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Titre : Le Figaro. Supplément littéraire du dimanche

Éditeur : Le Figaro (Paris)

Date d'édition : 1883-09-01

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb343599097

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb343599097/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Description : 01 septembre 1883

Description : 1883/09/01 (Numéro 35).

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k274058x

Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-246

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 15/10/2007

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SOMMAIRE DU SUPPLÉMENT tus Funérailles DE CHARLES X a Goritz

Auguste Marcade. *–̃

J.K 3 ET 4 SEPTEMBRE Atx Toileries Un Témoin. Foira DE l'Impératrice Eugénie EN ANGLETERRE: Ch.de V.

UN Bojï Conseil '.Richard O'îtfonroçï A Travers les Revues. La Semaine financière.

J:e::s

FUNÉRAILLES DE i|LI I A GOHITZ

»11 NOVEMBRE 1836)

Après-demain lundi, le comte de Chambord «era enseveli à Goritz, dans la sépulture royale de la branche aînée des Bourbons, qui fut inaugurée par Charles X, son* aïeul.

C'est le récit de ses derniers moments et de ses obsèques, célébrées il y a quarante-sept ans, que nous donnons aujourd'hui.

J Lorsqu'il quitta le Hradschin de Prague, le vieux château des rois de. Bohême, au mois de mai 1836, Charles X dit avec mélancolie

« Nous quittonscechâteau sans bien savoir où nous allons, à peu près comme les patriarches qui ignoraient où ils planteraient leurs tentes. Que la volonté de Dieu s'accomplisse »

II y avait trois ans et sept moi^i qu'à pareil jour, le 19 octobre. 1832, il avait reçu à. Prague l'hospitalité de l'empereur François II, que les hasardsde la vie avaient fait le neveu de Marie-Antoinette, et le grand-père du duc de Reichstad. Sauf les tristesses inséparables de son exil sans fin, tristesses souvent plus fortes que sa volonté, aucun incident pénible n'avait marqué son séjour dans l'antique demeure des Wenceslas. François II mourut le 2 mars 1835. Charles X appréhenda que sa présence ne gênât le nouvel empereur Ferdinand I" pendant t le couronnement dont on faisait les préparatifs et qu'il ne différât, pour ne pas lé troubler au Hradschin, un voyage nécessaire. Il se résolut à l'abandonner. On chercha pour lui, dans les environs de la ville, une demeure que la famille royale pût acheter ou louer. Quand on fut convaincu de l'impossibilité de trouver une résidence convenable, le vieux roi s'arrêta à l'idée d'aller habiter Goritz. La réputation qu'ont en Allemagne la beauté de son site, la salubrité du climat, l'excellence des ses eaux, le détermina à choisir cette ville qui tient à la fois, et de l'Allemagne, et de l'Italie. De son appartement du Hradschin, il voyait la Moldau, le pont chargé de statues qui relie ses rives, la ville avec ses dômes, ses tours, ses flèches gothiques, et tous ses vieux monuments qui font, ressortir, par un contraste plein de riches harmonies, la végétation vigoureuse de la hauteur crénelée du Laurenzberg.

C'est là, dans ce vieux manoir délabré, que Chateaubriand le vit au mois de mai 1833. C'est là que le Roi confia au poète qu'un des charmesde sa résidence était qu'elle ne lui coûtait rien. Le roi et le gentilhomme se firent sur l'état de leur fortune, ou plutôt de leur pauvreté, des révélations qui sont consignées dans une des pages les plus curieuses des Mémoires d'outre-tombe.

Je représentai au Roi, dit l'illustre écrivain qu'il était trop loin de la France, qu'on aurait le temps de fairedeuxou trois révolutions à Paris avant qu'on en fût informé à Prague. Le roi répliqua que l'empereur l'avait laissé libre de choisir le lieu de sa résidence dans tous les Etats autrichiens, le royaume de Lombardie excepté. « Mais, ajouta Sa Majesté, les tilles habitables en Autriche, sont toutes à peu près à la même distance de France. A Prague, je suis logé pour rien et ma position m'oblige à ce calcul. »

Noble calcul que celui-là pour un prince qui avait joui pendant cinq ans d'une liste ciVite de vingt millions, sans compter les résidences royales; pour un prince qui avait laissé à la France la colonie d7 Alger et l'ancien patrimoine des Bourbons, évalué de 25 à 30 millions de revenu 1

-Je dis:«Sire, vos fidélessujetsontsouvent pensé que votre royale indigence pouvait avoir des besoins; ils sont prêts à se cotiser, chacun selon sa fortune, afin de vous affranchir de la dépendance de l'étranger.

