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Titre : Le Figaro. Supplément littéraire du dimanche

Éditeur : Le Figaro (Paris)

Date d'édition : 1905-12-09

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb343599097

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb343599097/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Description : 09 décembre 1905

Description : 1905/12/09 (Numéro 2).

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k2728385

Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-246

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 15/10/2007

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Sommaire

1~

.JLa reine CHARLOTTE

DE SUÈDE Sur la Révolution française

Lettres inédites

jEANNiNE.i La grande vente Croquis de Paris

Alexandre Dumas fils Pensées

Comte STANISLAS Rze-

^wuskc.. Balzac et "la Cousine Bette"

'Louis Legendre ..i.. Déférence

Poésie

IjÛdovic Halévy Une maladresse Pages oubliées

André Beaunier « A travers les Revues J.DEFLANDREYSY. Les Vénus gréco-romaines

EDOUARD Fuster. L'Aide sociale G. Labadie-Lagrave Les voyages en l'an 2000 Pages étrangères

» » i

Page Jflusicale

GABRIEL Pierné La Coupe enchantée Opéra comique

L.A.

Reine Charlotte de Suède

ET

LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

̃̃' » i «

(LETTRES INÉDITES}

On va lire d'importants extraits du journal de la duchesse de Sudermanie qui fut plus tard reine de Suède et Norvège. Nous devons cette obligeante et précieuse communication au baron Bonde, l'un de nos plus anciens et de nos plus fidèles abonnés. Député au Parlement de Suède, grand seigneur,,

diplomate, ami des lettres, le, baron.

Bonde possède, dans son magnifique château d'Ericsberg, la bibliothèque particulière la plus riche et les archives privées les plus complètes du royaume. A son dernier passage à Paris, j'eus l'oceasion de m'entretenir avec le baron Bonde de ses travaux historiques; et c'est alors qu'il me promit de'donner au Figaro la primeur de documents relatifs à l'histoire de la Révolution française. Ce qui fait le prix de ces documents, c'est qu'on y voit reflétée, jour par jour, l'impression que l'Europe monarchique éprouvait aux nouvelles venues de Paris. Il est visible que la duchesse de Sudermanie consigne sans parti pris ce qu'elle entend dire autour d'elle.Elle est sincère et n'a pas le souci d'apprécier les événements avec originalité. Elle reflète les préoccupations de son entourage.Et voilà l'intérêt de ses confidences.

Le journal de la duchesse de Sudermanie apporte une contribution nouvelle à l'histoire de la fuite à Varennes, si ad- mirablement contée par mon éminent ami, G. Lenôtre. On savait que Fersen, en préparant la fuite de la famille royale, agissait-d'accord avec Gustave III, qui vint, de Stockholm jusqu'à Aix-la-Chapelle, pour suivre de plus près les événements. Le journal de la duchesse de Sudermanie fait ressortir très nettement le rôle politique de Fersen (lettres de juillet 1791 et d'avril 1793).Cet amoureux n'était pas seulement un amoureux. Ou, pour parler plus strictement, la politique et l'amour qui se contrarient parfois •=- s'accordaient dans le cœur de Fersen. La Révolution française mit la Suède dans une situation assez difficile. Ce pays avait des obligations envers la Russie, il en avait aussi envers la France. Il ne voulait se brouiller avec personne. A travers la France de Louis XVI, il voyait poindre une autre France qu'il faudrait ménager. Sans doute, le roi Gustave III eût aimé recommencer, pour le compte de l'Europe coalisée contre les révolutionnaires, la brillante équipée d'un Gustave-Adolphe contre l'Empire. Mais le duc de Sudermanie, futur Régent et futur Roi, avait des idées moins romantiques et plus sages.

