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Titre : Le Figaro. Supplément littéraire du dimanche

Éditeur : Le Figaro (Paris)

Date d'édition : 1882-08-26

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb343599097

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb343599097/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Description : 26 août 1882

Description : 1882/08/26 (Numéro 34).

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k2740052

Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-246

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 15/10/2007

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SOMMAIRE DU SUPPLÉMENT Brillât-Savarin A Mont-sous- Vaudrey BrillâtSavarin.

JL disk .F^mmb Xotâs EouiViet

LES MÉTIERS INCONNUS Privat d'Anglemont. LA MAISON DU Khédive: Alphonse Daudet. UNE FABLE IMPÉRIALE Napoléon Bonaparte. Hara-Kiri Harry A lis.

LA BATAILLE D'ISLY Henry d'ideville. LA MENTEUSE Alphonse Baudet.

LA CHANSON DE' L'AMOUR TRIOMPHANT Tourgueneff. t

PouR DEUX Sous; Réné Trassy.

LA FONDATION DE Skadra (Scutabi) W. Sthephanozeitsch.

LE PETIT ENFER J. A. D.

LA SEMAINE Financière.

BRILLAT -SAVARIN A MONT-SOUS-VAUDREY

M. Grévy doit partir demain pour Montsous-Vaudrey; Brillat-Savarin, dans sa Physiologie du goût, raconte l'anecdote suivante, qui a pour théâtre le village illustré par le berceau du Président de la République. C'est à donner envie de partir pour ce pays de cocagne,

J'étais un jour monté sur mon bon chevalLaJoie, etjeparcouraislescoteaux riants du Jura.

C'était dans les plus mauvais jours de la Révolution et j'allais à Dôle, auprès du représentant Prôt, pour en obtenir un sauf-conduit qui devait m'empêcher d'aller en prison, etprobablement ensuite àl'échafaud.

En arrivant, vers onze heures du matin, à une auberge du petit bourg ou village de Mont-sous-Vaudrey, je fis d'abord bien soigner ma monture, et de là, passant à la cuisine, je fus frappé d'un spectacle qu'aucun voyageur n'eût pu voir sans plaisir.

Devant un feu vif et brillant, tournait une broche admirablement garnie de cailles, rois de cailles et de ces petits râles à pieds verts qui sont toujours si gras. Ce gibier de choix rendait ses dernières gouttes sur une immense rôtie, dont la facture annonçait la main d'un chasseur;.et tout auprès, on voyait déjà cuit un de ces levrauts à côtes rondes, que les Parisiens ne connaissent pas, et dont le fumet embaumerait une église. « Bon 1 dis-je en moi-même, ranimé .a par cette vue; la Providence ne m'a» bandonne pas tout à fait. Cueillons » encore cette fleur en passant il sera ». toujours temps de mourir, »

Alors, m'adressant à l'tkôte, qui, pendant cet examen, sifflait, les mains derrière lé dos. en promenant dans la cuisine sa stature de géant, je lui dis: « Mon cher, qu'allez-vous me donner de bon pour mon dîner « Rien que de bon, monsieur; bon bouilli, bonne soupe aux pommes de terre, bonne épaule de mouton et bons haricots. »

A cette réponse inattendue, un frisson de désappointement parcourut tout mon corps; on sait que je ne mange point de bouilli, parce que c'est delaviandemoins son jus; les pommes déterre et les haricots sont obésigènes je ne me sentais pas des dents d'acier pour déchirer l'éclanche: ce menu était fait exprès pour me désoler, et tous mes maux retombèrent sur moi.

L'hôte me regardait d'un air sournois, et avait l'air de deviner la cause de mon désappointement. « Et pour qui réservez-vous donc tout ce joli gibier? » lui dis-je d'un air tout à fait contrarié. « Hélas I monsieur, répondit-il d'un ton sympathique, je ne puis en disposer; tout cela appartient à des messieurs de justice qui sont ici depuis dix jours, pour une expertise qui intéresse une dame fort riche; ils ont fini hier, et se régalent pour célébrer cet événement heureux; c'est ce que nous appelons ici faire la révolte. »

-Monsieur, réplvquai-je après avoir musé quelques instants, faites-moi le plaisir dédire à ces messieurs qu'un homme de bonne compagnie demande, comme une faveur, d'être admis à dîner avec eux, qu'il prendra sa part de la dépense, et qu'il leur en aura surtout une çertaine obligation. »

Je dis, il partit, et ne revint plus. Mais, peu après, je vis entrer un petit homme gros, frais, joufflù, trapu, guilleret, qui vint rôder dans la cuisine, déplaça quelquesmeubles, leva le couvercle d'une casserole, et disparut.

