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Titre : Le Figaro. Supplément littéraire du dimanche

Éditeur : Le Figaro (Paris)

Date d'édition : 1906-07-21

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb343599097

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb343599097/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Description : 21 juillet 1906

Description : 1906/07/21 (Numéro 29).

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k272869k

Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-246

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 15/10/2007

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Sommaire

Bnw4B<mSBVH. Grenouilleau Conte inédit

jAoonz VoOTAi». Les pierres du ohemin Hugitk» Dblohmx Eloge du melon Fantaisie

Paul Gauloi. Angélique Vitasse Les petites victimes

de la Terreur

Piebm db Botjchatjd. Contraste a

̃••• Poésie

jBoîcMl. i~- »..« M. Philippe Berthelot Les.« hors cadre w

Un ftjsbtetjr ». Félix Aners et Victor Hugo

Arthtjb Chbistiaîî. Les Sports

Paris d'autrefois

Jules Yekàh. Les premières comédiennes

Jolis TauFHBB. Vieil apologue grec Pour les élèves

André Bkaunier A travers les Revues A. B- Souvenirsd'unpeintre STANISLAS Rzkwuski Frank Wedekind La vie littéraire

G. Labapik-Lagravb. L'élevage

des alligators

Lectures étrangères

Page Jflusicafo

GEORGES Enesco Mélodie

Grenouilleau

NOUVELLE INÉDITE

J'ai déjà composé mon menu, dit Mme Bullion, pour le déjeuner que les Peaussier nous ont fait l'honneur d'accepter.

Prends l'habitude, dit M. Bullion, de dire « le comte et la comtesse Peaussier », principalement devant les domestiques qui ne doivent pas manquer de leur fournir leur titre.

J'aurai de la peine à m'y habituer j'ai toujours dit « les Peaussier »; toimême as toujours dit « Peaussier en parlant de ton ancien camarade. Donnons du comte aux Peaussier! La République fait bien la gentille avec les monarchies Cela ne l'empêche pas .d'être radicale intérieurement, et même quelque chose de plus. Donnons du comte aux Peaussier, d'autant plus que je réserve à leur vanité un plat de ma façon, et que, entre parenthèses, je te prie d'ajouter à ton menu

Une bouillabaisse, je'suis sûre?. -Non je les fais déjeuner côte à côte avec le fils d'un de mes ouvriers, d'un simple petit ouvrier Grenouilleau

Quelle singulière idée!

C'est mon idée. Je paye le voyage du Midi au jeune Grenouilleau. Je pouvais inviter tel et tel freluquet de notre connaissance utile au polo, au tennis ou au bridge: j'invite Grenouilleau. Je pouvais. comme les Peaussier, m'orner le chef d'une couronne de papier pour pénétrer dans une classe de la société qui n'est pas la mienne et qui se fût moquée de moi je tends, moi, loyalement la main à une classe qui n'est pas non plus la mienne.

Et qui se moquera de toi pareillement

Est-ce là toute l'objection que tu as à me présenter ? 2

Mon Dieu, oui. Ce que tu veux faire là n'est pas une mauvaise action. Je n'en vois pas la nécessité absolue; mais, en toutes vos idées, messieurs, je le sais, il faut tenir compte de l'exagération. En tout cas, je te conseille de ne pas mettre d'ostentation, dans l'hospitalité que tu offres à ce Grenouilleau. car quelque chose me dit que si tu fais déjeuner Grenouilleau avec les Peaussier, c'est plus pour les Peaussier que pour Grenouilleau que tu le fais.

Grenouilleau arriva à la villa Bullion le samedi saint au matin, ayant passé vingt-quatre heures dans son compartiment de seconde classe, y compris le trajet de Corbeil à Paris. M. Bullion se fit conduire à la gare, au-devant du jeune homme, en automobile. Par hasard, Grenouilleau connaissait le mécanicien, Pfister, et il dit au « patron », qui le poussait à l'intérieur

Si ça ne vous fait rien, m'sieu Bullion, j'vas monter à côté de Pfister. C'est un bon coup, ça, par exemple, de tomber en plein pays de connaissance! Ah?. bon! très bien, mon garçon. Si je t'ai fait venir, c'est pour que tu sois à ton aise.

