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Titre : Le Figaro. Supplément littéraire du dimanche

Éditeur : Le Figaro (Paris)

Date d'édition : 1886-01-23

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb343599097

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb343599097/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Description : 23 janvier 1886

Description : 1886/01/23 (Numéro 4).

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k272321m

Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-246

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 15/10/2007

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JEAN RICHEPIN

LA MER

Aujourd'hui parait à la librairie Dreyfous la première œuvre publiée par Jean Richepin, depuis les Blasphèmes, Nous y choisissons les poèmes qui peuvent le mieux donner une idée de sa variété car la Mer est tour à tour anecdotique, descriptive, lyrique et même scientifique. Mais ce qu'il est impossible de reproduire, ici, 'c'est la splendeur typographique de ce livré magistral, tiré à 500 exemplaires seulement, et qui sera demain une rareté.

EN GUISE DE PRÉFACE

Et d'abord, sache bien à ma louange, ami,

Que je ne suis pas, comme on dit, marin d'eau douce. De tanguer et rouler j'ai connu la secousse. Sur un pont que les flots balayaient, j'ai blêmi. J'ai travaillé, mangé, gagné mon pain parmi Des gaillards à trois brins qui me traitaient eh mousse. Je me suis avec eux'suivé la gargarousse.

Dans leurs hamacs, et dans leurs bocarts, j'ai dormi. J'ai vu les ouvriers du large et ses bphèriïes. J'ai chanté leurs refrains et vécu leurs poèmes. Et tu verras ici des vers, en main endroit,

Lesquels furent rythmés au claquement des voiles, Cependant que j'étais de quart sous mon suroît Le dos contre la barre et l'œil dans les-étoiles

I LE MOT DE GILLIOURY

i A HENRY LAURENT

I Vous le rappelez-vous, dites, mon cher Henry,

|: Ce bonhomme nommé le père Gillioury ?

I Non pas tel que je l'ai mis dans un de mes drames,

I, Mais tel qu'il était, tel que nous le rencontrâmes, j

g Au Croisic, ou, pour dire à sa guise, au Croisi 1 I

|. Fumé, saur, le nez seul d'un royal cramoisi, ?' i Vêtu d'on ne sait quoi, mais propre sous ses hardes, 51 |. Le bec toujours salé de chansons égrillardes, 1

I De souvenirs joyeux et de propos plaisants,

I Il travaillait encore à soixante-dix ans 1 I- Pour pouvoir, en dehors de-sa maigre retraite, 1

I Quand son nez se fanait, en repeindre l'aigrette.

I C'était le vieux luron dans toute sa candeur, 1

fe Ancien loustic de bord, quelque peu quémandeur, I

s* Et sans respect de lui sombrant au fond des verres. 1 I Aussi les rudes gas de là-bas, gens sévères,

§> N'avaient-ils pas pour lui grande estime, étonnés

i Que nous prissions plaisir à voir fleurir son nëï.

I Car nous l'arrosions ferme et souvent, par ma faute, I J'ai dû le ramener, le bonhomme, à son hôte,

I Comme un bateau noyé roulant la quille en l'air.

I Sans doute il avait tort. Nous encor plus, c'est clair. h Eh bien 1 non, après tout. Lui guérir sa pépie,

fc Lui donner du bon temps, c'était faire œuvre pie. |. Pauvre diable, il rentrait si gai dans sa maison,

| Si ben aise Ma foi, oui, nous avions raison.

I Et d'ailleurs, nous étions ses obligés, je pense.

|. On lui payait son dû, de lui garnir la panse.

P Pour quelques coups de vin, quelques mauvais repas, |_ En échange et comptant que'ne donnait-il pas 1

| Chansons de mathurin, chefs-d'œuvre populaires,

| Ses voyages partout, depuis les mers polaires

I Jusqu'au voluptueux Eden de Taïti 1

I II ne s'arrêtait plus quand il était parti.