Je crois, mon cher Chateaubriand, dit le roi en riant, que vous n'êtes guère plus riche que moi. Comment avez-vous payé votre Toyage?

Et le dialogue continue entre le vieux roi et l'homme de génie, gai, amusant. C'est là que l'illustre écrivain plaça son fameux mot

Je vis pêle-mêle avec les pauvres de Mme de Chateaubriand

Qu'il n'a eu garde d'oublier dans son étincelant récit.

A la fin, il disait au roi

Vous me parlez de ma fortune, pour éviter de me parler de la vôtre.

C'est vrai, dit le roi; voici à mon tour ma confession en mangeant mes capitaux par portions égales d'année en année, j'ai calculé qu'à l'âge où je suis, je pourrais vivre jusqu'à mon dernierjour,sansavoir besoin de personne. Si je me trouvais dans la détresse, j'aimerais mieux avoir recours, comme vous me le proposez, à des Français qu'à des étrangers. On m'a offert d'ouvrir des emprunts, entre autres un de 30 millions qui aurait ôl& refupli en Hollande, mais j'ai su que cet emprunt,, coté aux principales courses en Europe, ferait baisser les fonds français; cela

m'a empêche d'adopter le projet; rien de ce qui affecterait la fortune publique en France ne saurait me convenir.

Sentiment digne d'un roi t

4

Quand Prague, 16 Hradschin et -le Laurensberg disparurent pour jamais à ses yeux humides qui ne pouvaient s'en détacher, Voilà, dit-il, une des plus belles situations que j'aie jamais vues; ce spectacle était pour moi une véritable jouissance.

Pendant le mois de juin qui suivit, la famille royale se dissémina un peu partout le roi, à Tœplitz la duchesse d'Arîgoulême, à Carlsbad; le jeune comte de Chambord, à Dresde, chez le roi de Saxe. Puis elle se trouva réunie à Budweïss, dans une auberge de Bohème. Elle y était comme bloquée par les nouvelles alarmantes qu'on recevait à ce moment, de l'invasion du choléra. Venu d'Italie, il s'était rapidement étendu .jusqu'aux extrémités de la Transylvanie. Laybach, Trieste, Udine et les lieux "intermédiaires entre Salzbourg et Goritz étaient cruellement ravagés. Le château de Kirchberg, situé à une journée de Vienne, où le vieux roi et les siens s'étaient réfugiés, fut à son tour entouré par le fléau.

Le départ pour Goritz fut enfin décidé, et Charles X- commença sa dernière pérégrination, sur cette terre/ le 8 octobre. Depuis quarante-sept ans, depuis 1789, il avait appris les chemins de l'étranger. Il s'arrêta à Lintz où il célébra son soixante-dix-neuvième anniversaire, passa à Salzbourg où il vit Charles V, le premier prétendant Don Carlos, un autre Bourbon sans trône, et traversa avec plaisir les riantes vallées de la Drave, les Alpes majestueuses de l'Illyrie, les chemins hardis qui les traversent et surtout la route qui depuis la Ponteba suit le cours du Tagliamento. Il. ne parut point fatigué de ce long voyage. Tout entier à la joie de trouver enfin un refuge paisible, presque chaque jour il parcourait la ville de Goritz et se, promenait dans les environs, seul, à pied, à des distances considérables. Le roi s'était fixé avec son petit-flls, le comte de Chambord, auchâteau du Graffenberg, situé'à l'une des extrémités de la ville, sur un terrain élevé qui la domine l'hôtel Strasoldo reçut le duc, la duchesse d'Angoulême et Mademoiselle; quelques maisons furent disposées pour les personnes de la suite, car le château et l'hôtel n'avaient que des proportions restreintes..