« Bon; dis-je en moi-même, voilà le frère tuileur, qui vient me reconnaitre! » » Et je recommençais à espérer; car l'expérience m'avait déjà appris que mon extérieur n'est pas repoussant.

Le cœur rie m'en battait pas moins comme à un candidat sur la fin du dépouilleinènt du scrutin, quand l'hôte reparut et vint m'annoncer que ces messieurs étaient très flattés de ma proposifion et n'attendaient que moi pour se mettre à table.

Je partis en entrechats; je reçus l'accueil le plus flatteur et au bout de quelques minutes j'avais pris racine. Quel bon dîner !11 Je n'en ferai pas le détail mais je dois une mention honorable à une fricassée de poulets de haute facture, telle qu'onn'entrouve qu'en province, et si richement dotée de truffes, qu'il y en avait assez pour retremper le vieux Tithon.

On connaît déjà le rôt son goûtrépondait à son extérieur; il était cuit à point, et la difficulté que j'avais éprouvée à m'en approcher en rehaussait encore la saveur.

Le dessert était composé d'une crème à la vanille, de fromage de choix et de fruits excellents. Nous arrosâmes tout cela avec un vin léger et couleur de grenat plus tard, avecdu vin de l'Ermitage; plus tard encore, avec du vin de paille, également doux et généreux le tout fut Couronné par de très bon café, confectionné par le tuileur guilleret, qui eut aussi l'attention de ne nous laisser pas manquer de certaines liqueurs de Verdun, qu'il sortit d'une espèce de tabernacle dont il avait la clef.

Non seulement le. dîner fut bon, mais il fut très gai. Après avoir parlé avec circonspectiQflL 4§S affaires du temps,

ces messieurs s'attaquèrent de plaisanteries qui me mirent au fait, d'une partie de leur biographie ils parlèrent peu de l'affaire qui les avait réunis on dit quelques Dons contes, on chanta je m'y joignis par quelques couplets inédits; "j'en fis même un en impromptu, et qui fut fort applaudi suivant l'usage le voici Qu'il est doux pour les voyageurs '•.

De trouver d'aimables buveurs 1

C'est une vraie béatitude. Entoure d'aussi bons enfants,

Ma foi, je passerais céans, ̃

Libre de toute inquiétude,

Quatre jours;

Quinze jom's, ,-••

Trente jours, .̃̃

Une année, '•̃

Et bénirais ma destinée.

Si je rapporte ce couplet, ce n'est pas que je le croie excellent j'en ai fait, grâce au ciel, de meilleurs, et j'aurais refait celui-là si j'avais voulu mais j'ai préféré lui faisser sa tournure d'impromptu, afin que le lecteur convienne que celui qui, avec un comité révolutionnaire en croupe, pouvait se jouer ainsi, celui-là, dis-je, avait bien certainement la tête et le cœur d'un Français. Il y avait bien quatre heures que nous étions à table, et on commençait à s'occuper de la manière de finir la soirée on allait faire une longue promenade pour aider la digestion, et en rentrant on ferait une partie de bête hornbrée pour attendre le repas du soir, qui se composerait d'un plat détruites en réserve, et des reliefs du dîner, encore très désirables. A toutes ces propositions je fus obligé de répondre par un refus; le soleil penchant vers l'horizon mavertissait de partir. Ces messieurs insistèrent autant que la politesse le permet, et s'arrêtèrent quand je leur assurai que je ne voyageais pas tout à fait pour mon plaisir. On a déjà deviné qu'ils ne voulurent pas entendre parler de mon écot: ainsi, sans me faire de questions importunes, ils voulurent me voir monter à cheval, et nous nous séparâmes après avoir fait et reçu les adieux les plusaffectueux, Brillat-Savarin.

A UNE FEMME

L'inauguration de la statue de Louis Bouilhet a eu lieu hier à Rouen.

Voici une des plus jolies pièces de vers écrites par le poète; elle a été publiée dans ses œuvres complètes, éditées par Lemerre.

