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Titre : Annales de la Société Jean-Jacques Rousseau

Auteur : Société Jean-Jacques Rousseau. Auteur du texte

Éditeur : A. Jullien (Genève)

Date d'édition : 1933

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34462999q

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb34462999q/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

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Description : 1933

Description : 1933 (T22).

Description : Collection numérique : Bibliothèque Francophone Numérique

Description : Collection numérique : Zone géographique : Europe

Description : Collection numérique : Thème : Les droits de l'homme

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

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Source : Bibliothèque nationale de France

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 15/10/2007

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DE LA SOC!ÉTË

JEAN-JACQUES ROUSSEAU



ANNALES

DE LA SOCIÉTÉ

JEAN JACQUES ROUSSEAU

TOME V!NGT-DEUX!ÈME

1933

A GENÈVE

CHEZ A. JULLIEN, EDITEUR

AU BOURG-DE-FOUR. 32



vec des remarques pour servir d antidote

[ PIERRE NAVILLE] ]

Examen du Contract Social

de J .-J. Rousseau

à Quelques principes

publié d'après le manuscrit autographe

PAR

JEAN FABRE

Agrégé de t/ntcwst~e

Professeur à l'Institut français de ~arao~M


A M. BERNARD BOUVIER

En respectueux hommage.


INTRODUCTION

La littérature polémique immédiate, si abondante pour les Discours ou l'Emile, n'encombre guère les historiens du Contrat Social. La première réfutation imprimée, I'A7!Co/ra~ Social de Beauclair, se fait attendre deux ans 2 la Lettre d'un Anonyme date de 17663. On s'explique assez bien qu'en France les premières réactions aient été tardives et médiocres difficultés du sujet, inactualité et banalité apparente de spéculations bonnes pour les juristes, absence de curiosité et de passion autour du Contrat les raisons valables ne manquent pas Mais à Genève même, dans le flot des libelles, où s'atteste la violence des passions soulevées par « l'Affaire Rousseau », on ne rencontre rien pendant longtemps qui s'en prenne directement au Contrat Social, occasion première et, peut-être, cause essentielle de la bataille. Rousseau s'étonne, puis s'indigne de ce silence: il l'interprète non comme l'effet de la timidité ou de la paresse, mais comme une adroite et « monstrueuse » conspiration, destinée à donner le change à ses compatriotes et à étouffer le véritable débat. Les Lettres écrites de la Campagne elles-mêmes, si fertiles quand il s'agit de chicane ou de religion, se dérobent devant la po(1) Abréviations Arch. G~n. = Archives d'Etat de Genève. Bt~ Gen. = Bibliothèque publique et universitaire de Genève. Corr. gén. == Correspondance générale de J.-J. Rousseau, éd. par Th. Dufour. Reg. Cons. = Registre du Conseil de Genève. Soc. Hist. Arch. = Société d'Histoire et d'Archéologie de Genève. (2) Anticontrat social, dans lequel on réfute d'une manière claire, utile et agréable les principes posés dans le Contrat Social de J.-J. Rousseau, citoyen de Genève, par P. L. Beauclair, citoyen du Monde. La Haye, 1764.

(3) [Elle LuzaI]. Lettre d'un anonyme à M. Jean-Jacques Rousseau, Paris, 1766.


litique. Elles se bornent à répéter catégoriquement que « les principes du Contrat sont destructifs de tout gouvernement Mais, remarque Jean-Jacques, « on a toujours évité toute espèce d'explication sur ce point on n'a jamais voulu dire en quel lieu j'entreprenais ainsi de les détruire, ni comment, ni pourquoi, ni rien de ce qui peut constater que le délit n'est pas imaginaire. » 1 Alors que Genève est la seule ville où le Contrat ait été condamné, les réquisitions du Procureur-Général contre lui restent cachées dans le secret des registres du Conseil; on en refuse toute communication.

Il se murmure bien à Genève que la condamnation des livres de Rousseau et de sa personne est dûe avant tout à la politique. Moultou en avertit son ami Marcet est plus explicite encore « l'article de la religion n'est pas tant la cause de la condamnation de Rousseau que le prétexte s. Mais ni partisans, ni adversaires semblent n'oser le dire ouvertement et moins encore l'imprimer. Rousseau seul, dans les Lettres de la Montagne, tentera d'arracher le masque, de dévoiler les <: motifs secrets et de déplacer le débat des discussions obstinées sur la Profession de Foi ou le chapitre de la Religion civile, pour le porter sur la politique du Contrat Social.

Lorsque plus tard les historiens examineront les documents officiels et feront des sondages dans les correspondances contemporaines ou les journaux personnels des notables genevois, même s'ils ne vont pas aussi loin que Rousseau pour dénoncer la manœuvre de ses adversaires, ils s'accorderont à penser qu'en effet « la politique a joué son rôle certain dans la condamnation de Rousseau 3 Cependant, leur sentiment reste fondé sur des présomptions et des indices, plutôt que sur des preuves formelles. Il leur manque un exposé véridique et (1) Lettres écries de la Montagne, 1" partie, lettre VI. (2) Lettre du 30 juillet 1762. Citée par Edouard Rod. L'Affaire Jean-Jacques Rousseau. Paris-Lausanne, 1906, p. 145. (3) Gaspard Vallette. J. J. Rousseau Genevois. Paris-Genève, 1911, p. 241.


méthodique des craintes provoquées et des objections soulevées chez les adversaires de Rousseau par la lecture du Contrat Social. Ils trouveront un exposé de cet ordre dans le texte que nous publions. A défaut de grand intérêt philosophique, juridique ou littéraire, celui-ci pourra toujours nous apprendre ce que pensait du Contrat Social dans toute sa nouveauté, le citoyen de Genève, Négatif « moyen », qui vers la fin de 1762 se donnait très consciencieusement la peine d'en rédiger, chapitre par chapitre, un Examen.

A

14

Cet Examen, resté inconnu jusqu'à ce jour, est classé sous le numéro 186 dans la riche collection de manuscrits que la Bibliothèque Polonaise de Paris doit à ses premiers fondateurs, en l'espèce à Karol Sienkiewicz ` C'est un beau cahier de 158 pages, numérotées au recto et au verso (154 de texte, 4 de table), reliées d'un solide cartonnage au dos de maroquin orné de dorures. L'auteur ou le propriétaire du manuscrit a voulu en préserver l'anonymat la page de garde où se trouvaient vraisemblablement des indications d'origine a été soigneusement découpée après reliure et il n'en reste en blanc qu'environ la largeur des marges ordinaires du cahier. Par contre, un ex libris collé à l'intérieur contre le cartonnage permet d'aiguiller immédiatement la recherche, car il porte des armoiries genevoises bien connues, celles de la famille Naville d'azur au chevron d'argent un peu ployé, accompagné de trois étoiles d'or. Cimier un bouquetin issant. En exergue la devise Nec ardua SM~UT! De plus, sur un cartouche au bas, est imprimé le nom Naville, la partie gauche laissée libre pour le prénom. (a) Karol Sienkiewicz, poète, historien, publiciste. Né à Kalinôwka en Ukraine le 20 janvier 1793, mort à Paris le 7 février 1860. Secrétaire du prince Adam Czartoryski, conservateur de la fameuse bibliothèque de Pulawy, il accompagna le prince dans son exil après 1831 et fut le principal organisateur de la Bibliothèque Nationale polonaise, 6, quai d'Orléans, à Paris.

(1) Cf. Galiffe. Armorial historique genevois. Genève, 1859.


Ces armes sont très anciennes Jacques Navilly, fils de Rolet, venu à Genève en qualité de maçon, au début du xvi* siècle, tout droit de son hameau de Marzier (aujourd'hui dit Mercier, près de Saint-Martin, dans la région d'Annecy) et reçu bourgeois le 8 décembre 1506, avait déjà un sceau en fer, portant les armes qui sont restees celles de ses descendants Mais notre e.r-Z!6rM a été établi beaucoup plus tard son ornementation, qui l'enjolive d'acanthes et de fleurs, nous reporte indubitablement vers le second tiers du xvnr* siècle.

Or, nous avons connaissance de la dispersion d'une Bibliothèque Naville à la fin du xvin* siècle celle d'Isaac-Louis Naville, le premier membre de sa famille qui depuis deux siècles et demi ne fût pas voué au commerce, homme politique, avocat et surtout historien, bibliophile et armorialiste de très grand mérite~. En 1792, Isaac-Louis était syndic pour la deuxième fois, lorsque les troubles révolutionnaires commencèrent à Genève. Il se retira alors dans sa propriété de Céligny 3 et en put fuir à temps, lorsque, en juillet 1794, les comités révolutionnaires envoyèrent à Céligny deux bateaux armés pour s'emparer de lui. Réfugié à Yverdon, il y apprit en même temps que sa condamnation à mort par contumace, l'exécution de son cousin François-André Naville, fusillé comme représen(1) Ce renseignement est dû à M. Frédéric Naville.

(2) Isaac-Louis Naville (1748-1801). Officier dans le corps des dragons. Des CC en 1775. Membre de la Chambre des Fiefs (1776). Auditeur en 1779. Conseiller d'Etat en 1782. Syndic en 1788 et 1792.

Isaac-Louis Naville, dans les loisirs que lui laissaient ses fonctions publiques, s'était livré à des recherches considérables historiques et généalogiques, particulièrement sur sa famille et ses origines. Il composa plusieurs livres de famille illustrés de tableaux héraldiques il dessinait et peignait lui-même les armoiries avec une très grande dextérité. Un de ses principaux ouvrages (ils sont tous inédits et dispersés dans plusieurs familles) est l'Armorial genevois. [Communiqué par M. Frédéric Naville]. (3) Céligny est une ancienne commune genevoise, enclavée en pays de Vaud (alors sujet de Berne) et ayant accès au lac.


tant de l'aristocratie. Plus heureux. Isaac-Louis rentrait sain et sauf à Céligny en juillet 1797, mais pour y trouver sa maison dévastée à plusieurs reprises, sous prétexte de perquisitions, des bandes armées y étaient venues de Genève et étaient retournées, leurs bateaux chargés de butin. La bibliothèque surtout avait souffert la plupart des livres et des manuscrits étaient disparus. C'est ainsi vraisemblablement qu'avec bien d'autres documents, l'Examen du Contrat social passa aux mains de nouveaux propriétaires, pour trouver un jour sa place à la Bibliothèque Polonaise de Paris.

La branche cadette des Naville, à laquelle appartenait Isaac-Louis, est éteinte aujourd'hui il en fut lui-même le dernier représentant. Resté sans enfants, il légua sa fortune, son œuvre d'armorialiste et ses archives de famille aux orphelins de son cousin François-André, dont il était le tuteur. C'est l'arrière petit-fils de l'aîné de ceuxci. M. Frédéric Naville qui, après nous avoir conté les épisodes de cette histoire mouvementée, voulut bien nous communiquer certains papiers de famille, restes de la bibliothèque pillée d'Isaac-Louis.

Il se trouve parmi eux de nombreux ex-libris du même modèle que celui de l'Examen. Mais sur quelques-uns d'entre eux on a calligraphié un prénom celui du père d'Isaac-Louis, Pierre Naville, qui jadis lui avait transmis ses livres en héritage Pierre Naville a donc le premier utilisé ces ex-libris et vraisemblablement, il en a fait lui-même établir le modèle la main qui a écrit ce prénom était la sienne.

Or, c'est la sienne aussi qui a écrit tout au long le texte de l'Examen. Nombreux sont les documents qui permettent de le vériner lettres, copies (1) « Je lègue par préciput à Isaac-Louis Naville, seigneur ancien syndic, mon cher fils, tout le surplus de ma vaisselle d'argent, tous mes meubles, linges, provisions, ustensiles et effets de ménage, ma bibliothèque et papiers de famille. »

(Testament enregistré le 21 avril 1790. Arch. Gen. Testaments Enregistrés, ? 81, F" 398-399).


de testaments et surtout pièces officielles. Car Pierre Naville a rempli des charges publiques on verra plus loin comment l'année même du Contrat Social, il exerçait pour la seconde fois les fonctions d'auditeur. Les archives du Gouvernement de Genève pour 1762 contiennent nombre de procès-verbaux rédigés par lui En particulier, Naville assuma avec son collègue Bonnet, entré en charge en même temps que lui, l'instruction de l'Affaire Pictet. Le dossier dit « du procès Rousseau » renferme entre autres une déposition de témoin recueillie par Naville celle de l'horloger Gentil 2. A elle seule cette pièce pourrait suffire la comparaison graphologique établit, hors de toute contestation, que l'Examen du Contrat Social est de la main de l'auditeur Pierre Naville.

Mais en est-il pour cela l'auteur ? Au premier regard, il est difficile de donner une réponse certaine. Le manuscrit représente la mise au net d'un brouillon que ne perd jamais des yeux un copiste d'une remarquable sûreté de plume. On pourra faire le compte de ses distractions mots oubliés, lignes omises, etc. Elles sont peu nombreuses et immédiatement réparées avec une vigilance, un souci d'ordre et de clarté qu'on trouve rarement en défaut. Tant de conscience méticuleuse étonnerait de la part d'un simple copiste tant d'esprit critique surtout. En voici un exemple. A la page 68 du manuscrit (p. 96), une note précise le sens du mot « rapports », dans l'expression les rapports d'un peuple les rapports signifient l'Etal, la complexion d'un peuple. Le scribe a orthographié le mot Etat avec une majuscule, comme il (1) Cf. Arch. Gen. Procès criminels ef informations, 1762, 2°" paquet (mars. avril, mai). CCCCXCVII. N-" 10991-11008 ? 10992 (Procédure suivie contre Philippe Clément et Jean-François Dupertuis), ? 11004 (Procédure contre Sophie Girard), etc. (2) Arch. Gen. Procès criminel et informations. 1762. CCCCXCVIII. ? 11009. Procès de l'Emile et de Rousseau. Verbal de Naville, auditeur, au sujet de la déposition du sieur Etienne Gentil. Du 21 juillet 1762. ? 6 de la procédure. (On trouvera cette pièce en appendice).


a le plus souvent dans ce texte l'occasion de le faire. Il s'aperçoit alors que le mot fait contre-sens il corrige en surcharge par une minuscule l'état, la complexion d'un peuple. Ailleurs des références, oubliées à leur place ordinaire, sont reprises en marge 1. Parfois des notes ou des exposés complémentaires, qui n'avaient pas trouvé place dans le corps de la rédaction, sont écrits au bas des pages 2, hors des limites ordinaires du texte. N'est-ce pas le fait d'un auteur, soucieux d'exprimer toute sa pensée ?

Sans doute, cet auteur extraordinairement fidèle à son brouillon ignore les scrupules de la dernière heure ou les brusques poussées de l'imagination. Avec ordre et méthode, il s'en tient à un texte dont il a bien pesé les mots et a pour principal souci de donner une copie parfaitement nette, qu'il pourra lire ou faire lire et qu'il entend, peut-être, avoir arrêtée pour l'impression. A qui connaît par les impeccables copies de Jean-Jacques, les habitudes des auteurs genevois, tant de sang-froid et de scrupules ne paraîtront pas exceptionnels.

Ainsi les indices matériels, sans apporter de solution certaine, inclinent plutôt à admettre que l'on se trouve en présence non d'une copie de scribe, mais d'un manuscrit d'écrivain. Faut-il en signaler encore un ? La page de garde du manuscrit, soigneusement découpée, n'a pu être entièrement détachée sous peine d'entraîner avec elle le feuillet 23-24 qui lui correspond. Il en reste assez pour qu'on aperçoive encore une lettre à la hauteur où nous aurions lu probablement le nom de l'auteur. Cette lettre est un « e s, et au dessus d'elle on devine, grâce à un minuscule fragment, la boucle d'une lettre haute b, f, h ou 1 en somme, la dernière syllabe d'un nom qui pourrait être le nom de Naville. Pour ce motif encore il est vraisemblable de supposer que nous lui devons non seulement la copie, mais aussi la rédaction de l'Examen.

(1) Cf. p. e. p. 100, 105, etc. (2) Cf. p. e. p. 58, 64, 83, etc.


Cette hypothèse qui est la plus simple n'est-elle pas aussi la plus raisonnable ? I! serait assez étrange de supposer qu'un personnage de l'importance de Naville se soit mis en peine de prendre copie de sa propre main d'un texte dont il ne serait pas l'auteur. Certes, les compatriotes de Rousseau, citoyens et bourgeois, sont d'infatigables copistes. Leurs journaux personnels constituent de véritables recueils, où trouvent place procèsverbaux d'élections, comptes rendus d'Assemblées, textes législatifs, libellés des Représentations avec les réponses du Conseil, notes de séances, etc. en somme tous les éléments d'une documentation politique que, magistrats ou tout au moins membres du Souverain, ils jugent nécessaire d'avoir directement sous la main. Mais on n'imagine ni un Cramer, ni un Dupan, ni tout autre, copiant un texte du caractère et de la dimension de l'Examen. Pour s'armer contre Emile, l'ancien syndic Cramer appelle à son secours un théologien « de ses amis lui demande de rédiger un petit Extrait du livre qui signalerait et réfuterait les propositions dangereuses. L'Extrait n'est guère considérable. Pourtant, sans le recopier de sa main, Cramer l'insère tel quel dans son Journal. Naville eût-il agi autrement ?

On peut imaginer, il est vrai, qu'il s'est contenté de rédiger une œuvre d'inspiration collective, en servant de secrétaire à quelque « cercle genevois, ou à un groupe d'amis politiques. Mais l'hypothèse, purement gratuite, ne diminuerait guère l'importance de son rôle. Ce qu'il est impossible d'admettre, c'est qu'il ait tiré copie, longtemps après sa rédaction d'un texte dont l'intérêt et l'importance dépendent presque uniquement des circonstances, de l'actualité.

Grâce aux indications qu'apporte le texte lui-même, cette actualité se laisse assez facilement limiter. L'Examen ne peut être antérieur au 25 août 1762

(1) Cf. Introduction, p. 50.


ni postérieur au 15 mai 1763. D'une part Rousseau est toujours citoyen de Genève. et l'auteur voudrait bien qu'il cessât de l'être. D'autre part la lettre qu'il a écrite le 24 août au pasteur de Môtiers est connue, puisque son commentateur dénonce Je contraste entre les idées religieuses du Contrat et la profession de foi en la religion réformée que Rousseau a renouvelée avec éclat « il y a peu de temps Ce « peu de temps est bien vague cependant, l'expression ne nous permet guère de dépasser les derniers mois de 1762, pour fixer la date de composition de l'Examen. A ce moment-là l'auditeur Pierre Naville avait peut-être certaines raisons de s'essayer dans la polémique en réfutant un texte qu'en d'autres circonstances « il n'eût même pas lu s. Pour les découvrir, il convient de s'arrêter un moment à sa personne et à son histoire d'homme politique et de magistrat.

3 Vers 1760 la famille Naville, restée longtemps dans une demi-obscurité, voyait enfin arriver l'heure de sa consécration définitive dans l'aristocratie genevoise. Pendant deux siècles les Naville, marchands drapiers de père en fils, étaient restés confondus dans fa bourgeoisie commerçante de Genève. Isaac Naville [1635-1683] fit le premier une belle alliance en épousant Anne-Marie Le (1) Cf. p. 81 et la note (a).

(2) P. 151.

(3) Les renseignements qui suivent, sur la personne, la carrière et la parenté de Pierre Naville, sont résumés ou transcrits d'un livre généalogique de sa famille, rédigé et illustré héraHiquement par Isaac-Louis Naville dont, avec une extrême complaisance, M. Frédéric Naville a pris la peine de copier pour nous de larges extraits. Ils permettent de compléter utilement et de rectifier sur certains points les indications qu'on trouve aux sources ordinaires Galiffe, Notices généalogiques sur les familles genevoises (Tome I, p. 532 sq.), complété par les MS. Galiffe (Arch. Gen. ? 51. Tome I, p. 543 sq.), et Louis Sordet Dictionnaire des Familles Genevoises (Tome III, p. 955 sq.).


Maire-Pellissari. Il siégeait déjà au Conseil des DeuxCents. Son fils aîné Jean-Daniel Naville [1679-1748] épousa Suzanne Mallet-Pictet son fils cadet Jacob Naville [1682-1744] fit fortune dans le commerce des soieries. De son mariage avec Marie Eynard naquirent huit enfants dont quatre moururent en bas-âge. Ceux qui survécurent furent Marie Naville [1712-1764], Pierre Naville [1714-1790], Etienne Naville [1717-1790], JeanLouis Naville [1719-1778]. Comme il arrivait souvent à Genève, les cadets s'expatrièrent, Etienne à Londres où il réalisa une honnête fortune avant de revenir dans sa patrie à partir de 1757 Jean-Louis à Paris où il mena une vie brillante et assez dissipée de fils prodigue l'aîné Pierre resta à Genève le premier de sa famille il allait se laisser tenter par les ambitions politiques. Né le 4 juillet 1714, il avait été présenté au baptême à la Madeleine, le 5 du dit mois par Noble Pierre Rilliet, oncle par alliance de sa mère. Les actes officiels le disent c marchand de dorures s après avoir succédé à son père dans son commerce de soieries, il avait fondé en 1734, en Société avec son cousin germain Marc Naville, une importante industrie de passementerie, qu'étant donné les lois somptuaires de Genève, on peut imaginer destinée surtout à l'exportation. Mais, le 12 janvier 1752 Pierre Naville se retira de tout commerce actif et désormais il ne tint plus aux affaires que par les commandites qu'il fit à divers membres de sa famille, sans en retirer, semble-t-il, de grands profits, puisque au dire de son fils Isaac-Louis, son infatigable bienfaisance pour les siens compromit peu à peu sa fortune. Par bonheur, cette for(1) Si l'on se reporte à l'Art. « Dorure » de l'Encyclopédie, le mot dorure peut s'entendre soit de l'or en feuilles, l'or moulu n utilisé en orfèvrerie ou en librairie, soit << des matières en or ou argent propres à être employées dans les étoffes riches Etant donné le passé commercial des Naville, marchands de draperies et de soieries, le commerce de <' dorures » de Pierre Naville et de son associé doit s'entendre plutôt au second sens du mot.


tune était considérable, accrue encore par un premier mariage très brillant. Le 18 juillet 1745, Pierre Naville avait en effet épousé, en l'église du Petit Saconnex, Demoiselle Anne Sara de Thellusson, fille aînée de Messire Isaac de Thellusson qui, pendant seize ans ministre de la République auprès de S. M. Très Chrétienne, avait su mettre à profit le système de Law pour faire ses affaires, avec celles d'un bon nombre de ses compatriotes. Au contrat de mariage, passé le 17 juillet 1745, l'épouse apportait de dot quarante mille livres, tandis que Pierre Naville promettait pour sa part quinze mille livres d'augment et trois mille de bagues et joyaux. Plus tard, après le décès de ses parents, Anne Sara Naville obtint pour sa part d'héritage cent-vingt mille livres. Pourvu donc par lui-même et par sa femme d'une aisance considérable, Pierre Naville put s'abandonner librement aux ambitions d'une carrière politique, dont le « cursus honorum minutieusement établi par Isaac-Louis Naville, nous permet de reconstituer les étapes.

Pierre Naville débuta comme diacre, puis caissier de la Bourse Française, le 4 janvier 1741. Elu membre du Conseil des CC en 1746, directeur de l'Hôpital Général en 1749, il fut présenté au Conseil Général pour la charge d'auditeur le 16 novembre 1749, mais non retenu. Par contre, dès l'année suivante, le 21 septembre 1750, le Conseil des CC qui avait alors par l'usage le droit des subrogations, le porta d'autorité à cette charge, en remplacement de Jean-Jacques de Chapeaurouge, élu Conseiller d'Etat. Ancien du Vénérable Consistoire en 1758. membre de la Chambre de Commerce la même année, membre de la Chambre des Appellations le 23 avril 1759, Pierre Naville accepta pour la deuxième fois la charge d'auditeur le 9 novembre 1761, peut-être parce qu'il la considérait comme un acheminement vers la haute dignité qu'il ambitionnait celle de Conseiller d'Etat. Dès le début de 1762, Pierre Naville se mit sans succès sur les rangs, les 3 et 10 avril, contre Messires Jacob Buffe


et André Pasteur. Le 20 août 1762, Jean-Antoine Guainier, après une compétition acharnée, l'emporta sur lui de cinq voix. Enfin le 7 janvier 1763, Pierre Naville était battu encore, cette fois de dix-sept voix par Jacob Tronchin. Dès lors, nous dit Isaac-Louis, « prévoyant les troubles qui ne tardèrent pas à bouleverser la République, il abandonna absolument la magistrature et résista à toutes les sollicitations qui lui furent faites pour se remettre sur les rangs, lors des nombreuses vacances qui ne tardèrent pas à se produire dans le Petit Conseil ». Pierre Naville se contenta d'entrer au Conseil des LX, dont il fut élu membre le 9 janvier 1775, et vécut la plus grande partie du temps dans sa retraite de Céligny. Frappé en 1780 d'une première attaque d'apoplexie, il en supporta les maux « avec le courage et la résignation que donne la vraie piété Il vécut cependant dix années encore, pour mourir des suites d'une seconde attaque le 18 avril 1790, à l'âge de soixante-seize ans. Il avait eu du moins la satisfaction de voir son fils Isaac-Louis et son neveu François-André dans ces charges éminentes de la Republique où il n'avait pu lui-même accéder. Ces dates et ces faits, dans leur sécheresse, ne révèlent pas grand'chose du caractère et de la personnalité de Pierre Naville. Son fils garde sur ce point la réserve ou s'en tient à des indications générales et bien neutres, qu'il s'agisse de la générosité de son père, de la douceur de son humeur ou de sa piété. Nous possédons bien quelques lettres de Pierre Naville 1, mais lettres de famille ou billets d'affaires, elles ne s'écartent guère de ce ton d'impersonnelle convenance qui caractérise à cette époque les citoyens de Genève, restés fidèles à leur austérité et à leur gravité traditionnelles. Le style de Pierre Naville est moins celui d'un homme que d'une ville et d'une caté(1) On trouvera une lettre de Pierre Naville à son beau-père Pierre de Thellusson dans Galiffe D'un sMcZe d !'atttre. Genève, 1877, Tome I, p. 167-168.


gorie sociale. L'Examen du Contrat lui-même ne révèle chez son auteur ni une pensée asez originale, ni un talent de polémiste et d'écrivain assez aiguisé, pour que nous puissions l'isoler d'un type genevois moyen. Nous en sommes réduits aux dates officielles d'une carrière qui semble elle aussi ne pas appartenir en propre à Pierre Naville et constituer l'habituelle trame de l'existence publique des magistrats genevois.

Toutefois un trait de cette carrière ne peut manquer d'attirer l'attention sa période la plus active et la plus ambitieuse coïncide avec la condamnation du Contrat Social et les débuts de l'Affaire Jean-Jacques Rousseau. La coïncidence est pour le moins curieuse et mérite d'être éclairée par des renseignements plus explicites que ceux auxquels s'en tient Isaac-Louis Neuville.

La charge d'auditeur que Pierre Naville exerçait pour la seconde fois en 1762 occupait une place assez élevée dans la hiérarchie genevoise. Sur les rôles du Magnifique Conseil des CC, les auditeurs viennent au sixième rang après les syndics, le Seigneur-Lieutenant, les anciens syndics, les conseillers, les secrétaires d'Etat, mais avant le Procureur Général, les secrétaires de la Justice, les juges et châtelains. Pénétré de l'importance des auditeurs, Rousseau voudrait que leur charge fût une sorte de barrage imposé avant l'élection au Conseil des XXV. < Malheureusement, ajoute-t-il, le choix des auditeurs est aujourd'hui de peu d'effet Les « patriciens de Genève s'exemptent assez cavalièrement de cette charge ingrate qui exige d'importants sacrifices et n'apporte que peu d'honneur en échange de beaucoup de soucis. Le rôle des auditeurs est de servir en toutes circonstances de seconds au lieutenant, d'être à ses côtés ou à sa place, ma-

(1) Lettres écrites de la Montagne, 2e partie, lettre VII.


gistrats instructeurs dans toutes les affaires criminelles. En théorie les auditeurs sont au nombre de six, renouvelables par tiers tous les deux ans en pratique ce sont les deux derniers élus qui doivent assumer la besogne et celle-ci est, la plupart du temps, très absorbante Aussi ne manifeste-t-on pas un très vif empressement à briguer cette charge. Lors du renouvellement de 1761, seul le S' Frédéric-Guillaume Bonnet a fait une déclaration de candidature le Conseil des XXV a trouvé son seul nom indiqué en chancellerie. Il est obligé alors de pourvoir d'autorité à des nominations en désignant les S" Louis Lefort, Léonard Revilliod, Jean-Jacques Boissier et en indiquant en outre les S" Abraham Gallatin, Jean-Louis Charton, Jean-Louis Sales et Charles Bandol, qui ont eu aussi des suffrages 2. Mais au Conseil des CC la plupart des nommés malgré eux demandent leur décharge. Il ne reste en présence que Bonnet, Sales et Lefort. Réglementairement le Conseil doit pourvoir à une autre candidature c'est alors seulement que Pierre Naville est nommé 3. En Conseil Général, le 22 novembre 1761, les deux candidats retenus sont Bonnet et Naville~ le second est auditeur pour la deuxième fois, sans l'avoir peut-être recherché, mais il n'a pas cru devoir se dérober à la confiance des CC: c'est aux CC qu'ont lieu les élec(1) Les six auditeurs en exercice pour 1762-63 sont par ordre d'ancienneté Ami Jean de la Rive, Pierre Dansse, Léonard Fatio, Horace Bénëdict Perrinet Despanches, Pierre Naville, Frédéric Guillaume Bonnet. L'examen des dossiers des procès criminels et informations montre que les deux derniers se sont chargés de toutes les enquêtes et interrogatoires.

(2) Cf. Extrait du Registre du Conseil pour la séance du 20 novembre 1761. Reg. Cons. Année 1761. ? 261. F° 489. (Arch. Gén.), (3) Ibid., F" 490.

(4) Ibid., du dimanche 22 novembre 1761, en Conseil Général. F" 497. Il y a 1038 votants. Lullin de Chateauvieux a été élu seigneur-lieutenant par 924 suffrages Naville en a obtenu 750, un peu moins que son collègue Bonnet (Cf. MS. Soc. Hist. Arch. Affaires intérieures de Genève, 1750-1768, 9 vol. in-4", MS. ? 163).


tions des Conseillers et Naville est chaque fois sur les rangs.

Après deux tentatives préparatoires, voici qu'une nouvelle vacance se produit, à la mort du syndic Fabri le 17 août 1762. Le Conseil des CC se réunit pour l'élection dans les trois jours, dès le 20 août. En l'occurrence les inscrits en chancellerie ne manquent pas il n'y en a pas moins de sept Pierre Naville, Jean-Antoine Guainier, Jacob Tronchin, Jean-Pierre Trembley, Jean-Jacques Bonnet, Robert-Guillaume Rilliet et André Boissier fils 1. La plupart sont anciens auditeurs ou auditeurs en exercice, mais avec ses cinquante-deux ans, Naville est de beaucoup le plus âgé de tous. Les deux nommés sont Guainier et Naville le premier l'emporte finalement de cinq voix (81 contre 76) 2. Pourtant il a six ans de moins que Naville, il est comme lui du Conseil des CC depuis 1746, comme lui « ci-devant négociant Mais les représentants des grandes familles aux CC l'ont soutenu et imposé. Du moins Naville peut-il garder de l'espoir pour la prochaine vacance. Elle ne tarde guère Noble Barthélemy Dupan meurt au début de janvier 1763 le 7 janvier les CC se réunissent. Une fois de plus Naville est nommé, de compagnie avec Jacob Tronchin qui en août s'était effacé devant Guainier. Et l'histoire recommence Naville est de nouveau battu par le candidat de l'aristocratie, mais avec une différence de voix beaucoup plus nette 18 voix de majorité en faveur de Tronchin 3. Que se passe-t-il donc ? Pourquoi élimine-t-on obstinément un candidat de mérite et qui paraît s'imposer ? Une lettre écrite par un des chefs des <: patriciens l'ancien syndic Dupan à son ami bernois, le banderet de Freudenreich au lendemain de l'élection, le 8 janvier 1763, va nous l'apprendre. Dupan n'est pas pour rien l'ami et l'admirateur de Voltaire ses commentaires prennent toujours un tour vif et spontané et grâce à eux les chiffres s'éclairent.

(1. 2) Reg. Cons. Tome 262. F"' 292 sq. On trouve des détails sur l'élection et le chiffre des voix dans le MS. ? 163. (Soc. Hist. Arch.). (3) Reg. Cons. Tome 263. Fo 8.


« Nous avons été bien aises, écrit Dupan, que Tronchin fût conseiller, parce qu'il en est digne, parce qu'il souhaitait cette place et qu'il est notre ami, mais principalement parce que nous avons surmonté une indigne cabale qui s'est formée depuis quelque temps contre tous les Tronchin, contre les gens de mérite et contre les meilleures familles. On voudrait n'avoir dans ce Conseil que des noms nouveaux. On voulait y mettre un Naville, homme sans talent, sans étude et sans expérience, rustre et beaufrère du colonel Pictet. Guainier n'eut que cinq voix de supériorité sur lui. Tronchin en a eu dix-huit. Quelques personnes se sont détachées de ce parti, indignées de la cabale qu'on avait faite au mois de novembre contre le Procureur Général~ s..

Remercions ce malveillant de nous découvrir de la sorte la raison des déconvenues politiques de Pierre Naville, victime d'une coalition des « optimates contre l'intrusion de ces « hommes nouveaux », au nombre desquels on le range. L'aristocratie de Genève, alarmée par la réélection pénible de l'un de ses grands hommes le Procureur Général et désireuse de venger ce demi-échec, a fait bloc contre Naville sur le nom quasi-symbolique de Tronchin. A lire la lettre de Dupan, on devine les mots d'ordre qui ont servi à la campagne menée contre l'importun Naville est un « rustre », un homme « sans expérience qui le premier de sa famille a quitté son comptoir pour la politique, « sans étude alors que Jacob Tronchin, « ci-devant négociant sans doute, mais négociant en banque, appartient à une famille illustre par les (1) Lettres de Jean-Louis Dupan au Banderet et à la Banderette de Freudenreich. (MS. ? 44, FOS 88-89, B/M. Gén.).

(2) Dans ses lettres aux Freudenreich du 23 et du 29 novembre 1762 (MS. cité, F°' 34 et 35). Dupan donne des détails et ses impressions sur cette réélection. La « cabale » contre Tronchin « a réussi à lui enlever le tiers des suffrages alors qu'il les méritait tous ». « On l'a rendu responsable à tort des réquisitions contre la personne de Rousseau. On a blâmé ses liaisons avec Voltaire, sa dépense et ses belles manières. »


dons de l'esprit et du talent. Enfin un dernier coup accable Naville c'est un ami de Rousseau, cause première du désordre où sont plongés les esprits. N'est-il pas le beau-frère du colonel Pictet dont la fameuse lettre à Duvillard a été poursuivie et jugée comme une désastreuse incartade ? Voilà Pierre Naville relégué par la malveileance de ses adversaires, au nombre des amis politiques de l'agitateur.

Naville a-t-il pressenti ces reproches ? Est-il entré en lice contre le Contrat Social pour apporter un démenti à certains d'entre eux et prévenir la manoeuvre de ses adversaires ? En l'absence de toute indication positive, il est téméraire de prétendre déterminer avec exactitude les mobiles qui l'ont poussé d'abord à lire, puis à réfuter Rousseau. Parmi eux, quoi qu'il en dise, il faudrait d'abord faire entrer en ligne de compte une curiosité bien naturelle, commune à tous les Genevois.

Dès son apparition, aux premiers jours de juin, le Contrat Social a mis Genève en fièvre. On l'y a lu avant ~m!/e les 200 exemplaires de l'édition in-8° expédiés par Rey, à défaut d'autres libraires, à l'adresse de l'entrepositeur Duvillard, ont probablement été enlevés, comme le prédisait Moultou 2, dans la première quinzaine de juin. Prévenu trop tard, le Conseil a dû se contenter de faire mettre les scellés le 16 juin, sur les ballots des exemplaires d'Emile, fraîchement arrivés de Lyon chez les libraires Bardin, Philibert et Gosse. Le Contrat Social lui a échappé il est curieux de constater qu'on a procédé contre lui, sans en avoir saisi officiellement un exemplaire à joindre au dossier comme pièce à convic(1) L'histoire de l'arrivée du Contrat Social à Genève est définitivement éclaircie par les lettres de Rey publiées au Tome VII de la Corr. Gén. (Cf. ? 1345, etc.). Voir aussi au Tome VII, la lettre de Mouchon à Rousseau, à la date du 5 juin 1762 (? 1394, p. 271-274).

(2) Corr. gén. VII, 273 Je crois que dans huit jours il (Duvillard) n'en aura pas un seul à vendre. ·


tion 1. Lorsque Pictet proteste, c'est contre la seule condamnation du Contrat à en croire ses déclarations et celle des témoins, la lecture de l'Emile l'amènera plus tard à faire amende honorable et à changer son sentiment. Pour la chronologie d'abord, pour l'importance des questions soulevées ensuite, « l'Affaire Rousseau r au moins à ses débuts est à Genève une Affaire du Contrat Social.

N'aurait-il pas eu envie de le lire, ses fonctions mêmes ont obligé Pierre Naville à s'en préoccuper. Le 21 juillet 1762 il est chargé de recueillir et de rédiger la déposition de l'horloger Etienne Gentil. Sa conscience de magistrat s'accorde avec sa curiosité de citoyen et ses préoccupations d'homme politique pour le pousser à une lecture attentive et à un examen critique du livre qui a provqué tant d'émotion.

Mais pourquoi ne se contente-t-il pas de notes personnelles ? Pourquoi tient-il à rédiger son Examen, à lui donner la forme nette, minutieuse et définitive que l'on sait ? Pourquoi sa copie a-t-elle visiblement tous les caractères d'un manuscrit destiné à circuler, établi peutêtre pour l'impression ? Exercice scolaire ? Amour-propre d'auteur ? Désir très genevois de faire la leçon à JeanJacques ? Après la lecture de l'Examen, aucune de ces réponses ne paraîtra plausible ou suffisante. C'est d'une œuvre de polémique et de politique essentiellement ge(1) Dans la procédure Rousseau, se trouve inclus, comme on sait, le feuillet suivant « N'ayant pas jusqu'ici pû trouver un Exemplaire du Contrat Social on avertit que le 4' volume d'Emile en contient l'abrégé au chapitre des Voyages L'avocat Ami Mallet qui vers la fin du XVIII* s. examinait le dossier Rousseau, trouvait cette absence du Contrat bien singulière. Une chose bien singulière, c'est que quoi n'eût trouvé qu'Emile, on procéda également contre le Contrat Social. J'ai été vraiment étonné de lire sur un papier qui est dans la procédure, etc. (Ami Mallet. Extrait des Plaidoyers célèbres et de morceaux sur des questions de droit. 1759-1790. MS. de la collection Edmond Mallet. Bt'M. gén. Non coté).


nevoise qu'il s'agit. L'adversaire de Rousseau a voulu dénoncer dans le Contrat des principes dangereux pour le gouvernement établi à Genève et même, sous le couvert de ces principes, une tentative révolutionnaire, la propagande de l'émeute. Est-il invraisemblable de supposer par surcroît que Pierre Naville a vu dans son Essai l'occasion de s'imposer comme un homme d'Etat véritable et, qui sait ? le moyen de fléchir les préventions qui faisaient obstacle à ses légitimes ambitions ? En quoi il se trompait lourdement. La suite montrera que rien ne pouvait le desservir davantage auprès de ceux qu'il devait gagner, que ce débat de franche politique institué au grand jour contre Rousseau. Après son échec du 7 janvier 1763, Pierre Naville en porte-à-faux entre les deux partis aux prises, dont l'un méprise sa personne et se défie de sa maladresse, dont l'autre est à l'opposé de ses idées, renoncera à ses ambitions politiques et restera en dehors de la grande bataille qui commence à se dessiner. Du moins l'intervention prématurée de cet adversaire de Rousseau nous permettra-t-elle de mieux en comprendre les motifs et l'enjeu, quand nous saurons dans quel esprit et de quelle sorte il a lu, interprété et réfuté le Contrat Social.

Le Contrat Social est un texte qu'on ne peut manier sans précautions. La logique en est volontairement austère et impérieuse. Les raisonnements s'enchaînent en maillons serrés entre des définitions dont il faut peser et retenir chaque terme, crainte de déformer grossièrement la pensée de l'auteur. Rousseau le sait et c'est pourquoi, à plusieurs reprises, il demande à son lecteur dt l'attention, de la patience et du sang-froid. Ce sont le: qualités dont manquent ses adversaires habituels les Lettres de la Montagne protesteront une fois de plus contre « cette manière odieuse de déchiqueter un ouvrage, d'en défigurer toutes les parties, d'en juger sur


des lambeaux enlevés çà et là, au choix d'un accusateur infidèle qui produit le mal pour lui-même, en le détachant du bien qui le corrige et l'explique, en détorquant partout le vrai sens.

Naville est-il à l'abri de ces reproches ? Oui et non. On ne saurait l'accuser d'être un contradicteur malhonnête ou un lecteur négligent. Son résumé suit pas à pas le texte, le reproduit intégralement pour certains chapitres et ne l'abandonne à d'autres que pour de solides raisons. S'il trahit Rousseau, sauf en deux ou trois occasions où les passions l'aveuglent ou l'égarent, il ne le trahit que de bonne foi.

Mais résumer le Contrat est un périlleux exercice. On ne peut simplifier certaines déductions de Rousseau sans les altérer ou les rendre incompréhensibles. Le lecteur s'en apercevra une fois de plus à certains raccourcis de Naville, aussi malheureux pour la pensée que pour le style. De leur côté, les commentaires qui s'attardent parfois à paraphraser des passages dont le sens ne souffre pas difficulté, se dérobent souvent aux endroits où l'on souhaiterait un peu de clarté. Si même ils paraissent alors, c'est pour accuser, à plusieurs reprises, de lourds contre-sens sur quelques-uns des points essentiels qu'il s'agisse de la volonté générale, des conventions, des rapports du gouvernement et de la souveraineté, Naville n'a pas compris la pensée de celui qu'il prétend réfuter. Plus encore que d'un manque naturel de clairvoyance juridique ou de ses parti-pris politiques, il est victime alors d'un démon entre tous redoutable aux critiques de JeanJacques celui de la dialectique. La tentation est grande d'exploiter contre Rousseau certaines définitions (cette du peuple, p. ex.) à leur place dans le contexte, mais non lorsqu'on veut étendre ailleurs leur usage. Mais quoi ? Il s'agit de mettre Rousseau en contradiction avec

(1) Lettres écrites de la Montagne, 1" lettre. (2) Livre H, chap. 6. ci-dessous p. 77.


lui-même. Quel triomphe de déclarer « le système de Rousseau n'est pas bien lié » 1. La chasse aux inconséquences a été de tout temps la passion majeure des critiques de Jean-Jacques. Elle ne leur a guère réussi à l'ordinaire pour le Contrat Social à Naville moins qu'à tout autre il ne faut pas s'armer d'à peu près pour confondre un raisonneur aussi redoutable que Rousseau, et une logique qui pêche plutôt par excès que par défaut. Naville ne peut manquer de s'en apercevoir. Mais il n'est pas loin alors de considérer les déploiements de syllogismes comme une parade de charlatan. H ironise contre la géométrie de certains chapitres, prétend la traduire « dans la langue de tout le monde et nourrit l'illusion de mettre les périodes de son auteur en « bon français & c'est-à-dire en français plat. Car, le style de Rousseau est de la poudre aux yeux, ses formules tranchantes des effets de rhéteur, son éloquence un attrapenigauds. Naville prétend être ce contradicteur réaliste qui, en se dérobant au prestige des phrases, ne serre que les idées et les faits.

Encore fait-il un tri parmi les richesses idéologiques du texte. H est tout le contraire de ces adversaires dont Rousseau dénoncera le procédé à ses compatriotes. « On fouille, leur dit-il, avec érudition dans l'obsucrité des siècles on vous promène avec faste chez les peuples de l'antiquité; on vous étale successivement Athènes, Sparte, Rome, Carthage on vous jette aux yeux le sable de la Libye pour vous empêcher de voir ce qui se passe autour de vous. 3 ». Bien loin de s'évader ainsi dans l'érudition et dans l'histoire, Naville accuse Jean-Jacques d'y chercher des diversions. Il néglige dédaigneusement la plupart de ses considérations historiques et de même les discussions strictement juridiques et philosophiques. Sur (1) Cf. ci-dessous p. 100.

(2) Cf. p. 95.

(3) Lettres écries de la Montagne, 2* partie, lettre IX.


tous ces points, il est vraisemblablement assez mal préparé. N'espérons pas trouver sous sa plume des aperçus profonds ou nouveaux sur la théorie du Contrat Social sa culture se borne, comme on le verra, à un minimum d'idées couramment reçues à Genève.

Mais, surtout, l'aspect théorique du Contrat n'est pas celui qui l'intéresse ni qui lui paraisse important. Avec moins d'éclat toutefois que Tronchin 1, il approuverait volontiers en Jean-Jacques le raisonneur et applaudirait à ses principes. Mais « il y a loin, ajoute-t-il, de la conséquence à l'exécution &. Seule c'est la mise en pratique qui compte. A quoi bon parler politique, si ce n'est pour s'en servir ?

A la mode d'aujourd'hui, nous dirions que Naville n'est pas un « clerc Les plus belles constructions logiques lui semblent vaines, si l'on est obligé de répondre négativement ou évasivement à la question « A qui cela peut-il être utile ? 3 Et il se contenterait vraisemblablement de nétrir le nouvel Erostrate et de railler des spéculations nuageuses, si le Contrat Social n'était qu' « inutile et n'était pas « dangereux Or il l'est, et désormais l'argumentation de Naville hésite et oscille entre deux pôles, non sans y perdre beaucoup de sa force logique, balancée entre deux désirs contradictoires montrer la parfaite vanité d'un livre construit dans les nuées en dénoncer les dangers poor les gouvernements établis et en particulier pour celui de Genève. De plus en plus, le second point de vue l'emporte à partir du Livre II c'est Genève que Naville voit derrière chacun des articles du Contrat c'est à elle qu'il ramène tout le (1) '< Dans le Contrat Social, l'auteur, après avoir fait dériver l'autorité des gouvernements des sources les plus pures, après avoir heureusement développé les avantages de l'état civil sur l'état de nature, ramène bientôt tous les désordres de l'état primitif. (Conclusions Tronchin. Cf. Corr. Gén., VII, p. 373).

(2) Cf. p. 60.

(3) Cf. p. 59 et passim.


système de Rousseau il a placé en tête de son résumé t ce nom de Genève que Rousseau dérobait sous une périphrase à la fin de son préambule, et du coup il a dévoilé des préoccupations qui jusqu'au bout resteront les siennes.

Il ne s'agit pas de rouvrir ici un débat inextricable el de se demander une fois de plus quelle est la part de Genève dans l'élaboration du Contrat Social. Rousseau a donné à son projet des Institutions politiques une envergure qui dépasse de beaucoup le cadre genevois. On est parfaitement en droit de considérer avec M. Beaulavon que « le système du Contrat Social reste général et théorique, que la méthode y est bien en réalité et non pas seulement en apparence rationnelle et a priori et que si l'idée de Genève a parfois dirigé les déductions de Rousseau, elle n'en a jamais fourni les principes Mais Gaspard Vallette n'a pas tort non plus, lorsqu'i; écrit « Livre genevois, écrit par un Genevois de l'opposition. le Contrat Social esquisse un système politique idéal de l'Etat, basé sur la constitution genevoise élargie et développée dans le sens des revendications théoriques de la bourgeoisie 3. » La seconde thèse a pour elle l'avantage d'être mieux en accord avec la psychologie de Rousseau, trop passionné pour voir un idéal autrement qu'à travers une expérience personnelle et une réalisation approchée. Huit ans avant le Contrat Social, en dédiant à la République son second Discours, il définissait déjà clairement la démarche naturelle de sa pensée politique: « En recherchant les meilleures maximes que le bon sens puisse dicter sur la constitution d'un gouver(J) Né citoyen de Genève. (p. 1).

(2) J. J. Rousseau. Du Contrat social, publ. par Georges Beaulavon, 3' éd. Pari~ 1922, p. 69.

(3) Vallette, op. cit., p. 175 et 184.


nement, il a été si frappé de les voir toutes en exécution dans celui de Genève. x que l'évocation de sa patrie telle qu'elle est et devrait être le poursuivra toujours avec obstination. Pourquoi, dès lors, attribuer à l'opportunisme politique l'interprétation strictement genevoise qu'il donnera lui-même de son Contrat Social. « Que pensiez-vous, Monsieur, en lisant cette analyse courte et fidèle de mon livre ? Je le devine. Vous disiez en vousmême voilà l'histoire du Gouvernement de Genève. C'est ce qu'ont dit à la lecture du livre tous ceux qui connaissent votre constitution 2

C'est en tout cas ce que s'est dit bien vite Pierre Naville. Il a lu le Contrat avec les yeux, sinon dans les dispositions d'esprit de ce lecteur genevois qu'imagine JeanJacques. L'envie ne lui manquerait pas de faire comme les beaux esprits, et de reléguer le Contrat « avec la République de Platon, l'Utopie et les Sévarambes dans le pays des chimères 3 ». Mais la réalité genevoise l'en détourne, le prévient qu'au lieu d'une dissertation académique, il se heurte à une politique agressive, à un programme de réformes, et peut-être à des perspectives de coup de force. Sur tous les points mentionnés dans les Lettres de la Montagne, sur toutes les questions que Rousseau se désole d'avoir vu négligées dans les attaques (1) Corr. gén., II. p. 69-81.

(2) Lettres écrites de la Montagne, 1" partie, lettre VI. Dès le début, dans son importante lettre du 24 juillet 1762 à Marcet de Mézières (Corr. gén., ? 1474, VIII, 37-38) Rousseau a donné une interprétation genevoise du Contrat (C Si j'étais Procureur général de la République de Genève et qu'un Bourgeois, quel qu'il fût, osât condamner les principes établis dans cet ouvrage, je l'obligerais à s'expliquer avec clarté, ou je le poursuivrais criminellement comme traître à la patrie et criminel de lèse-majesté.

(3) Lettres écrites de la Montagne, 1. c. Eh Monsieur, si je n'avais fait qu'un système, vous êtes bien sûr qu'on n'aurait rien dit on se fût contenté de reléguer le Contrat Social avec la République de Platon, l'Utopie et les Sevarambes dans le pays des chimères. Mais je peignais un objet existant. a.


de ses adversaires essence de la souveraineté, empire des Lois, institution du gouvernement, tendance à l'usurpation, assemblées périodiques, etc., Naville nous apporte la discussion sans détour, souhaitée par Jean-Jacques dès le mois de juillet 1762 et que seule « la manière ténébreuse s. de procéder qui est celle de ses antagonistes lui a dérobée.

« Peut-être, s'écriait-il alors, importerait-il beaucoup au peuple de Genève et même à ses magistrats de savoir précisément en quoi quelqu'un d'eux trouve ce livre blâfnable et son auteur criminel 1 ». Naville va nous l'apprendre en toute précision et nous expliquer ce qui dans le Contrat lui a paru tellement subversif et redoutable les principes de l'auteur et plus encore sa personne. Ses principes d'abord, liés à tout un passé révolutionnaire. Sous prétexte de revenir à l'esprit des institutions genevoises, Rousseau ébranle tout un édifice de coutumes qui ont force de loi, les patientes conquêtes sur lesquelles les patriciens genevois ont assis peu à peu leur domination et qu'ils ont été assez habiles pour faire consacrer par l'Acte de Médiation qui a mis fin aux troubles de 1738. A l'abri de ses abstractions et de ses grands mots, le Contrat Social ressuscite avec une force agressive accrue les vieilles revendications populaires défendues jadis par Michel Fatio, puis par Micheli-du-Crest. Rousseau est leur héritier direct et prend leur suite dans cette révolution larvée, coupée de crises brusques, où vit Genève depuis le début du siècle. A deux reprises, les Conseils ont entrevu leur perte seule l'intervention étrangère des Puissances médiatrices les a sauvés. Leur habileté a fait le reste ils ont su obtenir des Assemblées générales le désaveu des réformes ils ont fait exécuter ou exiler les meneurs. Mais les principes sont toujours vivaces. Et il reste à Genève un parti pour les défendre. Cependant il manque à ce parti une pensée politique cohérente il n'a pas de programme. Le Co/~ra~ Social

(1) A Marcet. Cf. ci-dessus, p. 32, note 2.


lui en apporte un. Croyons-en Moultou lorsque tout entier à l'impression première, il écrit à Rousseau le 16 juin 1762 que le Contrat Social est salué par beaucoup de bourgeois comme <: l'arsenal de la liberté Un des chefs les plus autorisés des Représentants, le vieux Deluc, confirmera quelques jours après ce témoignange en félicitant Rousseau « des admirables choses que son extraordinaire intelligence en Droit politique et sa vertu lui ont fait écrire avec tant de courage pour engager les Genevois à maintenir par la sagesse leur heureuse constitution 2. » Et de Paris, l'exilé Lenieps ne dira pas autre chose, tout à l'enthousiasme de voir définis « avec autant de vérité et de force 3 » les termes de Souveraineté et de Gouvernement c'est avec des définitions de principes que l'on fait quelquefois les Révolutions. Interprété par de tels lecteurs, le Contrat Social prend des apparences de manifeste. Et c'est comme tel que, dans le camp opposé, le considère Naville, en prêtant à Rousseau des intentions agressives immédiates, en le dénonçant comme un agitateur et un chef de faction < Votre but, Rousseau, n'aurait-il été que de régenter dans votre patrie ? Vous l'avés manqué~. a

De tous les personnages joués par Jean-Jacques, celui de candidat à la dictature n'est pas le moins inattendu. Sachons cependant résister au plaisir de l'habiller à la moderne et d'en faire un dictateur au goût du jour. Demandons plutôt à Naville les preuves ou les indices dont il étaye son accusation.

Ils se réduisent au fond à un soupçon en écrivant dans le Contrat Social son chapitre du Législateur, Rousseau a voulu définir le rôle qu'il se réservait de jouer à Genève, libérée de la tyran(1) Moulton à Rousseau, 16 juin 1762. Corr. gén., ? 1414, VII, p. 300-301.

(2) De Luc à Rousseau. 1" octobre 1762. Corr. ~en.. ? 1545, VIII, p. 167.

(3) Lenieps à Rousseau. Corr. gén., ? 1595, VIII, p. 254. (4) P. 122.


nie des Conseils. L'épouvantail de ce Législateur obsède l'imagination de Naville il le ramène sans cesse il en fait non seulement l'Instituteur de la République, mais celui qui lui assignera son gouvernement, l'arbitre suprême qui décidera dans les cas graves et qui règnera en fait, sous le couvert de la souveraineté populaire. Sans doute interprète-t-il alors abusivement le Contrat Social et pêche-t-il contre la logique du système on peut trouver qu'il se laise égarer par une imagination romanesque ou une indiscrète phobie. Pourtant c'est un homme pondéré et de sens rassis. Il serait peu vraisemblable que son inquiétude n'eût aucune base dans les faits. Voici au moins une donnée positive, susceptible de l'autoriser.

Dès les origines, le droit constitutionnel de Genève se fonde plus sur la coutume que sur des textes écrits. « On ne connaît pas à Genève le texte authentique des Lois, remarquera Rousseau le Conseil dispose d'un manuscrit qui est un recueil des édits avec les changements pratiqués et consentis par le silence du Grand Conseil au lieu que l'imprimé n'est que le recueil des mêmes édits tels qu'ils sont passés au Conseil Général 1. La plupart des prérogatives des XXV et des CC n'ont d'autre garant que ce silence. Aucun texte ne les reconnaît formellement. Le besoin d'une codification, d'un droit écrit, se fait tellement sentir à Genève, que la seule concession importante accordée par l'Acte de Médiation de 1738 aux revendications du parti populaire est une garantie, ou plutôt une promesse de garantie à ce sujet. L'article 42 de l'Acte prévoit la constitution d'un Code de Lois « Pour qu'un chacun connaisse les Loix de l'Etat et s'y soumette avec plus de docilité, il en sera fait le plus tôt que faire se pourra un Code général imprimé qui renfermera tous les édits et règlements » (1) Lettres écrites de la Montagne, 2* partie, lettre EX. (2) Arch. gén. Rég. Cons. pour 1738 et de Tournes, Edits de la République de Genève.


Depuis lors aucune suite n'a été donnée à ces dispositions les Conseils en ont éludé la réalisation, non sans des protestations réitérées de la part de nombreux citoyens. Genève n'a toujours pas de constitution écrite. Une place y est libre pour ce Législateur que Naville voit et pour cause sous les apparences d'un « compilateur des Lois Voilà le rôle que Rousseau ambitionnerait de jouer dans sa patrie. Tout cela n'est pas tellement mal vu, la seule erreur de Naville étant, peutêtre, d'imaginer un Rousseau à son image et de lui prêter des vues infiniment trop positives, de transformer en somme en projet de politique réaliste un rêve aux contours indécis.

Cette tête, enfiévrée et presque intoxiquée du Plutarque qui voisinait sur l'établi de son père avec Tacite et Grotius 1, se complaît depuis longtemps à cette chimère du Législateur. Depuis sa première gloire, Rousseau rêve de devenir un jour pour sa patrie un Solon ou un Aristide le peuple qu'il s'agit d'instituer ou de réinstituer est celui de Genève, où le fils de l'horloger humilié jadis par le Conseil, sera appelé un jour à apporter la concorde, à fonder en droit la liberté, en prononçant le FcecferM .e~u<M dicamus leges qui sert fièrement d'épigraphe au Contrat Social. De là l'étrange manifeste qu'est la Dédicace du Second Discours, où, par dessus les Conseils, Rousseau s'adresse à la République, se pose en arbitre des factions et ne comptant sur le suffrage de « quiconque est de quelque parti » prétend porter « dans le fond des cœurs l'olive qu'il ne voit encore que sur les médailles Qu'espérait-il alors ? On ne sait quel accueil triomphal, consécration de son génie et de sa vertu civique.

Arrivé à Genève, il n'a pas tardé à déchanter. (1) '< Je vois Tacite, Plutarque et Grotius mêlés devant lui avec les instruments de son métier ». (Dédicace du Discours de l'Inégalité. Corr. gén., II, p. 78).

(2) Lettre au Pasteur Perdriau, 28 nov. 1754, Corr. gén., II, 130-36.


Au lieu de l'adhésion enthousiaste de tous, il a dû faire l'expérience de la haine ou de la défiance des Patriciens à son égard, de la rivalité des hommes et des classes, des querelles où s'attardent ceux qui se disent les champions de la cause populaire. Bon gré, mal gré, il s'est laissé endoctriner par Deluc désormais dans ses lettres, le « bonhomme l'entretiendra de leurs communs antagonistes prétendra faire de lui l'homme d'un parti et l'instrument de sa politique.

Depuis vingt ans ce parti est coupé en deux tronçons les éléments radicaux en ont été dispersés loin de Genève. Il existe à Paris un refuge genevois avec lequel Jean-Jacques est en rapports. Ne compte-t-iJ pas au nombre des correspondants et des amis du banquier Lenieps, un révolutionnaire qui n'a pas désarmé et compte bien, en dépit des années, rentrer un jour à Genève pour y jouir de l'humiliation de ses ennemis les Conseils ? Rêve assez chimérique lut aussi.

Lenieps n'a aucune confiance en ceux de ses amis politiques qui, restés à Genève, y poursuivent la lutte contre les maîtres de l'heure. Il est en désaccord personnel avec De Luc. Celui-ci chargera Rousseau de certaines démarches de réconciliation auprès de son vieil ennemi s. Il médite de faire réhabiliter Lenieps dans sa patrie il envisage une sorte de « front commun dont Rousseau serait l'artisan. Devant la froideur non déguisée de Lenieps, Rousseau n'insistera guère, dégoûté « a priori de l'action politique et sachant tout de suite ce que valent les hommes et les partis.

Mais il ne renonce pas à sa chimère. Il croit toujours à un miracle de l'enthousiasme civique et de son génie. (1) Cf. De Luc à Rousseau, 23 juin 1755, ? 237. Corr. gén.. II, 194-96. Bousquet dévoué de tout temps à nos antagonistes. et la note de Th. Dufour Par ce terme De Luc entend évidemment des personnalités du parti gouvernemental. Donc déjà en 1755, J. J. R. n'était pas entièrement en faveur auprès du patriciat genevois

(2) Corr. gén., II, 138 sq. et H. 178.


Après chacun de ces chefs-d'œuvre conçus en fonction de Genève, tournés comme autant d'appels vers Genève le Second Discours et sa dédicace, la Lettre à d'Alembert, le Contrat Social et plus tard encore, malgré les déconvenues, la Lettre à l'Archevêque, tes Lettres de la Montagne, on dirait qu'il attend une démarche spontanée de ses concitoyens, une députation unanime qui le reconduirait en triomphe dans sa patrie, comme jadis les Athéniens allaient chercher dans l'exil leurs grands hommes et les ramenaient au chant des flûtes dans leur maison. Au lieu de cet enivrement, Marcet se dérobe, Pictet le renie, Moultou donne des conseils de prudence et suggère des rétractations, tandis que De Luc le traite en enfant qu'on guide, forge de médiocres manœuvres et des combinaisons à courte vue.

Avec un singulier mélange de dignité, de probité intellectuelle, de mégalomanie, de clairvoyance et d'incurable timidité, Rousseau, tout en s'attardant parfois aux « Si je voulais. se refuse à l'action politique et recule devant sa compromettante médiocrité. Il cache à ceux qui à Genève se croient ou se disent ses amis ses plus notables projets et, lorsqu'il se résoudra à des actes irréparables, ces actes seront souvent pour eux de cuisantes surprises et réaliseront les secrets désirs de ses adversaires. Finalement Rousseau s'éliminera lui-même de la politique genevoise les plus clairvoyants de ses ennemis, un Tronchin, un Cramer, un Dupan l'avaient bien quelque peu espéré.

Mais Naville n'a pas leur pénétration ou leur information. Pour lui tout est simple l'opposition bourgeoise longtemps privée d'un chef en a maintenant trouvé un. (1) « Des foules de Genevois sont accourus à Môtiers, m'embrassant avec des larmes de joie et appelant M. de Montmollin leur bienfaiteur et leur père. Il est même sûr que cette affaire aurait des suites, pour peu que je fusse d'humeur à m'y prêter. (A Mme de Boufflers, 30 octobre 1762, N" 1574. Corr. s~n.. Vin. 220).


Sans doute l'effet de surprise sur lequel elle pouvait compter lors de la publication du Contrat Social a-t-il fait long feu, mais la bataille dure encore. Et si Rousseau paraît à Genève pour se mettre à la tête des mécontents, tout est à craindre la République sera menacée d'une crise plus grave encore que celles qui, à différentes reprises, depuis le début du siècle, l'ont si dangereusement ébranlée. C'est pourquoi, en réfutant de sang-froid le Contrat Social, Naville paraît de temps en temps s'oublier et se croire devant le peuple assemblé qu'il interpelle pour dénoncer l'agitateur.

Jamais Gaspard Vallette n'a été mieux inspiré que lorsqu'il suppose que « la crainte de voir Rousseau rentrer un jour dans sa patrie. agit peut-être sur l'esprit des citoyens au moins aussi fortement que leurs alarmes théoriques La tactique des adversaires de Rousseau s'explique en effet par cette crainte si Rousseau arrive à Genève, quel parti adopter, que faut-il faire ? Le Conseil a beaucoup hésité à décider contre sa personne. Malgré l'opposition du Procureur Général qui voyait dans cette mesure une illégalité et qui pis est une maladresse, il s'est contenté d'opiner sur le cas où Rousseau viendrait à Genève, pour décider finalement une prise de corps conditionnelle. « Cette seconde partie de l'arrêt, écrit Du Pan le 28 juin, n'a pas été approuvée du public et n'était pas conforme aux conclusions du Procureur Général. Si Rousseau revenait à Genève, je ne crois pas qu'on lui fît d'autre punition que de le déclarer déchu de la Bourgeoisie et lui dire Allez-vous en. Ses sentiments sur la religion sont contraires à notre serment de (1) Vallette, op. cit., p. 243.


Bourgeois mais il n'a commis aucun crime à Genève 2 ». Ces suppositions se trouvent en partie confirmées par les sentiments du parti adverse dont les lettres de Moultou se font l'écho.

« On a fort murmuré, écrit-il par exemple, contre votre jugement et le Conseil a compris que sa sentence était trop rigoureuse il nie presque qu'il y ait eu contre vous un décret de prise de corps, qui sûrement ne serait pas mis en exécution si vous veniez à Genève 3 ». En somme le Conseil a peur et « l'on a bon marché, remarque Moultou, des gens qui ont peur 4 ».

En conséquence, les plans des amis de Rousseau tendent à l'attirer à Genève. Dans ses projets, Deluc prévoit les moindres détails pour l'arrivée de son ami. Il y compte pour Noël d'abord puis pour Pâques et pour plus tard encore, le plus tôt possible, car il faut exploiter l'effet obtenu par la Lettre à l'Archevêque. « Nous vous irons au devant en bateau, mes fils et moi, jusqu'à Coppets. Cette fois Rousseau en rechignant a promis, sinon à De Luc, du moins à Moultou. Mais le 7 mai la promesse qu'il renouvelle est mystérieuse comme une menace. « Je consens à vous accompagner (à Genève) si vous voulez, mais comme je ferais dans une autre ville. (1) Cf. p. 65. Il est remarquable que Dupan dans ses lettres donne à Rousseau ie titre de Bourgeois, non de citoyen. En réalité Rousseau n'est pas citoyen de Genève, mais bourgeois ainsi qu'il ressort nettement d'une lettre au pasteur Mouchon son cousin à la date du 29 octobre 1762 C'est un petit mal que la qualite de citoyen ne soit pas énoncée dans le baptistaire j'ai toujours été plus jaloux des devoirs que des droits de ce titre honorable. (Corr. gén., ? 1572, VIII, 215).

(2) Du Pan à Freudenreich. (MS. cité, F° 63).

(3) Moultou à Rousseau, 2 juillet 1762. Corr. gén., N" 1439~ VII. 345.

(4) Moultou à Rousseau, 4 janvier 1763. Corr. gén., ? 1639, VIII, 332.

<S) De Luc à Rousseau, 2 mai 1763. Corr. gén., ? 1798, IX, 269-71.


Mon parti est pris et mes arrangements sont faits. Nous en parlerons »

En fait, on n'en parlera pas ou trop tard. Le 12 mai, éclate comme un coup de tonnerre la lettre de renonciation méditée depuis de longs mois s et depuis lors tenue en réserve. Sans quitter la plume, Rousseau a écrit une lettres mordantes à De Luc. « Mes amis ne sont pas mes maîtres s. » Les phrases claquent comme des coups de fouet, enlevées par l'ironie des mauvais jours. En coupant les ponts entre lui et Genève, Rousseau a eu du moins l'immense satisfaction de se délivrer de ses amis et la consolation de leur jouer un mauvais tour.

Pour le coup, il ne s'était pas trompé. Le syndic Jean Cramer nous le dira mieux que personne en notant dans son journal avec quelques commentaires la nouvelle de la renonciation de Rousseau et son enregistrement pur et simple par le Conseil. « Cette lettre de Rousseau et la résolution du Conseil mirent la rage dans le cœur des partisans de R. et de ceux qui voulaient émouvoir les esprits. Ils avaient compté que R. viendrait à Genève, ayant fait tout ce qu'ils avaient pu pour l'y attirer. Ils sentaient bien que le Conseil et le Consistoire procéderaient contre lui et que cela occasionnerait des questions où leur parti tirerait tout avantage de l'admiration que des gens de tout ordre nourrissaient pour Rousseau. L'abdication de R. dérangeait ces mesures 4. Ce que Cramer néglige de signaler c'est le soulagement qu'apporte à ses amis et à lui-même la solution adoptée par (1) Rousseau à Moultou, 7 mai 1763. Corr. gén., ? 1803, IX, 279. (2) Rousseau parait envisager sérieusement sa renonciation dès la fin juillet 1762 (Cf. à Moultou, ? 1473, VIII 33) et surtout la lettre du 11 août à Marcet (? 1486, VIII, 60 j'ai donc pris le parti de renoncer à ma patrie et même d'y renoncer publiquement.).

(3) Rousseau à De Luc, Corr. gén., ? 1808, IX, 286.

(4) Jean Cramer, Journal (Bibl. Gén., MS. ? 85 (Inventaire 1798), f 88.).


Rousseau elle met fin de la façon la plus élégante à. leurs soucis de tout l'hiver.

Par son décret de juin, le Conseil a espéré surtout intimider Rousseau. Mais il serait bien en peine, si Rousseau arrivait tout de même à Genève pour y « mettre en action le Contrat Social Il faut parer à cette éventualité. Les maladresses mêmes des amis de Rousseau ou leurs scrupules ont donné l'alerte. Cramer met immédiatement le Conseil au courant de l'entretien sur Rousseau que lui a demandé De Luc le vendredi 28 janvier 1763. « Il est intéressant de savoir, note-t-il ce jour-là, ce que M" les Syndics auraient à faire si Rousseai venait subitement en ville plusieurs du Conseil ont mal compris l'arrêté de juin dernier, s'il tend à réduire surle-champ Rousseau en prison et croyent qu'il faut le modiner~.

Dans sa réunion du 31 le Conseil lui donne mission d'adopter avec De Luc une attitude expectative et en somme de le faire parler. C'est ce qui se produit dans la conversation de plus de deux heures qui a lieu entre eux le mercredi 2 février De Luc discourt, demande « que le retour en cette ville de M. Rousseau qui se propose d'y venir célébrer la Pâque soit pur et simple » Cramer « se refuse toujours à dire de quelle façon on agira si Rousseau rentre en ville

Et pour cause. La seule force du Conseil est l'intimidation, le mystère qu'il laisse planer sur ses intentions. Si on les connaissait, leur pusillanimité ferait sourire. « Le 5 février, note encore Cramer, M" les Syndics ayant consulté le Conseil sur ce qu'ils auraient à faire, au cas où ils apprissent que le sieur R. était revenu à Genève, le Conseil estima que dans ce cas M" les Syndics lui or(1) Copie du Journal de Jean Cramer, 1728-1770. (Soc. BM. Arch. 13 v. tome LXXVII, f<" 4 sq.).

(2) Cramer, op. cit., f* 44.

(3) Ibid., f° 46.


donneraient de comparaître au premier jour de Conseil et que cette résolution devait rester secrète 1. » La « manière ténébreuse n'est donc pas un mythe forgé par l'imagination de Jean-Jacques. Elle fait le meilleur de la tactique de ses ennemis il s'agit pour eux de gagner du temps, d'éluder le débat, de spéculer sur sa timidité et celle de ses partisans, d'exploiter habilement leurs divisions et leurs scrupules. Ils disposent pour cela d'une arme merveilleuse, mise entre leurs mains par Jean-Jacques lui-même la Profession de Foi du vicaire savoyard, le chapitre de la Religion Civile en bref la Religion de Rousseau.

La religion a joué un grand rôle dans l'histoire des différends entre Rousseau et Genève, mais ce n'est pas exactement celui qu'on serait tenté d'imaginer d'abord. Rousseau lui-même nous met en garde. « Si on eût cherché, dit-il, les motifs d'une partialité si choquante, on les eût trouvés dans le zèle de l'accusé pour la liberté et dans les projets des juges pour la détruire Rousseau eût passé pour le martyr des lois de sa patrie. Ses précurseurs, en prenant en cette seule occasion le masque de l'hypocrisie, eussent été taxés de se jouer de la religion, d'en faire l'arme de leur vengeance et l'instrument de leur haine 2. » L'accusation est grave. Les persécuteurs de Jean-Jacques ont-ils été ces tartufes qu'il nous dénonce ? Ont-ils mis cyniquement la religion au service de leurs intérêts politiques ?