Le bien-être éprouvé dans les premiers jours dura peu.' Là saison, devint rigoureuse; le vieux roi résista d'abord; mais on voyait en lui l'expression d'un sentiment inquiet; il paraissait agité, dit le comte de Montbel, son ancien ministre de la marine, témoin de ses derniers jours, « de ce qu'on appelle vulgairement le mal du pays. Il finissait toujours ses entretiens par prononcer des voeux pour le bonheur de la France. » Le 1" novembre il ressentit quelque incommodité, qu'il dissimula. Le 3, veille de la Saint-Charles, il eut à dîner le capitaine du cercle de Goritz et sa femme, et l'entretint' avec son aisance accoutumée, de son administration. Ce jour même, l'arrivée d\j marquis de Clermont-Tonnerre, son ancien ministre de la guerre, lui causa une véritable satisfaction. Lui et le duc d'Angoulême lui demandèrent nominativement des nouvelles d'un grand nombre d'officiers de terre et de mer, avec une étonnante fraîcheur de mémoire et un intérêt touchant.

Le 4, jour de sa fête, le roi éprouva un saisissement de froid pendant la messe, n'eut pas la force d'assister au déjeuner, mais à onze heures il reçut les hommages de tous les Français groupés autour de lui, de l'archevêque de Goritz, et donna encore une audience d'une heure et demie à M. de Clermont-Tonnerre. Après ces audiences, il commença à éprouver des douleurs et un malaise qui ne donnèrent pas encore d'inquiétudes. Mais il ne put prendre part au dîner. Il parut au salon, où ses enfants, petits-enfants et serviteurs étaient réunis. Tous furent frappés du changement subit qui s'était opéré en lui sa voix éteinte avait quelque chose dè caverneux sa physionomie et ses traits semblaient atteints d'une caducité soudaine.

Je me sens bien faible, dit-il, mais j'ai voulu vous voir encore, et vous remercier des vœux que vous venez de former pour moi.

Il resta debout quelques instants, adressant des paroles de bienveillance à sa famille, et aux dames qui l'entouraient.

Puis il se retira.

Dans la nuit, son état s'aggrava; des vomissements se déclarèrent, des crampes violentes fatiguèrent tous ses membres et se manifestèrent jusque dans la région du cœur.

Le docteur Bougon reconnut alors les signes caractéristiques d'une violente attaque de choléra; le cardinal de Latil, lui donna les derniers sacrements. Le docteur et le cardinal étaient les mêmes personnages qui avaient veillé au chevet du lit du duc de Berry, plus de seize années auparavant, dans la nuit tragique du 20 février 1820. 1 Le 6 novembre, à une heure et demie du matin,- Charles X expira. La crise ,qui l'emporta dura à peine vingt-quatre heures.

On fit, au premier des petits-fils de Louis XIV mort sur la terre d'exiî, des funérailles aussi solennelles qu'il fut possible, dans cette province éloignée, de la monarchie aulncbiemie.

Le li novembre, à neuf heures et de- mie du matin, le duc d'Angoulême et le comte de Ghambord se rendirent de leur hôtel au château du Graffenberg. Immédiatement et en leur présence, la levée du corps futfeite par le prince*

archevêque, assisté de son chapitre, et le convoi se mit en marche de la manière suivante

Un détachement de troupes, avec leurs tambours drapés, et leur corps.de musique;

24 pauvres en deuil portant des torches

Les Frères de la Miséricorde;

-Les religieux Capucins; .Les religieux Franciscains portant des flambeaux;

Le clergé des paroisses de Goritz; Le chapitre;

S. G. le prince-archevêque, Mgr François-Xavier Luschin

Le char funèbre surmonté d'une, couronne et attelé de six chevaux drapés de noir;

duc d'Angoulême. en manteau noir, accompagné du duc de Blacas, premier gentilhomme de la chambre;

Le comte de Chambord, en manteau noir, accompagné du comte de Bouille, aide-de-camp du Roi, et remplissant'les fonctions de gouverneur du jeune Prince: Le comte O'Hégerthy, écuyer-commandant, dirigeant la marche du char funèbre

A droite et à gauche du cercueil et des Princes, douze valets de pied portant des torches ornées d'écussons aux armes de France.

