le chef du district me les envoyait avec le courrier. Je m'étais tellement réjoui à l'idée que l'innocence de mon intendant était prouvée, que je donnai immédiatement trente krans au porteur de cette bonne nouvelle et que je fis présent des quatre cents autres à mon intendant pour le dédommager de l'injuste accusation dont il venait d'être justifié. Après cet incident, je me fis une maxime de ne jamais accuser personne sans avoir les preuves les plus évidentes.
V
PROPHÉTIE
Au temps où j'étudiais la langue russe à Tiflis dans la pension de Mm° Stassiulévitch, il y venait un petit garçon, Jean Alihanoff, qui, chaque fois, apportait quelque chose pour son déjeuner; c'était généralement des douceurs qu'il partageait toujours avec ses camarades et même très souvent avec moi. Un jour, comme il était en train de me donner quelques bonbons, une demoiselle, qui venait aussi prendre des leçons chez Mrae Stassiulévitch et qui, pour je ne sais quelle raison, avait une très grande antipathie pour moi, lui dit d'un ton dédaigneux « Peut-on donner des bonbons à un Tartare » Le petit Alihanoff, tout sérieux, lui répondit d'un ton prophétique « Comment ne lui en donnerais-je pas ? Un jour, il deviendra Consul Général à Tiflis il célèbrera la fête du Schah, arrangera une illumination, des feux d'artifice, m'invitera à cette fête et me donnera des bonbons à son tour ».
Vingt ans environ s'étaient écoulés. J'étais revenu à Tiflis, mais, cette fois-ci, en qualité de Consul Général. La première fois que je célébrai la fête de. Sa Majesté le Schah, je me souvins de mon camarade d'école Alihanoff. J'arrangeai une brillante illumination et je l'invitai chez moi. En lui faisant voir du haut de mon balcon les feux d'artifice, je le régalai de bonbons et je lui rappelai les paroles prophétiques qu'il avait prononcées dans son enfance.