Tout honnête homme hésitera à répondre par l'affirmative. La sincérité des alarmes religieuses de la plupart des « persécuteurs de Rousseau ne peut sérieusement être mise en doute. Eugène Ritter a publié jadis (1) Ibid., f 59.

(2) Lettres écrites de la Montagne, 1" partie, lettre IV.


un très curieux document 1 les notes prises par un des secrétaires d'Etat, sans doute J. J. de Chapeaurouge ou Pierre Lullin, dans tes séances que tint le Conseil les 18 et 19 juin 1762. « On y voit, remarque-t-il, au naturel, les pensées que les magistrats roulaient dans leur esprit. » On y voit aussi comment les scrupules religieux se mêlent étroitement aux alarmes politiques. On passe des unes aux autres avec la même spontanéité et la même évidente bonne foi. De même, dans l'Examen de Naville, les remarques sur la Religion ont un accent de vérité et de naïveté qui ne trompe pas ce n'est pas lui qu'on peut accuser d'être un faux dévot.

Mais, comme il arrive parfois, ceux qui crient le plus fort au sacrilège ne sont pas forcément les plus respectueux de la religion. Par exemple Dupan. Il représente à merveille cette partie de la haute société genevoise gagnée à la personne et au tour d'esprit de Voltaire, sinon à ses principes. Il répète avec complaisance les bons mots de son grand homme. Comme lui, il plaisante sur la Bible; en lisant l'histoire de Suzanne il remarque « qu'on ne trouverait pas aujourd'hui qu'une femme acquît beaucoup de gloire en rebutant deux vieillards 2. » Il n'a pas assez de railleries pour la bigoterie, « les dévots de Genève )> et la Compagnie des pasteurs. Ce qui le choque dans les conclusions d'Orner Joly de Fleury contre Emile c'est que ce magistrat « parle comme un moine bigot ». Ne trouve-t-il pas « blâmable dans Rousseau d'inspirer le scepticisme et la tolérance ? 3 » Pourtant ce bel esprit et ce libre esprit est parmi ceux qui s'indignent le plus haut de l'indulgence des ministres pour la religion de Rousseau. Le libéralisme de leurs (1) Le Conseil de Genève jugeant J. J. Rousseau. (Publication d'un extrait du MS. Rocca, ? 187, Soc. Hist. Arch., dans l'Alliance libérale du 14 juillet 1883. Réimprime dans les Annales J. J. Rousseau, XI, 201 sq.).

(2) Dupan, MS. cit., f 122.

(3) Ibid., f° 61.


principes contraste fâcheusement avec le puritanisme d'une morale servie par les manifestations intempestives de leur « chevalier anti-comédien 1. Et c'est ô paradoxe Dupan qui les rappelle à « l'intérêt de la religion menacée selon lui par l'outrecuidance des « Ecclésiastiques Avant même les événements de juin, il écrivait à son ami bernois

« Quand nous étions jeunes on nous enseignait que J. C. est venu nous sauver de la peine du péché originel, que l'eau du baptême nous en lavait. Nos ministres ont retranché ce péché de la liturgie du baptême. On voulait nous faire croire à la Trinité M. Vernet n'en parle pas dans son Catéchisme. M. Alphonse Turretini a fait un traité sur la nécessité de la révélation et M. Vernet a changé en le traduisant le mot de nécessité en grande utilité. Il y a des gens qui disent qu'on ne nous laisse plus de dogmes par ces changements. Cependant il n'y a que les laïques qui puissent être mécréants 2. » C'est ainsi que, pour Dupan, la libre pensée si louable chez Voltaire, est pernicieuse chez les pasteurs de son pays. Et il n'est pas le seul à le penser dans l'aristocratie genevoise dont les scrupules religieux et les délicatesses sur les dogmes se laissent malaisément distinguer du conservatisme politique et de l'égoïsme de caste. Rousseau fonce avec une égale vigueur contre les uns et les autres le Conseil condamne à la fois le Contrat Social et Emile, sa politique et sa religion.

Sur le second point, la décision du Conseil constitue presqu'un abus de pouvoir. II s'est contenté d'un rapport des scholarques, sans prendre l'avis du Consistoire ou de la Vénérable Classe, directement intéressés cependant en matière de foi. « On n'a pas même consulté un théologien 3 », objecte à bon droit Rousseau. (1) Ibid., f 133.

(2) Ibid., f 58.

(3) A Marcet, 24 juillet 1762, Corr. gén., VIII, 35, ? 1474.


Comment l'opinion va-t-elle accueillir cette décision? Ses réactions ne tardent pas à se dessiner, exactement à l'opposé de celles que la logique aurait pu attendre. Les citoyens seraient disposés à critiquer l'arrêt du Conseil à l'endroit du Contrat Social; ils en sont retenus par le seul chapitre de la Religion Civile et surtout par la lecture d'Emile. Dès le procès Pictet, le Conseil a été fixé. Mis en cause, le colonel s'empresse de désavouer sa malencontreuse lettre. « Dans ce temps-là il n'avait lu que le livre intitulé le Contrat Social; depuis ayant lu le livre intitulé Emile, il reconnaît la justice du jugement rendu contre ce livre; il témoigne son regret de ce que cette lettre qu'il n'avait pas signée a été rendue publique depuis lors il a totalement changé d'avis A l'appui de ses dires, Pictet produit une lettre du 6 juillet à son frère ses déclarations sont entièrement confirmées par les dépositions des témoins. Pourquoi douterait-on de sa sincérité ? Il suffit de jeter un coup d'œil sur le curieux spectacle de l'embarras et de la consternation provoqués dans le clan des amis de Jean-Jacques par sa Profession de Foi.

Là, les alarmes religieuses ne sont pas hypocrites. Ces braves gens aiment sans doute leur patrie, la liberté et Rousseau mais « ils aiment plus encore leur religion Les voilà « affligés et alarmés », car « ils n'ont point été contents de ce que Rouseau a dit sur la religion dans le Contrat Social2. Que sera-ce lorsqu'ils connaîtront Emile De jour en jour, Moultou répète son cri d'alarme; De Luc renchérit encore, morigène Rousseau, déplore « le mal qu'il s'est fait à lui-même et à d'autres ». Lui seul a déconcerté et paralysé le parti prêt à le soutenir, qui recule maintenant, De Luc le (1) Marc Viridet. Documents officiels et contemporains sur quelques-unes des condamnations dont l'Emile et le Contrat social ont été l'objet en 1762. Genève, 1850, p. 30.

(2) Moultou à Rousseau, 16 juin 1763, Corr. gén., ? 1414, Vil, 300-301.


premier car « s'il voit en Rousseau le citoyen il n'a que des regrets de n'y pas voir le chrétien 1. Les mieux disposés en sa faveur sont réduits à une défensive lourde de scrupules et de remords. « Une dévotion mal entendue a offusqué la raison de la plupart et ils n'ont pas vu qu'ils n'étaient que les instruments de la politique des autres 2. Or, ils sont de plus en plus ces instruments si le Conseil a pu au début hésiter dans sa tactique, il sait maintenant à quoi s'en tenir grâce à la religion il va paralyser de scrupules les Bourgeois et aliéner enfin à Rousseau son plus solide appui à Genève la Compagnie des Pasteurs.

Les sympathies des ministres à son égard ne peuvent être mises en doute amis et adversaires, tous s'accordent à les reconnaître. Dupan en est, comme de juste, scandalisé. Il ne trouve pas assez de sarcasmes pour en accabler ces hommes aux yeux de qui l'interdiction de la comédie compte davantage que l'intégrité des dogmes. Mais Dupan sait bien que, comédie mise à part, il ne manque pas d'autres raisons pour expliquer l'indulgence admirative des ministres pour leur « chevalier Raisons spirituelles d'abord leur foi n'est pas tellement éloignée de celle de Jean-Jacques. On s'en apercevra quand ils entreront en lice contre lui. « Ce qui chagrinera leur christianisme, remarque justement PierreMaurice Masson, ce n'est pas tant le vicaire savoyard que le dernier chapitre du Contrat. Les doutes respectueux sur la révélation ne les effaroucheraient pas, si la vertu sociale du Christianisme était mise hors de cause 3. »

Mais les raisons politiques sont plus fortes encore que cette sympathie spirituelle, pour lier plus étroitement les pasteurs à Rousseau. Depuis longtemps la Compagnie (1) Moultou à Rousseau, Corr. gén., ? 1420, VII, 313.

(2) Mem, ? 1425, Corr. gén., VII, 320-22.

(3) Pierre-Maurice Masson. La Religion de J. J. Rousseau, Hachette, 1916, 2" édit., tome III, p. 39 sq.


des Ministres est en lutte sourde avec le Conseil. Au moment même où paraît le Contrat, cette lutte a pris brusquement un tour plus aigu. Le professeur Vernet, une des autorités les plus hautes de la Compagnie, a dû s'humilier récemment devant le Procureur-Général, à la suite d'un très vif débat qui les avait mis aux prises. Dupan ne manque pas de donner à son correspondant une triomphale relation de cet épisode

« Vernet avait eu l'impudence de se servir de quelque expression peu convenable concernant le Procureur-Général, en faisant une représentation au Conseil de la part de sa Compagnie Tronchin l'a obligé de lui écrire une lettre de satisfaction, laquelle est jointe au registre de la Compagnie des ministres et à celui du Conseil 1. T On conçoit que dans ces conditions, ni Vernet, ni la Compagnie ne soient d'humeur à entrer en lice contre Rousseau.

Ils n'interviendront que parce qu'on leur force la main, pour n'être pas débordés par l'opinion et en s'y prenant avec une modération dont l'honnête Moultou est ému. Parmi eux « il n'y en a pas quatre qui aient approuvé le décret et pas un seul qui ait osé dire qu'il l'approuvât 2. Vernet s'excuse de contredire une œuvre qui selon lui porte le témoignage d'une âme naturellement chrétienne Testimonium a7!!mœ naturaliter christiana* s. » Il essaye de gagner du temps. Mais à la longue, leur silence risque de mettre les pasteurs dans un mauvais cas. Des bruits étranges circulent à Genève qui trouvent leur écho jusque dans les gazettes étrangères. On lit dans le Gazetier de Bruxelles que le magistrat de Genève a condamné Rousseau, mais que son clerge l'approuve 4. (1) Cf. Dupan, MS. cité, lettre ? 33, 26 juillet 1762, f 69. (2) Moultou à Rousseau, Corr. gén., ? 1496, VIII, p. 75-76. (3) Ibid.

(4) Vernet à Rousseau, 21 sept. 1762, Corr. gén., ? 1536, VIII, 140-41.


Pourtant Vernet ne se décide pas encore il laisse la plume à un confrère plus jeune, Jacob Vernes dont l'affection pour Rousseau a été sincèrement attristée par l'Emile, mais dont aussi peut-être l'ambition trouve son compte à le réfuter. Un an s'est écoulé depuis la condamnation de Rousseau, lorsque Vernes, contre le gré de ses confrères selon Dupan, avec leur collaboration selon Moultou, fait paraître son livre 1. Le Conseil qui a attendu si longtemps une manifestation de ce genre s'empresse de décerner à Vernes un témoignage de haute satisfaction 2. A ce moment tout est rompu entre Jean Jacques et le clergé de Genève la brouille qu'il prévoyait 3 est consommée.

Pourtant, les ministres auraient bien voulu ne pas en venir à cette extrémité. Pendant de longs mois, ils ont uni leurs efforts à celui des amis de Jean-Jacques et se sont épuisés à lui demander « le petit écrit qui aurait tout arrangé pour lui à Genève, en lui préparant une rentrée éclatante pas grand'chose, une courte rétractation ou même un commentaire un peu rassurant sur sa religion. Jamais Rousseau n'a consenti à rien écrire de ce genre il n'est pas l'homme des désaveus, ni des compromis. Son orgueil s'accorde avec sa probité pour l'en détourner. Tout au plus trouve-t-il le biais de manifestations indirectes destinées à impressionner l'opinion genevoise lettre au pasteur Montmollin, polémique contre (1) « Lettres sur le Christianisme de M. JJR. adressées à M. J(acques) L(agisse) par Jacob Vernes, pasteur de l'église de Celigni. Selon Moultou, Vernet, Clarapède et Bonnet ont revu le livre de Vernes En un mot, c'est presque l'ouvrage de tout ce monde là. (Moultou à Rousseau). Corr. gen., X, 52.

(2) Spectacle Vernes a fait remettre un exemplaire de son livre à chacun des membres du P. C. et en est remercié par lui. La scène est décrite dans le Journal de Jean Cramer. (Bt'M. gén., ? 85, f 115).

(3) <' Il est clair qu'on cherche à me brouiller avec notre clergé. (Rousseau à Moultou, 1" septembre 1762, Corr. gén., ? 1513, VIII, 99.


l'Archevêque. Ce sont ses compatriotes qui doivent venir à lui et non lui à eux. La colère le soulève bientôt contre ses amis des pleutres et des niais. Vernes est un cafard; M. Vernet est un sot. Il voudrait bien se voir, à son âge, c aller solliciter comme un écolier des certificats du Consistoire. ramper sous les ministres 1 » Et les bourgeois ne sont pas mieux traités, ces bourgeois plus stupides encore que lâches qui au lieu de protester « ont laissé clabauder les caillettes et les cafards ou soi-disant tels que le Conseil mettait en avant pour le rendre odieux à la populace et faire attribuer son incartade au zèle pour la religion 2. »

La haine est clairvoyante. Cette fois, Rousseau a percé à jour la tactique de ses adversaires, tactique adroite, où rien surtout n'est laissé au hasard. Lorsqu'il craint la venue de Rousseau pour Pâques et « qu'il ne faille procéder contre lui Jean Cramer demande à un « théologien de ses amis de lui préparer « un extrait de ce qu'il y a de répréhensible dans l'Emile et le Contrat Social touchant la religion. Sous le titre de « Sentiments de l'Autheur d'Emile et du Contrat Social sur la religion chrétienne jugés par lui-même et rapprochés des édits », Cramer arrange « une courte pièce qui fait tableau 3 « Cette pièce, dit-il, ne fut pas très répandue. Elle circula tout de même. Par contre, immédiatement après dans son Joalrnal, figure un Extrait du Contrat Social qui relève les propositions même que Naville discute si complaisamment dans son Examen, mais qui est accompagné d'une petite note qui en dit long « Ceci n'a poin1 paru. »

(1) Cf. Rousseau à Moultou, 17 février 1763, Corr. gén., ? 1693. IX, 93.

(2) Con fessions, livre XII.

(3) Cramer. Ms. C!'f. (BtM. gén., ? 85). « Rapport que me fit un théologien sur les deux ouvrages de Rousseau n, f' 63 sq.


Le syndic Cramer savait choisir ses armes et maintenir le débat dans la direction voulue. Il n'en déviera pas. Lorsqu'un peu plus tard, en juin 1763, De Luc et ses compagnons se décident à représenter s- et parlent politique, le Conseil leur répond religion et affirme n'avoir eu d'autre dessein que « d'empêcher toute entreprise contre la Sainte Réformation Evangélique ». Pour la suite de la discussion, on imaginera un piège d'un nouveau genre celui de la procédure ou les Représentants ne manqueront pas de se jeter aveuglément. C'est qu'ils ont affaire à d'habiles adversaires et surtout remarquablement disciplinés, qui ne décident rien qu'en collaboration, en suivant un plan d'action bien défini. L'Extrait du Catalogue Rilliel, sous la date du mardi 27 septembre 1763, reproduit dans la Bibliographie de M. Rivoire 1, révèle dans la genèse des Lettres de la. Campagne le rôle d'un collaborateur anonyme qui « s'est borné à rassembler pour un grand architecte une partie des matériaux ». Beaucoup d'autres Boissier, Mallet, Trembley, l'ont imité. L'histoire recommence pour les Lettres Populaires. « L'ancien syndic Jean Cramer, JeanLouis Dupan, Conseiller déchargé et Jean-Robert Tronchin, avocat, procureur général, passent pour en être conjointement les auteurs on dit aussi que l'avocat Delorme y a mis du sien. »

Ne tenons pas compte des comparses tout au long de cette étude, nous avons retrouvé les mêmes hommes: Cramer, Dupan, Tronchin. A en croire Rousseau (et pourquoi ne pas le croire ?), ajoutons-leur Voltaire 2 dont (1) Emile Hivoirc. Bibliographie historique de Genève au xvm" s., Genève, 1897, 2 vol. Cf. Tome I, n° 745, p. 117. (2) Dès le mois d'octobre 1762, Rousseau accuse Voltaire de déchaîner contre lui les passions religieuses de ses compatriotes et de chercher à le brouiller avec les ministres. « [M. de Voltaire essaya] d'opposer une barrière insurmontable à mon retour dans ma patrie. Un des plus sûrs moyens qu'il employa pour cela fut de me faire regarder comme déserteur de ma religion; car làdessus nos lois sont formelles et tout citoyen ou bourgeois qui


ils sont directement ou indirectement les amis et nous aurons les meneurs du jeu.

Pierre Naville n'est pas des leurs, il s'en faut nous savons ce qu'ils pensent de lui. S'il leur a soumis comme il est bien possible son Examen du Contrat Social, ils ont dû hausser les épaules devant la maladresse d'un homme qui décidément ne comprenait pas la politique et manquait par trop « d'étude et x d'expérience pour être un jour membres des XXV. S'ils lui ont donné un conseil, c'est celui de ranger son œuvre dans sa bibliothèque et de n'en point parler. Quoi qu'il en soit, Naville n'a jamais été Conseiller et son Examen est resté inédit et inconnu. Que serait-il arrivé s'il avait paru ? « L'Affaire Rousseau en aurait peut-être changé de face. Rousseau devra attendre plus de deux ans une occasion d'écrire les Lettres de la Montagne et malgré les discussions ingrates où le contraignait l'habileté procédurière de Tronchin, il en a fait une œuvre éclatante, dont Genève a été profondément remuée. Ces Lettres ou l'équivalent il projetait depuis longtemps de les écrire en janvier 1763 il s'ouvrait déjà à Deluc de ses projets~. Janvier 1763 c'est probablement l'époque où Naville avait mis le point final à sa réfutation, où elle pouvait paraître. On imagine l'étincelante réplique de Jean-Jacques à un adversaire dont l'ingénuité lui faisait cette fois la partie belle. La religion elle-même risquait d'en être momentanément oubliée la voix de Rousseau aurait sonné le rappel des vieilles haines et des rêves oubliés, des rancunes et des revanches du passé. Au lieu d'une médiocre polémique entre procéduriers, suivie d'émeutes sans cohérence et sans grandeur, Genève aurait connu peutêtre cette révolution, dont les ennemis de Rousseau ont ne professent pas la religion qu'elles autorisent perd par làmême son droit de cité. Il travailla donc de toutes ses forces à soulever les ministres. (A Madame de Boufflers, ? 1524, Corr. gén., VIII, p. 218-19).

(1) Rousseau à Deluc, 16 janv. 1763. Corr. gén., VU,. 355, n° 1652.


vu pointer la menace dans le Contrat Social. A quoi bon jouer davantage au jeu des hypothèses sans réalité ? On nous pardonnera d'avoir tiré de l'obscurité un contradicteur médiocre de Rousseau, si grâce à la sincérité de son témoignage, on peut deviner ou préciser certains aspects de l'un des drames les plus douloureux au cœur de Jean-Jacques, un de ceux qui ont pesé le plus lourdement sur son couvre et sa destinée son malentendu et sa rupture avec sa patrie.

Je tiens à exprimer ma très vive reconnaissance à ceux qui ont grandement facilité ma tâche d'éditeur à l'éminent Directeur de la Bibliothèque Polonaise, M. le Ministre Pulawski et à son Conservateur, mon ami M. Czeslaw Cho-waniec, dont l'érudition et la courtoisie font de cette Bibliothèque au glorieux passé, centre de culture polonaise d'une haute signification, un lieu d'études merveilleusement accueillant aux travailleurs.

Je dois aussi remercier M. Bernard Bouvier, M. Louis-J. Courtois et après eux les Directeurs et Conservateurs des Bibliothèques de l'Université, de la Société d'Histoire et d'Archéologie et des Archives du Gouvernement de Genève, des soins empressés qu'ils ont mis à guider mes recherches et de la cordialité de leur accueil.

Enfin M. Frédéric Naville a bien voulu, avec une affabilité qui m'a profondément touché, non seulement mettre à ma disposition de précieux documents de famille, mais encore m'introduire de la façon la plus vivante par sa conversation, dans tout un passé genevois. Sur certains points son rôle a été d'un véritable collaborateur.

Jean FABRE.


EXAMEN DU CONTRACT SOCIAL DE J.-J. ROUSSEAU AVEC DES REMARQUES POUR SERVIR D'ANTIDOTE

A QUELQUES PRINCIPES

LIVRE PREMIER

INTRODUCTION

Né citoyen de Genève, appellé à donner mon suffrage dans le Conseil souverain de cette République, j'ai cru devoir m'instruire des principes du droit politique, en cherchant s'il peut y avoir quelque regle d'administration légitime et sure 1, en prenant les hommes tels qu'ils sont et les loix telles qu'elles peuvent etre, en ne separant jamais la justice de l'utilité.

1) faloit dire, « en prenant les Aorn~ne~ tels qu'ils ne sont pas et les loix telles que je les imagine ».

Chap. 1.

L'homme est né libre et 1 partout il est dans les fers. Le meilleur parti pour lui est de secouer le joug quand il le peut. Si la force seule l'a mis dans les fers, il est fondé à reprendre sa liberté par le meme droit qui l'a (sic) (a) L'éditeur a respecté la disposition du texte et l'orthographe du manuscrit. Seule la ponctuation, très capricieuse, a été uniformisée et parfois modernisée.

Le rappel de note numérique appartient à l'original; le rappel de note littéral indique une observation de I*éditeur.


lui a ravie mais si son état est une suite du droit social, c'est un droit sacré qui ne resulte pas de la nature des choses (a), mais qui est fondé sur des conventions. 1) Excepté au moins l'homme citoyen de Geneve, qualité qui auroit epargné la crainte des fers à Rousseau, s'il s'en etoit content.

Chap. 2.

La plus ancienne de toutes les Sociétés et la seule naturelle est celle de la famille. 1 Encore les enfans ne restent-ils liés au Pere qu'aussi longtems qu'ils ont besoin de lui pour se conserver. Sitot que ce besoin cesse, le lien naturel se dissout les en fans ne doivent plus d'obeissance à leur Pere. Celui ci ne leur doit aucun soin tous rentrent dans l'independance et la famille elle meme ne subsiste que par convention entre le Pere et les en fans. 1) Ou la famille n'est pas une societté naturelle et legitime (b), ou la regle est fausse toute societé est fondée sur la justice et sur l'utilité. Si elles exigent les soins paternels elles exigent aussi des en fans l'obeissance, le respect ef les secours, lorsque par l'education qu'ils ont recue, ils sont en état de s'en acquiter, sans qu'il soit necessaire d'aucune convention particuliere.

(a) Dans le texte de Rousseau ce droit ne vient pas de la nature.

(b) Rousseau entend ici par naturel nécessaire, qui est une conséquence nécessaire de la nature des choses (note Beaulavon, op. cit., p. 120). Comme Voltaire (XXXII, p. 474), le commentateur interprète le mot à contre-sens, en lui conférant une nuance morale et en le glosant par légitime. On pourra comparer avec Burlamaqui (Principes de Droit Naturel, Copenhague et Genève 1756). Pour B. la famille est la plus naturelle et la plus ancienne de toutes les sociétés (IV, § 6, p. 36). Et il précise longuement ce qu'il entend par l'état naturel de l'homme Quand on parle de l'état naturel de l'homme, on ne doit pas entendre par là cet état naturel et primitif, dans lequel il se trouve placé, pour ainsi dire, par les mains du Nature même; mais encore tous ceux dans


L'homme par sa nature doit veiller à sa conservation premiere loi qui lui donne le droit dès qu'il est en age de raison de 1 juger seul des moiens propres à se conserver donc dès lors il devient son propre maitre.

1) L'amour propre dirigé par la raison ne soustrait pas l'homme a tous ses engagemens donc il reste soumis à la societé de famille ou celle-ci n'est pas une societé.

Caligula, Aristote, le Roi Adam et l'Empereur Noé paroissent sur la scène pour faire diversion aux paradoxes de Grotius, de Hobbes et de Rousseau.

Chap. 3. Du droit du plus fort.

La force seule ne donne aucun droit si tot qu'on peut desobeir impunement on le peut legitimement. Soyez le plus fort et vous aurés raison.

Chap. 4. De l'Esclavage.

Puisque 1 la nature et la force ne donnent a l'homme aucune authorité sur son semblable, les conventions sont seules la baze de toute authorité legitime parmi les hommes. Selon Grotius, un particulier peut aliener sa liberté et se rendre esclave d'un maitre. Pourquoi tout un peuple ne pourroit-il pas aliener la sienne et se rendre sujet d'un Roi ?

lesquels l'homme entre par son propre fait et qui, dans le fond, sont conformes à sa nature et n'ont rien que de convenable à sa constitution et à la fin pour laquelle il est né. C'est-à-dire que l'état naturel de l'homme est, à parler en général, celui qui est conforme à sa nature, sa constitution, à la Raison et au bon usage de ses facultés, prises dans leur point de maturité et de perfection ». On trouvera plus loin une conception analogue de l'état naturel de l'homme dans les objections du commentateur au Chap. VIII du Livre 1 De l'Etat Civil.


Aliener c'est donner ou vendre un homme qui se fait esclave ne se donne pas, il se vend. 2 Un peuple qui se donneroit, seroit un peuple de foux dont l'acte seroit nul celui qui se vendroit pour sa sureté ou pour sa subsistance seroit très souvent frustré du prix auquel il se seroit vendu un Roi vit aux dépens de ses sujets et ne vit pas de peu.

1) La nature donne au Pere authorité sur ses enfans, ainsi la maxime n'est pas generale.

2) Nous verrons dans la suite si la souveraineté est alienable (Liv. 2, Chap. 1).

En supposant une telle alienation possible, elle n'engageroit pas les enfans. Ils naissent hommes et libres, nui n'a droit de disposer de leur liberté qu'eux il faudroit donc que chaque generation fut en droit d'aprouver ou de rejetter un tel gouvernement mais alors ce gouvernement ne seroit plus arbitraire.

1) Il resulteroit de ce principe qu'aucun gouvernement (a) fondé sur quelque sorte de convention que ce soit ne pourroit subsister que par l'aprobation de chaque generation. Ce qui seroit peu dz/yeren~ que d'abolir tout gouvernement.

Grotius et les autres tirent de la guerre une autre origine du droit d'esclavage. Le vainqueur peut tuer le vaincu celui-ci rachette sa vie par la perte de sa liberté. R) Ce pretendu droit de tuer les vaincus, ne resulte en aucune maniere de l'état de guerre. La guerre se fait d'Etat à Etat. L'un peut etre vaincu, détruit si l'on veut sans que tous ses habitans soyent mis à mort. La forceseule et non le droit peut les rendre esclaves. Le droit de conquete ne donne pas le droit d'asservir les vaincus, c'est à dire de les rendre esclaves si les vainqueur les réduit dans cet etat, il perpetue avec eux

(a) I! s'agissait pour Rousseau d'un gouvernement arbitraire.


l'état de guerre dont ils sont en droit de sortir dès qu'ils le peuvent.

Chap. 5. Qu'il faut toujours remonter à une 1" r. convention.

(a) Un peuple dit Grotius peut se donner à un Roi. R) Qui dit un peuple n'entend pas une multitude d'hommes asservis, mais un corps actuellement existant et deliberant de se donner et ce corps ne pouvoit se donner que par des conventions precedentes qui reglassent la force de la pluralité des suffrages, quand l'unanimité ne se rencontre pas dans les deliberations. Loi qui est elle meme un établissement de convention reçue nécessairement par un premier suffrage unanime Quand j'accorderois tout ce que j'ai refuté les fauteurs du despotisme n'en seroient pas plus avancés. Que des hommes epars soient successivement asservis je ne vois qu'un maitre et des esclaves, je n'y vois point un Peuple et son chef. C'est si l'on veut une agrégation mais non une association il n'y a là ni bien pubtie ni corps politique.

1) .Sur la maxime de Grotius voyés liv. 2, chap. 1. tb) Il a été impossible de respecter et de reproduire ici la disposition du manuscrit. Le texte se trouve interrompu au bas de la page 7, une ligne plus tôt qu'à l'ordinaire, sur les mots un établissement de convention reçue néces-, et s'achève au verso (page 8) sairement par un premier su//raga unanime. Au bas de la page 7, en face de l'étoile de renvoi, les mots Voyés eu après page, ont été barrés. Au dessus de la rature, dans l'interligne. commence en écriture plus serrée le résumé du début du chapitre, interrompu après cinq lignes sur les mots je n'y vois point un Peuple et son, et terminé au bas de la page 8. La référence destinée à l'interprétation de la maxime de Grotius a été reprise à la fin du Chapitre sous une forme différente Sur la maxime de Grotius, voyés liv. 2, chap. 1. Il paraît difficile d'interpréter cette disposition du texte par la seule distraction d'un copiste ou son embarras devant un brouillon pénible à déchiffrer il semble qu'on ait affaire au soin d'un auteur désireux de réparer un oubli et de dissiper une équivoque.


Chap. 6. Du pacte social.

Dès que chaque homme dans l'état de nature n'a pas assés de forces seul pour conserver son bien etre, l'etat de nature ne peut plus subsister il faut donc que plusieurs forces se réunissent pour surmonter les obstacles qui s'opposent au bien etre (a) de l'homme, réunion qui ne peut se faire que par l'association de plusieurs hommes, ce qui suppose necessairement une convention par une suite de laquelle ces forces réunies puissent agir de concert pour l'utilité commune. La forme de cette convention peut varier à l'infini, mais il s'agit 1 de trouver une forme d'association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé et par laquelle chacun s'unissant à tous n'obéisse pourtant qu'à lui même et reste aussi libre qu'auparavant. Problème dont le Contrat Social donne la solution.

1) Probleme tres inutile a chercher dans l'etat actuel des choses, ou en aprouvant un petit nombre de gouvernemens, on exposeroit le plus grand nombre aux revolutions les plus dangereuses. Ce n'est plus « prendre les hommes tels qu'ils sont » et les loix « telles qu'elles peuvent etre ».

Une seule clause reunit toutes celles dont cet acte d'association peut etre susceptible, savoir l'alienation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté.

La condition de tous est egale et l'union est aussi parfaite qu'elle peut l'etre nul n'a interet de la rendre onereuse aux autres chacun se donnant a tous ne se donne a personne en particulier et comme on acquiert sur chaque associé le même droit qu'on lui cede sur soi, 1 on (a) Il y a dans le texte non bien-être, mais conservation.


gagne l'equivalent dans (sic) ce qu'on perd et plus de force pour conserver ce qu'on a.

1) Cela suit naturellement de l'acte d'association, mais il y a loin de la consequence a l'exécution.

Chacun se soumettant seulement à tous il n'y a que la volonté generale qui dirige. Le contrat social se réduit donc aux termes suivans chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la supreme direction de la volonté générale et nous recevons en corps chaque membre comme partie indivisible du tout. Chaque association produit donc un corps moral appellé autrefois Citté, aujourd'hui Republique ou corps politique appellé par ses membres Etat quand il est passif ou dirigé, Souverain quand il est actif ou qu'il dirige, Puissance en le comparant avec ses semblables. Les associés collectivement se nomment Peuple, et en particulier Citoyens, comme participans à l'authorité souveraine, et sujets, comme soumis aux loix de l'Etat termes qui se confondent souvent et qu'il faut distinguer dans certaines occasions ou il faut de la precision.

Chap 7. Du Souverain.

Chaque associé considéré comme membre de l'Etat est soumis au Souverain et aux Loix du souverain, mais il est contre la nature des choses que le Souverain puisse s'imposer une loi qu'il ne puisse enfraindre il seroit alors dans le cas d'un particulier contractant avec soi meme. 1 Il n'y a donc n! ne peut y avoir nulle espece de loi fondamentale obligatoire pour le corps du peuple, pas même le Contrat Social, bien entendu qu'il ne s'agisse pas d'engagemens pris avec des étrangers, a l'egard desquels le Peuple ou le souverain devient un individu obligé de tenir ses engagemens, excepté dans le cas ou cet engagement avec un etranger derogeroit à l'acte primitif, comme seroit celui d'aliener quelque portion de lui meme ou de se soumettre à un autre souverain.


1) Voyez liv. 2, chap. 1 sur tout cet article. 2) Le « .Souuerafn exprzme la « volonté generale ». Tous les associés y étant soumis, il implique contradiction de dire que dans le cas proposé l'engagement seroit nul il en résulte seulement que l'Etat cesseroit par là d'etre Etat et deviendroit partie d'un autre Etat. Dans cette association on ne peut offencer un membre sans offencer le corps, ni onencer celui ci sans que les membres s'en ressentent ainsi le devoir et l'interet les obligent à s'entraider mutuellement.

Le Souverain n'a ni ne peut avoir d'intérêts contraires à celui des membres qui le composent. Ainsi il n'a besoin d'aucune garantie envers les sujets, parce qu'il est impossible que le corps veuille nuire à tous ses membres et nous verrons dans la suite qu'il ne peut nuire à aucun en particulier.

Mais chaque associé peuvent (sic) comme homme avoir une volonté particuliere contraire à la volonté generale qu'il a comme Citoyen.

Le pacte social renferme tacitement cet engagement que quiconque refuse d'obeir à la volonté generale y sera contraint par tout le corps, ce qui ne signifie autre chose qu'on le /'orcera d'etre libre.

1) Si toute force detruit la liberté on ne peut pas forcer un homme d'être libre, on peut seulement l'empecher de faire un mauvais usage de sa ~er~. « Forcer un homme d'être libre &, jolie antithese.

Chap. 8. De l'Etat Civil.

Ce passage de l'etat de nature à l'etat civil produit dans l'homme un changement remarquable, 1 en substituant dans sa conduite la justice à l'lnstinct et en donnant à ses actions la moralité qui leur manquoit auparavat.


1) Si dans l'Etat de nature l'homme n'agit que « par instinct si dans cet etat ses actions sont « sans moralité », en quoi dif fere-t-il des betes ? Ses actions ne peuvent pas lui etre imputées. En vain a-t-il reçu la raison il n'est pas tenu d'écouter sa voix. Est-ce M cet Etre créé à l'image de Dieu, puni pour lui avoir désole! ? S'il a un Dieu cette maxime est fausse (a).

Si l'homme dans l'etat civil se prive de plusieurs avantages qu'il tient de la nature, il en regagne de si grands dans l'usage de ses facultés, de ses sentimens qui s'annoblissent, de ses idées qui s'etendent, de son ame qui s'eleve, que s'il n'abusoit pas de sa nouvelle condition, il devroit benir sans cesse l'instant qui l'en a fait sor(a) Ce chapitre où Rousseau semble faire dépendre catégoriquement toute la vie morale de la vie sociale o (Beaulavon, op. cit., p. 147) a été souvent discuté, mais la plupart du temps interprêté à contre-sens. C'est qu'on n'a pas su lire Rousseau aussi « posément qu'il le demande. Notre commentateur, avant beaucoup d'autres, lui prête une théorie beaucoup plus radicale que celle qu'il expose. Rousseau ne dit pas que l'origine des idées morales doive être rattachée à l'apparition de l'état civil. Plus loin même (II, 6) il reconnaîtra formellement que <' toute justice vient de Dieu et qu'il est « une justice universelle émanée de la raison seule Mais ce n'est que la vie sociale qui peut donner l'occasion aux notions morales de s'exercer, en les faisant entrer dans la conduite de l'homme, dans ses actions. Bien loin d'être paradoxale, la doctrine de Rousseau est moyenne et banale. Burlamaqui par exemple, après avoir établi que « l'Etat Civil ne détruit pas l'Etat Naturel mais qu'il le perfectionne et que « bien loin de renverser ce premier ordre, c'est plutôt pour lui donner un nouveau degré de consistance et de force, que le Gouvernement est établi lorsqu'il passe dans la suite de son cours du droit naturel au droit politique, ne manque pas d'ajouter Comme la plupart des hommes abandonnés à eux-mêmes, écoutent plutôt les préjugés et la passion que la raison et la vérité, il s'ensuit que dans la société de nature les lois naturelles n'étaient connues que très imparfaitement. (Principes du Droit des Gens. Edités par De Felice. Nouvelle édition, 1820, tome IV, p. 37). Il est vrai que le commentateur genevois de Burlamaqui proteste alors contre un paragraphe qui lui semble « injurieux au législateur suprême


tir (sic) et 1 qui d'un animal stupide et borné fit un etre intelligent ef un homme.

1) Si l'homme ne doit son existence qu'à la matiere, ce qu'il gagne en sortant des mains d'un etre sans intelligence pour passer dans l'etat civil, devient pour lui d'un prix inestimable. Mais comment concevoir que l'association de plusieurs animaux stupides et bornés, puisse en faire des etres intelligens, étendre leurs facultés, etc. ? Dans le materialisme tout est prodige dans le systeme d'un Dieu Createur, tout est simple et conséquent. Aprenons de notre auteur, a quoi se reduisent la perte et le gain réelles (sic) que l'homme fait en passant d'un etat à l'autre.

La balance de la perte et du gain se reduit aux termes suivans, faciles à comparer. Par le Contract Social l'homme perd sa liberté naturelle et 1 un droit illimité à tout ce qu'il peut atteindre il gagne la liberté civile et la propriété assurée de tout ce qu'il possède. 1) Il s'offre ici une question "importante: l'homme peut-il dans l'etat de nature s'emparer des choses au dela de ses besoins, pour tout ce qui croît naturellement ? Et dans les choses qui sont le fruit du travail l'homme peut-il s'emparer de ce qui est le fruit du travail de ses semblables ? La solution de ces questions (a) n'admets (sic) pas ce droit illimité et ces auan~ao~es qu'ont ils de commun avec les facultés de l'ame de l'homme dont il etoit question ? Comment par ce nouveau droit de liberté et de propriété, l'ame s'eleve-t-elle, ses idées s'annoblissent etc. ? Et comment ces brutes ont-elles pû former le plan de l'acte social ?

(a) On peut les trouver examinées et résolues dans le sens souhaité par Naville dans les Principes du Droit Naturel de Bnrlamaqui, IQe partie, chapitres VIII (De l'origine et de la Nature de la Propriété), IX (Des différentes manières d'acquérir la propriété des biens), X (Des devoirs qui résultent de la propriété des biens). Burlamaqui remarque que le propriétaire est obligé d'observer dans l'usage de son droit toute la loi naturelle


(b) On pourrait, sur ce qui precede, ajouter à l'acquit de l'etat civil la 1 liberté morale qui seule rend l'homme vraiment maitre de lui, car l'impulsion du seul appetit est esclavage.

1) Autre paradoxe du matérialisme dans l'etat de nature l'homme est l'esclave de l'appétit qui seul le pousse et le dirige il n'est son maitre que dans l'etat civil.

Chap. 19. Du Domaine réel.

Chaque membre de la communauté se donne a elle, tel qu'il se trouve actuellement, lui et toutes ses forces dont ses biens font une partie, sans que par là il cesse d'en etre le proprietaire vis a vis de chacun des autres membres, car l'Etat est maitre de tous les biens par le Contract Social.

Dès que le droit de propriété est une fois reconnu, on peut l'acquerir comme premier occupant tout homme a naturellement droit à ce qui lui est necessaire, mais l'acte positif qui le rend propriétaire de quelque bien l'exclud de tout le reste. Voila pourquoi 11e droit de premier occupant, si faible dans l'etat de nature, est respectable à tout homme civil.

1) Le droit de premier occupant est aussi sacré dans l'etat de nature que dans l'etat civil il n'est faible, que contre l'in justice soutenue par la f orce.

Ce qui authorise sur un terrain quelconque le droit de premier occupant, 1 ce sont les conditions suivantes que le terrain ne soit encore habité par personne 2° qu'on n'en occupe que la quantité dont on a besoin (b) Comme précédemment (p. 58), cette remarque complémentaire a été ajoutée en petits caractères au bas de la p. 16 où se terminait l'examen du Chap. VIII. Elle est répartie au bas des deux pages 16 et 17.


pour subsister 3° qu'on en prenne possession par le travail et la culture.

1) 77 seroit aisé de demontrer que dans l'etat de nature le droit de premier occupant n'est legitime que sous les memes conditions.

Tout ce qui est occupé en vertu de ce droit sans ces conditions est une veritable usurpation dont nous avons des exemples très memorables dans l'histoire des conquêtes dans les Indes et dans l'Amérique.

Les terres des particuliers reunies et contigues deviennent le territoire public, sur lequel le souverain exerce son droit comme sur les personnes, ce qui met les possesseurs dans une plus grande dependance et fait de leurs forces memes, les garants de leur fidélité.

1) Cela est vrai si par forces, on entend les biens (a).

Ce droit du souverain ne depouille pas les particuliers de leur bien il leur en laisse la jouissance et la proprieté dans laquelle ils sont maintenus par toutes les forces de l'Etat. On peut dire qu'ils ont acquis tout ce qu'ils ont donné, paradoxe qui s'expliquera par la distinction du droit du souverain et des proprietaires surles memes biens.

Si des hommes commencent à s'unir avant de rien posseder, ou ils jouissent en commun du terrain dont ils s'emparent pour leurs besoins ou ils le partagent entr'eux et alors le droit de chaque particulier sur sa portion, est toujours subordonné au droit de la communauté sur le tout.

Il resulte de ce que nous avons dit que le contrat social 7'efa&~7 l'égalité entre les associés en sorte que, pouvant par la nature être inegaux en forces et en genie, ils deviennent tous egaux de convention et de droit. 1) Cette maxime ne peut être vraie que dans une de ces suppositions ou tous les associés ne possedent rien,

a) Voir les premières lignes du chapitre.


ou tous les associés possedent et alors l'égalité n'est pas retablie, elle est conservée ou une partie des associés possede et consent ou de partager ce qu'elle a avec ceux qui n'ont rien, ou de leur aider a acquerir de quoi posseder leur necessaire on ne voit pas pourquoi l'acte social ne subsisteroit pas entre associés de fortune inegale.

Notte de l'auteur.

Sous les mauvais gouvernemens cette egalité n'est qu'apparente et illusoire, elle ne sert qu'à maintenir le pauvre dans la misere et le riche dans son usurpation. 1 Dans le fait, les loix sont toujours utiles à ceux qui possedent et nuisibles à ceux qui n'ont rien d'où il suit que l'etat social n'est avantageux aux hommes qu'autant qu'ils ont tous quelque chose et qu'aucun d'eux n'a rien de trop.

1) Un Gouvernement seroit en ef fet très mauvais dont les loix assureroient aux proprietaires la jouissance de leurs biens et ne pourvoiroient en façon quelconque à la subsistance des pauvres (a) mais peut-il s'en trouver (a) Les institutions d'assistance et de secours étaient particulièrement développées à Genève. D'Alembert ne manque pas d'en faire état dans son article de l'Encyclopédie. « Les hôpitaux ne sont point à Genève, comme ailleurs une simple retraite pour les pauvres malades et infirmes on y exerce l'hospitalité envers les pauvres passants; mais surtout on en tire une multitude de petites pensions qu'on distribue aux pauvres familles, pour les aider à vivre sans se déplacer et sans renoncer à leur travail. Les hôpitaux dépensent par an plus du triple de leur revenu, tant les aumônes de toute espèce sont abondantes Outre les hôpitaux il faut mentionner les Bourses (allemande et française), véritables offices de placement et institutions de prévoyance sociale. Les uns et les autres bénéficient de dons et de legs nombreux. Dans la copie du testament de Dame Sara le BouIIenger, Vve de M. Isaac de Thellusson, décédée le 25 mars 1769, écrite de la main de son beau-fils Pierre Naville, que M. Frédéric Naville a bien voulu nous communiquer, les legs de bienfaisance figurent en pre-


un tel ? Supposons un etat social fondé suivant les principes de l'auteur, par gens possedans tous le necessaire et que la faineantise fasse pulluler les indigens dans la suite des tems. L'Etat obligera-t-il les gens laborieux de les nourrir ou expulsera-t-il les indigens du corps politique '? depouillera-t-il les riches d'une partie de leur superflu pour la donner à des paresseux ? La proprieté des biens passe des Peres aux enfans le plus grand nombre ou le plus petit nombre de ceux-ci, l'industrie, les talens mettent une grande di f férence dans leurs richesses et ce qui paroit superflu dans un Pere riche, ne laisse par le partage que le necessaire à ses enfans. Dépouiller le Pere de ce superflu seroit oter le nécessaire aux enfans et commettre une injustice.

Voyés le chap. 11, art. 2 du Ltu. 2 ou l'Auteur contredit son principe.

Livre 2. Chap. 1.

Que la Souveraineté est inaliénable.

La premiere et la plus importante consequence des principes ci devant etablis est que la volonté generale peut seule diriger les forces de l'Etat selon la fin de son institution qui est le bien commun. La souveraineté n'étant que l'exercice de la volonté generale ne peut jamais s'aliener. Le souverain n'est en effet qu'un etre collectif representant la volonté generale il ne peut être representé que par lui meme lle pouvoir peut bien se transmettre mais non pas la volonté.

1) C'est a dire que le Peuple peut bien transmettre le pouvoir d'exercer les actes de la volonté generale, mais mier lieu: Six-cents livres à l'Hôpital général, quatre-cents à la Bourse française, deux-cents à la Bourse allemande, cent à la Société pour l'instruction des catéchumènes, etc.


qu'il ne peut pas transmettre cette même volonté generale dans toute son étendue (a).

Parce que si le Peuple promet d'obeir, il perd sa qualité de Peuple 1 en se donnant un maître, il n'y a plus de souverain et dès lors le corps politique est détruit. 1) Le Peuple en se donnant un maitre cesse d'etre souverain. Le meme corps politique cesse et fait place à un autre corps politique qui est soumis à un souverain distinct du corps du Peuple et ce changement depend du Peuple eut n'a pas pu, même par le Contract Social se priver du droit de le changer. (Voues cy dessus Liv. 7~, chap. 7). Ce sera un Peuple de foux soit, mais d'une folie qui n'annulle pas les actes. H fera un mauvais marché soit encore. Car, s'il lui plait de se faire mal à lui mente, (a) La note enlève tout son sens l'argumentation de Rousseau et toute son efficacité à la théorie de la volonté générale. Sur le principe de la souveraineté, tout le monde à Genève se déclare d'accord. Au moment des troubles de 1707 dans son discours du 5 mai, le syndic Chouet faisait sur ce point les déclarations les plus formelles « Ce n'est pas une question qui doive ou même qui puisse être proposée parmi nous à qui ou à quel corps appartient la Souveraineté de notre Etat ? H n'y a personne qui ne doive tomber d'accord qu'elle appartient à ce Conseil-ci (au Conseil général) et ce serait une pensée très criminelle d'en douter ». (Cf. H. Fazy, Les Constitutions de la République de Genëce, Genève-Bâle, 1890, p. 104). Mais le syndic distinguant ensuite entre le droit et l'exercice du droit, conclut pratiquement à la délégation de la Souveraineté. Quelques années plus tard, Antoine Tronchin (Etat du Gouvernement présent de Genève, 1721. Mémoires et Documents publiés par la Société archéologique. Tome xxv. p. 219) est plus explicite encore: L'on peut dire que l'exercice de la souveraineté, excepté les cas réservés au Conseil général, est entre les mains du Petit et Grand Conseil. Dans les Lettres de la Montagne (1. V, § 10), Rousseau montre comment l'auteur des Lettres de la campagne, prend le mot gouvernement qui n'a rien d'effrayant en lui-même pour l'exercice de la souveraineté qui serait révoltant attribué sans détour au Conseil ». On comprend qu'après avoir lu le Contrat Social, Lenieps félicite Rousseau d'avoir établi « avec autant de vérité et de force la valeur des termes souveraineté et gouvernement (Cor. Gen. ? 1595, VIII, 254).


qui est-ce qui peut l'en empecher ? (L ~u~eur, Liv. 3, Chap. 12, Art. 2).

Mais si le Peuple a des Chefs, leurs ordres peuvent passer pour des volontés generales, tant que le souverain libre de s'y opposer ne le fait pas le silence universel fait présumer le contentement (sic) du Peuple. Ceci s'expliquera plus au long.

Liv. 2. Chap. 2.

Que la Souveraineté est indivisible.

Par la meme raison que la souveraineté est inalienable, e//e est indivisible.

1) Expliquons la maxime. Entre volonté generale et souveraineté (a), pour que la volonté soit generale, elle doit etre de tous ou du plus grand nombre. Cela ne fait pas que la souveraineté soit indivisible elle l'est parce que deux Souverains impliquent contradictions et non parce qu'elle est inaliénable son indivision passerait au nouveau Souverain.

(b) Elle est celle du corps entier du Peuple sans qu'il soit cependant necessaire qu'elle soit unanime mais toutes les voix doivent etre comptées ~oM~e exclusion formelle rompt la generalité.

1) Si toute exclusion formelle rompt la generalité comment concevoir que la pluralité des suffrages constitue une volonté generale, n'étant pas necessaire qu'elle soit unanime ? (c).

(a) Ainsi rédigée, la phrase n'offre aucun sens satisfaisant, les premiers mots restant en suspens. L'auteur a dû passer une ligne de son brouillon en le recopiant.

(b) Ceci n'entre pas dans le corps du texte et constitue une note de Rousseau.

(c) Rousseau a donné d'avance une réponse à cette objection an Chap. 5 du Livre I. Il reprendra la question au Chapitre des Suffrages (IV. 2). Le commentateur n'a pas pris garde à la valeur du terme exclusion formelle » qui précise ici la pensée de Rousseau.


Nos politiques ne pouvant diviser la souveraineté dans son principe la divisent en son objet en force et en volonté en puissance legislative et en puissance executive, en droits de guerre, d'impots, de justice etc. Cette erreur vient d'avoir pris pour des parties de l'autorité souveraine ce qui n'en est que des emanations. Ce defaut d'exactitude est la cause de l'obscurité où se sont jettés tant d'auteurs, quand ils ont voulu juger des droits respectifs des Rois et des Peuples, sur les principes qu'ils avaient etablis.

Chap. 3.

Si la volonté generale peut errer.

La volonté generale est toujours droitte, elle veut toujours le bien commun. Mais, comme on ne le voit pas toujours, les deliberations du peuple peuvent manquer cet objet 1 on ne peut corrompre le peuple, mais on peut le tromper.

1) 7Z est en e~/ef très dif ficile de corrompre une generalité entière mais si le plus grand nombre peut être corrompu, si les suf frages peuvent s'achetter, que peut faire le plus petit nombre pour s'opposer au maf ? P II y a souvent bien de la difference entre 1 la volonté de tous et la volonté generale celle-ci ne regarde qu'a l'interet commun, l'autre regarde l'interet privé. 1) Chaque individu peut avoir son sentiment particulier le total de tous ces avis particuliers ne fait pas la volonté générale, mais elle est l'avis du plus grand nombre.

1 Si on peut oter de ces avis particuliers les petites differences, le resultat seroit (sic) la volonté generale (a). (a) Le texte du Contrat est le suivant Mais ôtez de ces mêmes volontés les plus ou les moins qui s'entre-détruisent, reste pour somme des différences la volonté générale. »

La transcription, incorrecte dans la forme, est nettement infi-


1) Qui est-ce qui sera autorisé à faire cette combinaison ? difficulté qui etablit la necessité de se fixer au plus grand nombre des suf frages.

Chaque citoyen doit donner son suffrage, 1 mais s'il se fait des associations partielles, s'il se fait des brigues, la volonté de chacune de ces associations est une volonté particuliere il y a autant de volontés que d'associations, la difTérence des avis est moins nombreuse et le resultat moins general. 2 Mais si une de ces associations est si grande qu'elle l'emporte sur toutes les autres l'avis qui l'emporte n'est qu'un avis particulier.

1) Si les associations sont licites, le resultat de leurs suffrages comptés par associations n'est pas moins la volonté generale, que lorque le su/~ra~e de chaque c!" toyen est compté.

2) Si chaque corps d'association ne forme qu'un suffrage, on ne voit pas pourquoi celui de l'association la plus nombreuse l'emporteroit sur tous les autres. Il importe donc pour avoir bien l'enoncé de la volonté générale qu'il n'y ait pas de société partielle dans l'Etat et que chaque citoyen n'opine que d'après lui. Que s'il y a des sociétés partielles, il en faut multiplier le nombre et en prévenir l'inégalité.

Chap. 4.

Des bornes du pouvoir souverain.

Le pacte social donne au corps politique un pouvoir absolu sur tous ses membres, et c'est le meme pouvoir qui dirigé par la volonté generale porte le nom de soudèle à la pensée de Rousseau. Comme il lui arrive souvent et comme sa note le prouve, l'auteur a considéré comme une possibilité de fait ce qui n'est qu'une hypothèse de raisonnement.


veraineté. Chaque citoyen soutient donc deux personnages il est membre de la souveraineté, il en est aussi le sujet il s'agit donc de bien distinguer les devoirs respectifs du Souverain et des sujets, les devoirs de ceux ci, du droit naturel dont ils doivent jouir en qualité d'hommes.

Chacun aliene par le pacte social cette portion de sa puissance, de ses biens et de sa liberté necessaire au bien de la communauté le Souverain seul est juge de cette importance. Tous les services qu'un citoyen peut rendre à l'Etat, il les lui doit si tôt que le Souverain les demande, mais le Souverain de son coté ne peut charger les sujets d'aucune chaine inutile a la communauté il ne peut pas meme le vouloir.

Les engagemens qui nous lient au corps social sont obligatoires, parce qu'ils sont mutuels on travaille pour soi en travaillant pour autrui tous veulent constamment le bonheur de chacun, parce qu'il n'y a personne qui ne s'aproprie ce mot chacun. La volonté generale doit partir de tous pour s'apliquer a tous, elle doit être génerale dans son objet, ainsi que dans son essence mais elle perd sa rectitude naturelle lorsqu'elle tend a qlque objet individuel et determiné, par ce qu'alors 'jugeant de ce qui nous est etranger nous n'avons aucun principe d'equité qui nous guide.

1) Il resulte de ce prtncfpe gué la volonté generale n'a pour regle sure de ses jugemens que l'utilité commune, qu'appellée a prononcer sur un point etranger a cette utilité commune, elle n'a aucun vrai principe d'équité qui la guide. L'equité est donc une chimere pour le peuple qu'il ne peut ni ne doit connoitre dans les choses qui l'intéressent. C'est ouvrir la porte a des injustices dès qu'elles seront utiles à l'Etat, principe très dangereux. Ce n'est donc pas la volonté generale qui décide dans les affaires où des particuliers interessés sont une des parties et le public l'autre sur un point qui n'a pas été réglé par une convention generale antérieure c'est un


procès où je ne vois ni la Loi qu'il faut suivre, ni le juge qui doit prononcer. le Peuple alors décide ce n'est plus comme Souverain, c'est comme Magistrat. 1) Et qu'importe aux particuliers que ce Peuple qui les juge s'apelle Souverain ou Magistrat, dès que sa decision est souveraine et peut etre impunement injuste. Ce qui generalise donc la volonté, c'est moins le nombre des voix que l'interet commun qui les unit, car dans cette institution chacun se soumet necessairement aux conditions qu'il impose aux autres, accord admirable de l'interet et de la justice, qui donne aux deliberations communes un caractère d'équité qu'on voit evanouir dans la discussion de toute affaire particuliere, faute d'un interet commun qui identifie la regle du juge avec celle de la partie.

1) Je vois très clairement que, dans toute deliberation commune, ~7!~ere~ public décide, mais je ne vois pas cet < accord admirable de la justice et de l'equité avec cet interet &, à moins qu'on ne veuille reconnoitre l'utile pour seul principe du juste dès qu'il s'agit du public ce qui suit necessairement des principes de l'auteur, dont les conséquences sonf très dangereuses (a).

Le pacte social établit entre les citoyens une telle égalité, qu'ils s'engagent tous, sous les memes conditions, et doivent jouir tous des memes droits, en sorte que tout acte de souveraineté, c'est a dire tout acte authentique de la volonté generale oblige et favorise egalement tous les citoyens. Un acte de souveraineté n'est donc pas alors une convention du supérieur avec l'inferieur, mais une convention du corps avec chacun de ses membres. Acte de souveraineté légitime parce qu'elle a pour baze le contract social, equitable parce qu'il est commun a (a) Comme précédemment de matérialisme », Rousseau est accusé ici d'utilitarisme malgré ses déclarations préliminaires, reprises et commentées à l'intérieur même de ce chapitre.


tous, solide parce qu'il a pour garant la force publique et le pouvoir supreme.

On voit par là que le pouvoir souverain tout absolu, tout sacré, tout inviolable qu'il est, ne passe, 1 ni ne peut passer les bornes des conventions generales. Ainsi tout homme peut disposer pleinement de ce qui lui a été laissé par les conventions generales, avec cet avantage de posseder plus seurement que dans l'etat de nature, dont il a changé ainsi l'independance contre une véritable liberté. Sa vie meme, devouée à l'Etat en est continuellement protegée s'il l'expose pour sa defense, il lui rend ce qu'il en a reçeu danger plus frequent dans l'etat de nature, où il faudroit souvent combattre pour defendre au peril de sa vie ce qui est nécessaire pour la conserver. Tous ont à combattre au besoin pour la patrie, nul n'a besoin de combattre pour soi.

1) L'auteur nous dira dans la suite que non seulement le souverain peut passer ces bornes, mais qu'il peut abroger les conventions generales (a). Voyez cy après, chap. 12.

Chap. 5. Du droit de vie et de mort.

Les particuliers ne peuvent pas disposer de leur vie. Comment peuvent-ils transmettre au Souverain un droit qu'ils n'ont pas ? Tout homme a droit de risquer sa propre vie pour la conserver ainsi le traité social a pour fin la conservation des contractans. Qui veut la fin, veut les moyens, ce qui ne se peut sans quelque risque, (a) Confusion abusive entre lois fondamentales et conventions générales le contre-sens est attesté par le renvoi au Chap. XII. Rousseau ne pense pas le moins du monde à des conventions préalables qui obligeraient une fois pour toutes le Souverain; il veut dire seulement que le Souverain perd sa qualité de souverain, s'il édicte autre chose que des lois qui s'appliquent à tous égatement il ne peut passer les bornes des conventions générales


et meme sans quelque perte. Qui veut conserver sa vie aux depens des autres, doit aussi la donner pour eux quand il le faut. Le Souverain est le seul juge de cette necessité. La peine de mort infligée aux criminels suit du meme principe. Tout malfaiteur, attaquant le droit social, cesse d'en être membre, devient ennemi et lui fait la guerre. La conservation de l'Etat demande sa mort. La condamnation d'un criminel est un acte particulier. Aussi, cette condamnation n'apartient-elle point au souverain c'est un droit qu'il peut conferer, sans pouvoir l'exercer lui meme.

La frequence des suplices est un signe de foiblesse dans le gouvernement. H n'y a point de mechant qu'on ne peut rendre bon à quelque chose. On ne doit faire périr que celui qu'on ne peut conserver sans danger. Le droit de faire grace n'apartient qu'au Souverain qui est au dessus du Juge. Les cas doivent être rares les frequentes graces annoncent que bientôt les forfaits n'en auront plus besoin.

Chap. 6. De la loi.

L'acte social ne determinant pas ce qu'il (a) doit faire pour se conserver, il est necessaire de rechercher les moyens qu'il peut mettre en usage pour sa conservation. C'est ce que procure la loi.

Toute justice vient de Dieu lui seul en est la source. Si nous pouvions la recevoir de si haut, nous n'aurions besoin ni de gouvernement ni de loix. Sans doute il est une Justice universelle emanée de la raison seule, mais cette justice doit etre reciproque. A considerer humainement les choses, faute de sanction naturelle, les loix de la justice sont vaines parmi les hommes elles ne font (a) Le résumé rend le texte de Rousseau iocompréhensibte. 7f désigne le corps politique ».


que le bien du mechant et le mal du juste quand celui ci les observe seul.

1) Les Loix naturelles, ayant Dieu pour auteur, ont une sanction, parce que Dieu en les prescrivant aux hommes, en veut l'execution et doit par consequent punir les violateurs de ses Loix. Mais cette sanction, n'infligeant aucune peine temporelle et n'etant connue que de la raison seule, n'arrette pas toujours les hommes. Il n'en est pas ainsi dans l'etat social où tous les droits sont fixés par la loi.

Mais qu'est-ce donc enfin qu'une Loi ? Quand la volonté generale qui a pour objet tout le peuple sans distinction ordonne, regle ou decide, c'est cet acte que j'appelle une Loi.

II resulte de là que la loi n'a jamais pour objet, ni un homme particulier, ni une action particulière. 1 Elle peut bien statuer qu'il y aura des privileges, mais elle n'en peut donner nommement à personne.

Elle peut établir un gouvernement royal ou tel autre gouvernement, mats elle ne peut elire un Roi, ni nommer une famille Royale. En un mot toute fonction qui se rapporte à un objet individuel, n'appartient point à la puissance legislative.

1) On a vu dans le chap. 4 la raison de cette restriction. L'auteur donne au terme de Loi un sens particulier. qui s'écarte de l'idée commune attachée d ce terme (a). C'est ce qu'il est important d'observer pour le suivre dans ses principes.

(a) Rousseau prétend, en effet, et à juste titre, proposer une définition précise et nouvelle de ce terme. On comparera sa définition avec celle de Burlamaqui (Principes du Droit Naturel, 1" partie, Chap. VIII, § 3, p. 70)

Je définis la Loi une Règle prescrite par le Souverain d'une Société à ses sujets; soit pour leur imposer l'obligation de faire ou de ne pas faire certaines choses, sous la menace de quelque peine; soit pour leur laisser la liberté d'agir ou de ne pas agir en d'autres choses comme ils le trouveront à propos, et leur


2) Mais à quoi sert de pouvoir établir un Gouvernement Roial, si on ne peut elire un Tïot ? Cette election sera apparemment l'ouvrage du Legislateur dont il sera parlé dans le chap. suivant (a).

Les Loix etant des actes de la volonté generale, ceux de qui cette volonté dépend ont seuls le droit de faire des Loix. Le Prince n'est donc pas au dessus des loix, puisqu'il est membre de l'état. On ne peut pas dire que la Loi soit injuste, puzsgue nul n'est injuste envers lui meme.

On est libre et cependant soumis aux Loix, puisqu'elles ne sont que des registres de notre volonté.

1) Mais la volonté generale peut etre injuste à l'egard des personnes qui ne sont pas dans sa dépendance. faut donc dire que « la volonté gerterale ne peut avoir d'objet que ce qui depend d'elle seu/e > alors l'axiome est vrai.

Ce qu'ordonne le Souverain quel qu'il soit sur un objet particulier, n'est pas une Loi, mais un decret, ni un acte de souveraineté, mais de magistrature.

S'appelle Republique tout Etat regi par des Loix, sous quelque forme d'administration que ce puisse etre. Les Loix sont les conditions de l'administration civile. Le Peuple soumis aux Loix en doit etre l'auteur il n'appartient qu'a ceux qui s'associent de regler les conditions de la société. Mais comment le Peuple qui veut toujours le bien, mais qui ne le voit pas toujours comment une multitude aveugle qui ne sçait souvent ce qu'elle veut, executeroient-ils d'eux memes une entreprise aussi granassurer une pleine jouissance de leurs Droits à cet égard. C'est probablement à cette définition ou à des définitions analogues que pense le commentateur lorsqu'il parle de « l'idée commune attachée à ce terme ).

(a) Voir au Liv. III, Chap. XVII (De /nsf!'fu<t'on du gouvernement) la théorie (conversion de la Souveraineté en Démocratie), au moyen de laquelle Rousseau résout la difficulté soulevée par le commentateur.


de, aussi difficile qu'un systeme de legislation ? De cette consideration, jointe à beaucoup d'autres raisons tres executeroient-ils d'eux memes une entreprise aussi grande, aussi difficile qu'un systeme de legislation ? De cette consideration jointe à beaucoup d'autres raisons tres importantes, 1 nait la necessité d'un Legislateur. 1) Pour ne pas faire d'equivoque, il faut entendre icy par « Leg's~afeur le « Compilateur des Loix qui n'en prennent la qualité que par l'aprobation du Peuple, seul revêtu du pouvoir legislatif. Il ne faut pas perdre ce ~en<: de vue pour comprendre ce que dit l'auteur dans le chap. suivant.

Chap. 7. Du Legislateur.

Pour decouvrir les meilleures regles de societé qui conviennent aux nations, il faudroit une intelligence superieure qui connut toutes les passions, sans en avoir aucune, qui n'eut aucun rapport avec notre nature et qui la connut a fond en un mot il faudroit des Dieux pour donner des Loix aux hommes. Celui qui ose entreprendre d'instituer un Peuple, doit se sentir en etat de changer pour ainsi dire la nature humaine. Le Legislateur est a tous egards un homme extraordinaire dans l'Etat. Ce n'est point magistrature, ce n'est point souveraineté. Cet emploi qui constitue la Republique n'entre point dans sa constitution. 1 Celui qui commande aux hommes ne doit pas commander aux Loix. Celui qui commande aux Loix, ne doit pas commander aux hommes autrement ses Loix, ministres de ses Passions, ne feroient souvent que perpetuer ses injustices.

1) C'est a dire que le Legislateur ne doit jouir d'aucune authorité dans l'Etat. C'est ce qui résulte de son emploi, des qu'il n'est que compilateur des Loix, comme on l'a vû dans le chap. precedent.

Ainsi l'on trouve dans l'ouvrage de la Legislation


1 deux choses qui semblent incompatibles une entreprise au dessus de la force humaine et pour l'executer une authorité qui n'est rien.

1) n'y a rien d'incompatible entre un compilareur des Loix et un homme sans autorité il aurait de ~ncompatibilité entre ces deux caracteres si on attachoit au mot Legislateur l'idée ordinaire.

Autre difficulté qui mérite attention les Sages qui veulent parler au vulgaire 1 leur langage au lieu du sien n'en sauroient etre entendus il y a mille sortes d'idées qu'il est impossible de traduire dans la langue du Peuple. 1) 7/ ne s'agit pas ici de la langue propre a un peuple, tout peuple est censé l'entendre il s'agit du discours, d'une suite d'idées qui ont leurs qualifications propres, qu'en general le Peuple entend sans les comprendre ainsi tout un Peuple ne comprendra pas toute la suite des Principes d'un jurisconsulte. 7/ faudra cependant que ce Peuple, seul souverain, donne force de Loix a ces principes sans les entendre. Voila « l'admirable Aussi faut-il une route bien extraordinaire pour parvenir a ce but.

Ainsi donc le Legislateur ne pouvant employer ni la force, ni le raisonnement, c'est une nécessité qu'il recoure à une nécessité (sic) (a) d'un autre ordre qui puisse entraîner sans violence et persuader sans convaincre. Voila ce qui força de tous tems les Peres des nations de recourir à l'intervention du Ciel et d'honorer les Dieux de leur propre sagesse, pour porter les Peuples a recevoir leurs Loix.

Cette raison sublime est celle dont le Legislateur met les decisions dans la bouche des Immortels, pour entraîner par l'autorité Divine ceux que ne pourroit ebranter la prudence humaine.

(a) C'est une nécessité qu'il recoure à une autorité d'un autre ordre. »


Mais il n'apartient pas à tout homme de faire parler les Dieux, ni n'en être crû (a), quand il s'annonce pour leur Interprête. La grande ame du Legislateur est le vrai miracle qui doit prouver sa mission.

1) 7~ résume avec la plus grande evidence de ce portrait du Legislateur qu'il doit etre un genie sublime, du premier ordre et qu'alors il lui est permis de faire intervenir la Divinité pour en imposer au Peuple, sans quoi il ne sauroit reussir. Voila le Legislateur auquel Rousseau renvoie les nations il n'en connoit aucun autre, il n'en indique aucun autre. Valoit-il la peine de prouver la nécessité d'un Legislateur pour ne laisser d'autre ressource qu'un grand genie, habile imposteur, qui aura aussi le pouvoir de nommer le Roi, s'il forme une monarchie, ou les conducteurs d'une Aristocratie et de fixer les droits des uns et des autres (b). Ce n'est pas par des raisonnemens seuls que Rousseau soutient sa thèse, il l'apuie encore par deux exemples fameux.

1 La Loi judaique toujours subsistante, celle de l'Enfant d'Ismaël qui depuis 10 siecles regit la moitié du monde, annoncent encore aujourd'hui les grands hommes qui les ont dictées, nommés d'heureux imposteurs par l'orgueilleuse philosophie ou par l'esprit de parti. 1) Je cherche a dire ma pensée sur ce paragraphe sans invectiver contre Rousseau. Comment se peut-il qu'un (b) Ce passage a beaucoup embarrassé les éditeurs du Contrat. Quelques-uns ont corrigé, d'autres proposés des înterprétattons invraisemblables (Cf. Beaulavon, op. cit., p. 188). Le commentateur ne parait y avoir vu aucune difficulté particulière. La tournure est en effet tout à fait usuelle (du type Vous pouvez m'en croire, si je vous dis.). En (= sur ce point) se rapporte par anticipation à la proposition qui suit.

(b) L'hypothèse, tout à fait gratuite, est formellement démentie par les déclarations de Rousseau (Cf. ci-dessus, p. 77, Note (a), et Liv. III, Chap. 17). Mais le commentateur veut absolument que cette nomination soit comprise dans les attributions du Législateur, dont le rôle lui parait gros de prétentions et de dangers (Cf. p. 105, Note (a) et passim).


homme qui se pique d'esprit et de bon sens ait mis en parallele la Loi de A~o:/se et l'Alcoran, les traits de Divinité qui brillent dans la premiere, avec /°s foiblesses les plus meprisables de l'humanité qui font les delices du second ? Comment se peut-il qu'un homme qui depuis peu de temps a renouvellé sa profession publique du Christianisme, tel qu'il est reçu dans l'Eglise de Genève sa patrie (a), ait pu déclarer qu'il regardait du même a?!7 l'intervention de Dieu dans la Loi yuda!~ue et la colombe qui parloit à l'oreille de Mahomet ? Je gemis des foiblesses de l'humanité et je m'impose silence.

Chap. 8. Du Peuple.

Le sage Instituteur ne commence pas par rediger de bonnes loix en elles memes, mais il examine auparavant si le Peuple auquel il les destine est propre à les supporter. Les Peuples ainsi que les hommes ne sont dociles que dans leur jeunesse ils deviennent incorrigibles en vieillissant. Le Peuple ne peut pas même souffrir qu'on touche a ses maux pour les detruire, tant ont de force les coutumes et les prejugés. H se trouve cependant quelquefois dans la durée des Etats des Epoques violentes, (b) Allusion infiniment probable à la lettre écrite par Rousseau au pasteur de Montmollin, le 24 août 1762. H en circula à Genève deux cents copies. 11 suffira de rappeler le passage central de cette lettre dont l'objet était « une déclaration en matière de foi On remarquera que Genève n'y est pas nommément désignée. Je vous déclare, Monsieur, avec respect, que depuis ma réunion à l'Eglise dans laquelle je suis né, j'ai toujours fait de la Religion Chrétienne réformée une profession d'autant moins suspecte qu'on n'exigeait de moi, dans les pays ou j'ai vécu, que de garder le silence et laisser quelque doute à cet égard pour jouir des avantages civils dont j'étais exclus par ma Religion. Je suis attaché de bonne foi à cette Religion véritable et sainte et je le serai jusqu'à mon dernier soupir. Je désire être toujours uni extérieurement à l'Eglise, comme je le suis dans le fond de mon cœur. (Corr. gén., n° 1501, vIII, 82).


où les revolutions font sur les Peuples une telle impression, que l'Etat embrasé par les guerres civiles, renait, pour ainsi dire, de sa cendre.