A la suite, et ensemble :v;

Le marquis de Glermont^Ponnerré, le comte de Mdn.tbel, anciens ministres :ie comte de Tonnerre Billot, procureur général de Sa Majesté le docteur Bougon le baron de Saint-Aubin, premier valet de chambre; l'abbé Jocquart, chapelain l'abbé Trébuquet, attaché" à l'éducation du comte de Chambord, ainsi que le colonel du génie Mounier, et le chevalier Cauchy, de l'Institut de France. Le capitaine Guignard; de SaintePreuve, ancien garde du corps; Henri Billot; les valets de chambre du Roi, portant des flambeaux le capitaine du cercle; les officiers et les notables; un détachement de troupes; des troupes I formaient la haie.

Le service fut célébré à la cathédrale de Goritz, par le prince-archevêque. La duchesse d'Angoulême et sa nièce, sœur du comte de Chambord, celle qui fut la duchesse de Parme, assistèrent à la cérémonie dans une tribune drapée de noir, au-dessus du chœuiv

Après la messe et les absoutes, données par le cardinal de Latil, M Frayssinous, évêque d'Hermopolis etle princearchevêque, le cortège se dirigea vers le couvent des religieux Franciscains. Le cercueil fut porté dans leur- église par le service du Roi, et dépose dans le caveau funéraire de la famille dès comtes de Thurm, situé sous la chapelle do- Notre-Dame de Mont-Carmel.

Il avait été couché dans un cercueil de plomb, scellé aux armes de France, qui fut placé ensuite dans un second. Le. cœur enfermé dans une enveloppe de plomb, fut renfermé dans une botte de vermeil, assujettie avec des vis sur le cercueil.

Après quoi, l'onplaça l'inscription suivante à l'entrée du caveau

CT-GIT

r TRÈS HAUÏ', TRÈS PUISSANT WtlNOB CHARLES X* DU NOM

PAR LA GRACE DE DIEU

ROI DE FRANCE ET DE NAVARRE

MORT A GORITZ LE 6 NOVEMBRE 1836 ÂGÉ DE 79 ANS ET 28 JOURS

Aucun acte politique ne vint troubler le recueillement de cette- funèbre cérémonie. On n'entendit pas le cri « le Roi est mort 1 Vive le Roi 1 » On ne vit là, qu'une famille et des serviteurs en larmes, abîmés dans la douleur, pleurant un père et un grand-père adOFé" de ses '1 enfants et petits-enfants, et le moins difficile des maîtres. Au moment où le cortège, arrivait après avoir gravi une montée difficile, au couvent des Franciscains, situé sur la hauteur qui domine la ville et la belle vallée de l'Izonzo, le duc de Blacas se souvint que peu de jours auparavant, le roi lui avait dit

Je veux aller aux Franciscains, vous m'y accompagnerez incessamment. Le duc de Blacas a vérifié la parole de son maître, car il est1 enterré à deux pas de lui, dans cette église lointaine qui est devenue le Saint-Denis de la branche aînée des Bourbons. Là, reposent le duc et la duchesse d'Angoulême. La pierre de ce caveau royal se refermera de nouveau, lundi, sur le petit-fils de Charles X, sur le comte de Chambord. Auguste Marcade.

P.-S. II n'est peut-être pas sans intérêt, dans les circonstances actuelles de faire connaître l'acte par lequel les Franciscains de Goritz ont été constitués gardiens des tombeaux des princes de la branche aînée des Bourbons. Voici cette pièce historique

Aujourd'hui, douze novembre mil huit cent trente-six, à trois heures de l'après-midi, nous, Père Ferdinand Wontsèha, provincial de l'ordre des Franciscains, et Père Michel Ellersig, gardien du couvent (snrnommé Castagnavizza) dudit ordre, et situé à Goritz, reconnaissons par le présent acte avoir reçu en dépôt, et comme confiées à notre garde, les dépouilles mortelles de très haut, très puis- sant et très excellent prince Charles,dixième dunom,par la Grâce de Dieu,rç>ide France et de Navarre, mort à ladite ville de Gorilz, le six de ce mois. >

Les dépouilles mortelles qui, le jour précèdent avaient été conduite en l'église de notre couvent par le clergé et le chapitre de l'église métropolitaine de Goritz ayant à sa tête S. G. Mgr François Xavier Luschin, prince-archevêque, ont été ce jourd'hui douze novembre, placées, scellées et murées dans le caveau de la famille des comtes de Thurm, qui est située sous la chapelle dédiée dans ladite église, à Notre-Dame du Mont.-Carmel.. En foi de quoi, nous, Pérès soussigné.* sonnons le présent reçu à S. Exe. M. duc de Blacas, nous engageant en notrç nom et au nom des Pères dudit couvent à garder religieusement ce royal dépôt» A. M.

