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Titre : Le Figaro. Supplément littéraire du dimanche

Éditeur : Le Figaro (Paris)

Date d'édition : 1906-07-28

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb343599097

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb343599097/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Description : 28 juillet 1906

Description : 1906/07/28 (Numéro 30).

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k272870h

Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-246

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 15/10/2007

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Sommaire

J

MaréchalLoPEzDûMiN.

gdez Le siège de Sébastopol, Récit d'un témoin

JACQUES Normand. Le centre du monde Fantaisie

JACQUE VoNTADE. Les pierres du ohemin JULES Lenouvel. L'Inventaire

Nouvelle inédits

Sanceune L'appariteur

Croquis de Paris

Maurice Dumoulin. Desaix et les femmes D'après des

Ahthur Christian ». Les Sports

Paris d'autrefois

A. B. Souvenirs d'un peintre André Beaunieb. A travers les Revues Mme J. DE Flandretsy Les deux Mignard A l'Exposition colo.

G. Labadie-Lagrave. Comment passer les vacances

Lectures étrangères

̃ i

Page Jtfusicale

CHEVILLARD. Morceau de leoture à première vue

Concours de piano

Le Siège de Sébastopol

̃ •.

RÉCIT D'UN TÉMOIN

'̃̃̃•• I1-

L'ASSAUT

Le maréchal Lopez Dominguez, que la confiance du roi Alphonse XIII vient d'appeler à la présidence du Conseil des ministres espagnol, est un grand et fidèle ami de la France. Cette amitié date de loin,- de très loin déjà de la guerre de Crimée à laquelle le maréchal Lopez Dominguez assista comme attaché a Tétatrmajor français. Il était alors commandant et comptait vingt-quatre ans à

peine.

•C'est:que le futur héros de Carthagjène vit le feu pour la première fois et qu'il apprit à aimer la France à travers son armée. De cette campagne, et surtout des émouvantes péripéties du siège de Sébastopol, le maréchal Lopez Dominguez emporta une admiration sans bornes pour nos troupes et pour notre pays. Il ne manqua jamais une occasion de le témoigner. Mais, pour mieux manifester encore son enthousiasme affectueux resté intact malgré le temps il a tenu à raconter luimême ce qu'il a vu à Sébastopol. Le Figaro est particulièrement heureux de publier ce récit du fameux siège de 1855, d'abord parce qu'il est écrit par un témoin impartial, spécialiste éminent, ensuite parce que ce témoin se trouve être le chef du gouvernement espagnol et l'un des généraux les plus populaires d'un pays qui a droit à tant de titres à notre sympathie.

A l'aube du 8 septembre i855, un grand vent de tempête se leva et mit l'escadre alliée dans l'impossibilité d'aider les assaillants par des feux et des manœuvres dans la rade de Sébastopol. Dès les premières clartés du jour, le chef d'étatmajor du deuxième corps d'armée français plaça sur les pointes avancées des travaux d'approche les six bataillons qui devaient former la tête des trois colonnes d'attaque de Malakoff et leur indiqua, par le détail, l'ordre des opérations. Les outils et matériaux nécessaires à l'assaut furent rassemblés aux positions qu'allaient respectivement occuper les détachements de sapeurs, artilleurs et auxiliaires.

A huit heures, dans la crainte de quelque explosion des contre-mines que les Russes préparaient fébrilement, les Français firent éclater sur leur extrême front trois ballons chargés de quinze cents kilos de poudre. Ces explosions donnèrent confiance aux troupes qui se disposaient à l'assaut et poussèrent en même temps les assiégés à activer encore le chargement de leurs fourneaux souterrains.

