tout lui fut apporté le matin, une demi-heure seulement après l'heure pour laquelle la Mole l'avait demandé, ce qui fait qu'il n'eut trop rien à dire. Il s'habilla rapidement, se regarda dans son miroir, se trouva assez convenablement vêtu, coiffé, parfumé, pour être satisfait de lui-même enfin, il s'assura par plusieurs tours faits rapidement dans sa chambre que, à part plusieurs douleurs assez vives, le bonheur moral ferait taire les incommodités physiques.
Un manteau cerise de son invention, et taillé un peu plus long qu'on ne les portait alors, lui allait particulièrement bien.
Tandis que cette scène se passait au Louvre, une autre du même genre avait lieu à l'hôtel de Guise. Un grand gentilhomme à poil roux examinait devant une glace une raie rougeâtre qui lui traversait désagréablement le visage; il peignait et parfumait sa moustache, et, tout en la parfumant, il étendait sur cette malheureuse raie, qui, malgré tous les cosmétiques en usage à cette époque, s'obstinait à reparaître, il étendait, dis-je, une triple couche de blanc et de rouge; mais, comme l'application était. insuffisante, une idée lui vint un ardent soleil, un soleil d'août, dardait ses rayons dans la cour; il descendit dans cette cour, mit son chapeau à la main, et, le nez en l'air et les yeux fermés, il se promena pendant dix minutes, s'exposant volontairement à cette flamme dévorante qui tombait par torrents du ciel.
Au bjut de dix minutes, grâce a un coup de so- jsil do j^smier ordre, le gentilhomme était arrive h avoii îin visage si éclatant, que c'était la raie ̃îeîîge qui maintenant n'était plus en harmonie avec le reste, et qui, par comparaison, paraissait jaune. $olre gentilhomme ne parut pas moins fort satisfait de cet arc-en-ciel, qu'il rassortit de son mieux avec le reste du visage, grâce à une couche de vermillon qu'il étendit dessus; après quoi il endossa un magnifique habit qu'un tailleur avait mis dans sa chambre avant qu'il n'eût demandé le tailleur. Ainsi paré, musqué, armé de pied en cap, il descendit une seconde fois dans la cour, et se mit à ca-
resser un grand cheval noir dont la beauté eût été sans égale, sans une petite coupure que, à l'instar de celle de son maître, lui avait faite, dans une des dernières batailles civiles, un sabre de reître. Néanmoins, enchanté de son cheval comme il l'était de lui-même, ce gentilhomme, que nos lecteurs ont sans doute reconnu sans peine, fut en selle un quart d'heure avant tout le monde, et fit retentir la cour de l'hôtel de Guise des hennissements de son coursier, auxquels répondaient, à mesure qu'il s'en rendait maître, des mardi prononcés sur tous les tons. Au bout d'un instant, le cheval, complètement dompté, reconnaissait, par sa souplesse et son obéissance, la légitime domination de son cavalier; mais la victoire n'avait pas été remportée sans bruit, et ce bruit (c'était peut-être là-dessus que comptait notre gentilhomme), et ce bruit avait attiré aux vitres une dame que notre dompteur de chevaux salua profondément, et qui lui sourit de la faf-on la plus agréable.
Cinq minutes après, madame de Nevers faisais appeler son intendant.
– Monsieur, demanda-t-elle, a-t-on fait convenablement déjeuner M. le comte Annibal de Coconas ?
– <3m, madame, répondit l'intendant il a même ce matin mangé de meilleur appétit encore que d'habitude.
Bien, monsieur, dit la duchesse.
Puis, se retournant vers son premier gentilhomme
Monsieur d'Arguzon, dit elle, partons pour le Louvre, et tenez l'œil, je vous prie, sur M. le comte Annibal de Coconas, car il est blessé, et, par conséquent, encore faible, et je ne voudrais pas, pour tout au monde, qu'il lui arrivât malheur. Cela ferait rire les huguenots, qui lui gardent rancune depuis cette bienheureuse soirée de la Saint-Barthélemy.
Et madame de Nevers, montant à cheval à soa tour, partit toute rayonnante pour le Louvre, où était le rendez-vous général.