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Titre : Le Figaro. Supplément littéraire du dimanche

Éditeur : Le Figaro (Paris)

Date d'édition : 1906-02-10

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb343599097

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb343599097/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Description : 10 février 1906

Description : 1906/02/10 (Numéro 6).

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k2728474

Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-246

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 15/10/2007

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roi. Quand vînt la chute de la monarchie, après la journée du 10 Août, il ne jugea point que son rôle fût terminé, et il se refusa aussi bien à émigrer qu'à se faire oublier. Loin de. là, il.se dit qu'au milieu des agitatious.fitdes, troubles d'une révolution, dont la direction échappait à ceux qui en avaient été les promoteurs, il se présenterait sûrement des occasions favorables, des chances heureuses pour la causé à. laquelle il restait plus que jamais attache, et il fit partager à Marie Grandmaison ses résolutions et ses espérances.

A dater de ce moment, une existence nouvelle commence pour eux; la jeune femme envisage- sans peur les dangers qu'elle va courir avec le terrible conspirateur qu'est devenu son amant, et elle se dévoue, comme lui, corps et âme, à la lutte ..qu'il se dispose à entreprendre contre le gouvernement révolutionnaire. Quant à lui, tout en acceptant le dévouement de sa maîtresse, il juge inutile de la compromettre sans nécessité et, en cette même année 1792, il transporte la propriété de la maison de Charonne au citoyen Grandmaison, frère de Marie, par contrat passé par devant M6 Rousseau, notaire à Bel leville un bail-, également notarié, en assure la jouissance à la jeune femme. '•̃.

#*# ̃•

Ceci fait, le baron de Batz se jette dans la mêlée. On connaît ses tentatives hardies. Le 21 janvier 1793, près de la porte Saint-Denis, il se précipite, suivi de Devaux et de deux jeunes intrépides, sur le cortège qui mène Louis XVI au supplice, en criant « A nous, ceux qui veulent sauver leur roi » Aucune voix ne répond le coup est manqué etc'estàgrand'peine qu'il échappe aux gens lancés àsa poursuite. Au mois d'avril suivant, il organise un complot pour délivrer la reine prisonnière 'au Temple un hasard extraordinaire en livre le secret à la police quelques instants avantl'heure fixée pour l'exécution, et, cette fois encore, Batz n'a que le temps de fuir.

On le recherche, on le traque, mais il échappe toujours il trouve un asile sûr, soit à Charonne, soit rue de Ménars, dans -un logement voisin de celui de Marie Grandmaison, puis chez quelques-uns de ses plus courageux partisans, comme Roussel rue Helvétius (rue SainteAnne), ou Cortey, marchand épicier, rue de la Loi (rue Richelieu).

Il est sans cesse occupé à tramer quelques intrigues au mois d'août 1793, changeant de système, il songe à attaquer le régime qu'il exècre, non plus par. la force, mais par la corruption, et il prépare, avec l'aide de quatre députés, Delaunay dangers, Julien de Toulouse, Bazire et Chabot, un coup de Bourse sur les actions de la Compagnie des Indes,

destiné à lui procurer des complices influents et des sommes énormes. C'est dans un déjeuner donné à Charonne, dans la maison de l'Hermitage, qu'il réunit ses convives, auxquels il adjoint des hommes d'affaires, Sahuguet d'Espagnac, un ci-devant abbé, devenu « patriote employé aux fournitures », les frères Frey, banquiers autrichiens, etc. Marie Grandmaison préside la table elle a, de son côté, convié quelques femmes jeunes et aimables afin de donner à la réunion le' caractère- d'une fête joyeuse et de détourner ainsi l'attention des patriotes soupçonneux de Charonne. Cependant, ces intrigues parviennent, plus ou moins exactement rapportées, à fa connaissance du Comité de Sûreté générale, lequel, irrité d'être ainsi .bravé par cet infatigable et insaisissable conspirateur, excite contre lui le zèle des comités dé sections.

Batz, quand il est à Paris, loge de préférence dans le quartier des Filles-SaintThomas (actuellement-la Bourse), connu pour son esprit réactionnaire, et où il trouve plus de facilités pour se soustraire aux policiers chargés de l'arrêter. Le 30 septembre 1793, le Comité de surveillance révolutionnaire de la section Lepelletier, informé qu'on l'a récemment aperçu chez Cortey, donne l'ordre à son commissaire, Pierre-Nicolas Vergne, de faire une perquisition chez le marchand épicier.

A la nuit tombante, Vergne se rend rue de la Loi, pénètre dans la boutique, qu'il fouille avec soin, passe dans l'arrièrç-boutique, puis dans le legement particulier de l'épicier, que celui-ci, narquois, se fait un plaisir de lui montrer dans tous ses coins et recoins naturellement, le commissaire ne trouve rien et se retire fort dépité.