A la même heure huit heures du matin, on lisait aux troupes françaises, assemblées déjà et prêtes à occuper les tranchées pour l'attaque de 'Malakoff, l'ordre du jour suivant du. général Bosquet, qui enthousiasma tous ces vaillants

« Soldats du deuxième corps et du corps de réserve, le 7 juin vous avez eu l'honneur de porter les premiers coups au cœur de l'armée russe; le 16 août, vous lui avez infligé la plus sanglante humiliation. Aujourd'hui, il vous appartient de lui donner le coup de grâce et de lui faire sentir la vigueur bien connue de vos armes en lui enlevant ses lignes défensives de Malakoff, pendant que vos camarades de l'armée anglaise et du premier corps marcheront à l'assaut du grand Redan et du bastion Central. Il s'agit, par un assaut général d'armée à armée, de couronner les jeunes aigles de la France d'une victoire éclatante et mémorable. En avant, donc, mes enfants A nous, Malakoff et Sébastopol, et vive l'Empereur 1. »

La lecture de cet appel fut accueillie par de longues acclamations, et les colonnes commencèrent à prendre leurs

positions dans les fondrières de la Carène et de Karabelnaïa. Elles étaient conduites par les officiers de l'état-major et par l'infatigable général du génie Frossard. Le général Bosquet vint en personne les inspecter. Sa revue terminée, il alla placer son quartier général au centre de la sixième parallèle, d'où il se proposait de diriger l'attaque.

Je n'oublierai jamais l'aspect de ces tranchées occupées par une masse compacte de troupiers déterminés, joyeux et sereins dans leur marche à la mort. Leurs officiers les encourageaient de la, parole, leur prodiguant conseils et re'commandations dans le langage particulier du soldat: On distinguait l'admirable indifférence des vétérans à leur manière de fixer la baïonnette au canon de leurs fusils, de revoir leurs cartouches, d'ajuster leur fourniment afin de se trouver alertes et dispos pour le combat. Les plus jeunes faisaient éclater l'impatience et le désir d'égaler sinon de surpasser ceux qui leur donnaient l'exemple. Le général Bosquet, calme et froid, tantôt donnait des ordres, tantôt adressait la parole aux soldats avec une affection paternelle, leur recommandant sans cesse de tenir leurs armes très bas pour qu'elles ne pussent servir de point de mire à l'ennemi.

Le mouvement des divisions vers les tranchées fut pourtant remarqué par le prince Gortschakoff qui, persuadé que l'heure de l'attaque était venue, donna aussitôt l'éveil à la place. Mais, ayant observé en même temps la concentration des troupes^dans les parallèles du front de la citadelle et l'arrivée de la brigade sarde, il devint hésitant sur le point où l'effort principal pourrait bien se porter. Enfin il jugea que les bastions devaient être particulièrement visés, tant à cause de l'intensité du feu de l'artillerie assiégeante que du renfort amené dans cette direction par les troupes piémontaises, et le général Ostensacken reçut l'ordre de ne point quitter la citadelle'et d'augmenter de quelques bataillons l'effectif de sa garnison.

A dix heures, le général Pélissier, commandant en chef du corps des alliés, montait à cheval, ainsi que tout son étatmajor, auquel j'avais l'honneur d'être attaché. A onze heures et demie, il prenait position sur le Mamelon-Vert, où l'on avait ménagé un espace blindé pourlui et son chef d'état-major, le général de Martimprey. De cette position devaient partir les divers signaux des attaques successives La première devait avoir lieu à midi précis sur le front de Malakoff. Les généraux qui commandaient les colonnes d'assaut avaient réglé leur montre sur celle du général en chef.

Cependant, le feu de l'artillerie se maintenait aussi vif depuis le matin. On -ne peut se figurer le fracas produit par deux mille pièces de tout calibre qui, de part et d'autre, vomissent la mort et la désolation, et couvrent le sol d'une ,pluie incessante de projectiles. La poussière soulevée par les balles, la fumée produite par la poudre nous aveuglaient. Poussière et fumée étaient augmentées par un vent d'une violence extrême qui, de temps à autre, chassait les nuages et permettait de voir se dérouler, dans un fantastique panorama, le spectacle grandiose que nous avions sous les yeux. Cent cinquante mille poitrines palpitaient d'enthousiasme, cent cinquante mille cœurs attendaient là impatiemment l'instant solennel où commencerait la bataille décisive dont le souvenir devait rester à jamais mémorable dans les armées russe et française où l'on se plaisait à évoquer les noms de la Bérésina et de la Moskowa (1) pour s'exciter davantage à la lutte.