I Et tout cela bien mieux qu'un livre ou qu'un poëme, ï Avec ses imprévus de peuple, de bohème,

i De philosophe, et, par instant* le mot profond,

|: Ainsi que-les enfants et les pauvres les font.

| Tenez, il en est un, simple et grand, qui me reste.

p Peut-être est-ce la voix, le regard et le geste

| Qui me firent alors en être tout frappé.

f Non, pourtant. Il est grand, ou je suis bien trompé.

| II me semble .expliquer par quelle loi chérie

[- S'enracine en nos cœurs l'amour de la patrie

i rit le plus beau discours, le vers le mieux chantant, I Près de ce mot naïf n'en diraient pas autant.

|: Ce soir-là, nous avions gavé notre bonhomme,

f Non pas comme un glouton, mais comme un gastronome, | Au Casino lui-même, à l'instar de Paris.

I 11 avait, à ces plats savants, poussé des cris

f D'enthousiasme, et, peu s'en faut, de Mélusine.

t Puis, sans perdre le nord, comme on parlait cuisine, I II avait, comparant, conté par le menu

| Les mets qu'il connaissait. Il en avait connu

| De singuliers, ayant une fois fait ribote,

|. Sur un radeau perdu, d'une tige de botte

| Mais il avait aussi des souvenirs meilleurs,

I Ayant mangé de tout, partout, et même ailleurs

I I Car il disait J'ai vu, moi, les quatre hémisphères. I Eh bien! tout compte fait, qu'est-ce que tu préfères ? I Lui demandai-je. Quel est le plat superfin

I Dont tu voudrais avoir tous les jours à ta faim ?

I Tous les jours ?Le meilleur? Hum Diable!– Bouche béé, |- Le regard en dedans et la lippe tombée,

i Il s'était écarté de la table, et songeait.

| Voyons Dame, fit-il, ça ne vient pas d'un jet. f Faut réfléchir un brin, prendre un point de repère,

|. Virer de -bord, doubler la brise. Espère, espère

| J'y rumine. II se tut de nouveau, plus songeur.

I A son front en travail montait une rougeur.

I Il y mettait vraiment toute sa conscience,

I Et murmurait.de temps à. autre Patience

I Enfin il se leva, puis croisant ses bras courts

| Gravement, comme s'il allait faire un discours

I Tu dis bien, n'est-ce pas, la meilleure pâture,

I La meilleure, ou passée, ou présente, ou future ? I Oui. -r- Ses yeux flamboyaient alors étrangement.

| Le vieux drôle était beau, superbe, en ce moment.

I Son geste large ouvert s'envola comme une aile.

| Et ce fut d'une voix émue et solennelle

| Qu'il déclara Je l'ai, ce que j'aurais choisi

I Ce qu'y a de meilleur, c'est le pain du Croisi.

LES CORBEAUX

Le mont, la plaine, ont leurs corbeaux. Mais la mer, ce champ de bataille Dont tous les flots sont des tombeaux, La mer, les voulant à sa taille,

Plus noirs, plus lugubres, plus beaux, Plus grands, la mer a ses corbeaux. Arrière-garde de l'orage,

Ils arrivent dans le ciel gris

En tournoyant, quand un naufrage, Couvrant la plage de débris,

Leur a préparé de l'ouvrage

A ces erj)qu.e-m;orts de l'orage. i~

Pesant, majestueux) le vol `

De leurs larges ailes funèbres

Tombe en spirale au ras du sol Comme une trombe de ténèbres Et là, le chef droit sur .le col,

Ils arrêtent d'un coup leur vol.

A les voir.ainsi par la grève,

Debout, l'œil fixé sur les eaux,

Ils donnent l'illusion brève

Que ce n'est plus là des oiseaux, Mais des philosophes qu'un rêve Immobilise sur la, grève.

D'un pas grave et sacerdotal,

D'une allure de patriarche,

Sans secousse ni saut brutal,

Bientôt ils se mettent en marche. On dirait que d'un piédestal

Chacun descend, sacerdotal.