En se retrouvant dans la rue avec ses acolytes, Vergne se sent quelque honte à la pensée de revenir annoncer au Comité le piteux résultat de sa perquisition. Heureusement, il est au courant de la liaison de Batz avec l'actrice de la Comédie-Italienne et il a entendu parler de la petite maison de Charonne; l'idée lui vient que celui que l'on cherche à Paris passe peut-être très tranquillement la nuit, là-bas, auprès de Marie Grandmai- son. Si on allait l'y surprendre? Il est minuit, qu'importe? A cette heure, il dort sans doute l'on a plus de chances de pouvoir investir la maison sans qu'il s'en aperçoive, et, à la faveur des ténèbres, de mettre la main sur lui et sur quelques-uns de ses complices.

Quel beau coup de filet ce serait, et quelle revanche de la perquisition sans résultat de la rue de la Loi La perspective est bien tentante de plus, la nuit est belle. Après s'être concertés quelques instants, le commissaire et ses acolytes se .mettent en route; vers les trois heures du matin, ils arrivent à Cha-

ronne.

Vergne va aussitôt réveiller le maire, Jean Piprel, le procureur-syndic, Lazare Ligner, ainsi que le capitaine de la garde nationale et quelques-uns de ses hommes il les requiert de lui prêter main forte, puis la petite troupe, ainsi renforcée, se dirige sans bruit vers l'Hermitage, qu'elle investit sur les trois côtés longeant la voie publique, le quatrième étant continu au parc de Bagholet. Ces dispositions prises, Vergne frappe à la porte cpchère. Rien ne bouge dans la maison, qui semble profondément endormie. Il frappe encore toujours même silence à l'intérieur. Et cependant, il ne peut douter que la maison soit habitée. Que se passe-t-il? Il redouble les coups. Enfin, après une attente de dix à douze minutes, un pas se fait entendre sur le a-ravier, une clef tourne dans la serrure et un battant s'entr'ouvre; brusquement, Vergne s'élance, repousse l'individu qui a ouvert la porte, pénètre avec ses hommes dans W jardin et se précipite vers la maison. Sur le seuil paraît Marie Grandmaison. très calme, qui vient s'in-

former des motifs de cette invasion nocturne mais, sans s'attarder à lui parler, le commissaire parcourt toutes les pièces du logis, ouvre les armoires, fouille les lits. C'est en vain: il ne découvre pas celui qu'il cherche; Batz n'est pas là, ou, du moins, n'y est plus. Comment, par où a-t-il pu s'enfuir? Vergne ne sait, mais il n'en reste pas moins convaincu, ainsi qu'il le dit dans son procès-verbal, « qu'il existe dans ladite maison des individus qui ont disparu, tant par les formes des lits encore chauds que par les rapports des citoyens de garde qui ont vu dans le jardin un particulier vêtu d'une redingote blanche. »

Le particulier que contenait la redingote blanche, c'était Batz, qui avait mis à profit les dix ou douze minutes pendant lesquelles Vergne cognait contre la porte close, pour s'habiller en hâte, sauter par-dessus le' mur, d'ailleurs peu élevé qui sépare l'enclos de l'Hermitage du parc de Bagnolet, et, de là, gagner, à la faveur de la nuit, quelque asile sûr. Le commissaire, furieux de son double échec, et pour se consoler d'avoir manqué la capture du personnage principal, s'en prend aux personnages secondaires, et tout particulièrement à « la citoyenne Grandmaison, qui paraît être l'arc-boutant de la maison ». II procède alors à l'interrogatoire des personnes qui se trouvent là.

La domesticité se compose d'un jardinier, Claude Roblot; d'un cuisinier, Claude Rqllet, celui-là même qui est venu ouvrir, et qui donne, pour expliquer sa lenteur à le faire, oette raison « qu'il n'avait pas les clefs, lesquelles se trouvaient chez le serrurier » d'Anne Jouy, femme en journée, et de Marguerite Papillon, épouse Cotreau, femme de chambre. Tous ces gens interrogés sur le baron de Batz répondent qu'en effet ils le connaissent bien, qu'il vient à Charonne tous les quinze jours, plus souvent même, mais que ce jour-là personne ne l'a vu. On sent le mot d'ordre et les réponses concertées d'avance.

Le commissaire passe ensuite aux amis de la maison c'est d'abord le ci-devant marquis de la Guiche, .lequel raconte qu'il était parti la veille pour Paris, mais que « le temps trop noir» l'a fait revenir sur ses pas; il est rentré sans que personne l'ait vu, car « il a un passe-partout »; c'est Jean-Baptiste Dessabre, dit Marignan, un vieil acteur de la ComédieItalienne, lequel vient de temps en temps passer quelques jours chez sa camarade Grandmaison; la veille au soir, on a joué au trictrac, « il a fait la chouette », puis il a été se coucher vers dix heures c'est Sartiges, homme de lettres, qui confirme les dires de Marignan. Eux non plus n'ont pas aperçu Batz.

