Ah 1 il y a des moments où j'envie ton sort, ma pauvre Claire. toi, du moins, tu n'as pas conscience de ton malheur.
Oh moi, fit la démente radieuse, je suis tout à fait heureuse je vis près de toi. et je l'attends, lui 1 Lui 1. répéta Jeanne. Lui 1. ah 1 que ne puis-je de même attendre aussi Mora.
L'insensée sourit à ce nom, qui eût éveillé en elle d'atroces souvenirs si elle avait eu sa raison.
Mora, dit-elle en baissant la voix. je le connais bien, va. mais, lui, mon mari, a tout pardonné. Jeanne la regarda, se demandant pourquoi la folle répondait si bien à sa pensée.
Tu connais un jeune homme appelé Jean Mora ? demanda-t-elle avec un peu d'incrédulité.
Non, pas Jean. c'est Lucien!
La jeune fille haussa doucement les épaules, convaincue que leur conversation n'avait aucun sens.
La folle reprit
Jean, c'est ton père, à toi! oh 1 il est méchant! 1 Il t'a recueillie et te protège, ne parle pas mal de lui, dit mademoiselle de Guébrignac avec douceur et traitant Claire comme une enfant inconsciente.
Non, répliqua-t-elle boudeuse, c'est un méchant, un méchant.
Et la causerie ne tarda pas à prendre un autre tour; un oiseau qui passait, une fleur qui tombait, cela suffisait pour détourner les idées de l'innocente.
Le soir, Jeanne interrogea M. de Guébrignac, après le dîner.
Mon père, je ne suis plus une enfant, et tu peux tout me dire. Cette pauvre femme que tu as gardée dans notre maison, Claire Fostin, qu'est-elle au juste et quel est le malheur dans lequel a sombré sa raison?