Mais ces evenemens sont rares ce sont des exceptions qui ne sauroient meme avoir lieu deux fois pour le meme peuple, car il peut se rendre libre quand il n'est que barbare, mais il ne le peut plus quand le ressort civil est usé. Peuples libres, souvenés vous de cette maxime 1 On peut acquerir la liberté, mais on ne la recouvre jamais.

1) L'auteur prétend cependant que les Corses ont sçeu la recouvrer et la cfey/'encfre et, il ne leur souhaitte qu'un Legislateur qui leur aprit a la conserver (liv. 2, chap. 10. § derrzier). L'auteur finit par une prediction les Russes, civilisés trop tot et avant d'être guerriers, voudront subjuguer l'Europe et seront eux memes subjugués. Les Tartares sujets ou voisins de la Russie deviendront ses maîtres et les notres. Cette Révolution me parait infaillible. Tous les Rois de l'Europe travaillent de concert à l'accelerer.

Cette Prophetie est sans doute fondée sur ce que les Tartares sont guerriers sans etre civilisés et deviendront redoutables en adoptant les maximes de Rousseau. Il ne leur manquera que le « Contract 5oc!a/ en langue Tartare.

Chap. 9. Suitte.

L'Etendue d'un Etat doit avoir des bornes, afin qu'il ne soit ni trop grand pour pouvoir etre bien gouverné, ni trop petit pour pouvoir se maintenir par lui même. Plus le lien social s'etend, plus il se relache et en generai un petit Etat est proportionnellement plus fort qu'un grand.

L'administration devient plus pénible et coute plus dans les grandes distances et toujours aux depens du Peuple.


Le gouvernement a moins de vigueur et de celerité pour faire observer les Loix, empecher les vexations, corriger les abus, prevenir les entreprises séditieuses mais encore le Peuple a moins d'affection pour ses chefs qu'il ne voit jamais, pour la Patrie qui est a ses yeux comme le monde, pour ses concitoyens dont la plus grande part lui sont Etrangers. Les memes Loix ne peuvent convenir à tant de Provinces qui ont des mœurs si différentes, situées sous des climats opposés. Des Loix differentes n'engendrent que troubles parmi les Peuples vivans sous les memes chefs, dans une communication continuelle. Les Chefs accablés d'affaires ne voient rien par eux memes des commis gouvernent l'Etat. D'un autre côté, l'Etat doit se donner une certaine baze, pour avoir de la solidité, pour resister aux secousses qu'il ne manquera pas d'éprouver et aux efforts qu'il sera contraint de faire pour se soutenir. Tous les Peuples tendent à s'agrandir aux depens de leurs voisins. Nul ne peut gueres se conserver qu'en se mettant avec tous dans une espece d'equilibre. H y a donc des raisons pour s'etendre et des raisons de se resserrer. 1 C'est au Politique a trouver entre les uns (sic) et les autres la proportion la plus avantageuse à la conservation de l'Etat.

1) (a) Observés qu'il ne sauroit etre question dans les maximes precedentes d'aucune nation qui nous soit actuellement connue, car pour les Etats existans il n'est pas question de s'agrandir ou de se resserrer.

Chap. 10. Suitte.

On peut mesurer un corps politique de deux manieres par l'etendue du territoire et par le nombre du Peuple (a) Ici encore la note a été ajoutée après coup en écriture plus serrée dans l'intervalle qui, à la page 48 du Ms., sépare les chapitres 9 et 10. La dernière ligne de la note, faute de place, a été écrite en surcharge sur l'indication Chap. 10, Suite.


il y a entre l'une et l'autre de ces mesures un raport convenable pour donner a l'Etat sa veritable grandeur. Les hommes font l'Etat et le terrain nourrit les hommes. Ce rapport est donc que le terrain suffise à l'entretien de ses habitans et qu'il y ait autant d'habitans que la terre en peut nourrir. S'il y a du terrain de trop, la garde en est onereuse, la culture insuffisante, le produit superilu c'est la cause prochaine des guerres deffensives. S'il n'y en a pas assés, l'Etat se trouve pour le suplement a la discrétion de ses voisins c'est la cause prochaine des guerres offensives.

(a) On peut donner un calcul (sic), un rapport fixe entre l'etendue de terre et le nombre d'hommes qui se suffisent l'un a l'autre, tant a cause des differences dans les terrains que de celles qu'on remarque dans les hommes eux memes. H faudroit encore avoir egard à la plus grande ou moindre fecondité des femmes. u a a mille occasions ou les accidens particuliers des lieux, exigent ou permettent qu'on embrasse plus de terrain qu'il ne paroit necessaire.

1) Faisons cette reflection en general sur toutes les maximes fort sages dans l'institution d'un Etat, qu'elles sont superflues dans l'etat actuel des nations, et meme dangereuses, si l'auteur entend qu'elles puissent servir de regles justes et equitables entre des Peuples voisins, inutiles encore pour des Etats vivans actuellement sous tel ou tel gouvernement. L'Auteur lui meme en convient. Pour instituer un Peuple, il faut qu'il jouisse de l'abondance et de la paix.

Quel Peuple est donc propre à la legislation ? Celui qui se trouvant deja lié par quelque union d'origine, d'interet ou de convention, n'a point encore porté le vrai joug des Loix celui qui n'a ni coutumes, ni superstitions enracinées celui qui ne craint pas d'etre accablé (a) Faute de copie, au lieu de On ne peut donner en calcul.


par une invasion subite qui, sans entrer dans les querelles de ses voisins, peut resister seul n chacun d'eux ou s'aider de l'un pour repousser l'autre celui dont chaque membre peut etre connu de tous et ou l'on n'est point forcé de charger un homme d'un plus grand fardeau qu'un homme peut (sic) porter celui qui peut se passer des autres Peuples et dont tout autre Peuple peut se passer celui qui n'est ni riche, ni pauvre et peut se suffire à lui meme enfin celui qui reunit la consistance d'un ancien Peuple avec la docilité d'un peuple nouveau. ]) Je n'ai omis aucun des caractères que Rousseau donne au Peuple susceptible de législation, /M/'ce que le portrait qu'il en /q~ le justifie ~D/etnemen/ de /'accusation d'avoir donné des maximes dangereuses pour tout gouvernement. Car il est evident qu'il n'a ecrit pour donner des regles a aucun peuple connu, n/ même a aucun peuple a naitre. Je n'en excepte pas la Corse dont les habitans sont bien éloignés d'etre libres et d'avoir les autres qualités requises pour recevoir un Legislateur, quoique Rousseau exalte leur valeur et leur constance a recouvrer et deffendre leur liberté. Cela étant, quel but a-<7 eu en composant ce Livre ? De bruler le temple de Diane.

Liv. 2. Chap. 11. Des divers systemes de Legislation. La fin de tout systeme de legislation doit etre le plus grand bien de tous, qui se reduit a ces deux objets principaux la liberté et l'egalité. La liberté parce que toute dependance particuliere est autant de force otée au corps de l'Etat. L'Egalité parce que la liberté ne peut subsister sans elle.

A l'egard de t'eoa~e, il ne faut pas entendre par ce mot que les degres de puissance et de richesse soient absolument les memes mais que, quant à la puissance, elle soit au dessous de toute violence et ne s'exerce


jamais qu'en vertu du rang et des loix quant à la richesse, ne souffrés ni des gens opulens ni des gueux. 1 Ces deux etats, naturellement inseparables, sont egalement funestes au bien commun de l'un sortent les fauteurs de la tirannie, de l'autre les tirans l'un achette l'autre vend la liberté publique.

1) L'opulence des uns n'entraine pas necessairement la misere des autres. Dans tout Etat policé, il ne doit y avoir aucun gueux proprement dit parmi les naturels du pays, si les riches doivent contribuer à l'entretien des pauvres, soit par des contributions volontaires, soit par des taxes. (Voyes cy devant chap. 9 du Liv. 1, art. der~ nier) (a).

Ces objets genereux de toute bonne institution doivent etre modifiés en chaque pays par les rapports qui naissent tant de la situation locale, que du caractere des habitans.

Par exemple le sol est il ingrat et sterile, ou le pays trop serré pour ses habitans ? tournés vous du coté de l'industrie et des arts dont vous échangerés les productions contre les denrées qui vous manquent. Au contraire, occupés vous de riches plaines et des coteaux fertiles et manqués vous d'habitans ? donnés tous vos soins a l'agriculture qui multiplie les hommes et chassés les arts qui ne feroient qu'achever de depeupler le pays, en atroupant sur quelques points du territoire le peu d'habitans qu'il a. Occupés vous des rivages etendus et commodes ? Couvrés la mer de vaisseaux, cultivés le commerce et la navigation vous aurez une existence brillante et courte. La mer ne baigne-t-elle sur vos cottes que des rochers presqu'inaccessibles ? restés barbares et ichtyophages vous en vivrez plus tranquilles meilleurs peut-être, et seurement plus heureux.

(a) Voir les réHexions du commentateur sur ce chapitre et la note (a).


1) On peut regarder ces maximes, non comme autant d'ob jets de di f ferens systemes de legislation, mais comme autant de conseils dont tout Etat peut profiter suivant sa position naturelle.

En un mot, outre les maximes communes a tous, chaque Peuple renferme en lui quelque cause qui les ordonne d'une maniere particuliere et rend sa legislation propre à lui seul. Ce qui rend la constitution d'un Etat veritablement solide et durable, c'est quand les rapports naturels et les loix tombent toujours de concert sur les memes points.

Si le Legislateur se trompant dans son objet, prend un principe different de celui qui nait de la nature des choses, les Loix s'affaiblissent, la constitution s'alterera et l'Etat ne cessera d'etre agité jusqu'a ce qu'il soit detruit ou changé.

Chap. 12. Division des Loix.

Pour donner la meilleure forme possible a la Republique, il y a diverses relations a considerer. le rapport du Souverain à l'Etat et ce rapport est composé de celui des differentes parties de l'Etat (1 des termes intermediaires).

1) Ce sont les expressions de l'auteur que je crois pouvoir changer en d'autres, plus a la portée du lecteur qui n'est pas geometre.

Les Loix qui reglent ce rapport portent le nom de Loix politiques et s'appellent aussi Loix fondamentales, avec raison si elles sont sages. Car, s'il n'y a dans chaque Etat qu'une bonne maniere de l'ordonner, le Peuple qui l'a trouvée doit s'y tenir mais si l'ordre etabli est mauvais, pourquoi prendroit-on pour fondamentales des Loix qui l'empechent d'etre bon ?

D'ailleurs en tout etat de cause, 1 un Peuple est toujours le maître de changer ses Loix, meme les meil-


leures car, s'il lui plaît de se faire mal a lui meme, qui est ce qui a le droit de l'en empecher ?

1) Cet article est si important que je l'ai transcrit tout entier. faut d'abord se souvenir que par le « Peuple Rousseau entend le « corps entier de l'Etat », le « Souverain duquel emane la « volonté generale ». Ce que je remarque afin qu'on ne croie pas que par le « Peuple » il entend la partie de l'Etat qui est soumise au gouvernement. Dans son sens la maxime est vraie. Qui doute que dans une Monarchie, le Roi et toute la nation ne puisse changer son etat ? que dans une aristocratie, les che fs et les su jets ne le puissent aussi, et ainsi de tous les autres gouvernemens ? Mais ce qui me surprend, c'est que Rousseau donne ce pouvoir au « Peuple », c'est a dire, < a cette multitude aveugle qui souvent ne sait ce qu'elle veut, parce qu'elle sait rarement ce qui lui est &on qui voit le bien qu'elle re jette, qui veut le bien qu'elle ne voit pas, à laquelle il faut un guide pour législateur (a). Et quel guide ? (voyés liv. 2, chap. 6 page 80) (b). Seroit-il donc plus facile pour le Peuple de renverser un gouvernement subsistant, de detruire les prejugés qui lui sont favorables, et de faire taire des passions inveterées, qu'à un peuple a former de nouvelles Loix ? Si tout le systeme de Rousseau est lié, c'est comme une chimere, dont voici le danger c'est que cette maxime peut faire croire à la multitude gouvernée que, faisant le plus grand (a) Le commentateur simplifie et mutile ce passage où il cherehe souvent une arme contre Rousseau. Le texte exact du Contrat fait en particulier la distinction suivante Les particuliers voient le bien qu'ils rejettent le public veut le bien qu'il ne voit pas. Tous ont également besoin de guides ~<.

(b) La référence se rapporte à l'édition 8* du Contrat social décrite par Dreyfus-Brisac (p. XXXV) comme l'édition originale et qui l'est en effet. C'est à cette même édition que se réfèrent Roustan et l'auteur de la Lettre un Anonyme Les deux cents exemplaires parvenus chez Duvillard à Genève avaient été vendus ou dispersés avant qu'on n'eût l'ordre de les saisir che. tes libraires (Cf. Introduction p. 25).


nombre dans l'Etat, elle peut demander tel changement qui lui plaît et forcer les chefs a condescendre a ses volontés. Source intarissable de troubles et de divisions (a).

La seconde relation est celle des membres entr'eux ou avec le corps entier.

La premiere doit etre minime en sorte que chaque citoyen soit en cette qualité dans une parfaite independance de tous les autres, mais sa relation avec le corps doit etre entiere, en sorte qu'il soit dans une excessive dépendance de la Cité. C'est de cette Relation que naissent les loix civiles.

La 3' relation est celle de l'homme avec la Loi, savoir celle de l'obeissance a la peine d'ou naissent 1 les loix criminelles qui sont proprement la sanction de toutes les autres.

1) Les Loix criminelles ont pour objet general de deffendre telle ou telle action sous telle peine celle ci est la sanction qui n'est pas la Loi, mais qui la suit. La Loi en general a sa sanction dans la volonté presumée du Souverain d'in fliger quelque peine a qui ne lui obéit pas et telle est la sanction de la loi naturelle qui a Dieu pour auteur.

La 4' relation qui est la plus importante de toutes ne se grave ni sur le marbre, ni sur l'airain, mais dans le (a) L'acte de médiation de 1738 prétendait fixer de façon précise et dénnitive tes droits et attributions des différents ordres (le Conseil Général étant considéré comme un ordre dans l'Etat, non comme le Souverain). Voici le libellé de l'article 1" « Tous les différents ordres qui composent le gouvernement de Genève, savoir tes quatre syndics, le Conseil des Vingt-Cinq, le Conseil des Soixante, le Conseil des Deux-Cents et le Conseil Générât, conservent chacun leurs droits et attributions particulières provenant de la loi fondamentale de l'Etat et il ne sera fait à l'avenir aucun changement au présent règlement, en sorte que l'un des susdits ordres ne pourra atteindre ni rien enfreindre au préjudice des droits et attributs de l'autre ».


cœur des citoyens. Elle fait la veritable constitution de l'Etat elle acquiert tous les jours de nouvelles forces elle ranime les Loix qui viellissent, suplée celles qui s'éteignent, substitue la force de l'habitude a celle de l'autorité, 1 je parle des mœurs, des coutumes et sur tout de l'opinion, partie inconnue a nos politiques, mais de laquelle depend le succès de toutes les autres partie dont le Legislateur s'occupe en secret, tandis qu'il paroit ne se borner qu'a des reglemens particuliers, qui ne sont que le ceintre de la voute, dont les mœurs plus lentes a naître sont enfin l'inebranlable cléf.

1) Belle tirade de Rousseau pour faire une incursion tres mal a propos sur tous les Politiques qui l'ont pre-i cedé, comme si les mfasurs n'étoient plus sous la dependance de la Religion, partie essentielle de tout plan de bon Gouvernement et que les bons Politiques n'ont pas négligée (a) il peut etre seulement vrai qu'ils n'ont pas fait une grande attention au brocard « Opinion chés les hommes fait tout Si l'on dit que la reflection de Rousseau ne tombe sur les moeurs que relativement aux vues du Legislateur, dans la compilation des Loix propres a telles ou telles masurs, a telles ou telles coutumes du Peuple qu'il veut instituer, je reponds que dans le susteme de Rousseau les loix precedent les moeurs qui, « plus lentes a naître sont enfin t'1ne6rantat'te cléf de la voute Or, les m<Burs à naître ne peuvent pas etre l'oc(a) Burlamaqui est du nombre de ces « bons politiques (Cf. Principes du Droit Naturel, UI< partie, Chap. III, §, Op. cit. II, p. 241).

.< Quelque considérables, dit-il, que soient les avantages qui reviennent à l'homme de l'établissement de la société civile, du gouvernement et de la souveraineté, il est pourtant vrai que ces établissements ne pourvoient pas à tout et qu'ils ont besoin du secours de la religion a. Et plus loin, p. 244 « Si les sujets euxmêmes sont portés à obéir aux lois et à respecter leur souverain par principe de conscience et de religion, le bien public sera beaucoup plus assuré que s'ils n'étaient poussés à cela que par le motif des récompenses et des peines de cette vie ».


casion des reglemens du Législateur, elles en peuvent etre l'ob jet.

Entre ces diverses classes, les Loix politiques qui constituent la forme du gouvernement, sont tes seules relatives a mon sujet.

Livre 3e

Chap. 1. Du Gouvernement en general.

Avant de parler des diverses formes de gouvernement, tachons de fixer le sens precis de ce mot qui n'a pas encore été fort bien expliqué.

On distingue dans le corps Politique la force et la volonté qui sont ses deux mobiles la volonté sous le nom de Puissance legislative, la force sous le nom de Puissance executive. Rien ne s'y fait, ou ne s'y doit faire que par leur concours.

Nous avons vû que la Puissance legislative n'appartient qu'au Peuple, et il est aisé de voir par les principes deja etablis que la Puissance executive ne sauroit lui appartenir, parce que cette puissance ne consiste que dans des actes particuliers qui ne sont point du ressort de la Loi, seul apanage du Souverain.

II faut donc a la force publique (au Souverain) un agent propre qui mette en œuvre les directions de la volonté generale, qui fasse dans la personne publique ce que fait dans l'homme l'union de l'ame et du corps. Voila quelle est dans l'Etat la raison du Gouvernement confondu mal a propos avec le Souverain, dont il n'est que le Ministre.

1) Rousseau ne pouvoit pas donner une idée plus juste de son systeme politique qu'en le comparant a l'union de l'ame avec le corps. Son Etat, son Peuple, son souverain, ne ressemble pas mal au moment de sa creation a nos corps sans ame, car, s'il lui donne une faculté la c Vo-


/on/e generale cette faculté ne peut rien, pas mcme faire des Loix, quoique la législation soit sa seule fonction avant qu'elle puisse s'en acquiter, il faut qu'un ye/ne sublime l'anime, lui dicte son ouvrage sous les auspices d'une Divinité favorable c'est à ce genie donc, qu'elle doit son ame le (?oMucrnemen~ (a), que sans contredit Rousseau doit regarder comme la partie la plus noble de l'Etal. Et il n'est pas surprenant que les Politiques qui ont précède notre Auteur se soient attaché (sic) (b) principalement a cette partie actrice de l'Etat.

Qu'est-ce donc que le Gouvernement ? Un corps intermédiaire etabli entre les sujets et le Souverain pour leur mutuelle correspondance, chargé de l'exécution des Loix et du maintien de la liberté, tant civile que politique. Les membres de ce Corps (du Gouvernement) s'appellent Magistrats ou Roi (c), c'est a dire Gouverneurs et le Corps entier des Magistrats porte le nom de Prince. Ainsi ceux qui pretendent que l'acte par lequel un Peuple se soumet a des chefs n'est point un contract ont grande raison. Ce n'est absolument qu'une commission, un emploi, dans lequel, simples officiers du Souverain, ils exercent en son nom le pouvoir dont il les a fait depositaires et 1 qu'il peut limiter, modifier et reprendre quand il lui plait.

(a) On ne saurait déformer plus complètement la pensée de Rousseau qui, après avoir distingué le corps (l'Etat) et Mme (le Souverain), le met en communication au moyen d'un principe intermédiaire le Gouvernement, qu'à la manière de Descartes il appelle l'union de l'âme et du corps.

(b) Rousseau reproche assez vertement à Moultou des fautes de participes et il ajoute C'est une faute que tout le monde fait à Genève (Cf. Corr. gén., N' 1513, VIII, 100). Les fautes de ce genre sont assez rares dans notre texte (Cf. cependant ci-dessons p. 151).

(c) Le mot est au pluriel dans le texte de Rousseau.


l)Nous avons vû que (a) le Peuple peut établir une monarchie, mots qu'il ne peut pas elire un Roi (liv. 2, chap. 6). Nous avons vû dans le meme chapitre que ce meme « Peuple Souverain » ayant seul le droit de faire des loix, ne peut cependant pas etre legislateur effectif, que c'est l'ouvrage d'un Genie Sublime et le reste. Dans cet etat de choses on conçoit bien comment le « Peuple > peut accepter les limitations et les restrictions que le Genie sublime, son législateur, a mises à l'autorité du ou des Gouverneurs qu'il a nommés. Mais comment cette multitude revoquera-t-elle cette autorité qu'elle a une fois admise ? Le Peuple ne peut exercer aucun acte particulier du Souverain. Or révoquer est certainement un acte particulier de souveraineté (b) aussi réel qu'élire. Ne faudra-t-il point recourir encore au Genie sublime et faire intervenir quelque Divinité, ressource des auteurs tragiques embarassés à dénouer l'intrigue de leur piece ? Mais si ce genie sublime a nommé un Roi, si pour le faire recevoir, si pour etablir la succession hereditaire il a annoncé au Peuple que telle est la volonté de Dieu, il suit de la necessairement que « toute puissance vient de Dieu et qu'il faut etre soumis aux Puissances non seulement par crainte mais aussi par conscience (c) Et cela par (a) Première rédaction Nous avons vu que Rousseau. Le mot Rousseau a été raturé.

(b) Le commentaire brouille la terminologie si minutieusement établie par Rousseau. Le peuple est tour à tour capable d'actes de souveraineté ou de magistrature, suivant qu'il est considéré comme Souverain ou Magistrat. L'élection ou la révocation de ses Gouverneurs relèvent de cette seconde forme de son activité (Cf. IU, chap. 17 et IV, chap. 3).

(c) Allusions à certains passages du Liv. I, ehap. 3, où Rousseau écartait dédaigneusement l'adage Toute puissance vient de Dieu. L'auteur donne un tour assez imprévu et une portée médiocre à sa critique d'un des passages du Contrat dénoncés le plus vigoureusement par le réquisitoire du Procureur Général Tronchin. Envisagés du point de vue genevois, les principes de Rousseau ont un caractère nettement révolutionnaire par rapport à l'Acte de Médiation de 1738 (Cf. p. 89, note (a).


le systeme de Rousseau lui meme. Comment concilier cette maxime avec le pouvoir qu'il accorde au Peuple de reprendre quand il lui plait la commission et l'autorité con fiée au Roi, au Prince, ou aux che fs de l'Etat ? je ne parle pas du danger des troubles, auquel cette regle peut donner lieu, j'en ai parlé plus J~aut (liv. 2, chap. 12). J'appelle donc 1 Gouvernement ou supreme administration, l'exercice de la puissance executive et Prince ou Magistrat, l'homme ou le corps chargé de cette administration. C'est dans le Gouvernement que se trouvent les forces intermediaires dont les rapports composent celui du tout au tout ou du Souverain à l'Etat. Le Gouvernement reçoit du Souverain les ordres qu'il donne au Peuple, et pour que l'Etat soit dans un bon equilibre, il faut, tout compensé, 2 qu'il y ait egalité entre la puissance du Gouvernement et la puissance des citoyens, souverains d'un côté et sujets de l'autre.

Comment le Peuple qui est le souverain peut-il donner des ordres au Gouvernement, lui qui ne peut pas faire de Loix ? 7/ resulte des principes de Rousseau que le Gouvernement reçoit du Peuple Souverain » l'autorité et la pu/ssance necessaire pour gouverner, ce qui renferme le droit de donner des ordres. Ce ne seront pas des Loix, soit ce seront des decrets, le nom ne fait rien icy il suffit qu'il ne soit pas possible que le Peuple Souverain donne des ordres. Que signifient ensuitte ces expressions « donner au Peuple les ordres du Souverain », des que le Peuple est le souverain ? Pourquoi ne pas dire le Gouvernement donne ses ordres aux Citoyens, considérés comme suye/s ?

2) Comment peut-il y avoir egalité de puissance entre deux corps, dont l'un a l'autorité et l'exercice de la puissance, et l'autre, comme Souverain, n'a que la faculté de vouloir et comme sujet, est obligé d'obéir ? faut etre plus qu'attentifs pour comprendre ce que c'est que l' « équilibre et l' « égalité de ces deux puissances Ne su f fit-il pas pour que l'Etat soit bien (sic), que cha-


cune de ses Puissances se renferme dans les bornes de la puissance qui lui est propre ? Voila, a ce que je pense, le vrai « equilibre guz conserve l'Etat mais ce n'est pas là de la Geometrie.

1 De plus on ne sçauroit alterer aucun des trois termes sans rompre a l'instant la proportion.

1) Supprimés toute cette période, ce qui suit est très clair.

Si le Souverain veut gouverner si le Magistrat veut donner des loix ou si les sujets refusent d'obéir, le desordre succede a la regle, l'Etat tombe ainsi dans le Despotisme ou dans l'anarchie.

1) Rien n'est plus clair, plus intelligible et plus vrai que cette maxime qui revient a ce que j'ai dis (sic) dans ma notte precedente.

Enfin comme il n'y a qu'une 1 moyenne proportionnelle entre chaque rapport, il n'y a non plus qu'un bon gouvernement possible dans un Etat.

1) Mettons cette periode en françois le gouvernement qui est propre à chaque Etat est le seul bon gouvernement possible, ou possible ne se raporte pas a gouvernement mais a bon (a).

Mais comme mille evenemens peuvent changer 1 les rapports d'un peuple, non seulement differens gouvernemens peuvent etre bons a divers peuples, mais au meme Peuple en differens tems.

1) Les rapports signifient l'Etat (b), la complexion d'un Peuple (c).

ta) Au lieu d'éclaircir la proposition de Rousseau, cette note en déforme le sens et la rend incompréhensible.

(b) Ecrit d'abord avec une majuscule, corrigée comme le sens l'indique en minuscule.

(c) Rousseau qui fait un emploi assez confus du mot rapport, voulait dire ici les variations de rapports amenées par le changement des termes Souverain, Etat, Gouvernement.


Pour tacher de donner une idée des divers rapports qui peuvent regner entre ces deux extremes, je prendrai pour exemple le nombre du Peuple, comme un rapport plus facile a exprimer.

1) Souvenons-nous que dans la langue de Rousseau les deux extremes dont il est icy question, sont d'un coté l'Etat, soit le Souverain, et de l'autre les citoyens, comme membres de l'Etat (a). Le Souverain est tou jours un, mais le nombre des citoyens varie il peut y avoir dans un Etat plus ou moins de citoyens, di f ference qui peut influer sur la forme du gouvernement propre a chaque Etat.

Supposons que l'Etat soit composé de Dix mille Citoyens le Souverain est au 1 sujet comme Dix mille est a un, et chaque membre de l'Etat n'a pour sa part que la Dix millieme partie de l'autorité souveraine, quoi qu'il lui soit soumis tout entier.

1) Il faloit dire a un « Citoyen car il n'y a que le Citoyen qui soit membre de l'Etat il devient sujet, dès qu'il est soumis à l'autorité souveraine.

Que le Peuple soit composé de cent mille hommes l'etat des sujets ne change pas et chacun porte egalement tout l'Empire des Loix, 1 tandis que son su/ra<ye reduit à un cent millieme a dix fois moins d'influence dans leur redaction.

1) Voila deux rapports dif ferens de Dix mille à un et de Cent mille a un, duquel (sic) il resune que dans le dernier, le suf frage de Dix citoyens pour rediger une Loi, n'a pas plus d'influence sur l'aprobation ou la rejection d'une loi que celui dun seul dans le 1" rapport.

~ors le sujet restant toujours un, le rapport du Sou-

(a) Le manuscrit porte ici une ligne raturée. Par erreur de copte, après le mot comme se trouvaient écrits tes mots le Souverain est toujours un, mais les. barrés et repris au début de la phrase suivante.


verain augmente en raison du nombre des citoyens d'ou il suit que 2 plus l'Etat s'agrandit, plus la liberté diminue. 1) C'est a dire le Souverain composé de cent mille citoyens a plus de force contre un seul su jet, que le Souverain composé de Dix mille citoyens, contre un seul sujet. Voions la conclusion de cet axiome.

2) « Plus il y a de citoyens dans un Etat, plus la liberté de chacun diminue De quelque nombre de citoyens que l'Etat soit composé, la liberté de chacun d'eux est toujours la meme et ne sauroit diminuer. Je dis plus elle acquiert de nouvelles forces par le plus grand nombre de clouons. Cette liberté acquise a l'homme par l'acte social, consiste dans « la pleine et assurée propriété de tous ses biens (a) ( Liv. 1, Chap. 6). Vous les citoyens sont interessés a se soutenir dans cette jouissance donc, plus il y a de citoyens pour proteger la jouissance de chacun, plus celle-ci est assurée. Ce n'est pas /ct~'bcr~gut diminue, c'est l'in fluence du suffrage dans la legislation. Je ne vois pas non plus ce que le Souverain gagne dans ce plus grand nombre de citoyens, sa seule fonction etant de faire des Loix, disons n)!'eu.r de donner force de Loi a une regle proposée (b). (a) Cette définition de la liberté civile ne se trouve bien entendu ni dans aucun chapitre du Liv. I, ni nulle part dans le Contrat Social. Elle constitue une interprétation libre du commentateur qui, sur ce point encore, restreint et déforme la pensée de Rousseau. Loin de confondre liberté des personnes et sécurité des biens, celuici introduit plus loin une sorte d'opposition entre ces notions, où il voit respectivement les avantages d'un gouvernement monarchique et d'un gouvernement démocratique les sujets vantent la tranquillité publique, les citoyens la liberté des particuliers l'un préfère la sûreté des possessions et l'autre celle des personnes. (Liv. III, Chap. 9).

(b) Restriction toute genevoise le Conseil Général n'a pas d'initiative en matière de lois. 11 ne délibère que sur des textes préalablement discutés et adoptés par les XXV et les CC. Rousseau, qui dans sa Dédicace du Discours sur l'Inégalité faisait de cette règle une des vertus de la Constitution de Genève, a changé d'avis depuis lors.


Cette règle devient elle une plus respectable Loi pour être la volonté de cent mille citoyens, que la Loi de Dix mille citoyens ?

Or, moins les volontés particulières se rapportent à la volonté générale, c'est a dire les moeurs aux Loix, plus la force reprimante doit augmenter.

1 Donc le Gouvernement pour être bon, doit etre relativement plus fort a mesure que le Peuple est plus nombreux.

1) Cette maxime est très vraie, mais elle ne résulte pas des principes de l'auteur. < Le Gouvernement, dit-il, reçoit du Souverain les ordres qu'il donne au Peuple ». Le Souverain et le Peuple sont termes à peu près sinonimes (a) donc plus le peuple est nombreux, plus le souverain a de forces, plus aussi ses ordres sont-ils respectables qui oserait refuser d'obeir à des ordres emanés de cent mille Citoyens ? D'ou il faudroit conclure que les Chefs, les Gouverneurs chargés de faire executer de tels ordres ont moins besoin de forces que ceux d'un plus petit Etat et la maxime n'est vraie que parce que ces principes ne le sont pas.

D'un autre côté, 1l'agrandissement de l'Etat, donnant aux depositaires de l'autorité publique plus de tentations et de moyens d'abuser de teur.pouvoir, plus le gouvernement doit avoir de forces pour contenir le peuple, plus le Souverain doit en avoir à son tour pour contenir le Gouvernement. Je ne parle pas icy d'une force absolue, mais de la force relative des diverses parties de l'Etat. 1) Les Gouverneurs depositaires de l'autorité publique n'ont aucun moyen d'abuser de leur pouvoir, s'ils ne font que donner les ordres qu'ils reçoivent du Souverain. Mais il y a de la contradiction à dire que les Gouverneurs sont depositaires de l'autorité publique et qu'ils ne font (a) Avant d'étabtir son rapport S/G = G/E, Rousseau a longuement pris soin d'opposer le Peuple-Souverain et le Peuple-Sujet.


que donner les ordres qu'ils reçoivent du 5ouuera!'n la 1" partie de la proposition est vraie, donc la 2~ ne l'est pas et alors la maxime est très sage il seroit à souhaiter que tout peuple souverain eut assés de forces pour contenir le gouvernement.

Et Rousseau a si bien reconnu que les chefs peuvent donner des ordres sans les recevoir du Souverain que dans le dernier article du chap. 2 du Livre 2 (a) il dit que « les ordres des che fs peuvent passer pour des volontés generales, tant que le souverain, libre de s't/ opposer, ne le fait pas. En pareil cas, du silence universel, on doit presumer le consentement du Peuple ». Concession considerable qui donne aux Chefs un pouvoir plus etendu que l'auteur ne le pretend. Car, comment le Peuple, le « Souverain qui n'a aucun organe pour enon(a) La référence est inexacte. 11 s'agit du Chap. 1 du Livre Il. Cette proposition s'y trouve exprimée sous une forme concessive, moins absolue que celle qui lui est donnée ici Ce n'est point à dire que les ordres des chefs ne puissent passer. ». Surtout, la pensée de Rousseau ne s'entend qu'à condition de donner son sens fort à l'incise libre de s'y opposer (= en admettant que, étant donné qu'il est libre de s'y opposer). De même au chap. Il du Liv. I!I Le consentement tacite est présumé du silence et le souverain est censé confirmer incessamment les lois qu'il n'abroge pas, pouvant le faire (= étant admis qu'il peut le faire). Ce n'est pas le cas à Genève où le souverain, dépourvu d'initiative, ne peut abroger une loi que sur la proposition des magistrats (Cf. Lettres de la Montagne, H* partie, VI!" lettre). Sa seule arme en la circonstance est le droit de représentation. Dans leurs représentations du 12 mars 1757 (au sujet d'un impôt modifié sans le consentement formel du Conseil Général), De Luc et les cent cinquante citoyens qui l'accompagnaient protestaient énergiquement contre l'application du principe qui ne dit mot consent. Le silence du peuple ne peut jamais servir de titre légitime contre lui ce n'est que par des actes formels qu'il peut abdiquer ses prérogatives. » (On trouve la copie de ces représentations dans le Journal de Louis Mallet, Ms. Soc. Hist. Arch., n" 38, f° 275.)


cer ses volontés (a) (voy. liv. 2, chap. 6, art. dern.) (b) fera-t-il connoitre a ses chefs qu'il desaprouve leurs ordres ? Le sisteme de l'auteur n'est pas bien lié. Il suit de ce double rapport que la proportion continue entre le Souverain, le Prince et le Peupte n'est point une idée arbitraire, mais une conséquence necessaire du corps politique. I! suit encore que l'un des extremes, savoir le Peuple comme sujet etant fixe et representé par l'unité, toutes les fois que la raison doublée augmente ou diminue, la raison simple augmente ou diminue semblablement et que par consequent le moien terme est changé. 1) Cet article signifie que lorsque le peuple consideré comme sujet est plus ou moins nombreux, la force des chefs dependante de celle du Souverain doit aussi varier (c).

Ce qui fait voir qu'il n'y a pas une constitution de gouvernement unique et absolue, mais qu'il peut y avoir autant de gouvernemens differens en nature que d'Etats differens en grandeur.

Contentons nous de considérer le Gouvernement comme un nouveau corps dans l'Etat distinct du Peuple (comme sujet) et du souverain, et intermédiaire entre l'un et l'autre.

I! y a cette difference essentielle entre ces deux corps que l'Etat existe par lui meme et que le Gouvernement n'existe que par le Souverain. ~At7!S! la volonté dominante du Prince n'est ou ne doit etre que la volonté generale ou la Loi.

1) Cela est vrai dans tous les cas reglés par la loi

(a) Dans ce chapitre, la phrase, inexactement citée ici, a une tournure interrogative Le corps politique a-t-il un organe pour énoncer ses volontés ?

(b) La référence, ajoutée après coup, se trouve indiquée dans la marge qui par exception n'a pu être rognée à la dimension des pages du manuscrit et a été simplement pliée.

(c) Changer a été barré et remplacé par varier.


mais le Prince pourvoit par sa volonté seule aux cas non prevus par le Legislateur.

Sa force n'est que la force publique concentrée en lui. Si tot qu'il veut tirer de lui quelque acte absolu et independant, la liaison du tout commence a se relacher. 1 S'il arrivoit enfin que le Prince eut une volonté particuliere plus active que celle du Souverain et qù'il usat de la force publique pour faire obeir a cette volonté particuliere, en sorte qu'on eut pour ainsi dire deux souverains, l'un de droit, l'autre de fait, l'union sociale s'evanouiroit et le corps politique seroit dissout.

1) Pour entendre ce cas particulier, il faut supposer que cette volonté particuliere du Prince fut en ~pposttion avec la loi, ce qui seroit le premier pas vers le Despotisme.

Cependant pour que 1 le corps du Gouvernement ait une existence, une vie réelle, pour que tous ses membres puissent agir de concert et repondre a la fin pour laquelle il est institué, il lui faut un Moi particulier, une sensibilité commune à ses membres, une force, une volonté propre qui tende a sa conservation.

1) Il s'agit ici d'un Gouvernement composé de plusieurs Chefs et non de celui commis a un seul. Cette existence particuliere suppose des Assemblées, des Conseils, un pouvoir de deliberer, de resoudre, des titres, des droits, des privileges qui appartiennent au Prince exclusivement etc.

1) faut se souvenir que l'auteur donne le nom de c Prince » aux Gouverneurs dans quel nombre qu'ils soient mais si ces conseils ont le pouvoir de deliberer et de resoudre ce qu'il est convenable de faire, ils ne sont donc pas les simples preposés du souverain pour executer ses ordres.

Les difficultés sont dans la maniere d'ordonner dans le tout (dans l'Etat) ce tout subalterne, en sorte qu'en


un mot il soit toujours pret 1 sacrt/ter le Gouvernement au Peuple et non le Peuple au Gouvernement. 1) Sacrifier le Gouvernement est un terme trop /'or< le sacrifice suppose l'extinction de la chose sacrifiée. me paroit qu'il suffiroit de dire « sacrifier l'interet :) du etc.

Bien que le corps artificiel du gouvernement soit l'ouvrage d'un autre corps artificiel et qu'il n'ait, en quelque sorte, qu'une vie subordonnée et empruntée, il peut agir avec plus ou moins de vigueur et de celerité sans s'eloigner directement du but de son institution, il peut s'en ecarter plus ou moins selon la manière dont il est constitué. De toutes ces differences naissent les rapports divers que le Gouvernement doit avoir avec les Corps de l'Etat, selon les rapports accidentels et particuliers par lesquels ce meme Etat est modifié, car souvent le Gouvernement 1 le meilleur en soi deviendra le plus vitieux, si ces rapports ne sont pas altérés selon les defauts du corps politique auquel il appartient.

1) C'est a dire que selon les circonstances ou l'Etat se trouve, il faut changer le Gouvernement en tout ou en partie. Sans parler icg de l'inconvenient qu'il y a de changer un gouvernement etabli, des troubles qui peuvent en résulter etc., j'observe seulement que cette reforme du gouvernement dans le sisteme de l'auteur ne peut appartenir qu'au Peuple souverain, à cette multitude aveugle dont j'ai fait sentir l'insuffisance dans ce même chap. du Liv. 2, chap. 12.

Chap. 2. Du principe qui constitue les diverses formes du Gouvernement.

Pour exposer la cause de ces differences, 1 il faut distinguer icy le Prince et le Gouvernement.

1) Il falloit rappeller cette distinction le Prince est


toujours < Un représente par tous les < Gouverneurs Magistrats >.

Le corps du Magistrat peut etre composé d'un plus grand ou d'un moindre nombre de membres. Plus les Magistrats sont nombreux, plus le Gouvernement est foible. Comme cette maxime est fondamentale, apliquons nous a la mieux etablir.

Nous pouvons distinguer dans la personne du Magistrat (le Prince) trois volontés essentiellement différentes: 1. La volonté propre de l'individu qui ne tend qu'à son avantage particulier. 2° La volonté commune des Magistrats qui se rapporte uniquement a l'avantage du Prince, qu'on peut appeller volonté de Corps, laquelle est generale par rapport au Gouvernement et particuliere par rapport a l'Etat dont le Gouvernement fait partie. 3° La volonté du Peuple ou la volonté souveraine, generale tant par rapport à l'Etat comme le tout, que par rapport au Gouvernement partie de l'Etat Dans une legislation parfaite, la volonté particuliere ou individuelle doit etre nulle la volonté du corps propre au gouvernement très subordonnée la volonté generale ou souveraine toujours dominante et la regle unique de toutes les autres.

Selon l'ordre naturel au contraire, ces differentes volontés deviennent plus actives a mesure qu'elles se concentrent 2 ainsi la volonté generale est toujours la plus faible La volonté du corps a le second rang et la volonté particuliere le premier de tous.

1) C'est tout le contraire quelques-unes deviennent plus actives, d'autres moins, quand il s'agit de delibérer, qui est le moment ou elles se concentrent, Rousseau nous l'aprendra dans ce qui suit.

De sorte que dans le Gouvernement chaque membre a (sic) (a) 1° soi-meme, puis Magistrat et puis Citoyen (a) Dans le texte chaque membre est-.


gradation directement opposée à celle qu'exige l'ordre social.

2) Voila un bel eloge des A7a~!s~ra~s[/] Si l'auteur avoit vecu dans sa patrie, il auroit vu les deliberations des Conseils tou jours conformes a la Loi, /n~erc~ de l'individu etre toujours nul et celui du corps n'avoir d'influence que sur sa conservation et il auroit alors jugé plus equitablement de la generalité des corps de Ma~tstrature (a).

Cela posé, que tout le Gouvernement soit entre les mains d'un seul homme, voila la volonté particuliere et la volonté du corps parfaitement reunie et par consequent celle ci au plus haut degré d'intensité qu'elle puisse avoir. Le plus actif des Gouvernements est celui d'un seul.

Au contraire unissons )c Gouvernement a l'autorité legislative, faisons le Prince du Souverain et de tous les Citoyens autant de Magistrats, alors la volonté du corps, confondue avec la volonté générale, n'aura pas plus d'activité qu'elle et ~n!sser<ï la volonté particuliere dans toute sa force alors le gouvernement sera dans son minimum (o!< plus bas degré d'activité).

1) ne faloit pas faire plus d'honneur au corps des citoyens qu'aux magistrats. ~7ct<s si la uo/on~~ par/t'culiere prevaut tou jours dans le Conseil General, par quel heureux hasard les volontés particulieres concourro/elles au même but, tout au moins dans la pluralité des su//raoes ? /?ep Par l'heureuse in fluence du Ge/u'e su(a) Sans revenir à son éloge dithyrambique du Magistrat de Genève dans la dédicace du Discours de 1754, Rousseau se fera cependant un devoir de lui rendre justice dans les Lettres de la Montagne. « Votre magistrat est équitable dans tes choses indifférentes je le crois porté même à t'être toujours; ses places sont peu lucratives; il rend la justice et ne la vend point; il est personnellement intègre et désintéressé; et je sais que dans ce Conseil si despotique it règne encore de la justice et des vertus. (H" partie, Lettre IX.)


blime qui avoit redigé la volonté generale dans son institution.

Ces rapports sont incontestables et d'autres considerations servent encore a les confirmer. On voit par ex. que chaque magistrat est ptus actif dans son corps que chaque citoyen dans le sien. D'ailleurs plus l'Etat s'étend, plus sa force réelle augmente. Mais l'Etat restant le même. les Magistrats ont beau se multiplier, le Gouvernement n'en acquiert pas une plus grande force réelle, parce que cette force est celle de l'Etat dont la mesure est toujours la même. H est seur encor que l'expedition des affaires devient plus lente, a mesure que ptus de gens en sont chargés. A force de délibérer on perd souvent le fruit de la deliberation.

Je viens de prouver que le Gouvernement se relache a mesure que les Magistrats se multiplient, et j'ai prouvé cy devant que plus le peuple est nombreux, plus la force reprimante doit augmenter. D'où il suit que plus l'Etat s'agrandit, plus le Gouvernement doit se resserrer, tellement que le nombre des chefs diminue en raison de l'augmentation du Peuple.

Au reste je ne parle icy que de la force relative du gouvernement et non de sa rectitude. Car, au contraire, plus le Magistrat est nombreux, plus la volonté du corps se raproche de la volonté generale, au lieu que, sous un Magistrat unique. cette même volonté de corps n'est qu'une volonté particulière. 1 L'art du Legislateur est de savoir fixer le point ou la force et la volonté du gouvernement, toujours en proportion reciproque, se combinent dans le rapport le plus avantageux a l'Etat.

1) C'est a dire que le Legislateur doit, ou etablir <tf) Prince unique, ou tel ou tel nombre de Chefs, ou un Gouvernement populaire, suivant que l'exigent le plus ou le moins de membres ou de sujets de FE~at (a).

(a) C'est de ce passage que !e Commentateur s'autorise quand il dénonce les dangers du rôle conSé au Législateur.


Chap. 3. Division des Gouvernemens.

Le Souverain peut, en premier lieu, commettre le depot du gouvernement a tout le peuple ou a la plus grande partie du peuple. On donne a cette forme de gouvernement le nom de Democratie.

Ou bien il peut resserrer le Gouvernement entre les mains d'un petit nombre de citoyens et cette forme porte le nom d'Aristocratie.

Enfin il peut concentrer tout le Gouvernement dans les mains d'un Magistrat unique. Cette troisieme forme s'appelle Monarchie ou Gouvernement Royal. Les deux premieres de ces formes sont susceptibles de plus ou de moins. La Democratie peut embrasser tout le peuple l'Aristocratie, a son tour, peut de la moitié du Peuple se resserrer a un petit nombre. La Royauté meme est susceptible de quelque partage Sparte a eu deux rois par sa constitution.

Sous ces trois denominations, le Gouvernement est susceptible d'une infinité de formes. On a de tous tems beaucoup disputé sur la meilleure forme de Gouvernement, sans considerer que chacune est la meilleure en certains cas et la pire en d'autres.

Si dans les differens Etats le nombre des Magistrats supremes doit etre en raison inverse de celui des citoyens, il s'ensuit que le Gouvernement Démocratique convient aux petits Etats, l'Aristocratique aux mediocres, le Monarchique aux grands. Cette regle se tire immediatement du principe. Mais qui pourra compter la multitude des circonstances qui peuvent fournir des exceptions ?

Chap. 4. De la Democratie.

Celui qui fait la Loi sait mieux que personne comment elle doit etre exécutée et interprétée. H semble donc qu'on ne sauroit avoir une meilleure constitution que


celle ou le pouvoir executif est joint au Législatif. Gouvernement cependant insuffisant. Alors le Prince et le Souverain n'etant que la même personne ne forment pour ainsi dire qu'un Gouvernement sans Gouvernement. 1) La volonté generale fait la Loi et le genie superieur est le legislateur. Il n'y a que celui ci qui puisse savoir au mieux comment la loi doit etre exécutée et interpretée, et il ne sauroit etre Prince. Le motif tiré de la loi ne fait donc rien ni pour ni contre la Democratie. Il n'est pas bon que celui qui fait les loix les execute, ni que le corps du peuple détourne son attention des vues generales pour la donner aux objets particuliers. A prendre donc le terme dans la rigueur de l'acception, il n'a jamais existé de veritable Democratie et il n'en existera jamais. Quand les fonctions du Gouvernement sont partagées entre plusieurs tribunaux, les moins nombreux acquierent tot ou tard la plus grande autorité. I) n'y a pas de Gouvernement si sujet aux guerres civiles et aux agitations intestines que le Democratique. S'il y avoit un peuple de Dieux il se gouverneroit Democratiquement. Un Gouvernement si parfait ne convient pas a des (a) hommes.

Chap. 5. De l'Aristocratie.

Nous avons icy deux personnes morales tres distinctes, savoir le Gouvernement et le Souverain et 1 par consequent deux volontés generales, l'une par rapport a tous les Citoyens, l'autre seulement pour les membres de l'administration. Ainsi, bien que le Gouvernement puisse regler sa police comme il lui plait, il ne peut jamais parler au Peuple qu'au nom du souverain, c'est a dire au nom du peuple meme.

(a) Conforme au texte de Rousseau remplace aux qui a <t< rature.


7/ ne sauroit suivant les principes posés par l'Auteur y avoir « deux volontés generales » dans un Etat. La volonté des Chefs dans le Gouvernement Aristocratique, n'est donc qu'une volonté de corps qui represente le Souverain et qui ne l'est pas, puisqu'il ne peut parler au peuple qu'au nom du souverain

Il y a trois sortes d'aristocratie naturelle, élective, hereditaire. La premiere ne convient qu'a des peuples simples la troisieme est la pire de tous les gouvernemens. La deuxieme est le meilleur c'est l'Aristocratie proprement ditte. Outre l'avantage de la distinction des deux pouvoirs, elle a celui du choix de ses membres.

Notte de l'Auteur.

Il importe beaucoup de regler par des Loix la forme de l'election des Magistrats, car en l'abandonnant a la volonté du Prince, on ne peut éviter de tomber dans l'Aristocratie hereditaire, comme il est arrivé aux Republiques de Venise et 1 de Berne. Aussi la premiere est-elle depuis long tems un Etat dissout, mais la seconde se maintient par l'extreme sagesse de son Senat. C'est une exception bien honorable et dangereuse.

l)Je ne sais ou Rousseau a pris que l'aristocratie etoit hereditaire à Berne. Quoique le Prince fasse l'election, les charges ne passent pas necessairement des Peres aux enfans. Ce n'est pas meme le grand Conseil qui fait toutes les elections il fait celle des premieres charges il est lui meme elu par le Senat et il n'est pas rare de voir entrer dans l'un et dans l'autre des personnes dont les ancetres n'en avoient pas été. Ce qu'il y a dans le gouvernement de ce canton, c'est que la Souvedaineté de tout le canton appartient au Sénat et grand Conseil de la seule ville de Berne, dans lesquels les seuls Bourgeois de Berne peuvent etre admis par di f ferentes manieres de les élire. 7~ n'y avoit donc pas lieu de bla-


mer son gouvernement et de le faire regarder comme dangereux (a)

Dans l'Aristocratie, les assemblées se font plus commodement, les affaires se discutent mieux, s'expedient avec plus d'ordre et de diligence, le credit de l'Etat est mieux soutenu chés l'Etranger, par de venerables senateurs que par une muttitude inconnue ou meprisée. En un mot, c'est l'ordre le meilleur et le plus naturel que les plus sages gouvernent la multitude, quand on est seur qu'ils gouvernent pour son profit et non pour le leur. (a) Le commentateur a raison en droit, Rousseau en fait. A partir du xvu" siècle, Berne s'est figée en oligarchie. l.a dernière consultation populaire a eu lieu en 1610; en 1643 l'aco'ès aux fonctions publiques est fermé aux nouveaux bourgeois on n'en recevra plus à partir de 1651. La population de Berne est divisée en trois catégories les habitants dont le permis de séjour est renouvelable tous les ans; les bourgeois ne participant pas aux fonctions publiques; les familles éligibles au Conseil, qui depuis une ordonnance de 1651 ont droit au titre de patriciennes L'exercice des charges est détenu par un petit nombre de ces familles (environ 80 sur 400). Certaines charges (p. ex. celle d'avoyer) sont conférées à vie; les autres (seizeniers, bannerets, baillis, etc.), arrivées à leur terme sont presqu'automatiquement prorogées. Sans être héréditaires, les unes et les autres restent souvent dans la même famille. Sur le nombre total de vingt-cinq avoyers pour la période qui va de 1585 à 1780, on trouve quatre von Graffenried, trois von Erlach, trois Steiger, etc. Grâce à une administration modèle et à la prospérité (pas d'impôt extraordinaire de tout le xvm" s.), Berne pendant longtemps ne connut aucun trouble intérieur. Toutefois, à partir de 1740. les Bourgeois mis à l'écart commencent à s'agiter. Certains devront être bannis. L'oligarchie se resserrant, en 1787 il ne reste plus à Berne que 67 familles régnantes. (D'après le Dictionnaire historique et biographique de la ~Su!ss?. art. Berne). On sait que le canton de Berne est une des puissances médiatrices auprès de laquelle le Conseil a toujours trouvé un appui. On sait d'autre part que l'Emile a été condamné à Berne, mais non le Contrat Social. Tandis que les arrêts du Conseil scolaire de Berne à la date des 8 et 10 juillet 1762 étaient dirigés contre l'Emile on y décidait seulement d'examiner le Contrat Sucial sans qu'aucune suite judiciaire ait été donnée à cet examen.


Mais il faut remarquer que l'interet de corps commence a moins diriger icy la force publique sur la regle de la volonté generale et 1 qu'une autre pente inevitable enleve aux Loix une partie de la puissance executive. 1) Ni le Legislateur, ni la loi n'ont aucune partie de la puissance executive. Comment donc *fes Gouverneurs dans l'Aristocratie enlevent-ils aux Loix une partie de la puissance executive ?

A l'egard des convenances particulieres, il ne faut ni un Etat si petit, 1 ni un Peuple si simple et si droit que l'execution des Loix suive immediatement de la volonté publique, comme dans une Democratie 2 il ne faut pas non plus une si grande nation que les chefs epars pour le (sic) gouverner puissent trancher du Souverain chacun dans son departement et commencer par se rendre independans pour devenir enfin les maitres.

1) Je ne vois pas la raison qui excluroit un peuple simple et droit du Gouvernement aristocratique. Si cela etoit, quelle idée faudroit-il avoir des peuples soumis à ce Gouvernement ? Et pourquoi les Chefs de ~E~a< chargés de l'execution des Loix doivent-ils trouver plus de dif ficultés a s'en acquitter que dans une bonne Democratie ? Heureu.c sujets de l'aristocratie de Berne, Rousseau ne fait pas icy votre eloge vous n'etes donc ni simples, ni droits. Les hommes droits et simples sont tou jours difficiles a tromper a cause de leur stmpHcfte les leurres et les pretextes raf finés ne leur en imposent point ils ne sont pas meme assez fins pour etre dupes :) (Rousseau, Liv. 4, Chap. 1, Art. 1).

2) Il ne reste donc aux grandes nations que le Gouvernement Monarchique. Qu'etoit-ce donc que la Republique Romaine que Rousseau nous donnera pour modele dans le livre smvant ? 2

Mais si l'aristocratie exige quelques vertus de moins que le Gouvernement populaire, elle en exige aussi d'autres qui lui sont propres, comme la modération dans les


riches et le contentement dans les pauvres, car i! semble qu'une égalité rigoureuse y seroit déplacée.

Chap. 6 De la Monarchie.

Jusques icy nous avons considéré le Prince comme une personne morale et collective, unie par la force des Loix et depositaire dans l'Etat de la puissance executive. Nous avons maintenant a considerer cette puissance reunie entre les mains d'une Personne naturelle, d'un homme réel qui seul ait le droit d'en disposer suivant les loix. C'est ce qu'on appelle un Monarque ou un Roi. La volonté du Peuple, la volonté du Prince et la force particuliere du Gouvernement, tout repond au meme mobile, tous les ressorts de la machine sont dans la meme main, tout marche au meme but. Archimede assis tranquillement sur le rivage et tirant sans peine a flot un grand vaisseau me represente un Monarque habile, gouvernant de son cabinet ses vastes Etats et faisant tout mouvoir en paroissant immobile.

1 Mais s'il n'y a point de Gouvernement qui ait plus de vigueur, il n'y en a point ou la volonté particulière ait plus d'empire etc.

1) Tout ce qui suit est une declamation sur le danger du gouvernement Monarchique, sur les maximes dangereuses qu'on suit dans cet Etat, sur ceux qui parviennent aux premieres places, qui sont le plus souvent « de petits brouillons, de petits fripons, de petits intriguans, a qui les petits talens qui font dans les Cours parvenir aux grandes places, ne servent qu'a mon~eT' au Public leur ineptie quand ils sont parvenus e~e. Details et inconveniens dont l'examen n'entre pas dans mon plan. Je finirai par le dernier article de ce chapitre.

Ces difficultés n'ont pas échappé a nos auteurs mais ils ne s'en sont point embarassés. Le remède est, disentils, d'obeir sans murmure. Dieu donne les mauvais Rois


dans sa colere et il les faut supporter comme des Chatimens du Ciel. Ce discours est edifiant sans doute. 1 On sait bien qu'il faut souffrir un mauvais gouvernement quand on l'a la question seroit d'en trouver un bon. 1) S'il faut souffrir un mauvais gouvernement quand on l'a, a quelle nation peut etre utile le Contract Social?

Chap. 7. Des Gouvernemens mixtes.

A proprement parler, il n'y a point de Gouvernement simple. Il faut qu'un Chef unique ait des Magistrats subalternes il faut qu'un Gouvernement populaire ait un Chef. Ainsi, dans le partage de la puissance executive, il y a toujours gradation du grand nombre au moindre.

Quelquefois il y a partage egal, soit quand les parties constitutives sont dans une dependance mutuelle, comme dans le Gouvernement d'Angleterre, soit quand l'autorité de chaque partie est independante mais imparfaite, comme en Pologne. Cette derniere forme est mauvaise, parce qu'il n'y a point d'unité dans le Gouvernement et que l'Etat manque de liaison.

Lequel vaut le mieux d'un Gouvernement simple ou d'un Gouvernement mixte ? R. Le gouvernement simple est meilleur en soi, par cela seul qu'il est simple. Mais quand la puissance executive ne depend pas assés de la legislative, il faut remedier a ce defaut en divisant le Gouvernement.

On previent encore le meme inconvenient en etablissant des Magistrats intermediaires. Alors le Gouvernement n'est pas mixte, il est temperé.

Chap. 8. Que toute forme de Gouvernement n'est pas propre a tout pays.

1 La liberté n'etant pas un fruit de tous les climats, n'est pas a la portée de tous les peuples. Plus on medite


le principe établi par Montesquieu, plus on en sent la verité.

1) Les principes de Montesquieu ne sont pas ceux de Rousseau. Celui-ci dit bien que < par~ou~ l'homme est dans les fers mais il a dit auparavant que « l'homme est né libre Si l'homme na!'t libre, il na! tel dans tout climat: la liberté est donc de tous les climats. Mais elle se perd plus facilement dans les uns que dans les autres, c'est ce que Rousseau demontre très bien dans ce chapitre dont la somme se reduit a ces trois propositions: Dans la Democratie, le peuple est le moins chargé elle convient aux Etats petits et pauvres Dans l'Aristocratie, il l'est davantage elle convient aux Etats mediocres en richesses, ainsi qu'en grandeur. Dans la Monarchie, le peuple porte le plus grand poid elle ne convient donc qu'aux nations opulentes.

Chap. 9. Des signes d'un bon Gouvernement.

Quand on demande absolument quel est le meilleur gouvernement, on fait une question insoluble, comme indeterminée ou, si l'on veut, elle a autant de bonnes solutions que de combinaisons possibles dans les positions absolues et relatives des peuples.

Mais si l'on demandoit a quel signe on peut connoître qu'un peuple donné est bien ou mal gouverné, la question de fait pourroit se resoudre.

Cependant on ne la resout point, parce que chacun veut la resoudre a sa maniere les sujets vantent la tranquillité publique, les Citoyens la liberté des particuliers, etc. Pour moi, je m'etonne toujours qu'on meconnoisse un signe aussi simple, ou qu'on ait la mauvaise foi de n'en pas convenir. Quelle est la fin de l'association politique? C'est la conservation et la prosperité de ses membres. Et quel est le signe le plus seur qu'ils se conservent et qu'ils prosperent? C'est leur nombre et leur population. N'allés pas chercher ailleurs ce signe si disputé.


Chap. 10. De l'abus du Gouvernement et de sa pente a degenerer.

Comme la volonté particuliere agit sans cesse contre la volonté generale, ainsi le gouvernement fait un effort continuel contre la souveraineté. Plus cet effort augmente, plus la constitution s'altere et, comme il n'y a point icy d'autre volonté de corps qui, resistant a celle du Prince, fasse equilibre avec elle, il doit arriver tot ou tard, que le Prince opprime enfin le souverain et rompe le traité social.

1) Rousseau suppose icy comme un fait certain que le Prince, quel qu'il soit, un ou plusieurs, fait un effort continuel pour s'emparer de la souveraineté et se rendre despote. Si cette supposition peut avoir lieu dans la Monarchie, il n'en est pas de meme dans l'Aristocratie, ni meme dans une Monarchie temperée comme celle de l'Angleterre et de quelques autres Etats. Dans le nombre de ceux qui gouvernent dans une Aristocratie, il doit toujours se trouver quelque membre bon citoyen, moins ambitieux, qui s'opposeroit au projet d'usurper la souveraineté. Et, si quelques exemples prouvent la facilité qu'ont les Chefs dans l'Aristocratie a s'emparer de l'autorité souveraine, plusieurs autres etablissent que la pente n'est pas generale. Z/ suffiroit donc de dire qu'elle etoit possible, aisée meme, sans dire qu'elle etoit continuelle.

Il y a donc deux voyes generales par lesquelles un Gouvernement 1 degenere, savoir quand il se resserre, ou quand il se dissout (a).

1) Degenerer se prend ordinairement en mauvaise part,

(a) Texte du Contrat a Il y a deux voies générales pan lesquelles un gouvernement dégénère savoir quand il se resserre ou quand l'Etat se dissout. La transcription est inexacte et déforme gravement la pensée de Rousseau.


et quand un Gouvernement change, il n'est pas tou jours vrai qu'il degenere. Tel est le cas qui suit.

Le Gouvernement se resserre quand il passe du plus grand nombre au petit, c'est a dire de la 1 Democratie a l'A ristocratie.

1) Il resulte des principes memes de l'auteur que ce changement peut etre ~es necessaire.

Il se resserre aussi quand il passe de l'Aristocratie a la Royauté. C'est là son inclination naturelle. S'il retrogradoit du petit nombre au grand on pourroit dire qu'il se relache, 1 mais ce progrès inverse est impossible. 1) Ce progrès inverse n'est rien moins qu'impossible. Nous en avons un exemple dans Geneve ou le Conseil des 200 a été porté a 250 membres (a).

Le cas de la dissolution de l'Etat peut arriver en deux manieres

1" Quand le Prince n'administre plus l'Etat selon les Loix et qu'il usurpe le pouvoir souverain. Dès lors le (a) En vertu de l'article 12 de l'Acte de Médiation de 1738, qui est ainsi libelle Pour faire participer plus de personnes de l'Etat au Gouvernement, le nombre des membres du Conseil des CC sera dès à présent augmenté de vingt-cinq, qui avec les 225 dont i! était précédemment composé feront ensemble 250 membres. Et il ne sera procédé à l'avenir à aucune promotion du Conseil Général qu'il n'y ait cinquante places vacantes, lesquelles seront remplies 4 la fois, lorsque le dit Conseil se trouvera réduit au nombre de CC. Et toutes les fois que les promotions se feront, le Grand Conseil sera rendu complet, sans qu'il puisse y avoir de changements faits à ce Règlement que du consentement du Conseil Général (Cf. Reg. Cons., pour 1738. et d'Ivernois, op. cit., p. 140-41). Cet article ne représente qu'une satisfaction assez illusoire pour le parti populaire. Le Conseil des CC joue un rôle secondaire ~ans le gouvernement de Genève. Surtout, ses membres sont élus par le Petit Conseil qui en préserve jalousement le caractère oligarchique. En 1764, cent vingt et une familles seulement y sont rep:ésentées (dix Mallet, sept Cramer, Fatio, Gallatin, Lullin, Tronchin, etc.). La même année, sur cinquante nouveaux conseillers, cinq bourgeois seulement sont élus. (Cf. Louis Mallet, op. cit., f 292.)


pacte social est rompu et tous les simples citoyens rentrés de droit dans leur liberté naturelle sont forcés mais non pas obligés d'obéir.

2° Quand les membres du Gouvernement usurpent separement le pouvoir qu'ils ne doivent exercer qu'en corps. Alors on a, pour ainsi dire, autant de Princes que de Magistrats.

1) Ce second cas paroit presqu'impossible et s'il arrivoit le Magistrat le plus fort auroit bien tot assujetti les autres.

Quand l'Etat se dissout l'abus du Gouvernement quel qu'il soit prend le nom commun d'Anarchie. En distinguant, la Democratie degenere en Ochlocratie, l'Aristocratie en Olygarchie; j'ajouterois que la Royauté degenere en Tyrannie, mais ce dernier mot est equivoque et demande explication.

J'appelle Tyran l'usurpateur de l'autorité Royale et Despote l'usurpateur du pouvoir souverain. Le Tyran peut n'etre pas Despote, mais le Despote est toujours Tyran.

Chap. 11. De la mort du corps politique.

1 Telle est la pente naturelle et inevitable des Gouvernemens les mieux constitués. Si Sparte et Rome ont peri quel Etat peut esperer de durer toujours ?

1) Un gouvernement bien constitué ne panche pas naturellement et inevitablement a sa fin. Si Sparte et Rome ont peri, ce n'est pas par le vice de leur gouvernement c'est par les vices de ceux qui ont succedé aux premiers établissemens. C'est par la corruption des chefs et du peuple, portée a un tel excès, qu'aucune sorte de gouvernement bien constitué n'auroit pu en arreter les suites. Et c'est tout ce que j'ai a remarquer sur la suite de ce chapitre (a).

(a) En réalité, la note qui :uit au chap. 12 n'en est que la paraphrase ou la discussion.


Chap. 12. Comment se maintient l'autorité Souveraine. Le Souverain n'ayant d'autre force que la puissance legislative, n'agit que par des Loix et les Loix n'etant que des actes de la volonté generale, le Souverain ne sauroit agir que quand le Peuple est assemblé.

1) Le but des Loix est le Gouvernement de l'Etat. Le Souverain peut etablir de telles loix, qu'elles suffisent pour un certain tems. Pendant cette durée des Loix, le Souverain n'agit pas, puisqu'il n'est pas necessaire de faire de nouvelles loix. Le Souverain pendant cette epoque cesse t-il d'etre Souverain ? Non, car il n'est pas necessaire que le Souverain agisse pour conserver sa souveraineté. C'est ce qui fait voir le peu de justesse de la comparaison que Rousseau fait dans le chapitre precedent de la puissance legislative au cœur dans le corps humain. Si ~of que le cœur cesse ses fonctions. l'animal est mort; dans le corps politique, la puissance legislative cesse ses fonctions et le corps subsiste; il ne peut mourir et il ne meurt en ef fet que lorsque le Souverain qui avait fait les loix cesse de pouvoir en faire, lorsque ce Corps qui avoit seul ce droit en est depouillé c'est alors une autre forme de Gouvernement, c'est un nouvel Etat; le precedent n'est plus.

1 Le peuple assemblé, dira-t-on Quelle chimere C'est une chimere aujourd'hui; mais ce n'en etoit pas une il y a deux mille ans. Les hommes ont-ils changé de nature ?

1) Rousseau raisonne suivant son principe que la < Souveraineté est inaliénable (Liv. 2. Chap. 1) ce qui ne -ueu/ pas dire autre chose, sinon que le < Souverain cesse d'être souverain, s'il se donne un maitre (uo/es la notte sur cet endroit).

La maxime de Rousseau se reduit donc a cette propoS!07! < dans tout Etat ou le peuple a le droit de faire des Loix, il faut que le peuple soit assemblé dès qu'une


nouueHe loi est nécessaire (a) et alors personne ne fera cette exclamation: le peuple assemblé, quelle chimerel On pourra bien dire le peuple est le seul souverain, quelle chimere 1 Et il est vrai que c'est une chimere pour le plus grand nombre des Etats. Donc, ils ne sont pas des Etats, dira-t-on, dans le sisteme de Rousseau. Soit. Et qu'en resu/~e-M/ ? Rien. Mais voions ce que sont ces assemblées du peuple dans le même sisteme.

Et qu'est ce que le Peuple suivant Rousseau? « C'est, dit-il liv. 2, chap. 6, c'est une multitude aveugle qui souvent ne sait ce qu'elle veut, parce qu'elle sait rarement ce qui lui est bon; le peuple de lui-meme veut toujours le bien, mais de lui meme il ne le voit pas toujours la volonté generale est tou jours droitte, mais le jugement qui la guide n'est pas tou jours eclairée (sic) les particuliers voyent le bien qu'ils reye~en~ le public veut le bien qu'il ne voit pas tous ont également besoin de guides il faut obliger les uns a conformer leur volonté a leur raison; il faut apprendre a l'autre a con'noître ce qu'il veut. »

Et ailleurs (Liv. 1, chap. 6) (b) « Chaque individu peut, comme homme, avoir une volonté particuliere contraire ou dissemblable a la volonté generale qu'il a comme citoyen; son interet particulier peut lui parler tout autrement que l'interet commun etc. »

(a) A condition que le Peuple Souverain soit lui-même juge de cette nécessité, qu'il ait le droit d'initiative en matière législative et qu'il puisse révoquer spontanément les lois qu'il considère comme périmées. Or, l'article V de l'Acte de médiation de 1738 spécifie que toutes les matières qui seront portées au Conseil Général ne pourront y être proposées que par les Syndics, Petit et Grand Conseil ». Antoine Tronchin constatait déjà en 1721 (op. ct< p. 219) que pratiquement l'Assemblée générale est confinée dans ses attributions électives. Dans la VIle des Lettres de la Montagne, Rousseau démontrera longuement que les fonctions électives de l'Assemblée sont illusoires et que sa puissance législative est <* enchaînée

(b) Indiqué en marge. La référence est inexacte, cette phrase se trouvant au chapitre VII du Liv. 1.


Voila le peuple (a) que Rousseau veut assembler frequemment, periodiquement.

Mais souvenons-nous (liv. 2, ch. 7) (b) que c'est à condition qu'il soumettra sa volonté generale a une intelligence superieure, a un Genie sublime, a un homme extraordinaire qui sache faire parler les Dieux, « pour entraîner par l'autorité Divine, ceux que ne pourroit ebranler la prudence humaine » en un mot, a (c) « Rousseau », car il faut se croire cet homme unique pour proposer un pareil sisteme.

Vertueux et Genereux Citoyens de Genève, voila l'homme dont votre sage Magistrat s'est contenté de fletrir l'ouvrage (d). Mérite-t-il d'être votre Concitoyen ?

Chap.l3.Suitte.

Il ne suffit pas que le Peuple une fois assemblé ait une fois fixé la constitution de l'Etat en donnant la sanction a un corps de Loîx. Outre les Assemblées extraordinaires (a) Le commentateur néglige de signaler que Rousseau oppose fréquemment le peuple éduque et formé par la liberté de Genève et des cantons suisses à la multitude aveugle d'un état non institué ou mal constitué. On lit en particulier au chap. 1 du Liv. IV Ce qui trompe les raisonneurs, c'est que, ne voyant que des Etats mal constitués dès leur origine, ils sont frappés de l'impossibilité d'y maintenir une semblable police. Ils rient d'imaginer toutes les sottises qu'un fourbe adroit, un parleur insinuant, pourrait persuader au peuple de Paris ou de Londres. Ils ne savent pas que Cromwell eût été mis aux sonnettes par le peuple de Berne et le duc de Beaufort à la discipline par les Genevois. (b) Ici encore, la référence est indiquée en marge.

(c) La préposition « à a été ajoutée après coup dans l'intervalle entre <' mot o et Rousseau ». Tout ce chapitre a été soigneusement relu.

