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Titre : Le Figaro. Supplément littéraire du dimanche

Éditeur : Le Figaro (Paris)

Date d'édition : 1914-03-28

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb343599097

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb343599097/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Description : 28 mars 1914

Description : 1914/03/28 (Numéro 13).

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k2732690

Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-246

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 15/10/2007

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Somçnaipe

Lamartine Mistral

Gilles. Comment elles sortent. Comment

elles entrent.

•GleCH. DE LAMBERT. L'Entrée des Alliés à Paris le 31 mars

1814

Georges Démanche Durazzo, capitale de l'Albanie

'PIERRE QUENTIN-BAU-

< CHART. Le docteur Guillotin André Beaunier. A travers les Revues Jean Monvax. L'Impôt sur le Revenu et le Déficit

sous Louis XV

Léopold LAcouR. Les Amies et la ̃ Femme de Molière

Le livre du jour

FEUILLETON:

FœMiNA Un Voyage

-w-

Page jYtusicale

André MESSAGER. « Béatrice » v

MISTRAL

Voici soixante ans, Lamartine révélait avec .éclat le nom d'un jeune poète encore inconnu, Frédéric Mistral. On lira aujourd'hui avec un 'intérêt particulier les pages magnifiques de l'auteur des Méditations qui introduisait solennellement dans la gloire l'auteur de Mireille.

,Je vais vous raconter aujourd'hui une bonne nouvelle Un grand, poète épique est né. La nature occidentale n'en fait plus, mais la nature méridionale en fait toujours: il y a une vertu dans le soleil. Un vrai poète homérique en ce tempsci un poète né, comme les hommes de Deucalion, d'un caillou de la Crau; un poète primitif dans notre âge de décadence un poète grec à Avignon un poète qui crée une langue d'un, idiome comme Pétrarque a créé l'italien un poète qui, d'un patois vulgaire, fait un ,langage classique d'images et d'harmonie ravissant l'imagination et l'oreille; un poète qui joue sur la guimbarde de son village: des symphonies de Mozart et de Beethoven un poète de vingt-cinq ans qui, du premier jet, laisse couler de sa veine, à flots purs et, mélodieux, une épopée agreste, où les scènes descriptives de YOdyssée et les scènes innocemment passionnées du Daphnis et Chloé. mêlées aux saintetés et aux tristesses du christianisme, sont chantées avec la grâce de Longus et avec la majestueuse simplicité de l'aveugle de Chio, est-ce là un miracle? Eh bien ce miracle est dans ma main; que dis-je? il est déjà dans ma mémoire, il sera bientôt sur .les lèvres de toute la Provence. J'ai reçu le volume il y a deux jours, et les pages en sont aussi froissées par mes doigts, avides'de fermer et de rouvrir le volume, que les blonds cheveux d'un enfant sont froissés par la main d'une mère, qui ne se lasse pas de passer et de. repasser ses doigts dans les boucles pour en palper le soyeux duvet et pour les voir dorés ,au rayon du soleil.

Or, voici comment j'eus, par hasard, connaissance de la bonne nouvelle.

Adolphe Dumas, non pas le Dumas encyclopédique dont chaque pas fait retentir' la terre de bruit sbus son pied non pas le jeune Dumas,son fils, silencieux et méditatif, qui se recueille autant que son père se répand, et qui ne sort, après trois cent soixante-cinq jours, de sonrepos, qu'avec un chef-d'œuvre de nouveauté,. d'invention et de goût dans la main; mais le Dumas poétique, le Dumas prophétique, le Dumas de la Durance, celui qui jette de temps en temps des cris d'aigle sur les rochers de Provence, comme Isaïe en jetait aux flots du Jourdain, sur les rochers du Carmel; Adolphe Dumas, enfin, que je respecte à cause de son éternelle inspiration, et que j'aime à cause de sa rigoureuse sincérité, vint un soir du printemps dernier frapper à la porte de ma retraite dans un coin de Paris.