Vous tourmentez pas, m'sieu Bullion

Et Grenouilleau d'entamer la conversation avec Pfister, qui répond par monosyllabes, sans broncher la tête, attentif à sa direction. M. Bullion, condescendant, n'ose interrompre l'exubérance du voyageur, muet sans doute depuis Corbeil. Cependant, de l'intérieur, il lui frappe sur l'épaule

Pas fatigué, Grenouilleau?. trajet un peu longuet?.

Grenouilleau fait signe qu'il n'est pas fatigué; et il dit au mécanicien • Oh! ce que j'ai dormi,* mon co-

Ion! Jamais de ma vie je n'ai tant dormi.

A la villa, tandis que Grenouilleau est conduit à sa chambre, Mme Bullion demande à son mari:

Eh bien que dit-il, Grenouilleau?. Grenouilleau?, ce qu'il dit?. Ah il connaît Pfister.

As-tu averti ce jeune homme que nous partions, aussitôt après le déjeuner, en excursion? Il ne faut pas qu'il se croie obligé de faire toilette

Sois tranquille, son bagage tient dans son mouchoir.

Cependant, Grenouilleau semblait être long a sa toilette; on l'attendait pour servir; on envoya frappera sa porte on n'obtint pas de réponse on le cherchait dans la maison: ne s'y était-il pas égaré? Mais non! Grenouilleau était descendu au garage, et il en racontait, en racontait, à son ami Pfister! Il fallut l'arracher de là: ..•

Vous n'avez donc pas faim, mon brave ami.?

-Si fait! madameBullion, sifait !Ilya bien douze heures que je n'ai pas mangé 1 Il mangea tant, en effet, que ce fut un plaisir pour M. et Mme Bullion de voir ce garçon se remettre si allégrement d'un long voyage. On comprenait très bien qu'il parlât peu, car il avait sans cesse la bouche pleine.

On partit en automobile. Cette, fois, M. Bullion conduisait lui-même, et le mécanicien était assis à côté de lui sur le siège; Grenouilleau fut à l'intérieur avec Mme Bullion qui le comblait de prévenances et l'interrogeait sur sa famille, son passé, son avenir. Elle dit d'abord « Madame votre mère », puis, par un retour soudain à une plus exacte mesure des valeurs, elle se reprit et dit: « votre mère ». Elle disait à ce pauvre Grenouilleau « vos études » Elle s'informait de la date de « la première communion » elle touchait à tous les points de repère importants dans la famille bourgeoise, et peu s'en fallut qu'elle 'ne parlât « des alliances ». Le pauvre Grenouilleau bâillait entre des réponses ambiguës à des questions qui l'effaraient un peu, et parmi ses réponses, un mot souvent répété apprenait à Mme Bullion que, dans sa famille à lui, les dates qui comptaient surtout étaient celles qui correspondaient aux périodes où l'on était entré dans la « purée » et à celles où l'on en était sorti. Mais que le pauvre Grenouilleau bâillait donc Et l'excellente Mme Bullion de lui faire observer: « Jeune homme, vous avez eu tort de rester douze heures sans rien prendre. » Elle ajoutait, comme pour elle-même, par une longue habitude de dorlotenients, de petits soins « M. Bullion et moi ne voyageons jamais sans emporter quelques biscuits ou du chocolat. », ce qui, par exemple, amena le sourire sur les lèvres de Grenouilleau.

On avait fait une première halte à la Promenade des Anglais, et M. Bullion, sous un palmier poudreux, désignant Grenouilleau, confiait à ses amis Un pauv' petit gars qui n'est pas sorti de la cuisse de Jupiter, je vous prie de le croire à qui je paye le voyage du Midi.

Et il leur glissait à l'oreille? t

Le fils d'un ouvrier, d'un simple petit ouvrier.

Ah! ah faisait-on, vous voici dans un beau pays! mon gaillard?. Un beau pays, oui, m'sieu. Et Grenouilleau, anxieux, semblait attendre, regardant peu le pays, reluquant toute voiture au passage.