Pour comble de complications et de subtilité, la Suède comptait, à Paris, deux représentants: Fersen, ministre in petto, qui gardait son titre en poche mais qui l'aurait montré si la Monarchie avait été rétablie et le baron de Staël, ambassadeur officiel, puis destitué à cause de son goût pour la Révolution et de ses amitiés parmi les révolutionnaires il était, comme on sait, le gendre de Necker. Mais avec ou sans titre public, émissaire secret ou ministre désavoué, ces deux Suédois agissaient, Fun pour sauver la famille royale, l'autre pour maintenir le contact entre son pays natal et la France nouvelle. ̃ On peut suivre, avec un peu d'attention, dans le journal de la duchesse de Sudermanie, ce jeu d'intrigues contradictoires. La Révolution triomphe. En une certaine mesure, il faut s'accommoder des faits accomplis pour ne pas tout perdre à la fois. Ce qui se passe en France inspire de l'horreur mais on pense qu'il faut y regarder à deux fois avant de jouer les Don Quichotte. La Révolution est horrible, mais elle est redoutable. FautTil s'y frotter ?

Et rien n'est plus significatif que ce début de la. lettre de janvier 1793 :« «Le

roi de Prusse a commis une grave faute en s'attirant une guerre avec la France. » C'étaittrois mois après Valmy. Si l'affaire eût autrement tourné, il n'y avait qu'un mot à changer « Quelle grande idée fut celle du roi de Prusse. etc.. etc. » E.L.

La reine Hedvig-Elisabeth-Charlotte, princesse de Holstein-Gottorp et épouse du roi Charles XIII de Suède et de Norvège, a laissé un journal,commencé à son arrivée en Suède comme duchesse de Sudermanie en 1775 et continué sans interruption jusque quelques mois avant sa mort comme reine douairière le 20 juin 1818. A ce journal, écrj^t en langue française, elle a donné la forme de lettres adressées à une de ses amies intimes, la comtesse Piper, sœur du comte Axel Fersen. Elle y décrit, mois par mois, ses impressions des événements du jour et des personnages de son entourage, faisant preuve d'une impartialité et d'une perspicacité étonnante. Ce journal qui, ainsi que tous ses papiers, suivant ses dispositions, a été remis à un des confidents de son époux, mon aïeul, le baron Bonde, se trouve actuellement dans les archives du château Eriesberg, en Suède, et je viens d'en commencer la publication en traduction suédoise. Deux volumes, se rapportant à l'année 1788,sont déjà parus et le troisième, finissant avec l'année 1792, paraîtra dans peu de temps. Quoique d'un intérêt tout particulier pour l'histoire de la Suède, il se trouve dans ce journal des aperçus de la politique extérieure qui, pour sûr,doivent intéresser un public étranger. Voilà pourquoi je tiens à offrir aux lecteurs du Figaro ces quelques extraits se référant à une des époques les plus importantesdes siècles derniers. Château Ericsberg, le 22 novembre 1905. Baron Bonde.

lettre du mois de janvier 1791 II paraît assez probable que le Roi compte prendre part à la querelle française et aux troubles qui pour le moment agitent ce royaume, quoique la Suède ne doit nullement avoir de grands intérêts de s'en mêler; elle devrait plutôt porter son attention sur ce qui regarde ses voisins; tant à cause de sa propre sûreté que pour les avantages à rapporter par l'affaiblissement d'un Etat voisin et même peut-être rival. De se mêler dans les affaires d'un royaume aussi éloigné qué la France ne» convient nullement à un cabinet sage et prudent; mais voilà justement ce qui flatte le Roi qui, regardant l'état où se trouve le roi de France comme la querelle de tous les rois, veut venger son frère des insultes de l'Assemblée nationale. Ce projet parait en vérité bien mal combiné et fera peut-être le malheur de la Suède, vu l'éloignement des lieux et l'état des finances du royaume délabrées par une guerre coûteuse et nouvellement finie. Il vaudrait bien mieux, pour sûr, de rester tranquille en cherchant à réparer ces mêmes finances et plutôt profiter des sottises des autres que de s'attirer de nouveaux embarras; mais, comme je viens de le dire, c'est l'ambition qui tourmente le Roi et le pousse à vouloir suivre l'exemple de Gustave-Adolphe, qui prit part à la querelle qui divisait l'Allemagne.