Sa tête hébraïque fumait plus qu'à l'ordinaire de cet enthousiasme qui s'évapore perpétuellement du foyer sacré du front. « Qu'avez-vous ? lui dis-je. Ce que j'ai? répondit-il j'ai un secret, un secret qui sera bientôt un prodige. Un enfant de mon pays, un jeune homme qui boit comme moi les eaux de la Durance et du Rhône, est ici, chez moi, en ce moment. Depuis huit jours qu'il a pris gîte sous mon humble toit, il m'a enivré de poésie natale, mais tellement enivre, que j'en trébuche en marchant, comme un buveur, et que j'ai senti le besoin de décharger mon cœur avec vous. Ce jeune homme repart demain soir pour son champ d'oliviers, à Maillane, village des environs d'Avignon. Avant de partir, il désire vous voir, parce que la Saône se jette dans le Rhône, et qu'il a 'reconnu, en buvant dans le creux de sa main l'eau de nos grands fleuves, quelques-unes des gouttes que vous avez laissées tomber de ivotre coupe dans votre Saône.

» Bien, lui dis-je amenez-le demain à la fin du jour je lni souhaiterai bon voyage au pays de Pétrarque, de l'amou/ef de la gloire, maintenant que les vers, l'amour et la gloire sont devenus une pincée de cendre trempée d'eau amère entre mes doigts.

» Merci, me dit-il. » Et il me serra la main dans sa main neryeus(e, qui tremble, qui étreint et qui brise les doigts de ses amis comme une serre

d'aigle concasse et broie les barreaux de sa cage.

Le lendemain, au soleil couchant, je vis entrer Adolphe Dumas, suivi d'un beau et modeste jeune homme, vêtu avec une sobre élégance, comme l'amant de Laure, quand il brossait sa tunique noire et qu'il peignait sa lisse chevelure dans les rues d'Avignon. C'était Frédéric Mistral, le jeune poète villageois destiné à devenir, comme Burns, le laboureur écossais, l'Homère de Provence.

Sa physionomie simple et douce, n'avait rien de cette tension orguei leuse des traits ou de cette évaporation des yeux qui caractérise trop souvent ces hommes de vanité, plus que de génie, qu'on appelle les poètes populaires ce que la nature a donné, on le possède sans prétention et sans jactance. Le jeune Provencal était à l'aise dans son talent comme dans ses habits;, rien ne le gênait,' parce qu'il ne cherchait ni à s'enfler, ni à s'élever plus haut que nature. La parfaite convenance, cet instinct de justesse dans toutes les conditions, qui donne aux bergers, comme aux rois, la même dignité et la même grâce d'attitude ou d'accent, gouvernait toute sa personne. Il avait la bienséance de la vérité il plaisait, il intéressait, il émouvait on sentait dans sa mâle beauté le fils d'une de ces belles Arlésiennes, statues vivantes de la Grèce qui palpitent dans notre Midi.

Le jeune homme nous récita quelques vers, dans ce doux et nerveux idiome provençal qui rappelle tantôt l'accent latin, tantôt la grâce attique, tantôt l'âpreté toscane.- Mon habitude des patois latins parlés uniquement par moi jusqu'à l'âge de douze ans, dans les montagnes de mon pays, me rendait ce bel idiome intelligible. C'étaient quelques vers lyriques; ils me plurent, mais sans m'enivrer le génie du jeune homme n'était pas là. Le cadre était trop étroit pour son âme; il lui fallait, comme à Jasmin, cet autre chanteur sans langue, son épopée pour se répandre. Il retournait dans son village pour y recueillir, auprès de sa mère et à côté de ses troupeaux ses dernières inspirations. Il me promit de m'envoyer un des premiers exemplaires de son poème; il sortit.

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Donc, il y a six jours que la poste du soir m'apporta, un gros 'et fort volume intitulé Mireïo c'est le nom provençal de Mireille. Ce livre était le tribut de souvenir que le poète découvert par Adolphe Dumas m'avait promis l'été dernier. J'ouvris nonchalamment le vo.lume, je vis des vers.. J.'ài ^àmepeu poétique en ce moment je lutte dà,ns une fièvre continuelle avec une catastrophe domestique qui,. si elle s'achève, entraînera malheureusement bien d'autres que moi. è Je rejetai donc le volume sur la che-* minée, et je me dis Je n'ai pas le cœur aux vers: à un autre temps

Cependant, quand l'heure du sommeil ou de l'insomnie fut venue, je pris, par distraction, le volume sur la'tablette de la cheminée, et je l'emportai sous le bras dans ma chambre. Je le jetai .sur mon lit, j'allumai ma lampe, et, comme je n'arrive plus jamais à quelques heures de sommeil que par la fatigue des yeux sur un livre, je rouvris le livre et je lus. Cette nuit-là je ne dormis pas une minute.