(d) On sait que sur les conclusions du Procureur Général et vu le rapport des scholarques, le Petit Conseil a pris un arrêt en forme contre les livres, mais s'est contenté d'opiner officieusement sur la conduite qu'il conviendrait de tenir à l'égard de l'auteur, au cas où il viendrait à Genève (Cf. Viridet, op. cit., p. 19-22).


que des cas imprevus peuvent exiger, 1 il faut qu'il y en ait de fixes et de périodiques que rien ne puisse abolir ni proroger, tellement qu'au jour marqué le Peuple soit legitimement convoqué par la Loi, sans qu'il soit besoin pour cela d'aucune autre convocation formelle. 1) Nous supposons donc icy qu'il s'agit d'Etat dans lequel le pouvoir legislatif est, de fait, entre les mains de l'assemblée generale des Citoyens. Je ne m'arretterai pas a rapporter le danger de ces assemblées periodiques du Conseil General. Nous l'avons senti et nous les avons supprimées (a). Je me m'attacherai pas non plus a suivre Rousseau dans son plan pour rendre possibles ces assemblées periodiques de tout le peuple dans les plus grands Etats. La re futation seroit aussi inutile que le plan. (Voyés cy après meme liv. Ch. 18).

Chap. 14. Suitte.

A l'instant que le Peuple est legitimement assemblé en corps souverain, toute Jurisdiction du Gouvernement cesse la puissance executive est suspendue et la personne du dernier citoyen est aussi sacrée et inviolable que celle du premier Magistrat parce que ou est le Representé, il n'y a plus de Representant.

1) Cela peut avoir lieu dans un Etat composé d'une seule ville, dont on ferme les portes, pendant que le Con(a) On se rapportera au passage des Lettres de la Montagne ou Rousseau expose longuement de quelle manière tes assemblées périodiques rétablies en 1707 furent révoquées en 1712 (H* partie, lettre VIII. Cf. aussi d'Ivernois, op. cit., I, p. 62 sq.). La question des Assemblées périodiques est une des plus graves de la politique intérieure de Genève. Les conclusions du Procureur Général Tronchin dénoncent avec force les dangers de la thèse soutenue sur ce point par le Contrat Social. Le Journal de Jean Cramer (Ms. n° 86, JBtM. Gén.), dans l'extrait qu'il donne du Contrat social (" et qui n'a pas paru »), ne manque pas de faire état des assemblées périodiques (f* 230).


seil general est assemblé, mais seroit insoutenable dans un grand Etat. Reflection qui ne porte que sur la cessation de toute jurisdiclion et non sur la maxime très vraie, que « dans le Conseil General la personne du dernier Citoyen est aussi sacrée que celle du premier Magistrat Maxime dont la violation perdit enfin la Republique Romaine. Ce qu'il falloit dire, c'est que « quand le Conseil General est assemblé, toute jurisdiction du Gouvernement cesse sur les membres du Conseil General Alors la regle auroit été juste et d'un usage universel. Ces intervalles de suspension ou le Prince reconnoit ou doit reconnoitre un Superieur actuel, lui ont toujours été redoutables e/ ces assemblées du Peuple qui font (sic) l'Egide du corps politique et le frein du Gouvernement ont eté de tous tems l'horreur des Chefs: aussi n'epargnent-ils jamais ni soins, ni objections, ni difficultés, ni promesses pour en rebuter les citoyens.

1) Cela peut etre vrai des assemblées periodiques, mais ne le sera jamais des assemblées necessaires ou legitimes. 1 Mais entre l'autorité souveraine et le gouvernement arbitraire, il s'introduit quelquefois un pouvoir moyen dont il faut parler.

1) Entre le < pouvoir du Peuple e< le « De~o/~me

Chap. 15. Des Deputés ou Representans.

L'atiedissement de l'amour de la Patrie, l'activité de l'interet privé, l'immensité des Etats, les conquettes, l'abus du Gouvernement ont fait imaginer la voie des Deputés ou Representans du Peuple dans les assemblées de la nation.

La Souveraineté ne peut etre representée 1 par la meme raison qu'elle ne peut être alienée. Les Deputés du peuple ne sont donc, ni ne peuvent etre que ses Commissaires, ils ne peuvent rien conclure definitivement.


1) Voiés ce qui a été dit sur cette matiere (liv. 2, Chap. 1 et 12) (a). La maxime n'est vraie que dans tes Etats ou le Peuple est en possession de la legislation. Si dans certaines occasions il nomme des Deputés, ils ne sont ef fectivement que ses Commissaires.

1 Ceci fait voir qu'en examinant bien les choses on trouveroit que très peu de nations ont des Loix. 1) Ce raisonnement de Rousseau est a la suitte d'un nombre de remarques qu'il a faites sur quelques usages des anciennes Republiques et en particulier de la Republique Romaine. Et en ef fet très peu de Nations ont des lois dans le gout de celles de Rousseau. Sont elles donc sans loix ? Non.

Tout bien examiné, 1 je ne vois pas qu'il soit desormais possible au Souverain de conserver parmi nous l'exercice de ses droits, si la Cité n'est très petite.

1) Cela etant, valoit-il la peine de publier vos maximes ? ou votre but, Rousseau, n'aurait il été que de regenter dans votre Patrie ? Vous l'avés manqué.

Chap. 16. Que 1 l'institution du Gouvernement n'est point un Contract.

1) J7 u a bien des reflections dans ce Chapitre que je pourrois relever. Si je ne le fais pas, c'est parce que je l'ai déjà fait. Telles sont celles-ci: que « l'autorité supreme ne peut pas plus se modifier que s'aliener etc. D'ailleurs la conclusion m'en paroit sans difficulté. D'abord pour les Etats ou le Peuple a le pouvoir legislatif, mais aussi pour tous les autres Etats, dans lesquels on ne sauroit prouver ce pretendu Contract entre les peuples et les chefs qu'il s'est donné.

(<t) II s'agit des chapitres 1 et a (en non 12).


C'est ce qui m'a determiné a ne faire que cette notte generale, sans transcrire aucun article de ce chapitre (a).

Chap. 17. De l'institution du Gouvernement.

L'acte par lequel le Gouvernement est institué est composé de deux autres, savoir l'établissement de la Loi et l'execution de la Loi.

Par le premier le Souverain statue qu'il y aura un corps de gouvernement etabli, sous telle ou telle forme: et il est clair que cet acte est une Loi.

Par le second, le Peuple 1 nomme les che fs qui seront chargés du gouvernement établi.

1) Le Peuple, suivant les principes de Rousseau, peut bien etablir une Monarchie, mais il ne peut pas nommer un Roi (Liv. 2, Chap. 6). Le Peuple peut donc etablir tel ou tel gouvernement, mais il ne peut en nommer les chefs, parce qu'il n'a point de volonté generale sur un objet particulier (ibid.).

Comment se fera donc cette nomination des chefs ? La difficulté est d'entendre comment on peut avoir un acte de gouvernement avant que le gouvernement existe et comment le Peuple qui n'est que souverain ou sujet peut devenir Prince ou Magistrat dans certaines circonstances.

Cela se fait par une conversion subite de la souveraineté en Democratie.

1) Mais la Democratie elle meme est un gouvernement dans lequel la volonté générale ne peut avoir aussi un (a) Le commentateur ne discute pas au fond une des propositions du Contrat Social dénoncées le plus nettement par Jean Robert Tronchin et Jean Cramer (op. cit., f"' 227-228). On remarquera de même sa modération dans la discussion qu'il institue au chap. 18 lorsqu'il s'agit de définir la nature des liens qui unissent le Peuple Souverain au Gouvernement établi par lui.


objet particulier, dans lequel il y a des chefs chargés de la puissance executive. Ainsi le changement subit de la souveraineté en Democratie ne resout pas la eft/tcu~e. Ce changement de relation n'est point une subtilité de speculation sans exemple dans la pratique il a lieu tous les jours dans le Parlement d'Angleterre, ou la Chambre basse en certaines occasions se tourne en grand Comité, de Cour souveraine qu'elle etoit auparavant.

y a cette cf~erence essentielle le changement de la Chambre basse en grand Comité se fait par une suite de son institution, sous la direction de son orateur, au lieu qu'il s'agit icy de l'institution meme du gouvernement d'ailleurs la Chambre basse n'est point une cour souveraine. A insi cette dt'tcu~e subsiste, pour tenir com pagnie a tant d'autres du meme sisteme.

Chap. 18. Moyen de prevenir les usurpations du Gouvernement.

De ces eclaircissemens it resulte 1 que l'acte qui institue le gouvernement n'est point un Contract, mais une loi que les depositaires de la puissance executive ne sont point les Maitres du Peuple, mais ses officiers; qu'il peut les etablir et les destituer quand il lui plait etc. 1) Tout ce qui suit est vrai du plus au moins dans le Gouvernement etabli par la volonté generale; mais tout Gouvernement est-il etabli par un acte en forme de la volonté generale ? Voila la question qui restera long tems indecise.

Quand donc il arrive que le Peuple institue un Gouvernement hereditaire, soit Monarchique dans une famille, soit Aristocratique dans un ordre de citoyens, ce n'est 1 point un engagement qu'il prend, c'est une forme provisionnelle qu'il donne a l'administration, jusqu'a ce qu'il lui plaise d'en ordonner autrement.


1) La maxime mérite d'etre apro fondie elle est de la plus grande importance. n'est pas toujours necessaire, pour former un engagement, qu'il y ait un contract particulier (a) il u a une multitude d'actes qui par eux memes forment des engagemens entre ceux qui y ont interet. Lors donc qu'un Peu ple a établit (sic) telle ou telle forme de Gouvernement; lorsqu'il a confié ce Gouvernement a un tel ordre de personnes, sans limiter la durée de leur pouvoir; lorsque ces personnes se sont chargées de ce Gouvernement, il s'est dès lors certainement formé entr'eux un double et reciproque engagement: savoir, a la part des Che fs, de gouverner selon la loi et, a la part du Peuple, de leur laisser le Gouvernement aussi long tems qu'ils gouverneront selon la Loi. Ces deux engagemens sont meme une suitte toute naturelle de la < volonté generale qui, ne pouvant errer dans l'objet general, a choisi cette sorte de gouvernement par ce qu'elle l'a jugé le meilleur et que les chefs ne l'ont accepté que comme tel. Et sans cela, ou seroient les chefs qui voudroient se charger de quelque gouvernement que ce fût? Il faut donc, pour que le Peuple ait le droit de changer l'ordre une fois reglé, que ceux qui en sont chargés s'en acquitent contre les fins de l'institution. Et alors vient la grande question « jusques a quel point un Peuple sage doit-il supporter les abus du Gouvernement ? m D'ailleurs, s'il n'y avoit aucune stabilité dans le Gouvernement, l'Etat lui meme n'en auroit aucune. Ces deux motifs assurent au Gouvernement sa consistence que Rousseau ne fait dependre que du dernier, qui, suivant lui, exige une grande circonspection, < maxime de politique et non pas de droit au lieu qu'elle est de politique et de « droit dès qu'il y a un engagement reci proque.

(a) Reprise d'une des expressions de Rousseau an Chap. 16 Il est évident que ce contrat du peuple avec telles ou telles personnes serait un acte particuJier.


On ne sauroit observer avec trop de soins toutes les formalités requises pour distinguer un acte regulier et legitime d'un tumulte seditieux, et la volonté de tout un Peuple des clameurs d'une faction. C'est icy sur tout qu'il ne faut donner au cas odieux que ce qu'on ne peut lui refuser dans toute la rigueur du droit; et c'est aussi de cette obligation que le Prince tire un grand avantage pour conserver sa puissance, malgré le Peuple, sans qu'on puisse dire qu'il l'ait usurpée.

1) Le cas odieux c'est sans contredit, ce que j'ai appellé c les abus du oouuernement (a). Les sujets sont dans <: t'oMt~atton de ne regarder comme « abus intolerables que ceux qui sont tels a la rigueur du < Droit c'est a dire ceux qui sont tels qu'ils donnent te < Drott d'en arretter le cours. Or, il n'y a ni « obligation ni « droit ou il n'y a aucun engagement. Cette restriction au cas odieux con f irme ce que j'ai dis (sic) dans ma remarque precedente sur la maxime generale. Le Prince, en paroissant n'user que de ces droits, peut fort aisément les etendre et empecher, sous le pretexte du repos public, les assemblées destinees a retablir le bon ordre, de sorte qu'il se prevaut d'un silence qu'il empeche de rompre etc.

C'est par ce facile moyen que tous les Gouvernemens du monde, une fois revetus de la force publique, usurpent tot ou tard l'autorité souveraine.

1) Telle est, suivant Rousseau, l'origine a peu près de tous les Gouvernements actuels, ou le Peuple n'est plus le souverain. Tous les chefs de ce Gouvernement (sic) sont des usurpateurs, soit Rois, soit chefs aristocrati(a) Cette interprétation ne tient pas compte du sens juridique de l'expression le cas odieux = l'exercice d'un droit jugé dangereux (Cf. Beaulavon, op. cit., note de la page 282). Le commentateur comprend au sens large: le peuple ne doit admettre que les chefs gouvernent contre la volonté générale et contre la loi (le cas odieux) que lorsque la rigueur du droit l'y oblige.


ques, « leurs peuples sont forcés mais non obligés de leur obeir; ils peuvent rompre leurs chaines dès qu'ils en trouveront l'occasion (Liv. 1, Chap. 1) (a). Maxime bien propre a plonger les Etats dans les plus affreux desordres et par conséquent très pernicieuse dans l'etat actuel des choses.

1 Les assemblées périodiques dont j'ai parlé, sont propres a prevenir ou differer ce malheur (l'usurpation du pouvoir souverain), sur tout quand elles n'ont pas besoin de convocation formelle.

1) Voyés ce qui a été dit sur les assemblées périodiques Chap. 13, c!/ dessus.

L'ouverture de ces assemblées qui n'ont pour objet que le maintien du traité social doit toujours se faire par deux propositions qu'on ne puisse jamais supprimer et qui passent separement par les suffrages. 1 La premiere: S'il plait au souverain de conserver la presente forme de Gouvernement. 1 La seconde S'il plait au peuple de laisser l'administration a ceux qui en sont actuellement chargés.

1) Ces deux propositions necessaires et indispensables suffisent pour demontrer le danger de pareilles assemblées periodiques et la nécessité de les supprimer si elles existoient; leur examen va le demontrer.

Observons d'abord que dans la premiere il n'est pas question de savoir si le Peuple se trouve < dans le cas odieux pris dans toute la rigueur du droit ». Que les chefs agent bien gouverné suivant les Loix et sans abus, ce n'est pas de quoi il est question dans la discussion de cette proposition; il ne s'agit que de la volonté du Peuple purement et simplement, qui, dans le cas de l'institution, devant etre gouvernée par une intelligence superieure, doit l'etre aussi necessairement quand s'agit de changer l'institution. C'est a dire qu'un Demagogue, (a) En marge. La citation n'est pas & la lettre et combine des expressions retenues des chap. 1 et 3 du Liv. I.


un Rousseau, exposant au peuple avec force et éloquence les vices de la forme du Gouvernement, ou si l'on veut une ligue de gens riches et ambitieux (a) qui, a force d'argent, auront corrompu les suffrages de la multitude, employeront les memes moyens dans l'esperance, les uns et les autres, de faire etablir une forme de gouvernement qui les rende les maîtres, ou le fasse passer dans leurs (a) Ces suppositions paraissent envisager des éventualités genevoises précises. Dans une de ses lettres, Du Pan exprime lui aussi des craintes de concussion, fondées sur la richesse des Représentants <- Ils sont riches, ils sont inquiets; les chefs voudraient un gouvernement de fantaisie, afin d'être les maîtres de tout. (Lettres à Freudenreich, op. cit., n" 71, 2 janvier 1764, f 150). Rousseau, dans la 9' des Lettres de la Montagne, semble vouloir défendre ses amis contre des allégations de ce genre et retourne contre leurs adversaires le soupçon de concussion « Dans la plupart des états, les troubles internes viennent d'une populace abrutie et stupide, échauffée d'abord par d'insupportables vexations, puis ameutée en secret par des brouillons adroits, revêtus de quelque autorité qu'ils veulent étendre. Mais est-il rien de plus faux qu'une pareille idée appliquée à la bourgeoisie de Genève, à sa partie au moins qui fait face à la puissance pour le maintien des lois ? Dans tous les temps, cette partie a toujours été l'ordre moyen entre les riches et les pauvres, entre les chefs de l'Etat et la populace. Voyez au contraire de quoi l'autre partie s'étaie de gens qui nagent dans l'opulence et du peuple le plus abject. Est-ce dans ces deux extremes, l'un fait pour acheter, l'autre pour se vendre, qu'on doit chercher l'amour de la justice et des lois ? t .Dénez-vous. de l'opulence insolente et de l'indigence vénale. Consultez ceux qu'une honnête médiocrité garantit des séductions de l'ambition et de la misère.

De quel coté la vérité se trouve-t-elle ? Il est difficile de se rendre un compte exact de la richesse respective des partis genevois. Les Registres de la Taxe des Gardes, sembleraient plutôt donner raison à Rousseau. Les chefs des Représentants ne figurent guère que sur le Registre des Petites Geu~es Jean François Deluc y est taxé à 44 livres, André Deluc & 36, Marc Chapuis à 36, Jean Vieussieux à 32, etc. (Arch. Gen. Finances, Ms. n° 143). Nous sommes loin des chiffres des Grandes Gardes Robert Tronchin 1260 livres, Isaac-Louis Thelusson 1050, Theodore Tronchin 420, Pierre Naville 300 (Ibid., Ms. n" 142). La taxe des Gardes minima à acquitter par tout citoyen ou bourgeois était de 18 livres c'est A cette


mains uniques. Et, a chaque terme assigné a l'assemblée périodique, ces propositions pourront se renouveller et ne pourront se discuter sans les plus violentes agitations. Ce qui rendroit le Gouvernement precaire, foible et très mauvais.

Le Gouvernement changé, la 2de proposition devient inutile. 7~ lui en faut substituer une autre « Quelle forme de Gouvernement le peuple veut etablir ». Et alors quel conflit entre les Demagogues accredités et les gens puissans, pour faire passer la forme qui leur donneroit le plus de credit! Discussion qui degenereroit aisément en une guerre civile. Mais si le Gouvernement etabli est confirmé, alors viendra la discussion de la seconde proposition « S'il plait au Peuple de conserver l'administration a ceux qui en sont actuellement chargés ». Ce qui emporte le grabeau (l'examen de la conduite de chaque particulier membre du Gouvernement et son aprobation ou sa rejection (a). Et alors, dans les principes mesomme que Rousseau avait été taxé lors de son retour à Genève en 1754 (Cf. Corr. Gén., lettre du Premier Syndic Dupan à J. J. Rousseau, septembre 1754, Il, 100, n" 178).

Les termes d'honnête médiocrité paraissent donc mieux s'appliquer aux amis de Rousseau que celui d'opulence. Il est vrai qu'on peut penser aussi à de riches financiers genevois, comme le banquier Lenieps, exilés pour des raisons politiques et que leurs adversaires accusaient peut-être de subventionner les mécontents. (a) A Genève, la plupart des élections se font en quatre temps l'indication, le grabeau, la nomination et la rétention (l'élection à proprement parler). Après leur déclaration de candidature (indication), les candidats sont soumis l'un après l'autre au grabeau, c'est-à-dire à l'examen de leur capacité soit idonéité pour !a charge de laquelle il est question, qui se fait en l'absence des parents de celui que l'on grabelle, au degré de cousin issu de germain inclusivement, premièrement à haute voix par chaque conseiller à son rang, puis à la balotte, c'est-à-dire de petites houles qui portent une marque d'approbation ou de réjection, dont chaque conseiller en (sic) jette une au choix dans un scrutin. (Antoine Tronchin, op. cit., p. 224). On désigne ensuite des candidats en nombre double de celui des charges à pourvoir (nomination); c'est seulement dans la liste qui lui est ainsi soumise que le Conseil


me de Rousseau, le Peuple cesse d'etre souverain; il n'est plus que Magistrat, s'agissant a chaque grabeau d'un fait particulier; operation dans laquelle toutes les passions joueront leur rolle: ambition, envie, jalousie et vengeance, danger que ~'on previent, dans les corps particuliers ou l'usage du grabeau est introduit, par l'exclusion des Parens, jusques a un degré fort eloigné, et qui ne sauroit avoir lieu dans un Conseil General. Balotage ou grabeau que nos Ancetres ont sagement rejetté (a) comme pernicieux et dangereux. Et, si cela est vrai dans un petit Etat, que seroit-ce dans l'assemblée d'un Peuple nombreux ?

Liv.4

Chap. 1. Que la volonté generale est 1 indestructible.

1) La somme de ce chapitre se reduit aux propositions suivantes:

Général fait le choix final (rétention), seule opération qui lui appartienne le grabeau et la nomination ne se font que dans le Conseil des XXV et celui des CC.

Dans la 7* des Lettres de la Montagne, Rousseau n'aura donc pas tort de considérer le grabeau ainsi limité comme une formalité cérémonieuse et vaine qui ne sert proprement qu'à tenir les Conseils unis contre la bourgeoisie et à faire sauter l'un par l'autre les membres qui n'auraient pas l'esprit de corps. Il montre à ses compatriotes la vanité de ce pouvoir d'élection dont ils sont si fiers <~ Limités dans vos élections à un petit nombre d'hommes, tous dans les mêmes principes et tous animés du même intérêt, vous faites avec un grand appareil un choix de peu d'importance. Ce qui importerait dans cette affaire serait de pouvoir rejeter ceux entre lesquels on vous force de choisir.

L'extension de la nomination et du grabeau sera une des principales réformes que demanderont les Représentants.

(a) Bien entendu, uniquement pour le Conseil Général. Les votes y ont lieu toujours nominativement et à haute voix: les citoyens dénient devant quatre secrétaires qui recueillent les voix.


Que la seule et vraie volonté generale est celle qui se rapporte a la commune conservation et au bien etre general.

Qu'alors tous les ressorts de l'Etat sont vigoureux et simples, les maximes claires, sans interets embrouiHes, contradictoires etc.

Les hommes droits et simples sont difficiles a tromper, :) cause de leur simplicité.

Qu'un Etat alors a besoin de tres peu de loix et que la necessité d'une nouvelle Loi se voit universellement. Que, quand le nœud social se relache et l'Etat s'affoiblit, quand les interets particuliers commencent a se faire sentir, t'interet commun s'altere et trouve des opposans l'unanimité ne regne plus la volonté generale n'est plus la volonté de tous.

Que l'Etat est près de sa ruine, quand le lien social est rompu dans tous les cœurs: quand le plus vil interet se pare effrontément du nom sacré du bien public, alors la volonté generale devient muette et l'on fait passer faussement sous le nom de loix des decrets iniques qui n'ont pour but que l'interet particulier.

Mais il ne s'ensuit pas de là que la volonté generale soit aneantie ou corrompue; elle est seulement subordonnée a d'autres qui l'emportent sur elles, chacun, detachant son interet de l'interet commun, le bien particulier excepté, veut le bien general aussi fortement qu'aucun autre. En vendant son suffrage, il n'éteint pas en lui la volonté générale il l'elude.

Note. J'avoue que je trouve dans ce cas la volonté ~enerale, non seulement moc~e. mais bien malade et aussi près de sa fin (?ue l'Etat lui meme. dont elle est la vo~on~4 cela, voici le remede de notre auteur. La Loi de l'ordre public dans les assemblées n'est pas tant d'y maintenir la volonté generale, que de faire qu'elle soit toujours interrogée et 2 qu'elle reponde toujo urs.


1) C'est a dire, sans doutte, qu'on ne puisse faire et qu'on ne fasse dans les assemblées generales que des propositions qui, par elles memes, tendent uniquement au bien etre general et a la commune conservation. 2) Mais comment faire pour que la volonté generale, pure ef inalterable, reponde toujours, si ceux qui en sont les organes sont vicieux et corrompus, vendent leurs suffrages, ou preferent leur interet particulier au bien genera/ e~ commun ? Ou est alors cette volonté generale indestructible ?

Chap. 2. Des Suffrages.

Plus le concert regne dans les assemblées, c'est a dire plus les avis aprochent de l'unanimité, plus aussi la volonté generale est dominante. Mais les longs debats, les dissentions, le tumulte, annoncent l'ascendant des interets particuliers et le declin de l'Etat.

A l'autre extremité du Cercle, l'unanimité revient. C'est quand les Citoyens tombés dans la servitude n'ont plus ni liberté, ni volonté. Alors la crainte, la flaterie changent en aclamations les suffrages; on ne delibere plus: on adore ou on maudit. De ces diverses considérations naissent les maximes sur lesquelles on doit regler la maniere de compter les voix et de comparer les avis, selon que la volonté generale est plus ou moins facile a connoitre et l'Etat plus ou moins declinant. II n'y a qu'une seule loi qui par sa nature exige un consentement unanime c'est le pacte social. Hors ce contrat primitif, la voix du plus grand nombre oblige toujours tous les autres.

On demande comment les opposans sont-ils libres, et soumis a des loix auxquelles ils n'ont pas consenti ? R. 1 La volonté constante de tous les membres de l'Etat est la volonté generale. Quand on propose une loi dans t'assemblée du peuple, ce qu'on leur demande n'est pas precisement s'ils aprouvent la proposition ou s'ils la re-


jettent, mais si elle est conforme ou non a la volonté generale qui est la leur. Quand donc l'avis contraire au mien l'emporte, cela ne prouve autre chose, sinon que je m'etois trompé et que ce que j'estimois etre la volonté générale ne l'etoit pas.

1) La volonté de tous les citoyens est que la volonté generale produise son e/~e<; donc ils veulent ce que veut le plus grand nombre, soit que l'avis soit conforme au leur, ou non. Or, on est libre quand on obtient ce qu'on veut.

Ceci suppose, il est vrai, que 1 tous les caracteres de la volonté generale sont encore dans la pluralité. Quand ils cessent d'y etre, quelque parti qu'on prenne, il n'y a plus de liberté.

1) Avant que de peser la maxime, il faloit donner les caracteres de la volonté generale, outre celui de la pluralité (a).

La difference d'une seule voix rompt l'egalité, un seul opposant rompt l'unanimité.

1 Mais entre l'unanimité et l'egalité, il y a plusieurs partages inegaux, a chacun desquels on peut fixer ce nombre (&). selon l'etat et les besoins du corps politique. 1) Supposons mille citoyens assemblés; un seul n'est pas de l'avis des autres: il n'y a pas unanimité. 501 sont d'un avis, 499 de l'autre. 7/ n'y a pas egalité; mais, de 501 à 999, a une multitude de nombres qui sont autant de rapports differens entre l'egalité plus un, et l'unanimité moins un. Selon Rousseau, il y a des cas ou il faut un certain nombre de su/~ra~es au-dessus de l'éga(a) Rousseau a consacré deux chapitres (II, 3 et 4) à t'exposé de sa théorie de la volonté générale. La pluralité n'en est pas un caractère, mais une simple conséquence du Contrat Social. (b) A savoir le nombre proportionnel des suffrages dont il est question dans le texte mutilé et rendu incompréhensible par ce résumé.


lité pour faire un avis. C'est le nombre de suffrages qu'il est question de fixer.

Deux maximes generales peuvent servir à lixer ces rapports.

1 L'une que plus les deliberations sont importantes et graves, plus l'avis qui l'emporte doit aprocher de l'unanimité 2 l'autre que plus l'affaire agitée exige de celerité, plus on doit resserrer la différence prescrite dans le partage des avis; dans les deliberations qu'il faut terminer sur le champ, l'excedent d'une seule voix doit suffire. 1) Il resulte de tels inconveniens de ces /na:C!mes Qu'elles sont tres inutiles.

7/ faut determiner si la question est importante. 2° Si elle exige celerité.

3° faut fixer le nombre des su f frages necessaires pour qu'un avis passe. Qui est-ce qui fera ces combinaisons ? Sera-ce le Peuple? Sera-ce le Prince? Et ces questions reviennent a chaque assemblée du Peuple et peuvent varier « selon l'etat et les besoins du Corps politique ». Le Peuple ne sauroit faire ces combinaisons; elles seroient donc remises a la volonté du Prince, et alors, si la proposition a porter au Peuple ne lui est pas agréable, il exigera l'unanimité moins un; s'il veut la faire passer, un seul su/yraye au dessus de /'eoa/~e; et s'il y a differens avis, qui en fera la combinaison? (Voyés liv. 2, chap. 3). faut donc s'en tenir a la simple pluralité.

Chap. 3. Des Elections.

A l'egard des elections du Prince et des Magistrats, il y a deux voies pour y proceder, savoir le choix et le sort.

L'election des Chefs est une fonction du Gouvernement et non de la souveraineté.

1 Dans la Democratie, l'administration est d'autant meilleure que les actes en sont moins multipliés; le sort est plus dans sa nature.


Dans l'Aristocratie, le Prince choisit le Prince et c'est là que les suffrages sont bien placés.

1) Si dans la Democratie le gouvernement choisit ses Chefs, c'est le Peuple qui s'acquite de cette fonction comme Gouverneur et non comme Souverain: di fference /res minime a Genève. C'est le Souverain qui elit les Chefs de l'Etat, les sindics et quelques autres charges importantes (a). Les Citoyens et Bourgeois assemblés en Conseil General sont qualifiés de Magnifiques, très honorés et Souverains Seigneurs. Selon Rousseau (b), cette derniere qualification ne leur est pas due le jour des elections, parce ~n'a/ors ils font seulement fonction de Gouverneurs, de Prince qui n'est pas Souverain, mais elle leur est due seulement dans le Conseil General assemblé pour faire une Loi. Je doutte que ses plus grands admirateurs parmi nous agreassent le retranchement.

Le sort ni les sun'rages n'ont aucun lieu dans le Gouvernement Monarchique; le Monarque etant de droit seul Prince et magistrat unique, le choix de ses Lieutenans n'appartient qu'a lui.

Il me resteroit a parler de la maniere de donner et de recueillir les voix dans l'assemblée du Peuple mais peut-etre, l'historique de la police Romaine a cet egard expliquera-t-il plus sensiblement toutes les maximes que je pourrois etablir.

(a) Le Grand-Conseil élit les quatre syndics et quelques autres principaux magistrats, savoir le Seigneur-lieutenant, ses assesseurs que l'on nomme auditeurs qui sont au nombre dp six, le Trésorier général et le Procureur généra!. (A. Trondhin, op. cit., p. 219).

(b) C'est-à-dire si l'on tire la conséquence des principes de Rousseau.


Chap. 4. Des Comices Romains. Chap. 5. Du Tribunat.

Chap. 6. De la Dictature.

Chap. 7. De la Censure.

Je ne crois pas necessaire pour le but que ye me suis proposé de suivre l'auteur dans ces quatre chapitres, ou il donne l'histoire du Gouvernement de la Republique Romaine, et sur lequel il décide (page 264) (a) « çH' n'y a aucun peuple moderne auquel il put convenir Histoire par consequent plus curieuse qu'utile d'un Gouvernement sur lequel la critique trouve bien des occasions à s'exercer, comme Rousseau lui meme l'a fait.

Chap. 8. De la Religion Civile.

Les hommes n'eurent point d'abord d'autres Rois que les Dieux ni d'autre gouvernement que le Theocratique. De cela seul qu'on mettait Dieu a la tete de chaque societté politique 1 il s'ensuivit qu'il y eut autant de Dieux que de Peuples.

Si chaque peuple avoit eu une juste idée de Dieu il n'y auroit pas eu autant de Dieux que de Peuples; l'idée de Dieu exclut le polytheisme; mais après que le genre humain fut divisé en peuples et en nations, la connoissance de Dieu s'a/~eref~ insensiblement. Les Peuples furent gouvernés par des Roix; Ceux cy respectés et venerés pendant leur vie, le furent encore après leur mort, par ce que les Peuples crurent que les bons Rois existoient encore apres ce moment, qu'ils pouvoient quelque chose (a) Référence en marge. Pour le renvoi à l'édition Cf. p. 90, note (b). La citation est approximative. Elle se rapporte au pas sage du chap. IV où Rousseau expose la réforme de Servius. <' Ott est, dit-il, le peuple moderne chez lequel la dévorante activité, l'esprit inquiet. pussent laisser durer vingt ans un pareil établissement *ans bouleverser tout l'Etat ? <


auprès de Dieu; de M l'origine des divinités subalternes, erigées moins en Gouverneurs qu'en Protecteurs des Etats, plus souvent invoqués que le Dieu supreme les notions de celui ci se perdirent aisément dans l'esprit de la multitude. Chaque Peuple alors s'interessat pour son Dieu protecteur et vouloit qu'il fut vainqueur de tous les autres.

Enfin les Romains avoient étendu avec leur empire leur culte et leurs Dieux et aiant souvent eux memes adopté ceux des vaincus, en accordant aux uns et aux autres Je droit de citté, Je paganisme ne fut enfin dans Je monde connu qu'une seule et même religion. Ce fut dans ces circonstances que Jesus vint etablir sur la terre un royaume spirituel.

1) La connoissance du vrai Dieu s'etoit conservée ches la seule nation juive, et moins parfaittement chès quelques particuliers des autres nations. Pourquoi taire que le but de la venue de Jesus Christ fut d'abord de retablir par toute la terre la connoissance du vrai Dieu et de son culte? Pourquoi donner a cette venue le seul but d'etablir sur la terre un Royaume spirituel? Surtout quand on ne peut pas ignorer que si Jesus Christ a parlé de sa qualité de Roi et de son royaume spirituel, il l'a fait 1 pour repondre a l'accusation des chefs du peuple juif qui l'accusèrent de vouloir se faire Roi 2° pour corriger les idées que les Juifs de son tems avoient sur le Messie qu'ils attendoient, qu'ils se figuroient devoir etre un Roi, un Conquerant, le Dominateur de tous les Peuples. Et quand Jesus Christ dit que « son regne n'est pas de ce monde ne dit-il pas qu'il n'est venu etablir sur la terre aucun regne temporel, ni spirituel opposé au Temporel? Car, si le regne spirituel de Jesus Christ étoit opposé aux regnes de ce monde, par cela meme il seroit Temporel. La doctrine de Jesus Christ laissoit donc subsister toutes les Puissances temporelles, et ses Apotres ne precherent jamais une autre Doctrine. La theologie de ceux cy n'ayant rien d'opposé au sisteme du Gouvernement, on


ne peut pas dire gu'ette fut un sisteme qui fit que l'Etat « cessat d'etre un Le Paganisme pouvoit donc faire place a la religion chertienne, sans que l'Etat « cessat d'etre un Il u a eu de l'af fectation, du dessein, en donnant ce seul but a la venue de Jesus Christ d'etablir un < Royaume spirituel Le voici.

1 Ce qui separant le systeme theologique du systeme palitique fit que l'Etat cessat d'etre un 2 et causa les divisions intestines qui n'ont jamais cessé d'agiter les peuples chretiens.

1) J'ai refuté dans la remarque precedente cette opposition du systeme de la religion de Jesus-Christ au sisteme politique.

2) La religion de Jesus-Christ, ne donnant aucune atteinte au Gouvernement, « ce n'est pas elle qui est la cause des divisions intestines qui n'ont jamais cessé d'agiter les peuples chrétiens ». Mais il falloit l'en charger, pour la rendre odieuse et pour rendre necessaire l'etablissement de ce qu'on nomme « la Religion naturelle C'est ce que nous etablirons dans ta suite.

1 Les Payens regarderent toujours les Chrétiens comme de vrais rebelles qui, sous une hypocrite soumission, ne cherchoient que le moment de se rendre independans et maîtres et d'usurper adroitement l'autorité qu'ils feignoient de respecter dans leur foiblesse. Telle fut l'origine des persecutions.

1) Il est vrai que l'accusation de rebellion revenoit souvent contre les Chretiens, mais pas tôujours. Rousseau est trop versé dans l'histoire pour le dire par ignorance.

1 Ce que les Payens avoient craint est arrivé. Alors tout a changé de face les humbles Chretiens ont changé de langage et bien tot on a vû ce pretendu Royaume de l'autre monde devenir sous un Chef visible le plus violent despotisme dans celui-ci.


1) Rapprochons les termes de l'accusation. « La Religion que Jésus est venu etablir sous son royaume spirituel est devenue sous un chef visible le plus violent despotisme dans celui ci Je demande S! un homme qui sait l'histoire, qui a quelque pudeur peut de bonne foi mettre sur le compte de la religion de Jésus le Despotisme du « chef visible » dont il parle.

Mais, dira-t-on, Rousseau ne parle pas de la religion de Jesus il ne parle que de son Royaume spirituel. Fort bienl Mais comme il n'y a point de Royaume sans loix qui parle du Royaume de Jesus, parle aussi de ses Loix, qui ne sont autre chose que les maximes de sa religion, ou sa religion elle meme. Donc qui parle du Royaume spirituel de Jesus, parle de sa religion. Je vais plus loin et je demande si le Royaume dont le chef despotique est le Roi est en e/~e~ le Royaume spirituel de Jesus ? Quiconque aura l'effronterie de repondre affirmativement, merite les petites maisons.

Cependant, comme il y a toujours eu un Prince et des Loix civiles, il a resulté de cette double Puissance un perpetuel conflict de Jurisdiction 1 qui a rendu toute bonne politie impossible dans les Etats chretiens, et l'on n'a jamais pu venir a bout de savoir auquel du Maitre ou du Pretre on etoit obligé d'obeir.

1) On pourroit disputer a Rousseau que dans les Etats qui professent la religion soumise au Despote violent dont il parle, il n'y ait, ni ne puisse y avoir aucune bonne politie. On pourroit lui dire ou'!? y a dans le nombre tel Etat qui a de bonnes Loix, qui trouvent tou jours des defenseurs zelés, courageux, acti fs, vigilans et soutenus par la puissance civile contre les efforts du Despote. Mais pourquoi comprendre dans la meme classe les autres Etats Chretiens qui ne reconnoissent pas le « Despote ce chef visible ~? Dira-t-il que dans ces Etats le corps du clergé forme un corps dans lequel reside le Despotisme violent comme il l'insinue un peu plus bas? je lui repondrai que dans ces Efafs on distingue deux choses


dans le Clergé la doctrine et l'autorité Ecclesiastique que l'une et l'autre sont reglées et ~nffees par la Loi qui est tou jours superieure (a); qu'ainsi, dans ces Etats, il n'y a qu'un Souverain reconnu pour tel, auquel chacun sait qu'il doit obeir et non au Pretre et qui est chargé de faire executer la Loi, qui regle les choses concernant la religion, de meme que toutes les autres Loix. Plusieurs Peuples cependant, meme dans l'Europe ou a son voisinage, ont voulu conserver ou retablir l'ancien systeme, mais sans succès 2 l'esprit du Christianisme a tout gagné 3 le culte sacré est toujours resté ou redevenu independant du Souverain et sans liaison necessaire avec le corps de l'Etat.

1) On ne peut entendre icy, par l'ancien systeme, que l'abolissement du Christianisme, pour lui substituer une autre Religion. Ce ne pourroit pas être le paganisme, le Mahometisme: reste la Religion judaïque et la religion d'Adam et de ses enfants. J'ignore quel est l'Etat qui a voulu faire cette reforme.

2) Dans le Dictionnaire de Rousseau l'Esprit du Christianisme n'est pas l'esprit de l'Evangile c'est l'esprit du clergé chretien. Cette distinction meritoit une definition prealable autrement il n'y auroit rien eu de surprenant < que l'Esprit du Christianisme eut tout gagné dans le sens ordinaire de ces expressions; cela devoit etre ain(a) La supériorité du pouvoir civil ne fait pas de doute à Genève. Au chapitre IX de la partie de ses Principes de Droit Politique (Du Pouvoir souverain en matière de religion), Burlamaqui établit fortement que le clergé gouvernement de direction doit être soumis au Souverain gouvernement d'autorité C'est dans le même esprit que Rousseau définira les attributions respectives du pouvoir spirituel (Consistoire) et temporel (Conseils) en matière de religion (Lettres de la Montagne, 1" partie, V lettre). Mais dans le cas de sa condamnation, il se plaint d'un abus de pouvoir de la part du temporel. Certains de ses adversaires au contraire déplorent l'intrusion des ecclésiastiques dans le gouvernement (Cf. Dupan, op. cit., Ms. BtM. Gen. n* 85, f° 69 et passim).


et il est tres facheux que ce ne soit plus une de ces verités universellement reconnue (sic).

3) Dans tous les Etats, ou le culte sacré est reglé par la Lof, il est sous la dependance du Souverain et conserve ainsi une liaison necessaire avec le corps de l'Efat et tels sont ceux qui font profession de la Religion protestante.

Parmi nous, les Roix d'Angleterre et les Czars se sont etablis chefs de l'Eglise, mais par ce titre 1 ils ont moins acquis le droit de la changer que le pouvoir de la maintenir 2 ils n'y sont pas legislateurs, ils n'y sont que Princes. 3 Par tout ou le Clergé fait un corps, il est maître et Legislateur dans sa partie. 4 Il u a donc deux souverains, deux puissances en Angleterre et en Russie, tout comme ailleurs.

1) Je suis surpris que Rousseau critique cette limitation du pouvoir des Roix d'Angleterre et des Czars: elle est toute entiere dans son systeme. La Religion de ces Etats y a été reçue par la volonté generale. Donc le Roi n'est pas le maitre de la changer.

2) Donc le Roi ne peut pas faire de nouveaux articles de foi. Est-ce la un ma/?

3) Dans tous les Etats Protestans, le clergé n'est ni Maître ni Legislateur.

4) 7/ n'y a donc ni deux puissances, ni deux Souverains dans tous les Etats Protestans. S'ensuit-il donc de la que dans les Etats Protestans, le Clergé n'ait aucune politie? Non; mais sa politie est soumise et reglée par les Loix.

La Religion considerée par rapport a la société qui est ou generale, ou particuliere, peut aussi se diviser en deux especes, savoir 1 la Religion de l'homme et celle du Citoyen.

1) Cette division est superflue. Tout citoyen es/'homme: ainsi sa religion ne peut pas etre autre que celle de l'homme. Le meme su jet ne peut avoir deux religions d~ferentes. Au lieu de Religion de ~nonune, il faloit dire:


religion naturelle et religion particuliere dont Dieu est l'auteur.

La premiere, sans Temples, sans autels, sans rites, bornee au culte purement interieur du Dieu supreme et aux devoirs eternels de la Morale 1 est la pure e< simple Religion de l'Evangile, le vrai Theisme, et ce qu'on peut appeller le droit divin naturel.

1) La religion naturelle fait partie de la religion annoncée dans l'Evangile (a). Elle en est meme une partie très essentielle, mais elle n'en est qu'une partie et l'on n'a jamais dit qu'une partie fut le tout. Ou /'Euan~~e n'a jamais eté annoncé aux hommes, pas meme par les premiers Apotres, ou il a ses Temples (des lieux d'assemblée) ses rites, les deux Sacremens, le Bapteme ef la Ste Cene. Tel est au moins l'Evangile que nous connoissons. Peut-etre Dieu en a-t-il fait annoncer un autre connu de Rousseau et de aue/aues autres génies sublimes <&). L'autre, inscritte dans un seul Pays, lui donne ses Dieux, ses Patrons propres et tutelaires; elle a ses dogmes, ses rites, son culte exterieur prescrit par ses Loix etc. 1 Telles furent toutes les religions des premiers Peuples, auxquelles on peut donner le nom de droit Divin civil ou positif.

(a) La distinction de Rousseau et les conséquences qu'il en tire pouvaient être considérées comme du domaine des idées couramment reçues à Genève. Sans invoquer même le témoignage de nombreux théologiens dont on connaît le libéralisme, un juriste comme Burlamaqui (Du Droit naturel, III'' partie, Chap. I), distingue nettement les deux sortes de religion, considère que l'homme peut en faisant usage de sa raison et sans le secours d'une révélation particulière parvenir à la connaissance de Dieu et des devoirs qui lui sont dûs et réduit à cinq chefs généraux les vérités fondamentales de la Religion naturelle. Mais l'opinion genevoise alarmée par l'article de d'Alembert, exige que l'on fasse la part moins belle à la religion naturelle.

(b) Les adversaires de Rousseau à Motiers et ailleurs indisposent le peuple contre lui en l'accusant d'être un faiseur d'évangiles.


1) Il est surprenant qu'apres avoir fait la description de la religion des Payens, Rousseau dise que « telle a eté la religion de tous les premiers peuples ». Il donne par la un dementi formel a l'histoire de Moyse et il avance cet etrange paradoxe que la connoissance du vrai Dieu se perdit dès la creation de l'homme.

H y a une troisieme sorte de religion plus bizarre qui, donnant aux hommes deux Legislations, deux chefs, deux patries les soumet a des devoirs contradictoires 1 Tel (sic) est la religion des Lamas, telle est celle des Japonais, tel est le Christianisme Romain. On peut appelier celle cy la religion du Pretre.

1) Ne prenant aucun interet a ces trois Religions, je crois pouvoir negliger ce que l'auteur en dit.

1 Reste donc la religion de i'homme ou le Christianisme, non pas celui d'aujourd'hui, mais celui de l'Evangile qui en est tout a fait difTerent.

1) Pourquoi ne pas parler de la religion de Mahomet, « de cet enfant d'/smoe7 » qui depuis Dix Siecles regit la moitié du monde? j'aurois crû que c'etoit la religion de l'homme (a), si immediatement après, Rousseau n'avoit pas parlé de Christianisme et d'Evangile. Or Christ et Mahomet ne sauro! (sic) s'allier.

2) Rousseau a parlé dans l'article précédent de la Religion Catholique Romaine. Ainsi quand il parle du Christianisme dans celui-ci, ce ne peut pas être du Christianisme pretendu de cette Eglise. Reste donc que ce soit celui de toutes les Eqlises chretiennes dif ferentes et separées de l'Eglise Romaine, de celui de Genève sa patrie, aussi bien que de toutes autres. Et qu'en dit-il? Qu'il « n'est pas le Christianisme de l'Evangile, mais un autre tout different ». accusa/ion temeraire et calomnieuse, insolente et injurieuse, qui porte sur la reformation du ~a) Housseau vient précisément d'en faire t'éloge, mais comme d'un modèle de la religion du citoyen.


St Evangile, telle qu'elle est reçue à Genève et dans les autres Eglises Protestantes; accusation qui implique son auteur dans la violation de son serment; comme citoyen de Genève, il est sous le serment « de vivre selon la reformation du St Evangile, de ne faire ni souffrir etre faites aucunes pratiques, machinations ou entreprises contre la sainte re formation Buanae~oue (a). Serment qui repete toutes les f ois qu'il prend la qualité de CItoyen de Genève. Et peut-il le violer d'une maniere plus qualifiée, que de dire que le Christianisme d'aujourd'hui est tout dif ferent de celui de l'Evangile? Et que Rousseau n'allegue pas pour sa def fence qu'il n'a pas parlé du Christianisme de Genève en particulier. Qui parle du tout parle de la partie. Accusation par consequent atroce violation du serment, a la faveur duquel seul, il est et peut etre Citoyen; deux crimes qui certainement meritoient un chatiment plus severe que celui de fletrir l'ouvrage dans lequel ils sont commis, et que (sic) l'auteur n'auroit pas échapé, s'il n'avoit pas eté jugé par des Magistrats, chés qui c'étoit le cas de faire prevaloir cette maxime chrétienne « qui ne veut pas la mort du pecheur, mais qu'il se repente et qu'il vive

1 Par cette religion sainte, sublime, veritable, les hommes enfans du meme Dieu, se reconnoissent tous pour freres et la société qui les unit ne se dissout pas, meme à la mort.

1) Je reconnais a ces beaux traits la religion de ma Patrie. Cette sainte, sublime et veritable religion de (a) Dans la formule de ce serment (du citoyen), il n'y a que deux articles qui puissent regarder mon délit. On promet par le premier de « vivre selon la réformation du Saint Evangile a et par le dernier de ne faire, ni souffrir aucunes pratiques, machinations ou entreprises contre la réformation du Saint Evangile Ces deux articles sont très distincts et même sépares par beaucoup d'autres. Dans le sens du Législateur, ces deux choses sont donc séparables; donc quand j'aurais violé le dernier article, il ne s'ensuit pas que j'ai violé le premier. Mais ai-je violé ce dernier articles ?. (Lettres de la Montagne, 1" partie. Lettre IV).


l'Evangile y est annoncee dans toute sa pureté. Tant pis pour ceux qui ne la reçoivent pas avec soumission et avec foi. Qui ne croiroit a ce beau portrait que Rousseau va nous dire que cette religion est la seule qui convienne aux Etats bien constitués? Pas du tout. Suivons-le. Mais cette religion, n'ayant nulle relation particuliere avec le corps politique, 1 laisse aux Loix la seule force qu'elles tirent d'elles meme, sans leur en ajouter aucun (sic) autre. Bien plus, 2 loin d'attacher les cœurs des Citoyens a l'Etat, elle les en detache comme de toutes les choses de la Terre je ne connois rien de plus contraire à l'Esprit Social.

1) Sans la religion, les hommes se considerent comme soumis aux Lois par l'un ou l'autre de ces motifs; ou par ce qu'elles sont l'ouvrage de leur volonté, ou par la crainte de la peine. La religion t/ ajoute le puissant motif de la conscience, qu'aucun subterfuge ne peut eluder, comme cela arrive souvent par rapport aux autres moti fs; elle donne donc aux Loix une nouvelle force (a). Surtout, c'est là le propre de la Religion Chretienne; ce que je pourrois prouver par nombre d'autorités sacrées. 2) 7~ n'y a pas un droit, pas un precepte dans les Evangiles et dans les ecrits des Apotres de Jesus-Christ qui tende a détruire la société civile (b). Au contraire, sa doctrine veut la conservation de cette societté; elle preche la soumission aux Puissances qui la gouvernent; elle ordonne de prier pour elles. Je ne sçais de quel Christianisme veut parler Rousseau.

(a) « Si les sujets eux-mêmes sont portés à obéir aux lois et à respecter leur souverain par principe de conscience et de religion, le bien publie sera beaucoup plus assuré que s'ils n'étaient poussés à cela que par le seul motif des récompenses et des peines de cette vie. (Burlamaqui, op. c;f., IH* partie, chap. 3.) (b) Aussi bien, Rousseau ne le dit pas. II ne s'agit pas pour lui d'hostilité ouverte. Mais le corps politique ne saurait se contenter de l'obéissance indifférente et passive du chrétien.


Une société de vrais Chretiens ne seroit plus une société d'hommes.

1) Le vrai Christianisme peut estre preché dans une societé, sans que tous ses membres soient de vrais Chretiens. L'experience ne prouve que trop cette exception elle est une suite des foiblesses de l'humanité qui ne permet pas d'esperer cette generalité. Ainsi par le fait, la proposition de Rousseau est vraie dans ce sens « il n'y a aucune societé dont tous les membres soient de vrais Chretiens Alais est-ce M une raison pour def fendre que cet Evangile soit annoncé? Et quand il seroit possible que tous les membres d'une societé f ussent vrais chretiens, je ne vois pas comment par M le Contract Social seroit dissout. Rousseau, pour l'établir, nous parle de Chretiens enthousiastes qui, avec lui, apliquent aux Etats les maximes de la morale Evangélique contre la vengeance, sur le pardon des in jures, sur la patience etc., qui ne sont données qu'aux particuliers envers les autres particuliers. Qui veut la fin, veut les moyens. Donc l'Evangile qui veut la conservation de la socte~e! civile, veut tous les moyens necessaires pour cette conservation. Rousseau s'est fait un peuple de Chrétiens a sa fantaisie; je ne crois pas necessaire de le suivre dans sa chimere.

Mais laissant a part les considerations politiques, revenons au Droit et fixons les principes sur ce point important.

Les bornes que le pacte social donne au Souverain sur les sujets, ne passent point comme je l'ai dis (sic) l'utilité publique. Les sujets ne doivent donc compte au Souverain de leurs opinions qu'autant que ces opinions importent a la Communauté. Or il importe bien a l'Etat que chaque Citoyen ait une religion qui lui fasse aimer ses devoirs; mais les dogmes de cette Religion n'interessent ni l'Etat ni ses membres, 1 qu'autant que ces dogmes se rapportent a la morale et aux devoirs que celui qui la professe est tenu de remplir envers autrui.


1) 7/ est tres aisé de prouver qu'il n'y a aucun dogme dans le pur Christianisme de l'Evangile, qui n'ait une influence très forte sur les preceptes de sa morale, donc il importe a l'Etat, au Souverain, de soutenir les dogmes de la creance Evangelique.

Chacun peut avoir au surplus telles opinions qu'il lui plait, 1 sans qu'il appartienne au Souverain d'en connoître.

1) Laissons pour un moment cette liberté aux particu/<e7-s sur toute sorte d'objets. Mais on ne disputera peutetre pas que le Souverain a le droit d'empecher d'annoncer toute doctrine contraire a celle reçue dans ces articles fondamentaux et toute doctrine qui pourroit causer des troubles et des divisions dans l'Etat. Mais voyons la raison de cette liberté indefinie de penser.

Car, comme il n'a point de competence dans l'autre monde, quel que soit le sort des sujets dans la vie a venir, 1 ce n'est pas son affaire, pourvû qu'ils soyent bons citoyens dans celle-ci.

1) Ce n'est pas l'affaire du souverain comme souverain, mais en qualité d'homme et de chretien, il doit prendre interet au salut de ses sujets et en cette qualité il peut favoriser ce qui peut con~r~uer a leur salut et ecarter tout ce qui peut s'y opposer. ne peut donc rien sur les su jets qui gardent dans le silence leurs opinions particulieres, mais il peut sevir contre ceux qui les met/en~ au jour.

I! y a donc une profession de foi purement civile dont il appartient au souverain de fixer les articles, 1 non pas precisement comme dogmes de la religion, mais comme sentirnens de sociabilité, sans lesquels il est impossible d'etre bon citoyen ni sujet fidelle.

1) Des articles de foi, proposés simplement comme sentiments de sociabilité, ne sont plus des articles de religion on peut s'y soumettre sans les croire et alors


cette soumission ne passe pas les bornes de l'utilité de l'individu frein bien foible pour retenir les hommes dans leur devoir.

Cette maxime etablit non seulement rtnd!erence en matière du choix d'une religion, elle établit encore qu'il n'y a aucune necessité pour l'Etat que ses su jets auen~ une religion; principe contraire a toute bonne institution. Rousseau lui meme la (sic) reconnu (Liv. 2, C'hap. 3) quand il dit: « Cette raison sublime est celle dont le Legislateur met les decisions dans la bouche des immortels pour entrainer par l'autorité divine ceux que ne pourro~ ebranler la puissance huma:ne importe donc au Legislateur que les membres de l'Etat ne soyent pas des A thées.

Sans pouvoir obliger personne de les croire, 1 il peut bannir tout homme qui ne les croit pas, non comme impie, mais comme insociable. Que si quelqu'un, après avoir reconnu publiquement ces memes dogmes, se conduit comme ne les croyant pas, qu'il soit puni de mort; il a commis le plus grand des crimes: il a menti devant les lois.

1) Voila la peine de bannissement prononcée contre tout citoyen qui declare ne pas croire les dogmes prescris par le Souverain. Si cette maxime est vraie par rapport aux dogmes que Rousseau regarde comme essentiels a l'Etat, elle sera vraie aussi pour tout dogme que tout Souverain regardera comme essentiel a son Etat. Car Rousseau ne veut pas imposer aux autres souverains une Loi differente de celle qu'il accorde a son souverain chimerique. Arret de bannissement qui envelopera bien des gens et qui ne sent que trop l'intolerance.

2) Celui ci est bien plus tn~o~eran~ il condamne a la mort tout Citoyen dont la vie est contraire a la croiance; maxime qui aujourd'hui depeupleroit furieusement les Etats et qui auroit conduit Rousseau a la potence. Voyés cy dessus. Car, je le repette, ce qui est vrai pour un souverain l'est pour tous les autres; et si un souverain ne


peut pas obliger ses su jets a croire certains dogmes su/vant Rousseau, comment ce particulier imposera-t-tl a tous les souverains la loi de ne proposer a leurs su jets que la croiance de tel ou tel dogme?

1 Les Dogmes de la Religion Civile doivent etre simples, en petit nombre, enoncés avec precision, sans explication ni commentaires. L'Existence de la Divinité puissante, intelligente prevoiante et pourvoyante, la vie a venir, le bonheur des Justes, le chatiment des mechans, la sainteté du Contract Social et des Loix: voila les dogmes positifs et quant aux dogmes negatifs, je les borne a un seul 2 c'est l'intolérance; elle rentre dans les cultes que nous avons exclud (sic).

1) C'est a dire qu'excepté les dogmes de la religion naturelle (a), le Souverain ne peut prescrire aucun autre dogme de quelqu'autre religion que ce soit. Tous autres cultes doivent etre excluds. Mais il implique contradiction de croire un Dieu et de refuser de croire a l'Evangile de Jesus Christ, si ce que les Evangelistes et les /tpotres nous rapportent de sa vie, de ses miracles, de sa doctrine, de sa mort, de sa resurection, de son ascension etc. est vrai, parce que la verité de tous ces faits emportant necessairement l'intervention de la Divinité, sans laquelle tous ces faits ne seroient pas arrivés, cette intervention n'a pu etre emploiée que pour autoriser une doctrine vraie; il faut donc la croire ou nier un Dieu. Ou (a) Rousseau ne prétend pas que ces articles de foi constituent les dogmes de la religion naturelle. Ceux-ci sont beaucoup moins étendus. Selon Huriamaqui (Cf. ci-dessus, p. 142, note a), ils se réduisent à cinq vérités fondamentales 1" H y a un Dieu; 2° I! est le créateur de l'univers; 3° !I le conduit et le gouverne par une sage prudence; 4° n'y a qu'un Dieu; 5° Ce Dieu est un Etre souverainement parfait. Les dogmes de la Religion Civile ajoutent à ces cinq vérités fondamentales tes notions, essentielles pour le corps politique, de récompenses et de sanctions dans la vie future, simples présomptions pour le vicaire savoyard enclin à nier l'Enfer, et surtout ia sainteté du Contrat Social et des Loix


il faut traitter de fables et de pieuse imposture toute l'histoire de la vie de Jesus Christ.

2) En renvoyant « l'intolerance cnés tous les autres cultes, c'est dire qu'ils sont tous « intolerans » il en est cependant qu'ils (sic) le sont beaucoup moins que le systeme de Rousseau, qui bannit « tout Citoyen qui ne croit pas ses dogmes », qui met a mort « tout Citoyen qui apres avoir reconnu publiquement ces memes dogmes, se conduit comme ne les croyant pas et qui pousse l'intolerance encore plus loin, comme nous le verrons tout a l'heure.

1 Ceux qui distinguent l'intolerance civile et l'intolerance Theologique se trompent, il est impossible de vivre en paix avec des gens qu'on croit damnés; les aimer seroit hair Dieu qui les punit; il faut absolument qu'on les ramene ou qu'on les tourmente etc. Des lors les Pretres sont les vrais Maîtres; les Roix ne sont que leurs officiers.

1) La tolerance chretienne est fondée sur la charité, qui nous enseigne comment on doit se conduire envers les errans, en tachant de les ramener par l'instruction, et non en les tourmentant; alternative absolument contraire à l'Esprit du pur Christianisme; et si elle subsiste dans quelques Etats, malheureusement et a la honte de la Religion et de l'humanité, l'imputation n'en devoit pas etre generale.

1 Maintenant donc qu'il n'y a plus et qu'il ne peut plus y avoir de religion nationale exclusive, on doit tolerer toutes celles qui tolerent les autres.

1) Dans le systeme de Rousseau, il peut supposer qu'il n'u a et qu'il ne peut y avoir de religion nationale exclusive mais comme ce systeme n'a d'existence que dans son ~ture, c'est tres mal a propos qu'il employe les expressions Maintenant donc qu'il n'y a etc. La Religion dominante dans un Etat, est proprement la religion nationale ce qui n'empeche pas que l'Etat n'en puisse tolerer d'autres.


Autant que leurs dogmes n'ont rien de contraire aux devoirs du citoyen. Mais quiconque ose dire 1 hors de l'Eglise, point de salut, doit etre chassé de l'Etat, a moins que l'Etat ne soit l'Eglise et que le Prince ne soit le Pontife.

1) Comme cette maxime est celle de tous les vrais membres de l'Eglise Romaine qui en sont le plus grand nombre, c'est sonner contr'eux le tocsin de l'intolerance dans tous les Etats qui ne sont pas Catholiques ~oynatns; ce qui est pousser l'intolerance bien loin, que de les bannir de tous ces di f ferens Etats.

Chap. 9. Conclusion.

7f n'y aura pris grande perte pour les Etats existans, quand l'auteur bornera là ses ouvrages sur la Politique; l'inutilité et le danger du « Contract Social font souhaiter qu'il n'eut jamais eté ecrit, et je ne l'aurois jamais encore moins examiné, S! quelques personnes n'avoient blamé le jugement du M. C. qui l'a flétri (a). Je n'ai ni tout transcrit, ni tout critiqué ce qui le mérite. Je m< suis borné a ce que j'ai cru le plus interessant. J'ai pû me tromper dans le choix et dans la critique. Je donne mes idées pour ce qu'elles sont; je ne pretends pas à l'infaillibilité.

(a) On a vti dans l'Introduction comment tes Genevois ont critiqué la condamnation du Contrat Social et non celle d'Emile.


APPENDICE

Procès-verbal de la déposition du S' Etienne Gentil.

Nous auditeur soussigné certifions qu'en suite de l'ordre qui nous a été donné par le Conseil assemblé légalement au sujet de l'Affaire des sieurs Pictet et Duvillard, nous avons mandé par devant nous le S' Etienne Gentil de qui nous avons reçu la déposition ci-jointe. En foi de quoi nous avons dressé et signé le présent verbal.

Ce 21 juillet 1762. Naville, auditeur.

Etienne, Sis de feu Jean Simpert Gentil citoyen, agé de 47 ans, horlogeur, mandé par devant nous et assermenté, après avoir sur les généraux pertinemment repondu, dit et depose: qu'il est vrai qu'il fut samedi 3*~° du court après midi, en allant à Attena, à Cartigni faire une visite à Monsieur le Colonel Pictet, qu'il l'informat qu'il s'etoit repandu dans le public une Lettre dont on le designait pour en être i'autheur, qu'alors le dit SI Pictet qui etoit dans la salle conduisit le deposant dans une autre chambre et là il lui declara qu'il etoit l'autheur de cette lettre et qu'il etoit au desespoir qu'elle fit tant de bruit, que depuis qu'il avoit leu Emile, il avoit trouvé que Rousseau y parloit si ouvertement, qu'il avoit compris alors ce qu'il n'avoit pas pu bien comprendre dans te Contract Social et qu'ayant reflechi serieusement la dessus il estimoit que la sentence prononcée etoit des plus justes et que s'il croyoit que sa Lettre continuat a faire du bruit, il iroit en ville lui meme pour la desavouer en presence de Messieurs les Sindics, tant il trouvoit la ditte Lettre peu con(Arch. <~n., Procès criminels et informations, 1762. Juin. Procès de l'Emile de Rousseau. Portefeuille CCCCXCVIII, n. 11009, f" 58, 69).


venable et peu conforme a ses sentimens qu'il n'auroit pas creu en ecrivant à Duvillard qu'il eut rendu sa lettre publique, qu'il ne l'avoit fait que dans le dessin de lui donner son sentiment sur l'ouvrage meme comme il l'avoit fait quelquefois sur d'autres nouveaux livres qu'il lui temoignat par les expressions les plus fortes, combien il etoit faché d'avoir blamé le jugement rendu et que Duvillard avoit bien tort d'avoir rendu sa Lre publique que le dit Duvillard lui avoit ecrit en lui envoyant le Contract Social et qu'il lui marquoit de lui dire son avis sur l'ouvrage et croit de plus le Deposant sans cependant pouvoir l'affirmer positivement que le dit SI Pictet lui ajouta que Duvillard lui demandoit aussi son avis sur le jugement.. Qui est tout ce que le Deposant a dit avoir a deposer.

Répété lecture faite a persisté et a signé.

P. Gentil.

Naville, Auditeur.


ROUSSEAU JUGÉ PAR ETIENNE DUMONT Pages oubliées et pages inédites

A. INTRODUCTION

Etienne Dumont (1759-1829), le fameux collaborateur de Mirabeau, l'éditeur sagace et désintéressé de Bentham, légua ses manuscrits à ses petits-neveux Frédéric Sordet (1795-1865), l'ami de Gœthe, et JacobLouis Duval (1797-1863), procureur-général et professeur de droit à Genève. Entre autres publications, ce dernier tira des documents hérités deux études sur Rousseau qui parurent dans la Bibliothèque universelle de Genève, en 1836. Trente-quatre ans plus tard, le Dr André Duval, fils de Jacob-Louis, remis les orignées ci-après, intéressent Rousseau les titres transginaux à la Bibliothèque publique de sa ville natale ils y sont conservés dans le portefeuille coté Ms Dumont 47/Ms inventaire 544 plusieurs pièces, désicrits entre parenthèse ne sont pas de la main de Dumont ils appartiennent à un classement ultérieur. Inventaire partiel du portefeuille folios 11-18 < Essai de. » 19-24 (Sur le Contrat social) 25-38 « Sur le caractère général des écrits de Rousseau 40-48 (Fragments sur les œut/res de Rousseau) 5261 « Observations sur le style de Rousseau » 62-71 « Suite. Stile » 72-83 « Observations, etc. Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes. » 84-91 Rousseau. Discours sur l'inégalité des conditions. Note 1, p. 188 » 92-95 « Note sur un passage de Rousseau. Discours sur l'inégalité des conditions. Note 1, p. 188 » 96-99 « Discours sur fEco-


nomie politique » 100-103 « Confessions de J. 7. 104-109 « Emile » 112-113 (Causes du succès de Rousseau les mœurs sous Louis XV) 114-116 « Observations sur deux traductions du premier livre des Histoires de Tacite l'une par Rousseau, l'autre par Dureau de la Malle » 39, 49-51, 110-111, 117, folios blancs.

A l'occasion du centenaire de la mort de Dumont (1829), il avait paru opportun de recueillir dans les Annales cinq fragments importants de cette collection, savoir les deux mémoires déjà connus, d'ailleurs incomplets et peu accessibles, plus trois inédits une question de priorité a différé cette publication.

Dumont songeait-il à consacrer un volume à son grand concitoyen ? Ses carnets de notes journalières, inédits à quelques lignes près, ne nous le disent pas, et taisent aussi le moment où ces réflexions critiques furent rédigées. Sur ce dernier point, le papier utilisé vient à notre aide de fabrication anglaise, il est pourvu de filigranes aux millésimes de 1794, 1801, 1804 et 1807. Combinons ces données externes aux renseignements fournis par les textes eux-mêmes pour en déterminer la chronologie.

« En examinant les écrits de Rousseau, je ferai voir », déclarent les Observations sur le caractère (f° 25-38) ainsi, elles devaient servir d'introduction à toute la série énumérée plus haut. Elles disent encore « Chez un peuple qui auraient des moeurs simples et pures, on devrait souvent l'accuser (Rousseau) d'imagination. Je me rappelle en avoir porté ce jugement dans ma jeunesse, et l'avoir rétracté après un long séjour chez le peuple pour lequel il avait été écrit. » Or Dumont résida en France pen-


dant les années 1789 et 1790 il retourna plusieurs fois à Paris tout cela donne un total de mois et d'années équivalent à « un long séjour ». De plus, en 1790, il avait trente-et-un ans, et pouvait considérer sa jeunesse comme un passé lointain, car, aux alentours de 1800, l'on se sentait vieillir plus rapidement qu'au temps présent, si l'on en croit les mémoires et les modes. Le filigrane indique 1794, et nous serions disposé à placer ce morceau en 1798, pendant les loisirs d'une villégiature prolongée à Bath.

Le jugement sur le Style de Rousseau (f° 52-71) implique la lecture du livre XII des Concessions il est donc postérieur à 1789, et le filigrane porte 1794. Retenons cette remarque inédite du ms. Dumont 47 (f" 10l") « On a supprimé des faits et des passages indécents ou ridicules dans la première édition des Confessions, car je crois que depuis on en a publié une complète En 1782, Paul Moultou avait offert à la curiosité publique les livres 1 à VI, et en 1789, Pierre Moultou avait donné les livres VII à XII, fournissant par là la première édition complète de cette œuvre étonnante mais le père et le fils avaient opéré des retranchements que Dupeyrou, en 1790, et les éditeurs parisiens, en 1798, rétablirent d'après les manuscrits. Son journal montre que dès le 8 novembre 1801 Dumont était à Paris le 20 décembre, il rencontrait Mme d'Houdetot (cf. ms. Dumont 5 bis, f° 49", ou Pierre Kohler, Alme de Staël et la Suisse, p.279). Quel rappel des Confessions Le ms. Dumont 47, f° 103" continue « II a écrit quatre ou cinq volumes qui n'ont que lui pour objet, ses Confessions, les Rêveries du Promeneur solitaire, le Rousseau juge de Jean-Jacques, les Lettres à Malesherbes et un nombre considérable de lettres. Ces divers ouvrages,


quoique purement relatifs à son caractère, pleins de redites, m'ont toujours paru intéressants, et instructifs. Tous parurent entre 1780 et 1789 à partir de 1789 les recueils épistolaires s'étaient multipliés, tant à Genève qu'à Paris en 1803 paraissait la volumineuse Correspondance avec Mme de Latour de Franqueville et Dupeyrou qui, à elle seule eût justifié l'expression de « nombre considérable de lettres. » C'est un jalon il y a mieux au folio 10l", Grimm est qualifié de « M. Grimm » ne faut-il pas en déduire que le farouche ennemi de Rousseau vivait encore ? or il mourut le 19 décembre 1807 cette année est celle-là même du filigrane. Pour ces multiples motifs, notre fragment sur les Confessions (fo 100-103) pourrait être de cette année ou de la suivante.

Les Causes du succès de Rousseau sont transcrites sur un papier au filigrane de 1804.

Les Remarques sur la traduction de Tacite (fo 114116) appellent quelques considérations, non seulement à cause de Rousseau, mais encore vu la notoriété du labeur de Dureau de la Malle. « Dureau consacra seize ans à ce grand travail déjà tenté vainement par J. J. Rousseau et d'Alembert. Leurs efforts infructueux semblaient déclarer une pareille tâche impossible Telle est l'opinion de Saint-Prosper jeune dans le Dictionnaire de la conversation et de la lecture (2" édition, Paris. 1854, t. VIII, p. 204) il est vraisemblable que le même jugement était porté dans la l'e édition, 1832, que je n'ai pu consulter. En 1753, d'AIembert publiait des Mélanges de littérature, d'histoire et de philosophie. Berlin, 2 vol. in-12. L'Avertissement, p. X, dit « des amis à qui j'en ai fait part, m'ont voulu persuader de donner une traduction en-


tière de cet écrivain inimitable », c'est-à-dire de Tacite, dont il s'est borné, tome II, p. 165-359, à rendre des passages empruntés aux Histoires, aux Annales, à la Germanie, à Agricola. Serait-il invraisemblable que Rousseau eût reçu dans ce cercle l'idée de s'attaquer au même labeur que le fameux mathématicien ? Les deux hommes se connaissaient antérieurement à 1750 (cf. Th. Dufour, Annales J. J. Rousseau, t. II, p. 154, n. 1 L. J. Courtois, Chronologie, p. 56). Chose certaine, Rousseau se mit à cette traduction lors de son séjour à Genève, en 1754 (cf. Con f essions, II, VIII, éd. Hachette, t. VIII, p. 281). Et voici comment Jean-Jacques appréciait cet effort « J'ai traduit, tant bien que mal, un livre de Tacite, et j'en reste là. Je ne sais pas assez de latin pour l'entendre, et n'ai pas assez de talent pour le rendre. Je m'en tiens à cet essai je ne sais même si j'aurai jamais l'effronterie de le faire paraitre », déclarait-il à Vernes, le 18 novembre 1759 (éd. Hachette, t. X, p. 219, ou Corr. gén., éd. Dufour, t. IV, n° 699, p. 336). Jean-Baptiste-Joseph-René Bureau de la Malle, 1742-1807, publia en 1790 les Œuwes comptes de Tacite, traduction nouvelle, Paris, Théophile Barrois le jeune, 3 vol. in-8". Lié avec d'Alembert, La Harpe, Chamfort, Suard, Delille, il avait donné précédemment, en 1776, une version française du Traité des Bienfaits de Sénèque. Dumont dit expressément « Monsieur Dureau de la Malle », ce qui pourrait impliquer que l'auteur est encore en vie, ou l'était récemment en fait, Dureau mourut le 19 septembre 1807. Dès 1808 paraissait une deuxième édition de son Tacite, accompagnée du texte latin, revue et corrigée avec le plus grand soin par le fils de l'auteur, Paris, L. G. Michaud, 5 vol. in-8". Les citations de Dumont


reproduisent le texte de 1808 je n'ai pu trouver la première édition, mais il est probable qu'Adolphe Dureau n'eut pas le loisir de modifier la traduction de son père, tandis que les éditions ultérieures présentent des divergences avec la deuxième. Ainsi, nulle raison de ne pas dater ce morceau de Dumont des années 1807-1808, comme au surplus paraît y inviter le filigrane de 1807.