Sur le Mamelon-Vert, vinrent à leur tourse placer les généraux commandants en chef de l'artillerie et du génie Huivy et Niel ainsi que tous les chefs et officiers composant l'état-major de l'armée française. Seul, le général en chef et son chef d'état-major occupaient le petit fort blindé placé sur le Mamelon même. A peine installé à son poste d'observation, le général Pélissier reçut avis du général Bosquet qu'il était prêt. II. lui envoya l'ordre d'attendre l'heure convenue midi.

Quelques instants avant cette heure si impatiemment attendue, le feu dirigé sur les ouvrages choisis pour l'attaque cessa tout à coup. L'artillerie ne tira plus que sur les défenses de seconde ligne.

#*#

Enfin, midi arrive. Les aiguilles dé la mantre du général en chef marquent la seconde fatale. Instantanément, les colonnes françaises s'élancent au pas de charge contre le front de Malakoff. Les musiques jettent leurs notes enthousias tes et guerrières, qui se confondent, en une immense clameur, avec les cris mille fois répétés de « Vive l'Empereur » et les crépitements tumultueux de l'artillerie.

Moments sublimes Je ne puis même essayer de les décrire. Mon cœur palpite encore au souvenir de cette minute suprême pendant laquelle tous, la montre en main, nous regardions anxieusement ces vaillants soldats, confiants et sûrs du triomphe, franchir sous une pluie de mitraille l'espace qui les séparait de l'armée ennemie.

Dix minutes s'étaient à. peine écoulées que déjà l'on voyait flotter sur le parapet du saillant de Malakoff le drapeau"français, dont l'aigle dominait l'espace, saluée par les vivats enthousiàstes de toute l'armée française. La tête de la division Mac-Mahon, sous les ordres de son illus- tre chef, n'avait eu à parcourir qu'une distance de vingt-cinq mètres pour arri- ver au fossé de Malakoff. Les premiers (i) Le 8 septembre était l'anniversaire de la bataille que les Français appellent de la Moskowa et les Russes de la Bérésina et que cha- cune des deux nations célèbre comme une victoire. • J

marseillaise

documents inédits

niale de Marseille

(hommes)

soldats qui avaient atteint la tête de la, contrescarpe s'étaient jetés dans le fosse^ sans attendre les ponts-échelles, avaient grimpé par l'écharpe du saillant à l'abri du feu des assiégés, et, une fois arrivés sur le talus en nombre suffisant, ils étaient montés à l'assaut des parapets, avaient pénétré par les meurtrières et planté enfin triomphalement, sur la redoute, le drapeau du 1er régiment de zouaves.

Ce premier succès enflamma les troupes qui suivaient. S'aidant des ponts volants jetés sur le fossé dans la direction de la porte principale du fort, passant par des chemins que les sapeurs avaient comblés de fascines, elles vinrent accroître le nombre des envahisseurs de Malakoff. Ce fut alors une mêlée terrible entre les assaillants et les défenseurs de la citadelle. Ceux-ci avaient été surpris et les premiers assaillants ne rencontrèrent que les artilleurs des avant-postes, qui tentèrent vainement de défendre leurs pièces avec leurs écouvillons, et les compagnies de garde accourues en toute hâte sur la brèche.

Mais la lutte devint/ plus sanglante en se propageant. La garnison de l'étage inférieur faisait feu sans trêve par ses meurtrières.

Quand même, les Français se répandaient sur les parapets extérieurs et descendaient à l'intérieur, jusque dans, la gueule ». En poursuivant ainsi les Russes de bastion en bastion et de courtine en courtine, toute la première brigade de la division Mac-Mahon se fj?ouva bientôt dans cet inextricable labyrinthe de défenses elle se battait au fusil, à l'arme blanche, avec des outils et même avec des pierres, contre les assiégés qui reculaient toujoprs vers la « gueule », vendant chèrement leur vie.