Je lus les douze chants d'une haleine, comme un homme éssouflé que ses jambes fatiguées emportent malgré lui d'une pierre milliaire à l'autre, qui voudrait se reposer, mais qui ne peut s'asseoir. Je pourrais retourner le vers célèbre de Dante dans l'épisode de Françoise de Bimini, et dire comme Francesca: «A ce passage nous fermâmes le livre et nous ne lûmes pas plus avant! » Moi, j'en lus jusqu'à l'aurore; je relus encore le lendemain e,t les jours suivants. •'•

Nous n'analyserons pas Mireille, nous s enlèverions aux lecteurs futurs de ce poète des chaumières l'intérêt1 qui s'attache à tout dénoûment. Laissons-leur la curiosité, ce viatique des longues routes dans la lecture comme dans le drame. Le dénoûment est triste comme deux lis couchés dans la même vase après' un débordement du Rhône dans les jardins de la Crau.

En ceci le poète nous semble manquer de cette habileté manuelle de composition qui a manqué à Virgile dans l'Enéide, et qui.n'a manqué jamais ni au Tasse, ni à l'Arioste. Mais, si la composition pouvait être plus riche de combinaisons dramatiques, la poésie ne pouvait pas être plus neuve, plus pathétique, plus colorée, plus saisissante de détails. Cela est écrit dans le cœur avec des larmes, comme dans l'oreille avec des sons, comme dans les yeux avec des images. A chaque stance le souffle s'arrête dans la poitrine, et l'esprit se repose par un point d'admiration L'écho de ces stances est un perpétuel applaudissement de l'âme et de l'imagination qui vous suit de la, première jusqu'à la dernière, stance, comme, en marchant dans-la grotte sonore de^aucluse, chaque pas est renvoyé par un écho, chaque goutte d'eau qui tombe est une mélodie. Ah! nous avons lu, depuis'que nos cheveux blanchissent sur des pages, bien des poètes de toutes les langues et de tous les siècles. Bien des génies littéraires morts ou vivants ont évoqué dans leurs œuvres leur âme ou leur imagination devant nos yeux pendant des nuits de pensive insomnie sur leurs livres; nous avons ressenti, en les lisant, des voluptés inénarrables, bien des fêtes solitaires de l'imagination. Parmi ces grands esprits, morts ou vivants, il y en a dont le génie est aussi élevé que la voûte du ciel, aussi profond que l'abîme du cœur humain, aussi étendu que la

Lettres inédites

pensée humaine mais, nous l'avouons hautement, à l'exception d'Homère, nous n'en avons lu aucun qui ait eu pour nous un charme plus inattendu, plus naïf, plus émané de la pure nature, que* le poète villageois de Maillane. Nous ne sommes pas fanatique cependant de la soi-disant démocratie dans l'art; nous ne croyons à la nature que quand elle est cultivée par l'éducation. Nous n'avons jamais goûté avec un faux enthousiasme ces médiocrités rimées sur lesquelles des artisans dépaysés dans les lettres tentent trop souvent, sans génie ou sans outils, de faire extasier leur siècle excepté Jasmin, un grand ép:que; mais qui a trop bu L'eau de là Garonne au lieu de l'eau du Mélès; excepté Rebout, de Nîmes, qui est né classique et qui semble avoir été baptisé dans l'eau du Jourdain, le fleuve des prophètes, au lieu du Rhône, le fleuve des trouvères, nous n'avons vu, en' général que des avortements dans cette poésie des ateliers. Que chantent-ils, ceux qui ne voient. la nature que dans la guinguette? Il pourrait. en sortir des Bérangers; mais des Homères et des Théocrites, non Ces génies ne poussent qu'en plein air, ou en plein, champ, ou en pleine mer: Vénus, était' fille de l'onde. La grande poésie est de même race que la grande beauté elle sort de' la mer.