Dumont vante les mérites de la traduction de Rousseau dans les termes que reprendra un latiniste moderne, M. Léon Herrmann, Rousseau traducteur de Sénèque (cf. Annales J. J. Rousseau, t. XIII, p. 215224). Encore un domaine où le Citoyen, l'ancien étudiant des Charmettes, s'est distingué en polygraphe intelligent vigueur du trait, fidélité au sens, maintes fois élégance du style.

L'écriture soignée de ces cinq fragments pourrait faire songer à une mise au net d'un brouillon, ou à une rédaction de premier jet supposant une sérieuse méditation préalable. Dans le premier cas, les brouillons primitifs pourraient être antérieurs aux millésimes des filigranes dans le second, les textes pourraient être contemporains, ou presque, de ces dates extrêmes, 1794 et 1807, lesquelles fixeraient la rédaction des divers morceaux au séjour en Angleterre, pays que Dumont quitta définitivement pour Genève en mai 1814. En tout état de cause, il s'agit de pages isolées sans que l'on soit à même d'imaginer le plan du volume que Dumont projetait peut-être. Mais la disparité des formats, in-4". parfois plié en in-8", et surtout les négligences, abréviations et fautes d'orthographe qui sont choses naturelles dans un brouillon rapide, mais intolérables dans une copie destinée à


l'imprimeur, ou même dans une copie dénnitive que l'auteur désire conserver par devers lui, incitent à croire que ce ne sont là que des brouillons alors s'expliquent et s'excusent les auj (aujourd'hui), mon Prof. (mon Professeur), M. Grim (M. Grimm), embrassèrent (embrassa), charmait (charmaient), offenses (offensent).

Nous rétablissons les mots abrégés et corrigeons les graphies erronées, comme aussi nous modernisons l'orthographe, ce qui ne modifie guère l'aspect des originaux, ainsi que l'avait déjà estimé l'éditeur de 1836. Les particularités graphiques de Dumont sont représentées par les exemples suivants qui ressortissent à plusieurs catégories de mots avoit, reüssir, generale, secrette, modelle, appercevoir, grouppe, datte, symmétrique, stile, méchanique. Quant à la ponctuation l'original utilise souvent les deux-points avec la valeur du point et virgule la virgule fait défaut parfois, d'autres fois elle est superflue nous l'avons maintenue. Enfin, les titres des ouvrages de Rousseau sont rarement soulignés.

Ces matériaux, fort dégrossis dans l'état où nous les possédons, il est hors de doute que Dumont les eût retouchés avec le souci méticuleux du juriste respectueux des textes et de la langue, épris d'ailleurs d'idées générales précises. Mais, tels quels, ils offrent cet intérêt d'être tout vibrants de l'émotion d'une lecture approfondie, d'être les témoins des réactions intellectuelles et sentimentales d'un réaliste et comme le grand libéral genevois représente la deuxième génération rousseauiste, ces documents sont précieux dans l'histoire des idées Dumont les rédigeait par diversion de ses travaux de politique, d'économie publi-


que, de droit il y faisait œuvre originale de critique psychologue, et il nous plaît de retrouver dans ces pages l'esprit qui n'a cessé d'animer les Annales de notre Société depuis leur fondation étudier le philosophe de Genève sans haine ni faveur, et rechercher l'homme sous l'écrivain, Jean-Jacques sous Rousseau.

Louis J. COURTOIS.

B. FRAGMENTS D'ETIENNE DUMONT

LE CARACTÈRE GÉNÉRAL DES ÉCRITS DE ROUSSEAU (')

Il est peu d'écrivains qui aient autant mis de personnalité dans leurs écrits que J.-J. Rousseau le moi s'y montre partout ce n'est pas le moi de l'égoïste, ce n'est pas le moi de l'homme vain c'est le moi de l'homme fier, c'est surtout le moi de l'homme singulier Je ne suis pas comme les autres. La nature en me formant a brisé le moule où elle m'a jeté, etc. On ferait des pages de déclarations de cette espèce. H s'est toujours regardé comme un être unique parmi ses contemporains, comme le seul sur qui la nature eût imprimé son sceau en caracMs. Dumont 47. f' 25-38. Duval avait intitulé ces fragments: Observations sur le caractère et les écrits de Rousseau (Bibliothèque universelle de Genève. Nouvelle série. Première année. Tome second, mars 1836, p. 127-135. Genève-Paris).


tères ineffaçables, et il s'étonnait de lui-même, il se considérait comme le seul reste des empreintes originelles de l'humanité dont les hommes ne lui présentaient que des copies défigurées et imparfaites. Ce n'est pas qu'il n'ait bien senti ses vices, et qu'il ne les ait avoués avec une franchise intrépide qui lui plaisait encore par sa singularité, mais il disait aux hommes « Ces vices sont votre ouvrage, c'est le fruit amer de vos institutions, et je vous le reproche comme des maux que vous m'avez faits. Je n'en suis pas moins le type primitif de tous les sentiments qui constituent la véritable dignité de la nature humaine. Ma conscience m'impose la tâche d'offrir à un siècle abâtardi le modèle de cette aimable nature, qu'ils ont défigurée et que je retrouve dans mon cœur. Que d'autres écrivent pour être admirés par leur génie ou leur science, moi je n'écris que pour ramener les hommes à leur institution originelle. L'œuvre de la société est un contre-sens éternel, et nos arts, nos sciences, nos gouvernements, notre religion, notre philosophie, ne nous présentent que de splendides erreurs, ou tout au plus des palliatifs passagers pour des maux qui sont leur ouvrage.

Quand on considère ce projet d'attaque contre toutes les institutions, on sent d'abord que l'auteur n'a pu s'y livrer qu'avec un sentiment d'enthousiasme. Imaginer que Rousseau a su se mettre ainsi en attitude d'opposition contre tout son siècle par le seul désir de se singulariser au moyen de ses paradoxes, c'est à mon gré supposer l'impossible. Je sens dans ses écrits une sensibilité si profonde, il y a une gravité si soutenue, il paraît tellement pénétré de l'importance de ses idées que je ne puis l'attribuer qu'à une conviction intime. Je comprends assez son caractère pour m'expliquer la part de l'orgueil dans ce rôle extraordinaire mais si l'orgueil l'a soutenu, ce n'est pas l'orgueil qui l'a inspiré. Une persuasion vive, une foi sincère dans ses opinions, un désir ardent du bonheur de l'humanité, une indignation


longtemps concentrée contre les désordres et les injustices de nos institutions sociales voilà ce qui a donné à ses écrits cette chaleur, ce ton exalté et cette éloquence tantôt sombre, tantôt ravissante qui n'a point eu de modèle, et qui probablement ne se reproduira jamais. Rousseau étant donc animé par un véritable enthousiasme aura les beautés et les défauts qui résultent de ce sentiment il aimera en tout genre les opinions fortes et décidées il prendra parti pour ou contre, sans se prêter aux modifications, sans chercher le vrai dans les termes mitoyens il sera impitoyable dans les conséquences de ses principes le travail lent et patient de l'analyse, les définitions, la méthode, les abstractions ne plairont pas à son génie ardent et fougueux. Dès qu'il aura conçu que les arts et les sciences corrompent les mœurs, il poussera son système jusqu'à préférer la vie sauvage à la civilisation. Dès qu'il aura décidé que la liberté ne peut exister que dans )a démocratie, il prononcera hardiment que tous les gouvernements de la terre ne sont que des usurpations, et que partout l'homme est dans les fers. On comprend qu'avec cette disposition, il sera extrême en tout, et peu lui importera d'être impraticable il n'entreprend pas d'allier le bien avec le ma), il ne considère pas les moyens d'exécution tout cela demanderait des détails, des accommodements, des tempéraments, et son génie inflexible ne s'y prête pas (1). Liberté, égalité, nature et mœurs, voilà les quatre mots qui servent de point d'appui au levier de Rousseau pour ébranler, pour attaquer toutes les institutions sociales. On ne saurait disconvenir que les idées attachées à ces quatre mots ne soient vagues et indéterminées ces mots (1) (En marge): Note. Ceci a des exceptions; témoin son essai sur le gouvernement de la Pologne; dès qu'il n'est plus dans le monde abstrait, dès qu'il opère sur le monde réel, il cesse en grande partie d'être enthousiaste, et il sent avec force que pour réussir, il faut partir de l'état actuel des choses et n'innover que par degrés.


appartiennent plus à la déclamation qu'à la philosophie. C'est le principe sentimental, le principe de sympathie et d'antipathie, principe dogmatique et tranchant, qui exige qu'on se soumette à lui et qui ne veut pas se soumettre à la raison commune.

En examinant successivement les ouvrages de Rousseau, je ferai voir que ses opinions exagérées n'ont pu produire aucun bien positif, qu'elles ont désorganisé un grand nombre de têtes, qu'elles sont inconciliables avec la constitution de l'humanité, et vraiment destructrices de tout gouvernement.

Laissons Rousseau sous ce rapport politique et systématique, et saisissons le caractère de ses écrits sous le point de vue moral.

Il tenait de la nature un cœur porté à l'amour, à l'amitié, à l'humanité, à toutes les affections généreuses et douces. Le tableau de deux époux unis, l'innocence et la simplicité de l'enfance, l'image des vertus privées, l'ordre, la probité, la vérité, la bienfaisance, l'harmonie domestique, les plaisirs purs de la vie champêtre, se présentaient à lui avec un charme que personne n'a senti aussi vivement et n'a su peindre avec un coloris si délicieux. Voilà ce qui attache le cœur à ses écrits. Voilà ce qui leur conservera une vie, une fraîcheur qui ne se flétrira jamais, lors même que la partie systématique de ses ouvrages aura subi le sort que lui prépare l'exament sévère de la raison et qu'on le jugera généralement comme il a été jugé par les philosophes de son siècle.

Les mœurs en France, et surtout à Paris, s'étaient profondément ressenties de cette époque licencieuse de la régence, de cette cour qui avait foulé aux pieds toute espèce de bienséance et de dignité, et qui avait presque éteint ces sentiments nobles et fiers, cet honneur personnel si remarquable dans le siècle de Louis XIV. Ce tableau se retrouve dans les Mémoires de Duclos, et prouve que tout tendait à la mollesse, à la cupidité, à


t'égoïsme. La cour était corrompue, la ville aspirait à ressembler à la cour, et les vices de la capitale étaient la politesse de la Province. Ces traits généraux sont du style déclamatoire mais les faits sont à l'appui de ces imputations. Voyez la vie d'un duc de Richelieu songez que cet homme qui eût été couvert de mépris en Angleterre, était honoré et tout puissant à la cour de Louis XV, et vous aurez dans cet exemple seul l'histoire des mœurs du temps.

Rousseau vit ces mœurs, et c'est dans la lie de Rome qu'il fit entendre la censure de Caton. Son succès n'est pas ce qui m'étonne. Les siècles les plus dépravés sont ceux à qui la forte morale, mêlée de traits satiriques, plait davantage. Elle charme les classes moyennes, où la vertu reste toujours plus en honneur, elle leur offre la seule vengeance qu'elles (') puissent goûter, elle tonne sur la tête des hommes vicieux et accrédités, elle exerce une magistrature qui surprend, et qui plait dans l'affaiblissement des mœurs et des lois; et plus elle otrense les classes dominantes, plus elle console les classes opprimées. Elle n'est pas même sans attraits pour ceux qu'elle attaque l'amour-propre leur déguise en partie ce qui les concerne, et plus ils connaissent les bassesses du monde, plus ils sentent les applications de ces traits mordants et fiers. Dans la mollesse qui gagne tout, une voix énergique, une morale austère est une nouveauté qui plaît par le contraste. De vieux débauchés peuvent se plaire à l'image de l'innonence et de la vertu. Rousseau, qui connaissait son siècle et ses lecteurs, avait soin de tempérer la sévérité de sa morale par les accents les plus doux et les plus passionnés de la tendresse et de l'amour. A l'âpreté d'un Spartiate, il unissait les sentiments voluptueux de l'Arcadie, et le goût d'un Athénien. Jamais la vertu n'avait parlé un langage plus sévère et moins pédantesque il avait vu l'empire des femmes, et

Ms.: ils.


loin de vouloir diminuer leur ascendant, il semblait jaloux de l'augmenter il leur reprochait de l'affaiblir par la galanterie, il voulait retremper leurs armes usées, et leur en donner de nouvelles, qui devaient étendre leurs conquêtes et les assurer. Aussi les femmes, quoiqu'elles fussent l'objet de ses reproches les plus amers, furent en France les plus ardentes à l'admirer. Il ne voulait pas qu'elles eussent des amants, mais des adorateurs et des injures passionnées charmaient le sexe qui ne craint, de la part du nôtre, que l'indifférence et la tiédeur. Elles ne craignaient pas qu'il sortît de l'école de Rousseau des sages insensibles aucun homme ne pouvait le lire de sang-froid, et le charme qu'il répandait sur ses écrits était tout entier au profit des femmes comme épouses, comme mères, ou comme amantes. Racine et Voltaire, dans leurs pièces les plus séduisantes avaient fait pour elles moins que Rousseau dans son Héloïse et dans son Emile.

Il me paraît que ses ouvrages doivent perdre beaucoup de leurs beautés fières pour ceux qui ne connaissent pas les mœurs de la France et surtout de Paris, à l'époque où il les a composés. II faut les mettre dans ce cadre pour en bien juger l'esprit et pour en saisir toutes les beautés. Il y a mille traits délicats, mille observations fines qui doivent échapper hors de ce point de vue. Chez un peuple qui aurait des mœurs simples et pures, on devrait souvent l'accuser d'exagération, comme Juvénal. Je me rappelle en avoir porté ce jugement dans ma jeunesse, et l'avoir rétracté après un long séjour chez le peuple pour lequel il avait écrit. II y a une optique pour la morale, une localité pour les descriptions, une application qui ne peut se faire que d'après une connaissance intime des lieux et des temps. Un homme d'esprit, bien versé dans les mœurs de la Cour de France, M. de Talleyrand me disait « quand on lit Rousseau, on se croit au confessionnal >. On peut l'aimer et l'admi-


rer partout, mais je suis persuadé qu'on ne l'a compris tout entier qu'à Paris.

Il fallait, par exemple, connaître l'éducation française, il fallait avoir observé l'espèce de culture qu'on donnait à la première jeunesse, le soin particulier de l'extérieur, la connaissance précoce du monde, le babil orné et présomptueux de ces poupées spirituelles, de ces petits hommes de dix ans, pour bien entendre l'espèce de paradoxe que Rousseau avait soutenu dans son Emile il luttait contre une habitude universelle, contre un système général il exagérait quelquefois dans un sens pour donner plus de force et de saillie à son opposition. Il mesurait son effort sur la puissance des opinions enracinées qu'il voulait détruire. Ce n'est pas une serpe qu'il emploie pour émonder une branche gourmande c'est la hache dont il frappe le tronc d'un arbre noueux endurci par le temps, et sur lequel des coups plus faibles se seraient amortis sans effet.

Si la passion de l'amour dans son but légitime et dans ses jouissances avouées, fut celle qui attacha le plus à ses écrits cette partie de la société qui a tant d'influence sur l'autre, il est un sentiment non moins puissant, plus durable, plus universel, plus facile à exalter, que Rousseau mit en couvre avec une énergie qui n'a jamais appartenu qu'à lui. Je parle du sentiment de l'égalité, de la liberté, de la fierté républicaine dans toutes ses modifications. D'autres avaient attaqué les préjugés de rang et de naissance, d'autres avaient dit qu'on ne devait ni s'humilier ni s'enorgueillir de ces accidents de Ta fortune; d'autres avaient fait la satire de la noblesse et de la grandeur. Ce genre d'attaque n'est pas celui de Rousseau. Se plaçant par une fiction hardie à l'origine des conditions, il les fait naître pour les juger, il voit l'inégalité sortir de la violence et de l'oppression, il fait l'histoire de ces établissements de rang et de puissance, et cette histoire devient leur condamnation, et ne présente à ses yeux qu'un long forfait dont l'humanité doit être fatiguée. Ainsi la no-


blesse n'est plus une prérogative, c'est un crime ce n'est pas assez de n'en être pas fier, il faut en être honteux et que l'usurpation soit de date ancienne ou nouvelle, l'abdiquer est un devoir, et pour être homme, il faut cesser d'être noble. Ainsi, portant l'attaque dans le sein même des conditions supérieures, il leur demande compte des malheurs du genre humain, et les accuse de cette association qui a toujours existé entre le despote qui écrase le peuple, et les grands qui se font les instruments de sa servitude. Ce fier sentiment d'égalité qui respire dans tous ses écrits, cette haine contre les classes dominantes, est un des attraits les plus forts pour la multitude des lecteurs, qui sentent dans ses écrits un vengeur qui plaide la cause du peuple, un réparateur des ruines de la nature humaine. Un artiste célèbre disait qu'après la lecture d'Homère tout lui paraissait sous des formes agrandies les hommes de ce temps lui paraissaient des géants de douze pieds, et ses contemporains étaient rapetissés à ses yeux. Rousseau semble avoir vu les anciens avec la même exagération il a fait des anciennes républiques une espèce de poème épique où tout s'agrandit, et les modernes, vus par comparaison avec les hommes d'autrefois, ne sont plus que des ombres et des pygmées. Je suis loin d'adopter ces fictions doublement mensongères mais il est aisé de sentir l'effet de cet enthousiasme sur la jeunesse et les têtes ardentes. Le mépris qu'il inspire pour les institutions modernes fait fermenter l'imagination. Se mettre à la place de ce qu'on admire est le premier mouvement du cœur humain. Se croire citoyen de cette république imaginaire, devient le roman du jeune homme qui se sent digne d'être quelque chose, et qui se voit enchaîné à un ordre social dans lequel il se regarde comme dégradé. Ceux mêmes sur lesquels ces sentiments républicains n'ont pas de prise ont joui de l'abaissement de toutes ces petites grandeurs qui les humilient. On se sent, après avoir lu Rousseau, plus grand, plus indépendant,


plus fier, et s'il reste dans l'âme quelque fibre qui ne soit pas paralysée, il l'électrise, il l'excite, et se sert de cette première étincelle pour rallumer le feu sacré de la liberté.

(*) Cet esprit de liberté qui donne le ton général à ses écrits porte principalement sur trois idées dans le gouvernement, forme répubHcaine exaltation des anciennes cités. Admiration excessive pour Sparte et pour Rome c'est lui qui surtout a mis en honneur ce nom de citoyen, qui l'a opposé avec tant de fierté à la noblesse des monarchies, et qui le premier a expliqué aux Français le véritable sens de ce mot, méconnu même par leurs publicistes, et depuis si malheureusement prostitué dans les excès de la révolution.

2° Antipathie contre les classes élevées et dominantes dans la société contre la grandeur, la noblesse, l'opulence même j'ai déjà observé quel ordre d'attaque il a suivi à cet égard dans son discours sur l'origine de l'inégalité des conditions mais on voit le même plan dans tous ses écrits veut-il présenter le modèle d'un sage, d'un philosophe religieux, c'est un pauvre vicaire savoyard, c'est un homme qui n'a pas un lieu pour reposer sa tête qu'il offre à l'amour et à l'admiration de ses lecteurs dans son Héloïse, le nœud de l'intérêt est formé par le préjugé d'un gentilhomme qui sacrifie le bonheur d'une fille chérie plutôt que de souffrir qu'elle déroge en faveur d'un plébéien qui n'a pour lui que son mérite et ses vertus. It est vrai que dans ce même roman, il introduit un noble qu'il peint comme doué d'une grande âme et d'une raison sublime mais ce noble est un Anglais, et de plus c'est un homme qui ne voit dans le préjugé de la naissance qu'une opinion avilissante pour l'humanité. Sa lettre à l'Archevêque de Paris est Toute cette fin est inédite; le texte remplit un cahier, f* 3537. Dumont Fa intitulé: Suite: Sur le caractère général des écrits de Rousseau.


un modèle de cette dignité qui n'appartient qu'à l'individu, opposée à celle des grandeurs et de la puissance. Avec quelle force voilée par la bienséance, avec quel respect accablant, il repousse les imputations qui ont été lancées contre lui de la chaire sacerdotale Comme il paraît grand, et comme il rend petit cet adversaire qui, du haut de son trône épiscopal, a voulu l'écraser d'une foudre impuissante.

[Il est vrai que ce fut là son dernier effort d'énergie. Depuis la persécution suscitée contre lui, son âme parut succomber sous le poids des injures son imagination effarouchée crut trouver partout les preuves d'une conspiration universelle formée pour le déshonorer, mais, dans sa faiblesse même, on le plaint sans le mépriser, ce n'est pas le courage qui lui manque, ce n'est pas la persécution qui l'effraye, c'est l'image de la haine qui trouble son cœur, la malveillance qu'il éprouve et qu'il exagère est un genre de tourment auquel une âme aimante ne sait pas résister.] (*)

3° Ce même esprit d'indépendance l'a porté à attaquer ce qu'il appelle l'opinion c'est par l'opinion que les hommes s'enchaînent réciproquement c'est par l'opinion qu'ils estiment de faux biens, de fausses vertus, qu'ils redoutent des maux imaginaires c'est par l'opinion qu'ils se tourmentent pour jouir d'un bonheur apparent auquel ils sacrifient le bonheur réel. Rousseau cherche donc à armer ses lecteurs contre cette puissance et à renverser ce trône d'une tyrannie plus dure à elle seule que tous les despotismes du monde. La politesse qui est une branche de cet empire de l'opinion n'a pas trouvé grâce devant ses yeux. Il aime cent fois mieux la rusticité, la sauvagerie, tout ce qui fronde ouvertement la corruption polie, et la coupable science qui ne sert qu'à voiler les Dumont a enfermé ce paragraphe dans une parenthèse tracét à l'encre et l'a fait précéder du mot déplacé noté à l'encre dans la marge (f 36).


vices et dissimuler une partie de leur laideur. Voilà un fonds intarissable de sentiments et de pensées, dans lequel il y a un tel mélange de vrai et de faux et qui porte sur des idées si vagues, si déclamatoires qu'on ne saurait y trouver aucune base solide. J'aurai lieu de les examiner plus en détail, et de prouver que ce que Rousseau appelle l'opinion n'est autre chose que le désir d'être estimé des hommes, pris dans un sens défavorable, en supposant que ce désir d'estime s'attache à des actions immorales. L'opinion, dit-il quelque part, est le trône de la vertu des femmes et le tombeau de celle des hommes. L'obscurité de cette maxime provient de ce qu'il ne distingue pas les objets bons ou mauvais par lesquels on cherche à captiver l'estime des hommes.

4° C'est dans le même esprit que Rousseau a voulu ramasser les opinions communes sur les degrés d'estime et de considération attaché (sic) aux professions et aux travaux des arts. Le travail, source de l'indépendance, le travail est à ses yeux le devoir de tous, l'obligation imposée par la nature, dont on ne peut s'affranchir sans crime.

II

OBSERVATIONS SUR LE STYLE DE J.-J. ROUSSEAU n Buffon, dans son discours de réception à l'Académie Française, a fait un traité de l'art d'écrire, dans lequel il donne l'idée la plus juste de son propre style (1) et de Ms. Dumont 47, f' 52-71. Publié par Duval (Bibliothèque universelle, etc. Avril 1836, p. 298-313).

(1) Note 1. Style. Quand on parle du style d'un écrivain, on en-


ses idées de composition. Rousseau, dans la variété de sujets qu'il a traités, a parlé fort peu de littérature, il n'a rien dit, en fait de style, qui puisse nous aider à découvrir les secrets particuliers du sien. 11 semble avoir eu une admiration particulière pour Tacite, le Tasse et pour Racine mais on connaît très peu ses goûts littéraires il a moins porté de jugements de cette espèce qu'aucun écrivain distingué il nous a dit seulement que Diderot avait été son plus grand modèle, qu'il avait étudié avec soin les formes de ses Pensées philosophiques, et je crois avoir souvent observé dans Rousseau les effets de cette imitation, quoiqu'il ait surpassé son maître.

Je ne voudrais pas m'arrêter sur ce qu'il y a de commun entre le style de Rousseau et celui de tous les grands écrivains ce premier art de disposer, de distribuer la matière de façon à produire la clarté, l'intérêt, le crescendo, de conformer le ton du style à la matière du sujet, de se développer ou de se resserrer selon le but qu'on se propose ce second art de plaire, de cacher le travail, de répandre des couleurs, de faire valoir par des contrastes, de s'élever de l'idée aux images et des images aux sentiments ce troisième art qui semble purement mécanique et qui tient à la sensibilité, de flatter l'oreille par l'harmonie tout cela forme la base des qualités tend en généra) tout ce qui concerne la manière de sa composition, sans y comprendre le fond des opinions mêmes; on entend la diction proprement dite, ainsi que l'arrangement de ses idées, et les diverses formes sous lesquelles ii les présente pour les faire comprendre ou adopter. Le style, dans ce sens général, embrasse toutes les qualités comprises dans l'art d'écrire à la seule exception du jugement ou de la science qui constitue le fond de l'ouvrage. La Théorie de la terre, et les Epoques de la nature de Buffon, sont des chefs-d'ceuvre de style, quoique le système soit regardé comme faux par les physiciens et les géologues. Les protestants qui ont réfuté Bossuet en attaquant ses arguments n'ont jamais nié la majestueuse simplicité de son style.


qui appartiennent à tous les auteurs du premier ordre, et peut se dire également de Platon, de Cicéron, de Bossuet, de Fénelon, de Burke et de Buffon. Mais je voudrais saisir quelques-uns des traits les plus saillants, les perfections les plus éminentes, et peut-être aussi les singularités, les défauts mêmes qui lui donnent une physionomie particulière en sorte qu'on ne dise pas seulement, voilà une belle tête, mais voilà la tête de Rousseau, c'est lui, ce n'est pas un autre.

Première observation générale. La composition de Rousseau est fort travaillée; on s'aperçoit d'abord qu'il n'y a pas de cessation de soin, rien d'abandonné dans la phrase, rien de décousu ni de hors de place son ton familier est encore plus soigné que son ton noble, ses morceaux de badinage et d'ironie ont été peut-être plus retouchés que ses morceaux de verve on voit toujours qu'il compose une tettre même est un ouvrage. It n'avait pas besoin de nous le dire on le sent assez. Il ne faut que passer de la lecture de Voltaire à celle de Rousseau pour sentir que le premier se joue en écrivant, et que le second travaille. Aussi prend-on plus de plaisir à l'un qu'à l'autre, selon la disposition particulière où l'on se trouve, selon qu'on a besoin de laisser aller son esprit sans gêne ou de l'occuper fortement. Mais ce style soigné et correct, où tout s'enchaîne et se prépare de loin, est tout à fait exempt des défauts ordinaires attachés à une composition lente et pénible point de nombres réguliers dans les périodes, point de phrases construites sur les mêmes modèles, à deux temps, ou à trois, ou à quatre, point d'arrangements symétriques comme dans Fléchier, point de précision affectée comme dans Tacite. Sa phrase est libre et variée on n'aperçoit pas le mécanisme du faiseur, il ne se copie point, il n'a pas de refrain, de rondeaux, de moules connus il ne procède pas par interrogations, par émunérations, par antithèses, en un mot il n'affecte aucune des formes dont


on trouve les noms grecs dans les rhétoriques; c'est une marche soutenue, plus lente ou plus rapide selon le sujet, ce n'est pas une danse mesurée comme dans les Incas de Marmontel ou dans un grand nombre de passages de M. Necker.

Non-seulement il n'a pas de coupe uniforme pour ses phrases, mais encore il a une variété de style plus grande qu'on ne le croit communément. L'Emile, la Nouvelle Héloïse, la Lettre à d'Alembert, ses ouvrages polémiques, ses deux Discours oratoires, son Poème du Lévite, ses Lettres sur la botanique, son Dictionnaire de musique, présentent des différences de style qui montrent la souplesse et la justesse de son esprit qui savait toujours s'assortir au genre et trouver les beautés qui lui conviennent. Le genre où il me paraît avoir eu les succès les moins brillants, c'est le didactique (1). Je ne suis pas juge du mérite intrinsèque de son Dictionnaire de musique et de botanique mais son Contrat Social, à ne considérer que la manière, est au-dessous de ses autres productions. Le genre de l'auteur est entravé dans les sujets qui ne lui permettent point de déployer sa sensibilité, et où il faut avancer de propositions en propositions. Rousseau n'est pas à son aise dans le genre abstrait il s'y soutient mal, cette marche contrainte le fatigue, l'analyse le rebute elle exige une patience qu'il n'avait pas, il est plus abondant en assertions qu'en preuves, et il quitte le ton froid et impartial du raisonnement pour se jeter dans le style passionné Turgot me paraît bien supérieur à Rousseau dans la discussion philosophique.

La seule chose que Rousseau ait étudiée comme science, c'est la botanique aussi son dictionnaire, un ouvrage de définitions, est une espèce de triomphe sur lui-même car là l'imagination de l'auteur est asservie à la néces(1) (En marge, ce vers d'Horace (Odes, II, x, 19) omis par Duval).: Non semper arcum tendet (sic) Apollo.


sité d'expliquer tous les mots d'une langue difficile, et de les expliquer brièvement et sans ornement. Il ne s'est pas douté que la politique et la morale exigeaient le même travail et qu'on ne peut faire des propositions certaines qu'avec des mots définis. Ce mot nature qu'il a si souvent employé est le plus obscur et le plus vague de notre langue il en est de même du mot liberté, qui joue un si grand rôle dans ses écrits et auquel il n'a nulle part attaché un sens fixe (*).

Rousseau donne un soin particulier aux transitions, et il les prépare souvent de loin il n'y a point de style plus lié, plus fondu, formant plus un ensemble que le sien tout s'incorpore, tout s'unit, tout reçoit une impulsion commune et continue on ne voit pas où l'auteur s'est arrêté pour prendre du repos, on supposerait que tout est sorti d'un seul jet, tant le travail a fait disparaître les coutures, si je puis parler ainsi ou pour mieux dire, tant il s'était pénétré d'avance de son sujet, tant il s'en est rendu maître par la méditation. C'est un athlète qui parcourt sans repos une longue carrière, et qui, une fois élancé, semble recevoir dans sa course une vigueur nouvelle. Ce n'est pas qu'il n'abonde en digressions dans la plupart de ses ouvrages, mais il a toujours l'art de les enchaîner au sujet principal, de manière qu'elles servent de délassement sans détourner l'attention, et qu'on ne pourrait les supprimer sans former une lacune dans l'ouvrage.

Cependant Rousseau est un écrivain sentencieux, il est rempli de maximes, de pensées qu'on peut détacher, surtout dans l'Emile mais ces pensées tiennent au fond du sujet, et tellement qu'en les isolant pour les citer, elles perdent une partie de leur force ou de leur éclat qui tient à leur place et à leur ensemble.

Lisez, par exemple, la confession de foi du vicaire Paragraphe inédit, f° 55. En marge, au crayon, d'une écriture qui n'est pas celle de Dumont, le mot déplacé.


savoyard il n'est pas possible, sous le simple rapport de la composition, de se faire l'idée d'un discours plus lié et d'un tout plus parfait que celui-là. Les parties sont distinctes, mais elles sont si bien enchaînées, si bien subordonnées l'une à l'autre, que tout semble avoir coexisté dans son esprit, et que chaque pensée paraît aussi nécessaire où elle est, que les divers membres d'un être organisé, ou les portions d'un grand édifice dont on ne pourrait déplacer aucune sans défigurer ou sans ébranler le corps entier.

Ce mérite de Rousseau est d'autant plus remarquable, qu'à l'exception de Buffon, les auteurs les plus célèbres avaient adopté alors un style coupé et vif, dans lequel on supprimait les transitions, et où l'on imitait la conversation, où le plus grand défaut est de parler avec trop de suite. Voltaire entraînait tous les écrivains par son exemple. Montesquieu avait renforcé ce parti par son Esprit des lois, où il semblait avoir bravé toutes les règles de la composition pour ne présenter que des apophthegmes, des saillies et des sentences détachées.

Cet enchaînement, ce principe d'unité, est la première source de ce qu'on appelle chaleur du style le style peut être lié, comme dans Buffon, sans produire l'effet particulier auquel on donne ce nom mais un style décousu ne peut jamais avoir de chaleur. Ce vif degré d'intérêt qui résulte des passions émues suppose une continuité d'impressions du même genre nos sentiments ne s'animent que par degrés. La plupart des hommes sont lents à émouvoir, au moins par la lecture qui a en elle-même et par un effet mécanique, je ne sais quelle faculté somnifère. On n'échauffe les esprits que peu à peu et en les pressant longtemps dans la même direction.

Quand on regarde de près le style de Rousseau, on est charmé du nombre de liaisons qu'il admet, sans qu'on s'en aperçoive d'abord. On peut essayer de les suppri-


mer, la suppression paraîtra donner plus de rapidité, quelquefois plus d'élégance et d'effet mais à la longue, il en résulterait une espèce d'affectation, de dureté et de sautillement qui changerait le caractère de son style. C'est une intention bien marquée de la part de l'auteur car en général il fait grand usage de l'ellipse il n'admet pas un mot qui ne soit nécessaire, et s'il n'a pas retranché des liaisons qui paraissent quelquefois superflues, c'est choix, ce n'est pas négligence.

3. Un trait éminent, c'est l'art de peindre, c'est l'imagination. L'imagination de Rousseau ne consiste pas à présenter beaucoup de comparaisons et de métaphores. Voltaire a plus que lui de cette imagination. Burke la possède à un plus haut degré. Les métaphores de Rousseau sont presque toutes justes, et plus justes que saillantes. II en a sans doute de très belles mais son imagination se déploie dans un genre fort supérieur c'est dans l'art de faire des tableaux et d'inventer des situations. J'ai dit qu'il n'était pas à son aise dans le genre abstrait c'est pour cela qu'il cherche tous ses avantages dans la description ce talent de décrire est peutêtre le mérite le plus éminent. la perfection qui le caractérise le mieux.

Veut-il, par exemple, résumer les effets de sa méthode sur son Emile ? il s'arrête d'époque en époque à peindre m caractère, ses manières, ses idées, à le mettre sous vos yeux, à vous le représenter comme si vous étiez avec lui. Ce n'est plus un être abstrait, c'est un véritable individu que vous connaissez, et dont vous vous faites une idée si sensible que vous reconnaîtriez dans le monde un enfant qui lui ressemble.

Veut-il vous montrer la différence des vrais plaisirs et des plaisirs qui ne tiennent qu'à l'opinion, à l'ostentation de la richesse ? Il ne prend pas son exemple sur un homme vertueux qui ne tirerait pas enfer à conséquen-


ce (*); il le prend sur un épicurien, sur un homme qui n'a pour système que la jouissance immédiate et la sienne propre; et peignant son genre de vie, ses amusements, il met en tableau, en scène active, des observations qui eussent été froides et communes sous une forme générale.

Dans sa Lettre à d'Alembert sur la comédie, il veut représenter les mauvais effets du théâtre sur les mœurs d'un peuple simple et laborieux avant de raisonner, il fait le tableau d'une peuplade industrieuse et innocente dans les montagnes de Neuchâtel on ne saurait employer un coloris plus doux et des traits plus intéressants que les siens pour décrire des hommes simples, qui tirent tous leurs plaisirs des affections naturelles et de la culture de leurs talents. Avant qu'il déduise ses réflexions, le lecteur a conclu pour lui que l'introduction du théâtre serait fatale à ces montagnons. Dans les descriptions des belles scènes de la nature, Rousseau n'a point de supérieur celles des Alpes du Valais, dans la Nouvelle Héloïse, est égale à ce qu'il y a de plus beau dans Milton. Le début du vicaire savoyard, la description de la scène est assortie à la grandeur, à l'importance du sujet qui va se traiter. Dans les Confessions, ce genre de beauté abonde dans les six premiers livres. Et ce qu'il y a de remarquable, c'est l'art avec lequel chacune de ces descriptions est motivée, rendue nécessaire, fondée sur la situation du personnage, inséparable de ses sentiments et de son histoire par exemple, celle de l'île de Saint-Pierre est amenée si naturellement qu'elle devient partie essentielle de son récit. Dans les écrivains descriptifs, les descriptions semblent presque toujours des essais détachés, des morceaux de luxe, des accessoires qu'on peut retrancher, de brillantes inutilités, et se succèdent sans relâche comme les figures d'une lanterne magique.

Ces sept mots sont inédits.


Mais la plus grande preuve du talent éminent de Rousseau pour peindre des situations, c'est le succès avec lequel il a exprimé les scènes d'un bonheur uniforme et paisible en ce genre il n'a de rival que Milton (1), et Milton n'offre en ce genre qu'un petit nombre de passages encore faut-il convenir que Milton a pour lui, dans son Paradis terrestre, un merveilleux qui manque à Rousseau. Qui peut oublier la description des Charmettes dans les Confessions, l'Elysée de Julie, les soirées des vendangeurs, les fêtes genevoises dans sa Lettre à d'Alembert, son séjour dans l'île de Saint-Pierre, et un grand nombre d'endroits où il sait représenter le bonheur, je ne dis pas la jouissance, mais le bonheur calme, l'état durable d'une âme contente et d'un cœur en paix, par une suite d'impressions si douces, qu'il vous fait savourer cette innocente félicité qu'il dépeint, et suspend ou endort le sentiment des peines et le bruit tumultueux de la vie, par le charme de cette harmonie céleste et de ces images ravissantes qui effacent les peintures voluptueuses de l'ivresse et des extases de l'amour. Voulait-il imprimer une vérité morale dans l'esprit de ses auditeurs ? il inventait une situation qui pût la développer, et qui servît à la produire et à la graver dans leur mémoire il savait qu'une maxime morale toute seule glissait sur le cœur, et que pour l'attacher, il fallait l'unir à quelque action qui intéressât le sentiment. Qui peut oublier le danger des souvenirs tendres et des réminiscences d'une passion malheureuse après avoir lu dans la Nouvelle-Héloïse la scène sublime de Meillerie ?

Un talent qui tient essentiellement à l'art de peindre, c'est l'art de conter il me semble que personne n'a surpassé Rousseau dans cet art. Qu'on se rappelle le joueur de gobelets (2) dans Emile, le canard magné-

(1) (En marge): Le Tasse [un nom illisible] Virgile. (2) (En surcharge) le bateleur.


tisé rien de plus chétif pour le fond, rien de plus parfait pour l'exécution. Quand l'importance du récit s'élève le ton de l'historien s'élève dans la même proportion. Le quatrième livre des amours d'Emile et de Sophie, est plein de narrations charmantes. Les Confessions, sous ce rapport, sont un chef-d'œuvre. Je suis étonné que Rousseau qui devait sentir sa force n'ait rien fait dans le genre historique je crois qu'il eût excellé en la biographie. Ce n'est pas de l'esprit qu'il met dans sa narration le charme principal est dans le naturel, la vérité du récit, il intéresse le lecteur par le plaisir que lui-même paraît prendre à raconter c'est pour lui comme une seconde jouissance, il croit voir en se rappelant; c'est mieux que récit, c'est représentation sa fidélité sur toutes les circonstances vous donne une conviction si entière, que vous vous identifiez avec lui dans les événements de sa vie.

4. Les observations précédentes sont générales les suivantes sont plus particulières et constituent la manière de l'écrivain.

Le style de Rousseau est souvent dramatique et agressif au milieu de ses pensées, il croit entendre quelqu'un qui objecte, qui lui impute de la singularité, qui lui demande une explication il s'adresse à cet interlocuteur imaginaire; il le met en scène, il anime son ton. En lisant Rousseau vous n'entendez pas un homme seul il est avec son lecteur, il s'occupe de lui, il l'attaque, il ne veut pas le laisser indifférent spectateur du combat, il faut qu'il y prenne part. Personne n'a pour ainsi dire des prises plus vives, des assauts plus brusques, des secousses plus inattendues. C'est vous, vous personnellement qu'il veut convaincre. Son imagination l'a transporté dans ce salon auprès de ces femmes que sa lecture émeut dans ce cabinet où ce philosophe le discute froidement auprès de ces grands que des vérités dures offensent il les regarde en face, il voit ce qui se passe dans leur âme, et il répond à leur pensée.


« Un métier à mon fils mon fils artisan Monsieur, y pensez-vous ?. » « J'y pense mieux que vous, Madame, qui voulez le réduire à ne vouloir être jamais qu'un lord, un marquis, un prince, et peut-être un jour moins que rien, etc. »

« Souvenez-vous que ce n'est point un talent que je vous demande, c'est un métier, un vrai métier, etc. » « Bonne mère. préserve-toi surtout, des mensonges qu'on te prépare. Si ton fils fait beaucoup de choses, défie-toi de tout ce qu'il fait s'il a le malheur d'être élevé dans Paris et d'être riche, il est perdu. Tant qu'il s'y trouvera d'habiles artistes il aura tous leurs talents, mais loin d'eux il n'en aura plus, etc. »

Voilà des exemples de cette manière vive et animée par laquelle Rousseau tient ses lecteurs en activité, et s'adresse personnellement à eux. Je ne dis pas que cette méthode n'ait ses inconvénients et n'avoisine la déclamation. Point de modèle plus dangereux à suivre mais un grand talent consiste à faire des choses difficiles, il réussit où la plupart ont échoué (1).

Plus on connaît les écrivains contemporains de Rousseau, plus on s'aperçoit de la polémique caché dans ses ouvrages il les réfute souvent sans les nommer il fait des allusions indirectes il est rempli de controverses dissimulées, et il en résulte bien plus de chaleur dans son style, parce que la réfutation anime l'écrivain comme l'avocat il emprunte naturellement du barreau une tournure plus vive ayant son adversaire en face, il le combat plus fortement qu'une opposition abstraite qui n'a aucune influence sur les passions.

Sa force est donc polémique il combat, il lutte, il attaque ou se défend, il se suppose un adversaire, il est en position d'athlète.

J'explique en ceci comment il intéresse je ne pré(1) (En marge, note inédite) Sterne a fait de même, mais dant un roman.


tends pas en faire le modèle de l'art de raisonner. Buffon est beau dans le calme. Rousseau est plus grand dans la tempête.

5. Rousseau donne fréquemment à sa pensée une apparence de singularité qui étonne. Il aime les tournures paradoxales ce que j'appelle un tournure paradoxale, c'est une contradiction dans les termes, comme quand il dit « En commençant par ne rien faire vous auriez fait un prodige d'éducation c'est un impossible apparent, comme dans cet autre exemple < Que de marchands il suffit de toucher aux Indes pour les faire crier à Paris la pensée prise dans un sens littéral serait absurde mais dans le sens figuré, elle devient très belle. Or, la surprise qu'éprouve l'esprit en apercevant une vérité sous le masque d'une absurdité, est ce que j'appelle tournure paradoxale par exemple, un cadavre ne marche point, Rousseau fait marcher des cadavres, il y a donc là une absurdité oui, si mot de cadavre était pris dans le sens littéral.

On aurait pu dire en style commun < La médecine, envisagée dans ses efforts moraux, est sujette à de grands inconvénients elle nous imprime trop l'effroi des maladies, elle nous les fait anticiper par la crainte, elle nous dérobe à nos devoirs en nous donnant pour première occupation le soin de nous conserver. L'homme toujours attentif à sa santé devient lâche, pusillanime, superstitieux, crédule à force de craindre la mort il n'ose presque plus jouir de la vie il devient inutile aux autres en même temps qu'il est à charge à luimême.

Voici Rousseau « Un corps débile affaiblit l'âme de là l'empire de la médecine, art plus pernicieux aux hommes que tous les maux qu'il prétend guérir. Je ne sais, pour moi, de quelle maladie nous guérissent les médecins, mais je sais qu'ils nous en donnent de bien funestes, la lâcheté, la pusillanimité, la crédulité, la


terreur de la mort s'ils guérissent le corps, ils tuent le courage. Que nous importe qu'ils fassent marcher des cadavres ? Ce sont des hommes qu'il nous faut, et l'on n'en voit point sortir de leurs mains, etc. :t

Ils prétendent guérir des maladies ils en donnent voilà le paradoxe maladie est pris en deux sens, maladie physique, maladie morale. Faire marcher des cadavres, voilà l'impossible mais le mot cadavre est pris en deux sens, c'est un cadavre moral qu'un homme làche et sans vertu. Homme est également pris dans deux sens.

La simple vérité morale, énoncée clairement, avec sa juste mesure, paraît bien froide, bien commune, comparée à ce tour singulier, à cette image effrayante d'un cadavre qui marche. Il faut observer avec combien d'art elle est préparée, amenée graduellement, et justifiée, sous le rapport de la diction. Ils donnent des maladies funestes, s'ils guérissent le corps, ils tuent le courage; ce mot tuer est le mot de transition qui dispose l'esprit à toutes les suites de la mort le courage est la vie morale de l'homme quand il l'a perdu, c'est un cadavre. Ainsi rien n'est omis, vous passez naturellement d'une idée à l'autre, et le dernier trait, qui choquerait sans ces précautions, est si bien placé qu'il ne frappe que par réflexion.

Au reste ces figures hardies ne sont pas prodiguées dans Rousseau « Nous nous inquiétons plus de notre vie, à mesure qu'elle perd de son prix. Les vieillards la regrettent plus que les jeunes gens ils ne veulent pas perdre les apprêts qu'ils ont faits pour en jouir à soixante ans, il est bien cruel de mourir avant d'avoir commencé à vivre. (Z?m!?e.)

Ces sortes de tournures sont assez fréquentes dans Sénèque. Si elles se reproduisaient souvent, elles donneraient au style un air de recherche et d'affectation mais quand on les emploie rarement, et qu'elles renferment


un grand fonds de vérité, elles deviennent un grand ornement de style elles forment des pensées qu'on retient par leur singularité même.

(1)VI. Il semble qu'un des charmes particuliers du style de Rousseau tient à un certain contraste d'austérité et de mollesse, que je ne trouve qu'en lui. Sa morale en général est fière, élevée, dédaigneuse de l'opinion il aime mieux Sparte qu'Athènes il est rigide, et sa sévérité ne pardonne rien à notre faiblesse on le voit même par un fonds de misanthropie, regarder en pitié toutes nos institutions, et regretter les forêts où il pense que les sauvages sont plus heureux que nous ne le sommes au sein des arts et des plaisirs mais au milieu de ce chagrin superbe ou de ce mépris amer qu'il répand sur l'humanité, vous entendez tout d'un coup retentir les accents les plus doux de la volupté, de la tendresse et de la nature. Cette voix sévère s'amollit, ce cœur fier palpite d'amour, le moraliste rigoureux vous montre qu'il ne vous refuse les vains plaisirs du monde que pour vous les rendre mille fois en jouissances de l'âme et si je puis parler ainsi, les abeilles du mont Hymette viennent placer sur ses lèvres le miel dont elles avaient nourri le divin Platon. Voilà le contraste qui frappe souvent dans Rousseau. H sauve la monotonie de la rudesse ou de la douceur Fénelon est presque toujours tendre, il manque d'énergie Labruyère est presque toujours amer, il est dépourvu de sensibilité. Rousseau semble avoir combiné deux qualités opposées avec plus d'art qu'aucun écrivain. II en a tiré des effets surprenants c'est en lui l'humanité qui s'irrite, et l'austérité qui s'attendrit. VII. Le style de Rousseau est toujours grave il n'est pas toujours noble. La noblesse du style dépend beaucoup du choix des termes les plus généraux ceux du genre plutôt que de l'espèce, ceux qui tiennent à des effets (1) (Ici, une note marginale à t'encre, de Dumont tf° 67]): N. B. Ceci mieux place au ch. du caractère que du style.


plus éloignés plutôt qu'aux effets les ptus prochains. La noblesse du style est un premier mérite dans un discours d'apparat, dans une assemblée académique, dans une oraison funèbre, etc.; mais un ouvrage écrit sur ce ton serait très ennuyeux, parce que ce style est vague, il est abstrait, il ne dessine pas assez, il donne aux figures une draperie large, i! les fait toutes ressembler les détails, les mots propres manquent on désigne, on ne montre pas on bouffit les formes, on nuit au mouvement. Après avoir entendu ou lu des pages de ce style noble et soutenu, il ne reste pour ainsi dire que des sons dans l'oreille, et la mémoire n'en conserve rien.

Rousseau, surtout dans l'Emile, a su éviter cette noblesse de style ennuyeuse et stérile; au lieu d'un style métaphysique il fait usage d'un style physique, c'est-à-dire qu'il emploie fréquemment les expressions plus particulières au lieu des expressions plus générales par exemple on aurait pu dire IJ faut nous servir de nos sens, les appliquer aux objets, pour acquérir des idées justes sur la nature des choses ». Rousseau dit en parlant de son élève « Ce sont ses t/cux, ses pieds, ses mains, qui sont ses premiers maîtres de philosophie

« Jeune homme, apprends à manier d'un bras vigoureux Ja hache et !a scie, à équarrir une poutre, à monter sur un comble, à poser le faîte, à l'affermir de jambes de force et d'entraits puis crie à ta soeur de venir t'aider dans ton ouvrage, comme elle te disait de travailler à son point croisé. a

« Si quelqu'un a honte de travailler en public, armé d'une voloire et ceint d'un tablier de peau, je ne vois plus en lui qu'un esclave de l'opinion, prêt à rougir de bien faire, sitôt qu'on se rira des honnêtes gens. :t « Est-il plus paré qu'un autre ? Il a la douleur de voir cet autre l'effacer ou par sa naissance, ou par son esprit, et toute sa dorure humiliée devant un simple habit de drap. :t

JI faut beaucoup d'art pour embrasser ces mots fami-


tiers dans un style grave et soutenu. Mais quand ils sont bien amenés, ils produisent un très bon effet (*). Il arrive en quelques cas que Rousseau a choqué la délicatesse et le goût en employant une image tirée d'un objet physique ou en faisant usage du mot propre, lorsqu'il aurait dû peut-être se contenter d'une expression plus générale l'oie grasse, la vache qui galoppe, lui ont été souvent reprochés, ainsi que le grand seigneur qui n'a qu'une vache, et qui ne dîne qu'une fois, etc. Il y a très peu de ces exemples Rousseau ait été jusqu'au dur et au grossier, et on dirait qu'il le fait même à dessein, comme pour braver les petites lois du goût, et narguer l'opinion jusque dans le style Je ne veux pas m'assujettir à vos prétendues bienséances, je veux avilir tels et tels objets par des comparaisons grossières mais justes, et je ne me soucie pas si vous le trouvez bon ou mauvais. Heureusement ce motif d'indépendance ne l'a pas engagé souvent à s'écarter des règles du goût, et peu d'écrivains ont moins de taches de cette espèce.

J'ai dit que le style de Rousseau était grave, c'est là un de ses caractères particuliers cela est moins sensible dans la Nouvelle Héloîse où il est passionné, et les passions aiment à se déployer, et n'ont jamais assez dit; mais on aperçoit toujours un fond de gravité dans ses pensées, un sérieux habituel dans ses expressions. Il ne donne rien en apparence au luxe du style, il n'écrit que pour le besoin de la pensée il se presse vers un but et dirige tous ses efforts sur ce point, il y tend ordinairement d'une manière directe il avoue nettement son opinion, surtout si elle est extraordinaire, il la proclame le danger semble augmenter sa confiance, il s'élève parce qu'on peut le croire en péril. Il exagère quelquefois de peur qu'on ne le soupçonne de ménager J'opinion, et par une déclaration énergique de ses sentiments il sem-

Paragraphe écrit dans la marge (f° 70). Inédit.


ble se fermer la route, s'ôter tout moyen de retourner en arrière, et brûler pour ainsi dire les vaisseaux qui l'ont apporté.

Le style grave est celui qui rejette tous les accessoires de pur ornement, l'auteur est grave lorsqu'il est uniquement occupé de l'importance des idées, lorsqu'il ne paraît pas songer à plaire, et surtout qu'il ne veut point obtenir de vous la frivole approbation d'homme d'esprit'.

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CONFESSIONS DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU ( ')

Avant de parler de cet ouvrage unique en son genre. il faut commencer par quelques observations sur le genre même. La première objection qui se présente, c'est qu'il entraîne la violation des secrets d'autrui. Dans des mémoires historiques, on révèle bien aussi le secret de ses associés avec le sien, mais il s'agit d'événements publics, et tous ceux qui y participent doivent savoir d'avance qu'ils s'exposent à être dévoilés, que le public a droit de connaître tout ce que font des hommes publics, que cette publicité est un frein salutaire, et que quiconque porte sur la scène de l'Etat des motifs coupables ou s'y livre à des intrigues criminelles, mérite d'être signalé par ses ennemis ou par ses complices. L'intérêt du genre humain se trouve parfaitement d'accord avec ces révéParagraphe inédit (f 71). Au bas du texte, en note dans li marge Ironica forte.

Ms Dumont 47, f°' 100-103. Inédit.


lations. En est-il de même dans la vie privée ? Un individu a-t-il le droit, en faisant la confession de sa vie interne, de faire aussi la confession de ceux qui dans leurs rapports avec lui, lui ont ouvert les secrets de leur âme, ou lui ont livré leur honneur et leur réputation ? Rousseau par exemple avait-il le droit de nous faire connaître les égarements de sa bienfaitrice, et le déplorable avilissement dans lequel elle était tombée ? Relativement à plusieurs autres individus qui se trouvent accusés dans ses mémoires, n'est-ce pas une attaque clandestine, dont il est impossible à l'accusé de se défendre, puisque souvent l'accusation ne paraîtra qu'après sa mort ? Estce une justification suffisante que de dire, j'ai parlé d'après l'exacte vérité telle qu'elle m'était connue, je n'ai pas voulu nuire, j'ai pris même la précaution de ne laisser publier cet écrit qu'après moi, lorsqu'il n'en pouvait plus résulter d'inconvénients pour la personne compromise ? D'abord sur ce point, on ne peut pas répondre de ceux à qui l'on confie ses manuscrits. Celui de Rousseau a été mis au jour du vivant de plusieurs personnes qui ont eu la douleur de sentir que leur réputation serait transmise à la postérité avec des accusations indélébiles. Mais quand cela serait ainsi, n'y a-t-il pas des parents, des amis, profondément affectés par ces imputations posthumes ? et d'ailleurs, si ces exemples de confession devenaient communs, qui ne craindrait de se voir exposé après soi sous des couleurs odieuses? c'est donc une violation de confiance. Les transactions de la vie commune ne sont point destinées à cette publicité le public n'a rien à gagner à ces révélations ainsi l'intérêt général les condamne.

La seconde objection se rapporte à la confession des irrégularités ou des vices qui blessent la bienséance et la pudeur. Qu'un homme fasse l'aveu d'un crime, ce crime ne peut rien avoir de séduisant qu'il ait été dans telle occasion ingrat, méchant, perfide ou menteur, la confession qu'il en fait ne peut nuire qu'à lui-même, elle ne


peut entraîner personne par l'exemple. Mais qu'il se mette de propos délibéré à décrire les faiblesses, les égarements de l'amour, les caprices secrets de son imagination, les folies d'une puberté qui ne connaît pas encore !e véritable objet de ses désirs, qu'il vous peigne les fautes de sa jeunesse ou celles de son âge mûr, quelque décent que soit le pinceau, quoiqu'il cherche plutôt à s'accuser qu'à se disculper, n'importe l'impression totale qui en résulte ne peut être que nuisible. La loi de l'honnêteté est en ceci la loi de la pudeur. Si chacun se mettait dans l'esprit de révéler ainsi les fantaisies secrètes qui n'ont point eu de suites ou celles-mêmes qui en ont eu, quel recueil impur ne donnerait-on pas au publie ? .? qui sait jusqu'à quel point la contagion d'une imagination forte passerait à des imaginations faibles ? Chacun connaît le danger des ouvrages obscènes, mais des confessions sont bien plus dangereuses encore, parce qu'elles nous présentent une réalité qui frappe davantage, et parce que ces vices ou ces faiblesses, s'allient dans notre esprit, à des hommes qui les rachètent par des vertus, s'offrent à nous comme un tribut qu'il faut nécessairement payer à la faiblesse de l'humanité. Il est sous ce rapport beaucoup de choses qui sont innocentes précisément parce qu'elles sont et demeurent secrètes. La publicité en fait le mal. Le danger plus ou moins probable qu'elles ne deviennent publiques est le motif le plus fort pour s'en abstenir. Rousseau n'avait aucun reproche à se faire, par exemple, dans ce voyage de Grenoble et cette aventure galante si agréablement décrite, mais (indépendamment de la confiance trahie) le récit qu'il en fait et la conclusion où il exprime si vivement sa reconnaissance pour la femme qui lui fit connaître le plaisir, est-elle dans le caractère des bonnes mœurs ? le sentiment qui naît dans le cœur d'un jeune lecteur ou d'une jeune femme n'est-il pas un retour sur la dureté des vertus austères qui entraînent la privation de semblables plaisirs ? Rousseau dans tout le cours de ces Con fessions ne montre que


des jouissances ou des désirs qui sont en opposition directe avec les principes de la vertu. Je sais bien qu'il n'est ni l'apôtre ni le sectateur du libertinage c'est un Caton pour des débauchés. Son livre serait pour eux d'une insipidité rebutante mais il n'en est que plus séduisant pour ceux qui flottent dans une morale commune, pour ceux qui ont des penchants voluptueux et des sentiments honnêtes, pour ceux qui cherchent à concilier le bien et le mal, pour ceux qui se disant à eux-mêmes, je préférerais des jouissances sans reproche, se consolent aisément de ce qu'ils n'en trouvent point de telles, et rejettent sur les mœurs du temps ou les vices du siècle, le pis-aller auquel ils se croyent réduits d'après l'exemple et même les leçons d'un grand moraliste. Je conclus de là que toute cette partie des Confessions est au total dangereuse et immorale. Je ne vois aucune bonne raison pour livrer de pareils détails à la curiosité publique. Ce genre de vérité n'est point une dette de l'historien biographe. On a supprimé des faits et des passages indécents ou ridicules, au moins dans la première édition des Confessions, car je crois que depuis on en a publié une complète. Le motif qui avait engagé les Editeurs à quelques suppressions aurait dû les porter à en faire davantage.

Ces Cbn/e.ss!'07!s étaient un acte de courage et de vertu, car il a tout dit, la preuve interne est toute en sa faveur, et de plus, ses plus grands ennemis dont quelques-uns vivaient encore quand les Confessions ont été publiées, par exemple, Mr Grimm, n'ont trouvé aucun fait à démentir, n'ont produit aucun événement à sa charge, n'ont inculpé en rien la véracité de l'auteur. On s'est borné à dire qu'il était fou, que là défiance, portée jusqu'à la démence, falsifiait à ses yeux tout ce qui était fait, dit, pensé, voulu, à son égard, qu'il donnait aux actions les plus honnêtes les interprétations les plus sinistres, et que recevoir son jugement sur le compte de ceux qui ont eu des relations avec lui, c'est condamner un homme sur


les dépositions qu'un insensé prononce de bonne foi d'après ses visions et ses rêves.

Dès que Rousseau eut soupçonné qu'on n'attendait que sa mort pour déshonorer sa mémoire par les imputations les plus affreuses, il est clair que ses Confessions, revêtues de ce caractère que la vérité seule peut donner, devenaient sa meilleure défense, et qu'il n'y avait pas d'autre moyen de repousser les calomnies dont il se croyait menacé.

Que Rousseau fut effrayé de laisser sa mémoire à la fureur de ses ennemis, j'en suis d'autant moins étonné que dans cent libelles du temps, on lui attribuait les crimes les plus affreux et les bassesses les plus odieuses. Tout cela est oublié aujourd'hui mais je me rappelle qu'à Genève, Mr Maurice, mon Professeur de Théologie, voulant me guérir de ce qu'il appelait mon engouement pour Rousseau, me fit lire un prétendu récit de sa vie, fort circonstancié, dans lequel il n'y avait sorte de vice crapuleux, de voleries, d'escroqueries, d'aventures basses et honteuses qui ne lui fussent attribués, jusqu'à ce qu'on arrivât par degrés à l'empoisonnement de femmes séduites et à l'abandon de ses enfants. II y avait autant qu'il m'en souvient, quelque peu de vérité mêlée à tous ces mensonges, son état de laquais n'était pas oublié, mais il était chassé de partout pour ses filouteries, et il faut avouer qu'une vingtaine d'années de sa jeunesse s'étaient passées si obscurément que la calomnie pouvait placer tout ce qu'elle voulait dans cette jeunesse errante, dans tous ces changements de scène, dans une situation où l'on ne voyait aucune ressource assurée, aucun moyen régulier et certain de subsistance. Il avait passé par tant d'états, que du moment où on se mit à rechercher les faits de sa vie, il ne revenait rien qui put en imposer aux fabricateurs d'impostures.

L'entreprise de Rousseau n'était donc, dans de telles circonstances, qu'une mesure de prudence, une défense de soi-même. II l'a fait pleinement, avec intégrité, avec


honneur. Après ce qu'il a avoué, on sent bien qu'il n'avait rien à taire. On saisit d'ailleurs le fil de sa vie, on tient une chaîne où il ne manque rien, mais surtout, on prend une connaissance parfaite de son caractère et de ses motifs. H s'est si bien peint que, malgré lui, l'opinion qui en reste, au moins la mienne, lui est beaucoup moins avantageuse qu'il ne présume qu'elle doive l'être. Il me reste un étonnement qui est tout en sa faveur, c'est qu'une jeunesse si exposée que la sienne, de la misère, des mauvaises compagnies, l'absence de toute protection, de toute main sage pour le guider, ne l'ait pa;. précipité dans l'abîme du vice il fallait un prodigieux ressort pour s'élever au-dessus de toutes ces circonstances qui le déprimaient il y avait mille contre un qu'un tel genre de vie en ferait un vaurien, ou un aventurier, et qu'avec l'ardeur de ses passions, livré seul à lui-même en Italie, à l'âge de 17 ans, il devait périr de libertinage et de misère. C'est là précisément ce qui m'intéresse dans ces Confessions de voir par quelles suites singulières, par quelles aventures inattendues, son imagination lui crée un sort qui semble aller contre le cours naturel de tous les événements cette imagination est comme un génie, ou une fée qui lui fait un monde à part, qui l'expose et qui le garantit, qui le met 9ur le bord d'un précipice et qui le sauve, qui le livre à la détresse de l'indigence et qui le rend insensible à ce malheur, qui le jette quelquefois dans l'humiliation extrême et qui le soutient par une fierté inflexible, voilà l'enchantement des Confessions.

C'est dans sa jeunesse un être si peu calculant l'avenir, si peu raisonnant, si entraîné par les impressions du présent qu'on ne sait jamais quelle folie va naître après celle qui l'occupe, mais en même temps, lorsqu'on le voit capable de se laisser emporter par son imagination à toutes sortes d'excès, son cœur aimant et affectueux le retient comme par magie dans le genre de vie le plus simple, le plus doux, et le ramène sans cesse, après quelques


oscillations, au bonheur champêtre, et aux affections tendres et délicates, le seul bonheur dont il fut susceptible. Il n'a pas eu tort de croire que personne ne fut fait comme lui La nature lui avait donné une vivacité d'imagination et une sensibilité de cœur extraordinaire [szc] il aurait eu assez d'âme pour animer quatre corps, et toutes les impressions tombaient sur lui avec une force que nous ne pouvons pas mesurer sur la nôtre. Je m'en rapporte à lui sur les jugements moraux de sa conduite, il n'a pas voulu tromper ses lecteurs ni lui-même, mais le temps qu'il a donné à s'étudier, à s'analyser, à se contempler est une preuve du danger de cette application portée trop loin. II a écrit quatre ou cinq volumes qui n'ont que lui pour objet, ses Con fessions, tes Rêveries du promeneur solitaire, le Rousseau juge de Jean-Jaques, tes Lettres à Malesherbes et un nombre considérable de lettres. Ces divers ouvrages, quoique purement relatifs à son caractère, pleins de redites, m'ont toujours paru intéressants, et instructifs.

Rousseau depuis sa célébrité n'a pas eu des malheurs qu'on puisse comparer à ceux de plusieurs hommes de lettres un décret de prise de corps du Parlement de Paris qui fut suivi avec si peu de rigueur qu'on le laissa tranquillement sortir du Royaume un autre décret de prise de corps rendu à Genève, suivi d'une sentence qui condamnait l'Emile à être brûlé par les mains du bourreau pendant qu'il était en Suisse à l'abri de tout danger personnel un ordre de MM. de Berne de quitter l'île de Saint-Pierre et leurs Etats et une lapidation réelle ou prétendue à Motiers Travers qui consistait à briser à coups de pierres quelques fenêtres de sa maison pendant qu'il était lui-même en sûreté sous la protection de Lord Maréchal et du Roi de Prusse, voilà tous ses malheurs externes. 11 n'y a pas là de quoi se placer parmi les hommes persécutés, ni de quoi expliquer cette sombre idée d'une conjuration universelle contre lui. Il avait des ennemis, des jaloux, des calomniateurs. Des


libelles, des satires, des lettres anonymes, des écrits clandestins, des menaces, voilà encore des injures auxquelles une grande célébrité expose naturellement. Rousseau ne pouvait pas ignorer qu'il y avait une légion d'admirateurs qui ne parlaient de lui qu'avec enthousiasme, et s'il eut été fait comme un autre, balançant le bien et le mal, il n'eut vu dans les clameurs de ses adversaires que la confirmation de sa gloire, et que le désespoir de l'envie. Mais son imagination effarouchée vit un complot tramé par des mains habiles, conduit dans l'ombre et le mystère, pour le diffamer, le représenter à ses contemporains comme un monstre et le faire passer à la postérité comme un scélérat chargé de tous les forfaits et en proie aux vices les plus honteux. Ce complot infernal prit à ses yeux toute la consistance d'un fait indubitable, et dès lors, il fut sur ce point, dans un état de démence complète.

Pendant qu'il vivait dans les angoisses, toujours surveillé, épié, entouré, selon ses idées dominantes, de ses invisibles ennemis, il n'eut plus d'autre consolation que de cette continuelle étude de lui-même, et cet attendrissement sur une destinée qui livrait l'homme le plus aimant, à la haine la plus active, et pour retour d'une bienveillance universelle, lui faisait éprouver la malveillance générale. Ce n'est pas son éloge qu'il fait, c'est une apologie qu'il prépare, c'est un innocent accusé devant le tribunal du genre humain qui se justifie par le tableau de son caractère et de ses principes. S'il s'exalte, c'est qu'on le déprime, s'il se peint comme le meilleur des hommes, c'est qu'on le noircit comme le plus scélérat, et on ne peut pas plus attribuer ce panégyrique de soi-même à la vanité qu'on n'attribue à ce motif les cris d'un malheureux sur la roue qui en appelle à son innocence.


I! faut connaître l'état des mœurs et de la cour vers la fin de Louis XV pour comprendre tout le succès de Rousseau le même génie, la même éloquence n'aurait pas produit les mêmes effets dans des circonstances différentes. La licence effrénée des moeurs dans les premières classes de la société, les dépenses excessives de la Cour, les vices des courtisans et les faveurs qui en étaient le prix, tout le mépris qui s'attachait aux opérations politiques, le discrédit en un mot du gouvernement, avait créé un esprit d'opposition, qui ne pouvait pas se manifester comme en Angleterre, mais qui s'exhalait en satires et qui procurait un accueil favorable à tous les frondeurs. Voltaire avait pris le parti d'être le flatteur des mœurs de son temps, Rousseau, venant plus tard, avec un caractère d'une trempe plus forte, et des sentiments républicains, osa parler de vertu avec un degré d'éloquence qui l'élevait au-dessus du ridicule et qui ne permettait pas aux beaux-esprits, aux roués, aux courtisans, aux femmes du monde, de le faire tomber par la raillerie et de le ranger parmi les ennuyeux prêcheurs d'une morale abandonnée. Aussitôt toute la partie de la société qui souffrait de cette corruption sans la partager, l'embrassèrent [s!c] comme un tribun et comme un vengeur tous les mécontents qui étaient nombreux, trouvèrent dans sa mâle éloquence une force de censeur et une Ms Dumont 47, f* 112-113. Inédit. L'original n'a aucun titre. Simplement, en haut la marge, Dumont a écrit Rousseau.

[CAUSES DU SUCCÈS DE ROUSSEAU (')]

IV


énergie de satire qui les charmait [stc] par son audace: c'était le pinceau de Tacite qui punissait les puissants et qui humiliait les classes supérieures par lesquelles on avait été si longtemps opprimé et humilié. Une toile brûlant d'indignation contre les moeurs qui avaient le vernis de la mode et la sanction de la Cour, avait un charme irrésistible pour tous les frondeurs et les ennemis de cette Cour. Le Télémaque avait dû une grande partie de sa vogue à la satire indirecte de Louis XIV. Les écrits de Rousseau offraient le même attrait, sous des formes plus générales, à une nation qui se sentait avilir par la corruption de ceux qui la gouvernaient. L'austérité de ses écrits faisait un contraste fortement prononcé avec la licence de ce qu'on appelle le siècle. Mais cette austérité n'aurait pas eu le même succès, sans cet esprit d'opposition qui tenait au désordre des finances, et au discrédit d'un gouvernement vacillant et faible. Le moraliste rigide, le Républicain spartiate devenait l'organe de tous les cœurs blessés, et ce qu'il y avait de singulier en apparence c'est que les êtres mêmes, blasés par le vice et qui auraient dû se révolter contre lui, éprouvaient des sensations nouvelles en lisant ses écrits et se sentaient remuer par une étincelle de vie qui jaillissait de son éloquence.

v

OBSERVATIONS

sur deux traductions du livre des Histoires de Tacite, l'une par Rousseau, l'autre par Dureau de la Malle (*)

La traduction de Tacite par Mr Dureau de la Malle mérite d'avoir place parmi les beaux ouvrages de la litMs Dumont 47, f' 114-116. Inédit.


térature française il a mis à profit tous les travaux des savants pour l'intelligence du texte il a fait de son auteur une étude profonde et pour le bien comprendre, il a fallu joindre à toutes les connaissances d'un critique, celles de l'antiquaire et de l'historien. Ses notes, dans lesquelles il ne s'est permis aucun luxe d'érudition, prouvent qu'il n'a négligé aucun des secours qui pouvaient l'aider, soit à rectifier les passages corrompus, soit à éclaircir ceux qui sont obscurs ou équivoques. I! a senti dans ce travail que le meilleur commentateur de Tacite, c'était lui-même, et qu'il fallait, par des lectures redoublées, se pénétrer de son esprit, pour lui arracher son secret. Mais après cette première difficulté vaincue, il restait celle de le rendre dans une langue qui a si peu d'analogie avec la sienne, aussi riche peut-être dans le genre historique, aussi féconde en tournures fines, et aussi propre à exprimer des nuances, mais très inférieure pour la rapidité, l'énergie, la souplesse des inversions et la coupe variée des phrases, mérite éminent de l'auteur latin auquel on peut même reprocher à cet égard une sorte de recherche et d'affectation qui a aussi souvent contribué à l'obscurité qu'à la force de son style. Il est certain que Mr Dureau a réussi plus que tout autre traducteur à ne rien laisser dans l'original qui ne soit aussi dans sa traduction, à ne rien perdre des pensées incidentes, des petits détails, des intentions, des accessoires que la plupart de ses devanciers avaient négligés par l'impuissance de les rendre, sans surcharger leurs phrases de parenthèses pénibles et traînantes. H est fidèle au sens, il exprime tous les traits, il dessine exactement. Voilà ce qui m'avait frappé après une comparaison de plusieurs livres, et je ne l'étais pas moins de la facilité, de la pureté du style, de la clarté et d'un grand nombre d'expressions si heureusement trouvées qu'on eut pu croire que Tacite, écrivant en francais, n'en eut pas choisi d'autres. Je lui reprochais bien quelquefois de déranger l'ordre ou le mouvement d'un tableau, de sé-


parer dans différentes phrases ce que Tacite avait réuni dans une seule, mais en observant que les autres traducteurs étaient encore plus fautifs à cet égard, j'attribuais cette imperfection à la différence des langues, plutôt qu'au défaut de talent dans l'interprète.