Lettre du mois de mars 1791

Il parait cependant très certain que le Roi doit avoir quelques projets, qui vont se dévoiler vers le commencement du printemps; il travaille beaucoup et tient surtout souvent des conseils militaires. Le désir qu'il affiche lui-même de vouloir faire ce printemps un voyage à Spa -pour sa santé prouve aussi qu'il doit avoir des desseins cachés, car si c'était vraiment son intention, il n'en parlerait point. On a même, sous main, fait courir le bruit qu'il avait l'intention de se-liguer avec le parti des mécontents en France pour faire rentrer le roi de France dans les droits que l'Assemblée nationale lui a dérobés. Ce bruit fut, du reste, confirmé par l'arrivée de deux Français du parti des mécontents qui ont été reçus par le Roi avec infiniment de politesse il les a souvent vus chez lui, leur parlant beaucoup en secret. Quelques phrases à sens voilé dites par lui contribuèrent aussi à faire croire que le Roi avait des vues de ce côté. ̃̃̃•

Lettre du mois d'avril 1791

Le voyage du Roi paraît maintenant très probable, mais le bruit, qu'on a débité, qu'il voulait engager le duc à le suivre, est très peu fondé. Quel que soit le but de ce voyage, si ce n'est réellement que pour son plaisir, ou si le Roi a des vues secrètes par rapport à la France, ce qui est certain c'est qu'il serait enchanté de pouvoir, s'il en avait les moyens, envoyer une armée en France pour rétablir le roi de France et porter à l'Assemblée nationale un coup dont elle ne se relèverait point.

Lettre du mois de mai 1791

Pour le moment, entièrement occupé des affaires de la France,leRoi est charmé de pouvoir garder la bonne intelligence qui existe entre nous et la Russie. On dit qu'il désire opérer une contre-révolution en France, mais peut-être ne sera-t-il pas aussi heureux dans un autre pays que dans le sien.Tous lés papiers publics le déchirent; il y en a même qui l'appellent le Don Quichotte des rois en ajoutant que, voulant suivre les traces de Gustave-Adolphe et de Charles XII, dont jusqu'ici il a cherché à imiter l'exemple, il finira comme Cartouche. Malgré tout ce que l'on peut écrire contre lui, je suis certain qu'il. poursuivra son projet. On prend ici toutes les mesures nécessaires

pour aider la France sous main, on met l'armée sur pied et la flotte se répare également. On vient même d'envoyer un officier de fortune en France pour seprocurer des cartes particulières de ce pays. Comme, cependant, le roi de France est d'un caractère extrêmement faible, il reste à savoir si, même avec les meilleures volontés du monde, on pourra lui être utile. Pour un pays aussi éloigné que la Suède, c'est, d'ailleurs, toujours une folie, qui ne pourra qu'entraîner sa ruine totale quoique nullement remuante, la nation ne saura point voir avec tranquillité une nouvelle guerre éclore et l'on ne pourra pas, comme l'on fit à la dernière guerre, lui faire accroire à une attaque, les lieux sont, cette fois. trop éloignés. On murmure déjà tout bas dans les provinces de ce que le Roi soit parti pourAix-la-Chapelle,mais le peuple se tait étant donné le prétexte de la santé du Roi; même on prie dans toutes les églises pour son rétablissement. Ainsi le peuple abusé élève son cœur vers le ciel les personnes plus instruites considèrent comme un sacrilège que de jouer ainsi la comédie avec la divinité, mais les personnes moins religieuses s'en moquent et tournent le tout en ridicule. Lettre du mois de juillet 1791