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Or, pourquoi aucune des œuvres ache- vées;cependant de nos poètes européens actuels (y .compris,' bien entendu, mes faibles essais), pourquoi ces œuvres du travail et de la méditation n'ont-elles pas pour moi autant de charme que cette œuvre spontanée d'un jeune laboureur de Provence? Pourquoi chez nous (et je comprends dans ce mot nous les plus grands poètes métaphysiques français, anglais ou allemands du siècle, Byron, Goethe, Klopstock, Schiller, et leurs émules), pourquoi, dans les œuvres de ces grands écrivains consommés, la sève est-elle moins limpide, le style moins naïf, lés .images moins primitives, les couleurs moins printanières, les clartés moins sereines, les impressions enfin qu'on reçoit à la lecture do leurs œuvres méditées, moins inattendues, moins fraîches, moins originales, moins personnelles, que les impressions qui jaillissent des pages incultes de ces poètes des veillées de la Provence ? Ah c'est que nous sommes l'art et qu'ils sont la nature; c'est que nous sommes métaphysiciens et qu'ils sont sensitifs; c'est que'notre poésie est retournée en dedans et que la leur est déployée en dehors; c'est que nous nous contempions nous-mêmes et qu'ils ne contemplent que Dieu dans son œuvre;, c'est qui; nous pensons entre des murs et 'qu'ils pensent jdans /la campagne; c'est que nous procédons de la lampe et qu'ils procèdent du soleil. Oui IL Y A une vertu DANS LE soleil Sur chaque page de ce livre de lumière il y aune goutte de rosée de l'aube.qui se lève, il y a une haleine du matin qui souffle. il y une jeunesse de l'année qui respire, il y a un rayon qui jaillit, qui échauffe, qui égayé jusque dans la tristesse de quelques parties du récit. Ces poètes du soleil-ne pleurent même pas comme nous; leurs larmes brillent comme des ondées pleines'de lumière, pleines1 d'espérance; parce qu'elles sont p!eines de religion. Voyez Reboul dans son Enfant mort au berceau! VoyezJasmin dans son Fils'de maçon tué à l'ouvrage ou dans son Aveugle! Voyez Mistral dans sa mort des deux amants

« Et,- pendant qu'aux lieux où Mireille vivait ils se .frapperont leurs fronts sur la terre de regrets et de remords, elle et moi, enveloppés d'un serein azur sous les eaux tremblotantes; oui, moi et toi, ma toute belle, dans une étreinte enivrée, à jamais et sans fin nousconfondrons, dans un éternel embrassement, nos deux pauvres âmes

̃ «; Et le cantique de la mort résonnait là-bas dans la vieille église,.etc., etc. »

Voilà ta littérature Villageoise trouvée, grâce et gloire a la Provence Voilà des livres tels qu'il en faudrait au peuple de nos campagnes, pour lire à la veillée après 'les sueurs du jour, au bruit du rouet qui dévide la soie du Midi, ou du peigne à dents de fer qui démêle le chanvre, ou la laine du Nord!

Quant à toi, ô poète de Maillane, inconnu il y a quelques Jours aux autres et peut-être inconnu à toi-même, rentre humble et oublié dans la maison de ta mère attelle tes quatre taureaux blancs ou tes six mules luisantes à la charrue comme tu faisais hier; bèche avec ta houe le pied de tes oliviers'; rapporte pour tes vers à soie, à leur réveil, les brassées de feuilles de tes mûriers; lave tes moutons au printemps dans la Durance ou dans la Sorgue jette-là là plume et ne la reprend que'l'hiver, à de rares intervalles de loisir, pendant que la Mireille que le Ciel te destine sans doute étendra la nappe blanche et coupera les tranches du pain blond sur la table où tu as choqué ton verre avec Adolphe Dumas, ton voisin et ton précurseur. On ne fait pas deux chefsd'œuvre dans une vie; tu en as fait un rends grâce au Ciel et ne reste pas parmi nous tu manquerais le chef-d'œuvre de ta vie, le bonheur dans la simplicité. VIVRE DE PEU Est-ce donc peu que le nécessaire, la paix, la poésie et l'amour? Oui, ton poème épique est un chefd'œuvre je dirai plus, il. n'est pas de l'occident, il est de l'Orient on dirait que, pendant la nuit, une île de l'Archipel, une flottante Délos s'est détachée de son groupe d'îles grecques ou ioniennes, et qu'elle est venue sans bruit s'annexer au continent de la Provence embaumée, apportant avec elle un de ces chantres divins dé la famille des Mélésigènes. Sois le bienvenu parmi les chantres de nos climats! Tu es d'un

autre ciel et d'une autre langue, mais tu as apporté avec toi ton climat, ta langue et ton ciel Nous ne te demandons pas d'où tu viens ni qui tu es Tu Marcellus eris!