Ils vont, très lents, et quand des choses Accrochent leurs yeux en passant. Pour les voir ils prennent des poses Pédantesques, puis croassant,

En savants hérissés de gloses

Ils se disent entre eux des choses. Ils ont le verbe caverneux.

Tels des Sibylles et des Mages

Dénouant les mystiques nœuds

D'un problème et rendant hommages A l'oracle qui parle en eux

Comme en un temple caverneux. Mais dès qu'ils voient une charogne, Bonsoir, tenue et gravité l

Leur marche danse. Leur voix grogne. L'équilibre désorbité,

L'aile battante en bras d'ivrogne, Ils s'affalent sur la charogne.

C'est leur paradis là-dedans.

Le clou de leur bec droit lacère

Ces haillons visqueux et pendants Qu'ils éparpillent de la serre,

Avec des cris brefs et stridents, Ceux-ci dessus, ceux-là dedans. De pourriture ils font ribote.

Parmi la sanie et les vers

Ça rit, ça braille, ça jabote.

Dans les jus épais, noirs et verts, Ça patauge jusqu'à mi-botte.

--Les croque-morts sont en ribote. Car ils la boivent, les corbeaux, Cette chair flasque et corrompue. Ils4'ingurgitent par lambeaux.

Plus c'est liquide et plus ça pue, Mieux ils en gonflent leurs jabots. La carne est Je vin des corbeaux. Las de manger et las de boire,.

S'ils croassent alors, leur voix

Chante en ton creux de bassinoire, Sinistre et comique à la fois,

Un Requiem blasphématoire,

Requiem sur un air à boire.

Enfin, repus, comme s'en vont

Des goinfres à la panse pleine

Qui se sont empiffrés à fond

Et qui sont gavés, hors d'haleine, -Si lourds qu'ils en ont l'air profond, Enfin, solennels, ils s'en vont;

Et ces vivantes sépultures

Prenant dans le ciel leurs ébats Y semblent les noires montures De sorciers qui dans les sabbats Vont avec d'infâmes postures

Forniquer sur des sépultures.

LE CHALUT

Encore un tour au treuil Hardi Du jus de bras 1 V'Ià le fer du chalut qui sort son nez au tas. Encore un tour! Il va saillir hors de la tas?e. Et la chausse ne m'a pas l'air d'une tétasse, Hein, les gas ? Ça vous souque aux poignes. Le filin Se tend raide à péter. Bon signe que c'est plein 1 Le chalut en effet monte au bout de la drisse, Plein et lourd, gonflé rond comme un sein de nourrice. Un moment, au-dessus du pont, en globe il pend. Largue tout! Et ce lait de poissons se répand, Pêle-mêle de sauts, de couleurs, d'étincelles. Est-ce toi, l'arc-en-ciel en morceaux, quiruisselles ? On le dirait, de vrai. Comment avec des mots Peindre ces tons, ces fleurs, ces pierres,ces émaux, Cette chair miroitante en fouillis de lumières, Et ces splendeurs aux yeux des marins coutumières, Mais qui pour mes regards de novice terrien Ont l'aspect d'un prodige et ne rappellent rien? 2 Et quel tas On en a plus haut qu'à demi-botte. On glisse là-dedans comme un homme en ribote Qui parmi des écrins et sur un médaillier

Piétinerait dans la montre d'un joaillier.

