Bibliomanie.
Un célèbre médecin de R. eut l'art de se former, à très-bon marché, une belle biliothèque de livres bien choisis, dont la vente, après son décès, a été une des meilleures parties de son héritage. Il s'était lié avec quelques libraires, dont il fréquentait les magasins, parcourant, avec un air d'indifférence, les ouvrages qu'il y voyait. Il y venait souvent à l'heure du dîner, bien assuré qu'il n'y trouverait qu'un commis qui ne so méfierait pas de lui, le connaissant pour l'ami du libraire. Il demandait souvent à voir un livre qui était dans un rayon élevé, et tandis que le commis allait chercher un ma,rche-picd, il mettait lestement dans sa poche un ou deux volumes d'un ouvrage en douze ou quinze, et laissait celui qu'il avait demandé à examiner. Quelque temps après, il marchandait l'ouvrage dont il avait déjà un ou deux volumes, et le trouvant dépareillé, sans que personne de la maison pût concevoir comment cela avait pu se faire, il finissait par avoir l'air de se contenter de ce qui en restait, pourvu qu'on lui donnât à bon marché, ce qui arrivait ordinairement, le libraire ne pouvant espérer de tirer parti d'un ouvrage incomplet. Cette manœuvre se renouvela souvent à Paris et à Lyon, chez les différents libraires, qui étaient loin de le soupçonner. Cependant cette ruse fut découverte par l'un d'eux, qui, étant allé voir M. R. dans une. belle maison de campobne où il s'était retiré sur la fin de ses jours, et visitant sa bibliothèque, y trouva très-complels et de même reliure des ouvrages qu'il lui avait vendus i vils prix, et comme dépareillés.