position que dans ma pensée, et je m'étais armée contre ce désespoir; mais je ne me doutais pas qu'un rien, un bruit, un mot, l'aspect d'une maison pouvaient agir assez puissamment sur cette douleur pour me la rendre cruelle comme au premier moment que je l'ai soufferte. En Angleterre, j'ai vécu sous le nom de madame Benoît; hier vous avez donné à mes Ilotes le seul nom que j'ai le droit de porter, celui de mademoiselle de Mandres, et vous avez bienfait. Mais quand on est entré chez moi après votre départ pour me demander si mademoiselle de Mandres avait besoin de quelque chose, je ne puis vous dire', combien ce nom, oublié dans l'habitude d'un autre, a raisonné cruellement à mon oreille; il me disait ma position dans toute son horreur. Hélas la résolution sous laquelle j'avais cru contenir mon désespoir était bien faible. Ce seul mot l'a rompue comme une digue de sable, et toutes mes tortures passées et d'autres que je n'avais pas prévues, se sont précipitées dans mon cœur. Me voici donc à Paris, moi, mademoiselle de Mandres, à deux. pas de la maison de nia mère,-où je ne veux. rentrer qu'en ennemie. Je veux protéger mes sœurs mais contre quoi? contre la ruine, contre l'improbité de leurs maris. Mais si la ruine leur vient, on les plaindra comme d'honnêtes femmes indignement sacrifiées et trompées, tandis que ma misère n'excitera jamais que le mépris. Et, tenez, monsieur Morland, je m'égare encore, je le crains. Ce que je veux appeler justice, c'est la révolte insensée du coupable contre le monde. J'ai tort.
En parlant ainsi, elle se mit à pleurer comme un enfant sans force ni courage. Cette façon de voir allait amener cette nonchalance naturelle qui m'empêche volontiers de rien entreprendre, jusqu'àce qu'irrité par l'obstacle, je mette dans mes entreprises une rare obstination lorsqu'une fois j'y suis engagé. Je n'osais cependant pas dire à Géorgina qu'elle avait raison, ne voulant pas profiter de la première occasion pour me départir de mes promesses,, et je nageais entre deux eaux, lorsqu'elle me tira d'embarras en me disant avec vivacité
Vous me trouvez bien faible et bien sotte, et vous n'osez pas me le dire. Non, non, non! reprit-t-elle en se levant avec action, cet homme ne m'aura pas impunément perdue.