Les défenseurs de la tour, au nombre. de cent trente environ, se maintenaient, eux, superbes, sans cesser le feu. Menacés d'être brûlés vifs, ils ne se rendaient pas. Déjà on avait approché des débris de fascines enflammés, mais on les éteignit aussitôt, dans la crainte que l'incendie, se communiquant à quelque magasin de poudre, ne fît sauter la citadelle et n'ensevelît assiégeants et assiégés. En étouffant ces fascines sous un monceau de terre, les sapeurs eurent la chance de couper, avec leurs haches et leurs pelles, les conducteurs métalliques qui, au moyen d'une pile électrique, devaient mettre le feu aux mines et faire sauter la redoute avec ses envahisseurs. Pour aller plus vite, la porte ^e latour fut forcée à l'aide d'un petit mortier porté* à bras. Mais cette opération coûta la vieau capitaine qui la commandait. Enfin, les défenseurs de la tour se rendirent, mais ce ne fut qu'après trois heures de cette lutte opiniâtre.

&n même temps que la division MacMahon, les divisions Dulac et La Motterouge s'étaient lancées contre le petit Redan et la courtine. La première brigade de la division Dulac s'empara instantanément du petit Redan, dispersa sa garnison, encloua quelques pièces et, sans attendre aucun renfort, se jeta sur la seconde ligne, poursuivant les Russes avec une extrême audace. Mais cette témérité coûta cher. Chargée par une colonne ennemie au moment où elle essayait de tourner la seconde enceinte, elle perdit son général et se vit obligée de se replier en désordre dans le Redan. Elle fit ainsi perdre pied à la seconde brigade, qui arrivait avec un peu de retard, ayant marché péniblement à l'assaut depuis les fondrières de la Carène, faute de place pour se mouvoir dans les tranchées. Cette manœuvre trop risquée influa sur le résultat des opérations dirigées contre le petit Redan. Mêlées, les troupes des deux brigades reculèrent, les unes jusqu'au fossé de l'ouvrage, les autres jusqu'à leurs parallèles, poursuivies par les baïonnettes russes, décimées par le feu de l'artillerie de la Pointe, des vapeurs de la rade et des nombreuses pièces de campagne que l'ennemi avait braquées pour «palayer l'intérieur du Redan.

Enfin, le général de La Motterouge, qui dut parcourir une distance de cinquante mètres pour venir de la sixième parallèle à la grande courtine, parvint à s'emparer de cette place avec sa première brigade et engagea une courte lutte avec les troupes de la garnison qui se retirèrent dans la seconde enceinte où elles se fortifièrent. La première brigade ainsi reconstituée et la seconde occupant la courtine, il essaya d'enlever la seconde enceinte, mais il ne put y réussir. Le général Dulac, de son côté, fut de nouveau repoussé du petit Redan, et le flanc droit de ses troupes se trouvant exposé à un feu meurtrier, il dut ordonner la retraite. Il réunit sa seconde brigade et .se rèfugia dans la berme, abrité par le parapet contre le feu nourri de la seconde enceinte.

Ces événements eurent lieu pendant la première demi-heure de l'assaut. Un moment, sans l'occupation de Malakoff, 4 la première attaque avait pu paraître ] échouer; mais lorsque le général Pélissier vit le fort occupé par le général Mac- ] Mahon il fut vite rassuré. C'est alors qu'à 1 la demande que lui adressait son chef, 1 sur la possibilité de se maintenir, Mac- ] Mahon répondit par le fameux « J'y 1 suis, j'y reste », griffonné au crayon sur un carré de papier à cigarette, laco- < nisme qui montre bien la tranquillité 1 i'esprit et l'extraordinaire confiance de 1 :e grand soldat. Le général Pélissier £ jugea donc que le moment était venu de ionner le signal de l'assaut du grand i Redan et de l'enceinte de la citadelle. Il 1 lit arborer le pavillon tricolore sur les 1 parapets du Mamelon-Vert. 1 Dès que le pavillon français fut ainsi 1 iéployé, le général en chef de l'armée r anglaise, Simpson, fit marcher ses co- c

lonnes à l'assaut, sous les ordres du général Lodvington, qui lança ses premières troupes contre le saillant du Grand Redan. Les Anglais parcoururent dans un ordre parfait les deux cents mètres qui les séparaient de la place, arrivèrent devant le fossé sous le feu ennemi, le passèrent au moyen des ponts-échelles, gravirent les escarpes du Redan, -s'y introduisirent et refoulèrent les troupes qui le garnissaient. Tout cela presque mathématiquement. Les Russes, vaincus, se réfugièrent derrière les travers'de la «gueule», laissant le saillant de la tour au pouvoir des Anglais qui l'avaient envahi.

