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Titre : Le Figaro. Supplément littéraire du dimanche

Éditeur : Le Figaro (Paris)

Date d'édition : 1878-08-18

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb343599097

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb343599097/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Description : 18 août 1878

Description : 1878/08/18 (Numéro 33).

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k273799k

Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-246

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 15/10/2007

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avaient fait leurs nids, et chaque jour, à 1 heure du les cloches étaient mises en branle, nous les apercevions voleter tout effarés autour du clocher, en poussant des cris sinistres.

Le major fit le tour de l'église, s'adossa a un pan de mur délabré ou croissaient, en toute liberté, le lierre, le lichen et la joubarbe, et il attendit le passage des corbeaux. Une minute ne s'était pas écoulée que deux coups de feu retentirent, et deux corbeaux, tombant aux pieds du tireur, vinrent témoigner de la justesse de son coup d'œil.

Sacrebleu fit le major en les ramassant, je suis volé. ils sont maigres 1 Il rentra à l'hôtel, et, suivant son ordre exprès, une moitié de sa chasse fut accommodée en salmis; l'autre fut mise à la broche. Il soupa du meilleur appétit, ne laissa pas une miette de son étrange festin, et déclara que, de sa vie, il n'avait fait un plus succulent repas. j A dater de cette époque, le major de-* vint un sujet d'inquiétude pour les uns, de terreur pour les autres, de curiosité pour tous. Lorsqu'il se promenait sur le cours, l'allée qu'il avait choisie ne tardait pas à devenir solitaire au théâtre, il était rare que sa loge ne restât pas vide, et il arriva souvent que de vieilles femmes se signèrent en se croisant avec lui dans les rues étroites de la ville. Pour lui, il se montrait superbe d'indifférence. Un jour que je l'avais mis sur ce chapitre, il se contenta de ricaner dans sa moustache.

Vos compatriotes sont de purs cré-' tins dit-il entre deux bouffées de tabac. Et il me tourna le dos.

On avait observé qu'il ne lui arrivait jamais d'entrer dans une église. Souvent on l'avait invité à assister a des enterrements mais il faisait la sourde oreille, se bornant à déposer sa carte chez lés parents du mort. Quant aux lettres d'invitation, elles lui servaient à allumer son cigare. On peut même dire qu'il en portait toujours quelqu'une dans sa poche, destinee à cet usage qu'on trouvait indécent.

Le major était logé chez une dame d'un certain âge appelée Mme Robin i comme elle n'était pas des plus fortunées, elle n'habitait que le rez-de-chaussée de sa maison, dont elle louait le surplus tout meublé à ces oiseaux de passage qu'on appelle des fonctionnaires. Son mari occupait un mince emploi dans les bureaux de la préfecture, et, à force d'ordre et d'économie, ce petit ménage allait cahin-caha, comme vont la plupart des petits ménages de province.

Mme Robin s^etait donné pour confesseur l'abbé Joulu, qui passait, à juste titre, pour le plus sévère directeur de tout le diocèse. Or, soit que l'histoire des corbeaux l'eût indisposée contre le major, soit que l'abbé Joulu eût circonvenu sa pénitente, toujours est-il qu'elle signifia, un beau matin, à son locataire, d'avoir à déguerpir dans la journée. Le major se fit répéter plusieurs fois cet ordre inattendu.

Madame, dit-il enfin, jevous engage à réfléchir mûrement avant de me mettre à la porte. Vous êtes une honnête femme et vos cheminées ne fument pas. Donc. je ne vous veux point de mal ne me forcez pas à souhaiter qu'il vous en arrive.

Vos menaces ne m'effraient pas, répondit Mme Robin avec une assurance plus feinte que réelle. J'entends que vous ne couchiez pas cette nuit sous mon. toit. Est-ce clair ? 2

C'est donc sérieux, madame?

Très sérieux, je vous assure. Vous me chassez?

Je ne vous chasse point; je vous prie de me céder un appartement dont j'ai besoin. Les propriétaires sont maîtres chez eux, apparemment.

M. Proudhon n'avait pas encore, à cette époque, formulé son évangile so- cial.

C'est bien, dit le major avec amertume dans deux heures vous serez délivrée de ma présence.

Effectivement, deux heures écoulées, il avait terminé son déménagement; mais, attendu qu'il se montrait fort poli avec les dames, il ne voulut pas s'éloignep-sans prendre congé de son hôtesse. Rappelez-vous, madame, dit-il en la saluant, que c'est vous qui l'avezvoulu. ̃ Qu'est-ce que j'ai voulu? demanda Mme-Robin, qui commençait à se repentir de la précipitation qu'elle avait apportée dans cette affaire. Expliquez-vous, major, je vous prie.

Mais il ne s'expliqua point, et s'éloigna non sans Tivoir craché deux fois sur le seuil. Le lendemain, Madelon, la domestique des Robin, aperçut une croix rouge crayonnée sur la porte. Elle pensa que c'était l'œuvre de quelque polisson, n'en dit rien à personne et l'effaça avec son tablier. Quant elle rentra, sa maîtresse lui demanda si elle s'était coupée son tablier était en effet maculé de larges taches de sang.

