D'ordinaire elles approuvaient ou rejetaient sans discussion, et le sénat confirmait, autorisait. La parole est la vie des assemblées le silence du Comitium fut encore une cause de l'infériorité des comices par curies et de leur décadence. Ces comices, abandonnés parce qu'ils ne comptaient presque plus pour rien, et que la loi Publilia força d'approuvér les lois avant qu'elles fussent portées, finirent par se composer de trente licteurs qui représentaient les trente curies'.
En fait de fiction représentative, il faut désespérer de faire mieux.
Les comices généraux du peuple romain, les comices par centuries, se tenaient dans le champ de Mars. C'est que l'assemblée des centuries était une assemblée militaire; elle s'appelait l'armée (exercitus). C'est pour cela qu'elle se formait hors de la ville, hors du Pomaerium, enceinte sacrée de Rome; car l'armée était soumise à l'tm~nMm, ce pouvoir formidable C!c.. n, H.
que les consuls ne pouvaient exercer dans la ville. Le champ de Mars était bien choisi par les comices de cette armée qui votait. Le vote avait lieu près de l'autel de Mars 1.
Les aruspices étaient entre les mains du consul faisant fonctions de général, qui présidait aux suffrages dans le Ta~nMCMJ'Mm, ce qui voulait dire la <~tf~ 2. Sur l'ordre du consul, et au son de l'antique trompette du Latium, la corne de bœuf, qui les appelait du haut des murs comme s'il se fût agi de marcher à l'ennemi, les citoyens se rendaient au Septa~. Un passage de Tite Live (xL,'45) fait voir que l'autel de Mars était voisin des Septa. Comitiis perfectis, ut traditur antiquitùs, censores M campo ad aram Martis consederunt.
C'était aussi le nom du lieu que choisissait l'augure dans l'espace qu'il avait déterminé et qu'on appelait le Templum. (Cic., P~ Div.,
r. 35.)
Nibby (R. ast., n, p, 837) place les Septa au palais Doria, et. sans en donner la preuve; on peut déterminer leur emplacement avec plus d'exactitude qu'on ne le fait en général. La villa Publica était à côté des Septa. (Yarr., De R. R., tir, 2,17.) Or elle était très-proche du temple de Bellone (Tit. Liv., xxx, 21; xHut, 24), comme s'en aperçurent les sénateurs rassemblés dans ce temple quand leur séance fut troublée par les cris de quelques milliers de prisonniers de guerre que Sylla faisait égorger dans la villa Publica. Le temple de Bellone était voisin de la partie occidentale du cirque Flaminien. (Ov.. f~t, Y!, 201 et suiv.) Près de là était donc une extrémité des Septa l'autre est indiquée par l'église de la Minerve. En effet, Juvénal parle d'un temple d'Isis qui était proche des Septa (Juv., Sat., v), 528), et on a trouvé une grande quantité de statues égyptiennes dans les environs de l'église de la Minerve, une Isis en basalte, l'obélisque de la place de la Minerve, les deux beaux lions portant le nom de Nectanebo, cidevant à la fontana felice, aujourd'hui au musée du Vatican.
Ce nom de Septa ou son synonyme Ovile (parc de bergerie) désignaient une enceinte en bois où les votants avaient seuls le droit d'entrer et où se tenaient les comices militaires et rustiques de Rome, à son origine, ville de pâtres et de guerriers.
On construisit pour la vérification des suffrages 1 un monument considérable appelé Dtt-tMtcrtMm, mais ce fut sous Auguste, quand le suffrage ne signifiait plus rien.
Alors on remplaça aussi les planches du Septa par de superbes portiques. César eut la pensée de cette magnifique ironie elle fut complétée sous Auguste et Tibère".
L'usage se conserva toujours de passer sur un pont pour aller voter, afin d'éviter ainsi la confusion. Marius fit faire le pont plus étroit pour rendre la régularité des suffrages plus grande et leur captation plus difficile.
Pendant le vote, les diribitorea marquaient par des points le nombre des voix qu'obtenait chaque candidat. Avoir tous les points, c'était passer à l'unanimité, avoir un succès complet. De là ce vers d'Horace Omne tnlit punctum qui miscuit utile dulci.
Cic., Ad Ait., 'v. 16.
D. Cass un, 22; Lv, 8. La forme des Septa Julia a été conservée par des fragments du plan de Rome .antique qu'on toit dans l'escalier du musée Capitolin.
Grucchius (De CoM. 7! p. 126) pense qu'il y avait trente-cinq ponts, un pour chaque tribu. L'origine de ces ponts était vraisemblablement la nécessité de franchir un petit cours d'eau appelé Petronia amnis.
Mais ce n'est pas par des précautions matérielles qu'on peut remédier à la corruption des âmes. Le Romain qui avait dépassé l'âge de porter les armes perdait le droit de voter, comme ayant cessé d'être citoyen le jour où il cessait d'être soldat. De là cette expression proverbiale les sexagénaires sont précipités du pont, allusion enjouée à une tradition sinistre.
On disait que dans les temps antiques, à l'époque des sacrifices humains, on précipitait du pont Sublicius, qui n'existait probablement pas alors, les vieillards âgés de soixante ans.
Peut-être aussi le proverbe politique avait-il fait imaginer la tradition.
Cette coutume de tuer les vieillards, qu'on a trouvée chez certains peuples sauvages, attribuée par les Romains à leurs aïeux, montre qu'ils croyaient à un âge de sauvagerie primitive dans le Latium. Je suis porté à penser qu'ils avaient raison. Prés des Septa était la villa Publica 1, dont le nom indique l'origine rustique; c'était une villa, c'est-àdire, à cette époque, une ferme que l'on construisit Elle était assez près des Septa pour pouvoir être confondue avec eux car c'est en faisant allusion aux prisonniers égorgés dans la villa Publica par ordre de Sylla que Lucain a dit
Miseras maculavit ovilia Romœ.
Les Septa étaient à la droite de la villa Publica. (Varr., H. R., m, 17.)
dans le champ de Mars pour servir de dépendance aux Septa.
On y faisait les enrôlements et les recensements'. Les augures s'y tenaient pendant les élections. Plus tard on y logea les ambassadeurs.
Au temps de Varron, elle était déjà d'une certaine magnificence, ornée de peintures et de statues*.
L'origine de la villa est liée à l'origine de la censure. Peu d'années après l'institution de cette magistrature, la construction de la villa Publica fut ordonnée parles censeurs\
Tite Live dit qu'alors le recensement du peuple (census populi) y eut lieu pour la première fois. Le recensement était beaucoup plus ancien; il remontait à Servius Tullius. Cela ne peut vouloir dire qu'une chose, c'est qu'alors il fut fait pour la première fois dans la Villa Publica.
La censure devait être fort ancienne, car tout porte en elle le caractère de la simplicité primordiale et de la vie rustique.
1 Ubi cohortes ad delectum consuli adductee considant, ubi arma ostendnnt.uMcensoreseensuadmittatttpopu)um.(Varr.{.R!Mf.. m, 2.) Varr., ~i. Rust., m. 2. Une médaille du temps d'Auguste la représente avec un portique a deux étages. (Nibb., R. ant., i!,p. 843.) C'est sans doute sous ce portique que Varron attendit avec son ami Arius que leur candidat eût obtenu dans les Septa les honneurs de l'édilité. Vis patins vittse PuMica; utcmur umbrd. (Varr., :Y')
Tit. L)Y.,n'. 22
L'estimation des biens de chacun se faisait dans un édifice appelé Villa, la ferme, près du parc aux moMtots. Le recensement, et la lustration qui venait après, se rapportent aux habitudes pastorales d'une société naissante. Le mot censere lui-même s'appliquait dans l'origine aux troupeaux", et les bergers romains faisaient la h~trat!OM de leurs taureaux~; ils purifiaient leurs brebis à la fête de Palès comme ils les font encore asperger d'eau bénite à la fête de saint Antoine.
il n'est pas jusqu'à l'animal immonde dont on a fait, je ne sais pourquoi, le compagnon de ce grand solitaire, qui ne joue son rôle dans le /îfs~'Mm du champ de Mars.
Avant de prononcer une bénédiction solennelle sur le peuple romaine les prêtres promenaient autour de l'assemblée un cochon, une brebis et un taureau; puis ils les immolaient.
Cette estimation se faisait sur la déposition des contribuables; elle était contrôlée par les tables des censeurs, qui pouvaient élever le chiffre de la taxation s'ils le jugeaient à propos. (Den. d'Hal., ix, 56.) La terre n'était pas taxée seule comme on l'a cru; la preuve en est dans ce passage de Festus In ~Mh'MM~'OM e~Mans aM infectum rudus appellatur.
Censere numerum gregis, dit CotumeUe.
Lustrarejutencos. (Tihulle.)
4 La purification des animaux avait pour but d'écarter d'eux toute influence funeste. C'était aussi le but de la tustration du peuple romain.
'~Carmen sotemneprecationis. (Val. Max., iv, 1. 10.)
Ce choix des trois victimes désignait les trois époques de la société primitive. Le cochon, l'âge le plus ancien de cette société quand l'homme habitant les forets non encore défrichées, n'a d'autre ressource que la domesticité errante de ce compagnon de la vie du chasseur au sein des bois, où il se repait du gland des chênes, première nourriture de l'homme, suivant la tradition antique.
La brebis représente l'âge pastoral, qui vient ensuite quand la forêt commence à faire place au pâturage.
Enfin le taureau ou le bœuf représente l'âge agricole, qui conduit à la civilisation par la propriété. De plus, la lustration qui accompagnait le recensement paraît avoir une origine sabine.
Nous avons déjà vu que les purifications étaient venues à Rome des Sabins ou des Étrusques par les Sabins. On peut en dire autant des différentes fêtes dans lesquelles on purifiait la terre et ses produits, les <HM&an~M, les cereales, les ~a<j~fa~
Tout cela était sabin d'origine.
La lustration, qui accompagnait le recensement, devait l'être aussi.
D'autre part, si l'on se souvient que le roi qui fit On purifiait la terre par des lustrations avant les semailles et avant ]a moisson.
Pagum luslrate coloni
(Ov., Fast., t, 669.)
du cens le principe de la constitution romaine, bien que venu d'Etrurie et probablement d'origine sabellique, savait quelque chose des sociétés grecques par l'Italie méridionale, on peut retrouver dans le recensement tel qu'il l'institua une autre imitation de la Grèce et de Soient De plus, comme nous avons vu Mastarna choisir des temples pour y constater par des offrandes de nature différente ce que nous appèlons le mouvement de la population, nou% voyons aussi les magistrats chargés d'opérer le recensement de la fortune des citoyens déposer dans un temple les tables qui contenaient les résultats de cette statistique officielle. Les tables du cens se conservaient dans le temple des Nymphes', c'est-à-dire le temple des Camènes, divinités sabines. Ce choix remontait sans doute à l'époque où les rois étrusques avaient pour l'aristocratie de Rome, presque entièrement sabine; des ménagements que j'ai signalés, et dont le choix fait par Servius Tullius de trois temples consacrés à des divinités sabines pour contrôler le recensement nous a fourni un exemple.La censure fut une magistrature patricienne que les patriciens ne partagèrent avec les plébéiens qu'au bout d'un siècle, et qui, bien qu'inférieure hiérarchiquement au consulats et à la préture, n'en eut pas Le Tt/~ef de Solon était très-analogue au ccsstM romain. Cic., Pro Mil., 27.
C'était d'abord le consul qui faisait le recensement; la censure,
moins un caractère tout spécial de majesté et d'autorité.
Le censeur était vétn de pourpre'; un licteur marchait devant lui, et, tandis que les autres magistrats prêtaient serment aux lois devant le temple de Castor en se tournant vers le Forum, il le prêtait sur le Capitole~. Au lieu de répondre de lui-même au peuple, il ne traitait qu'avec Jupiter.
Les censeurs louaient les terres du domaine public, qui s'appelaient toujours d~s pâturages, en mémoire de leur destination primitive, percevaient les impôts, affermaient certains revenus de l'Etat, mauvaise méthode, trop pratiquée dans l'ancienne Rome et trop conservée dans les Appalti de la nouvelle.
Us étaient aussi chargés d'appliquer les ressources du trésor à diverses dépenses de la république, parmi lesqueltes je noterai seulement celles qui concernent un des principaux objets de ces études les monuments publics et surtout les temples, que des particuliers ou des sociétés (societates) prenaient à l'entreprise.
La grande place que les anciens assignaient avec raiaussi bien que l'édilité curnie et la préture, fut, comme l'a remarqué Niebuhr, une portion de l'autorité consulaire que les patriciens en détachèrent quand ils commencèrent à craindre qu'elle ne leur échappât. tout entière,
Potyb., vt, 53.
Tit. Liv., XL, 46.
son aux mœurs dans la société politique conduisit les Romains à conférer au censeur des pouvoirs qu'à juste titre nous jugerions exorbitants. Qu'il pût chasser un sénateur du sénat et un chevalier de sa tribu, rien de mieux, et de telles épurations, si elles étaient possibles, seraient parfois foi t nécessaires; que le mauvais traitement des esclaves fût châtié, rien de mieux encore; mais les censeurs punissaient d'ignominie des fautes privées sur lesquelles il n'appartient qu'à la conscience de prononcer et non pas à l'État, parce que l'État n'a pas l'infaillibilité de la conscience; ils punissaient, ce qui est plus grave, des actes irrépréhensibles et dont personne n'a le droit de demander compte au citoyen le choix d'une profession. comme celle de petit marchand ou docteur; les arrangements de la vie privée, comme la préférence donnée tau célibat sur le mariage.
C'était là une véritable tyrannie et une tyrannie tracassière à laquelle les Romains se soumettaient, et pourtant ils avaient plus le sentiment de la liberté que tels hommes qui demandent seulement au. pouvoir absolu de n'être point tracassier.
Ils ne refusaient rien au despotisme de la loi, mais n'en voulaient supporter aucune autre.
Ce n'était pas assez sans doute.
La législation ne doit pas être oppressive, et la liberté d'un citoyen ne doit avoir d'autres restrictions que la protection de la liberté des autres citoyens.
Mais des lois oppressives peuvent être corrigées par d'autres lois ou abolies avec le temps, et c'est ce qui est arrivé en partie à Rome pour la censure. D'ailleurs, il est parfois pénible, mais il n'est point honteux de se soumettre à la rigueur excessive d'une loi qu'on s'est imposée à soi-même.
Ce que les Romains jugeaient dégradant pour la nature humaine, c'est d'abdiquer la liberté dans les mains d'un homme. C'est de mettre une volonté à la place de toutes les volontés. Cela ils l'eurent toujours en horreur et en mépris. C'est pourquoi la censure ccnnéeàdes magistrats dont l'autorité était temporaire, et qui appliquaient des lois auxquelles tous avaient mis la main, que chaque jour on pouvait changer, fut à Rome entourée de respect, tandis que la censure chez les modernes, qu'elle porte ce nom ou qu'elle en porte un autre, bien qu'elle ne s'immisce point dans les actes de la vie privée et se borne à faire dépendre du bon plaisir d'un homme ou de plusieurs la liberté pour les citoyens de manifester leur pensée, a été ûétrie par le sentiment public toutes les fois qu'il y a eu un sentiment public. La censure de Caton et la censure de la police sous le premier empire, je le demande a tout lecteur de bonne foi, lui semble-t H que ce soit le même mot?
A Rome, où le caractère religieux se montre partout, la plupart des magistratures étaient dans un rapport particulier avec un temple. Nous venons de le
voir pour les censeurs, dont les registres se conservaient dans le temple des Nymphes.
Nous le verrons pour les édiles attachés au temple de Gérés; nous allons le voir pour les questeurs. Le rapport des questeurs était avec le temple de Saturne, parce que là se trouvait le trésor public (serarium), et qu'ils étaient chargés de plusieurs soins qui concernaient ce trésor
Le nom des questeurs (quxsitor, celui qui recherche) avait le même sens que celui des modernes inquisiteurs. Ils étaient de deux sortes les accusateurs publics et les gardiens de la fortune de l'État. Ces deux sortes de questeurs sont dits avoir existé sous les rois.
Ce qu'il y a de sûr, c'est que les seconds remontent aux premiers temps de. la république, que leur principale fonction fut de veiller au trésor de l'État déposé dans le temple de Saturne et aux sénatus-consultes conservés dans l'~Erarium.
Les questeurs furent d'abord patriciens et désignés par les consuls; mais il importait trop aux plébéiens d'avoir l'œil sur le maniement des finances publiques pour qu'ils ne voulussent pas être aussi représentés dans la questure. Ils obtinrent en 555 que les quesPar exemple, de fournir à la dépense des envoyés étrangers que la république défrayait. Quelquefois ceux-ci donnaient un etiift're de leur escorte plus élevé qu'il n'était réellement et que démontraient les registres de l'~rarium Servos novem se professi sunt habere, cum sine comile yenissent. (Cic., Pro Maec., 18.)
teurs seraient à l'avenir pris indifféremment dans les deux ordres, et en 545, sur quatre questeurs, il y en eut trois de plébéiens.
La questure était la moins élevée de toutes les magistratures cependant on paraît avoir voulu la relever par quelques prérogatives. C'était dans les mains des questeurs que la plupart des magistrats prêtaient serment devant la porte du temple de Saturne~, dieu de la bonne Foi antique de l'âge d'or.
C'étaient les questeurs qui allaient chercher les enseignes militaires dans le temple du dieu pacifique, où on les conservait tant que durait la paix, et les port Le trésor y était encore au temps de Plutarque (Publ., 12); il n'y a donc aucune raison de supposer, comme fait Bêcher (Handb., t, p. 5n), qu'il fut transporté dans le Tabularium, c'est-à-dire dans les archives. On y put transporter les tables des Ediles, qu'on dit avoir passé du temple de Cérès au Capitole car )e Tabularium était sur le Capitole, mais le trésor resta toujours dans le temple de Saturne. C'est là que César le trouva et le vola. Ce temple, placé entre le Capitole et le Forum, à l'extrémité du vicus Jugarius, était consacre à Saturne et à Ops, la déesse de la richesse. Quelquefois, quand' il s'agissait du trésor, on l'appellait seulement temple d'Ops. (Cic., Phil., 7; n, 14.) Dans la partie secrète du temple était sans doute le trésor p<M MtM<, sanctius œrarium, où l'on mettait à part le produit de l'impôt appelé le vingtième (Tit. Liv., x~vn, 10), pour les plus extrêmes nécessités; ce fut celui que le consul Lentulus ouvrit avant de quitter Rome. {Cses Bell. CM i, 14.) Mais il en restait un autre plus considérable, que personne n'avait ouvert et dont César fit briser la porte. On voit que l'un des partis ne ménageait pas plus que l'autre le trésor public dans l'intérêt de la guerre civile. Mais le consul était dans la légalité, car le sénat, entre les mains duquel était la clef de l'~Erarlum, avait pu la lui remettre.
taient dans le champ de Mars pour les donner aux légions qui allaient combattre
Celui des questeurs auquel le sort avait assigné pour province la ville de Rome avait particulièrement soin du trésor. Comme les censeurs, il affermait les travaux publics, dont l'adjudication avait lieu dans le Forum.
Il faisait élever, par ordre des consuls, des statues aux citoyens qui avaient mérité cet honneur 2. Enfin les-serviteurs publics attachés aux questeurs devaient se présenter devant le temple de Saturne le .jour où ces magistrats entraient en charge, et qui n'était pas le même pour eux et les consuls.
L'importance de ce temple, par rapport à la législation romaine, était grande; car un sénatus-consulte n'avait force de loi que lorsqu'il y avait été régulièt'ement déposé~. Cette formalité essentielle était pour les Romains ce qu'est pour nous l'insertion au Bulletin des lois\
1 Tit. Liv., m, 69. Dans un autre endroit, Tite Live (v)[. 23) dit (p)~' les enseignes furent portées au temple de Mars, près de la porte Capëne, où l'armée était rassemblée. Ici l'opposition du temple de )hu's au temple de Saturne marque encore mieux le caractère pacifique de ce dernier.
"Cic., fM.,tx, 7.
Tit. Liv., xxxix, 4.
Même après l'érection du Tabularium (archives), on voit (Su<~ .4M~ 94) les sénatus-consultes portés à l'.Eranmn. Peut-être considérait-on le premier comme une dépendance du second, ce que leur proximité peut expliqufr.
La prèture 1, cette charge la plus haute après le consulat, celle qui resta le p~.tongtemps exclusivement patricienne, nous ramène au Comitium et au Forum.
Le préteur était le représentant suprême de la justice. Son tribunal fut d'abord placé dans le Comitium, ou plus exactement sur la plate-forme qui le do. minait et que l'on appelait le Vulcanal, plus tard transporté à l'autre extrémité du Forum', Le préteur nommait les juges, qui, assis sur des tabourets, devaient émettre une décision touchant la cause qui avait été portée devant eux; puis le préteur prononçait le jugement.
Chaque année, en prenant possession du tribunal, le préteur publiait un édit, sorte de manifeste judiciaire dans lequel il déclarait ce qu'il conservait ou changeait dans la jurisprudence de ses devanciers. Par l'édit prétorien, qui faisait entrer l'équité dans le droit strict, la réforme, et le progrès s'introduisirent comme inaperçus dans la législation romaine, et, grâce a un judicieux emploi de sages ficlions, en modifièrent graduellement l'esprit sans en troubler brusquement l'unité. Ulpien appelle l'édit prétorien la voix vivante du droit civil.
L'édit du préteur était exposé dans le Forum, écrit Il est question du p~e'' MftantM, seul à l'origine.
Yoy. ))ynr. StniH~ ~Mt.u-t. ~mf/, p. 776.
d'abord sur le mur blanc de quelque temple, puis sur une planche blanchie (album).
Le nouveau préteur laissait intact le texte ancien et se bornait à récrire ce qu'il changeait et à écrire ce qu'il ajoutait.
Ce tableau était une image parlante de l'esprit de la législation romaine, qui, lente à détruire et prudente à innover, transformait insensiblement, mais effaçait très-peu. Aussi cet édit s'appelait-il, ce qui est profond, perpétuel et annuel, c'est-à-dire durable et renouvelé. C'est aussi l'esprit de la cour de Rome, mais elle, est encore plus enchaînée à la tradition immobile du passé, elle a son édit perpétuel, mais elle n'a pas son édit annuel.
En face du jugement présidé par le préteur et rendu par des juges patriciens dans,le Comitium subsistait le vieux jugement populaire des centumvirs qui devait se tenir dans le Forum. Sous l'empire, nous voyons un procès jugé par les centumvirs, dans la basilique Julia'. 1. Les centumvirs représentant les tribus~ offrent de grandes ressemblances avec les héliastes d'Athènes et sont encore une imitation romaine des institutions de la Grèce, qu'on peut faire remonter, comme le pense Niebuhr, à Mastarna. Les anciens avaient leur jury\ P). Ep v, 9 (21).
P. Diac., p. 54.
Le nom même des jurés rappelle que les héliastes n'étaient admisà juger qu'après avoir prêté un serment.
Les comices par curies étaient exclusivement aristocratiques, les comices par centuries étaient composés de la totalité des citoyens dont les votes comptaient en proportion de leur richesse; la pure démocratie eut aussi ses comices, dans lesquels la naissance ne constituait point un droit, la richesse ne donnait aucun avantage, mais le nombre était tout on les appelait les comices par tribus.
Moins anciens que les deux autres, ils gagnèrent toujours en importance. Leur progrès suit et manifeste l'ascendant croissant de la démocratie dans la constitution romaine.
Les comices par tribus ne sont pas attachés invariablement à un lieu particulier la démocratie n'aime point à s'enchaîner par l'usage et par la tradition; instable et capricieuse de sa nature, il lui plaît de changer de place aussi bien que de résolution. Aussi les comices par tribus se tinrent-ils quelquefois dans le Champ de Mars, comme les comices parcenturies; quelquefois sur le Capitole, comme les comices patriciens'. Pourquoi le peuple souverain aurait-il respecté une prérogative et n'aurait-il pas voulu établir qu'il se réunissait là où bon lui semblait, que les lieux de réunion assignés aux autres assemblées pouvaient recevoir les siennes? Il n'osa cependant jamais usurper le Comitium, cet anTit. Liv., ïun, 16. Ils eurent lieu aussi dans les prés Fianunie!t' (Tit. Li\ n't 54.)
tique domaine du vieux patriciat sabin'; et le lieu qu'il préféra pour ses comices, ce fut le lieu de tous temps ouvert à tous, le marché, la place publique, le Forum. Le Forum, comment y mettre le pied sans voir apparaître les luttes des partis, les triomphes de la parole, toute la vie énergique et orageuse du peuple romain? Déjà le lieu où il devait exister a été pour nous le théâtre du combat épique de Tatius et de Romulus, des Sabins et des Romains, puis de l'alliance inégale des deux rois et des deux peuples.
Le Forum était destiné à étre bien des fois aussi, dans l'ordre politique, un lieu de combats et d'accommodements.
Ce n'est pas la faute des antiquaires si nous n'éprouvons point à le reconnaître autant d'embarras qu'à discerner la vraie place de la roche Tarpéienne et du Capitole ils ojit voulu déplacer le Forum, au lieu de le mettre où est le campo vaccino, le transporter à droite dans la rue des Fenili, et, au lieu de le laisser allant de l'Ouest à l'Est, le placer en travers du Nord au Sud\ Au contraire, les tribus représentaient à leur origine l'ancien intérêt latin; quand les Latins étaient admis au droit de suffrage, c'est dans les comices par tribus qu'ils l'exerçaient.
Nardini, qui a remis le Capitole à sa place, est celui qui a ôté le Forum de la sienne, et a égaré jusqu'au sage Nibby. Piale a le premier redressé une erreur dont des fouilles plus récentes, entre autres celle qui a découvert la basilique Julia, ont achevé de démontrer l'énormité. Le docte Bunsen, Canina, et son adversaire acharné Becker, ont rendu impossible toute incertitude une expression ambiguë de Denys d'Halicarnasse (u, 66), qui dit que le Forum
Heureusement ces efforts pour troubler la confiance des voyageurs n'ont eu aucun succès, et ceux-ci apprendront peut-être avec plaisir que, tout bien examiné, le Forum demeure où il était.
L'on peut déterminer avec beaucoup de précision l'étendue et les limites du Forum.
II commençait à l'Ouest au pied du Capitole; à l'Est, où sa largeur était moins considérable, un coude de la voie Sacrée qui descendait de la Velia (arc de Titus) le limitait. Sur son côté méridional se prolongeait la voie Sacrée jusqu'au pied de la montée triomphale du Capitole, un autre embranchement de la voie sacrée longeait la partie septentrionale' du Forum qui formait un trapèze* s'élargissant vers le Capitole. est entre le Capitole et le Palatin, pouvait seule faire hésiter; mais, comme l'a justement remarqué Becker (Natter., p. 218), cet auteur se corrige lui-même en plaçant entre ces deux collines lé quartier étrusque (v,56). L'expression de Denysd'Haticamasse.était surtout fausse pour Becker et ceux qui, comme lui, mettent le Capitole là ou est la roche Tarpéienne; pour ceux qui voient le Capitole proprement dit dans la cime nord-est du mont Capitolin, les termes employés par Denys d'Halicarnasse ont une certaine vérité; le Forum se trouve en effet sur une ligne oblique entre l'église d'Ara-Ccen et le Palatin; pour eux, la phrase de Denys d'Halicarnasse est une preuve de plus de l'opinion qu'ils ont embrassé; pour eux, et pour eux seuls, le Forum est, comme le dit aussi Denys d Haticamasse, placé ex-<<M«MM du Capitole.
On en a trouvé des fragments devant le temple d'Antonin et Faustine, et près de l'église de Saint-Adrien. (Smith's, D<c<. 6/' gr. and R. geogr., n, p. 772,)
Vitruve prescrit jv, 1) que la largeur d'un Forum soit égale aux
A l'endroit où le prolongement méridional de la voie Sacrée pénétrait dans le Forum, on y avait accès par une entrée à laquelle un arc de triomphe, le premier qu'élevèrent les Romains, l'arc de Fabius, donna son nom. Un passage de Cicéron ne permet pas de placer l'arc de Fabius ailleurs qu'à l'angle est-sud du Forum. « Quand, dit-il, près de l'arc de Fabius je suis poussé dans la foule, on conçoit que parfois elle fut grande à ce point de jonction entre la place publique ~t une rue très fréquentée, je m'en prends à celui <}ui est près de moi, et non à celui qui est sur le sommet de la Velia (arc de Titus)'. a ·
Deux rues venant du Sud tombaient dans le Forum romain: l'une, suivant le pied de la roche Tarpéienne e débouchait à l'extrémité Ouest du Forum, c'était le vicus Jugarius; l'autre un peu plus à l'Est, et dirigée dans le même sens, venait aussi aboutir au Forum, c'était la rue des Étrusques (vicus Tuscus). Par la première on allait gagner la porte Carmentale, par la seconde on se dirigeait vers le grand cirque, à travers le quartier étrusque, lequel devint un des quartiers les plus animés et les plus marchands de Rome, et aujourd'hui l'est très-peu.
En revanche, du côté du ~ord on ne connaît pour deux tiers de sa longueur; mais le Forum s'était forme tout seul pour satisfaire aux besoins des populations, et d'après la disposition des lieux, sans attendre Vitruve.
Cie., pro Plane. 7.
communiquer avec la populeuse Sabura, avec les élégantes Carines, qu'une rue partant du Forum, au-dessous de la Velia; mais il devait en exister d'autres.
Des boutiques s'éleverentsur les deux rues qui, l'une au Sud, l'autre au Nord, bordaient le Forum dans sa longueur. Les premières s'appelaient les vieilles (veteres), les secondes les neuves (novae).
Les boutiques rappellent l'origine du Forum, qui fut d'abord un marché.
Les changeurs, les banquiers, les gens d'affaires, se réunissaient autour de ces arcs nommés janus, sous En effet, cette rue est appelée par Denys d'Ha)ic:u'nasse un raccourci il y avait donc une route moins abrégée allant du Forum au pied de l'Esquilin, sans doute celle qui plus tard traversa le Forum de Nerva, appelée le Forum de piMM~e (Forum transitorium). De plus, il est fait mention de trois arcs nommés janus; ['un au commencement, l'autre au milieu, le troisième au bout du Forum. Vraisemblablement ces janus servaient de porte, ou étaient devant une entrée du Forum. La première et la troisième s'ouvraient à ses deux extrémités. Cette du milieu devait faire face à une rue qui conduisait à la Subura et aux Carines.
l'n passage de Cicéron nous fait connaître positivement que les vieilles étaient au sud et les neuves au nord du Forum, car il nous apprend que celles-ci étaient exposées au soleil et les autres à l'ombre, parce qu'elles avaient le soleil derrière elles; il suffit d'avoir eu à traverser le Campo Vaccino par un jour brûlant pour avoir senti toute la justesse de la remarque de Cicéron, faite par lui sans doute quand il descendait du Capitole pour retourner à sa maison du l'alatin. Voici ce passage important pour la topographie du Forum « Ut ii qui sub tK'fM M/em non terunt, item ille cum aMtMa~t, veterum. «a~ntm est secutus. (Cic., ~Mff. pn'or, n, 22.~
lesquels en cas de pluie on pouvait trouver un abri. Ces janus formaient la <'<M<r~ de Rome.
Il yen avait trois, tous placés sur le côté septentrional du Forum'.
Tel était la configuration et l'aspect ancien du Forum. Avec le temps, des portiques l'entourèrent, les boutiques firent place à des basiliques; trois temples, à l'ouest celui de la Concorde et celui de Vespasien, celui de César à l'est, vinrent se placer à côté du temple de Saturne et du temple de Castor qu'on réédifia. On s'exagère souvent le nombre des édifices du Forum tous étaient à l'entour. Le centre du Forum était libre et le fut toujours.
Il le fallait bien, car, sans parler des acheteurs, où eût été la place nécessaire pour les combats de gladiateurs, qui eurent lieu dans le Forum jusqu'à la fin de la république, avant qu'on eût élevé des amphithéâtres, et pour les réunions des plébéiens, les comices par tribus, dont je vais parler?
Et puis le Forum devint un lieu de promenade, comme le Campo Vaccino l'est encore le dimanche, pour les Romains; un lieu de plaisirs pas toujours honnêtes. Plaute nous apprend par quelles sortes de gens les différentes parties du Forum étaient fréquentées de son temps.
Les faux témoins abondaient aux abords du ComiHorace ~&!< ti, 5,18) parle d'un Janus medius.
Curcut. IY, H9 et sniv.
tium où l'ont jugeait les procès. Peut-être on en trouverait quetques-uns dans le voisinage de la curia lnnocentiana.
Les menteurs et les glorieux se donnaient rendezvous près du sanctuaire de Vénus Ctoacinc (au nord du Forum) c'était là que venaient raconter leurs exploits faux ou véritaMes les bravi de la Rome ancienne, du côté de la Subura, autrefois habitée par les Ligures, cousins des gascons, et qui y avaient laissé peut-être quelques descendants.
Là aussi, non loin du temple de Vénus Purifiante, se traitaient certains marchés sous les auspices d'une Vénus moins pure et dont le culte était fort répandu dans le quartier voisin de la Subura. Du même côté était le marché au poisson, dont l'odeur, quand soufflait la Tramontane, mettait en fuite les plaideurs qui hantaient la basilique Portia, et où l'on faisait des pique-niques par souscription; c'était le BiHy-Gate de Rome. L'extrémité orientale du Forum, le bas Forum', était réservé aux honnêtes gens, aux riches, boni ~omtttM, ceux qu'on appelle aujourd'hui t~mtMt grassi. Les gens de bien préféraient ce bout du Forum que dominait la Velia, autrefois demeure des Sabins, peut-être par un souvenir de ce peuple probe, qui On appelait le côté opposé le «w~Me< du Forum; celui-ci présentait peut-être un plan un peu incliné à partir du Capitole; le Miliarium .aureum était in capite Fori, peut-être aussi appelait-on la M<< du Forum la partie la plus noble, celle eu se trouvait le Comitium.
avait fourni àRome son aristocratie. On conçoit que dans leur voisinage eût été à l'origine le rendez-vous des boni homines, ce qui avait, comme les honnêtes gens, le double sens de gens honnêtes et de gens comme il faut.
Un canal ou ruisseau traversait le Forum dans le sens de sa longueur, car il devait être un des affluents de la Cloaca Maxima il devait être aussi en rapport avec le lac de Curtius, avant lequel il est immédiatement nommé. Au bord de ce canal se rassemblaient particulièrement les oisifs, les flâneurs; ils en avaient pris le nom. On les appellait les hommes f~cana~ canalicolse comme on dirait à Paris les habitués de la petite Provence. Ceux-là étaient, selon Plaute, pleins de prétentions, confiants, bavards, malveillants, disant à propos de rien impudemment du mal d'autrui, quand ils auraient eu assez à en dire d'eux-mêmes. 11 paraît que, comme les habitués de la petite Provence, ces malveillants faisaient de la politique' au bord de leur GeU.ec< att., iv, 20.
C'est ce qui résulte d'un passage de Tertullien où, disant qu'il t) pas l'ambition de jouer un rote, qu'inné court point après les places, il ajoute Canales non odoro; je ne vais point flairer les canaux comme nous dirions je ne vais point prendre vent auprès des canaux. Ceci, en ce qui concerne la topographie du Forum, montre qu'au temps de Tertullien le Forum était traversé par plusieurs de ces canaux, et à cause du double sens du mot odoro, semble indiquer que les canaux, probablement mal entretenus an troisième siècle, ne entaient pas bon. 0
canal, et que souvent c'étaient de pauvres diables'. Près des boutiques vieilles se trouvaient les usuriers, comme ils abondaient du côté des boutiques neuves, ou étaient les trois janus. On voit que dans le Forum il y en avait partout.
Enfin derrière le temple de Castor, c'est-à-dire dans la rue Neuve, on rencontrait des gens avec lesquels il, était bon de se tenir sur ses gardes. Plaute en aurait dit autant aujourd'hui, j'imagine, des petites rues qui avoisinent le Forum.
J'ai suivi l'histoire du Forum jusqu'au siècle de Plaute, qui nous en a fait. pour ainsi dire la topographie morale telle que le génie observateur du poëte comique l'avait saisie. Revenons à sa topographie politique et aux comices par tribus dont le Forum était le principal théâtre.
Je crois que les premiers comices par tribus se tinrent dans le Forum et ne furent transportés dans le champ de Mars que lorsqu'ils se confondirent avec les comices par centuries'. Essentiellement démocratiques, leur lieu naturel était le lieu populaire par excellence, le marché. Nul monument ne fut jamais élevé à ces comices de la démocratie romaine, ils n'eurent pas même de septa permanents. Il fallait que le marché Canaticolte foreuses homines pauperes, (sic~ diati quod circa tanales fori consistèrent. (P. Diac., p. 45.)
Les exemples que l'on cite des comices par tribus tenus dans le champ de Mars sont de la fin de larépublique.
restât libre pour la circulation et pour les combats de gladiateurs. Qnand les comices par tribus devaient avoir lieu, on tendait dans le Forum des cordes qui figuraient transitoirement les planches du champ de Mars\ Je crois pouvoir déterminer quelle était la direction de ces septa mobiles je crois qu'ils étaient disposés dans le sens de la largeur du Forum, du midi au nord% regardant la tribune sur laquelle siégeaient les tribuns du peuple.
Niebuhr pense que dans,l'origine les patriciens ne taisaient pas partie des tribus. Dans tous les cas, vu leur faible nombre, ils y étaient fort Isolés et y jouaient personnellement un faible rôle. Ils ne prenaient certainement point part aux comices démocratiques à l'c1 App. B. Civ., ut, 50. A l'époque de Cicéron, 'les septa du Forum étaient des treillis en bois, cancelltis fori (Cic., pro Sest., 57); mais ou pouvait, quand besoin, était, les enlever.
° Cicéron (De Div. n, 35) dit que le tonnerre entendu à gauche était un signe heureux partout, excepté dans les comices. Le prëjugf populaire ne fut pas toujours conforme & cette opinion, mais on doit penser que Cicéron, qui était augure, connaissait les vrais principes de la science fulgurale. S'il en est ainsi, on ne saurait guère expliquer cette singularité qu'en supposant que les comices étant tournés vers le nord avaient le couchant, qui était la région funeste, à leur gauche, tandis que le templum, comme le dit Varron, était tourné du cote du midi, et avait ainsi le couchant a sa droite; je conclus donc de ce qu'établit Cicéron, que les comices étaient tournés vers le nord. C'était la direction du Comitium et celle des septa du champ de Mars. ce devait donc être aussi celle des septa du Forum. Eu les plaçant ainsi, ceux qui y entraient pour aller voter avaient à franchir le canal; de là peut-être était venu l'usage du pont qui figure dans les comices par tribus comme dans les comices par centuries.
poque ou les tribuns le~faisaieat sortir du Forum. Pour avoir une vue vive et vraie des luttes entre les plébéiens et les patriciens que je vais raconter, il faut toujours conserver devant ses yeux le Comitium et le Forum, tels qu'ils étaient. Le Comitium, plus élevé; au-dessous de lui, le Forum, plus grand, entouré de boutiques, non consacré par les auspices. Dans le premier, les patriciens sont gravement assis; dans le second, les plébéiens sont debout. Le premier est calme comme un tribunal, le second est agité comme une multitude.
Parmi cette multitude, nulle distinction de race, de fortune ou d'âge'; point de classe ou de corporation, mais seulement des individus ayant tous un vote d'égale valeur.
Les comices par tribus, qui n'étaient guère appelés dans l'origine qu'à prononcer sur'des questions d'intérêt local ou à nommer des magistrats inférieurs, élevèrent chaque jour davantage leurs prétentions, et étendirent graduellement leurs prérogatives; les curies tombèrent dans l'insignifiance. Elles autorisaient toujours les décisions; mais leur sanction, dont on ne pouvait se passer, était donnée par elles avant que la loi fut votée. Les centuries elles-mêmes, cet autre priviCum ex generibus hominum suffragium feratur curiata comitia esse; cum ex censu et eetate, MtMxrMta; cum ex regionibus et locis, <n~M<a. ~œUus felix ap. GeU xv, 27,4.) J'oputus (pourp/e~). fuse in tribus convocatus. (C'c., de ~f~ m, 19.)
lége, furent envahies, modifiées dans le sens démocratique, et leurs comices finirent par s'amalgameravec ceux des tribus. La majesté du Comitium s'éclipsa, l'armée du champ de Mars fut vaincue ou absorbée. La plebs du Forum resta seule debout, frémissante, indomptée, et, ce semblait, indomptable. Hélas elle ne devait pas l'èlre. Quand on traverse aujourd'hui le Campo Vaccino, on traverse en quelques pas toute l'histoire de la liberté romaine. On va du Comitium où fut proclamée l'abolition de la tyrannie', a l'autre extrémité du Forum, où était le temple de César, qui la releva, et c'est par le Forum plébéien qu'on a passé.
La destinée politique du Forum suivit la destinée de la tribune. La tribune, c'était la parole de Rome, c'était l'expression et la garantie de sa liberté. La parole publique est l'âme d'un peuple libre. Quand elle se tait, ment ou flatte, quand seulement elle est timide. gênée, trop prudente, croyez que chez ce peuple les battements du cœur se ralentissent, que la frigidité des agonisants le gagne, et que s'il n'est sauvé par quelque remède héroïque, la mort n'est pas loin. Je ferai l'histoire de la tribune nous la verrons Selon Tite Lice (i, 59). c'est à la multitude, c'est-à-dire aux plébéiens, que Brutns proposa d'abord le bannissement de Tarquin; ils accueinirent cette résolution ayec transport; mais Tite Lice (n, 2) dit aussi qu'une toi poriée par les curies prononça l'abolition de lt r~y.)utc.
changer de lieu quand Rome changera de constitution et se déplacer avec le centre de la vie politique, suivant ce mouvement qui entraîne toute chose vers le bas Forum. Elle y sera transportée par la main de César, et finira par être établie sur les marches du temple consacré au destructeur de la liberté, devenu dieu. La première tribune était d'abord aussi loin que possible de l'extrémité orientale du Forum où devait s'élever le temple de César. La première tribune fut sur le Vulcanal, lieu élevé au-dessus du Comitium, où siégeait, dit-on, Romulus, et où siégèrent encore les décemvirs; elle était d'abord le tt't&Mtta<, nom qu'elle conserva toujours. De là le magistrat déclarait au Comitium la résolution de la curie, dont le Comitium était comme le vestibule (senatus-consultum). Les curies acceptaient ou rejetaient'sans que personne, sauf dans des cas très-rares, demandât la parole. Les curies n'eurent jamais une tribune à leur usage; elles décrétaient, mais ne parlaient pas. La vraie tribune fut celle du Forum. On peut croire qu'elle naquit avec les tribuns. Jusque-là les plébéiens, comme ils n'avaient pas de chefs, n'avaient pas d'organe.
La tribune était dans le Forum à l'est du Comitium% dont elle se trouvait rapprochée~, sans le tou!n Foro. (Tit. Liv., vm, H.) H en fut toujours ainsi. Romanum Forum est ubi nunc rostra sunt. (Serv., En., vm, 361.) 'Ad Comitium. (Asc.. ad CM. ~:7., § 12.)
3 Autour de la statue de Scr\ius Sulpicius, qui était placée sur )cK
cher pourtant~, sur le côté nord de l'espace qui embrassait le comitium et le Forum, et entre les deux\ rostres, un espace de cinq pieds en tous MM-! avait été réserve pour 'que lui et ses descendants pussent de là assister aux combats des gladiateurs. !1 y avait donc au moins un espace de cinq pieds entre la tribune et le Comitium. (Cic., /< ix, 7.)
C'est ce que prouvent ces mots de Cicéron à propos de son frère. précipite de la tribune Pulsus e rostris in Comitio jacuil; et le passade souvent cite de Pline (.HM<. nal., vn, 80), qui dit que l'on déterminait l'heure de midi en regardant le soleil du haut des degrés de la curie, entre les rostres et la grœcostase. Ces deux objets étaient donc l'un la gauche, l'autre à la droite d'un homme placé sur les degrés de la curie et regardant le soleil à midi. La grsecostase, destinée aux ambassadeurs qui attendaient que le sénat leur permit d'entrer dans la curie, était un lieu découvert, car on croyait qu'il y avait plu du sang et du lait (Beck., N<!tM~ p, 275), sur l'esplanade du Yulcanal {Tit. Liv., ix, 46; Varr., De L. <a< v, 156), à la droite de la curie et au delà du Comitium. Sub dextrâ hujus (curiee) a Comitio locus substructus. (Varr., De [,. <<!< v, 155.) Plus tard on la trouve, sous le nom de greecostadium, reportée au côté sud du Forum, entre le Vicus Jugarius, qui la séparait du temple de Saturne, et la basilique Julia, ou un peu plus à l'est. (Notit., reg., vn;.) Il est inconcevable qu'on ait donné ce nom de Grsecostase aux trois belles colonnes du temple de Castor, situé loin de la curie, vers l'extrémité orientale du Forum Cicéron, parlant de la foule qui l'a applaudi, nomme en même temps la grsecostase et la curie. (Ad Fratr., n, 1.) D'ailleurs, les trois colonnes ont évidemment fait partie d'un temple; or la gi'cccostase n'était pas un temple, pas même un édifice, c'était un espace qui n'avait. ni murs ni toit, une portion de la plate-forme du Vulcanal, ou l'on construisit deux temples, un à la Lune (Grut., ~M., 155, 2), un à la Concorde et une basilique ~Varr.,I~L. /s<v,156), la basilique Opimia. C'est là ce que veut dire au milieu du Forum. On employait cette expression, au M~MMdans ce cas, comme lorsqu'on parlait du Janus ~He~'Ms qui était peu éloigné de la tribune. l'rx' Rostris. (Crucquius, .SeM., Hor., Sat., m, 2, 18.)
A Rome, le respect des pouvoirs antiques était si grand, que jusqu'aux Gracques l'usage fut toujours que ceux qui parlaient à la tribune se tournassent vers le Comitium et les curies patriciennes, bien que leur discours s'adressât aux plébéiens rassemblés dans le Forum.
Les rostra sont indiqués comme en avant de la curie'. Nous savons que le Comitium faisait face à la curie, mais celle-ci devait présenter un front moins étendu que le Comitium; elle correspondait à son extrémité orientale, car la tribune, qui était en dehors du Comitium, à l'est, touchait presque à la curie 2. La tribune était sous son regard vigilant et modérateur~. La curie devait dominer la tribune, car elle était plus élevée que le Yulcanal*, lui-même plus élevé que le Comitium.
Diod. Sic., x)i, M.
(Rostra) prope juncta curia*. (Asc., :M CM. pr. ?/ 12.) 3 Speculatur atque obsidet rostra vindex temeritatis et moderatrix ofucil curia (Cie., Pro Flacc., 2;.)Ante hanc (C. IIost.) rostra. (Varr., De L. lat.. v, 155.)
Un portique, dont l'extrémité n'était séparée du temple de Saturne que par la montée triomphale, longeant le Capitole, arrivait au Scnaculum (sur le V ulcanal) de là on montait par des degrés à la curie. Voilà comme j'entends cette phrase de Tite Live (xu, 27) l'orticus ah sede Satnrni in Capitolium ad Senaculum, et superid, curiam. On voit que la curie était très-éleyée, comme il convenait à la majesté du sénat. Quand Tarquin avait précipité Servius du haut des marches de la curie, il l'avait fait rouler au bas d'un véritable escalier.
La tribune dominait donc le Comitium et le Forum. Sa position supérieure faisait dire à 'Pline, dans un mouvement d'humeur contre les désordres populaires des derniers temps de la république « Les rostres, placés en avant de la tribune, étaient l'ornement du Forum, et comme une couronne sur le front du peuple romain. Mais quand ils eurent été foulés et souillés par des tribuns séditieux, les rostres, qui étaient sous leurs pieds, furent comme un joug pour les citoyens. »
Ce nom de rostres désignait les becs de fer dont la proue des vaisseaux étaient armés. Leur nom devint celui de la tribune après qu'on eut orné sa base de ceux des vaisseaux pris aux Volsques d'Antium. Il ne faut pas s'étonner de l'importance donnée par là à une victoire, qui terminait la guerre contre les Latins, dont Antium, à demi latin, avait embrassé la cause. Une victoire sur un peuple maritime méritait, aux yeux des Romains, d'être consacrée par un monument d'une nature spéciale, et d'être associée aux grandeurs naissantes de la tribune. Il semble que les tribuns l'armèrent de ces becs, défense formidable des vaisseaux, pour exprimer qu'elle était inviolable et menaçante. Du reste, l'usage d'élever cette sorte de trophée naval existait en Grèce".
*PL,~M<.Hs<x~,4,3.
2 Les Grecs appelaient cela Kxp~C' Dans le port de Rhodes,
C. Maenius, qui donna à la tribune cet ornement, et par suite le nom qu'elle garda toujours, fut honoré d'une statue placée sur une colonne attenante aux rostres'. La gens plébéienne Msenia fournit plusieurs tribuns. C. Maenius se fit remarquer par ses entreprises contre les patriciens. II n'est pas surprenant qu'un tel homme ait voulu embellir la tribune populaire, et qu'on lui ait érigé dans le Forum populaire une statue sur une colonne'. C'était aussi un usage grec; en Grèce on accordait cet honneur aux vainqueurs d'Olympie; on semblait par là, dit Pline", vouloir les élever au-dessus de la terre. A Rome, on décernait un tel honneur à celui qui avait pris des vaison voyait des becs de vaisseaux tyrrhéniens mis là en signe de victoire. (0, Müller, Etr., t, p. 299.)
In suggestu. (Pl., BMt., tMr< smv, 11, 1.]
Pline parle de la colonne [xxxiv, 11, 1] et Tite-Live de la statue (vm, 13). La position de cette colonne, appelée la colonne Msenia, est représentée par Cicéron comme intermédiaire entre le Capitole et les septa du Forum. (Cancelli, Pro SM< 58.) On annonçait la dernière heure quand le soleil avait franchi tout l'espace du ciel qui s'étendait de la colonne M:enia jusqu'au couchant. (Pl., Hist. Ha< vn, 60.) L'expression de Pline, ad carcerem inclinato sidere, est singulière. Pline, qui connaissait Rome, ne pouvait croire que le soleil se couchât au-dessus de la prison Mamertine. Je crois qu'il faut lire ad vesperem. Ce qui montre en tout cas que la colonne Haenia était bien au midi et achève de déterminer l'emplacement des rostres et de la curie, c'est que Pline en parle tout de suite après avoir mentionné l'observation du soleil à midi faite sur les degrés de la curie, entre les rostres et la grœcostase, et suit, en ce qui concerne la colonne Maenia, le'cours du soleil depuis midi jusqu'au soir.
Pline, xxxtv, 1), 4.
seaux à l'ennemi et défendu les droits des citoyens. Nous pouvons nous faire une idée très-exacte des rostres romains. Ils sont figurés sur une médaille portant le nom de Pa~cat?K~, ce tribun qui soutenu par Pompée revendiqua les droits enlevés au tribunat par Sylla. C'est une plate-forme allongée formant un demi-cintre, qui a cela près ressemble assez aux ambons des basiliques chrétiennes et encore plus à certaines chaires d'Italie dans lesquelles le prédicateur peut aller et venir comme pouvaient le faire les orateurs romains à la tribune. On voit sur la médaille le subsellium où s'asseyaient les tribuns'. C'est sur un siège semblable que deux d'entre eux s'assirent pour empêcher Cicéron, à la tin de son consulat, de monter à la tribune, et que sa main et sa tête furent placées par les sicaires d'Antoine~.
Les rostres devaient être tournés vers l'ouest, car ainsi ils regardait le comitium et le Capitole. Ils devaient être orientés comme un templum, car il s'appelaient ~mphim". Il est beau qu'à Rome la tribune fut un temple.
On voit à Rome un reste et un simulacre de la triTribuni in rostris consederuut. (Tit. t.iv. xxxvni, 51.)
Tlut., Cic., 49.
Tit. Liv., vur, 15. Si l'on suppose orienté exactement d'après les quatre points cardinaux, ainsi que c'était l'usage pour tout templum, le carré long qui formait la tribune, l'orateur, en faisant face au Comitium, regardait obliquement une partie du Forum. Telle était, je crois, la vraie position des rostres elle permettait aux orateurs de se tour-
bune romaine; mais ce n'est pas la tribune libre de la république, c'est la tribune officielle de l'empire. Au pied du Capitole, vers le milieu de ce côté du Forum (côté de l'ouest), est une élévation en demicintre qu'on a prise à tort pour avoir appartenu aux rostres de la république.
Ceci est un débris d'une sorte de tribune (suggestus) sur lequel Othon harangua les soldats qui le proclamèrent empereur 1.
Elle existait bien à la fin de la république; car Pompée y était assis quand il vint, entouré de soldats*, troubler Cicéron plaidant pour Milon. Mais cette tribune, qui, comme on voit, ne rappelle pas des souvenirs de liberté, n'était point la véritable, située ailleurs, sur le côté nord du Forum, près de la curie. Elle fut une contrefaçon et un mensonge.
Elle eut, com me on le voit encore, la forme semicirculaire des anciens rostres, et on y attacha même des becs de vaisseaux pour que la ressemblance exner vers les patriciens en s'adressant aux plébéiens. Quand Caïus Gracchus se tourna vers ceux-ci, il se tourna en dehors, dit Plutarque, TTjMf~i; 6~M (C. Gr, 5), c'est-à-dire un peu plus à gauche, léger changement, mais qui en annonçait bien d'autres.
'Suët., 0<A., 6.
Il était assis, dit Asconius (Ad Cic., pro Mil., p. 41), ad ~Mn«M, pro Frario. L'~rarium était le trésor placé dans le temple de Saturne. Le débris du Suggestus dont je parle est en effet au-dessous du temple de Saturne.
3 Canina croit avoir reconnu les trous dans lesquels entraient les tenons de fer qui les attachaient. (Esp top., p. 352.)
térieure fût complète; mais l'imitation de la vraie tribune n'alla pas plus loin.
Ce débris cependant est précieux, d'autant plus que le monument auquel il se rapporte est figuré dans un bas-relief de l'arc de Constantin.
Cette reproduction d'une copie de la tribune romaine ressemble assez à l'original tel qu'il est représenté sur )a médaille de Palicanus et complète l'idée qu'on peut s'en former.
Derrière cette tribune, où Constantin est assis, on aperçoit des colonnes que surmontent des statues, et, à ses deux côtés, deux arcs de triomphe dont l'un est celui de Septime Sévère encore debout. De même, outre la statue de Mscnius, plusieurs autres s'élevaient alentour des rostres républicains Celle de Marsyas', deux doigts de la main levés en l'air, symbole de la liberté, emprunté, lui aussi, aux villes grecques, et dont je ne m'explique pas bien le sens, si ce n'est que la liberté a été souvent écorchée.
Celles des trois Parques, qu'on appelait des sibylles et que plus tard on appela des fées.
Enfin les statues de plusieurs citoyens illustres, et particulièrement des ambassadeurs romains assassinés dans le pays où ils avaient été en.oyés, comme le Serv., ~M., iv, M; Hacr., Ss/ m, 12.
P)., xxxiv, tl, 2.
furent, par le gouvernement autrichien, les plénipotentiaires de Rastadt, dont on n'eût pas mal fait de placer les images autour de la tribune d'alors pour perpétuer la flétrissure que méritait cette odieuse violation du droit des gens.
Maintenant que nous connaissons la scène des débats orageux qui agitèrent la république romaine, l'emplacement et la figure de la tribune romaine, nous aurons, ce me semble, une intelligence plus nette et 't plus vive des différentes phases de ces débats et du rôle de cette tribune.
Les chevaliers, qui étaient primitivement la cavalerie romaine, composée en partie de jeunes patriciens et en partie de plébéiens; qui ne devinrent un ordre distinct que lorsqu'ils eurent cessé de mériter leur nom, et représentèrent alors la finance dans l'État, les chevaliers n'avaient pas et ne devaient pas avoir un lieu pour leurs déliberations et leurs votes. Ceux qui étaient patriciens délibéraient dans le Comitium, et, quand ils furent admis au sénat, dans la curie.
Tous votaient dans les comices par centuries au champ de Mars.
Mais deux solennités amenaient les chevaliers au Forum l'une politique, l'autre de pure cérémonie. La première était le recensement de la cavalerie. Le censeur s'asseyait dans la tribune'; chaque chevalier à f!ut., Pomp., 22.
pied, tenant son cheval par la bride, descendait de la Velia, et, suivant la voie Sacrée jusqu'au Forum, le traversait pour venir défiler devant le censeur. Quand le cheval n'était pas en bon état ou que la conduite du chevalier avait encouru quelque blâme, le censeur lui disait
« Vends ton cheval. »
C'est-à-dire rembourse le prix du cheval à l'État qui te l'a confié.
Et le chevalier était rayé du rôle de sa centurie. Quelquefois le cheval' était retiré à un chevalier seulement parce que le censeur lui trouvait trop d'embonpoint, ce qui n'entraînait point sa dégradation. Un autre défilé des chevaliers à travers le Forum avait lieu tous les ans aux ides de juillet~. Les chevaliers, portant la trabée, vêtement à raies de pourpre, couronnés de rameaux d'olivier, chevauchaient en grande pompe depuis le temple de Mars ou le temple de l'Honneur et de la Vertu, situés tous deux hors de la porte Capéne, jusqu'au Forum, qu'ils traversaient, puis, passant devant le temple de Castor' idéal du cavalier' ils montaient au Capitole.
'GelL, Noc/.aM.,vj, 22.
Den. d'Haï., v;, 13.
Ceci prouve que sous la république la continuation de la voie Sacrée suivait le côté méridional du Forum pour gagner le Capitole, car le temple de Castor et Pollux était de ce côte.
4 C'est parce que Castor, héros renomme pour son habileté dans
li reste à déterminer les différents endroits liés à l'existence d'une classe d'hommes qui n'étaient point étrangers à la constitution de la république. Je parle des divers corps de prêtres exerçant une magistrature sacrée, formant une institution politique.
Dans l'ancienne Rome, le gouvernement était, jusqu'à un certain point, sacerdotal, comme dans la nouvelle on y trouve le mariage religieux (confarreatio) et la propriété ecclésiastique mais à Rome l'autorité civile avait l'autorité sacerdotale, et aujourd'hui le pouvoir sacerdotal a le pouvoir civil.
Les auspices appartenaient dans l'origine aux patriciens, et constituaient pour eux une sorte de droit divin.
Les auspices étaient consultés par les magistrats pa triciens à l'aide des Augures, et intervenaient sans cesse dans la vie politique et dans la vie civile des Romains. La religion se mêlait à tout, mais la religion était aux mains de l'État.
A la tête du culte romain étaient les pontifes prél'équitation, fut adopté par les chevaliers romains comme une sorte de patron, que son nom fut souvent donné seul au temple des Dioscures. L'édifice dédié aux deux frères est fréquemment appelé temple de Castor, jamais temple de Pollux.
Den. d'Haï., n, 7.
Dans l'ordre honorifique, le grand pontife ne venait qu'après le roi des sacrifices et les flamines; mais son titre, pOHh'/ëa; ms.EMMM, et le rôle qu'il joua toujours à Rome, montrent qu'il était le premier en importance; peut-être on plaçait les autres prêtres avant lui, parce
sidés par le grand pontife, Pontifex Maximus. C'est le titre que les papes prennent encore aujourd'hui. L'origine de ce nom (pontifices) serait locale, si l'on admettait, comme on l'a fait souvent dès l'antiquité, qu'ilveut dire les faiseurs de pont, parce que les pontifes étaient supposés avoir construit et étaient chargés de réparer le pont Sublicius, le pont sacré
Mais cette étymologie me semble bien douteuse, et ce mot avait un sens trop général pour venir d'un fait si particulier
Le grand pontife habitait près du temple de Vesta. C était un lieu saint depuis les Pelasses. Le grand pontife y veillait sur le Palladium. Le foyer sacré de la cité romaine était sous la garde du pontife de Rome; il s'appelait pontife de Vesta Vesta était la patronne des Romains.
Le roi à Rome était prêtre. Cela fut vrai surtout des rois étrusques, car la royauté étrusque était sacerdoqu'ils étaient plus anciens. Le roi des sacrifices et les flamines étaient consacrés au culte de divinités sabines; le roi des sacrifices sacrifiait dans les Agonales (Ov., fast., f, 518, 555), et les flamines, prêtres sabins, à Mars, à Quirinus, dieux sabins.
'Varr., De f,. lat., v, 83.
Elle est rejetee par le savant grand pontife Q. Mutins Scœ~o)a, mais la sienne, pontifex, de posse et facere (!M.), est encore moins admissible. GotUing (~. )~f/ p. 175) propose pontifiees, de pompifices. Ce serait, comme les marais PoH<!fM, de pOtH~hna* patudcs. "Ov., Fas<)ii, 698-9. Les préteurs, les dictateurs, les consuls, <;uand ils entraient en charge, offraient un sacrifice à Vesta. (Macr., Sat., m, 4.)
tale. Quand on eut chassé les rois, on donna ce nom à un prêtre, le roi des Mcn/tc~, qui représentait le côté religieux de leurs attributions, mais qui était subordonné au grand pontife.
Le roi des sacrifices habitait sur la Velia, où avaient habité Tullus Hostilius et les deux Tarquins. Probablement leur demeure fut la sienne. Il en hérita comme de leur titre, mais on ne lui laissa rien de leur puissance. L'admission au pontificat fut la dernière conquête des plébéiens
Un des pontifes, du haut Capitole, indiquait au peuple l'époque des fêtes mobiles, et combien de jours il y avait des calendes aux nones, car ce nombre n'était pas le même pour chaque mois. Cela se faisait devant la curia Calabra où se réunissaient parfois les curies patriciennes. Seuls, dans le principe, les patriciens connaissaient les choses du ciel. Les pontifes romains, comme leurs successeurs, ne perdaient le caractère sacerdotal qu'à la mort.
Rien ne porte à croire que les collèges des Augures aient eu un lieu déterminé d'habitation commune; on sait où les magistrats devaient, en leur compagnie, consulter les présages, ce qu'on appelait prendre les auspices; c'était lorsqu'une armée partait de Rome, hors de la ville mais près de la ville; ceux t Par la loi Ogu)nia, 500 ans avant J. C.
Yarr., De f.. vi, 28; Serv., ~EM., vm, 654.
3 Tit. Liv. iv, 18: Tac.. Ann., [n, 19.
qu'on prenait dans le lieu où se trouvait l'armée n'étaient pas toujours jugés suffisants, et alors le général quittait son camp et revenait à Rome pour accomplir cet acte religieux auquel on attachait une grande importance. Le voisinage de Rome était considéré comme une condition nécessaire à la perfection des auspices. Quand la guerre fut portée hors de l'Italie, on imagina de désigner dans le pays conquis (in cap<:f0 agro) un lieu qui représentait Rome à l'étranger, et où, s'il en était besoin, l'on revenait chercher les auspices Tant le voisinage, au moins fictif, du solde Rome était nécessaire aux auspices tant ce sol était par excellence le sol sacré.
Les inaugurations se faisaient dans la citadelle capitoline, où était le lieu augural (aM~Hract~Mm)~, et dans la voie Sacrée, où les augures venant de la citadelle descendaient~. Cette voie était orientée de 1 Tit. Liv., vm, 50.
Serv., ~M., n, '178.
s P. Diac., p. 18.
Varr., De l.. ~at., v, 47. Cela montre que dans l'antiquité le prolongement de la voie Sacrée, qui allait jusqu'au Capitule, fut la voie qui côtoyait le Forum du coté du sud, car c'est elle que l'on trouvait en descendant de l'Arx; l'autre embranchement de la voie Sacrée, celui du coté septentrional du Forum, ne pouvait encore conduire jusqu'à la citadelle, car il eût dû passer entre la curie et le Comitium, entre lesquels il ne paraît pas qu'alors une voie passât. Quand la curia Julia, placée au sud du Comitium, eut remplacé la curia Hostitia, qui étaiL au nord, la voie longeant le Forum au nord devint un autre prolongement de la vo'e Sacrée, par où elle put également atteindre le Capitotc.
l'ouest à l'est suivant les règles de la discipline étrusque
C'est dans la citadelle qu'était inaugure le dictateur, là où, selon la tradition, l'avait été le premier roi sabin
Quant aux Aruspices, qui n'étaient point des magistrats comme les Augures, qui ne paraissent former une confrérie régulière que sous Ctaude~, tout au plus au temps de César et que Cicéron traite avec assez de mépris ces devins d'Étrurie habitaient le quartier étrusque en compagnie avec les professions peu estimées de ce quartier suspect".
Elle suivait la ligne augurale appelée Decumanus Maximus, comme ttygin l'a remarqué pour d'autres voies. (&6tt). Verf., p.20~.)
L'augure se tournait vers l'est, car Valère Maxime (vm, 2, 1) nous apprend l'existence d'une maison tres-ëievée sur le Ceetius, qui fut démolie parce (jU'eUe faisait obstacle à_MM. qui prenaient les auspices de la citadelle. Si t'augure eût regardé au sud, sa vue n'eût point été gênée par le mont Cœlius. Sachant que l'Arx était au-dessus du palais CatiareUi, et tirant de là une ligne droite vers l'orient, nous arrivons vers la porte Majeure. C'est de ce côté qu'était la maison de Claurlius Centumalus, qui fut démolie ceci nous montre qu'on dormait le nom de Csctius au plateau qui continue cette coltitM vers le nord, le plateau de Saint-Jean de Latran et de SainteCroix de Jérusalem.
Tac., Ann., x), 15.
Cicéron (De D;f.. n, 24) parle du .SMMMMM Haruspex. Cic.Fsm., vi, 18.
6 Plaut., loc.. cit. Près du cirque dit Juvénal et près de l'agger ($<!< vt, 588); vers l'agger était le champ funèbre de l'Esquilin, fréquente par tes sorcières.
Après les pontifes venaient les flamines. Les pontifes étaient consacres aux cultes de tous les dieux; les flamines, au culte particulier d'une divinité Presque toutes celles de ces divinités que nous connaissons sont des divinités sabines"; à la tête de ce corps sacerdotal, était le flamine de Jupiter, le dieu de tous, c'était un personnage auguste; bien que dans l'origine toute fonction publique lui fût interdite~, il siégeait au sénat et marchait précédé d'un licteur', Il représentait l'idée du prêtre dans toute sa pureté. Ses regards ne devaient tomber sur aucune souillure, ne devaient pas même rencontrer une armée ou s'arrêter sur un travail manuel. Sa maison était un asile pour le criminel, qui pouvait s'y réfugier, comme le fut longtemps celle des cardinaux; mais il différait d'eux sur un point important, au lieu d'être obligé au célibat, le mariage était pour lui obligatoire, et si sa femme venait à mourir, il devait déposer le sacerdoce
Les demeures des flamines, qui s'appelaient domus ~am!n!«, devaient être dans les prés Flaminiens, Cic., De 7~ n. 8.
Mars, Quirinus. Flora, Furina, Carmenta. Tout prouve que l'institution des flemmes était sabine; on t'attribuait à Numa. (Tit. Liv., i, 20.) Les ûamines sacrifiaient à la bonne foi (Tit. Liv,, r, 21), et le flamine Dialis à Consus, avec les Vestales (Tert., De Sp~;< 5], à Acca Larentia (Gell., A'oe<. sM.. vu (vi), 7, 7), divinités des Sabins. Cette interdiction ne fut pas toujours observée.
Ce!),, A'oef. aH., x, 15; Plut., Ct<;M<, )-om., 50.
car c'est de là que venait probablement leur nom. Selon toute apparence, ces prés, attenant au champ sacré de Mars et voisins du Capitole, furent primitivement la propriété des flamines', d'autant plus que de ce côté étaient les terres du clergé romain, situées au pied du Capitole et qu'on disait avoir été données aux prêtres et aux augures par Numa. Le flamine de Quirinus habitait près du temple qu'il desservait, le namine de Jupiter sur le Palatin.
Nous connaissons la demeure des Vestales; leur couvent était près de Sainte-Marie-Libératrice, où l'on a trouvé leurs tombes, ce qui a confirmé le témoignage des anciens, selon lequel elles pouvaient, par exception, être enterrées dans la ville, parce qu'elles étaient audessus des lois, comme les empereurs*, rapprochement singulier entre ce qu'il y eut à Rome de plus pur et ce qui souvent le fut le moins.
On sait, nous l'avons vu, jusqu'au lieu où était solennellement transporté du cloître des Vestales à la porta Sto'corarM, ce qui donnait à cette porte son nom.
Les Saliens, prêtres sabins de Mars*, qui fidèles à Le nom de ces prés ne peut venir de Flaminius, qui y établit au sixième siècle un cirque, car ils sont appelés ~amMMM à une époque beaucoup plus ancienne par Tite Live. (m, 55.)
~Serv., ~K., M, 206.
3 T. I, p. 358.
Les Saliennes sacriliaicnt dans la Regia t~e Numa. [t'est., p 529.)
cette origine, demeurèrent toujours patriciens', eurent dans le principe deux demeures à Rome l'une sur le Quirinal, l'autre sur le Palatin.
Celle du Quirinal devait être voisine du temple de Quirinus', dieu de la guerre, comme on voit des saliens logés, au temps de Claude, près d'un temple de Mars, autre dieu sabin de la guerre, le temple de Mars Vengeur.
On lesait parune anecdote qui peint bien la gloutonnerie de cet empereur. Un jour qu'il rendait la justice dans le temple de Mars Vengeur, l'odeur d'un repas des prêtres saliens l'allécha tellement que, descendant de son tribunal, il alla partager ce repas, lequel devait être bon, car les banquets des saliens (cœnse saliares') 5 avaient dans la Rome ancienne la même réputation qu'ont eue quelquefois ceux des moines. Nous eussions fait un festin digne des saliens, dit Cicérone comme Rabelais aurait dit Nous eussions banqueté à la mode monacale.
La demeure des saliens sur le Palatin devait être une sorte de couvent composé de plusieurs cellules 5; elle Luc., Phars., ix, 477; Juven., S<!<<, 604; Den. d'Ha)., n, 70. Les saliens étaient un des trois grands corps sacerdotaux. (Po)yb., XX], tO.)
Le rapport des saliens à Quirinus est attesté par Servius. (~w., vnt, 663.)
Hor., Carm., i, 37, 2.
Epulati essemus saliarem in modum. (Cic., Ad ~M-, v, 9.) ° C'est ce qu'indiquent les mots mansiones saliorum palatinoru:n dans une inscription.
portait aussi le nom sabin de curie'; elle était au.sommet de la montée qui conduisait au temple de la Victoire', fondé par les Sabins aborigènes.
Seuls, entre toutes les confréries religieuses, les frères Arvales m'ont paru avoir une origine latine mais cette confrérie fut adoptée de bonne heure par les sabins, qui rattachèrent les premiers Arvales à un personnage de leur nation, Acca Lat'ëK<M, comme ils lui rattachèrent Romulus lui-même. Aussi les Arvales, devenu un collége patricien, faisaient-ils les élections par lesquelles ils se recrutaient non sur le Palatin, mais sur le Capitole ou au pied du Capitole*, sur l'Aventin tous lieux plus sabins que latins L'habitation des Fétiaux était probablement, comme Denys d'Halicarnasse (n, 70) dit que les saliens du Palatin furent institués par Numa et ceux du Quirinal par Tullus Hostilius. Une fondation sabine sur le Palatin au temps de Numa n'est pas vraisemblable, mais peut-être les saliens du Palatin ëtaient-its en effet plus anciens que les saliens du Quirinal; alors leur existence remonterait à l'établissement primitif des Sabins avant Romulus.
~r< CMM du mont. (Voy. Den. d'Hal., t, 52.) Là était la partie la plus élevée du Palatin avant qu'il eût été nivelé. Denys (Frag., t<v, 5) et Plutarque (Camil., 32) parlent d'une tAap~e Nert, c'était le sanctuaire qui dépendait du couvent.
Dans le pronaos du temple de la Concorde.
Dans le temple d'Ops.
6 Devant le temple de Junon.
Les frères Anales ne se réunirent sur le Palatin que lorsqu'ils furent reçus dans le palais par les empereurs. (Yoy. Marquardir BaMf~Tt. a«.,tY,p.42t.)
celle des namines, dans les prés flaminiens, près du temple de Bellone et de la colonne de la Guerre, d'où ils jetaient du côté de l'ennemi que Rome voulait attaquer une lance ensanglantée.
Telle est la topographie politique et sacerdotale de Rome. On voit que la vie politique était concentrée dans l'espace assez restreint qui s'étendait du Forum aux Septa (du Campo Vaccine àj'église de la Minerve). C'est dans cet étroit espace, entre le Forum, la curie, le Comitium et les Septa du Champ de Mars, que s'est agitée la destinée des Romains. Ne perdons jamais de vue ces quatre points importants, car c'est autour d'eux que va tourner toute l'histoire intérieure de ce peuple. Ce sont les quatre foyers de la fournaise où sa liberté'mûrira.
m
COMMENCEMENTS DE LA LIBERTÉ.
Guerres au dehors et luttes au dedans.- Avarice et manque de foi des patriciens; temple de Mercure. Les plébéiens se retirent sur le mont Sacré. Création des tribuns du peuple et des édiles. Coriolan, sa hauteur, son exil, fait la guerre aux Romains, vient a quatre milles de Rome. Valeria et les femmes romaines vont vers lui, il s'arrête à la voix de sa mère. Lieu de la scène.–Temple de la Fortune des femmes. Spurius Cassius; première loi agraire. Spurius Cassius est mis à mort par son père; origine de la puissance paternelle chez les Romains. Offrande au temple de Cérès. Statue et maison dé Sp. Cassius; temple de Tellus. Dynastie consulaire des Fabius; ils passent aux plébéiens. Motifs de leur établissement militaire contre les Véiens. Leur départ de Rome, le chemin qu'ils suivent, la porte Carmentale. Leur guerre contre Véies, leur défaite, leur mort. Les Véiens sur le Janicule et dans le Champ de Mars.
Les commencements de la liberté furent pénibles. Au dedans, des luttes violentes entre les patriciens et les plébéiens au dehors, des guerres incessantes et périlleuses avec des ennemis trés-rapprochés. Un jour, les plébéiens refusaient de marcher; un autre jour, les
Étrusques ou les Sabins étaient au moment de surprendre la ville.
La liberté, qui vit par l'agitation et qui grandit par les obstacles, se fortifia dans ce rude exercice de l'énergie romaine; car les diincultés lui sont bonnes, les résistances la servent souvent. Quand elhes manquent · à la liberté, ce ressprt de l'âme humaine se rouille et finit par tomber en poussière. Rien n'est plus funeste aux révolutions que de s'accomplir trop facilement. A Rome, pour assister aux orages de la liberté naissante, nous aurons peu de chemin à faire; nous n'aurons à aller que du Forum aux Septa, du Campo Vaccino à la place de la Minerve. Pour suivre les vicissitudes des luttes extérieures des Romains contre les peuples qui les entourent et les pressent de tous côtés: nous n'aurons qu'à regarder à l'horizon la sublime campagne romaine et ces montagnes qui l'encadrent si admirablement. Elles sont encore plus belles et l'oeil prend encore plus de plaisir a les contempler quand on songe à ce qu'elles ont vu d'efforts et de courage dans les premiers temps de la république. Il n'est presque pas un point de cette campagne qui n'ait été témoin de quelque rencontre glorieuse; il n'est presque pas un rocher de ces montagnes qui n'ait été pris et repris vingt fois.
Toutes ces nations sabelliques qui dominaient la viMe du Tibre et semblaient placées là sur des hauteurs disposées en demi-cercle pour l'envelopper et
l'écraser, toutes ces nations sont devant nous et à la portée du regard.
Voici du côté de la mer les montagnes des Volsques; plus à l'est sont les Herniques et les ~Eques; au nord, les Sabins; à l'ouest, d'autres ennemis, les Étrusques, dont le mont Ciminus est le rempart.
Au sud, la plaine se prolonge jusqu'à la mer. Ici sont les Latins, qui, n'ayant pas de montagnes pour leur servir de citadelle et de refuge, commenceront par être des alliés.
Nous pouvons, donc embrasser le panorama historique des premiers combats qu'eurent à soutenir et que soutinrent si vaillamment les Romains affranchis. Mais rentrons d'abord dans Rome, où deux classes, deux races, deux villes, comme dit Denys d'Halicarnasse sont en présence et en guerre, se haïssant l'une l'autre, toujours prêtes, ce semble, à se séparer, mais finissant toujours par s'unir pour défendre en commun une patrie libre.
Ces dissensions naissent avec la république. Le lendemain de la bataille du lac Régille, l'orgueil patricien, la vieille dureté sabine, sont aux prises avec la souffrance et la colère des fils opprimés du Latium. De là des luttes sans cesse renouvelées et qui eurent constamment le caractère d'une guerre civile au fond de laquelle était une guerre nationale.
Den. d'Hal., vt, 36.
A Rome, le patriciat, avec ses habitudes de parcimonie sabine, fut toujours une aristocratie avare, vice rare chez les aristocraties.
Peut-être l'aristocratie romaine n'en est-elle pas encore entièrement corrigée.
Ce fut là ce qui souleva les premières tempêtes. Les patriciens prêtaient aux plébéiens pauvres et prêtaient à un intérêt très-élevé; les plébéiens ne pouvaient s'acquitter.
Alors ils appartenaient aux patriciens; ils devenaient nexi'.
Des créanciers impitoyables tenaient ces MgM emprisonnés dans leurs maisons et les traitaient comme des esclaves.
Un jour, un vieillard parut dans le Forum couvert de vêtements sales; maigre, pâle, sa longue barbe et ses cheveux en désordre, lui donnaient l'air d'une bête sauvage.
Il dit que dans la dernière guerre sa ferme avait été brûlée, ses troupeaux enlevés; que, pour payer le tribut, il avait dû emprunter, et que, n'ayant pu payer, il avait été enfermé dans la demeure des esclaves, l'Ergastulum, et avait trouvé dans son créancier un bourreau Ce mot indique un engagement légal et non la mise aux fers qui en était la suite et qu'exprime le mot vincti. Telle est au Mexique la condition des peones qui ne sont point esclaves de droit, mais le deviennent en fait quand ils ne peuvent. s'acquitter envers leurs maîtres. Ductum. in ergastulum et carnificinam esse. (Tit. Liv., fi, 25.)
Ce premier cri poussé contre les patriciens dans le Forum fut le précurseur des accusations dont les tribuns devaient si souvent le faire retentir.
L'émotion des assistants gagne toute la ville. Une foule irritée débouche dans ]e Forum par chacune de ses avenues. Les patriciens qui s'y trouvaient sont en grand périt. Les consuls paraissent. La multitude s'adresse à eux, demande avec menace que le sénat s'assemble, et entoure la curie pour imposer aux sénateurs les mesures qu'elle réclame. La curie était presque vide; les sénateurs n'osaient y venir et se gardaient de paraître au Forum.
Le sénat, n'étant pas en nombre, ne pouvait délibérer. Le peuple criait qu'on se jouait de lui. Enfin les sénateurs, jugeant que tout retard augmentait le danger, se rendent à la curie; mais dans le sein de leur assemblée l'agitation n'était pas moins grande que dans le Forum.
Des deux consuls, l'un, Servilius, appartenait à une famille latine'; l'autre, Appius, était le chef de la gens sabine des Claudii, nouvellement adoptée par le patriciat romain.
L'orgueil de l'aristocratie sabine parait tout entier dans son fier représentant. Ce fut cet Appius qui, le premier, osa placer comme dans un monument de faLes Servitii étaient une des familles albaines transportées sur le Cœlius; leur nom se rattachait au roi, de populaire mémoire, Seruus Tullius.
mille les images de ses ancêtres sur des boucliers qu'il suspendit dans le temp)" de Bellone, déesse guerrière des Sabins
Les sentiments de Servilius et d'Appius furent conformes à leur origine. Servilius proposait des concessions. L'inflexibilité superbe d'Appius n'en voulait admettre aucune.
Tout à coup on annonce que les Volsques s'avancent et viennent assiéger la ville. La plebs est transportée de joie à cette nouvelle. On s'exhorte à refuser le service militaire on s'écrie
« Que les patriciens aillent combattre à eux les périls de la guerre, puisqu'ils en ont tout le profit! » Cependant la curie est consternée. On y craint autant les citoyens que les ennemis.
Le consul populaire fait rendre un édit par lequel il est défendu de tenir emprisonné un citoyen romain et de l'empêcher ainsi d'aller se faire inscrire comme soldat; de posséder ou de vendre la terre d'un soldat tant qu'il serait sous les armes de détenir personne de sa famille.
Un tel édit montre si les griefs des plébéiens étaient fondés, par ce qu'il avoue en l'interdisant. Aussitôt les ~~i accourent, donnent leurs noms, prêtent le serment, vont combattre les Volsques et Plin., Hist. n< xxxv, 3, 1.
~Le temple de Bellone, comme la colonne de la Guerre, était près de la place Paganica.
les Sabins avec une ardeur qui partout décide la victoire.
Mais le péril éloigné, les sénateurs ne veulent plus tenir leur promesse. Appius prononce les peines lesplus sévères contre les débiteurs insolvables. Ils sont livrés de nouveau et de nouveau enchaînés. Servilius, tiraitlé entre son rôle d'ami des plébéiens et les reproches des patriciens qui presque tous soutenaient Appius, hésite, tergiverse, et, comme il arrive en pareil cas, perd son crédit auprès des plébéiens, tout en mécontentant les patriciens.
On vit bien que l'irritation populaire se portait sur l'un et l'autre consul, à l'occasion de la dédicace du temple de Mercure', dont l'existence à cette époque montre que le commerce avait acquis dès lors à Rome un <~rtain développement.
Il n'y a presque pas un fait important dans l'histoire de Rome qui ne se traduise pour ainsi dire dans l'histoire d'un monument.
Le culte de Mercure devait être plus ancien à Rome. On parle souvent de la dédicace d'un temple qui en remplace un autre élevé au même endroit et au même dieu. 1) n'y a jamais eu que deux temples de Mercure l'un, dont on a trouvé des traces (Nardini, R. aM< vn, 5, p. 245), était au pied de l'Aventin, ce mont démocratique et que sa situation dut rendre de bonne heure marchand; l'autre près dé la porte Capène (Ov., FfMt, v, 669); mais il est impossible de déterminer duquel de ces deux temples il est ici question. Mercure avait aussi une statue, sous le nom peu honorable de Ma~o~M, dans le Vicus Sûbrius on y offrait du lait et jamais de vin, ce qui semble indiquer un .ancien culte latin remontant à l'époque de la vie pastorale.
Appius et Servilius se disputaient l'honneur de dédier celui-ci. A cet honneur était attachée la fonction de veiller à la subsistance publique, le droit de choisir les membres de la corporation des marchands, intérêts plébéiens et latins, comme l'étaient les marchands eux-mêmes. Le sénat, pour accorder quelque chose à la multitude, donna aux plébéiens la liberté de prononcer entre les deux consuls. Les plébéiens, qui étaient mécontents de tous deux, ne nommèrent ni l'un ni l'autre, mais décernèrent le privilége disputé à un simple centurion nommé Laetorius, nom plébéien qui reparaît dans l'histoire des Gracqucs. A un homme de cet ordre il convenait d'ailleurs de dédier le temple du dieu du commerce, car le commerce était le partage des plébéiens.
La fermentation continuait. Le Forum était plein de trouble et de bruit; des assemblées clandestines se formaient sur l'Aventin, toujours mont démocratique, sur l'Esquilin, au pied duquel se trouvait le quartier populaire de la Subura. Quand le consul voulait faire arrêter un homme turbulent dans le Forum, les licteurs étaient repoussés, et les consuls descendaient de leur tribunal pour leur prêter main-forte. L'intérieur même de la curie était menacé. Dans ce bâtiment élevé où montait le tumulte du Forum, les avis étaient Ce mot doit vouloir dire le siège placé sur le Vulcanal, où l'on rendait la justice; car la tribune du Forum, qui ne date que de l'institution du tribunat, n'existait pas encore.
partagés. Le Sabin Appius, inflexible et méprisant cette tourbe latine, propose de nommer un dictateur. Le sénat s'y résout; mais, par un sage tempérament, il choisit ]e frère de Publicola. Les plébéiens consentent à obéir à un Valerius, et vont vaincre les ~Eques, les Sabins et les Volsques.
Le dictateur demande que l'on tienne les promesses faites au sujet des n&M. Le sénat s'y refuse. Alors, invoquant le dieu sabin Fidius, le dieu de la bonne Foi que l'on violait, il abdique, et, sortant de la curie pour regagner la demeure des Valerius au pied de la Velia, traverse le Forum accompagné par les applaudissements de la foule qui le remplit.
Ce fut à la suite de ce second manque de foi du sénat que les plébéiens prirent le parti de se retirer sur le mont Sacré.
Quand, après être sorti par la Porta Pia et avoir suivi la voie Nomentane jusqu'au bord de l'Anio, on a passé cette petite rivière sur un pont antique que surmonte une tour du moyen âge, on a devant soi une colline allongée que coupe la route de Nomentum. Cette colline, que sépare de l'Anio une prairie, est le mont Sacrée
C'est cette colline tout entière qu'il faut considérer comme~ le mont Sacré, et non. pas seulement la partie à droite de la route, celle que l'on indique seule aux voyageurs comme devant porter ce nom. L'émigration était considérable. Denys d'llalicarnasse (*i, 65) arle d'environ quatre mU!e hommes.
Lieu sacré en effet, car il fut le berceau des libertés populaires.
Ce nom exprimait l'idée de l'inviolabilité des personnes et des droits qu'y conquirent les plébéiens. Les lois qui les garantirent s'appelèrent lois sacrées (leges sanctae). La personne des tribuns qui les représentèrent fut déclarée sacrée (sacrosancta)\
Le mont Sacré semble bien petit pour le rôle qu'il a joué. N'importe, il est grand par ce qu'il rappelle. Le Capitole aussi est une taupinière; il s'élève cependant plus haut dans l'imagination des hommes que les cimes gigantesques, mais sans histoire, du Chimboraço et de l'Himalaya.
Irrités du manque de foi des patriciens, tous les citoyens en état de porter les armes refusèrent de marcher contre les ~Eques, et s'en allèrent camper sur le mont Sacré, au delà de l'Anio, hors du territoire primitif de Rome. Ce fut une véritable émigration Les plébéiens voulaient, je n'en doute pas, faire sur le mont Sacré un établissement durable~. Selon Denys Selon Festus (P. Diac., p. 519), ce nom avait été donné au mont Sacré, parce qu'il fut consacré à Jupiter. Comme il y avait beaucoup d'autres lieux consacrés à Jupiter, ce ne put être l'origine du nom que porta le mont Sacré.
~Voy. Plut., Cor., 6. C'est pourquoi je rejette avec Tite Live la tradition (fit. Liv., n, 32), d'après laquelle la sécession aurait eu lieu sur t'Àventin.
Denys d'Halicarnasse (ï<, 51) parle, il est vrai, des femmes et des enfants restés à Rome, mais cela fait partie de la rhétorique qu'il met dans la bouche de Mencnius Agrippa.
d'Halicarnasse, ils l'occupèrent quatre mois, à la grande terreur des patriciens, qui voyaient Rome, délaissée par ses défenseurs, tomber au pouvoir de l'ennemi. De plus, les champs n'étaient pas cultivés. Rome perdait ses laboureurs en même temps que ses guerriers.
Si les plébéiens ne fussent pas revenus, la ville qu'ils auraient fondée au bord de l'Anio eût été t)ne ville latine, car la plebs était surtout latine. Aus~One tradition, empreinte d'un caractère populaire trèsprononcé, rattachait à la sécession du mont Sacré une antique divinité du Latium, Anna Perenna, dont elle avait fait une bonne vieille de Boville, près d'Albe, qui allait de grand matin porter tout fumants aux réfugiés du mont Sacré les gâteaux qu'elle avait pétris'. Les plébéiens ne consentirent à retenir qu'après avoir obtenu la création de deux tribuns tirés de leur sein et investis du pouvoir de les protéger contre les patriciens.
Ce fut là ce qui les décida au retour, et non l'apologue de Menenius Agrippa, sur la querelle des membres et de l'estomac.
Le traité fut conclu par des fétiaux entre les patriciens et les plébéiens, comme entre deux peuples. Les tribuns étaient les organes de la plebs, ses représentants, pour ainsi dire son incarnation. Il fallait
'(h-F<M<,m,667.
être plébéijen ou se faire plébéien par l'adoption pour être tribun.
La porte du tribun devait être toujours ouverte, et il ne pouvait passer un jour entier hors de Rome. Laisser le peuple sans tribun était un crime capital là point d'interrègne, comme dans les magistratures patriciennes. Le tribun ne devait-pas plus mourir que le roi de l'ancienne France.
On. nomma d'abord deux tribuns pour les opposer aux deux consuls'.
Le tribunat dans l'origine n'était pas une véritable magistrature.
Les tribuns n'exerçaient aucune autorité, ne commandaient point, ne jugeaient poin t ils ne pouvaient t qu'empêcher. Ils n'étaient pas le gouvernement; ils étaient l'opposition 2.
Aussi les tribuns n'avaient-ils aucun insigne, aucun costume particulier; à l'origine ils n'entraient point dans là curie, où ils ne tardèrent pas à être admis; ils s'asseyaient à la porte sur un tabouret (subsellium), mais la porte devait rester ouverte, car il est dit qu'ils observaient avec grand soin les résultats de la délibération pour s'y opposer dans le Forum, s'il y avait Contra consulare imperium tribuni plebis constituti. (Cic., De Rep., n, 33.)
Cette opposition se faisait par l'intercession et s'exprimait par le mot veto. Transférer ce droit négatif de l'opposition populaire an chef de l'État, comme on fit dans la révolution, c'était intervertir les rôles des pouvoirs.
lieu. Leur droit de secours (auxilium) ne s'étendait pas plus loin qu'à un mille de Rome
Tels furent les modestes commencements du tribunat. Mais il devait grandir avec l'ordre plébéien qu'il représentait, comme lui tout envahir, et se perdre comme lui par l'excès de ses envahissements. En même temps que le tribunat fut créée l'édilité, magistrature dont on a méconnu la nature et l'importance primitive.
Les édiles, dans lesquels on n'a vu souvent que des officiers de police, étaient, selon leur institution, les auxiliaires des tribuns. Leur personne fut déclarée sacro-sainte comme celle des tribuns.
A la fin du troisième siècle, on voit deux consuls, au sortir de leur charge, accusés, l'un par un tribun, l'autre par un édile
Au sixième, un tribun et un édile donnent de concert l'ordre d'arrêter Scipion l'Africain Dans un moment difficile, ils font l'office de consuls 5.
Ils sont chargés de s'opposer à l'introduction des Tit. Liv., nt, 20. Les Septa, là où je les ai placés, sontà moins d'un mille du Pomœrium.
EUe ne l'était plus au temps de Tite Live [m. M), mais eUe l'avait été. Tite Live lui-même (ïm, 20) le reconnait.
3 Tit. Liv., m, 31.
M., XHY, 20.
Ad eos summa rerum ac majestas imperii consularis ~ener~t. ~Tit. Liv, m, 6.)
religions étrangères*. Polybe appelle l'édilité une charge très-illustrer
Avec le temps, leur puissance diminue, éclipsée par l'éclat de la puissance tribunitienne, et ravalée à des soins de police urbaine.
Déjà, au temps de Cicéron, un édile n'était pas beaucoup plus qu'un simple citoyen. Les empereurs n'aimaient pas les édiles qui avaient été institués comme les tribuns pour la protection de la liberté. Tibère~ les employa à surveiller les cabarets et les rabaissa au rôle de bourreaux de la pensée en leur faisant brù)er les livres de Cremutius Cordus'. Néron restreignit encore leur pouvoir 5.
Enfin cette magistrature plébéienne, glorieuse fille du mont Sacré, descendit aux soins les moins relevés de la voirie, à empêcher qu'on ne jetât des immondices par les fenêtres et à ce qu'on laissât des charognes dans les rues".
Le secret de cette transformation est dans la nature des fonctions qui furent attribuées aux édiles, et ces fonctions eurent elles-mêmes leur raison d'être dans l'édifice sacré auquel l'édilité fut attachée à son orii Tit. Liv., iv, 30
Polyb., x, 4.
Suet., Tib., 34.
D. Cass., n'n, 24.
s Tac., ~H.,xm, 28.
In viis neque slercora projicct'e, neque morticitias, neque coria jacere. [Dig., x; tit. ni, 10, ~.)
gine, le temple de Cérès. Ce temple leur donna leur nom.
Les édiles, ce sont les hommes du temple (aèdes Cereris), du temple par excellence pour les plébéiens, composés primitivement de Latins, et situé au pied de l'Aventin, à l'entrée de la vallée Murtia, lieu plébéien que des Latins habitaient depuis Ancus. Les Sabins les y avaient précédés et y avaient célébré avant eux le culte de Cérès.
Cérès était le nom sabin d'une divinité pétasge, les Latins l'adoptèrent, parce qu'elle était une déesse agricole, et 'la portion pauvrp des plébéiens, parce qu'elle était la déesse du Pain.
Ce temple était sous la surveillance particulière des édiles; ils y avaient leurs archives, où ils conservaient les lois votées dans les comices populaires par tribus (plébiscites), et où ils exigèrent que fussent déposés les sénatus-consultes*, que plus tard on transporta au Capitole% ce qui veut dire, je crois, dans le Tabularium, qui était et qui est encore sur le Capitole. Préposés à la garde d'un édiGcc sacré, les hommes dtt temple devinrent les hommes des temples, ce qui se disait de la même manière (~t~.<).
Ils furent chargés de la construction, de l'entretien et de la réparation des temples. Édiles voulait dire Tit. Liv., m, 55.
Polyb., ni, 26.
aussi les hommes des édifices en général, des maisons les édiles eurent dans leur département l'alignement et le soin des rues, par suite, des égouts, des thermes, et ils descendirent toujours davantage d'un rôle politique à un rôle municipal.
Comme les amendes dont ils frappaient les citoyens leur servaient à bâtir des temples et à donner des jeux dans le grand cirque placé à la porte du leur, ils furent intéressés à poursuivre toute contravention aux règlements de police; ils devinrent des surveillants minutieux de ces règlements, et c'est ainsi qu'on put sous l'empire leur faire inspecter les lieux les plus abjects 'et leur imposer les occupations de voirie les moins relevées, eux dont Cicéron avait appliqué le nom à Dieu même, l'appelant l'édile de l'univers. Le temple particulièrement confié aux édiles était le temple de Gérés.
Cette circonstance nous révèle l'autre devoir principal de l'édilité, l'alimentation publique.
Ce fut par là que les édiles maintinrent longtemps leur importance. Ils nourrissaient le peuple. Dans les temps de famine, les pauvres venaient à la porte du temple de Cérès demander du pain qu'on leur donnait, comme les mendiants vont encore aujou)Niebuhr (v, p. 48) veut que les jeux plébéiens aient toujours été donnés dans le cirque Flaminien, mais ils étaient plus anciens que ce cirque.
Non. Marcell. s. v. ptM~M.
rt'hui recevoir une soupe dans les couvents voisins.
Ce qui valait mieux que de distribuer du pain, c'était de faire que le blé fut à bon marché. Un édile nommé Trebius sut par ce moyen inspirer au peuple une telle reconnaissance, qu'un lui éleva des statues sur le Palatin et sur le Capitole', et que les plébéiens portèrent sur leurs épaules au bûcher le corps de leur bienfaiteur.
Les jeux étaient à Rome, comme toutes les institutions, une institution à la fois religieuse et politique. On établit les jeux apollinaircs~et les représentations théâtrales~ dans des temps de péril ou de contagion pour apaiser la colère des dieux; les jeux plébéiens en mémoire de la liberté reconquise et de la réconciliation des deux ordres.
Ceux-ci étaient du ressort des édiles.
L'origine des jeux se rattache à celle des monuments, et par là fait partie de leur histoire. On les vouait avec les temples. Les édiles chargés du temple de Cérès présidaient aux jeux de Cérès à ceux de Liber et de Libera, dont le culte se célébrait dans le Pi.. BM<- tM< Yvm, 4, 2.
Tit. Liv., Bit. 12.
s Tit. Liv., vn, 2; Val. Max., u, 4, 4.
Ces jeux furent mis sous la présidence des édiles curules (Cic., ln Verr., n, 5, 14), mais les édiles curules ue se distinguaient des édiles piëhëiens que par les honneurs; leurs attributions étaient les mêmes et presque dès l'origine ils furent pris dans les deux ordres.
même temple, et dont les noms rappelaient l'idée de liberté; enfin aux jeux de Flore, déesse également rustique et par conséquent plébéienne, car, ainsi que je l'ai dit, avant d'être la déesse des Fleurs, elle avait été celle des Fruits.
Les occupations des édiles exigeaient qu'ils eussent à leur disposition un grand nombre d'employés, ce que nous appellerions des gens de bureau, des secrétaires, des copistes, des huissiers. Un monument qui existait encore au seizième siècle, et dont quelques restes subsistent dans le voisinage du temple de Vespasien, près du Forum, était destiné à l'habitation de cepo'~OKK~ de l'édilité. C'était un portique à trois arcades avec des chambres; il portait le nom de Scho!n Xantha, parce qu'un affranchi nommé Xanthus l'avait fait rebâtir. Schola voulait dire confrérie, corps de métiers.
Une inscription nous apprend que cet édifice était à l'usage des scribes, des libraires, c'est-à-dire des copistes, des huissiers (prsecones) attachés au service des édiles curules
On voit que non-seulement les hautes charges, mais encore les plus humbles fonctions, ont à Rome leurs monuments*.
Ce fut au temps de cette popularité des édiles que Nibby, J!.< H, p. ~1.
Hëparëe sous l'empire, la schota Xanthade\'ait remonter au romps de l'importance et de la grande activité des édiles.
les jeunes patriciens, saisis d'un beau zèle, déman- dèrent qu'une place leur fût donnée dans l'édilité. De là naquit la charge des édiles curules*, qui, au bout d'un an, fut accordée indistinctement aux patriciens et aux plébéiens.
C'est que dans l'origine l'édilité était une grande chose. Comme les tribuns avaient pour mission de soutenir les droits.politiques des plébéiens, les édiles étaient surtout chargés de protéger leurs intérêts matériels et d'assurer leur subsistance.
Les tribuns veillaient à ce que la plèbe ne fût pas opprimée, les édiles à ce qu'elle ne mourût pas de faim.
C'est pour cela que leur office était attaché au temple de Cérès, et que ce temple avait pu leur donner leur nom.
L'empire, qui méprisait le peuple en le nourrissant, lui donna du pain et les jeux du cirque. Les édiles les lui avaient aussi donnés; mais le jour où furent créés les tribuns et les édiles, les plébéiens avaient obtenu sur le mont Sacré ces deux choses que doivent aux peuOn a fait dériver ce nom de <!«tTM, char, comme si les édites eussent eu le privitége exclusif d'aller en char, ce qui n'eat point possible; d'ailleurs, s'il en était ainsi, ils se seraient appelés «frrt~M. L'ëpithète curulis, qu'on donnait aussi à un siège d'honneur, est une autre forme de caris, cMrttM et c<«'<<«, noms de-la Junon honorée dans les curies, qui s'appelait aussi Juno c«fMH<. (Voy. t. l, p. 480.) Cette épithète. qui originairement voulait dire MMtM, devint l'équivalent de jMtftMHttM elle fut donnée & t'edititë nonvette, conférée aux patriciens, et <(M'iis espéraient bien conserver pour eux.
pies tous les gouvernements qui ne les méprisent pas: du pain et la liberté.
Il est tout simple que les empereurs ne fussent pas favorables à l'édilité. C'étaient eux qui s'étaient chargés de la nourriture de leurs esclaves.
Déjà sous la république les censeurs avaient pris la haute main dans la construction des édifices publics, et les tribuns la part principale dans la défense des intérêts démocratiques.
Ainsi dépouillés peu à peu, les édiles tombèrent de 'la situation qui les mettait en passe de remplacer les consuls à celle où on leur permettait de surveiller les cabarets et de faire balayer les rues.
A peine le tribunat a-t-il commencé d'exister, que déjà il remporte une victoire signalée sur le patriciat dans l'affaire de Coriolan.
Coriolan était de la famille sabine des Martii~.Un tel patricien ne pouvait être que sabin. En effet, C. Martius Coriolanus était le patricien par excellence. Superbe, dur aux plébéiens comme un Claudius; de · La gens Marcia ou Martia était Sabine. Martius venait de Mars, comme Mamercus de Marn~M, autre nom du dieu sabin. Ce nom de Martius est celui du roi sabin Ancus. Il avait été aussi porté, disaiton, par un ami et par un gendre de Numa. Il en est de même de ~e<t<n'< nom de la mère de Coriolan. L'auteur des ~a~M s'appelait Veturius Mamurius. Yolumnia, nom de la femme de Coriolan, est également sabin. Un roi de Véies s'appelait Volumnius; ce n'était pas un nom étrusque et ne pouvait être qu'un nom sabin ou sabellique; enfin on attribuait à Coriolan l'érection d'un temple à une déesse sabine dont le nom est sabin, Matuta.
plus, brillant à la guerre, fougueux, emporté, agressif. Le premier Appius Claudius fut le type de l'aristocratie qui résiste, Qoriolan de l'aristocratie qui brave et défie ceux qu'elle mécontente.
Aussi fut-il entraîné par son fougueux orgueil à porter les armes contre son pays, et il mourut dans l'exil.
On rapportait de lui plusieurs traits de générosité. Il y avait du chevalier dans le dur aristocrate jeune, il porta les armes contre les Tarquins, et plus tard prit aux Volsques la ville de Coriole ·
Ce brillant fait d'armes valut à Martius le surnom de Coriolan, sous lequel il est connu de la postérité.
Rome était livrée alors à des agitations violentes; d'orageux débats partageaient le sénat, où l'on élevait Niebuhr pense que Coriolan s'appelait ainsi parce qu'il était né à Coriole, et nie que le surnom de Coriolanus ait pu are donné à Martius à cause de la prise de cette ville, qui, dit-il, était latine, par conséquent alliée de Rome à cette époque, et n'a pu, pour cette raison, Être traitée* en ville ennemie; mais elle pouvait avoir été occupée parles Volsques, car eUe n'était pas loin d'Antium. Ou'eHe~ngure dans le catalogue des trente villeslatines donné par Pline (m, 9, 16), ne prouve rien, car, bien que ces villes aient fait partie de la confédération latine, on ne saurait alfirmer que toutes aient été en paix avec les Romains au temps de Coriolan. Enfin Niebuhr dit que seto~ le témoignage de Tite Live, Scipion l'Africain reçut le premier un surnom tiré du nom du pays qu'il avait vaincu; mais on peut répondre que l'assertion de Tite Live se rapporte aux surnoms empruntes à un pa~ conquis comme l'Afrique, l'Asie, la Numidie, la Crète, et non à la prise d'une ville.
si haut la voix, que le peuple l'entendait du Forum 1.
Les consuls sortaient de la curie accompagnés d un bataillon de patriciens pour haranguer; les plébéiens et les tribuns les repoussaient du Forum qu'ils disaient leur appartenir.
Par représailles, les tribuns convoquaient l'assemblée populaire du haut du Vulcanal, qui dominait le Comitium, et d'où les consuls avaient coutume de s'adresser aux patriciens.
Patriciens, plébéiens, lutte du privilége qui se dé fend et du droit commun qui réclame/combat et iinit par vaincre; voila ce qui constitue toute l'histoire intérieure de Rome pendant les premiers siècles de la république.
Un grand écrivain, un penseur aventureux, un rêveur profond, Ballanche, voyait dans cet antagonisme des deux moitiés de la société romaine l'histoire de l'humanité, dont ta vie n'est qu'un duel incessant entre la résistance et le progrès, tous deux utiles dans une certaine mesure.
Il y a des temps où la lutte semble suspendue, où la société fatiguée semble immobile; mais le travail éternel se poursuit sourdement sous cette apparente immobilité. Les deux courants contraires roulent dans les profondeurs de l'Océan, où ils sont refoulés la glace qui parfois couvre cet Océan les cache, mais ne Den. d'Ha)., vn, 15.
les supprime pas. Seulement, au lieu de se heurter avec plus de bruit et moins,de péril dans un lit ouvert, ils montent silencieusement du fond de l'abime. Un jour, la glace, chose fragile, craque, et tout finit par la débâcle.
C'est au milieu des troubles qu'a grandi la liberté à Rome. Les agitations sont bonnes pour la liberté chez un peuple qui est assez fort pour les supporter.
Je crois même qu'elles lui sont nécessaires. La liberté est orageuse comme là vie. Contre les orages de la vie il y a un sûr asile c'est le tombeau; contre les orages de la liberté, il y a un refuge certain c'est le despotisme, qui est aussi un tombeau.
Coriolan ne tarda pas à se faire remarquer dans ces luttes par son dédain et sa colère contre les plébéiens et contre lé tribunat
La culture des terres ayant été interrompue par la retraite des plébéiens sur le mont Sacré à l'époque de 1 année où il aurait fallu les ensemencer, les édiles envoyèrent acheter du blé en Étrurie, dans le pays envahi Selon Plutarque et Denysd'HattMmasse, un des motifs de {irritation de Coriolan eût été t'échec par lui subi dans sa. candidature pour le consulat mais, comme les consul étatent nommés par les centuries et non par les tribus, on ne voit pas comment it eut pu s'en prendre de cet échec aux plébéiens et aux tribuns; ce qu'il détestait le plus, ce n'était pas la constitution de Servius, mais les )o)s du mont Sacré; ce n'était pas le Champ de Mars, mais le Forum.
depuis par les marais Pontins', à Cumes et jusqu'en Sicile.
Coriolan proposa de n'en faire la distribution aux plébéiens que s'ils abandonnaient leur conquête du mont Sacré, le tribunat. Les tribuns, qui, assis sur leurs tabourets la porte de la curie, savaient tout ce qui se passait dans les délibérations du sénat quittent leur place et montent à leur tribune, qui était à côté de la curie, pour faire connaître aux plébéiens rassemblés dans le Forum l'odieuse proposition de Coriolan quand il sortit ceux-ci voulaient le mettre en pièces.
On se précipita sur lui avec fureur. Les tribuns, dépassant leur pouvoir, le citèrent en jugement; le tribun Sicinius, un des chefs de la retraite sur le mont Sacré, proposa de précipiter Coriolan de la roche Tarpéienne
Den. d'Hal., vn, 2.
Plut., Cor., 17. Il n'est pas besoin, pour expliquer comment les tribuns avaient connaissance des délibérations du sénat, de supposer, comme fait Denys d'Halicarnasse (vn. 25), que les consuls avaient appelé les tribuns dans la curie, ce qui n'est point vraisemblable. 3 C'est la première fois qu'il est question de ce genre de supplice dont l'idée fut suggérée peut-être à Sicinius par l'aspect du sommet escarpé sur lequel s'élevait la citadelle, au sud-ouest du Forum. Du reste, le tribun Sicinius (Plut., Cor., <S) me fournit icFune preme~de plus que la roche Tarpéienne était bien en effet la partie sud-ouest du Capitale, car il dit qu'il faut précipiter Coriolan de la roche Tarpéienne dans la vallée qui est aK-<<MMM<. Si la roche Tarpéienne eût été au sud-est, il aurait dit dans le Forum. Le mot employé par Plutarque
Coriolan, debout en avant de la curie, entouré de jeunes patriciens et de nombreux clients, défiait la multitude.
Les tribuns ordonnent de te saisir; les patriciens accourent pour le défendre, repoussent les tribuns et frappent les édiles. Cependant l'autorité des consuls intervenant calme la foule pour ce jour-là.
Le lendemain, les tribuns convoquent les citoyens et somment Coriolan de paraître devant leur tribune, dont pour la première fois ils font un tribunal. Coriolan se présente en effet devant eux, mais ce n'est pas pour se soumettre au jugement itiégal des tribuns c'est pour les accuser et pour adresser aux plébéiens des reproches pleins de mépris et de hauteur. Les patriciens applaudissent à son courage; les plébéiens, furieux, sont au moment de se jeter sur lui et de le tuer selon le droit du plus fort', dit Denys d'Halicarnasse, en appelant ainsi au droit de la guerre. En effet, c'était une guerre, une guerre entre deux populations ennemies. ·
Les patriciens et les plébéiens étaient deux peuples, la curie et le Forum étaient deux camps.
Les tribuns persistent dans leur prétention de faire juger Coriolan par la plebs, et le somment une seest 4'~Ky~ c'est celui par lequel Denys d'Halicarnasse désigne la raXée qui sépare le Palatin de l'Aventin. Ici il désigne la vallée qui sépare le mont Capitolin du Palatin.
Den. d'Hal., vir, M.
conde fois de comparaître devant eux comme accusé d'avoir affecté la tyrannie
En présence d'une telle accusation, Coriolan consentit à comparaître et les patriciens à le laisser juger. Pour la première fois, le Forum vit des comices. Jusque-là il n'y en avait eu que dans le Comitium, dans le Champ de Mars ou sur le Capitole.
Ce furent les premiers comices ~co' tribus.
On imita les Septa du Champ de Mars en tendant des cordes à travers le Forum~.
Les votes des centuries dans lesquelles chacun votait en raison de ce qu'il possédait furent remplacés ce jour-là par les votes des tribus, votes individuels et égaux de tous les citoyens.
Le suffrage universel fut mis à la place du suffrage fondé surlecens.Ce fut une grande innovation politique. Sur vingt et une tribus, douze condamnèrent Coriolan à l'exil.
Les tribuns s'étaient vengés de leur ennemi et avaient conquis le pouvoir judiciaire, qui primitivement n'était pas dans leurs attributions.
Coriolan alla à Antium, chez les Volsques, contre lesquels il avait combattu. Il y fut l'Ilote d'Attius Tullus, le principal chef de cette nation.
Je crois que seul ce cher d'accusation put décider les patriciens et Coriolan lui-même à accepter la prétention des tribuns, prétention exorbitante et nouvelle, de faire juger un patricien par les tribus. Den. d'Hal., vu, 59.
~Tit. Liv., 11, 35. Hospitio utebatur Attii TuUii. Selon Tite Live, Co-
Ce droit d'hospitalité accordé à un ennemi se comprend.
Attius Tullus, Volsque, et Martius Coriolanus, Sabin d'origine, étaient tous deux d'extraction sabellique. Si Coriolan fut transfuge de sa patrie, il ne le fut point de sa race.
Au bout d'un certain temps, Tullus et Coriolan eurent avec assez de difficulté préparé contre Rome une expédition qu'ils commandèrent. Ils prirent d'abord Circeii, le point le plus avancé des possessions romaines vers l'est; puis, revenant sur leurs'pas, Coriolan soumit aux Volsques les mêmes villes qu'il · avait aidé les Romains à leur prendre, et parmi elles Coriole, origine glorieuse et aujoprd'hui déshonneur de son nom
riolan ne se présente pas d'abord aux Volsques comme un transfuge, mais va demeurer chez un homme avec lequel il semble avoir le rap~M~ d'hospitalité. Les noms d'Attius Tullus, tous deux sabelliques, pourraient encore faire penser que Tullus était né d'une famille sabine établie à Antium. Ce rapport d'hospitalité, fondé sur une communauté de race, explique mieux la venue de Coriolan chez Tullus que le récit dramatique de Plutarque. (Cor., 22.) On voit dans Tite Live (n,S7) que ce rapport existait aussi entre des Volsques et des habitants deJRomc. Ceux-ci appartenaient probablement à des familles sabines. Nous avons déja vu des familles sabines établies à Albe, à Aricie, à Aidée. Eu voilà une qui se serait établie à Antium, ville latine avant d'être volsque. Cette rencontre, qui se reproduit si souvent, ferait supposer que les Sabins, qui composaient originairement l'aristocratie romaine, formaient également celle.de plusieurs autres villes latines. Le fait qui nous a frappé à Rome serait un fait plus général.
La situation de Coriole est douteuse. Nibby la place à Montcgiove,
Après avoir pris un certain nombre de villes latines~, Coriolan s'arrêta à cinq milles de Rome, aux fosses Cluiliennes, près desquelles avait été livré le combat mémorable des Horaces et des Curiaces, qui alors étaient la frontière très-rapprochée de 1 État. romain, et, si les Volsques n'étaient pas repoussés, allaient le redevenir.
Denys-d'Halicarnasse dit que les Volsques, par le conseil deTullus, épargnaient les terres des patriciens pour les rendre suspects aux plébéiens.
Ce pouvait être aussi un ordre de Coriolan qui ménageait ses alliés naturels, ceux qui avaient soutenu Gell et Abeken sont de la même opinion. M. Rosa ne la partage point, et son autorité en ce qui concerne la topographie de la Campagne romaine est supérieure à toutes les autres. Mais si Coriole n'était pas à Montegiove, elle ne pouvait en être bien éloignée, car son territoire connnait à ceux d'Aricie et d'Ardée. (Tit. Liv., m, 71.)
Tite Live cite Satricum, Longula, Polusca, Coriole, Lavinium, Corbio,Vitellia,Trebia,Labicum,Pedum. Denys d'Halicarnasse (vur.'H et suiv.) indique un peu diversement la marche de Coriolan. Selon lui, Coriolan prend Tolerinum, Bola, Labicum, Pcdum, Corbin, Coriote, Bola, Lavinium. Après l'avoir amené aux fosses Cluiliennes, Denys lui fait faire une excursion dans le Latium (vin, 36), prendre alors f.ongula, Satricum, Cotia, Pelusca, Albieta, Mugiilum, Coriole, puis ëh)bUr son camp à 50 stades (4 milles) de Rome. Plutarque (Cor., 38, 2'); suit en quelques points Denys d'Haliearnasse. La situation de plusieurs de ces villes est incertaine, l'ordre de la conquête différant chez Tite Live et chez Denys d'Halicarnasse. Au milieu de ces difficultés, je n'essayerai point de suivre la marche de Coriolan. Pour les résoudre, il faut attendre que M. Rosa ait publié sa carte des environs de Rome.
sa cause, et ne voulait frapper que ses ennemis'. A l'approche de Coriolan victorieux, une grande terreur remplit la ville. Les plébéiens accourent au Forum, appeltent les sénateurs dans la curie et leur enjoignent de rappeler Coriolan, dont eux-mêmes avaient prononcé le bannissement. C'est bien l'emportement mobile et impérieux de toutes les multitudes.
Les Romains envoient une députation à Coriolan. Le sénat consentait à rendre aux Volsques les villes qu'on avait prises sur eux, mais exigeait que Coriolan se retirât. Coriolan répondit par un refus superbe, mêlé d'invectives à son propre sujet; il demandait l'isopolitie pour les Volsques. En attendant, il alla prendre sept villes nouvelles aux Latins3.
Le fier Sabin montrait ainsi à la fois ses sympathies pour une nation sabellique et son antipathie pour les populations latines; puis il revint camper près de Rome, à moins de quatre milles (environ une lieue). On envoya vers Coriolan les prêtres, les Augures; mais il fut inflexible. Alors les femmes romaines, ou plutôt les femmes sabines, sauvèrent encore une fois la patrie en allant supplier Coriolan, comme elles avaient supplié Tatius.
'Tite Live [tt, 39) donne à la conduite de Coriolan l'un et l'autre motif.
~DM. d'Ilal., Ym, 22.
3 Plut., Cor., 31.
Une Sabine, une Valeria, la sœur de Publicola, quitte le Capitole et l'autel de Jupiter, au pied duquel, avec les autres matrones, elle suppliait les dieux'. Elle se rend à la demeure de Coriolan, entre dans l'appartement des femmes, où étaient la mère et l'épouse du banni; elle les décide à se rendre auprès de Coriolan pour tenter de le ftéchir. Le sénat approuve cette résolution, et les patriciens font cortège aux matrones jusqu'à la porte Capène. Puis celles-ci, tournant à gauche, prennent la voie Latine et s'avancent seules à travers la plaine jusqu'au camp de Coriolan, à quatre milles de Rome.
L'apparition de ces femmes touche d'abord trèspeu Coriolan. Contre tout ce qui vient de Rome, il a endurci son cœur.
Mais on lui dit qu'on a vu au milieu d'elles sa vieille mère et sa jeune femme tenant ses deux enfants par la main.
Coriolan s'avance au-devant de sa mère, fait en signe de respect ôter les haches des faisceaux et abaisser les faisceaux devant elle.
Véturie, que je me représente comme une de ces vieilles femmes au profil sévère qu'on pourrait Denys d'Halicarnasse (vm, 59) suppose que Valeria monta sur la base du temple de Jupiter, et de là harangua ses compagnes; mais ce détail invraisemblable et peu conforme aux mœurs romaines a été évidemment ajouté par Denys pour amener le discours qu'il voulait mettre dans la bouche de Valeria.
rencontrer aujourd'hui dans la campagne romaine au même endroit', le repousse en lui disant
« Je veux savoir si je suis venue vers mon fils ou vers un ennemi, »
A ces dures paroles de la mère de famille, le hautain exilé ne trouve rien à répondre.
L'épouse, dont la condition par rapport à son époux était celle d'une fille vis-à-vis de son père, ne se permet pas d'adresser à Coriolan des reproches ou des conseils; mais elle l'embrasse et pleure. Toutes les matrones l'entourent en pleurant.
L'âme fière et violente de Coriolan est attendrie par ces pleurs de femmes; il lève, son camp et se retire, non devant Rome, mais devant elles.
Il y a peu de scènes dans l'histoire plus émouvantes que celle-là, et elle ne perd rien à la décoration du théâtre; en se plaçant sur un tertre à quatre milles de Rome, près de la voie Latine, dans un lieu où il n'y a aujourd'hui que des tombeaux et des ruines, on peut se figurer le camp des Volsques, dont les armes et les tentes étincellent au soleil. Les montagnes s'élèvent à l'horizon. A travers la plaine ardente et poudreuse défile une foule voilée dont les gémissements, retentissent dans le silence de la campagne romaine. Bientôt Coriolan est entouré de cette multitude suppliante Denys d'Halicarnasse (vtu, 45) la peint s'évanouissant aux pieds de son fils; cela n'est point dans les mœurs romaines. Le Romain Tite Live les comprenait mieux que le Grec d'Halicarnasse.
dont les plaintes, les cris, devaient avoir la vivacité des démonstrations passionnées des Romaines de nos jours.
Coriolan eût résisté à tout ce bruit, il eût peut-être résisté aux larmes de sa femme et aux caresses de ses enfants; il ne résista pas à la sévérité de sa mère. Le soir, par un glorieux coucher du soleil de Rome qui éclaire leur joie, la procession triomphante s'éloigne en adressant un chant de reconnaissance aux dieux, et lui se retire dans sa tente, étonné d'avoir pu céder.
Du haut des édifices de la ville on regarde avec transport l'armée ennemie retourner du côté de )a mer vers Antium, d'où Coriolan était venu écraser le plébéianisme à Rome, et où il devait trouver la mort. 'Sa fin, toujours triste, était racontée de diverses manières. Selon les uns, en butte au mécontentement des Volsques, il avait été lapidé par eux; puis, se repentant de lui avoir donné la mort, ils avaient accordé de grands honneurs à son cadavre Selon d'autres, il aurait vécu jusque dans un âge avancé, regrettant la patrie qu'il avait trahie, puis sauvée, et disant
« L'exil est cruel pour un vieillard ? »
Il eût pu rentrer dans Rome, où le sénat lui décerna des honneurs et où les matrones devaient porter son Den. d'Hal., vm, 59.
'Tit. Liv., u, .40.
deuil'; mais son orgueil l'en empêcha; il ne voulait pas voir les tribuns triomphants.
Le sénat décréta que les femmes romaines choisiraient leur récompense; la seule qu'elles demandèrent fut d'élever à leurs frais un temple à la Fortune des femmes, la Fortune Mulièbre, et que le culte y fût célébré au nom de l'État afin que, s'y rassemblant chaque année le jour où elles avaient obtenu le départ de Coriolan, elles pussent y offrir des sacrifices et prier seules pour le salut de la république. Valeria 3 et la mère de Coriolan se chargèrent des frais.
Un temple fondé par des femmes,' un culte confié non à un corps de prêtresses, comme les Vestales, mais à des matrones romaines, étaient quelque chose de très-nouveau.
Une telle innovation montre jusqu'où allait pour elles le respect des Romains, et ce qu'était à Rome, malgré l'infériorité de leur condition légale, la considération morale dont elles étaient entourées'. Den. d'Hal., vm, 62; Plut., Cor., 39.
Plut., Cor., 57.
3 Den. d'Hal., nn, 55. Si la statue équestre de femme qu'on disait aussi représenter Clélie était réellement celle de Valeria, c'est à cette occasion qu'elle lui aura été érigée.
4 Valère Maxime [v, 2, d ) prétend que le sénat ordonna aux hommes de céder dans la rue le pas aux femmes, ajouta à leurs parures des ornements nouveaux et leur permit de porter un vêtement de pourpre et des galons d'or. Tout cela est une exagération évidente, mais atteste le sentiment de respect pour les femmes que j'ai signalé.
Valeria présida la première au sacrifice offert pour le peuple romain sur un autel qu'on avait élevé avant que le temple fût construit. Le temple fut consacré l'année suivante par le consul Virginius.
Les matrones romaines instituèrent la coutume que la statue de la déesse ne serait jamais touchée par des femmes remariées; que le droit de poser des couronnes sur la tête de cette statue et l'honneur de desservirie temple appartiendraient auxnouveHesépouses. Tl y avait chez les anciens Romains contre les secondes noces une prévention dont l'Église romaine a hérité. On rapportait que le sénat ayant voulu que la statue fût exécutée à ses frais, et que les matrones en ayant fait faire aux leurs une seconde, celle-ci, au moment où elles furent toutes deux consacrées, prononça distinctement ces mots
« Femmes romaines, vous m'avez dédiée selon les rites. »
Miracle qui semble avoir été imaginé pour confondre ceux qu'une statue consacrée par des femmes scandalisait. Depuis ce jour, bien des images de madones ont parlé.
Ce temple était à quatre milles de Rome', sur la voie Latine, à l'endroit où Coriolan avait été désarmé par sa mère'.
Va)., Max., i, 8, 4.
Le vieux temple de la Fortune des femmes survécut à la république, car Festus (p. 245) en parle comme existant à l'époque où il vivait.
Ce renseignement achève de déterminer le lieu de la scène si bien racontée par Tite Live, si puissamment évoquée par Shakspeare. Shakspeare, qui n'était pas venu à Rome, qui ne savait pas le latin, aidé seulement de son génie et d'une traduction de Plutarque, guidé peut-être par le sentiment d'une certaine affinité entre les instincts politiques de Rome et ceux de l'Angleterre, a peint merveilleusement la hauteur patricienne de Coriolan, sa dureté inflexible, ses altiers dédains.
Cette tragédie, écrite à Londres, pourra éternellement se relire à Rome. Pour que les Romains de Shnkspcarc soient tout à fait ceux de l'histoire, il suffit d'effacer quelques grossièretés et ça et là quelques traces de bel esprit, double empreinte d'un siècle où les mœurs manquaient de délicatesse et péchaient par le raffinement; mais dans ce qu'elles ont d'essentiel, les peintures du caractère romain sont d'une profonde vérité.
On pense ici naturellement à Shakspeare, comme on pense à Corneille sur le terrain du combat des Horaces mais l'on ne saurait retrouver chez les princes romains les sentiments des patriciens de Rome au troisième siècle, comme nous avons trouvé les sentiments d'Horace et de sa sœur chez l'homme des Monti et la Trunsteverine de nos jours; car à Rome l'homme du peuple seul a gardé quelque chose de l'ancien caractère national, au moins la férocité.
Le prince romain, au contraire, peut être aimable et honorable; il peut avoir une dose très-raisonnable de vanité aristocratique, mêlée de bonhomie; mais il n'a certes plus rien de la magnifique hauteur et de la dureté orgueilleuse de Caius Martius Coriolanus. Les patriciens, humiliés par la peur que leur avait faite Coriolan, s'en vengèrent sur un autre patricien qui se fit craindre d'eux, non comme appui desVolsques, mais comme auxiliaire des plébéiens. A l'exil de Coriolan, décrété par les tribuns, ils répondirent par la mort de Spurius Cassius.
Spurius Cassius s'était signalé dans les premières campagnes de la république; il avait fait avec les Latins un traité important, car il assurait à Rome l'alliance des populations latines contre les .Eques et les Volsques, infatigables à la combattre. C'était la pensée qui avait fait élever par Servius Tullius le temple de Diane sur le mont Aventin; Rome ~appuyant sur le Latium contre les na'tions sabelliques, sur la plaine contre la montagne. Ce traité devait être maintenu tant que le ciel et la terre resteraient à leur place. On le considérait comme si important, que la table d'airain sur laquelle il était gravé fut placée derrière la tribune*.
Cicéron (Pro Balb., 25) dit Nous nous souvenons de l'avoir vue elle disparut donc du temps de Cicéron, mais ce ne put être, comme on l'a dit, dans l'incendie de la curie qui eut lieu après la mort
Spurius Cassius fit un pas de plus dans la même voie, et conclut avec les Herniques un traité qui détachait ce peuple montagnard et belliqueux des autres peuples sabelliques. Après ce succès d'une haute importance, il n'obtint qu'avec peine le triomphe. On lui disputait cet honneur, sous prétexte qu'il n'avait livré aucune bataille, pris aucune ville, et fait des conditions trop favorables aux Latins et aux Herniques.
C'était une injustice. Ces deux traités valaient vingt combats qu'ils épargnaient aux Romains, et les droits accordés aux Latins et aux Herniques étaient une sage concession, grâce à laquelle Rome trouva pendant les guerres qui suivirent des alliés sans lesquels, n'ayant d'appui ni dans la plaine ni dans la montagne, elle aurait probablement succombé.
Soit irritation contre le sénat qui lui avait marchandé les honneurs du triomphe, soit plutôt sagesse d'un esprit supérieur qui avait déjà montré savoir ce que parfois on gagne à accorder, Spurius Cassius, dans son troisième consulat, prit l'initiative de mesures populaires que les patriciens ne lui pardonnèrent jamais.
Il voulait partager entre les Latins et les plébéiens, ces Latins de Rome, le territoire cédé par les Herniques. De plus, le premier, il revendiquait, pour être <Je Clodius, car le discours Pro Balbo fut prononcé avant cet événement.
distribuée aux citoyens, une partie des terres publiques dont les patriciens avaient seulement la possession, et dont ils voulaient faire leur propriété. C'était la première loi agraire fondée, aussi bien que toutes celles qui suivirent, non, comme on l'a cru quelquefois, sur un principe de spoliation, mais sur le droit de l'État à disposer des terres conquises, droit que l'usurpation des patriciens violait manifestement.
Les patriciens craignirent pour leur usurpation et se hâtèrent de déclarer que Cassius aspirait à se faire roi. Il semble que les plébéiens auraient dû le soutenir mais il demandait aussi qu'on accordât des terres aux alliés latins.
Un esprit étroit de jalousie prévalut chez la plebs inintelligente et la détacha de Cassius. Voulant la gagner à tout prix, il demanda qu'on rendît à ceux auxquels le sénat avait vendu les blés venus du dehors ce qu'ils avaient payé.
Les tribuns se tournèrent contre lui, ne voulant pas qu'un patricien leur ravît le privilège de la popularité. Les plébéiens, dupes de la peur qu'on leur faisait de ce nom de roi, crurent que Cassius voulait leur acheter à ce prix leur liberté, et rejetèrent cette proposition, dont les patriciens devaient le punir. Le Forum fut cette fois témoin d'une triste scène. Spurius Cassius, ses collègues, qui étaient ses ennemis, le consul Virginius, avaient tour à tour occupé la
tribune; la plebs flottait encore incertaine. Les tribuns y avaient parlé contre les patriciens et contre leur conscience. Enfin l'un d'eux y monta, et, probablement d'accord avec le consul Virginius, le somma de s'expliquer'.
« La loi proposée par Cassius, dit-il, se compose de deux parties une distribution de terre aux alliés et une aux citoyens romains. En repoussant la première, acceptes-tu la seconde?
Je l'accepte, répondit Virginius.
Eh bien, reprit le tribun en s'adressant à la multitude, acceptons de notre côté la mesure sur laquelle le consul et nous sommes d'accord, et renvoyons à un autre moment la discussion du point contesté, » Les plébéiens, trompés par cette comédie, demandèrent à grands cris ce que nous appellerions la division, et Cassius fut perdu.
La cause des plébéiens ne le fut pas moins. Rentrés dans la curie, les sénateurs convinrent de nommer dix commissaires pris dans leur sein pour décider l'année AMt~aKt~ quelle partie des terres publiques devait être donnée aux plébéiens et quelle partie serait conservée aux patriciens. 11 en résulta que les patriciens. conservèrent tout.
Cependant le Forum s'agitait encore; la lutte s'y continuait entre Cassius et les tribuns qui faisaient contre lui les affaires des patriciens.
Den. d'Hal., vm, 72.
Ne pouvant rien obtenir d'eux, il cessa de paraître & la tribune, feignit d'être malade et garda la maison C'était s'avouer vaincu.
Le temps du consulat de Cassius expiré, il fut accusé par les deux magistrats chargés de poursuivre les crimes de haute trahison, et qu'on appelait questeurs, c'est-à-dire inquisiteurs du parricide. Les patriciens empruntèrent aux tribuns qui avaient mis en jugement Coriolan cette accusation banale d'avoir voulu se faire roi, qu'un parti ou un autre avait constamment en réserve pour celui qu'il voulait perdre, et que le peuple accueillait toujours avec faveur; car ce nom de roi était un épouvantail qui ne manquait jamais son effet.
Spurius Cassius fut condamné à mort. Denys d'Halicarnasse a l'air de penser que ce fut dans le Forum par les tribus assemblées~, ce qui est peu vraisemblable, et que, conduit par les deux questeurs du parricide au haut de la roche Tarpéienne, il en fut précipité à la vue de tous\
Denys d'Halicarnasse (vnr, 72) dit que sous main Cassius fit venir dans le Forum des Latins et des Herniques, qui, selon cet auteur, auraient eu un droit de suffrage, mais ce droit n'est pas mentionné dans le traité avec les Latins et ne pouvait, à cette époque, exister ni pour eux ni pour les Herniques.
Den. d'Hal., vm, 78.
Cette expression et celle qu'emploie Denys pour désigner la roche Tarpéienne, uMoxst'M Ti~ 'A'/opS~ xc'/j~~f! rocher qui domine le Forum, pourraient faire croire que la roche Tarpéienne était sur la cime nord-est du Forum et non sur la cime sud-ouest, qui porte en-
Je crois plutôt Tite Livc, qui parle du jugement des curies patriciennes (judicio populi).
Selon une autre version que Tite Live rapporte aussi, ce ne serait ni dans le Forum ni dans le Comitium que le jugement eût été prononcé; ce ne serait point sur le Capitole qu'il aurait été exécuté. Tout se serait passé dans la maison de Cassius; son père l'aurait jugé, condamné, mis à mort.
Vrai ou faux, un tel récit nous fait connaître l'idée qu'on se formait de ce que fut l'autorité paternelle dans les .commencements de la république. L'un des premiers citoyens, l'homme le plus émincnt de son temps, disait Niebuhr, le vainqueur des Volsques et des IIerniques, l'auteur du traité avec les Latins, trois fois consul, aurait été battu de verges et tué par son père (verberasse.ae necasse). On voit que la tradition de Brutus ne se perdait point. Mais Brutus immolait ses tils réellement coupables au salut de core son nom. Mais les inductions qu'on pourrait tirer des mots u~~x~t/t~cf ï~ 'Aye~ appliqués à la roche Tarpéienne sont pour ainsi dire neutralisées par l'emploi que le même auteur en fait ailleurs propos de l'autre sommet du Capitole. (m, 69.) En admettant, comme je le fais. que la roche Tarpéienne soit la cime du Capitole opposée à celle qui porte l'église d'Araceli, on pouvait très-bien voir du Forum le sommet d'où Spurius Cassius fut précipité. Ainsi ce passage ne saurait infirmer les raisons que j'ai données pour mettre la roche Tarpéienne où je l'ai mise, ou plutôt laissée, et qui subsistent. Denys d'Halicarnasse dit que ce genre de supplice était alors usité à Rome (~t/~to,). mais on n'en trouve point d'autre exemple 4 cette époque.
la patrie; le père de Spurius Cassius à l'avarice menacée de l'ordre patricien.
Ces deux noms de Brutus et Cassius, que devait rapprocher un jour une autre exécution sanglante, 1 étaient donc par une conduite semblable en apparence, mais dont les motifs furent bien différents. N'importe, ce sont deux terribles exemples de ce pouvoir paternel, base de la famille romaine, et dont l'origine ne pouvait l'être. Ce n'est pas sur le Palatin, dans une agrégation de réfugiés dont la plupart n'avaient pas de famille, que naquit la puissance exorbitante du père de famille; elle dut venir des Sabins, chez lesquels on trouve l'organisation du clan et de la tribu, et quelque chose de la société patriarcale, où le père de famille est roi 1.
Aussi Brutus était-il Sabin d'origine, et les Cassii l'étaient vraisemblablement*.
Aujourd'hui même, dans le peuple, l'autorité du père de famille a un caractère de tyrannie. Ainsi ce que gagnent les pauvres et belles filles de la campagne romaine en posant comme modèles dans les ateliers n'est point pour elles, mais pour leur père on pour leur frère, qui, à défaut du père, est le chef de la famille.
L'origine sabine des Cassii ne m'est pas démontrée; mais je la crois probable, d'abord par cela seulement qu'ils étaient patriciens. De plus, 5pMf!M~, prénom de Cassius, était celui du père de Lucrèce, Sabin; ce prénom, se trouvant souvent en Étrurie, doit être Ombrien. Un Cassius, venu il est vrai plus tard, porta un sobriquet qui semble être sabin Ravilla (qui a des yeux gris), dont la désinence est semblable à celle de Sylla, nom d'une famille cornélienne, et pour moi les Cornelii, habitants du Qui-
La vengeance patricienne, qui avait pensé s'étendre aux enfants de Cassius', le poursuivit, et même après sa mort. On rasa sa maison, la place qu'elle occupait resta vide', et tout près on bâtit un temple dédi& à Tellus, nom sacré de la terre, qu'on honorait comme une puissance infernale 3. C'était consacrer la mémoire de Cassius aux dieux infernaux.
La statue de bronze qu'il s'était élevéeàlui-mème,ce qui montre dans cet ami des plébéiens un grand orgueil, fut fondue par ordre des censeurs Ces deux faits, qui se rapportent à une époque postérieure", rinal, sont Sabins. Le mot raMM (œil gris) est cite par Festusi mais ne se trouve pas, que je sache, en latin; il y est du moins bien rare. Ne serait-ce pas un mot sabin? Sylla avait les yeux bleus; si, comme je le pense, les Sabins étaient h)onds, ne serait-il pas naturel qu'un Sabin n'eût pas les yeux noirs, ainsi que les avaient et les ont en général les Romains? ,Ss~<MO, surnom d'un autre Cassius, a la physionomie des noms propres sabins en o, Pompo (père de Xuma), Scipio (Cornélius), Varro (né dans la Sabine), etc. Les Cassii étaient célèbres pour leur dureté toute sabine, comme celle de Sp. Cassius.
Den. d'Hal., vm, 80.
Au temps de Tite Live (n, 41), elle l'était encore. Dirutas publice œdes, ea est area anle telluris a'dem.
3 On dévouait à Tellus et aux Mânes. (Tit. Liv., y, 28.) Tellus était mise en rapport avec l'roserpine. (t'auly. Real. Encycl., vi, p. 1661.) *P1.M<.)M< mtv, 14, 1.
1 Le temple fut bâti au cinquième siècle. (Flor., i, 19, 2.) La statue ne put être fondue que postérieurement à la création de )a censure. Pline place le fait au sixième siècle. Cet auteur dit xxHv, M, 1) que les censeurs firent fondre la statue de Sp. Cassius, oHerte par son père il Cérès. Mais on n'eût pas détruit une statue
peignent l'acharnement des patriciens contre le souvenir de ce premier précurseur des Gracques. Nous savons où était la maison de Cassius, parce que nous savons où était le temple de Tellus. Ce temple se trouvait près des Cannes dans une rue qui conduisait du Forum à ce quartier brillant', aux environs de Torre Dei Conti.
Ce temple de Tellus, élevé près du lieu qui rappelait une exécution atroce, fut plus tard associé à d'autres barbaries. Dans les actes des martyrs, il est question de chrétiens mis à mort en cet endroit (in Tellure) Ceux-ci,victimes d'un pouvoir qui les regardait comme dangereux, parce qu'ils prêchaient l'égalité des hommes devant Dieu et résistaient à la tyrannie, mouraient consacrée à une divinité. Ailleurs Pline (xjmv, 14, 1) parle de la statue que Cassius s'était élevée à lui-même.
1 In Carinis ad Telluris sedem. Suet., De Idl. Gr., 15.) Carinse. <[uae erant circa Telluris sedem. (Serv., ~H., vm, 561.) Denys d'Halicarnasse (vui, 79) parle de la rue qui conduisait aux <anMM; ce ne peut être que du Forum. Or nous avons vu que, selon toutes les vraisemblances, cette rue partait de la partie moyenne du coté septentrional du Forum, Yer" le Janus qui de ce côte marquait l'entrée du Forum, comme l'arc de Fabius à l'est. Cette rue se dirigeait en effet vers le quartier des Carines, situé sur la pente et. au bas de l'Esquilin; le Forum transitorium en marque la direction. Le temple de Minerve, qui tenait à ce Forum, est désigné dans des actes de martyrs comme voisin du temple de Tellus. (Beck, /~M<M' i, p. 528.) Tout cela conduit vers Torre dei Conti.
Trois actes de saint Gordien, cités par Nardini. (Voy. Becker, ~Mf~ f, p. 528.) 7M Tellure désignait tout t'espace environnant, car plusieurs églises de ce quartier sont dites :'M Tellure.
au fond pour la même cause que Spurius Cassius, martyr de la cause des opprimés et victime de la tyrannie.
Torre Dei Conti est une tour féodale du temps d'Innocent III, sorti de cette grande famille des Conti qui a donné sept papes à l'Eglise.
Elle a été probablement bâtie sur l'emplacement même du temple de Tellus. On aime à voir la papauté écraser ainsi les souvenirs de l'oppression et de la persécution mais la papauté du moyen âge, qui éleva la tour des Conti, n'a-t-elle pas à son tour opprimé et persécuté ?
Un autre édifice était doublement lié à la destinée de Spurius Cassius, le temple de Gérés, qui, voué par son ancien général Postumus, et bâti au lieu où avait été le vieux sanctuaire pélasgique de Déméter', avait été plus tard consacré par Cassius lui-même*. Quand son père l'eut immolé de ses propres mains à l'avidité patricienne, il fit don du pécule de son fils un fils n'avait que son pécule comme un esclave J'ai dit que j'inclinais avec Becker à placer à Santa-Maria in Cosmedin le temple élevé a la Fortune Vierge par S. Tullius. Je reviens à l'opinion ordinaire qui met là le temple de Cérès. Ce temple. comme on le voit par les colonnes qui subsistent dans les murs de l'église, était tourné du sud au nord, ce qui rend très-bien compte de ce que nous apprend Tite Live qu'un grand vent enleva et vint appliquer a la partie postérieure du temple de Cérès la porte du temple de la Lune, situé au pied de l'Aventin (Tit. Liv., xi., ~.) Den. d'Haï.,yt, t7,9~.
à ce même temple de Cérès que Spurius Cassius avait consacré, et, par une féroce ironie, mit au bas de la statue faite avec cet argent, et qu'il dédiait à la déesse
« Don de la famille Cassia. »
L'ironie était d'autant plus amèrè, que l'on vendait auprès du temple de Cérès ceux qui avaient offensé un tribun.
Ce temple, mis particulièrement sous la surveillance des édiles et où ils avaient leurs archives, était le temple de la démocratie romaine. Le farouche patricien le choisit pour lui faire adresser par son fils mort au service de la démocratie un dérisoire hommage.
Un fait obscur, mais terrible, achèverait, s'il était certain, de répandre sur ces premières luttes politiques du Forum une tragique horreur. Un tribun nommé Mutius, indigné que ses neuf collègues eussent trempé dans les menées de Spurius Cassius, les aurait fait brûler vivants dans le cirque
Ce serait un épisode bien lugubre de l'histoire de ce grand monument, laquelle, du reste, est liée à l'histoire romaine tout entière.
Les bûchers se seraient allumés de bonne heure a Val. Max., v;, 5, 2; Fest., p. 174. Voy. Niebuhr, 77M<. 7}., m, p. 171 et suiv., et Ott. Miller, f~ p. 389. Ce fait très-extraordinaire a été nié, et Müller a expliqué la tradition qui le rapportait, par une confusion avec neuf tribuns militaires tombés en combattant les Volsques et bruiës dans le cirque après leur mcr<.
Rome, et celui du champ des Fleurs (campo di Fiori), sur lequel monta au quinzième siècle le philosophe Giordano Bruno, aurait un précédent bien ancien dans ce bûcher politique, qui, au troisième siècle de Rome, aurait brûlé neuf tribuns.
Bientôt les débats sur la loi agraire furent repris avec fureur, le sénat refusant toujours, les tribuns réclamant toujours et défendant aux plébéiens de s'enrôler jusqu'à ce que les patriciens eussent tenu parole; les plébéiens allèrent même jusqu'à abandonner leur général, à rentrer sous la tente et forcer un consul de les ramener dans Rome, fuyant ainsi devant leurs ennemis du dehors pour que leurs ennemis du dedans ne profitassent pas de leur triomphe.
C'est l'éternel honneur du peuple romain que, dans ces extrémités formidables, personne, patriciens ou plébéiens, n'ait eu l'idée de renoncer à une liberté si turbulente, si périlleuse, qui remplissait leurs ennemis d espérance pour chercher le repos et le salut dans le despotisme.
Certes les arguments qui ont décidé plus tard les Romains à le faire dans des circonstances moins difficiles, les arguments n'auraient pas manqué. Le danger du prolétariat était grand; mais, je le répète, l'idée de chercher un maître ne vint à personne. Les consuls paraissaient au Forum et sommaient les citoyens de s'inscrire dans la milice; nul ne s'inscriTit. U\ n. 44.
vait les patriciens négociaient, promettaient, attendaient.
On venait dire que l'ennemi approchait, que les Véiens avaient passé le Tibre, que les -Eques étaient descendus de leurs montagnes. Les plébéiens refusaient encore de s'inscrire.
Enfin, quand du haut des maisons on voyait l'ennemi dans la plaine à deux lieues de Rome, on n'y pouvait plus tenir, on sortait de la ville et on allait le repousser. Puis on revenait au Forum recommencer d'autres combats ou bien un général habile savait exciter l'ardeur des soldats, l'irriter par des délais sagement calculés; les soldats se précipitaient sur l'ennemi, jurant de vaincre, et tenaient leur serment 1. Mais, si quelqu'un eût proposé, dans l'intérêt de l'ordre qui était troublé, au nom du salut de la patrie exposée sans cesse à de nouveaux périls, au nom de l'existence de Rome, dont les ennemis étaient à ses portes; si quelqu'un eût proposé de renoncer à ces droits sans cesse armés les uns contre les autres, de se reposer et de s'unir dans une commune servitude; des sièges de la curie, des bancs du Comitium, de l'enceinte en bois placée au milieu du Forum, se serait élevée une imprécation unanime; un jugement capital eût frappé immédiatement celui qui aurait conseillé une pareille indignité, et, entre la sentence et l'exécution, il ne se Tit. Liv., n, 45.
serait écoulé que le temps nécessaire pour aller de la tribune à la roche Tarpéienne, qui n'en était pas loin. Rome traversa donc ces redoutables épreuves sans ahdiquer sa liberté. Malgré ses dissensions, elle ne fut point conquise, et c'est parce qu'elle était demeurée Ubrc qu'ciïe a conquis le monde.
Les patriciens, qui, on doit le reconnaître, auraient mieux aimé mourir que descendre à l'expédient de la tyrannie d'un seul, faisaient tout pour reprendre l'ancien pouvoir qu'ils avaient perdu depuis la retraite sur le mont Sacré et la création du tribunat. Ils gagnaient quelques-uns des tribuns et les détachaient d'un collègue trop résolu.
Ils parvinrent au moyen de leurs clients à dominer dans les centuries, au point qu'un jour les plébéiens abandonnèrent les comices, et à y faire constamment élire des consuls de leur choix'.
Ils imaginèrent de tenir les comices à plus d'un mille de Rome, parce que la puissance des tribuns ne s'étendait pas plus loin
Mais à Rome les lieux n'étaient point indifférents; la coutume attachait à chacun d'eux une destination Selon Niebuhr, ils changèrent même dans les élections le rôle des curies et des centuries, transportant aux premières le droit d'élire et ne laissant aux secondes que le droit de confirmer. (BM<. rom., trad. fr., m. p. 238.)
Den. d'Haï., \m, 87. Dans la plaine au bord du Tibre, en dehors de la porte du Peuple.
pour ainsi dire sacrée, et l'innovation tentée n'eut pas de suite.
C'est pendant cette période obscure et curieuse de l'histoire romaine qu'on voit, de 269 à 275, sept Fabius de suite consuls. La gens Fabia, sabine comme la gens Claudia par son origine, mais plus anciennement domiciliée à Rome, fut alors une véritable dynastie aristocratique, tandis qu'on voit un Julius de race latine, un aïeul de César, prendre parti pour les plébéiens
Mais ces Fabius avaient un grand cœur. Le rôle d'instrument d'oppression et d'injustice que leur faisait jouer l'aristocratie romaine finit par leur répugner.
Kaeso Fabius, celui-là même qui avait prononcé la condamnation de Spurius Cassius, fut le premier à demander la loi agraire, se fit aimer des soldats par ses soins pour les blessés. Dans une bataille, son frère Quintus fut tué; son autre frère Marcus sauta pardessus le corps de Quintus lui et Kseso entrainèrent l'armée.
Les Fabius devinrent populaires à force de gloire. Dès ce moment ils furent odieux~aux patriciens L'espèce d'hérédité qui s'était établie pour eux dans le consulat fut abolie.
Toujours suspects aux tribuns, leur situation à Rome n'était plus tenable.
Den. d'Hat., vm, 90.
Ils résolurent d'en sortir noblement; ils firent aussi leur sécession, mais sans rien demander que la permission d'aller s'établir à quelque distance de Rome et d'y soutenir à leurs frais la guerre contre les Véiens. Les Fabius étaient Sabins~; un clan sabin pouvait seul compter quatre mille hommes, et quatre mille hommes vinrent s'offrir au sénat pour aller guerroyer contre les Véiens.
Dans ces quatre mille hommes, il y avait trois cent six patriciens~; le reste était des clients.
Les Fabius étaient établis sur le Quirinal au moins depuis Tatius; peut-être l'avaient-ils été d'abord sur l'Aventin. Une tradition les met en rapport avec Rémus.
On peut suivre tous les pas des Fabius dans cette C'est l'opinion de Niebuhr et d'Ott. Müller (Etr., i, p. 201), qui fait remarquer que les ~et:<M sabines, les Claudii, les Valerii, les Fabii, jouent un grand rôle a Rome après l'expulsion des Tarquins. Les Fabii ont leurs sacra sur le Quirinal, où furent plusieurs temples consacrés à des divinités sabines. Les surnoms usités dans cette gens ont une physionomie sabine très-marquée. L'un d'eux, terminé en a, Sanga, vient de Sangus ou 5an<;tM, nom d'un dieu sabin. Trois sont terminés en o, De~f Ea~c et J!.MO. Kseso me paraît la forme sabine du mot dont. César est la forme latine. La désinence en ar se retrouve en effet dans Palatuar, fête locale célébrée sur le mont latin; la désinence o dans celle de plusieurs prénoms sabins que j'ai cités, et dans celle du nom de l'Anio, de la déesse sabine Nerio. Den. d'Hal., tx, 15. Festus dit cinq mille.
Cum clientium millibus quinque. (Fest., p. 334.) Sex et trecent. Fabii patricii c~m familiis suis. (Gel! Noct. aM., xv)i, 21.) Cum sertis et clientibus suis. (Serv., En., vn, 846.)
brillante aventure qui devait finir si tragiquement pour eux, grâce aux détails dont le récit de Tite Live, tiré probablement des mémoires de la gens Fabia, est rempli.
Les trois cent six patriciens viennent trouver le sénat rassemblé et s'arrêtent à la porte de la curie, là où étaient les sièges des tribuns.
Celui des leurs qui était consul entre et parle au nom de tous.
Les clients attendaient dans le Forum.
Au nom de sa tribu, Kseso offre de faire la guerre aux Etrusques de Véies. C'est une guerre de notre gens, dit-il, bellum ~Htt~. En effet, les Fabius avaient été les héros de celte guerre. Le sénat les remercie et ordonne que le lendemain ils se présentent armés à la porte du consul. Tout ce jour-là il ne fut question que de l'offre magnanime des Fabius.
Le jour suivant, ils s'arment et vont se réunir au lieu indiqué, très-probablement sur leQuirinal, où de~ vait être la demeure de Ka~so, comme des autres Fabius. Le consul sort portant le paludamentum, manteau de guerre, insigne du commandement militaire, et se met à la tète du clan.
Pour aller à Véies, ils ne pouvaient prendre la voie Flaminia (le Corso), qui n'existait pas encore; mais ils eussent pu en suivre la direction à travers le champ de Mars et sortir de Rome par une des portes du Quirinal, la porte Salutaire ou la porte Sanqualis.
Pourquoi allèrent-ils par un assez long détour chercher la porte Carmentale (aux environs du théâtre de MarceUus)? Ce dut être dans un but religieux. Ils avaient une procession à faire et, comme on dit aujourd'hui, à MM<<'r les sanctuaires, les sanctuaires liés à la religion de leur gens.
Les Fabius, étant Sabins, étaient très-religieux. Selon une version, improbable il est vrai, du récit de leur mort, mais caractéristique en ce qu'elle montre l'idée qu'on se faisait de leur piété, ils avaient péri pour être revenus à Rome des bords de la Cremera, afin d'y accomplir un sacrifice. Pendant le siège du Capitole par les Gaulois, un jeune Fabius traversa deux fois l'armée des assiégeants pour aller s'acquitter d'un devoir pieux de sa famille sur le Quirinal et en revenir.
Cette fois, si, pour sortir de la ville, ils firent un assez grand détour, c'est qu'ils voulaient visiter des lieux qui leur étaient sacrés et y faire leurs dévotions, comme un bataillon de Romains modernes, dans le temps où les Romains étaient plus dévots qu'ils ne sont aujourd'hui, aurait voulu faire les siennes dans les églises placées sous le patronage de leurs chefs l'église des Saints-Apôtres, s'ils avaient été les vassaux des Colonna; l'église de Sainte-Pudentienne, s'ils avaient été les vassaux des Caetani.
Quelques-uns des Transteverins, qui partaient il y a trois ans pour aller rejoindre les troupes de Victor--
Emmanuel, ont peut-être, avant de partir, été faire une prière à Santa-Maria in Transtevere.
La route que suivirent les Fabius, du Quirinal à la porte Carmentale leur permit, en prenant le plus long, il est vrai', de traverser le Comitium et de se montrer ainsi fièrement, dans-l'accomplissement de leur noble dessein, aux patriciens ingrats qui s'étaient détachés d'eux, aux plébéiens du Forum, dont ils étaient devenus les protecteurs, et qui, après les avoir souvent maudits, ce jour-là célébraient avec enthousiasme leur magnanimité. Ils voulaient sans doute passer devant l'antre Lupercal, dont ils étaient les prêtres héréditaires, et aller jusqu'au temple d'Hercule, duquel prétendaient descendre ces Héraclides de Rome, comme les appelle Niebuhr.
La porte Carmentale elle-même, qu'ils avaient choisie, était un lieu consacré par la religion de leur famille.
Car là étaient l'autel et le sanctuaire de la déesse Carmenta, la mère d'Évandre, et ils rapportaient aussi leur origine à ce héros arcadien~. L'antre Lupercal, Ils voulaient aussi saluer en passant le temple de Jupiter, que Tite Live (n, 49) place sur leur chemin avant la citadelle Prœtereuntibus Capitolium arcemque.
~On disait (Fest., p. 285) que le sénatus-consulte qui autorisait le départ des Fabius avait été rédigé dans le temple de Janus, situé près de cette porte. Était-ce par déférence pour les prétentions généalogiques des Fabius? D'ailleurs le temple de Janus était un lieu de réu-
le temple d'Hercule, le sanctuaire de Carmenta, se rattachaient aux traditions pélasgiques, et j'ai .dit que cette antique famille sabine avait peut-être dans les veines du sang pélasge; les Pélasges avaient vécu à Rome à côté des Sabins.
Cette porte leur fut fatale. Elle était formée de deux arcades latérales, de ce qu'on appelait deuxjmMs, l'un pouvant servir à ceux qui entraient dans la ville, l'autre à ceux qui en sortaient, de manière que dans les deux cas on passait par lejanus que l'on avait à sa droite. Quand on avait franchi la porte Carmentale, deux chemins se présentaient l'un à gauche, allant vers le Tibre à travers le champ de Mars; l'autre à droite, qui rejoignait plus loin le fleuve là où on le traversait en bateau pour se rendre à Véies
Ce dernier chemin fut la route des Fabius. Depuis leur défaite et leur mort, il demeura néfaste, et même au temps d'Ovide les gens superstitieux (il y en eut toujours à Rome) évitaient d'y passer. Il en était de même du janus carmental de droite, qu'on appelait porte scélérate, ce qui voulait dire porte de ma~cMf*. nion convenable en pareille circonstance. Une gens sabine allait guerroyer or Janus était le grand dieu des Sabins et le dieu de la guerre. A Ponte Molle, où il n'y avait pas encore de pont.
C'était l'arcade et la route de droite par laquelle on évitait de passer.
Carmentis portœ dextro est via proxima jano,
Ire per hanc noli, quisquis es, omen habet.'
(Ov., Fast., n, 2(M.)
Ovide ne parle ici que de la route voisine du Janus de droite, et non
Les Fabius passèrent le Tibre, puis longèrent sa rive droite, et, remontant son cours, allèrent se poster sur une colline dominant la vallée de la Cremera, aujourd'hui la Valca, petite rivière qui se jette dans le Tibre.
C'est une eau noire qui coule au fond d'un étroit ravin dont elle ronge les bords', sous des masses touf-, fues d'une verdure sombre.
Là les Fabius s'établirent dans une position forte, et, à la tête de leurs clients, j'ai presque dit de leurs vassaux, se mirent à guerroyer contre les Véiens. Sur un sommet élevé et abrupte comme ceux où alors on plaçait les villes, ils établirent un fort assez pareil aux châteaux fortifiés qu'on élevait au moyen âge dans une situation semblable, et dont on aperçoit encore les débris çà et là dans la campagne romaine.
de la porte elle-même. Festus dit (p.285) « Quelques-uns se font scrupule de passer par la porte Carmentale. o C'est du Janus de droite qu'il veut seulement parler, ou bien la superstition appliquée à la porte tout entière était seulement celle de quelques âmes timorées, car cette porte, placée entre le marché aux bœufs et le marché aux légumes, devait être un passage très-fréquente. On voit, pendant la seconde guerre Punique, une procession, allant du temple d'Apollon dans le Champ de Mars au temple de Junon sur l'Aventin, passer par la porte Carmentale. (Tit. Liv., xxvt<, 37.)
Cremera rapax. (Ov., Fast., n, 205.) D'autres ont pensé que la Cremera était le cours d'eau appelé Acqua Traversa. (Smith., Dict. o/' anc. and m< geogr., J, p. '!0i.)
~otpto~. (Den. d'Ha)., ix, 15.)
Cet établissement des Fabius près de la Cremera était-il un établissement définitif dans lequel, dégoûtés de Rome, où leur position politique était devenue difficile, ils voulaient fonder une sorte de colonie militaire, une cité sabine et aristocratique, comme les plébéiens avaient voulu fonder sur le mont Sacré une ville latine et plébéienne?
J'incline à le croire avec Niebuhr. Pour cela, il faudrait qu'ils eussent emmené leurs femmes et leurs enfants. Les auteurs se taisent sur ce point. Cependant, comme on disait qu'un enfant laissé à Rome échappa seul à la destruction de sa race, on peut supposer que les Fabius avaient pris aussi avec eux les autres enfants, et, s'il en était ainsi, probablement leurs femmes 1.
Quoi qu'il en soit, les Fabius, établis dans leur fort de la Cremera, firent aux Véiens une guerre acharnée qui dura trois ans.
Pendant ce temps, une armée romaine, conduite par un consul qui n'était pas de la famille des Fabius, pour la première fois depuis sept ans ni l'un ni l'autre des deux consuls n'appartenait à cette famille, vint attaquer les Étrusques et les battit aux RoLa supposition que les Fabius avaient emmené leurs enfants à la Cremera permettrait d'admettre qu'un seul enfant laissé à Rome aurait conservé leur race; seulement, si c'était un enfant, il est difficile de concevoir comment, dix ans après, il était consul. Le Fabius resté à Rome devait être un homme fait; peut-être l'avait-on laissé sur le Quirinal pour célébrer le culte domestique de la gens Fabia.
ches-Rouges (Saxa RM~ra) nom que devait immortaliser la victoire de Constantin sur Maxence. Mais le succès du consul, qui fut pour les Fabius une diversion utile, ne les sauva pas.
Suivant la tradition la plus accréditée, ils furent attirés par les Véiens dans une embuscade et y périrent tous. Ceux-ci les avaient tentés par l'appât du butin. Les Fabius virent dans la campagne un grand nombre de bœufs semblables aux troupeaux de Vacdng qu'on y voit encore aujourd'hui. Ces troupeaux n'étaient point gardés; la garnison du fort devait désirer une telle capture, car elle avait au moins quatre ou cinq mille bouches à nourrir; elle voulut enlever le troupeau.
Attirés assez loin de la Cremera dans une embuscade, les Fabius furent surpris, entourés par des forces supérieures et massacrés jusqu'au dernier. Selon Tite Live, ils succombèrent sur une colline qu'ils étaient parvenus à gagner en se faisant jour à travers l'ennemi.
Selon,Denys d'Halicarnasse, une portion de la petite armée était restée dans le fort pour le garder, ce qui est plus conforme à la vraisemblance; l'autre s'était refugiée sur une colline escarpée, peut-être sur le 1 Ainsi nommés à cause des rochers de tuf volcanique rougeâtre que les géologues ont signalés (il colore suo rosso bruno giallo rosiccio, Brocchi, p. 202.) Près de l'embouchure de la Valca est un lieu appelé Grotta Rossa.
sommet à pic du côté de la vallée, où est la ferme appelée la Vaccareccia.
Ceux-ci furent exterminés les derniers après une résistance désespérée racontée par Denys d'Halicarnasse avec des détails épiques, qui encore cette fois semblent empruntés à un ancien chant 1.
« Ils combattirent depuis l'aurore jusqu'au soir. Les ennemis tués par leurs mains formaient des monceaux de cadavres qui les empêcnaient de passer. » On les somme de se rendre, mais ils préfèrent mourir. « Les Volsques leur lançaient de loin des traits et des pierres, n'osant plus les approcher. La multitude des traits ressemblait à une neige épaisse. Les Fabius, leurs épées émoussées à force de frapper, leurs boucliers brisés, combattaient encore, arrachant les glaives des mains de l'ennemi, et se précipitant sur lui comme des bêtes sauvages. »
Ce n'est pas Denys d'Halicarnasse qui eût trouvé ces traits-là.
Le consul Menenius n'était guère qu'à une lieue du point où s'accomplit le désastre des Fabius; il fut soupçonné de les avoir laissé écraser. La mort leur rendit leur popularité, et plus tard Menenius, accusé par un tribun, fut condamné pour avoir abandonné à la destruction cette race hautaine, mais vaillante et généreuse, qui avait fini par se laisser toucher des misères Den. d'Hal., ix, 21.
plébéiennes, et dont le dévouement superbe avait fait oublier tout le reste.
Après avoir livré les Fabius, Menenius se fit battre par leurs vainqueurs. Il avait placé sottement son camp à mi-côte sur les collines qui dominent le Tibre. Les Véiens venus par l'autre côte de la montagne y prirent position au-dessus de sa tête. Il reconnut sa faute, mais ne fit rien pour la réparer. L'ennemi fondit d'en haut sur un camp si mal placé, le força et mit les Romains en déroute.
La trahison était punie, les Fabius étaient vengés. Ce fut à Rome un grand effroi chacun prit les armes. On montait sur les toits pour défendre les rues où l'on croyait que l'ennemi allait pénétrer. Les toits étaient plats, comme la plupart le sont encore aujourd'hui, formant au-dessus des maisons une terrasse qu'on appelle lastrico.
C'est ce qui explique comment il est dit si souvent que la multitude couvrait les toits, au retour de Cicéron, par exemple.
Selon Denys d'Halicarnasse, les fenêtres furent illuminées car dans l'ancienne Rome on parle souvent d'illumination, mais jamais d'éclairage public, et dans les quartiers reculés de la Rome actuelle, on n'est pas aujourd'hui beaucoup plus avancé. Heureusement les Étrusques s'amusèrent à piller, et ils ne parurent que le lendemain sur les hauteurs du Janicule, d'où, dit Denys d'Halicarnasse, on voit la
ville à découvert. C'est en effet le lieu d'où l'on en saisit le mieux l'ensemble. Ceux qui sont allés à Rome n'oublieront jamais le panorama de Rome aperçu du Janicule de la fontaine Pauline et de San-Pietro in Montorio.
Il paraît que les Véiens avaient passé le fleuve, et qu'une partie de leurs troupes attaqua Rome du côté du nord et de l'est; car les Romains firent une sortie près du temple de l'Espérance~ (c'était de bon augure), à un mille de la porte Esquiline (en dehors de 'e la porte Majeure), et une autre près de la porte Colline (vers la porte Pie).
Les Yéiens étaient toujours sur le Janicule. S'ils avaient eu de l'artillerie, c'est de là qu'ils auraient assiégé Rome, comme les Français en 1850; mais, sans artillerie, les Étrusques ne pouvaient rien faire contre la ville que le fleuve défendait.
Ils le franchirent cependant, et une nuit vinrent attaquer le consul Servilius dans le Champ de Mars mais ils furent repoussés avec un grand carnage, et se refugièrent sur le Janicule.
Le consul passa le Tibre et voulut gravir la pente Den. d'Hal <x. 24. Ce temple s'appelait le temple de la Vieille espérance, pour le distinguer de celui de la porte Carmentale, qui était moins ancien. Il se trouvait au point de jonction de plusieurs aqueducs (Front., 5, 20) à huit stades (un mille) de Rome. On peut donc déterminer sa position avec une grande précision.
2 Tit. Liv., n, 52.
escarpée du Janicule; mais il fut repoussé à son tour, et il était perdu si son collègue n'était venu le sauver.
Ainsi, à la fin du troisième siècle de Rome, la ville, qui devait étendre si loin ses conquêtes, en était encore à défendre ses faubourgs contre l'ennemi.
1V
!<C!!SNATUS, LES DÉCEMYtRS.
Agitations dans le Forum. Mort d'un tribun. Troubles au sujet de la loi Publilia. Appius se donne la mort. Violences des jeunes patriciens; le fils de Cincinnatus condamné; cause de la pauvreté de Cincinnatus. Le Capitole occupé par le Sabin Herdonius. Cincinnatus consul. On va chercher Cincinnatus dans son champ pour le faire dictateur le vrai Cincinnatus. Les terres sur l'Aventin données aux plébéiens par la loi Icilia. Les décemvirs; histoire de Virginie. Meurtre de Spurius Haelius l'~quimelium. Ce qu'était la dictature à Rome, essentiellement temporaire; différence d'un remède et d'un régime.
La situation de Rome était toujours la même au dedans et au dehors. Au dedans des luttes furieuses entre les patriciens et les plébéiens, dont le Forum était ordinairement le théâtre. Au dehors des guerres incessantes et qui ne dépassaient guère l'horizon romain. A peine les Véiens avaient-ils été repoussés du Champ de Mars et du Janicule que les troubles se renouvelèrent au sujet de la loi agraire. Le tribun 1 Abeuntes ma~htra.tu. arripuit. (Tit. Liv., n, 54.)
Genucius met la main sur les deux consuls au moment où ils déposaient leur magistrature et sortaient de la curie. Ceux-ci se tournent alors, en suppliant, tour à tour vers le Forum et vers le Comitium 1, et déclarent que c'en est fait du consulat opprimé dans leurs personnes et enchaîné par les tribuns.
Les patriciens transportés de fureur tiennent conseil non dans la curie, non dans le Comitium, mais dans le secret de leurs maisons. Le jour où Genucius devait voir se présenter devant la tribune les consuls accusés, il ne paraît pas, et bientôt les tribuns viennent annoncer qu'on l'a trouvé mort dans sa demeure. Aussitôt la foule épouvantée fuit le Forum et se disperse. Les tribuns craignent pour leur vie et les patriciens se vantent tout haut d'un crime qu'on leur attribuait et qu'ils n'avaient peut-être pas commise
Au milieu de l'effroi général, un plébéien, Publilius Volero, osa résister, il refusa le service militaire en plein Forum. Les consuls envoyèrent un licteur l'arrêter. « J'en appelle aux tribuns, s s'écria-t-il; les tribuns n'osaient paraître « qu'il soit dépouillé et battu de verges, dirent les consuls assis dans la tribune. Eh 1 Ibid. Circumeunt sordidati non plebem magis quam juniores patrum.
Tite Live, qui appelle cela une victoire de mauvais exemple (u, 55~, semble admettre la vraisemblance de l'accusation. Denys d'llalicarnasse ()x, 58), qui prend toujours parti pour les patriciens, ne fait aucune allusion au crime et parle seulement d'un événement inattendu.
bicn.s'écriePubuliusYolero, puisque les tribuns aiment mieux laisser battre de verges un citoyen romain que de se faire tuer dans leur lit, j'en appelle au peuple. L'appel au peuple, qui au temps du vieil Horace était 1 appel d'un patricien aux patriciens, est aujourd'hui l'appel d'un plébéien aux plébéiens*. ? » Alors Volero a recours i) la force; aidé de ceux qui ont répondu à sa voix, il repousse les licteurs, et se réfugie dans le groupe d'où s'élevaient le plus fort les cris d'indignation. Une foule compacte l'entoure et le protège. « A moi, crie-t-il, citoyens à à moi, mes compagnons de guerre. » On accourt à ce cri et on se prépare au combat. Les licteurs sont maltraités, les faisceaux consulaires brisés, les consuls quittent le Forum et sont poussés dans la curie. Le sénat gémit, est furieux, mais il n'ose pas lutter contre la rage des plébéiens*.
La première fois que les centuries s'assemblèrent dans le Champ de Mars, Volero fut nommé tribun. Sans se plaindre des patriciens, sans élever la voix contre les consuls, il demanda seulement que les tribuns et les édiles fussent nommés dans les comices par tribus. Ces comices ne s'étaient encore assemblés que pour juger Coriolan. Ce n'était pas leur droit. Volero voulut leur Tite Live (n, 55) dit seulement Provoco; il ajoute et fidem plebis imploro. C'était la plebs qu'invoquait Volero, et ce fut la plebs qui l'entendit. Populus, a cette époque, désignait les curies et aussi les centuries, jamais les tribus.
A~'crsus temcritaiem p)ebis certari non placuit (Ibid.)
donner une autorité légale et enlever aux patriciens l'influence qu'ils exerçaient dans les centuries au moyen de leurs clients'.
Le Sénat nomme consul Appius Claudius, fils du premier Claudius, aussi odieux aux plébéiens que son père, et lui donne pour collègue un homme de la gens Quinctia, Titus Quinctius Cincinnatus.
Les plébéiens de leur côté avaient renommé tribun Volero et nommé avec lui un soldat vaillant, Laetorius. Celui-ci savait mieux combattre que parler. Il en convint à la tribune et ajouta « Je mourrai ici ou la loi passera. »
Le lendemain les deux tribuns y parurent; les consuls et les patriciens, escortés de nombreux clients, descendirent dans le Forum pour s'opposer au vote. Volero~ prit deux mesures dont la première était certainement illégale il interdit aux consuls de parler Denys d'Halicarnasse (;x, 41) dit que l'objet de la loi était de mettre les comices par tribus à la place des comices par curies. Je ne puis croire que les tribuns aient jamais été nommés par les seuls patriciens, tandis que les consuls, magistrats patriciens, étaient nommes dans les comices du Champ de Mars. Les tribuns se plaignaient de l'influence que les patriciens exerçaient sur les votes au moyen de leurs clients; or, l'action des clients sur les curies ne saurait se comprendre, car on ne saurait admettre qu'ils y aient siégé à côté de leurs patrons. Elle se conçoit très-bien dans les centuries, où ils avaient le droit de suffrage comme les autres citoyens, et où ils pouvaient renforcer le parti aristocratique, auquel naturellement ils étaient dévoués. Den. d'Ha)., rt, 41.
contre la loi et aux patriciens d'assister aux votes des tribus De jeunes patriciens veulent y rester. Lsetorius ordonne au serviteur des tribuns (viator) d'arrêter les perturbateurs. Le consul Appius dé-nie aux tribuns, magistrats plébéiens, le droit d'attenter à la liberté d'un patricien. Laetorius envoie son viator saisir le consul, et le consul ordonne à un licteur de saisir les tribuns. Mais une multitude accourue de toutes les parties de la ville dans le Forum défendait Laetorius dans la lutte celui-ci fut meurtri au visage. Cincinnatus, homme modéré et qui savait se faire écouter des plébéiens obtint d'eux qu'ils rendraient le consul Appius dont ils s'étaient emparés. A peine libre, Appius proteste en vain dans la curie contre une loi plus dure que celle du mont Sacré. Les sénateurs n'osent point s'opposer à la loi qui passe au milieu d'un profond silence.
Sous le consulat suivant les tribuns mirent Appius en jugement. Appius Claudius, que ses soldats avaient C'est une question de savoir si les patriciens étaient admis à l'origine dans les tribus. Niebuhr te nie; son opinion a été combattue. (Beck, ~<nM~. d. s~ n, 2, p. 182.) Dans tous les cas, ils ne paraissent pas, avant l'époque des décemvirs, avoir fait partie des comices par tribus. S'ils étaient venus dans le Forum avec leurs clients, c'était pour agir sur les tribus et empêcher ainsi la loi Publilia de passer. On les voit faire la même chose à l'occasion de la loi Icilia. (Den. d'Hal., i, 40.) Les expressions de Tite Liye(n, 56) indiquent positivement que, selon lui du moins, les patriciens n'avaient pas le droit de <oter dans le Forum.
Den. d'Hal., n, 44.
forcé à se retirer devant l'ennemi et qui les avait fait décimer, était l'objet de l'exécration des plébéiens. Il le savait, mais tandis que l'aristocratie faisait les plus grands efforts pour le sauver, seul il ne tenait nul compte des tribuns et de la plebs. Il dédaigna de faire aucune démarche auprès de ses juges irrités, et qua~d il comparut devant eux n'adoucit en rien Fâpreté ordinaire de son langage. Stupéfaits de tant d'audace, ils lui accordèrent un délai qu'il demanda. C'était sans doute pour mettre ordre à ses affaires, car avant que le jour du jugement fût venu il se donna la mort'. Les tribuns voulurent empêcher qu'il fût loué publiquement par quelqu'un des siens, suivant l'usage. Mais, ennemis plus généreux, les plébéiens le permirent.
Une guerre contre les Volsques auxquels Cincinnatus prit la ville importante d'Antium, et les Sabins qui vinrent deux fois jusqu'à la porte Colline, suspendirent les discussions du Forum prêtes à renaître au sujet de la loi agraire. L'ennemi repoussé, elles recommencèrent plus vives que jamais.
Cette fois ce ne fut pas aux patriciens en général, mais aux consuls que les tribuns déclarèrent la guerre. Tite Live (n, 61) dit qu'il mourut de maladie. C'était probablemet ce que rapportaient les mémoires de la famille consultés par Tite Live, car Denys d'Halicarnasse (tx, 54) nous apprend que les parents d'Appius faisaient courir ce bruit. Denys énonce le fait du suicide comme certain. Une pareille fin va bien à la vie d'Appius.
L'un d'eux, Terentillus Arsa', proposa une loi destinée à restreindre leur pouvoir et déclama violemment dans le Forum contre leur tyrannie. Les consuls étaientabsents. Un Fabius, préfet de la ville vient, à son tour dans le Forum parler contre Ie& tribuns avec emportement. Les consuls reparaissent, et les tribuns, intimidés en présence de la majesté consulaire qu'ils attaquaient de loin, obtiennent de leur collègue qu'il ajournerait la proposition de sa loi.
Pour frapper les yeux des plébéiens, on expose dans le Champ de Mars le butin fait pendant la guerre, et pour les distraire de la loi Terentilla le sénat prétend avoir appris que les Eques et les Volsques se préparent à une expédition contre Rome, et ordonne qu'on vienne s'inscrire pour y prendre part.
Les tribuns disent que le danger qui menace la ville est une invention des patriciens. Les consuls, assis sur leurs sièges dans le Vulcanal, ordonnent aux plébéiens de se faire inscrire, ceux-ci refusent. On veut arrêter les récalcitrants, mais les tribuns sont accourus avec leur monde, sont montés à la tribune et font remettre en liberté ceux que saisissent les licteurs. Le Forum et le Comitium sont aux prises.
De race sabine Terentum, mot sabin Arse, mot ombrien. (Fest: p. t8.)
Tite Live (m, 11) ne dit pas où les sièges des consuls étaient placés, mais les tribuns occupant la tribune, ce ne pouvait être que sur la plate-forme du vulcanal.
Les jeunes patriciens quittent le Comitium et se précipitent dans le Forum. Les tribuns veulent les en faire sortir', ils résistent. A leur tête était le fils de Cincinnatus, Kasso Quinctius, fier de la noblesse de sa race% de sa grande taille et de sa force, vaillant à la guerre, éloquent dans le Forum. Celui-ci, se plaçant au milieu des jeunes patriciens qu'il surpassait de la tête, comme si, dit Tite Live, il eût porté dans sa parole et dans son Ici l'emploi des mots populus et pa<~M, pour désigner les patriciens, est bien remarquable. Initium erat rixse quum discedere populum jussissent tribuni, quod patres se summo~eri haud sinebant. (Tit Liv., m, 11.)
La gens Quinctia ou Quintia était-elle Sabine? Le prénom du fils de Cincinnatus, Ka~so, le ferait croire. La terminaison en o semble propre aux noms sabins ou sabelliques. Kseso est, comme je l'ai dit, la forme sabine, Ksesar la forme latine du même mot. Les Quintii doivent se rattacher aux Quintilii, et ceux-ci étaient Latins, originaires d'Albe et transportés, lors de la destruction de cette ville, sur le Cœlius. Or, c'était un usage dans la gens Quintilia de ne point porter d'ornements en or, même les femmes ~Pf., Hist. nat., Kmi, C, 5), ce qui semble une manière de se distinguer des Sabins, qui aimaient les anneaux, les colliers, les bracelets. La tradition rattachait les Quintilii à Romulus, comme les Fabii à Rémus. (Ov., f<M~ n, 577-8; Fest., p. m.) Originairement Latins, les Quintii, en entrant dans l'aristocratie sabine, avaient-ils adopté des surnoms sabins, K:Bso, Titus, Atta, Scapula? D'autre part, un Quintius, ami d'Horace, s'appelait Hirpinus; les Il irpins étaient un peuple sabellique, et HtfpMS un mot sabin. Une branche des Quintii av ait pour surnom Flamininus; les f~ameH étaient d'institution sabine, et probablement leur nom tiré du sabin. Les Quintii ont habité le Capitole, car plusieurs d'entre eux portérent le surnom de Capitolinus. Ampelius (M. ~M., 18) dit que Cincinnatus s'appelait Serranus. Serranus est un surnom de la gens Attilia, dont le nom est sabin ~M!/MM, d'Atta)
bras tous les consulats et toutes les dictatures, soutenait à lui seul les tempêtes populaires et la fougue tribunitienne. Plusieurs fois il chassa les tribuns du Forum et mit les plébéiens en déroute. Ceux qui se trouvaient sur son chemin étaient maltraités et dépouillés. Enfin un tribun perdit patience et intenta contre lui une accusation capitale pour avoir violé la sainteté du tribunat.
Le jour du jugement arrivé, l'insolence de Kaeso n'était point abattue. Les plus grands personnages de Rome lui faisaient escorte, rappelaient,ses exploits militaires, cherchaient à excuser ses violences par l'ardeur d'une nature généreuse. Plus prudent, Cincinnatus son père ne le louait point, mais demandait grâce pour l'erreur de sa grande jeunesse, priant qu'on pardonnât à son fils à cause de lui dont on n'avait jamais eu à se plaindre. On lui répondait par des imprécations qui annonçaient ce que serait le jugement. Un témoin terrible parut. Volscius Fictor, ancien tribun, vint dire qu'un jour son frère, encore malade des suites d'une contusion, avait rencontré dans la Subura, le quartier populaire, une troupe de jeunes patriciens qu'on peut avec quelque vraisemblance supposer sortant de ces lieux mal famés qui abondaient dans la Subura il ajoutait qu'une rixe s'était élevée et que son frère, frappé d'un coup de poing par Kaeso, les coups de poing jouent un grand rôle dans les luttes politiques de cette époque, avait été emporté chez lui et y était
mort. En entendant ce récit, dont plus tard les patriciens prétendirent prouver la fausseté, la fureur des plébéiens fut extrême, et il s'en fallut de peu qu'on ne tuât Kseso sur la place. Le tribun Virginius ordonne de l'arrêter, les patriciens résistent par la force. On en appelle aux autres tribuns, le sénat, délibère, et pendant ce temps Kseso est gardé à vue, puis obligé de donner pour caution 30,000 livres; on le relâche alors, et il peut quitter le Forum. La nuit venue il sort de Rome.
Son père fut obligé de vendre ses biens pour payer les trente mille livres', caution de son nls, et voilà comment Cincinnatus, qu'on représente comme le soldat laboureur, et qui, deux fois consul, était un des plus grands patriciens de Rome, fut réduit à aller cultiver au delà du Tibre un pauvre champ où nous le retrouverons.
Avec une fortune de 50,000 livres, Cincinnatus n'aurait pas voté dans la première classe, mais dans la troisième, ce qui serait invraisemblable. Cette invraisemblance disparaît en admettant avec M. Bockh que les chiffres du cens de Servius donnés par les historiens doivent être réduits au cinquième. Alors c'est 20,000 livres qui formaient le minimum' du cens de la première classe Cincinnatus pouvait donc en faire partie. H faut pour cela que Tite Live'n'ait pas évalué la richesse de Cincinnatus d'après la valeur postérieurement diminuée du cuivre, comme il le fait pour les sommes qui figurent dans le cens de Servius; ce qui est fort naturel, car par cette évaluation il voulait donner une idée de ce qu'était réellement la richesse des différentes classes, et n'avait pas la même raison de préciser l'avoir de Cincinnatus; il l'a donné tel qu'il l'avait trouvé probable-
On ne savait ce que Kaeso était devenu les uns di-" saient qu'il avait passé le Tibre et fui en Étrurie les autres qu'il s'était retiré chez les Volsques ou les Sabins, mais tous s'attendaient de sa part à quelque entreprise désespérée.
On disait aussi qu'il était caché dans Rome que, d'accord avec les patriciens, il conspirait la mort des tribuns et l'abrogation des lois du mont Sacré. Une nuit le bruit se répandit que des exilés et des esclaves, au nombre de quatre à cinq mille, s'étaient emparés durant la nuit du mont Capitolin; à leur tète était un Sabin nommé Herdonius. Ilerdonius, venu de la Sabine, avait descendu le Tibre, était entré par la porte Carmentale', avait gravi le Capitole du côté où il n'était fortifié que par la nature, comme devaient le faire quelques années plus tard les Gaulois, s'était établi avec sa bande dans le temple de Jupiter et dans ment dans les mémoires de famille des Quintii. Ainsi expliquées, les 30,000 livres de Cincinnatus, en contrôlant l'opinion de M. Bôckh, la confirment.
Denys d'Halicarnasse (!, 14) dit qu'à Rome on laissait certaines portes toujours ouvertes par un motif religieux, et il applique, faisant une confusion manifeste, à la porte Carmentale, située au pied du mont Capitolin, du côté du fleuve, ce qui se disait de la porte Pandana, placée sur le mont tui-meme et du côte opposé. En effet, la porte Pandana, autrefois Saturnia, est nommée par Varron (De M., v, 42) avec le temple de Saturne, situé à l'est du Capitole. Elle est mise en rapport, par une tradition que rapporte Nonius Marcellus, avec l'asile, qui ne peut être séparé du temple et de l'autel de Saturne (voy. t. p. 85. 28i) et qui était aussi de ce côté.
la citadelle. Ils avaient massacré tous ceux de la garnison qui n'avaient pas voulu se prononcer pour eux. On se précipite dans le Forum en criant: Aux armes 1 l'ennemi! Chaque parti se renvoyait le soupçon de complicité dans cette surprise. Les consuls craignaient que le coup ne vînt des plébéiens, et passèrent dans une grande inquiétude le reste de la nuit. Les plébéiens accusaient les patriciens d'avoir appelé cette bande pour servir leurs desseins. Peut-être y avait-il là un commencement de guerre servile 1, car Herdonius, du haut du Capitole, faisait appel aux esclaves. Ou peut penser que Kaeso, dont une rumeur vague annonçait les intentions sinistres, ne fut pas étranger à ce hardi coup de main, qui, dans tous les cas, ne put guère s'exécuter sans trahison. Peut-être le Sabin Appius Herdonius, qui n'était point un aventurier, mais un homme riche et d'illustre originel avait-il conçu la pensée de profiter des divisions de la république pour s'emparer de Rome et y rétablir l'ascendant de Muiti et varii timores, inter ceteros eminebat terror servilis. (Tit. Liv., m, 16.) Denys d'Halicarnasse (x, 14) n'hésite pas à dire que le projet d'Herdonius était de soulever les esclaves et les pauvres contre les riches. Mais d'autres y ont vu une tentative des patriciens pour accomplir la révolution anti-démocratique dont ils poursuivaient l'accomplissement, au moyen d'une troupe de bandits qu'ils désavouèrent quand ils virent que le coup ne pouvait réussir. (Schwegl., H. Gesch., p. 589-90.)
Denys d'Ualicarnasse (x, 14) admet comme possible qu'Herdonius ait visé à la tyrannie.
son peuple, espérant s'appuyer sur les grandes familles sabines de l'aristocratie, d'une part, de l'autre sur les plébéiens mécontents, et se servir des deux partis, en les trompant l'un et l'autre à la fois. Aux patriciens il aurait fait dire Je suis un des vôtres, je suis un Sabin comme vous je veux mettre sous vos pieds ces plébéiens, descendants méprisés des Latins, que trois denos rois ont gouvernés. Aux plébéiens, aux prolétaires, aux esclaves, il aurait crié, comme le dit Tite Live, du haut du Capitole J'ai embrassé la cause de tous les malheureux; je veux briser le joug de toutes les servitudes. Si les plébéiens ne répondirent point à l'appel d'Herdonius, si un consul du nom sabin de Valérius l'assiégea avec vigueur jusque dans le temple de Jupiter, c'est vraisemblablement que son double jeu fut découvert et que les deux factions qu'il avait feint de favoriser l'abandonnèrent également. Les tribuns ne voyant là qu'un expédient des patriciens, et dans la troupe d'Herdonius que leurs clients et leurs hôtes, qui, si la loi Térentilla passait, ne tarderaient pas à se retirer, défendirent qu'on prît les armes ils furent d'abord obéis.
Le sénat s'était rassemblé; le consul Valerius sort de la curie, s'élance dans Forum. Eh quoi s'écrie-t-il en montrant le Capitole, quand l'ennemi est sur votre tête, vous déposez les armes et vous songez à voter des lois? Puis il demande qu'on délivre la colline sacrée et les dieux eux-mêmes assiégés dans leur temple. )I
invoque Romulus qui autrefois avait repris cette citadelle sur les Sabins. Herdonius eût pu avec plusde raison invoquer le souvenir de Tatius, qui était resté en possession du Capitole et avait fait sa demeure de la citadelle qu'un autre Sabin venait de reprendre. Les patriciens descendent dans le Forum et supplient les plébéiens d'écouter Valerius. Tout à coup on voit un corps d'armée qui vient du côté des montagnes. Ce sont les ~Eques, ce sont les Volsques. Alors les plébéiens consentent à attaquer l'ennemi intérieur. Valerius promet qu'après la victoire, si les citoyens ne sont pas éclairés sur la perfidie des tribuns, les patriciens ne gêneront point les plébéiens dans leurs comices.
Les plébéiens suivent Valerius, qui les range en bataille sur la pente du Capitole, dont il est obligé de faire le siège. Ceux qu'on avait pris pour des ennemis étaient des auxiliaires envoyés de Tusculum par Mamilius, fils ou petit-fils du gendre de Tarquin, qui, sous le titre, usité dans les villes latines, de dictateur, y exerçait le pouvoir souverain dont les Tarquins avaient été dépouillés à Rome. Tandis que les tribuns protestaient dans le Forum, les Romains et leurs alliés gravissaient le Clivus Capitolinus, la montée triomphale que l'œil suit encore aujourd'hui. M paraît que les envahisseurs s'étaient retranchés dans le temple de Jupiter car c'est en se précipitant dans son vestibule 1 Jam in vestibulum perruperant templi. (Tit. Uv., ]n,18. Ceci est
que le consul Valerius fut tué. On égorgea beaucoup dans le temple, qu'il fallut purifier ensuite. Herdonius périt; les hommes libres faits prisonniers furent décapités, les esclaves crucinés.
Cincinnatus fut nommé consul, mais il ne montra plus la même modération. Le malheur de son fils l'avait aigri: la conduite des tribuns l'avait révolté. « Pourquoi, s'écriait-il, avant de gravir le Capitole, ne les a-t-on pas exterminés dans le Forum? »Et comme les tribuns répondaient à ses foudroyantes invectives, qu'ils empêcheraient les plébéiens de s'enrôler. « II n'est pas besoin d'enrôlements, s'écria-t-il. Ceux qui ont été appelés à reprendre le Capitole ont prêté le serment militaire, et à tous nous ordonnons de se trouver en armes au bord du lac Régille. »
On avait lieu de craindre que le dessein du nouveau consul fût de tenir les comices hors de la portée du pouvoir des tribuns qui ne s'étendait qu'à un mille de Rome, et d'abroger toutes les lois qu'ils avaient obnues.
Le sénat siégeait au Capitole, comme pour reprendre possession de ce lieu sacré. Les tribuns viennent suivis d'une grande foule de plébéiens. Le sénat prend des mesures de conciliation auxquelles ne défèrent ni une nouvelle preuve que le temple de Jupiter était à Araceli. Dans ce cas, le Clivus Capitolinus pouvait conduire au bas des degrés, sur la plate-forme du Capitole mais si le temple eût été sur l'autre sommet, on aurait eu encore à le gravir, ce dont Tite Live ne parle pas.
plébéiens ni patriciens; enfin Cincinnatus adresse une forte objurgation au sénat, qu'il accuse de ne pas s respecter plus que la plebs les engagements pris des deux parts, l'un de ne pas renommer les mêmes tribuns, l'autre de ne pas conserver l'autorité aux mêmes consuls. Pour lui il voulait observer la convention faite; il déposa honorablement le consulat. Mais le plus bel incident de sa vie approchait, celui qui a valu à son nom sa popularité dans l'histoire. mais qu'on présente en général sous un faux jour comme si c'était par un goût philosophique pour la simplicité que Cincinnatus cultivait un petit champ, ou comme si un homme de la grande famille des Quinctii 1 eût pu avoir naturellement un si mince héritage. Je ne trouve pas que l'incident perde à être amené par l'ensemble de faits auxquels il se rattache, et que Cincinnatus soit moins intéressant parce que sa pauvreté accidentelle tenait à ce qu'il avait vendu tous ses biens pour pouvoir fournir la caution de son fils. Les ~Eques étaient sur le mont Algide cette forteresse naturelle où ils venaient s'établir toutes les fois qu'ils sortaient de leurs montagnes, ce qui arrivait très-souvent. Le mont Algide, à l'est de Tusculum, domine une plaine qui est le fond du grand cratère des monts Albains, au sein duquel se sont formés les petits cratères du lac d'Albano et du lac de Némi. A l'extréEjusdem fastigii civibus, dit Tite Live (m, 35), qui vient de nommer deux Quinctii et un Claudius.
mité de cette plaine s'ouvrent deux gorges par où l'on croit voir déboucher les~Eques et IcsVotsques, et qui sont comme deux portes toujours ouvertes a leur invasion. Ce lieu mémorable, arène disposée pour les combats 1, en a vu beaucoup durant les premiers siècles de la république.
Quand on visite cette plaine, on se croit transporté dans un pâturage élevé de la Suisse. Rien n'est plus tranquille que ce lieu témoin de tant de batailles, dont le nom rappelle, par un piquant contraste de souvenirs, les frais et noirs ombrages célébrés par Horace, et dont les eaux limpides amenées sous terre à Frascati y vont former la cascade de la belle et gracieuse villa Aldobrandini.
Les jEques avaient ravagé les environs de Labicum .(tncnt~ Compatri) dans le territoire Tusculan; puis, chargés de butin, ils s'étaient réfugiés sur l'Algide. Alors il se passa sur ce mont mémorable une scène qui peint la fierté du peuple aeque. Des envoyés romains étaient venus se plaindre de ce que les ~Eques avaient rompu un traité. Le chef de la nation était assis près d'un grand chêne. « Parlez à ce chêne, leur dit-il, je suis occupé. » Alors les envoyés se tournèrent vers le chêne, le prirent à témoin du droit violé et se retirèrent en appelant sur les parjur,es la vengeance des dieux Planitiem non parvis modo expeditionibus, sed vel ad explicandas, utrinque acies satis patentem. (Tit Liv., 'Y, 27.)
Tit. Liv., ni, 25.
i'cndant ce temps les Sabins fondirent sur Rome d'un autre côté, en ravageant la campagne romaine. L'un des deux consuls les repoussa et ravagea leurs terres à son tour; car à cette époque la guerre entre les Romains et leurs voisins était une alternative de dépopulations. L'autre consul fut moins heureux contre les iEques. Ces sauvages habitants de la région montagneuse qui s'étend derrière Tivoli jusqu'aux àpres sommets au pied desquels est Subiaco, vivaient cantonnés dans des repaires qui n'avaient pas encore de murailles au temps d'Auguste
Le consul Minucius fut assiégé dans son camp par les montagnards qu'il allait combattre. Dans cette extrémité on songea nommer un dictateur, cette ressource des grands périls; ce dictateur fut Cincinnatus.
Ici je,laisse parler Tite Live, dont le récit naïf et détaillé semble emprunté aux Mémoires de la famille Quinctia.
« L. Quinctius Cincinnatus, à cette heure l'espoir du peuple Romain, vivait au-delà du Tibre, à l'opposite du lieu où sont maintenant les ~Vo~aMs cultivant quatre arpents de terre qu'on appelle encore aujourd'hui les prés de Quinctius. Là, les envoyés du sénat le trouvèrent soit creusant un fossé et appuyé sur sa bêche, Mommsen (R. Gesch.), cité par Schwegler (ii, p. 698). Tit. Liv., Tu, 26. Navalia, lieu où l'on garde les vaisseaux à sec, où ou les construit. 'Ser\ /En., xt, 526.)
soit labourant, mais certainement occupé à quplque travail champêtre. Le salut ayant été donné et rendu dans la forme accoutumée Bien vous fasse et a la république, » « il fut requis de mettre sa toge pour recevoir une communication du sénat; lui, s étonnant et demandant si tout n'allait pas le mieux du monde, ordonna à sa femme Racilia d'aller dans sa cabane lui quérir sa toge. Ayant essuyé la poussière et,la sueur dont il était couvert, il s'avance habillé (velattrs) vers les envoyés, qui le saluent dictateur et le félicitent, » Quand on est à Rome, on n'est pas fâché de faire exactement le chemin que tirent les envoyés du sénat, et d'aller trouver Cincinnatus dans son champ pour cela il faut passer le Tibre devant le mausolée d'Auguste à Ripetta.
La barcbetta vous déposera de l'autre côté, et marchant devant vous entre des haies, vous trouverez bientôt à votre gauche des prés, qui sont les prata Q<M))c(ta. les prés de Cincinnatus; il ne saurait exister un doute à ce sujet'.
Pline (xvtn, 3, 4) nous apprend que les arpents labourés par Cincinnatus étaient dans le champ Vatican.'Les Navalia étaient donc en face, sur la rive gauche. On les a confondus, à tort avec l'Emporium, port pour le débarquement des marchandises, qui était là où il é~ait encore, à l'autre extrémité de Rome, au pied de l'Aventin, et par suite on a transporté de ce côté le champ de Cincinnatus. Le témoignage positif de Pline, qui les place dans le ~MMp Vatican, aurait du prévenir cette grosse erreur, que M. Becker a péremptoirement réfutée. HsM~ d. R. Alt., <, p. 159 R. Top., p. 15; de R. vel. <HM-. a~Me port., p. 96; ~r/t., p. 20.)
On peut donc en toute sécurité de conscience se dire c'est ici que Cincinnatus fut surpris au milieu de ses occupations champêtres par les envoyés du sénat, qui venaient lui offrir les insignes presque royales de la dictature, et se fit apporter sa toge par sa femme Racilia.
Ce que Perse' a résume dans ce vers énergique Quum trepida ante boves dictaturam induit uxor.
Quelle admirable simplicité dans cette scène 1 Quelle grandeur Ce bonhomme qui bèche son champ et ne sait pas un mot de ce qui se passe de l'autre côté du Tibre, ce père privé de son fils et vivant misérablement après qu'on l'a dépouillé de tous ses biens, c'est un grand citoyen, un grand patricien. On le prend béchant ses quatre arpents. On le fait dictateur dans un moment difficile. Il ne s'étonne point, il ne fait aucune réflexion, il essuie la sueur de son front, secoue la poussière de son habit et va tranquillement sauver son pays.
Toute sa conduite est pleine d'énergie. Arrivé dans le Forum avant le jour, il nomme son maître de cavalerie, siége sur la tribune avec lui, fait fermer toutes les boutiques et interdit toute activité dans la ville. C'était ce qu'on appelait proclamer le Justitium, la suspension du droite ce qui n'avait lieu que dans i
GeU., ?:< xx, t.
les grandes circonstances; puis Cincinnatus ordonne à tous ceux qui peuvent porter les armes d'être réunis dans le Champ de Mars avant le coucher de soleil avec des aliments cuits pour cinq jours et douze pieux pour les palissades; aux vieillards de faire cuire les aliments des soldats. On part; il hâte la marche, arrive au milieu de la nuit au mont Algide', et l'on commence le combat avant qu'elle soit terminée. Les ennemis, qui avaient élevé une circonvallation autour du camp de Minucius, voient au point du jour Schwegler (Mm. Gesch., 11. p. 725), qui, après ~iebuhr (ni, p. 554), traite de fable l'histoire de Cincinnatus, si vraisemblable lb et tellement circonstanciée, déclare cette marche impossible. I) se trompe. Tous ceux qui, comme Denys d'Halicarnasse, ont vécu à Rome, diront qu'on peut en cinq heures aller au mont AIgide, qui n'est qu'a six lieues. Il chicane aussi Tite Live sur quelques défaits qui, seraient-ils de L'intention des Quinctii, n'en rendraient pas plus faux pour cela l'ensemble du récit. Rien n'est moins équitable que de nier un fait historique, parce que la tradition a pu y joindre quelques embellissements. Quant à M. Lewis (On the cred., n, n6), afin de pouvoir rejeter l'histoire de Cincinnatus tiré de son champ pour être fait dictateur, il suppose qu'elle a été imaginée dans l'intention de rendre compte du nom des praia ~MM~a. Cet auteur, si recommandable d'ailleurs, et Schwegler, dansson histoire, du reste très-bien étudiée, abusent de ce genre d'explication, qui consiste à supposer qu'un fait a été imaginé pour expliquer l'origine d'un nom, supposition souvent gratuite et à laquelle, en bonne logique, on ne doit recourir que lorsque le fait est impossible ou démontré faux. En suivant cette méthode, on en viendrait à dire que les victoires de l'empire ont été imaginées pour expliquer l'existence de la colonne de la place Vendôme. Le scepticisme exagère en histoire conduit à fabriquer des invraisemblances plus grandes que celles qu'on prétend signaler.
que Cincinnatus en a fait élever une autour d'eux. Ils demandent la vie. « Je n'ai pas besoin de votre sang,a » répond Cincinnatus, et ils partent sans armes après avoir passé sous le joug.
Cincinnatus rentre triomphant à Rome, où l'allégresse est universelle. Il eût déposé le jour même la dictature s'il n'eût tenu à faire convaincre de fausseté l'accusation du tribun Voiscius contre son fils. Au boutde seize jours il abdique le pouvoir qu'il aurait pu garder six mois, passe le Tibre et retourne à son champ.
Nous approchons du temps des décemvirs. Icilius, le fiancé de Virginie, qui doit figurer dans le renversement de leur pouvoir, apparaît. Tribun éloquent et hardi, il proposa la loi d'après laquelle les terres publiques de l'Aventin devaient être assignées aux plébiens et comme un licteur avait repoussé le t)M(<M' envoyé par Icilius auprès des consuls pour les sommer d'assembler le sénat, Icilius et ses collègues furent au moment de précipiter le licteur de la roche Tarpéienne. Le sénat n'opposa qu'une faible résistance à un tribun si résolu et à une loi si juste; car il ne s'agissait que d'une dérogation partielle à l'usurpation générale des terres publiques par les patriciens. L'Aventin, siége des populations latines transplantées à Rome par Ancus, mont Latin, et par conséquent Den d'Haï., x, 51
plébéien dès cette époque, était la part du terrain de l'État que las plébéiens devaient réclamer la première. Ils s'y transportèrent en foule on tira les parts au sort et on se mit à bâtir avec activité. Chaque maison fut habitée par plusieurs familles, chacune ayant la propriété héréditaire d'un étage Cet usage existe encore à Rome.~
L'Aventin dut deveuir, a la suite de la loi Icilia', un des quartiers populenx de Rome. Aujourd'hui c'est un des plus déserts.
Une grande bataille fût livrée encore dans le Forum. Les tribuns avaient de nouveau mis en avant la loi Den. d'Hal., x, 32.
Schwegler (n, p. 598) conclut de cette occupation légale de l'Aventin par les plébéiens, qu'il n'avait pu être antérieurement habité cela prouve seulement qu'il ne l'était pas tout entier. Nous avons vu que cette grande colline, qui se compose réellement de deux collines distinctes, était en partie rocailleuse et boisée. Les portions non défrichées étaient sans doute restées au domaine public, et c'est elles qu'on assignait. Peu faciles à cultiver, elles étaient trèspropres à recevoir des maisons. D'ailleurs Denys d'Halicarnasse dit positivement qu'il fut décidé qu'on indemniserait les propriétaires de bonne foi que ceux qui s'étaient emparés par fraude ou violence du terrain et y avaient bâti seraient eipulsés après qu'on leur aurait rendu le prix de construction, et que le reste serait distribué gratuitement au peuple. Sans tenir compte de ce témoignage, Schwegler, cette fois, plus sceptique encore que Niebuhr, raye d'un trait de plume toute l'histoire antérieure de l'Aventin et la meilleure partie des origines de la plebs. Quelle vraisemblance d'ailleurs que les rois eussent entouré d'une épaisse muraille comme celle dont il existe des débris le mont Aventin s'il avait été inhabité?
agraire de Sp. Cassius. Les consuls résolurent d'empêcher par la force que cette loi fût votée*. Par leur ordre, les jeunes patriciens se ruèrent sur les plébéiens au moment où ils allaient entrer dans les Septa, les empêchèrent d'y pénétrer, saisirent les urnes, maltraitèrent les ofticiers publics qui présidaient au suffrage ° et le rendirent impossible.
Personne ne voulait plus de cet état de choses où la violence était l'arme des deux partis. On était fatigué deces luttes sans cesse renaissantes entre deux pouvoirs qui s'entravaient et se paralysaient l'un l'autre. J)e plus, la famine et des maladies contagieuses étaient venues fondre sur la ville. Ce n'était que funérailles et deuil dans toutes les maisons. L'aspect de Rome était lugubre. Ce fut alors qu'on créa les décemvirs. Ce nom rappelle surtout les violences qui amenèrent leur chute, le crime d'Appius et la mort de Virginie mais le décemvirat fut d'abord Institué dans une pensée de conciliation et d'équité. Une guerre implacable, mettait sans cesse aux prises les tribuns et les consuls. On prit le parti de supprimer consuls et tribuns, et de remplacer l'autorité des uns et des autres par celle de dix citoyens chargés à la fois de gouverner la république et de lui donner une législation écrite qui lui manquait.
Den. d'Haï., x, 40.
C'est Denys d'Halicarnasse qui nous l'apprend, et il n'est pas suspect de partialité contre les patriciens.
Trois patriciens furent chargés d'aller à Athènes pour en rapporter les lois de Solonet d'autres législateurs célèbres. De là, disait-on, étaient provenues les Douze Tables, corps de loi que publièrent les décemvirs, et dont nous ne possédons qu'un petit nombre de fragments.
Il est difficile de rejeter absolument le fait de cette mission en Grèce, et difficile aussi de l'admettre. Les lois des Douze Tables, à en juger par ce qui en reste, ne furent point, ce qui était impossible, empruntées dans leur ensemble à un droit étranger 1; ce qui y domine c'est l'ancien droit romain, ou plutôt sabin car ce qu'on a appelé le droit romain n'a pu naître sur le Palatin dans un refuge de bandits. Plusieurs dispositions des Douze Tables se retrouvent dans des lois attribuées au sabin Numa La dureté sabine est partout dans la législation des décemvirs, dont plusieurs ont des noms sabins, dont le sabin Appius était l'âme, et parmi lesquels un seul est certainement Latin, Julius, cité pour son équité; l'interdiction du mariage entre patriciens et plébéiens, signe de la distinction des races, y était maintenue la dureté envers les débiteurs teDenys d'Halicamasse dit qu'elles contenaient des lois étrangères et des lois nationales (x, 55-7).
Schwegl., R. GMC~ ni, p. 17.
Cependant il faut reconnaître que le droit de couper le corps du débiteur en morceaux n'exprime que la division de la propriété. Le mot ~eh'o est un terme juridique employé en ce sens. (Schwegl., ni, p. 5S.<
nait, comme on l'a remarqué, à une application cruelle du culte de la bonne Foi', et ce culte était sabin. De l'origine, au moins en partie Sabine, du droit des Douze Tables était née la tradition qui en faisait dériver une portion des Falisques
D'autre part, on a signalé dans les lois des décemvirs des ressemblances frappantes avec la législation de Solon' et d'autres législations grecques Même l'exposition de ces Tables dans le Forum rappelle que les Tables en bois de Solon furent exposées dans l'Agora d'Athènes 5.
Il faut reconnaître que la loi des Douze Tables avait contre la satire en prose et en vers des sévérités que ne connut jamais le pays d'Aristophane, et, il faut le dire, qu'a rarement connues, dans les temps modernes, le pays de Pasquin.
Des ressemblances de détail peuvent seulement prouver que le droit des Douze Tables a fait quelSchwegL, uj, p. 39.
Serv., .-EH., vu, 695.
5 Heinecc., Ant. &Mh., iv, 1, § 2, g i2. Gains a cité deux de ces ressemblances. Digest., xLvn,22, 4; x, 1, 13. Cicéron (De ~'M' 11, 25, 26) en a cite une troisième. Cela montre seulement que le droit des Douze Tables a subi l'influence du droit grec. Denys d'Halicarnasse, toujours prêt à exagérer les rapports de Rome et de la Grèce, a reconnu lui-même la différence des deux législations (x;, 44). Heinect-, Ant. ~om., m, 30, § 3.
s Plut., Solon, 25.
c Cic., de Rep., iv, 10; Gell., M. ait., )v, M.
ques emprunts partiels au droit grec. Il n'en était pas moins national dans son fond et dans son ensemble. Mais tout ne pouvait être faux dans la croyance si généralement établie de son origine hellénique. Il était d'ailleurs resté dans le Forum un monument de ce rapport de Rome avec la Grèce, la statue d'Hermodore 1 qui avait interprété aux envoyés romains les lois qu'ils allaient chercher.
Je pense que les envoyés n'allèrent pas jusqu'à Athènes et se contentèrent de visiter les cités grecques de l'Italie méridionale, d'où était venue déjà une constitution, celle de Servius. Ce qui m'a conduit à cette opinion mise en avant par d'autres historiens, c'est' qu'Hermodore obligé de fuir son pays, s'était, dit Pline, réfugié en Italie
La loi promulguée par les décemvirs était une loi civile et une loi politique comme loi civile elle fut un progrès; comme loi politique, elle contenait des garanties essentielles, le droit de provocation au peuple,
't'L,~M<.M<xM;t,n,2.
Denys d'llalicarnasse (x, 54) dit que les lois rapportées par les dëceuMirs menaient d'Athènes et <fM MHM f~rec~Mt d'Italie. On a signalé des coïncidences remarquables entre certaines dispositions de la loi des Douze Tables et ce qu'on sait des lois données à la ville de Locres par Zaleucus. (Polyb., tu, 16.) Quant à celles qui se retrouvent dans la législation de Solon, on peut en rendre compte sans faire visiter Athènes par les envoyés romains. Cette législation, connue dans l'Italie grecque des le temps de Servius Tullius, devait, a plus forte raison, y être connue au temps des décemvirs.
celui de n'être jugé pour crime capital que par les centuries.
Mais ces garanties n'étaient que promises pour le temps où le décemvirat aurait cessé d'exister; en attendant, les décemvirs étaient investis d'un pouvoir sans limite et s'efforçaient de perpétuer ce pouvoir. Ainsi la Convention, tyrannie aussi sans limites de quelques hommes, les décemvirs du salut public, se personnifiant dans un Appius démocrate, Robespierre, proclamait une constitution dont elle ajourna toujours l'exécution.
La loi des Douze Tables, disent les anciens, avait pour but d'établir l'égalité du droit entre les deux ordres, elle fit quelque chose pour cette égalité, qui cependant était loin d'exister après les décemvirs car il fallut aux plébéiens plus d'un siècle pour la conquérir.
Le décemvirat fut une trêve à la guerre des deux ordres; les patriciens l'acceptèrent pour être débarrassés des tribuns, les plébéiens pour être délivrés des consuls. Cette abdication de la liberté au profit de la haine, comme toutes les abdications de ce genre, commença par une espérance et finit par une déception.
Cependant de ce mal passager résulta un bien durable. Des deux parts on s'accoutuma à vivre avec
Tit. Liv., m, 51, 5~.
son ennemi, on ne songea plus à le tuer au prix d'un suicide.
Enfin ce n'est qu'après le décemvirat qu'on voit les patriciens voter dans les tribus. Si, comme il est probable, ils n'y eurent place qu'a partir de cette époque, si au décemvirat se rattache la modification démocratique des centuries par les tribus', il en résulte que les décemvirs travaillèrent à l'oeuvre de fusion entre les ordres commencée par Servius Tullius. Les premiers décemvirs gouvernèrent avec équité; mis en possession de tous les pouvoirs, ils n'en abusèrent point. Toujours la tyrannie a d'heureuses prémices.
Ils se hâtèrent, avant que l'année pour laquelle ces pouvoirs leur avaient été donnés fût expirée, de publier leurs lois; eltes furent gravées sur dix tables ou dix stèles de bronze, deux autres furent ajoutées, ensuite toutes furent exposées sur le VulcanaP, près du Comitium~ et de la curie.
Niebuhr, Hist. Rom., iv, p. 8-9; Peter., Ep., p. 41.
On avait placé près de la tribune, dans le Forum et non dans le Comitium, une colonne de bronze sur laquelle était gravée la loi Icilia touchant la distribution des terres de l'Aventin, loi faite pour les pMMM)M. Denys d'Halicarnasse (x, 5'!) dit que les décemvirs exposèrent les Tables, ir x~opef Ter eTnpe<?TXTo~ Ex~c~s~ot TOTTOf. Ceci montre que ce fut sur le Vulcanal, au-dessus du Comitium, car il se sert ailleurs d'une expression très-semblable pour désigner cet endroit. Le mot agora est pris ici par Denys dans son sens le plus général, qui embrassait le Forum proprement dit et le Comitium.
3 Quand on dit que les Tables furent exposées pour que les citoyens
Au bout d'un an il s'agissait de renommer des décemvirs. Ici commencent à se dessiner le caractère et à se dévoiler les plans ambitieux d'Appius. Cet homme qui dans le premier décemvirat avait tout fait pour gagner la faveur populaire redoubla d'obséquiosité envers les plébéiens, flattant leur passion contre l'aristocratie et recommandant les candidats les moins illustres, mendiant le crédit des tribuns qui lui vendaient la popularité. Il obtient ainsi de présider les comices, se propose lui-même et se fait nommer, puis avec lui des hommes peu éminents parmi lesquels il a soin de placer trois plébéiens; il ne voulait pas d'égaux, il lui fallait des créatures.
Les plébéiens qu'il avait trompés, furent bien surpris quand ils virent paraître dans le Forum les décemvirs précédés de cent vingt licteurs portant la hache, qui depuis Valerius Publiola ne paraissait dans les faisceaux que pendant les expéditions militaires. La terreur dont le Forum fut frappé gagna le Comitium. Plébéiens et patriciens comprirent qu'ils s'étaient donné un maître.
Appius avait eu besoin des premiers pour arriver. Mais un Clau~dius, un Sabin, ne pouvait aimer la plebs
pussent proposer aux décemvirs des amendements, il ne faut pas oublier qu'elles le furent sur le Vulcanal, attenant au Comitium. Des amendements à un corps de législation ne pouvaient venir que des patriciens seuls ils connaissaient les lois.
romaine; il épargna les patriciens, les plébéiens furent soumis à une oppression capricieuse et cruelle. Les plébéiens alors commencèrent à regarder du côté de leurs anciens ennemis. Mais les chefs de l'aristocratie, s'ils détestaient Appius, détestaient aussi ses victimes. Sans approuver ce qui se faisait, ils étaient bien aises de voir les plébéiens punis et trouvaient que leur châtiment était mérité, odieux sentiment des partis qui survit parfois à une commune oppression et divise ceux qu'elle devrait unir.
Le masque était jeté, les tribuns dont Appius s'était servi furent mis de côté. Ces jeunes patriciens qui maltraitaient si fièrement les tribuns dans le Forum y parurent comme les satellites du tyran. Appius achetait cette noble jeunesse en lui livrant les biens des condamnés.
Il était clair que les décemvirs avaient résolu de garder le pouvoir et voulaient faire une institution de ce qu'on avait accepté comme un expédient. On déplorait la perte irréparable de la liberté. On ne voyait, on n'espérait aucun libérateur. Dans ce découragement universel, les ennemis du peuple romain levèrent la tête, s'indignant, dit Tite-Live', que ceux qui n'étaient plus libres aspirassent à commander. Les Sabins envahirent le territoire romain, les ~Eques parurent sur l'Algide. La peur saisit les décemvirs et ils voulurent se faire un appui du sénat, qu'ils avaient méprisé. Tit. Liv., ni, 37.
Quand on entendit au Forum la voix du héraut qui convoquait les sénateurs dans la curie, le peuple étonné se demanda Qu'est-il donc arrivé pour qu'on reprenne un usage depuis si longtemps abandonné? Il nous faut, ajoutaient-ils, remercier la crainte de la guerre et l'ennemi de ce que les habitudes de la liberté renaissent'.
L'on regardait de tout côté dans le Forum si l'on n'apercevrait point un sénateur, mais aucun ne se montrait, ils s'étaient retirés à la campagne; les appariteurs qui avaient été les citer à domicile revinrent dire que le sénat était aux champs.
Enfin un certain nombre de sénateurs se rendent à la curie, où recommencent à retentir des voix libres. Les représentants des deux grandes familles sabines, toujours noblement alliées à la cause plébéienne, un Valerius et un Horatius, parlent en dépit d'Appius qui veut leur imposer silence; ne pouvant y parvenir, il ordonne à un licteur d'arrêter Valerius. Valerius s'élance sur le seuil de la curie et fait appel aux citoyens. Un Cornélius embrasse Appius comme pour le protéger et le retient. Les consulaires et les vieux sénateurs, dit Tite Live peintre admirable des passions politiques, par un reste de haine pour la puissance tribunitienne et pensant que les plébéiens Hostibus hetloque gratiam habendam, quod subitum quicquam liberse civitatis fieret. (Tit. Liv., ni, 58.)
s Tit. Liv., m, 41.
regrettaient beaucoup plus vivement cette puissance que celle des consuls, aimaient presque mieux voir les décemvirs quitter leur charge que de voir la plebs se relever de nouveau, par sa haine pour ceux-ci. Ils se flattaient qu'en laissant l'agitation populaire rétablir tout doucement l'influence des consuls, au moyen de quelques guerres ou de circonstances qui leur permettraient de montrer de la modération, on pourrait amener les plébéiens à oublier les tribuns éternel aveuglement des haines personnelles dont profita toujours la tyrannie.
Les plébéiens avaient eu raison, et c'est à ses défaites que Rome allait devoir l'espérance de sa liberté. Triste extrémité à laquelle il ne faudrait jamais être réduit. Les décemvirs se firent battre par les Sabins près d'Eretum et sur l'Algide par les ~Eques. Un pouvoir sans droit ne doit jamais être battu.
Comme je l'ai remarqué à propos de Lucrèce, les gouvernements détestés ne tombent guère qu'à l'occasion d'un événement qui frappe les imaginations et qui émeut les coeurs. Cela est vrai surtout des gouvernements absolus. Un des inconvénients du gdtt~ernement absolu, c'est sa force, qui rend difficile sa chute. En étouffant tout exercice de la liberté, il oppose un obstacle pour ainsi dire invincible au retour de la liberté comme une croyance qui ne permet pas les discussions est bien sûre de n'être pas réfutée. Le gouvernemeiit absolu n'a pas besoin pour durer d'être
bien habile, sa nature même le protège; pour se perdre, il faut qu'il commette ou de grandes fautes ou d'odieux crimes; heureusement il en commet presque toujours. Les décemvirs tombèrent par deux crimes, le. meurtre de Dentatus et le lâche complot contre Virginie.
Dentatus, soldat aussi hardi dans le Forum que sur le champ de bataille, passa pour avoir été assassiné traîtreusement aux avant-postes par ordre des décemvirs. Comme ils ne permirent pas qu'on apportât son corps à Rome; ayant peur de ses funérailles, je n'ai point à m'appesantir sur les détails douteux de sa mort 1. Mais l'histoire de Virginie n'est pas douteuse pour moi, elle se passe tout entière à Rome, et en grande partie dans le Forum. Nous savons exactement dans quel endroit du Forum son père la frappa pour la sauver. Le titre de mon livre me donne donc le droit de raconter dans toutes ses circonstances ce mémorable événement.
Le récit de la mort de Virginie forme un drame pathétique, dont le théâtre n'a jamais su reproduire le caractère et qui a été sévèrement soumis par l'histoire, ce grand poëte tragique, à l'unité de lieu. Il Selon Denys d'Halicamasse, le même guet-apens eût été tenté deux fois contre Dentatus, d'abord par les patriciens, puis par les décemvirs, et à la seconde il aurait succombe. C'est peut-être une de ces redites où se plaît la tradition; peut-être aussi ce crime fut-il une conception de l'aristocratie et un plagiat des décemvirs.
se passe dans le Forum sans en sortir là fut représentée la tragédie tout entière.
Nous y voyons d'abord venir une très-jeune fille presque adolescente. Les yeux baissés, elle se glisse avec sa nourrice à travers la foule, pour aller étudier dans l'école qui se trouve parmi les boutiques dont le Forum est environnée; car les lettres, enseignées par des esclaves ou des affranchis, étaient considérées comme une marchandise, et avaient leur boutique au Forum, où elles se vendaient comme une autre denrée. Virginie traverse timidement ce lieu bruyant, ce centre de Rome où se pressent et les acheteurs et ceux qui viennent assister aux jugements des décemvirs, ces magistrats d'abord si populaires, maintenant si tyranniques. On ne s'y rend plus pour écouter les orateurs parler à la tribune, car maintenant la tribune est muette. Une sourde irritation se lit sur le visage des plébéiens, que leurs affaires ou la curiosité attirent au Forum. Une tristesse grave et morne est peinte sur le front des patriciens, silencieusement assis dans le Comitium.
Tout à coup,.un client d'Appius, et qui, poâr cette raison, portait son nom, Marcus Claudius, s'avance à Virginie allait dans le Forum pour apprendre àlire et à écrire; trèscertainement à cette époque une jeune plébéienne ne pouvait recevoir une autre éducation littéraire. Pour être la fiancée d'Icilius, il suffisait qu'elle eût atteint l'âge nubile, qui légalement était l'âge de douze ans. Si, comme il est vraisemblable, elle l'avait dépassé, ce devait être de bien peu, puisqu'elle allait encore à l'école.
travers la foule et met la main sur la jeune fille, déclare que, née d'une de ses esclaves, elle est aussi son esclave. Virginie épouvantée se tait; sa nourrice implore à grands cris la foi publique.
Appius était assis sur son tribunal, près de l'autel de Vulcain, pour donner l'autorité de la justice à ce rapt déguisé dont il était le véritable auteur. Car, en voyant passer chaque jour au pied de son tribunal la jeune fille se rendant à l'école, il avait conçu pour elle une passion brutale, telle que devait être celle de ces hommes violents, telle qu'avait été celle de Sextus pour Lucrèce. Il convoitait la vierge qui était presque une enfant. Pendant qu'il machinait cette infamie, le père de Virginie, centurion plébéien était sur l'Algide à combattre les jEques.
Virginius avait des amis ceux qui étaient présents s'avancent comme Claudius vers le tribunal du décemvir et attestent la fausseté de son allégation. Claudius, avec l'impudence des M~sMHt, ses pareils, dont la race n'est pas perdue à Rome, persiste à soutenir que Virginie est son esclave. Les défenseurs de la jeune fille demandent qu'on attende, pour prononcer sur sa condition, l'arrivée de Virginius, qui n'est pas loin et peut venir en quelques heures.
H y avait des Virginius patriciens et des Virginius piébéiens le père de Virginie était plébéien. A cette époque, un patricien n'eût pas donné sa fille à Icilius, tribun, et, par conséquent, plébéien; le mariage n'existait pas encore entre les deux ordres.
Appius, cachant sous l'air impassible chi jage la passion qui le tourmente, discute la question de droit, comme s'il s'agissait d'une cause ordinaire et qui lui fût parfaitement indifférente.
Quand les formes de la justice sont employées à masquer l'iniquité, elles la font paraître encore plus odieuse. Appius rend son jugement. Dans le considérant qui le précède (decreto prsefatus), il déclare qu'il va appliquer la loi même qu'invoquent les défenseurs; que la justice, pour venir en aide à la liberté, ne doit faire aucune acception des personnes.
Après avoir posé ces beaux principes, passant à la question de droit, il établit que si la fille est dans la main de son père, nul ne peut prétendre sa possession avant le jugement; qu'il faut donc faire venir le père de famille; qu'en attendant le réclamant ne peut perdre son droit, mais doit garder la jeune fille jusqu'à ce qu'il soit statué sur le fait de la paternité.
En entendant cet arrêt, la multitude frémit et se tait; mais arrivent l'oncle de Virginie, Numitorius, et Icilius, son fiancé. Ils fendent la toule. Le. licteur, par ordre d'Appius, déclare que te jugement est rendu, et repousse Icilius, qui reste la où il était, et élève une voix courageuse et indignée. La multitude s'émeut. Les licteurs entourent Icilius. Appius conserve les apparences de la modération et de la fermeté. Il ne fait point arrêter Icilius, mais déclare
qu'Icilius est un homme turbulent en qui respire encore le tribunat (on dirait aujourd'hui un homme des anciens partis); qu'il cherche à allumer une sédition, mais qu'on ne lui en fournira point le prétexte; qu'il n'y aura point ce jour-là de jugement; que si le jour suivant Virginius ne paraît pas, Icilius et les pareils d'Icilius verront que le décemvir sait faire exécuter la loi.
Les proches de Virginie se proposent pour garants, tandis que tous dans cette multitude lèvent les mains et s'offrent à en servir.
Appius, qui, dans tout ce débat, tenait à jouer son personnage de juge indifférent, reste encore quelque temps sur son tribunal; mais personne ne s'y présente tout le monde n'était occupé que de Virginie. Enfin il se lève, retourne dans sa maison et envoie au camp l'ordre de ne pas donner de congé à Virginius et de le garder prisonnier.
L'infamie avait été habilement conduite, mais elle échoua contre le zèle de deux jeunes gens, un frère d'Icilius et un fils de Numitorius, qui, se doutant bien de ce qui se préparait, étaient partis en toute hâte pour aller avertir Virginius. Ce zèle devança l'empressement des serviteurs d'Appius. Virginius fut averti à temps et put partir avant que l'ordre de le garder prisonnier eût été reçu.
Le lendemain le Forum fut rempli de bonne heure, et les plus résolus durent s'exciter par leurs discours
à la résistance. Mais Appius était redouté, et quand les licteurs arrivèrent, le silence régna dans cette foule, un silence de colère contenue et frémissante. Virginius était là dès le matin, conduisant sa fille en habit de deuil, accompagnée de quelques matrones et de nombreux amis. Appius monte à son tribunal, donne la parole à Claudius, puis prononce sur l'état de Virginie et la déclare esclave.
L'étonnemeht dé cette atrocité tient d'abord toutes les bouches muettes. Claudius veut profiter de ce moment de stupeur; il s'avance pour saisir Virginie au milieu du groupe de femmes qui l'entourent elles le repoussent. Virginius voit que le peuple de Rome, où, pendant une double guerre, il ne pouvait se trouver à peu près que des vieillards, va laisser le crime s'accomplir. « Je ne sais si ceux-ci, dit-il avec le mépris d'un soldat pour des bourgeois timides, le souffriront. » Et il ajoute, menaçant Appius de la colère de l'armée. « Mais ceux qui ont des armes ne le souf friront pas. »
L'armée n'était pas là il n'y avait là qu'une foule étonnée, irritée sans doute, mais désarmée, incertaine, qui n'était pas prête pour l'insurrection, à laquelle l'autorité du décemvir, l'audace des nombreux clients armés dont Appius avait eu soin d'entourer le Forum, imposaient encore. En effet, quand celui-ci donna l'ordre au licteur de faire exécuter le jugement et de remettre l'esclave aux
mains de son maître, la multitude s'écarta d'ellemême. Ce fut alors que Virginius, abandonné de tous, à bout de toute ressource, conçut une pensée terrible. Maître de lui-même en cette extrémité, il s'excuse au nom de la douleur paternelle des invectives qu'il a proférées contre Appius il demande qu'il lui soit permis de s'entretenir avec Virginie et sa nourrice pour qu'il sache à quoi s'en tenir sur la naissance de cette enfant. Numitoria ne vivait plus; Virginius n'eût pas osé accomplir son dessein en présence d'une mère. Appius, aveuglé par sa passion et son orgueil, par son mépris pour un plébéien, croit que Virginius est découragé, que peut-être il cherche un prétexte pour céder à sa puissance. A ce moment solennel, le cœur de l'historien est ému il suit Virginius s'éloignant un peu du Comitium, qui le séparait du Vulcanal où siégeait Appius, faisant quelques pas à gauche et s'avançant vers les boutiques neuves au nord da Forum, entre les Septa% où les tribus plébéiennes auraient pris parti pour le plébéien outragé, mais Les boutiques neuves étaient au nord du Forum (Cie., ~MoL Pr., H, 22), devant la basilique Porcia, voisine de la Curie. Basilicam, post argentarias novas et forum piscatorium. (Tit. Liv., ïL, 51.) C'étaient des boutiques de changeurs, qu'on appela neuves plus tard, ayant été refaites après un incendie. Et Mgentariœ quae nunc uovse appellantur, arsere. (Tit. Liv., xxn, 27.)
Les Septa du Forum étaient près du sanctuaire de Vénus Cloacine, comme on le voit par les médailles de la gens mussidia. Eckel, Doctr. M<m., v, p. 258. (GMeA., d. R. Verf., p. 396, cité par Gottiing.)
qui maintenant étaient vides, et le sanctuaire de Vénus purifiante~, qui allait être témoin d'un sanglant hommage à la pureté. Yirginius était sans armes. On ne pouvait alors entrer armé dans le Forum, car dans les rixes de chaque jour entre les jeunes patriciens et les défenseurs des tribuns, il est toujours parlé de coups de poings et jamais de coups d'épée. Le centurion cherche autour de lui un fer libérateur et n'en peut point découvrir. Enfin, dans une des boutiques voisines, il aperçoit un couteau sur l'étal d'un boucher il le saisit et prononce ces paroles qui font allusion à la revendication juridique sur laquelle avait routé tout le procès a Ma fille, je te revendique à la liberté par le seul moyen qui soit en mon pouvoir. » Puis perce le sein de sa fille, et se retournant vers le tribunal, it articule la formule solennelle par, laquelle on dévouait un sacrilége aux dieux infernaux « Appius, je te dévoue, toi et ta tête, par ce sang.-Qu'on l'arrête » s'écrie Appius. Mais Yirginius, avec son couteau, se faisait un chemin à travers la foule, qui, même en feignant de le poursuivre, protégeait sa fuite. Il put sortir du Forum et gagner la voie Latine par une des portes du Cselius, mont latin, et par conséquent plébéien comme l'Aventin. Ce n'est pas là qu'on pouvait faire obstacle à la fuite d'un plébéien menacé par un Claudius. Icilius et Numitorius soulèvent le cadavre de VirTit. Liv., M, 48. Ctoacinae templum ad tabernas quibus nunc nomen est novis.
ginie et montrent au peuple la belle jeune fille morte. Les matrones se lamentent. Icilius, l'ancien tribun, fait entendre des paroles qui réclament la puissance tribunitienne, la provocation au peuple et qui enflamment l'indignation de tous.
Appius cite Icilius à son tribunal, et comme il refuse de comparaître, ordonne qu'on le saisisse. Les licteurs ne peuvent percer la multitude qui se serre autour de lui. Appius traverse le Comitium et vient dans le Forum pour l'arrêter de sa propre main; mais le tragique événement est devenu un fait politique. On s'écrie que le moment est arrivé de ressaisir la liberté. Les deux consuls, les chefs des deux grandes familles sabines constamment dévouées aux intérêts plébéiens, Lucius Valerius et Marcus Horatius, interviennent, disant que s'il s'agit de droit, ils se font les garants d'Icilius; que si on emploie la violence, ils résisteront par la force. L'un et l'autre étaient entourés de souvenirs glorieux pour sa maison.
Valerius avait devant les yeux, à l'extrémité du Forum, la Velia, qui lui rappelait la noble condescendance au vœu populaire de son aïeul Publicola, le champion de ce droit d'appel au peuple qu'on réclamait aujourd'hui; Horatius pouvait voir dans le Forum le trophée du vainqueur des Curiaces. Le droit de provocation était aussi dans les traditions de sa famille ce droit avait sauvé autrefois au même lieu un autre Horatius, la gloire de son nom.
Une épouvantable mêlée s'engage (atrox rixa ort<Mf). Les licteurs veulent mettre la main sur les consuls. Le peuple, qui les défend, brise les faisceaux des licteurs. Yalerius, au nom de son pouvoir consulaire, leur ordonne de se retirer. Appius parle au peuple~ du Yulcanal. Selon Tite Live% il monte à la tribune, et les deux consuls y prennent place à côté de lui. Le peuple les écoute, mais fait du bruit quand Appius veut parler. Alors craignant pour sa vie, il enveloppe sa tête dans sa toge de manière à ne pas être reconnu, et s'échappant du Forum, gagne sa maison qui était proche*.
Virginius, escorté de quatre cents hommes indignés, était arrivé au camp sur le mont Yecilius près de Tusculum et avait soulevé les soldats. En paraissant au milieu d'eux, son couteau à la main et couvert de sang, il avait raconté tout ce qui s'était passé, suppliant ses camarades de ne point avoir horreur de lui comme d'un parricide, disant que sa fille lui était plus chère que la vie, s'il eût pu la conserver pure et libre; mais que la voyant enlevée pour la servitude et l'infamie, il avait mieux aimé la perdre par la mort Den. d'Hal., Yt, 59.
C'est ce que veut dire M c<MMt<MMm <M<~«. (fit. Liv., m, M.) ¡ Tit Liv., ?. Peut-être sur le Quirinal, demeure de plusieurs autres grandes familles sabines, là où Constantin, qui descendait des Claudius, construisit ses Thermes dans la partie de la colline la moins éloignée du Forum.
que par la honte, ajoutant qu'il ne lui aurait pas survécu s'il n'avait espéré la venger que du reste ils avaient aussi des enfants, et que c'était à eux d'y songer.
Un cri bien unanime lui répond de ceux qui sont présents; nul ne fera défaut à sa douleur et à la liberté de tous. Aussitôt on lève le camp et l'on marche sur Rome en bon ordre.
Cette troupe armée va s'établir sur l'Aventin, où les plébéiens de ce nouveau quartier, œuvre d'un tribun, œuvre d'icilius, durent la recevoir avec transport. Elle établit son camp près du temple de Diane 1, la déesse libératrice, à l'angle nord-ouest de la colline, et réclame le rétablissement du tribunat.
Le sénat envoie gourmander les soldats qui ont quitté leur poste et occupé indûment l'Aventin; il leur fait demander ce qu'ils veulent. Cette remontrance du sénat les embarrasse d'abord, puis ils s'écrient « Envoyez-nous les consuls, nous nous entendrons avec eux. »
Pendant ce temps, Icilius et Numitorius étaient allés soulever.l'autre armée, celle de la Sabine. Ils reviennent à sa tête par la porte Colline, traversant le quartier sabin et patricien du Quirinal, qui dut les voir passer avec un certain effroi, et gagnent l'Aventin, où ils font leur jonction avec l'armée de l'Algide. Les deux armées, par cet admirable instinct de disciDen d'fat.. x!. 43
pline qui n'abandonnait jamais les Romains, créent Chacune dix tribuns militaires qu'elles mettent à leur tête en attendant que le tribunat soit rétabli.
Le sénat tardait à répondre. Un ancien tribun, nommé Duilius, dit alors qu'on ne pourra le décider que par une mesure décisive, et qu'il faut de nouveau se retirer sur le mont Sacré. En effet, toute la population se met en marche, y compris les femmes, les enfants, les vieillards. Ils sortent par le chemin de Nomentum. Rome est solitaire, le Forum est vide, les sénateurs s'effrayent de cette solitude. Bon nombre d'entre eux élèvent la voix et demandent aux décemvirs s'ils veulent garder un pouvoir qui ne commande plus à personne, s'ils veulent juger des toits et des murailles. Les décemvirs, se sentant vaincus, se mettent à la disposition du sénat, le priant seulement de protéger leur vie, de peur qu'en versant leur sang les plébéiens ne s'accoutument à mettre à mort des patriciens.
Le sénat se décide alors à envoyer les consuls sur le mont Sacré. Icilius leur expose les réclamations des plébéiens le droit de provocation et le tribunat rétablis, la sécession amnistiée. Ils demandaient aussi qu'on leur livrât les décemvirs pour les brûler vifs. Sur ce dernier point, les consuls leur firent entendre raison. Le sénat accorda les trois autres. Il ne déposa point les décemvirs, mais leur ordonna d'abdiquer; car à Rome
le respect de l'autorité était si grand, qu'on procéda toujours ainsi.
Les décemvirs, Appius à leur tête, montent à la tribune et déclarent leur abdication. La population, qui avait émigré sur le mont Sacré, rentre dans Rome; les soldats traversent la ville en silence et retournent sur l'Aventin. Dans des comices tenus au Capitole~ sous la présidence du grand pontife', ils nomment les tribuns, puis ils descendent dans la partie du Champ de Mars la plus voisine du Capitole où étaient alors des prés appelés flaminiens, et où fut depuis le cirque du même nom dans lequel se célébrèrent les jeux plébéiens institués en mémoire du triomphe de la liberté. Là étaient les Septa là, je pense, dans des comices par centuries, dont par conséquent les patriciens firent partie, le tribun Duilius présenta une rogation pour la nomination des consuls. Le sénat désigna un inter-roi qui choisit M. Horatius et L. Valerius.
1 En effet, on ne pouvait tenir des comices, présidés par un pontife, sur l'Aventin, qui, en dehors du Pomœrium, n'était point consacré par les Auspices, ~Mp:ce<!M.
Nous avons vu que les Septa du Champ de Mars furent prés du cirque Flaminien. C'est donc le lieu que Tite Live (ni, 54) indique ici S'il ne lui donne pas le nom de Septa, c'est peut-être que ceux-ci n'existaient pas encore. Peut-être se rassembla-t-on tout simplement au milieu des prés flaminiens. Dans les prés flaminiens,' le sénat fut convoque par les mêmes consuls. (Tit. Liv., m, 65; Den. d'Haï., xj, 49.) Ces prés étaient donc alors un lieu où se tenaient diverses sortes d'assemblées.
La première loi qu'ils proposèrent et à laquelle leur nom est resté attaché, fut la consécration de la victoire des plébéiens. Les plébiscites des comices par tribus furent loi pour tous. Les patriciens furent tenus de leur obéir comme les autres. Les consuls rétablirent aussi le droit de provocation au peuple assemblé par centuries, unique protection de la liberté des plébéiens. Mais il fallait des garanties à cette liberté, car on pensait à Rome qu'un droit qui n'est pas garanti n'est pas un droit.
Aussi mit-on la loi de provocation sous la garde de tous les citoyens, déclarant que celui qui créerait un magistrat dont le pouvoir serait sans appel, devait être mis à mort, et que celui qui le tuerait ne pouvait encourir pour ce fait une açcusation capitale. C'est cette disposition qui fit plus tard la légalité, sinon la justice, du meurtre de César.
Ce ne fut pas tout. Pour assurer l'inviolabilité des tribuns, des édiles et des autres magistrats plébéiens, on rétablit un ancien formulaire par lequel celui qui leur causait quelque dommage était dévoué à Jupiter et sa famille vendue devant le temple de Cérès, temple élevé au pied de l'Aventin à la déesse protectrice des plébéiens.
Depuis la création des édiles, les plébiscites avaient été déposés dans ce temple, dont la surveillance leur était particulièrement confiée. A l'époque de la loi Horatia-Valeria, on y déposa pareillement les sénatus"
consultes pour assurer leur conservation et leur intégrité'.
Au temple de Gérés se rattachaient doncdeuxgaranties l'une de l'inviolabilité du tribunat, et l'autre de l'incorruptibilité de laloi. Lapeine de mort que chacun pouvait appliquer impunément à quiconque participerait au rétablissement du pouvoir absolu, était une garantie formidable de-la perpétuité de son abolition. Puis on procéda au jugement d'Appius. Virginius lui fut donné pour accusateur. Il l'accusa au nom de la loi violée, et comme il refusa de désigner un juge devant lequel il se justifierait de cette violation Virginius le déclara condamné et ordonna qu'il fût conduit danscette prison qu'il avait, dïsait-on, appelée le domicile des plébéiens. Appiusosa user de ce droit de provocation refusé par lui à tous mais Virginius répondit en montrant le tribunal placé sur la plate-forme élevée de Vulcain, cette forteresse de tous les crimes où le décemvir avait frappé de ses arrêts les biens et l'existence des citoyens que menaçait sans cesse la hache de ses licteurs ou plutôt de ses bourreaux. Appius fut jeté dans la prison Mamertine, où il avait voulu envoyer Icilius et Numitorius; mais avant le jour fixé pour son jugement le fier patricien fit ce qu'avait fait son père, et en vrai Claudius, se donna la mort. Tit. Liv. m, 55.
Sur ce détail curieux de la procédure romaine, voyez Nicbuhr (IV, p. 81-6).
Un autre décemvir, Oppius, en fit autanti. L'affranchi d'Appius fut également condamné à mort mais Virginius, dédaignant de frapper un agent subalterne de la tyrannie, lui permit de s'exiler à Tibur. Ainsi les mânes de Virginie étaient satisfaits, et le peuple avait reconquis sa liberté.
Le décemvirat fut utile; les plus mauvaises institutions peuvent servir, mais c'est à la condition d'être renversées~. Le lendemain de la chute de celle-ci, les plébéiens furent plus forts qu'ils n'avaient jamais été, et profitèrent de cette force nouvelle pour obtenir deux droits, le droit de mariage avec les patriciens et le droit de partager avec eux le consulat.
Ces propositions de ticinius Stolo indignèrent les patriciens. On vit dans leur résistance superbe à la première qu'avait proposée le tribun Canuleius, qu'ils se regardaient comme d'un autre sang, comme apparSelon une autre tradition (Den. d'Haï., ~i, 46, 49) ils furent mis à mort dans la prison par ordre des tribuns. Ce pourrait bien être la tradition véritable, car ce second suicide d'un Appius Claudius semble une répétition imaginée peut-être par l'orgueil des Claudii. Si, comme le pensait Niebuhr, le décemvirat eut pour résultat de faire entrer les patriciens dans les tribus et, selon son expression, d'abolir la caste patricienne (tv, p. 65, Peter.; ~)oet., p. 41), en fondant les centuries dans les tribus, on conçoit qu'une telle fusion entre les deux ordres dût les préparer a l'égalité. C'est possible. Mais Niebuhr s'est, je crois, exagéré, l'influence du décemyirat, dans laquelle il a vu une institution acceptée comme permanente, et dont il a cru retrouver une continuation dans l'état de choses qui suivit, tandis que ce ne fut qu'une mesure passagère de salut qui devint bientôt une usurpation, et alors périt sans retour.
tenant à une autre race. Ils ne se souvenaient peut-être plus qu'ils avaient été Sabins ils voulaient être Romains, puisque c'était le nom qui avait prévalu et qui alors était prononcé avec orgueil; mais au fond ils regardaient les plébéiens comme un autre peuple, comme des intrus dans la cité, avec lesquels on ne pouvait, sans déshonneur, mêler son sang. C'était toujours le même dédain [qui avait fait jadis refuser aux Sabins de donner leurs filles aux Latins de Romulus
Cependant l'autre loi leur déplaisait plus encore; un plébéien consul était à leurs yeux un monstrueux désordre. Pour éviter un tel malheur, ils cédèrent, bien qu'il leur en coûtât beaucoup, sur la question du mariage. Ils consentirent à remplacer les consuls par des tribuns militaires investis de la puissance consulaire et qui pouvaient être nommés dans les deux ordres, et qu'on appela aussi tribuns consulaires. Mais sur la questipn du consulat, ils devaient aussi céder. Ces concessions ne furent point faites sans de grands débats. Dans la curie, les patriciens exprimaient leur indignation avec une hauteur insensée. Ils comparaient le mariage entre les deux ordres à l'union des animaux. « Eh quoi f disaient-ils dédaigneusement, des Icilius et des Canuleius seraient consuls 1? La tribune répondait à la curie, et Canuleius déclarait que les pléfit. Liv., tv, 2.
béiens étaient las d'habiter une ville où on les traitait comme des bannis, repoussés de l'alliance des patriciens, inhabiles à exercer le pouvoir. « Pourquoi, disait-il, ne nous défendent-ils pas d'habiter la même rue, de nous asseoir au même banquet, de suivre le même chemin, de fréquenter le même marché ? a Mais ces luttes de paroles, soutenues à distance, ne paraissent point avoir beaucoup troublé le Forum. On n'y voit plus les scènes tumultueuses que j'ai racontées 1. Je n'ai plus rien de semblable à peindre, et je suis obligé, pour reprendre l'histoire agitée du Forum, pour retrouver un événement qui se rattache à une localité, d'aller jusqu'à l'émeute soulevée par Spurius Maelius, dans laquelle va reparaître le vieux Cincinnatus.
Mais il faut signaler en passant un trait de la rancune des patriciens contre les deux consuls trop populaires qui avaient concouru si noblement à la chute des décemvirs et à la restauration des droits plébéiens. Horatius et Valerius vinrent à bout facilement des ~Eques et des Sabins qui avaient fait essuyer une défaite aux décemvirs, car l'armée, pleine de reconnaissance pour eux, les seconda parfaitement. Le sénat ne voulait pas leur accorder les honneurs du triomphe; Tite Live mentionne bien quelques insolences des jeunes patriciens envers les tribuns (in, 65); mais la guerre vint mettre un terme à ces altercations, qui n'eurent pas de suite. Le temps en était passe.
il refusa d'abord d'aller délibérer dans le temple de Mars, hors de la porte Capène~, ouïes consuls l'avaient C'est., je crois, une très-heureuse interprétation de Niebuhr (iv, p. 89); Tite Live (m, 63], et Denys d'Halicarnasse (x<, 49), disent tous deux le Champ de MaM. Mais alors on ne comprendrait pas, si les consuls avaient campé dans le Champ de Mars, comment les sénateurs qui disaient n'y être pas libres à cause de la présence de l'armée, l'eussent été davantage dans les prés flaminiens qui y touchaient, et sur l'emplacement desquels fut construit le cirque flaminien, voisin des Septa, qui eux-mêmes étaient dans le Champ de Mars. Le CampM Martius de Tite Live, la plaine qui portait le nom de Mars de Denys d'Halicarnasse, sont ici les environs du temple de Mars, hors de la porte Capène, confondus peut-être par les deux historiens avec le véritable Champ de Mars au bord du Tibre. Le consul qui avait vaincu les ~Eques retournait à Rome de ce côté celui qui avait battu les Sabins n'avait eu qu'un petit détour à faire pour l'y nejoindre. Les auteurs suivis par Tite Live et Denys d'Halicarnasse ont sans doute employé par anticipation ce nom de Champ de Mars donné plus tard à la plaine qui avoisinait le temple de Mars, voisin de la porte Capène, lequel ne fut consacré qu'en 568, nom donné de tout temps à la plaine du Tibre, au milieu de laquelle s'élevait l'autel antique de Mars. Ainsi s'explique la confusion faite postérieurement des deux Champs de Mars. Il y en avait un troisième sur le Cselius. L'existence de celui qui était hors de la porte Capène permet de placer tout de suite après elle la porte Fontinalis, dans une région du Cselius, abondante en sources; porte pour laquelle on a bien de la peine à trouver ailleurs une place dans un lieu d'où elle puisse conduire au Champ de Mars et à l'autel de Mars, ainsi que le dit Tite Live (Tit. Liv., xxxv, 10); mais c'est qu'il s'agit ici ou du Champ de Mars du Ca'lius, ou, comme dans le passage qui nous a suggéré ces réflexions, d'un champ et d'un autel de Mars près de la porte Capène. Ainsi une difficulté top'ographique qui a arrêté Becker (de Vet. R. mur. atq. port., p. 67-8) est écartée par la solution d'une autre difficulté.
convoqué, disant qu'en ce lieu il serait entouré par l'armée qui y campait. Les consuls alors le convoquèrent de l'autre côté de la ville, dans les prés flaminiens, où fut depuis le temple d'Apollon 1. Là, le triomphe leur fut injustement refusé par le sénat; mais Icilius alla dans le Forum y monta à la tribune, ;et fit voter par les tribuns le triomphe des consuls. Pour échapper à la nécessité d'ouvrir le consulat aux plébéiens, les patriciens avaient consenti à remplacer cette haute dignité par une dignité moindre, celle des tribuns consulaires, espèce de transition qui dura cinquante-quatre ans, aimant mieux abolir le consulat que le partager.
Ce fut un temps de guerre sourde, de ruses, de manœuvres, qui succédèrent à cette guerre ouverte contre les plébéiens, qui avaient précédé l'institution des décemvirs alors les patriciens s'étaient souvent arrogé le droit de nommer les consuls Maintenant ils s'arrangeaient pour faire nommer les tribuns consulaires, qui,' durant quarante-trois ans, furent tous patriciens".
Pendant ce temps les tribuns ne dormaient pas, ils accusaient les patriciens, même les tribuns consulaires, et les faisaient quelquefois condamner. Ils deDerrière le temple de l'Espérance (Tit. Liv., XL, 51) entre le Forum Olitorium et le cirque (laminien.
Schwegl., R. GM~ )i, p. 624.
Schwegl., R. Gesch., m, p. 142-7.
mandaient des lois agraires, proposaient de fonder des colonies. Tout cela se faisait sans grands désordres. Les partis qui divisaient Rome semblaient avoir appris depuis le décemvirat qui les avait humilies tous les deux, à remplacer par la discussion la violence. Cependant en 516 un événement tragique était venu prouver que les agitations plébéiennes et les rigueurs patriciennes pouvaient encore se montrer dans le Forum. Par suite de guerre faite, comme les Romains les faisaient alors, les laboureurs étant appelés sans cesse à combattre, et les ennemis ravageant la campagne jusque sous les murs de la ville, une famine était survenue. Un citoyen riche auquel on donne le titre de chevalier Spurius Maelius, se dévoua généreusement à la tâche glorieuse d'adoucir la misère du peuple. Le blé était fort cher, il en acheta partout où il put en trouver, et alla lui-même en chercher dans les deux pays qui étaient alors ce que furent depuis la Sicile et l'Afrique, les greniers de Rome, dans l'Ëtrurie et dans Parce qu'il appartenait à une des centuries plébéiennes de chevaliers, et peut-être parce qu'il était riche, et que plus tard les chevaliers devenus fermiers généraux le furent souvent beaucoup. Hais à cette époque les chevaliers ne formaient point encore un ordre. Maetius. n'avait point ce titre, comme appartenant à l'une des centuries patriciennes, car la gens Maelia, qui a donne plusieurs tribuns, était plébéienne. Un Ma'lius Cerdo était originaire de la Sabine. C'est, je crois, comme celles de Publius Yolero (surnom en o, sabin) et de TerentiUus Arsa, une de ces familles sabines qui passèrent au moins en partie aux plébéiens sortis des Latins.
la Campante. Il le vendit à bas prix et le donna gratuitement aux plus pauvres.
La juste popularité que valut à Mselius cette honorable conduite déplut aux patriciens. De plus, en servant la cause du bien public il s'était fait un ennemi. On avait nommé préfet des subsistances (prsefëctus annonce) Minucius Augurinus, et celui-ci malgré tous ses efforts n'avait pu diminuer la cherté des blés; l'administration avait échoué là où le zèle plus intelligent d'un particulier avait réussi. En vain avait-elle employé ces tyranniques mesures dont elle s'avise partout quand ellen est pas éclairée, et dont la république française après la république romaine devait fournir un si désastreux exemple. En vain avait-on forcé les citoyens à déclarer la quantité de blés qu'ils possédaient et à vendre tout ce qui dépassait les besoins de leur famille, réduit les esclaves à une très-mince ration, livré les marchands de grains à la fureur populaire; le prix des grains, comme il arrive toujours en pareil cas, n'avait fait qu'augmenter, et on en était arrivé à une si'excessive détresse que plusieurs, pour éviter les tourments de la faim, se voilaient la tête et se précipitaient dans le Tibre. Ce malheureux Minucius auquel tout réussissait si mal dénonça Maelius comme ayant tenu chez lui de dangereux conciliabules, fait des amas d'armes, gagné des tribuns, choses dont Minucius se garda de l'accuser publiquement; il ne démentit probablement
pas l'accusation que les patriciens portèrent contre Maetius, disant qu'il voulait se faire roi. Cette accusation qu'ont répétée tous les historiens anciens, et Cicéron lui-même, complaisants, comme ils le furent presque toujours au parti aristocratique, cette accusation, il faut le dire franchement, était ridicule. Mselius, pas plus qu'avant lui Spurius Cassius et après lui Tiberius Gracchus, ne songeait à être roi. S'il y avait une ambition impossible à Rome, c'était celle-là. Le nom de roi y était.l'objet d'une horreur fanatique qui coûta la vie à César, soupçonné seulement de prétendre à la royauté. Quand on voulait la tyrannie on s'y prenait autrement; comme Appius on s'appelait décemvir, comme Sylla ou César lui-même, dictateur; comme Octave, imperator. Mais les patriciens poursuivaient un grand but ils voulaient, malgré la loi Horatia-VaIeria, qui avait proscrit tout pouvoir sans appel, ressaisir la dictature et prendre acte de son rétablissement pour montrer que cette disposition de la loi HoratiaValeria, véritable charte des plébéiens, ne s'appliquait pas à cette magistrature extraordinaire. Le sénat feignit une grande peur pour l'inspirer exagérer un danger public fut toujours un très-bon moyen de se débarrasser de ses ennemis en les faisant craindre. Comme lorsque les~Eques avait enveloppé l'armée d'un consul, on alla encore cette fois chercher Cincinnatus dans son champ pour l'opposer à cette formidable conspiration dont rien jusqu'ici n'a jamaisprouvél'existence. Cincinnatus avait
alors quatre-vingts ans. Les sénateurs se tinrent tout Je jour enfermés dans ]a curie et n'en sortirent pas avant le soir, pour que le secret de leurs délibérations ne put être divulgué. Pendant la nuit on plaça une forte garnison au Capitole et le sénat s'y assembla de bonne heure le lendemain, comme s'il-avait besoin de cette protection pour sa défense; le Forum se remplit de curieux qui se demandaient pourquoi tous ces préparatifs. Mselius y vint comme les autres. Le maître de cavalerie que s'était choisi Cincinnatus était un jeune patricien nommé Servilius Ahala. A la tête d'une troupe de cavaliers il fond sur Maelius et le somme de comparaître devant le dictateur. Malgré la loi qui défendait sous peine de mort d'investir un magistrat d'un pouvoir sans appel, loi qui semble avoir eu pour but d'abolir la dictature, on venait de la rétablir. Paraître devant Cincinnatus armé du droit de vie et de mort sur tous les citoyens parut dangereux à Maelius. Comme je l'ai remarqué, Cincinnatus, que dans les commencements de sa carrière on citait pour sa modération, s'était beaucoup aigri depuis le procès fait à son tils par les tribuns, procès qui avait été sa propre ruine. Les vingt années que le fier patricien venait de passer à labourer son petit champ n'avaient pas dû adoucir son humeur. Cependant si, comme je n'en doute pas, Mselius était innocent, il aurait dû paraître devant le dictateur et se justifier; Cincinnatus était dur, mais honnête. Au milieu des troubles antérieurs, il s'était
opposé dans le sénat à la proposition qui y fut faite de tuer les tribuns 1, mais en se voyant chargé par la cavalerie d'Ahala, Maelius prit peur et se réfugia dans un groupe de plébéiens. Sans doute il voulait avec eux gagner l'entrée du Forum, qui conduisait dans le quartier populaire de la Subura, où il n'aurait pas manqué de secours parmi les pauvres gens qu'il avait nourris; car on dit qu'il s'arma d'un couteau de boucher pour se défendre des cavaliers qui se ruaient sur lui à travers la foule, et nous savons par l'histoire de Virginie que les boutiques de boucher étaient de ce côté. Renversé aux pieds des chevaux, Servilius le frappa d'un poignard qu'il avait caché. C'est la première fois que paraît dans le Forum romain cette arme qui devait y jouer un si grand rôle dans les dernières convulsions de la république, et c'est un patricien qui l'y a apportée.
Disons-le à l'honneur de Cincinnatus, rien ne prouve qu'il eût donné l'ordre d'assassiner Maelius, mais il eut le tort d'approuver l'assassinat. « Bien, dit-il à Servilius, la république est sauvée. » Il était très-vieux et l'on avait pu faire croire au dictateur octogénaire ce qu'on avait voulu.
Spurius Mselius tomba donc à peu prés au même endroit que Virginie. Là où le centurion plébéien pour sauver l'honneur de sa fille lui avait percé le cœur, un général patricien poignarda un citoyen sans défense. Il Tit. Liv., tv, 6.
faut avouer que dans ce rapprochement, suggéré par ~e lieu qui vit ces deux actes s'accomplir, l'avantage n'est pas du côté du patriciat.
Les amis de Maelius soulevèrent son cadavre comme Icilius et Numitorius avaient soulevé celui de Virginie, et, le portant à travers le Forum, le montrèrent à la foule. Quelques-uns applaudirent, le plus grand nombre était transporté de rage, et eût fait un mauvais parti aux cavaliers de Servilius et à Servilius lui-même, mais le vieux Cincinnatus descendit du Capitole à la tête des sénateurs, qui portaient des épées nues; devant le dictateur qu'on respectait, devant le sénat en armes, la colère de la foule se calma et son courage faiblit. il fallait consacrer le mensonge de la trahison de Maelius et rendre sa noble mémoire infâme. On rasa sa maison qui était dans le vicus Jugarius au pied du 3 Le vicus Jugarius partait du Forum où il débouchait entre la basilique Julia et le temple de Saturne, contournait la base du sommet Tarpéien, et allait aboutir à la porte Carmentale. (Tit. Liv., xxv! 37.) (A porta Carmentali Jugario vico in Forum vénère.) Aujourd'hui sa direction est indiquée par la via della Consolazione. Le nom de ce vicus venait d'un temple de Junon Juga (P. Diac., p. d04), et non comme le veut Nibby (Rom. an< n, p. !<?) de jugum, à cause du voisinage de la colline, car ~M~Mf)! désigne une cime, un plateau, et le vicus Jugarius suivait le pied du mont Tarpéien, et ne passait pas sur sa cime. Jugum voulait dire une paire de bœufs attelés, et jugarius attelé. Cette expression se rapportait donc très-bien au sanctuaire de Junon Juga qui présidait aux mariages. Nous disons encore, et le terme est souvent trop vrai, le joug de l'hymen
Capitole et du côté du Capitole Car le surnom de Capitolinus usité dans la gens Maelia était donné à ceux qui habitaient cette colline. La maison de Maelius devait donc être sur ses premières pentes. La place qu'elle occupait demeura vide% et s'appela toujours l'~Equima;lium\
Par un hasard assez singulier, le lieu qui retraçait une sanglante tragédie devint le marché aux agneaux 1. Pendant qu'on s'acharnait ainsi sur la mémoire de Maelius, on comblait d'honneurs le magistrat incapable dont la jalousie avait causé sa ruine. Minucius, qui n'avait pas su approvisionner Rome, regagna la faveur aveugle de la multitude en distribuant les blés Un rocher tomba du mont Capitolin dans le vicus Jugarius. (Tit. Liv., xMv, 21.)
Substructionem super ~MMt.BHMM in Capitolio locaverunt. (Tit. Liv., xxxvm, 28.)
3 L'A'M, où avait été la maison de Sp. Maenus, et qui resta vide (Tit. Liv., iv, 16), était distincte de la rue elle-même qu'elle dominait. Cum ~EquimaelioJugarioque~ico. (Tit. Liv., xx;v, 47.) 4 Tous les auteurs anciens qui parlent de l'MMM'HMM l'interprètent par le lieu de la demeure de Mxlius qui fut rasée, solo ~M~a. (Var., De t.. Lst., v, 1S7; Den. d'Ha)., Fragm,, xn, 1; Aur. Vict., De V. ill., 17), comme le dit Tite Live des bâtiments détruits dans ce quartier même par un incendie (~e. c:<.); ~~MmasHMm, c'est ~Ma<MmM;)°HMBt. Cicéron (De dom., 58), suivi par Valère-Maxime (vt,3,1), a donné de ce mot une étymologie que Becker (BaM~ i, p. 486) a raison d'appeler absurde. Equum accidisse Msetio populus romanus judicavit, nomine ipso ~M!M.eK! stultitiae pœna comprobata est. Cicéron aimait les épigrammes et même les calembours.
5 Cic., ~D: n, 17.
que Maelius avait su amasser. C'était faire de la popularité à bon marché~. Une statue lui fut élevée par souscription près de la porte Trigemina, dans le quartier des greniers publics, et on lui fit hommage d'un bœuf aux cornes. dorées. Une médaille de la famille Minucia représente Pallas, déesse de la sagesse, dont il avait manqué, et Jupiter dans un chariot le foudre en main, avec ce mot Roma, allusion un peu ambitieuse à Maelius foudroyé, tandis qu'il n'avait été qu'assassiné, et à Rome délivrée d'un péril qu'elle n'a.vait pas couru'.
La vie de Cincinnatus offre deux exemples mémorables de la puissance dictatoriale exerçant ses deux fonctions principales, appelé tour à tour contre l'ennemi et contre les plébéiens, qui pour les patriciens étaient aussi l'ennemi. La dictature c'était le pouvoir absolu des rois~, reparaissant dans les grands périls véritables ou imaginaires pour sauver la république; c'était dans toute sa force cet ttM~nMm qui faisait partie du droit politique des Romains, que les rois avaient possédé, dont les consuls étaient investis hors de la ville, qui, tant que Rome fut libre, ne fut jaTit. Liv., <v, 16.
Minucius fut même pris pour un personnage divin ou confondu avec lui. (PL, 7M. nat., M<n, 4; Miiv, n; P. I)iac., p. 122. 47.) 3 Il était absolu en principe, comme l'a établi Rubino; en fait, il était tempéré par l'aristocratie dont cet auteur, d'une sàgacité remarquable, mais trop systématique, n'a pas assez compris t'importance. (Rub., Unters., p. 107-145.)
mais accordé que temporairement, et qui rendu perpétuel par l'usurpation consentie d'Auguste, devint l'empH'c. Cet imperium se transmettait par les interrois, de magistrat en magistrat; les consuls le communiquaient aux agents inférieurs du pouvoir et au dictateur lui-même. Consécration permanente et en quelque sorte héréditaire de la puissance toujours fondée sur les auspices, espèce de droit divin et de légitimité sacrée, qui entourait l'autorité légale de ce respect si nécessaire à la liberté, et qui explique sans les excuser les aberrations de la servitude romaine au temps des empereu rs.
Le sénat déclarait la dictature, un des consuls nom maient le dictateur avecune grande solennité; à minuit", à l'heure où commençait le jour civil des Romains, il allait sur le Capiiole avec un Augure consulter le ciel; s'il y avait silence 3, c'est-à-dire si nul signe contraire ne venait troubler les auspices, le consul nommait le dictateur, auquel une loi portée par les Curies patriciennes décernait l'imperium
Vingt-quatre licteurs le précédaient, les haches dans les faisceaux. Il s'appelait le maître du peuple (magister populi), le grand juge (pra~or ma~mM~), il nommait un Je parle de l'usage le plus ordinaire, qui subit parfois quelque modification. (Voy. Tit. Liv., Mvn, 5.)
Macr., &)~ i, 5.
s Fest., p. 548.
Tit. Liv., ;x, 58.
maître de cavalerie pour exécuter ses ordres absolus. Tous les pouvoirs lui étaient subordonnés, il était irresponsable*.
Telle fut cette magistrature formidable que les Romains dans les temps de crise élevaient au-dessus de la liberté publique pour le salut de l'État.
Il semble qu'elle eût dû être dangereuse pour cette liberté. Elle ne le fut jamais. Quand un peuple sait être libre, on ne peut abuser de rien contre lui. D'abord le dictateur, qui avait le souverain commandement, n'avait pas pour cela tous les droits, il ne pouvait ni faire ni même proposer des lois, il ne pouvait disposer des finances de l'État~. B ne pouvait sortir d'Italie 3. Dans Rome il ne pouvait monter à cheval sans la permission du sénat*. Cette interdiction qui semble insignifiante l'avertissait qu'il n'était pas roi. Mais ce qui empêchait surtout la dictature de devenir une tyrannie, c'est qu'elle n'était conférée que pour six mois; et il est presque sans exemple que celui qui en était revêtu ne l'ait pas déposée avant d'avoir atteint le Den. d'Hal., v, 70, vn, 56. Plut., Fab., 5.
Lyd., de Magist., i, 56. Zonar., vn, 13.
Tit. Liv., xxv)t, 5. D'abord son pouvoir ne s'étendait pas hors de l'ager romanus. (Beck., &!?<?., n, p. 160.) Il dépassa cette limite quand la conquête romaine l'eut franchie- Mais on ne permit jamais qu'il s'exerçât au delà des frontières de l'Italie. On ne voulait pas que ce pouvoir s'étendit si loin, et pût ainsi se soustraire à la surveillance du sénat.
Tit. Liv., H!n, 14. Zonar., vn, 15. Plut., Fab., 4.
terme assigné à son autorité. La première fois que Cincinnatus fut dictateur, il abdiqua le dix-septième jour.
On se moque lorsque l'on compare avec la dictature essentiellement temporaire un pouvoir à vie ou héréditaire. C'est confondre un remède avec un régime. Maintenant quittons le Forum pour la campagne romaine et les montagnes qui forment l'horizon romain. Sortons de Rome pour suivre les conquêtes de Rome, mais nous ne nous en éloignerons pas beaucoup, car longtemps encore ses ennemis seront ses voisins.
v
PREMIÈRES GUERRES. PRISE DE VÉtES. Guerres avec les ~ques et les Volsques. Guerre contre Véies. Statues des ambassadeurs romains mis à mort par Tolumnius, placées près des Rostres. Cornelius Cossus tue Tolumnius. Déférence de Tite Live pour un témoignage d'Auguste. Temple d'Apollon médecin.– Fidène reprise.–Verrugo.– Siège de Véies. L'émissaire du lac d'Albano. Comédie religieuse et politique. Véies est prise. Temple de Junon sur l'Aventin. Triomphe, dévotion et impopularité de Camille. Exil et prière de Camille. Voix divine qui annonce l'arrivée des Gaulois. Autel d'Ajus Locutius.
Le quatrième siècle de Rome vit au dedans les plébéiens conquérir pas à pas l'égalité et obtenir l'accès à presque toutes les magistratures, au dehors les Romains conquérir pied à pied les montagnes qui formaient leur magnifique horizon du côté de l'est, le dépasser, arriver jusqu'à Terracine et au lac Fucin, à peu près aux frontières de l'État pontifical, du côté de l'ouest aller seulement jusqu'au mont Ciminus qu'on voit de Rome et s'arrêter en deçà de la frontière bien rapprochée qui est devenue celle de cet État Rome, février, 186L
Un succès important et un grand revers, la prise de Véies par les Romains et la prise de Rome par les Gaulois, se détachent sur l'obscurité des petites victoires et des petites défaites dont fut témoin le pays montagneux des ~Eques et des Volsques et la région à l'ouest du Tibre.
Sauf ces deux événements, ce ne sont que guerres courtes, expéditions rapides et peu décisives, succès ou revers sans éclat, villes prises et reperdues, une multiplicité uniforme d'incidents nombreux et toujours les mêmes dont tout l'art de Tite Live n'a pu rendre la narration très-attachante. Je n'ai point à la refaire après lui; je suis heureux que le plan de cette histoire qui me retient à Rome me dispense et dispense mon lecteur de suivre les armées romaines dans toutes leurs marches et contre-marches à travers les montagnes des Volsques et des ~Eques, d'autant plus que ces récits arides ne sont probablement pas très-exacts~. Je me L'absence de triomphe après la campagne terminée par la prise de Corbio, absence que Tite Live a remarquée (m, 70), inspire des doutes à Schwegler sur la réalité de cette campagne. Ailleurs il fait observer que l'on suppose presque toujours que les ennemis sont les agresseurs, et que ces attaques surviennent souvent quand les patriciens ont besoin de distraire la plebs de quelque réclamation qui les embarrasse. Le détail infini de ces petites guerres, sans être toujours exact, offre une vérité générale c'est un amas de souvenus partiels plus ou moins altérés, mais non un ensemble de faits inventés. Ce qu'on eût inventé eût été moins minutieux et plus intéressant.
bornerai à indiquer sommairement le progrès des Romains dans ces guerres, où, reculant souvent, ils avancèrent toujours; car, d'autre part, je ne regarde point cette topographie de leurs premières conquêtes comme entièrement en dehors de mon sujet ce qui se passe en vue ou presque en vue de Rome lui appartient. Je voudrais que ce livre fût jusqu'à un certain point comme un guide historique pour ceux qui font le voyage de Rome en réalité ou en imagination. Or, tout guide de Rome un peu complet ne parle pas seulement de la ville même, mais embrasse autour d'elle un rayon d'une quinzaine de lieues que je me crois aussi permis d'embrasser.
Au commencement du quatrième siècle, les ~Eques viennent encore ravager la campagne sous les murs de la ville et s'avancent jusqu'à la porte Colline; en 525, unis aux Volsqucs, ils occupent l'Algide derrière Frascati. Ces deux peuples, descendus chacun de leurs montagnes, sont entrés dans la plaine qui est au pied de l'Algide, par les deux portes naturelles qui s'ouvrent à son extrémité et y campent séparément. Cette fois les préparatifs de l'ennemi étaient plus formidables, et la terreur des Romains fut plus vive que de coutume On nomma un dictateur, Postumius Tubertus, dont la sévérité était si grande; que plus tard il fut lapidé par ses soldats. Deux armées vienEn 308. (Tit. Liv., m, 68).
Tit. Liv., ;T, 2C.
nent attaquer les deux armées retranchées au pied du mont Algide et deux camps romains s'étatisent en face des deux camps ennemis dans cette plaine qui est le fond d'un cratère, et qui, comme le dit avec raison Tite Live n'était pas seulement propre à des rencontres partielles, mais assez ouverte et assez vaste pour que des armées pussent s'y ranger en bataille. Le consul était au sud, le dictateur au nord. Tandis que les soldats du premier attaquent avec impétuosité, le second tourne la position de l'ennemi et le prend par derrière. Grâce à cette manœuvre, quand vint le jour, les ~Eques et les Volsques se voient enveloppés mais un Volsque intrépide, Vettus Messius, à la tête d'une poignée d'hommes, se fit jour à travers l'armée romaine et pensa la faire reculer. Ce fut un combat terrible le dictateur fut frappé d'une pierre à la tête, un de ses lieutenants eut la cuisse clouée à son cheval par un trait, le consul eut un bras coupé. En 350 les Romains sont encore aux prises avec les Volsques, mais ils ont fait un progrès au delà de l'Atgide car, vers ce temps, il est question d'une colonie envoyée à Velletri. Le théâtre de la guerre est porté plus à l'est, plus dans le cœur des montagnes près de Ferentino. Terracina est définitivement reprise en 554, et en 558 les ~Eques et les Volsques demandent la paix. Il y avait juste cinquante ans que les ~Eques avaient paru à la porte Colline. Pendant ces cinquante Tit. Liv., v, 15,23.
ans d'efforts perpétuels, la guerre s'est déplacée, elle a été transportée d'une rue de la Rome actuelle à l'entrée du royaume de Naples.
Mais avant, les Romains avaient eu à combattre un autre ennemi sur la rive droite du Tibre c'étaient les populations moitié Étrusques, moitié sabines, de Falère, de Capène et surtout de Véies, une des douze grandes villes d'Étrurie, égale à Rome en étendue, ce qu'on ne dit d'aucune ville du pays des Volsques et des Eques, au moins aussi civilisée qu'elle, sa vraie rivale, dont les habitants avaient souvent fait la guerre aux Romains avec avantage, avaient exterminé presque entièrement la noble tribu des Fabius, avaient occupé le Janicule et pénétré dans le champ de Mars.
Pendant la première moitié du quatrième siècle, tandis que les Romains guerroyaient avec la montagne, ils avaient eu aussi à guerroyer contre Véies. Déjà commençait pour eux cette double lutte à l'est et à l'ouest dont leur position leur faisait une nécessité, et dans laquelle il est merveilleux qu'ils aient toujours fini par triompher.
Ainsi en 317, comme ils respiraient depuis quelques nnnées des agressions sabelliques, ils furent forcés de tourner leurs armes du coté de l'Ëtrurie par la perfidie du roi de Véies Tolumnius, qui, au mépris du droit des gens, avait fait égorgw quatre patriciens envoyés vers lui, en ambassade. J'ai dit que leurs statues
furent placés près de la tribune*. Ces statues n'avaient que trois pieds de haut, elles existèrent jusque vers le temps de Cicéron.
Fidène comme toujours avait pris parti pour Véies. Le dictateur que le voisinage du danger avait fait nommer, s'établit aux portes de Rome, là où le Tibre se jette dans l'Anio et disposa ses troupes dans l'angle que forment les deux fleuves 2.
Les Véiens, renforcés par l'arrivée des Falisques, qui avaient passé le Tibre pour les joindre, vinrent camper devant la ville de Fidène~.
Un combat fut livré dans la plaine au pied de la colline où était Fidène. Les deux armées s'avancèrent l'une contre l'autre entre les deux camps le camp romain au confluent du Tibre et de l'Anio, le camp étrusque en avant de Fidène. Les Véiens étaient à droite, appuyés au Tibre, les Falisques a gauche, les Fidenates au milieu, ayant leurville derrière eux. Une Selon Tite Live (iv, 17), Cicéron (Philipp., tï, 2), Pline (BM<. nat., Hxtv, 11, 5), M! rostris, ce qui semble vouloir dire sur )a tribune. La tribune, qui était une esplanade assez longue où l'on marchait, eût pu les contenir; mais <): indique souvent le voisinage. L'expression in Circo s'applique à des monuments voisins du Cirque.
2 C'est ainsi qu'on doit entendre Ad conftuentes consedit in utriusque ripis amnis. (Tit. Liv., ;v, 17.)
En général, on croit reconnaître Fidène dans la colline qui est en face de Monte-Giubileo; dans Monte-Giubileo, la citadelle de Fidène mais, selon M. Rosa, l'emplacement de Fidène est plus proche de Rome, là où il doit être, à cinq milles seulement, et Monte-Giubileo, qui est à six milles, ne peut avoir été la citadelle.
partie des Véiens voulut tourner le camp romain en allant passer au delà des hauteurs d'Antemne (Acqua Acetosa) que celui ci avait à sa droite. Les deux armées restèrent quelque temps en présence. Le général romain était tourné vers le Capitole, attendant un signal des Augures qui devait être celui du combat; remarquable preuve de l'importance qu'on attachait aux signes célestes. Le signal parut.
Aussitôt les cavaliers romains, manoeuvrant dans cette plaine qui semble faite pour des charges dé cavalerie, fondirent sur les alliés et ils plièrent. Mais Tolumnius les ramenait au combat, et le combat semblait devoir durer longtemps, quand un jeune tribun militaire de la grande famille Cornelia, Cossus, indigné à la vue de celui qui avait violé la foi en faisant périr des patriciens romains, pousse son cheval vers le cheval de Tolumnius, que le choc fait tomber; Cossus saute à bas aussitôt, abat lé roi, qui veut se relever, d'un coup de son bouclier, et avec sa lance le cloue à terrer puis le dépouille et plante sa tête sur une pique. L'ennemi, saisi d'effroi à ce spectacle s'enfuit. L'ardent jeune homme passe le Tibre et retourne du champ véien, chargé de butin.
Dans le triomphe qui suivit cette victoire ce qui attira le plus l'attention, ce fut Cossus portant les dépouilles opimes, ce qu'on n'avait pas vu depuis RomuTit. f.iv.. n, 19.
lus et allant les déposer dans le petit temple trèsancien de Jupiter Férétrius, qui était sur le Capitole.
Tite Live raconte, à ce sujet, que l'empereur Auguste a bien voulu lui apprendre que lui-même avait lu sur la cuirasse de lin de Tolumnius conservée dans le temple de Jupiter Férétrius, que les dépouilles opimes avaient été offertes neuf ans plus tard par Cossus, alors consul. Tite Live, tout en disant que c'eut été un sacrilége d'enlever à Cossus l'honneur du témoignage impérial ne paraît point convaincu par cet illustre témoignage et donne de forts bonnes raisons, pour ne point l'admettre; toutefois, en critique prudent, il se garde de le contredire'.
Pendant les années qui suivirent, les Yéiens et les Fidenates profitèrent d'une de ces maladies dont il est pnrié souvent dans l'histoire de Rome, et dans lesquelles la malaria pouvait jouer un rôle, pour franchir l'Anio, et venir encore une fois butiner jusqu'à la porte Colline. On fut obligé de défendre Rome et de garnir de troupes les murs et l'agger qui était de ce côté. Ce fut pendant une des maladies dont je viens de parler que l'on voua un temple à Apollon pour la Tit. Liv., it, 21. Comme il faut être juste envers tout le monde, je dirai qu'Auguste pouvait bien avoir raison sans que Tite-Live eût tort. Mais pour cela on doit supposer que l'inscription avait été altérée par la famille de Cossus, qui avait voulu rappeler son consulat ei! même temps que sa victoire. C'est l'opinion de Perizonius. adoptëf par Schweg~'r. (R. G<MC/ m, p. 200.)
santé du peuple romaine Ceci est un fait important, carc'est la première apparition d'un culte grec à Rome depuis les Pélasges. Au reste, ce ne fut pas le dieu de la lyre et des chants qu'on voulut alors honorer, Rome était encore t)!0p barbare; ce fut l'Apollon'qui chasse maux, de Delphes, l'Apollon secourable, de Phi~alie, ce qu'on traduisit par medicus (qui remédie); l'Apollon invoqué par les Romains contre une épidémie fut l'Apollon médecin.
Après avoir consulté les livres sibyllins d'où l'on prétendait tirer tous les emprunts religieux qu'on faisait à la Grèce, on érigea le temple d'Apollon, hors de la ville comme il convenait pour un dieu étranger, derrière le temple de l'Espérance~, dans le marché aux légumes, près de la porte Carmentale liée an souvenir de l'Arcadien Évandre, non loin du cirque Flaminien, dans une partie des prés Flaminiens qui parait avoir été antérieurement consacrée au culte du dieu ce qui, en ce cas, devait remonter à l'ancien culte de l'Apollon Pélasge.
Tite Live, iv, 25.
Tite-Live dit seulement ~< livres. Mais le temple, le culte, les jeux d'Apollon sont toujours en rapport avec les livres sibyllins. Tit. Liv., XL, 51.
4 Tit. Liv.,xxvn,37.
° Tite-Live (111, 65) dit en parlant du lieu où le temple fut construit Jarri tùm ~tpoMma~M appellabant. L'église de Saint-ApolliHOM'e, dans un endroit que le peuple appelle la Pollinara, semble montrer qu'il y avait aussi un lieu consacré à Apollon dans une autre partie du champ de Mars.
Les Romains, bravés dans leurs murailles, en sortirent, repoussèrent les ennemis qui se retirèrent sur les hauteurs; ils y furent poursuivis et battus près de Nomëntum.
Selon Tite Live, le dictateur prit Fidène, qu'on avait déjà prise plusieurs fois et qu'on devait prendre encore, au moyen d'un souterrain qu'il creusa et qui le conduisit dans la citadelle. La colline où fut Fidène, sans être très-élevée, l'est assez pour faire douter qu'un tel travail ait pu facilement être exécuté. Si les Romains pénétrèrent dans la citadelle de Fidène, ce fut probablement par un souterrain creusé plus anciennement, un de ces cuniculi qu'on a retrouvés dans plusieurs villes antiques~, et qui remontent peut-être aux Pélasges.
Les guerres sabelliques détournèrent pendant quelque temps de l'Étrurie les armes des Romains, mais ils devaient y revenir. Les. incursions des Véiens recommencent, les FIdenates égorgent les colons romains qu'on avait envoyés dans leur ville. Rome est saisie d'un grand effroi. L'armée est postée à la porte Colline, on munit de troupes les remparts, on proclame lejustitium, les boutiques sont fermées, la ville ressemble à un camp.
Cornelius Cossus, celui-là même qui avait tué de sa main Tolumnius, est nommé consul. Il va camper à un mille etdemi (unedemi-Iieue) endeçàdeFidéneayantIes Abe]. M/M< p. 182-3.
hauteurs à sa droite, le Tibre à sa gauche'; l'ancienne position de Tullus Hostilius. Il fait occuper les collines pour tourner l'ennemi par derrière ces collines sans qu'il s'en aperçût. C'est toujours la même manœuvre employée tour tour par les Romains et par leurs adversaires, parce qu'elle était commandée par )a disposition des lieux.
Alors un spectacle inusité vint frapper les yeux des Romains les portes de Fidène s'ouvrent, il en sort une multitude portant des torches et toute resplendissante de feux\ Ce ne pouvait être qu'un moyen de terreur religieuse, imaginé par des prêtres étrusques. En effet, lessoldatsfurentd'abord effrayés, mais le dictateur Mamercus ~Emilius les rassure, les entraîne, et à la tête de la cavalerie se précipite à travers les flammes. Le corps de troupe qui a tourné les collines prend en queue les Étrusques attaqués de front par le dictateur..
Tandis que, pour regagner leur territoire, les Véiens se jettent dans le Tibre et que beaucoup d'entre eux disparaissent dans ses tourbillons, les Fidenates rentrent en désordre dans leur ville, les Romains y entrent à leur suite, et Fidène tombe de nouveau au. pouvoir des Romains, qui la perdront, la reprendront et la reperdront de nouveau. Voilà, au milieu du quatrième siècle, où en est la conquête romaine. Elle se fait Tit. Liv., tv, 32.
Tit. Liv., iv, 55.
encore en vue du Capitole. Ce n'est qu'à partir de 555 que Fidène sera définitivement réduite, et Fidène n'est pas à deux heures de Rome.
Dans les montagnes des Volsques, cette conquête était plus avancée que dans la campagne romaine. Les Romains allaient sans cesse d'un ennemi à l'autre. A peine eurent-ils jeté les Véiens dans le Tibre et repris possession de Fidène qu'ils coururent combattre les Yolsques. J'ai envie de faire comme eux et d'aller contempler un épisode remarquable de cette guerre de montagnes, qui se ra4tacho à une localité bien caractérisée.
C'était la colline qu'on appelait F~n'M~o la Verrue'; 1; elle se trouvait certainement entre le pays des ~ques et le pays des Volsques2, ce qui rendait sa possession très-importante. Aussi fut-elle plusieurs fois prise et reprise par les Romains et leurs ennemis, qui se la disputaient avec acharnement. On a tout l'eu de croire que c'est la colline isolée qui porte aujourd'hui Ce nom indique une colline isolée, faisant saillie sur la plaine comme une verrue sur le visage. Il y a près de Florence une colline nommée Verruca. ~TM~o a le même sens que Verruca. (Cat. ap. Gell., A'ccf. ~H., n), 7.) D'après l'analogie de la terminaison en o avec le grand nombre de mots sabins ou sabelliques terminés de même:Nerio, Anio, Pompo, Scipio, Dorso, Varro, Cicero, je suis porté à croire que t'~fM~o était la forme sabellique, et verruca la forme latine.
Il fallait qu'il en tut ainsi pour que l'occupatiun de cette colline par les Romains fût considérée comme un si grand malheur par ces deux peuples.
le nom de Colle Ferro et qui s'élève au pied des montagnes, à gauche et vers l'entrée de la vallée du Sacco, vallée que de Rome on voit s'ouvrir entre le massif habité par les Volsques et les montagnes des Herniques et des ~Eques.
Le nom de la Verrugo revient souvent, comme celui de l'AIgide~ dans le récit des guerres du quatrième siècle. L'Algide était le lieu ou les ~Eques et les Volsques se réunissaient pour combattre les Romains la Verrugo était la clef de la vallée que les ~Eques avaient à franchir pour venir opérer cette réunion au pied de l'Algide si ce point leur était enlevé, leurs communications avec les Volsques devenaient difficiles. En 510, ces deux peuples ayant appris que les Romains l'avaient fortifié/r~HM'ct~ de /MrcMr~. Ils parvinrent à l'arracher aux Romains; mais les Romains s'en emparèrent de nouveau, et de là purent ravager à droite et à gauche le territoire des. Volsques et le territoire des ~Eques.
La Verrugo fut témoin de divers faits d'armes les uns glorieux, les autres humiliants pour les Romains, je les raconterai pour donner l'idée des alternatives de revers et de succès dont se compose l'histoire de cette guerre de montagnes, qui, avec les pointes du côté de l'Étrurie, remplit presque tout le quatrième Nibb., Dint., m, p. 474. Abek., ~:«~ p. 75. Nibby croit retrouver dans le nom moderne de Colle Ferro une trace de Verruca. 'Tit. Liv., )v, 1.
siècle de Rome. Mais c'étaient toujours les succès qui avaientle dernier.
Le consul Spurius Atratinus combattait les Volsques au pied de Verrugo'. Dès le commencement de l'action, dit Tite Live%qui semble en avoir eu sous les yeux les détails conservés dans quelque mémoire de famille, on vit de quel .côté devait tourner la chance du combat. Les clameurs de l'ennemi étaient vives et bien nourries, les cris du soldat romain discordants, inégaux, mous, souvent interrompus l'ennemi pousse du bouclier, pointe de l'épée; les Romains regardent autour d'eux, leurs casques chancellent sur leurs têtes indécis, tremblant, chacun se serre contre le gros de la troupe enfin ils fuient. Tout était perdu quand un officier de cavalerie nommé Tempanius saute à terre et se fait imiter de tous les cavaliers; ils soutiennent le combat, rétablisent la résistance; mais ils sont entourés, on les croit perdus; cependant ils parviennent à occuper un lieu élevé, peut-être la Verrugo elle-même. Au milieu de la nuit l'ennemi, sur une fausse alerte, prend la'fuite. Quand le jour vient Tempanius s'aperçoit que les assaillants ont disparu; il va au camp romain et le trouve vide alors lui et ses cavaliers s'empressent de gagner Rome. On les croyait morts et l'armée détruite, l'effroi était au comble 1 Tite Live n'indique pas le lieu de ce combat, uiats Valère MMime (jn. 2, 8) dit « Apud Verruginem. »
Tit. Liv., ;T, 37.
lorsqu'on les vit paraître, un immense cri de joie s'éleva de toute la ville. Le tribun Hortensius intenta une accusation au consul Sempronius, mais Tempanius le défendit.
Une autre expédition contre Verrugo avait été précédée par d'orageux débats dans le Forum. Le tribun Maeniuss'était opposé àl'enrôlement,jusqu'à ce qu'une loi agraire .qu'il proposait eût passé. A ce moment on apprit que l'Arx Carventanal, poste important, avait été prise. Cet événement décida neuf tribuns à se séparer de leur collègue. Fort de leur appui, le consul procéda à l'enrôlement et, quelquesuns en appelant au tribun Msenius, il leur fit t<W~ cou Les soldats partirent fort irrités. Cependant l'Arx Carventana fut prise, mais ils n'eurent aucune part au butin tout fut vendu et le prix versé dans le trésor i, public; les soldats, encore plus mécontents du consul, le chansonnèrent pendant son triomphe. Maenius au contraire était toujours plus populaire. Les patriciens, en rétablissant pour cette année, comme ils le faisaient assez souvent, le consulat, empêchèrent que Maenius ne fût tribun consulaire, et les plébéiens s'en vengèrent en nommant pour la première fois des questeurs plébéiens.
Rucca massima, entre Cori et Vehetri; conjecture vraisemblable de Nibby. (Dint., m, p. 17.)
~Quum pancis appellantibus tribunum, coUum torsissel. (Tit. Liv., fv, 53.)
La colère des patriciens fut grande, celle des tribuns n'était pas moindre. Tout à coup on apprend que l'Arx Carventana a été reconquise par les ~Eques et que beaucoup de soldats ont péri les tribuns en profitèrent pour obtenir un compromis entre leurs prétentions et les résistances patriciennes ils se désistèrent alors de leur opposition à l'enrôlement. Mais toutes ces aigreurs semblent avoir nui à l'énergie militaire; les deux consuls parurent devant l'Arx Carventana et ne purent la prendre plus heureux a Verrugo, ils la prirent et l'occupèrent.
En même temps les patriciens remportaient à Rome une victoire politique; bien que le peuple eut obtenu les comices qu'il désirait, les trois tribuns consulaires qu'il nomma furent patriciens; on accusait, il est vrai, les patriciens d'une supercherie électorale de mettre sur la liste des candidats plébéiens indignes, pour dégoûter des choix plébéiens.
De nouvelles irritations se manifestèrent à Rome au sujet de la nomination d'un dictateur qui déplut fort aux tribuns consulaires eux-mêmes et donna occasion aux tribuns du peuple de se réjouir des divisions patriciennes. Les chefs de l'aristocratie, pour vaincre la résistance des tribuns consulaires curent même l'idée d'en appeler aux tribuns du peuple. Ces querelles absorbaient tous les esprits. Ce qui n'était pas bon, dit Tite Live, lorsqu'on avait une telle guerre sur les Tit. Liv., <v, M.
bras Deux des trois tribuns consulaires murmuraient contre le Bénatus-co~sulte qui allait leur ôter le pouvoir. Le troisième, Servilius Ahala, prit son parti il se-fit autoriser à nommer ~ë dictateur, et choisit P Cornélius, un des deux récalcitrants pour le moment tout fut arrangé.
Cornelius battit rapidement les Volsques et déposa la dictature. Mais tous ces tiraillements politiques avaient eu une fâcheuse influence sur le moral de l'armée, et Verrugofut prise par suite de l'indiscipline des troupes envoyées trop tard à son secours, et qui, s'étant mises ravager le pays, se tirent exterminer. Verrugo devait être témoin d'une nouvelle honte et d'une nouvelle gloire de l'armée romainé. Douze ans plus tard, pendant le siège de Voies nn des deux corps d'armée, commandé par le tribun consulaire Postumius, fut forcé de se réfugier sur des hauteurs à peu de distance de Verrugo, où était l'autre corps. Le premier lit un vaillant effort pour gagner cette position et percer la ligne des ~Eques, qui lui barraient le passage. Les cris poussés dans ce combat nocturne arrivèrent aux oreilles des défenseurs de Yerrugo, qui crurent le camp forcé, prirent peur et, quittant leur poste s'enfuirent jusqu'à Tusculum. Le bruit se répandit à Rome que Postumius avait été tué, mais il était vivant; le jour venu, il repousse les ~Eques, Tit. Lv., n, 57.
Tit. Liv., v, 28.
les poursuit, détruit leur armée et reprend possession de Verrugo, que des lâches avaient abandonnée. Ainsi l'histoire de cette colline isolée nous a donné le spectacle des difficultés politiques et des vicissitudes militaires au milieu desquelles s'accomplit au quatrième siècle de Rome la conquête des montagnes qui forment l'horizon romain.
L'histoire de Verrugo m'a entraîné au delà de l'époque de la prise de Voies. Je reviens à ce siège mémoble, et qui fut la première entreprise longue et considérable des Romains.
A quatre lieues de Rome, près de la Sforta, dernier relai que rencontrent les voyagenrs venant de Florence, est un lieu très-remarquable et très-pittoresque appelé l'Isola Fctrttgs~. Là fut Véies, dont les Romains eurent tant de peine à triompher.
Un plateau de forme à peu près triangulaire s'élève du sein de la campagne romaine. On voit les murs d'enceinte en grosses pierres, de maçonnerie étrusque, et on a reconnu plusieurs des portes de la ville; à l'extrémité orientale du plateau, sur une hauteur qui ne s'y rattache que par une langue de terre étroite et que l'on appelle encore la place d'arme était l'ancienne citadelle elle regardait du, côté de Rome, qu'elle semblait menacer 1. Véies était comme la tête Nibby (Dint., m, p. 424) place l'arx de Véies sur le sommet où est le château, et croit même retrouver la direction du Cuniculus dans le chemin qui y conduit. Mais ce sommet étant isolé, si )'ar.\ eût été
du bélier étrusque tourné contre Rome pour l'écraser. Des tombeaux, les uns romains, les autres étrusques, parmi lesquels il en est un trés-bien conservé, se' voient à l'extérieur de l'enceinte; à l'intérieur aucune ruine n'est debout.
Les Romains ne seraient jamais venu à bout de prendre Véies, qui faisait partie de la confédération étrusque, si elle eût été efficacement secourue par les autres villes de l'Étrurie; mais les délibérations du grand conseil national ne furent pas favorables aux Véiens; ils l'avaient offensé en refusant de mettre à leur tête le chef annuel qu'il voulait leur imposer i, et il fit la faute de les abandonner, s'en excusant sur la crainte des Gaulois* qui menaçaient. Cela montre que le lien fédéral n'était pas très-fort. Les anciens eurent des confédérations de vi)les, mais ne connurent guère de vraies fédérations. D'ailleurs Yéies n'était pas purement étrusque, son nom était sabellique~; elle avait eut un roi de cette race', et tout le pays environnant fut là, après l'avoir prise, il eût fallu livrer, pour prendre la ville, un assaut dont Tite Live aurait parlé, et dont il ne parle point. Tite Live (v, t) donne à ce roi des Véiens le nom de rex et le nom de MMfdM.
Tite Live, v, 17.
~a, dans la langue osque, dont les rapports avec la langue sabine ont été reconnus par Varron (De L. M., vu, 27), voulait dire plaustrum. (P. Diac., p. 368.)
L'affinité du Sabin et de l'Ombrien est certaine, et il y avait eu un roi de Veies, appelé Propertius comme le poëte Properce, qui était
à demi sabin; aussi ne trouva-t-elle d'alliés véritables que dans deux villes voisines, habitées par des populations au moins en partie sabines, Falère 1 et Capène. Tout prouve que le siège de Véies fut une rude entreprise il dura, dit-on, dix années; pour l'achever il fallut un grand homme, Camille et une mesure inusitée pour la première fois les'troupes passèrent l'hiver sous la tente et furent soldées deux innovations, dont la seconde était la conséquence de la preombrien. On faisait instituer les Saliens, prêtres sabins, par un roi de Véies.
Le site de Capène a été indiqué par de Nibby a Civiticola. (Nibb. Dint., <, p. 3'!5 ) Son nom paraît fort semblable à celui de Capua, par lequel les Samnites remplacèrent l'ancien nom de Vulturnum, ce qui donne à Capène une origine sabellique, et, vu sa position, sabine.
Furius Camillus était d'extraction sabine. Les Furii étaient Sabins comme le prouvent plusieurs de leurs surnoms Medullinus (de Medullia), et surtout Camillus, analogue à Cam~MMM, Sabin, à Camers, Ombrien, aux Camenes de Numa, au nom de Camasine, épouse de Janus. Virgile a appelé Camilla une héroïne volsque. Tout porte donc à regarder Camillus comme Sabin; de plus, ce nom se rattache aux Pétasges. Les Camilli, jeunes gens qui servaient dans les sacrifices, ont été rapprochés, par les anciens, de Cadmillos, l'Herme;i pélasge (Macr., Sat m, 8), serviteur des Cabires, dieux pé)agcs; un autre surnom des Furii était p'M<M<, semblable au grec philos. Les Furii seraient donc comme les Fabii une race sabine tenant aux Pélages. FMr~M ou t'MM'tM paraît avoir la même racine que le mot grec, /<)< homme, ou /Sr, voleur, d'où /«r, sabin comme Z~mMr. Les divinités infernales étaient sabines; la désinence sabellique en ur se retrouve dans Tibur et ~n~Mf. Remarquez que dans les mœurs héroïques, le nom de voleur est pris en bonne part, témoin les C~/ï<~ de la Grèce moderne.
mière, et qui excitèrent de vives féclamatiohs de ta part des tribuns contre les patriciens acoasés de vou*loir constituer une <!t'MM'< pemtcH~M~ tt d'éloigner les plébéiens en les retenant sous les arabes
L'on avait eniouré la ville assiégée d'un fossé et d'un relèvement de terre continu. C'était un bien grand ouvrage; il fut détruit par !es Véiens. A cette désastreuse nouvelle, toute opposition à la guerre fut abandonnée chacun rivalisa de zèle. Ceux qui, bien que compris dans les centuries des cavaliers, ne recevaient point un cheval de l'État, vinrent dans la curie offrir au sénat d'en entretenir un à leur frais. Les plébéiens, saisis d'une généreuse émulation, se précipitèrent dans le Comitium et s'offrirent pour aller assiéger Veies, promettant de ne revenir que lorsqu'elle serait prise. Les sénateurs, du haut des degrés de la curie applaudissaient de la voix et du geste plébéiens et patriciens pleuraient de joie, puis rentrés, dans la curie, ~les sénateurs y rédigèrent un sénatus-consulte par lequel ils ordonnaient aux tribuns consulaires de monter à la tribune pour remercier les volontaires à pied et à cheval et leur accordaient la sol<tMHiutaire belle scène de concorde patriotique entre le Forum et la curie, à laquelle ces Tit. Liv., Y, 2. Remotam in perpetuum et obligatam ab urbe et à republica juventam.
Tit. Liv., v, 7.
5 C'est le sens de ln concionem vocati.
lieux, ordinairement ennemis, n'étaient pas accoutumés.
L'agger que les Romains avaient construit autour de Veies fut réparé et les travaux du siége repris avec ardeur. Mais malgré cette ardeur, malgré la présence de Camille le siège ne faisait point de progrès, le sénat, craignant que les plébéiens ne finissent par se décourager, employa un artifice assez singulier pour soutenir leur confiance, en rendant les dieux garants de la réussite de l'entreprise.
Le lac d'Albe avait atteint une hauteur inaccoutumée on ne pouvait se rendre raison de ce phénomène causé par la fonte des neiges à la suite d'un hiver que nous savons avoir été extraordinairement rigoureux 2, et peut-être aussi par des agitations volcaniques dont l'effet avait étéd'encombrer les conduits naturels, comme il arriva dans les lacs de Baeotie et d'Arcadie On envoya demander à l'oracle de Delphes comment on pouvait remédier à la crue insolite des eaux. Des travaux d'écoulement existaient dès cette époque en Grèce. L'oracle annonça que Véies serait prise quand l'eau du lac aurait cessé de se jeter dans la mer, et de se répandre dans la plaine. Avant d'agir reçu cette réponse qu'il supposa peut-être, le sénat avait imaginé un moyen d'atteindre le but désiré le règlement des 1 Tit. Liv., v, 15.
Tit. Liv., v, 13.
Niebuhr-, tv, p 314
eaux, l'irrigation de la campagne et le saccès d'une autre entreprise à laquelle il tenait encore plus, la prise de Voies.
Comme on était en guerre avec l'Étrurie, on n'avait pas d'Aruspice pour conjurer le prodige; on n'avait non plus personne qui fût en état d'exécuter ces travaux hydrauliques dont les Étrusques possédaient le secret, ces émissaires qu'ils pratiquaient pour dériver l'eau de.leurs lacs et qui étaient chez eux un héritage de la science antique au moyendelaquelle lesPéIasges avaient creusé ou au moins élargi les conduits souterrains par lesquels les eaux du lac Copais se déversaient. Pour calmer les imaginations épouvantées par la crue du lac d'Albe, il fallait au sénat un Aruspice étrusque pour faire cesser cette crue menaçante il lui fallait un ingénieur étrusque; le sénat résolut de se procurer du même coup un Aruspice et un ingénieur, enfin de faire servir l'accomplissement d'un oracle à diriger les efforts, à exalter le courage et à amener par là le triomphe des Romains.
Voici comme le sénat s'y prit
Par suite de la longueur du siège, il s'était étabh de certaines t~itudes familières entre les assiégeants et les Yéiens. Un jour, un soldat romain qui était de garde sous les murs de la ville entendit un vieil Aruspice étrusque s'écrier a Les Romains ne prendront la Cic., DM' n, 52.
0. MiU! Efr., p. 218.
ville de Véies que lorsqu'ils auront fait écouler dans la plaine l'eau du lac d'Albe. La ressemblance de cette prédiction bizarre avec celle que les envoyés du sénat rapportèrent de Delphes peu de temps après, rend bien vraisemblable que le sénat ne fut étranger ni à l'une ni à l'autre.
Le soldat, frappé d'une si singulière exclamation, et donnant un exemple de cette crédulité aux promesses d'un sorcier qui n'exclut pas des violences contre sa personne, dont on trouverait des exemples chez tous les peuples superstitieux et particulièrement chez le peuple romain, lequel maltraite les madones quand elles n'exaucent pas ses vœux; le soldat, s'étant approché du vieux devin sous prétexte de le consulter sur quelque prodige, le saisit tout à coup dans ses bras, l'emporta en dépit d'une résistance, je crois, simulée, et alla le déposer dans la curie, en plein sénat.
L'Étrusque parut regretter ce qu'il avait dit; mais, le mal étant fait, déclara persister dans sa prophétie, et en même temps il indiqua les moyens d'opérer une dérivation des eaux du lac.
Bientôt les envoyés revinrent de Delphes et rapportèrent la réponse de l'oracle, qui coïncidait merveilleusement avec la prédiction de l'Étrusque il n'y avait plus de place pour l'incertitude.
L'Aruspice devint un grand personnage il fut chargé de ~rocMt'~r le prodige, c'est-à-dire de détourner les con
séquenses funestes qu'il pouvait avoir, et de faire tout ce qu'il fallait pour apaiser les dieux.
Mais le sénat ne fut pas seul à en tirer parti, et sa ruse tourna en partie contre lui les plébéiens me paraissent avoir su profiter aussi de la confiance açcordée au devin; car le devin ayant déclaré que. les dieux étaient irrités de ce que les fériés latines n'avaient;pas été convenablement célébrées sur le mont Albain et que par suite l'élection des tribuns consulaires était vicieuse, ceux-ci furent contraints d'abdiquer et remplacés par d'autres tribuns consulaires, dont on décida que la majorité serait plébéienne.
Ce fut un incident imprévu et qui n'était pas, je crois, dans le plan primitif de la comédie. Car le lecteur a, j'imagine, déjà vu clair dans le manège; le monologue du vieil Étrusque, prononcé tout juste de manière à être entendu par le soldat romain, a dû éveiller ses soupçons. On peut supposer que ce monologue avait été conseillé en secret et probablement assez bien payé par le sénat, lequel, en calmant les inquiétudes nées du prodige et qui pouvaient décourager le soldat, dont un siège prolongé commençait à ébranler la patience; en réalisant la condition mise par un double oracle à un succès, ce qui était un excellent moyen d'assurer ce succès, voulait en même temps faire accomplir une œuvre utile et capable de rivaliser avec les grands travaux des rois ses prédécesseurs. H fallait un Étrusque pour prescrire l'entre-
prise au nom du ciel et pour en diriger l'exécution on fit parler et enlever le bonhomme et creuser l'émissaire par ses soins.
Cette petite comédie religieuse pouvait avoir encore un autre objet nous allons voir que Véies fut prise au moyen d'un conduit souterrain (cuniculus) peutêtre le sénat avait-il dès lors concerté avec Camille le projet de ce cuniculus et avait-il besoin aussi pour cela d'un Étrusque, qu'il y employa plus tard, après l'avoir employé au percement de l'émissaire du lac Albain.
Cet émissaire est le plus grand ouvrage qu'ait accompli la république romaine 1 il est percé à travers la roche volcanique sa largeur est de cinq pieds, sa hauteur de sept à huit pieds des puits nombreux y descendent du sommet de la colline, des corridors y aboutissent, destinés à l'extraction des matériaux. A t'entrée il est revêtu de murs, dont la direction est oblique, moyen d'amortir l'impétuosité du courant qu'on remarque dans les aqueducs de Rome, souvent ~J'ai transcrit, à peu de choses près, la description de l'émissaire du lac Albain, qu'a donnée Hirt dans son histoire de l'architecture antique (die Gescinchte der baukunst bey der Alten, ir, p. 105), parce qu'eue m'a paru la plus complète. Mais je dois dire que les dimensions de l'émissaire ne sont pas si considérables suivant Abeken et Nibby. Le premier (M!M~ p 179) ne lui donne que quatre mille pieds de longueur; pour la hauteur, six pieds pour la largeur, quatre. Nibby (Dint., r, p. 102) lui donne une longueur de sept mille cinq cents pieds, connue Hirt; pour la hauteur et la largeur, il s'accorde avec Abeken.
coudés, et dans la piscine connue sous le nom des sette sale, sur l'Esquilin. En avant d'un mur transversal, dans lequel ont été ménagées des ouvertures pour permettre le passage des eaux, était une grille disposée de manière à arrêter les objets qui auraient obstrué le canal; au delà est un réservoir dans lequel se déposent les impuretés de l'eau, et qu'on peut nettoyer quand il convient; en avant du point où le canal s'enfonce dans les profondeurs de la terre est une salle murée et garantie contre le poids de la montagne par une voûte d'une solidité telle, que les racines des chênes qui croissent au-dessus en s'insinuant à travers les gros blocs dont elle est formée n'ont pu l'endommager notablement.
La même disposition se remarque à l'extrémité opposée l'émissaire est terminé par un grand réservoir voûté d'où l'eau s'échappe par cinq ouvertures; delà, conduite travers la campagne/elle va se jeter dans le Tibre à une lieue environ au-dessous de Rome. Tel est l'émissaire du lac d'Albano, qui présente une remarquable entente du nivellement*.
Selon Tite Live, ce grand travail fut achevé en moins de deux années on ne croirait pas ce témoignage de l'historien, si les puits ouverts au-dessus du canal ne permettaient de supposer que le percement a été
'Kibb.,PM<p.l05
opéré sur un grand nombre de points à la fois', et, malgré cette explication, j'ai encore de la peine à admettre que les choses aient pu marcher si vite. M. Mommsen rejette absolument l'histoire de l'Aruspice enlevé, histoire pourtant si vraisemblable, et voit dans l'émissaire du lac d'Albe un ouvrage des anciens Albains à l'époque où ils étaient à la tête de la confédération latine. On pourrait croire aussi qu'il fut plus anciennement encore, comme l'ont peut-être été en Grèce les travaux du même genre, l'oeuvre des Pélasges. Même en supposant que les Pélages l'eussent commencé, il aurait toujours été achevé parun Etrusque, car la voûte yparait, la voûte est étrusque et non pélasge".
Cette explication est donnée par Nibby et par Niebhur. Mais tous deux paraissent avoir exagéré le nombre des puits, que Nibby porte à cinquante et Niebhur à soixante. (Abek., Mittelit., p. 180.)
ti est possible qu'un conduit souterrain fort antique existât avant l'époque romaine, car on a reconnu les traces d'un conduit du même genre qui portait les eaux du lac de Némi dans la vallée de Laricia, elle-même autrefois un lac, et de cette vallée dans la plaine. Un cours d'eau dérivé du lac de Némi, qui s'appelle Rio <MM, passe encore par deux ouvert ures artificielles qui font communiquer, l'une, le lac de Némi avec la vallée d'Aricia,et l'autre, cetui-ci, avecla c'ampagne. Ce courant traversait l'ancien lac d'At'icia. Les deux conduits sont d'une haute antiquité, car l'histoire ne sait rien de leur percement; et d'ailleurs ce percement remonte à un temps où le lac d'Aricia n'avait pas été dessëchë, temps dont it ne restait au temps de Pline qu'un vague souvenir. (PI., Hist. nat., xix, 4),'5.) Si l'émissaire du lac d'Albe préexistait à l'époque de Camille, et si on n'a fait alors que le réparer et l'a-
L'émissaire fonctionne encore aujourd'hui; par lui les eaux du lac arrosent la campagne romaine et vont se jeter non d.ans la mer mais dans le Tt~re l'oracle a donc été obéi, auM! Véies a été prise.
D'abord cependant la promesse de l'orade ne parut pas devoir s accomplir. Deux tribuns consulaires qui combattaient contre les Falisques tombèrent dans une embuscade, l'un 'd'eux y périt à cette nouvelle, une grande terreur se répandit dans Rome, et, dans l'armée des assiégeants, on eut peine à empêcher les soldats de prendre la fuite. Rome était très-agitée on disait le camp de Véies ibrcé et les ennemis approchant de la ville. Les hommes s'élançaient sur les remparts, les matrones se pressaient dans les temples et imploraient les dieux.
Camille fut nommé dictateur et le sort de Veies fut décidé. Tout change alors, les prévisions de l'avenir, l'âme des citoyens et la fortune de la ville. Camille punit militairement les fuyards, décrète un enrôlement se transporte à Véies, revient à Rome pour lever une nouvelle armée. Son activité suftit à tout. ·
Il n'oublia pas les dieux il fit vœu de relever le temple que Servius Tullius avait consacré à la déesse Matuta dans le marché aux bœufs. Relever un temple consacré par Servius Tullius de populaire mémoire, dans ce moment où les plébéiens avaient si bien mérite grandir, la rapidité avec laquelle Tite Live assure qu'il fut construit s'explique naturellement.
de la patrie, était un à-propos.Camillebat les auxiliaires de Véies près de Népi, augmente les travaux de siège et entreprend enfin celui qui devait décider la prise de la ville ce conduit souterrain, ce cuniculus célèbre qui amena les assiégeants dans la citadelle, conduit souterrain dont on a nié l'existence, mais auquel je ne vois nulle raison de ne pas croire, bien qu'on n'ait pu encore le retrouver'.
Par une déférence dont un dictateur aurait pu se dispenser, Camille envoie demander au sénat ce qu'il faudra faire du butin. Claudius qui, comme tous ceux de sa race, dédaignait la popularité, fut d'avis de l'employer à réparer le trésor public épuisé, de le déposer dans le temple de Saturne ou tout au moins de le faire servir à solder l'armée. Mais le sénat, qui ne voulait pas perdre la faveur populaire, décida qu'il serait partagé entre les soldats et tous ceux qui se rendraient au camp. Le camp fut bientôt rempli d'une multitude que cette perspective attirait. On peut dire que Rome tout entière prit part à la prise de Véies.
Alors le dictateur sort de sa tente; les auspices étant t favorables, il fait prendre les armes aux soldats, et, fidèle au caractère religieux qu'il montra toujours, voue à Apollon, dont l'oracle avait annoncé le succès qui approchait, la dixième partie du butin; il évoque la Junon protectrice et habitante de Véies, l'ancienne Abeken (Mittelit., p. 183) cite plusieurs exemples de CMMKW~ dans d'autres villes ilaliotes.
déesse pélasge dont le culte s'était conservé dans tout ce pays, lui demande de suivre bientôt les vainqueurs dans une ville qui sera la sienne; puis, faisant, avec l'armée nombreuse dont il dispose, attaquer Véies de tous les cotés à la fois, pour mieux cacher son artifice, il lance ses meilleurs soldats dans le conduit souterrain. Ici se place une légende que Tite Live lui-même reconnaît pour telle 1.
Le roi de Véies offait un sacrifice dans le temple de Junon. Les Romains, du souterrain où ils étaient encore cachés et d'où ils allaient sortir, entendirent l'Aruspice dire au roi Ceux qui enlèveront les entrailles de la victime auront la victoire. Aussitôt ils s'élancèrent du souterrain, enlevèrent les entrailles de' la victime et les portèrent au dictateur. ·
La ville fut livrée au pillage. On dit qu'à l'aspect des misères qu'il ordonnait Camille versa des pleurs. On disait aussi qu'élevant les mains vers le ciel il fit cette prière < Si ma fortune et celle du peuple romain semblent trop grandes, qu'il nous soit donné de Tit. Liv., v, 2i. Inseritur huic loco fabula. Tite Live ajoute « Dans des événements si anciens, il me suffit que les faits soient vraisemblables, et qu'on puisse les accepter pour vrais. De telles choses sont plus faites pour être représentées sur la scène, amie du merveilleux, que pour être crues. Mais je ne trouve pas qu'il vaille la peine de les affirmer ou de les rejeter. » Tite Live fait connaître ici le procédé qu'il a suivi dans le récit des événements accompagnés de quelques circonstances merveilleuses Il est trop sage pour affirmer, trop bon Romain pour nier, il raconte.
conjurer la jalousie des dieux et des hommes par le moindre malheur possible, a C'estce que le sort ne devait acccorder ni à lui ni à Rome, car il devait être banni par ses concitoyens et Rome prise par les Gaulois. Véies fut dépeuplée, on vendit tous ceux de ses habitants qu'on n'avait pas égorgés, ce qui m'empêche d'être fort touché des larmes que Camille répandit sur Véies comme Scipion ~Emilien sur Carthage. Au centre de l'ancienne enceinte s'éleva un municipium romain dont quelques restes ont été reconnus mais tout alentour demeura la solitude, et Properce a pu peindre un berger couché sur les ruines de Véies, des laboureurs qui moissonnent au milieu de ses débris. « Nunc intra mMro.s pastoris buccina lenti
Gantât, et in vestris ossibus arva metunt. »
C'est comme quand, à propos de Fidène et de Gabie, qui semblent avoir subi également une destruction partielle,Horace s'écrie « Quoi de plus désert queFidène et queGabie'! HquandLucaindit~qu'un jour, Gabie, Véies, 1 On y a trouvé les têtes colossales d'Auguste et de Tibère, et la statue assise (!e Tibère, qui sont !Th Vatican. Vingt-quatre colonnes, transportées de Véies à Rome, ont servi à décorer, les unes la nouvelle église de Saint-Paul, les autres un édifice sur la place Colonne. C'est le dernier exemple de colonnes volées à un monument antique pour embellir une construction moderne. Je voudrais, mais je n'ose espérer, que ce soit réellement le dernier.
Hor., Ep. l, 11, 7.
« Gabios, Veiosque Coramque
Puivere vix tactœ poterunt monstrare ruitice. »
Phars., Yn, 393.
et Cora, prophétie qui s'est réalisée, pourront a peine être reconnues à leurs ruines. Il y a quelque chose de doublement mélancolique dans ces retours sur le passé par ces hommes, que nous n'apercevons nousmêmes que dans le passé. C'est la mort qui gémit sur la mort.
Puis Camille voulut tenir sa parole à Junon et l'emmena à Rome; mais il s'y prit avec la plus grande religion. De jeunes Romains, le corps purifié par un bain sacré, entrèrent dans le temple et posèrent sur elle leurs mains avec respect. L'un d'eux, plus hardi, lui dit « Junon, veux-tu aller à Rome? » et Junon répondit « Je le veux bien ? » Il y a quelques années, on parlait beaucoup des clignements d'yeux d'une madone de Rimini.
On bâtit sur l'Aventin un temple pour Junon, et Camille eut l'honneur, qu'il avait bien mérité, de le dédier quatre ans après la prise de Véies; il devait y avoir eu sur l'Aventin un ancien culte de Junon, la déesse sabine, au temps ou les Sabins avaient occupé cette colline auprès dés Pélasges, car elle y était honorée avec Jupiter et Minerve, comme sur le Quirinal dans l'ancien Capitole sabin De plus, l'Aventin, mont pléTite Live (v, 22) explique la légende d'une manière qui peut être vraie en disant qu'elle fut imaginée, parce que Junon fut transportée facilement à Rome comme si elle suivait. Plutarque (C<KH~ 6) cite .:c Live un peu inexactement.
Une autre trace de fa présence des Sabins aborigènes sur t'A\en-
béien dès le temps d'Ancus et qui le fut encore plus depuis la loi Icilia, l'Aventin était bien choisi pour le nouveau temple, car l'expédition de Véies avait rattaché les plébéiens; on leur devait beaucoup, et le sénat, qui les avait remerciés de leur patriotisme, qui leur avait abandonné le butin malgré Claudiusdontla sévère économie voulait le faire entrer dans la caisse de l'État, le sénat peut bien avoir fait encore cela pour eux. La statue transportée était en bois', ce qu'on peut considérer comme une marque d'antiquité. Les matrones romaines offrirent plus tard à la déesse une statue d'airain"; mais on revint à l'usage antique, et on lui dédia postérieurement des statues en bois de cyprès~. L'on arrivait au temple de Junon par le Clivus Publicius, montée qui correspondait à peu près à celle par où l'on va aujourd'hui à Sainte-Sabine Le temple de Junon était probablement là où est cette église près de ceux de Jupiter et de Minerve~, et formant avec eux, tin subsiste peut-être dans le nom de sainte Prisca, à laquelle une égUse, non loin de Sainte-Sabiue, est consacrée. Prisci était, nous l'avons vu, le nom des anciens Sabins.
Den d'Hat., ~m~m., xm, 3.
Tit. Liv., xxt, 62.
Tit. Liv., xxYH, 37.
Le Clivus Publicius fut construit par les deux frères PuMicius, édites. Jusque-là, le rocher était à pic. (Varr., de L. lat., v, 158; 0~ Fast., v, 293.) Ce Clivus Publicius conduisait du forum Boarium au temple de Junon. (Tit. Liv., xxvu, 37.)
Les trois temples sont cités ensemble dans )'insc)'i[)!ion d'Ancyre comme ayant été refaits par Auguste.
vers le point le plus élevé de la colline, le Capitole de l'Aventin.
On peut supposer que les belles colonnes de la basilique de Sainte-Sabine proviennent du temple qu'elle a remplacé, bien que Tite Live crût la demeure de Junon établie en ce lieu pour jamais Le nom même de la sainte à qui cette basilique fut dédiée au cinquième siècle de notre ère est peut-être un souvenir de Junon déesse sabine 2..
Camille fut reçu à Rome avec enthousiasme, la ville entière vint au-devant de lui; il monta au Capitole sur un char attelé de quatre chevaux blancs. On jugea que ce triomphe était trop superbe, qu'un char ainsi attelé ressemblait trop à celui de Jupiter qui couronnait le temple. Némésis avait une statue sur le Capitoles. La déesse, bravée presque dans son sanctuaire par trop de gloire et d'orgueil, punit l'orgueil et la gloire. Cette autre Némésis qui régnait au Forum et qui elle aussi n'aimait pas ce qui s'élevait trop, la plèbe In A~entinum, œternam sedem suam.
(Tit. Liv., Y, Mn.)
Mère, cette constante alliée de Véies dont la population, n'étant pas purement étrusque, devait être en partie sabine, avait un temple célèbre de Junon. Ovide (F<M< Vf, 49) appelle les Falisques adorateurs de Junon, et la colonie qu'y établirent les triumvirs s'appela colonia Junonia Faliscorum. (Nihby, Dint., H, p. 22-3.) 3 Pt-, Rist. nat., xxvttr, 5, 1. Le culte de Némésis au Capitole étant lié, à ce qu'il paraît, avec la superstition très-antique du ~MCMMm, il est possible que ce culte remontât. comme cette superstition ellemême, jusqu'au temps des Pélasges
romaine commença à voir d'un œil jaloux le triomphateur dès ce moment l'envie s'attacha à Camille et en descendant du Capitole, il commença à descendre de sa haute félicité.
Camille paraît avoir été un homme religieux', je dirais sincèrement dévot, car en fait de religion, les termes qu'on emploierait aujourd'hui à Rome conviennent souvent à la Rome antique; il eut un scrupule de conscience. Du butin dont l'armée s'était emparée, la dixième partie avait été vouée par lui à Apollon, dont le temple venait d'être construit, dont le culte nouveau, ou plutôt renouvelé était l'objet d'une grande ferveur. Décider les soldats à rendre ce qu'ils avaient pris n'était pas facile. Les, prêtres, j'allais dif les casuistes, consultés, imaginèrent un biais pour se tirer d'affaire. Ils déclarèrent que la religion serait satisfaite, si chacun après avoir estimé sa prisr-, en offrait la dixième partie. Mais Camille était un rigoriste. Il altait partout disant, ce sont les paroles de Tite Live~, que sa conscience ne lui permettait pas de se taire, que l'on parlait seulement du butin, mais que dans sa pensée son vœu s'était étendu aussi à la terre conquise sur l'ennemi. Les prêtres, consultés de nouveau, Dingentissimusretigionum cultor. (Tit. Liv., v, 50.)
2 Emprunté aux Grecs et renouvelé des Pélasges, auxquels pouvait remonter le culte probablement très-ancien de l'Apollon du Soracte, ~O~M:M Apollo.
Tit. Liv., v, 25.
déclarèrent qu'il avait raison et que la dîme devait être prélevée sur le territoire de Véies, bien qu'appartenant à cette heure aux Romains. Les scrupules de Camille commencèrent à ébranler sa popularité; pour la consolider, il fit contre les Falisques une campagne heureuse, dans laquelle on place l'aventure du maître d'école, mais malgré ce nouveau succès, il ne put ramener à lui la faveur des plébéiens.
Ils s'en prirent à tout à son triomphe, qu'ils disaient sacrilège, au vœu qui privait l'armée d'une partie de son butin. On lui reprocha d'avoir mis des portes de bronze à sa maisons, enfin on accusa de vol cet homme si timoré. On prétendit qu'il s'était approprié une part des richesses trouvées à Véies. Tous-les genres de malheur fondaient sur sa tête un de ses deux fils tomba malade et mourut. Le grand Camille, et ce trait le fait aimer, négligea l'accusation qui lui était intentée et s'enferma dans l'appartement des femmes pour pleurer son fils.
Les plébéiens aigris contre lui se préparaient à le condamner. Camille rassembla ses amis, ses compagnons de guerre et leur demanda leur appui. Il le lui refusèrent, offrant seulement de payer l'amende qui lui serait imposée. Il n'accepta pas, et, après avoir embrassé sa femme et le fils qui lui restait, indigné, il résolut de sortir de Rome pour aller se réfugier à Ardée.
'Ptnt.,CMK/<12.
Il marcha en silence jusqu'à la porte Trigemina*; arrivé là, il s'arrêta, se retourna vers le Capitole, et, tendant les mains vers la sainte colline qui avait vu l'éclat de son triomphe, il pria les dieux, si le traitement qu'il recevait des Romains n'était pas mérité, que ce peuple ingrat eût un jour besoin de Camille.
Sa prière devait être exaucée. Les Gaulois approchaient, précurseurs lointains des futures invasions barbares.
On supposa plus tard que la venue de ce peuple formidable avait été annoncée miraculeusement. On racontait qu'un Romain, nommé Marcus Caedicius, revcnant le soir, par la rue Neuve et passant entre le bois Sacré et le temple de Vesta, avait dans ce lieu, auquel l'ombre du Palatin donne encore aujourd'hui un sombre aspect, entendu une voix plus forte qu'une voix humaine lui dire & Va, Marcus Csedicius, et avertis les chefs de l'État que l'arrivée des Gaulois est proche. » S'il y a quelque chose de vrai dans ce récit, on peut soupçonner que le sénat,sachant qu'en effet les Gaulois approchaient, avait fait parler la voix pour exciter le peuple à marcher contre eux. Un doubje monument
1 l'Iut., Camill., 12.
On pouvait aussi se rendre à Ardée en sortant de Rome par la porte Capène; mais de cette porte Camille n'aurait pu tendre les mains vers le Capitole, qui, pour lui, aurait été masqué par le Palatin.
resta de cet avertissement prophétique un autel 1 et un sanctuaire~.
On éleva au dieu inconnu qu'on appela ~M<Loc!<<M, celui qui avait par~, un autel entouré d'une enceinte sacrée; Cicéron et Tite Live le virent encore. La voix était sortie, disait-on, du bois sacré de Vesta, lequel descendait le long de la pente inférieure du Palatin, Virgile semble faire allusion à cette voix,
Cet autel était sur le côté de la rue Neuve opposé au Palatin. La voix fut entendue sortant du bois de Vesta, qui dominait la rue Neuve. Un autel fut construit à Ajus parlant (Ajo loquenti) en face de ce lieu (Cic., de Div., <, 45). au-dessous du point où la rue Neuve, après s'être séparée de la voie Sacrée, commençait à descendre, infima nova via (Varr. ap. Gell., Noct. aM., xn, 17), par opposition à summa, mais non dans la partie inférieure de ceLte rue, vers le Vélabre car l'autel et le sanctuaire d'Ajus Locutius Étaient au-dessus du temple de Vesta. (Tit. Liv., v, 52.)
Ubi nunc sacellum est. (Tit. Liv., ib.)
Au temps de Cicéron, c'est ainsi qu'on entendait ces deux mots. car il met /<~MfM au lieu de locutius; mais, dans l'origine, il s'agissait peut-être de deux divinités dont les noms étaient synonymes (Ajo et Lc~Mor), ce que Dutarque (Camill., M; de Fort. Rom., 5) a rendu deux fois par m~~ xed x~))); Niebuhr a montré que et se supprimait volontiers dans les anciennes formules latines (patres conscripti, pour patres et conscripti). Quoi qu'il en soit, il s'agit d'une divinité ou de deux divinités bien romaines. Ajus Locutius passait pour présider aux premières paroles de l'enfant. Or ces dieux sans nombre, qui avaient sous leur empire chaque détail et chaque moment de notre vie, depuis la naissance et avant la naissance, ces dieux sont pour moi les dieux vraiment indigènes de Rome, ceux qui appartiennent réellement au peuple romain.
quand, parlant d'autres présages, ceux qui annoncèrent la mort de César, il dit
Vox quoque per ~«;o.< vulgo exnudita silentes
fngens.
Georg., <, 476.
« On entendit à travers les bois silencieux une grande voix. a
Premiers rapports des Romains et des Gaulois. Défaire de )'A)lia.- Les Gaulois à Rome; incendie de la ville, massacre des vieux patriciens. Les Gaulois tentent de surprendre le Capitole; ils sont repoussés par Manlius. Temple de Junon Moneta. Effet de la Ma/ans,' les Gaulois se décident à lever le siège. Basta Gallica. Mensonge de Tite Live, Rome s'est rachetée.– Les plébéiens veulent transporter Rome à Véies; les patriciens et Camille résistent. On rebâtit la ville à la hâte; de là son irrégularité. Temple de Mars. On garantit le Capitole par une muraille. Jugement, condamnation et mort de Manlius. Le sénat appelle Camille pour qu'il s'oppose aux lois Liciniennes. Scène orageuse au Forum. Accord des partis, temple de la Concorde. Les Gaulois qui menaçaient Rome ne venaient pas directement de la Gaule, d'où ce peuple aventureux était déjà venu en Italie sous le règne du premier Tarquin. Dès lors, l'Italie était en partie gauloise et le fut plus tard. On sait qu'au temps de César, la Gaule s'étendait jusqu'au Rubicon, et que la ville de Lucques y était comprise. Le nom que porte Sienne, elle
M l
LES GAULOIS
le doit aux Senones, comme la ville de Sens leur doit le sien.
C'étaient les Senones qui, après avoir pénétré jusqu'à Clusium (Chiusi), au cœur de l'Étrurie, rencontrèrent les Romains. Ceux-ci avaient envoyé en ambassade au Brenn ou chef gaulois, pour intervenir auprès de lui en faveur des Étrusques, trois Fabius; ils devaient être tiers de protéger ceux qu'avaient si vaillamment combattus leurs ancêtres. Le Brenn répondit avec une fierté toute gauloise, mêlée d'un peu de jactance qui ne l'était pas moins, et déclara n'avoir jamais entendu parler des Romains, ce qui n'était guère vraisemblable. Le vieil orgueil des Fabius se révolta; oubliant leur situation d'arbitres, ils se mirent dans les rangs étrusques, et attaquèrent les Gaulois. Les barbares indignés de cette violation du droit des gens, envoyèrent des députés s'en plaindre à Rome. La curie leur était favorable, le sénat voulait faire livrer les Fabius par des féliaux; mais, au Forum, ne s'étaient pas conservées de même les.traditions du droit international sabin les plébéiens se moquèrent des Gaulois et du droit des gens; dans le Champ de Mars, les comices par centuries, devenus très-démocratiques depuis leur amalgame avec les comices par tribus, par une de ces bravades qui plaisent à l'emportement des multitudes, choisirent pour tribuns consulaires les trois Fabius.
A cette nouvelle, les Gaulois, saisis d'une de ces
colères que cette nation, dit Tite Live*, ne sait pas réprimer, la furia francese, si célèbre depuis en Italie, les Gaulois se précipitent sur Rome. Les Romains passèrent le Tibre pour les arrêter au delà du fleuve mais les Gaulois le franchirent plus haut. Les Romains le repassèrent alors, et, suivant la voie Salaria, s'avancèrent contre l'ennemi près de l'AUia nom funeste iM/NM~Mm Allia HOtH~H.
L'Allia est un des petits cours d'eau qui se jettent dans le Tibre vers le douzième mille au-dessus de Rome. Je n'hésite pas à le reconnaître avec M. Posa, dans le cours d'eau appelé Scannabecchi, lequel descend des collines Crustuminiennes, comme on le dit de l'Allia.
Quant au.champ de bataille, il faut le chercher de ce côté dans une plaine assez vaste, car le nombre des Gaulois était considérable~. Tite Live nous apprend que pour résister à cette multitude, les Romains, beaucoup moins nombreux, avaient dû allonger leurs ailes, ce qui affaiblit leur centre; il faut aussi qu'à l'est de cette plaine on trouve ces collines sur lesquelles fut placée la réserve, qui tint bon quelque temps, grâce à sa position.
Tit. Liv., ï, 37.
Diod., x<v, 114.
3 Quelques années plus tard, les Romains réhabilitèrent un peu ce nom en battant les Prénestins près de l'Allia. (Tit. Liv., ~i, 29.) Diodore de Sicile (xrv. 114) dit soixante-dix mille.
S Paulùm erat ab dextra ~'<! loci. (Tit. Liv., v, 58.)
Ces diverses circonstances et la distance de onze à douze milles indiquée par les auteurs, me conduisent à placer le théâtre du combat de l'Allia dans la plaine qui s'étend entre le Tibre et les collines, sur une largeur d'environ deux milles et de la Marcigliana à Santa Colomba~.
Ce lieu fut témoin d'un grand désastre ceux de l'armée romaine qui occupaient les hauteurs de droite, bien que la principale attaque eût été dirigée contre eux, purent regagner Rome. Ils se retranchèrent dans la citadelle, sans songer, tant leur précipitation fut grande, à fermer les portes de la ville; tout le reste fut repoussé vers le fleuve. Un affreux carnage se fit sur ses bords, et beaucoup de fuyards en voulant gagner Véies périrent dans les eaux. Quelques-uns se réfugièrent dans un bois qui existait alors entre la voie Salaria et le Tibre.
On ne peut s'expliquer cette déroute des Romains que par la nouveauté de leur ennemi. Les Romains n'étaient pas accoutumés à ces hommes de grande taille qui poussaient des cris terribles, bondissaient et hurlaient comme des sauvages, et leur semblaient des bêtes féroces plutôt que des hommes 2. Les dcsNibby (Dint., t, p. ~5) le place aux environs de Torre San Cio~anni. C'est pour retrouver l'Allia dans le Fosso della Conca, qui passe à tM P<MM. Mais alors la bataille n'aurait pas eu lieu au bord du Tibre.
K~rt«~ e~ 6)]p:')3)]TTK-M. (Âpp., Be~. Go~ ff~M.)
cendants des guerriers gaulois qui sont maintenant à Rome ne rappellent leurs ancêtres que par leur fougueuse bravoure; mais elle est réglée par la discipline; ils marchent en silence au combat et ne ressemblent point à des bêtes féroces; enfin les plus vaillants soldats de l'Europe sont les plus petits.
Les Gaulois, si impétueux dans l'attaque, ne se pressèrent pas de marcher sur Rome, qui était bien voisine; étonnés de leur victoire, ils passèrent la nuit à chanter des chants guerriers, à faire des monceaux d'armes, à couper des têtes et à enterrer leurs morts, dont un tertre, près de Santa Colomba, contient peut-être les ossements.
Le lendemain de la bataille, vers le soir, ils arrivèrent aux portes de la ville, qu'ils furent bien surpris de trouver ouvertes. Personne ne paraissait pour la défendre; craignant quelque embûche, ils s'arrêtèrent et établirent leur camp entre Rome et l'Anio 1, au nord de la villa Albani, sur les petites hauteurs où est la villa Chigi. A Rome, cette nuit se passa dans les transes et les gémissements. Renonçant à défendre la ville, on décida que le sénat et les hommes en état de porter les armes s'enfermeraient dans la citadelle du mont Capitolin. Les vieillards, pour ménager les approvisionnements du Capitole déclarèrent qu'ils mourraient dans leurs maisons.
On jugea, dit Tite Live, que la perte des vieillards Tit. Liv, v, 59.
importait peu. Une portion du peuple gagna le Janicule et se répandit dans la campagne quant aux vieillards consulaires, un Fabius, qui était grand prêtre, les dédia solennellement aux dieux infernaux pour le salut de la patrie'.
Il fallait sauver le Palladium et le feu sacré. Les vestales, conduites par le flamen Quirinalis, les emportèrent avec elles, se dirigeant vers Csere 2 (Cervetri). Après avoir franchi le pont Sublicius, comme elles commençaient à gravir la pente du Janicule par la montée qui conduit aujourd'hui à la Tit. Liv., v, 41. Tite Live dit « Pro patria Quiritibusque Romanis )~ S'il a, comme c'est possible, conservé la formule de la consécration, on peut remarquer cette expression a Quiritibus Romanis, » les Sabins de Rome. C'est pour les Sabins de Rome que voulait mourir l'aristocratie sabine.
Csere, autrefois la pélasgique Agylla, était un asile convenable pour le culte de Vesta, qui remontait aux Pélasges.
Selon Plutarque (C<nMH., 20), on déposa une partie des choses sacrées au Capitole; le reste fut placé dans des tonneaux, c'est-àdire de grands vases de terre, qu'on enfouit sous le temple de Quirinus, dans un lieu qui, pour cette raison, s'appela toujours Doliola, et où il n'était pas permis de cracher (P. Diac., p. 69); ce lieu, indiqué par Plutarque dans le temple de Quirinus, et par Tite Live (v, 40) a Sacello proximo œdibus flaminis Quirinalis, » devait être voisin du Comitium, s'il n'était dans le Comitium même, où une tradition voulait qu'on eût déposé autrefois dans un m«M~M d'autres objets sacrés; il ne faut pas chercher les Doliola près de l'embouchure de la Cloaca Maxima dans le Tibre, parce que Varron (De L. lat., v, 157) dit qu'ils étaient a~C~eem Maximam. La Cloaca Maxima, qui recueillait les eaux de l'Esquilin et communiquait avec les égouts de la Subura, passait près' du temple de Quirinus.
porte Saint-Pancrace', elles rencontrèrent un plébéien qui sortait de Rome dans une charrette avec sa femme, ses enfants et tout son avoir, comme je l'ai vu faire à tant de bourgeois romains pendant le choléra. Cet homme était pieux il mit pied à terre, fit descendre de la charrette ses enfants et sa femme et y fit monter les vestales. Il y a encore des Romains qui en eussent fait autant, si, à l'époque du dernier siège, on avait transporté à Cività Vecchia le Santo Bambino d'Araceli. Le lendemain, les Gaulois entrèrent par la porte Colline; après avoir suivi les hauteurs du Quirinal, ils descendirent au Forum, et levant les yeux, virent le Capitole. Ils placèrent au bas un poste pour empêcher les sorties, et se répandant par la ville, commencèrent à la piller. Puis, étonnés de la solitude qu'ils rencontraient partout, ils revinrent par groupes vers le Forum. Presque toutes les maisons des plébéiens étaient fermées et leurs maîtres en fuite, mais celles des patriciens étaient ouvertes et dans chacune d'elles se voyaient assis au milieu de l'atrium, vêtus d'une robe blanche bordée de pourpre des vieillards immobiles. Les Gaulois les prirent d'abord pour les statues des dieux. Un deux voulut s'en assurer etplus osé a Via qu:e Subucio ponte ducit ad Janiculum. in eo clivo. » (Tit. Liv., v, 40.) Une inscription trouvée dans le Forum d'Auguste, et qui se conserve au musée du Vatican, fait allusion à cet événement. (Schwegl., m, p. 250-1.)
Plutarque (Cam<H., 22) dit que ces vieillards s'étaient réunis dans l'Agora, ce qui veut dire ici le Comitium.
que les autres, par une espièglerie assez française, se mit à caresser la barbe de l'une de ces statues. Aussitôt le bâton d'ivoire de Papirius le frappa rudement'. Ce fut le signal de l'égorgement des vieux patriciens, ce fut le signal de la dévastation, de l'incendie et du massacre de ceux qui étaient restés dans la ville: triste spectacle pour les défenseurs du Capitole. Cette vue ne fil point fléchir leur courage; ils demeurèrent fermes sur cette petite colline, qui était Rome tout entière et contenait tout l'avenir de Rome 3.
Rassasiés de pillage, les Gaulois tentèrent d'emporter la citadelle par une impétueuse attaque. Au lever de l'aurore, on les vit se rassembler dans le Forum et, poussant des cris, couvrant leurs têtes de leurs boucliers, s'élancer par la montée triomphale. Les Romains ne leur en laissèrent pas atteindre le sommet; ils les arrêtèrent à demi-hauteur* et seprécipitèrent d'en 1 M faut encore faire honneur de ce beau trait à l'énergie sabine. Les Papirii ou Papisii étaient Sabins. Celui qui frappa le Gaulois s'appelait Papirius Manius (Plut., Cam:7/ 22), de manus, bon, en sabin. Les Papirii avaient des surnoms en o, Carbo, Maso. Leur nom ressemble à celui des Papii Papius est tin nom samnite. Tout fut brû)ë, excepté quelques maisons sur le Palatin, parce que les chefs des Gaulois y avaient établi leur demeure. 3 Les Romains avaient de l'eau. Niebuhr croit les puits qu'on reconnait encore dans l'intérieur du Capitole aussi anciens que l'occupation des Gaulois; plus tard, on n'eût pas eu besoin de les creuser.
Medio fere elivo resistere. (Tit. Liv., v, <3.) Un peu au-dessus du temple de Saturne. Les Gaulois, pour arriver à la citadelle, avaient
haut sur les assaillants. Ceux-ci furent repoussés au pied de la colline avec un grand carnage.
Alors les Gaulois résolurent de prendre le Capitole par la famine, tandis qu'une partie de leurarméealla battre la campagne; dans ces excursions, ils furent défaits en divers endroits, d'un côté paruncoupdemain des habitants d'Ardée, que dirigeait Camille et par une attaque des habitants d'Antium, de l'autre par deux sorties des Romains réfugiés à Veies, qui allèrent les chercher jusqu'au bord de la mer'.
Le Capitole était serré de prés; l'ennemi faisait bonne garde pour empêcher les Romains de sortir et de s'approvisionner; mais il ne put empêcher un jeune homme de la gens Fabia, gens pieuse et chargée depuis un temps immémorial du culte qu'on rendait dans l'antre du Palatin à Pan, sous son nom sabin de Lupercus, d'aller offrir un sacrifice sur le Quirinal où étaient la chapelle domestique de cette gens sabine. FabiusDorso s'y rendit en effet, portant dans ses mains les choses sacrées, et ce devoir religieux accompli, revint au Capitole. Tite Live explique le succès de cette entreprise hardie par l'étonnement des Gaulois et par besoin de s'emparer d'abord de la plate-forme située entre les deux sommets capitolins (la place du Capitole). On voit que toute la colline avait été mise en état de défense.
1 Tuscorum ad salinas profecti. (Tit. Liv., v, 4S.) Ces salines étrusques devaient être sur la rive droite du Tibre, comme les satines romaines étaient sur ta rive gauche.
leur respect pour la religion H y a encore à cela une explication topographique; à cette époque, le Quirinal tenait au Capitole par une langue de terre qui subsista jusqu'à Trajan. Il fut plus facile à Fabius d'aller de plain-pied de l'un à l'autre sommet qu'il ne l'eût été de descendre et de remonter duCapitole au Quirinal et du Quirinal au Capitole.
Pendant ce temps les réfugiés de Véies devenaient de jour en jour plus redoutables aux Gaulois. Ils voulaient mettre Camille aleur tête; mais lerespectdes lois était alors si grand, qu'ils ne crurent pouvoir le faire sans y être autorisés par le sénat assiégé. Ce que Fabius Dorso avait osé pour la religion, un jeune homme nommé Pontius Cominius l'osa pour la légalité, cette autre religion du peuple romain. S'embarquant sur l'écorce d'un ohene-liége~, arbre qui n'est pas rare dans la campagne romaine, il descendit le Tibre depuis l'extrémité de la vallée qui, s'ouvrant en face de Fidène, conduit à Veies, jusqu'au point le plus proche du montCapitolin, aux environsde la porteCarmentale, le gravit par son côté le plus escarpé, celui qui regardait le fleuve, tellement escarpé alors, qu'on ne l'avait Ttt. Liv., v, 46.
Encore un nom sabin, car il est sabellique. Pontius Herennius et Pontius Telesinus sont des Samnites célèbres. H y a un l'ontius Pelignus et un Pontius Sabinus. Un Pontilius figure parmi les chefs des confédérés dans la guerre sociale. Enfin on trouve aussi un Cominius ~MfMHCtM.
s Ptut., fo~m., 12,
défendu par aucune muraille, et que les Gaulois avaient négligé de le garder, tandis qu'ils avaient mis un poste du côté du Forum, le seul par où le Capitole fût, croyaient-ils, accessible.
On fit ce qui était nécessaire pour rendre valide l'élection d'un dictateur et mettre un terme à l'exil de Camille; une loi Curiata, c'est-à-dire, une loi votée par les curies patriciennes~, rappela Camille, qui n'accepta pas la dictature avant que la loi eût été portée. C'est par ce respect des lois de Rome que le noble exilé se vengeait de son ingratitude.
Pendant ce temps, il s'en fallut de peu que la citadelle ne fût emportée. Les Gaulois voulurent prendre le chemin qu'avait pris Cominius, dont ils aperçurent les traces. Ayant découvert un endroit d'où l'on pouvait tenter de gravir le Capitole du côté par où il regardait la porte Carmentale ils profitèrent d'une nuit très-sombre, et ayant envoyé d'abord un des leurs sans armes, tenter l'ascension, ilslui passèrent leurs armes, puis là où ils rencontraient un obstacle, s'efforçant, à tour de rôle de le surmonter, se soulevant et se tirant les uns les autres, ils arrivèrent sans faire aucun bruit au pied de la citadelle. Tandis que les Gaulois Elles purent la voter au Capitule sans manquer aux usages reçus, car les comices par curies se tenaient parfois sur le Capitole devant ia curia Calabra.
Animadverso ad Carmentis saxorum ascensn sequo. (Tit. Lit., Y, M.)
montaient ainsi en rampant comme des Mohicans à travers les broussailles primitives du Capitole (au-dessus de la Montanara), les chiens n'avaient pas aboyé; mais les oies, nourries dans un temple de Junon' 1 voisin de la citadelle, plus vigilantes que les chiens, crièrent. Elles réveillèrent un personnage consulaire nommé Mantius~. Manlius crie aux armes, et s'élance à la rencontre de l'ennemi, renverse du choc de son bouclier le premier Gaulois qui était déjà arrivé. Celui-ci entraine dans sa chute plusieurs de ses compagnons. Manlius égorge ceux qui embrassaient le rocher. Les soldats accourent à son aide, font pleuvoir des traits et des pierres sur les assaillants qui sont tous précipités. Manlius a sauvé le Capitole.
Le temple de Junon, d'où était parti l'avertissement divin, fut consacré depuis3 à Junon qui avertit, Juno Schwegler suppose que les oies étaient dans le temple de Junon, qui formait une des trois cellas du temple de Jupiter, et cite Denys d'Ilalicarnasse; mais Denys ne le dit point, et l'expression qu'il emploie, T~s'~o;, ne s'applique pas bien à une cella.
D'après un autre récit (C!c., Pro Ca!c., 50; Philip., m, 8), les Gaulois seraient arrivés au Capitole par un conduit souterrain; ce serait un de ces conduits dont la colline est traversée.
Selon le témoignage de Tite Live (v;, 20; vu, 28) et de Plutarque (CowK'M., 36), le temple de Junon Moneta ne fut élevé que postérieurement sur l'emplacement de la maison de Manlius; mais 1~ récit de la tentative des Gaulois montre un temple de Junon exislaut dès lors près de la demeure de Manlius, puisqu'il fut réveillé par l' le cri des oies de Junon. Je pense que ce fut ce temple que l'on consacra plus tard à Junon qui averlit. Il n'est pas rare que la consécration d'un temple soit confondue avec sa fondation. On peut le re-
MoM~/a c'est, je crois, la \eritableorigine de ce temple. Sous le portique du temple fut placée une oie en argenté une cérémonie bizarre conserva la mémoire de la délivrance du Capitole. Chaque année on portait une oie en triomphe et l'on crucifiait un chien entre le temple de Summanus et celui de la Jeunesse. H est certain que les oies sont une meilleure garde que les chiens'. Enfin, pour terminer gaiement l'histoire des oies de Manlius, je rappellerai une caricature qui représentait un soldat français plumant une oie au Capitole; au-dessous étaient ces mots Fcn~aMM f!'Mt! G<!M!OM.
marquer pour les temples de Saturne, de Castor et de Vesta. Le temple de Junon était sur la citadelle (Ov., fiMf., vt, 183), comme la demeure de Manlius. De grandes substrue)ions que j'ai vues dans le jardin Caffarelli sont probablement les substructions du temple de Junon Moneta.
1 Le mot monnaie (moneta] vient de ce qu'on plaça la Monnaie près du temple de Junon Moneta. (Tit. Liv., ~f, 20.)
Serv., /EH., yni, 652. Auratis porticibus. C'était bien probablement les portiques du temple de Junon. Virgile a fait allusion à cette oie d'argent
Auratis volitans argenteus ansçr
Porticibus.
~)! ttM.
On montre aujourd'hui au Capitole de prétendues oies en bronze qui sont des canards.
P! ~<. ?<?< xx!X, 14,1; Plut., f~<. Rom., 12.
On m'a raconté l'histoire d'un paysan avare qui avait caché de l'argent dans tous les coins de sa maison. !) y vivait seul avec des oies, disant que pour avertir au moindre bruit, elles étaient trèsprëférables aux chiens.
Le siège du Capitole se prolongeait et ses vaillants défenseurs tenaient toujours. Plusieurs légendes qu'on retrouve ailleurs expriment la persévérance de leur résolution; il en est deux qui se rapportent à l'origine de deux monuments qui durent être construits sur le Capitole et probablement dans la citadelle. L'un était l'autel de Jupiter Boulanger (pistor), érigé en mémoire des pains que les Romains jetèrent dans le camp des Gaulois pour leur faire croire que la farine ne leur manquait pas 1 et le temple de Vénus chauve, singulière épithète pour Vénus.
