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Titre : Figaro : journal non politique

Éditeur : Figaro (Paris)

Date d'édition : 1893-02-13

Contributeur : Villemessant, Hippolyte de (1810-1879). Directeur de publication

Contributeur : Jouvin, Benoît (1810-1886). Directeur de publication

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34355551z

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb34355551z/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Format : Nombre total de vues : 164718

Description : 13 février 1893

Description : 1893/02/13 (Numéro 44).

Description : Collection numérique : BIPFPIG63

Description : Collection numérique : BIPFPIG69

Description : Collection numérique : Arts de la marionnette

Description : Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine commune

Description : Collection numérique : La Commune de Paris

Description : Collection numérique : France-Brésil

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k282443m

Source : Bibliothèque nationale de France

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 15/10/2007

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(DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL)

UIIO entrevue avec le Président

de la République de Colombie

Carthagène des Indes, janvier 1893.

Au fond d'une rade magnifique Car- thagène s'allonge, blanche au milieu de vivaces verdures, entourée de multiples fortifications, joliment hérissée de cré- neaux et de tourelles. Ce sont les Espa- gnols qui,précieusement, sertirent ainsi la perle de leurs Indes occidentales ; qui la couvrirent jadis de grandes et super- bes constructions, palais, églises, mo- nastères ; qui en tracèrent les rues colo- rées, aux maisons massives mais fraî- ches, bariolées de fenêtres et de balcons bleus, verts, rouges. Il ne luf manque même pas, à ce coin d'Espagne, le tradi- tionnel palais de l'Inquisition.

Mais dès que la guerre de l'Indépen- dance eut mis fin à la domination espa- gnole, Carthagène déclina, comme incon- solable du départ de ceux qui l'avaient tant aimée et si bien parée. Pour préser- ver la ville d'un bombardement, la grande entrée de son port avait été obs- truée. Peu à peu les navires désappri- rent son chemin. Et maintenant de mi- nuscules forêts ont envahi ses remparts, enchevêtré ses créneaux ; aux angles des fortifications, des lianes enlacent gra- cieusement les sveltes tourelles ; quant aux canons, grands et petits, gueule en terre, culasse en l'air, ils ne protègent plus, comme bornes, que les coins des rues.

C'est en cette cité du passé, en cette ville de décadence qui rappelle curieu- sement nos villes mortes de Ta Méditer- ranée, que réside le plus moderne de tous les présidents de République, le docteur Raphaël Nunez, maître suprême des destinées de la Colombie et,par con- séquent,de l'isthme de Panama.

L'Amérique a pu et peut encore exhi- ber des silhouettes de présidents bien curieux, qui ont compris et exercé le pouvoir de mille manières fantaisistes et extraordinaires. Personne cependant n'a traité ledit pouvoir avec autant d'ori- ginalité que le docteur Nunez. Depuis près de dix ans il le détient sans in- terruption avec l'autorité d'un dicta- teur, et en somme le pays ne peut pas s'en plaindre, car depuis 1885 il n'y a pas eu la moindre révolution - ce qui déjà constitue un fait exceptionnel dans les annales de l'Amérique centrale. Mais là n'est pas sa principale origi- nalité. : :

Elle consiste en la manière dont il dé- tient ce pouvoir absolu.

On sait que le siège du pouvoir exé- cutif et du Congrès est à Santa-Pé de Bogota. D'après la Constitution, la capi- tale doit être également la résidence du présidentde la République. Mais le doc- teur n'en a cure et reste tranquillement à Carthagène, qui est sa ville natale.

Sous prétexte de santé chancelante, il s'est fait accorder par le Sénat un congé illimité, et a passé les charges du pouvoir exécutif à un de ses fidèles, qu'il a fait élire à la vice-présidence de la République.

Mais rien ne se fait sans qu'il ait été consulté, «ans qu'il ait opiné et sans que son avis prévaille. Le vice-président n'a en réalité du pouvoir que toutes les corvées et les désagréments. C'est lui qui s'use dans les frottements de la vie publique. Tandis que le président, en congé pour santé chancelante, se con- serve frais et fort - physiquement comme politiquement.