Non, madame, dit la servante c'est sans doute le sang du canard que j'ai tué hier soir pour le souper; il gigotait comme un diable.

Plusieurs faits successifs se passèrent alors, qui nous confirmèrent dans la pensée que le major était un jettatore de la pire espèce. Une fatalité impitoyable s'acharna contre ces pauvres Robin, que tout le monde aimait et estimait en ville. Un notaire auquel ils avaient confié quelques sacs'de mille francs durement t économisés, fit un trou dans la lune et disparut, laissant une caisse Fichet très ingénieusement conditionnée, mais tout à fait vide. Les locataires déménagèrent les uns après les autres, et ne furent point remplacés. Un rhumatisme aigu mordit de ses dents d'acier le bras droit de M. Robin, et, comme il n'écrivait plus que très lentement et fort-mal, le chef de division sous les ordres duquel il travaillait lui conseilla les eaux des Pyrénées et lui donna un successeur. Cette série d'infortunes fut couronnée par un événement des plus extraordinaires, que les médecins du chef-lieu s'évertuèrent à expliquer par des raisons scientifiques, et que la majeure partie de la population rangea, tout d'une voix, dans la catégorie des choses surnaturelles. tD

Les Robin n'avaient qu'un fils qu'ils aimaient à l'adoration. Ce fils comptait vingt ans accomplis et devait concourir au prochain tirage. Mais comme il était fort petit et qu'il s'en fallait de plusieurs centimètres qu'il atteignît au minimum de la taille exigée par les conseils de révision, ses parents ne concevaient aucune inquiétude à cet égard, et ils se réîouissaient en songeant qu'on ne l'arracherait pas à leur tendresse. On l'avait toisé et retoisé bien des fois, et le capitaine de recrutement, un ami de la maison qui ne détestait pas le mot pour rire. ne manquait point de s'écrier à l'aspect du futur conscrit

Mon Dieu que ce garçon ferait donc un beau tambour major. dans l'armée deLilliput!

I Quinze jours avant l'époque fixée pour id tirage, le jeune Robin se plaignit un soif, en se couchant, d'une fatigue générale dâïis tout le corps.

Ce nv>est rien, dit sa mère, rien qu'un peu de courbature. Dors en paix, ne fais pas de mauvais rêves, et demain il n'y paraîtra plus.

Mais le lendemain, en s'habillant, le jeune Robin s'aperçut avsc une profonde stupeur que son pantalon de la veille était trop court d'un bon doigt, et que les parements de sa redingote, au heu de lui couvrir la moitié de la main, ainsi que c'était leur habitude, expiraient à la naissance des poignets.

A partir de ce moment, ce jeune homme allongea, on peut le dire, à vue d'œil, en sorte qu'au jour du tirage, le n° 13 lui étant échu, il fut mis sous la toise, et l'on constata que sa taille dépassait de cinq centimètres le minimum fixé par la

loi.

En moins de trois semaines, il avait grandi de neuf centimètres!

Alors la pauvre mère se souvint de quelle façon menaçante son locataire l'avait quittée. Elle courut chez le major, se jeta à ses pieds, lui demanda humblement pardon et le supplia de vouloir bien mettre un terme à ses terribles rancunes.

Vraiment, ma chère dame, dit-il en la relevant, êtes-vous folle? Me prenez. vous pour Une goule ou pour un vampire, et me soupçonnez-vous d'entretenir des intelligences avec Satan? Voilà une démarche inconsidérée, qui vous vaudra une semonce en trois points de la part du terrible abbé Joulu, votre cher directeur

Et, lui offrant la main, il la reconduisit avec une politesse empressée jusqu'au bas de l'escalier.

Mme Robin n'en resta pas moins persuadée qu'il était l'auteur secret de tous ses maux, qu'il lui avait jeté un sort et cette croyance, quelque absurde qu'elle fût, ne tarda pas à être partagée par tous les esprits faibles et par quelques esprits forts de la ville.

Tel était le treizième juge que le hasard venait d'assigner à Pierre Granger; et l'on doit comprendre pourquoi une certaine émotion agita l'auditoire lorsque du fond de l'urne sortit ce nom mystérieux Le major Vernoc.

H

Cependant la lecture de l'acte d'accusation se poursuivait au milieu d'un religieux silence, que troublaient seulement par intervalles les murmures appro.batifs de l'assemblée.

Le procureur du roi, (au temps où il étudiait le droit à Paris, il avait fait représenter plusieurs mélodrames sur le théâtre de Bobino,) avait arrangé les faits de la cause, déjà passablement horribles par eux-mêmes, avec une habileté scénique, une entente de la situation qui impressionnèrent l'assistance au plus haut point, et donnèrent la chair de poule aux belles dames qu'une faveur particulière avait placées sur l'estrade derrière les juges.

