si les milieux gouvernementaux avaient tenu compte des avertissements que
leur prodigua à maintes reprises l'historien à l'écoute du Malghreb depuis
plusieurs décennies. On notera aussi que même dans ses critiques les plus
acerbes Charles-André Julien évite les outrances verbales, qu'il n'est pas un
contempteur systématique de l'œuvre coloniale dont il « serait injuste de
contester la grandeur » (à propos de l'Algérie) tandis qu'à l'occasion il
n'hésite pas à reprocher leurs fautes et leurs erreurs aux anciens colonisés.
N'est-ce pas là la transposition dans l'Histoire militante du véritable esprit
universitaire ?
X. YACONO.
André NozrÈnr, Algérie Les chrétiens dans la guerre, Paris, 1979, 327 p.
Voici, concernant l'attitude des chrétiens en Algérie pendant la guerre
de libération nationale, une solide étude historique, bien informée, écrite
avec talent et concision. La préface enthousiaste de René Rémond, qui
salue dans « ce beau livre, modèle de jugement historique » « une belle
et grande leçon d'intelligence historique », nous paraît très largement
méritée.
André Nozière qui a, semble-t-il, condensé dans ce bref ouvrage une
thèse de troisième cycle, a su présenter avec rigueur et honnêteté les diverses
options adoptées par les chrétiens, catholiques et protestants. Les chrétiens
dans la guerre, ce furent aussi bien les aumôniers militaires, les sémina-
ristes et laïcs rappelés, tous plus ou moins crucifiés par les missions qui
leur furent confiées, que les pasteurs nés en France et les fidèles nés en
Algérie, pour la plupart convaincus qu'en luttant pour l'Algérie française,
ils défendaient la civilisation chrétienne contre « le fanatisme musulman »
et le FLN « organisation clandestine d'assassins ». Toutefois la hiérarchie
en grande majorité d'origine métropolitaine fit peu à peu pencher la balance
dans le sens opposé aux croisés de l'Algérie française. Les prises de posi-
tion de Mgr Duval, archevêque d'Alger, y furent, selon l'auteur, pour
beaucoup.
Tout naturellement le chapitre qui lui est consacré est-il l'un des plus
nourris c'est surtout l'un des plus neufs. Les lettres-circulaires du prélat
d'Alger seront pour beaucoup de lecteurs une révélation. Sait-on par
exemple que s'adressant à son clergé le 7 octobre 1956 Mgr Duval n'hési-
tait pas à écrire « Il faudra tenir compte de la nécessité do donner pro-
gressivement satisfaction à la volonté d'autodétermination des popu-
lations. » Trois ans avant que de Gaulle ne lançât ce néologisme, le mot
clé d'autodétermination était utilisé par Mgr Duval et, si le vocable de
« coopération » ne figure pas dans cette lettre-circulaire, la politique du
même nom y est clairement décrite puisque était recommandée « une
aide apportée par la France » pour la période transitoire où « l'Algérie ne
serait pas encore en mesure de subvenir à ses besoins propres ». D'autres
circulaires ne sont pas moins étonnantes, comme celles qui condamnent
les techniques de la guerre psychologique « qui souillent l'âme et le cœur
et conduisent à un Etat policier » (29 septembre 1958), ou celles qui fus-
tigent « les tracts sanguinaires de l'oas », organisation assimilée à une
« nouvelle floraison du nazisme ». Ceux qui ont parlé d'un prélat effacé et
mystique cultivant l'ambiguïté pourront réviser leurs jugements. Mais
l'auteur lui-même, qui regrette la diffusion discrète de ces messages, a-t-il