Ce ne fut qu'à deux heures du soir que le général de Salles reçut l'ordre d'attaquer la citadelle. Aussitôt il lança les deux brigades de la division Levaillant, l'une sur le front gauche du bastion Central, l'autre sur la lunette de la,gauche Osschwartz. Les assaillants arrivèrent aux fossés sous un feu général de balles et de mitraille, les défenseurs ayant été mis en éveil par l'attaque sur le faubourg. Le passage fut disputé avec un impitoyable acharnement. Quelques échelles se trouvèrent trop courtes. Il y eut quelques minutes de terrible angoisse. Enfin le saillant du bastion fut enlevé et quinze pièces enclouées sur le front gauche et la lunette. Toutefois, les envahisseurs ne purent se maintenir sous le feu des batteries intérieures qui vomissaient la mitraille. Ils se replièrent.

La confusion fut extrême lorsqu'il fallut, à reculons, traverser à nouveau les fossés, balayés par le feu nourri de l'artillerie russe qui couronnait les parapets. Dans la lunette, les Français se maintenaientvaillamment, malgré le feu qui les décimait et les pertes que leur causait l'explosion des mines. Mais une fois l'attaque du saillant repoussée et les canons du bastion braqués sur la lunette, tandis que des renforts russes arrivés du bastion de la Quarantaine et de la citadelle chargeaient à la baïonnette, les troupes alliées durent décidément battre en retraite, laissant les fossés et tes glacis tout couverts de morts parmi lesquels le chef de division Pâté et de nombreux blessés.

Le général de Salles fit alors avancer la division d'Autemarre pour renouveler l'attaque, en dépit du feu terrible de la formidable enceinte et de la masse imposante de troupes qui occupait les parapets. Il fit diriger le feu de ses batteriessur ces parapets qui furent vite balayés, et il s'apprêtait à récommencer l'assaut, lorsqu'il reçut du général Pélissier l'ordre de suspendre toute opération et de continuer seulement le feu sur toute la ligne de la citadelle.

Les batteries françaises exécutèrent cet ordre avec un sang-froid, une intrépidité remarquables, plaçant les pièces et ouvrant le feu sous une pluie de projectiles et une grêle de balles avec la même précision, la même régularité que sur un champ de manœuvres.

A trois heures du soir, un grand magasin de poudre et de munitions fit explosion. Il se trouvait dans la première courtine entre Malakoff et le petit Redan, occupé alors par la division de La Motterouge qui perdit quelque deux cents hommes et le drapeau du 51° de ligne, qu'on dut enterrer jusqu'au lendemain. Cette funeste explosion et une blessure que le général de La Motterouge reçut d'un éclat d'obus occasionnèrent une vive panique parmi les troupes françaises de la courtine. Elles se retirèrent en désordre, tandis que les Russes, avec des cris de joie, tentaient de sortir de la seconde courtine pour s'emparer de celle que les Français abandonnaient. Mais, brusquement, survint un régiment de la Garde impériale. Il venait en toute hâte au secours des assaillants du petit Redan.

Le colonel qui le commandait eut une heureuse inspiration. Il commanda à ses hommes de faire front au flanc gauche et d'occuper au pas de charge la courtine où l'explosion s'était produite. Grâce à ce mouvement rapide, les Français ne perdirent pas l'extrémité de leur aile droite et l'ennemi ne put reprendre un terrain si chèrement acheté.

Je ne trouve pas d'expression pour louer l'extraordinaire hardiesse de cette marche exécutée par un régiment de vétérans qui venait prendre position dans une enceinte encore toute fumante d'une épouvantable explosion.