Quant à la citoyenne Grandmaison, elle commence par déclarer qu'elle est

_L_-

chez elle, occupant ta maison eu venu d'un bail notarié à elle consenti par son frère qui en est propriétaire. « Elle connaît le citoyen de Batz depuis longtemps, mais affirme que, si elle l'a vu dernièrement, il n'est pas venu à Charonne depuis huit à dix jours. » Vergne comprend qu'il est joué il ne sait trop quel parti prendre. Pour se tirer d'embarras, il se décide à arrêter tout le monde. Sur les portes des armoires, des chambres, etc., il appose les scellés, dont il confie la garde à deux citoyens du pays, deux vignerons à peu près illettrés, qui acceptent la mission de veiller sur l'Hermitage vide de ses habitants. Toutes ces diverses opérations ont duré une heure environ vers les quatre heures du matin, il repart pour Paris avec sa troupe et ses huit prisonniers, qu'il amène au Comité de surveillance de la rue Lepelletier, lequel envoie les cinq hommes à la Force et les trois femmes à Sainte-Pélagie.

Une chose étrange se passe alors; soit que Batz, grâce aux complicités que lui a créées un peu partout l'or qu'il répand à profusion, ait pu faire agir certaines influences, soit que l'affaire réduite à la capture de, quelques comparses ait paru perdre beaucoup de son importance, aucune suite n'y est alors donnée, et les prisonniers sont même relâchés Marie Grandmaison est libérée le 14 nivôse an II (4 janvier 1794). Elle ne retourne pas à Charonne, mais rentre dans son appartement.de la rue de Ménars, où elle pense se faire plus facilement oublier. Chaque jour qui passe, en effet, éloigne le souvenir de l'affaire dans laquelle elle a été compromise; déjà, elle peut se croire échappée au danger, lorsque, le 3 ventôse (21 février), un autre commissaire se présente chez elle et se livre, sous ses yeux, à une perquisition minutieuse de toutes les pièces de son appartement; il va jusqu'à faire décoller le papier en certaines places et sonder les murailles. Il ne découvre rien de suspect, il consigne la chose dans son procès-verbal, sur lequel Marie Babin- Grandmaison appose sa signature d'une belle et ferme écriture. Mais il ne l'en met pas moins en état d'arrestation et la conduit à la prison des Anglaises de la rue de Lourcme.

La situation est grave pour la pauvre femme, deux fois arrêtée à quelques semaines d'intervalle; cette mesure, qu'aucun acte nouveau de sa part n'a motivée, est un indice de l'intention où sont les pouvoirs publics de reprendre l'affaire étouffée une première fois, un indice également que les influences mises en œuvre par Batz sont devenues impuissantes à protéger ses complices. La lutte, en effet, va se poursuivre sans merci le 3 floréal. (22 avril), le Comité de Sûreté générale, trouvant l'accusateur public trop lent à agir, éprouve le besoin de stimuler son zèle « Le Comité t'enjoint de redoubler d'efforts pour découvrir l'infâme Batz, lui écrit-il. Répète qu'il est hors la loi, que sa tête est à prix, que son signalement est partout, qu'il ne peut 'échapper, que tout sera découvert et qu'il ny aura pas de grâce pour ceux qui, ayant pu l'indiquer, ne l'auront pas fait. »' 1

L'effet de ces injonctions ne tarde pas à se faire sentir; le 13 floréal (2 mai), Marie Grandmaison est transférée à Sainte-Pélagie. Bientôt, elle peut se rendre compte de l'acharnement déployé contre quiconque, de près ou de loin, est soupçonné de toucher à « l'infâme Batz », en se voyant donner pour compagne de captivité une jeune fille dont le crime consiste à avoir travaillé chez elle comme ouvrière à la journée, et à lui avoir quelquefois apporté à manger dans sa prison.

Cette jeune fille, âgée de dix-sept à dix-huit ans, c'est Nicole Bouchard; une

pauvre enfant abandonnée sur le pavé de Paris. Elle est si timide, si douce et si misérable, qu'elle inspire de la pitié au policier même chargé de l'arrêter. Ce policier, nommé Sénart, parle d'elle en ces termes, dans ses Mémoires « Elle n'avait d'autre bien que la modestie et le travail de ses doigts comme couturière. Je la trouvai dans un grabat, au septième, couchée sur un matelas et une paillasse, sans couchette; des haillons dans un panier d'osier, une table, une chaise, un tabouret, voilà tout ce que possédait cette malheureuse victime que rien dans les pièces ne présentait comme coupable ou suspecte! Mais Voulland, ce cruel extravagant, voulait sa mort, parce que, disait-il, elle portait à manger à la fille Grandmaison, et pour ce fait-là, disait l'hypocrite Louis du Bas Rhin elle ira l'accompagner. Je m'étais assuré de son innocence, parce que, par l'interrogatoire que je lui avais fait subir, je l'avais reconnue exacte et non suspecte ».

En même temps que Marie Grandmaison et Nicole Bouchard, d'autres complices de Batz ont été arrêtés Devaux, Roussel, Cortey, etc. Sans doute, on n'attend plus que la capture de « l'infâme » conspirateur pour les envoyer tous au tribunal, et, de là, à l'échafaud; des événements surviennent qui précipitent le dénouement.