Quant à Pierre Granger, après avoir bâillé de la façon la plus incongrue, il s'était endormi paisiblement et faisait entendre des ronflements sonores, en dépit des gendarmes, qui s'efforçaient de le tenir éveillé, sans réussir à autre chose qu'à lui faire entr'ouvrir de temps en temps un œil rond, hébété de sommeil. Lorsque le greffier eut achevé sa lecture, on parvint enfin à tirer l'accusé de sa somnolence léthargique, et le président procéda à son interrogatoire. Cet interrogatoire révéla dans toute sa hideur le cynisme, l'abrutissement et l'immoralité de Pierre Granger. Il avait tué sa femme, dit-il, parce qu'il existait entre eux une grancfe incompatibilité d'humeur; il avait mis le feu à sa maison parce que la nuit était froide et qu'il ne possédait pas une seule brassée de bois pour se chauffer; ses trois enfants étaient morts, à la vérité, mais comme ils étaient malingres, chétifs, scrofuleux et mal bâtis, la société, en somme, n'y avait rien perdu, et l'on était mal venu de le chicaner pour de telles misères.

Après l'interrogatoire, on leva l'audience, qui fut renvoyée au lendemain pour l'audition des témoins, et dès lors il n'y eut pas dans toute la ville une seule personne qui ne fût convaincue d'à: vance qu'un verdict de mort serait le dernier mot de cette tragédie criminelle. Quelques uns s'étonnèrent bien que le nom du major Vernoc n'eût soulevé aucune récusation, soit de la part de M. Tourangin, soit de la part de Me Lepervier mais ceux-là s'étonnèrent tout bas, et ils firent en sorte que leurétonnement n'arrivât pas jusqu'aux oreilles du major. On ramena Pierre Granger à la prison. Il se plaignit de mourir de faim, et dégusta son maigre repas avec la sensualité d'un épicurien qui s'installe dans un restaurant en renom.

En présence d'une indifférence si complète, le geôlier manifesta son étonnement.

-Pourquoi voulez-vous que je me chagrine ? demanda l'assassin, de qui les mâchoires fonctionnaient comme les meules d'un moulin. Pourquoi ? dit le geôlier surpris, d'une semblable question; vous me demandez pourquoi?

Eh sans doute. Dans les situations pareilles à la mienne, quel est le souci le plus fort? L'incertitude, n'est-il pas vrai? C'est possible.

Eh bien moi je n'ai aucune inquiétude sur mon sort.

C'est juste, dit le geôlier, vous se-, rez condamné.

Vous croyez

Je parierais vingt francs.

Les opinions sont libres, mais vous auriez tort.

Supposez-vous, par hasard, que le jury sera assez bon enfant pour vous appliquer les circonstances atténuantes ? -Des circonstances atténuantes, je n'en veux pas. qu'en ferais-je?

Aht ça. vous pensez .peut-être qu'on vous acquittera purement et simplement ? dit le geôlier en riant d'un gros rire. ̃

Je ne le crois pas.

A la bonne heure 1

J'en suis sûr.

Il faudra que le diable s'en mêle, alors.

Pourquoi pas ? dit Pierre Granger en avalant sa dernière bouchée.

Le geôlier haussa les épaules avec dédain, sonda les murs et le carreau du cabanon, fit résonneries fers de son prisonnier, et sortit après avoir poussé trois verrous et donné deux tours de clé à une formidable serrure incrustée dans une porte en chêne- épaisse de deux doigts et hérissée de têtes de clous. Il n'entre pas dans nos projets de suivre pas à pas les débats de cette effroyable affaire, et nous vous renvoyons aux

journaux judiciaires de l'époque. D'ailleurs, l'auteur serait inhabile à reproduire le réquisitoire éloquent de M. Tourangin et la plaidoirie non moins éloquente de Me Lepervier.

Le premier parla durant six heures quarante minutes, et le second le distança d'un gros quart d'heure. Le ministère public ayant fait une réplique vigoureuse qui ne dura pas moins de cinq heures et demie, l'avocat répliqua à son tour, et parvint à pérorer vingt-cinq bonnes minutes de plus que son éloquent adversaire. Ce fut, sans contredit une des plus belles luttes oratoires dont on ait gardé le souvenir dans la contrée. Bien que la -salle fût divisée en deux camps, le camp Lepervier et le camp Tourangin,on déclara,d'unavisunamme, que c'était là un tournoi grandiose dans lequel il y avait eu deux vainqueurs et pas un seul vaincu.

Pour être juste, en eût dû, à notre avis, décerner la palme à M0 Lepervier, dont le rôle était autrement difficile que celui de son contradicteur. Persuadé en son âme et conscience que son client était un brigand de la pire espèce, dont là condamnation serait un bienfait pour l'ordre social, il n'en fit pas moins loyalement son métier d'avocat. Arrivé à la péroraison, il tira du fond de ses glandes lacrymales quelques rares pleurs qu'il gardait précieusement pour une occasion extrasolennelle. Ainsi dans les familles bourgeoises on conserve deux ou trois bouteilles de vieux vin de la^comète pour le repas de noce d'une fille chérie.