JL. M.

LE 3 & 4 SEPTEMBRE r: AUX TUILERIES-^»*

Nous avons publié, il y a quelque temps, de fort curieux détails inédits sur le départ de l'Empereur du palais de Sàint-Cloud, le 28 juillet. 1870 ces renseignements nous avaient été communiqués par une personne qui n'avait pas quitté la famille impériale pendant les dernières heures que l'Empereur passa en France. Cette même personne, à la suite du départ de'Napoléon III, quitta son service à Saint-Cloud, et fut appelée à Paris, aux Tuileries, en qualité de secrétaire particulier de l'adjudant général du palais.

Il nous a semblé intéressant de .faire de nouveau appel à ses souvenirs, au moment du treizième anniversaire du 4 Septembre.

Logeant au palais des Tuileries, ne l'ayant quitté que des derniers, le récit qu'il nous a fait des événements qui s'y passèrent les 3 et 4 Septembre est de la plus scrupuleuse exactitude.

Le 9 août, le matin, j'arrivai de SaintCloud, aux Tuileries, pour prendre mon •service et je ne l'ai quitté que le 4 septembre, à cinq heures du soir. J'ai donc pu voir de bien près l'écroulement du gouvernement impérial.

Dans la nuit du 6 au 7 août, vers deux heures du matin, l'Impératrice avait quitté Saint-Cloud et s'était rendue en toute hâte à Paris, où la nouvelle de la bataille de Woerth, des combats de Spickeren et de Forbach, en ébranlant la confiance inaltérable jusqu'alors des Français dans leur armée, allait créer au gouvernement de l'Impératrice régente de sérieuses difficultés. Il ne s'agissait de rien moins que de la convocation des Chambres, du renvoi du ministère Ollivier et de la formation d'un nouveau cabinet se dévouant avec résolution et intelligence à la tâche difficile de l'organisation de la défense du pays. Pendant que la régente procédait à ces impor-'tants-travaux, le général baron Lepic établissait rapidement le nouveau service du palais des Tuileries et me donnait l'ordre de l'y rejoindre pour reprendre des fonctions que j'avais déjà remplies près de lui.

Son premier soin fut de régler le service militaire. La garde impériale n'avait plus à l'Ecole militaire que quelques dépôtsj ils avaient été placés sous le commandement du général der division" Mellinet, du cadre de réserve et sénateur. Comme' lès dépôts de ce beau corps étaient destinés à former plus tard des bataillons de marche, et aussi, parce qu'il fallait donner des satisfactions à l'opinion publique, le poste de l'Ec,helle fut confié à la garde nationale. Elle y envoyait tous les matins, à l'heure de la garde montante un détachement dont le chef un capitaine- dînait, avec le service d'honneur, à la table de l'Impératrice. ̃-̃

En outre, il fut, convenu que chaque ,fois que cela paraîtrait nécessaire un piquet, formé de tous les hommes disponibles (infanterie et cavalerie) de la çgarde impériale, serait appelé aux Tuileries. Le piquet devait, si sa présence était reconnue utile pendant un temps assez considérable.être installé en partie dans la salle des Etats pour y coucher. Après les affaires de La Villette, le piquet fut mandé. Une fois, deux au plus, les postes furent doublés; mais, généralement, le palais des Tuileries conserva à l'intérieur cette apparence de calme que démentaient seules les agitations dont l'esprit de l'Impératrice était continuellement assailli.

Lesamedi,3 septembre,après avoir dîné comme d'habitude à la table de service des officiers de garde, j'appris que le général Lepic avait adressé au général Mellinet une dépêche pour le prier d'envoyer en toute hâte aux Tuileries, les troupes de la garde impériale.