Et ainsi il vit une vie de raffiné, sa- vourant eh pleine quiétude les charmes capiteux du pouvoir absolu. A Cartha- gène, point de paperasseries ni de mi- nistres ; pas de Chambres ni de corps diplomatique. Tous ces rouages gênants sont parqués à Bogota. Et entre les deux villes il y a dix à quatorze jours de route, suivant les saisons. Le voyage est de nature à faire réfléchir les raseurs les plus opiniâtres !

t Or, le docteur Nunez n'aime pas que l'on vienne troubler le calme de son existence. Quelque temps avant mon ar- rivée, il avait décliné l'honneur de rece- voir le commandant de la corvette amé- ricaine le Kersage, et le commandant du cuirassé italien le Giovanni Bausan avait essuyé les mêmes excuses la veille du jour où le président voulut bien don- ner audience h. l'envoyé du Figaro.

Dans une maisonnette ensevelie sous des cocotiers, simplette au possible, qui n'a même pas l'ornement d'une senti- nelle, M. Nunez est tout à son bonheur aux côtés d'une femme remarquable- ment intelligente et restée fort belle. Naguère, au Nouvel An, il lui fit la sur- prise de faire frapper des piastres co- lombiennes sur lesquelles ses traits figuraient le profil traditionnel de la Li- berté. Les pères conscrits de Bogota, moroses comme tous les pères conscrits, ne goûtèrent pas la galanterie, et se fâ- chèrent.

- C'est le seul nuage qui soit venu jus- qu'ici troubler la belle quiétude du pré- sident; c'est la seule opposition que lui ait faite son Parlement.

Mais viennent les orages, qu'il est en- core en admirable posture pour les con- jurer. Je ne serais pas surpris que cette éventualité d'une révolution (toujours menaçante en Amérique) ait été un des principaux motifs de sës préférences pour Carthagène.

On a toujours ici la suprême ressource dont Bogota est dépourvue - la mer et, dans la rade, la flotte colombienne, sa- voir... là Popa, une simple canonnière, suffisante cependant pour gagner les cotes voisines du Venezuela ou du Costa- Rica.

Mais si la retraite de Carthagène satis- fait si complètement le bonheur et la prudence du docteur Nunez, elle fait le desespoir des diplomates qui ont à trai- ter avec la Colombie. S adressent-ils di-

rectement à Carthagène, le président se récuse, se retranche derrière son congé. D'autre part, à Bogota, les ministres ré- pondent qu'ils ne peuvent rien conclure sans le consentement du chef de l'Etat. 11 y a bien une ligne télégraphique entre les deux villes. Mais elle ne fonctionne que très vaguement, surtout quand il y a des négociations en cours.

Et ainsi des semaines et des mois se passent avant qu'intervienne une solu- tion. Il ne faudra donc pas s'étonner si les négociations pour la prorogation de la concession du canal traînent en lon- gueur.

Dans sa maisonnette ensevelie sous ' les cocotiers, pendant de longues heures nous avons entretenu le président du passé du canal, de son avenir, et avant tout de cette prorogation si importante pour ceux qui en France croient encore à l'avenir du canal.

a Si le gouvernement colombien est disposé à continuer à la liquidation la prorogation de concession qui expire à la fin du mois de février? reprit le doc- teur Nunez.

» Avant de répondre à votre question, je devrais vous en poser une autre : les capitaux français sont-ils disposés à soutenir une reprise des travaux?

» Pour moi, je ne le crois pas. Mes informations me représentent l'opinion publique en France très écoeurée du canal, par les révélations que vous savez. Et cette impression n'est guère faite pour favoriser des sacrifices nou- veaux. Je le regrette profondément. Je considère le marché français comme le plus riche et le plus puissant. J'ai habité la France en 1873, après vos revers : j'ai assisté à votre travail de relèvement. J'ai été émerveillé.