Les débats tiraient à leur fin et le moment approchait le président allait prononcer son résumé. Mais, comme il faisait une chaleur excessive, et attendu que chacun éprouvait le besoin de respirer pendant quelques minutes un air moins saturé de gaz méphitiques, avant de prendre la parole le président déclara que la séance resterait suspendue durant une demi-heure. La cour se retira dans la chambre du conseil, les jurés passèrent dans la salle-de leurs délibérations, et les huissiers ouvrirent toutes les fenêtres afin de purtfler l'atmosphère asphyxiante de la Cour d'assises.

Les jurés, tout en s'entretenant de la culpabilité du prévenu dont la destinée était remise à leur religion et à leur conscience, s'étaient fait apporter des sorbets et des glaces, qu'ils savouraient avec délices. Le major Vernoc avait allumé un cigare, et, voluptueusement assis dans un large fauteuil, il fumait avec la gravité d'un Oriental.

Un fameux cigare r soupira un des jurés en contemplant les petits nuages odorants qui s'échappaient des lèvres du fumeur.

S'il vous était agréable d'en griller un,, mon cher collègue? dit le major en lui tendant gracieusement son porte-cigares.

Il n'y a pas d'indiscrétion, au moins? PcEs la moindre.

Le juré prit un cigare et l'alluma à celui de son obligeant collègue.

Eh bien que vous en semble ? demanda le major.

Délicieux! répondit l'autre. Je lui trouve un arôme particulier auquel ne m'a pas habitué la régie. Où vous fournissez-vous ?

A la Havane.

C'est un peu loin et un peu cher D'accord, mais c'est mon péché mignon. ,t' 't h. t

Plusieurs jurés s'étaient approchés et jetaient sur le porte-cigares du major des regards dont le sens n'était pas- malaisé à traduire. Messieurs, dit le major, veuillez m'excuser je viens d'offrir mon dernier cigare. Moi qui en ai toujours un paquet dans mes poches, je me trouve aujourd'hui tout à fait dépourvu. J'aurai, dès demain, l'honneur de réparer ma bévue, et me ferai un véritable plaisir de vous mettre à même d'apprécier ma provision. Comme il parlait ainsi, un huissier vint prévenir MM. les jurés que la séance allait être reprise.

Les jurés s'empressèrent de regagner leurs places, et le président commença son résumé.

Mais il n'était pas arrivé au milieu de son exorde, lorsque celui des jurés qui avait fumé le cigare offert par le major se leva, et, d'une voix dolente, il demanda à la Cour l'autorisation de se retirer, se sentant gravement indisposé. Ces paroles dites, il perdit connaissance et tomba de son haut, la face sur le plancher.

Le président donna les ordres nécessaires pour que le malade fût reconduit chez lui; il engagea le major Vernoc à prendre possession du siège devenu vacant, et, aussitôt que l'agitation se fut calmée, il continua son résumé impartial. ».̃"̃:

1

Six heures sonnaient à l'horloge du Palais de Justice lorsque le jury entra dans la salle de ses délibérations afin de prononcer sur le sort de Pierre Granger. Il s'éleva tout aussitôt un concert d'imprécations unanimes contre ce misérable assassin. Seul le major Vernoc se fit remarquer par un mutisme obstiné; un dédaigneux sourire contractait ses lèvres minces.

Avant de passer aux voix, le chef du jury interrogea successivement ses collègues sur la question de savoir si des circonstances atténuantes seraient admises en faveur de l'accusé tous répondirent que Pierre Granger était un monstre indigne de la pitie des hommes, et que Dieu seul était assez grand et. miséricordieux pour ifser de clémence envers un scélérat si audacieux et si endurci. Et vous, monsieur, demanda le chef du jury au major, quelle est votre opinion sur la question qui nous occupe? Le major se leva, s'adossa contre la cheminée, et, promenant sur ses collègues un regard pétillant de lueurs phosphorescentes, il laissa tomber une à une ces parolesincroyables

Je voterai pour l'acquittement pur et simple de Pierre Granger, et vous voterez comme moi.

̃->- Monsieur, repondit le président du jury d'une voix sévère, HFn'appartient qu'a Dieu de sonder les mystères de votre conscience, mais je ne vous reconnais pas le droit de nous insulter tous gratuitement.

-Aurais-je eu le malheur de vous in.sulter ? demanda le major avec un étonnement si habilement simulé qu'il semblait naturel.

N'est-ce donc pas nous insulter que de nous supposer capables de fouler aux pieds la haute mission qui nous est confiée et les devoirs sacrés qu'elle impose? Ma;foi monsieur, dit le major, m'est avis que depuis deux jours on nous a mis à un régime de phrases littéraires dont, pour ma part, j'ai une forte indigestion. Vous n'êtes pas avocat, je suppose? Monsieur, je suis un homme d'honneur et.