Les événements ont prouvé que je n'avais nullement tort en vous avançant, le mois dernier, que le véritable but du voyage du •Roi à Aix-la-Chapelle devait être d'opérer une contre-révolution en France. Ce fut au commencement de ce mois que le roi de France s'est éloigné de Paris; le comte Fersen, fils du sénateur, qui fut mis en prison pendant la dernière Diète, était le premier mobile de de cette fuite; ce fut lui qui fit faire la voiture et il accompagna le Roi enroute. C'était du reste par ordre de notre Roi qu'il agissait. Malheureusement cette fuite ne réussit pas aussi bien que l'on avait espéré. La Reine était dans la ber- line avec ses enfants, leur gouvernante et Madame Elisabeth, le Roi courait devant comme postillon trois gardes du corps de confiance étaient sur le siège de la voiture déguisés en laquais. A sept lieues de Paris, le Roi fut fatigué et se mit dans la voiture, mais comme les stores n'en étaient point baissés, on le reconnut à Menehould. Il poursuivit cependant sa route jusqu'à Varennes, où il fut repris. Le comte Fersen fut heureusement sauvé ayant quitté le Roi pour une commission spéciale de rejoindre Monsieur, qui avait pris une autre route. L'affaire manquée, notre Roi doit-en être au désespoir et avoir l'intention de revenir le plus tôt possible, n'ayant plus rien à faire de ce côté. Armfeft, qui ne sait jamais se taire, n'a pas manqué de faire part à plusieurs personnes des circonstances les plus secrètes ayant rapport à la fuite du roi de France. Il m'a assuré que le voyage du Roi n'était que pour cette raison. Pour moi, ce n'était point une nouvelle, car je m'en doutais mais que le roi d'Espagne eût offert au Roi d'être le premier mobile de la contre-révolution et de commander lui-même les troupes, voilà une nouvelle que le secret des cabinets seul pouvait dévoiler. Cette offre doit cependant être très vraie; le roi d'Espagne veut bien donner de l'argent, mais pas de troupes. Jusqu'ici l'Empereur ne s'est point déclaré, mais il doit avoir promis à sa sœur la reine de France de venir à son secours,. s'il lui est possible. Depuis que le roi de France vient d'être arrêté et ainsi que sa famille ramené comme prisonnier à Paris, les puissances intéressées ont profité de l'occasion pour déclarer leur intention -d'agir offensivement afin de lui procurer la liberté, puisque n'étant pas libre il ne peut lui-même décider de rien. On dit même qu'une ligue consistante des rois de Sardaigne, d'Espagne et de Prusse, de l'Impératrice et de nous doit se former pour rétablir le roi de France dans ses droits: reste à savoir si toutes ces puissances pourront convenir ensemble, chacun ayant son propre intérêt il est cependant fort à craindre que la France en sera la partie souffrante. Ce sont les princes frères du Roi qui, présentement, s'occupent des négociations avec les puissances. Pour un citoyen bien pensant et attaché à sa patrie, ça doit, à vrai dire, être fort désagréable d'y amener des troupes étrangères, mais la guerre civile étant le seul remède aux troubles et aux désordres journellement augmentant de la France, il leur est impossible, même avec les meilleures intentions du monde, de ne rien entreprendre sans avoir des alliés et une armée pour se seconder. Leur situation, quoique glorieuse elle puisse devenir avec le temps, est pour sûr très délicate, car on pourrait du reste les accuser de vouloir usurper le pouvoir légitime et la couronne de leur frère, qui lui est due par le droit incontestable d'aînesse.

On suppose que M. de Saint-Priest, ancien ministre du roi de France, qui vient d'arriver ici peu de jours après qu'on sut la nouvelle de l'évasion manquée du roi de France, doit avoir quelque mission secrète. Il a toujours été contraire aux intentions de l'Assemblée nationale et fut nommé ambassadeur ici après avoir donné sa démission comme ministre. Les soupçons de l'existence d'une telle mission furent augmentés par la déclaration qu'il fit, dès son arrivée, qu'il ne comptait rester que peu de temps à Stockholm, mais y revenir après avoir fait avant l'hiver une tournée en Russie. II paraît donc assez probable qu'il cherche un appui pour le Roi son maître non seulement chez l'Impératrice, mais aussi chez notre Roi.

C'est bien vrai qu'il y avait de grands abus dans le gouvernement français, mais l'anarchie qu'a amenée la révolution est bien pire encore. Ce pays qui, jadis, donnait des lois à la moitié de l'Europe, en sera totalement ruiné pour des années, et ne pourra qu'avec beaucoup de peine s'en relever y il lui faudra

surtout des siècles pour rétablir ses finances, dont l'état est affreux.