»> Puis, les capitaux français, nous sa- vions qu'ils venaient dahs l'isthme sans arrière-pensée politique. En sera-t-il de même si nous sommes obligés de faire passer la concession en d'autres mains?

» Tout nous attire donc vers-la France que, dans l'Amérique latine, nous ai- mons à considérer comme une soeur aî- née, et je vous autorise à déclarer ceci :

» Avant toutes autres, le gouvernement colombien tiendra compte des proposi- tions françaises et leur accordera la préférence si on lui donne l'assurance* formelle d'une reprise des travaux. »

Le président voulut bien répéter cette importante déclaration, et je l'écrivis sous sa dictée.

L'engagement était formel. Il ne lais- sait de me surprendre beaucoup. Pen- dant mon séjour à Panama, j'avais ob- servé les déclarations de la presse offi- cieuse. Je m'étais informé de l'opinion des milieux gouvernementaux. De part et d'autre, ce n'était pas ce langage-là que l'on tenait. Si bien que lorsque je quittai l'isthme, personne n'y croyait à la possibilité d'une prorogation.

Lorsqu'on sut, il y a trois mois, que M. Monchicourt avait demandé la pro- rogation, Panama, qui expie dans un désolant marasme ses huit années de splendeurs, de luxe et de fêtes, exulta. Un groupe de personnalités influentes, à la tète desquelles s'était placé un vieil ami du canal, l'évêque de Pa- nama, Mgr Peralta, envoya une dé- pêche à Bogota pour demander au gou^ vernement d'accorder la prorogation sans conditions. Quelque temps se passa. Les signataires de la dépêche ne rece- vaient pas de réponse. En revanche, les agents du pouvoir central semblaient avoir reçu des instructions. Le Mercu- rio, qui passe pour être l'organe de M. Roman, gouverneur de Colon, un autre beau-frère de M. Nunez, commença une campagne contre la prorogation. La Colombie, disait-il, serait bien naïve d'accorder un nouveau délai pour la re- prise des travaux.Dans peu de semaines, toute l'oeuvre du canal devenait sienne de par les traités, et il lui serait alors loisible d'en retirer un joli bénéfice en la rétrocédant à Une Société nouvelle. Le Mercurio alla jusqu'à menacer Mgr Perralta et les signataires de la dépêche d'un meeting d'indignation sur la place publique.

Cette tactique se trouva bientôt ap- puyée par le Porvenir de Carthagène, or- gane du président, qui publia d'exorbi- tantes conditions auxquelles serait ac- cordée la prorogation : payement à la Colombie de 23 millions en espèces, et 10 millions en actions de la nouvelle Société ; remise de plus de 2 millions que la Colombie doit à la liquidation ; diverses faveurs pour le traitement des produits colombiens traversant le canal ; et enfin, construction, aux frais de la So- ciété nouvelle et au profit de Panama, d'un aqueduc qui coûterait au moins 300,000 dollars.

***

De pareilles conditions équivalaient à un refus de prorogation. Je ne pus m'empêcher de faire remarquer au pré- sident combien ses bienveillantes inten- tions se trouvaient annihilées de cette façon, et je lui rapportai le mot de M. W. Adamson, consul dos Etats-Unis dans l'isthme, qui, devant moi, n'avait trouvé qu'une ironie pour caractériser de telles exigences, disant : « Je m'étonne seule- ment que, sous prétexte de prorogation, on n'oblige pas aussi la nouvelle Compa- gnie à offrir un piano à chaque famille de Panama l »

- Voyons, répondit en riant M. Nu- nez, vous êtes journaliste. Je l'ai été. C'est ainsi que je débutai dans la vie politique. Je le suis parfois encore. Je me garderai bien dë jurer que tout ce que j'ai publié est l'absolue vérité. Qui vous dit donc que les exigences men- tionnées par les-journaux soient celles du gouvernement colombien ?