On lui disait « Ah de la poussière, par exemple » Et Grenouilleau, que la poussière ne gênait pas, avouait « Je cherche de l'œil si, des fois, je ne con,naîtrais pas quelqu'un. »

Mais vous êtes en bonne compagnie, j'imagine?.

Pour ça, je ne dis pas non faisait Grenouilleau en riant d'une oreille à l'autre.

Et l'excursion en automobile continua jusqu'à Cannes où Mme Bullion avait une ou deux visites à faire. Mais, cette fois, dans la voiture, Grenouilleau dormit innocemment, sans vergogne, et à fond, comme un petit enfant. On n'osa seulement pas le réveiller pour lui montrer la Croisette. "M. et Mme Bullion allèrent à leurs devoirs et dirent au mécanicien « S'il s'éveille, menez-le visiter la rue d'Antibes et le port; nous irons à pied vous rejoindre là. » Ils vinrent en effet, à pied, les rejoindre là, une bonne heure après, environ, et trouvèrent la voiture devant un débit de vins où Grenouilleau et Pfister buvaient à la santé du mécanicien d'une famille anglaise, un nommé Robiot, dont Mme Bullion entendit parler, pendant le trajet du retour, à en bâiller ellemême, à son tour, à en dormir aussi, à la fin.

Eh bien, mon garçon, demanda-t-on à Grenouilleau, au dîner, êtes-vous satisfait de votre première journée dans le Midi?

Grenouilleau était enchanté. Il avait même déjà écrit à son pè?e qu'est-ce qu'il dirait, le pauvre vieux, quand il allait savoir que ce « sacré Robiot ». était là, gros, gras, à se prélasser en baladant des « Englishes »

Et M. Bullion, lui aussi, connut l'histoire de ce « sacré Robiot » qui, à lui seul, semblait valoir tout l'azur de la Méditerranée.

Grenouilleau monta se coucher de bonne heure; il avait fait tantôt, pourtant, un fameux somme Mme Bullion dit à son mari que c'est une manie bien dérisoire de faire ainsi voyager le prolétaire « Il mange, il boit, il dort, il veut à toute force rencontrer ses pareils et ne profite point de son déplacement. » En quoi Mme Bullion se trompait fort. Grenouilleau se couchait tôt, mais il se leva de bonne heure. A neuf heures du matin, quand ses hôtes, en étaient encore àprendre leur petit déjeuner, Grenouilleau remontait à la villa, revenant de la ville qu'il arpentait depuis l'aube, et il en avait vu tous les méandres, tous

du Conservatoire

à l'étranger

les coins-: les marchés, les monuments, les promenades, les points de vue, et jusqu'à des curiosités que les Bullion eux-mêmes et toute la classe riche ou aisée qui vient à Nice, chaque année, ignore. Il avait causé avec les maraîchers, les bouchers, les marchands de poisson, les matelots du port, les fleuristes, les conducteurs de tramways et les pauvres. Grenouilleau s'intéressait à tout à, condition qu'on le laissât faire a sa guise, à son heure, en compagnie des siens le matin appartient au peuple. Et il en rapportait une moisson de connaissances sur le Midi qu'il confiait à son ami Pfister en le regardant faire son automobile, et dont profita et s'émerveilla M. Bullion, un momenti en passant par là pour donner les ordres. Ah ah dit à sa femme M. Bullion, en se frottant les mains, je le savais bien que ce « populo » n'est pas si bête, et qu'en plus d'une occasion même il nous en peut remontrer! Ce gavroche, arrivé d'hier, et qui ne sait que dormir, ditesvous, pour peu que je réussisse à le faire parler au déjeuner, va en donner à rabattre au comte et à la comtesse Peaussier C'est très curieux, très curieux, ce que ce garçon racontait à Pfister nous ne nous levons pas si matin, nous autres; nous n'interrogeons pas directement les gens, nous ne savons rien que de seconde main. Je ferai raconter à Grenouilleau toute cette vie matinale d'une grande ville, et ses impressions naïves, qui sont si justes, avec des expressions. non pas académiques, tant pis mais de poète, oui, de poète, ma parole d'honneur! Et je leur dirai, au comte et à la comtesse Peaussier « C'est un pauv' petit gars, le fils d'un ouvrier, d'un simple ouvrier. »