̃

Cependant le général russe Krouhleff disposait de fortes colonnes. Il se met courageusement en marche vers Malakoff. Mais les nouveaux possesseurs du fort l'accueillent par un feu si meurtrier qu'il se voit contraint de se replier; blessé, il doit abandonner bientôt le commandement. Le général qui prend sa place à la tête des troupes réorganise la colonne et marche résolument sur la brèche. Il est tué. Ses hommes sont forcés de reculer vers le faubourg.

Le général à qui revient le commandement veut, aidé de nouveaux renforts qu'envoie le prince Gortschakoff, tenter un troisième assaut.

Mais le prince lui-même arrive. Il se rend compte de la position. Il voit l'impossibilité absolue de reprendre la place et juge que ses troupes ont pleinement accompli leur devoir. Il fait suspendre l'attaque.

L'artillerie russe ralentit alors son tir et le feu cesse peu à peu sur toutes les lignes. Mais dans Sébastopol de violentes explosions se font entendre et plusieurs édifices s'enflamment.

Les détonations et les incendies allèrent ainsi en augmentant durant toute la nuit, et l'on vit successivement sauter les batteries de laPointe, le petit Redan, le grand Redan, le bastion du Mât, le bastion Central, le bastion de la Quarantaine. A deux heures du matin, la citadelle et les faubourgs étaient enflam-

mes et jetaient dans la nuit d'immenses lueurs sanglantes.

Ainsi s'acheva cette journée mémorable, après une lutte corps à corps, après un combat d'artillerie à plein tir, après une suite ininterrompue d'assauts et de rencontres, après un duel gigantesque entre cent cinquante mille hommes et deux mille pièces en batterie sur un espace extrêmement restreint. On s'était battu sept Heures durant avec un courage presque féroce de part et d'autre. Laplumeessayeraitenvain de peindre, avec son intensité de coloris, le tableau varié, curieux, émouvant que présenta ce choc effroyable de deux armées éga- lement résolues à vaincre ou à mourir. ̃ Maréchal Lopez Dominguez. (Traduction de M"1» Henri Charriaut.)

LE CENTRE DU MONDE FANTAISIE MARSEILLAISE

Dite par Coquelin aîné. avec Tassent. Le Centre du monde ?. Parbleu l

Les savants n'y voient que du feu.

On les célèbre, on les décore.

Pas moins que nul d'entre eux encore, Sûr de son fait, n'a dit < Voilà

Le Centre du monde. il est là 1 >

S'ils daignaient, ces gens à lunettes,

Laissant tranquilles leurs planètes

Regarder en bas seulement

Autour d'eux, fût-ce une seconde,

Ils diraient d'un seul mouvement

« Marseille est ls Centre du monde > La France au front, l'Afrique aux pieds, Ses bras solides appuyés

Sur l'Espagne et sur l'Italie,

C'est une gaillarde accomplie,

Ses ports ?. On y voit par milliers

Les grands vapeurs, les fins voiliers.

Son commerce à quoi bon le dire ? Partout exerce son empire.

Chacun, voyageur et marin,

De toutp race, brune ou blonde

Y passe. pour causer un brin. V

Marseille est le Centre, du monde 1 .̃'

En-ce coin de terre béni

Ne voit-on pas tout réuni ?

Une mer si. claire et si douce

Qu'on dirait un tapis de mousse; ̃

Un soleil dont chaque rayon

Est une délectation;

Des brises sentant la groseille

Et qu'on voudrait mettre en bouteiltf La nuit, une lune. tout près^

Pas la lune de tout le monde.

Mais une lune faite exprés

Pour Marseille, Centre du monde 1

Et pourtant de notre cité Nous ne tirons point vanité, ̃̃

On se plaît à le reconnaître.

Oui. mais, bon Dious est-on' le maître, Devant ce tableau merveilleux,

De boucher son cœur et ses yeux ?

Une heure seulement, une heure-

Dans notre ville. et l'on demeure

Aplati, tordu, déconfit

Devant sa splendeur sans seconde.

Et l'on se sent petit, petit.