Le 3 prairial (22 mai), un individu, nommé Admirai, tire un coup de pistolet sur Collot d'Herbois et le manque; le. lendemain, une jeune illuminée, Cécile Renault, se présente au domicile de Robespierre avec deux petits couteaux dans un panier; aussitôt le bruit se répand que la vie de tous les députés patriotes est menacée, et, le 26 prairial (14 juin), Elie Lacoste lit, à la tribune de a Convention, un rapport dans lequel il dénonce, en termes d'une violence inouïe, l'existence d'une formidable conspiration contre la République et ses meilleurs soutiens il y englobe, avec Admirai et Cécile Renault, un grand nombre de suspects, et la Convention vote, au milieu des applaudissements, un décret ordonnant au tribunal de juger, sans délai, tous ceux qu'elle lui désigne. L'accusateur public prend immédiatement sesréquisitions, et, troisjours après, amène devant le tribunal une fournée de cinquante-quatre accusés, parmi lesquels figurent Marie Grandmaison et Nicole Bouchard.

Avant même qu'ils soient jugés, le sort des cinquante-quatre est fixé; la veille du procès, le Comité de Salut public fait tenir au tribunal une note dans laquelle il dicte le réquisitoire, la réponse du jury et le jugement, car il y est dit que les accusés seront conduits au tribunal « pour être condamnés de-

main ». La note se termine par cette dernière recommandation « Surtout les faire mettre en robes rouges comme assassins des représentants du peuple. » Le lendemain, 29 prairial (17 juin), l'audience s'ouvre à dix heures du matin. Le tribunal est présidé par Dumas, facétieux personnage qui persifle les accusés et ne les laisse pas parler; l'accusateur public, c'est le substitut Liendon quant aux jurés, ils ont été choisis parmi les « solides », ceux qui condamnent toujours.

L'accusation est aussi terrible que vague; aucune articulation précise n'est portée contre ces cinquante-quatre individus, dont la plupart voient pour la première fois leurs prétendus complices; ils sont tous inculpés « d'avoir voulu par l'assassinat, la famine, l'introduction de faux assignats, la dépravation de la morale et de l'esprit public, le soulèvement des prisons, faire éclater la guerre, civile, dissoudre la représentation nationale, établir la royauté ou toute autre domination tyrannique. »

L'appel nominal fait, on procède à l'interrogatoire, qui se borne a une unique question le président demande à chaque accusé « s'il a participé à la conspira- tion ? » Seul, Admirai répond oui, encore que son acte isolé puisse malaisément passer pour une conspiration; les autres répondent non. Deux ou trois tentent un semblant de défense; brutalement, Dumas leur impose silence Vous n'avez pas la parole. A un autre.

Aucun témoin n'est cité. Les accusés n'ont pas de défenseurs; on leur a appliqué Ialoidu22prairial, dont l'article 16, rédigé sous l'inspiration de Couthon, porte que « la loi donne pour défenseurs aux patriotes calomniés des jurés patriotes elle n'en accorde point aux conspirateurs ». Il n'y a donc pas de débats ¡ l'accusateur public fait un bref réquisitoire, puis les j'urés se retirent pour délibérer. Ils reviennent bien vite avec un verdict général de culpabilité; le tribunal prononce la peine de mort contre les cinquante-quatre accusés. Le procès tout entier n'a pas duré trois heures, environ trois minutes par accusé.

Des cris, des vociférations s'élèvent alors quelques-uns protestènt, disant qu'ils n'ont pas été jugés. Dumas lève l'audience, et les gendarmes poussent les condamnés par un étroit escalier dans la salle du greffe, où doit se faire la toilette coupe des cheveux, échancrage des vêtements, etc.

Les malheureux, entassés dans cette pièce exiguë et jusque sur les marches de l'escalier, subissent l'interminable torture de ces funèbres apprêts. Enfin le moment est venu de partir; la longue file des charrettes préparées pour mener les victimes au supplice est là, dans la cour du Palais de Justice, et attend son chargement; déjà quelques-uns des condamnés ont été hissés sur les planches qui servent de bancs. Tout à coup, le greffier accourt et donne l'ordre de suspendre le départ.

Que se passe-t-il ? L'espoir renaît au cœur des maheureux qui se croient l'objet de quelque mesure de clémence. Il n'en est rien. D'une fenêtre du Palais, l'accusateur public, qui contemple l'affreux spectacle, vient de s'apercevoir que les condamnés n'ont point de « robes rouges »-, ainsi que le prescrit la lettre du Comité de Salut public. Quel oubli Il se préoccupe aussitôt de le faire réparer; de là-le contre-ordre envoyé pour suspendre le départ. Mais on n'a pas de robes rouges on court chercher chez un drapier voisin une pièce d'étoffe à grands coups de ciseaux, on y taille des espèces de sacs dont on affuble les condamnés. Alors seulement le signal est donné, et les charrettes se mettent en marche.