A une heure moins le quart, le comte et la comtesse Peaussier arrivèrent dans une victoria bien attelée et d'une élégante simplicité. C'étaient, d'ailleurs, des gens fort bien. D'autres personnes étaient là déjà, et quoiqu'on n'eût point encore vu Grenouilleau, M. Bullion leur annonça qu'il leur réservait une surprise. On attendit la surprise. Elle ne se présentait point. M. Bullion dit un mot à l'oreille d'un domestique. Le domestique revint et dit un mot à l'oreille de son maître, M. Bullion commanda d'attendre. Mme Bullion, plus avisée et qui s'impatientait, commanda qu'on allât voir aux écuries, au garage. L'anxiété des convives augmenta quelle surprise pouvait venir du garage ou des écuries ? On hasardait cent hypothèses; enfin, l'on s'énervait un peu. M. Bullion Jeur dit alors

Voilà,j'aurai l'honneur de vous fajre déjeuner avec un pauv' petit gars qui n'est pas sorti de la cuisse de Jupiter. le fils d'un ouvrier, d'un simple petit ouvrier.

Bravo bravo

La surprise fut accueillie à merveille et l'on parla, en attendant Grenouilleau, de l'opportunité, voire de la nécessité, de.se mêler aux gens du peuple, et l'on félicita chaleureusement M. Bullion de son intéressante initiative. Mais l'enfant du peuple à qui une société aussi élégante réservait un si gracieux accueil ne se montrait toujours pas. On décida de se mettre à table. M. Bullion était agité, mécontent.

A peine assis, et dans le premier silence, il fit signe au maître d'hôtel et l'Interrogea péremptoirement. Les convives, malgré eux, étaient suspendus à la moindre parole pouvant éclaircir le mystère, et l'on entendit distinctement la réponse du maître d'hôtel

M. Grenouilleau est bien là, mais M. Grenouilleau a dit qu'il préférait manger à la cuisine.

Eené Boylesve.

Les Pieppes

1 1- du Gbeçiin

Juillet mauvais mois Tous les Parisiens au-dessus de quinze ans le détestent. C'est le mois des factures et des ruptures. On paye, et cela n'est pas drôle; on liquide des situations sentimentales, et cela non plus n'est pas drôle 1 Car, chose bizarre, les ruptures n'amusent personne, même celui des deux qu'elles délivrent. En juillet, nul n'est content des circonstances. Ceux qui restent, retenus par leurs professions ou par les études des enfants, ont envie de partir. Ceux qui partent voudraient rester.

C'est juillet qui sépare les amoureux et les amis; qui dénoue les sympathies ébauchées, les flirts naissants dont on pouvait tout espérer. Dans quel état retrouverat-on ces cœurs dont on s'éloigne? «S'il est vrai, écrivait M. Scheffer à Mme Du Deffant, que la réputation est toujours incertaine jusqu'à la mort, il est au moins aussi vrai que l'amitié est incertaine jusqu'à l'absence. » On se dit cela en partant, ou en regardant ceux qui partent. Juillet, c'est le mois d'attente. Aux bains de mer, l'ennui pèse. La cohue éclatante qui reconstitue partout la vie parisienne n'est pas arrivée encore. La plage se peuple de provinciaux qui achèvent la saison de début la saison économique. Quant aux eaux. ce sont les eaux point n'est besoin d'en dire plus Mais le pire, c'est l'installation prématurée dans les châ-,teaux.

Comme on goûte bien l'affreuse tranquillité de la campagne durant ce mois exécrable! Pas de visites, on est seul tout est hostile ou mélancolique. On aperçoit des traces d'humidité à la tenture du grand salon; on découvre une fourmilière sous sa toilette; les tuyaux de la salle de bains ont subi des avaries; l'arbre qu'on préférait a reçu la foudre; les fleurs sont moins belles que l'année précédente; un chien ami est mort. La maison délaissée si longtemps se renfrogne et fait mine

de ne vous pas reconnaître. Dans le désœuvrement on entend les choses parler avec des voix décourageantes. Un livre traîne sur la table, on veut le ranger: une fleur sèche en tombe qui rappelle quelque douce rêvasserie interrompue.