1 Un été j'étais à Hyères, cette langue de terre de ta Provence que la mer et le soleil caressent-de leurs flots et de leurs rayons, comme un cap avancé, dé Chio ou de Rhodes; là les palmiers et les aloès d'Idumée se trompent de ciel et de terre ils se croient, pour fleurir, dans leur oasis natale. Le spir, mon ami M. Messonnier, poète, écrivain et philosophe retiré sous sa treille et sous son figuier dans la petite maison de Massillon, un des prophètes de Louis XIV, me fit faire le tour de la ville. Il me conduisit au soleil couchant dans un jardin bien exposé au midi et à la brise de mer; les aloès et les palmiers y germent et y fructifient en pleine terre. Je me crus transporté dans une oasis de Libye. On sait que l'aloès ne fleurit que tous les vingt-cinq ans et qu'il meurt après avoir répandu dans un effort suprême son âme embaumée 'dans les airs; il yen avait un dans ce petit jardin dont on attendait la floraison d'un moment à l'autre.

Or, par une heureuse coïncidence, ce rare phénomène végétal semblait nous avoir attendus pour s'accomplir sous nos yeux. Au moment où le soleil touchait fa mer, la tige de l'arbre, dont la sève est de l'encens, sortit tout à coup de ses nœuds gonflés de vie comme un glaive qu'une main robuste tire du fourreau pour le faire reluire au soleil, et la fleur d'un quart de siècle éclata au sommet de la tige dans un bruyant épanouissement semblable à l'explosion végétale d'un obus qui sort du mortier. Les oiseaux couchés sur les arbustes voisins s'envolèrent d'épouvante, et le parfum, cette âme de la fleur, embauma longtemps tout le golfe.,

0 poète de Maillane, tu es l'aloès de la Provence! Tu as grandi de trois coudées en un jour, tu as fleuri à vingt-cinq ans ton âme poétique parfume Avignon Arles, Marseille, Toulon, Hyères et bientôt laFrance; mais, plus heureux que l'arbre d'Hyères, le parfum de ton livre ne s'évaporera pas en mille ans. Lamartine.

comment elles Sorteût. 1, 1 Gomment elles Entrent.

tes œuvres d'art que la munificence nationale abrite dans les palais qui furent royaux, ne se résignent pas toutes à leur destinée de fonctionnaires. De temps à autre,' l'une d'elle s'évade', ou prend'un congé. Il y a trois ans, deux petites statues égyptiennes dont les modèles avaient du mener au bord du Nil une existence bien légère prirent la clef des champs. Et pourtant elles n'avaieut plus ni bras ni jambes. Plus récemment, une signoia fameuse, devenue, en peinture, une donna mobile, se fit enlever par un de ses compatriotes. Et comme faisaient jadis:nos étoiles de théâtres subventionnés, elle entreprit, dans son pays natal, une tournée sensationnelle..Hier, enfin, on annonçait qu'un papyrus énigmatique s'en était allé dérouler ses vingt-cinq mètres d'hiéroglyphes loin du regard sévère des égyptologues. Sans doute, envie-t-il d'être, un jour, considéré par de plus aimables yeux. Il espère, après une fugue retentissante, faire au Louvre une rentrée dont pâlira la Joconde.

'̃̃'<̃̃ '̃'̃*•«' ̃••̃̃̃.

Mais ces infidélités ne troublent qu'à peine l'atmosphère magnifique et paisible de nos musées pleins de trésors. Crésus perd un louis sans s'émouvoir. Et la sultane validé, cette Jocônde trop fameuse, a jugé' plus prudent de faire sa soumission â M. Henry Marcel. Elle savait trop bien que d'autres beautés moins prétentieusement littéraires la remplaçaient déjà dans la faveur du public. Elle savait bien qu'il entre au Louvre et dans nos autres musées, beaucoup plus d'oeuvres d'art qu'il n'en sort. Aussi, pour donner raison à son dépit, ne suis-je pas allé la saluer. Mais j'ai entrepris, à travers le Louvre, un petit voyage oü je me suis arrêté uniquement devant les hôtes nouveaux invités à demeurer, dans nos vieux palais depuis un an. Ils sont nombreux tableaux, marbres, tapisseries, menus objets des temps' lointains. Une visite ne suffit pas pour les trouver à leur place et pour examiner tout ce que le grand collectionneur Public doit à la libéralité des donateurs et à l'ingéniosité des Conservateurs de ses Musées.