Encor tous les joyaux de toutes les vitrines Pâliraient-ils devant les ventres, les poitrines, Les nageoires, les dos, les têtes de ces corps Où le prisme défait et refait mille accords. J'exagère? Non pas. Qu'il vienne un lapidaire, Un peintre,'le plus grand, qu'il voie et considère, Si ce n'est pas assez pour lui faire dire oh 1 Du plus humble de ces poissons, du maquereau. Le ventre est d'argent clair et de nacre opaline, Et le dos en saphir rayé de tourmaline

Se glace d'émeraude et de rubis changeant. Au moment de la mort, sur la nacre, l'argent, Le saphir, le rubis, l'émeraude, une teinte De rose et de lilas s'allume, puis, éteinte,

Se fond en un bouquet fané délicieux,

Plus tendre que celui, du couchant dans les cieux.Et ce turbot, marbré comme une agate obscure 1 Et ce merlan qui semble un poignard en mercure 1 Et la plie orangée, aux lunules de fiel 1

Et celle en disque blond, tel un gâteau de miel f Et le crapaud de mer, corps d'azur, tête plate Où rutilent deux yeux à prunelle écarlate 1

Et le hareng, vêtu d'éclairs phosphorescents l Et que d'a*utres, qui sont et des mille et des cents Et leurs formes aussi C'est la sole en ellipse Le chabot monstrueux, bête d'Apocalypse Le grondin, dont le chef carré fait un marteau i Le bar au gabarit modèle de bateau

Le homard qui cisaille et le crabe qui fauche; La limande, yeux à droite, et la barbue, à gauche i L'oursin en hérisson et le congre en serpent La raie, avec sa queue épineuse qui pend,

Et ses nageoires, dont les rythmiques détentes A la large envergure ont l'air d'ailes battantes; D'autres d'autres encor f Mais pendant qu'à l'écart J'emprisonne dans les caèhots de- mon regard Ces formes, cçs couleurs, rapidement notées,

Nos gas, répartissant les poissons par hottées, Les descendent à fond de cale. On est chantant; La pêche est bonne; on va continuer d'autant. Range à border l'écoute Et vire à contre-brise Il faut retrouver champ où le chalut ait prise, Et que le vent grand' largue appuyant le bateau Trains bien au tréfond la chausse et le râteau. Adieu-vat C'est paré. Laisse filer la chaîne.

Nageons dret, et que la relevaille prochaine

Plaise à nos gas autant que celle-ci leur ptnt! f

Que la chausse se gave à crever le chalut

Faudra du jus de bras encor. Mais, n'ayez crainte, Ce n'est pas ça qui manque, et galment l'on s'éreinle Qnand on sent que d'aplomb ça souque en remontant. On tirera d'un poing léger, d'un cœur content, Pour revoir le butin pendre au bout de la drisse, Plein et lourd, gonflé rond comme un sein de nourrice. Celui qui trimerait alors en maugréant

Serait un failli chien, sans cœur et fainéant;

Car ça, qui du chalut charge et distend les mailles, C'est du pain pour les vieux; la femme et les marmailles.

Dans le pays on les appelait les Songeants.A force d'être ensemble ayant mine pareille, On eût dit deux sarments, secs, de la même treille, C'était un vieux marin et sa femme, indigents. ils se trouvaient heureux et n'étaient exigeants Car, elle, avait perdu la vue, et lui, l'oreille. Mais chaque jour, à l'heure où le flux appareille, Ils venaient, se tenant par la main, bonnes gens,. Et demeuraient assis sur le bord de la grève,. Sans parler, abîmés dans l'infini d'un rêve, Et jusqu'au fond de l'être avaient l'air de jouir.

i Ainsi de leurs virux ans ils achevaient la trame, 11. Le sourd a voir la mer et l'aveugle à l'ouïr, Et tous deux à humer son âme dans leur âme.

Ne rougis pas de ta carcasse,

Toi, vieux, qu'on nomme l'hareng saur. Garde ce sobriquet cocasse

Laisse rire ces bons apôtres,

Nos beaux messieurs à tralala.

Car tu n'es pas si laid qu'eux autres. Bien loin de là

Ils font les fiers avec leur mine. Mais c'est l'astiquage qui rend

Leur corps aussi blanc qu'une hermine Et transparent.

Tous les jours avec de l'eau douce Ils se lavent au saut du lit

A force de savon qui mousse

Ils ont la peau comme une espèce De baudruche passée au lard.

J'aime mieux ta basane épaisse Comme un prélart.

