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Titre : Le Figaro. Supplément littéraire du dimanche

Éditeur : Le Figaro (Paris)

Date d'édition : 1911-02-11

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb343599097

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb343599097/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Description : 11 février 1911

Description : 1911/02/11 (Numéro 6).

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k273107v

Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-246

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 15/10/2007

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Sommaire

Il'

Akdrè Beaonier. Vers Epidaure Hkxei-.de -RtoiEK. Poèmes

Augustin-Thierry. Le facétieux ̃̃̃ Caillot-Duval

> Les' grandes mystifications littéraires

F. Gavarey. >»«*». Variations sur -.̃•̃̃- un thème altruiste Général Langlois. La Guerre moderne Henri Massis. Henri'de Régnier et lés jeunes gens,

Bligny. Un joli Essai de Légende

A. B. A Travers les Revues G. Labadie-Lagrave., Lectures étrangères Félix Dubois Notre beau Niger Le livre du jour.

Page JMusicctle

Richard Stbatjss, 'Le Chevalier .̃̃ à la Rosé,

Vers Epidaure

Pour aller à-Epidaure, ainsi que firent, durant un millier d'années; les troupes de pèlerins malades, il y a deux routes. L'un,e vient de Trézèrie, illustre par le souvenir de Thésée, de Phèdre et d'Hippolyte-; et lasuivaientlesgens qui, après avoir fait escale à Egine, arrivaient de l'Attique, des îles ou de l'orient. Chargées de, la souffrance que les divers .pays envoyaient q, guérir, les barques abordaient à la côte septentrionale de PArgolide une longue voie sacrée menait au sanctuaire d'Asclépios. Et les barques attendaient les retours joyeux ou déçus le clapotement de l'eau les agitait, comme 'aussi les cœurs frémissaientd'impatience devant les promesses miraculeuses. L'autre route vient de Nauplie; c'était celle-là qu'empruntaient les gens du Péloponnèse.

J'avais, depuis Corinthe, visité l'Argolide. Au blanc village de Corinthe ne résident plus les courtisanes charmantes et sacrées; et aujourd'hui l'apôtre n'y aurait qu'un petit auditoire de paysans mornes et pauvres. J'avais traversé. le pays ronge" des Atridés, Mycènes, avec spsS tombeaux qu'on a vidés de leurs squelettes et de leur luxe funéraire, de leurs vases d'or, de leurs bijoux d'or finement ciselés et de leurs masques dlor qui gardent en leurs plis des sourires de trois ou quatre mille ans; Mycènes, avec ses.ruines d'orgueil, d'art et de brutalité; Mycènes, hantée encore de ces ombres inégales, Agamemnon Glytemnestre, Cassandre, Iphigénie. Et l'on marche sur des débris dont l'âge est à peu près celui de ces mémoires ce tesson peint n'est-il pas un morceau d'une coupe où la captive éperdue buvait pour rafraîchir sa fièvre ? Et, sur la paroi vermillonnée d'une poterie, l'on ne sait si ne se posèrent pas les doigts de la petite princesse qui trouvait doux de voir la lumière. J'avais longé Argos, descendue des hauteurs de l'Aspis et de Larissa pour n'être plus qu'un bourg, avec des femmes quiètes qui, au pas des portes, filent des quenouilles de laine; et Tirynthe, énorme tas de décombres, où la pierre essaya jadis confusément de réaliser, sous de rudes aspects, l'équilibre gothique.

L'Àrgolide1 n'est pas stérile comme les environs d'Athènes. Ce pays des malé- dictions fleurit au printemps. A l'automne, il y a des champs de tabac, des vignes il y a des arbres et des vergers On laboure, avec des charrues antiques, un sol de pourpre lourde. Les montagnes sont, au soleil, rouges et blanches, le'soir bleues et noires.

Le port de Nauplie est ravissant, de jolie couleur méridionale, rose et azurée, un peu fade, riante. Surmonté d'une forteresse vénitienne, l'îlot Bourzi serait I sinistre, comme le repaire du bourreau, bandit repentant, que les Grecs logent là, quasi toufc seul, afin de ne pas le rencontrer sur les chemins; l'îlot Bourzi, farouche et peuplé de légendes, serait sinistre, si les flots cérulëens ne lui faisaient un cadre de beauté paradoxale, où il fleurit comme une rose. Pareillement, la citadelle d'Itch-Kalé, avec ses canons, et le fort Palamède., juché sur son roc, prison sépulcrale, composeraient un paysage d'effroi si, de l'aube au couchant, la lumière n'y multipliait ses fantaisies perpétuelles et divertissantes.