Le soir il fait froid, et humide le matin, et puis il y a. ce silence, ce lourd, ce terrible silence, ce silence infini, propice aux pensées importunes. On examine le passé Dieu sait que ce n'est pas pour s'amuser on s'aperçoit qu'on a cessé de croire certaines choses, d'en espérer d'autres. On est de mauvaise humeur. Les défauts des gens avec qui l'on vit prennent leur véritable importance. Est-il possible qu'on les ait supportés si longtemps Vat-on pouvoir les supporter davantage?. (îomme on manque sa vie, toujours, quoi qu'on tente! Le paon crie dans le jardin et on se sent dans l'âme ce mal, dénommé crampe lorsqu'il se localise à l'estomac. Ah! les premiers jours de campagne! Vienne vite le mois d'août, l'excellent mois d'août, porteur de joies et de liberté! Le mois qui ouvre les collèges, ferme les tribunaux le mois où recommencent les musiques d'Allemagne, où on a fini d'entonner des eaux à goût de soufre, d'œuf pourri et de ferraille, où l'on part pour les beaux voyages, où les amants se retrouvent pendant quelques jours, où ces gens, auxquels on ne tient guère dans l'existence diverse de Paris, s'abattent sur les châteaux et y sont reçus comme des amis adorés.

Vienne vite le cher mois d'août et qu'il chasse l'infâme juillet I

v '̃̃̃

Une heure dans l'atelier de Forain. Il est là parmi des bouts de cigarette et des chefs-d'œuvre, vêtu d'une veste de toile blanche, coiffé d'un grand chapeau gris qui amasse l'ombre sur ses yeux. Comme son visage ressemble à ses dessins violent et fin, sans modelés inutiles, avec tout son accent concentré dans le prodigieux regard! Même au milieu de la causerie familière des blagues, du laisser aller, cette figure reste différente des autres figures. On la dirait faite d'une matière plus durable que la chair; elle a le caractère, définitif et distant de l'œuvre d'art. Il est beau, ce grand dessinateur Et quel dessinateur!

Qui donc a dit Savoir dessiner, c'est être capable de fixer, pendant qu'il est encore- en l'air, le mouvement d'un homme qui tombe par la fenêtre ? Cette formule baroque exprime à merveille le'génie du dessin, qui est proprement l'instinct et la science de l'essentiel. Depuis les maîtres du passé, personne n'a eu cet instinct-là plus fort, cette science-là plus profonde que Forain. Les croquis qu'on feuillette montent les nerfs à la façon d'un vin puissant. Mais ce sont les peintures surtout qui m'arrêtent aujourd'hui des scènes de théâtre, des danseuses, faisant leurs gestes de grâce précise devant les décors. L'impression est différente de toute autre. Il y a là une formule. d'art absolument personnelle, une invention.

La lumière électrique a créé un nouveau mode de beauté. Son application à la scène est la grande conquête esthétique du dernier siècle. Il fallait qu'un peintre se trouvât, pour en exprimer par une technique spéciale, la fulgurante évidence et le mystère délicieux. Forain est ce peintre-là le peintre de la lumière fée le seul Avec une émouvante habileté, un. goût inimitable, et cet accent d'absolu, de certitude qui caractérise son génie, il marque le point significatif, et sacrifie, abolit l'inutile, tout ce qui est, mais qu'on ne doit pas voir. Il finit son tableau en le simplifiant. Tel visage, si expressif que tout un tempérament s'y' révèle, n'a pas de traits; c'est bien le triangle blanc, sans ombres, ni accidents, la figure brillante et indiscernable qui passe devant la rampe. Les gestes ne sont pas figés dans un contour partout sensible, ils font partie de l'atmosphère et s'y mêlent. Cette femme qui bouge, bougeait l'instant d'avant. Le mouvement est fait d'un mouvement antérieur, il ébauche déjà le mouvement qui va suivre. Ce dessin, cette exécution insaisissable, dure et souple, fuyante, sèche parfois, puis vaporeuse et tendre autant que les modelés caressants de Prud'hon, c'est la vie même une vie mystérieuse parmi les forêts glauques et bleues du décor, les paillettes des costumes, la traîche coloration des chairs nues, dans un monde de rêve, de musique et d'amour.