Quoi! turaillaisvraiment,quardtudisais:Je t'aime! Quoi! tumentaisaussi, pauvre fille! A quoibon? Tu ne me trompais pas, tu tetrompais toi-même, Pouvant avoir l'amour, tu n'as que lepardon! i Garde-le, large et franc, comme fut ma tendresse, Que par aucun regret ton cœur ne soit mordu Ce que j'aimais, en toi, c'était ma propre ivresse, Ce que j'aimais, en toi, je ne l'ai pas perdu. Talampen'abrûlé qu'en empruntant ma flamme, Comme le grand convive aux noces de Cana, Je changeais en vin pur les fadeurs de ton âme, Et ce futun festin dont plus d'un s'étonna. Tu n'as jamais été, dans tes jours les plus rares, Qu'un banal instrument sous mon archet vain[queur,

Et, comme un air qui sonne, au bois creux des [guitares,

J'ai fait chanter mon rêve au vide.de ton cœur. S'il fut sublime et doux, ce n'est point ton affaire. Je peux le dire au monde et ne te pas nommer Pour lirer du néant sa splendeur éphémère, Il ma suffi de croire. Il m'a suffi d'aimer. Et maintenant, adieu! suis ton chemin, je passe! 1 Poudre d'un blanc discret les rougeurs de ton front; Le banquet est fini, quand j'ai vidé ma tasse,. S'il reste encor du vip, les laquais le boiront 1 Louis Bouilhet.

LES

MÉTIERS INCONNUS

On a beaucoup ri depuis quelque temps des métiers à invoquer pour éviter l'impôt menaçant, suspendu sur la tête des oisifs. Privat d'Anglemont, dans son petit volume de Paris ar.ecdote a écrit la monographie de quelques métiers bizarres, mais réellement existants, dont la plupart des Parisiens ne soupçonnent sûrement pas l'existence.

Le fabricant d'asticots

Que fait M. Salin? demandai-je. Oh 1 il n'est pas au bureau de l'Assistance publique (être au bureau est une honte pour un homme, dans les quartiers de travailleurs). C'est un homme qui gagne joliment sa vie: il est fabricant d'asticots.

Cette industrienous parut exorbitante. Le fabricant d'asticots dépassait de cent coudées notre imagination. Nous craignions de n'avoir pas bien entendu, mais certainement nous ne comprenions pas. Il nous fallut une explication.

Fabricant d'asticots, dis-je avec surprise.

Mais oui. Vous savez bien, ces petits vers qui servent à pêcher. Je sais. Mais, comment les fabrique-t-il ?

Ah 1 voilà. Ce n'est peut-êtfe pââ très propre, cet état-là, mais n^, « gagne sa vie. Il y Paris pin- de deux mille pêcheurs a la hgne^ beaucoup de gamins ej pa,§ mal de ^ns bourgeois établis ou

retirés des affaires. Le père Salin a fait connaissance avec ceux-ci sur le bord de l'eau. Il leur fait des asticots pour amorcer toute l'année. Pour cela il a loué tout le haut de la maison, un ancien pigeonnier. II y met macérer des charognes de chiens et de chats que lui fournissent les chiffonniers. Quand c'est en putréfaction, les vers s'y mettent; le père Salin les recueille dans des boites de fer-blanc qu'on nomme calottées, et il les vend jusqu'à quarante sous la calottée.

Vous voyez que ce n'est pas bien malin à fabriquer. Mais dame il faut un fier odorat pour faire ce métier-là Tout le monde ne le pourrait pas. Aussi ses journées sont-elles très bonnes au commencement de la saison Il ne gagne jamais moins de dix à quinze francs par jour, et tout le reste de l'année sept à huit. Mais il n'a pas d'ordre, ça aime trop à lever le coude.

Cependant, lorsque les eaux sont hautes on ne pêche guère il doit souvent chômer pendant l'hiver?

Au contraire, c'est son meilleur temps, parée qu'alors il élève des vers pour les rossignols, ce qui est un excellent métier dont il a presque le monopole'.

