L'amitié de Joubert et de madame de Beaumont, je l'appelle un roman. C'est que, dans la pensée de Joubert au moins, elle a été bien romanesque, une aventure pathétique, mêlée de bonheur et de chagrin. Mais, ce roman, je vais l'écrire avec une exacte vérité. Je n'ajouterai rien aux faits que j'ai pu connaître, aux sentiments dont j'ai eu le témoignage sous les yeux. Et je n'en modifierai, je n'en cacherai absolument rien. Cette aventure est d'une sorte qu'en la contant avec une simple fidélité on ne craint pas d offenser la mémoire des morts.
Cette par faite amitié eut, de la part de Joubert, les péripéties d'un amour; elle en eut la ferveur, les joies pures et les tourments. Elle anima en lui tout ce qu'il avait d'intelligence, de gaieté, de mélancolie et de grâce. Il dépensa pour elle des trésors de gentillesse, de bonté, la coquetterie de son imagination, ses généreuses puissances de douleur. Elle l'occupa neuf années de sa vie sans relâche car il disait « 11 faut non seulement cultiver ses amis, mais cultiver en soi ses amitiés; il faut les conserver avec soin, les soigner, les arroser. » La tendresse, qu'il appelait « le repos de la passion », et il recherchait une philosophie du repos, fut son,jeu, son art et le plus bel épanouissement de sa très sensible pensée.