Car c'est avant tout la chlorose Qui donne à leur teint ce reflet, Et fait ces pétales de rose

Toi, que ton cuir soit propre ou sale, Qu'importe Il est d'un fameux grain. Il se tanne auisoleil, se sale

Se culotte aux souffles du large, Se cuit même dans ton sommeil Mais dessous court au pas de charge Un sang vermeil.

Et tout cela, mon camarade,

Hâlé, fumé, roux, fauve, brun, Le soleil, l'eau, l'air de la rade, Le vent, l'embrun,

Tout cela se fond et s'arrange

Avec la patine des ans

En un riche métal étrange

Et, dressé sur ton col robuste,

Ton vieux museau de mathurin Resplendit pour moi comme un buste D'or et d'airain.

ÉTUDE MODERNE D'APRÈS L'ANTIQUE L'antique, disais-tu, peuh c'est froid comme-glace. On le respecte pour l'avoir appris en classe.

Mais c'est un préjugé, sois-en bien convaincu. Jamais rien de précis, de réel, de vécu.

Il nous faut du détail, et point de rhétorique. Tes anciens. Mon ami, tu n'es qu'une bourrique î Sous une hutte au toit de joncs entrelacés, Aux parois de feuillage, ensemble et harassés Dormaient deux vieux pêcheurs sur un lit d'algue sèche. A côté d'eux gisaient leurs instruments de pêche, Petits paniers, roseaux, lignes, forts hameçons, Appâts que le fucus doit cacher aux poissons, Verveux, nasses d'osier au fond en labyrinthe, Deux rames,de leurs doigts 'calleux gardant l'empreinte, Puis une barque usée, à plat sur des rouleaux. Leurs hardes avec leur bonnet de matelots,

Une natte, et voilà le chevet de leur tête.

C'est de ce pauvre peu que leur fortune est faite. C'est là tout l'attirail des pêcheurs, tout leur bien. Rien de plus. Et leur seuil n'a ni porte ni chien. A quoi bon C'eût été de la peine perdue.

Pas de voisins! Partout, autour d'eux, l'étendue. La hutte est toute seule et la mer à côté.

Et ce qui les gardait, c'était leur pauvreté.

Hein, qu'en dis-tu ? Comment trouves-tu la peinture? Voyons, est-ce précis, réel, vécu, nature,

Détails sans rhétorique et mots sans tralala? Franchement, fait-on mieux aujourd'hui que cela ? 7 Or, sauf un trait, l'étude est mot à mot transcrite, Idylle vingt et un, de l'aïeul Théocrite.

Moisson d'écume aux flots ravie,

De l'air brûlé, du sol sans eau, du ciel sans rides, Chante le chant de mort, terre aux lèvres arides J Enfin l'heure est venue où les suprêmes flots

Dans l'Océan suprême ont replié leur moire,

Et les livres anciens gardent seuls la mémoire

Des hommes d'autrefois qu'on nommait matelots. Des centenaires fous, près des flaques dernières: Disent avoir vu là des apparences d'eau

Où planait un brouillard comme un léger rideau. Grenouilles coassant au fond sec des ornières,

On écoute râler leurs contes du vieux temps

Mais aux lieux désignés par leur geste débile

On ne distingue plus qu'une plaine immobile

D'où se sont envolés les nuages flottants.

Sous l'atmosphère dont le vide lourd accable,

Plus rien ne bouge au ras du sol, au haut des airs, Et le soleil tout nu verse sur ces déserts

Ses feux dévastateurs dans l'azur implacable.

Plus d'eau Plus de vapeurs 1 Un hâle universel 1 La plante se flétrit et l'animal se couche.

Le souffle moribond de la dernière bouche

Dans l'espace altéré se cristallise en sel.

La chair même n'a pas le temps de se dissoudre

En grasse pourriture où grouillent les ferments.

Le liauide pompé, tout devient ossements

Que le sel aussitôt encroûte de sa poudre.