Bah! interrompit le major, en êtesvous bien sûr?

Un murmurevd'indignation couvrit ces paroles.

Savez-vous, monsieur, que ce doute est une injure nouvelle ? 2

Ce n'est pas un doute que j'émets, reprit M* Vernoc, c'est une simple interrogation que je vous pose. Pour la première fois je suis appelé à exercer aujourd'hui les fonctions de juré, et, loin de fouler aux pieds les devoirs qu'assume une si haute mission, ainsi que vous le prétendiez tout à Ffeeure, je m'effraie en songeant à l'immensité des pouvoirs que la justice des hommes me remet en ce moment. Le sort d'une créature vivante est entre mes mains, et avant de faire de cette créature vivante une chose morte, avant de la livrer pieds et poings liés au bourreau, je me demande si je vaux mieux que Pierre Granger, ce qui n'est guère probable, et si vous valez mieux que moi, ce qui est au moins douteux. Il se fit un lugubre silence. Chacune des paroles du major pénétrait dans la conscience des assistants comme pénètre dans l'arbre qu'il dépèce la cognée du bûcheron, en y laissant des déchirures profondes.

Monsieur envisage la question au point de vue philosophique, dit enfin un des jurés d'une voix qui n'était pas des mieux raffermies.

Précisément, monsieur Cerneaux Aurais-je l'honneur d'être connu de vous? demanda le juré, dont la voix, loin de se raffermir, s'altéra sensiblement. Fort peu, en vérité.

Le juré laissa échapper un geste de satisfaction.

Assez pourtant, reprit le major, pour que je n'ignore pas que vous payez la patente de banquier et que vous escomptez de préférence le papier du petit commerce. Je sais aussi qu'il y a trois ans et demi ou quatre ans environ un honnête père de famille, faute d'un renouvellement qu'il implorait à genoux, s'est brûlé la cervelle sur vos sacs d'écus.

M. Cerneau ne souffla pas mot; il se réfugia dans un angle obscur et essuya les gouttes de sueur qui perlaient sur son front.

Entend-on nous jouer ici une scène renouvelée du deuxième acte des Mémoires du Diable? demanda un juré,, qui paraissait en proie à une vive impatience. Je ne connais point cet ouvrage, répondit le majdr, mais, si j'ai un conseil à vous donner, monsieur de Bardine, c'est de calmer vos nerfs.

Monsieur Vernoc, s'écria le juré, je n'aime pas les impertinences, et je les châtie.

Et de quelle façon, s'il vous plaît <; Lorsque l'insulte me vient d'un rustre, je le fais bâtonner par mes gens si elle me vient d'un homme qui sache tenir une épée, je lui fais l'honneur de me battre avec lui.

Voilà un honneur que je refuse absolument.

Vous êtes un lâche! J'aurais dû m'en douter!

Je ne suis point un lâche, comme il vous plaît de le dire, monsieur; je suis un homme de bon sens, et je serais trois fois stupide si j'acceptais votre cartel. Vous ne me tueriez pas, monsieur de Bardine vous m'assassineriez.

Qu'est-ce à dire? demanda M. de Bardine, qui devint blanc comme un linge.

Avez-vous donc perdu tout souvenir de votre duel avec M. de Sillac? duel sans témoins, si je suis bien informé., Avant que votre adversaire se fût mis en garde, vous lui avez traîtreusement enfoncé votre épée dans le cœur. Cette perspective n'a rien qui me séduise. Par un mouvement instinctif, les voisins de M. de Bardine firent un vide autour de lui.

J'aime cette pudeur, ricana le major elle vous sied surtout, monsieur Darin.

M. Darin bondit comme un cheval dont on laboure les flancs avec les pointes de l'éperon.

Quelle infamie allez-vous me jeter à la face major? demanda-t-il d'une voix

étranglée.

La moindre des choses, presque rien, en vérité. Il ne s'agit même pas d'un péché, mais bien d'une peccadille charmante, et qui est de nature à vous faire beaucoup d'honneur dans le moude. M. de Bardine assassine ses amis, vous vous contentez de déshonorer les vôtres; chacun son goût.

Pas un mot de plus, monsieur. Et pourquoi me tairais-je ? Il me convient, à moi, qu'on sache et qu'on redise que vous trompez cet excellent M. Simon, dont la maison est la vôtre, dont la table est la vôtre, dont la bourse est la vôtre.

Major, s'écria un des jurés qui jusque là avait gardé le silence; major, vous êtes un infâme

Un indiscret tout au plus, mon cher

monsieur Calfat. Appelons les choses par le nom qui leur convient, s'il vous plaît. Il n'y a d'infâme ici que l'homme qui a incendié lui-même sa maison six mois après l'avoir assurée pour le triple de sa valeur à quatre compagnies qui ont eu la sottise de désintéresser le spirituel propriétaire sans exiger une enquête préalable.