Une de ses danseuses est exquise entre toutes. Nerveuse, élancée, en jupe de tulle jaune, faite de lumière rousse, projetant sur le sol une ombre fragile et qui va disparaître, elle danse. Sa musculature vigoureuse et mince est d'un si puissant dessin qu'on en a presque une sensation tactile. Tout en elle bouge, la jambe sèche, la jupe transpercée de clarté, et cette ombre aussi qui la devance, bouge. C'est une petite bonne femme maigrichonne, et sans grande beauté peut-être, cette danseuse jaune? Non pas, c'est la splendeur éclatante et occulte du plus merveilleux des rythmes c'est la danse et la lumière mêlées en un accord étrange et si intense qu'on en a le cœur suspendu.

L'importance d'un artiste se mesure à la somme de mystère dont son œuvre est chargée mystérieux, le modelé de Léonard; mystérieux, les soleils obliques de Rembrandt, les glacis de pourpre et d'or du Titien; mystérieuse aussi, la danseuse jaune.

Décidément, c'estun très grand peintre, ce Forain 1

**#

Le dernier five o'clock chez Mme X. On est venu dire adieu. Chacun raconte ses projets de voyage. On cause sans verve. Des images de malles à faire, des billets à prendre, des noms de villes lointaines occupent les cervelles. La séparation est déjà accomplie.

Une magnifique personne à regard im-

périeux se lève. Mme X s'élance, s'empresse, la retient du geste.

Comment, vous partez déjà 1 Sitôt 1 -Mais oui, répond la superbe personne, il faut toujours s'en aller un peu trop tôt, c'est, plus sage.

Singulier principe C'est aux visites seules que vous l'appliquez, je pense, riposte Mme X, un peu pincée.

Oh non c'est à tout Avec un petit rire, la dame ajoute à l'amour aussi

Elle sort. On entend une voix découragée, une voix d'homme, qui dit Voilà comment elles sont 1 Voulezvous parier que dans dix ans on ne trouvera plus une seule femme collante 1 Leur règne commence le nôtre est bien fini.Elles savent s'en aller!

Jacque Vontade.

Éloge du Melon

Gloire à toi, cher fils de Latone Dont la magnificence étonne;

Gloire à toi, Phébus Apollon y

Dieu du Soleil et de la Lyre,

Qui fais s'arrondir lé melon Pour les estomacs en délire

En son parfum, quand vient Juillet, L'ambre se mélange à l'œillet.

Jules César, vieil arriviste

Qui triompha d'Arioviste

Et goûtait peu le sel gaulois

(Cela soit dit sans commentaires} Aux paysans dicta des lois

Pour qu'ils cultivent en leurs terres Le melon providentiel,

Présent béni du juste ciel.

Grâce à cet édit méritoire

Le melon-entra dans l'Histoire

Et depuis il n'en sortit pas.

Quoi que l'on dise. ou que l'on fasse, N'est-il point aux meilleurs repas La plus agréable préface?..

Il ouvre l'appétit avec ;̃̃

Assurance, et fait boire sec. Ayant rafraîchi l'épigastre,

Il s'épanouit comme un astre

Au beau milieu de l'intestin.

Tantôt de feu, tantôt de glace,

Il est grand maître du festin,

Semblant dire < Faites-nous place > A sa suite, chaque aliment

Passe en effet tranquillement. En ce fruit aux rondeurs vulgaires "Les dehors ne répondent guères A tant de mérites cachés Assez semblable à tel gros homme Qu'on croit d'abord épais, mais chez Lequel l'esprit pétille en somme, II est de ces cœurs ingénus

Qui gagnent à être connus.