J'avais négligé jusqu'à présent de comparer Dureau de la Malle avec Rousseau. Celui-ci n'a traduit que le premier livre des Histoires, et il a mis à ce fragment une courte préface qui porte bien l'empreinte de son caractère. « Entendant médiocrement le latin, dit-il, et souvent n'entendant point mon auteur, j'ai dû faire bien des contresens particuliers sur ses pensées, mais si je n'en ai point fait en général sur son esprit, j'ai rempli mon but, car je ne cherchais point à rendre les phrases de Tacite, mais son style, ni de dire ce qu'il a dit en latin, mais ce qu'il eût dit en français. Ce n'est donc ici qu'un travail d'écolier et je ne le donne que pour tel, etc. ». Je ne dirai pas avec Rousseau qu'il y ait beaucoup de contresens particuliers il y a certainement bien des fautes, et s'il ne va pas contre le sens de l'auteur, du moins, il ne le rend pas tout entier, il substitue à ce qu'il n'entend pas une autre pensée que celle de Tacite enfin, il y a quelque fautes d'écoliers, puisqu'il a tranché le mot, mais partout dans son style est la touche du maître, lisez-le sans consulter l'original, vous vous sentez entraîné, vous admirez un historien qui n'a point eu d'égal en français, rien de gêné, d'étranger, tout coule de source, tout a presque le caractère d'une histoire romaine originairement écrite en français par un écrivain de premier ordre.

Les différences entre les deux traducteurs, soit qu'elles tiennent chez eux à des principes divers de traduction, soit qu'elles tiennent à l'inégalité de leur talent, m'ont paru assez marquées pour les ranger sous des espèces de chefs.

1 Rousseau réussit mieux à lier dans une seule phrase les diverses parties d'une action que Dureau sépare les unes des autres.


Galba et Pison ont été tués. Othon n'avait plus de concurrent.

« Alium crederes Senatum, alium populum. Ruere cuncti in castra, anteire proximos, certare cum praecurrentibus, increpare Galbam, laudare militum judicium, exosculari Othonis manum quantoque magis falsa erant quae fiebant, tanto plura facere (*).

R[ousseau]. Vous eussiez cru voir un autre Sénat et un autre peuple. Tout accourait au camp. Chacun s'empressait à devancer les autres, à maudire Galba, à vanter le bon choix des troupes, à baiser les mains d'Othon moins le zèle était sincère, plus on affectait d'en montrer.

[Dureau.] On eut cru voir un autre Sénat, un autre peuple: on voulait laisser derrière les plus proches, atteindre les plus avancés on s'emportait contre Galba on exaltait le choix de l'armée on couvrait de baisers la main d'Othon, et moins le zèle était sincère, plus il avait d'exagération.

J'en citerai d'autres exemples quand l'auteur fait un tableau où il représente diverses actions simultanées, il les unit dans une phrase qui a différentes parties subordonnées, ou des membres incidents qui expriment des circonstances dépendantes du fait principal, et ce n'est plus le même tableau si ces différentes actions sont séparées, interrompues, si on les voit comme dans une succession, au lieu de les voir dans leur ensemble. Le groupe n'est plus le même. Les figures n'occupent plus dans la copie la même place que dans l'original. L'arrangement diiïère.

2° Rousseau est plus serré, plus court. Ce ne serait pas un mérite s'il n'obtient cet avantage qu'en sacrifiant de certains détails minutieux qui seraient obscurs, s'ils

Historiae, XLv.


n'étaient plus développés dans la traduction que dans l'original car celui qui écrit pour ses contemporains, n'a pas besoin de s'expliquer comme le traducteur que tourmente une circonstance incidente qu'on ne peut éclaircir que par un commentaire ou par une note. Rousseau est moins scrupuleux à cet égard que Dureau. Mais sa brièveté supérieure tient fort souvent à l'art d'éviter des conjonctions, à des ellipses hardies, à ces réunions heureuses de circonstances incidentes, dans une seule phrase, et surtout à l'énergie de certaines expressions neuves et audacieuses qui font passer l'âme de Tacite dans la traduction.

Dans un résumé très succint, l'auteur fait connaître les dispositions de l'armée de Vitellius, leur indiscipline, leur insolence, leur avidité.

« Igitur Sequanis iEduisque, ac deinde prout opulentia civitatibus erat, infensi, expugnationes urbium, populationes agrorum, raptus penatium hauserant animo; super avaritiam et arrogantiam praecipua validiorum vitia, contumacia Gallorum irritati, qui remissam sibi a Galba quartam tributorum partem et publice douâtes in ignominiam exercitus jactabant (*).

R[ousseau.] Le soldat animé contre les Eduens et les Sequanois et mesurant sa colère sur leur opulence, dévorait déjà dans son coeur le pillage des villes et des champs et les dépouilles des citoyens son arrogance et son avidité, vices communs à qui se sent le plus fort, s'irritaient encore par les bravades des

[Dureau.] Ennemis donc des Sequanes et des Eduens et enfin de tous ceux qui avaient des richesses, nos soldats se promirent leurs villes, leurs terres, leurs maisons, emportés sans doute par l'avarice et l'arrogance, vices ordinaires du plus fort, mais aussi par l'insolence même des Gaulois qui fiers de l'accroisse-

CMortae, I, u.


Gaulois qui pour faire dépit aux troupes se vantaient de la remise du quart des tributs et du droit qu'ils avaient reçu de Galba. 76 mots.

ment de leur territoire et de la remise que Galba leur avait faite du quart de leur tribut, étalaient ces récompenses aux légions pour les insulter.

Ceci n'est pas un exemple de brièveté car les deux traductions sont presque de même longueur. Ils ont eu besoin de 77 mots pour en rendre 44. Mais quelle différence pour l'énergie des expressions. Prout opu~en~'a erat infensi mesurant sa colère sur leur opulence Rousseau ne le cède pas à Tacite ce trait disparaît dans Dureau. Dévoraient dans le cœur est précisément hauserunt animo se promirent leurs villes est très faible, sans passion, sans couleur hauserunt animo, dévoraient dans le cœur, peint des enragés capables de tout: se promirent, convient à des gens de sang-froid, à un désir modéré, qui raisonne et calcule. Emportés sans doute addition insipide, quelle nécessité d'énoncer que sans doute on désire le pillage par avarice. Irritati s'irritaient encore, Rousseau a conservé le mot de Tacite, il n'y en a pas de trace dans Dureau. Bravades vaut mieux qu'insolence terme trop vague, bravades est précisément le mot pour l'insolence soldatesque, in ignominiam jactabant. Pour faire dépit aux troupes se vantaient ce sont là les mots propres, étalaient ces récompenses aux légions pour les insulter est ftasque.

Je trouve dans le chapitre suivant LII un de ces exemples où Rousseau n'a pas entendu le texte. Et Vitellius apud severos humilis. il était souple pour les hommes fermes. Dureau. Ces gens sages trouvaient que Vitellius se dégradait. Le texte n'est pas équivoque, apud détermine le sens. Severos ce sont les partisans d'une discipline rigide, et non des hommes d'un caractère ferme. Tout ce passage est mal rendu. H se trompe, et même grossièrement dans celui-ci. Multi in utroque exer-


citu sicut modesti quietique, ita mali et strenui. Plusieurs dans le camp cachaient sous un air modeste et tranquille beaucoup de vigueur à mal faire. II a voulu être plus Tacite que Tacite lui-même. Dureau traduit plus simplement Il y avait dans les deux armées quelques esprits modérés et pacifiques, mais beaucoup plus de factieux et d'entreprenants. Ce qui a induit Rousseau à adopter un sens satirique assez conforme à l'esprit de Tacite, c'est que l'observation sans cela est assez triviale. On sait que dans tout rassemblement d'hommes commme une armée, il y a des bons et des méchants. Rousseau dans cette phrase a beaucoup ajouté à la clarté en mettant un des termes au singulier et l'autre au pluriel. Le soldat animé contre les Eduens mieux que nos soldats ennemis des Eduens, etc.

3° Rousseau possède dans un plus haut degré que Dureau l'art de placer le mot essentiel dans la partie de la phrase où il produit le plus grand effet. Beaucoup de personnes [croient] (*) que cet avantage n'appartient qu'aux langues à inversions, et il est certain que cellesci le possèdent dans un très haut degré il ne faut que traduire Cicéron ou Virgile pour s'apercevoir de l'impossibilité de placer le même mot en français dans le même point de vue que le mot de l'original il faut l'avancer ou le reculer, le mettre où la construction le demande sans égard à l'harmonie, et surtout sans égard à l'ordre dans lequel il serait le plus avantageux de le placer par rapport aux autres. Car tel est l'artifice du style qu'un mot mis avant ou après tel autre a une force toute différente pour la clarté, la grâce, ou l'effet, pour suspendre la curiosité, pour grouper les idées. Mais quoique le français soit très gêné dans ses constructions, un habile écrivain sait varier la tournure des phrases de manière à mettre tel ou tel mot plus en vue, plus en saillie,

Mot omis par Dumont.


et selon l'effet qu'il veut produire, cette place de préférence est le début, le milieu ou la fin de la période. Octo cohortes prout inclinassent, grande momentum, sociae aut adversae. (') Dureau. « Ces huit cohortes pouvaient, en se déclarant pour ou contre, mettre un grand poids dans la balance ». Rousseau « et qui pouvaient produire un grand effet en se déclarant pour ou contre Les deux mots placés à la fin de la phrase comme dans le latin, sont ceux qu'il fallait présenter les derniers.

Voici un exemple du premier chef. Rousseau réunissant mieux les divers membres pour mettre en une seule phrase ce que Dureau sépare mal à propos. Cecina paucos in Helvetiis moratus dies, dum sententiae Vitellii certior fieret simul transitum Alpinum parans, laetum ex Italia nuncium accipit, clam Syllanam circa Padum agentem, sacramento Vitellii accessisse ("). Dur[eau]. « Cecina était resté quelques jours chez les Helvétiens pour attendre la décision de Vitellius et pour se mettre en état de passer les Alpes il y reçut des nouvelles favorables de l'Italie. La division de cavalerie de Sylla qui campait aux environs du Pô, venait de reconnaître Vitellius

R[ousseau]. « Cecina s'étant arrêté quelques jours en Suisse, pour attendre les ordres de Vitellius et se préparer au passage des Alpes, y reçut l'agréable nouvelle que la cavalerie Syllanienne qui bordait le Pô, s'était soumise à Vitellius Plus court, plus harmonieux et plus conforme à l'arrangement de l'original.

*K!sfor;ae,I,ux. **jH~ort'<!e,H,Lxx.


UN ONCLE DE JEAN-JACQUES EN AMÉRIQUE

L'INGÉNIEUR GABRIEL BERNARD 1

Les renseignements que nous avions déjà sur Gabriel Bernard, l'oncle de Jean-Jacques Rousseau sont les suivants 2. !) était né à Genève, le 11 juin 1677 il avait épousé, le 1" oct. 1699, Théodora Rousseau, tante de Jean-Jacques; il avait eu deux filles, dont une était morte quelques jours après la naissance, et l'autre à douze ans: il avait aussi eu deux fils, l'un du nom d'Abraham dont parle Rousseau dans ses Confessions. Il avait servi dans l'armée impériale, et il était allé à Venise. H avait été employé comme commis au service de la Chambre des fortifications à Genève, du 30 décembre 1715 au mois de février 1734; le titre de sous-ingénieur cependant, qu'il avait demandé, lui avait été refusé à plusieurs reprises. Il était parti pour l'Angleterre en mars de 1734, et de là s'était embarqué pour l'Amérique avec un « certificat de ses services en qualité d'ingénieur Il mourut à Charlestown dans la Caroline du Nord, en 1737.

Nous avons fait quelques recherches sur son séjour à Charlestown. Les résultats sont assez maigres et n'ajoutent pas autant que nous l'aurions voulu à ceux publiés (1) Ces quelques pages sont rédigées à l'aide des recherches commencées par Mlle Isabelle Lawrence, à Smith College (Massachusetts) au cours de l'année académique 1925-6, et mises au point et complétées par le soussigné.

(2) Surtout d'après Eug. Ritter. La Famille et la Jeunesse de J.-J. Rousseau, Paris 1896, p. 118-120 et les notes diverses du même auteur dans Annales Rousseau, 111, (1907), 178-189. On est surpris que M. Ritter, republiant dans les Annales Rousseau, XVI (19241925), son livre de 1896 n'ait pas introduit ses nouvelles données (de 1907) dans son chapitre VII, ou au moins n'ait pas mis une note pour y renvoyer le lecteur.


déjà dans The South Carolina Historical and Genealogical Magazine, juillet 1916 (xvfi, n° 3), p. 129-130, sans signature. Les voici cependant

Commençons par rappeler le texte de Rousseau au premier livre des Confessions (Ed. Hachette, VIII, p. 154) Mon oncle Bernard était, depuis quelques années, passé dans la Caroline pour y faire bâtir la ville de Charieston dont il avait donné le plan.

Ceci n'est pas exact. Comme l'a dit déjà M. Ritter dans les Annales (III, 188), la ville de Charlestown existait une cinquantaine d'années avant l'arrivée de Bernard en Amérique Ajoutons ici qu'un plan de ville avait été proposé dès 1671 par les « Lords Proprietors » et de cette même année un acte notarié a été conservé relatif à la disposition d'une parcelle de terrain laquelle devait être aménagée selon les conditions établies pour la construction de la cité 2.

Nous trouvons le nom de Gabriel Bernard pour la première fois dans le Journal (c'est-à-dire cahier des procèsverbaux) of the Provincial Council du vendredi 16 janvier 1736. H y est question de ses offres de service à titre d'ingénieur

On a lu la pétition du Colonel Gabriel Bernard, offrant ses services comme ingénieur dans cette Province, ayant produit un certincat attestant qu'il avait servi comme ingénieur en Europe.

Cette pétition fut approuvée et transmise le jour même avec recommandation au conseil municipal (Common (1) Elle fut n incorporée en 1783 sous le nom de Charleston; jusqu'à cette date, elle portait le nom de Charles Town. (2) Fr. Dalcho, Historical Account of the Protestant Episcopal Church in South Carolina from the First Settlement of the Province to the War of the Revolution (Charleston, 1820, p. 30, note 1).


House) celui-ci, toujours encore cc 16 janvier, nomma, après délibération, Gabriel Bernard, ingénieur en chef chargé de diriger les réparations et la construction des fortifications. Citons cet alinéa de l'Acte de l'assemblée du 16 janvier 1736

que M. Gabriel Bernard sera et est par le présent acte nommé Ingénieur en chef, chargé de veiller aux fortifications et de diriger et surveiller la construction et les réparations de telles fortifications que désignera le Conseil il sera rétribué au taux de 700 livres par an il sera cependant sujet à être relevé de ses fonctions et le dit salaire pourra être discontinué par vote ou par ordre de l'Assemblée générale (At and after the rate of 700 pounds per Annum, none the less subjected <o be displaced, and the said salary taken anMt/ by vote or order of the General ~ssem&).

Suivant les conseils de Bernard, on passa le 29 mai un acte relatif aux anciennes fortifications et à la construction de nouvelles pour défendre la ville du côté de la mer; et on nomma des commissaires chargés de pousser ces travaux.

Un rapide résumé de l'histoire de ces fortifications, que nous trouvons dans l'excellent volume de W. Roy Smith, South Carolina as a Royal ProMnee, 1719-1776 (NewYork. Macmillan, 1903), rendra un peu plus clair peutêtre la nature de la tâche confiée à Gabriel Bernard. Le passage en question se trouve au Chapitre V. « Militia and Defense (pp. 171 ss.) et au paragraphe Coasf Defenses. Charleston Fortifications (pp. 196 ss.). « Les premiers colons ne s'étaient pas plutôt établis sur la rive ouest de l'Ashley qu'ils commencèrent à construire des fortifications. Le Gouverneur West écrivit à Lord Ashley, le 2 mars 1671, que trente acres avaient été défrichés et des palissades élevées pour protéger la colonie contre les Indiens.

« En 1680, la colonie se transporta sur l'autre rive, sur la


langue de terre entre les deux cours d'eau de l'AshIey et du Cooper. Des murailles et des tranchées furent aussitôt construites mais elles étaient sans doute très mauvaises et durent être fréquemment réparées. En 1704, les fortifica.tions consistaient en six bastions, deux demi-lunes ou rave'lins, et une lignée de palissades et de tranchées. « Les murailles aussi étaient évidemment très faibles, car, un acte du 4 novembre 1704 constatait que certaines personnes mal disposées les avaient escaladées et les avaient démolies. L'amende ou la peine du fouet fut décrétée contre ceux qui escaladeraient encore les murailles et descendraient dans les fossés. Comme conséquence de cette fragilité, des réparations étaient constamment nécessaires. Des décrets furent passés à cet effet en 1707, 1714, 1719. 1721, 1725, et en divers autres temps.

« En plus des murailles, fossés et bastions, Charleston était protégé par un fort à l'entrée du port.

« La ville commença bientôt à s'étendre au de!à des murailles, surtout vers le sud et l'ouest. On ne fit guère de tentatives pour reculer les bornes des fortifications, cependant, jusqu'après la guerre avec l'Espagne, de 1740-42. Un effort fut fait cependant en janvier 1736, lorsque Gabriel Bernard, un ingénieur européen (la tradition veut que ce fut un oncle de Rousseau) fut pris au service de la province. D'accord avec ses recommandations, fut passé, le 29 mai 1736, « un acte pour réparation des anciennes et « construction de nouvelles fortifications en vue de la sécu< rité et de la défense de cette Province contre les attaques « du côté de la mer, et pour la nomination d'une Commis<. sion en vue de l'exécution de ces travaux et pour pro« longer les rues Little et Church jusqu'à la rivière « Ashley. ». Comme ce décret n'est pas conservé, nous pouvons inférer quelques-unes de ses provisions d'après ce titre, et d'après quelques rapports de commissions. Bernard était employé comme ingénieur à un salaire de sept cents livres par an. La rue Church fut continuée depuis la crique de Vanderhorst jusqu'à South Battery. Un mur de couverture, en pierres ou en briques, devait être construit le long de la baie, et le frontage entre White-Point et la crique de Vanderhorst devait être comblé. Fort peu des choses prévues


dans ce décret furent exécutées en plus de l'érection d'une batterie au jardin de White-Point, au pied de la rue Church, qui fut nommée Batterie Broughton, en l'honneur du lieutenant-gouverneur.

Les recherches que nous avons fait faire ont amené au jour un document, que nous n'avons vu cité nulle part C'est un article de la South Carolina Gazette, du samedi 12 au samedi 19 juin 1736 (la Gazette paraissait une fois la semaine) il montre que Gabriel Bernard, avec l'assentiment du Conseil, avait eu l'intention de remplacer par des travaux de pierre et de béton les constructions caduques d'autrefois. Voici la chose

The Commissioners appointed by a Law passed the 29tb Day of May 1736 for building and repairing the Fortincations within the harbour of Charles Town, do give this publick notice, That it is resolved forthwith to rebuild the Battery before Johnson's Fort, for which large quantity of Bricks, Lime, Piles, Mud, Earth, and Ballast, Stones, to be carried to the Place, with Masonry and other Workmanship to compleat and finish the same and that if any Person or Persons are inclined to furnish any or ai! the said materials, and will undertake the said Workmanship, they are desired to give their Proposais to the said Commissioners, in writing, on the 23" Day of the Instant June at Capt. William Pinckney's by Four of the Clock in the afternoon, and in the mean time they may have the Perusal of the Plan, and be better infirmed of the Particulars by M. Gabriel Bernard Engineer, who will give attendance at his House every Day from 7 o'Clock in the Morning to the Hour of Twelve. By Order of the Commissioners.

Alexander Cramahc, Secretary.

Smith interprète le texte du procès-verbal comme signifiant que Gabriel Rousseau avait un traitement de 700 (1) Ainsi, il n'est pas cité dans l'article du South Carolina Historical and Genealogical Magazine de juillet 1916, p. 129-130, déjà mentionné.


livres par an; que, cependant, les mots Shall be allowed at and after the rate of 700 Pounds paraissent apporter une restriction, à savoir que le salaire serait au taux de 700 livres, mais payé seulement pour les périodes d'activité. Nous savons encore (Procès-verbal de la Chambre, p. 458) qu'on avait accordé à Bernard 100 livres de monnaie courante pour couvrir les dépenses nécessitées par ses travaux; et selon les Procès-verbaux du Conseil municipal du 9 février 1736, Bernard reçut encore 50 livres pour payer les dépenses qu'il avait eues en commandant les forces à Port Royal (50 Pounds current money to defray his expenses in commanding the forces at Port Royal).

Sur ce second poste de « Commandant des forces de Port Royal nous n'avons pu obtenir aucun renseignement. Le passage est la seule allusion à cette fonction. Est-ce en vertu du titre de Colonel qui est octroyé à Gabriel Bernard dans la première mention que nous ayons de lui (Procès-verbal du Provincial Council, le 16 janv. 1736, cité plus haut) que cette charge lui a été, au moins momentanément, confiée; nous ignorons. Ce titre s'il n'était pas purement fictif a pu être gagné par Bernard avant son arrivée à Charleston (voir plus bas) ou bien on l'a gratifié de ce titre par courtoisie comme on qualifie très volontiers de colonel à peu près tout gentleman dans le Sud une coutume qui n'est pas encore tout à fait tombée même de nos jours.

Après l'article cité tout à l'heure de la South Carolina Gazette (12-19 juin 1736), il semble n'être plus question nulle part de Gabriel Bernard (ni dans la Gazette, ni dans les procès-verbaux des différents conseils) jusqu'à sa mort. Nous avons seulement le témoignage de Smith disant que quand même Bernard ne mourut qu'un an après fort peu du programme tracé semble avoir été réalisé. Est-ce la faute de Bernard ? On serait tenté de le penser un peu d'après ce que nous savons de lui à Genève et qui a été si minutieusement rapporté par M. Ritter; il ne


paraît jamais avoir été dévoré de la fièvre de l'activité. Toutefois n'accusons personne. Ajoutons même que la plus vieille maison debout à Charleston aujourd'hui date de 1740; car il y avait eu en cette année-là un grand incendie qui avait à peu près anéanti la ville; donc, s'il y en avait une, t'œuvre de Bernard a pu disparaître ainsi (Cf. A. Simons and S. Lapham, Charleston, South Carolina, New-York, 1927, qui décrit l'architecture de la ville nous y avons en vain cherché des données sur notre sujet).

Gabriel Bernard est mort le (?) juillet 1737; nous le savons par le registre du cimetière de l'église de St. Philippe qui donne au 19 juillet 1737 la date de son enterrement (Then was buried Gabriel Bernard, Esq.). Son testament a été perdu pendant la Guerre Civile, selon le South Carolina Hist. <& Genealogical Magazine, Vol. XVII, 1916, p. 129), mais une copie de l'inventaire de ses biens existe toujours dans le bureau du Juge (Probate Court) du Comté de Charleston. Tome 1736-7, inscrit le 28 juillet 1737. Nous donnons cet inventaire, comme curiosité, en appendice. H nous apprend que Bernard possédait en effet beaucoup d'instruments d'ingénieur, qu'il avait un petit chez-soi, qu'il avait en espèces, quand il mourut, tout juste 1 1/2 guinée d'or, et en monnaie du pays 1 livre, 6 shillings et 3 pence; mais qu'il était–si on ose interpréter ainsi une garde-robe abondante et contenant force gilets et cravates un peu le coureur d'autrefois. Etant né le 11 juin 1677, il avait à sa mort soixante ans bien sonnés. Comme exécuteur testamentaire, il avait nommé un certain Prioleau; celui-ci était-il un ami, ou une simple connaissance ? Tout ce que nous savons (par ce même document), c'est qu'il faisait partie de ce comité chargé de la mise en état des fortifications et par (1) On trouve Purrysbarg, Purysburgr, fttrr!s6ur< et dans la lettre patente du Gouvernement royal (14 sept. 1731) Purrpsii'ottr~; nous avons trouvé même Purreesbourg.


ailleurs, nous savons qu'il était un assez important personnage dans la ville.

M. Ritter (Annales, III, 188) suggère l'idée que Gabriel Bernard avait fait partie peut-être d'une des expéditions organisées par Jean-Pierre Purry, pour peupler sa colonie de Purrysburg' les colons arrivaient par escouades de 30 à 260; « C'est, dit M. Ritter, une hypothèse qui me parait plausible, quoique j'avoue que rien ne vient la confirmer ». On peut même dire que c'est une « hypothèse probable quand on lit les comptes rendus de cet exil en masse de « Switzers » dans la Caroline du Sud justement à cette époque. Les choses se seraient alors passées à peu près ainsi Gabriel Bernard aurait profité des arrangements de voyage fait par Purry pour se rendre en 1734 de Londres à Charleston (et du reste les arrangements pour aller de Suisse à Londres déjà étaient également faits le plus souvent par Purry) il aurait été à Purrysburg de 1734 à 36, le moment où la débandade devenait générale il se serait retiré à Charleston (qui n'est qu'à quelques lieues de là) où, en 1736 justement, la Gazette commence à parler de lui (Nous avons fait chercher dans la Gazette de 1734 à 1736; on n'y a trouvé aucune mention de Gabriel Bernard). Il était venu atteint peut-être des germes de la fièvre qui avait coûté la vie à beaucoup de ses compatriotes, puisqu'il n'a vécu qu'un an environ après son arrivée Nous avons en vain cherché à trouver quelque part une liste des noms des personnes qui avaient accompagné le <; Colonel Purry (encore un colonel!) 2; car parmi les noms cités dans différents documents, celui de Gabriel Bernard ne paraît pas. (1) D'après un document signé à Charleston en 1731, les colons s'engageaient pour trois ans. Ajoutons que Jean-Pierre Purry mourut le 18 juillet 1736. Son fils le remplaça; il fut assassiné le 21 juillet 1754 et ne laissa qu'une fille. Un autre fils de Jean-Pierre Purry fut David Purry le bienfaiteur de Neuchâtel (anobli par le roi de Prusse).

(2) Ici cela parait moins justifié. Lorsque le gouvernement anglais pris Purry à son service, il lui conféra le grade de Colonel d'Infanterie et capitaine de haut bord.


En français le seul article à nous connu et donnaat quelques détails sur cette malheureuse entreprise, est celui de E.-H. Gaullieur, dans la Revue Suisse de 1854, < Une émigration suisse dans l'Amérique anglaise au XVIII" siècle

En anglais, et surtout dans des publications américaines, les renseignements sur Purrysbourg sont naturellement plus nombreux; on en trouvera dans les études suivantes et peut-être d'autres qui ont échappé à notre attention.

(1). Purry's Memorial, un petit écrit qui a été publié pour circulation privée, par un Jones, Jr, en 1880. Nous n'avons pas réussi à le voir; mais s'il y était question de Gabriel Bernard, nous le saurions probablement, car l'attention des savants a été éveillée et on nous l'aurait signalé.

(2). L'article déjà cité du Juge Henry A. Smith, Purrysburgh, dans The South Carolina Historical and Genealogical Magazine d'octobre 1909 (Vol. X, n" 4), p. 187-219. Voici quelques points de cet article qui peuvent avoir leur importance pour de futurs chercheurs

P. 203 Purry semble avoir eu de bonne heure des difficultés avec ses émigrants. La South Carolina Gazetle du 12-19 avril 1735 contient une proclamation du Gouverneur Robert Johnson, disant qu'on avait reçu communication de contestations pour des terrains. (ce qui a pu amener des départs).

P. 203 (plus bas) « II est probable que certains émigrants (se~/evs) partaient non pas directement pour Purrysbourg, mais se rendaient dans d'autres endroits après avoir entendu parler de Purrysbourg (Alors, Purry, qui recevait tant pour chaque émigrant amené dans la province, aurait voulu réclamer un bonus sur ceux-ci puisqu'on les lui devait. Par exemple, la Gazette du 1219 juillet 1735, dit que 250 Switzers étaient arrivés pour r


se fixer dans une localité sur le Edisto River. Gabriel Bernard aurait pu arriver avec ceux-ci)

P. 205 Lorsque l'échec s'accentua, par dissensions intestines et à la suite des fièvres, beaucoup, sinon la plupart des colons de Purrysbourg semblent avoir transporté leurs pénates en Géorgie (Donc, encore une possibilité de trouver le nom de Gabriel Bernard). P. 207 Delcho (Historical Account of the Protestant Episcopal Church of South Carolina, 1820) dit qu'il y avait en 1735, près de cent maisons à Purrysbourg. P. 208 ss. contiennent des listes de noms d'émigrants (dès 1732) et de personnes à qui on avait cédé des terrains où Gabriel Bernard ne paraît pas mais nous reievons le nom d'un Elias Bernard qui figure pour deux lots de 100 acres chacun, à la date du 16 septembre 1738. (3). On trouvera des possibilités de références dans Albert B. Faust, Guide to materials for A merican History in Swiss and Austrian Archives, Washington D. C. (Carnegie Publications) X-299 pages. Voir à l'Index aux articles Purry (Jean-Pierre); Purrysburgh. Aussi Genèue, Berne, New-Bern, Neuchâtel, etc. (On se demande si le Christophe de Graffenried, le fondateur de NewBern, North Carolina, est apparenté avec Mlle de Graffenried de l'Idylle des cerises). Il y a des indications intéressantes sur les décrets de plusieurs villes mettant en garde contre les départs pour l'Amérique, et sur des édits sévères et des peines contre les agents d'émigra(1) D'une lettre privée de M. Salley, jr, secrétaire de la Historical Commission de la Caroline du Sud et très au courant, nous citons ceci: Cette colonie sur le fleuve Edisto s'appelait Orangeburgh. Si la Gazette cite exactement le nombre de ceux qui attèrent réellement à Orangeburgh, je ne saurais le dire; mais à peu près ce nombre de personnes s'établirent là. Je ne sais rien du nombre de ceux qui sont arrivés à Orangeburgh en dehors de ceux)à; tes noms cités par moi sont tirés du livre de paroisse, et it y a eu peu de monde qui ne serait pas nommé dans ce livre » (M août 1928).


tion. On parlait couramment de la Rabies Carolinae qui sévissait alors en Suisse.

(4). A. B. Faust and G. M. Broumbaugh, List of Swiss emigrants in the 18th century to the American colonies, 2 volumes, Washington. D. C. 1920-25. Jusqu'ici ont paru Vol. ï (122 p.) Zurich Vol. II (240 p.) Bern and Basel donc naturellement on n'y trouve pas le nom de Gabriel Bernard.

(5).Arthur Henry Hirsch, The Huguenots of Colonial South Carolina (l'auteur est professeur à Ohio-Wesleyan University, et l'ouvrage est publié par Duke University Press, Durham, N. C. 1928, XV-338 pages) qui a une bibliographie considérable, mais peu de chose dans le texte qui soit de première main et se rapportant à notre enquête, pp. 28-33 83-84. (Mais l'auteur aurait bien du faire reviser ses épreuves par une personne ayant au moins quelques notions du français. Ainsi p. 83, il est question de Purry, « colonel et Juge à paix puis < juge Prix et même « Juge de paix Et ces notes au bas des pages !)

(6). Citons d'une lettre particulière de W. Roy Smith, une des meilleures autorités sur ce qui concerne l'histoire de la Caroline du Sud, et dont nous avons parlé « Jean-Pierre Purry commença ses négociations avec les Lords Proprietors des Carolines, dès 1725. Les droits de propriété passèrent à la couronne en 1731, et les premiers colons furent amenés de Suisse en 1732 et 1733. Purry lui-même venait de Neufchatel, James Richard venait de Genève, Ahraham Meuron et Henri Raymond venaient de St-Sulpiz (St-Sulpice). Leur premier pasteur fut le Révérend Joseph Bugnion, qui apparemment alla par l'Angleterre et fut confirme et consacré par l'Evêque de St-David. Je ne sais les noms d'aucun des autres parmi les premiers colons. En terminant, revenons à Gabriel Bernard. M. Salley exprime cette opinion < Bernard, je le crois, vint indépendamment apparemment il se fonde sur cette re-


marque faite dans une autre partie de sa lettre < J'avais pensé qu'il était un Français dont la position comme ingénieur était de telle importance qu'il pouvait aller et venir sans les sollicitations et sans l'assistance d'un agent d'émigration (Lettre du 28 août). Nous savons, cependant, que Bernard n'était pas un ingénieur qui pût avoir de très hautes prétentions.

Nous croyons que, pour le moment, il est inutile de chercher davantage. Un hasard de découvertes d'archives peut-être amènera encore au jour le nom de Gabriel Bernard et quelques nouvelles données sur son séjour dans la Caroline

Albert ScHiNz.

(1) Nous nous faisons un devoir de remercier ici MM. Salley et le Dr. J. P. Breedlove, bibHothécaire de Duke University, de lenr courtoise assistance dans ces recherches.


APPENDICE 1

Inventaire des biens de Gabriel Bernard, décédé à Charleston, Caroline du Sud, en juillet 1737, enterré le 19 juillet selon le Registre de la Paroisse de St. Philippe. Reproduit d'après le numéro du 16 au 23 juillet 1737 de la South Carolina Gazette, Charleston.

Question 3. Inventory of Estate and Notice to Creditors. 3d page, 2d column, part 2.

AU persons that have any Demands on the Estate of CoU [Colonel] Gabriel Bernard, deceased, are requested to bring their Accounts to his Executor Samuel Prioleau in Charlestown, that proper methods may be taken for discharging the same so soon as possible, and AM Persons indebted to the said Estate, are desired to pay the same by the Ist Day of September next. Repeated in Gazette, July 23th to 30th and July 30 to August 6th 1737.

Charlestown So. Ca: Probate Office.

Book 1736-1739 (« Invl ~) p. 132.

Inventory of Goods and Effects of Gabriel Bernard, deceased. Appraised 28 July 1737.

L S. D.

18 Wax Candles 5 8 0 3 lbs Coffee at 10 s. 1 10 0 1 Canister Tea 2 0 0 6 China Cups, 5 saucers, 1 Chocolate cup,

1 Slop bowl 2 0 2 Stone and Ï Pewter Teapot, and 2 Tin

milk pots 1 10 0 7 Wine Glasses, 2 Decanters, 1 Sait and

1 Tumbler 3 0 0 1 Doz Pewter plates, and 1 Poringer 3 0 0 3 Small Table Cloths 1 10 2 Striped Shaving Cloths 1 4 Pillow Cases 1 1 Yallow [Yellow] Carpet 5 0 6 Straw Bottomed Chairs 5 4 Leather Ditto 1


2 D utch Tea Tables. 2 1 Square Cededer [Ceder] Ditto 2 10 1 Bed Stead 5 1 Mattress bolster and pillow 7 3 White Blankets 5 1 Desk 7 1 Looking Glass 1 10 0 1 Case Bottles 4 1 Perce) [ParceIjofBooks. 2 2 Band Boxes 15 1 Body Belt 15 1 Match 5 1 1/2 Soap 5 2 Bullet Moulds and Gun Screws 1 10 3 Burning Classes. 1 10 1 Comb Base with Comb 10 1 Book with some other Trifles in a box 3 1Turtle Shell Tobacco box 1 IFishingTackHng. 2 2 Brushes, a Sive, Scales and Weights 1 5 1 Drawing Table 1 1 Sadie, Port Manteau, Spatter Dashes, etc. 5 18 tbs Tobacco at 12 pr Ib 18 1 Hearth Brush, 1 Brown, 1 paint Brush 15 0 11 Compasses at 7/6 4 2 6 4 Drawing Pens at 5 1 0 0 3 Squares (2 brass, 1 wood) 1 0 0 2 Pocket Cases 2 0 0 1 Protractor 15 0 4 Rules and Compass 4 10 0 1 Ball Sockets, Sibel and Sights 2 0 0 1 Box pencil, paint, etc. 6 0 0 5 Scissors, penknife and hone 2 0 0 17 Knives. 2 0 0 3 Cases with 3 R asors 2 0 0 3 Specta[c!es] and Spying Glass 2 0 0 1 Surveyors Chane [Chain] 1 0 0 22 Chisels and Gouges 5 10 0 3 Augurs, at 10 1 10 0 2Spades 1 0 0


1 Turning Collar, 25 Gimblets, Vice,

Hinges, Drills, Bow, Ragg Stones, etc. 3 0 0 5 Saws, 6 rasps 4 0 0 1 Ax Hammer and Hoe 1 15 0 2 Tennant [tennon] Saws 4 0 0 1 Stew pan, Tea Kettle, Mortar and Pestle 6 0 0 1 pr Bellows, Tongs, Shovel and pail 2 0 0 3 Hats 5 0 0 3 Wiggs. 12 0 0 1 Light Coloured Cloth waist-coat and

Britches 2 0 0 1 Black Cloth Coat, Waist Coat and

Britches 2 0 0 1 Brown Cloth Coat Waist Coat, 3 prs

Britches 2 0 0 1 Old Cloth Coat without Buttons and 2

prs Britches 1 0 0 1 Gingham Coat, Waist Coat and 2 prs

Britches 1 10 0 1 Buif Waist Coat Laced 4 0 0 1 Silk Grogram Coat, Waist Coat and 2 prs

Britches 10 0 0 1 Scarlet Cloth Cloak 2 0 0 1 ScarIet-Whitney Riding Coat 4 0 0 1 Searge and other Waist Cats, Britches,

Stockings, and Caps 1 10 0 1 pr Spatter Dashes, 1 Black Sarch 1 0 0 7 prs Shoes and 1 pr Slippers 6 0 0 1Silver hilted Sword Belt and Buckels 15 0 0 1 Mourning Sword and Belt 1 0 0 1 Hanger and Belt 2 10 0 1 pr pistols 4 0 0 1 Walking Cane and 1 Umbrella 2 10 0 14 flowered Cotton Handkerchiefs 1 10 0 17 Striped Ditton [Ditto ?] 2 2 6 6 Flowered, 1 Striped Thread Ditto 1 15 0 1 White ditto 5 0 6 pr old and 1 pr New Silk Stockings 10 0 0 9 prs Old thread ditto 3 0 0 1 pr New, 1 pr old Worsted ditto 1 10 0


12 plain Linen Caps. 1 0 0 6 LacedDitto. 15 0 4 Thread Caps. 5 0 1 Worsted, 1 Quilled and 1 Velvet Caps 1 0 0 1 Quilted and 1 Calico Waist-coat 2 2 Calico Night Gowns 12 1 Plade [plaid] Ditto 7 1 pr Striped Trowsers 1 1 1/2 Cravats, and 3 Stocks 3 11 Good Ruffles Shirts 22 12 Olds Shirts. 10 6 Night Shirts 6 2 prsGIoves. 10 6 prs Thread Stockings, New 6 10 3 yds 3/4 Garlix 2 10 lpr:P!ati!oes. 2 29 1/2 yds Gulick Holland at 17 s. 6 25 7 6 20 yds Striped Holland at 7 s. 6 7 10 4 1/2 yds Calico at 15 s 3 7 6 lyd: Ditto 15 1 Slip of Holland 12 6 21/8yd:Cambrick. 4 6 yds Black Cloth 13 10 3 3/4 yds Silk Grogram [Gros grain ?] 5 12 6 16 1/2 yds Ticken [Ticking ?] at 10 s. 8 5 6 12 1/2 yds Ditto sewed up for a mattress 5 16 Quires Large Cut paper at 7 s. 6 6 6 Quires Small Ditto 15 1 pr New Holland Sheets not flnished 10 1 pr Old Ditto 12 11 Course [Coarse] Napkins and Towels.. 2 1 Trunk. 1 15 IChest. 2 1 Hamper and Cask 1 ISeaISkin. 10 1 Leather Desk 1 10 4 Doz Medara [Madera] Wine 12 1 Doz Claret 4 10 1 Doz Ditto Prick* 6 8 Bottles at 6/7 3


ISitverWatch. 20 6 Silver Spoons, w' 11 oz, 7 pwt [penny-

weight] at 40 s. 22 14 0 6 Forks, 10 oz at 40 s. 22 1 Spoon and fork, 13 oz, 15 pwt at 40 s. 7 10 6 Tea Spoons, Tongs, and Strainer, oz

15 pwt 6 !n Sterling a Spanish Coin 4 oz, 15 pwt at

40 s 9 10 1 Gold 1/2 Guinea 3 12 6 1 Silver Snuff Box, 3 oz, 6 pwt 10 1 Three Stoned Diamond Ring 20 1 Seal Ring 4 2 prs Silver Sleeve Buttons 2 1 pr Shoe, 1 pr Knee and 1 Belt Buckle,

1 pr Sleeve Buttons, 1 Ring, Porte

Crayon and a Tooth Picker 40 s. 4 oz. 8 Carolina Currency 1 6 3 1 Brass Candie Sticks, 1 Brass Shuffers

and Stand, 1 Tinder Box, pr steel

sniffers 2

George Hunter

James Fowler

John Laurens

Wm Linthwaite

Ph. Massey

Memorandum, that on 28 Day of July 1737, personnaly came and appeared before me Ralph Izard one of Majesty's Justice's appointed to keep the peace in Berkley County, George Hunter, John Laurens, Wm Lithwaite, James Fowler, and Philip Massey, Being of the Appraisers appointed to Appraise the Goods and Chattels of Gabriel Bernard, Deceased, and Made Oath on the Ho!y Evangelists to make True and Perfect Inventory and Appraisement of A!I and Singular of the Goods, etc of said Deceased and return the same into the Sec'y's Office of this Province, According to time prescribed by Law.

Sworn before me

Ralph Izard

Recorded ye 20th Day of August 1737.


Extraits de la South Carolina Gazette (publiée à Charlestown) de 1734 à 1737, relatifs à la Colonie de Purrysbourg, dont Gabriel Bernard, oncle de Rousseau, a probablement fait partie.

Saturday August 3 to Sat. August 10, 1724

A private letter from London, dated March 25, informs us That Coll. Peter Purry is now in Switzerland, where great numbers of People are preparing to go along with him He reckons to bring over 4 or 500, many of which have got means to settle themselves They will be here in July next to embark in August their design is to land at the Town of Savannah in Georgia, and from thence proceed to Purrysburg, in expectation to possess and enjoy the Lands his Majesty has been graciously pleased to allot them there, and to share in the Encouragement that this Province has given for the settling of Townships.

Saturday, November 9 to Sat. November 16, 1734. Extract from the speech of his Excellency Robert Johnson, Esq.

The making Provision for the subsisting of Coll. Purry's People just arrived, which Mr. Oglethorp acquaints me his Majesty expects as looking upon Georgia and Purrysburgh as the Greatest Security and beneflt imaginable to this colony. Same number.

Coll. Purry is lately arrived from England at Purrysburg in the ship Simmon, Capt. Cornish, with 260 Switzers Protestants and their minister Mr. Chieselle (sic) One hundred and odd more are expected there every day, who are ready to embark in the beginning of October last, amongst those are 40 persons of the persecuted Protestants in Piemont, and a Collecte has been made for them in England where we hear that James Oglethorpe, Esq; has subscribed 40 L. ster. the Duc de Montaigu and several other Persons of distinction have likewise handsomely subscribed. 'Tis hoped the Province


will be kind enough to afford them the necessary Provision, Tools, Cattle, etc. in order to help forward an infant Colony which is now almost two years old.

Saturday November 16 <o Nov. 23, 1724.

We hear that on Saturday last the Petition of Coll. Purry was read and examined by the Hon. The Common House ot Assembly, wherein he demanded (1) the 200 L. sterl. due to him, for having carried over to South-Carolina even a greater number of people than he engaged for, might be paid to him, 100 L. sterl. now and the other 100 in the month of March next. (2) That the neccessary Provisions [mot rogné par la reliure] to the 260 Persons he brought over with him last, the same as it was given to them that came before. (3) And lastly that the Debts made at Georgia by the Passengers that landed there for Purrysbourg, for victuals and other necessaries, likewise for Periawgers [?] to carry them to the said Place, might be paid. Both the Hon. Houses flnding his demands very reasonable, readily granted them. To the Petition of the Minister at Purrysbourg, Mr. Chisselle [ste], it was answered that the Pension of a Minister could not yet be allowed to him, till the Town of Purrysburg should be erected into a Parish in the meanwhile one hundred Pounds should be paid to him for defraying the Charges of his voyage, and further care be taken to satisfy him.

Saturday April 19 <o April 26, 1735.

By letter from Purrysburg of April 10, we are informed that of 200 Protestant Swiss who were to embark in London for that Place, 110 having been put a shore in Georgia by Capt. Thompson, were arrived there, that the King has given them out of his own Money, 1200 L. sterl. to pay their Passages, on Condition that they should settle in Purrysburgh and no where else That upon this Fund, notes were made amounting to the said Sum payable in five years. Saturday April 12, <o April 19, 1735.

By His Excellency Robert Johnson, Esq. A ProcLamation.


Whereas 1 have received Information from Coll. Peter Purry that several Persons at Purrysburgh have sold lots and Land to whieh they pretend Right, in the Township of Purrysburgh altho they have obtained no grants for the same.

Saturday April 26 <o My 3, 1735.

On Monday arrived here the Scooner Dolphin, James Lush, Ut 7 weeks from London, with about 30 Swiss for Purrysburgh.

Saturday November 15 to November 22, 1735.

By private letters from London to a Merchant in this Town we are informed that his Majesty out of his Royal Bounty lately has been pleased to pay the Passages of 100 Switzers, who are coming by the way of Georgia to settle in the Township of Purrysburgh. A strong indication that his Majesty is resolved to assert that Colony's Titles to those Lands that are at present in Dispute, if there is Occasion. Saturday June 26 to July 3, 1736.

In the Council Chamber, Tuesday, the 25th of June 1736. Ordered That the Account of the Charges paid by the l'ublick, for the Township of Purrysburgh, from the flrst Settïement thereof, to the 25 th of March 1736, be printed in the Gazette of this Province, and that the clerk of this Board do'serve the Printer with a copy thereof.

[Account follows].


NOTE DOCTRINALE

SUR UNE PAGE DES CONFESSIONS

On peut en règle générale départager les théoriciens politiques en deux grands groupes. Il y a d'abord ceux qui attendent la régénération de l'humanité ou, tout au moins, le progrès d'une réforme des institutions, et à l'opposé ceux qui n'estiment cette régénération possible que par la réforme des individus. Progrès par la vertu des institutions ou progrès par la vertu des individus sont les deux grands thèmes qui reviennent, soit dans leur pureté soit en se combinant et s'équilibrant, toujours dans toutes les doctrines en les opposant les unes aux autres.

Entre ces deux groupes Rousseau doit être en principe rangé parmi les représentants du premier, de celui des partisans de la réforme des institutions. Malgré son individualisme philosophique, malgré son pessimisme historique qui forme la compensation et l'écho de la raison à son enthousiasme sentimental, il a une foi profonde dans l'action des institutions sur la vie sociale comme sur la vie individuelle. Certes, c'est bien son enthousiasme qui a fécondé son influence, mais il est également responsable d'une multitude de contre-sens, d'attaques et de déformations que l'histoire des idées et des doctrines a fait subir à sa doctrine 1.

(1) La foi en la vertu des institutions est ce qui différenciera toujours la pensée de Rousseau de celle d'un Tolstoy pour qui la seule chose qui compte dans la vie sociale, comme d'ailleurs en


Rousseau ne serait pas l'enfant du xvm* siècle, le fils de Genève calviniste héritière de toute l'évolution que le calvinisme politique y a subi, s'il pensait autrement. Si l'on ajoute à ce courant général ses expériences personnelles, il ne sera pas difficile de discerner les sources de sa foi en la vertu des institutions. II s'en souvient d'ailleurs dans les Confessions à plusieurs reprises 1. Lorsqu'il se rappelle ses déboires de Venise, ne dit-il pas qu'il a gardé un germe d'indignation contre nos sottes institutions c/M'/gs ? L'avenir ne pouvait que confirmer ses premières impressions. Il les généralisa et en tira des principes fondamentaux qu'il devait par la suite utiliser dans ses ouvrages de doctrines. Je ne veux pas dire par là que ce qu'il peut se trouver d'amertume dans les ouvrages de Rousseau soit l'oeuvre de ses déboires personnels, ce ne serait ni juste ni équitable, et c'est d'ailleurs un thème sur lequel on a suffisamment brodé. L'amertume s'explique aussi bien sinon encore mieux par un pessimisme historique et philosophique qui est une partie intégrante de sa pensée et dont on parle beaucoup moins. Si même les déceptions personnelles entrent pour quelque chose dans ce pessimisme il est assez difficile de doser équitablement l'influence de ces deux sources. Quoi qu'il en soit de ce problème auquel nous ne toutout, est l'effort individuel. Cette différence capitale me semble n'avoir pas été suffisamment mise en lumière dans la plupart des travaux consacrés au problème Rousseau-Tolstoy, tels que les ouvrages de MM. Benrubi et Markovitch. Elle ne doit cependant pas être omise malgré tous les rapprochements qu'on peut être tenté de faire par ailleurs.

(1) Je cite d'après l'édition de M. A. van Bever, Paris, Garnier, Selecta, 1926, reproduisant le texte du même éditeur de l'édition Crès, 1913.

(2) Confessions, II, 139.


chons pas ici, ce qui importe est la conclusion de Rousseau et la voici telle que lui-même l'a consignée dans ses Con/ess/ons

« Il y avait treize ou quatorze ans que j'en avois conçu la première idée (des Institutions Politiques), lorsqu'étant à Venise j'avois eu quelque occasion de remarquer les défauts de ce gouvernement si vanté. Depuis lors, mes vues s'étoient beaucoup étendues par l'étude historique de la morale. J'avois vu que tout tenoit radicalement à la politique, et que, de quelque façon qu'on s'y prît, aucun peuple ne seroit jamais que ce que la nature de son gouvernement le feroit être aussi cette grande question du meilleur gouvernement possible me paraissait se réduire à celle-ci Quelle est la nature du gouvernement propre à former le peuple le plus vertueux, le plus éclairé, le plus sage, le meilleur enfin, à prendre le mot dans son plus grand sens ? J'avois cru voir que cette question tenoit de bien près à cette autre-ci, si même elle en étoit ditl'érente Quel est le gouvernement qui, par sa nature, se tient toujours le plus près de la loi ? De là, qu'estce que la loi ? et une chaîne de questions de cette importance. »

Lorsque Rousseau écrivait ces pages il revivait en pensées l'époque de sa vie qui précède son séjour à l'Hermitage, son voyage à Genève (il y fait allusion immédiatement à la suite de notre citation) et son retour à Paris. Or, c'est lors de ce retour que le comte de Saint-Pierre lui remettait, par l'intermédiaire de Madame Dupin, les manuscrits de l'abbé de SaintPierre, avec la prière d'en extraire ce qui pouvait faire matière d'une publication à la portée d'un pu(1) Confessions, 11~ 244 c'est moi qui souligne.


blic cultivé qui ne voulait pas se morfondre à lire les pages interminables de l'abbé. Rousseau se rendit promptement compte de la difnculté de la tâche qu'il avait assumée, mais il ne pouvait plus reculer. Des scrupules lui interdisaient de rendre les manuscrits, il lui fallait donc en tirer parti. Il les emporta à l'Hermitage. Le résultat de ce travail fut, comme tout le monde le sait, ses analyses et jugements sur l'abbé de Saint-Pierre dont quatre seulement furent achevés (Extraits et Jugements sur la Paix Perpétuelle et sur la Polysynodie).

11 ne faut cependant pas oublier que le premier objet de Rousseau avait été de donner des extraits de toutes les œuvres de l'abbé et de tes faire précéder d'une notice biographique sur leur auteur. Ce plan fut tôt abandonné mais il en subsiste des notes, tant biographiques que critiques. dont plusieurs ont été incorporées dans les Confessions 1. De toute façon, (1) Œutves et Correspondance inédites de J. J. Rousseau, P. p. G. Streckeisen-Moultou, Paris, Michel Lévy Frères, 307-311 et Annales de la Société ./eon-Jacçues Rousseau, tome II Pages inédites de Rousseau, p. p. Th. Dufour, XVII. partie, pgs. 244-257. La publication de M. C. Vaughan, The Political Writings of Jean Jacques Rousseau, Cambridge, 1915, ne contient qu'un seul fragment inédit sur l'abbé, encore était-il déjà connu mais dans une transcription fautive par la publication de Streckeisen-Mouftou (cf. Vaughan, I, pg. 360 note, et Streckeisen pg. 311). Les MS sur l'abbé se trouvent à Neuchâtel sous les N" 7829, 7830, 7858 et 7859. La critique de la publication Streckeisen n'est plus à faire, je tiens toutefois à signaler que le premier qui a relevé les multiples erreurs et les mutilations des textes commises par M. Streckeisen est M. Alexeieff dans le deuxième volume de ses Etudes sur Rousseau (en langue russe), Moscou Wassilieff, 1887, pgs. 24-48 et 320-322, note 30. Voici un exemple de l'utilisation des notes Confessions il est étonnant que t'abbé de Saint-Pierre, qui regardoit ses lecteurs comme de grands enfants, leur parlât cependant comme à des hommes. (!I, 247) Str.-M. son défaut


Rousseau a eu entre les mains les manuscrits de SaintPierre, qu'il inventoria, et c'est cet inventaire qui subsiste encore dans un Ms. conservé à la Bibliothèque de Neuchâtel Bien que cet inventaire n'ait pas été publié je pense pouvoir affirmer que, parmi ces manuscrits, il se trouvait celui qui contient la presque totalité des oeuvres de l'abbé, et qui est aujourd'hui conservé à la Bibliothèque de la ville de Rouen Desétait moins de nous regarder comme des enfants que de nous parler comme à des hommes. e (Op. cit., 309).

(1) En plus des manuscrits, Rousseau avait également reçu le recueil des Œuures imprimées, qui constituaient 17 volumes, ce qui avec les 6 cartons de MS formait en tout 23 volumes, chiffre qu'il donne dans les Confessions, II, 248. L'inventaire dressé par Rousseau se trouve à Neuchâtel dans le MS. 7840 (cf. Vaughan, op. cit., 514 et Th. Dufour, Recherches Bibliographiques sur les (Euures Imprimées de J.-J. Rousseau, H, 120). Je tiens ici à rendre hommage à toutes ces publications d'inédits qui par leur exactitude permettent des recherches précises sans déplacements. M. Dufour a avec bien d'autres admirablement servi la mémoire de Rousseau. En l'espèce son inventaire des Papiers Rousseau à Neuchâtel rend une inSnité de services. Cependant pour une publication qui ne sera jamais reprise il est à regretter qu'au moment de sa publication elle n'ait pas été tenue à jour (M. Dufour ne connaissait pas la publication Vaughan) et que certaines de ses parties n'aient pas été refondues. Ainsi le MS. 7843 fait l'objet de deux descriptions sous les ?* XVII et XVIII. Ces deux inventaires qui ne se confondent pas auraient dû être fondus ensemble). (2) Les manuscrits des Œuvres de l'abbé de Saint-Pierre constituent trois volumes qui sont conservés à la bibliothèque de Rouen sous les N" 948, 949 et 950. Ils ont été l'objet d'une étude approfondie de M. Joseph Drouet auquel nous empruntons les citations que nous en donnons et les renseignements ci-dessus. M. Joseph Drouet est l'auteur du meilleur ouvrage sur l'abbé de Saint-Pierre intitulé L'Abbé de Saint-Pierre, l'homme et Z'œuure, Paris, Champion, 1912 et L'Abbé de Saint-Pierre, Annales Poftttques (1658-1740), nouvelle édition p. p. Joseph Drouet, Paris, Champion, 1912. Le premier des volumes manuscrits porte sur la page de garde l'inscription suivante: « Mon dessein est de laisser ces copies manuscrites, corrigées de ma main, à la branche aînée de ma famille


tiné à la famille de l'abbé, il contenait également un genre d'autobiographie de l'auteur, que Rousseau a dû consulter lorsqu'il travaillait à la notice biographique qu'il voulait écrire. Or, voici ce que ces mémoires nous apprennent sur l'évolution de la pensée de l'abbé de Saint-Pierre, et sur l'origine de son intérêt pour la politique

« Après différentes lectures qu'il (l'abbé) fit sur les dilférents moyens que prennent les hommes pour augmenter leur bonheur et pour diminuer leurs maux, il s'aperçut que la plus grande partie du bonheur ou du malheur venait des bonnes ou des mauvaises lois. Ce fut cette persuasion qui le détermina à s'appliquer désormais à l'étude du gouvernement, pour tâcher de découvrir le moyen de former des règlements sages et de faire faire de bons établissements, qui engagent suffisamment les hommes par leur intérêt particulier, à travailler constamment et avec ardeur pour procurer l'intérêt public. Cette réilexion qui se présentait souvent à son esprit, le persuada que la morale n'était pas la science la plus importante pour le bonheur des hommes mais que c'était la politique ou la science du gouvernement, et qu'une loi sage pouvait rendre incomparablement plus d'hommes heureux que cent bons traités de morale. Ainsi, dans le dessein de devenir plus utile à la société, il quitta l'étude de la morale pour l'étude de la politique » 1.

Je ne crois pas qu'il puisse faire de doute que lorsque Rousseau écrivait la page précitée de ses Confessions, il songeait à cette page des manuscrits de SaintPierre, qui est, d'une manière plus générale encore, (1) Drouet, op. cit., pg. 33. La notice autobiographique provient du MS. 950'; cf. la description des Annales dans le deuxième onvrage du même auteur, pgs 1 et II.


infiniment intéressante pour tracer la ligne de démarcation entre Rousseau et la tendance générale du xvm' siècle, telle que celle-ci est formulée par l'abbé de Saint-Pierre.

Rousseau accepte bien l'idée d'une concordance possible entre l'intérêt général et l'intérêt particulier, de manière que, si celui-ci est bien éclairé, la volonté générale lui apparaît comme un fruit mûr qu'il n'y a plus qu'à cueillir grâce à un procédé simple et uniforme, en l'espèce un procédé mathématique. Mais on ne soulignera jamais assez ce qu'il y a de proprement original dans cette conception de volonté générale du point de vue de la philosophie sociale.

C'est sur ce point d'ailleurs que Rousseau se sépare de l'abbé de Saint-Pierre et avec lui de l'idée de son siècle. II n'abandonna jamais l'étude de la morale et [t'Emue est là pour en faire foi. La volonté générale est pour lui une synthèse des éléments individuels et sociaux, de la raison et de la foi, du rationalisme et de l'intuition et seule cette synthèse pouvait être un gage de bonheur. Contrairement à l'optimisme de SaintPierre, il se rendait parfaitement compte de la difficulté du problème qui demandait non seulement de bonnes lois mais une préparation de l'âme individuelle à les accepter. Cette préparation c'est pour une grande part l'éducation, mais c'est aussi la religion civile. Un vif sentiment du tragique de la vie sociale ne lui a jamais fait défaut. Ne tentait-il pas justement en 1762 de répondre à une question de ce genre posée par la Société Economique de Berne qui demandait Quel peuple a jamais été le plus heureux ? Il ne donna pas de suite à ce projet de réponse dont il ne fait


pas état dans ses lettres à la Société mais des fragments suffisants nous en sont parvenus pour que nous puissions juger de ce qu'elle aurait été

« Ce qui fait la misère humaine, y écrit-il, est la contradiction qui se trouve entre notre état et nos désirs, entre nos devoirs et nos penchants, entre la nature et les institutions sociales, entre l'homme et le citoyen. Rendez l'homme un, et vous le rendrez aussi heureux qu'il peut être. Donnez-le tout entier à l'Etat, ou laissez-le tout entier à lui-même. Rendez les hommes conséquents avec eux-mêmes, étant ce qu'ils veulent paraître et paraissant ce qu'ils sont. hommes civils par leur nature, et citoyens par leurs inclinations, ils seront uns, ils seront bons, ils seront heureux, et leur félicité sera celle de la République. Ces lignes écrites au moment de la publication du Contrat Social et de l'Emile suffisent pour montrer combien profondément Rousseau sentait les contradic.tions de la vie sociale. Ce sentiment lui interdisait de suivre les opinions optimistes de l'abbé de SaintPierre il s'en trouvait en violente contradiction avec (1) Ce projet de réponse a été publié par Streckeisen-Moultou, op. cit., pgs. 223-228, sous le titre de pure invention Des Conditions du bonheur d'un peuple. II provient de Neuchâtel 7843, mais l'éditeur y a joint arbitrairement des fragments de Neuchâtel 7849. Sa lecture a été faite avec son inexactitude coutumière (le début en est absolument faux). Vaughan en donne la lecture exacte, op. cit., I, 325-329. Pour l'importance que Rousseau attribuait à cette tentative de réponse, cf. sa lettre à Tscharner du 29 avril 176Ï (Correspondance générale, p. p. Dufour et Plan, VII, pgs. 202-206). L'édition Hachette donne cette lettre comme adressée aux Membres de la Société Economique de Berne, mais elle donne en revanche tes références aux questions posées par la Société Economique de Berne, références que la Correspondance Générale omet. Th. Dufour a montré depuis longtemps (cf. Annales, t. II, pg. 159 n. 2) qu'il fallait lire Société des Citoyens à Berne.

(2) Vaughan, op. cit., I. 326.


son siècle et surtout avec la coterie philosophique dont le séparait également mille autres contradictions. Mais ceci ressortit à une étude générale de la philosophie politique de Rousseau qu'il n'y a pas lieu d'entreprendre ici.

Le rapprochement qui précède pourrait sembler interdire une autre question à savoir Rousseau est-il un disciple de l'abbé ? mais en lui donnant un sens bien plus restreint on peut tout de même se la poser. L'auteur du meilleur ouvrage que nous possédons sur l'abbé de Saint-Pierre la pose justement sous cette forme et saisit cette occasion pour formuler une nouvelle accusation contre Rousseau de contradiction dans les jugements qu'il formule au sujet des ouvrages de l'abbé

Rousseau qui ne marchanderait pas les éloges à l'auteur dans les analyses de ses ouvrages prendrait exactement le contre-pied de ces éloges dans ses jugements, donnant ainsi une preuve de plus de son amour des paradoxes et des contradictions. L'auteur semble d'ailleurs partager l'avis de Grimm qui dans sa lettre du 1" mai 1761 affirmait que le Projet de Paix Perpétuelle était devenu sous la plume de Rousseau plus absurde qu'il n'était dans l'ouvrage de son auteur. Nulle vue profonde, nulle notion de politique, nulle idée qui puisse du moins faire rêver sur la chimère d'une manière agréable et touchante Les raisons qui alimentaient l'animosité de Grimm (1) Drouet, op. cit., 330-333.

(2) Correspondance de Grimm, éd. M. Tourneux, Paris~ Garnier, ÏV, 394.


à l'égard de Rousseau sont trop connues pour être reprises ici, mais il me semble que l'auteur de l'ouvrage sur Saint-Pierre a eu doublement tort de reproduire ce jugement et d'en étayer son accusation portée contre Rousseau. Les fragments que nous connaissons sur Saint-Pierre et les quelques pages que Rousseau lui consacre dans ses Confessions me semblent encore jusqu'à présent le jugement le plus équitable à l'égard de l'abbé, jugement formulé par quelqu'un qui a le mieux connu tous les ouvrages de Saint-Pierre à l'exception peut-être de M. Drouet lui-même. Je ne veux d'ailleurs pas dire que la question formulée par M. Drouet demande une réponse affirmative. La note qui précède prouve le contraire. Mais il me paraît indiscutable que l'étude des manuscrits de l'abbé si elle n'a donné lieu qu'à la publication de quatre petits écrits de Rousseau a certainement précisé et aidé à clarifier bien des problèmes qui se posaient à Rousseau à son retour de Genève.

Paul LÉON.


UNE ESTAMPE

DE LA BIBLIOTHEQUE DE VERSAILLES ANNOTEE PAR J. J. ROUSSEAU

Les œuvres de J. J. Rousseau ont été illustrées un nombre considérable de fois et les suites de ces vignettes sont fort recherchées. Elles ont été, comme l'on sait, minutieusement étudiées par le comte de Girardin dans un travail d'Iconographie aussi savant que volumineux, paru à Paris en 1910.

La Bibliothèque de Versailles possède une de ces gravures, détachée d'une édition de la Nouvelle Héloïse, Tome III. Partie VI. Planche XII. Page 301. Elle est signée Martinet (Louise) et représente l'instant où Julie, au cours de la promenade sur la digue de Chillon. se précipite au secours de son plus jeune fils, Marcelin, tombé à l'eau, acte d'amour maternel qui entraîna sa mort (cf. lettre IX, de Fanchon Anet à SaintPreux).

Ce qui rend cette vignette très précieuse, c'est l'observation faite par Jean-Jacques, qui fut un véritable Inspirateur d'Estampes 1, au bas de cette scène « Cette froide et ridicule estampe avec ce pied de Julie en l'air comme pour danser, a été ajoutée à mon inseu je ne sais par qui ni pour quoi, et n'est point dans les premières Editions

(1) Cf. Alexis François, Le Premier Baiser de l'Amour. Genève, 1920, tn-4*.


Au dos, cette note « L'écriture ci-dessous est de Jean-Jacques Rousseau et la gravure est enlevée à un exemplaire de ses œuvres qu'il avoit donné à mon grand-oncle, le marquis de Flamenville. (Signé) M" du Prat

L'on n'ignore pas combien se multiplièrent les recueils des œuvres complètes duquel fut arrachée cette estampe évocatrice ? Nos recherches à la Bibliothèque Nationale ne nous ont pas permis de résoudre cette petite énigme nous souhaitons qu'un des fervents collaborateurs des Annales de la Société J. J. Rousseau identifie l'édition que posséda, don de JeanJacques lui-même, le Marquis de Flamenville.

Georges MAUGU!N.

II

L'intéressante communication de M. G. Mauguin valait que l'enquête se poursuivît. Naguère déjà la rancune de Rousseau contre cette estampe fut signalée d'après un exemplaire conservé à Genève ce fut dès 1909 par M. Daniel Mornet, ici-même, au tome V, page 65 puis M. Alexis François, dans son beau livre le Premier Baiser de l'Amour, Genève, 1920, page 28, donna en hors-texte la pièce incriminée portant la sévère remarque de l'ancien apprenti graveur. L'estampe reproduit en contre-épreuve la composition parue dans la Nouvelle Héloïse, édition Duchesne, 1764, et signée H. Gravelot inv. De Longueil scul., avec le titre L'amour maternel (en lettres blan-


ches), le cadre étant surmonté des indications suivantes Tome IV. 12e [planche]. Page 241. Julie a le pied levé vers la gauche du lecteur.

La correspondance connaît bien l'initiative de l'éditeur parisien. Le 12 février 1763, Guy informe Rousseau « Nous faisons faire un nouveau dessin pour remplacer le douzième [du Recueil d'Estampes de 1791] qui n'a jamais trop convenu Le 23 avril « Voici une épreuve à l'eau-forte de celle qui remplace la 12e ». Mais Jean-Jacques réagit énergiquement le 28 avril « L'estampe dont vous m'avez envoyé l'épreuve me paraît assez mal dessinée. Le corps de Julie et son attitude sont d'une contrainte et d'une affectation insupportables. Cela glace entièrement le sujet qui, du reste est bien choisi (Corr. gén., t. IX. p. 85, 246, 259). Ainsi, dès l'origine, l'écrivain est mécontent de la réalisation plastique d'une scène qui était chère à son cœur.

La même réprobation stigmatise l'estampe de Versailles et celle de Genève. Les termes sont identiques, mais la disposition présente quelques divergences minimes coupe des lignes, emploi des majuscules faut-il en déduire que les annotations ont été établies indépendamment l'une de l'autre ? vraisemblablement, Rousseau avait entre les mains l'exemplaire de Genève qui n'a ni signature ni légende quoi qu'il en soit, voici, à titre de comparaison, le texte de ce dernier exemplaire « Cette froide et ridicule estampe avec ce pied de Julie en l'air, comme pour danser, a été ajoutée à mon inseu je ne sais par qui, ni pourquoi, et n'est point dans les premières éditions ». Evidemment, le romancier n'avait pas été tenu au courant de la réédition de l'estampe malencontreuse, regravée en contre-épreuve par un nouvel artiste, et


il gardait le droit d'affirmer à Rey, le 27 avril 1769 « N'ayant pris aucune part au recueil », c'est-à-dire à l'édition des Œuwes complètes dédiée à Du Peyrou (cf. Dufour, Recherches bibliographiques, t. Il, p. 15, 16, n°' 381, 382). L'exemplaire de Genève est un état avant la lettre qui figure dans la Nouvelle Héloïse de 1769, englobée dans le recueil précédent alors que l'exemplaire de Versailles, après la lettre et signé, atteste une gravure nouvelle, d'une facture assez grossière. et offre des différences de détail, spécialement, des noirs beaucoup plus accentués. Cet aspect oblige à le rapprocher de la série qui illustre les Œuvres. Tome Quatrième (cinquième, sixième). Julie, ou la Nouvelle Héloïse. Troisième édition originale, revue et corrigée par l'Editeur. Tome Premier (deuxième, troisième). A Amsterdam, chez Marc-Michel Rey, MDCCLXXII. 3 vol. in-8°.

Nous avons affaire à l'édition décrite par M. U. Mornet (Nouvelle Héloïse, Paris, 1925, t. I, p. 206, n° XXVIII, ou Annales J. J. Rousseau, t. V, p. 80, n° XXVIII) d'après un exemplaire introuvable aujourd'hui à la Bibliothèque de Genève, et par Uufour (Recherches, t. I. p. 104, n° 104) qui indique une cote ne correspondant à rien dans la même Bibliothèque. En revanche, l'exemplaire conservé à Neuchâtel est conforme à cette double description, avec cette réserve qu'il renferme au tome III de la Nouvelle Héloïse, le seul en cause ici, deux états des estampes 9, 10, 12 et 13, comme suit Planches 9 et 10 a) sans signature, avec légende; b) signé Martinet, avec légende. Planche 12 Tome 111. Partie VI. Planche XII. Page 301 a) sans signature, sans légende b) signé Martinet L'amour maternel. Planche 13 a) sans signature, sans légende b) signé


Martinet. E. A. Giraud fésit 1772 sans légende. Planche II un seul état signé Martinet, avec légende.

Concluons l'estampe de Versailles a été enlevée à l'édition de 1772. Mais il est malaisé de fixer une date à ce don de Rousseau c'est quelque part entre 1776 année où le marquis vint s'établir à Paris et 1778, où il vint à Ermenonville. Faut-il voir là un spécimen de l'écriture de Jean-Jacques dans ses derniers jours ? juin 1778, soit trois semaines avant sa mort ? L'attestation d'authenticité signée de Prat mérite un bref commentaire. Le marquis de Flamenville est bien connu par les travaux de M. Louis Aurenche (Un dernier ami de J. J. Rousseau. Paris, 192T). Chevalier d'honneur de l'Ordre de Malte, il était demi-frère de Joseph-Antoine-Alexis de Nonant-Raray, qui épousa en 1785 Cécile-Rose de Nonant-Pierrecourt, dont il eut Simplicie-Reine-Rose celle-ci épousa en 1807 le marquis de Prat, père du signataire. Corancez a parlé du chevalier (De J. J. Rousseau. Paris, an VI, p. 55), et l'on a de celui-ci une lettre adressée au philosophe (cf. Corr. gén., t. XX, p. 341).