Sur dès ânons, sur de petits chevaux ou bien à pied, le dimanche, pour le marché, affluent de toutes parts les campagnards, gens de toutes sortes, gens des montagnes ou des ravins, bergers, laboureurs et mendiants, jeunes gaillards et vieux qui clopinent; femmes dont le visage est, à la turque, entouré dé linges blancs; lépreux qui n'ont pas honte de/leur disgrâce et qui tendent, au bQut.de bras desséchés, des sébilles tinte un caillou, avant l'aubaine de la monnaie; et les gros fermiers dont le ventre bien rebondi projette devant lui ln foustanelle, court jupon de ballerine obèse; et les paysannes qui, sur leurs montures aux longues oreilles et trottinantes, un enfant au giron, emmitouflé de toile et de fichus, ont l'air de Saintes Vierges en routé vers l'Egypte; et les adolescents qui portent sur la nuque leurs :can nés analogues à des houlettes ils appuient leurs deux mains aux deux Extrémités de ces bâtons et, avec leurs mines iiores, avec le bonnet d'ctotïc ?ouge qui leur prend les cheveux et re-

tombe.en. deux bandelettes, avec leur cape qui pend ,des épaules, avec leurs jambes longues et unes dans les maillots blancs, avec le .dandinement poseur. de tout leur corps, on dirait de jeunes Orestes qui vont, à la terrasse de Mycènes, reconnaître les Electres ardentes et organiser les vives représailles. Un ordinaire bazar de nouveautés, de quincaillerie et de boucherie' s'installe, sur les boulingrins. Il y a ;des musiques d'accordéons il y a une foule gaie, remuante, avide; il y aune horrible odeur de beurre de brebis, d'huile rance et de viande que le soleil chauffe à 1 étal et il y a des mouches, en nuées frissonnantes on les écarte avec des éventails de feuilles, mais elles reviennent, obstinées, à'la chair sanguinolente d'agneau. Par instants, un cheval qui s'impatiente secoue sa charrette peinturlurée d'images un peu' byzantines. Et tintejjt des clochettes et braient des ânes'; et chantonne la jérémiade pitoyable des mondigots et badine l'émulation de l'offre et de la demande, autour des marchandises. La clarté est merveilleuse; et l'air semble chanter une chanson de limpidité éternelle.

Les villes grecques sont très différentes selon qu'elles se trouvent dans les terres, entre les cirques de montagnes qui leur ferment l'horizon, ou bien au bord de la mer, devant l'espace rosé et bleu. Ces populations méditerranéennes, une: fois coupées de la mer, ressemblent à ces flaques qu'une soudaine arrivée d'eau a laissées et qui, dès lors, croupissent laidement. Ainsi, au centre de TÀrcadie, au pied du Ménale, Tripolitza est sale et paresseuse; tandis qu'au fond de sa baie lumineuse, Nauplie a pour elle sa vivacité, sa propreté fraîche, une gentillesse avisée, un remuement de gaieté. Il n'est pas jusqu'aux infirmes quémandeurs qui, le dimanche, accompagnent négociants et acheteurs et qui n'aient une sorte de vague drôlerie. Et le marchandage, autour des échoppes, est comique, riche de quiproquos, de hâblerie et d'allégresse.

Tout de même, cette foule que j'ai vue cheminer sur la route de Nauplie, avec sa horde de boiteux et de mendiants, évoquait aux yeux et à l'esprit les pèlerinages d'il y a deux mille ans qui, par la même voie, allaient au sanctuaire d'Epidaure, semblablement cupides et désireùxfhon d'argent, mais de santé. Charrettes, chevaux, ânons et les pié- tons aux jambes plus ou moins fatiguées faisaient et défaisaient ainsi leurs groupes. L'on emmenait ainsi des bœufs, des agneaux, mais pour les sacrifices. L'on apportait aussi des provisions, pour la foire- qui se tenait "probablement aux- abords du sanctuaire; et, par eadroitaynotamment à Nauplie, on trouvait l'emplacement d'une halte, durant laquelle onécoulait un peu de marchandise. Puis on repartait, las, mais animé d'une espérance qu'exaltaient la renommée du dieu médecin et le récit, nombreux aux carrefours, le récit des guérisons qu'il avait opérées, jadis ou naguère.