» Evidemment dans l'intérieur du pays un courant s'est manifesté en fa- veur de certaines compensations. Mais là-bas on connaît moins l'oeuvre du ca- nal que sur nos régions côtières. On ne se rend pas un compte bien exact de tous les avantages que la Colombie reti- rera du canal. Tandis qu'à Carthagène déjà l'on s'en fait une juste idée, des gens d'ici y ont travaillé et, pendant les travaux, Carthagène approvisionnait l'isthme de vivres frais.

» Je pense donc qu'en présence de ,

propositions sérieuses le gouvernement central pourrait se montrer très cou- lant.

- Vous m'avez dit tout à l'heure, monsieur le président, que vos informa- tions vous représentaient l'opinion pu- blique en France comme découragée. Il me semble que, même en ne mettant à la nouvelle prorogation que les conditions de l'ancienne, ce n'est pas précisément un encouragement.

» La Colombie a demandé en 1890 qu'à la reprise des travaux il lui fût versé 10 millions en actions de la Compagnie nouvelle'et 15 millions en espèces. Les 10 premiers millions sont une forme de compensation à laquelle personne ne pourrait rien objecter. Pour les 15 mil- lions en espèces, ne pensez-vous pas qu'ils sont de nature à faire reculer le souscripteur, qui ne manquera pas de se dire : « Allons, la danse des millions » recommence I En voilà quinze qui par- » tent avant même qu'on ait donné le » premier coup de pioche et qui partent » sans que le canal en soit plus avancé » d'un millimètre. Décidément, j'y re- » nonce! »

Votre éminent compatriote, Mgr Pe- ralta, à qui j'avais présenté cette objec- tion, n'avait pas hésité à convenir qu'il serait plus humain et aussi plus cheva- leresque pour la Colombie de renoncer à ces quinze millions en espèces, pour augmenter en retour les millions en actions.

- Ce sont là, répondit le président, " des stipulations anciennes déjà, sur la modification desquelles je ne puis vous donner aucune réponse.

» Mais si vous les trouvez mauvaises, vous n'avez en vérité qu'à vous en pren- dre au négociateur français de la proro- gation de 1891.

- A M. Bonaparte-Wyse?

- Parfaitement. M. Bonaparte-Wyse a donné à ses négociations une allure toute napoléonienne (sic), parlant haut, tranchant jusqu'à la brutalité.'

» A Bogota, il n'a pas tardé à se mettre tout le monde à dos, le gouvernement, le congrès et aussi la presse, avec la- quelle il était en polémique réglée. Pour un diplomate, ce n'était peut-être pas là de la bonne diplomatie. Moi-même j'avais entretenu autrefois d'excellentes relations avec lui, j'ai dû les rompre à bce moment.

» Bref, il ne serait même pas rentré à Paris avec ce traité, dont les conditions vous paraissent peu favorables, si Mgr Peralta et les députés de l'isthme n'étaient intervenus pour sauvegarder les intérêts du district de Panama. »

. ***

Le point de yue français de l'avenir du canal était ainsi fixé. Restait à élargir ta question, à connaître les projets de la Colombie au cas ou l'on ne pourrait don- ner en France « l'assurance formelle d'une reprise des travaux ». J'avais en- tendu parler de certains projets natio- naux, de la continuation du canal par le gouvernement colombien, et je priai le président de vouloir bien me faire connaître comment il les envisageait.

- Ces projets sont déjà anciens, me répondit-il. Ils se produisirent au lende- main de la chute de la Compagnie. Sui- vant leurs auteurs, la Colombie aurait contracté un emprunt dont les intérêts auraient été garantis par le produit de nos douanes, et dont le capital, déposé dans une banque de repos, aurait servi à conclure avec un groupe d'entrepre- neurs un forfait pour l'achèvement du canal.

» Je reconnais que c'est en somme la seule solution logique : le canal en terri- toire colombien à la Colombie. C'est un beau rêve pour un patriote.

» Mais j e reconnais en même temps que ce n'est qu'un rêve : il faut trouver des capitaux trop considérables et notre cré- dit est trop limité. Ce projet avait donc été abandonné.