Louis-J. COURTOIS.


A propos

du PREMIER BAISER DE L'AMOUR

Une récente trouvaille nous permet d'apporter une modeste contribution à l'histoire encore bien obscure de la planche célèbre que Jean-Louis Copia a gravée d'après le dessin de Prud'hon aujourd'hui au musée du Louvre. On sait que M. Alexis François, professeur à l'Université de Genève, a consacré une intéressante monographie aux diverses gravures qui, sous le titre « Le Premier Baiser de l'Amour », ont illustré les éditions du XVIIIe siècle de la Nouvelle Héloïse. A propos du chef-d'œuvre de Prud'hon, il rappelle que cette planche a paru en 1808, dans une édition de Bossange, Masson et Besson mais que, d'après Cohen, elle se trouvait déjà dans une édition précédente publiée à Paris en 1804.

Elle est certainement plus ancienne toutefois, ajoutait M. Alexis François, puisque le graveur Copia est mort en 1799. Il pense qu'elle a dû être dessinée et gravée vers 1795, à l'époque où Prud'hon retiré en province par suite de la disette, s'est mis à travailler pour différents éditeurs.

La trouvaille que nous venons de faire donne entièrement raison à M. Alexis François. Un exemplaire de La Nouvelle Héloïse que nous avons rencontré à Bordeaux, et qui contient non pas une mais deux très belles épreuves du « Premier Baiser de l'Amour de Copia et Prud'hon, nous apporte la preuve que cette magnifique estampe était exécutée dès 1795, au moins. Voici le titre de cette édition


La Nouvelle Héloïse ou Lettres de deux Amants habitants d'une petite ville au pied des Alpes recueillies et publiées par J. J. Rousseau citoyen de Genève Tome premier (II, III et IV) Fleuron A Rouen chez la veuve de Pierre Dumesnil et Comp. Impr.-Libr. rue de L'Union ? 20 Double trait L'an troisième de la République française.

Il convient de remarquer, circonstance fort importante, que la collation de cet exemplaire de la Nouvelle Héloïse est exactement conforme à celle de 1808 et que les deux exemplaires que nous avons sous les yeux coïncident page par page et ligne par ligne. 11 n'y a pas d'autre modification que celle du titre qui, dans l'édition de l'an III, ne comporte pas les « Six gravures qu'annonce l'édition de 1808.

L'exemplaire de l'an III ne comprend d'ailleurs que quatre des six gravures de Copia Le buste de J.-J. Rousseau, le « Premier Baiser de l'Amour », « Ma fille respecte les Cheveux blancs de ton malheureux Père et « Il appliqua sur sa Main malade des baisers de Feu

A propos de cette dernière estampe signalons le fait que déjà à cette époque (l'an III) la faute qui avait été commise dans l'inscription « il applica » a été rectifiée.

Mathias MORHARDT.


7. La date d'un miracle attesté par Jean-Jacques.

Au début de 1765, les Lettres de la A~on/ag'ng menaient grand bruit, ces négatrices du miracle et voilà que leur auteur était pris en flagrante assertion. d'un miracle L'agent en avait été l'Evoque d€ Genève, et le témoin le Citoyen de Genève Fréron de jubiler, Rousseau de rire, Du Peyrou de taquiner 1.

Par deux fois, Jean-Jacques a narré l'intervention décisive de Mgr Bernex de Hossillon à Annecy ses prières détournèrent le vent et sauvèrent la maison de Madame de Warens menacée par l'incendie qui ravageait le couvent des Cordeliers. Les faits sont concordants, non la date septembre 1729, d'après la relation insérée dans le Me/nozre 2 remis le 19 avril 1742 à M. Boudet, antonin, qui travaillait à l'histoire de l'évêque tandis que le récit des Confessions est vague sur ce point « Pendant que j'étais au séminaire. C'est à peu près à ce temps-ci. » 3, souvenir vivace d'un événement dont la date précise lui échappait normalement à quelque trente-cinq ans d'intervalle. Signalé naguère ici-même, un document conservé aux Archives d'Etat de Genève nous tire d'embarras (1) Théophile Dufour a groupé tous les textes qui intéressent cette affaire cf. Annales J.-J. Rousseau, t. II, p. 171. (2) J.-J. Rousseau, Œuvres, éd. Hachette, t. XII, p. 293, ou Correspondance générale, éd. Dufour, t. I, p. 155, d'après le manuscrit. (3) J.-J. Rousseau, CEuures, t. VIII, p. 84, ou Première rédaction des Confessions, publiées par Dufour, dans les Annales J.-J. Rousseau, t. IV, p. 274.


le sinistre éclata le dimanche 16 octobre 1729. Il suffit de lire dans le Registre du Conseil pour l'année 1730, au folio 42, le procès-verbal suivant:

<: Du lundy 23' Janvier 1730. Monsieur le Premier [Syndic, Louis Le Fort] a fait lire une lettre à luy addressée par B. Gariod 1, Gardien du Couvent de St François des Pères Cordeliers d'Annecy du 2l* Janvier 1730 dans laquelle il prie qu'on luy permette de venir avec un de ses confrères demander à nos riches citoyens leur aumone au sujet de l'incendie arrivé à leur convent le 16° octobre dernier. Sur quoy a été dit qu'on luy envoye deux louys d'or de L [ivres] 11. 4. ». et que Monsieur le Premier prenne la peine de lui répondre que nous ne pouvons permettre la collecte qu'il demande. x Dans sa sécheresse, le texte officiel souligne la réserve et la générosité gouvernementales toujours sur le qui-vive à l'égard du prosélytisme catholique, Genève agissait chrétiennement envers ceux pour qui elle demeurait un nid d'hérétiques chrétiennement, car l'on ne saisit pas l'intérêt temporel qu'elle eût pu trouver au bien-être des disciples savoyards du saint d'Assise. Les relations de bon voisinage avaient singulièrement progressé depuis l'Escalade.

77. Maître Pathelin et l'Emile.

Au livre III de l'Emile, Rousseau en veine de vitupérer déclare ironiquement « A Paris le riche sait tout; il n'y a d'ignorant que le pauvre. Cette capitale (1) Louis-J. Courtois, Chronologie critique, p. 14, dans les Annales J.-J~. Rousseau, t. XV, donne par erreur Garisod.


est pleine d'amateurs et surtout d'amatrices, qui font leurs ouvrages comme M. Guillaume inventait ses couleurs ». On ne trouvera pas dans la farce du xve siècle un passage quelconque qui explique l'allusion relevée ici. En revanche, elle est pleinement éclairée par l'adaptation que l'abbé David-Augustin de Brueys en donna avec un succès qui s'affirma longtemps à la scène, et qui se prolonge de nos jours.

N'ayant pu consulter les éditions de 1706 et de 1715 de l'~oco/ Patelin, comédie en 3 actes, je citerai, du même Brueys, les Œuvres dé Théâtre. Paris, 1735, 3 vol. in-12 au tome III, pages 111 et 112, acte I", scène 5", je lis

PATELIN. Parbleu La couleur de ce drap fait plaisir à la vue.

GUILLAUME. Je le crois c'est couleur de marron. P. De marron, que cela est beau ? Gage, Monsieur Guillaume, que vous avez imaginé cette couleur-là ? G. Oui, oui, avec mon teinturier.

P. Je l'ai toujours dit, il y a plus d'esprit dans cette tête-là, que dans toutes celles du village.

Dès lors le sens du passage de l'Emile saute aux yeux l'exemple de M. Guillaume sert à renforcer en la doublant, la phrase précédente « S'il a le malheur d'être élevé à Paris, et d'être riche, il est perdu. Tant qu'il s'y trouvera d'habiles artistes, il aura tous leurs talents mais loin d'eux il n'en aura plus ».

Louis J. COURTOIS.


BIBLIOGRAPHIE

Complément pour la bibliographie des années 1924, 1929, 1930, 1931 et 1932.

ALLEMAGNE

Handbuch der Literaturwissenschaft. Hsgg. von Oskar WALZEL. Die Romanischen Literaturen von der Renaissance bis zur /ranzos!SCjhe/! Revolution, von Viktor KLEMPERER, Helmut HATZFELD, Fritz NEUBERT. Wildpark-Postdam, Akad. Verlagsgesellschaft Athenaeon (1924), in-4°, 420 S. Illustr.

S. 392-398 Fritz NEUBERT, Jean-Jacques Rousseau.

CHINE

Che-kiai wen hio ming tchou. Lou-SAO tchou, rcAon-Aouet ~OH. TCHANG Tou yi. (Célébrités littéraires du monde. I. Rousseau, les Confessions. Traduites par Tchang Tou.) Shangaï, The Commercial Press, 1931, in-16, 2 vol., 244+252 pp.

La première édition a paru en 1929. Le premier volume compte quelques hors-texte empruntés aux éditions européennes il s'ouvre par trois avant-propos de MM. Wo-Tsé Houei (p. 1-2), Tsai You-Pei (p. 3), Tchang Tou (p. 5-10). La p. 11 donne la table des matières des deux volumes.

ESPAGNE

Julio de URQUHO. Los Amigos del Pais. (Segun cartas y otros documentos ineditos del XVIII). I. San Sebastian, imprenta de la Diputacion de Guipuzcoa, 1929, in-8", 104 p. (Tiré à part de la Revista internacional de los Estudios vascos.)


Les pages 7 à 17 étudient et confirment l'authenticité d'une lettre de Rousseau qui a paru suspecte à certains, celle du 30 juin 1748, adressée à Manuel-Ignacio de Altuna. Un parallèle minutieux (p. 8-11) de cette missive avec celle du 26 août 1748, à Mme de Warens, révèle dans chacune deux membres de phrase similaires, ce qui vraiment n'autorise pas à dé clarer la première un pastiche de la seconde. Quant aux objections d'ordre chronologique, seul un érudit espagnol pouvait apporter une réfutation probante elles tombent devant les faits en 1746, Altuna était alcade d'Azcoitia, et régidor en 1747 et 1748 (p. 13) dans cette ville, il prit part, le 10 juillet 1746, à un débat important (p. 15). Dès 1745 il avait regagné sa patrie après cinq ans d'absence. Le 25 mai 1749, après les longues nançaiiïes traditionnelles, il épousait Brigida de Zuluaga, de Fontarabie (p. 17). On se souvient qu'en juillet 1745, Rouseau datait de trois mois le départ de son ami chez lequel il avait vécu au retour de Venise. Tout cela s'agence admirablement. [L. J. C.].

ETATS-UNIS D'AMERIQUE

Open Court. Vol. XLVI. June 1932, p. 431-440 W. L. BuL LOCK (Chicago University), On re-reading three twarthed Romances La Nouvelle Héloïse, Die Leiden des jungen Werthers, Jacopo Ortis.

Trois romans épistolaires de l'époque préromantique, avec minimum d'action et maximum d'émotivité. Thème commun deux prétendants à la main d'une charmante femme, l'un l'amant de cœur, l'autre le mari selon des conventions mondaines.

Julie résumé rapide, sémillant, amusant. Par exemple Mad. d'Houdetot refuse les avances de Rousseau-Saint-Preux car elle est « strong in her devotion to that gallic form of the seventh commandment » [M. Bullock est professeur d'italien ].

Werther une paraphrase de Julie, sans les digressions. Le succès en fut cependant plus grand même que celui du roman de Rousseau, car on savait qu'il y avait derrière le roman une histoire véritable [? Et Mad. d'Houdetot que M. Bullock rappelle lui-même ?].


Ortis le texte publié est la troisième version du récit écrit par l'auteur, Ugo Foscolo. L'inspiration en est décidément pragmatique, c'est-à-dire que le père de la jeune fille éprouve une réelle sympathie pour le prétendant romanesque mais comme on vit à une époque de bouleversements sociaux, et que le Hancé en titre est persona grata auprès des autorités établies, la jeune fille est assurée d'une existence de tout repos en l'épousant, tandis qu'un mariage d'amour menacerait d'orages presque certains les jours de la douce Teresa.

Selon M. Bullock, ce troisième roman est le plus acceptable, sinon artistiquement, du moins psychologiquement parlant du point de vue de notre xe siècle tout ce sentimentalisme du xvnf siècle paraît bien vieillot à notre âge qui veut aller de l'avant sans sourciller, lorsqu'il s'agit de passion. L'auteur discerne aussi, dans ce troisième roman, grâce à des documents récemment mis au jour, un élément nettement autobiographique, mais qui a été soigneusement dis. simulé par l'auteur pour ne pas embarrasser des personnes vivant encore à l'époque de la publication. [A. S.].

FRANCE

Revue de l'Histoire de Versailles et de Seine-et-Oise. Janviermars 1932 Georges MAUGUIN, J.-J. Rousseau est-il uenu à Versailles ?

« C'est possible, ce n'est pas prouvé conclut l'auteur. Pourtant les Confessions (cf. Hachette, t. VIII, p. 113) et la Correspondance avec Mme Boy de la Tour (éd. Rothschild, p. 228) attestent cette visite. [L. J. C.].

Bulletin de l'Institut National d'Orientation Professionnelle. Paris, 4' année, ? 9, novembre 1932, p. 228-230 Un grand précurseur de l'Orientation Professionnelle JeanJacques Rousseau.

Copieuse citation empruntée à J. Bruyère, Histoire littéraire des gens de métier en France, p. 156-158.


HONGRIE

MULLER, Gyula. A bécsi francia irodalmi kultura a xvtt!. szdza'cf~an (Jules Müller, La culture française littéraire de Vienne au xviif siècle). Budapest, 1930, in-8", 89 pp. Au début du xvin" siècle, le prince Eugène de Savoie répandit la culture française à Vienne. Son goût artistique et littéraire trouva un écho puissant à la cour et dans l'aristocratie. Les nobles Autrichiens qui visitèrent Paris y faisaient connaissance avec les écrivains, les savants et les artistes français les actualités littéraires. les œuvres de Voltaire, de Rouseau (p. e. la Nouvelle ~ei'o:se) et de Diderot alimentent souvent les conversations relatées dans le Journal du comte Charles de Zinzendorf, qui se rendit en 1764 à Môtiers pour voir l'auteur de l'Emile. Quant à la bourgeoisie, les philosophes d'Etat autrichiens se sont appropriés les thèses rationalistes du Contrat social, mais naturellement avec des compromis. Ce fut la Révolution qui mit fin à la domination de la culture française à Vienne. [L. R.].

ITALIE

Gian-Giacomo RoussEAU. Discorsi. Milano, Sonzogno (1930), in-16, 94 p. (Biblioteca universale, N" 423).

Traduction de deux discours 1) Se il rinascimento delle Scienze e delle Arti abbia ~!oua/o a ingentilire i Costumi 2) Quale virtù sia più necessaria agli Eroi, ed a quali essa fece difetto et, l'article sur l'Economia politica. Cette très riche collection a déjà donné Del Contralto sociale (? 30), Dell'Origine dell'Ineguaglianza fra gli Uomini (N" 359).

Dans la Biblioteca classica economica, la même maison a édité précédemment Le Confessioni, con prefazione di Olindo GUERRINI (? 80) La A~HOua Eloisia, con prefazione di Carlo Romtussi (? 81) Lettere dalla Montagna, traduzione e prefazione ni Mario CERATI (? 116) Emilio, o dell'Educazione, traduzione di Almerico RIBERA, con prefazione di Luigi CREDARO (? 119) soit un total de 4 volumes in-16 de 438, 400, 320 et 404 pages.


Rousseau. Il Contratto sociale. Brani scelti, traduzione, introduzione e note a cura di Vittorio Enzio ALFIERI. Messina, G. Principato (1928), in-16, XXXIX + 85 p. (Letture filosofiche, IV).

Dans cette nouvelle édition du Contrat social adaptée aux besoins de l'enseignement, l'éditeur a parfois abrégé le texte original. La traduction claire et élégante est précédée d'une introduction dans laquelle Alfieri expose le sens et le but du Contrat social ce n'est pas dans le domaine philosophique, ou politique, qu'il faut chercher sa valeur principale cette œuvre de Rousseau est avant tout d'une grande portée morale. Son Etat idéal n'est qu'un schéma purement fictif, basé sur les besoins de la nature humaine, et non sur la tradition historique artificielle et conventionnelle. La manière de penser de Rousseau, dit AlBeri, est profonde et pure par sa sensibilité vibrante il est avant tout un poète. Après un bref exposé des principaux systèmes philosophicopolitiques, AlBeri explique le problème central du Contrat social l'institution d'une société qui respecte la liberté absotue de chacun des individus qui la composent. Dès lors on se trouve en présence d'un problème purement géométrique, dont la solution forcément géométrique revient à ceci la quadrature du cercle. [R. S.].

SUISSE

lfittheilungen der Naturwissenschaftlichen Gesellschaft Winterthur. 19. Heft, 1932. S. 255-291 Gottlieb GElUNGER, Joseph-Philippe de Clairville, Botaniker und Entomolog. 1742-1830. Portrait.

Ce médecin parisien protestant, époux d'une Anglaise, se 8xa en Suisse après avoir vécu à Nyon et à Bex, il élu domicile à Winterthur dès 1782. Créateur d'un jardin botanique, il publia divers ouvrages sur les plantes. Retenons ici Le Botaniste sans maître, ou manière d'apprendre seul la Botanique au moyen de l'instruction commencée par J. J. Rousseau, continuée et complétée dans la même forme par M. de C. Paris, Levrault, Schoell et Comp. Winterthur, Steiner-


Ziegler 1805 in-12, 297 p., 6 planches. Bientôt en parut, en allemand, une édition augmentée Der Botaniker ohne Lehrer. Eine Anweisung zur Pflanzenkunde in Briefen an eine Freudin der Natur, nach J. J. Rousseau und H. v. C. bearbeitet und mit Anmerkungen begleitet von Dr Johann Ludwig Georg Meinecke. Halle, Hendels Verlag, 1809. [L. J. C.].

BIBLIOGRAPHIE DE L'ANNÉE 1933

ALLEMAGNE

J. J. Rousseau. Souvenirs d'enfance. Hsgg. von Ernst JAHNCKE. Bielefeld u. Leipzig, [1933], Vertag von Velhagen u. Klasing, in-16, 25 S. (Neusprachliche Lesebogen, Nr. 253). Extraits judicieux des Confessions (17 p.) suivis de notes historiques, grammaticales et phonétiques p. 19, correction nécessaire Genève était la ville d'adoption de Calvin p. 25 distinction trop absolue entre prêche et sermon. Erna SCHIEFENBUSCH. Rousseau's mora/tscAes Programm in der Esthetik. Kôtn a. Rh., Druckerei der Studentenburse E. V., 1933, in-8", 24 S. (~ë~er Dissertation).

Fragment de l'ouvrage qui a paru en traduction dans les Annales, t. XIX, p. 1-213.

Deutsche Viertelpahrsschrift für Literaturwissenschaft und Geistesgeschichte. XI. Jahrgang (1933), Heft 2. S. 294-328 Isaac BENRUBI, Pestalozzi und Rousseau.

Dans une importante étude, M. I. Benrubi, spécialiste en philosophie comparée, auteur d'un grand ouvrage sur la philosophie contemporaine en France, soumet à un examen approfondi les rapports entre le pédagogue de Genève et celui de Zurich. Rousseau et Pestalozzi se différencient sur plusieurs points. Ainsi Pestalozzi ne partage pas sans réserve la conception optimiste de Rousseau concernant < l'homme de la nature En politique sociale, l'attitude de Pestalozzi est


plus radicale. En pédagogie, Pestalozzi ne s'est pas contenté d'énoncer des théories et des principes, mais il les a appliqués à la réalité et les a modifiés au contact de la réalité. Pestalozzi lit Rousseau avec un œil critique il appelle Emile < ein unpraktisches Traumbuch une rêverie inapplicable. Cependant, malgré ces divergences de détails et malgré l'opposition de tempérament, les deux penseurs se rencontrent et se confondent dans leur conception philosophique du monde et dans maints postulats qui en dérivent. On retrouve une influence plus ou moins directe de Rousseau dans l'orientation purement morale de t'œuvre de Pestalozzi dans son appréciation de la religion en général et du christianisme en particulier dans les notions d'humanité et de justice dans sa foi en la bonté originelle de l'homme dans l'éducation selon les lois de la nature dans son hostilité contre tout enseignement livresque et scolastique dans sa défense et mise en œuvre de la méthode intuitive et de ce qu'on appelle aujourd'hui l'école active dans l'éducation par l'exemple dans sa façon d'éduquer son propre fils Jakobli (qui à l'âge de douze ans ne savait ni lire ni écrire), etc., etc. Tout cela permet de dire que sans Rousseau il n'y aurait pas eu Pestalozzi, et que sans Pestalozzi les théories de Rousseau seraient restées une utopie, probablement jusqu'à nos jours.

M. Benrubi exprime un vœu le moment serait venu de ne plus ignorer le nom de Pestalozzi dans l'histoire de la philosophie, et de réparer par là une injustice commise à l'égard d'un des plus grands penseurs modernes.

Je regrette que M. Benrubi ne cite nulle part l'oeuvre capitale de Paul Wernle, Der Schweizerische Protestantismus fm XVIII. Jahrhundert (voir Annales, t. XVIII, p. 333), où ce même sujet est traité avec autorité par l'historien et théologien bâlois. [W. M.].

Historische Zeitschrift. Bd. 148, Heft 2. Juni 1933. S. 229-247 Justus HASHAGEN, Zur Deutung Rousseaus.

En se basant sur l'étude de Lanson (Annales 1912) et de Schinz (La Pensée de Rousseau, 1929) et en adoptant le résultat de leurs recherches et réflexions, l'auteur tente de retracer l'image de Rousseau et de lui donner toute sa signification.


Rousseau n'est pas seulement le prédicateur du retour à la nature. Il n'est pas uniquement l'apôtre de la tiberté individuelle, ni le rêveur sentimental. Rousseau défend aussi les biens de la civilisation, il demande une forte autorité d'Etat et reconnaît enfin la nécessité de la suprématie de la raison.

Comment expliquer ces contradictions ? S'agit-il purement d'une tactique d'écrivain ? S'agit-il, comme on l'a voulu, d'un cas pathologique ? ou bien faut-il y voir l'influence du rationalisme, du calvinisme et de l'antiquité ? Ces explications seules ne suffisent pas. Nous devons chercher ailleurs au fond de Rousseau-même, c'est-à-dire dans Rousseau, homme profondément religieux, qui savait que sans religion la société humaine irait à sa perte. C'est par son système religieux, son irrationalisme spiritualiste qu'il a su coordonner des notions contradictoires le retour à la nature et le maintien des bienfaits de la civilisation, la liberté individuelle et la discipline collective, la vie sentimentale et la vie raisonnée. Les contradictions ne sont donc qu'apparentes en effet, grâce à un esprit libéré de tout parti-pris, et grâce à une âme foncièrement croyante, il sut embrasser, grouper et coordonner en un ensemble des valeurs qui, au lieu de se contrecarrer, se complètent les unes les autres.

Rousseau se dresse au seuil de deux époques. Lui-même est homme à deux faces, l'une tournée vers le passé, l'autre vers l'avenir. Rationalisme et sentimentalisme, idéalisme et romantisme se sont rencontrés et confondus en lui par la puissance de son génie religieux. [W. M.]

ANGLETERRE

The English Historical Review. Vol. 48, ? 191, July 1933. P. 414-430 David WILLIAMS, The Influence of Rousseau on Political Opinion, 1760-1795.

I) sera rendu compte de cet article au tome XXIII des Annales.

Morning Posf, London, 10. Aug. 1933 « SENTINEL The Social Contract. Rousseau as Holiday Reading.


AUTRICHE

Menschen die Geschichle machten. 4000 Jahre Weltgeschichle in Zeit- und Lebensbildern. Herausgegeben von Peter Richard RoHDEN. 2te, verbesserte und stark vermehrte Auflage. Wien, Verlag von L. W. Seidel u. Sohn, 1933, 2 Bande, in-8", XI+613, IX+626 S.

Bd II. S. 257-262 Henri SEE (Rennes), Rousseau und Ma& Hors-texte Rousseau, gestochen von J. B. Michel.

ETATS-UNIS D'AMERIQUE

Moses BARRAS. The Stage Controversy France from Corneille /o Rousseau. (Publications of the Institute o/ French Studies). New-York, 1933, in-12, 358 p. Voici un ouvrage qui révèle un effort réel, d'une érudition considérable, presque toujours de première main. C'est une récapitulation complète de l'histoire des controverses au sujet du théâtre, non seulement depuis Corneille comme le titre l'indique, mais depuis les Romains, et en passant par les Pè'res de l'Eglise, et jusqu'à la Révolution. On pourrait presque l'appeler une encyclopédie en miniature malheureusement il manque un index. Il y a beaucoup plus de matière que dans Fontaine et Moffat dont l'auteur semble avoir une haute idée, et que dans Bourquin qui sert de guide dans certaines parties du livre. La bibliographie la partie la plus soignée dans tant de thèses américaines est abondante, nous dirions presque surabondante elle est ainsi subdivisée I. Ouvrages polémiques sur le théâtre de 1636-1760 (153 titres pp. 324-335); II. Bibiographie choisie des ouvrages sur la question du théâtre A. Italie (21 titres), B. Espagne (20 ti. tres), C. Angleterre (24 titres: pp. 335-339); III. Ouvrages sur la question du théâtre, comprenant ceux sur la censure de la scène (77 titres pp. 339-343) IV. Bibliographie générale (371 titres pp. 344-358).

C'est donc un ouvrage dont il faut tenir compte (Il en est, en Europe, qui regretteront qu'il soit écrit en anglais). H donne une bonne idée de ce que peut produire un étudiant


américain cherchant à obtenir, vers la trentaine, un diplôme de Docteur en philosophie. Renseignements abondants, objectivité, avec rarement intrusion de jugements personnels sur des matières qui sont avant tout affaire d'histoire littéraire, mais trahissant parfois un manque de maturité dans l'emploi des documents, ne discernant pas toujours qu'ils sont de valeur inégale, et paraissant tenir à la quantité plutôt qu'à la qualité, ou à la valeur relative qu'ils peuvent avoir dans la discussion. Selon la figure banale à force d'arb.res, on perd de vue la forêt. Les points essentiels ne ressortent pas assez. Ainsi, dans le cas qui nous occupe, le lecteur doit trop souvent deviner quand c'est à cause de la moralité des acteurs, quand c'est à cause de l'immoralité des pièces, ou encore quand c'est pour simple raison de doctrine chrétienne écartant a priori tout ce qui est d'origine païenne. Thomas d'Aquin à l'autorité duquel tant d'écrivains postérieurs en appellent, mériterait une place en vue. Une fois arrivé à l'époque dont il veut faire une étude spéciale, l'auteur ne manque aucun des protagonistes de la lutte (Corneille et la purification de la scène, Richelieu et la glorification de la scène, Jansénistes, Molière et Tartuffe, Bossuet, etc.), mais ils sont un peu noyés au milieu de beaucoup de comparses et cela nuit à l'intérêt de la lecture celle-ci laisse un peu une impression de monotonie car enfin les arguments pour et contre la moralité ou l'utilité du théâtre ne varient pas tant que cela au cours des siècles. Peut-être une plus grande attention aux circonstances historiques de chaque période qui ne sont du reste pas absentes tout à fait, aurait-elle rendu l'ouvrage plus animé.

Il est regrettable que le chapitre Rousseau, qui nous intéresse particulièrement, souffre le plus de ces déficits. Les prédécesseurs immédiats de Rousseau et ceux qui l'ont suivi (pour l'attaquer ou pour prendre son parti), sont analysés avec une conscience extrême et l'auteur qui évidemment se rend compte qu'il écrit là un de ses chapitres les plus importants s'applique particulièrement.

Mais faisant abstraction de cette abondance de détails sans fil conducteur très sûr, risquons quelques observations. On voudrait savoir comment il se fait, alors que tous les arguments de Rousseau contre le théâtre ont été tellement ressas-


sés avant lui et le lecteur se rend compte mieux que jamais de cette vérité après la minutieuse étude de M. Barras que la Lettre à D'Alembert ait marqué une date plus qu'aucun de ces précédents écrits. Ce n'est donc pas la nouveauté; et par les pages qui suivent, par les réfutations et les approbations de l'écrit de Rousseau, on voit que l'explication par l'intérêt que le public portait à la querelle personnelle de Rousseau avec Voltaire, ne répond pas à tout. L'explication par l'art supérieur seul de Rousseau laisse sceptique également.

Ajoutons d'ailleurs qu'il nous paraît y avoir contradiction entre l'assertion, au moins trois ou quatre fois répétée, que Rousseau a emprunté ses arguments spécifiquement à Murait, au Prince de Conti et à Bossuet d'une part, et cette longue démonstration au cours de nombreuses pages que tous ces arguments couraient les rues d'autre part même l'épisode raconté par Conti et réapparaissant chez Rousseau (cf. p. 262) ne vaut pas pour établir un emprunt direct précisément puisque l'épisode est frappant, il a dû être répété cent fois devant Rousseau quand il vivait dans le monde des philosophes. Quant à l'emploi des mêmes phrases, ne faut-il pas, pour exprimer exactement les mêmes idées avoir recours assez exactement aux mêmes termes dans une même langue. Et certes personne ne songerait à refuser à Rousseau le même pouvoir de raisonnement ou la même lecture que ce que pouvait en avoir le Prince de Conti, Murait, ou même Bossuet. Que les rousseauphobes insignes considèrent comme naturel que Rousseau ait cherché à cacher la vérité quand il a dit qu'il avait écrit son livre sans aucune documentation, cela se conçoit puisqu'il suffit pour eux que Rousseau ait parlé pour l'accuser de mensonge. M. Barras ne nous semble pas du tout appartenir à ce groupe de commentateurs, mais alors qu'il fournisse d'autres preuves d'emprunts de Rousseau qu'une triple affirmation gratuite. Le point est du reste sans grande importance.

Le mot toujours si malheureux d'influence nous paraît mal dé&ni par l'auteur. Il insiste pour dire que la lettre de Rousseau n'a pas eu d'influence et cependant il consacre des pages à énumérer des écrits, et parfois des écrits assez importants, inspirés par la Lettre à D'Alembert. Il y a donc


eu, sinon influence sur les destinées immédiates du théâtre, une influence réelle sur la discussion de la moralité du théâtre. Nous irions plus loin et puisque M. Barras laisse bien voir qu'au fond il est loin de partager les opinions de Rousseau, il avait matière à écrire quelques jolies pages sur les destinées ironiques du pamphlet de Rousseau au moins c'est lui, M. Barras, qui nous donne à penser que l'attitude rétrograde de Rousseau a contribué à provoquer une vague de protestation véhémente contre les adversaires du théâtre vague qui a abouti à la libération de la scène vis-à-vis d'une censure qui contraignait les auteurs. Donc il y aurait eu influence pratique, mais justement celle que Rousseau n'eût point souhaitée.

Mais ceci nous amène à un dernier point que nous ne saurions passer sous silence en mentionnant ce nouveau travail sur Rousseau et la querelle du théâtre. M. Barras, comme ce malheureux Fontaine qui lui sert trop souvent de guide autorisé. s'en est tenu trop à la lettre de l'écrit de Rousseau. Il a bien vu qu'à la différence de Bossuet, Rousseau n'a pas voulu bannir le plaisir de la vie, mais seulement le plaisir du théâtre. C'est quelque chose. Mais il y a bien plus Rousseau ne condamne pas le théâtre. Comment M. Barras qui a suivi le texte de si près, n'a-t-il pas vu que Rousseau est tout disposé à voir jouer à Genève des pièces de théâtre exaltant les héros nationaux. II ne condamne donc pas le théâtre, mais seulement le théâtre existant, prévalant. Et puisqu'on aime tant à signaler des précurseurs, comment personne ne s'est-il encore avisé que Rousseau était dans la proposition qu'il fait d'un théâtre national, le précurseur brillant de Stendhal, l'auteur de Racine e/ Shakespeare, qui est celui de l'auteur de la Préface de Cromwell Rousseau précurseur de V. Hugo quelle trouvaille pour une thèse sensationnelle M. Barras a passé à côté de cette merveilleuse occasion ?! Il aurait pu ajouter que Rousseau voyait même la possibilité de rendre le théâtre racinien acceptable, car après avoir dans la première partie de la Lettre à D'Alembert, critiqué sévèrement la Bérénice du xvir" siècle, il montrait comment Racine eût pu employer sa magnifique technique du vers en faisant une Bérénice propre à la représentation dans la vertueuse Genève. [A. S.]


Georges BoAS. The « Happy Beast » in French Thought of tite seventeeth Century. Baltimore, the Johns Hopkins Press, 1933, in-12, 159 p. (Collection of Contributions to the Ht's~ort/ of Primitivism).

Baron de LAHONTAN. Dialogues curieux entre l'auteur et un Sauvage de bon sens qui a voyagé. Mémoires de l'Amérique septentrionale. Publiés par Gilbert CHINARD. Avec 7 reproductions originales. Baltimore, the Johns Hopkins Press Paris, Margraff Londres, Oxford University Press, 1931, in-8", 268 p. (Même collection).

L'université de Johns Hopkins à Baltimore s'est lancée dans une grande entreprise, que ses collaborateurs, les professeurs Lovejoy, Chinard, Boas et Crane, appellent une Histoire du Primitivisme. Cette collection de publications contiendra, d'une part, une Histoire documentaire du primitivisme e< de i''an~prtmt<!t'sn?e (une série de documents illustrant l'histoire de la pensée) d'autre part, une série de Contributions à l'histoire du primitivisme, qui se subdivisera ellemême en deux parties 1. Les éditions critiques d'oeuvres de longue haleine (telle l'édition des Dialogues curieux de Lahontan, éditée déjà par M. Chinard), 2. Les monographies sur des phases spéciales de cette histoire (telle ce Happy Reasf dont le titre est indiqué ci-dessus).

Le volume de M. Boas n'intéresse pas directement les Rousseauistes il traite de ce que l'auteur a nommé la <: Thériophilie », c'est-à-dire la théorie qui prête aux animaux une égalité intellectuelle ou morale avec l'homme, sinon une supériorité il ne s'agit donc pas, comme c'est le cas chez Rousseau, d'une comparaison du civilisé avec l'homme de la nature.

Il n'est cependant pas hors de propos de mentionner ici cette publication qui fait augurer fort bien de ces monographies les deux grandes figures, dans ce débat des xvi" et xvn siècles, sont naturellement Montaigne, l'auteur de l'Apologie de Raymond de Sebond (et continué par son disciple Charron), et Descartes, le champion de la théorie de l'automatisme des bêtes. M. Boas penche à croire que Montaigne n'est pas plus sérieux que cela dans son exaltation de l'animal et son mépris pour l'intelligence des hommes il ne se


prononce pas, d'autre part, sur la grande controverse de savoir si Montaigne dirige son fameux et long essai contre la religion ou en sa faveur. Par contre, et ici nous nous rapprochons des problèmes des Rousseauistes M. Boas montre fort bien la grande part qui revient dans ces constantes discussions à Plutarque. Après les premiers chapitres si intelligemment documentés, il faut avouer que, malgré l'érudition jamais en défaut. l'intérêt languit, étant donné que ce sont toujours les mêmes arguments qui reviennent avec quelques nuances seulement entre les thériophiles et leurs adversaires. n est, d'ailleurs, intéressant de constater la part qu'ont prise dans ces disputes les poètes de la Pléiade, puis Gassendi, Malebranche, Bossuet et naturellement La Fontaine. Il faut signaler comme fort intéressant aussi le dernier chapitre qui groupe les quelques écrits satiriques du xvn' siècle relatif à ce problème, entre autres, I'E~a/ du soleil, de Cyrano de Bergerac, la partie sur l'Histoire des oiseaux, et les poèmes de Mme Deshoulières.

Le second volume mentionné dans notre titre et qui est, d'ailleurs, antérieur de quelques mois à celui de M. Boas, nous intéresse davantage puisque le baron Lahontan est un de ceux dont on fait un précurseur du Rousseau des deux Discours, comme contempteur de l'homme civilisé et comme enthousiaste de l'homme de la vie sauvage. C'est un volume luxueusement imprimé, chez Coulouma, à Argenteuil, et contenant, outre une introduction de 72 pages (sur 1. le Baron de Lahontan, 2. Lahontan et Gueudeville, 3. La Fortune des Mémoires et des Dialogues), le texte des Dialogues et celui des Mémoires « Non sans regret, dit l'éditeur (p. 25-26), « nous avons décidé de sacrifier la partie la plus vivante et « la plus pittoresque, mais la moins essentielle pour l'his< toire des idées et de ne point réimprimer les lettres qui « constituent le journal de voyage du baron de Lahontan. « Par contre, nous avons pensé qu'il importait de donner « la plus grande partie des Mémoires, celle qui traite parti« culièrement des sauvages, car il est hors de doute que c'est « là qu'allèrent puiser de nombreux auteurs du xvnr* siècle « pour y trouver un tableau de la vie des Indiens. En fait, < tes Mémoires constituent comme une ébauche des Dialo<: ~ues et ne peuvent en être séparés. Lahontan y a indiqué


« et traité les thèmes qu'il allait reprendre avec le Huron « Adario. Après les avoir lus, il n'est plus permis de douter <: que le baron n'avait nul besoin du secours d'autrui pour « opposer la dépravation des Européens à la simple vie des « sauvages, qui, pour se conduire, n'ont d'autre guide que « leurs « lumières naturelles ».

On trouvera à l'Index, à la fin du volume, les pages où il est question des rapprochements à faire avec Rousseau et autres partisans de la vie des sauvages. Citons deux passages de l'introduction. D'abord la conclusion générale

« Ainsi, bien avant Rousseau et bien avant Diderot, il <: avait formulé le réquisitoire le plus complet et le plus vio<: lent qui eût encore été prononcé contre la civilisation de « l'Europe occidentale. A tout le moins, il avait définitive<: ment fixé le caractère du « bon sauvage », de < l'homme « de la nature » dont la figure devait dominer toute la lit« térature du siècle qui s'ouvrait (p. 72).

Enumérant, dans l'ordre chronologique, les écrivains qui ont pu être touchés par l'influence de Lahontan, M. Chinard a ceci à dire concernant Rousseau

« Quand on arrive à Rousseau, le problème devient pres« que insoluble, à moins que, par une simplification hardie « on ne supprime les difficultés réelles. Les ressemblances « entre la thèse principale présentée par Rousseau dans le « second Discours et les attaques dirigées contre la propriété < dans les Dialogues sont telles que la tentation est grande « de rechercher une des « sources principales de Rous« seau dans les ouvrages de Lahontan-Gueudeville. L'appel < à la révolte par lequel se termine le Discours sur les Ori-s: gines de l'Inégalité pourrait se retrouver presque dans les « mêmes termes dans les Dialogues et dans les .Mémoires < « puisqu'il est manifestement contre la Loi de Nature, de « quelque manière qu'on la définisse, qu'un enfant comman« de à un vieillard, qu'un imbécile conduise un homme <: sage, et qu'une poignée de gens regorge de superfluités, « tandis que la multitude affamée manque du nécessaire ». (Ici, en note, M. Chinard a soin d'ajouter « La source comc mune est peut-être Montaigne, chap. des Cannibales ». On peut ajouter encore pourquoi faut-il une source ? L'intelligence de Rousseau ou même de Lahontan ne suffit-elle pas ?)


M. Morel, dans l'étude très poussée qu'il a faite sur les origines du second Discours ne mentionne pas Lahontan. Ecrivant quelques années plus tard sur le même sujet, j'ai au contraire cru retrouver chez Rousseau des traces assez nettes de l'influence directe de Lahontan. Peut-être serais-je moins afflrmatif aujourd'hui. (p. 66-67). [A. S.]

George R. HAVENS. Voltaire's Marginalia on the Pages of Rousseau. A comparative Study of Ideas. (The Ohio State University Studies. Graduate School Series. Number 6). Columbus, 1933, in- VIIÏ+199 p.

C'est un très minutieux relevé de toutes les notes marginales de Voltaire dans des livres de Rousseau, livres qui, comme on sait, se trouvent à la bibliothèque de Léningrad. Aï. Havens a fait deux séjours dans cette ville, où il a été fort bien reçu. II avait publié déjà plusieurs fragments de ses trouvailles les voici réunies. II tient compte des travaux de ses prédécesseurs, Moland, Bouvier, ajoutant, parfois rectifiant. Les notes se rapportent au Second Discours, aux Extraits de projet de paix perpétuelle de l'abôé de Saint-Pierre, au Contrat social, à l'Emile avant et après la Profession de foi, à cette Profession de foi et à la Lettre à M. de Beaumont. Ces notes sont intéressantes surtout pour qui veut étudier la querelle personnelle entre les deux grands écrivains et le lecteur se rendra tôt compte que c'est rendre un mauvais service à Voltaire de publier ces commentaires qui respirent tellement la mauvaise humeur, trahissent partout le désir de trouver Jean-Jacques en défaut, et où même les extra-rares mots de louange sont donnés à contre-cœur. Les personnalités haineuses foisonnent qui ne permettent pas de prendre Voltaire au sérieux Fou, polisson, singe ou chien de ZMogène (l'injure favorite et que le < sage de Ferney > ne se lasse de répéter, lui qui avait certes assez de talent pour varier un peu) l'éternel tutoiement pour montrer le mépris du grand seigneur pour quelqu'un qui a été réduit à servir comme laquais est bien mesquin; les coups de boutoir constants indiquent nettement le refus de discuter sérieusement au passage « Ce qu'il y a de plus injurieux à la Divinité n'est pas de n'y point penser, mais d'en mal penser Voltaire, note « et que luy importe que tu en penses bien ou mal


(p. 94) si Rousseau montre certains hommes empêchés par tes soucis de l'existence de s'occuper de Dieu, Voltaire écrit: « pourquoi donc as-tu voulu les élever en brutes ? (p. 155), Bref, partout c'est le Voltaire qui refuse d'avance un examen loyal, celui qui écrivait à Damilaville (22 mai 1762) « Je n'ai point encore cette Education de l'homme le plus mal élevé qui soit au monde. Je l'aurai incessamment Cependant, M. Havens (s'appuyant sur une substantielle bibliographie où figurent à côté de MM. Lanson, Masson, Mornet, l'auteur de Shakespeare en France, M. Jusserand, Miss Tresnon, voire M. Isham) commente tout cela avec une gravité et un scrupule rares. Rien n'est omis, on va jusqu'à nous informer que le relieur a malencontreusement coupé le e final du mot autre (p. 83) quand Voltaire écrit « Quel stile », « quelle phrase », ou « quel contresens », l'auteur souligne « Voltaire's objection is stylistic (p. 76-77) ou quand la note est « galimatias « So Voltaire indicates his contempt for the vagueness of Rousseau's thought (p. 105), lorsque Voltaire proteste contre le passage « Le premier qui, ayant enclos un terrain. ». Ailleurs M. Havens explique qu'il convient de ne pas s'étonner si le riche Voltaire, l'homme aux rentes abondantes, à la demeure luxueuse, n'aime point cela (p. 15-16); et ailleurs (p. 21-22) il pi endra la peine de noter tous les endroits dans l'œuvre de Voltaire où l'expression « singe de Diogène sous cette forme ou sous une autre apparaît.

Certaines interprétations seraient peut-être discutables. Ainsi quand M. Havens remarquant que de nombreuses pages du Contrat social demeurent vierges de notes après d'autres abondamment critiquées (p. 58, 63) est porté à voir là « ap~probation probable > de Voltaire ne serait-ce pas plutôt que Voltaire n'a pas voulu dire ce qui d'emblée lui parait mauvais ici et là il s'attarde à une phrase puis attiré par le titre « Religion civile (IV, xiir) il fonce à nouveau. Le danger principal d'un livre tel que celui qui nous est offert ici, et appelé par son auteur A comparative study of ideas, c'est de se perdre dans des détails infimes, et c'est ramener Rousseau (qui n'en peut mais) comme Voltaire lui-même à jouer le rôle de vulgaires ergoteurs. On s'en apercevra bien en lisant par exemple les pages consacrées au


Contrat social Voltaire refuse absolument de différencier entre les cas où Rousseau discute un principe et ceux où Rousseau discute des questions d'ordre pratique quand les principes doivent fléchir; comme on ne peut en aucune manière attribuer ce procédé au manque d'intelligence de Voltaire, on est bien forcé d'y voir une forte dose de mauvaise foi (voir p. ex. p. 59) refuser de s'en apercevoir nous paraît chez M. Havens d'un scrupuleux exagéré cela n'empêcherait pas d'ailleurs de tenir compte du fait que Voltaire n'a jamais destiné ces notes rapides et entièrement dérogatoires à la publicité. Dans tes autres chapitres la même remarque s'impose que l'on se perd dans les détails, quoique ce ne soit pas toujours aussi riche de conséquences regrettables. Ajoutons encore que certaines affirmations de M. Havens sont discutables ainsi à la page 65, i) ne nous apparaît pas du tout qu'il y ait eu, comme il le suggère, un chassé-croisé dans ta position de Voltaire et Rousseau vis-à-vis du christianisme mais que pour des raisons morales de la part de Voltaire, pour des raisons purement politiques chez Rousseau. ils formulent deux critiques où M. Havens n'en voit qu'une. Et quand quelques pages plus bas, M. Havens considère comme « inattendue ta conclusion de Rousseau dans le chapitre de la religion civile, on peut bien se demander s'il a lu attentivement le Contrat, et si, au contraire, cette conclusion n'est pas tout à fait en accord avec t'œuvre considérée comme un tout mais c'est bien là un autre résultat de cette pulvérisation des idées de Rousseau dans une étude comme celle dont nous rendons compte ici. [A. S.]

Louis J. A. MERCIER. The Challenge of Humanism. An Essa. in Comparative Criticism. New-York, Oxford University Press, 1933, in-8., VIII+288 p.

L'auteur s'est vu couronné par l'Académie Française en 1928 pour son Mouvement Humaniste aux Etats-Unis (Hachette). Aujourd'hui il publie un volume qu'il met sous le haut patronage de M. Coolidge quels parrains augustes Le volume ne nous concerne pas directement c'est un (1) Nous nous permettons de renvoyer ici à notre chapitre sur le Contrat social, dans La Pensée de Rousseau.


monument élevé à la gloire des trois coryphées de ce qu'on veut appeler aujourd'hui l'Humanisme, mais dont les rapports avec l'Humanisme du xvi" siècle sont plutôt décevants Irving Babbitt, Ernest Seillière et Paul Elmer More. .Indirectement, le volume nous concerne cependant puisque M. Babbitt, le grand Allah de l'Humanisme, a proclamé jusqu'à sa mort (dans l'été 1933) « C'est la faute à Rousseau » et puisque M. Mercier est son prophète. Examinons donc le livre du point de vue de Rousseau. On éprouve alors à la fois de l'amusement et une singulière irritation. De l'amusement, car qui, ayant lu sérieusement quelques pages seulement de Rousseau, pourrait voir dans la soidisant présentation de ses idées autre chose qu'une caricature dont il n'y a à tenir aucun compte ? ceux qui seront pris par cette mascarade auront bien mérité de l'être. De l'indignation tout de même, car il est des bornes au droit de parodier un auteur on a beau être de la grande université d'Harvard, ou membre de l'Institut, on ne devrait pas ainsi profiter de l'ignorance du public auquel on s'adresse. J'ose affirmer que l'auteur de ce livre n'a pas une fois ouvert son Rousseau pour vériHer si ce qu'il cite de lui est bien compris, s'il a le droit de donner aux passages cités, et en tenant compte du contexte, le sens suggéré au lecteur. Même dans des phrases comme celle-ci nous refusons de reconnaître la conscience d'un vrai savant « Rousseau positively gloated over his own uniqueness » (p. 19). Quand Rousseau s'est-il positivement secoué de rire en se vantant qu'il était seul de son espèce ? » Il avait écrit « Je ne suis fait comme aucun de ceux que j'ai vus j'ose croire n'être fait comme aucun de ceux qui existent » et il avait ajouté « Si je ne vaux pas mieux, au moins je suis autre. Si la nature a bien ou mal fait de briser le moule dans lequel elle m'a jeté, c'est ce dont on ne peut juger qu'après m'avoir lu ». Et si Rousseau a osé dire qu'il ne pensait pas que d'autres fussent meilleurs que lui, est-ce à des gens rassis de jouer au Père éternel et de récuser cette prétention, qui après tout n'a rien d'outré ? En ce qui concerne l'amour, on lit « Rousseau always spoke « of sylphids; Chateaubriand of sylphids and phantoms of « love n'est-ce pas une manière trop facile de fabriquer une tête de Turc ? Mais qu'on lise seulement avec quel-


que attention les pages 27 à 30. toutes pleines de ces exploitations mesquines de textes mal assimilés, et si ce n'est pas là quelque chose qui frise la mauvaise foi qu'est-ce ? On n'a pas le droit de lire si mal, ou de ne pas lire du tout. On écrirait facilement des volumes à citer tous les travestissements de la pensée de Rousseau par ces messieurs. Mais i) faut se borner un exemple encore pourtant une loi d'Etat est-elle juste ? Selon M. Mercier « Le Rousseauiste dira Naturellement, puisque c'est une loi d'Etat. Mais l'Etat, qu'il soit autocratique ou démocratique, peut comme l'individu poursuivre une fantaisie au lieu d'une idée saine (p. 224-225). Le Rousseauiste dira cela peut-être, mais Rousseau a dit juste l'opposé (Voyez Conlrat social, II, 1). C'est Victor Hugo, et pas Rousseau qui a dit « Le peuple est toujours sublime, même quand il se trompe ».

Allons tout au fond des choses Tout le débat entre les Humanistes modernes et leurs adversaires repose sur l'opposition de la « bonté acquise à la « bonté naturelle de certains romantiques; or tout le temps on reproche à Rousseau de n'avoir pas su faire cette distinction. Mais alors sur quoi donc repose toute la lutte entre Rousseau et les « philosophes » sinon sur cette opposition de la nature morale de l'homme qui doit vaincre la nature sensuelle (originelle) de l'homme ? Nous ne voyons qu'une différence en ce point entre Rousseau et MM. Babbitt, Seillière, More et Mercier c'est qu'il a été plus éloquent.

Le point intéressant dans le livre de M. Mercier, mais sur lequel il passe comme chat sur braise, est indiqué à la page 27 « The works of such a man are apt to be filled with contradictory elements and it is always easy to defend him against being exclusively thé apostle on one set of ideas by quoting from another set. Jt remains true that he becomes stgwY/can~ only in lerms of the principles u?/ttc/! won him his disciples ». II fallait citer ce passage dans l'original. Donc, on admet que ce qui importe, ce n'est pas la pensée de Rousseau, mais ce que ses disciples ont fait de lui, et disons ce que certains disciples ont fait de lui, car il peut y avoir (comme c'est implicitement reconnu dans les lignes citées) d'autres disciples qui auront pu se réclamer d'autres < set of ideas dans Rousseau. Alors, quand certains « dis-


ciples » de Jésus-Christ, comme les Doukhobors et autres, déclareront qu'il faut pécher autant que possible parce que c'est le moyen d'avoir une plus grande part à la grâce divine, il faut attaquer l'évangile ce qui est important, n'est-ce pas ce que ses disciples ont fait des enseignements du Christ?. Faut-il s'étonner ensuite que les Babbitt et consorts soient obligés de se servir de citations tronquées ou isolées du contexte, pour faire correspondre Rousseau et ce pourquoi ils se plaisent à réserver le nom de Rousseauisme.

Tout est là on attaque sous le nom de Rousseau des doctrines qui ne sont pas de Rousseau, et qui, pour la majorité d'entre elles, n'ont même été émises par lui que pour les réfuter et si nous avons réussi à forcer enfin le disciple de M. Babbitt à entrer dans cette voie (car il glisse à la fin du volume une toute petite note, p. 277, qui nous montre qu'il a bien pensé à notre volume La Pensée cfe Rousseau dont M. Babbitt, par parenthèse, avait refusé de faire un compte rendu) cela pourra être le commencement de la fin d'un malentendu exploité sans vergogne par les Seillière et les Babbitt et leurs amis.

Ajoutons que cette obstination à rendre Rousseau personnellement responsable de tout ce que ces messieurs n'aiment pas, est d'autant plus surprenante que le fond de la pensée de Rousseau, le Rousseau de la conscience morale déposée par la nature au cœur de chaque homme est bien celle-même dont les Humanistes veulent se faire les défenseurs. Après avoir démoli et leur grand fort est de démolir monisme, rationalisme, pluralisme, naturalisme, épicuréisme, semi-épicuréisme, voire semi-stoïcisme. Renan, Taine, William James, Bergson, Tolstoï, etc., etc., ils aboutissent au plus banal et orthodoxe dualisme qu'ils ont rarement le courage d'appeler par son nom. Voici cependant un passage intéressant: < There is no doubt écrit M. Mercier Babbitt would admit that revealed religion had a sound concept of human nature. And with Baron Seillière, he would welcome the use of revealed religion in the solution of the problem of human conduct. But, he adds, and here it would seem, we bave his real contribution (<~ would seem si son dévoué disciple ne peut être plus certain de la pensée exacte du maître, comment s'étonner que celui-ci se soit toujours vu ac-


cuser d'être désespérément vague) since all men are not in touch with revealed religion, since their natural urges tend to excess, and yet since they are capable of opposing to this excess of élan vital a contrary principle of frein vital, there is evidently in man something superior to the natural self » (p. 264). Nous disons si ce n'est pas là absolument la doctrine de la Profession de foi du Vicaire, mais qu'est-ce donc? Et pourquoi alors fulminer, comme s'il était le dernier des criminels, contre celui qui a prêché avec tant de force ce qu'on prêche soi-même ? Ils cherchent le « abiding élément » en i'homme mais cet « abiding element » est exactement la « conscience morate de Rousseau ?. N'est-ce pas un peu fort qu'il faille apprendre à MM. Babbitt et consorts q~'i) y a dans les œuvres de J. J. Rousseau un passage que tout enfant sortant des écoles sait par cœur pour l'avoir lu dans quelque anthologie et qui commence « Conscience, conscience, instinct divin, immortelle et céleste voix. » ? [A. S.] School and Society, 21. October 1933. P. 522-526 H. G. Gooo. Letters &e/ffeen George Wasntn~on and an early British Rousseauist.

Un maître d'école, George Chapman, de Banff, en Ecosse, écrit le 27 septembre 1783 une lettre à Washington, en lui envoyant son Treatise on Education qui est apparemment inspiré en grande partie par Rousseau; Washington répond plus d'un an après disant qu'il a reçu lettre et livre quelques jours avant seulement, et que Chapman a raison de penser que « right education of youth » est le moyen de former « manly, virtuous people ». Il lui écrit aussi qu'il cherche un précepteur (tutor-secretary) pour ses deux enfants, 4 et 6 ans, qui pourrait enseigner entre autres choses un bon français, et qu'il offrirait 50 livres sterling par an. Cette lettre cependant était contenue dans une autre envoyée à un clergyman, et Washington priait ce dernier de remettre sa réponse et sa requête au maître d'école. Mais quelque temps après, Washington récrit à son clergyman qu'il a trouvé un tuteur, et demande que la lettre à Chapman soit brûlée. Ainsi le maître d'école mourut sans savoir qu'il avait eu l'honneur d'une lettre autographe du grand homme.

Question Si Chapman était venu lui-même en Amérique,


qu'en serait-il résulté pour l'éducation en Amérique? Et jusqu'à quel point, d'abord, Chapman était-il rousseauiste ? M. Good voit une dette envers Rousseau en ce que Chapman voulait apprendre par les réalités et non par les livres, encourageait l'éducation physique pour endurcir l'enfant, voyait dans le milieu civilisé la cause des mauvais caractères, ne voulait pas qu'on enseignât l'histoire avant 14 ou 15 ans, et, surtout défendait de jamais forcer la nature. Avec cela l'auteur ne pense pas que la présence dans la jeune république eût changé beaucoup les choses. En tout cas la spéculation semble un peu oiseuse.

La source de ce travail est au Département des Manuscrits à la Bibliothèque du Congrès, à Washington. [A. S.] Virginia Quartely Review. Vol. XI, July 1933. P. 410-412 Havelock ELLIS, Madame de Warens.

Cet article du fameux psychologue anglais commence et finit par cette constatation nous donnons celle de la fin « Elle est la seule personne qui ait droit à réclamer le titre d'éducatrice de l'homme qui fut lui-même le plus grand éducateur de son siècle (le mot est « teacher » dont tout le sens insondable ne peut être rendu en français). De là l'intérêt qu'il y a à étudier cette femme que Rousseau n'a pas comprise, et probablement parce que celle-ci ne voulait pas qu'il la comprît.

Pour les faits ,l'auteur s'appuie sur Montet (beaucoup), sur Mugnier (naturellement), sur Benedetto (qu'il considère comme trop sévère), sur Ritter, etc. Il touche à la question des croyances religieuses les enseignements de Magny ne pa raissent pas avoir pénétré plus profondément en elle que le catholicisme plus tard (p. 145) elle a professé un peu ce que prêchera un jour le Vicaire savoyard. Il discute aussi les lectures, et observe que Mme de Warens lisait des livres de médecine et d'histoire naturelle de son grand-père, ce qui lui donna probablement le goût des concoctions et des drogues dont les Confessions parlent beaucoup (p. 415-416). Venant de sa plume autorisée, ces lignes de Havelock Ellis doivent peut-être être mises particulièrement sous les yeux du lecteur < Il y a un point concernant le tempérament de « Mme de Warens qui est d'importance pour la lumière qu'il


< projette sur sa vie et ses actions, quoique jusqu'ici on y < ait fait peu d'attention. M. de Warens mentionne briève<s ment et incidemment, sans y insister, que sa femme était t hystérique (sujette aux vapeurs). Le fait est significatif il « explique l'activité intelligente, mais intempestive et mat < réglée qui a marqué toute sa vie il nous donne la clef de « cette anomalie mentale, de ce déséquilibré qui devait la « plonger dans des difficultés à chaque pas. Nous n'avons <s pas à nous appuyer sur ce témoignage seulement pour la « connaissance de cette infirmité Rousseau, lui aussi soup<: çonnant peu la valeur de sa révélation de cet indice de « sensibilité nerveuse anormale, rapporte qu'au dîner elle < était tellement saisi par l'odeur des mets qu'elle pouvait « rarement commencer à manger avant qu'il eût fini, qu'a<s lors il recommençait pour lui tenir compagnie. » (p. 427). Conclusion Elle n'était pas difficile à comprendre « elle était simplement inquiète (restless), impulsive, égarée (erring) et une femme souffrante, d'une intelligence extraordinaire, peut-être un peu hystérique, mais moins que tant de femmes qui ont joué un rôle marqué dans les choses pratiques, moins que bien des femmes que nous respectons pour teurs dons de l'esprit (p. 431). [A. S.]

Publications of the Modern Language Association of America. Vol. XLVIII, N" 2 June 1933. P. 471-487 James H. WARNER, The Reaction in England to Rousseau's « Discours

Décidément l'intérêt grandit pour Rousseau en Amérique. Ignorant de plus en plus les critiques, et surtout les critiques acerbes, on fait de la bonne et saine histoire littéraire. Les répercussions des publications de Rousseau en Angleterre, en Espagne, au Brésil. voilà des recherches à l'ordre du jour. Le présent travail veut se limiter aux « réactions provoquées en Angleterre après la publication des deux Discours un travail semblable pour les œuvres subséquentes étant remis à plus tard. Voici les conclusions Pour le Premier Discours, peu de chose, malgré trois traductions et le « paradoxe » est dénigré tandis qu'on concède la force du style. Deuxième Discours « des commentaires plutôt favorables sont extrêmement rares. Même le style est loin d'avoir sus-


cité les louanges que l'on accordera à celui de la Nouvelle Héloïse (le roman qui devait valoir à Rousseau sa célébrité de l'autre côté de la Manche).

A vrai dire, il ne paraît pas que l'enquête ait été faite sur une base assez large pour autoriser des conclusions bien solides. S'il y a eu trois traductions du premier Discours il doit y avoir eu plus d'un commentaire, celui dont parle l'auteur de l'article. En fait, nous savons qu'un autre travailleur en a découvert déjà une dizaine. Toutefois, il est intéressant de savoir l'appréciation du Rousseau des Discours par des personnes comme Adam Smith, Goldsmith, Thomas Reid, Beattie, Burke (dont le jugement est connu depuis longtemps), Mary Wollstonecraft, William Goodwin.

Une autre chose qui frappe, c'est que l'auteur ne semble tenir aucun compte des circonstances extérieures qui ont certainement modifié les attitudes des Anglais à l'endroit des œuvres de Rousseau c'est humain on n'a pas jugé de la même manière le jeune Rousseau paradoxal, le grand écrivain. et l'hôte de Hume en Angleterre ces considérations ne sont pas faites et expliqueraient bien des choses. Il tessort d'un travail comme celui-ci, que l'influence livresque française n'a pas été aussi négligeable qu'on le pense souvent dans l'Angleterre du xvjne sièc!e la France n'a pas seulement emprunté, elle a prêté aussi. M. Warner rappelle à propos que R. S. Crane, dans son article Diffusion of Voltaire's tf7'n~s in England, 1750-1860 (Modern Philology, 1923, p. 264) a trouvé que sur 218 bibliothèques privées en Angleterre, il y avait des ouvrages de Voltaire dans 172 cas, de Rousseau dans 51 cas, d'Helvétius dans 30 cas en regard de Pope dans 115 cas Young, 62; Thomson, 51; Gray. 43; Ossian, 28 [A. S.]

FRANCE

J. J. RoussEAu. Les Confessions. Les Rêveries du Promeneur solitaire. Texte établi et annoté par Louis MARTINCHAUFFIER. Paris, La Pléiade (1933), in-16, IX+799 p. Rousseau eût apprécié la présentation de ses deux ouvrages complémentaires i'un de l'autre réunir en un volume


relié en pleine peau, format de poche, sous un aspect typographique impeccable, ces textes importants, les annoter et leur adjoindre une préface voilà qui réalise un tour de force et relève des meilleures traditions de la librairie française. Les Confessions (p. 1-647) suivent le manuscrit de Genève, avec indication des variantes du manuscrit de Paris. La leçon de ce dernier se substitue occasionnellement à celle de Genève par souci de correction le procédé est contestable. Enfin, la rédaction primitive des quatre premiers livres est représentée par quelques extraits.

Les Rêveries (p. 651-752) reproduisent l'édition de 1782; d'ailleurs il n'en existe aucun manuscrit, affirme le commentateur (p. IX, p. 790); mais si la Bibliothèque de Neuchâtel possède une copie autographe (ms 7882) des sept premières Promenades, et une minute (ms 7883) des trois autres. Les pages suivantes appellent quelques rectifications bien propres, par leur petit nombre et leur minime importance, à souligner la probité, la solidité, l'ampleur de l'érudition qui dressa le tableau des Notes et Variantes (p. 755-793). P. 759, may ce mot dialectal désigne la huche à pétrir. P. 764, PaulBernard d'Aubonne comprendre, Paul-Bern.ard Regard, bourgeois d'Aubonne. P. 765, Jacques-Louis Nicoloz, dit Le Maître; lire: Jacques-Louis-Nicolas Le Maistre. P. 769, le Dr Flury; lire le Dr Joseph Fleury. P. 773, Wootton, comté de Derby; lire: comté de Stafford. Rousseau n'y commença pas les Confessions, mais remania le début et les poursuivit sans les achever. P. 778 il quitta Genève le 10 octobre 1754. P. 791: il était à l'Ile Saint-Pierre dès le 12 septembre. P. 792: Chasseron, ChasseraL P. 793: le jour de Pâques 1778; non, le jour de Pâques fleuries, soit le dimanche des Rameaux.

La Note bibliographique (p. 795-798) orientera l'amateur curieux d'érudition. Mais surtout, l'Introduction (p. 1-VIII), lucide, originale, sympathique à Jean-Jacques, placera le lecteur sur le plan nécessaire, lui fournissant un fil conducteur dans le récit de cette vie si riche, si complexe, si trouble même. Remarque pénétrante « L'inadaptation de Rousseau au réel est une des sources de son génie, la cause principale de ses malheurs, et le signe de sa monstruosité c'est-à-dire de son élection, de son caractère de phénomène. Sincère et


sensible, naturel, ingénu dans le bien et dans le mal, sans méchanceté, tendre, aimant, séduisant et intolérable de susceptibilité, « peu à peu, il s'enfonçait dans une solitude déchirante, qu'il subit longtemps avant de la préférer, qu'il ne préféra pas vraiment, mais qui, seule, lui rendait la terre supportable ». Et Rousseau de se rattraper dans le rêve, d'où une vie double, et d'où encore la sagesse de son mariage Thérèse constitua l'intermédiaire, le bouclier, entre le rêveur et le monde trop dur. Clairvoyant à l'extrême, Rousseau sait que dans la société il paraît une exception et que hors d'elle il serait un exemple sa nature est vertueuse, ses tares viennent de la société dès lors, pourquoi serait-il embarrassé de les étaler dans les Confessions? C'est le groupement humain qu'il analyse à travers sa propre personne, c'est chacun de nous qu'il dissèque impitoyablement.

Tout ce morceau est à méditer. [L. J. C.]

Correspondance générale de J. J. Rousseau, collationnée sur les originaux, annotée et commentée par Théophile DuFOUR (et P. P. PLAN). Tome XIX Les Confessions terminées, Rousseau quitte Bourgoin pour Paris. Arrêt à Lyon. (Novembre 1768-Septembre 1770). Paris, Armand Colin, 1933, in-8" carré, VI+390 p., 6 pl. h. t.

Ce volume appelle quelques remarques qui continuent la série publiée dans les Annales, t. XIX, p. 247-249 t. XX, p. 256-259 t. XXI, p. 283-285.

A mesure que cette monumentale entreprise approche du terme, se multiplient les omissions de lettres connues, ou de lettres inédites d'un accès aisé qui ne regretterait pareilles lacunes dans le corpus rousseauiste ? Ainsi, Rousseau à Laliaud, 7 déc. 1768 (cf. Hachette, t. XII, p. 126, ? 978); Beauchâteau à Rousseau, Genève, 31 mars 1769 (Neuchâtel) Rousseau à Saint-Germain, 14 juillet 1770 (cf. Hachette, t. XII, p. 218, ? 1043, avec la date fausse du 14 août); Saint-Germain à Rousseau, Grenoble, 23 juillet 1770 (Genève). Plusieurs lettres sont à tort qualifiées d'inédites: n" 3766, Rousseau à Dupeyrou, 19 dée. 1768 (cf. Alexis François, Matériaux, p. 28); n° 3841, à M. 6 sept. 1769 (ibid., p. 143); n° 3930, à Dupeyrou, 7 juin 1770 (cf. ibid., p. 34; E. Foster, dans Annales, t. XVII, p. 203); n" 3938, 3939 à Mme de Na-


daillac, 20 et 25 juillet 1770 (cf. A. François, o. c., p. 115, 116). Enfin, un lapsus: n° 3951, Rousseau à La Tourrette, 8 sept. 1770; la Corr. s'en. déclare reproduire le texte de Musset-Pathay or, celui-ci, t. VII, p. 141, date du 28 septembre [L. J. C.] Notre correspondant de Hongrie nous envoie la note suivante il y a lieu de la rapprocher de celle qu'il a donnée antérieurement (cf., Annales, t. XVIII, p. 359)

« M. P. P. Plan reste jusqu'à la fin fidèle à son attitude composée de négligence et d'information incomplète à l'égard de Sauttersheim. Il l'a traité tout le long de la Correspondance en parent pauvre, car, en premier lieu, il a supprimé la plupart des lettres écrites par Sauttersheim ou ayant trait à lui et, en second lieu, il n'a pas cru utile d'accompagner de notes exactes les lettres relatives à ce personnage. Les rares notes qu'il lui consacre fourmillent de confusions et de bévues il ignore sa patrie, sa famille, sa profession, la date de sa naissance, et jusqu'à son vrai nom Rien des recherches entreprises pour mettre au jour les circonstances biographiques de cet énigmatique Sauttersheim n'a pénétré dans son bureau de rédaction (cf., Annales, t. VIII, p. 348 t. X. p. 236). Et maintenant y/nM coronc~ opus: dans la lettre n" 3767 du 19 déc. 1768, Rousseau parle à Laliaud, et cela d'un cœur vivement ému, de la mort de son ami hongrois: la Providence lui a ôté l'ami qu'il lui fallait pour lui fermer les yeux. Le lecteur se dernande-t-il où et quand cette mort est survenue ? M. Plan ne satisfait pas une si légitime curiosité: nul commentaire n'y répond, en dépit de l'engagement qui figure au titre de la publication. Nous regrettons que la Corr. t~cn. déçoive ainsi les espoirs que le prospectus avait suscités parmi les rousseauistes hongrois ». [Louis Ràcz.] Maurice BARRÉS, Mes Cahiers. Tomes 4' 1904-1906; 5': 19061907 6': 1907-1908. Paris, Pion, 1931, 1932, 1933, in-16, 3 vol.

Voir Annales, t. XX. p. 259. Tome 4e, p. 73 (1905) « Musique. Rousseau aimait le son lointain des cloches P. 79 (1905) « Cela me fait songer aux scènes de Rousseau et de Young, quand Rousseau pleure de joie et qu'à ce délire Young dit Quoi donc, Monsieur Rousseau! eh quoi! » (Barrès eût dû écrire Hume).


Tome 5', p. 95 (fév. 1906, Journal de la Chambre) « Tout ce monde-là a l'état d'esprit chrétien de Rousseau, de Tolstoï. Vériaer Voguë ». P. 205 (nov. 1906, le livre que je veux faire) « N'y a-t-il pas chez nos républicains les deux traditions de Voltaire et de Rousseau, le premier adorait la raison et le second la justice (cela indiqué page 10 de Ferrari l'auteur de Raisons d'Etat). P. 258 (mars 1907) « Rousseau, Verlaine, introduction de la confession dans la littérature. Quid de Montaigne ? »

Tome 6°, p. 17 (août 1907) <: Panthéisme [.]. Puis je reprenais le goût de la discipline, de l'ordre. Je souffrais trop de ne pas dominer, de me dissoudre dans cette nature. C'est alors qu'à Châtelguyon je lisais les œuvres scientifiques de Gœthe, je voulais faire de la botanique comme Rousseau ». P. 138 (nov. 1907) « Les jeunes hommes. Et les femmes ? Leur prodigieux recul. On l'a vu dans l'affaire Jean-Jacques ». P. 166 (déc. 1907, Cahier d'Egypte) Au Caire, à l'Ecole des Frères « Un Nègre me cite Rousseau. Je le priai de me nommer quelques-unes de ses œuvres. Il me cite les Rêveries d'un Païen mystique. Je voulais lui demander s'il croyait que ce fût sur un crocodile ».

Ces passages marquent l'emprise de Rousseau sur Barrès, la hantise même, en même temps que le détachement doctrinal grandissant. Une clairvoyante étude de MiéviIIe sur ces deux écrivains est signalée ci-dessous. [L. J. C.] Ferdinand BRUNOT. Histoire de la langue française des origines à 1900. Tome VI Le XVW siècle, 2' partie Alexis FRANÇOIS, La langue postclassique. Paris, Colin, 1933, 2 vol. gd. in-8".

L'on ne peut ici que signaler cet immense inventaire auquel les œuvres de Rousseau ont fourni de multiples éléments. Si d'une part c'est un dépouillement lexicologique d'une richesse prodigieuse, d'autre part l'on y trouve une étude exhaustive et originale du développement syntaxique M. A. François a décrit l'évolution de la phrase avec une précision qui va loin en étendue et en profondeur, et qui explique avec preuves à l'appui l'importance capitale de la prose de Jean-Jacques aux apports pittoresques, lyriques, musicaux. L'ancien rédacteur des Annales continue ainsi à rendre de précieux services à nos études. [L. J. C.]