Lettre du mois d'août 1791

Le retour du Roi n'a pas tardé. Sa Majestéest arrivéeun des premiers jours de ce mois, très irritée contre la Révolution française et ne désirant que de pouvoir venger les insultes faites dans ce pays à l'autorité royale. A l'en croire, nous aurons la guerre déjà avant l'hiver, et la ligue ente les puissances, dont je vous ai parlé dans ma précédente lettre, va selon toutes les apparences se former. C'est l'Empereur qui sonne le tocsin pour les engager à venir au secours du roi de France. C'est dans le courant de ce mois que l'on va présenter la nouvelle Constitution au monarque français, niais étant prisonnier son acceptation sera, à ce que l'on croit, regardée comme nulle par les puissances dont il a réclamé le secours. Une lettre circulaire que l'Enipereurvient d'adresser aux puissances ci-dessus mentionnées prouve ses véritables intentions. Il les y invite à prendre part à la contre-révolution pour venger les injures faites à la royauté,laissant, si la voie des négociations reste insuffisante, au sort des armes à décider entre le .roi et l'Assemblée nationale. Les puissances qui y prendront la plus vive part seront probablement la Russie et notre Roi mais si ce dernier en sortira glorieusement je serais vraiment surprise. La haine que l'on porte contre lui en France est terrible et toutes les gazettes sont remplies de sarcasmes. Une seule tirade de la Chronique de ,Paris du 16 mai prouve combien il peut risquer en poursuivant son projet d'aller lui-même venger la querelle du roi de France il y est surnommé l'aventurier du Nord, le monarque aventurier et le Don Quichotte des Rois et on l'y avertit de prendre bien garde à soi, puisqu'il risque non seulement d'être maltraité mais aussi sa vie. On y ajoute qu'il serait vraiment fort désagréable de commencer comme Alexandre ou Charles XII pour finir comme un Cartouche ou un Mandrin. Les aristocrates, au contraire, en voyant son zèle et sa colère contre les procédés de l'Assemblée nationale, espèrent qu'il pourra leur être utile par son génie incontestable surtout on tout ce qui s'appelle intrigue; mais connaissant son manque de bonne foi, on le craint en même temps, et tout l'encens qu'on lui a prodigué pendant son 'dernier voyage n'était que de la flatterie, car les Français, qui sont d'un naturel courtisan, aiment, flatter.

Le séjour ici de M. de Saint-Priest ainsi que l'arrivée prochaine d'un baron d'Escard, qui vient de la part des princes, confirment assez les plans vastes qui se trament; reste à savoir s'ils pourront être exécutés. Je crois cependant que le Roi risque beaucoup lui-même si réellement il a le dessein de secourir le roi de France, car le mécontentement de voir de nouveau éclater une guerre sera général dans le pays. C'est surtout le petit peuple qui en murmure.

Lettre du mois de septembre 1791 Tout paraît de plus en plus- prendre forme au sujet des affaires de la France et l'arrivée du baron d'Escard en paraît hâter le moment. Depuis quelque temps un bruit s'est répandu que Monsieur serait nommé régent et le comte d'Artois généralissime des troupes; mais ni l'un ni l'autre n'a jusqu'ici déployé son caractère. Ils font cependant tout au monde pour engager les puissances étrangères à venir à leurs secours. Le rôle que jouent ces princes est assez singulier de vouloir secourir leur frère. C'est aussi louable que beau mais en attirant des troupes étrangères dans leur patrie, ils peuvent être cause d'une guerre civile, ce qui est toujours la ruine d'un pays. D'ailleurs, il peut être certain qu'aucune puissance ne prend fait et cause pour une querelle de cette nature que dans son propre intérêt, et si une puissance y gagne, il faut bien qu'une autre doive y perdre, ce qui ne peut nullement être à l'avantage de la France. Il leur faut vraiment toute la routine imaginable pour s'en tirer à l'avantage de leur patrie, et ce serait un chef-d'œuvre de politique que d'obtenir le secours des puissances sans les laisser trop en profiter. Lettre du mois de novembre 1791 Il paraît, maintenant, tout à fait décidé que la guerre avec la France n'aura lieu qu'au printemps, et jusqu'alors bien des événements peuvent arriver. On parle surtout d'une Diète qui pourrait porter de grands changements dans tout ce qui nous regarde.