Partout il se condense, il enveloppe, il morti,

II tue, et cependand qu'il tue, il purifie

Car la mort ne doit plus putréfier la vie,

Car la vie a cessé de naître de la mort.

Et chaque jour il serre une autre bandelette

Autour du globe étreint sous son embrassement, Pour le conserver pur incorruptiblement,

Suaire immaculé qui couvre un blanc squelette.

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LES SONGEANTS

L'HARENG SAUR

Comme un trésor.

Et qui polit.

Trempés fle lait.

Dans le poudrain,

Aux tons luisants i

Car ce serait assez pour que l'on te bénît,

Sainte étoile du nord, si tu n'étais qu'un phare, Toi par qui les bateaux, quand leur aile s'effare, Sont en un sûr chemin ramenés à leur nid.

Quelquefois cependant le phare se ternit,

Et l'heure où de rayons son feu nous est avare, C'est l'heure où l'ouragan souillant dans sa fanfare Pousse au galop sur nous son cheval qui hennit. Mais quoi Même à cette heure, et sans que l'on te, voift. Aux matelots perdus montrant toujours la voie, Tu guides dans la nuit l'aiguille du compas Et c'est toi, toujours toi, que nous voyons en ellfii Ancre immobile, dont le câble ne rompt pas, Ancre jetée au fond des cieux, ancre éternelle t

LE SEL

{FBAGMENTS)

Et le sel enfin net, libre de sédiments,

Étincelle au soleil comme des diamants.

0 diamant, ô perle fine

Digne du front des souverains,

Et qu'on devrait comme divine

Clore en de précieux écrins,

Bien du pauvre que nul n'envie,

Fleur de vase changée en grains,

Elixir dont la force amère

Soutient notre vie éphémère,

Pleur concret de la bonne mère,

Goutte de moelle de ses reins,

0 sel oue les tribus barbares

Echangent encore à présent

Contre.l'or et l'argent en barres

Et plus qu'eux .trouvent bienfaisant,

sel, que deviendraient nos races,

Si dans les espaces voraces

Soudain te volatilisant,.

Ton âme toute consumée

S'en allait comme une fumée

De notre terre accoutumée

A t'avoir en te méprisant?

Quelles langueurs universelles,

Quel dégoût de tout ce serait 1 j

La pourriture que tu cèles

Sous ta saveur comme un secret,

Fade, écœurante, corrompue,

Avec son haleine qui pue î

Tout à coup s'épanouirait, <;

Et de putréfaction lente

Tout mourrait, la bête, la plante,

Dans l'atmosphère pestilente

D'un déliquescent lazaret.

Garde-nous de ce jour sinistre

Et de ce trépas empesté,

0 sel préservateur, ministre

Suprême de la pureté,

0 sei dont la saine magie ̃

De l'être entretient l'énergie,

0 sel des miasmes redouté,

Feu dont ils craignent les morsures,

Fier archer dont les flèches sûres

Leur font de cuisantes blessures,

Sel, héros au glaive enchanté l 5

0 sel, désinfecteur du monde,

Mystérieux, blanc, radieux,

1 Gai, subtil, vainqueur de l'immonde,

Sel, unique plaisir des vieux,

0 sel qu'on pose sur la lèvre

Du mourant, de l'enfant qu'on sèvre,

Sel de bienvenue et d'adieux,

0 sel dont nos larmes sont faites,

Givre qui pâliras les faîtes

Du temple où les derniers prophètes

Annonceront les derniers Dieux l

Car toi qui prêtas ton essence

A notre primitive faim,

Sel qui connus notre naissance,

Tu nous scelleras notre fin..

Humble grain que la paludière

Vole en passant pour sa chaudière

Et cache au fond de son couffin,

Sel que gaspillent les servantes,

Tu verras les formes vivantes

Fondre, et de-ces jours d'épouvantes

Tu seras le blanc séraphin.

L'ÉTOILE DU NORD

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