»•*

La plus belle image qu'on nous aura donnée cette année, c'est assurément le tryptique de Roger Van derWeyden. C'est un merveilleux primitif, et le Louvre désormais est moins jaloux de l'hospice de Beaune et de l'hôpital Saint-Jean de Bruges. Mais ces trois volets funéraires et pieux ont eu les honneurs de la polémique. D'abord, il a fallu savoir si Roger Van der Weyden ne s'appelait pas Rogelet de la Pasture, s'il fut Flamand ou Wallon. On s'est mis d'accord il fut l'un et l'autre. 11 naquit en pays de langue française et travailla en pays flamand. Cela convenu, la nouvelle acquisition du Louvre fut traitée de faux par quelques critiques. La jeunesse persistante de la couleur employée par les primitifs est pour nous un grand sujet d'irritation. Les visages' familiers et les sites choisis dont les grands artistes contemporains ornent les murs de nos cinquièmes s'aigrissent ou s'assombrissent avant l'âge. Sans doute souffrent-ils de nos jours vécus sans clarté. Mais il est plus certain qu'une déplorable chimie gâte en secret l'art de nos plus purs coloristes. Les primitifs, de leurs

doigts naïfs, broyaient des poudres ingé-

nues. C'est un plaisir dont les rudes cri-

tiques ne nous priveront pas, que d'aller devant la Madone de Van der Weyden nous rafraîchir les yeux devant des carnations nettes, de beaux habits bien teints, des ciels vraiment bleus et un clair paysage que semble avoir lavé l'air de la moite Hollande.

Mais la dévotion aux primitifs ne doit pas nous rendre ingrats pour d'autres maîtres. Il y a' maintenant au Louvre un Corot qu'aimeront même les amateurs lassés de trop de clairières vaporeuses, de mares brumeuses et de saulaies bleuissantes. La Femme en bleu, si chère à la famille Rouart, est un portrait, infiniment agréable, simplement posé et peint avec une rare et délicieuse sobriété. Dans les galeries italiennes, un Lucca Signorelli a pris sa'place. C'est un saint, lapidée, sans doute, puisqu'il tient encore à la main une des pierres que ses bourreaux lui ont jeté. Et, en extase, il contemple. Mais, détail piquant, Lucca Signorelli, par oubli ou parce qu'il l'avait jugé préférable, ne lui faisait contempler que le fond mystérieux de la toile. Au dix-septième siècle, une main inconnue peignit, devant les yeux du martyr, un petit « crucifix, volant ».

Notre' promenade à travers les nouveautés du Louvre s'arrête encore devant deux dessins de J.-F. Millet, que l'on doit, pour une large, part, à la générosité de M. Fenaille. L'un surtout, un fusain de l'entrée de la forêt de Fontainebleau, à Barbizon, est mieux qu'une étude, un vrai paysage très vécu. La vente Chéramy a valu au Louvre un dessin de Delacroix et un dessin de Riesener.

Et enfin, Rembrandt reçoit de notre grand Musée national un hommage en plus. Une place d'honneur est féservée à l'œuvre profonde et réaliste, venue, cette année, de la collection Heseltine.

••̃

Mais, en, ce siècle où l'on déménage tant, le culte des meubles compte plus de fidèles que jamais. Aussi, les salles dû Mobilier sont-elles parmi les plus visitées du Louvre. On y admire depuis peu, l'imcomparable mobilier de salon en bois sculpté et doré, recouvert 'en tapisserie de Beauvais, d'après les cartons de Boucher et d'Oudry, et que Mme Boursin donna l'année dernière à l'Etàt. Ces dix fauteuils ont figuré successivement dans les collections Double, St. de Gunzburg et Chauchard.

Les grands amateurs préparent ainsi, avec leur goût et leur libéralité, les plus belles salles de nos Musées. Mais tous les objets précieux n'ont pas la chance d'àvoir attende dans d'honorables et attentives familles, l'heure de la consécration officielle;. Il-y eu,t;p,endant1un siècle, dans la* cathédrale dont la niasse énorme et les s hauts vitraux clairs dominent Mantes-laJolie, un tapis d'Orient dédaigné. Il servit à masquer des portes, à boucher des trous. Il se prélasse aujourd'hui magnifiquement au beau milieu de la salle du dix-septième siècle, et Poussin ne s'étonne point de voisiner avec cette turquerie.