Beaucoup de temps a été ainsi perdu, et le cortège, précédé et suivi de canons,

encadré dans une troupe nombreuse de gendarmes, se dirige vers la place du Trône-Renversé (place de la Nation), où la guillotine est installée depuis trois jours; il n'y arrive que vers les sept heures du soir. Mais les journées sont longues à cette époque de l'année, et Sanson aura le temps de couper les cinquante-quatre têtes avant la nuit. D'après le procès-verbal d'exécution, Marie Grandmaison fut exécutée une des dernières, la cinquantième. On n'a aucun détail sur la façon dont elle subit son supplice; sans doute fut-elle aussi courageuse dans la mort qu'elle l'avait été dans la vie.

Quant à Nicole Bouchard, plus indifférente qu'étonnée de se trouver mêlée à toutes ces choses qu'elle ne cherchait même point à comprendre, elle montra, à cette heure suprême, une résignation et un sang-froid surprenants. Quand, après Marie Grandmaison, vint son tour de monter sur l'échafaud, elle gravit tranquillement les degrés ensanglantés, s'arrangea, se coucha elle-même sur la planche, puis, tandis qu'on lui passait les sangles, d'une voix douce, elle dit au bourreau

Monsieur, suis-je bien comme ça? Paul Gaulot.

CROQUIS JOE FA.RIS

+-

6, RUE

Encore huit jours. Dans huit jours, la porte grillée qu'on a tenue, depuis plusieurs semaines, si sévèrement close aux curiosités des passants s'ouvrira enfin; et il entrera il sera chez lui dans cette maison neuve à la grande fenêtre du premier étage, on verra sa petite barbe blanche apparaître entre les rideaux, et ses yeux bleus sourire aux gens d'en bas. Comment s'installera-t-il ? Qui l'amènera^ l'introduira dans ce logis nouveau ? Les habitants du quartier se sont posé la question. Ils ne savent pas. Personne ne sait. Mais déjà la façade est célèbre, et tous la connaissent.

Ils l'eussent souhaitée plus imposante ils lui trouvent l'air cossu, mais un peu bourgeois ce qu'ils n'aiment pas, surtout, c'est la boutique en deux parties L. Jacquemin aîné, Plomierie-Ga\-Electricitè dont le double étalage encadre, au-dessous de deux cariatides monumentales, la grille d'entrée. Par ces deux magasins, il semble que l'immeuble s'ouvre, se livre à tout le monde. Les gens du quartier eussent voulu leur Président plus à l'abri des contacts populaires, -plus « chez lui ». Je regarde, du bout de la rue, la maison. On la reconnaîtrait, sans en savoir la place, au mouvement de tête de chaque passant. Il n'y en a pas un qui, arrivé là, ne s'arrête quelques secondes, rêveur, le nez levé vers les rideaux neufs du « premiers. De temps en temps, un petit groupe se forme. Une personne qui n'est pas sûre que « ce soit là en interroge une autre. On consulte le garçon de la boucherie d'en face* qui mjY, lui, et daigne renseigner. 'Et j'entends « Pourquoi dans cette rue-ci? > C'est, en effet, un étrange décor un large bout de rue neuve, où des rideaux de fer couvrent çà et là les devantures de boutiques à louer. Tout près, la rue Galande, la masure louche du Petit Châtedu-Rouge, où « l'on loge à la nuit >; une ruine le vieil Hôtel-Dieu, la Seine. Et l'on s'étonne qu'il ait rapporté de sept années de souveraineté des goûts si simples. On admire, mais on s'étonne. C'est que nous ne sommes pas encore les purs républicains que nous croyons être instinctivement, héréditairement, nous gardons en nous la vénération des hiérarchies. Nous disons, en regardant cette façade de la rue Dante « Pourquoi pas? C'est un citoyen comme un autre. » Mais contre cette phrase apprise, un secret instinct proteste et nous sentons bien qu'il n'est pas un citoyen comme un autre; qu'il est quelque chose de mieux tout de même.

Et nous lui savons gré, faux démocrates que nous sommes, de faire comme s'il l'ignorait. Sauoeline,

-(. Sanceline.

.•̃ LETTRÉS

DU

Prince de Liechtenstein

i–

La France et l'Allemagne étaient en guerre, il y a un siècle. En se disputant la possession des bords du Rhin, les belligérants portaient, en Souabe, le théâtre de leurs exploits.

M. Edouard Gachot est l'historien de cette guerre. Il en a reconstitué jusqu'aux moindres événements. Dans son sixième tome d'« Histoire militaire », qui paraîtra la semaine prochaine, sous le titre Jourdan en Allemagne et Brune en Hollande, l'auteur des « Campa- gnes du maréchal Massénâ » a introduit les lettres inédites du prince de Liechtenstein. ta première publication de ces lettres nous a été réservée.