C'est propre, c'est facile, cela rapporte beaucoup. Il suffit de prendre de la recoupe (petit son), qu'on mêle avec de la farine et de vieux morceaux débouchons, on les laisse couver dans de vieux bas de laine, et les asticots rouges naissent tout seuls. Cela se vend dix sous le cent. Généralement, les amateurs de rossignols sont de vieilles femmes riches et des bourgeois qui ont des métiers tranquilles les bouquinistes, les relieurs, les tailleurs à façon. Tous ces gens-là paient bien et comptant il suffit donc d'avoir une dizaine de pratiques possédant chacune trois ou quatre oiseaux pour vivre bien à son aise et payer une femme de ménage. S'il n'aimait pas tant la boisson, le père Salin pourrait être propriétaire toutcomme un autre, mais il mourra à l'hôpital, il est trop artiste.

Employé aux yeux de boulilon Je vais vous dire maintenant ce qu'on fait des os: Avant d'arriver chez le marchand de noir animal, le tabletier ou le fabricant de boutons, ils sont cuits deux ou trois fois.D'abordle boucher lesvend quatre sous la livre, sous le nom de réjouissance, aux-bourgeois et aux grands restaurants, pour faire des consommés ceux-ci les cèdent au rabais aux traiteurs de quatrième ordre, qui en font des potages gras pour les abonnés; enfin ces derniers les repassent aux gargotiors, qui en composent une espèce d'eau chaude, qu'ils colorent à grand renfort de carottes, d'oignons brûlés, de caramel et de toutes sortes d'ingrédients. Or, comme ces ingrédients ne peuvent donner ce que recherchent les amateurs, c'est-à-diré des yeux au bouillon, un spéculateur habile a inventé l'employé aux yeux de bouillon. Voici à peu près comme cela se pratique: un homme prend une cuillerée d'huile de poisson dans sa bouche, au moment où doivent arriver les pratiques, à l'heure de l'ordi- naire, et, serrant les lèvres en soufflant avec force, il lance une espèce de brouillard qui, en tombant dans la marmite, forme les yeux qui charment tant les consommateurs.

Un habileemployéauxyeuxde bouillon est un homme très recherché dans les établissements de ce genre.

Mais cela doit avoir un goût détes- table?

Eh mon Dieu le goût ne se développe que par la pratique. Comment voulez-vous que des gens habitués aux arlequins de la mère Maillard deviennent des gourmets? L'eau-de-vie, d'ailleurs, leur a brûlé le palais.

Le loueur de viandes

Heureusement, ajoutai-je, les viandes que nous voyons pendues aux vitres de toutes ces gargotes me semblent belles etbonnes.

Ces viandes né sont là que pour le coup d'oeil.

Comment pour le coup d'œil? Oui; ces quartiers de bœuf, de mouton et de veau pendus aux vitres. des marchands de soupe, ne leur appartiennent pas ce sont des viandes louées. Des viandes louées 1 De qui, et pourquoi?

Pour servir de montre, pour achalander la boutique. Ces gens-là vendent le plat de viande six sols au plus, trois sols au moins ils ne peuvent donc employer que de basses viandes. Et que voyez-vous chez eux? de magnifiques filets, de superbes gigots, de succulentes entrecôtes. S'ils donnaient cela à leurs pratiques, ils se ruineraient. Ils s'entendent donc avec des bouchers qui, moyennant redevance, consentent à leur louer quelquefois même, .des animaux entiers. Le loueur les reprend quand il en a besoin.

C'est encore une industrie qui m'était inconnue. Je ne soupçonnais pas le loueur de viandes..

Marchand de contremarques judiciaires

M. Auguste est un ancien clerc de province. Il est venu à Paris sans sou ni maille il a été marchand de contremarques à la porte des théâtres du boulevard, où il a connu beaucoup de flâneurs-et de petits rentiers, gens désœuvrés qui ne savent jamais comment franchir l'abîme immense qui sépare le déjeuner du dîner, la lecture du journal de l'ouverture des théâtres. Un jour qu'il se promenait dans le palais, il vit beaucoup de ces bons citadins qui stationnaient à la queue du public des tribunaux et qui faisaient mille gentillesses aux gardes municipaux pour les attendrir et tâcher de pénétrer dans le sanctuaire de la justice. M. Auguste, qui est un homme à expédient, vit là .une source de fortune. îl avait une idée.

Dès ce moment il passa ses journées à courir dans les corridors du palais, accostant toutes les personnes <^u'ii voyait sortir des cabinets de messieurs les magigtrati iQSJr.ttCtejjr*, "g ^e pro_po-

sait pour conduire les témoins à la caisse afin d'y toucher les deux francs que la justice alloue à tous ceux qui viennent

Ta renseigner.

Lorsque le témoin avait reçu son argent, et qu'après avoir offert soit un canon de vin, soit une demi-tass,e à M. Auguste, il voulait le quitter pour vaquer à ses affaires, celui-ci l'apitoyait en lui contant quelque histoire bien larmoyante, bien pathétique il savait encore se faire donner quelques sous pour sa peine. D'autrefois le témoin dédaignait la rétribution alors M. Auguste changeait sa batterie il inventait un autre conte, il implorait sa pitié; il lui demandait son assignation en lui disant qu'il était père d'une nombreuse famille. On lui abandonnait facilement ce morceau de papier inutile. C'est en collectionnant toutes ces citations et assignations que M. Auguste a fondé le magasin qui le fait vivre. Aujourd'hui M. Auguste vit comme un chanoine; il est devenu une autorité dans le bas peuple du palais il gagne beaucoup d'argent. Il loue des citations en témoignage aux curieux pour les faire entrer aux Cours d'assises et aux Chambres correctionnelles, les jours de procès curieux.

Les gardes municipaux qui sont de planton aux portes des tribunaux ont pour consigne de ne laisser passer que les personnes assignées. Ils ne lisent jamais les assignations; il suffit donc qu'on se présente hardiment avec un papier timbré pour qu'ils vous laissent passer, car du moment qu'on a le papier, la consigne est sauve. M. Auguste avait observé cela; aussi a-t-il su en profiter. Il sait par cœur la liste des affaires à juger; il connaît les jours où les premiers sujets du barreau et de la magistrature debout doivent prendre la parole et ces jours-là, dès sept heures du matin, il est à son poste avec sa liasse de citations et d'assignations périmées. Il les loue ordinairement un franc pour la séance. On le connaît; il a ses habitués; on ne paie qu'après qu'on est placé; mais on est obligé de laisser en nantissement 5 fr., qu'il ne remet qu'après la restitution de son papier.

Et vous gagnez beaucoup d'argent à. ce métier-là ? lui demandai-je. C'est selon les procès; celui de Laroncière m'a rapporté jusqu'à 100 francs par jour; j'étais obligé d'envoyer un de mes clercs dans la salle, pour redemander mes assignations.

J'ai loué la même citation jusqu'à dix fois en une séance. Soufflard n'a pas mal' donné; la bande de Poil-de-Vache était bonne, mais ne valait pas les Habits noirs. ̃ =rr Et les affaires politiques?

Cela dépend des personnages. Xies complots m'ont laissé d'ailleurs d'excellents souvenirs; les procès de presse furent d'un assoz joli rapport. Les cris séditieux valaient moins. Quant aux crimes, aux infanticides, aux faux, aux vols de confiance, c'est chanceux. D'après ce que je vois, en lisant les détails d'un assassinat vous savez combien il vous rapportera. ̃

Il y a crime et crime c'est la position de l'accusé qui fait tout. S'il est jeune et féroce, il devient intéressant, c'est très bon. Si c'est un homme qui a simplement tué sa femme ouun passant dans la rue, ça ne vaut absolument rien. Les maris jaloux et farouches amènent des dames.

Mais parlez-moi de ces gaillards qui coupent leur maîtresse en morceaux 1 qui l'attendent le soir dans une allée, la poignardent et tirent un coup de pistolet à leur rival à la bonne heure! c'est du nanan Ils ont un public à eux, on les lorgne, on leur envoie des albums pour y écrire deux mots; ils posent devant un parterre de femmes s'ils sont tant soit peu jolis garçons et que l'affaire prenne plusieurs audiences, la seconde journée double ma recette. Si le jugement se prononce la nuit, je suis obligé de donner des contremarques. La nuit est très propice aux drames judiciaires, le beau sexe s'y crée des fantômes. C'est si intéressant, un scélérat passionné qui égorge proprement la femme qu'il aime il y a de quoi en rêver quinze jours. On envie le sort de-la victime, on voudrait être aimé ainsi une fois, rien que pour en essayer. Ah Lacenaire nous ne trouverons malheureusement pas de sitôt son pareil. Il faisait des vers, Monsieur! 1 s'écria M. Auguste, d'un air moitié d'admiration et moitié de regret. Il était galant, intéressant, il s'exprimait bien. Encore deux affaires comme la sienne, et je me retirais dans mes terres. Ah si le huis-clos n'existait pas pour certains attentats 1 quelle source de fortune je serais millionnaire. Tout le monde en veut: C'est le fruit défendu. » Privat d'Anglemont.

LA MAISON DU KHEDIVE

Ismaïl-Pacha,- l'ex-khédive d'Egypte, est arrivé en France, il y a quelques jours. Par une coincidence bizarre,, ce souverain détrôné a loué, à Courbevoie, le Château de la 7errasse, décrit par M. Alphonse Daudet, dans ses Rois en exil.

Voici la photographie de cette maison habitée en ce moment par Isrnalil Pacha.

Si TomLévis s'enrichissait en ce tempslà, il dépensait gros aussi, non pas au jeu, ni en chevaux, ni en femmes, mais à satisfaire des caprices de sauvage et d'enfant, l'imagination la plus folie, la plus cocasse qui ss pût voir, et qui ne laissait pas d'intervalle entre le rêve et sa réalisation. Une fois c'était une allée d'acacîas qu'il voulait au bout de sa propriété de Courbevoie, et comme les arbres sont trop longs à pousser, pendant nui*, jours, parles berges de la Seine très nues à cet endroit et noires d'usines, on voyait défiler lentement de grands chariots portant chacun son acacia dont les pâ1naches de branches vertés bercés au lent mouvement des roues flottaient sur, l'eau

en ombres tremblantes. Cette propriété de banlieue que J. Tom Lévis habitait toute l'année, selon l'usage des grands commerçants de Londres, d'abord tin vide-bouteilles, tout en rez-de-chaussée et en greniers, devenait pour lui une source de dépenses effroyables. Ses affaires prospérant et s'étendant, il avait grandi proportionnellement son bien et de bâtisse en bâtisse, d'acquisition en acquisition, il était arrivé à posséder un paré fait d'annexes, de terrains de culture joints à des bouts de taillis, une étrange propriété où se révélaient ses goûts, ses ambitions, son excentricité anglaise, déformée, rapetissée encore par des idées bourgeoises et des tentatives d'art manquées. Sur la maison tout ordinaire, aux étages supérieurs visiblement ajoutés, s'étendait une terrasse italienne à balustres de marbre, flanquée de deux tours gothiques et communiquant par un pont couvert avec un autre corps de logis jouant le chalet, aux balcons découpés, au tapis montant de lierre. -Tout cela peint en stuc, en briques, en joujou de la Forêt-Noire, avec un luxe de tourillons, de créneaux, de girouettes, de moucharabies puis dans le parc, des hérissements de kiosques, debe1védères,des miroitements de serres, de bassins, le bastion tout noir d'un immense réservoir à monter l'eau dominé par un vrai moulin dont les toiles, sensibles au moindre vent, claquaient, tournaient avec le grincement perpétuel de leur axe.

Certes, sur l'étroit espace que traversent les trains de la banlieue parisienne, bien des villas burlesques défilent dans le cadre d'une glace de wagon, comme des visions, des cauchemars fantastiques, l'effort d'un cerveau boutiquier échappé et caracolant. Mais aucune n'est comparable à la Folie de Tom Lévis. Alphonse Daudet.

(Dentu, éditeur).

UNE FABLE IMPÉRIALE

Quérard, le célèbre bibliophile, a prétendu dans le 2* volume de la Littérature française contemporaine, que Napoléon, âgé de treize ans,a commis la fable suivante. Bien qu'il n'appuie la certitude de cette découverte que sur le hasard qui a mis entre ses mains un feuillet imprimé d'un livre dont il n'a jamais connu le titre, il nous a paru amusant de' reproduire les vers suivants, ne fût-ce qu'au titre de simple curiosité:

IE C«, LE LAPIN ET LE CHASSEUR César, chien d'arrêt renommé,

Mais trop enflé de son mérite,

Tenait arrêté dans son gite

Un malheureux lapin de peur inanimé. Rends-toi! lui cria-t-il d'une voix de tonnerre, Qui fit au lointrembler les peuplades des bois. Je suis César connu par ses exploits Et dont le nom remplit toute la terre. A ce grand nom, Jeanriot Lapin,

Recommandant à Dieu son âme pénitente, Demande d'une voix tremblante:

Très sérénissime mâtin,

Si je me rends quel sera mon destin? Tu mourras! Je mourrai dit la bête innocente. Et si je fuis? Ton trépas est certain. Quoi reprit l'animal qui se nourrit de thym, Des deux côtés, je dois perdre la vie i Que votre auguste seigneurie

Veuille me pardonner, puisqu'il me taut mourir, Si j'ose tenter de m'enfuir.

Il dit et fuit en héros de garenne.

Caton l'aurait blâmé; je dis qu'il n'eut pas tort. Car le chasseur le voit à peine

Qu'il l'ajuste, le tire. et le chien tombe mort. Que dirait de ceci, notre bon Lafontaine ? Aide-toi, le ciel t>idera.

J'approuve fort cette méthode-là I

Napoléon Bonaparte.

HARA-KIRI

Le prince Taroufito-Arisongawa, oncle du Mikado, a été reçu hier en audience solennelle, par M. Grévy. Son arrivée en France a donné, dans la presse parisienne, un regain d'actuahié à tout ce qui touche au Japon nous trouvons dans un volume de M. Harris Alis, intitulé Hara-Kiri, le passage suivant, où se trouve décrite une des anciennes coutumes du pays, tombée en désuétude aujourd'hui.

C'est l'histoire du suici de d'un vieux prince, d'un Samouraï japonais, dont le fils, après un long séjour en France, avait anno ncé son retour dans sa patrie. Au lieu de s'embarquer, Fidé, dégoûté de la vie, se tue, et son père, a pprenantà l'improviste la mort de son fils, fait hara kiri, c'est-àdire s'ouvre le ventre en maudissant les gens de l'Occident.

Enfin, la nouvelle tant attendue arriva. L'enfant allait revenir; même dans une enthousiaste évocation d'où ressortait une haine contre les Occidentaux, une fatigue de la vie civilisée, il parlait en termes attendris dés lointains souvenirs, de Mionoska et du vieux Fousi-Yama. Jamais, depuis son départ, Fidé n'avait exprimé de pareils sentiments. Le vieillard le bénit- et lui fit préparer une réception solennelle. Il revêtit le costume national, aux soieries brillantes, et ceignant son sabre le plus riche, orné de ciselures déjçatés, il partit pour le port d'arrivée.

Depuis vingt-quatre heures, il se promenait fiévreusement sur le quai de Yokohama, exposant son visage bronzé au souffle âpre des brises, tandis qu'à ses pieds las vagues clapotantes mouraient Sur la jetée, exhalant une senteur saline et déposant une écume blanche. Deux jours auparavant, on avait signalé le paquébot. Le Samouraï était venu, et depuis, sans relâche, iljinterrogeait 1 horizon, de ses yegaj.d^ ajaxieuSj, 4e»ieur&n!

là des heures entières, agité d'un tremblement fébrile, remettant de minute en minute un repos indispensable. Pour la centième fois, il relisait la lettre de Fidé. Enfin, sur l'étendue houleuse des flots, dans le lointain, un point noir venait d'apparaître, et les gens s'assemblaient sur le quai. La tache sombre entrevue grossissait d'instant en instant, et tout à coup, doublant la pointe escarpée de la presqu'île, étalait par le travers les flancs élancés d'un navire surmonté d'une traînée parallèle de fumée noirâtre qui, tourbillonnant en arrière, semblait fuir avec rapidité. Le paquebot devenait plus distinct. Déjà on pouvait reconnaître l'énorme tuyau de la chaudière, puis, sur le pont, l'équipage et les passagers, agitant des mouchoirs blancs. Après quelques manœuvres, le monstre atterrissait au quai, grondant des mugissements d'appel. Entre les curieux assemblés sur le rivage et les nouveaux venus s'échangeaient des saluts et des exclamations. Une passerelle, jetée sur un pont de bateaux, servait au débarquement.

Taïko-Naga^au-premiep rang, reg-ar-' dait, le cœur serré par une angoisse effrayante. A chaque nouveau passager qui apparaissait, montrant une figure inconnue, une douleur poignante, vive comme un coup de pointe dans les chairs, le secouait et faisait battre violemment ses artères. Fidé ne descendait pas. Pourtant le vieillard s'obstinait; cherchant à voir au travers des hublots, espérant toujours. Un incident peut-être retenait des voyageurs dans l'entrepont. Lorsqu'enfin le vieillard fut bien convaincu que son fils n'était pas sur le paquebot, il se retira, sombre, attristé, pensant toutefois qu'une lettre lui apprendrait la cause du retard. Mais à la poste, aucun paquet ne portait son adresse. Il réfléchit alors, se dit que. le message pouvait Être joint aux dépêches de l'Etat, et il repartit en norimon pour Yedo. Le fonctionnaire auquel le Samouraï s'adressa ne le connaissait point. A la première question qui lui fut posée, il répondit

Taïko-Fidé? Justement nous venons d'apprendre la nouvelle de sa mort.