La route de Nauplie à Epidaure est fort belle, d'aspect sauvage et, sur presque toute sa longueur, étrangement déserte. On ne rencontre pas de villages, mais seulement, très distants les uns des autres, des khanis. L'on s'y arrête, en passant, pour que les chevaux se reposent le khandzis leur donnera de la paille. Et vous pouvez entrer: vous serez accueilli d'un bonjour. Parmi des rouliers qui, étendus sur le sol ou sur des bancs, dorment et ronflent, parmi des chiens maigres au col robuste, parmi des poules prétentieuses qui font semblant de picorer, parmi des cochons noirs qui reniflent mais qui au surplus ne sont pas plus sales que le reste, asseyez-vous. Si la course dure depuis le matin et si dehors le soleil de midi flambe, le refuge est bon, entre ces murs de boue sèche, malgré les forts relents de cuisines qui ne sont pas d'hier.

D'ailleurs, si vous êtes un homme de manières douces, qui se garde des gestes rudes et des paroles bruyantes, des chats cérémonieux et polis viendront, à pas- de velours et avec mille précautions, vous rendre visite. Ils vous regarderont, ils auront l'air de vous saluer. Ils s'installeront auprès de vous et, s'ils vous estiment, consentiront à recevoir votre caresse. Ils feront leur toilette, avec une extrême affectation, et sembleront vous dire:

Vois comme je suis propre et bien élevé, moi, au milieu de ces chiens, de ces gens, de ces porcs. Tout ça ne sait pas vivre. Tu ne m'emmènes pas à Paris ? Je ne serais pas déplacé, dans un salon.

D'où viennent-ils, ces petits chats ? et où ont-ils appris les belles manières ? De même qu'on ne sait pas d'où ils sortent, quand ils arrivent si parfaitement silencieux et imprévus, l'on se demande où et quand ils ont reçu cette consécration de tant de charme exquis et comment ils gardent, au milieu'de la déchéance et de la turpitude, leur joli air. Ils viennent de très loin, d'Asie; et ils sont, ici comme ailleurs, des métèques. Ils le sont restés, obstinément; ils ne se mêlent point aux gens: ils vivent auprès d'eux et affectent de ne pas les connaître. Ils méprisent le chien, le coq, le serpent, les animaux d'Asclépios; et ils méprisent, en général, les autres animaux, voire les hommes et les femmes.

Sans doute n'ont-iîs pas pour moi plus de considération. Mais ils s'approchent doucement, les petits métèques,, et viennent à ce vague étranger, avec des mines entendues, comme si nous devait réunir, eux et moi, pour un sentiment pareil, notre double qualité d'étrangers. Ce n'est pas de la sympathie exactement, mais la simple et nette perception d'une amusante analogie. Et je comprends qu'ils me disent

Tu vas à Epidaure? Folies, que

tout cela î. Nous, àBubaste, en Egypte, nous tranchions la tête du serpent, symbole de la nuit, parce qu'on nous avait dédiés'au service du soleil. Et ici, leur Asclépios a mis en bel honneur le serpent..Polies, folies Et toi, la mère de ton Dieu écrase le serpent. Nous ne sommes pas de ce pays, toi et nous. Enfin, va, situ n'es point sage, à Epidaure. faute de sagesse, il y a encore lieu de badiner et d'être fier sans offenser personne, par le moyen de'l'ironie, jointe à quelque affabilité.

Dans les plus lamentables khanis, trois choses sont délicieuses: ce sont, avec les chats, l'eau et le café. L'eau, on vous l'apporte du puits, suave, perlée. Il se fait sur le verre une buée où les doigts sont heureux des gouttes apparaissent sur la buée que les doigts écrasent et l'eau, dans le verre, est légère au point d'y remuer comme à plaisir; elle a, aux lèvres, à la bouche, le goût de sa fraîcheur exquise.

Le café, à la turque. Varigliko ? mëtrio ? skéto ? Le voulez-vous très sucré, moyen, sec? Toute la subtilité dont se trouvent capables les gens des khanis, ils la consacrent au café. Ils vous l'ao-

portent chaud, fumant, crémeux. Vous n'en aurez que deux ou trois lampées. Une goutte d'eau aura précipité le marc. La première gorgée, avec sa légère écume, sera la meilleure; mais la dernière aussi, toute proche du marc, un peu épaisse, vous ravira.