» Cependant il a revu le jour tout récem- ment sous une autre forme. Quelque

temps avant votre arrivée, j'ai reçu deux personnages, l'un italien, l'autre espa- gnol* qui arrivaient appuyés par mon collègue et ami M. Crespo, président de . la République du Venezuela. Ils pen- sent pouvoir trouver la somme que demande l'achèvement du canal, au moyen d'un emprunt garanti à la fois par la Colombie et le Venezuela. Ce projet m'intéresse incontestablement, d'autant plus que je connais M. Crespo, qui est un homme très sympathique et fort intelligent. Les deux négociateurs sont partis pour Bogota soumettre leur projet au gouvernement central. Us pré- tendent être certains de réunir en Eu- rope le capital nécessaire. Je le souhaite, mais en vérité je n'y compte pas d'une manière absolue.....

. - Peut-être en élargissant les bases de cette combinaison, demandai-je, en formant une fédération financière des Etats du Centre-Amérique _ et de ceux qui sont situés au nord de l'Amazone - c'est-à-dire des principaux intéressés au percement de l'isthme - est-ce cela la solution de votre problème? »

Cette combinaison ne me parut pas sourire beaucoup au président qui se retrancha derrière la faiblesse économi- que de là plupart de ces pays.

Mais alors, quelle était donc la solu- tion en. réserve pour le cas, presque cer- tain suivant le président, où les capi- taux français ne tenteraient pas une se- conde traversée de l'Atlantique? Son organe, le Porvenir, avait beaucoup prôné à certain moment un vaste projet préconisé par le congrès panamerica- niste de Philadelphie, le chemin de fer intercontinental, reliant l'Amérique du Nord à l'Amérique du Sud. D'autres journaux, dans leurs commentaires, avaient insinué que le matériel accumulé dans l'isthme était tout indiqué pour per- mettre de faire à bon compte le tronçon colombien de l'Intercontinental. C'est donc sur ce sujet que se portèrent mes questions.

- Je suis assurément très favorable au développement des chemins de fer en Colombie, répondit le docteur Nunez. La prospérité du pays sera en raison di- recte de leur extension. Nous avons à l'intérieur des provinces très riches qui végètent faute de voies de communica- tion.

>» Cependant,l'Intercontinental, comme le canal à la Colombie, ne sera de long- temps qu'un beau rêve. Et puis, il est bien loin de valoir le canal, comme moyen de faire de l'isthme un centre commercial.

- Mais ce canal, qui donc le fera, puis- que, monsieur le président, vous ne semblez croire ni à une combinaison colombo-venezuelienne, ni à la reprise française? Le gouvernement aurait-il reçu quelque proposition? anglaise peut- être? ou américaine?

- Aucune proposition sérieuse ne nous est parvenue encore d'Angleterre, voulut bien me répondre le président. Le marché de Londres n'est pas très à l'aise, je crois, depuis les pertes qu'il a subies dans l'Amérique du Sud, et cet événement est peut-être trop récent pour qu'on y soit séduit par une autre entre- prise américaine.

» En revanche, les Etats-Unis nous ont fait des propositions, ainsi qu'il était fa- cile de le prévoir. Ils sont intéressés au percement du continent plus que tout autre pays, par leurs relations déjà no- tables, et qui tendent à se développer de plus en plus vers le Sud.

» En outre, vous n'ignorez pas qu'ils ont certains droits à Panama.

» En vertu du traité qu'en 1846 ils ont signé avec la Colombie, nous leur ga- rantissons le libre passage de l'isthme, et de leur côté ils garantissent sa par- faite neutralité, ainsi que les droits de propriété de la Colombie sur ce terri- toire.

» J'ai doncreçu il y a huit joùrs,la visite d'un négociateur américain, le colonel

LES TEMPS DIFFICILES

(Un Ministre). - Voulez-vous rendre un grand service au Cabinet? Dans votre interpellation appelez-moi voleur L„

Tysdell. Mais je n'ai eu avec lui qu'une seule entrevue. Je ne suis pas complète- ment ad courant de ses propositions et je serais fort embarrassé pour vous en parler en détail.