Le Samouraï retourna à Mionoska. Une résolution immuable s'était emparée de lui. Fidèle à la coutume de ses pères, il voulait faire hara-kiri, afin que ses amis vengeassent sur les Todjins envahisseurs l'asservissement du Japon et la mort de Fidé. Il employa les derniers jours qu'il s'accordait à visiter les propriétés que lui avaient transmises les Samouraïs ses ancêtres, et qui maintenant se trouvaient vendues par la faute de l'héritier de la race.

D'abord, monté dans son norimon, il parcourut les campagnes éloignées, où les collines verdoyantes, piquées de la tache sombre des chaumières, les rizières étagées, formaient des paysages charmants dont la vue amie lui causait à cette heure solennelle un nouvel attendrissement.

Il revint lentement, etlonguement s'arrêta pour contempler le coucher du soleil derrière le Fousi-Yama, que ses derniers rayons entouraient d'une mer.de feu. Du fond de la vallée, allongeant ses perspectives brunissantes, montaient des vapeurs d'un gris-clair qui flottaient sous les nuages rouges, tandis que la montagne sacrée semblait ceinte d'un manteau de pourpre et lançait de tous côtés des rayons comme un ostensoir.

La nuit tombait. Il rentra au siro, l'âme pleine d'une mélancolie un peu apaisée. Le lendemain, il visita les jardins environnants et les canaux où Fidé aimait tant à siffler les carpes apprilvoisées et les canards familiers.

De nouvelles douleurs lui furent réservées dans les appartements où toutes choses rappelaient l'enfant mort les jouets inutiles, chers souvenirs de jadis, amoncelés dans les coins, les porcelaines d'Owari, à grands ramages bleus, qu'il avait rapportées lui-même d'un voyage à Nagoya, les laques finement dorées où s'allongeaient des oiseaux aux longues pattes, les bronzes ciselés à froid, représentant des monstres ouvrant leurs gueules hideuses, les caricatures étranges créées par l'art national, les bonzes aux ventres énormes et les métamorphoses de Bouddha. Tout cela éveillait dans l'esprit blessé du vieillard d'amers ressouvenirs qui ravivaient sa douleur et rappelaient sa colère. Il prévint ses amis de son intention terrible. L'un d'eux, ému de pitié, avertit le mikado qui, réprouvant la coutume barbare, chargea un de ses fidèles d'empêcher Taïko-Naga de mettre son fatal dessein à exécution. Mais le vieux Samouraï avait deviné la mission de l'envoyé du mikado. A son insu, il convoqua pour un jour fixé ses parents et ses amis à Mionoska. Puis, la veille de la date funèbre, il annonça son départ et quitta le siro. Le surveillant partit en toute hâte afin de prendre les devants. V**

Taïko-Naga revint par un chemin détourné. Déjà, la plupart des gens qu'il avait convoqués étaient arrivés, entre autres le samouraï Taïra-Koura, vieil ami et cousin du père de Fidé, qui partageait sa haine pour les idées nouvelles et devait lui servir de second. Au fond du jardin, dans le yashki, une estrade avait été dressée et, tout autour, de riches tapis et des nattes couvraient le sol. Les Kéraï firent ranger les assistants en cercle.

Sur l'estrade, Taïko-Naga, en grand uniforme, se tenait à genoux au milieu d'un tapis brodé. De grosses larmes coulaient lentement contre son visage amaigri par la douleur. Devant lui, sur un petit tabouret, son sabre d'apparat, court et acéré, se trouvait à portée de la main, enveloppé d'un papier qui laissait paraître la pointe luisante et tranchante comme un rasoir. Un silence de mort régnait dans l'assemblée. Le vieillard parla d'une voix vibrante

1 «- Les Todjins sont venus dans notre pays, où nous, vivions, tranquilles et heureux, ̃̃ ̃