Dehors, il y a des enfants qui jouent, pieds nus. Ils sont de type très mêlé: si. l'on croit apercevoir, en quelques-uns, le caractère hellénique, d'autres vous ont un air quasi-turc et d'autres sont vaguement orientaux: la race est embrouillée. Dehors, il ya des troupeaux de chèvres, des bandes larges de dindons. Et, dans un verger, des chèvres mangent tout: à la' faveur d'un mur à demi démoli, l'une d elles a escaladé un. arbre; elle.se tient perchée sur une branche, comme un oiseau, et broute les feuilles. Dehors, il y a les montagnes et le soleil.

Les montagnes sont vertes et brunes, de belle forme; leurs lignes ont de la grandeur, une simplicité noble et austère. Survinrent des nuages, lents et lourds; ils projetaient de grandes ombres foncées, qui cheminaient, grimpaient aux cimes, descendaient aux vallées. Dans les intervalles, la lumière étaient rude, ardente. Et l'on passait de l'ombre au soleil, comme soudain l'on sortirait d'une cabane fraîche pour aller aux champs de 1 été.

Sur le bord de la route, il y a des fi,g-ui'e,rs, des oliviers, des lentisques, des, myrtes, des bruyères, -des chardons d'or, "pè'place en place, on aperçoit des buttes élevées qui, au temps de l'Hellade, furent des acropoles et où les Turcs bâtirent des citadelles. A présent, les ruines antiques et les ruines turques se confondent l'archéologue déterre la pierre de deux époques. C'est Kasarmi, caserne des Ottomans; c'est Kastraki, avec ses solides remparts de rocs naturels et d'architecture.

L'on découvre aussi, sur la gauche, les restes d'un pont qui marque la place et la direction de l'ancienne voie sacrée; l'arche est trapue et mène à un étroit défilé. Par cette ouverture, on voit un farouche pays. Plus loin, la route ancienne est perdue; la nature a enfin repris la place que l'industrie des hommes lui disputa. Sur ce pont délaissé, jadis se déroulait la kyrielle lente et malade des pèlerins d'Asclépios. Les échos de ces montagnes répercutèrent les cantiques et les gémissements des voyageurs las.

Quel voyage ils faisaient, par les journées torrides ou pluvieuses! Il y avait, pour les porter, des chars qui allaient doucement afin de les secouer assez peu, et des civières que trimbalaient de bonnes gens. Les plus pauvres n'avaient que l'appui d'un bras ou d'une épaule compatissante. Et les abandonnés, les pauvres vieux sans femmes ni enfants. les contagieux, les dégoûtants, les effroyables devaient se traîner à petites journées, le long des talus, comme des colimaçons geignards et tristes, ils n'avançaient pas beaucoup. A la rencontre des opulents cortèges, ils multipliaient leurs jérémiades. Et toute la troupe, les indigents et les riches avaient en imagination devant eux, comme le but de leur effort et de leur espérance, la vision lointaine d'un Asclépios d'ivoire et d'or, parmi des lumières, dans des fumées de parfums et de sacrifices, l'image du thérapeute qui, du pied droit, touchait le flanc du chien sacré et qui appuyait la main gauche sur la souple nuque d'un serpent.

Puis on arrive au petit village de Coroni. Ce n'est rien. Quelques maisonnettes au bord d'un ravin; une aire, où l'on bat de la graine; un puits, de la sculpture antique, jointe, en débris, à des bâtisses nouvelles une chapelle byzantine si petite qu'à peu de distance on croit la découvrir de très loin. En ce pays, l'atmosphère est si pure que la distance ne rend pas les images moins nettes elle en diminue seulement la grandeur. La petite chapelle est jolie, avec la teinte rose fané de ses briques, avec sa forme de rotonde à facettes et son aspect de refuge privilégié.. Mais Coroni est bien touchante et précieuse à l'imagination, pour la belle étymologie du nom qu'elle garde. Elie s'appelle Coroni en souvenir d'une jeune fille qui eut des malheurs et qui fut un peu folle en des temps presque immémoriaux.

Il y avait un certain Phlégyas et une certaine Gléophéma; ils eurent une fille et rappelèrent Aigla. Mais, à cause de sa beauté, on la surnomma Coronis c'est, en grec, guirlande et nous avons à conjecturer qu'elle était jolie comme les fleurs et souplejcomme la chaîne parfumée qu'on fait avec des fleurs. Un

jour, Coronis se tenait au seuil de sa maison. Apollon vint à passer. Le dieu à la chevelure d'or fut persuasif. Et bientôt Coronis connut qu'elle 'devait être mère. Quand arriva le temps de sa délivrance, elle sortit de chez son père et alla, du côté d'Epidaure, mettre au monde, somme toute, un fils. Elle l'exposa sur une montagne qui s'appelait, à cause de ses myrtes, Myrtion, et qui dès lors s'appela Titthion, c'est-à-dire mamelle, parce qu'une chèvre y fut la nourrice de l'enfant. Et cet enfant de Coronis et d'Apollon, c'est Asclépios.