Cependant, il est vraisemblable que ce tapis ne restera pas toujours à la disposition des fantômes du grand siècle qui la nuit, sans doute, y viennent danser des tangos galants. Nous avons appris que derrière les murs de la galerie Chauchard, dans le pavillon de Flore désert, s'aménage une salle de tapisseries. On y verra les douze panneaux récemment restaurés où Van Orley, le peintre des vitraux de Sainte-Gudule, à Bruxelles, figura les Chasses de Maximilien. On y verra aussi deux autres tapisseries flamandes, exécutées à Bruges, sur la commande des chanoines de Salins-du-Jura. Mais ce sont là les nouveautés de l'année prochaine.

.¡¡.,

Au rez-de-chaussée du vieux Louvre, se déroule une parfaite histoire de la sculpture française la sculpture la plus vivante qui fût jamais. Les sept ou huit salles qui vont de Michel Colombe à Carpeaux sont encombrées de chefsd'œuvre. On y a logé, l'an dernier, tant bien que mal, deux fragments du quatorzième siècle provenant de l'abbaye de l'Epau, dans la Sarthe, une statuette en bois polychrome, une vierge à l'enfant, de l'abbaye de Malines un beau masque d'évèque du quatorzième siècle 'et vingt autres choses.

Mais les donateurs sont de singuliers personnages. Il y en a même de modestes. Il y en a de pressés. C'est ainsi qu'un beau jour, il fallut au Louvre aménager en quelques heures une salle qu'un collectionneur débordant de générosité s'ingénia à emplir de son mieux. Et cela fait, il exigea presque qu'on ne le nommât point. La libéralité, ne saurait se cacher, chacun sait bien que la nouvelle salle Barye est l'œuvre de M. Zoubalow. Elle contient, au milieu d'aquarelles du' grand sculpteur, quelques-uns de ses plus beaux morceaux, notamment Une Panthère saisissant un Cerf La Chasse au Lion, qui est le modèle d'un surtout exécuté vers i836, .pour le duc d'Orléans.

Etes-vous « connoisseur en fait d'antiquités égyptiennes ? Sachez que les fouilles de Meroé, que dirige une société archéologique anglaise, ont aussi enrichi le Louvre. Préférez-vous la Perse? Allez en pèlerinage devant un bas-relief qu'on dit fort curieux. Vous aimez mieux la Chine? On vous offre deux stèles sculptées et une statue bouddhique en pierre de la dynastie -de Veï. Mais depuis qu'une archéologie séduisante a ranimé la vie antique, l'imagerie charmante et spirituelle des vases grecs amuse votre esprit, et vous irez plutôt, à l'aide des fragments de terres cuites d'autant plus touchants qu'ils sont plus morcelés, reconstituer des scènes oubliées. Et si vous n'y parvenez pas, une Minerve nouvelle est entrée au Louvre pour vous donner ses leçons de sagesse. Elle naquit dans la grande épo-

que. Elle subit quelques outrages. Sans flatterie, les savants l'ont surnommée « Torse Médicis », ce qui 'vous indique assez ses défauts. Mais elle est encore d'une grande beauté. Sous Louis-Philippe.. M. Ingres, qui dirigeait l'Académie de France à Rome, l'envoya à Paris. Elle ré- sida depuis à l'Ecole des Beaux-Arts. M. Bonnat vient de la confier au Louvre. Un Apollon est venu retrouver Mi-' nerve dans notre Olympe de marbres. C'est une copie ancienne d'une œuvre grecque du cinquième siècle. Elle fut découverte, il y a cinquante ans, en Algérie, à Cherchell, dans les dépendances du palais dés anciens rois de Mauritanie. Mais, récemment, Apollon dût comparaître devant les juges. Cherchell et l'Etat Français se disputaient ce dieu. Il faillit être déchiré comme Marsyas, sa victime. Il se console en considérant les voisines aimables qu'on lui donne. Une jolie tète de femme grecque, dont la chevelure retombe en deux rangées de boucles calamistrées et deux Aphrodites récemment' retrouvées en Egypte l'une est occupée à recoiffer des deux mains sa chevelure, l'autre, pudique, s'efforce en vain de couvrir son corps d'un voile que le vent emporte.