Marseille est le Centre du monde 1 ̃

Eh oui le Centre En voulez-vous La preuve?. Quand l'un d'entre nous Affaires ou badauderie

Prend le bateau pour l'Algérie,

Il dit, en nous tendant les bras

« Adieu, mes bons je vais en bas 1 > Tandis que s'il veut, au contraire,

Suivant un autre itinéraire,

Vers Paris s'élancer d'un saut,

En serrant les mains à la ronde

II dit « Mes bons! je vais en haut » Marseille est le Centre du monde 1

Aussi, pourquoi se déranger?

A gauche, à droite voyager?

Pourquoi, sous des ciels pleins de brumes, Aller pincer de mauvais rhumes ?

Ne soyez donc pas étonnés

Si, vieux de quarante ans sonnés, V •; ̃-

Jamais je n'ai franchi la zone

De nos belles Bouches-du~Hhone.

Qu'ils voient mille pays divers

Tous ces gens d'humeur vagabonde. Moi, je me f de l'Univers

Quand je suis au Centre du monde 1

Jacques Normand.

Les Pieppes

du Cheçrin

Le mariage tel qu'on le porte.

En complet de flanelle, en chemise de foulard, coiffé du chapeau accepté cette saison, Paul fume et cause avec son ami Pierre. La marche hygiénique d'après déjeuner le ramène à intervalles réguliers auprès du banc où sa fiancée et sa future belle-mère s'occupent à confectionner, avec d'humbles étoffes rêches à tons salés, de bons vêtements chauds pour les enfants pauvres. Chaque fois qu'il repasse devant les deux femmes, Paul marque un temps d'arrêt, dit une parole à la jeune fille, recueille un sourire complaisant de la mère. ]

Quel gendre idéal que ce Paul Echappant au ridicule d'être bel homme, à la faiblesse d'être joli garçon, il se contente { d'être «bien». Son nom, pas très ancien, a i de l'élégance, et il en tire un excellent parti. Grâce à une petite fortune ménagée i avec goût, employée savamment, il va pou- 1 voir réaliser la grosse opération matrirno- ] niale, sans avoir l'air fâcheux d'un coureur de dot professionnel. Il ne laisse 1 rien perdre ses relations, ses parentés, j comme ses chaussures et son apparte- ( ment, tout, dans sa vie, est entretenu en J perfection, utilisé au mieux. Il sait met- ( tre ses opinions résolument conservatri- s ces en des formules assez ironiques pour «

qu'on dise de lui il a l'esprit large Sur toutes choses il pense noblement: il ne croit pas à Dieu, mais il respecte la religion et veut qu'on la pratique. La correction de sa vie sentimentale défie la critique. Jamais, même aux heures inexpérimentées de l'adolescence, il n'a dégradé son cœur en le confiant, fût-ce « à terme », aux mains avilies de ces créatures auxquelles on donne de l'argent. Ses liaisons mondaines si honorables pour lui ont été environnées du mystère le plus distingué. Si on les a sues, ce n'est pas qu'il en .ait jamais parlé. Il a l'âme, chevaleresque, et ses ruptures furent toutes des modèles de raffinement. Plutôt que les petites personnes fraîches: mais frivoles, il a recherché ces femmes enseignées par la vie mais qui gardent après la jeunesse quelques illusions et des trésors de dévouement. Paul est un sage 1 S'il n'a jamais employé à rien ses remarquables aptitudes, qui en vérité le rendent, propre à tout, c'est que cette époque-ci n offre guère aux mérites bien nés l'occasion de se produire. Mais maintenant il songe à la politique.

Pour la dixième fois, Paul revient vers sa fiancée, par l'allée large que bordent des grenadiers en caisses. De loin, il regarde l'heureuse jeune fille. Elleestmince, mince, et très blonde; un peu langoureuseetencline à la rêverie. En ce moment ses mains traînent inactives sur la vilaine brassière qu'elle cousait. Les yeux voilés, elle regarde l'horizon du parc immense, acheté par feu son papa après une hausse inattendue sur les cuivres.. L'ayant bien examinée, Paul décerne son attention à sa future belle-mère, déconcertante personne dont les mentons en cascade rejoignent bizarrement la poitrine .indiscrète. Elle a des joues de proconsul, et c'est en vain que les couturières s'efforcent à marquer, au hasard; la place, d'une taille dans le débordement illogique de ses formes. Sa perruque orangée est digne de son énorme fortune,.qu'elle semble représenter, comme la couronne représente la majesté des rois.