» Je lui avais conseillé de les soumettre d'abord au gouvernement central, et il est reparti sans tarder pour Bogota.

- Cependant, monsieur le président, il me semble que c'est une tâche bien difficile qu'entreprendraient les capi- talistes américains. Pour une entreprise qui ne manque pas d'aléa, comme celle du canal, il est impossible de trouver aux Etats-Unis des capitaux à moins de 7 et 8 pour cent.Si, d'autre part, on con- sidère que l'achèvement du canal de- mandera un certain nombre d'années, il est évident qu'une trop forte partie du capital sera absorbée par le service des intérêts.

- Je vous répète que je ne sais, en détail, sur quelles bases repose l'entre- prise du colonel Tysdell. En somme, il y a pour les Etats-Unis un intérêt natio- nal à voir achever le canal. Le gouver- nement même ne peut s'en désinté- resser.

- La chose est claire ; néanmoins, la Constitution américaine interdit au gou- vernement de s'intéresser à des entre- prises situées en dehors du territoire des Etats-Unis.

- En effet. Mais, ajouta le docteur Nunez, la Constitution est oeuvre de Congrès et elle a déjà subi quelques re- visions...»

Est-ce un désir ? Une promesse du né- gociateur yankee? Un engagement du gouvernement de Philadelphie? Ou sim- plement une flèche à l'adresse des capi- taux français ?

En vérité, je ne saurais me prononcer. Car, malgré toute la bonne grâce qu'avait mise le président à répondre à mes questions multiples, il me fut im- possible d'obtenir sur ce point des don- nées plus précises.

Félix Dubois.

Au Jour le Jour

LES CUISINIERS FRANÇAIS il L'ÉTRANGER

Berlin s'agite. Les patriotes de l'endroit or- ganisent des meetings d'indignation contre les cuisiniers français coupablesde tenir une place trop triomphante autour des fourneaux de la Sprée. C'est une belle lutte entre le patriotisme et la gastronomie. Ne rions pas trop : nous aussi avons connu ces ligues vertûeuses où la bière bavaroise était conspuée au nom de la revanche; pourtant Munich continue à nous expédier des tas de demi-brunes et de quarts de blonde, comme il est probable que Paris con- tinuera longtemps à exporter dans les capi- tales d'Europe ses alchimistes culinaires.

Car notre prestige n'est point entamé de ce côté-là. Le Panama lui-même ne nous a pas enlevé un client. De Londres à Saint-Pé- tersbourg et d'Athènes à Stockholm, le pre- mier souci du seigneur de quelque importance est de se procurer un chef français. C'est l'A, B, C du chic.

A quoi tient cette supériorité traditionnelle de nos maîtres-queux? Nous n'avons pas en France d'enseignement théorique de la cui- sine ; les rares écoles qui furent fondées à cet effet n'ont même point eu d'heureuses desti- nées, témoin celle de la rue Bonaparte, dont je vous annonçais la création, à cette place, il y a quelque dix-huit mois, et qui, au bout d'un an d'exercice, a éteint ses feux. Les maîtres de l'art semblent peu soucieux de créer des élè- ves. Contrairement aux peintres, ils ne cher- chent pas à revivre dans leurs disciples, et on ne citerait pas, dans tout Paris, un atelier de marmitons. Chaque génération devrait donc emporter ses secrets dans la tombe. Au lieu de cela nous voyons des promotions déplus en plus florissantes de cuisiniers émérites. Heu- reux pays I

Comment, dans la pratique, l'étranger re- crute-t-il chez nous ses Vatels ? «

Généralement en écrivant à la Société des cuisiniers français dont le siège est rue de Tur- bigo et qui, forte de quatre mille membres, fonctionne depuis 1848 avec un succès toujours croissant. La Société présente, par ordre d'ins- criptions, une liste de candidats, avec leurs antécédents et leurs états de services, puis les engagements se traitent de gré à gré.

C'est l'Angleterre et la Russie qui adressent le plus grand nombre de demandes. Il existe même à Londres une société locale, le Club des travailleurs français, se réunissant au café de l'Etoile, qui a pour but d'éviter aux indigènes leurs recherches en France.