Pierre GROSCLAUDE. Jean-Jacques Rousseau à Lyon. Lyon, A. Rey; Paris, Alcan; 1933; in-8°, 128 p. (Annales de l'Université de Lt/on. Nouv. série. 11 Droit. Lettres. Fasc. 43). Cette « Etude biographique réunit des renseignements dispersés et connus elle n'y ajoute guère, tout au plus des détails topographiques (confluent du Rhône et de la Saône) qui en font souhaiter de plus copieux. On cherche en vain à faire plus ample connaissance avec les élèves de Rousseau, avec la famille Mazoyer, avec les Claret, les Cornabès, M. de la Salle les Archives lyonnaises sont-elles à ce point discrètes ? L'auteur, semble-t-il, a visé moins à être complet dans le rappel des faits et gestes de Rousseau et de ses relations qu'à rétablir le milieu où Jean-Jacques vécut à maintes reprises mais la concision adoptée ne va-t-elle pas à fin contraire ? Par exemple, pourquoi taire la journée dramatique passée à la campagne et narrée par Coignet et par Chassaignon ? L'Anglais qui loua si fort Pygmalion, ne serait-ce point William Constable ?

L'intéressant appendice n° 1 expose la question de la paternité contestée du Deu:'n quel est le compositeur ? Rousseau ? Gresset ? faut-il admettre une collaboration ? Posant les termes du problème, l'auteur ne conclut pas en l'absence d'informations décisives.

Au total, monographie agréable à lire et commode à consulter, qui fait déplorer le manque de curiosité fureteuse chez son auteur [L. J. C.]

G. LENÔTRE. Femmes. Amours évanouies. Paris, Grasset (1933), in-16, 318 pp. (La Petite Histoire. 2).

P. 35-42 Elève de Rousseau. Née à Gôttingue vers 1760, Thérèse Heyne s'éprit de Rousseau et réalisa l'invraisemblable trio de Clarens, d'abord dans ses nançailles, puis dans son mariage même, deux Saint-Preux se succédèrent par la volonté expresse et tyrannique du nouveau Wolmar, théoricien d'une tenacité et d'un aveuglement inouïs. Au reste, elle ftnit par être bigame, légalement mariée après la retraite volontaire du premier mari. [L. J. C.1


André MONGLOND. Jeunesses, Le Journal des Charmettes, Les Amours de Carbonnières, Le Mariage de Senancour. Paris, Grasset, 1933, in-8" écu, 308 p., 6 planches.

Le premier titre seul nous intéresse (p. 1-49). Il reproduit un article de la Revue des Deux-Mondes du 15 avril 1933, avec 3 planches hors-texte, et une longue note (p. 29-31) sur la date du premier séjour de Rousseau aux Charmettes et dont nous dirons un mot tout à l'heure.

Une nouvelle preuve de l'intérêt que suscite le moindre fragment d'information sur la vie et les œuvres de Rousseau même quand le rapport est très indirect nous est fournie par l'étude que M. Monglond (l'auteur du Préromantisme français et de Vies préromantiques) a consacrée au Journal des Charmettes une sorte de « livre de raison comme on les tenait dans les domaines agricoles aux siècles passés, découvert en Savoie, et attribué par M. Monglond, probablement avec raison, à Wintzenried.

On y trouve quelques comptes, jetés sur le papier, par le peu intéressant Wintzenried et qui ont trait aux exploitations agricoles de Mad. de Warens au vallon des Charmettes, d'abord à la ferme Revil, puis au domaine Noeray, et pendant quelque temps aux deux terres à la fois. Instruments de labour achetés, réparations aux maisons de fermes, engagements de main-d'œuvre, etc.

En soi, ces renseignements ne sont pas d'un intérêt palpitant pas plus que ne le seraient des livres de compte de Mad. de Warens dans sa fabrique de bas, de chocolat ou pour ses mines. Si, tout de même, la Revue des Deux-Mondes a donné asile à ces bribes, c'est certainement moins en raison de leur valeur intrinsèque, qu'en raison des commentaires de M. Monglond.

L'apport concret et certain de la découverte de M. Monglond se réduit à ceci Mad. de Warens en louant le domaine Noeray, en 1738, n'a pas abandonné pour cela le domaine Revil, mais pendant quelque temps elle a exploité simultanément les deux (M. Monglond estime qu'elle cessa de s'occuper du domaine Revil en 1739). Mais M. Monglond n'est pas un timide, et on pourra trouver que ce qu'il tire de ce document nouveau, ou ce qu'il y rattache, pour reconstituer cette période de la vie de Rousseau, est un peu osé, un peu < romancé


D'abord, et sans qu'on voie bien le rapport avec des comptes de ferme, il récrit d'une façon originale les relations de Mad. de Warens et de Rousseau. Selon lui, Mad. de Warens aurait éprouvé pour Jean-Jacques des sentiments assez éloignés de l'affection. Pas plutôt celui-ci fut-il revenu de Turin à Annecy que Mad. de Warens ne songe qu'à « se débarrasser » de lui, tandis que Rousseau cherchait avec la même « obstination », à « s'incruster chez elle. A l'appui, par exemple que Rousseau devait coucher sur un lit de sangle et non dans un vrai lit, à Annecy, en sorte qu'il se rendit compte qu'il n'était pas un hôte trop désiré voir aussi l'empressement de Mad. de Warens à expédier son protégé au séminaire, et puis à la maîtrise comme s'il n'était pas bien naturel pour Mad. de Warens d'aider son jeune ami, un gars de 18 ans, à trouver une situation dans la vie. Quand, après son voyage à Besançon, Rousseau écrit à sa bienfaitrice pour lui demander s'il doit retourner chez elle, ou peut-être accompagner l'abbé Blanchard à Paris, ou encore aller trouver l'ambassadeur de France à Soleure, M. Monglond ne supposerait pas un moment que Rousseau pût être sincère et avoir quelques sentiments de délicatesses il sait, lui, que c'est « pures gasconnades (alors que pourtant il reconnaît une certaine délicatesse et générosité à Rousseau, p. 24-25, note). et ainsi à l'avenant. I! pensera, ou au moins il écrira, que le partage de Mad. de Warens avec Anet, était pour Rousseau « délectable » (sic, p. 11). Pour tout cela et d'autres traits encore, on n'interprétera pas seulement fort librement certains passages des Confessions et de la Correspondance, mais encore et surtout on passe cavalièrement sur tant de pages où Mad. de Warens paraît vraiment aimer bien son Jean-Jacques. M. Monglond s'en tire en disant « Rien ne serait plus faux que d'attribuer à Rousseau la sincérité de Senancour, de Benjamin Constant ou de Stendhal, elles-mêmes tranchées par de vigoureuses nuances » comme si n'était pas précisément la question.

M. Monglond rattache un autre problème au Journal des Charmettes et là on voit encore beaucoup moins le rapport celui de Ja date du premier séjour aux Charmettes. Il avait écrit dans ses Vies préromantiques (p. 60-61) « Depuis longtemps les biographes ont rectifié la fiction des Char-


mettes et le roman d'un amour prédestiné. Hélas, des souvenirs trop précis contrariaient la fiction lentement élaborée par la souffrance et les déboires. Mais, la plus belle imagination du monde ne saurait effacer ce qui fut On reconnaît là la belle assurance de M. Monglond. Or, nous avions repris la question dans la Revue d'Histoire Littéraire de janviermars 1928, p. 85-91, et offert une solution différente, à savoir que la question des dates s'arrangeait beaucoup mieux si on voulait bien tenir compte du fait que le bail de 1738, relatif aux Charmettes Noeray concernait le domaine agricole de M. Noeray, tandis que l'idylle des Charmettes s'était passée dans la maison d'habitation, maison de campagne de M. Noeray. Nous n'avons pas de bail à produire pour cette dernière location mais aussi bien n'en est-il guère besoin. On ne fait pas pour un séjour d'été un bail circonstancié, et aussi minutieux que ceux contractés par Mad. de Warens pour les domaines d'exploitation Revil et Noeray. Un tel arrangement pouvait fort bien se faire à l'amiable. M: Monglond ne laisse rien soupçonner de tout ceci dans l'article de la Revue des Deux-Mondes il se croit obligé, cependant, d'en dire quelque chose dans son livre. Là dans une longue note de 3 pages presque entières ce qui ferait bien six pages de texte il écrit « Ainsi s'écroule l'argument fondamental sur lequel Mme Isabel Lawrence et M. Albert Schinz édinaient laborieusement leur hypothèse d'une installation dans la maison Noeray dès la fin de l'été de 1736 ». D'abord, la note de M. Monglond est à peine moins < laborieuse que notre examen de la Revue d'Histoire Littéraire, de janvier 1928 ces trois pages de note équivalant à six bonnes pages de texte. Ensuite, surtout, on ne voit pas que rien s'écroule. Nous sommes très disposé, nous l'avons dit déjà, à concéder à M. Monglond que Mad. de Warens n'a pas échangé le domaine Revil pour le domaine Noeray, mais bien qu'elle a pendant quelque temps exploité les deux concuremment ce point échange était faux dans notre article, c'est certain. Mais que cela modifie en quoi que ce soit le problème de la date de l'idylle, personne ne le croira. Comment, en effet, le fait que Mad. de Warens ait exploité pendant quelque temps en 1738 à 9, deux domaines agricoles au lieu d'un, infirmerait-il en aucune manière la possibilité d'une idylle


des Charmettes en 1736 et en 1737 dans la maison de campagne de M. Noeray alors au service ?

Comme M. Monglond s'en prend à notre article de la Revue d'Histoire littéraire nous reprenons avec quelques détails la question dans ce même périodique. [Albert Schinz.] Pierre de NomAC. Portraits du XV/ siècle. La douceur de vivre. Paris, Plon (1933), in-16, 229 p., 16 hors-texte (Collection Les Maîtres de l'Histoire).

Chap. VIII La Tour chez les philosophes. P. 112-116 relations entre le pastelliste et Rousseau.

Noëlle RoGEK. Jean-Jacques Rousseau, le promeneur solitaire. (Paris), Flammarion (1933), in-8", IX+386 pp. (notes p. 321-372 références p. 373-386).

Ce serait faire injure à Mme Noëlle Roger de dire que son livre est une vie romancée, c'est plus et mieux que cela. Ce n'est pas non plus un livre pour « spécialistes bardé de notes et de références, et pourtant il témoigne d'une profonde connaissance de l'œuvre et de la bibliographie de Roui! seau.

Madame N. Roger a voulu plaider devant le public cultivé la cause du grand méconnu que fut et qu'est encore Rousseau. Son plaidoyer est éloquent et qui mieux est convaincant sans cacher les ombres et les faiblesses, elle a montré les parties lumineuses de l'âme de Rousseau, ses élans, ses rêves, ses pensées généreuses et surtout son immense besoin d'affection si cruellement déçu par la vie, elle a montré avec beaucoup d'habileté comment et pourquoi la méSance et ce dégoût à l'égard des hommes se sont glissés dans l'âme de Jean-Jacques elle a mis en évidence les machinations de Grimm et du camp encyclopédiste et rappelé on ne saurait trop insister là-dessus la falsification par Grimm des Mémoires de Madame d'Epinay.

Alors que tant d'auteurs, par paresse, se fondent uniquement sur les Confessions pour raconter la vie de Rousseau, Madame Noëlle Roger a utilisé la Correspondance générale, source de premier ordre qui permet de « recomposer et de vérifier les indications des Confessions « Jour après jour, Mes lettres) reflètent les préoccupations quotidiennes


débattues à la lumière évidente du moment. il est impossible de jouer un rôle quarante années durant de telles lettres devraient se contredire et se désavouer si l'auteur n'était pas sincère. Restituées à leur date, transcrites souvent de l'original autographe, elles deviennent les témoins incorruptibles de sa vie (p. IX). Alors que tant d'écrivains français manifestent à l'égard de Rousseau leurs préjugés, leur mauvaise humeur et même leur mauvaise foi, Mad. N. Roger nous présente enfln, dans un style souple, alerte et poétique, une vie de Rousseau écrite avec sympathie, et clairvoyance, et si elle ne cache pas l'affection qu'elle porte à son « héros cette affection ne fait pas fléchir son jugement, ce n'est pas une vulgaire apologie qu'elle nous a donnée, mais un livre de bonne foi. Le portrait qu'elle fait de Rousseau est attachant et vrai. [F. R.]

L'En Dehors. Orléans, n° 256 Benjamin de CAssËRES, J. J. Rousseau.

Attaque ironique dirigée contre Irving Babbitt, le pourfendeur américain du romantisme.

Revue des Cours et Conférences. 346 année, n° 3, 5, 7, 9, 11, 14, 16 (15 janvier, 15 février, 15 mars, 15 avril, 15 mai, 30 juin, 30 juillet 1933) Anatole FEUGÈRE, Jean-Jacques Rousseau.

La Revue a arrêté, nous ne savons pour quelles raisons, la publication du Cours de M. Feugère après le 30 juillet 1933. Ce travail étant incomplet, et nous le regrettons vivement, il nous est difficile d'en donner une appréciation d'ensemble. Le cours de M. Feugère est fort bien fait, fort bien écrit, il n'est pas à ranger dans la critique anti-rousseauiste, l'auteur s'y montre bien informé et impartial. Peut-être voudrait-on par-ci par là plus de netteté, plus de trait et mieux connaître les idées et les réactions personnelles de l'auteur. Dans ses six premiers chapitres l'auteur se fonde presque uniquement sur les Confessions pour raconter la vie de Rousseau, ce n'est qu'à partir du septième (séjour à l'Ermitage) qu'il met à contribution la Correspondance générale, source capitale et essentielle qui permet de contrôler les assertions des Confessions. Nous avons souvent eu à rendre compte, ici même,


d'ouvrages dus à des critiques français, pour la plupart hostiles à Rousseau ce nous est un plaisir de reconnaître la parfaite objectivité de M. Feugère. Alors que tant de ses compatriotes délirent et divaguent au seul nom de Rousseau, M. Feugère a su « raison garder » et nous sommes certain que son cours n'a pu qu'avoir une excellente influence sur ses auditeurs, leur faisant connaître la riche complexité de l'oeuvre de Jean-Jacques et leur exposant avec clarté et méthode les principaux problèmes qu'elle pose et que pose aussi la vie de l'écrivain genevois.

Relevons quelques passages dignes d'intérêt « L'année que Rousseau passa chez M. de Mably ne fut pas perdue. H fut amené à réfléchir sur les questions pédagogiques dont il comprit, par expérience, l'importance et la difficulté. I) apprit surtout alors comment il ne faut pas faire il ne faut employer avec les enfants ni le sentiment, ni le raisonnement, ni l'emportement. Ce sera un des principes qu'il développera avec vigueur dans l'Emile (cf., n° 7, p. 653). M. Feugère voit dans la cruelle impression d'injustice que laissa à Rousseau son échec chez M. de Montaigu, la « source la plus importante du Discours sur ~o/f' (cf., n° 9, p. 72). Dans )e même chapitre IV, l'auteur discute longuement la question si épineuse de l'abandon des enfants de Rousseau il ne croit pas à la thèse de la simulation « Tous ces traits démontrent à l'évidence la réalité du crime, la sincérité du criminel, soit qu'il s'excuse, soit qu'il s'accuse s- (id., p. 81). Au chapitre V (n° 11, p. 276), examen des assertions de Marmonte) et de Diderot sur l'origine du Discours sur les Sciences et les Arts « Il faut être plein de naïveté. pour admettre à la légère, sur la parole de Marmontel qui la tient de Diderot, que, sans Diderot, Rousseau n'aurait jamais osé prendre sur lui de répondre par la négative à la question posée par l'Académie de Dijon. ». Diderot dans un chapitre de ]'E<~<7! sur les règnes de C/oH~e de A'eron où il malmène Rousseau dit « (Rousseau) vint me consulter sur le parti qu'il prendrait. Le parti que vous prendrez, lui-dis-je, est celui que personne ne prendra. Vous avez raison, me répliqua-t-il. » Et M. Feugère de conclure « Rousseau était. fort tenté de répondre par la négative, mais il n'osait; Diderot lui conseille d'oser, voilà ce qu'affirme Rousseau, à quoi Diderot ne contredit pas ».


Chapitre VI, n° 14, p. 569 « Ce que Rousseau reproche à la doctrine catholique, c'est le principe d'autorité, qui exclut le libre examen de la raison individuelle [F. R.] Revue générale du Droit, de la Législation et de la Jurisprudence en France et à l'Etranger. 57" année, avril-septembre 1933. P. 81-101, 178-195 Joseph FAUREY, La philosophie politique de Balmès.

Sur les origines de la société et du pouvoir civil, Rousseau est opposé à S. Thomas d'Aquin, à Bellarmin et Suarez. Le protestantisme a faussé le cours normal de la civilisation et favorisé la démocratie révolutionnaire. Dans le Protestantisme comparé au Catholicisme dans ses rapports avec la civilisation européenne (1844), l'abbé Jacques Balmès se rattache à la monarchie héréditaire, mais sa pensée politique < ne peut vraiment servir qu'à la condition d'être rectifiée et complétée par celle de Maurras (p. 195). [L. J. C.]. Revue d'Histoire littéraire de la France. 40' anriée, juilletseptembre 1933. P. 434-440 George R. HAVENS, Les Notes marginales de Voltaire sur Rousseau.

Traduction de l'article en anglais paru en 1932 et dont il a été rendu compte ici-même, t. XXI, p. 282.

Revue de Littérature comparée. Octobre-décembre 1933. P. 606-622 A. JOLIVET, Le rousseauisme d'Auguste Strindberg.

Strindberg s'est enthousiasmé pour Hartmann, Nietzsche, Swedenborg et pour Rousseau « Pendant une période plus ou moins longue, dit M. Jolivet, il place toute son activité intellectuelle sous le signe de l'auteur choisi et « il réduit le système qui l'enthousiasme à quelques idées simples, qui deviennent des idées forces, autour desquelles pour un temps, ses propres idées s'organisent, selon lesquelles il interprète ses expériences et ses lectures >. L'influence de Rousseau a renforcé en Strindberg ses tendances non-conformistes, l'a ancré dans son rôle de critique de la société et des institutions de son pays. De 1881 à 1886 le rousseauisme a été < le véhicule de sa protestation sociale [F. R.]


Revue des Deux-Mondes, 15 avril 1933. P. 896-926 André MONGLOND, Le Journal des Charmettes.

Ces pages ont été recueillies dans le volume intitulé Jeunesses dont il est rendu compte ci-dessus.

Bulletin mensuel de la Société linnéenne de Lyon. 2* année, n" 9, novembre 1933. P. 141-142 Dr J. OFFNER, Note sur l'Argousier (« Hippophae rhamnoides » L.).

En passant, cette note cite l'aventure de Rousseau et Bovier aux environs de Grenoble.

Le Trésor des Lettres, 1' année, n" 5, 15 octobre 1933. P. 265268 Pierre-Paul PLAN, La première o?Hure de JeanJacques Rousseau.

Le Mercure de France de juin 1737 publia la chanson Un papillon badin mise en musique par Rousseau. Le présent article semble ignorer que M. Peyrot avait, dès 1913, ramené l'attention des lettrés sur ces prémices musicales et poétiques cf. Annales, t. X, p. 197. [L. J. C.]

Revue des Eludes hongroises. Juillet-décembre 1933. P. 216233 Edmond PoupË, Alexandre Kisfaludy à Draguignan. Thermidor-fructidor an IV (juillet-septembre 1796). P. 225. Sous la direction de Julie-Caroline d'Esclapon, 21 ans, Kisfaludy, 24 ans, le futur chef de l'Ecole française en Hongrie, lut « Caroline de Lichtfield, d'Isabelle de Montolieu, roman qu'il crut traduit de l'allemand les Sacrifices de l'amour, de Dorât surtout La Nouvelle Héloïse, de J. J. Rousseau. Ce dernier ouvrage lui plut à tel point que plus tard (1799) il essaya de l'imiter en écrivant l'Histoire de deux cœurs amoureux. »

Catalogue périodique de la librairie André Poursin et Cie, Paris, ? 65 (avril 1933) l'originale des Confessions. Dans son Catalogue M. A. Poursin nous poursuit (si cette allitération est permise) et continue à plaider la cause de l'édition en gros caractères comme édition des six premiers livres des Confessions. Sa notice, elle, est imprimée en si petits caractères (quelle obsession!) que la lecture en est fatigante pour les yeux, malgré quelques mots en majuscules


impératives, destinées sans doute à mieux convaincre les malheureux qui s'égareraient encore dans le maquis de cette procédure. Ajoutons que le commentaire plein de volubilité du libraire accompagne l'offre de vente (n° 107) d'un exemplaire des Confessions. Hic jacet lepus. [Aug. B.] Marianne, 16 août 1933. Guy de PouRTALÈs, Jean-Jacques Rousseau à l'Opéra.

A travers Herder, Richard Wagner a pu emprunter à Rousseau (Dictionnaire de Musique; Lettre sur la Musique française) plusieurs thèmes des dissertations qui formèrent son grand essai sur Opéra et Drame.

La Petite /us<rc/o/ n° 620. Roman, n° 287. 1" avril 1933 Noëlle ROGER, Jean-Jacques, ou le Promeneur solitaire. Deux compositions de Léon FAURET. In-8°, 32 p. Six chapitres détachés du livre dont il est rendu compte ci-dessus Seize ans. La maman dangereuse. La ~ocofton. Les trahisons de l'Ermitage. Le drame de Montmorency. Sous les peupliers d'Ermenonville. De nombreuses pages du même ouvrage ont paru au cours de l'année dans la presse en France et en Suisse.

Le Figaro, 4 février 1933 Noëlle ROGER, L'Asile des Enfants trouvés au temps de Jean-Jacques Rousseau. (Article reproduit dans le Mercure de France, 1" mars, p. 437-439). Le Mercure de France de juin 1746 publia un Abrégé historique de l'établissement de l'hôpital des Enfanls trouvés. Rousseau put en le lisant se convaincre que les soins prodigués aux pupilles de l'Etat étaient intelligents. Sans compter que l'abandon des enfants nés hors mariage était la règle. Le Figaro, 26 juillet 1933 Noëlle ROGER, Prophéties oubliées de Jean-Jacques Rousseau. Jean-Jacques Rousseau et la « Croisade des Patries

Reprendre contre le bolchévisme les objurgations de Rousseau aux Polonais menacés par les Russes.

Revue générale des Sciences pures et appliquées. T. XLIV, n° 9, 15 mai. P. 270-275 J. Rouen, La météorologie dans J.-J. Rousseau.


Anthologie des passages où Rousseau note l'état de l'atmosphère.

Revue de Paris, 40' année n" 10 et 11 15 mai et 1" juin 1933. P. 299-325, 630-667 Albert ScmNz, Documents nouveaux sur Rousseau et Voltaire.

Un mécène américain, le lieutenant-colonel R. H. Isham R rendu possible la publication des Privale Papers de James Boswell les 19 volumes sont tirés à 570 exemplaires et valent un millier de dollars. On saura gré dès lors à M. Schinz d'avoir mis à la portée du public de langue française et de ressources financières limitées les pages qui concernent les relations personnelles de l'Ecossais avec les deux maîtres du XVIU" siècle nous retiendrons les entrevues qu'il eut avec Rousseau.

En 1764, Boswell entreprit une tournée sur le continent le 3 décembre, l'exilé de Métiers-Travers l'accueillait les 4 et 5 il le recevait de nouveau. Après une excursion dans le bas pays, le voyageur retournait chez Rousseau le 14 le lendemain il prenait congé. Ainsi, cinq jours de conversations prolongées unirent étroitement les deux hommes; elles roulèrent sur la neurasthénie de Boswell et ses projets de réforme morale, sur Voltaire, sur Milord Maréchal, sur les Ecossais et sur la Corse, sur le chien Sultan, sur la théologie, sur tout au monde. Dans sa narration, Boswell dépeint le philosophe, son attitude, son costume il note le menu d'un repas il ne manque pas de flirter avec Thérèse. Du Jura il passa à Genève, séjourna en Italie et, au mois d'octobre 1765, abordait en Corse, muni d'une recommandation de Rousseau pour Paoli et Buttafoco. En janvier 1766 il voit à Lyon la famille Boy de la Tour enfin il pilote Thérèse à Chiswick ce voyage fut pour la vertu de l'un et de l'autre l'occasion d'une déroute totale, d'attentats répétés et si crûment consignés que l'héritière actuelle de Boswell détruisit plusieurs pages des mémoires avant de vendre ceuxci à l'éditeur américain. Ayant eu vent de sa mésaventure. Rousseau rompit avec Boswell, d'ailleurs sans tapage. En revanche, Boswell ne se gêna pas pour diminuer son ancien ami, allant jusqu'à inspirer une caricature qui le ridiculisait et qui parut en janvier 1767, pendant la fameuse querelle Hume-Rousseau.


Ces précieux souvenirs renferment des portraits pris sur le vif, et enrichissent la série des visites reçues par Jean-Jacques au cours de celles-ci, il se montra constamment homme de cœur et de bon sens, simple de goûts et de langage, et décidément mal apparié avec Thérèse, la bavarde, la coquette, voire l'infidèle Thérèse. [L. J. C.] ]

Journal des Débats, 1"' janvier 1933 Ernest SEILLIERE, Alain contre Emile.

En de nombreux passages, Alain, connu comme théoricien du radicalisme politique, s'oppose à Rousseau et dès le point de départ, puisqu'il parle de corriger la nature barbare de i'enfant. On devine l'allure générale de ce feuilleton philosophique qui renferme un précieux aveu de son auteur « Je pense, moi aussi, que la mystique naturiste, si elle est à temps rationalisée par l'expérience pénible (celle qui instruit surtout), et, alors, ramenée vers la tradition stoïque et chrétienne en morale, pourra laisser quelque jour la condition humaine améliorée de façon durable ». [L. J. C.] Nouvelle Revue Française. 1" décembre 1933. P. 894-902 Albert TmBAUDET, Aux deux Balzac.

Par-dessus Massillon, Rousseau renoue dans l'ordre de l'éloquence écrite l'exacte tradition de Balzac c'est le genre de l'éloquence rentrée elle s'adresse au lecteur (p. 897). Elle se poursuit dans Chateaubriand et George Sand, et dans Lamartine prosateur. « Balzac a fondé le style de l'oratoire décoratif. Ce que, comme lui, Rousseau et Chateaubriand furent en décor, Lamartine le fut également en chair et en voix. Mais nous restons dans le même secteur (p. 90), lequel n'est pas celui de Bossuet ni de Racine

Bulletin du Bibliophile. 20 novembre 1933. P. 481-485 Fernand VANDEREM, Comment avoir les classiques ? Des multiples éditions qui renferment la série des auteurs classiques, certaines présentent des volumes supplémentaires ou superflus, véritable poids mort ainsi, dans la Collection de Bure, les 6 volumes de la Nouvelle Héloïse, les 2 de Tétémaque, 8 de Montesquieu, plusieurs de Bossuet, Voltaire, etc. (p. 483).


Le Rempart. Paris, 30 octobre 1933 P. A., Les premières œuvres de Jean-Jacques.

Reproduit le poème anacréontique de Rousseau d'après le Trésor des Lettres (cf. ci-dessus) sans réserve sur l'apparente nouveauté de cette œuvre. [L. J. C.].

HONGRIE

SoMLYÔ, Zoltàn, Gondolatok Rousseau trdsaz&d~ (Z. Somlyô, Pensées extraites des œuvres de Rousseau). Budapest, 1933, in-32, 108 pp.

M. Somlyo qui a traduit et recueilli ces pensées, est passionné de Rousseau, mais cet enthousiasme, sans la connaissance intime de la vie du philosophe et la maîtrise des deux langues, ne suffit pas pour susciter l'admiration et entraîner l'adhésion du lecteur. Si, en général, nous pouvons être satisfait du choix, il s'y trouve des pensées qui, amputées de leur contexte, ne disent pas grand'chose. En recueillant ces pensées, le traducteur n'a suivi aucun plan il ne les a groupées ni selon l'ordre chronologique, ni selon l'ordre des objets elles se suivent pêle-mêle, par pur caprice. Cette anthologie procurera peut-être de nouveaux lecteurs à Rousseau, mais la valeur littéraire en est mince. FARKAS, Gyula, A magyar irodalom tôrténete (Jules Farkas, Histoire de la littérature hongroise). Budapest, 1933, in-16, 336 pp.

P. 130. G. Bessenyei s'inspira plus que n'importe lequel de ses contemporains de la Au/AMrun~ française, des idées de Voltaire, Rousseau et les Encyclopédistes.

P. 137. Csokonai subit fortement l'influence de Rousseau. KEcsKËs, Pal. A M~cse~ Mr/Me~e ~ô&6 uondsaz&aT: (Paul Kesckés. Esquisse de l'histoire de la philosophie). Budapest, 1933, in-8", 646 pp.

L'auteur consacre deux pages à Rousseau (360-2) une demi-page à sa vie, une page et demie à ses idées. Quant aux dernières, il les expose clairement et sans parti pris mais


cette biographie retarde de cent ans elle en est encore à l'érudition des années 1820 ou 1830, où les faits exacts alternaient avec les conjectures et les fables imaginées par la haine ou l'absence de critique.

Napkelet, XI* année, ? 12, décembre 1933. P. 866 E Hosy, Eugène de Savoie.

L'auteur s'étend, assez amplement, sur les relations du prince Eugène et de Rousseau, cite onze fois le nom du dernier, sans ajouter le prénom et suggère par là aux lecteurs hongrois que c'est du citoyen de Genève qu'il parle. Pesti Hirlap. LVI année, ? 194, 27 août 1933.

Le quotidien publie l'anecdote bien connue d'après laquelle Rousseau aurait remis à Voltaire son Ode à l'immortalité, à quoi Voltaire aurait répondu « Eh bien, cette lettre ne parviendra jamais à son adresse Ici le lecteur hongrois qui ignore le nom du poète Rousseau, pense à bon droit, qu'il s'agit de Jean-Jacques.

Le soussigné a écrit aux rédactions du périodique et du quotidien, et leur a expliqué que dans les deux cas il fallait comprendre Jean-Baptiste Rousseau à l'usage des lecteurs hongrois, il eût fallu mentionner expressément son nom de baptême. Résultat point de réponse.

Magyar Külpolitika. XIV année, ? 12, décembre 1933. P. 14: Fr. d'OLAY, Rousseau és s'rd/' Teleki Jdzsey (Rousseau et le comte Joseph de Teleki).

M. d'Olay relate dans cet article les relations de Rousseau avec le comte hongrois, J. de Teleki, dont il fut ici plusieurs fois question (cf. Annales, t. XX, p. 170-191). L'auteur estime que Rousseau aurait non seulement reçu la lettre de Teleki du 26 février 1778, mais qu'il y aurait répondu affirmativement. Son avis n'est étayé d'aucune preuve. [L. R.].

ITALIE

Jean-Jacques RoussEAu. Du Contrat social, ou Principes du droit politique, avec introduction et notes par Ugo CARTIS. Milan, Ch. Signorelli, éd., (1933), in-16, 128 pp. (Scrittori francesi, 98.)


Depuis quelques années les éditions scolaires de Rousseau se multiplient en Italie, généralement en traduction. Voici pourtant le Contrat dans le texte français, et copieusement annoté dans la même langue d'après l'édition en italien de Varvello (cf. Annales, t. XVII, p. 298). Le commentaire est nettement d'inspiration catholique, ce qui est de droit strict. En revanche, l'on ne saurait admettre les erreurs de l'introduction biographique plus d'une colore fâcheusement le récit par ailleurs malveillant de la vie du philosophe, cet être « vil et méprisable » (p. 18). En voici la correction page 5 R. s'est enfui de chez son patron, et non de la maison paternelle qui n'existait plus 6 R. n'a pas professé la religion catholique jusqu'en 1754, car, depuis des années, il fréquentait à Paris la chapelle protestante de l'ambassade de Hollande; et le testament du 27 juin date de 1737, ce qui détruit l'équivoque sur la durée de son attachement au catholicisme 7, 14 R. arriva à Paris en 1742 7 il fut le maître non du philosophe Condillac, né en 1715, mais de son neveu, né en 1735 8 l'anecdote de Lamartine est apocryphe 9 loin d'habiter le château de Montmorency, R. logea dans la bicoque de Montlouis, après un séjour à l'Ermitage, modeste maisonnette 10 il commença la « Nouvelle Héloïse avant d'être amoureux de Mme d'Houdetot 12 l'usage d'une sonde à demeure imposa à R. la robe arménienne sa « folie est trop complexe pour pouvoir se résumer en un pareil raccourci d'une si absolue déformation et quelle étrange idée de citer ici sa mère, et de la vouloir « extravagante » Hume n'habitait pas Wootton, mais Londres et Edimbourg 13 les « Confessions semblent un livre bien quelconque, un ramassis de ragots 15-20 quant aux jugements de l'abbé Blanlœil, de Gidel, Canat, Pellissier, Flutre et Delmont, pourquoi ne pas les compléter par celui de Lanson, sans compter d'autres critiques autorisés ?

Ces remarques prouvent que nous reconnaissons l'effort tenté par M. Cartis et souhaitons voir paraître une seconde édition plus objective. [L. J. C.]

ROUSSEAU, J. J. Il Contralto sociale. Introduzione di Giacomo PERTICONE. Traduzione di Maria DE VINCOLIS. Lanciano, Carabba, 1933, in-16, 206 pp. (Cultura dell'anima, n" 146).


ROUSSEAU, J. J. Estratti. Introduzione e note a cura di Giovanni MODUGNO. Traduzione di Maria CASTELNUOVO LANDINI. 4' ed. Firenze, « La Nuova Italia », 1933, in-16, LII + 187 pp. (Educatori antichi e moderni.)

La première édition de cette anthologie a été signalée icimême, tome XVII, page 297.

V~ Regime Fascista, Cremona, 12 décembre 1933 L. ALESSIO, Rousseau in Z/tg'AtHerra.

Le séjour de Rousseau en Angleterre.

Corsica antica e moderna. Livorno, nov.-déc. 1933. P. 275276 Giorgio DEL VECCHIO, J.-J. Rousseau e la Corsica. Rappel du Projet de Constitution pour la Corse et citations en français.

SUISSE

Louis-J. COURTOIS. Enfance faubourienne, ou Jean-Jacques d Coutance. Genève, Jullien, 1933 in-8", 30 p.

M. Louis-J. Courtois, un des érudits les plus renseignés sur la vie de Rousseau, puisque nous lui devons sa fameuse Chronologie qui rend tant de services aux chercheurs, nous offre une étude remarquable de précision et de pittoresque sur l'enfance faubourienne de Jean-Jacques. Ses minutieuses recherches lui ont permis tout d'abord de prolonger de deux ans le séjour de Rousseau à Coutance il y vécut cinq années entières, à l'âge où les premières impressions contribuent si fortement à notre formation. M. Courtois ressuscite le logis bourgeois au numéro 28 actuel de Coutance où l'enfant grandit chéri de tous il décrit l'aspect de Coutance, puis le quartier de Saint-Gervais, les boutiques, les enseignes, les cabinotiers, les rues animées, bruyantes, colorées, que le petit Jean-Jacques découvre avec ravissement puis encore le Rhône, les moulins, puis le quartier de l'Ile, les Rues-Basses, leurs hauts-bancs et leurs dômes. La vieille Genève surgit dans son image pittoresque. Nous y voyons Jean-Jacques peu à peu la posséder, prendre l'accent du Faubourg, admirer les fêtes militaires, les cortèges aux flambeaux et nos Magnifiques Sei-


gneurs dans leurs costumes riches et sévères. Isaac Rousseau lui parle des événements publics, de la patrie avec son fils préféré, il lit les romans, des livres sérieux, et Plutarque, où Jean-Jacques puise son amour des républiques. En somme, M. Courtois plonge notre futur philosophe sensible dans son milieu populaire, si bien évoqué, et nous montre la formation de cette jeune âme qui, toute pleine de l'esprit de Genève, le portera au point sublime et contribuera à le répandre au loin. C'est d'un Genevois « du bas qu'il a su si bien animer la petite enfance. [J. V.]

P[auI]-E[miIe] SCHAZMANN. La Comtesse de Boufflers. Lausanne. Editions Spes, 1933, in-6, 23 p. Portraits. La galerie des amies de Jean-Jacques s'enrichit d'un nouveau tableau à ce jour, nul ouvrage n'était consacré à la fameuse Idole du Temple. Mais les amateurs du siècle charmant et terrible sont servis aujourd'hui à souhait en un livre aimable, solidement informé, M. Schazmann a tracé la biographie d'une grande mondaine qui fut une femme de cœur et à qui la vie prodigua les succès, les joies, les déceptions, les douleurs. Née en 1725 à Paris, elle connut la richesse presque toujours, et la pauvreté après l'emprisonnement pour finir dans la solitude, à Rouen, en 1800. Elle protégea Rousseau qu'elle comprenait jusqu'en ses manies et qu'elle avait maintes fois visité à Montmorency. C'est elle qui le recommanda à Hume dès 1762 et ne cessa d'intéresser à son sort de grands personnages, en divers pays où la conduisait son humeur voyageuse. Grâce à elle encore, Rousseau put, en 1765, loger dans l'asile inviolable du Temple, à Paris, dont son amant, le prince de Conti, était prieur. La querelle Rousseau-Hume rendit Mme de Boufflers extrêmement perplexe amie des deux philosophes, elle ne rompit avec aucun. Et sans doute fut-elle pour beaucoup dans la bonté, le dévouement que Conti ne cessa de dépenser en faveur de Jean-Jacques, lui offrant un asile à Trye, le guidant ensuite dans ses pérégrinations en France. Laissant de côté tous les faits qui n'intéressent pas Rousseau ainsi l'amitié du roi Gustave de Suède pour la Comtesse rappelons que chez la Comtesse, à Auteuil, la Commission Temporaire des Arts adjointe au Comité d'Instruction Publique saisit, le 25 messidor an II,


un manuscrit de la Nouvelle Héloïse, écrit de la main de Jean-Jacques, et orné de dessins originaux de Gravelot. Sur sa mémoire planera toujours ce cri du cœur poussé par Rousseau « Pour Mme de Boufflers, il faut l'adorer ». On eût trouvé utile la mention plus fréquente de dates, en particulier dans le chapitre II (L'amie de Rousseau), mais sans doute l'atmosphère du livre y eut-elle perdu en chaleur communicative, et l'auteur ne visait-il pas à un ouvrage d'érudition. 1) [L. J. C.]

7ourna/ de Genève, 9 novembre 1933 Ed[ouard] CH[APUi SAT], Rousseau à Versailles.

Critique constructive de l'article de M. Mauguin signalé dans le présent volume.

Journal de Genève, 11, 12, 13, 14, 15 août 1933 Louis-J. CouRTOis, Enfance faubourienne, ou Jean-Jacques à Coutance.

Enrichi de notes, ce feuilleton a paru en une brochure dont on trouvera le compte rendu ci-dessus.

Gazette de Lausanne, 21 février 1933. Louis-J. COURTOIS, JennJacques Rousseau soldat.

Reproduction partielle de l'article signalé ici même, t. XXI, p. 300.

Bulletin de la Société des Etudes de Lettres. Lausanne, 7. année, n° 18, février 1933. P. 1-10 Henri-L. MiEViLLE. Barrès e< Rousseau. P. 10-14 Henri PERROCHON, Vinet contre Rousseau ?

M. Miéville étudie dans les Cahiers de Barrès l'attitude que cet écrivain prit à diverses époques à l'endroit de Rousseau. Elle alla de l'enthousiasme à la réprobation, sans jamais tenter de rapetisser le génie, et sans jamais comprendre « l'antinomie fondamentale et permanente dont Rousseau est parmi les modernes le premier qui ait clairement pris conscience a (1) P. 79, un lapsus: ce n'est pas avec le Genevois Coindet que Rousseau quitta Paris pour Londres, mais avec le Neuchttelois de Luze.


l'homme est à la fois individu et être social voilà la scission. Et Jean-Jacques chercha la solution du problème dans la foi religieuse, donc au-dessus du plan humain. La Nouvelle Héloïse complète ici le Contrat.

M. Perrochon reproche à M. Trahard (Les Afa!<res de la sensibilité française au XVW siècle) de penser que Vinet a méconnu Rousseau. [L. J. C.]

REVUE DES BIBLIOGRAPHIES

Annales Jean-Jacques Rousseau, 1929-30 (suite) Literaturblatt für germanische une! romanische Philologie, Nr. 11-12, p. 404 (Walter Müller). Deutsche Literaturzeitung, 9 avril, c. 703 (A.-E. Brinckmann).

Annales Jean-Jacques Rousseau, 1931 Journal de Genève, 8 janvier (P. C.) Neue Zürcher Zeitung, 19 février (B. Fn).

A. Gazes, Grimm et les Encyclopédistes le Temps, 25 avril (Emile Henriot le baron Grimm).

A.-M.-J. Cornelissen, Calvijn en Rousseau Historische Zeitschrift, Bd. 148, S. 355 (Erick Wolf).

L.-J. Courtois, Enfance faubourienne Tribune de Genève, 11 novembre (Léon Savary Recherches d'érudit). C. Fusil, Contagion sacrée (suite) Paris-Médical, 14 janvier, p. 1 (Dr E. Lacoste).

A. Monglond, Journal des Charmettes La Suisse, 18 avril. Mercure de France, 15 novembre, p. 140 (Emile Magne). Noëlle Roger, Jean-Jacques, le promeneur solitaire La Suisse, 26 décembre. Journal de Genève, 27 décembre (Albert Rheinwald). Gazette de Lausanne, 29 décembre (J. Nr.)

Rousseau, Correspondance générale, éd. Dufour (suite) Tomes 15-17 Neue Zürcher Zeitung, 14 mars (Antoine Guilland, Rousseau in England). Tome 18 Journal de Genève, 27 février (P. C., J.-J. Rousseau chez le prince de Conti). Mercure de France, 15 avril, p. 398 (Emile Magne). Basler Nachrichten, 16 avril (H. Z.). Tome 19 La Croiz, Paris, 21 août (Jean Guiraud).


A. Schinz, Documents nouveaux sur Rousseau et Voltaire: Le Temps, 6 juin (Emile Henriot Jcon-Jac~Hes, rhërëse et Boswell). Ambrosiano, Milan, 13 juin (Un fn/or~anfo dt Rousseau).

A. Schinz, Pensée de J.-J. Rousseau (suite) Romanic ReH!etu, April-June (V. L. Dedeck-Héry la Philosophie pragmatique de Rousseau).


CHRONIQUE

Extraits des Procès-verbaux des séances du Comité

Assemblée générale du 7 juin 1933

Dans son rapport, le président insiste sur la richesse de la bibliographie rousseauiste, ainsi que sur l'étude persévérante et toujours en progrès dont la pensée et la vie de Rousseau sont l'objet dans les pays anglo-saxons. La gestion administrative et financière du Comité est approuvée l'exercice écoulé a ramené le déficit de ces dernières années à la somme de frs. 4361,75.

Sur la proposition du Comité, et après exposé de M. Emile Rivoire, ancien notaire, l'Assemblée décide de renoncer à l'inscription de la Société J.-J. Rousseau au Registre du Commerce la Société sera en conséquence radiée mais continuera naturellement d'exister.

L'élection du Comité pour les exercices 1933-34 et 1934-35 fait sortir les noms de MM. Auguste Bouvier, Bernard Bouvier, Paul Chaponnière, Louis-J. Courtois, Pierre Favarger, Karel R. Gallas, Charles Gos, Adrien Lachenal, Daniel Mornet, Marcel Raymond, André Wagnière. Le mandat de MM. Alec Chauvet et Albert Rivoire, vérificateurs des comptes, est renouvelé pour la même période.

M. Edouard Cros, professeur agrégé à l'Université de Fribourg, donne lecture d'un savant mémoire sur Rousseau et la Pologne. Sympathique aux Polonais et persuadé de leur droit à l'indépendance, Jean-Jacques est devenu un citoyen des lettres polonaises.

Séance du 7 juin 1933. Le Comité compose son bureau comme suit pour le prochain exercice bisannuel Président M. B. Bouvier Vice-Président M. P. Chaponnière Trésorier M. A. Wagnière Secrétaire M. L.-J. Courtois Secrétaire-adjoint M. Ch. Gos.

Nous avons reçu l'adhésion de M. Charles-Pierre Chalut, caissier, à Paris.


Etat des Archives J.-V. Rousseau au 30 juin 1934: 2481 numéros augmentation depuis le 1" juillet 1933 48 numéros. Cette augmentation est due principalement aux dons faits par Mmes Gemma Chinni, Antoinette Narjoud, Margaret Reichenbourg, Edith Ruff, E. Wedgwood MM. Louis Blanc, Bernard Bouvier, P. Cailleux, Louis-J. Courtois, Giorgio Del Vecchio, Charles Eggimann, Léopold Gautier, Gottlieb Greilinger, G. Mauguin, Louis-J. Mercier, Ezio Ruggeri, Salesses, Albert Schinz, J.-R. Spell, James H. Warner, et les administrateurs, éditeurs, chefs de rédactions Doin, Fayard, Grasset, Milford, Oldenbourg, Principato, Sonzogno, Velhagen u. Klasing Alsace française, Annales politiques et littéraires, Hispanic Review, Historische Studien, Historische Zeitschrift, Revue générale des Sciences, Revue de Paris, Ohio State University Press, Oxford University Press, Virginia Quarterly Review, Trésor des Lettres Bibliothèque publique et universitaire de Genève, Institut national d'orientation professionnelle de Paris, Université de Genève.

Les Archives ont été consultées de la façon suivante du 1" juillet 1932 au 30 juin 1934 84 présences, 105 volumes ou documents communiqués (statistique de M. F. Aubert, bibliothécaire à la Bibliothèque publique et universitaire de Genève).

Autographes documents, manuscrits

Catalogues d'autographes Cornuau. Vente du 7 février 1933, à Paris, ? 167 Rousseau à Mme dimanche matin « Faites-moi savoir si vous êtes de retour et si vous vous portez bien, si vos affaires sont terminées, et si mardi vous serez seule. Ayez aussi la bonté de faire parvenir cette lettre à son addresse. In tanto ella si conservi e me voglia bene. :t Billet autographe de 6 lignes, 1 p. in-12.

Catalogue Ulrico Hoepli, Milan, in-4". Plches. Vente du 26 mai 1933, à Zurich. Deux autographes de Rousseau, n° 39: lettre signée Wootton, 14 mars 1767, double feuille in-4", une page et demie. Le destinataire inconnu ne doit rien garder des objets qu'il a laissés auprès de lui, excepté le portrait de Milord Maréchal « Et je vous supplie de vouloir bien le faire mettre avec soin dans la malle, étendu dans quelques


livres de musique ou autres afin qu'il ne se déforme pas. > Rapproché de la lettre à Nuneham, 5 mars 1767 (Corr. gén., n° 3294 Hachette, n° 853), ce passage semble désigner Davenport. ? 38 La Nouvelle Héloïse, manuscrit conforme à l'original il s'agit d'une copie faite par Rousseau ce document a été décrit ici-même (Annales, t. XVIII, p. 432) lorsqu'il fut mis en vente à Londres le 5 avril 1928 acquis par Henry Fatio, de Genève, pour la somme de 2.200 livres sterling (54.000 francs or, ou 273.000 francs français), il a été vendu à Zurich 176.000 francs français ou 35.000 francs or, à un libraire parisien.

En juin, à Paris, vente partielle des collections d'Henri Lavedan la liste autographe des personnes auxquelles Rousseau adressa un exemplaire de l'Emile (Corr. gen., n° 1356), a atteint 2.000 francs français.

Catalogue n° 4 de D. Janvier, Paris, juin 1933. ? 493 Rousseau à Davenport, Wootton, 28 mars 1767, lettre autographe signée, 2 pleines pages in-4°, adresse, f.f. 1750. (Corr. gén., n° 3534). ? 494 Jullien à J.-M.-A. Servan, Romans, 29 septembre 1781, lettre signée, 6 pleines pages grand in-4", f. f. 250 la Bibliothèque publique et universitaire de Genève a acquis cette étude sur la pensée de Rousseau.

Catalogue 196 de P. Cornuau, Paris, juin 1933. ? 23.754 Rousseau à Guy, Trye-Ie-Château, 25 novembre 1767, 2 pages 1/4 in-4°, f. f. 1250. (Corr. gén., n° 3532 Hachette, n° 904). Catalogue 28 de V. Degrange, Paris, 15 octobre 1933. ? 7555 Rousseau à Duchesne, Motiers, 9 décembre 1764, 1/2 page in-4°, f. f. 2000. ? 7556 Rousseau à Vernes, Montmorency, 2 janv. 1761, 2 pages 1/2 in-4°. (Corr. gén., n° 956), et ? 7556 bis, Montmorency, 6 janvier 1759, 3 pages in-4° (Corr. gén., n° 588, Hachette, n° 195); les deux lettres f.f. 5000. Fac-similé d'un passage du n° 7556. Catalogue J. Arnna, Paris, vente du 20 décembre 1933. ? 134 Rousseau à Lenieps, l'Hermitage, 5 septembre 1756; lettre autographe signée, 2 pages petit in-4°, adresse. (Corr. gén., n° 305).

Editions


Catalogue Slatkine, n° 65, Genève. ? 793 Les Confessions, suivies des Rêveries du Promeneur solitaire. Lausanne, François Grasset, 1782, 2 vol. pet. in-8, 214 et 386 pp. (Non mentionné par Dufour). f. s. 100.

Expositions

En décembre, la Bibliothèque nationale de Paris a organisé une exposition de la musique française le Devin du Village y figure sous deux formes exceptionnellement intéressantes: le manuscrit autographe, prêté par la Chambre des députés, à laquelle il appartient, et la partition gravée, qui porte la dédicace manuscrite de Rousseau à Madame de Pompadour. Iconographie

Catalogue C. A. Mincieux, Genève (septembre 1933) 330. Les Ultras en Jouissance. (Caricat. politique contre Voltaire, Rousseau, etc., vers 1826. In-fol. en larg. (27x38 cm.) coloris ancien, marges. fr. 6. 331. Vite souflons, sonflons morbleu. (Caricat. politique et anticléricale, où des Prêtres « éteignent les génies de Franklin, Voltaire, Rousseau, etc.) vers 1820. In-fol. en larg. (20x33 cm.) coloris ancien, marges. fr. 8.

La Petite Illustration, 1" avril 1933, présente deux compositions de Léon Fauret Rousseau et Madame de Warens Rousseau lit la Julie dans la chambre de la Maréchale de Luxembourg, qui accompagnent le texte de Noëlle Roger signalé dans le présent tome.

Deux dessins inédits de John-Claude Nattes ornent Jeunesse, d'André Monglond, ouvrage recensé ci-dessus Sur la route des Alpes (p. 14) Les Charmettes au début du dixneuvième siècle (p. 36). Deux autres hors-texte, également en phototypie, reproduisent les Titre et couverture en parchemin du Journal des Charmettes (p. 4), et Une page du Journal (p. 20).

La Classe des Beaux-Arts de la Société des Arts de Genève a fait le 8 juin 1933 une excursion en Savoie le programme est imprimé sur fort papier glacé, en 4 pages (114x145 m/m); la 3* porte une excellente photo de C. Dürr « Entrée des Charmettes. Séjour de Jean-Jacques Rousseau de 1736 à 1740 la glycine surmonte porte et fenêtre la 4* donne « le salon des Charmettes (photo C. Dürr), soit la paroi où s'adosse la cheminée.


Religion, politique, pédagogie et morale

M. Henri Perrochon remarque que Voltaire eut la hantise métaphysique avec une rare intensité il a voulu chercher ce qui est. Aussi « Candide est autrement émouvant, autrement religieux même que les Confessions de Rousseau, parce qu'à chaque page y apparaît, blessante peut-être, mais encore plus blessée, une âme déçue dans la recherche du vrai, dans la recherche de Dieu, qu'elle avait entreprise par les seuls moyens de la Raison, de sa raison. (De Télémaque à Candide Gazette de Lausanne, 11 novembre).

Les Betrachtungen eMes Unpolitischen opposent une fois de plus la thèse de l'homme bon à la doctrine catholique (Schaf fhauser Intelligentzblatt, 19 juil.). En revanche, le R. P. Sanson, dans une conférence faite à Genève le 18 octobre avait plaisir à répéter, avec Rousseau, « qui ne déraisonnait pas toujours que l'humanité ne se renouvelle que par le dedans. (Ce qu'il manque à notre époque des hommes Journal de Genève, 19 octobre la Suisse, 19 octobre). Rousseau déclare que le christianisme est défavorable à l'esprit social erreur, s'écrie M. Philippe Bridel dans « tous ses devoirs humains, y compris ses devoirs civiques >, le chrétien « voit des obligations auxquelles l'astreint la volonté même du Père céleste, et par l'accomplissement desquelles il est appelé à gloriner Dieu » (Toast à la patrie les Cahiers protestants, septembre-octobre, p. 338). Rousseau a légué aux plus systématiques et aux plus violents des révolutionnaires un état sentimental, une phraséologie et des formules, mais, revenu de son échauffement, il les a lui-même et par avance reniées. » (Pierre Gaxotte Le siècle de Louis XV. Paris, Fayard, 1933, p. 372). Jugement dont la concision égale la pertinence.

Bien plus que du socialisme, Rousseau est le père de l'iudividualisme et de son jumeau, l'égoïsme (Paul Wyss Die Cima del Largo Basler Nachrichten, 10 octobre). Ch. Maurras (Action /rancaMe, 30 septembre), répète après Thierry Maulnier (Revue universelle, 15 septembre, p. 749) que l'Allemagne s'est très vite reconnue dans Rousseau, que la filiation Rousseau-Kant-Fichte-Hitler est évidente. Pour M. Lavanchy, c'est Rousseau qui a lancé dans le monde l'individualisme, d'où un conflit qui nous trouble encore il a donné à l'homme moderne une forme morale et


sociale basée sur deux autorités nouvelles la démocratie et la conscience morale. Mais à la souveraineté du peuple il a ajouté la toute puissance de l'Etat, d'où l'hitlérisme (Gazette de Lausanne, 16 août).

En Palestine aussi, l'influence du Citoyen s'est affirmée, aux dires d'un témoin oculaire, mais déjà elle est démodée « A l'école, le jeune Arabe entend parler pour la première fois de l'égalité, de l'indépendance, de la notion d'une nation. Rousseau a vu en Orient une renaissance éclatante. Ses doctrines ont pour l'élève bien plus d'attrait que les plus beaux dogmes scientifiques. « La conception politique du jeune intellectuel avait commencé par être démocratique. Mais comme il incline à suivre toute doctrine en vogue à l'ouest, il abandonne aujourd'hui Jean-Jacques pour Hitler. s- (A. R. Lindt, le mouvement de jeunesse arabe Journal de Genève, 23 novembre).

Le national-socialisme d'Hitler inspiré de Rousseau et la création politique de Lénine édifiée sur l'idolâtrie du bon moujik supposent tous deux un mysticisme du peuple « celui-ci est paré de toutes les vertus parce qu'il est étranger à toute intellectualité et que l'instinct, en lui, est intact. (Marie Delcourt, De Rousseau à Hitler et Darré, dans l'Alsace française, 15 oct. 1933, p. 775-776).

En niant la séparation des pouvoirs, Rousseau « a contribué à répandre une idée qui s'est incarnée dans le régime de la Convention, lequel consiste essentiellement à réunir dans une même assemblée le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif ce régime confisque la souveraineté populaire et supprime la liberté politique (Raoul Allier Crise politique, crise morale. Une fausse conception du pouvoir fort le Temps, 30 mars). Suivant les pays, il a conduit au socialisme ou aux dictatures (Joseph Maria Capdevila Entre el socialisme i la dictadura El MaM, Barcelone, 29 mars). Il a même été copié par le président des Etats-Unis dont la politique économique est basée sur un nouveau contrat social (Roosevelt und Rousseau Vossische Zeitung, 26 juillet). Thomas Jefferson, partisan de Jean-Jacques, croyait à l'égalité des citoyens et leur accordait à tous les mêmes droits (Espana rt Tomas Jefferson El Sol, 8 avril). Quant aux catholiques, ils déplorent que certaines idées rousseauistes inspirent la


Société des Nations et que celle-ci ait cru devoir fleurir le monument de Rousseau à Genève (Volkenbonds-conferenties: de invloed van Rousseau De Tijd, Amsterdam, 14 juin). Dans ce même domaine M. Ch. Chamay voit le dogme de l'égalité naturelle donner le jour à trois principes fondamentaux de la démocratie l'égalité civile, l'égalité politique toutes deux acceptées par les libéraux, l'égalité économique que revendiquent seuls les socialistes et les communistes (Action nationale, Genève, 17 novembre). Un corréligionnaire politique du précédent auteur écrit « Le romantisme moral d'un Rousseau avait conduit au romantisme politique d'un Robespierre, puis au romantisme économique d'un Karl Marx et au romantisme financier d'un Kreuger pour aboutir au messianisme de la finance juive (Le Pilori n° 246, Genève, 5 décembre). Ailleurs l'on se souvient que le Contrat social préconise la dictature dans les situations graves et, en face des difficultés financières du canton, l'on s'écrie Jean-Jacques, sauve ton pays (Le Mondain, Genève, 18 novembre).

International, Jean-Jacques prédisait la ruine de l'empire russe, imitateur de l'étranger (Russia segons Rousseau i segons Condillac Publicitat, Barcelone, 9 mai).

Le problème de l'école française tient en deux mots Jacobin ou libéral ? Rousseau ou Condorcet ? C'est ainsi que la République du 8 février résume les articles de M. Georges Goygrano publiés par la Grande Revue sur la République et l'Ecole.

Dans son ouvrage d'inspiration fasciste, Scuola e Rivoluzione, M. Nazareno Padellaro, développant le mot de Maritain « Chaque pédagogie adore un Dieu dresse le tableau suivant « Spencer, la nature Comte, l'humanité Rousseau, la liberté Freud, l'acte sexuel Durkheim et Derwey, la société Wundt, la culture Emerson, l'individu. (Th. V.: Une pédagogie fasciste ? Journal de Genève, 16 février). Hitler a imposé le travail manuel aux jeunes Allemands, et certains en France de crier merveille ceux-ci risquent de ne pas comprendre Jean-Jacques quand il recommandait aux éducateurs de prescrire le travail manuel, sa conception n'était ni politique ni bassement utilitaire l'homme doit


d'abord se débattre avec la Nature, et c'est l'effort de ses muscles qui lui donne la nerté de vaincre. < Par le travail manuel, aux heures de crise, la vie est une victoire et le repas quotidien un honneur (Fortunat Strowski Rousseau et Hitler; Le Quotidien, 3 octobre).

Enfui, Rousseau fut, littérairement et psychologiquement, un prédicateur puissant et pervers a A travers le dix-neuvième siècle circule un étrange cynisme sentimental, hérité de Rousseau. Le jour où Rousseau raconta à tout venant qu'il avait déposé ses enfants à l'hospice possède pour l'humanité entière la même signification que pour un modèle l'heure où, pour la première fois, il lui faut se percher nu sur l'escabeau. (Emil Brunner Eros und Z.!e6e Neue Schweizer Rundschau, septembre, p. 281).

Caractère

La sincérité de Jean-Jacques est un sujet de controverse inépuisable pour ses adversaires M. Emile Magne leur adresse quelques lignes judicieuses « Avant de le taxer de toutes sortes de fourberies, ne peut-on admettre que, parvenu à la maturié, il ait mal dissocié ses souvenirs et conservé seulement d'eux des images collectives ? » (Mercure de France, 15 novembre, p. 142). M. John Charpentier accuse Rousseau de nous tromper car il « stylise les réactions de son cœur et de son esprit sous l'influence des événements, et pour tout dire se réforme selon le type idéal qu'il ambitionne d'être > (De la sincérité Liberté, Paris, 28 août).

La graphologie aime les rapprochements hardis « Le graphisme de Rousseau et celui de Lénine appartiennent tous les deux à la famille des idéologues-passionnés (François Franzoni L'écriture de Lénine Action na~onaZe, Genève, 25 janvier).

Varia

En 1892, l'éditeur Ulrich Hoepli demanda à cent notabilités italiennes de dresser la liste de leurs auteurs préférés à cette consultation prirent part Carducci, Fogazzaro, Lombroso, Mantegaza, etc. Voici les voix accordées aux écrivains étrangers Darwin, 16 Shakespeare, 11 Schiller, 7 Gœthe et Humboldt, 6 Rousseau, 5 Molière et Voltaire, 1. (Achille Lauri, La Tribuna, 3 août).


Robert Morche a dressé un catalogue des Sourds illustres Ronsard, Le Sage, J.-J. Rousseau, Goya, Beethoven, Du Bellay, Edison, Maurras, le général Percin, Vandervelde, l'amiral Fournier, Lavedan, Marie Lenéru, le maréchal Lyautey, les professeurs Calmette et Nicolle (Siècle médical, 15 septembre). Encore faudrait-il s'entendre sur le degré de surdité de Jean-Jacques.

L'Intermédiaire des Chercheurs et Curieux du 15 mars, col. 226, signale qu'un herbier de Rousseau, donné à Mme Alfred Honoré (1805-1872), fille de l'architecte Drouot, adjoint du 111" arrondissement de Paris, appartient actuellement à son arrière-petite-BIIe, Mme Sadi Carnot il est conservé à Syam (Jura).

Spectacles et auditions

La Fédération des Cercles et Associations protestants du Canton de Genève, avait inscrit au programme de sa XVIII* réunion annuelle, 11 juin 1933, la représentation du Devin du village une troupe d'amateurs joua sur un théâtre de verdure érigé dans le pare du pasteur Charles Martin, route de Malagnou. (cf. Annales, t. XVIII, p. 456).

Depuis le samedi 11 février 1933, à 9 heures, le carillon de Saint-Pierre, cathédrale de Genève, sonne l'A: pour cloches de Rousseau (Journal de Genève, 14 février) il se fera entendre jusqu'au 15 mars cf. Annales, t. XXI, p. 310. Littérature des pélerinages et du souvenir

Un bi-centenaire sentimental J.-J. Rousseau et Mme de Warens en 1733 (T. Œuure, 12 mars). La marquise de Créqui (Henry-Spont Volonté, 6 février).

Dans un vigoureux raccourci poétique et historique de la Cité du Refuge, Mme Emilia Cuchet-Albaret a consacré une strophe à l'apprenti-graveur en rupture de ban « .La route monte et l'ombre de Jean-Jacques Démesurée aux traits obliques du couchant, Dessine vers Genève une ombre de géant (Le Message de la Cité, Genève, JulIien, in-16, p. 63). Mme Noëlle Roger a rappelé le séjour de Rousseau aux Eaux-Vives en 1754 (Nouvelles littéraires, 9 décembre) et M. H. F. commenté brièvement la photographie d'Une inscription commémorative sur une maison que n'Aa&~a pas Jean-Jacques, sise au chemin de Grange-Canal, à Genève. (Tribune de Genève, 2 février et 11 décembre).


Le Journal de Genève du 7 février reproduit une note parue dans ses colonnes Il y a cent ans « La statue de JeanJacques Rousseau, due au ciseau de Pradier, vient d'être coulée en fonte à Paris. Cette opération a parfaitement réussi. La statue sera prête pour être exposée à l'ouverture du Musée à Paris, le 1" mars. Le modèle du piédestal a été envoyé au comité de Genève pour examen. Quoique fort simple et peu coûteux, il est d'un très bon goût et tout à fait adapté au sujet. »

Le 16 octobre 1857, le même journal avait publié l'annonce suivante en quatrième page « A vendre. Le Bosquet de Julie rendu célèbre par Rousseau. S'adresser à M. Mirabaud ou à M. Rambert, ex-secrétaire municipal, à Clarens. » A peine débarqué à Zurich, un artiste, Fernand Léger, proclame que « Jean-Jacques est mondial et national à la fois, c'est sa force. Il est la preuve que la Suisse existe en tant que nation. Elle l'a formé (Au pays de Jean-Jacques Intransigeant, 15 mai).

Le chemin qui conduit aux Charmettes vient d'être classé officiellement parmi les sites pittoresques de France après avis favorable de la préfecture de la Savoie. (Journal de Genève, 13 septembre). Comme toujours les Pélerins des Charmettes abondent (Le Mondain, Genève, 30 septembre De Telegraaf, Amsterdam, 19 juillet Paul André, Abeille, Lucerne, 6 mai, article illustré). La Classe des Beaux-Arts de Genève y dirigea sa course de printemps, le 8 juin. Gabriel Faure Jean-Jacques Rousseau à Valence (Ff~aro, 23 décembre).

Louise-Catherine Breslau s'était ménagé au fond de Neuilly un atelier construit avec les matériaux du pavillon que Rousseau aurait habité à Passy (Maurice de Rameru L'atelier de L. C. Breslau Journal de Genève, 10 juillet).

Conférences et Cours universitaires.

28 janvier, Musée J.-J. Rousseau, Genève M. Fernand Aubert a commenté sur place les collections.

8, 11, 15, 18 mai, Palais de Rumine, Lausanne sous les auspices des Etudes de Lettres, M. Edmond Gilliard a exposé la dernière phase de la vie du philosophe genevois De Rousseau à Jean-Jacques (Feuille d'Avis de Lausanne, 9, 12, 16, 19 mai).


16 mai, Institut national genevois, Section de littérature M. Louis-J. Courtois a présenté une communication Enfance faubourienne, ou Jean-Jacques à Coutance (Journal de Genève, 23 mai. Cette conférence a été publiée voir cidessus).

12 août, deuxième Camp des Educatrices, Vaumarcus, canton de Neuchâtel M. Lavanchy a parlé de Rousseau et l'âme moderne (Gazette de Lausanne, 16 août).

1" décembre, Société des Amis de l'Instruction, Genève M. Albert Rheinwald a étudié la galerie des Conteurs ce~evois, de Rousseau à Dumur.

Semestre d'hiver 1933-1934, Université commerciale de Saint-GaII cours de M. Joseph Volmar, consacré à ~J.Rousseau.

SUITE DE L'ERRATA DU TOME XX (1931)

P. 244, 1. 8, en rem. J. Y T. Greig, lisez J. Y. T. Greig (John Carruthers).

P. 288,1. 16 Sopolcri, lisez Sepofcrt.

P. 288, 19 uece, lisez uoce.



TABLE DES MATIÈRES

[Pierre NAVILLE]. Examen du Contrat Social de J.-J. Rousseau avec des remarques pour servir d'antidote à quelques principes, publié d'après le manuscrit original par Jean FABRE 7 Introduction 9 Examen du Contrat Social 54 Appendice 152 Rousseau jugé par Etienne Dumont. Pages oubliées et pages inédites 154 A. Introduction, par Louis J. COURTOIS 154 B. Fragments d'Etienne DUMONT 161 I. Le caractère général des écrits de Rousseau 161 Il. Observations sur le style de J.-J. Rousseau.. 171 III. Confessions de Jean-Jacques Rousseau 187 IV. [Causes du succès de Rousseau] 195 V. Observations sur deux traductions du livre des Histoires de Tacite, l'une par Rous-

seau, l'autre par Dureau de la Malle 196 Un oncle de Jean-Jacques en Amérique l'ingénieur Gabriel Bernard, par Albert ScHiNz 204 Appendices. 216 Appendice I. Inventaire des biens de Gabriel Bernard. 216 Appendice II. Extraits relatifs à la colonie de Purrysbourg 221 Note doctrinale sur une page des Confessions, par Paul LÉON. 224 Une estampe de la Bibliothèque de Versailles annotée par J.-J. Rousseau, par Georges MAUGuiN et Louis-J. COURTOIS 234 A propos du « Premier baiser de l'amour x, par Matthias MORHARDT. 239


Gloses rousseauistes, par Louis-J. COURTOIS 241 I. La date d'un miracle attesté par Jean-Jacques 241 II. Maître Pathelin et l'Emile 242

BIBLIOGRAPHIE

Complément pour la bibliographie des années 1924, 1929, 1930, 1931 et 1932. 244 Bibliographie de l'année 1933. 249 Allemagne, p. 244, 249. Angleterre, p. 251.

Chine, p. 244. Espagne, p. 244. Etats-

Unis d'Amérique, p. 245, 252. France, p. 246,

268. Hongrie, p. 247, 285. Italie, p. 247.

286. Suisse, p. 248, 288.

Par Aug[uste] B[OUVIER], L[ouis] J[ohn]

C[OURTOIS], W[alter] M[ULLER], L[ouis]

R[ACZ], F[rançois] R[UCHON], A[lbert]

S[CHINZ], R[omana] S[EGANTINI], J[ean]

V[IOLETTE].

Il est parlé des ouvrages de P. A., 285. L.

Alessio, 288. V. E. Alfieri, 248. M. Barras,

252. M. Barrès, 271. I. Benrubi, 249.

G. Boas, 256. J. Bruyère, 246. W. L. Bullock,

245. U. Cartis, 286. B. de Cassères, 278.

M. Castelnuovo Landini, 288. E. Chapuisat,

290. G. Chinard, 256. L. J. Courtois, 288,

290 (bis). L. Credaro, 247. G. Del Vecchio,

288. .Th. Dufour, 270. Havelock Ellis, 266.

G. Farkas, 285. J. Faurey, 280. A. Feu-

gère, 278. A. François, 272. G. Geilinger,

248. H. G. Good, 265. P. Grosclaude, 273.

0. Guerrini, 247. J. Hashagen, 250. G. R.

Havens, 259, 280. E. Hosy, 286. E. Jahncke,

249. A. Jolivet, 280. P. Kecsbés, 285.

Baron de Lahontan, 256. G. Lenôtre, 273.

L. Martin-Chauffier, 268. G. Mauguin, 246.

L. J. A. Mercier, 261. H. L. Miéviile, 290.

G. Modugno, 288. A. Monglond, 274, 281.

G. Muller, 247. F. Neubert, 244. P. de Nolhac,

277. J. Offner, 281. F. d'Olay, 286. H. Per-


rochon, 290. G. Perticone, 287. P. P. Plan, 270, 281. E. Poupé, 281. A. Poursin, 281. G. de Pourtalès, 282. A. Ribera, 247. N. Roger, 277, 282 (bis). C. Romussi, 247. J. Rouch, 282. P. E. Schazmann, 289. E. Schiefenbusch, 249. A. Schinz, 283. H. Sée, 252. E. Seillière, 284. Sentinel, 251. Z. Somlyo, 285. Tchang Fou, 244. A. Thibaudet, 284. Tsai You-Pei, 244. J. de Urquijo, 244. F. Vanderem, 284. M. de Vincolis, 287. J. H. Warner, 267. D. Williams, 251. WoTsé-Houei, 244.

Revue des bibliographies

291

CHRONIQUE

Extrait des procès-verbaux des séances du Comité 293 Archives Jean-Jacques Rousseau 294 Chronique générale 294 Auteurs, orateurs, artistes cités R. Allier, 298.

P. André, 302. F. Aubert, 302. Ph. Bridel, 297. E. Brunner, 300. J. M. Capdevila, 298. Ch. Chamay, 299. J. Charpentier, 300. L. J. Courtois, 303. E. Cuchet-Albaret, 301. M. Delcourt, 298. C. Dürr, 296. G. Faure, 302. L. Fauret, 296. F. Franzoni, 300. H. Friedrich, 301. P. Gaxotte, 297. E. Gilliard, 302. G. Goygrano, 299. Henry-Spont, 301. A. Lauri, 300. Lavanchy, 297, 303. F. Léger, 302. A. R. Lindt, 298. E. Magne, 300. Th. Maulnier, 297. Ch. Maurras, 297. R. Morche, 301. J. C. Nattes, 296. N. Padellaro, 299. H. Perrochon, 297. M. de Rameru, 302. A. Rheinwald, 303. N. Roger, 301. F. Strowski, 300. J. Volmar, 303. P. Wyss, 297.

Suite de l'errata du tome XX (1931) 303 Bernard Bouv:ER, président.

Louis-J. COURTOIS, secrétaire.