Maurice de Liechtenstein, d'une illustre famille, eut, dès son jeune âge, l'ambition dé servir à côté de l'archiduc Charles. Sa culture intellectuelle le faisait remarquer entre les adolescents que François II recevait à la cour d'Autriche. Sa mère, la princesse d'Œttingen-Spielberg, lui recommandait d'observer la conduite d'un Spartiate. Il avait, à quinze ans, pour livre de chevet, l'histoire des campagnes du grand Frédéric.

Ses désirs se réalisent en 1799. Nommé lieutenant-colonel au 2e régiment des huians, il va marcher au premier rang dans l'armée d'Allemagne et sa première lettre est datée des avant-postes de Waldsee, en duché de Wurtemberg.

Jourdan, commandant l'armée du Danube, avait cherché l'armée allemande en passant le Rhin devant Strasbourg dans la huit du 28 février au 1er mars, en marchant vers Ulm, en occupant, le 20 mars, une ligné tirée du lac de Constance à Tùbingùe, en poussant, le 21, la division Lefebvre vers Stuttgàrd.

L'archiduc Charles, venu de Bavière à marches forcées allait, avec 76.000 hommes, barrer à 38.000 Français le chemin de Vienne.

Des combats livrés en Soùàbè, le prince de Liechtenstein fait un historique simple et impartial.

Waldsee, le 14 mars 1799.

Il y a déjà quatre jours, bonne maman, que nous sommes ici très tranquilles. Nous avons fait des marchés incroyables et avons prévenu l'ennemi, car "nos postes avancés vont jusqu'à Stockach. Les ennemis, assez faibles de ce côté, ont déclaré qu'ils n'avaient pas

reçu l'ordre d'agir hostilement et comme nous n'en n'avons aucun, nous vivons en paix, sans toutefois se fier l'un à l'autre. Il paraît que le but de l'ennemi est de s'avancer sur la rive gauche du Danube, vers Ulm; voilà pourquoi il s'emploie à nous amuser ici pour se former et pénétrer eh même temps en Suisse. Nous sommes dans ce moment les plus forts. Notre avant-garde, que le lieutenant-général Nauendbrf commande, est forte de 22.000 hommes. Il y a Merveldt, Schwarzenberg et Piaseck avec les troupes légères en avant. Gyulay, O'Reilly, Roe et Bey sont du corps de réserve chargé de nous soutenir. L'archiduc est avec le gros de l'armée à Mindelheim. Hotze a réussi dans différentes attaques. Il a rouvert la communication entre ses troupes et celles d'Auffenberg, mais il a perdu beaucoup de monde, près de 1.000 hommes et trois canons le seul régiment de Stein a eu quatorze officiers tués ou blessés. Et la neige, dans ces montagnes, offre tant d'obstacles qu'il faut toujours employer la moitié de l'armée à s'ouvrir un chemin. La perte de l'ennemi est très considérable.

Je crains que si nous laissons trop de temps à l'ennemi de ce côté, il n'en profite pour nous chasser entièrement de la Suisse.

Le temps est encore bien mauvais il fait très froid; quelquefois, il neige et les chemins sont en mauvais état. Le régiment de Modène-Dragons a certainement fait un mauvais coup chez Hotze. On a mis le colonel et le lieutenant de Stein aux arrêts; apparemment qu'on leur fera un procès, ce qui vraiment est 'nécessaire, car la poltronnerie n'était pas assez punie chez nous. Schwarzenberg est porté comme perdu, car son adjudant qui est arrivé, il y a huit jours, nous l'avait annoncé pour le lendemain et il n'est pas encore venu.

L'archiduc Ferdinand doit avoir amené hier son fils au quartier général il fera la campagne avec nous, mais je ne sais pas si on le mettra à un régiment. Altshausen, le 18 mars.

Les Français ont attendu l'arrivée de Schwarzenberg pour ne plus du tout nous laisser de repos. Dans la célérité avec laquelle nous nous étions avancés, nous n'avions pas pris une vraie position militaire, mais nous avions garni beaucoup d'endroits à l'avance.

Depuis avant-hier, les Français sont arrivés à nous demander ces positions et nous étions obligés pour ne rien engager inutilement à les leur céder l'une après l'autre. Maintenant, nous avons notre vraie position et ne céderons plus rien que par la force.

Vous ne pouvez vous imaginer, ma chère maman, combien nous sommes fatigués. Toute la journée, on est à cheval et sur le qui-vive. Comme je commande la gauche des avant-postes de Schwarzenberg, je ne descends pas de cheval de toute la journée, étant chargé continuellement de reconnaître le terrain, de placer les postes et les piquets; j'ai mon régiment, deux bataillons et six canons.

Aujourd'hui, les Français n'ont plus rien demandé. Ils sont venus seulement en reconnaissance; mais comme j'en avais reçu l'ordre la nuit, je ne les ai plus laissés s'approcher et leur ai fait, déclarer qu'ils n'auraient plus rien que parla force et que s'ils revenaient on agirait hostilement, de sorte que nous sommes tout à fait en guerre.