Des vieux gêneurs fuyons l'école Qu'importé que tel morticole

Qui jamais ne décoléra

Nous répète, sinistre buse

c Celui-là meurt du choléra

Qui du melon perfide abuse! > Pourvu qu'on l'arrose de vin, On peut en abuser en vain.

Lui! rendre malades ses hôtes! Mais c'est à s'en tenir les côtes (Les côtes du melon, s'entend.) Que ceux dont l'estomac se rouille Préfèrent j'en suis consentant Le potiron et la citrouille

Le divin cantaloup jamais

Ne troubla l'âme des gourmets! Hugues Delorme.

Les Petites Victimes de la Terreur

v r

Angélique Vitasse et ses compagnes

Le 10 frimaire an II (30 novembre 1793), le commissaire de police de la section de l'Observatoire pénétrait dans une maison de la rue Neuve-Sainte-Geneviève, où il trouvait huit femmes assemblées, qu'il mettait aussitôt en arrestation. C'étaient sept religieuses carmélites du couvent de la rue de Grenelle, Victoire Crevel, Louise Biochaye, Elise-Eléonore Carvoisin, Adèle-Marie Foubert, Philippine Lesnier,. Anne Donon, Angélique Vitasse, et une visitandine de la rue du Bac, Thérèse-Julienne Chenet.

Elles étaient accusées de « fanatisme contre-révolutionnaire»; les unes, en effet, avaient refusé de prêter « le serment de liberté et d'égalité »; les autres, l'ayant prêté par erreur ou par faiblesse, l'avaient rétracté; toutes continuaient à voir des prêtres réfractaires, ce qui constituait manifestement une conspiration « contre la Révolution et contre les principes éternels de la liberté et de l'égalité qui en sont la base ».

Avant de les emmener, le commissaire se livra à une minutieuse perquisition dans leur humble logis; il ne découvrit aucun objet suspect, sauf un écrit intitulé Avis aux religieuses, aux vierges consacrées à Jésus-Christ. La perquisition terminée, il conduisit les huit femmes au Comité de l'Observatoire, d'où, après un interrogatoire sommaire, on les envoya à la maison d'arrêt de la Bourbe; c'était l'ancien Port-Royal devenu Port-Libre depuis qu'on en avait fait une prison. Elles y furent aussitôt écrouées.

̃̃ ••'

L'histoire de ces huit religieuses ainsi transformées en conspiratrices était des plus simples. Au moment de la tour-

mente révolutionnaire, après la journée du 10 Août et surtout après les massacres de septembre, la plupart des couvents s'étaient vidés par mesure de prudence; étant donné le caractère d'acuité qu'avait pris chez les révolutionnaires la haine contre tout ce qui touchait à la religion catholique, loin d'offrir un abri sûr aux pauvres filles désireuses de fuir les agitations du dehors, ces vastes maisons, aux murs épais comme des murs de prison, ne les eussent plus gardées que comme une réserve de victimes pour les passions terroristes. Malheureusement, les religieuses n'avaient point toutes des parents ou des amis qui pussent les recueillir; il en était aussi parmi elles qui ne voulaient point, malgré les périls du moment, renoncer à la vie qu'elles s'étaient choisie; brebis détachées du troupeau dispersé, certaines avaient cherché à se grouper entre elles et vivaient en communauté réduite, çà et là, dans Paris.

C'est ainsi que, le 14 septembre 1792, Angélique Vitasse avait quitté le couvent de la rue de Grenelle avec quatre de ses compagnes, les sœurs Grevel, Foubert, Biochaye et Donon; les cinq femmes s'étaient retirées rue Cassette. Elles y étaient demeurées jusqu'au mois d'août de l'année suivante, époque à laquelle elles s'étaient réfugiées rue Neuve-Sainte-Geneviève. 'Entre temps, leur petit groupe s'était accru des sœurs Carvoisin et Lesnier, ainsi que d'une visitandine, Julienne Chenet.