Cette légende est la plus simple et elle a beaucoup d'agrément. Nous aimons cette Aigla ou Coronis, si belle et d'esprit fin, qui fut peut-être la dupe d'un dieu séduisant ou qui, ayant commis une galante faute, raconta qu'au surplus cedevaitêtre Apollon. Elle éprouva, nous le devinons, mille ennuis; et elle s'en tira le mieux du monde, substituant à ses remords le choix flatteur d'un dieu admirable. N'allons pas défaire le conte industrieux dont elle usa.

Il y a d'autres légendes, terribles ou gracieuses, autour de la naissance d'Asclépios. Les Grecs ne tenaient pas à immobiliser sous une forme dogmatique leurs récits religieux. Au long des âges et au long des chemins, au gré des narrateurs habiles et selon l'avantage des localités, le détail se modifiait, s'enrichissait, prenait un caractère nouveau seul persistait le thème et c'est tout ce qu'on voulait.

Pour honorer de mieux en mieux Coronis, et, en même temps, à tout hasard,, on lexcusait, on raconta que Phlégyas, son père, avait fait un mariage romanesque, en épousant cette Cléophéma, qui était la fille de la muse Eratô. Ce n'est pas une petite chose que d'avoir eu pour grand mère une muse et, entre les muses, cette jeune Eratô, couronnée de myrte et de roses, qui présidait aux vains et doux caprices -de la poésie amoureuse et qui, folâtrant sur la lyre, avait auprès d'elle le dieu au carquois et aux flèches, Erôs ailé. Si Coronis ne fût point sage, qu'on se souvienne de sa grand'mère.

Et puis, cette chèvre qui allaitait le petit Asclépios appartenait au troupeau du berger Aresthanas. Quand' le berger trouva sa chèvre, une grande lumière émanait du nourrisson. Ainsi se manifesta le caractère divin d'Asclépios. On racontait aussi que Phlégyas, ignorant l'aventure première de sa fille, l'avait fiancée imprudemment à un mortel. Un peu nonchalante à faire des aveux et à résister, Coronis épousa ce garçon,. Furieux de jalousie, Apollon envoya sa sœur Artémis pourrie venger, elle tua Coronis. Et Coronis était sur le bûcher. Déjà les flammes enveloppaient son corps. Elle n'avait pas encore mis au monde Asclépios; et Asclépios allait être consumé. Apollon se précipita. Des flancs du cadavre, il arracha l'enfant. Et il le remit à Chiron, centaure de Magnésie, pour qu'il voulût bien lui enseigner l'art des remèdes.

La fantaisie des poètes et des conteurs se jouait ainsi sur les données princi- pales de l'anecdote.

Il y eut tout de même, à Epidaure, une version quasi officielle et qui n'admettait aucune des péripéties un peu scandaleuses. Tout se serait fort bien passé. Apollon, à l'heure de l'accouchement, aurait amené Lachésis; il aurait épargné à Coronis les douleurs habituelles et Asclépios serait né de la façon la plus honorable et miraculeuse. L'essentiel était, d'ailleurs, pour Epidaure, que le dieu médecin fût exactement natif d'Epidaure et de souche épidaurienne, sauf le dieu son père. Alors, on affirma résolument que Phlégyas était un citoyen d'Epidaure. Cela, disons-le, n'est pas vrai. Ou bien, en d'autres termes, la légende d'Asclépios venait de Thessalie.

L'Arcadie aussi réclamait Asclépios. Et elle eut sa légende. Coronis y était remplacée par une Arcadienne.

Cette contrariété des légendes choqua un certain Apollophanès, Arcadien naïf et plein de bonne foi. Il voulut savoir à quoi s'en tenir; et il se dit qu'Apollon pouvait seul le renseigner. C était bien raisonner le dieu à la chevelure d'or n'avait peut-être pas oublié son aventure d'autrefois. Donc, Apollophanès fit le voyage de Delphes et interrogea la Pythie, voix d'Apollon. Le dieu, qui n'en était plus à ne pas compromettre une femme, prononça le nom de Coronis et ce fut le triomphe d'Epidaure. Telle était l'émulation des sanctuaires. Je me demande comment cet Arcadien d'Apollophanès rentra chez lui, avec cette réponse d'un Apollon qui favorisait Epidaure. Supposons que l'oracle se répandit en Argolide, complaisamment, et qu'en Arcadie on l'étouffa.

Enfin, voilà ce qu'on racontait, sur la route d'Epidaure, tandis qu'avançait le cortège malade vers le sanctuaire de la bonne espérance. Ce n'étaient pas des exégètes, ces pauvres gens douloureux et je crois qu'on n'écartait pas une légende au profit d'une autre: mais on les acceptait avidement toutes et on les groupait le mieux possible. Plus on savait de choses, plus on était content. Si quelque bavard inventait un épisode, on lui faisait créance; lui-même était, en son imposture, parfaitement sincère. Pour chicaner, on avait bien trop le désir de la confiance,

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Un jour, aux environs de Coroni, sur la route, voici cequ'ily eut. Le souvenir r de cette histoire ne se.- perdit pas. Les pèlerins qui arrivaient à ce point de la route y songeaient et, pour y songer mieux, répétaient l'histoire, avec admiration, avec la peur que donne le passage évident du mystère et avec un frisson d'espoir.

Une femme, Sôstrata, était malade. Elle habitait :Ia ville dû Phères: c'est

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aujourd'hui Kalamata de Messénie. On résolut de la porter à Epidaure. Et cela prouve que le sanctuaire d'Epidaure avait alors l'hégémonie. Non loindeKalamata, Messène possédait un sanctuaire d,'Asclépios. Peut-être Sôstrata en essayat-elle premièrement et sans résultat; peut-être aussi son aventure est-elle postérieure à l'imprudente question que le loyal Apollophanès eut l'idée de poser à la pythie d'Apollon delphien:'et sans doute les Epidauriens trouvèrent-ils édifiante cette entreprise d'une Messénienne, qui, négligeante sanctuaire de Messène, recourt au sanctuaire d'Argolide.

Sôstrata fit le très long chemin qui sépare Phères d'Epidaure. On la portait sur un brancard. Elle vit le temple et la belle statue; elle donna ses offrandes. On la déposa dans le dortoir des pèlerins. Elle attendit le songe, le miracle, et s'endormit. Le lendemain, elle s'éveilla, sans avoir eu de songe et malade encore. Elle était fort découragée ni les serpents, ni les chiens sacrés, ni le dieu ne s étaient approchés d'elle. Et elle pria qu'on voulût bien la ramener à Phères. Dans sa litière, elle se lamentait, de douleur et de chagrin. Vers la fin de la journée, elle fut aux environs de Coroni. Alors, Sôstrata, les gens qui l'accompagnaient et les porteurs de sa litière virent un homme de belle mine qui, allant vers Epidaure, s'approchait d'eux et, doucement, leur demandait ce qu'il y avait. On le lui dit, en peu de mots. Il ordonna qu'on déposât la litière. On lui obéit: tel était son prestige. Sôstrata ne gémissait plus. L'inconnu écarta la robe de Sôstrata; puis; avec un instrument qu'il eut soudainement aux doigts, il lui ouvrit le ventre. Il en ôta ce qui ne devait point y être; et il recousit le ventre. Sôstrata était guérie. Alors, 1 inconnu s'éloigna. Et 1 on sut, à n'en pas douter, qu'il était Asclépios.

Il n'y avait plus qu'à envoyer au sanctuaire d'Epidaure l'offrande de grâces, pour la guérison. Il n'y avait plus qu'à se dire que, la veille, Asclépios n'étant pas à Epidaure, mais ailleurs pour quelque tournée miraculeuse, on ne devait pas s'étonner si les songes et les visions ne s'étaient pas manifestés, dans le dortoir des pèlerins. Il n'y avait plus qu'à remarquer l'évidence parfaite de tout cela.

Tels étaient les surprenants phénomènes qui se produisaient, depuis les époques les plus anciennes, sur la route d'Epidaure. La ferveur des pèlerins les entretenait. Et il fallait que ces récits fussent bien ardents et efficaces, pour maintenir la foi d'Epidaure, les jours où les ffilraclës nouveaux manquaient. Le soir, auprès de Coroni, de quel émoi ne devaient-ils pas emplir les imaginations inquiètes

Aujourd'hui encore, à lire sur la pierre où le récit en fut gravé cette apparition d'Asclépios, l'on se souvient des pèlerins qui descendaient la route d'Emmaüs et qui, tout à coup, sentirent qu'un homme lessuivait, les accompagnait. Cethomme était Jésus, qui allait bientôt leur dire les paroles de la consolation et de la vie.