Vers cinq heures, en me promenant au Palais-Royal, j'avais remarqué une grande effervescence parmi les groupes nombreux qui assiégeaient littéralement le kiosque du marchand de journaux; quelques paroles que j'avais saisies au passage, présageaient un nouveau désastre dont toutes les conséquences n'étaient pas encore connues. Aussi, cet ordre de faire venir les troupes ne me parut en aucune façon extraordinaire et n'augmenta point mes inquiétudes. Ne vivions nous pas depuis vingt jours dans des alertes continuelles?

Vers sept heures et demie, l'estafette revir.t de l'Ecole militaire avec une lettre du lieutenant-colonel Cellier de Starnor, chef d'état major des dépôts delà garde, informant le général Lepic que « le » gérîéralMellinet étant au Comité de » défense, il ne pouvait prendre sur lui » dé commander les troupes et qu'il fal» lait attendre le retour du général. » Le général Lepic reçut cette lettre avec des' marques non équivoques de mécontentement et rentra dans son cabinet en faisant claquer vigoureusement la porte. Pendant ce temps, des bandes nombreuses de peuple parcouraient la rue dé Rivoli, s'arrêtaient devant l'hôtel du gouverneur de Paris (aujourd hui hôtel duministèro desfinances) et demandaient à grands cris le général Trochu en l'acclamant. Leurs vociférations arrivaient jusqu'aux Tuileries et le général Lepic chargea M. Basset, fourrier du palais, d'aller voir ce qui se passait de ce côté. Peu apçès, M Basset rentra et nous raconta uhe scène curieuse de laquelle il avait été témoin, Un aide de camp ou un officier d'ordonnance du général Trochu était venu haranguer la foule v « Mes amis, le général Trochu a passé » la journée à visiter les fortifications » de Paris. Vous pouvez être tranquilles,

» le général ne vous abandonnera pas. » II est rentré tout à l'heure il vient de » se mettre à table, car le général n'a » pas mangé de la journée.» »

Ce a quoi la foule a répondu parjj `

a Vive Trochu Iw `: *t "Au même instant, j'appris d'un officier de la maison que l'Empereur avait été fait prisonnier à Sedan et que plus de 40,000 hommes s'étaient rendus en même temps. Cette nouvelle me terrifia. Puis il me sembla que cela était impossible 40,000 Français se rendre? L'Em-. pereur se rendre ? Nous ne savionsdonc plus mourir en combattant et traverser l'ennemi quelque nombreux qu'il fût ? Non, non, cela était faux 1 La Prusse, maîtresse du télégraphe, cherchait à nous terrifier sous cette nouvelle écrasante. Hélas! je dus me rendre à l'évidence lorsque le général Lepic me la confirma. i

La foule grossissait toujours dans la rue de Rivoli. Quelquescris d'à basTlmpératrice 1 d'autres plus nombreux de vive la République 1 parvenaient jusqu'à nous et nous présageaient la journée du lendemain. Nous entendions du côté du Carrousel le pas cadencé des masses qui traversaient silencieusement la place'pour se rendre à la Chambre,. Je me rappellerai toujours cette lamentable veille.

̃̃̃̃

A onze heures, le piquet n'était pas encore arrivé.̃««•̃ *>»»-->– «««»De plus en plus inquiet sur l'issue de la séance de nuit qui allait avoir lieu au Corps Législatif, le général Lepic me chargea d'aller auprès du général Mellinet presser l'envoi des troupes. <

**# 4

Je pris la voiture de service. A l'Ecole militaire, le plus grand calme régnait partout. Les vastes casernes étaient silencieuses quelques quinquets fumeux éclairaiént à peine les longs corridors. Les plantons, couchés sur leurs matelas de corps de garde, dormaient à poings fermés et témoignaient de la sécurité de gens qui vivaient là certaine- ment dans l'ignorance absolue- de la grande et définitive défaite. Je trouvai le général Mellinet assis devant son bureau. Il. était en bourgeois le lieutenant- colonel Cellier de Starnor près de lui et le major Debernard de Seigneurens du 3° grenadiers debout, en uniforme, attendait probablement des ordres.

Bonjour, fit le. général en. me tendant la main. Eh bien qu'y a-il? il faut donc un piquet aux Tuileries?

Oui, mon général, répliqnai-je et

c'est urgent, très urgent. Le général Lepic m'envoie auprès de vous. A minuit, il y a séance au Corps Législatif, et les circonstances sont excessivement graves.

Oui, oui, je sais.

