que j'en suis vexé à ce point que, l'autre nuit, j'ai rêvé du droit. J'en ai été humilié pour l'honneur des rêves. Je sue sang et eau, mais si je ne peux parvenir à trouver des cahiers d'Oudot, c'est foutu, je suis rejeté pour l'année prochaine. J'ai été voir hier passer des examens; c'est, je crois, ce que j'ai de mieux à faire. Il me faudra aussi, moi, endosser bientôt ce harnais crasseux. Je me fous pas mal du droit, pourvu que j'aie celui de fumer ma pipe et de regarder les nuages rouler au ciel, couché sur le dos et fermant à demi les yeux. C'est tout ce que je veux. Est-ce que j'ai envie de devenir fort, moi, d'être un grand homme, un homme connu dans un arrondissement, dans un département, dans trois provinces, un homme maigre, un homme qui digère mal ? Est-ce que j'ai de l'ambition, comme les décrotteurs qui aspirent à être bottiers, les cochers à devenir palefreniers, les valets à faire les maîtres, l'ambition d'être député ou ministre, décoré et conseiller municipal ? Tout cela me semble fort triste et m'allèche aussi peu qu'un dîner à quarante sous ou un discours humanitaire. Mais c'est la manie de tout le monde. Et ne fût-ce que par distinction et non par goût, par bon ton et non par penchant, il est bien maintenant de rester dans la foule et de laisser tout cela à la canaille, qui se pousse toujours en avant et court dans les rues. Nous, demeurons chez nous du haut de notre balcon regardons passer le public, et si parfois nous nous ennuyons trop fort, eh bien, crachons-lui sur la tête, et puis continuons à causer tranquillement et à contempler le soleil couchant à l'horizon. Bien le bonsoir.
i. Autographe non retrouvé.
89. À SA SŒUR. LOV
[Paris, 2J juillet r842.]
[Comment, mon bon Carolo, peux-tu me demander pardon du temps que je prendrai à lire ton griffonnage. Ce sont là de ces choses qui s'écrivent entre gens qui se font des politesses, mais qui ne se peuvent guère entre nous.] Ta lettre de ce matin, au contraire, m'a fait beaucoup plus de plaisir encore que les autres, parce que Mme Tardif, que j'ai vue hier, m'avait dit que papa lui avait appris que tu avais été fatiguée d'une course un peu trop longue. Dieu merci, cette fatigue n'a été que passagère. Ménage-toi bien, ma chère enfant, pense toujours à ceux qui t'aiment et à toute la peine que nous cause la plus petite douleur pour toi.
[Tu m'as appris deux bien tristes nouvelles, la mort de [Louise] 1 et la conduite de Maria. Je crois que la seconde l'est autant que la première. Combien M. et Mme de Maupassant, qui sont des gens de cœur, doivent être froissés de l'ingratitude de cette pécore. Au reste tant mieux. Mieux vaut maintenant que plus tard. Quant à ton thé, je l'avais vu avant de partir, il est magnifique et il doit être cher, j'avais oublié de t'en parler. J'ai rencontré hier à l'école de droit le fils de M. Vallée 2. Tu peux dire à ses parents qu'il va bien.] J'ai dîné hier chez M. Tardif avec M. et Mme d'Opias 3. Je me suis très bien conduit pendant tout le dîner (toujours distingué dans ma tenue et dans mes manières, comme Murat). Mais le soir, voilà qu'on s'avise de parler de Louis-Philippe, et que je déblatère contre Louis-Philippe à propos du musée de Versailles. Figure-toi en effet que ce porc-là, trouvant qu'un