Le terrain est horrible; rien que des bois et des marais la cavalerie ne peut rien faire pourvu que bientôt nous en sortions; j'espère tout le bien possible, car nous sommes rassemblés.

L'archiduc est arrivé aujourd'hui avec l'armée à Biberach. Si l'ennemi nous laisse demain en repos, je suis sûr qu'après demain nous l'attaquerons et le battrons, car il n'est pas très nombreux. Dieu sait comme je souhaite que nous attaquions. Maintenant, la fatigue est insoutenable. II faut être toute la journée à cheval sans boire ni manger et pendant la nuit pas une demi-heure de repos. Ce ne sont qu'ordres à donner et à recevoir avec cela, il fait un temps horrible. Vraiment, on gagne bien son pain aux avant-postes.

Mais c'est un plaisir de servir sous Schwarzenberg; il possède une activité et une intelligence incroyables; il voit tout par lui-même et fait des dispositions superbes. Vraiment, s'il ne devient pas un grand général, c'est que nous n'en voulons plus avoir.

Stockaeh, le 23 mars.

Nous sommes extrêmement fatigués, ma chère maman mais l'on ne sent rien quand tout va-bien, ce que vous ne vous imaginez pas facilement. Les succès de notre adorable archiduc sont bien beaux et bien brillants. Dieu veuille que cela aille toujours de même quoique la fatigue n'est presque pas à endurer. Le 20, l'ennemi a attaqué très inopiné- ment nos avant-postes. J'étais justement à visiter mes piquets quand le premier coup de pistolet, signal indiquant le commencement de la guerre, a été tiré par les Français. L'ennemi m'ayant attaqué assez vivement, je fus obligé de me retirer jusque derrière Hosskirch je l'ai fait aussi lentement que possible. Schwarzenberg avait pu, pendant ce temps, rassembler tout son monde qui consistait en deux divisions de notre régiment, un bataillon et six canons. L'ennemi nous était bien supérieur, surtout en infanterie, avec laquelle il essayait toujours de gagner nos flancs. Nous avons fait une belle résistance. Trois fois, nous avons perdu Hosskirch; connaissant l'importance de ce poste, si l'archiduc voulait déboucher le lendemain de ce côté, nous l'avons repris; c'est à Schwarzenberg seul que nous le devons, Car il s'est ̃ conduit à merveille.

L'affaire était chaude. J'ai perdu un officier tué, cinquante hommes et plus de soixante chevaux tués ou blessés, tous t du petit feu et du sabre, ayant chargé plus de six fois. L'affaire a duré jusque s dans la nuit, pendant laquelle, au lieu de dormir, j'ai dû placer les piquets. s Le lendemain, l'archiduc a attaqué la t position formidable d'Ostrach avec toute l'armée et l'a emportée. C'était l'une des plus belles affaires qu'on puisse voir. L'ennemi a perdu plus de 3.000 hommes. Notre perte n'est pas beaucoup moindre. Louis (1) était dans cette affaire, pour son début. J'ai vu passer son bataillon, mais je n'ai pu le voir, ayant dû passer bien vite avec le régiment qui ce jour-là 3 (i) Prince Louis de Liechtenstein, frère du co3 lonel des hulans.

n'a pas beaucoup perdu. L'affairé a duré jusqu'à la nuit, pendant laquelle il a fallu encore placer les piquets et être toujours dehors.

Vers. la première heure du matin, l'ennemi,a abandonné la position dé Pfullendorf. Nous l'avons poursuivi avec l'avant-garde, puis Schwarzenberg m'a détaché avec une division vers le lac de Constance pour inquiéter la retraite de Ferino mais je n'ai pu arriver à temps; je n'ai fait que douze prisonniers. A minuit, je suis revenu,et à cinq heures, les piquets ayant rapporté que l'ennemi avait abandonné Stockach, nous avons poussé jusque-là. C'est donc aujourd'hui pour la première, fois que j'ai bien mangé, que je dormirai, que j'ai pu me raser et changer de linge.

Demain, avant le point du jour, nous marcherons. Si cela continuait, nous ne pourrions plus l'endurer, car nous sommes tous les jours seize à dix-sept heures à cheval, sans que l'homme et le cheval aient à manger. La fatigue me fait du bien; je me porte à merveille, surtout quand tout va bien. Lefebvre est blessé. On dit que Jourdan est désespéré de ses revers.

Notre armée est pleine de courage et de bonne volonté. Elle ne se plaint point, malgré ses fatigues. La vie aux avantpostes est terrible; mais si on y souffre le double de ce que souffre l'armée, elle elle est bien instructive et amusante. J'ai toujours aimé mon régiment, mais à présent j'en suis fou. Les hommes sont d'une bravoure- à toute épreuve. Quant aux officiers, il faudrait chercher dans toute l'armée pour en trouver de pareils., Celui qui a été tué (le 20) allait pour la première fois au feu; il a été à côté de moi quand je menais son peloton à la charge.

