Liban. Je cherche des yeux la neige que j'avais vue ces jours derniers, il y en a un peu à ma droite, à trois portées de fusil.
Sassetti est pris par le froid et la fatigue, les mulets vont un train déplorable ou mieux ne vont presque point.
La vue s'agrandit, dans quelques instants je serai au haut du Liban. Verrai-je la mer de l'autre côté ? La route tourne et contourne un mamelon et par une entrée assez étroite (qui se trouve à droite sous vous, lorsqu'on est au sommet) j'entre dans un tout petit vallon creusé avec un mouvement de cuillère et où il y a une place d'herbe très verte. On monte encore cinq minutes, de la neige à droite; quand elle sera fondue, il poussera sans doute de l'herbe à la place.
Du haut du Liban, sur la crête aiguë de la montagne, on a à la fois (il ne s'agit que de se retourner) la vue de l'Anti-Liban, de la plaine de la Bequaa, le versant oriental du Liban, d'un côté et de l'autre, celle de la vallée des Cèdres et de la mer, bleue et couverte de brume, au bout de cette gorge teinte d'ardoise avec des traînées rouges et des tons noirs. La vallée part d'en face de vous, par une courbe incline sur la gauche, puis redevient droite et s'abaisse vers la mer. De là-haut, elle a l'air d'une grande tranchée taillée entre les deux montagnes, fossé naturel entre les deux murs géants. Sur son ton, généralement bleu très foncé, places noires; ce sont des arbres, dans lesquels on distingue des petits dés gris, qui sont des maisons. Aux premiers plans, à droite, mamelons qui descendent vers la vallée, comme des épines dorsales régulières de couleur rose, pâle d'ensemble; descendant vers le fond, va s'apâlissant en gris, pour se marier aux terrains blancs inférieurs. Quelques traînées blanches au milieu des mamelons, entre chacun d'eux; ce sont les sentiers des ravins à sec. C'est de ce côté que se trouvent les cèdres, verts au milieu du gris qui les entoure. Dans l'ensemble d'un si vaste paysage, ce n'est qu'un détail, je m'attendais à plus d'importance de leur part. Du reste, comme bouquet et imprévu dans la composition, ils sont là d'un bel effet. A gauche, grand mouvement de terrain, creusé comme une vague, lisse à l'œil et tout gris, sans verdure aucune; c'est un peu plus bas que commencent les couleurs vertes. Vers la droite (du côté de Tripoli), il y a une base de montagne blanche, c'est celle-là qu'on tourne pour aller à Aden. Grand bouquet vert à mi-côte, avant d'arriver aux plaines qui s'étendent (de ce côté) jusqu'à la mer. Le village de Bercharra, au milieu de ses arbres longs et verts, comme seraient des sapins (ce sont des peupliers trembles), a l'air tout penché sur l'abîme, et la vallée (dont, à cause de la hauteur où l'on est, on ne peut voir les pentes qui y mènent) a l'air creusée à pic.
Quand on se tourne vers l'Anti-Liban, on a d'abord le Liban; au premier plan, la partie dégarnie de la montagne, puis le plateau qui monte vers la partie boisée. Son fond est grisâtre, çà et là parsemé de bouquets verts, le terrain fait gros dos et va joindre la forêt de caroubiers dont on ne peut voir le versant oriental. Vient, en y faisant suite, la