Le danger est imminent, mon général, car les nouvelles de l'armée sont terrifiantes.

Je sais, je sais. l'Empereur est prisonnier et 40,000 hommes se sont rendus avec lui. Eh bien 1 nous allons envoyer le piquet; combien d'hommes faut-il ?

Mais, tout le monde, mon général, après la séance des députés, on ne sait ce qui peut se passer et il faut protéger l'Impératrice.

Eh bien 1 commandant, dit le général en se tournant vers le major du 3° grenadiers, voyez, faites prévenir les officiers et qu'on se réunisse promptement. Quant à moi, je vais me mettre en tenue et me rendre aux Tuileries. Il faudra éviter de faire passer les troupes par le quai; on pourra prendre la rue de Grenelle ou la rue Saint-Dominique et la rue du Bac.

Mon général, dis-je alors, si vous desirez venir tout de suite aux Tuileries, je vous emmènerai dans la voiture qui m'attend.

Dans la cour, un cavalier remit un pli cacheté au général qui l'ouvrit, le lut et le rendant à l'estafette, lui dit de le porter à l'adjudant de service pour qu'il commandât le peloton d'exécution. On va donc fusiller quelqu'un, mon général ?

Oui, le nommé. (je n'ai pu retenir le nom), un des assassins de La Villette. Si l'ordre était arrivé vingt-quatre heures plus tôt, ce misérable expiait ses crimes et la Commune ne le trouvait pas toutprêtàencommetrede nouveaux. Enfin, à minuit et un quart, le général Mellinet et moi, nous partions de l'Ecole militaire. Tout était silencieux sur notre passage et nous arrivâmes sans rencontre fâcheuse aux Tuileries. Là, à chaque instant, la police envoyait des agents rendre compte au général Lepic de ce qui se passait dans Paris. Beaucoup d'agitation place de :1a Concorde, mais en somme pas de manifestations tumultueuses. Par contre, le Carrousel était redevenu désert. On apercevait de loin en loin quelques rares citoyens regagnant paisiblement leur domicile. Un calme trompeur se faisait peu à peu. Une heure du matin sonne, puis une heure et demie et pas de piquet 1 L'inquiétude nous reprend. Que se passe-t-il donc? Commandée à onze heures et demie, pourquoi la garde n'est-elle pas encore arrivée ? Plusieurs fois, j'allai jusqu'à là rue du Bac, voir si on n'apercevait pas les troupes. Gomme la dernière fois je poussais jusqu'aux magasins du Petit Saint-Thomas,' je rencontrai des gardes nationaux qui sortaient armés de chez eux et des sous officiers frappant aux portes activaient. les retardataires. Enfin au loin, dans l'obscurité, je vis reluire les caisses des tambours. Les troupes arrivaient. je pris le pas de course pour prévenir le général Lepic.

Dix minutes après, la garde impériale entrait dans la cour des Tuilerie. Il était près de deux heures. Il

Vers trois heures, un nouveau rapport de police ayant confirmé le calme complet de Paris, la garde rentra dans ses

quartiers sur 1'ordre de l'Impératrice, îe crois. r

•*•

Je restai encore une heure à me promener dans la cour, en songeant au peu -d'empressement de chacun pour sauver la situation et à l'absence complète d'initiative de lapart.despersonnes auxquelles incombait une lourde responsabilité. D un côté l'inquiétude, de l'autre l'indifférence et rien de préparé pour répondre à une attaque. Je remontai à mon logement, à l'entresol du pavillon Marsan. Mes fenêtres donnaient surl'allée du Mé̃ léagre. Je me jetai sur mon lit mais je ne pus fermer l'œil. A cinq heures, de plus en plus convaincu que la Révolution serait accomplie dans la journée et craignant que Saint-Cloud fût attaqué comme allaient l'être les Tuileries, j'écrivis un mot à ma femme pour lui dire d'enlever de notre appartement de SaintCloud nos papiers les plus précieux et les souvenirs de famille et de les apporter coûte que coûte dans une voiture à Paris. Je chargeai un ami de porter cette missive à son adresser et désormais rassuré sur ce point, je ne pensai plus qu'à remplir mon devoir.

