avec nos mornes sous-préfectures lorraines 1 Mes humiliations continuaient. Le pire; pour moi; fut de me révéler, devant mon père, complètement nul en conversation allemande. Moi qui lisais Henri Heine dans le texte, j'étais incapable de demander une chambre à l'hôtel. Au lycée, on m'avait appris l'allemand comme une langue morte.
̃De cette randonnée trop rapide, je n'ai gardé que les deux souvenirs que voici; Ils ne sont pas précisément très gais, mais les deux menus faits auxquels ils se rapportent produisirent sur moi une impression profonde. A Heideîberg, à la devanture d'une librairie, je'vis une grande photographfe'qui représentait, juxtaposées, quatre figures officielles, le tout surmonté de la couronne impériale. Cela commençait par un visage barbu de vièillard pour finir par une petite frimousse grimaçante de bébé, et cela-s'appelait die viw kaiser: « Les quatre empereurs. » C'était toute la famille des Hohenzollern en ses quatre générations alors vivantes, à savoir: le vieil. emprereur Guillaume I", son fils Frédéric, son petit-fils, le futur Guillaume II, et enfin son arrière-petit-fils, le kronprinz. Certes je contemplais sans tendresse ces effigies prussiennes. Mais je ne pus m'empêcher de» faire un triste retour sur nous-mêmes 1 Eux, ils avaient quatre empereurs! Nous autres, où étaient nos chefs? Nous n'avions plus personne pour nous conduire et pour nous défendre contre cette redoutable force allemande, dont les manifestations m'accablaient depuis le commencement de mon voyage. Surtout ce que je sentais, devant cette quadruple descendance, c'était la profondeur de la vitalité allemande, comme un cumul d'énergies invincibles.
La vue de cette photographie me causa une peine infinie. Quelques jours plus tard, à Bade, nous circulions, mon père, Barotte et moi, devant les cloisons d'un verre d'aquarium, lorsque nous rencontrâmes un couple étrange de vieillards, dont l'apparition me stupéfia comme celle de deux fantômes l'homme, en tenue de général, ressemblait au vieux de Moltke, tel que l'a popularisé la gravure visage rasé et tout mangé de rides, expression austère et quelque peu renfrognée, le buste maigre serré dans une redingote militaire de couleur sombre, la croix de commandeur à la cravate. La femme, presque 'aussi grande que lui, en robe montante, broche au corsage, et coiffée d'un invraisemblable chapeau-cabriolet comme on en portait sous Louis-Philippe. L'air glacial de deux bourgeois luthériens qui sortent du prêche.
De quelle Poméranie lointaine et arriérée nous arrivaient ces deux phénomènes?. A la vue du chapeau-cabriolet et de l'accoutrement