Le Roi est, pour le moment, très occupé des affaires de la France. Ce sont l'Impératrice et lui qui font le plus de bruit sur cet article. Ils désapprouvent complètement la conduite del'Empereur, qui ne paraît plus vouloir se mêler de la contre-révolution, quoique ce fût lui qui, le premier, les engagea à former une ligue commune. Les émigrations continuent, et même des familles bourgeoises quittent la France pour éviter le joug de l'Assemblée nationale, qui ne peut nullement arrêter les désordres. L'anarchie continue et leur roi n'est regardé que comme une bûche de bois, un rien auquel on fait signer tout ce que l'on veut. On profite de sa faiblesse. Mais que peut-il bien faire quand on lui met le couteau sur la gorge ? Ses frères et les émigrés le regardent toujours comme prisonnier, mais des lettres paraissent tous les jours de sa part, contresignées de ses ministres et critiquant leurs action's, les exhortant à rentrer en France et accepter la Constitution; ces lettres leur donnent des démentis et devraient bien témoigner qu'il est libre, quoique au fond le plus pauvre et le plus malheureux de ses sujets l'est bien plus que lui. Ces princes sont entrés en négociations avec toutes les^uissances, surtout

celles du Nord, pour les engager à venir à leur secours. Si les puissances voisines y ont quelque chose à gagner, celles du Nord, au contraire, n'ont aucune raison de s'y mêler, et ça ne peut être que l'orgueil seul qui engage un souverain à chercher à se faire un nom dans l'histoire comme ayant secouru un roi de France, jadis regardé comme un des plus puissants princes de l'Europe. S'il réussit, il aura, c'est vrai, un grand nom; mais, dans le cas contraire, il paraîtra un Don Quichotte à la risée de l'Europe contemporaine et à l'avenir. Sacrifier ainsi son peuple pour sa propre gloire, c'est une chose criante, mais voilà ce que font trop souvent les souverains. Lettre du mois de décembre 1791 Je suis sûre que, s'il lui est possible, le Roi fera marcher ses troupes vers le printemps mais, selon l'avis de tous les gens raisonnables, une guerre en France donnera le coup de grâce à la Suède et sera le dernier sceau à la ruine totale de ce pays, qui ne pourra de longtemps se relever du choc que lui a causé les trois annéesde guerre.Le Roi,cependant,s'imagine y trouver le Pérou et pouvoir tirer de réels avantages d'une telle entreprise; mais il sera sans doute instruit du mécontentement de ses sujets à cet égard pendant la prochaine Diète. Malgré tous les conseils donnés par le Roi et toutes ses intrigues, il n'y a point eu, jusqu'ici, de changement dans les affaires de la France, et le bruit concernant une contre-révolution, dont j'ai fait mention plus haut, vient d'être démenti. Lettre du mois de janvier 1792

En France, l'anarchie continue tou- jours. Les émigrés, ayant à leur tête les frères du Roi et deux princes du sang, quoique sans argent, forment de vastes projets de contre-révolution; leur situation commence cependant à devenir épineuse, puisque les princes allemands, à la suite des mesures prises par l'Assemblée nationale, ne veulent plus permettre de rassemblements, ni des émigrés ni de leurs troupes. Ce qui les soutient, ce sont les promesses des puissances du Nord. L'Impératrice agit auprès de l'Empereur pour qu'il se déclare, mais on ignore si les troupes qu'il fait marcher vers le Brabant ne sont destinées que pour arrêter les troubles ou si c'est pour venir au secours des émigrés français. Lettre du mois d'avril 1792

Taube paraît avoir acquit entièrement la cbnfiance du duc pour ce qui concerne les affaires politiques, et son désir est, à ce que je crois, de poursuivre, s'il "est possible, les plans du feu Roi d'envoyer des troupes au secours du roi de Frànee contre l'Assemblée nationale mais le duc cherchera pour sûr d'éviter une intervention armée, si nos traités avec la Russie ne l'y forcent pas malgré lui en cas d'une déclaration de cette puissance. Tandis que Taube, aveuglé par son amitié pour le feu Roi (1), veut continuer ses principes et faire jouer un rôle à la Suède, le duc, au contraire, non seulement ne connaît que trop bien les sentiments de la nation et nos ressources insuffisantes, mais il est aussi retenu par un sentiment religieux fort respectable craignant d'avoir du sang sur sa conscience. Ayant fait la guerre luimême, sa réputation est faite à cet égard et il en connaît les calamités; et les avantages qu'on peut en retirer ne sont nullement à comparer au mal qui résulte d'une guerremalheureuse. Lettre du mois de mai 1792

Les intrigues concernant les affaires de la France continuent toujours et c'est surtout Taube, comme je l'ai déjà remarqué, qui cherche à fàire entrer le duc dans les projets du feu Roi en faveur des émigrés; le public l'accuse d'avoir reçu des promesses d'une forte récompense s'il réussit à faire armer la Suède. Il accuse M. de Staël, qui a été ambassadeur de Suède en France, d'être contraire aux principes aristocratiques, ayant épousé la fille de M. Necker, un démocrate enragé. On a déjà cherché à le perdre dans l'esprit du feu Roi, mais le duc ne se laisse pas duper par les mensonges que l'on débite à son sujet. C'est bien possible que M. de Staël ne soit point aristocrate à un tel point de vouloir engager sa patrie dans une guerre coûteuse, qui ne peut lui être d'aucun profit, mais qui nous replongera peut être dans ces temps malheureux dont nous venons de sortir, pour faire finir le duc aussi tristement que le feu Roi. On ne peut, en effet, se faire aucune illusion à cet égard la nation, depuis le paysan jusqu'au premier gentilhomme, ne veut nullement voir éclore une nouvelle guerre dont l'heureuse issue est plus que douteuse. Les nouvelles qui nous arrivent sont vraiment de nature à pouvoir inquiéter le duc. On sait que depuis le milieu de ce mois l'Empereur est en guerre avec la France, une guerre que lui a déclarée l'Assemblée nationale. Le roi de Prusse et le roi de Sardaigne peut-être serontils bientôt dans le m,ême cas, ne voulant point reconnaître ou accepter la nouvelle Constitution française.Je crois cependant, pour sûr, que le duc sera le dernier à prendre part à cette guerre, qui de tous les côtés éclate contre là France. Lettre du mois de juillet 1792

Il paraît que c'est dans l'intérêt de la Russie que d'entraîner le duc à prendre part à la guerre contré la France afin de replacer le roi Louis XVI sur. Fantique

(1) Gustava III venait. de mourir le- 39 macs, après l'attentat dont il avait été victime' dans un bai masqué, et le duc de Sudermanie dont la femme écrivait les lettres que nous publions était devenu régent de Suède, en attendant de régner à son tour sous le nom dé Charles XIII..

trhone de ses ancêtres, et l'ambassadeur de Russie, qui vient de déployer son caractère dans le courant de ce mois-ci, a demandé 'une réponse positive; après avoir longtemps tardé à la donner, le duc a enfin répondu, qu'il lui faudrait une somme considérable en indemnité vu les risques qu'il courait en s'absentant de son pays et d'en faire sortir des troupes à cause des troubles qu'il avait eu si nouvellement à redouter à l'intérieur de son royaume, et que son intention était donc à rester neutre. Le comte Stackelberg ne parut nullement content d'une telle réponse.