Rome aussi apporte à notre temps troublé ses héros et ses dieux un petit hoplite de bronze, un guerrier, étrusque coiffé d'un casque redoutable, et un Me rcure plein de grâce et de vivacité bien qu'il ait été trouvé en Auvergne. Et s'il vous plaît d'imiter encore la verve pédestre et. la sensibilité raisonnable d'Horace, vous pourrez trouver au Louvre le sujet, de deux odelettes. L'une sera consacrée au; dieu Sylvain, comme le beau vase romain, où vous pourrez voir de curieuses scènes de la- vie des oiseaux. L'autre s'adressera à la mémoire charmante d'une jeune fille romaine inconnue à Pousain, dans l'Ardèche, le Dr Lamothe découvrit, en 1865, dans son tombeau, tous les objets qu'elle aima. Ils sont maintenant réunis dans une vitrine de la salle Claracq. Ils sont tou-. chants. Il y a un flacon de verre à panse carrée. Un canthare en onyx joliment ouvragé. Une boîte à bijoux en ivoire, figurant une poule accouvée. Enfin, une bague étroite en or, faite d'un jonc ajouré.

On a écrit la vie des grands amateurs de jadis. La chronique contemporaine ajouterait à cette histoire des pages souvent piquantes. A leur entrée dans nos grands musées, les œuvres d'art qui se rangent ainsi, content volontiers à leurs nouveaux protecteurs curieux d'en établir l'authenticité toutes leurs aventures qui sont souvent romanesques. Tel chef-d'œuvre, longtemps caché," est offert tout à coup. Il sert à payer une dette de jeu. Tel autre est donné soudain par un amateur fervent, qui se suicide le lendemain. Mais, la plupart du temps le donateur, ou le vendeur même, obéissent à un sentiment bien particulier. Ils redoutent que l'objet favori s'en aille dans des mains incertaines. Cette crainte souvent s'impose à eux de façon brusque et ils accourent au musée où l'on continuera, en leur nom, à entourer leurs collections d'une sollicitude inquiète et passionnée.

OUles.

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L'Entrée des Alliés â Paris le 3i Mars 1814

La lettre inédite que nous publions a été écrite par un de ces officiers français émigrés qui, pendant la Révolution et sous l'Empire, avaient pris du service en Russie. Les plus célèbres d'entre eux furent le comte de Langeron, le duc de Richelieu, les marquis de Lambert et d'Autichamp. Elle est adressée à ce dernier qui, inspecteur général de la cavalerie russe, une première fois sous Paul Ier, une seconde fois sous Alexandre, avait eu sous ses ordres le comte Charles de Lambert. Le marquis d'Autichamp était alors en Volhynie où il vivait tant bien que mal, plutôt mal que bien, d'une arende qu'il avait obtenue du gouvernement et dont il liquidait l'exploitation avant de pouvoir rentrer en France.

> Sans doute, quelques .lecteurs pourront être surpris d'entendre un Français appeler les Français l'ennemi, mais il. faut se rappeler que, pour beaucoup d'émigrés, la France était là où était le roi, et qu'ils considéraient comme ennemis tous ceux qui s'opposaient au retour des Bourbons. Cette réserve faite, on ne lira pas sans intérêt ce récit qui se recommande par la précision des détails et une vivacité toute militaire.

La lettre est extraite du Journal du marquis d'Autichamp qui ne tardera pas à' être publié. Louis Humbert.

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Le comte Ch. de Lambert mi marquis d Autichamp, à Mnichin (Volkynie). Varsovie, ce 2/14 février 1815.

Monsieur le Marquis,

Que de choses, que d'événements intéressants j'aurais à vous raconter si j'entreprenais le récit de l'entrée des souverains alliés à Paris et du rétablissement de l'auguste famille des Bourbons au trône de leurs ancêtres! Tout cela s'est passé sous mes yeux. Vous avez déjà lu dans diverses brochures le récit de tout cela. Pour ma part, je dois à l'intérêt que vous m'avez toujours témoigné, mon général, de vous parler en peu de mots de cette partie de la guerre dont j'ai été témoin.

Guéri de ma blessure de 1813, vers le mois de juillet 1813 je repartis pour l'armée lorsque l'armistice n'était pas encore terminé, mais je ne pus rejoindre le quartier-général qu'à Francfort où l'empereur Alexandre m'ordonna de rester auprès de sa personne. Je l'accompagnai dans toutes ses marches, à la bataille de Brienne et à quelques affaires peu importantes. Souvent S.M.I.