Il y eut des époques où les routes étaient mystérieuses, à cause des passages divins.

Or, ce rapprochement n'est pas une impiété. Jadis, au temps de la foi la plus'vigilante, on l'eût aimé, car on se plaisait à trouver, parmi l'erreur innombrable des païens, les signes de la vérité prochaine et les marques d'une intervention qui ne devait que plus tard se manifester splendidement.

L'on peut aussi se dire, avec la plus sovmise simplicité de l'esprit, et sans conclure, et doucement, que la douleur des âmes et des corps fut la même durant les âges les plus lointains et réclama passionnément des secours surnaturels, une pitié puissante, une active compassion, des bienfaits étranges,, et que, par- fois, ce désir eut sa récompense, grâce à l'aide divine ou par un effet de la foi que les mécréants appellent crédulité. André Beaunier.

li~

POÈMES

LA DANSE

Tu danses. Ce beau soir est triste autour de toi. Les cyprès et les pins, seuls, sont verts dans le bois Qui mêle auxbouleauxl'ormeetles hêtres au frêne Leurs feuillages déjà par l'automne deviennent Rouges d'un peu de pourpre et fauves d'un peu Tu danses. On dirait, à te voir, voir encor [d'or. L'été voluptueux étirer sa paresse

Onduleuse, quand, les yeux mi-clos, tu te dresses Comme si tu voulais de tes deux bras levés Arrêter au passage un songe inachevé Vers lequel, tour à tour, tu te tournes, cherchant Sa bouche amère ou douce en fuite dans le vent. Tu danses: et toujours, silencieuse et vive, Tu poursuis à jamais ce qui toujours s'esquive. C'est l'automne déjà et les cyprès sont verts Kt, sous un pin, assis, à tes rythmes divers Ma flûte obéissante et fidèle longtemps Hésite. Tu es lasso et ta danse m'attend Incertaine, tandis qu'a tes pieds tourne encor Un vol faible et léger de molles feuilles d'or.

I.. I ̃̃–

LE VISITEUR

La maison calme avec la clef à la serrure, La table on les fruits doux et la coupe d'eau pure Se '.miraient, côte à côte, en l'ébène profond; Les deux chemins qui vont tous deux vers l'horizon Des collines derrière qui l'on sait la Mer,' Et tout ce qui m'a fait le rire simple et clair De ceux qui n'ont jamais désiré d'autres choses Qu'.uno fontaine bleue entre de hautes roses, Qu'unegrappo a leur vigne, et qu'un soir à leur vie. Avec un peu de joie et de mélancolie [jours, Et des. jours ressemblant, heure à heure, à' leurs J'ai compris tout cela quand je t'ai vu, Amour, Entrer dans ma maison où t'attendait mon âme, Et mordre les fruits mûrs de ta bouche de femme, Et boire l'eau limpide, et t'asseoir, et ployer Ta grande aile divine aux pierres du foyer.

LE BONHEUR

Sois heureuse! Qu'importe à tes yeux l'horizon Et l'aurore et la nuit et l'heure et la saison, Que ta fenêtre tremble aux souffles de l'hiver Ou que, l'été, -le vent du val ou de la mer Semble quelqu'un quiveut entrer et qu'on accueille, Sois heureuse. La source murmure. Une feuille Déjà jaunie un peu tombe sur le sentier; Une abeille s'est prise aux fils de ton métier, Car le lin' qu'il emploie est roux comme le miel; Un nuage charmant est seul dans tout le ciel La pluie est douce, l'ombre est-moite. Sois houLe chemJn est boueux et l'ornière se creuse, [reuse Que t'importe la terre où mènent les chemins 1 Sois heureuse d'hier et sûre de demain N'as-tu pas, par ta chair divine et parfuméej L'ineffable pouvoir do pouvoir Gtro aimée? LE SOLDAT

Au tocsin qui sonna la fuite de Varennes Et qui, de cloche en cloche, alla. do bourg en bourjfy Tu portais l'épaulette et le catogan court Et l'uniforme vert des Dragons de la Reine. Ton cheval pommelé en tirant sur les rênes Hennit dans l'air civique où grondait le tambour, Et tu partis, rêvant aussi le prompt retour, Etant bon gentilhomme et comme eux tête vaine. Ce fut l'exil, l'espoir, Coblentz, le camp des Prin-

[pes.