M. Calfatpoussa un rugissement étouffé et s'effaça dans l'ombre.

Mais qui êtes-yous donc, vous qui vous faites ainsi le juge impitoyable des crimes et des fautes d'autrui? demanda un juré en se plaçant en face du major et en le couvrant de son regard chargé de menaces et de haine.

-Qui je suis, monsieur Péron ? Un homme qui apprécie votre habileté à filer la carte et à faire sauter la coupe, et que vous n'aurez pas l'avantage de dévaliser, parce qu'il ne sera jamais assez simple pour jouer contre vous.

M. Pérou fit un bond en arrière comme si- un gouffre béant s'était tout à coup creusé sous ses pieds.

Cette scène avait un. caractère effrayant, qu'augmentait encore l'obscurité, à chaque instant plus profonde. La voix du major retentissait avec des vibrations métalliques. Elle résonnait dans les cœurs, elle y réveillait des échos douloureux et sinistres. Les cinq jurés qu'il avait pris corps à corps se tenaient im?_ mobiles, comme foudroyés; les autres soit qu'ils fussent muets d'épouvante, soit que leur conscience ne fût pas rassurée, ressemblaient à de pâles statues dans leurs niches de pierre. <

Le major fit entendre un rire strident et aigu. On eût dit le sifflement d'une vipère.

Eh bien honorables collègues, s'écria-t-il, ce pauvre Pierre Granger vous paraît-il encore indigne de toutepitié?Il a commis une faute, je vous l'accorde une faute que vous n'eussiez pas commise à sa place, j'en conviens. Comme vous, il n'a pas eu l'espri de masquer ses turpitudes sous des dehors d'hypocrisie et de vertu. Là est son crime Mais observez qu'il s'agit d'une brute. Ayant tué sa femme, s'il eût commandé un service décent, acheté un terrain perpétuel, fait construire un petit monument carre. en

jolies pierres blanches, avec une belle épitaphe en lettres noires, vous, moi,

le juge d'instruction, le ministère public

et les gendarmes, tout le monde se serait attendri sur une douleur conjugale de si bon aloi, et Pierre Granger aurait fini par occuper une place honorable dans les morale en action, côte à côte avec la veuve du Malabar. Voilà le plan qu'eût suivi un homme, je ne dis pas d'.un grand esprit, mais de quelque intelligence; et e gage que M. Norbec est parfaitement du même avis que son serviteur.

M. Norbec se dressa convulsivement. Ce n'est pas vrai, murmura-t-il je ne l'ai pas empoisonnée. Elisa est morte de la poitrine.

Au fait, reprit le major, vous me rappelez une circonstance dont j'avais perdu le souvenir. Mme Norbec est effectivement morte sans postérité, cinq mois après qu'elle vous eut institué son légataire universel. Mais rassurez-vous c'est déjà de l'histoire ancienne les bénéfices de la prescription vous sont acquis. Le major se tut.

La nuit était tout à fait sombre, et l'on entendait les cœurs palpiter dans les poitrines. Tout à coup, le silence fut rompu par le bruit sec d'un pistolet qu'on armait, et l'obscurité fut déchirée par une lueur rapide; mais il n'y eut aucune détonation l'amorce seule avait brûlé. Le major poussa un long éclat de rire. Charmant délicieux adorable en vérité, s'écria-t-il; ah! mon cher monsieur, que d'actions de grâce ne vous dois-je pas? dit-il au chef du jury. Vous représentiez le seul honnête homme de la bande, et voici que, pour me complaire, vous commettez sur ma personne, la nuit, dans une maison habitée, une petite tentative d'assassinat qui n'a manqué son eftet que par suite de circonstances indépendantes de votre volonté. crime prévu par le Code pénal.

Lorsque son hilarité se fut calmée, le major sonna et demanda des bougies. Ça, messieurs, dit-il à ses collègues, vous n'avez pas, je présume, l'intention de coucher céans; finissons vite, et partons il se fait tard.

Dix minutes après, le chef du jury prononçait im verdict d'acquittement, et Pierre Granger était mis en liberté au milieu des clameurs et des. huées de la foule, qui insulta si violemment les jurés qu'on dut faire évacuer la salle par un piquet de troupe de ligne.

Comme s'il se fût promis de pousser le ,scandale jusqu'à ses plus extrêmes limites, le major se dirigea vers le banc des accusés, passa son bras sous le bras de Pierre Granger et l'entraîna.,par un couloir de service.

Depuis lors, on ne les a revus ni l'un ni l'autre dans le pays.

Il régna pendant la nuit une tempête affreuse, mêlée de tonnerre et d'éclairs. Toute la récolte fut hachée par des grêlons gros comme des œufs de pigeons, et la foudre tomba sur le clocher de SaintPatrice, dont elle tordit la grande croix de fer doré.

Aïbéric Second.

LA FÊTE DE LARD DE MJJI0W

Le petit bourg de Dunmow, en Angleterre, est connu par une bizarre cérémonie qui s'y célèbre tous les ans et dans laquelle on remet une flèche de lard au couple modèle qui ne s'sst pas querellé une fois dans l'année. Voici l'explication de cette légende et le souvenir qui s'y rattache.

En l'an de grâce 1198, un certain haut baron du nom deWalterFitzwalter, ayant eu à se plaindre pendant longues années de l'humeur despotique de sa femme, alla consulter les moines de l'abbaye de Dunmow. On conserve encore sa déposition dans les archives du prieur du monastère « Elle veut bien me laisser porter l'armure à la guerre; mais elleveut porter elle même le haut-dechausses à la maison,» Alors le prieur, qui sans doute aimait à rire, engagea le pauvre baron à mettre fin a cette lutte par un combat dans les règles, dont le haut-de-chausses disputé devait être le prix.

A cette fin on transforma donc en arène la grande salle du château, et tous les serviteurs de Fitzwalter se joignirent aux moines de l'abbaye, prieur en tête, pour assister au combat. La culotte de velours rouge que portait le baron dans les grandes occasions de fêtes et de réjouissances, était suspendue au plafond, prête à être adjugée au vainqueur ,du tournoi.

On avait d'abord cru que, par pudeur, l'acariâtre épouse refuserait ce duel étrange; « mais, dit un vieux chroniqueur, la dame était mue par le désir de marquer son mépris pour son mari, et sa haine pour le prieur, qui déjà, en mainte occasion, avait blessé son orgueil. » Une gravure ancienne nous montre la belle virago équipée pour le combat l'arme choisie était le bâton, arme terrible, familière aux gens du pays, et dont Richard Cœur de lion jouait si bien à son retour de captivité. Ce bâton était un rondin de bois de hêtre, assez dur pour que, bien appliqué par une main vigoureuse, il pût d'un seul coup laisser un homme sur le carreau. Avec son astuce féminine, lady Fitzwalter savait bien, la fine mouche, que son mari l'aimait trop tendrement pour vouloir lui faire du mal.

Le combat commencé, il fallait voir avec quelle agilité et quelle adresse elle faisait retomber son arme formidable sur son pauvre mari qui, de son côté, se gardait bien de toucher, son adversàire,dontilse contentait de parer les coups. On se battit une heure durant, au milieu des rires et des lazzi des spectateurs Enfin, par un coup décisif, le baron, ne pouvant plus en endurer davantage, désarma son adversaire et comme sa femme se baissait pour ramasser son arme, il se baissa en même temps; leurs lèvres se rencontrèrent, et, au milieu d'un silence solennel, on entendit retentir le bruit d'un gros baiser. La dame, attendrie, s'avoua vaincue par la douceur et la galanterie de son honnête homme de mari et lui tendit son haut-de-chausses. Il paraît que, dès ce jour, ce couple, auparavant mal assorti, vécut en bonne intelligence, car on n'entendit plus parler dans l'histoire du pays de nouveaux différends.

Fitzwalter, en mémoire de sa victoire, fonda un prix à perpétuité, qui n'était autre qu'une flèche de lard qu'on délivrait chaque année au couple marié qui jurait sur la Bible, devant l'autel de l'église de Dunmow, que, pendant un an et un jour, la paix du ménage n'avait pas une seule fois été troublée par quelque querelle intestine. C'est depuis lors que le porc salé traditionnel se trouve tous les ans à la disposition des ayants droit. Mais il est rare qu'on le réclame.

et, depuis l'année 1751, il n'a été décerné qu'une fois,à un sieur John Shakeshanks et à son épouse. ;£- ̃•, ̃• hè-u Or le personnage de nos jours qui a voulu honorer le souvenir du brave Fitzwalter n'est autre que Benjamin Disraeli, aujourd'hui comte de Beaconsfield, pair du Royaume-Uni et premier ministre de la reine. Il s'est présenté avec sa femme, il y a quelques années-, devant les autorités, de Dunmow pour réclamer le prix d'une année entière de patience et de soumission mutuelle, et on lui décerna le prix en question avec toutes les anciennes formalités indiquées par le testament dû fondateur. Les récipiendaires doivent s'agenouiller sur deux pierres pointues pendant la prestation du serment et ne point bouger pendant l'allocution du prê Ire. Ces con. ̃; ditions ont été religieusement observées, par M. et Mme Disraeli, et on les a vus, y s'acheminant bras dessus bras dessous, > en tête de la procession grotesque qui accompagne toujours ces cérémonies antiques. Depuis lors, on n'a pas vu se renou-' veler cette fête. L'épouse soumise et silencieuse est aussi rare en Angleterre que dans les autres pays, tandis que le serment y est plus respecté qu'ailleurs. Parmi les candidats, qui ont accompagné' le ménage Disraeli, on remarquait un Français, le chevalier de Chatelin, poète, et littérateur de grand mérite, qui s'est dévoué, avec sa femme, au culte des anciens usages, et qui ne manque pas une occasion d'affirmer sa foi.