̃ Singen,1 le 27 mariu

Un petit mot, ma bonne maman, seù* lement pour vous dire que je me, porté) bien et que je vis encore, malgré la fati-r. gue extrême et le feu continuel. J'ai déjà perdu dans ces huit jours cent quarante hommes et deux officiers. Je ne puis assez louer la bravoure et la qualité de notre régiment; il n'y a rien qu'on ne puisse faire avec lui cela fait bien de la peine de le voir fondre ainsi, car si cela continue, dans quinze jours, nous n'existerons plus. Aucune campagne n'a encore été aussi chaude.

Le 24, l'ennemi a attaqué tous nos avant-postes avec assez de force, mais surtout avec beaucoup d'opiniâtreté. Partout, on a été obligé de se retirer, mais le soir, chacun a repris sa position. L'affaire a duré depuis 6 heures du matin jusqu'à 7 du soir, sans discontinuer. Le 25, l'ennemi a attaqué sur tous les points avec toute son armée. L'affaire était terrible. Nous autres, qui étions à l'aile gauche, après avoir tenu aussi longtemps que possible, nous nous sommes retirés dans la position défensive de l'armée. Je crois avoir été assez utile en commandant l'arrière-garde de Schwarzenberg qui m'a remercié et présenté à l'archiduc. Mais je ne suis revenu qu'avec la moitié du monde que j'avais avec moi, ayant dû tenir pendant deux heures avec deux pelotons à la même place, sous un feu de canons, mitraille et obus comme je n'en verrai plus de sitôt. J'ai chargé six fois; il fallait le faire, sans cela, trois bataillons du régiment de l'archiduc, la moitié de mon régiment, le régiment de Vecsy et douze canons étaient coupés et ne seraient pas revenus. J'ai eu la garde cassée d'un coup de feu. Mais sur nôtre aile droite où l'ennemi avait porté sa principale force, cela allait bien plus mal. Les corps du prince de Fùrstenberg et de Merveld étaient tout à fait dispersés quand l'archiduc y est. allé. Arrêtant les fuyards, il a fait venir du secours; il a attaqué et battu l'ennemi après lui avoir tué et fait prisonnier beaucoup de monde. Mais le prince de Fùrstenberg et ce pauvre prince de, Anhalt-Bernbourg ont été tués. Notre perte est très co nsidérable.

Il est arrivé là quelque chose de bien beau et de bien rare,, c'est que les régiments de cuirassiers Mack et Nassau ont chargé un régiment de carabiniers et de dragons français; ils sont allés les uns contre les autres bien serrés et se sont donné le choc, ce qui dans. cette guerre n'était pas encore arrivé. Les deux régi-; ments français ont été entièrement sa-, brés.

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Stipsnz, qui est pres ue i aranuuu, s esu fort distingué en arrêtant les fuyards quand l'archiduc est arrivé. Le prince a montré son grand mécontentement aux autres généraux. Il faut avouer qu'il a fait des merveilles; la troupe n'a eu qu'à le voir pour le croire invincible et les généraux qui n'ont pas le désir de faire, leur devoir peuvent trembler, car il les traite aussi terriblement quand ils font mal qu'à merveille quand ils font bien. Hier, l'ennemi a essayé de nous amuser en tiraillant; notre épuisement ne nous a pas permis de l'attaquer. Pendant la nuit, il s'est retiré avec une précipita-,tion incroyable. Nous sommes à ses trousses, sans avoir pu l'atteindre. pemain, apparemment, nous le trouverons.

Quoique fatigué et abîmé, je vous as-* sure qu'on ne s'en ressent pas, parce que. tout va bien. Avec cela, je vous assure,. ma chère maman, qu'on peut s'estimer heureux de servir sous Schwarzenberg. Il est pourvu de bonnes manières, comme personne. Il deviendra un grand général s'il ne se fait pas tuer avant. i

Bonndorf, le 3 avril.

ïl y aura un mois demain, ma bonne maman, que nous menons la vie la plus difficile et la plus fatigante qu'il soitpos-' sible d'imaginer; c'est incroyable, tout ce que l'on a fait dans ce court espace de temps.

Cette campagne fera époque dans l'histoire elle comblera de gloire l'armée et son chef. Si l'archiduc était orgueilleux ou méchant, il jouirait du plus grand succès, car il a battu, seul, l'ennemi il a fait des merveilles on n'a jamais fait ce qu'il a fait, tandis que Béllegarde, à qui l'on attribuait les succès de l'année 1796, s'est laissé battre avec une armée consi- dérabîe et des troupes excellentes. Que de 50,000 hommes, il en ait déjà perdu 18,000, la plupart faits prisonniers, ce.qui indique bien les fautes du général, c'est ce que tous ceux qui le connaissent aussi bien que moi avaient prévu.

Nous sommes restés le 29 maï^s à Sin- gen le 30, nous sommes allés à Hilzingen. Nous étions avec la brigade Kienmayer qui formait les avant-postes assez considérables d'un corps qui, placé sous les ordres de Nauëndorf, était destiné a