Le salaire mensuel d'un cuisinier français en Angleterre est de 400 francs au minimum et monte fréquemment à 600 et 700 francs. En- core ne s'agit-il que d'un bon ouvrier, et non d'un artiste coté, possédant une réputation in- dividuelle. Le traitement lui-même n'est qu'une part des bénéfices du cuisinier. A sa solde s'a- joutent les remises des fournisseurs, un sou du franc, s'élevant à 15 ou 20 0/0 du prix des denrées, la libre disposition des restes de la table, etc., etc. Ah I on gagne plus dans ce métier-là que dans la diplomatie.

Un exemple.

Le chef des cuisines de M. de Rothschild, de Londres, a acheté dernièrement, à Paris, un établissement qu'il a payé comptant 500,000 fr. Il avoue avoir, pendant toute la durée de son service, gagné annuellement de 40 à 50,000 fr. Pourtant il conquit sa place à la faveur de son honnêteté et grâce aux prodigalités de son prédécesseur. Ce dernier réalisait des bé- néfices bien autrement considérables et possé- 1 dait des équipages aussi correctement attelés que ceux de son patron. Un jour, celui-ci le fit appeler et lui dit : « Mon ami, je veux bien que vous fassiez vos petites affaires chez moi, mes moyens me le permettent, mais je ne veux pas que vous me rendiez ridicule : vous aurez l'obligeance de rendre votre tablier. » Et, dans les vingt-quatre heures, il le congédia.

C'est là, en effet, le revers de cette belle médaille, qu'on puisse être renvoyé du jour au lendemain. Les domestiques ont leurs « huit jours », les cuisiniers ne les ont pas; ainsi le veut l'usage, .

L'abus de l'anse du panier a déterminé la plupart des grandes maisons étrangères, comme un certain nombre de grandes maisons françaises, à payer leur cuisinier non au moyen d'appointements, mais au moyen d'un forfait. On paye au chef tant par repas et par couvert. Il doit fournir un certain nombre de plats, telles qualités de vins déterminées ; à lui

de se débrouiller pour gagner le plus possible sur la fourniture.

J'ai sous les yeux le modèle d'une soumis- sion récemment faite à un négociant de Vienne, lequel exige trois plats, hors-d'oeuvre et dessert à son déjeuner, quatre plats, potage et entremets à son dîner. La convention est ainsi conclue :

5 personnes à traiter bourgeoisement, par jour : 50 fr.

10 domestiques à traiter bourgeoisement par jour : 40 fr.

En cas de réception, les prix des couverts de maître sont doublés ou quadruplés suivant la nature delà réception. Il y a l'extra n* 1 pour les invités sans conséquence et l'extra n» 2 pour les amis de marque. Ceux-là coû- tent, sans le savoir, un louis par repas à leur amphitryon.

11 s'agit, dans l'espèce, d'une maison ayant; un train relativement modeste. On voit ce- pendant que le budget du chef s'y chiffre par plus de 40,000 francs par an.

Les maisons - princières et les cours ont adopté le système des forfaits. Chez la feue reine Olga de Wurtemberg, à Stuttgard, le forfait était de 32 francs par jour et par cou- vert de maître. C'est, à peu de chose près, le tarif de certaines tables impériales amies et ennemies.

Si l'on songe qu'en ces palais, les réceptions sont pour ainsi dire constantes et que les bou- ches à nourrir se comptent par centaines, on comprendra l'importance financière du chef des cuisines. Mais pour tenir la queue de la poêle, sous ces lambris dorés, il faut être une célé- brité culinaire, un Krantz ou un Giroix.

Dans les châteaux plus humbles, la diffi- culté est d'un autre ordre ; il est nécessaire d« posséder des avances considérables, car les maî- tres ne règlent leur cuisinier que tous les six mois ou tous les ans.

Néanmoins, comme on peut en juger, le mé- tier présente, à tout prendre, assez d'avanta- ges pour n'être pas près d'être négligé en France, malgré l'absence de cours normaux et d'écoles d'application.

Guy Tomel

ÉCHOS

LA POLITIQUE

On essaie de faire une petite agitation autour de l'idée d'un renouvellement partiel de la Chambre.

On n'ose pas avouer qu'on voudrait bien l'appliquer à la Chambre actuelle, mais cela saute aux yeux.

Heureusement le mal porte son re- mède avec soi : l'idée que tel ou tel dé- puté, manifestement suspect à ses élec- teurs, pourrait, en vertu du renouvelle- ment partiel, se soustraire à leur vin- dicte ou simplement à leurs soupçons suffira, si je ne me trompe, à rendre le projet impopulaire et inacceptable.

Au moment oh l'opinion réclame des hommes nouveaux et d'autres procédés inédits de gouvernement, ce serait une audace qui toucherait à l'impudence si la Chambre osait essayer de prolonger sa durée et de s'imposer au pays.

Il est certain que la situation est trou- blée et que l'on ne sait plus très bien où l'on va, mais à cela il n'y a qu'un re- mède, évidemment antipathique aux députés en exercice, qui serait la disso- lution. Faute de l'accepter avec une ré- signation qui lui vaudrait des compli- ments auxquels on ne l'a pas habituée (elle n'a rien fait d'ailleurs pour cela), la Chambre continuera à se débattre et à s'agiter au gré des incidents et des acci- dents.

C'est ainsi que l'émotion causée par le discours de M. Cavaignac ne s'est pas encore calmée et que cependant plu- sieurs députés de la majorité sont hos- tiles à la manifestation ministérielle, qu'on veut préparer sous forme d'inter- pellation.

Nous croyons savoir que le groupe des républicains modérés est résolu à ne pas quitter le terrain où s'est placé M. Cavai- gnac ; d'autre part, le ministère ne pourra répondre à l'interpellation que par des banalités qui n'engageront ni lui ni ses auditeurs.

Un état d'esprit nouveau a été créé par les événements : du moins, l'universel désarroi permet de le croire. La logique voudrait qu'on se hâtât de se retremper à la source électorale. Ce serait le seul moyen pour la législature prochaine d'avoir un programme défini de gouver- nement et la certitude de connaître à peu près la pensée du pays.

Nous admettons à la rigueur que la Chambre ne soit pas dissoute prématu- rément ; mais que le système du renou- vellement partiel continue l'équivoque sur laquelle repose désormais son exis- tence, l'incertitude où elle est elle-même de savoir commentobéir à l'électeur, cela serait inadmissible.

Pour pouvoir causer du renouvelle- ment partiel, il faudrait être sûr qu'on n'essaiera pas d'en faire profiter la Chambre actuelle. - F. M.

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LA TEMPÉRATURE

Des pluies sont signalées en France et â l'ouest des Iles-Britanniques. La température s'abaisse, elle était hier à Paris : 4° au-dessus le matin ; 50 à dix heures ; 7° à midi ; 6<> à deux heures. 120 à Alger, 16° au-dessous à Saint-Pétersbourg.

Malgré un assez grand vent, la journée d'hier à Paris a été splendide. Les boulevards et les promenades regorgeaient de monde ; dans la soirée, 6° 1/2 au-dessus de zéro; baro- mètre : 758mm.

Monaco. - Très be&i journée. Baromètre: 765mm. Therm. min. : 994; max. : 1904.

Arcachon, 12. - Temps à averses. Th. 12°.

A TRAVERS PARIS

Une entrevue douloureuse, et qui semble empruntée aux tragédies les plus cruelles de l'antiquité, aura lieu aujourd'hui dans cette demeure de La Chesnaye, dont le monde entier s'oc- cupe à cette heure. . t "

M. Charles de Lesseps a obtenu l'auto- risation d'aller embrasser son père qui constamment le réclame et qui, sans connaître la cause terrible de sa longue absence, se plaint à chaque instant de ne pas voir son fils aîné auprès de lui.

Deux agents le conduisent donc cette