LA' ROSIÈRE

A Trie-les-Charmes, te Conseil Munîï cipal a l'habitude de. se réunir une foid par, an pour imposer les mains, au fiv guré s'entend sur la fille laplusvec*i; tueuse de la commune. V Le prêtre de la paroisse, qui, par Fin* termédiaire du confessionnal, en sait! probablement plus long sur la vertu dai ses ouailles que tous les conseillers, et\ même les femmes des conseillers, mis! ensemble, n'est pas admis aux débats di*<; Conseil, en vertu sans doute de ce priiu4 cipe généralement admis non seules ment en France mais dans bien d'autres? pays, qu'on doit tenir à l'écart ceux qui en savent le plus.

Mais peu importe; les conseillers ju^ gent de la vertu à l'aide des lumières na^ turelles dont chacun de nous est plus oui moins doué; et s'ils ne peuvent parveN nir à s'entendre, ils se vengent mutuel*] lement à l'aide d'insinuations malveil* lantes sur leur vie privée, comme cel^j se pratique dans de plus graves assem* blées.

Cependant, quand, à force de braille et de gesticuler, ils finissent par arrive» à une détermination quelconque, chaeifti d'eux va déposer son morceau de papier dans l'urne, et la jeune fille qui obtien alors le plus de votes est sur-le-chamjjî proclamée Rosière. 4 Cela fait, un dimanche d'été, on tëft conduit en grande cérémonie à l'églis du village on lui pose sur le front une] couronne de roses blanches; on lui fait cadeau d'une montre en or d'unes paire de boucles d'oreilles, d'une bourse| bien garnie; et on lui offre un déjeunera au champagne, suivi d'un bal organisé! en son honneur. Aprèsquoi, la jeune filief ainsi fêtée fait son entrée dans la vie,( avec l'idée bien légitime et bien natu«»' relie que ce monde réserve aux ver tueuxi jusqu'à la fin de leurs jours, une séria ininterrompue de bals, de déjeuners au champagne, de bijoux, et de billets de banque.

Un jour donc, étant par hasard à Tria*1 les-Charmes, et méditant, comme je ma plais souvent à le faire, sur l'excellence» de la vertu britannique,'je descendais, en flânant, la principale rue du village, quand je me trouvai tout à coup en face de trois jeunes filles qui lavaient leuE linge dans trois baquets placés sur le seuil de trois maisons.

La première, au regard dur et sévèrei aux lèvres fermes et pincées, tapait à. grands coups de battoir sur les serviet* tes qu'elle avait devant elle,, comme si chacun des fils qui en composait le tissu eût mérité d,'être châtié pour son man« que de vertu. La seconde louchait. La? troisième. Eh! bien, la troisième n'é« tait pas belle à voir. Aussi, appris-ja sans la moindre surprise que de toutes les filles du village, c'était celle qui avait le plus de chance d'obtenir la couronna de rosés blanches et le déjeuner au champagne.

Je n'aurais pas craint, en effet, de ris« quer dans un pari sur sa vertu immacu^ lée mes bottes et mon chapeau. Je n'auW rais pas hésité non plus à parier le resta de mon costume que les deux autres jeunes filles étaient aussi vertueuses qu'elle. Je ne voyais même rien qui pût les empêcher de rester dans cet état-la aussi longtemps qu'elles s'en trouve. raient bien, car je savais que tous les jeunes gens de Trie-les-Charmes étaient de vrais Français sous le rapport du goût. Adressant donc un sourire respectueux àjnes trois laveuses, comme j'aurais pu le faire à trois bouteilles de vin qui n'auraient jamais été débouchées, ou h trois volontaires anglais qui* n'auraient jamais vu le feu, ou bien encore à trois Irlandais ultra-radicaux qui n'auraient jamais été invités aux fêtes de ia cour, je continuai mon chemin, laissant successivement derrière moi le café du village, la Mairie, une troupe de coqs gaulois qui picoraient au soleil en corn* pagnie de leurs poules, et un gendarme au baudrier jaune, qui dressait un pro« < cès-verbal à un brave paysan, dont le cochon était allé se promener dans les champs de son voisin.

Je me trouvai bientôt en pleine cam« pagne, où j'aperçus une jeune fille qui, ï genoux derrière une haie, arrangeait patiemment un petit tas de pierres. Le murmure d'un ruisseau dont les eaux babillardes coulaient près de là, et le tic-tac d'un moulin dont les cascades écumantes retombaient avec bruit, ni'em* pêchaient d'entendre la voix de la jeune fille, mais je voyais qu'elle se parlait à elle-même.

Me rapprochant alors un peu, j'aper* çus, à coté du tas de pierres, un panier plein de fleurs et sur le monticule même,posée dans laposition d'un homme ivre adossé contre un mur, une vilaine petite poupée en bois, avec une robe de mousseline blanche1 et une couronne da boutons de rose légerement penchée sur l'oreille. Cette pauvre poupée aux bras raides et étendus devant elle, aux jame bes écartées de droite et de gauche, au corps incliné en avantjà la tête courbée» avait certainement l'air le plus drôle et le plus dissipé que j'aie jamais vu à \m& poupée quelconque.