On a prétendu que Mme Scarron avait tout changé en trois mois'; il s'est formé là dessus une vraie légende que La Beaumelle a brodée, que Walkenaër a rendue populaire et que M. de Noailles, dans son zèle pour Mme de Maintenon, a acceptée sans contrôle. Que la présence d'une femme, surtout quand cette femme était Françoise d'Aubigné, ait inspiré un peu plus de réserve aux amis de Scarron, et à Scarron lui-même, c'est ce qu'il est légitime de supposer. Pourtant, il ne faut pas oublier qu'a cette époque une honnête femme pouvait prêter l'oreille à des propos plus que légers, sans que sa réputation en.soun'rît; la pudeur dans le langage et dans les écrits n'existait pas alors, et il n'est guère de grave personnage du temps qui n'ait sacrifié plus ou moins à la Muse égrillarde. Voilà pourquoi il ne faut pas supposer, sans preuve, que Mme Scarron a tout régenté, tout purifié chez elle, et qu'elle a réformé son époux comme elle devait former plus tard les demoiselles de Saint-Cyr. Il faut être un partisan bien déterminé de Mme de Maintenon, pour découvrir dans les œuvres de son mari quelque trace de sa salutaire i « Scarron était extrêmement libre en ses propos; mais au bout de trois mois de mariage, M"' de Maintenon l'avait corrigé de bien des choses. » (Segt'fttstana, p. '105.)
Walkenaër a amplifié d'une façon ridicule l'assertion très contestable de La Beaumelle. Cette page est un tel modèle de déclamation creuse et d'inexactitude constante qu'elle vaut la peine d'être citée « Par cette conduite, elle (M°" Scarron) parvint à opérer un changement extraordinaire. une métamorphose complète dans le caractère, les sentiments et l'esprit même de ce n:etH<n-d, et ce fut avec une promptitude qui parut tenir du miracle. Scarron, qui se montrait auparavant si impatient de dissiper dans la joie et dans la débauche le peu de jours qui lui restaient, si insouciant, si déhonté, si impudique, n'est plus semblable à lui-même; il pense, il parle, il agit, il écrit tout différemment qu'il n'a fait jusqu'alors. Voyez-le, ce bouffon cynique, qui plaisantait sur le déshonneur de sa propre sœur: il croit à la vertu, il en fait l'éloge L'cm~ lui est apparu, c'est comme une révélation. Il ne s'inquiète plus de lui-mème; une seule idée le poursuit et l'assiège, le tourmente sans cesse. Cette idée, c'est de trouver le moyen d'assurer un sort à cette orpheline après qu'il ne sera plus. Voilà sa seule pensée, son unique préoccupation. Il sait qu'il n'a plus longtemps à vivre et qu'il faut qu'il se hâte. Rien ne lui coûte pour expier sa faute envers le tout puissant ministre, pour reconquérir la protection de la reine-mère, dont il se dit le malade en titre et envers laquelle il s'est montré ingrat (M. Walkenaër cite en note l'Estocade à Mazarin, qui date de 1645 et qu'il croit postérieure au mariage !) il n'est pas de projet qu'il n'enfante pour courir après cette fortune qu'il a laissée s'échapper avec tant d'indifférence. Lui, le burlesque, veut devenir financier il se fatigue à calculer il propose des plans d'entreprise, en souscrit le privilège, mais toujours au nom de sa femme, pour sa femme, pour elle seule il n'a besoin de rien, elle a besoin de tout il ne parle que d'elle, que pour elle. Il la recommande à tous ses amis, disant en pleurant qu'elle est digne d'un autre époux, digne d'un meilleur sort. Il travaille et écrit sans cessé pour obtenir de l'argent des libraires ou des comédiens, mais tout ce qui sort de sa plume est plus délicat, plus spirituel, sans mauvais goût. Il est gai sans être bouffon, et badin sans gravelure son âme, son esprit, son cœur se sont améliorés, épurés il amuse, il réjouit, il attendrit, il est devenu plus cher à ses amis et à tous ceux qui le connaissent. )) (Walkenaër, Ht'stoM'e de Mme de Se~~Hc.)