T ̃̃ ̃

On sait qu'en temps ordinaire, auprès de l'Empereur et de l'Impératrice, le service des fonctionnaires de la maison se prenait le dimanche, durait toute la semaine et était relevé le dimanche sui

vant.

Le service ne paraît pas avoir été relevé officiellement le dimanche 4 septémbre.

Ce sont les mêmes personnes qui avaient fait le service depuis le- dimanche 28 août qui l'ont continué le 4 j-usqu'à la dernière heure du règne de la régente. Je ne saurais comment expliquer ce fait. Peut-être le service n'avait-il pas été changé depuis le départ de l'Empereur et était-il composé de tous les fonctionnaires restés à Paris. Dans tous les cas, voici la liste du service en exercice le 4 septembre. Les noms des personnes chargées de fonctions quotidiennes y sont mêlés à ceux des semainiers. Chef du cabinet de l'Empereur* M. Conti

Aides de camp de l'Empereur L'amiral Jurien de la Gravière; les généraux Roguet et de Montebello, aides de camp honoraires; Officiers d'ordonnance M. Dreyssé, capitaine du génie, et M. le lieutenant de vaisseau Conneau

Chambellans Le duc de Bassano, grand chambellan le comte de la Ferrière/ premier chambellan le vicomte Du Manoir, chambellan de l'Empereur MM. le marquis de Piennes et le comte de Cossé Brissac, chambellan de l'Impératrice M. le marquis de la Grange, écuyer de l'Impératrice

Le aérai comte Lepic, aide de camp de l'Empereur, adjudant-général du palais par intérim.

Le général Lechesne, gouverneur des Tuileries

Le colonel Sautereau, commandant militaire des Tuileries

DeValabrèguo de Lawœstins, préfet du palais

Rollin, maréchal-des-logis du palais i

Basset, fourrier du palais

Mmes de Sancy et Lebreton, Mlles de Larminat et d'Elbée

M. Berryer-Fontaine, médecin par quartier et Thelin, trésorier.

La matinée fut fiévreuse pour tout le monde on avait l'intuition.quetout était détraqué.

Effrayés par l'immensité du désastre, tous ces serviteurs qui auraient donné jusqu'à la dernière goutte de leur sang pour l'Empereur, pressentaient que rien ne protégeait plus l'Impératrice. Chacun avait calculé les conséquences de la séance de nuit; le ministère, divisé d'opinions et de volonté craquait, la majorité du Corps-Législatif n'avait plus de boussole le Sénat s'émiettait. Cependant on paraissait déterminé à se comporter dignement.

Le matin, plusieurs des personnages que j'ai énumérés ci-dessus se promenaient dans la cour des Tuileries on questionnait les rares arrivants et ils étaient en effet bien rares, ceux qui venaient aux Tuileries ce jour-là. Naturellement le général Trochu, le Dieu de la machine en cette circonstance, fut mis sur le tapis. Je ne dissimulais point mes craintes à son sujet, lorsque le général Duchesne m'interrompit de la façon suivante

« Assez, monsieur, voilà déjà plusieurs fois qu'en ma présence vous attaquez le général Trochu, C'est mon ami et je ne puis souffrir que l'on parle de lui comme vous le faites. Trochu fera son devoir. Je respecte votre amitié pour lui, mon général, répliquai-je, mais nous causons et j'émettais mon opinion. Elle vous déplaît, je me tais en souhaitant que les événements me donnent tort. Sur ce, je quittai le général gouverneur et je rentrai à mon bureau. Là, l'huissier de service, pâle, inquiet, décontenancé, avait déjà revêtu une tenue bourgeoise. Il me questionna sur ce que l'on disait et finalement il me demanda la permission de se retirer, permission que je lui accordai de grand cœur, n'ayant nullement besoin d'un homme qui tremblait la peur avant qu'on ne fût attaqué.

Vers midi, le piquet de la garde vint s'installer dans les jardins. La foule se portait au Corps-Législatif par les quais et la rue do Rivoli. Des bataillons de garde nationale, tambour battant, suivaient le même chemin. On s'excitait mutuellement, on criaitlelong des grilles r Vive la République! Vive la garde nationa!e A bas l'Impératrice Maisles troupes placées dans les jardins réservés n'y faisaient guère àtteiition,

Le général Mellinet, en tenue, arrivait en même teints et s'wstaJJfeii daos *><»»