On l'expliquait en disant que les matrones romaines enfermées dans la citadelle, où il est bien douteux qu'il y eût des femmes, donnèrent leurs cheveux pour remplacer les cordes qui faisaient défaut aux machines de guerre 2. Cette historiette, peu vraisemblable, a été souvent reproduite3.
Les Gaulois commençaient à se lasser. Cette nation, impétueuse et mobile, ne connaissait pas la froide constance des Romains. Le siège avait commencé au milieu de juillet; la commémoration annuelle de la bataille de l'Allia ne permit jamais d'oublier cette date funeste. L'automne était venu et avec Ov fo~ Ti, 596
Vcget., R. m~ iv, 9.
A propos de la défense de Carthage, de Byzance, d'Aquila, de Thasos.
Les auteurs ne sont pas d'accord sur la durée du siège, ils \a-
l'automne le plus mauvais moment de la- fièvre de Rome. Les environs du Forum où campaient les Gaulois étaient, grâce aux restes du Vélabre, particulièrement malsains. Les Gaulois mouraient par troupeaux sous ce ciel et dans cette saison trop souvent funestes. Un lieu où ils brûlèrent leurs morts conserva le nom de Bûchers yaulois (Busta gallica). Selon toute vraisemblance, il était dans le Forum 1 ou près du Forum.
rient de six à huit mois. Comme en octobre le climat romain redevient salubre, il est probable que les Gaulois n'attendirent pas jusqu'à cette époque de l'année, qui leur aurait rendu la santé et le courage, et qu'ils se retirèrent avant la fin de septembre, c'est-à-dire au bout de deux mois.
Tit. Liv., v, 48, mi, 14. Les Gaulois campaient dans le Forum pour surveiller le seul cote du Capitole par où ils pouvaient craindre que les Romains ne fissent une sortie. Varron (L. lat., v, 157) explique les mots ~Mta gallica, d'une autre manière c'est là, dit-il, qu'après être rentrés en possession de Rome, les Romains brûlèrent les ossements des Gaulois. Quoi qu'il en soit la mention qu'il fait des &M/N' gallica m'est précieuse, parce qu'elle vient à l'appui de ma conjecture sur leur emplacement et celui des doliola, deux points, dont la situation n'a pas élé bien déterminée. En effet, Varron nomme les t««a gallica après l'~Equimœtium (au bas de la roche Tarpéienne) et avant les doliola voisins du temple de Quirinus; ils étaient donc probablement vers la partie sud-ouest du Forum, à une extrémité du camp des Gaulois. Ce qui a empêché de croire que l'ordre indiqué par Varron fut le véritable, c'est parce qu'on voulait que les doliola fussent prè~ de la portion de la Cloaca Maxima que connaissent les voyageurs, tandis qu'ils étaient voisins de celle qui traversait le Forum. On ne la voyait pas à la surface du sol, mais en creusant le trou dans lequel on voûtait enfouir les doliola on l'avait rencontrée. De plus, Tite Live (M, 14) dit que les &tM~ gallica étaient au milieu de la
L'impatience et la maladie décidèrent les Gaulois à traiter. Les Romains purent se racheter, et ils se rachetèrent pour mille livres d'or. Ce fut la rançon du Capitole.
Admettre là réalité de ce honteux marché res /<x<sima, comme parle Tite Live 1, c'est à quoi l'orgueil romain ne voulut pas consentir. Il fallait que le mot si vraisemblable du barbare jetant son épée dans la balance et répondant au tribun qui disait la pesée d'or mal faite Af~~Mf aux vaincus! il fallait que ce mot célèbre et que les Romains se sont vengés d'avoir entendu, en l'adressant à toute la terre, ne fût pas le dernier mot d'une transaction humiliante. Pour cela, on imagina un fait de toute invraisemblance, mais beaucoup plus agréable à raconter.
Avant quel'odieux marché fût accompli, avant que t~ut l'or fût pesé, Camille survient, il ordonne que l'or soit emporté et que les Gaulois se retirent. Ceux-ci allèguent la convention faite, il répond qu'elle est nulle, parce que lui, dictateur, ne l'a pas approuvée et qu'un magistrat, son inférieur, n'avait pas le droit de la faire. Puis il engage les Gaulois à se préparer au ville, expression toujours employée pour designer tes environs du Forum. Car on )a trouve appliquée au MiDiarium aureum qui existe encore en partie vers l'extrémité du Forum, au mont Palatin, qui le domine, aux Carines qui l'avoisinaient.
Tit. Mv., v, 48.
Infanda merces, Tit. Liv., v, 49
combat. Ils obéissent, laissent Camille disposer son armée comme il l'entend sur le sol inégal de Rome, embarrassé de décombres; ils l'avaient bien laissé arriver dans la citadelle, et le Brenn n'avait pas répondu à ses arguments constitutionnels en le faisant jeter au bas de la roche Tarpéienne.
Avant la sagacité de Beaufort, le bon sens de l'antiquité avait protesté contre une invention, il faut le dire, si absurde. Polybe, qui, en sa qualité de Grec t, n'était pas intéressé à soutenir les mensonges de la vanité romaine, dit positivement, que les Gaulois remportèrent dans leur pays, sans être inquiétés, la rançon des Romains, Suétone plus curieux des faits ~ue passionné pour la gloire de la république, parle de l'or donné aux Gaulois lors du siége du Capitole, et qui, ajoute-il, ne leur fut point arraché par Camille. Le savant Pline', Justin, Diodore de Sicile et Tacite, affirment nettement que les Romains achetèrent la paix des Gaulois. Oui, le fait est incontestable. Cette paix fut achetée et payée argent comptant*. Le Capitole, qui a vu tant de gloire, a vu cette honte des Romains. Si la pensée en venait au triomphateur tandis qu'il gravissait l'orgueilleuse colline un jour Polybe, n, 22.
Sueh Tib., 3.
PL, NM<M< XMtft, 5, 1.
Just., xxvin, 4. Nec bello hostem sed pretio remotum (Tac., /~Mf.. m, 72; Diod. Sic., xtv, 116.
humiliée, il y avait là plus encore que dans les railleries permises au soldat de quoi tempérer l'ivresse du triomphe.
Peu de récits d'ailleurs étaient aussi hardiment faux que le récit suivi par Tite Live; dans la plupart on cherchait à faire un compromis entre l'orgueil et la vérité. Les Gaulois avaient emporté l'or des Romains, mais Camille le leur avait repris les avait exterminés à huit milles de Rome, sur la route de Gabie et tué leur chef en lui disant a son tour Malheur aux vaincus 2. Il fallait bien que les Romains eussent leur revanche.
Rome délivrée des Gaulois, une question s'agita qui importait beaucoup à la composition future de ce livre, car elle eût pu être tranchée de telle sorte qu'il s'arrêterait ici. Les plébéiens, les tribuns en tête, voulaient aller habiter Véies; les patriciens, plus enracinés au sol, repoussèrent obstinément un tel dessein, et Camille le fit abandonner. L'imagination a peine à se persuader que Rome eût pu être ailleurs que là où elle est aujourd'hui. Quoi! ses collines seraient un lieu abandonné où l'on viendrait voir le soleil se coucher dans la,solitude, tandis qu'à l'isola Farnèse s'él~veraient les ruines du Cotisée
Camille insista sur ce fait que le sol de Rome Se]on Diodore de Sicile [Nv, il?), en Étrurie; suhant Servius (.EH-, v;, 826), en Ombrie.
Fest., p. 3~2.
était sanctifié par le culte, que les sacrifices se faisaient dans des lieux aussi bien qu'à des jours déterminés* on sent à chaque mot du discours que Tite Live lui fait prononcer combien Rome était pour les Romains une ville sacrée, et cela donne un grand intérêt aux monuments et à ta détermination de la place qu'ils occupaient, car cette place ne pouvait être changée sans sacrilége, et la connaître c'est connaître, pour ainsi dire, un des articles de foi de la religion romaine.
Camille, d'après Tite Livc% eut un mouvement sublime quand il s'écria, faisant allusion à son exil « Absent, chaque fois que le souvenir de la patrie me revenait, je voyais toutes ces choses que vous voyez, ces collines, les plaines et le Tibre, cette région à laquelle mes yeux sont accoutumés, où je suis né et où j'ai été élevé. Ah que ces objets vous touchent de leur amour et vous retiennent dans votre patrie, plutôt qu'ils ne vous consument de regrets quand vous les aurez quittés. a Cette noble allusion à l'exil, cette pathétique évocation de la patrie, de ses montagnes, de ses champs, de son ciel, émut les cœurs, et Rome resta à Rome.
Camille ne l'eût pas emporté peut être si la multitude n'eût cru voir dans une rencontre fortuite la manifestation certaine de la volonté des dieux. Quelques 1 Tit. Liv., v, 52.
Tit. I/v., y, 54.
jours après, les sénateurs délibéraient sur le même sujet dans la curie des soldats traversèrent le Forum et le centurion, arrivé au milieu du Comitium, dit au porte-étendard. « Arrête-toi ttOMS~fons <?'M-MeH te: )) Le sénat sortit de la curie et du haut des degrés cria au peuple rassemblé dans le Forum « Nous en acceptons l'augure. » La plebs, que la voix de Camille n'avait pu décider, le fut par une parole qu'un centurion prononça au hasard. C'est bien le même peuple qui, de nos jours, entendant un nom de nombre que le hasard amène dans la conversation, va le mettre à la loterie, croyant toujours a la valeur prophétique d'un mot.
Quand on eut renoncé à quitter Rome pour Véies, on se mit à rebâtir Rome avec ardeur, et avec une précipitation dont nous devons tenir compte, car c'est à cette précipitation qu'il faut attribuer la physionomie que Rome conserva* jusqu'à ce qu'elle eût été bâtie de nouveau sous Néron, qu'elle ne perdît même pas entièrement après lui 3 et' qu'elle garde encore aujourd'hui.
Le sénat, qui avait eu tant de peine à empêcher l'émigration des plébéiens, et qui faisait tout pour leur faciliter la réédification de la ville ne s'avisa pas de Tit. Liv., v, 55.
Romam. non optimis viis, angustissimis semitis. (Cic., Leg. agr., il, 35.)
Juvén 5a<ni, 256.
4 JI permit à chacun, à condition qu'il aurait rebâti sa maison
-réglementer, et chaque citoyen put bâtir où il lui plaisait de là résulta un pêle-mêle d'édifices incohérents'. Ces rues tracées à la hâte furent étroites, tortueuses et irréguliéres*, de grands espaces demeurèrent vides", comme on le voit partout où les villes ouf été bâties précipitamment, dans l'ancien et dans le nouveau monde, à Athènes et à Washington.
Les temples et les monuments publics étaient restés debout Les Gaulois, ces premiers barbares, ne détruisirent pas plus les édifices de Rome que ne le firent, comme nous le verrons, les autres barbares, et par la même raison. Détruire un édifice leur eût donné beaucoup de peine et ne leur eût servi à rien. A Rome on n'a guère détruit que pour bâtir.
Outre les anciens temples qui subsistèrent, on en dans un an, de prendre la pierre et le bois où il voudrait, et fournit les tuiles (Tit. Liv., v, 55). Probablement on emprunta beaucoup de matériaux de construction à Véies, presque déserte encore au temps de Properce.
Promiscue urbs œdincari csepta (Tit. Liv., v, 55.)
Festinatio curam exemit vicos dirigendi (ib.), MtA; TT.~ '6Kt xfxi xK/jtnx, ~u-n~ (Diod. Sic., xiY, 116), arctis itineribus hucque et illuc flexis, atque enormibus vicis. (Tac., Ann., iv, 58.) (Urbs) passim erecta. (Tac., Ann., xv, 45).
Stantibus templis deorum, disait Camille (Tit. Liv., v, 55). La preuve qu'il disait vrai, c'est qu'un assez grand nombre de temples et d'édifices publics, la Curia Hostilia par exemple, construits antérieurement à l'incendie des Gaulois, existaient encore après cet incendie. Pour la même raison, on ne peut admettre que les Gaulois, dans leur court séjour, aient détruit les murs, quoi qu'en dise Plutarque. (C<mt., 52.)
construisit de nouveaux et on en reconstruisit d'anciens j'ai mentionné celui d'Aius Locutius dans la rue Neuve et celui de Junon sur l'Aventin il faut y joindre un temple de Mars voué pendant l'invasion gauloise'.
Ce temple était hors de la ville et faisait face à la porte Capene~; un portique3 y conduisait, pareil à Tit. Liv., vt, 5.
Recta fronte Capenam portam (Schol., Ov., fa~ vt, 193). Le scholiaste ajoute Et est appositum extra ad viam tectam; ce que dit aussi Ovide
Quem prospicit extra
Appositum tectœ porta Capena vise.
Ce portique allait de l'église de Saint-Nérée et Achillëe jusqu'à un aqueduc voisin de la porte Capène (ad formam. Beck. Handb., p. 515). Ce témoignage de l'anonyme d'Einsiedlen s'accorde très-bien avec celui d'Ovide dans les vers cités plus haut et avec celui de Properce (tv, 3, 71), qui désigne poétiquement le temple de Mars par la porte Capène. Mais d'autres témoignages non moins positifs placent le temple de Mars a plus d'un mille de la porte ad Martis intra m:«MhMm, t et tf ab urbe euntibus parte leva, inscription citée par Uriich [~OM. top., p. )08); ce qui nous apprend aussi que le temple était sur la gauche de ceux qui sortaient de Rome. Appien (Bell. Civ., m, 41), parle d'un temple de Mars à quinze stades de Rome (près de deux milles). C'est à ce temple que se rapporte l'inscription trouvée à un mille environ de la porte Capène (Beck., Handb., p. 512), et dans laquelle l'aplanissement de la montée de Mars est mentionné. Les travaux du chemin de fer viennent de confirmer la vérité de ce renseignement. En présence d'indications si précises et si contradictoires, je ne vois d'autre parti à prendre que de faire comme a fait Becker, de supposer qu'il y a eu de ce côté deux temples de Mars, l'un tout près de la porte Capène, et l'autre à un mille environ plus loin. On expliquerait ainsi comment
ceux qui, au moyen âge, conduisaient à Saint-Piene et à Saint-Paul et auxquels il a pu servir de modèle, car il existait encore au moyen âge.
Les Romains avaient vu le danger de ne pas fortifier du côté du Tibre le mont Capitolin, qui fut alors pour la première fois protégé par des murailles on ne dut pas oublier la citadelle, où le besoin de moyens de défense s'était fait le plus sentir, et elle dut avoir sa part dans ces substructions du Capitole que Tite Live" disait admirables et Pline démesurées (insanas)~.
Pour compléter l'histoire de tout ce qui se rapporte à la délivrance du Capitole, il faut raconter la fin de son premier sauveur, Manlius*.
le temple de l'Honneur et de la Vertu a pu être confondu avec un temple de Mars, ainsi que tiecker l'a remarqué, et comment, d'autre part, ce qu'il n'a point dit, le temple de l'Honneur et de la Vertu est le premier des monuments énumérés par le Curiosum et la Nolitia dans la région de la porte Capène, et le temple de Mars un des derniers. La confusion a eu lieu entre le temple de l'Honneur et de la Vertu, qui était situé près de la porte Capène, et celui des deux temples de Mars qui en était très-rapproché; le temple de Mars qui était à plus d'un mille de cette porte est celui qu'indiquent les régionaires.
Capitolium se prenait comme Tefp~tM mons, tantôt pour une des deux parties, tantôt, comme ici, pour tout l'ensemble du mont Capitolin.
Tit. Liv., Y), 4.
3 PI., BM<. nal., IHV), 24, 5.
Nom certainement sabin; la racine est manus, bon, d'où les Manit ii d'Aricie. Afm-~tM pour sM!Mt-/M«M. De là aussi le nom des Manilii et
Par suite de l'invasion des Gaulois, la campagne avait été mal cultivée; il en était résulté une disette. La misère des plébéiens était grande, et les patriciens ne faisaient rien pour la soulager. Us avaientoublié ce noble élan qui avait entraîné la population tout entière au siège de Veies, et jamais les rigueurs de l'usure n'avaient été plus cruelles. Obligés eux-mêmes de refaire leurs fortunes que les désastres du siège avaient nécessairement amoindries, les patriciens redoublaient de dureté envers leurs débiteurs, dont les mômes désastres avaient dû augmenter le nombre. Ils étaient rapaces comme les juifs du moyen âge et impitoyables comme Shylock. Parmi eux un seul homme beau, noble et riche, digne de son nom, qui voulait dire le bon (en sabin), avait pitié de ces misères du peuple; c'était Manlius.
Un jour, dans le Forum, il vit un centurion que sa conduite militaire avait illustré, qui venait d'être condamné pour dettes et que l'on entraînait par ordre de son créancier dans la demeure de quelque patricien, destinée à devenir pour lui une affreuse prison. Manlius ne put supporter un tel spectacle suivi de plusieursplébéiensdévoués, il s'élança au milieu du Forum, Mamijii. Ces noms sont mis souvent les uns pour les autres aussi bien que Mallii, qui semble en être une contraction. Yutso, surnom sabin en c et dénomination d'un peuple sabellique, est un surnom des Manlii. Plusieurs d'entre eux se sont appelés Titus Man)ins; T;<~ est un prénom sabin.
mit la main sur cet homme en s'écriant « C'est en vain que cette main a délivré la citadelle et lé temple de Jupiter, si je vois un citoyen romain, un compagnon d'armes réduit aux fers et a la servitude comme si les Gaulois l'avaient pris'1 » puisil acquita en présence du peuple la dette dtt prisonnier.
Il fit plus il vendit des terres qu'il avait dans le territoire de Véies; elles devaient, être la récompense de son courage et faisaient la, meilleure partie de son patrimoine. Tandis qu'on les mettait à l'encan dans le Forum & Citoyens, dit-il, tant qu'il me restera quelque chose à vendre, je ne souffrirai pas qu'un seul de vous soit condamné et Htf~? a Tite Live ajoute à ces généreuses paroles d'autres paroles qui 1 eussent été moins. Manlius accusa, dit-il, les patriciens d'avoir gardé pour eux l'or destiné a payer les Gaulois. Mais comme nous savons que cet or avait été bien réellement remis aux vainqueurs, nous devons voir dans cette calomnie prêtée à Manlius une calomnie des patriciens contre lui, que Tite Live, toujours disposé à prendre leur parti, a répétée.
Appelé par les patriciens, le dictateur Camille quitte l'armée et accourt au sénat bientôt il sort delà Curie, se faisant suivre de tous les sénateurs qui prennent place dans le Comitium il y descend lui-même et y établit son tribunal, devant lequel il cite Manlius. Celui-ci arrive, suivi d'une grande multitude qui fit Liv., Vf. )~
remplit le Forum. Le Comitium et le Forum, les sénateurs et les plébéiens sont en présence. C'étaient, dit Tile Live', deux armées, dont chacune avait les yeux fixés sur son général; deux armées, en effet, qui avaient été deux peuples.
Manlius répond avec audace au dictateur, et le dictateur ordonne qu'il soit conduit en prison. Il eut peu de chemin a faire pour s'y rendre, le Comitium touchait presque à la prison Mamertine. Manlius put y être entraîné sans avoir à traverser le Forum et avant que la foule qui le remptissait eût le temps de venir à son secours". Seulement il leva les yeux vers !c temple du Capitole, au pied duquel on l'arrêtait, et s'écria « Jupiter, Minerve, Junon, vous que j'ai délivrés et sauvés, m'abandonnerez-vous à mes ennemis) B 0 Un grand nombre de plébéiens en habit de deuil vinrent à la porte de la prison~ où Manlius était plongé dans les ténèbres, attendant le bourreau et pendant ce temps le temple sacré qu'il avait défendu étincelait au soleil au-dessus de sa tête.
Le peuple voulait briser les portes du cachot de Tit. Liv.,Yi, 15.
Cette circonstance topographique rend raison de ce qui est difficile à comprendre dans le récit de Tite Live que la multitude qui avait accompagné Manlius ne lui ait pas donné signe de sympathie au moment de son arrestation.
Ccst, je crois, le sens: Obversatamque t~t~ccarceris msestam tm-ham. (r~t. Liv., vi, 13.)
4 Tit. Liv., vt. 17.
Manlius; le sénat eHrayé le relâcha. Manlius remonta dans la citadelle, eè était sa maison, le cœur plein du colère et respirant la vengeance.
Tite Live lui fait tenir dans cette maison dea conciliabules où se prépare une révolution et prononcer à la tribune des discours séditieux, mais n'énonce aucun acte criminel; il prête aussi à Manlius le projet de se faire roi, lieu commun ridicule des accusations patriciennes, mais il avoue qu'on n'a jamais su ni avec qui, ni dans quelle intention ce prétendu conspirateur avait conspiré*.
Décidé à le trouver coupable, le sénat lui faisait un grief du lieu de son habitation, qui était dans la citadelle et qui, par sa position, menaçait la liberté*. Mais d'autres patriciens avaient demeuré sur le Capitole et pour cette raison avaient porté, comme Manlius. !e nom de Captto/tMM~.
Tit. Uv., Tt, IX.
Tit. Liv., 19.
On cite des Quinctii, des Servitii, des T~'pett. Ceux-ci devaient avoir, comme XantuK, haMM dans la citadelle sur la roche Terp~tMMe. C'est parce que Manlius y avait sa maison que lui et plusieurs personnes de sa famille portèrent ce surnom. Un autre Manlius (tit. Liv., tY, 42), l'avait porté avant M. Il ne lui fut donc pas donne après son exploit du Capitole, comme t'a dit à tort, et comme on )e croit d'ordinaire. !) n'y avait que des patriciens sur le Capi'tole; si un Mtetius, plébéien, Sp. MteMus était un chevalier des centuries plébéiennes, porta le surnom de Capitolinus, c'est que la demeure des Ma~ius était dans le vicus Jugarius au bas du mont Capitolin.
Deux tribuns gagnés par le sénat, ou jaloux de la popularité de l'aristocrate, offrirent de l'accuser, et sa noble famille l'abandonna personne dans cette famille ne prit des vêtements de deuil, selon l'usage, le jour où il parut devant les centuries assemblées dans le champ de Mars. On comptait, pour le faire condamner, sur le jugement des centuries où les plébéiens dominaient; car on était parvenu à leur faire croire queManlius voulait se faire roi.
Cependant la gloire de Manlius faillit le sauver. D'abord il fit comparaître dans le champ de Mars quatre cents citoyens qu'il avait défendus de la ruine et de la prison, et auxquels il avait avancé de l'argent sans intérêt, libéralité de mauvais exemple que les patriciens étaient bien aises de décourager: puis il montra les dépouilles des ennemis tués de sa main, au nombre de trente, les récompenses militaires qu'il avait reçues, au nombre de quarante, parmi lesquelles deux couronnes murales et huit couronnes civiques. I! produisit les citoyens romains qu'il avait arrachés à l'ennemi l'un d'eux, qu'il ne put présenter mais qu'il nomma, était Servilius Ahala, maître de la cavalerie et son ennemi acharné. Puis après avoir dit tout ce qu'il avait fait pour sa patrie, il découvrit sa poitrine couverte de cicatrices et se tournant vers le Capituler il invoqua Jupiter et les autres divinités qui La scène devait se passer dans les Septa, lieu- alors découvert. d'où l'on ne saurait voir aujourd'hui le Cap' "te, parce que ceK.-
y étaient honorées, leur demandant devenir en aide à sa fortune et de mettre dans l'âme des Remains les sentiments qu'ils avaient placés dans l'âme de Manlius quand il sauvait Rome enfin il pria les atoyens de regarder la citadelle et le Capitule avant de le juger. Les tribuns comprirent que le peuple, tant qu'il verrait le Capitale, ne pourrait condamne)? Manlius. L'affaire fut remise à un autre jour et la scène du jugement transportée dans un autre endroit, dans !c boisPsetelinus, près de la porte Flumentane~. Là, Manpartie de l'ancien c)Mmp de ttars est bâtie mais au temps de Manlius il n'y avait pas de maisons dans le champ de Mars, où il n'éta t pas permis d'en construire. La plupart des ëdiûces publics qui s'y étevèrent depuis, et entre autres le cirque Flamimen, voMndes Septa, n'existaient pas encore. Du lieu où Manlius partait on pouvait donc voir parfaitement la citadelle et le temple de Jupiter, qui devait faire à peu près l'effet que produit le palais de !'aui ï! sur le Capitole, aperçu de la place San-Warco.
Tit. Liv., v), 20. La porte f<«NM)!<e<M, comme son nom l'indique, était au b~rd du fleuve, et dans un lieu exposé aux inondations (Tit. Uv., MÎT, 9, 91; P. Diac., p. 89); on ne peut donc la placer qu'au-dessous de la porte Carméntale, vers l'extrémité du délabre, lieu, en ettet, facilement inondé. C'était en dehoM de cette porte, dans le champ de Mars, que se tinrent les~ comices par curies, dans lesquels Manlius fut condamné. Tite Live (vn, 4i] cite une autre cause jugée par tes curies daus le bois Paitetinus. Des environs de la porte Ftumentane on ne pouvait apercevoir le temple de Jupiter, et on ne pouvait pas bien voir la citadelle, si, comme je le crois, elle occupait la partie de la roche Tarpéienne la plus éloignée. D'ailleurs,comme l'a très-judicieusement remarqué Bunsen, les arbres d'un bois empêchent de voir. On a proposé de lire dans Tite Live poK<a bornes- tana, au lieu de porta f/MtMn~«M, c est contraire à la leçon des
lius n'ayant plus pour le protéger le glorieux témoin qu'il avait invoqué, une sentence de mort fut portée contre lui.
Il y avait encore une autre raison pour qu'il en fût ainsi. Au jugement des comices par centuries qui représentaient l'universalité des citoyens, et particulièrement depuis la réforme démocratique de ces comices, ta partie plébéienne de la cité, on substitua le jugement des Curies patriciennes'; c'était livrer Manlius à ses ennemis.
La nature de ce jugement par curies fait craindre que le récit d'après lequel Manlius aurait péri sous bons manuscrits et à l'usage constant de tenir les assemblées dans la région du champ de Mars ou du Forum. D'ailleurs, il n'y a eu de porte Nomentane que dans l'enceinte d'Aurélien. Ce qui pourrait faire croire que Tite Live aurait appelé porte Nomentane la porte Colline, parce qu'elle conduisait à Nomentum, expression du reste tout à fait insolite, c'est qu'il y avait près du Cispiusunlucus.P.f~ttM (Varr. · De t.. lat., v, M), mais ce nom a pu être donné à deux bois sacrés. Ce qui se conçoit facilement si ce nom remontait aux Pélasges, petalon voulant dire feuille en grec. P--telinu8 aurait été le nom d'un bois touffu, circonstance favorable au dessein des patriciens en s'y rassemblant pour juger Manlius. Les noms de f~M' ou Pétilie, ville du Brutium dont on attribuait la fondation à Diomède, ce qui semble indiquer une provenance pélasgique, et de Petalia, en Grèce, peuvent avoir la même origine.
Cette remarque de Schwegler (n), p. 396) s'appuie sur une phrase de Tite Live (v<, 20), qui oppose le concilium populi aux assemblées des centuries. Je la crois fondée, mais ce n'était pas une raison pour nier la belle tradition que l'histoire consacre.
les verges du bourreau' dans le ComitMMn', ne soit le véritable, car c'était le supplice de celui que le sénat avait déclaré ennemi de la patrie'.
Espérons que la tradition généralement reçue est la plus vraie, et laissons à la mémoire de Manlius cette triste gloire qu'il ait été précipité de la roche Tarpéienne, sur laquelle s'é!evait la citadelle qu'il avait ~sauvée.
Ce genre de mort était lui-même infamant, car c'est de la roche~brpéienne qu'on précipitait les esclaves Après sa mort sa maison fut rasée et on décida que désormais nul patricien n'habiterait sur le Capitole.
Ainsi toute la destinée de Manlius est attachée au Capitole, dont il portait le nom, où il était né, d'où il avait précipité les Gaulois et d'où il devait être précipité à son tour\
Selon Cornelius Nepos, cité par Aulu-Gelle (Woe<. e<f., xnf,
M.)
Si Manlius fut mis à mort ainsi, ce fut probablement dans le Comitium, car c'était tt que ce genre de supplice était infligé 4 celui qui avait séduit une vestale. On le voit dans la Vie de Néron, par Suétone. (N<y., 49.) Gell., ~M<. eM., ti, 18.
Une raison de plus de placer la roche Tarpéienne là où elle était véritablement, c'est que si on la plaçait à Araceti, tes condamnés fussent tombés dans les environs du Vutcanat et du Comitium dont un tel spectacle'eût souilté les approches Denys d'Halicamasse (tt;, 35; Ym, 78), dit bien que Sp. Cassius fut précipité d'un rocher qui dominait le Forum, à la vue de tous, mais ces expressions peu-
Si l'on en croyait une version différente de samort', le Capitole aurait joué encore un autre rôle dans la destinée de Manlius.
Il se serait emparé par la force du mont Capitolin les patriciens effrayés auraient envoyé vers lui un traître, un esclave qui, se présentant comme venant de la part des esclaves prêts à se soulever et feignant de vouloir lui confier un secret, l'aurait conduit au bord de la roche Tarpéienne et l'en aurait fait tomber
Sans adopter ce récit invraisemblable, quand le Capitole n'aurait pas d'autre histoire à raconter que la destinée de Manlius, la destinée de Manlius en ferait toujours le lieu le plus dramatique de la terre. vent s'appliquer à la partie de monte Caprino, qui est la plus rapprochée du Forum. Plus loin, on montre aux voyageurs un rocher qui est à découvert, leur disant C'est la roche Tarpéienne, et les voyageurs s'étonnent du peu de hauteur de ce rocher, ne réfléchissant pas que le rocher que leur indiquent sans nul motif les ciceroni n'est qu'une petite partie de la roche Tarpéienne. On donnait ce nom au sommet méridional tout entier. J'habite sur ce sommet, et je comprends très-bien ce qui m'arriverait si on me jetait par ma fenêtre dans la rue de la Consolazione. Ce serait une chute d'une centaine de~pieds. De plus, le flanc de la roche Tarpéienne était hérisse de saillies contre lesquelles se heurtait et se brisait avant d'arriver en bas le corps de ceux qui en étaient précipités. Frequentibus exasperata saxis quae aut elidant corpus aut de integro-graviusimpeUant(Senec.controv. 3).Jmmensse altitudinis tristis aspectus. (Ibid.)
Xonaras (vn, 2~, d'après Dion Cassius.
Manlius ne se serait pas tué en tombant, et les deux jugemeuts auraient eu lieu après sa chute ceci est absurde.
La haine des patriciens poursuivit Manlius après sa mort sur le théâtre même de sa g~re; on rasa sa maison, et il fut interdit dès lors à tout patricien d'habiter sur te Capitale; personne dans la <~MM Manlia ne porta plus le prénom de celui qui t'avait Mustrée. Le vieux Camille, qu'on trouve avec regret à la tête du parti qui fit mourir Manlius, allait reparaitre encore une fois sur la scène. Le sénat fut le chercher pour opposer sa dictature, comme un dernier secours, au triomphe qui semblait assuré des lois Licinietmes. Ces lois, proposées par les tribuns Licinius, Stolo et L. Sestins, étaient le plus grand effort démocratique tenté jusqu'à ce jour. La première avait pour but d'alléger tes dettes des plébéiens la seconde, de limiter ta quantité de terres publiques dont il serait permis à un citoyen de conserver la possession; la troisième, de faire admettre les plébéiens aux honneurs consulaires. Les patriciens, attaqués dans leur avarice et leur orgueil, résistaient opiniâtrement près d'être vaincus, ils appelèrent Camille. I! avait près de quatre-vingts ans quand il vint livrer à la démocratie un dernier combat te combat fut terrible. Camille voulut interrompre violemment les comices par tribus 1; il ordonna aux plébéiens de quitter le Forum et de se rendre sous les armes au champ de Mars. Les plébéiens refusèrent, et Camille abdiqua la dictature. Bientôt après elle lui fut rendue; Tit. Liv., Tt, 38.
mais les tribuns en étaient venus à pouvoir tout oser, et comme Camille haranguaità la tribune, l'un d'eux donna i'ordre de t'arrêtera le serviteur du tribunat mit la main sur le dictateur octogénaire. Alors ce fut dans )ë Forum un tumulte comme on n'en avait jamais vu; ceux qui entouraient Camille repoussaient la foule de la tribune qu'elle voulait envahir; la foule qui était au-dessous criait qu'il fallait saisir Camille. Celui-ci descendit de la tribune et se réfugia dans le Comitium. S'arrêtant à son entrée et se tournant vers le temple de Jupiter, toujours fidèle à son caractère religieux, il pria les dieux du Capitole de tout diriger pour le mieux, et voua un temple à la Corcorde si ces troubles s'apaisaient. L'agitation fut grande dans le Comitium, mais le parti le plus modéré l'emporta, et l'on convint d'accorder qu'un des deux consuls serait plébéien. Le sénat ratifia cette importante concession, et Camille ayant reparu à la tribune pour l'annoncer au peuple, il fut accompagné jusque chez lui par les applaudissements et les acclamations de la multitude. Telle est l'origine du premier temple de la Concorde élevé pour cimenter l'accord des patriciens et des plébéiens, qui fui en réalité le triomphe de ceux-ci, et devait être bientôt détruit par des luttes nouvelles. C'est au temps du siège de Véies qu il aurait fallu dédier un temple à la Concorde.
Ce temple s'élevait sur le mont Capitolin, vers leP)ut.,C<MM'M., .42.
quel Camille s'était tourné en faisant sa prière,–regardant le Forum et le Comitium, au pied des degrés nombreux qui conduisaient au temple de Juno Moneta 1; ces degrés sont assez exactement représentés aujourd'hui par les marches qui conduisent de la place du Capitole à la roche Tarpéienne, et la situation du temple indiquée au sommet de la rampe actuelle par où on descend au Campo Vaccine* et d'où on a une si belle vue du Forum; c'est de là qu'au dire d'Ovide la déesse le contemplait rempli par la foule.
Nnnc bene prospicies latiam, concordia, turbam.
C'est de là que nous le contemplons vide.
Ov., F«< t, 657.
On ne peut le mettre qu'au sud de l'espace occupé par le Tabularium il était à droite de la voie Triomphale, que coupe la rampe moderne en un point au delà duquel elle se prolongeait vers le sud pour revenir vers le nord et atteindre l'Intermontium (la place du Capitole). On croit généralement que le temple de la Concorde, dont remplacement n'est pas méconnaissable, au pied du Capitole et audessus du Forum, était le temple voué par Camille. Les vers d'Ovide prouvent que le. temple dédié à la Concorde par le vieux dictateur n'était pas là, mais sur le Capitole, puisqu'il se trouvait au pied des degrés qui conduisaient au temple de Junon Moneta, élevé dans la citadelle et par conséquent sur la roche Tarpéienne. C'est cetui4a qui fut refait plus tard et dédie par Tibère; il n'en reste rien. L'autre, celui du Forum, dont on admire de si beaux débris dans le Tabutarium et dans le musée Capitolin, a remplacé un des deux petits temples de la Concordé bat!s sur le Yuleanal avant la fin de la république Ou ne sait quand et à quelle occasion it a été construit.
Ftxnfsmoxnvoo'xE.
TABLE DES MATIÈRES
PREMIÈRE PARTIE
t* MO«E ftmUTtTB ET t.t <Kmz DES ttOt* SUITE.
XV. t~CUS MARTIUS.
Caractère du règne d'Ancus, sa maison. Les Fétiaux, d'institution sabine la colonne de la guerre. Guerres contre les Latins et populations latines établies sur l'Aventin. Guerre contre les Véiens; conquêtes au delà du Tibre fondation d'Ostie, déplacement d'Ostie. Les Salines d'Ancus existent encore. La transplantation des Latins à Rome; origine de la plebs romaine. Différence de la plebs et des clients. Le commerce latin, l'industrie sabine. Ancus fortifie Rome: le fossé des Sabins, la citadelle du Janicule, le pont Sublicius, les murs d'Ancus. Politique des rois sabins et d'Ancus en particulier. La prison Mamertitie et la popularité. Ce qui fit périr la royauté sabine. 1 XVI. LE t'REtHER TARQUIN.
Comment Rome eut-elle un roi étrusque. Origine de Tarquin. -< Prodige sur le Janicule. Politique de Tarquin; lui et sa femme prennent des noms sabins. Cette politique se montre dans la fondation du nouveau. Capitole et dans la nouvelle organisation des tribus. Caractère de la monarchie étrusque. Grands travaux
d'utilité publique. Dessèchements commencés.– Le Cirque.Jeux de l'Étrurie à Rome. Union des divers éléments de Romc enceinte générale des collines. Le marché embelli; avances aux Latins. Les fils du dernier roi sabin tuent Tarquin sur la Velia. -M XVtL –SÏKYtCit TULLIUS.
Légende sahir.e sur Servius Tullius. Mastarna. Servins Tullius é)u par le sénat. Culte et tempte de la Fortune, dévotion de l'aventurier à la Fortune. Les Compitalia, tête des Lares, politique de Servius. Rome, ville latine; Rome mise à la tête de: populations latines; tempte de Diane. Opposition des Sabins, supercherie religieuse. Première enceinte de toute la ville; Rome existe. 80 XVH). SOTE DE SEBV)US TCLUCS
Institutions de Servius. Tribus locales substituées aux tribus de race. Les classes. Principe du cens. La propriété, fondement et mesure de l'importance politique. Les Sept a. Rapport de la constitution de Servius et de celle de Solon.- Comment une constitution à la grecque a-t-elle pu venir d'un chef étrusque? Explication, rapport de Mastarna avec les villes grecques de Campanie. Origine grecque de la monnaie, des mesures, de l'écriture romaines. Actes de naissance et de décès, trois temples. Mort de Servius, chant de la parricide. Rue Scélérate. i<7 XtX. LA ROME ~TBtTi'QCt.
Question de l'influence des Étrusques sur Rome, présomption tirée de monuments et de la topographie. Origine et formation du peuple étrusque. Rapports de l'Étrurie avec la &rëH~)' l'Orient, tes populations germaniques. Ce que les Romains ont reçu des.Ëtrus*ques.– Chiffrés. monnaie, calendrier, les ctoches, les moulins à bras, etc Jeux pugilat, courses de chevaux et de chars; jeux séculaires le <c/e étrusque. Représentations dramatiques, combats de gtadiateurs, pompe royale et patricienne, pompe triomphale d'origine étrusque. Ce qutt y eut d'étrusque dans la reli-
gion et dans l'organisation politique, dans le système militaire et dans l'agriculture des Romains. L'art romain fut étrusque jusqu'au jour où il fut grec. Architecture, sculpture, musique. Tableau de Rome sous les rois étrusques. 157 XX. T.mQUt t,ti StJPEKjJt.
Tyrannie et grandeur de Tarquin. Sa politique à l'égard des Sabins et à l'égard des Latins. Fériés latines, temple de Jupiter sur le mont Albain. Assemblée des Latins prés de l'eau Ferentina, meurtre d'Herdonius. Prise de Gabie. Guerre contre les Yolsques. Colonies dans les villes pélasgiques de Signia et de Circéi. Le monte Circello chez Homère et chez Virgile, souvenirs de la magicienne Circé. Temple de Jupiter Capitolin; son archilecture, sa forme, sa grandeur. Travaux imposés par Tarquin, la cloaca maxima. Tarquin envoie consulter l'oracle de Delphes premiers rapports de Rome avec la Grèce. Les livres sibyllins. Feinte stupidité de Brutus, fable née de son nom. Lucrèce Sabine, Collatie Sabine, Brutus Sabin. Expulsion des rois.- Jugement sur Tarquin. 209
DEUXIÈME PARTIE LA RÉPUBLIQUE
1. GNERKE t)'AFFHA!!Cn!SSEME'<
Le consulat. Les biens privés des Tarquins confisqués, jugement de Tite Live. Champ de Mars, origine prétendue de l'île Tibérine.Conspiration, exécution des fils de Brutus dans le Forum. Buste de Brutus. Temple élevé par Brutus à la déesse Carna. Mort de Brutus. Vaterius Publicola soupçonné à l'occasion de sa matson sur la Velia.- Dédicace du temple de Jupiter, fermeté sabine. Porsena occupe la citadelle du Jan!cu)e. Le pont Suhiicius, Horatius Coctès, histoire de sa statue.– Mulius Sceevola, les prés de Mutius. -Clélie, sa statue sur la VeUa. BataiUe liwée par Aruns aux Ariciens, tombeau d'Aruns. -Rue et quartier étrusques, origine de ce nom.- Porsena a été le maître à Rome. Pourquoi la
confédération latine embrassa la cause de Tarquin.- La ~eM sabine des Ctaudii passe aux Romains. Bataille do lac Régille, emplacement du lac, apparition et temple de Castor et Potmi. Dédicace du tempte de Saturne. 2<ii IL HEBt POUttQttES DE )tO«E.
Nutte demeure particulière assignée aux Mis et aux consuls. Lieu de réunion du sénat, la curie, différents temples. Lieu des assemblées patricienne! le Comitium. Plate-forme qui le dominait à l'ouest, le Vuleanal. Tribunal du préteur. Comices par curies dans le Comitium. Comices par centuries dans le Champ de Mars Censure. Recensement, )ustration. Questure. Le Forum, comices par tribus, la tribune. Recensement et procession atmueUe des chevaliers dans le Forum. -Corps religieux, leurs habitations respectives. 308 COtUtEtCEMEtT DE LA MBEtTË.
Guerres au dehors et luttes au dedans.– Avarice et manque de foi des patriciens; temple de Mercure. Les ptébéiens se retirent sur le mont Sacré.– Création des tribuns du peuple et des édites. Coriolan, sa hauteur, son exil, fait la guerre aux Romains, vient à quatre milles de Rome. Valeria et les femmes romaines vont vers lui, il s'arrête à la voix de sa mère. Lieu de la scène.–Temple de la Fortune des femmes. Spurius Cassius; première loi agraire. Spurius Cassius est mis à mort par son père; origine de la puissance paternelle chez les Romains. Olfnnde au temple de Cérès. Statue et maison de Sp. Cassius; temple de Tellus. Dynastie coMutau-e des Fabius; ils paMent aux ptébéiens. Motifs de leur étaMiMement militaire contre tes Yéiens. Leur départ de Rome, le chemin qu'ils suivent, la porte Carmentale. Leur guerre contre Véies, leur défaite, leur mort. Les sur le Janicule et dans le Champ de Mars. *)~~ 372
`.
IV. OttCtttittTM, LES t)<CE)ttXS.
Agitations dans le Forum. Mort d'un tribun. Troubles au sujet de la loi Publilia. Appius se donne la mort. Violences des jeunes patriciens; le fils de Cincinnatus condamné; cause de la pauvreté
37
i!.
de Cincinnatus. Le Capitole occupe par le Sabin Herdonius. Cincinnatus consul. On va chercher Cincinnatus dans son champ pour le faire dictateur le vrai Cincinnatus. Les terres sur l'Aventin données aux plébéiens par la loi Icilia. Les décemvirs; histoire de Virginie. Meurtre de Spurius Mœlius l'.Tquimelium. Ce qu'était la dictature à Rome, essentiellement temporaire; différence d'un remède et d'un régime. 434 V. PREitIEttES GUERRES. PRISE DE VÊtES.
Guerres avec les ~ques et les Volsques. Guerres contre Véics. Statues des ambassadeurs romains mis à mort par Tolumnius, placées près des Rostres. Cornelius Cossus tue Tolumnius. Déférence de Tite Live pour un témoignage d'Auguste. Temple d'Apollon médecin. Fidène reprise. Verrugo.- Siège de Véies. L'émissaire du lac d'Albano. Comédie religieuse et politique. Véies est prise. Temple de Junon sur l'Aventin. Triomphe, dévotion et impopularité de Camille. Exil et prière de Camille. Voix divine qui annonce l'arrivée des Gaulois. Aute) d'Ajus Locutius. 49;! VI. LES GAULOIS.
l'remiers rapports des Romains et des Gautois. Défaite de l'Allia. Les Gaulois à Rome; incendie de la ville, massacre des vieux patriciens. Les Gaulois tentent de surprendre le Capitole; ils sont repoussés par Mantius. Temple de Junon Moneta. Effet de la malaria; les Gaulois se décident à lever le siège. BM~s 6'aK!'M. Mensonge de Tite Live, Rome s'est rachetée. Les plébéiens veulent transporter Rome à Véies; les patriciens et Camille résistent. On rebâtit la ville à la hâte; de là son irrégularité. Temple de Mars. On garantit le Capitole par une muraille. Jugement, condamnation et mort de Manlius. Le sénat appelle Camille pour qu'il s'oppose aux lois Licinienncs.–Scènes orageuses au Fo'um.– Accord des partes, to.ij.!c de la Concorde- 538
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t~i! -t.t'. 5ÏMON p~ON ET CO~P., r'.&~MHfiDMJ!, t.
ERRATA DU DEUXIEME VOLUMK
Page. 1, ligne 6, iaptuspetitedetoutes.a./OM/M.'apresJeCapitofe. 17, 21, ~Mppf!mM du Contado, c'est-à-dire. 20, 27.phëbeiens,H.!M:p)eMIens.
27, 2!), Mpp~'tKM.' à Fidène, dont )'~f.x était sur le mont de Castel Ginbdeo.
45, 9, )c tenta, lisez: tenta son petit-fils.
51, 17, Lomento,<MM:Lamcntana.
52, 25, six lieues, lisez quatre lieues.
67, 1, )e tenait, lisez: la tenait.
67, 23, Scipion l'Africain, lisez Scipion Emilien. 96, 15, après Primigenia, une virgule.
97, 1, après: la fortune de Préneste, un point. 108, 23,tepere,HM2;raicu).
108, 25,sesfih./MM:sespetits-n~.
110, 9,eUà,~MM;saufta.
120, 18,sioMn'cnexcepte,<MM:siotiene!cepte. 151, 25, cataphra~mata,~MM;peri,.hragmata. 155, 2, quelle, lisez qu'elle.
133, 7, Boct, lisez: Bockh.
149, 10, le vieux roi Cœiius./MM; du CaBHus. 196, 4, du gouvernement romain, lisez du gouvernement français.
209, 6, Circin, lisez: Circeii.
218, 20, il n'en suit point, lisez: il ne s'ensuit point. 219, 7, du parti de Tarquin, lisez du perfide Tarquin. 222, 18, nous mettons le pied sur, H.!M nous mettons le pied dans.
223, 7, is)e,<MM: île.
246, 29, undeses<Us,/MM~undesfi)sdeBrutu!. 247, 24, dont l'un d'eux, lisez: dont l'un.
284, 22, ne sachant pas, lisez: ne sachant point. 285, 1), le, lisez: là.
364, 11, du haut Capitole, lisez: du haut du Capitole. 387, 8, placé à la porte du leur, lisez: de leur temple. 410, 2, les patriciens, lisez le patricien.
414, 12,Festusi.<MM:Festus.
486, 7, par les tribuns, lisez: par les tribus.
487, 9, guerre faite, lisez guerres faites.
503, 00, supprimez la note 1, qui fait double emploi. 566, 32, c. lisez: ceci.
tNDtCATtONS DE LIEUX Kf DE MONUMENTS
DEUX1HME VOLUME
Basilique Porcia. Épisode Sainte-Martine. Cirque Flaminien. Entre la place Margana et la place Iliiganica.
Forum de César. Entre la rue de Marforio et la rue Alessandrina.
Jardins de Lucullus. Villa Medicis.
Jardins de Salluste. YiUaMassimietVi~aLudovisi. Marcheaux Légumes. RueMontanara.
Portique de Mete))us(puisd'0c-
ta~'ie). Pescheria Vecchia
Pont~!mi!ien. Ponte Rotto.
Pont Cestiua. Ponte di San Bartolomeo. PontFabricius. Ponte quattro Capi.
Porte du Palatin. Arc de Titus.
Temple de Castor. Les trois colonnes à l'extrémité orientale du Forum.
Temple de Gères. Église de Santa Maria in Cosmédin. Temple d'Escutape. Église de Saint-Barthélemi dans l'ile. Temple d'Hercu)e(presf)uTIbre) Temple rond, appelé temple de Vesta. Temple d'Isis. ÉgtisedeSanStefanoddCaceo. Temple de Junon (sur l'Aventin) Église de Sainte-Sabine. Temple de Junon Moneta (sur
le Capitole). PataisCaffareMi.
TempledeMinerve(sur l'Aventin) Église de Saint-A)eïis
Temple de Minerve (dans le
champ de Mars) Église de la Minerve.
TemptedetaPiét~ Théâtre de Marcellus.
Temple de Saturne. Les huit colonnes au pied du Capitole. Théâtre de Pompée. Palais Pio.
Septa. Entre)* rue des Botteghe oscure et l'église de la Minerve.
Voie Appienne. RuediPortaSanSebastiano. Voie Flaminienne. Corso.