Elles s'étaient résignées à dissimuler leur état, du moins quant aux manifestations extérieures, mais elles étaient toutes d'accord pour ne point dissimuler leur foi et pour accomplir les actes que la religion leur commandait, sans faire aucune concession aux prescriptions de la loi civile. Elles entendaient la messe et se confessaient, en se gardant bien d'avoir recours au nouveau clergé consti-.tutionnel, aux prêtres assermentés, qu'elles considéraient comme des renégats elles étaient donc restées en relations avec des prêtres réfractaires. Or, quelque soin que prissent ceux-ci pour cacher leur caractère et dérober leur présence aux yeux des gens du quartier, leurs allées et venues avaient fini par attirer l'attention du Comité de l'Observatoire, qui, empressé à faire preuve de son zèle révolutionnaire, avait ordonné l'arrestation de la petite communauté.

'</̃ >. •.

L'écrit qui avait été saisi rue NeuveSainte -Geneviève s'adressait évidemment, sinon aux Huit' ̃ .̃religieuses "arrêtées, du moins à quelques-unes d'entre. elles; en tout cas, le soin qu'elles avaient pris de le conserver, malgré te danger que la découverte de ce papier entre leurs mains pouvait leur faire -courir, montrait quel prix.elles attachaient aux conseils qu'il renfermait. Ces conseils étaient nettement contre-révolutionnaires, car celui qui les avaient rédigés, un prêtre réfractaire assurément, y blâmait les religieuses qui fréquentaient le clergé constitutionnel et surtout celles qui avaient prêté le serment. « C'est au nom de Jésus-Christ, et de sa sainte Mère et de' toute l'Eglise catholique qu'un ministre de Jésus-Christ vous conjure humblement de vouloir bien recevoir cet avis que la charité de notre divin. Maître le presse de vous adresser.

» Vous avez fait pendant longtemps là. gloire et la consolation de l'Eglise. Mais ne sentez-vous pas que votre dernière démarche a terni votre gloire et diminué votre joie?.

» La seconde faute que vous avez commise en prêtant le serment de la liberté et de l'égalité est plus grave et plus générale. Vous saviez qu'un grand nombre de prêtres ont enduré la mort plutôt que de faire le serment. Le Souverain-Pontife avait levé l'équivoque que pouvaient offrir les mots de liberté et d'égalité en déclarant que cette liberté et cette égalité sapaient les fondements de la religion et que l'Eglise les avait souvent condamnées. »

Un tel écrit corroborait grandement l'accusation relevée contre ces religieuses mais que leur importait? Aucuned'elles n'avait l'intention de dissimuler ses convictions ou ses actes, quelles que dussent être les conséquences d'une telle franchise. Toutes se montrèrent donc aussi nettes et aussi braves, en face de leurs juges; toutefois, afin d'éviter d'inutiles répétitions, nous nous bornerons à mentionner les réponses d'Angélique Vitasse, la plus jeune (elle n'avait que trente-deux ans), mais non la moins ardente à confesser sa foi, et qui, au milieu de ces terribles épreuves, égala ses compagnes, si elle ne les surpassa pas,. par son sang-froid, sa sérénité et son' courage.

L'interrogatoire eut lieu le 11 nivôse' (31 décembre 1793). Toutes reconnurent, l'exactitude des faits qui leur était personnellement reprochés. Mais le juge voulait plus, et il s'efforçait de leur arracher le nom des prêtres, réfractaires' qu'il considérait comme leurs.complices; et c'est sur ce point qu'il insistait surtout.

D. Lorsque vous demeuriez rue Cassette est-il venu des prêtres vous voir?

R. Oui, il en est venu plusieurs. D. Quels sont leurs noms?

R. J'en connais deux dont je ne vous dirai ni le nom ni la demeure. D. Etaient-ce des prêtres: constitutionnels ? ?,

R. Non, citoyen.

D. Les avez-vous connus au couvent des Carmélites ? ;•

R. Non, citoyen.

D. -Qui est-ce qui les a introduits rue Cassette? R. Je ne veux pas^vous le dire. D. Les mêmes prêtres ont-ils continué de vous voir rue Neuve-SainteGeneviève ?

R. Oui, quelques-uns. ̃̃'̃ ̃: