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Titre : Le Figaro. Supplément littéraire du dimanche

Éditeur : Le Figaro (Paris)

Date d'édition : 1887-09-10

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb343599097

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb343599097/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Description : 10 septembre 1887

Description : 1887/09/10 (Numéro 37).

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k2724064

Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-246

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 15/10/2007

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SOMMAIRE DU SUPPLÉMENT Jules Lebmina. Le Pommier.

Histoires incroyables.

Adélaïde RiSTORl. Comment je devins tragédien*1©'

· Mémoires inédits.

Maurice Moktêgut. Soir de banlieue. Chapitra d'une Vie

d'artiste.

Roumanille Le Joueur.

Conte provençal.

Earvet ,4». Boïeldieu et la Dame Blanche.

•Lb Rstiewer A travers les Revues étrangères.

Les Revuesitaliennes.

Mari» Sermet. De Triesta à Corfou. Autour du monde.

Bulletin hebdomadaire de La Financière.

HISTOIRES INCROYABLES

LE POMMIER Ce n'était pas un méchant garçon que Jacques un peu vif seulement et résis'tant difficilement à son premier mouvement. Etudiant en droit, très travailleur, philosophe imbu de Schopenhauer, il menait la vie dure, manquant d'argent, donnant des leçons, bref, mangeant cette vache que nulle inoculation n'a pu préserver encore de la rage. Ce n'était pas un méchant garçon, au fond. Mais le fardeau commençait à lui sembler très lourd, et, parfois; il avait des révoltes qui pouvaient, à l'occasion, ainsi qu'on va le voir- l'entraîner un peu trop loin.

Un samedi d'été, l'estomac et la bourse vides, rageànt à la pensée de cer taine partie projetée -pour le lendemain et à laquelle-ll ne pourrait prendre part faute 1~ d'argent, il se mit à marcher à travers Paris, piquant droit devant lui, franchit les faubourgs et finalement, à huit heu- res 'du soir, se trouva dans la plaine d'Aubervilliers, sur une route longue et nue, ligne de craie dans le noir.

Alors, malechance insigne, de grosses gouttes de pluie commencèrent à tomber, en même temps que le tonnerre rauquait. Jacques n'était pas un poltron, n'avait pas de préjugés efse souciait fort peu de la foudre, mais beaucoup plus de la pluie qui transperçait ses habits, précieux au point de vue budgétaire, et sa peau, frêle défense contre la pneumonie. Point d'abri; à droite comme à gauche de la route, la plaine profonde et nue. Enfin, par bonheur, un arbre, un seul, un pommier, légèrement penché, un bon diable de pommier qui ressemblait à un homme ivre, ayant son chapeau sur l'oreille. Jacques lui adressa un petit salut et se blottit sous les branches. L'orage redoublait:, évidemment Jacques, qui n'était pas un méchant garçon, se sentait pourtant exaspéré contre le sort. Ces choses n'arrivaient qu'à lui. La nature lui en voulait. Il brandit son poing vers les ténèbres où la pluie mettait des raies d'acier, ainsi qu'on le voit au théâtre.

#*#

Brrr! 1 Brrr 1 quel chien de temps! 1 et un second personnage vint, tout grognant, se coller- contre le tronc du 'pommier, le dos tourné à l'encontre de Jacques qu'il n'avait pas vu. Celui-là avait festoyé c'était, selon toute apparence, un maquignon qui venait de conclure quelque affaire, car il grondait entre ses dents:

C'est amusant, oui et ces animauxlà qui m'ont fait boire et m'ont pris, ma voiture! 1 revenir à pied, par un temps pareil. et avec de l'argent sur soi 1 Jacques n'étaitpas un méchant garçon. Il faut le répéter encore une fois, car, à partir de ce moment, on aurait pu concevoir quelques doutes sur son caractère. Entendant le bredouillement de cet inconnu et convaincu que, même sur demande polie, il n'en obtiendrait pas un prêt, Jacques tourna doucement autour de l'arbre, saisit l'homme à la gorge et, comme il était très fort, l'étrangla. Ce préliminaire accompli.illuipritsabourse, Ja vida dans sa poche, la jeta à terre auprès du corps et, comme il se faisaittard, s'éloigna dans la direction de Paris. Le pommier, qui n'avait pasbougé pendant cet incident, se mit à le suivre.

#*#

II n'est pas d'usage courant qu'un pom.miër suive un homme qui vient d'en .étrangler un autre il serait donc injuste de taxer Jacques de faiblesse, sous le prétexte qu'il fut un peu surpris. Entendant derrière lui, sur la route, le glissement des racines, il se retourna et < vit l'arbre, noir sur noir. < Bon, fit-il, voici que j'ai l'esprit troublé manque d'habitude, sans doute. 1 Cela se fera. < II reprit sa marche et l'arbre continua à le suivre: c Ou je suis fou, réfléchissait Jacques, ou i ce qui se produit ici est une manifesta- s tion encore inexpliquée des forces natu- t relies. Je le saurai bien tout à l'heure r éar il n'est pas supposable que les gabeJous, qui sont hommes de sens rassis, laissent passer ainsi un pommier, sans tout au moins hasarder une observation. A la barrière, les employés ne se dé- a rangèrent même pas. Le pommier ne pa- s rut pas avoir souci d'eux, et Jacques et s J'arbre se trouvèrent, l'un derrière l'autre, J dans les rues de Paris: a Jacques se remit à méditer d Donc, se disait-il, il est bien prouvé p maintenant que ce pommier est une C forme visible du remords, tel Banque ap- g parut àMacbeth, te.1 le Commandeur à Don p

Juan. Ce cas d'hallucination est d'autant ̃ plus bizarre que je n'éprouve aucun remords. Ce pommier me paraît méconnaître toutes les traditions. N'importe j'ai de l'argent, je passerai une bonne nuit, et le pommier, demain matin, sera retourné à sa place. Effet raté, mon bon 1 C'était; on le voit, un esprit calme et qui s'avait se plier aux circonstances. Il natale pas, non pour échappera son pommier, qui paraissait avoir la racine, infatigable,- mais pour plus tôt se reposer lui-même, après avoir compté, avec satisfaction, la somme qu'il égrenait sous ses doigts, dans sa poche. Il arriva à son hôtel, rue de Seine. Devant la porte, il se demanda si le pom- mier entrerait avec lui, et il eut presque un sentiment d'intérêt pour lui, en songeant à l'étroitesse du couloir dans lequel certainement il se froisserait les branches.

Il sonna, ouvrit, referma. Le pommier était resté dehors. Jacques eut un sourire, non que son pommier le gênât. Mais il pensait à sa logeuse qui n'aimait pas qu'on rentrât accompagné, la nuit. Arrivé dans sa chambre, Jacques, à la lueur de sa bougie, constata que, tant en pièces d'or qu'en écus, l'opération lui avait rapporté 800 et quelques francs. Ce n'était pas rentrer bredouille.

Soudain, il se reproche de n'avoir pas songé à son pommier qui, en somme, avait joué très discrètement son rôle vengeur, et, soulevant le rideau, il regarda par les carreaux.

Le pommier était sur le trottoir, allant de long en large, très calme, Jacques remarqua raême qu'il se détourna poliment pour laisser passer deux sergents de ville.

Jacques se coucha et dormit jusqu'au matin.

#

Vers neuf heures, il s'éveilla. On frappait à coups de poing dans le panneau de sa porte. Il se dressa, les yeux gros 1 de sommeil. Ohé Ohé! C'étaient les amis qui venaient le chercher pour la partie projetée en vue de laquelle il avait dû se procurer quelques ressources. Tout joyeux, il ouvrit et les gais propos commencèrent, pendant qu'il s'habillait. Il glissa quelques louis dans sa poche et, dispos, descendit.

Le pommier, quil'attendaitrespectueusement sur le trottoir, se mit immédiatement à le suivre, en laquais de bonne maison. Jacques, qui n'avait pas de préjugés, lui adressa un petit sourire, comme à une vieille connaissance.

D'aimables compagnes attendaient les jeunes gens, en prenant, comme il, convient, le vermout matinal. Jacques paya la tournée, montrant un louis qui fut salué d'un hourrah.

Garçon, dit Jacques, donnez un vermout a mon pommier 1

Le garçon, ne comprenant pas, parut vexé. Jacques rit très fort. Il lui avait semblé d'ailleurs que le pommier avait, de la branche, esquissé un geste de refus. Sans doute, c'était un pommier sobre ou tout au moins qui ne prenait rien le matin. ,̃̃.

On discuta l'itinéraire, puis on se dé- cida pour Nogent-sur-Marne. Jacques parla de fréter un sapin pour la Bastille. Ce fut un ravissement.

Hein ? il va falloir tricoter des ra- s cines dit Jacques à son pommier, en < lui adressant un coup de coude amical. Impassible, le pommier se tint sur le bord du trottoir, pendant qu'on embarquait, puis il suivit le fiacre, au petit trot. Penché à la portière, Jacques le regardait. Un moment, il jeta un cri d'effroi. Son pommier avait failli se faire écraser. Par bonheur, il avait pu gagner < le refuge à temps. < Mais qu'est-ce que-vous avez donc? ] lui demandèrent les douces créatures. j Ne vous inquiétez pas, dit-il, j'ai mon pommier.

Il a son pommier Il a son pommier Déjà 1. (

Au chemin de fer, le.pommier ne s'égara pas. Jacques trouvait qu'après tout il y avait cruauté de sa part à surmener ainsi son arbre, auquel parole d'honneur il commençait à s'attacher. Mais il fut bientôt rassuré, le pommier descendit sur la voie sans billet, le gaillard et restant toujours dans les bonnes traditions, il se tint à la portière du wagon, caracolant à la façon d'un garde du corps suivant le carrosse du souverain.

Seulement, Jacques, tout à son pommier, négligeait un peu trop les gracieuses amies dont l'une, particulièrement, éprouvant pour lui une vive sympathie, lui adressa de doux reproches.

Tu es jalouse de mon pommier? demanda-t-il en riant.

Pommier 1 Pommier on se mit à chanter sur un de ces refrains qui sont les fanfares de la popularité. On improvisa même des paroles un peu vives Jacques craignit qu'on ne blessât son pommier. Mais celui-ci gardait son impassibilité de bon goût, à l'anglaise. A la. gare,. c'était une épouvantable cohue. Jacques faillit, perdre son pommier: 1 mais rien n'estcommode comme d'avoir, dans la foule, un ami de haute taille. Il le vit se dégager adroitement et reprendre son poste, fidèlement. Citait décidément un pommier de confiance. On alla s'installer dans un cabaret, au bord de la Marne. Cette fois, Jacques se sentit mal à l'aise n'était-il pas inconvenant, antidémocràtique, de s'installer confortablement sur la terrasse, en égoïste, et de laisser son pommier seul ainsi, sur le chemin, se promenant, les branches derrière le dos? Pourtant il n'osa pas se lever.

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0 folles gaîtés de la jeunesse 10 rires argentins 0 franches lippées de fuchsine La causerie crépitait, les-femmes se décoiffaient, les vins glougloutaient. Jacques éprouvait un exquis bien-être, ayant passé récemment par une période de privations. Il s'exaltait même un peu plus que de raison,mais que voulez-vous? On n'a pas toujours étranglé un maquignon la. veille, on n'a'pas toujours un pommier qui fait le pied de grue devant

son restaurant.Donc, sa joyeuseté un peu excessive était excusable, d'autant que ses amis des deux sexes ne manquaient pas à lui tenir, tâte.

Généreux, il jeta un verre de champagne aux branches de son pommier. En canot, en canot à l'île des Loups l .'̃ ̃̃'̃ Non, non, cria Jacques qui s'attendrissait, il ne sait peu t-ètrerpas nager. ̃ ̃ Qui? 2

Mon p.

Pommier, pommier la scie est drôle Bravo 1

Jacques rougit un peu. Ces gens ne le comprendraient jamais. Il regarda son pommier comme pour le consulter, et il lui parut que l'arbre ne redoutait pas une petite promenade sur l'eau, histoire sans doute da s'humecter la racine. Le canot démarra. L'arbre sauta de la berge, gracieusement, et marcha sur le flot, sans faire d'embarras. Jacques le suivait de l'œil, prêt à lui tendre la perche, en cas de besoin.

#*#

Le soir, Jacques était abominablement ivre. Il cria à ses amis

Vous m'ennuyez tous r Votre compagnie m'horripile, je vous lâche, je m'en vais avec mon pommier. On rit encore, on essaya de le retenir, mais en vain. Les dames pinçaient les lèvres, vexées. Il a'y prit point garde,' ·, l'ingrat 1 ̃

II faisait nuit. Il suivit la berge, accompagné de son pommier.. Seulement il éprouvait une véritable honte, car il titubait horriblement,humilié devant l'arbre qui, n'ayant rien pris, se tenait toujours très droit, un peu gourmé môme, Jacques zigzaguait de la façon la plus déplorable, à quelques centimètres de la crête. Sentant la nécessité d'un point d'appui, il s'approcha de son pommier et lui dit la bouche pâteuse

Tu es mon ami. soutiens-moi 1 Et il s'affala contre lui. Mais son corps ne rencontra rien que le vide, il trébucha, roula sur là déclivité de la berge, tomba dans l'eau, eut une congestion et se noya.

Le pommier, resté seul, retourna à la plaine d'Aubervilliers.

Jules Lermina.

Mémoires flliélaïie Ristori Les Mémoires de la grande tragédienne paraîtront dans quelques semaines, simultanément à à Milan et à Paris, chez l'éditeur Paul Ollendorff. Leur apparition sera un événement littéraire, et nous sommes heureux de pouvoir en détacher, dés aujourd'hui, une page curieuse qui a pour titre

CODENT JE DEVINS TRAGÉDIENNE

Mon père et ma mère étaient de très braves gens, mais de très médiocres comédiens. Ils trouvèrent par conséquent tout naturel de me e vouer à l'art », et comme si le ciel avait voulu exaucer leurs vœux, ils eurent l'occasion de m'habituer, dès ma naissance, à la via des planches. Je n'avais pas trois mois quand je fis mes premiers débuts.

On jouait, dans ce temps-là, et avec un grand succès, une pièce en un acte, le Cadeau du jour de l'an. Une jeune fille aime un jeune homme le père ne vaut pas consentir, à leur union; ils se marient secrètement et, tout en étant très heureux, ils ont un enfant. Comme elle n'a pas le courage d'avouer sa faute à son père, elle profite du jour de l'an et envoie l'enfant à l'aïeul dans un panier de fleurs. Le grand-père s'attendrit et la pièce est jouée. On voit qu'elle ne brille pas par les complications. Eh bien pour mes débuts je-manquai mon entrée je n'attendis pas la réplique et je me mis à vagir atrocement. Les acteurs eurent beau précipiter le dénouement, les deux amoureux eurent beau se jeter à genoux avec art, le public se tordait, et mes hil hi hi firent beaucoup de tort à mes camarades. On me porta à ma mère qui me donna ce que je venais de demander si bruyamment. Le lendemain, on me retira le rôle. Je dois même avouer à ma honte qu'on me remplaça avantageusement par une supérbe poupée en carton.

Je fis mes seconds débuts à l'âge de trois ans. C'était dans un drame moyen-âge de l'avocat Avelloni Bianca et Fernando. Il s'agissait de la triste histoire d'une bonne châtelaine dont le mari était mort à la Croisade. Elle aimait un beau chevalier, mais un ami du mari veillait et s'emparait de la petite fille de la bonne châtelaine. La petite fille c'était moi.

Il parait que je n'avais pas encore, dans ce temps-là, la compréhension de l'art naturaliste, car le soir de la première, lorsque le méchant chevalier voulut s'emparer de moi, je l'attrapai par sa perruque rousse et je me mis à lui griffer furieusement le visage. Quand il voulut faire un nouvel essai de rapt, je me mis à courir vers la coulisse et, malgré les efforts des pages à maillot gris-perle qui se tenaient à la porte, je disparns en m'écriant « Maman !'maman! -il me fait mal! » Mes seconds débuts n'avaient donc, pas été plus heureux que les premiers 1

A quatre ans et demi, on me fit jouer un petit rôle dans un petit vaudeville, et je puis l'avouer sans exagération aucune j'eus un succès énorme. Le directeur en profita. Je me souviens que, dans ce temps-là, ie régisseur annonçait à la fin de chaque représentation le programme du lendemain et la distribution des rôles. Le public applaudissait ou sifflait on sifflait fort alors en Italie les noms des acteurs. Et quand le régisseur disait que la petite Ristori jouerait un rôle, on ap- plaudissait ferme. Je me souviens même qu'un jour je dis à une de mes collègues a Ne me laissera-t-on donc jamais tran-. quille! quel ennui d'être toujours sur l'affiche 1 » 1 J'étais déjà comédienne l •' 1 A dix ans, on me confia des rôles de ser- E vante. J'avais des lettres à porter ou à pren-

'dre, ce qui blessait mon amour-propre d'artiste Je n'ai jamais eu à subir tant de répétitions que dans ce tèmps-là. Le directeur n'en finissait pas de m'apprendre à être naturelle, et, comme il fallait marcher sur la pointe des pieds, ce n'était pas chose facile.

A douze ans, le directeur Moncalvo m'engagea pour les rôles d'enfant. Mais comme j'étais très développée pour mon âge on me confia bientôt des rôles d'ingénues, voire même de jeunes premières C'était une monstruosité, mais dans les petites troupes on n'y regardait pas de si près dans ce temps-là l

A quatorze ans, j'eus le courage d'aborder la tragédie! 1 Je jouai Francesca dans la Francesca de Riminio de -Selvio-Pellico. C'était à Novare et j'eus tant de succès que le ,directeur voulut m'engager tout de suite comme premier rôle. Mon père refusa il signa pour moi un engagement au théâtre du Roi deSardaigne. J'y devais remplir les rôles d'ingénues. La troupe royale qui jouait pendant tout l'hiver à Turin était dirigée par Gaelano Razzi. Elle comptait parmi ses membres Vestri, Righetti^ la Marchioni, la Romagnoli, des artistes qui étaient alors aussi célèbres en Italie que la Paslà, la Malibran, Rubini et Tamburini.

Je devais jouerJes ingénues, mais au bout d'un an déjà on me confia les rôles de jeunes premières sentimentales. Trois ans plus tard, en 1840, je signais un engagement de cinq ans. J'étais héroïne!

Et voilà comment je devins tragédienne Adélaïde Ristori.

SOIR DE BANLIEUE CHAPITRE D'UNE VIE D'ARTISTE

Depuis une demi-heure, sa palette et ses brosses dans les mains, Jérôme Courchamp tournait inconsciemment autour de son atelier, l'air pensif et ravi; chaque fois qu'il passait devant sa toile installée déjà dans le cadre, plantée d'aplomb sur le chevalet, en bonne lumière, il s'arrêtait une minute, et, malgré lui, ajoutait quelques petites taches insignifiantes, ici ou là. Certainement son tableau était fini mais il ne pouvait se résoudre à n'y plus toucher un achèvement c'est déjà un adieu, une séparation. Or, comme il le disait, « il avait un béguin pour cette saleté-là Jamais rien ne l'avait tant amusé à peindre ça marchait tout seul, c'était venu du premier coup, franchement, crânement, par la tête. » Puis, dans ce cadre battant neuf, arrivé ce matin même, son œuvre lui paraissait nouvelle,grande, embellie, habillée, « une jolie femme dans une jolie robe; quoi I »

En bas de ce fameux cadre, dans un cartouche, on lisait le nom du tableau SOIR DE Banlieue. Et c'était, à vrai dire, d'un charme infini, d'une vérité distinguée, exquise, d'une impression pénétrante, mélancolique et bonne, qui attirait, retenait et reposait bien simple cependant cette scène du Paris populaire Un coin de rue pauvre, et, dans la nuit tombante, des vieilles gens assises sur un banc de pierre, sous un reculement, une indécision noyante de crépuscule aux plans principaux, des enfants penchés sur un ruisseau noir tout autour, des maisons basses, grises, ces premières qu'on rencontre aux abords des remparts, dans les quartiers perdus. Mais chaque figure vivait dans son air propre,racontait sa pensée, sa vie môme; puis, rompant la tonalité généralement neutre, éclatait d'entrain une tête blonde de petite fille, riant aux anges, qui projetait sur l'ensemble éteint un reflet de de gaieté franche,lumineuse. Et rien n'é tait plus doucement poétique que ce réalisme des humbles, scrupuleusement rendu.

Courchamp tournait toujours, content et navré il ne trouvait plus rien à reprendre, plus rien à fignoler n-i-n-i, c'était décidement fini. Demain le bourgeois viendrait chercher la toile, l'emporterait, et lui, le père après tout, ne la reverrait plus car c'était un tableau acheté d'avance, en cours d'exécution, par un amateur enthousiasmé, qui, tout de suite, avait offert un gros prix avec cet argent, l'artiste allait enfin pouvoir visiter la Norvège, un coquin de pays qui produit de bons peintres (cela doit tenir au ciel), et qui le tentait, lui, Jérôme, depuis quinze ans au moins. Enfin il en barbouillerait d'autres, des toiles. bien sûr. mais ça, c'était du bon Courchamp.

Il se frotta les mains, silencieusement. Il avait cinquante ans, les cheveux en brosse, les moustaches et la barbe longues et grises, les traits réguliers avec un air très doux, très fort, inexorablement honnête. Il était habillé, couvert plutôt, d'une culotte bleue de grosse laine, d'un gilet de tricot, les pieds dans des savates. La nudité du logis s'accordait bien avec la simplicité de l'habitant. Le père Coureliamp se moquait autant de la toilette que des bibelots pas un seul autour de lui.

Comme meubles, deux armoires comme sièges, cinq ou six chaises dépareillées, un peu boiteuses, un escabot, et trois fauteuils en cuir vert pour l'amateur. Sur le gros poêle de fonte, éteint depuis six semaines, traînait dans son assiette une tasse de lait à moitié vide, près d'un croûton mordu. Aux murs blanchis à la chaux, des études de tout genre, de toutes les écoles, cadeaux d'à- mis, grimpaient en désordre, sans cadre, i accrochées de travers, n'importe com- 1 ment. C'était tout le décor, tout l'acces- soire mais, par les vitres larges ouver- tes, l'air, le soleil entraient libres, appor- ̃ tant à plein nez le parfum des lilas, et i l'œil distinguait sur l'horizon la montée < violente des arbres dans les campagnes lointaines, masse opaque et sombre < sous la diffusion de lumière d'une ma- 1 ;inée d'avril, une gaieté de nature naissante aux confins de la grand'ville. t Depuis de longues années, il vivait

dans ce coin, sans bouger, dans sa coquille, et quand il fallait aller à Paris, il parlait d'un voyage. Il la connaissait intimement, sa banlieue, il la savait par coeur il la plaquait sur ses toiles avec une magistrale ressemblance; oh I il l'aimait bien. C'était à elle qu'il devait sa réputation, son petit rayon de gloire. Car il était célèbre, à la façon des naïfs, des simples, c'est-à-dire sans .tapage, estimé des vrais artistes, et resté pauvre dans un beau dédain des productions. hâtives, du bourgeois qui paye sans savoir, qui va où va la vogue, où l'appelle la réclame, qui achète des signatures plutôt que des œuvres.

L'argent lui importait peu pourvu qu'il pût travailler tranquille, sans soucis matériels, il se trouvait heureux. la Norvège seule. ah 1 oui. la Norvège [ une toquade, en vérité, Quand il voyait ses confrères se bâtir des hôtels à coups de pinceaux enragés, il haussait les épaules, et revenait à ses quatre murs, le cœur en joie. a Qu'est-ce qu'il faut aux peintres ? De -la lumière. j'en ai, Dieu merci 1 »

II

On frappa'à la porte une petite fille de dix ans à peu près, blonde, ébouriffée, drôle, se glissa par l'entrebâillement, car le battant était dura pousser. « C'est toi, Nanette 2

–-» Non, c'est le journal. »

Elle lui tendait la feuille à laquelle il était abonné. Une faiblesse », grognait-il parfois; la plupart du temps, il ne l'ouvrait même pas. Nanette, c'était la fille du concierge, lequel concierge représentait aussi l'unique valet de chambre du peintre. Soudain, Nanette s'arrêta, clouée au sol, la bouche grande ouverte d'admiration, devant le cadre neuf, irradiant au soleil.

« Hein ? dit Courchamp.

» Oh 1. » fit Nanette.

Elle souriait, prise d'un grand orgueil. Pourquoi ? Parce que, dans le tableau, Nanette avait posé la petite fille blonde, la figure principale; elle était le premier sujet de là toile. Tous les matins, elle s'admirait, l'air ravie; elle avançait son petit doigt sale sur lapeinture, en disant « C'est moi, ça »Mais aujourd'hui, entourée d'or, elle se trouvait dix fois plus belle, transfigurée, pareille aux saintes coiffées d'auréoles, sur les vitraux d'église l'or la grisait d'instinct, et Courchamp s'amusait de cette surprise éblouie.

Elle s'en alla, toute pâle, très grave. Nanette partie, le peintre fit sauter machinalement la bande du journal.. « Qu'est-ce qu'ils racontent encore, ces bavards-là?» puis. il s'arrêta, la feuille tremblait légèrement dans ses doigts. « Ah c'est fini. » murmura-t-il d'une voix sourde. Il venait d'apprendre la mort d'un de ses confrères, Joseph Montfrin. Il y avait déjà longtemps que Montfrin était considéré comme perdu, on s'attendait tous les jours à la mauvaise nouvelle. n'importe, cela remuait.

« il est mort. il est mort. Une canaille de moins, voilà tout. » ajouta Courchamp, après un long silence. Très ému, il tournait de nouveau dans l'atelier. Puis il s'approcha du balcon, respira largement et, les bras croisés, regarda devant lui. Dans la gloire du soleil, les rues grouillaient de monde, retentissaient d'appels et de chansons. mais il ne voyait rien, n'entendait rien. Il était parti dans un grand voyage en arrière, vers le passé; il remontait sa vie, il interrogeait sa jeunesse, il remuait des choses lointaines, demeurées tristes.

1 Joseph Montfrin. Joseph! ils étaient nés la même année, dans la même ville, là-bas, vers le nord; ils s'étaient connus tout petits, sur les bancs de leur collège; ensemble ils avaient grandi, lui, Jérôme, solide sur ses jambes, sachant ce qu'il voulait; Joseph blond, frêle, capricieux; puis côte à côte, ils barbouillaient au fusain leurs premiers bonshommes, le plus souvent des charges qui leur attiraient des calottes pour récompenses. Joseph avec une facilité dangereuse dessinait tout, et d'un coup de crayon, sans jamais rien finir. Jérôme peinait sur la besogne, mais quand il avait dit « Ça y est! » -eh bien oui, ça y était. Ils s'aimaient ferme alors, tous les deux, ne se quittaient guère, et rêvaient tout haut, à la fois, d'avenirs triomphaux dans la grande mêlée de l'art. Ils se juraient aide et bons conseils et se li- guaient déjà contre les parents, les mai-,tres, indignés de ces volontés ambitieuses et précoces qui bravaient la routine. Ils poussaient ainsi, se serrant les coudes. Une seule inégalité existait entre eux Montfrin avait un père très riche, Courchamp une mère très pauvre; mais i cette différence disparut le jour où ils déclarèrent irrésistible leur vocation et s partirent pour Pqris; car le père Mont- 1 frin coupait aussitôt les vivres à son < fils qu'il traita de galvaudeux. A Paris, î des jours durs, des soirs tristes, de la ( misère; pour Courchamp, un travail quo- ( tidien, opiniâtre, des dessins livrés pour t rien aux feuilles illustrées, payés avec < des sous changés contre du pain pour f Montfrin, des paresses prostrées, des 1 rages d'être pauvre, des malédictions à -i son père; s'il eût osé, il eût renoncé; ( mais l'exemple de Courchamp le rete- 1 nait encore; il demeurait tout le jour t vautré sur son lit, les jambes en l'air, la < pipe aux dents, l'œil au plafond, l'es- t prit aux regrets.

« Trayaille, fainéant, ça distrait, ( disait Jérôme.

» Impossible j'ai trop froid » ), c Ils habitaient ensemble un grenier, et i déjà Montfrin rêvait d'ateliers màgni- c fiques, semblables à des serres, avec des g bronzes, des marbres, des trophées d'armes, sur des étoffes éclatantes, des ta- r pisseries antiques racontant des poèmes, f « tout ce luxe indispensable à l'éclo- é sion des conceptions hautaines. », dé- clarait-il. 1 Ils avaient vingt-six ans, quand avaient t commencé le mal, les trahisons, les lâche- s tés inoubliables. n A ce souvenir, Courchamp pencha la b tête, de l'amertume aux lèvres. r II l'avait présente telle qu'il rayait vuel.fi

j adis, la première fois, cette Léonie Joran qu'il avait si largement aimée; Léon, comme il l'appelait, la traitant en garçon, avec une rudesse apparente qui cachait une sensibilité tendre qu'il aurait rougi de laisser deviner, car il était un sauvage. Où l'avait-il rencontrée? Dans 1 escalier, tout simplement; elle demeurait dans la maison, à leur étage, ouvrière de Paris, fine et drôle. Ou vécut tous ensemble, partageant la misère, les bons et les mauvais jours, les cruches d'eau, le verre de vin.

Montfrin la tutoyait en camarade, lui, comme un jeune frère Léon Cela dura deux ans, et pendant ces deux ans, Jérôme ne soupçonna rien. il était trop honnête. Brusquement, le père Montfrin mourut, et quand Joseph eut l'héritage, unbeaumatin, il filasans crier gare, avec Léonie. Dans la suite, Courchamp apprit que depuis beau temps ils s'aimaient et se le prouvaient derrière son dos. Le coup fut rude. Il n'en dit rien, mais jura de ne plus avoir de maîtresses il avait tenu parole.

Léonie Joran! Léon. comment faisait-elle pour mentir aussi bien ? diable les filles apprennent-elles à jouer la comédie? Il s'était cru aimé, l'imbécile! comme s'il était un joli cœur, lui, comme s'il n'avait pas dû voir que Joseph avait les mains blanches, les cheveux bouclés, donc était le préféré. Cela n'empêchait pas qu'elle était bien amusante, dans sa petite robe usée, dont le corsage éclatait :sôus l'effort de son buste, car elleavait trouvé le moyen d'engraisser à leur rigime. drôle de corps! Et quelles dents! des dents de jeune chien, toutes petites, blanches, pointues.. ce qu'elle les montrait Partie envolée avec l'autre. qui, l'autre? L'ami l'autre? Joseph! Parlez donc de l'amour, parlez donc de l'amitié. pouah 1 mais ce n'était pas ûni; il y avait mieux, du moins plus.

Resté seul, pour se guérir le cœur Jérôme réso ut d'entreprendre une grande machine; il ne fit plus de métier, mangea une fois par jour, s'endetta; mais travailla sans relâche, ne se permettant plus de songer à rien d'autre. C'est alors qu'il avait pondu sa première toile importante,. une toile à personnages, cherchée, poussée, finie, consciencieuse; une toile qu'il avait aimée, caressée, tripotée encore plus que celle-là.

(Et Courchamp se retournait vers son dernier tableau.)

Ça se comprend, la première Non seulement il avait été reçu au Salon, mais d'emblée il décrochait une médaille. un coup du bon Dieu 1-Joseph qui faisait la fête avec Léonie fut refusé, lui, malgré son argent. Ah 1 ah 1 le cœur avait moins mal! Puis l'Etat proposa d'acheter la croûte, pas cher, comme toujours, mille francs; mais c'est. quelque chose que do.pouvoir; quand il vous plaît, revoir son enfant en bonne place, dans un musée. ça marchait trop bien le malheur se retourna.

La vieille mère: là-bas tomba malade: pas le sou, des dettes. Un marchand vint qui offrit deux mille francs, lui, de la part de quelqu'un, mais argent sur table. Pour la mère, Jérôme dit adieu à son tableau et prit la grosse somme; trois jours après, il recevait, envoi anonyme, sa toile coupée en huit morceaux, pas un de moins. Il comprit d'où cela venait; d'ailleurs, plus tard, le marchand avoua. L'ancien ami, refusé, se vengeait de la médaille. Jérôme le chercha ppur lui répondre, de la bonne façon; bastel. Montfrin était à Venise, puis au Caire. des mois avaient passé.

Dans la suite, grâce à ses sous, Montfrin trouva des amitiés puis il avait fait de la peinture de courtisan des portraits d'hommes politiques, des scènes d'actualité historique, des allégories célébrant une gloire bien vivante; et il fut médaillé, et il fut décoré il eut son hôtel, ses chevaux, ses dîners et ses fêtes, il fut lé peintre à lamode, l'hommede tous les succès, pendant que Léonie, avec les deux enfants qu'elle avait de lui, habitait un troisième à Montmartre, riche de deux mille francs par an on avait dit même qu'il l'avait définitivement abandonnée, c'était possible. Joli monsieur On prétendait aussi que, depuis quelques années, il perdait beaucoup à la bourse, qu'il se ruinait en folies, qu'il était ruiné. Ce qui était certain à présent, c'est qu'il était mort. Oui, oui, une canaille de moins! l

Les douze coups de midi, sonnant à toute volée à l'église voisine, tirèrent Courchamp de son rêve.

« J'ai faim, pourtant I » murmurat-il, et il sortie

III

Obsédé par les souvenirs, toute la jour née, il erra dans les rues, la tête basse. Vers six heures, il rentra chez lui; devant sa porte, quelqu'un l'attendait un jeune homme très élégant, bêtement joli garçon, la boutonnière fleurie d'une rosette bariolée. De suite, il se nomma Roger deSartines, secrétaire de toutes les sociétés artistiques de France et par son titre même, il était en ce jour chargé d'une mission toute de délicatesse. Le grand peintre d'histoire Joseph Montfrin venait de mourir, pauvre, très pauvre, ne laissant que des dettes. Pour des obsèques dignes de lui, pour un tombeau, pour liquider sa mémoire, une souscription s'organisait chez ses confrères. « Je viens vous demander, cher mattre. »

« Entrez, monsieur de Sartines", dit Courchamp en ouvrant l'atelier. Sur le seuil, le jeune homme recula d'un pas, surpris de la simplicité du lieu; puis aussitôt il courut au tableau Soir de Banlieue,-et s'extasia avec degrands gestes et des mots techniques.

Courchamp avait souri de son étonnement devant la misère du logis; il fronça les sourcils sous l'avalanche des éloges. « Parlons de nos affaires, s'il vous plaît. Donc Montfrin est mort sans le sou? Montfrin était un faiseur, un intrigant, sinon pire Il a été très riche, par sa famille, il n'en a pas moins fait du métier, toujours, et du plus triste, jamais d'art il ne visait que l'argent ou la réclame toute sa vie, il a jeté l'or par les fenêtres, auvent de sa fantaisie i