Je viens d'apprendre une anecdote assez extraordinaire, que je ne dois nullement omettre de vous raconter. L'Assemblée nationale avait proposé au feu Roi de lui céder l'île de Saint-Eustache et de lui donner quelques millions par an en subsides,à condition qu'il ne se mêlât point dans la querelle et qu'il abandonnât le parti des princes et des émigrés. Le Roi rejeta cette proposition croyant probablement avoir plus à gagner en prenant parti pour la bonne cause; si c'était plus noble, c'était pour sûr moins politique et très peu avantageux pour la Suède, qui aurait eu bien plus à gagner par un tel arrangement que par une guerre désastreuse pour le pays. Lettre du mois de septembre 1792 L'envoyé de l'Assemblée nationale dont je vous ai déjà parlé et qui est arrivé ici l'été dernier vient de partir tout d'un coup. Il n'a nullement été renvoyé, mais ne pouvant parvenir à son but et entrer en négociations avec le duc et son ministère, il a pris le parti de retourner dans sa patrie. On tenait les yeux sur lui et la police avait ordre d'être très vigilante à l'égard de tout ce qu'il faisait; mais, malgré tout cela, on soutient qu'il avait de fortes intelligences et qu'il avait même formé un club de jacobins. à Stockholm, et l'on a, du reste, débité le bruit que le duc aurait, pour cette raison, fait entendre à M. de Verninac qu'il ferait mieux de se retirer que de s'exposer à quelque mauvais compliment, ce qui, cependant, est complètement faux. Il se peut bien qu'il se trouve ici des personnes qui prêchent les principes jacobins et qui ont la frénésie de vouloir les répandre, ce qui pourra devenir dangereux avec le temps, mais j'espère qu'une administration sage en saura arrêter les .effets.. :̃̃'

Si les Français seront réduits à plier sous les armées combinées du roi de Prusse et de l'Empereur, commandées^ par un général d'une renommée aussi éprouvée que celle du duc de Brunswick, on peut. espér6r que ces idées frénétiques seront un peu modérées et que l'on pourra, en faveur de cette malheureuse famille des Bourbons, du moins en partie, rétablir cette monarchie, qui semble.être aux-portes de sa ruine. Si le feu Roi vivait encore, il aurait pour sûr, par ses lumières et son vaste génie incontestable, su accélérer les négociations et parvenir à son but; mais, présentement, il n'y a aucun homme à la tête capable de rétablir l'équilibre de la France entièrement perdu pour l'Europe. Le roi de Prusse n'est nullement le même génie que son oncle et l'Empereur est trop jeune pour avoir de l'expérience; le duc de Brunswick, quoique excellent général, n'entend rien aux négociations, de sorte que cette malheureuse famille et la France n'ont rien à espérer si les armes se montrent insuffisantes. Lettre du mois de janvier 1793

Le roi de Prusse a commis une grave faute en s'attirant une guerre avec la France, au lieu de laisser ce pays s'entre-déchirer dans son propre sein; cette guerre pourra bien lui être plus nuisible- qu'utile.Ça devait être la guerre des rois, mais peut-être que ces principes de la liberté n'auraient point été aussi répandus, si les puissances étrangères n'avaient pas voulu les combattre; ça se voit souvent, qu'un petit feu devient plus fort quand le vent souffle dessus; en voulant sauver leur patrie, les princes et les émigrés lui ont.attiré les plus grands malheurs.

En cherchant,par amour de la parenté, à venir au secours du roi de France, l'Empereur n'a fait que le perdre et il.a donné par là au parti démocratique une nouvelle consistance d'établir sous le nom de patriotisme plus que jamais cette liberté frénétique. Ce qu'a gagné à. cette guerre le roi de Prusse, ce sont des finances délabrées, et l'Empereur a perdu une de ses plus belles provinces.Animés par les principes français, les habitants du Brabant ont secoué le joug pour former une province à part ou peut-être une province française. Les autres Etats de l'Empereur semblent, jusqu'ici du moins, rester tranquilles; mais dans ceux du roi de Prusse, au contraire, les principes de la liberté paraissent prendre racine, tous les Etats de l'Allemagne en sont plus ou moins affectés. Liège s'est complètement déclaré et ne sera bientôt qu'une province française. Voilà ce qui est le résultat de cette malheureuse expédition pour sauver le roi de France et qui, du reste, a fait perdre au duc de Brunswick la réputation de grand général qu'il s'était acquise pendant la guerre de Sept Ans. Lettre du mois de février 1793 C'est comblée de douleur que je vous écris, car en apprenant la terrible nouvelle de la mort de Louis XVI décapité sur la place Louis-XV par ses implacables bourreaux, on ne peut que déplorer d'être née dans un siècle aussi affreux que le .nôtre. Voilà le second roi qui, 'dans le, courant d'une année, vient d'être assassiné par ses propres sujets, et c'est la Suède qui en donna l'exemple. Peut- être lafin de l'empereur Léopold,qui mourut le printemps dernier après avoir êSA