Paul soupire, et, désignant d'un geste contenu, d'abord la jeune fille, puis sop abondante mère, il dit

Quand on pense que dans dix ans, cette petite commencera de ressembler à ça

Ne te frappe pas, riposte Pierre-d'un ton cordial. Dans dix ans Mais ce ne sera plus ton affaire. dans dix ans ça regardera l'amant

Paul refléchit quelques instants, puis • Oui, c'est vrai, tu as raison, dit-il. Et, comme il arrive auprès de sa fiancée,' il l'enveloppe d'unregard chargé d'amour.

Les femmes mûres ont tort de croire qu'en teignant leurs cheveux elles se rajeunissent. Mais elles ont bien raison de se teindre. La teinture, en marquant leur inflexible résolution de paraître moins âgées qu'elles ne le sont, tient en bride le respect discourtois qui les reculerait à l'arrière-plan. La teinture est une attaque brutale et résolue en pleine politesse. Elle ne manque guère à produire son effet. Averti par ce signe qu'on ne veut pas tenir compte du temps qui passe, le public; se conforme à l'ordre reçu. Une entente tacite s'établit entre l'opinion et les courageuses dames teintes. Elles ont décidé de ne pas vieillir. C'est parfait. On les traitera comme si elles ne vieillissaient pas. Et l'action des manières extérieures est si forte sur l'esprit, qu'on .finira peut-être par ne plus s'apercevoir qu'elles vieillissent en tout cas, elles ne s'en apercevront pas, elles, et cela suffit bien. Teignez-vous donc, mesdames 1

;̃:•̃•̃• 1A-(;,i.\y

Au Musée national de Munich, on voit, dans une aquarelle, patiemment peinte, un homme et une femme en beau costume du seizième siècle, assis sur 'un banc et se tenant la main. Ils ont cet air lourd de rêverie des belles heures amoureuses où, le désir endormi, l'âme travaille en silence. Un mignon paysage clair les enveloppe de lassitude heureuse. A l'extrémité de la. feuille, un drôle de petit squelette affairé travaille de toute sa force pour réparer à grands coups de bêche deux cœurs soudés ensemble et.ne faisant qu'une seule tache de vif vermil? Ion.

S'il voulait, ce squelette, sortir à son avantage de l'allégorie dont il est chargé, il fallait qu'il prît une hache, quelque instrument de massacre pour méchamment détacher l'un de l'autre ces, cœurs unis. Non! Il a une bêche 1. Il ne va ni les briser ni les disjoindre, les pauvres cœurs rouges: il les cultive, pas davantage. Tout à l'heure, il les plantera afin qu ils poussent et fleurissent, ces cœurs soudés J Gentille tendresse allemande Cet em- blème de la fragilité de l'amour pourrait servir d'illustration à l'immortalité de l'amour.

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Grand plaisir de flâneur les fenêtres ouvertes, les fenêtres d'été! J'ai connu un amateur qui passait chaque jour un temps considérable sur l'impériale des omnibus, uniquement pour regarder à son aise dans les entresols.

L'habitant qui se croit chez lui, ne sait pas quelles curiosités moqueuses tombent ainsi sur son tapis, se promènent dans sa chambre, dénigrent le cadre doré de sa glace, blaguent ses portraits de famille ou. ses paysages. Rassurés par les murs, se flattant d'être seuls, les gens qu'on voit du dehors montrent des attitudes de corps et d'âme bien plus sincères. Que de choses on aperçoit dans le rectangle de ces bienheureuses fenêtres!, La. jeune bonne, sollicitée par l'espoir confus d'un destin luxueux,; et qui, oubliant le ménage à faire, se penche sur la barre d'.appui, les yeux pleins de chimères et son plumeau sous le bras. La dame, venues au grand jour pour finir sa figure, et qui,