Le temps passa, et tu revins dans ta province Mourir, près du manoir jadis seigneurial. Et, vieux soldat, à l'âtro où flambe une bourrée, Tu chaulfais tristement, d'Octobre à Prairial, Tes sabots de bois rude et ta tête poudr'ée* LA DEMOISELLE

Legrandbonnet de tulle est doux aux cheveux gris; Le fichu blanc se croise et se noue à la taille. Les cheveux furent blonds, dit-on, comme la paille La bouche est jeune encor d'avoir- souvent souri. Elle a vécu loin de la Cour et de Paris Et les petits neveux qui brillent à Versailles Savent que dans son bas 'tricoté maille à maille S'entassent les bons ors, de fleurs de lis fleuris. Chaque année, au château, trois jours, au temps [des chasses

Ils viennent, dorment bien, se mirent dans des

[glaces,

Baisent la maigre main sous la mitaine à pois, Partent, et trouveront, au tiroir qui le cèle, Un jour, un testament scellé elle y a droit De l'écu losangé des vieilles demoiselles.

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ÉPIGRAMME VÉNITIENNE Un vent triste et perfide, 0 Venise, a souffla. Sur le fard pâli de ta joue,

Et la Fortune a fait, avec son pied ailé, Plus d'une fois tourner sa roue.

Toi qui voyais jadis, comme un essaim bruyant Sorti de tes ruches guerrières,

Vers ta riche beauté revenir d'Orient

Les panneaux ,4'or de tes galère^ «. Un jour, ne t'es-tu pas, jen.roho, de. brocart, Eblouissant ceux qui t'idl.VUëJ/

Assise en ton orgueil et leur offrant leur part» A ton festin, la face nue ?

Puis sous le masque noir dont le nocturne atour Parait ta grâce déguisée,

N'as-tu pas invité le Plaisir et l'Amout A boire à ta coupe irisée.

Une barque de fruit croise sur le canal Une gondole lente et close

Un cyprès noir dans le jardin de l'Hôpital Dépasse le haut du mur rosé Un vieux palais sourit à l'angle d'un camptj De sa façade défardée,

Derrière un store jaune d'ocre un piano Estropie un air d'Haydée; Sur la lagune une péotte de chiogga Etend sa rouge voile oblique.

En attendant le vent subtil et doux qui vu Se lever de l'Adriatique,

Et, maîtresse des mers, j'invoque un temps loinVenise, où, Reine des rivages, [tain, Tu coiffais d'un casque d'or le front marin De tes Doges aux durs visages.

Henri de Régnier»

i– ̃ i*. f

Les Grandes

flystiïieations Littéraires

(1)

XII

LE FACÉTIEUX CAILLOT-DUVAL Ne vous étonnez point devoir

les personnes simples croire sans

raisonnement. (Pascal.) ̃

MM. les officiers de Roi-Infanterie qui tenaient, en i784, garnison à Nancy, s'y morfondaientd'importance. Aucune distraction à leur ennui; depuis la mort do Stanislas Leczinsky, le duc bienfaisant et somptueux, sa petite cour s'était dispersée, plus de fêtes et plus de soupers, des bourgeois .rechignés, leurs épouses sans grâces, Paris à vingt relais de poste, nul galant intermède à la monotonie des heures de service, bref, une « chienne » de vie dans une « chienne » de ville 1 Pourtant, comme on est gentilhomme, qu'on porte l'uniforme de Sa Majesté, qu'on est jeune et turbulent, il faut bien, palsambleu, trouver à se divertir. Alors, du mieux qu'ils pouvaient, enseignes et lieutenants s'ingéniaient à tuer les minutes. Ils les massacraient bruyamment. La nuit, le paisible Lorrain, assoupi dans ses couettes, était réveillé par d'horrifiants vacarmes. On tirait sa sonnette, on lapidait ses contrevents. Le bonhomme se plaignait et le « sieur » Urlon, lieutenant de police, avertissait respectueusement le colonel. Mais celuici n'en prenait cure, de quoi se mêlait ce faquin, des officiers ne sont pas des jouvencelles et « l'habitant » en restait pour ses doléances, le « mouchard » pour son rapport.

Les boute-en-train de cette jeunesse, les meneurs de joyeux désordres étaient deux cadets de famille, Pierre-Louis(1) Voir le Supplément littéraire du Innaro des 19 décembre 1908, 15 mai, 30 octobre, 27 novembre 1909, 5 février, 1) avril, 21 mai, 16 juillet, 1Q septembre, 1" octobre et 2 décembre 1910